La fabrication de la monnaie au Moyen Age : de l’argent à la monnaie / Adrien Arles, Florian Téreygeol

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    Du monde franc aux

    califats omeyyade et abbasside :

    extraction et produits des

    mines d’argent de Melle et de Jabali.

    Begleitband zur Ausstellung

    « Silberpfade zwischen Orient und Okzident »

    im

    Deutschen Bergbau-Museum Bochum

    28. 2. 2014 – 28. 9. 2014

    Bochum

    2014

     

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     Veröffentlichungen aus dem Deutschen Bergbau-Museum Bochum, Nr.: 199

    Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek

    Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in derDeutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind

    im Internet über http://dnb.d-nb.de abrufbar.

    Gestaltung und Satz: Karina Schwunk

    © Selbstverlag des Deutschen Bergbau-Museums Bochum 2014

     Alle Rechte vorbehalten

    Herstellung: Grafisches Centrum Cuno GmbH & Co. KG

    ISBN 10: 3-937203-70-2

    ISBN 13: 978-3-937203-70-6

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    Contenu

    Melle : la ville, les pouvoirs et les hommes

    (VIe-XIe siècles)

    Luc Bourgeois 11

    L’Empire Franc et l’Empire Abbasside. Une

    comparaison transculturelle

    Joachim Sistig 29

    Géologie comparée des métallotectes argentifères

    de Melle (Poitou, France) et de Jabali (Province de

    Ma’rib, Yémen)

    Jean-Pierre Deroin 45

     A la main ou au feu : les choix techniques pour

    l’extraction des minerais argentifères

    Florian Téreygeol 55

     Accès au gisement et gestion des haldes : un

    paysage minier durant l’exploitation carolingienne

    de Melle. L’apport de la fouille préventive du site

    du Prieuré (Saint-Martin-Lès-Melle, 79)

    Gérald Bonnamour, Christophe Marconnet 77

    La préparation des minerais argentifères au haut

    Moyen Age : le rôle de l’eau 

    Florian Téreygeol 93

    La métallurgie du plomb et de l’argent entre Melle

    et JabaliFlorian Téreygeol 133

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    La fabrication de la monnaie au Moyen Age :

    de l’argent à la monnaie

     Adrien Arles, Florian Téreygeol 167

    L’avènement de l’argent. Activité minière, frappe

    monétaire et commerce dans les mondes franc

    et islamique du haut Moyen Age. 

    Guillaume Sarah 183

    Le plomb : une production abondante, un matériau

    rarement conservé

    F. Téreygeol, A. Arles 193

    Melle : mise en évidence de l’utilisation des

    scories vitreuses issues de la chaîne opératoire

    de production de l’argent comme matière première

    de l’industrie verrière

    B. Gratuze, C. Guerrot, D. Foy, J. Bayley, A. Arles, F. Téreygeol 211

    Une nouvelle production ou une réminiscence du

    haut Moyen Age : l’artisanat de l’argent à Melle

    aux XIIIe et XIV e siècles

    Florian Téreygeol 231

    Mines anciennes : entre valorisation économique

    et recherche archéologique

    Florian Téreygeol 251

    Bibliographie 259

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    La fabrication de la monnaie au Moyen

     Age : de l’argent à la monnaie

     Adrien Arles*, Florian Téreygeol**

    * Arkemine sarl et UMR 5060 IRAMAT, Centre Ernest Babelon, CNRS, Université d’Orléans** UMR 5060 IRAMAT, Laboratoire Métallurgies et Cultures, Belfort / UMR 3299 SIS2M

    LAPA, CEA, Saclay

    Résumé

    Suite aux fouilles du second atelier monétaire royal de La Rochelle (France), une grandequantité de matériel a pu être mis au jour. Cette découverte est exceptionnelle par deux as-pects puisqu’il s’agit à ce jour de l’unique atelier officiel fouillé en France et que les struc-tures et objets découverts permettent en une première lecture, d’ébaucher une chaîne deproduction de la monnaie. Ce matériel précurseur constitue la base de cette étude archéo-métrique inédite des techniques monétaires officielles. Cette recherche, par définition mul-tidisciplinaire, s’appuie sur la caractérisation physico-chimique du corpus archéologiquemais également sur une étude des sources historiques : traités monétaires, procès-ver-baux, comptes d’atelier... Enfin, les reconstitutions paléométallurgiques participent pour unepart importante aux discussions engagées. Elles renseignent sur la complexité des opéra-tions tout en produisant des analogues librement étudiables, comparés aux échantillons an-ciens. La compilation de toutes les données collectées permet non seulement de proposerune description des techniques du monnayage au marteau telles qu’elles étaient mises enœuvre dans les fabriques monétaires jusqu’au milieu du XVIIe siècle en France mais égale-ment de comprendre le fondement des opérations pratiquées. La compréhension des mé-canismes chimiques impliqués dans la réussite d’une opération particulière de la fabricationmonétaire (le blanchiment) rend compte de la maîtrise des ouvriers monétaires de leur pro-

    cédé ainsi que des réactions impliquées.

    Introduction

    Les ateliers monétaires fouillés sont particulièrement rares en France comme dans le restede l’Europe. Pour établir une chaîne opératoire et réfléchir à la production de la monnaie, ilfaut nécessairement s’appuyer sur des sources couvrant un large spectre chronologique.De cette façon, il est possible de réunir un corpus ouvrant la voie à une réflexion sur la mise

    en forme des monnaies avant l’introduction de la frappe au balancier. Parallèlement, qu’ils’agisse de l’Europe ou du monde arabe, nous disposons de textes permettant d’apprécierles techniques et les savoir-faire mis en œuvre par les monnayeurs. La principale source ar-

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    chéologique reste l’atelier monétaire de La Rochelle qui a livré un corpus et de structures àmettre en relation directement avec la production monétaire1.

    Les objets retrouvés au cours des travaux archéologiques apparaissent, pour la plupart, di-rectement associés à l’activité propre à l’atelier, avec un corpus à la fois métallique et mé-

    tallurgique : flans, carreaux, parois de four, creusets, coupelles de cendre, pierre de touche.La partie métallique est particulièrement remarquable puisqu’elle regroupe une très grandequantité d’objets correspondant à des monnaies à divers stades de mise en forme : les géo-métries orthogonales précédant les profils arrondis dans la chaîne opératoire. Leur lectureautorise l’observation de toutes les étapes de transformation. Ce matériel daté de la fin duMoyen Age et du début de la période moderne a permis d’envisager une étude globale dela fabrication monétaire pour ces époques et en particulier de la chaîne opératoire qui y estassociée, c’est-à-dire celle du monnayage au marteau. C’est à partir d’une recherche mul-tidisciplinaire fondée sur une approche historique, archéologique, archéométrique et expé-rimentale qu’il est aujourd’hui possible de proposer un éclairage nouveau de cette industrieparticulière de fabrication de la monnaie au Moyen Age.

    1 La chaîne de production de la monnaie : du mé-tal au flan

    La fabrication de la monnaie, telle qu’elle était pratiquée dans les ateliers monétaires offi-

    ciels médiévaux, se définit sous le terme de monnayage au marteau. Les différentes opéra-tions qui lui sont associées sont régulièrement exposées dans la littérature numismatique,tant dans les manuels généraux que dans des publications plus spécialisées2. Cependant,il s’agit en général de simples retranscriptions de descriptions extraites de trois textes prin-cipaux3. C’est pourquoi, les différentes données ont été reconsidérées et complétées pard’autres sources afin de disposer d’une image la plus détaillée possible des techniques defabrication et de leurs contraintes, tel qu’elles pouvaient être mise en œuvre dans les ate-liers médiévaux.

    La spécificité de la fabrication monétaire réside dans la production d’une très grande série

    d’objets présentant de fortes contraintes métrologiques. Leur masse est strictement fixéepar les règlements de fabrication et leur face doit permettre l’inscription de l’ensemble desmotifs monétaires. C’est pourquoi, elle demande la mise en œuvre d’une chaîne opératoirecomplexe qui débute avec une opération de fonderie. Celle-ci a pour finalité de produiredes lames. Ces premières ébauches sont des lingots d’alliage monétaire dont la largeur etl’épaisseur sont voisines de celles de l’espèce fabriquée (Fig.01). Leur production par mou-lage met en œuvre des techniques qui différent peu de celles en vigueur dans les ateliers de

    1 À l’échelle de l’Europe, seules deux autres fabriques médiévales, celle de Porto (Portugal) et celle deTrondheim (Norvège), ont pu faire l’objet de fouilles. Si l’on considére également la période moderne, lesateliers de Londres (Angleterre) et celui d’Haldenstein (Suisse) complétent ce maigre corpus.

      CLAVADETSCHER, U., 1992 ; LOPES, I. A. et al., 1999 ; P ARNELL, G., 1993 ; LOHNE, O. et al., 2010.2 LE NOIR, M., 1788 (1981), p. 21-22 ; L AFAURIE, J., 1963 ; BOMPAIRE, M., DUMAS, F., 2000, p. 473-506.3 ESTIENNE, H., 1579 : POULLAIN, H., 1902 ; BOIZARD, J., 1692 (2000).

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    bronzier. Bien que l’utilisation de lingotières soit décrite dans la littérature, c’est le moulageau sable qui apparaît plus généralement utilisé comme l’atteste la découverte de plusieurslames produites de cette façon. Plus contraignant à mettre en œuvre notamment pour depetites productions, elle s’adapte mieux à la variation métrologique des différents types mo-nétaires à produire.

    Les opérations de mise en forme qui interviennent par la suite sont pour la plupart propres àla fabrication monétaire. Elle se décompose en effet en une série d’opérations de découpes,de martelages mais également de traitements thermique4 et chimique qu’il est intéressant

    de développer ici. Au cours de cette fabrication, les alliages monétaires préalablement mou-lés en lames sont découpées en carreaux 5 avant d’être mis en forme pour devenir des flans-6qui ne deviennent des monnaies qu’une fois frappés entre deux coins monétaires (Fig. 01).

    La première opération de mise en forme au marteau du monnayage au marteau est mise enœuvre sur les lames d’alliage monétaire. Il ne s’agit pas d’une opération critique de la chaîne

    4 Lorsqu’un matériau métallique est soumis à des déformations plastiques, des défauts vont se formerdans sa structure interne. Leur accumulation a pour effet de durcir le matériau jusqu’à le rendre cassant.

     Afin d’éviter la rupture d’un objet au cours de sa mise en forme, il est donc nécessaire de régulièrementmettre en œuvre un traitement de recuit au cours duquel l’objet est porté à haute température. Les dé-

    fauts préalablement formés vont ainsi être éliminés grâce à une réorganisation de la matière.5 Carré d’alliage monétaire.6 Rondelle d’alliage monétaire correspondant à une monnaie qui n’a pas encore été frappée.

    Figure 01 : Lame, carreaux, flans, déchets de coupe de l’atelier monétaire de La Rochelle.

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    opératoire. Elle a pour finalité d’amincir les ébauches préliminaires afin d’approcher l’épais-seur voulue des monnaies. Le martelage des lames est cependant mis en œuvre de ma-nière à seulement allonger ces dernières sans les élargir. En considérant que la techniquedu moulage au sable permet d’obtenir des morphologies de lames parfaitement contrôlées,cette opération de martelage peut apparaître inutile. Il est cependant avantageux de mettre

    en place ces deux techniques successivement. Dans la mesure où le martelage des lamesest une mise en forme simple, elle dispense de la préparation d’un nombre trop importantde moules en sable. Pour une quantité de métal équivalente, plus les lames sont fines, plusle nombre de moules est élevé. Dans ce cas, le temps nécessaire à leur martelage se voitcompensé par l’économie réalisée sur les préparations de fonderie. L’épaisseur des lamesmoulées définit finalement un compromis entre les deux opérations.

     Après que les lames moulées ont été travaillées pour approcher l’épaisseur des monnaiesfabriquées, elles sont découpées en carreaux. A ce stade de la chaîne opératoire, il n’y apas encore d’exigences strictes concernant la masse des ébauches. Il est difficile, voire im-possible de cisailler un objet massif en plusieurs fragments de poids uniforme défini a priori  et, à plus forte raison, dans une production de masse. C’est pourquoi l’objectif est dans unpremier temps de produire des carreaux de masse initialement excédentaire7. Il est ainsi en-suite possible de rectifier les carreaux individuellement lors de l’ajustage.

    Les carreaux découpés sont ensuite battus avant d’être ajustés à leur masse réglementaire. Au cours de cette opération, ils sont martelés individuellement à plat sur l’enclume. Conju-guée avec l’ajustage qui intervient par la suite, cette opération donne un premier arrondi auxébauches. Le martelage est mis en œuvre de manière à imposer un écrasement global enprésentant une surface de marteau parallèle à celle de l’enclume sur laquelle sont déposésles carreaux. Dans cette configuration, le métal est contraint de se déformer dans toutes lesdirections.

     Après avoir été battus les carreaux sont ajustés. Ils sont rognés progressivement avec descisailles afin d’approcher la masse réglementaire des monnaies fabriquées8. Cette opéra-tion a également pour finalité de donner une forme plus arrondie aux carreaux9. Les anglesde ces carreaux sont systématiquement éliminés10.

     Au sein de l’atelier de La Rochelle, cette séquence de mise en forme a été respectée comme

    l’attestent des carreaux ayant été ajustés mais montrant encore des stigmates résultantde leur frappe préparatoire (Fig. 02). Les bords de coupe résultant de l’élimination de leurscoins sont droits alors que d’autres présentent les courbures caractéristiques de leur défor-mation préliminaire.

    La première mise en forme à laquelle sont soumis les carreaux après avoir été ajustés,consiste à les maintenir en pile alors que l’on martèle leur tranche. Cette opération qui est

    7 « affez pres du poids duquel doit eftre la monnoye..., » : ESTIENNE, H., 1579, p. 106.8 « on les rendoit [les carreaux] ainsi du poids juste qu’ils doivent être, en les pesant avec les dénéraux, à

    mesure qu’on en couppoit, ce qu’on appelloit approcher quarreaux. » : BOIZARD, J., 1692 (2000), p. 82.

    9 « en les adjutant, elle a commencé à les arrondir. » : DE THUMERY, J., 1902, p. 341.10 « il en oste sur les pointes et carnes avec les cisoires..., » :POULLAIN, H., 1902, p. 330.  « on en coupoit les pointes avec des cisoires..., » : BOIZARD, J., 1692 (2000), p. 82.

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    par la suite renouvelée à plusieurs reprises a deux objectifsprincipaux. Le premier est prépondérant lors des premiers re-chaussages. Il consiste à adoucir les angles que présententles carreaux ajustés (Fig. 02). A ce stade de la chaîne opé-ratoire, il n’est plus envisageable d’éliminer par cisaillage les

    défauts de rotondité des carreaux qui présentent leur masseréglementaire. Dans ce cas, le martelage sur la tranche consti-tue une alternative possible pour leur rectification. Toutefois,la déformation du métal se fait avec une conservation du vo-lume. La matière définissant l’irrégularité des carreaux n’estque déplacée. Lors d’un rechaussage, l’opérateur doit veil-ler à chasser le métal le long de la tranche sans créer de ren-flement sur les faces du flan. La solution permettant de mi-nimiser la formation de renflements lors d’une frappe sur latranche des carreaux consiste à les travailler en pile. Au cours du martelage de la tranched’un carreau maintenu entre deux autres, le métal n’a pour seule liberté que de se déformerdans le sens de la tranche. Cependant, cette hypothèse suppose que les ébauches compri-mées les unes aux autres aient des morphologies identiques. Le but principal de l’ajustageétant de régler la masse des ébauches, le résultat final est que celles-ci ne sont que globa-lement uniformes. Ce n’est qu’au cours des mises en forme progressives mettant en œuvreplusieurs opérations de rechaussage qu’elles vont devenir identiques. Les défauts de ren-flement de métal à la surface des carreaux qui résultent des premières mises en forme de-viennent moins importants avec l’avancée dans la chaîne opératoire.

    La figure 03 illustre cette hypothèse à partir de reconstitutions expérimentales. Il est pos-sible de constater la disparité de la morphologie des carreaux venant d’être ajustés (Fig.03a). Après un premier rechaussage, des renflements ont pu se créer dans les vides laisséspar certains échantillons moins uniformes (Fig. 03b). A un stade plus avancé, l’uniformatisa-tion des flans entraîne une diminution des défauts de surface (Fig. 03c).

    Une seconde condition doit toutefois être respectée pour éviter que l’opération de rechaus-sage ne produise trop de défauts sur les carreaux ou les flans concernés. Il est en effet né-

    cessaire de les maintenir plaqués les uns aux autres avec force. Si la cohésion n’est pas ga-rantie lors du martelage, celui-ci entraîne un fléchissement des ébauches. C’est pourquoi la

    Figure 02 : Carreau d’argentbattu et ajusté.

    Figure 03 : Rechaussages expérimentaux.

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    pile travaillée est obligatoirement maintenue avec des tenailles11. L’utilisation d’un tel instru-ment est attestée par la découverte de vestiges présentant des stigmates très caractéris-tiques. L’un d’eux est illustré sur la figure 04.

    Il s’agit d’un carreau associé

    au monnayage de cuivre qui aété rechaussé. Ses particula-rités morphologiques tiennentà sa position dans la pile lorsde cette opération. Il se trou-vait à l’une des extrémités aucontact des tenailles. Dans lamesure où sa place ne lui ga-rantit pas un maintien lors desmartelages, il a vu ses coinsse déformer fortement. Enoutre, son contact avec l’undes deux mors de la pince alaissé des marques profondesà sa surface. Des traces similaires ont d’ailleurs été obtenues lors de reconstitutions decette étape de mise en forme (Fig. 04).

    Parallèlement au rechaussage, les carreaux sont flatis. A cette fin, ils sont battus à plat surl’enclume comme précédemment. Cette opération a pour conséquence un arrondissementglobal. Les ébauches, qui ont une forme octogonale après avoir été ajustées, ont naturelle-ment tendance à évoluer vers un profil circulaire.

    Le processus d’arrondissement est en définitive permis par un cycle au cours duquel lesébauches sont rechaussées et flaties. Au cours de ces mises en forme, les opérations derechaussage qui se succèdent voient leur finalité principale évoluer de celle d’arrondir desfragments de métal vers celle d’uniformiser la morphologie des flans produits. En effet,lors des derniers rechaussages, le martelage sur la tranche des ébauches maintenues enpile permet de corriger les défauts morphologiques propres à chaque flan par rapport à lamoyenne globale pour produire une série de flans présentant tous les mêmes diamètres

    (Fig. 03c). Lorsque le module final des monnaies fabriquées est atteint, les flans sont fla-tis pour la dernière fois. Ils sont eslaizés12. Il s’agit d’une phase de finition de l’élaborationdes flans, qui intervient pour les redresser après un rechaussage et rectifier la surface desébauches qui présentent des marques de martelage ou des traces laissées par les morsdes tenailles.

     Avant de rendre leur production de flans, les ouvriers réalisent une dernière opération. Ilsvont bouer leurs ébauches13. Au cours de leur mise en forme, les flans subissent des défor-

    11 BOIZARD, J., 1692 (2000), p. 82.

    12 ESTIENNE, H., 1579, p. 106 ; POULLAIN, H., 1902, p. 331 ; DE THUMERY, J., 1902, p. 341 ; BOIZARD, J., 1692(2000), p. 82.

    13 POULLAIN, H., 1902, p. 331 ; DE THUMERY, J., 1902, p. 341.

    Figure 04 : Carreau de La Rochelle (gauche) présentant lesstigmates de l’utilisation d’estanques comparé à un carreauexpérimental (droite).

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    mations qui vont modifier leur planéité. Or, un tel défaut est inesthétique pour des monnaies.Il faut au contraire qu’elles se touchent d’assiette. La méthode nécessaire pour redresser lesébauches est particulière. A ce stade de la mise en forme, il n’est plus question de déformerles flans qui présentent leur morphologie finale. Dans ce cas, il ne faut pas que les coupsde marteau qui doivent les redresser soient trop appuyés. Il en résulte que le point d’impact

    d’une telle frappe est limité. Si une ébauche est travaillée individuellement de cette manièresur le plat de l’enclume, la pression exercée n’est pas répartie sur l’ensemble de sa surface.Elle ne permet pas, des essais l’ont montré, le redressement global recherché. C’est pour-quoi les flans sont boués en pile (Fig. 05). Celle-ci est élevée sur l’enclume puis frappée avecun marteau. Cette technique garantit la répartition de la force de la frappe sur toute la sur-face des flans entraînant finalement leur redressement.

    Lors de la frappe des monnaies, les flans sont placés individuellement entre deux matricesqui vont imprimer les motifs monétaires. Il est indispensable que les ébauches soient parfai-tement planes lorsqu’elles sont placées entre les coins. Si tel n’est pas le cas, il est difficile

    d’imprimer uniformément les motifs monétaires. Dans la mesure où, compte tenu des dé-fauts de planéité, les deux faces des matrices monétaires ne sont pas parallèles lors de lafrappe, les empreintes risquent de n’être marquées que partiellement. C’est pourquoi, il estimportant que les flans soient préalablement boués.

    Dans le corpus archéologique, ce sont également les défauts résultant de cette opérationde mise en forme qui indiquent qu’elle a été pratiquée (Fig. 07). L’observation de deux flansexpérimentaux (Fig. 06) montre que si un flan de la pile vient à être décalé par rapport aureste de la colonne, la pression de la frappe ne va être répartie que partiellement sur sa sur-face. Dans ce cas, l’ébauche contre laquelle il se trouve plaqué lui imprime la trace de son

    contour.

    Figure 05 : Pile de flans expérimentaux avant et après avoir été bouée.

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    2 La question du blanchiment

     Après avoir été boués et avant d’être frappés, les flans sont soumis à l’opération de blanchi-ment. Il s’agit d’un traitement chimique faisant intervenir une solution aqueuse de gravelle14 et de sel de mer dans laquelle sont trempées les ébauches. Selon les textes monétaires, ceprocédé doit en premier lieu éliminer les crasses et les oxydes qui auront été accumulés à la

    surface des flans lors de leur préparation15

    . Cependant, les réactions en jeu ont égalementla propriété de mettre en évidence, lorsqu’il est présent, l’argent contenu dans les alliagesmonétaires. Grâce à un enrichissement de surface, les flans paraissent plus argentés queleur titre en métal blanc ne permet de l’espérer. C’est d’ailleurs cette conséquence esthé-tique qui a donné son nom au procédé et qui l’assimile ainsi à un traitement d’argenture16.

    14 Ce sel composé en majorité de bitartrate de potassium est notamment un déchet de la production du vin.Moins soluble dans l’alcool que dans l’eau, il a tendance à précipiter dans les fûts de viellissement de vin.Il s’agit d’un composé acide.

    15 ESTIENNE, H., 1579, p. 106 ; POULLAIN, H., 1902, p. 333 ; DE THUMERY, J., 1902, p. 342 ; DE BETTANGE, M., 1760,

    p. 5 ; BOIZARD, J., 1692 (2000), p. 73.16 COPE, L. H., 1972 ; KING, C. E., HEDGES, R. E. M., 1974 ; L A  NIECE, S., 1993 ; ZWICKER, U. et al., 1993 ; A NHEU-

    SER, K., NORTHOVER, J. P., 1994 ; GIUMLIA -M AIR, A., 2001.

    Figure 06 : Flans boués expérimentalement mettant en évidence un défaut potentiel de cetteopération.

    Figure 07 : Flan de bas billon présentant un défaut après avoir été boué.

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    Dans le cadre de l’étude du corpus de La Rochelle, l’observation de la coupe métallogra-phique d’un flan a révélé une structure particulière à sa surface (Fig. 08 et 09). Sa comparai-son avec l’âme de l’objet a rapidement mis en évidence qu’il s’agissait en fait d’une trans-formation locale de l’alliage associable à un traitement de blanchiment.

    L’âme non transformée du flan est composée d’un alliage de cuivre et d’argent dans desproportions respectives de 68,8 % et 29,7 % massiques. Le plomb, avec seulement 1,5 %,est considéré comme un composé mineur. La structure métallographique de l’ébaucheest constituée de dendrites de solution solide de cuivre entourées d’une phase riche enargent17. Globalement, il apparaît que la structure de la zone modifiée dérive de celle de l’al-liage utilisé (Fig. 09). En effet, le réseau que forme la solution solide d’argent autour des den-drites cuivreuses est identique au cœur comme en périphérie du flan. La phase de solutionsolide de cuivre est en revanche très différente. Elle semble s’être partiellement transforméeou avoir laissé place à un composé qui présente une couleur gris-bleu en lumière naturelle,alors qu’à d’autres endroitsl’espace apparaît vidé deson contenu. L’analyse parspectroscopie en dispersiond’énergie couplée à un mi-croscope électronique à ba-layage montre que la phase

    rémanente est effective-ment composée d’oxyde decuivre, mais également dechlore.

    L’étude de cet échantil-lon archéologique confron-tée à plusieurs expérimen-tations de reconstructionde la chaîne opératoire du

    monnayage au marteau et

    17 Il s’agit de la phase eutectique de composition : 71,9 % argent, 28,1 % cuivre.

    Figure 8 : Flan dont la coupe métallographique (droite) met en évidence une structured’enrichissement superficielle en phase argentée.

    Figure 09 : Détail de la structure d’enrichissement du flan de La

    Rochelle.

     

    Structure

    transformée

     Ame non transformée

    du flan

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     Arles et Téreygeol : La fabrication de la monnaie au Moyen Age : de l’argent à la monnaie

    du blanchiment permet de proposer une description des mécanismes chimiques qui inter-viennent dans ce procédé.

    Les premières réflexions développées s’appuyaient sur l’idée que le blanchiment était défi-ni comme un traitement des flans par une solution aqueuse acidifiée par la présence de bi-

    tartrate de potassium18. Les hypothèses initiales suggéraient une corrosion préférentielle ducuivre par rapport à l’argent. Cependant, dans la mesure où les divers couples redox faisantintervenir le cuivre et l’argent sont tous positifs19, il n’est pas possible du point de vue élec-trochimique que ces métaux puissent réagir avec les ions acides de la solution20. De plus,en considérant les autres espèces en solution de traitement, tels que le potassium, le chlore,ou le sodium, il n’y a pas de réaction pouvant expliquer une attaque préférentielle du cuivrepar rapport à l’argent. L’observation des échantillons expérimentaux confirme cette hypo-thèse. Les échantillons blanchis plus longtemps ne présentent pas un enrichissement plusimportant.

    La considération des coupes métallographiques des échantillons expérimentaux prélevésà différents stades de la chaîne opératoire reconstituée révèle que le phénomène précur-seur du procédé de blanchiment n’est pas une réaction aqueuse. Il s’agit d’une corrosionen phase sèche à haute température. Les transformations prépondérantes ne se produisentpas dans le bain de blanchiment, mais lors des recuits qui sont mis en œuvre tout au longde la mise en forme. En effet, porté à haute température l’argent présent dans les alliagesmonétaire reste sous sa forme métallique alors que le cuivre a en revanche tendance à êtreoxydé. Finalement, la seule fonction du bain de blanchiment est d’éliminer les oxydes decuivre qui se forment durant les recuits.

    Le mécanisme global qui décrit la séquence d’enrichissement dont résulte le blanchimentdes alliages monétaires argent-cuivre se présente ainsi :

    18 Une telle solution saturée présente à 20 °C un pH de 3,5.19 A 25°C : E°(Ag+ /Ag) = 0,7996 V, E°(Cu+ /Cu) = 0,522 V, E°(Cu2+ /Cu) = 0,3402 V.

      WEAST, R., ed., 1966, p. D76.20 A 25 °C : E°(H+ /H

    2 ) = 0 V.

      Idem, p. D76.

    Figure 10 : Mécanisme d’enrichissement.Observation de coupes schématiques d’échantillons à différents stades de mise en forme.

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    – Après avoir été coulé, l’alliage présente une structure de solidification qui ne met pas enévidence un enrichissement superficiel initial. En revanche, l’alliage est tout de mêmeglobalement hétérogène à l’échelle microscopique avec une phase cuivreuse et une se-conde riche en argent.

    – A la suite des premiers martelages, il n’y a aucun phénomène précurseur de l’enrichisse-ment recherché. Il n’y a qu’une légère déformation du réseau dendritique.

    – Lors du premier recuit, le milieu de réaction et la température mis en œuvre accélèrentl’oxydation de la phase cuivreuse. Les dendrites de solution solide de cuivre qui setrouvent à la surface de l’échantillon commencent à être oxydées. L’épaisseur de cettecouche d’oxydes croît depuis la surface de l’échantillon vers l’intérieur de celui-ci. Laphase argentée n’est en revanche pas oxydée.

    – Durant les martelages suivants, les oxydes formés lors des recuits sont fracturés et enparti éjectés. L’argent qui persiste superficiellement, au cours des séries de martelages,forme une pellicule plus ou moins compacte selon les déformations subies.

    – Finalement, lorsque l’alliage préparé va être blanchi, il présente une couche superficielleenrichie d’une phase riche en argent dans laquelle se trouvent encore inclus des oxydesde cuivre qui n’ont pas tous été éjectés. Le recuit qui intervient avant le traitement ensolution permet d’augmenter une dernière fois l’épaisseur de la couche oxydée. L’enri-chissement obtenu à la fin de cette séquence a déjà acquis sa puissance définitive. Elledépend du nombre de passes de martelages et de recuits, mais également de la duréeet de la température de ces derniers. Elle n’augmentera plus lors des opérations ulté-rieures.

    – Après le traitement de blanchiment, l’enrichissement n’est pas modifié. Le bain acide degravelle et de chlorure de sodium élimine seulement les oxydes de cuivre du réseau richeen argent. Ces derniers laissent des vides dans la couche superficielle, lui conférant unestructure spongieuse aérée. Cette configuration très accidentée donne un aspect mat àla surface traitée.

    – Finalement la dernière opération que subissent les alliages monétaires blanchis corres-

    pond à la frappe des monnaies. Celle-ci a pour conséquence un dernier compactage dela couche d’enrichissement en phase argentée par ailleurs vidée de ses oxydes inters-titiels. Cette densification qui s’accompagne d’une uniformisation de la surface frappéedonne l’aspect argenté brillant final.

    Ce mécanisme réactionnel proposé à partir de données archéologiques et expérimentalespermet de disposer d’un éclairage nouveau sur le procédé de blanchiment et son utilisationdans la fabrication monétaire.

    Il vient d’être vu que le phénomène d’enrichissement n’est possible que pour certains al-

    liages argent-cuivre. C’est derniers doivent présenter une structure biphasée. Dans ce cas,la considération du diagramme de phase de ce mélange permet d’établir différents do-maines de compositions théoriques qui garantissent la formation d’une couche superficielle

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    argentée durant la mise en forme. Il apparaît que ces intervalles ne sont pas sans lien avecles appellations retenues pour les différents alliages monétaires :

    – Pour le monnayage de cuivre, la finalité du bain de blanchiment n’est pas de mettre enévidence un quelconque enrichissement de surface. Il intervient seulement pour éliminerles oxydes superficiels formés lors des étapes de mise en forme.

    – Théoriquement, les alliages cuivre-argent qui contiennent moins de 8 % en masse demétal blanc forment une solution solide de cuivre. Dans un tel mélange, il n’y a qu’uneseule phase dans laquelle l’argent, minoritaire, est dissout. Lors des martelages et re-cuits, il ne peut pas, dans ce cas, y avoir un phénomène d’enrichissement par la suitemis en évidence lors du blanchiment. Ce traitement a en définitive le même effet que

    pour le monnayage de cuivre. La surface devenue rouge après le décapage qui précèdela frappe redevient ensuite progressivement plus sombre, marron foncé, avec la forma-tion d’oxydes de cuivre superficiels. Ces alliages monétaires très pauvres en métal pré-cieux sont qualifiés de bas billon et les espèces frappées de cet alliage ont été qualifiéesde monnaies noires. Cette qualification qui s’explique parfaitement par l’impossibilitéd’obtenir un enrichissement superficiel avec ces alliages qui au cours du temps noir-cissent avec l’oxydation des monnaies. Il existe également des alliages de bas billon quipeuvent contenir jusqu’à 12 % de métal précieux. Dans ce cas, les mélanges qui se si-tuent dans cet intervalle présentent effectivement une structure biphasée. Néanmoins, ladispersion de la phase argentée dans la matrice cuivreuse empêche sa densification lors

    des étapes de mise en forme.

    Figure 11 : Domaines d’enrichissement des alliages monétaires.

    Argent  Billon Bas

    billon Cuivre Monnayages : 

    Aspect : 

    % massique argent :  100  71,9  15-10  8  0 % 

    Solution solide d’argent

    Solution solide de cuivre

    Composé eutectique

    (riche en argent).

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    – Les alliages monétaires de billon et d’argent dont les taux de métal précieux dépassent10 à 15 % de la masse totale, ont globalement un aspect argenté, une fois mis en formeet frappés. Néanmoins, l’origine de l’apparence finale n’est pas uniquement due au phé-nomène d’enrichissement décrit précédemment. Avec l’augmentation du titre en argentdans ces alliages, le diagramme de phase permet de suivre les changements structu-

    raux qui en résultent. Finalement, seuls les mélanges dont les taux de métal blanc sontcompris entre 8 % et la composition eutectique de 71,9 % massiques sont constitués dedendrites de solution solide de cuivre entourées d’une phase enrichie en argent. Cettestructure est identique à celle des échantillons expérimentaux. Le mécanisme d’enrichis-sement qui leur est associé est identique à celui proposé.

    – Au-delà de 71,9 % et jusqu’à 91,2 % de métal précieux dans l’alliage, ce sont les den-drites de solution solide d’argent qui se solidifient en premier. La ségrégation entre desphases riches en cuivre et d’autres riches en argent est maintenue. Elle est toutefois vi-sible à une échelle plus fine puisqu’elle se retrouve au sein de la phase qui entoure lesdendrites de solution solide d’argent. Les processus d’enrichissement sont néanmoinstoujours applicables. Pour les alliages contenant plus de 91,2 % de leur masse totale enmétal précieux, ils ne forment qu’une phase de solution solide d’argent qui ne permetpas la mise en place du phénomène de ségrégation durant leur mise en forme, cepen-dant ceci n’est pas gênant d’un point de vue de leur argenture dans la mesure où ils ontdéjà un aspect argenté de par leur composition.

    Finalement, en considérant la figure 11, il apparaît que la majorité des alliages argent-cuivreprésentent une structure interne qui conduit durant leur mise en forme, à un enrichissementsuperficiel en métal précieux. La mise en parallèle des domaines de blanchiment avec lesdifférentes dénominations d’alliages monnayés révèle par ailleurs la maitrise de ce procédépar les ouvriers monétaires.

    Un autre point sur lequel s’accordent les sources monétaires qui font état du procédé deblanchiment est l’importance d’utiliser des ustensiles de bois et, dans une plus grande me-sure, de cuivre21. C’est de ce métal que sont notamment constituées les cuves dans les-quelles sont mis à blanchir les flans. Il compose aussi le crible nécessaire à leur récupérationune fois traités, ainsi que les différents instruments utilisés pour brasser les ébauches dansle bain de blanchiment. Sans explicitement l’interdire, il n’est jamais fait mention de l’emploi

    d’un quelconque outillage de fer alors que ce métal se retrouve dans les instruments utilisésdans les étapes de mise en forme qui précédent le blanchiment.

    Le choix d’exclure ce métal se justifie ici par une considération électrochimique. Le coupleredox du fer Fe/Fe2+ présente un potentiel standard très inférieur à celui du couple Cu2+ / Cu 22. Les ions cuivriques qui passent en solution lors du blanchiment favorisent l’oxyda-tion du fer. L’utilisation d’ustensiles de fer a pour conséquence la mise en place d’une cor-rosion galvanique. Il suffit de considérer l’exemple du prélèvement d’un flan dans le bain de

    21 « Vaisseau de cuivre porté à jour. » : POULLAIN, H., 1902, p. 333.  « Crible de cuivre rouge, vaisseau de cuivre. » : BOIZARD, J., 1692 (2000), p. 73.

      « Bouilloir : est un vase de cuivre rouge. » : DE BETTANGE, M., 1760, p. 5.22 A 25 °C : E°(Cu2+ /Cu) = 0,3402 V > E°( Fe/Fe2+ ) = 0,41 V.  LIDE, D. R., ed., 1991, p. 820.

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    blanchiment à l’aide d’une cuillère de fer. Les ions cuivriques passés dans la solution lors dublanchiment sont réduits à la surface du flan alors que le fer de la cuillère est oxydé et finidans le bain d’attaque. Cette configuration est très préjudiciable au résultat du blanchimentpuisqu’il en résulte un recouvrement de la surface des flans qui doit normalement être d’ungris argent, par une couche de cuivre rouge. C’est pourquoi, il est très important de ne pas

    utiliser d’ustensile de fer dans les opérations de blanchiment afin de prévenir de potentielsdépôts de cuivre. Ces moyens mis en œuvre constituent un témoignage supplémentairedes savoir-faire des ouvriers monétaires. Initialement confrontés aux conséquences préju-diciables de l’utilisation d’outils en fer, ils ont su adapter leur procédé de manière efficace.

    3 La frappe

    Blanchis, les flans sont finalement confiés aux monnayeurs pour qu’ils réalisent l’ultimeétape de la fabrication des monnaies : la frappe. A partir de l’imposition des motifs moné-taires à la surface des pièces, l’autorité émettrice atteste de la quantité de métal précieuxqu’elles représentent, donc de leur valeur. Dans la chaîne opératoire globale, c’est en dé-finitive le procédé considéré comme étant le plus simple à mettre en œuvre. Il se limite aumatriçage des flans entre deux coins gravés des figures et légendes réglementaires (Fig.12). Dans le cadre d’une production de masse qui demande ce travail extrêmement ré-pétitif, la précision et l’assurance du geste ne doivent cependant pas être négligées. Cesdeux qualités, qui s’acquièrent avec l’expérience, permettent de garantir la qualité finale dumonnayage. C’est en premier lieu l’esthétisme des espèces, du moins pour celles de plusgrande valeur, qui garantit la confiance des usagers dans ces dernières.

    Finalement, la frappe est le symbole de la fabrication monétaire. Cette seule étape trans-forme un disque de métal, certes contenant généralement une part d’or ou d’argent, en ob-

     jet de plus grande valeur. C’est pourquoiles sommes produites ainsi que l’utilisa-tion des coins monétaires font de ce vul-gaire matriçage une opération particuliè-rement sensible, donc contrôlée. C’estd’ailleurs certainement pour cette raison

    que les fouilles de l’atelier de La Rochelleont livré peu d’informations et de maté-riels concernant cette dernière phase dumonnayage. Avec seulement cinq mon-naies retrouvées effectivement frappéesdans cette fabrique rapportées aux 128flans du corpus global, le contraste esttrès explicite. Il faut croire que les ou-vriers monnayeurs, responsables de lafrappe étaient contraints à plus d’atten-

    tion dans la manipulation de leurs piècesque les ouvriers monétaires, respon-sables de la production des flans.

    Figure 12 : Paire de coins monétaires utilisée lorsdes expérimentations.

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    Une seconde observation résulte d’un biais expérimental lors des premiers essais réalisésdans le cadre de cette étude. Pour des raisons de sécurité, le coin mobile qui a été utilisédisposait initialement d’un manche latéral23. Cette configuration devait prévenir les risquesd’accident si le marteau venait à manquer la zone d’impact. Ce choix a imposé que l’opé-ration soit réalisée par deux personnes, l’une tenant le coin par son manche, l’autre frap-

    pant. Cependant, cette méthode n’est pas celle qui est décrite par les sources monétaires,ni dans l’iconographie. Ces dernières représentent le battage des monnaies comme le tra-vail d’un seul monnayeur assis sur un banc. Les essais préliminaires de frappe en binômeattestent de la difficulté d’appliquer une telle configuration au monnayage médiéval. Ce-lui-ci se caractérise par des pièces particulièrement fines dont les motifs sont peu marqués.Dans ce cas, pour obtenir une impression satisfaisante des légendes et figures, c’est-à-dire également marquée sur toute la superficie des pièces, il est indispensable que les sur-faces des deux coins soient sensiblement parallèles durant l’impact du marteau. Si tel n’estpas le cas, l’épaisseur limitée des flans ne permet pas une déformation suffisante du maté-riau lors de la sollicitation mécanique pour qu’en définitive l’écrasement soit réparti sur l’en-semble de la monnaie. Les monnaies alors produites présentent des lacunes dans leurs ins-criptions monétaires. L’utilisation d’un coin emmanché dont la préhension est déportée nefacilite pas le maintien de la surface du trousseau parallèle à celle de la pile. La frappe n’estpas satisfaisante. Après avoir finalement désemmanché le trousseau utilisé lors des recons-titutions expérimentales, les nouvelles frappes réalisées alors par une seule personne, ontmontré l’intérêt de ce choix. Bien que la puissance développée par un seul batteur utilisantun marteau soit bien inférieure à celle du binôme pouvant employer une masse, cette dif-férence se voit contrebalancée par une amélioration de la qualité de la frappe. La tenue ducoin à l’aplomb de la zone d’impact du marteau permet un maintien beaucoup plus facilede la matrice dans la configuration idéale d’impression des motifs. De même, alors qu’il estimpossible, compte tenu de la violence du choc, de réaliser plusieurs frappes à la massesans devoir repositionner précisément la monnaie entre les coins24, ce n’est pas le cas lorsdu travail d’un seul opérateur.

    Conclusion

    L’étude multidisciplinaire du corpus archéologique issu d’un atelier monétaire a permis de

    mettre en évidence une chaîne opératoire globale de fabrication de la monnaie par la tech-nologie du marteau. Même si elle présente parfois quelques différences avec le processusréglementaire présenté dans les sources monétaires, celles-ci sont relativement peu impor-tantes et, de surcroît, associées à des monnayages de moins grande valeur.

    23 La paire de coins utilisée lors des différentes expériementations présentées dans cet article a été gravéepar M. Ducouret.

    24 Le monnayeur n’est pas contraint de rengrenner sa monnaie.