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La fabrique de l’ennemi Georges Lewi Comment réussir son storytelling

La fabrique de l'ennemi - Decitre · En 2007, paraît en France le livre de Christian Salmon Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits 1. C’est

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La fabriquede l’ennemi

Georges Lewi

Comment réussir son storytelling

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Sommaire

IntroductIon ........................................................... 9

PremIère PartIe

Fondamentaux du storytelling

Chapitre 1Qu’est-ce Que le storytellIng ? ............................... 17

Chapitre 2le storytellIng sur Internet : contenu de marQue et brand content ................... 35

Chapitre 3le storytellIng vIent des mythes ............................ 47

seconde PartIe

Le storytelling en application : expériences et analyse

Chapitre 4le storytellIng des entrePrIses ................................ 71

Chapitre 5le storytellIng des marQues ................................... 85

Chapitre 6le storytellIng des terrItoIres................................ 107

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Chapitre 7le storytellIng des PersonnalItés PublIQues ........... 121

Chapitre 8le storytellIng des génératIons et des IndIvIdus ... 135

conclusIon .............................................................. 141

bIblIograPhIe sélectIve ............................................. 149

Index ......................................................................... 151

table des matIères .................................................... 155

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Introduction

La vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? Pourquoi parle-t-on autant du storytelling ?En 2007, paraît en France le livre de Christian Salmon Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits1. C’est un vrai succès médiatique. L’ouvrage installe le storytelling à la une des médias. Les publicitaires s’emparent du mot. Le Web 2.0 don-nera ses lettres de noblesse au concept par l’interactivité et la pos-sibilité de créer une vraie conversation entre la marque, l’homme politique et leurs publics.

L’auteur expose dès les premières phrases sa façon de voir : « Depuis qu’elle existe, l’ humanité a su cultiver l’art de raconter des contes et des histoires. Un art au cœur du lien social dans toutes les cultures. Mais qui a commencé à prendre une allure de cauchemar depuis la fin du xxe siècle, quand il a été investi aux États-Unis par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l’appellation anodine de storytelling. »

Disons-le tout net : mon ouvrage défend le storytelling même s’il en critique les abus. Le storytelling est la prise de conscience de l’existence d’un ensemble de techniques et d’un art de la conversa-tion au cœur du lien social depuis dix mille ans. Il n’y a pas dans mon esprit de « bon » ou de « mauvais » storytelling. Lors des élections européennes de 2014 en France, seule Marine Le Pen

1. Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2008.

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utilisa les techniques du storytelling. Seules ses listes ont su « fabri-quer un ennemi » (l’Europe elle-même), règle numéro un d’un storytelling réussi. Les listes « européistes » se sont contentées de faire un bilan des cinquante ans de l’Union européenne sans essayer de définir les défis, les batailles, les fléaux à vaincre dans le futur. Résultat ? Les listes Front national arrivent en tête, devant tous les autres partis, avec près de 25 % des suffrages exprimés. Il est plus intéressant de comprendre les mécanismes du storytelling, de savoir et de pouvoir les démonter pour s’en servir que d’essayer de les nier. Faire un bon storytelling est sans doute la première preuve d’existence et d’affirmation d’un individu ou d’une organi-sation dans son environnement. L’art d’un récit bien construit est d’abord l’art de la clarté et de l’intelligibilité. Or nous savons depuis Boileau, poète et essayiste (1636-1711), que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ».

Selon Roland Barthes, père du storytelling contemporain adapté aux marques, « le récit commence avec l’ histoire même de l’ humanité. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, nulle part, aucun peuple sans récit1 ». Nier la nécessité du storytelling, même si celui-ci est utilisé pour défendre une cause qui nous déplaît, reviendrait à nier le rôle de la conversation, de la parole elle-même et par conséquent de la vie en société.

Le storytelling est une mise en récit dont le déroulement repose sur la structure narrative utilisée dans les contes de fées, les récits fondateurs, les mythes. Raconter une histoire avec efficacité, c’est-à-dire de façon qu’elle soit comprise et surtout mémorisée, repose, en effet, sur ce que les linguistes structuralistes2 ont appelé le « schéma actantiel », à la base du schéma narratif contemporain. Car chaque héros doit « trouver son opposant » pour justifier et pérenniser son rôle, son statut, sa fonction. Umberto Eco, dans

1. Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale du récit », Com-munications, n° 8, 1966.2. Ferdinand de Saussure (le « précurseur » en 1916), Roman Jakobson en phonologie, Sergueï Kartsevski, Nicolaï Troubetskoï, Vilem Mathesius, Bohuslav Havranek, Louis Hjelmslev, Vladimir Propp et Algirdas Julien Greimas en sémiotique.

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Introduction

Construire l’ennemi (2014), rapporte ce que Gorbatchev aurait dit aux Américains lors de la chute du Mur en 1989 : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ! » Selon le leader de l’URSS, cette absence d’ennemi risquait de son-ner le glas du storytelling de l’Occident. Resté tout à coup seul face à lui-même, celui-ci serait, pour la première fois depuis un siècle, privé de son récit contradictoire et par conséquent de sa propre narration. Mais, comme on le sait, l’Histoire comme la nature ont horreur du vide et, désormais, les nouveaux ennemis ne manquent pas. Un certain George W. Bush et ses conseillers furent particu-lièrement prompts à le comprendre.

L’art de la narration est devenu l’art de la persuasion. Les scéna-ristes d’Hollywood et du monde entier se sont approprié le sto-rytelling parce qu’il porte en germe cette qualité particulière : rendre le public avide de connaître la « suite » de l’histoire. Aujourd’hui, la relation entre l’émetteur et le récepteur accorde une part de plus en plus importante à l’interactivité. Pour les marques et leurs consommateurs, la blogosphère apporte ce lien permanent qui permet au client d’avoir le sentiment de participer à l’« expérience de la marque », à donner son avis, à contester, et le plus souvent… à adhérer.

Dans cet ouvrage, nous analyserons le storytelling sous toutes ses formes et dans ses développements numériques les plus actuels comme le « brand content » ; nous verrons comment réussir son storytelling en se servant des mythes. Puis nous passerons aux travaux pratiques, en analysant d’abord le storytelling des entre-prises, des marques commerciales et des territoires érigés en marques. Nous terminerons par le « personal storytelling » (ou « personal branding »), celui des personnalités publiques et de tout un chacun. La conclusion sera consacrée au rôle protecteur du storytelling face à d’éventuelles crises. Ces dernières remarques devraient conduire les plus réticents à s’y intéresser.

Rien de tel pour commencer une réflexion sur le storytelling que de raconter une belle histoire, comme l’économie sait quelque-fois nous en fabriquer. Certaines entreprises récentes savent très habilement en utiliser tous les registres. Elles transforment un

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objectif commercial en une « grande cause » et, à coup sûr, en pleine réussite. Dans un univers aussi gigantesque que l’agroali-mentaire, où se faire une place est particulièrement difficile et surtout onéreux, le storytelling a permis à quelques nouvelles entreprises de prendre une part de marché significative. Leurs fondateurs, parfaits adeptes de la narration maîtrisée, ont réussi le pari difficile d’imposer une marque venue de nulle part. Grâce à cela, ils ont pu valoriser assez rapidement leur intuition, leur créa-tivité. Michel et Augustin comme Innocent font partie de ces « experts » du storytelling dans des univers où il n’y avait pas, a priori, de place pour eux.

Focalisons-nous, donc, sur la réussite exemplaire de la marque de smoothies « Innocent, les fruits tout nus ». Elle a pour logo une pomme grossièrement dessinée, pourvue de deux yeux et d’une auréole qui évoque la figure d’un sympathique angelot. La défini-tion du mot « innocent » – « qui ignore le mal, est pur et sans malice » – apporte aussi à la marque cette connotation angélique. Sur son site officiel et sous la rubrique « Notre histoire », un très beau récit qui nous est conté.

La vérité, toute la vérité, rien que la véritéBonjour,Nous sommes Innocent et nous faisons des smoothies. Qu’est-ce qu’un smoothie ? Eh bien, c’est un mélange de fruits mixés et de purs jus de fruits frais. C’est tout. Nous avons beau chercher, nous n’avons rien trouvé d’autre. Pour tout vous dire, nous appelons nos smoothies innocent parce qu’ils sont 100 % purs, 100 % fruits et 100 % naturels. Nous n’utilisons pas de conservateurs, pas de colorants, pas d’additifs bizarres, pas de jus concentrés, pas de sucre et pas d’eau. Nos smoo-thies ne contiennent que des fruits, et ça ne risque pas de changer. Simple, n’est-ce pas ?Maintenant que vous savez ce que nous faisons, laissez-nous ajouter une petite précision. Nous vous promettons que nos smoothies seront toujours beaux, bons et vous feront du bien. Et nous ne tricherons jamais aux Monopoly.Voilà. Vous savez tout.

Il était une fois…… trois jeunes hommes entre 20 et 30 ans fraîchement diplômés, Richard, Jon et Adam. Ils ont inventé leurs premières recettes de smoothies pendant l’été 1998 et les ont testées lors d’un festival de musique. Avec 100 kg de fruits et un grand panneau au-dessus de leur

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Introduction

stand, ils ont demandé au public s’ils devaient quitter leurs emplois pour se dédier aux smoothies. Les visiteurs devaient répondre en jetant leurs bouteilles dans une poubelle OUI ou NON. À la fin du week-end, la poubelle OUI était pleine. Le lendemain, ils ont démissionné1.

Tout commence donc en 1998. Le nom de la marque, le produit « 100 % pur », les trois sympathiques étudiants Richard, Jon et Adam, qui ne trichent pas au Monopoly, le festival de musique, et l’opposition binaire entre le OUI et le NON, entre deux concep-tions du monde : la scénarisation du storytelling est en place.

Tout cela a bien fonctionné puisque, en 2012, le chiffre d’af-faires d’Innocent est d’environ 250 millions d’euros générés par la vente de smoothies. Entrée au capital de l’entreprise en 2009, The Coca-Cola Company est devenu majoritaire en 2013. Un nouveau PDG est nommé pour remplacer les trois étudiants. Une quin-zaine d’années ont suffi à ce storytelling réussi pour passer du mythe à l’histoire économique, celle qui commence désormais en compagnie du géant mondial des soft-drinks.

Le storytelling est la pointe la plus visible du « branding » (le marketing de la marque) et de la création de valeur pour une entre-prise récente ou ancienne, off- ou online. Le mot est souvent gal-vaudé mais, à la base de la réussite de toutes les entreprises humaines, économiques ou non, il y a toujours un bon storytelling fondé sur des règles précises. C’est le secret de cette réussite que va tenter de « traquer » cet ouvrage, au service de tous ceux qui sou-haitent positionner une marque, développer un territoire, installer un discours politique ou tout simplement pouvoir décoder ces récits qui semblent si bien « ficelés ».

1. Site officiel de la marque, www.innocentdrinks.be/fr/, août 2014.

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Chapitre 5

Le storytelling des marques

Les marques existent dans des entreprises qui ne « produisent » pas toujours les produits de la marque mais qui en sous-traitent la fabrication. C’est un modèle de plus en plus utilisé par les entre-prises de textile et, depuis l’origine, par Nike ou Apple. L’écono-miste Benjamin Coriat en propose cette analyse : « On cherche à rendre “ liquides” les usines elles-mêmes. Avec Nike, on était encore dans une logique de délocalisation à la recherche de bas coûts. Dans le cas d’Alcatel, il semble que, quel que soit le coût, on veuille le rendre liquide : on vend les usines là où elles sont. Il s’agit de transformer le coût fixe en un coût variable en fonction des commandes. C’est le stade maximum. Du point de vue du capital financier, c’est l’ idéal absolu1. »

C’est pourquoi les marques sont cessibles d’un acteur à un autre, ce qui est fréquent dans le secteur agroalimentaire où Banania, Findus, Picard Surgelés ont été cédées sans que les consommateurs en soient informés. Le storytelling de la marque se poursuit géné-ralement sans rupture, et sa saga publicitaire également. Ce sont ces invariants que nous allons « traquer », quel que soit l’action-naire majoritaire. Lancées par un storytelling particulièrement réussi, certaines marques, fortes de leur succès, vont trouver assez vite un acheteur (généralement un fonds d’investissement) qui s’appuiera sur les équipes en place, éventuellement dirigées par de nouveaux managers.

1. Nicole Penicaut, « Le rêve de l’entreprise sans usine » (interview de Ben-jamin Coriat), www.liberation.fr, 28 juin 2001.

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Nous traiterons les cas étudiés par couples pour montrer que, sur un même marché, au moins deux types de storytelling diamé-tralement opposés sont possibles, générant chacun une réussite non discutable. On appelle cela la différenciation.

Les marques de technologieNous avons choisi de commencer par le domaine des technologies, réputé « faiseur de marques » (secteur dans lequel la valorisation financière des marques est la plus forte), en opposant le storytelling des deux marques majeures Apple et Microsoft, identifiées par leurs fondateurs que tout opposait déjà : « Palo Alto, en Californie, un après-midi du mois de mai 2011… Steve Jobs, rongé par un can-cer, rencontre une dernière fois Bill Gates. Une cérémonie d’adieu entre deux hommes qui ont façonné le monde informatique et changé la manière dont nous vivons et travaillons. Steve Jobs et ses vies mul-tiples : “Wonder Kid”, puis quasi-renégat, avant de devenir une sorte de gourou New Age planétaire. Bill Gates, l’ homme le plus riche du monde, une vie en forme de courbe exponentielle, seulement infléchie par lui-même et ses désirs de philanthropie universelle. Depuis la fin des années 1970, Gates et Jobs écrivent le futur de l’ordinateur, avec la bagarre entre Mac et PC en fond d’ écran1. »

Le biographe de Steve Jobs, Walter Isaacson, analyse leurs rela-tions : « Chacun se croyait plus brillant que l’autre mais Steve affi-chait une condescendance ostensible à l’ égard de Bill, en particulier en matière de goût et de style. Et Bill de son côté prenait Steve de haut parce qu’ il ne savait pas écrire un programme… Il le trouvait bizarre, pas tout à fait normal. Quant à Jobs, il trouvait Gates désespérément étriqué : “Il aurait pu être un gars bien, plus ouvert d’esprit s’ il avait pris de l’acide dans sa jeunesse ou s’ il avait mis les pieds dans un monastère hindou” 2. »

Au travers de ces personnalités hors du commun, le storytelling de leurs marques respectives apparaît déjà.

1. Communiqué de presse de l’émission « Jobs-Gates, le hippie et le geek », France 5, 14 avril 2014.2. Walter Isaacson, Steve Jobs, Éditions JC Lattès, 2011.

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Le storytelling des marques

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AppleC’est la marque des marques, une marque de niche devenue un leader dans de nombreux secteurs, grâce au talent visionnaire de Steve Jobs. On se souvient de l’origine, des « deux Steve », le geek génial et généreux à l’excès (Steve Wozniak) et le perfectionniste, esthète, conscient de la valeur de son travail (Steve Jobs) ; les premiers dollars investis dans un spot unique lors du Super Bowl avec la légèreté de la nouvelle génération à la pomme, face à la lourdeur d’IBM et de l’ancien monde. Cette rupture assumée s’exprime dans un slogan qui est toujours celui de la marque : « Think different ». En 2014, le nouveau spot publicitaire pour l’iPhone 5 a pour titre : « Vous avez plus de pouvoir que vous ne l’imaginez ». Il s’agit du même storytelling, de la même histoire, celle du pouvoir de l’individu face aux « institutions », aux entreprises, aux barrières, aux interdits et aux contraintes.

Steve Jobs vivait dans un monde à lui, ce que ses biographes nomment la « distorsion de réalité », et il a décidé que ses suiveurs, ses clients, « croqueraient dans la même pomme interdite » et crée-raient une communauté, une « Apple Mania », comme le montre cet article du 20 septembre 2013 : « C’est devenu un rituel pour chaque sortie d’ iPhone : la queue devant les Apple Store. Aujourd’hui encore, plus de 500 personnes ont attendu devant le magasin d’Apple à Opéra pour être parmi les premiers à posséder un iPhone 5S ou 5C. Ils sont commercialisés aujourd’hui en France, aux États-Unis et dans neuf autres pays. Si les “Apple Maniacs” n’ont pas hésité à mettre leur réveil pour être admis dans le temple de la consommation high tech, un certain relâchement se fait néanmoins jour. Les précédentes fois, l’attente en file indienne était, généralement, toujours assez festive et joyeuse. Cette fois-ci, peu de débordements de ce type. La passion pour Apple deviendrait-elle routinière1 ? »

Apple en quelques dates, c’est une histoire en dents de scie, un vrai storytelling où l’identification du héros réussit, échoue, dans lequel il se fait « virer », revient, gagne et meurt au combat :

1. Gilbert Kallenborn, « Les “Apple Maniacs” se ruent vers les nouveaux iPhone 5S et 5C », www.01net.com, 20 septembre 2013.

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1976 Steve Jobs et Steve Wozniak présentent le premier ordinateur Apple à Palo Alto, en Californie. Il consiste alors principalement en une carte de circuit imprimé et coûte un peu moins de 700 dollars.

1977 L’Apple 2, le premier micro-ordinateur produit en série, rem-porte un succès immédiat.

1984 Le Macintosh fait ses débuts. Il est abordable et propose plu-sieurs innovations dont un lecteur de disques et une souris.

1985 Steve Jobs démissionne à la suite d’une lutte de pouvoir interne.1986 John Sculley devient le président d’Apple. Steve Jobs crée l’en-

treprise d’informatique NeXT et achète à la société de produc-tion de George Lucas les studios d’animation Pixar.

1996 Apple achète NeXT et fait de Steve Jobs un conseiller.1997 Steve Jobs reprend les commandes du groupe. Son concurrent

Microsoft investit 150 millions de dollars dans l’entreprise.1999 L’iBook, présenté comme un iMac portable, est commercialisé.2001 Apple lance le baladeur iPod pour 399 dollars et ouvre son pre-

mier magasin à Palo Alto.2003 Apple ouvre sa boutique de musique en ligne iTunes.2004 Steve Jobs subit une opération pour un cancer du pancréas.2007 Apple transforme le marché des téléphones multifonctions avec

l’iPhone.2010 Apple présente sa tablette iPad. Le groupe ravit en mai sa pre-

mière place d’entreprise technologique en termes de capitalisa-tion boursière à Microsoft.

2011 17 janvier Steve Jobs prend un congé maladie. 18 janvier Apple fait état d’un bénéfice trimestriel record de

6 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 26,74 milliards.

4 octobre Tim Cook, le nouveau directeur général d’Apple, pré-sente l’iPhone 4S lors d’une conférence d’Apple mar-quée par l’absence de Steve Jobs.

5 octobre Apple annonce la mort de Steve Jobs à l’âge de 56 ans1.

La philosophie de Steve Jobs, c’est-à-dire la recette de son suc-cès, son entreprise la cherche aujourd’hui et des centaines d’ou-vrages tentent de l’analyser. À l’instar d’autres, le site ConceptArt multimédia2 a essayé d’en tirer dix points d’enseignement :

1. Faites ce que vous aimez2. Pensez différemment !3. Ne perdez pas de vue la grande vision4. Dites non à trop de choses

1. AFP, « Démission de Steve Jobs : les dates-clés d’Apple », 25 août 2011.2. www.conceptart.ca/

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Le storytelling des marques

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5. Créez des expériences différentes6. Vendez des rêves, pas des produits7. Soyez maître du message8. Simplifiez9. Anticipez l’avenir10. Apprenez à lâcher prise

En 1986, en pleine gloire, Steve Jobs fut évincé de sa propre compagnie par un conseil d’administration qui ne croyait plus en sa vision. Dans un discours prononcé lors de la remise des diplômes aux étudiants de Stanford, il confie :

La raison d’être de ma vie n’existait plus. J’étais en miettes. Je restais plusieurs mois sans savoir quoi faire. J’avais l’impression d’avoir trahi la génération qui m’avait précédé – d’avoir laissé tomber le témoin au moment où on me le passait. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais mon départ forcé d’Apple fut salutaire. […] Pendant les cinq années qui suivirent, j’ai créé une société appelée NeXT et une autre appelée Pixar, et je suis tombé amoureux d’une femme excep-tionnelle qui est devenue mon épouse. […] Par un remarquable concours de circonstances, Apple a acheté NeXT, je suis retourné chez Apple. […] Parfois quand vous innovez vous faites des erreurs. Admet-tez-le rapidement et passez à la prochaine innovation1.

La marque Apple a un adjuvant difficile à remplacer, Steve Jobs ; une mission qui consiste à simplifier la vie de l’individu, le rendre plus léger ; un opposant, la réalité telle qu’elle est aujourd’hui, les contraintes en tous genres que l’homme et la marque ont toujours refusées.

QUE RETENIR DU STORYTELLING D’APPLE ?Il renouvelle le mythe du démiurge, de l’individu qui peut tout ou presque, Prométhée allant voler le feu aux dieux pour le ramener aux hommes dans un souci de scénarisation et d’esthétique hors de toute rationalité. Les « Apple Maniacs » ne se mêlent pas aux autres. Apple, à l’instar de Harley Davidson, a su créer une communauté, ce qui est l’objectif de toute marque. Avec cette pomme croquée entre les mains, symbole d’une histoire sans cesse recommencée, c’est un peu de la puissance des dieux que gagne son heureux possesseur. Les mots « marque » et « storytelling » s’écrivent en majuscules chez Apple. Et pourtant, à la fin, c’est toujours Microsoft qui gagne !

1. Retranscription du discours de Steve Jobs à Stanford prononcé le 2 juin 2005, blog.cozic.fr, 17 janvier 2008.

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Chapitre 7

Le storytelling des personnalités publiques

Avec les personnalités publiques, les artistes, les politiques, tous ceux qui sont médiatisés et vont en tirer un avantage, la France est le pays d’origine de la vulgarisation du mot storytelling, en parti-culier grâce aux ouvrages de Christian Salmon dénonçant tour à tour le storytelling de Ronald Reagan, de Bush, de Sarkozy, etc. Cette dénonciation a paradoxalement consacré la rampe de lance-ment du phénomène. Décrié en politique, le storytelling est devenu le nouveau credo du marketing. Or, comme on le sait, le monde politique se nourrit, à son tour, des techniques de marketing pour réussir en politique comme le font les marques dans l’univers commercial.

Les élections européennes de 2014 ont consacré en France le Front national, seule formation à avoir « construit son ennemi », c’est-à-dire à avoir dit « Non à Bruxelles ! » et à avoir su incarner ses listes sous le visage de Marine Le Pen. Les autres partis, sans visage pour la plupart d’entre eux, ont généralement tenu une position nuancée vis-à-vis de l’avenir de l’Europe. Dans le domaine des marques commerciales, voire des territoires, l’absence de nuances est perçue comme une clarification du positionnement de la marque sur son marché. En politique, cette simplification pose bien des questions. Les hommes politiques doivent tracer le récit de l’avenir de leur peuple. Or cette « vision » doit pouvoir être comprise facilement, immédiatement. Elle doit, de ce fait, très

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souvent, pour être immédiatement comprise, s’inscrire dans un mythe existant qui va servir de référence aux électeurs et de ligne de conduite future aux dirigeants.

Jules César avait déjà utilisé les techniques du storytelling pour bâtir au travers de la légende romaine sa propre gloire. Le dernier avatar du personal branding (faire de soi une marque) et du perso-nal storytelling (faire de soi un grand récit) est le « selfie ». Plus rapide à réaliser qu’un ouvrage ou un film, il accompagne l’ego de nos dirigeants et de nos stars. « Selfie », tout le monde a ce mot en bouche et le smartphone en main ! Le phénomène touche à présent aussi bien les personnalités publiques que les marques. On se sou-vient du déjà fameux selfie de Barack Obama lors des obsèques de Nelson Mandela. Cet autoportrait pris au smartphone par la Pre-mière ministre danoise Helle Thorning-Schmidt n’a pas échappé à un photographe, professionnel, celui-là ! Car, loin de l’amusement de ces trois dirigeants, c’est la moue désapprobatrice de Michelle Obama que le journaliste a captée. Même les grands de ce monde ont des scènes de ménage : l’histoire peut commencer… Le selfie de Bradley Cooper lors de la cérémonie des Oscars 2014 semblait piloté par Samsung. Bien joué ! On voyait la marque et l’on pou-vait en déduire qu’elle était la baguette magique des acteurs et des actrices, et la première étape pour atteindre la gloire. Loin d’être des photos anodines prises au dépourvu, les selfies sont devenues l’expression d’un nouveau type de storytelling. Prendre un cliché de soi n’a pas beaucoup d’intérêt mais la mise en public du geste en a, par ce qu’elle révèle de la personnalité de l’égotiste. Car aucun storytelling ne peut être porté par soi-même. Il faut des complices, capables de mettre en valeur le sujet : photographes, journalistes, historiens, ex-compagnes ou compagnons de route.

Le journaliste Thomas Hervé, qui travailla avec Christian Bla-chas (l’inventeur de Culture Pub), présente ainsi son émission Com’ en politique : « Vous connaissez le conte de fées pour enfants, mais savez-vous qu’on le retrouve aussi en politique ? On appelle ça le sto-rytelling ! Très utilisé par le président Barack Obama, ce procédé dont raffolent les communicants consiste à raconter une histoire et à mettre en scène le parcours et la vie des élus comme dans un roman. Après

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Le storytelling des personnalités publiques

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tout, rien de tel qu’une bonne histoire pour faire passer son message auprès des électeurs ! Mais pourquoi employer une telle méthode ? Comment se construit un bon storytelling ? Et, surtout, comment s’applique-t-il 1 ? »

En politique, où les sujets sont souvent complexes, la narration remplace quelquefois l’information. Celle-ci doit toujours être véhiculée par une bonne histoire. Pour informer et convaincre, il faut savoir raconter. C’est « la défaite de l’ intelligence dans le domaine de la politique2 », selon les plus pessimistes des analystes comme Edward Bernays. Les élites politiques sont obligées de trouver des formes nouvelles de persuasion afin d’influencer l’opi-nion. « Défaite de l’intelligence » ou suprême forme de compré-hension de ce que sont les motivations des êtres humains, lorsque leur destin est en jeu ? Les historiens emploient quelquefois les vocables peu flatteurs de « démocratie d’opinion » ou de « démo-cratie de marché ». Mais les plus grands, ceux que nous continuons d’admirer, ont utilisé le storytelling pour pousser leurs concitoyens à agir et à réagir.

Le storytelling des politiques au xxe siècleL’un est rond et l’autre long. Mais ce n’est pas vraiment ce qui sépare ces deux monstres de notre histoire récente. Ils se sont côtoyés, détestés, admirés, sans doute, mais ils ne racontaient pas du tout à leurs peuples respectifs le même récit, alors même que les circonstances leur imposaient une histoire commune.

« Français et Britanniques ont choisi leur grand homme. Selon tous les sondages et jugements d’ historiens, le xxe siècle appartient à Chur-chill d’un côté de la Manche, à de Gaulle de l’autre. Deux alliés dans la guerre, selon la légende dorée des relations entre Paris et Londres, deux ennemis irascibles et passionnés, comme le montre une série de

1. « Com’ en politique : le storytelling/la communication des premières dames » (compte-rendu d’émission), www.lcp.fr, avril 2013.2. Edward Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocra-tie, Zones, 2007.

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télégrammes de Winston Churchill et du président américain Roose-velt.

Selon ces documents qui datent d’un séjour du Premier ministre britannique en 1943 à Washington, Churchill voulait tout simple-ment “ éliminer politiquement de Gaulle”. Les télégrammes adressés par Churchill à ses ministres restés à Londres sont apparus tellement injurieux aux responsables anglais d’aujourd’hui que leur publication prévue pour 1993, cinquante ans après leur rédaction, a été repor-tée1. »

Winston Churchill

Je n’ai à vous offrir que du sang, de la sueur et des larmes.

C’est la déclaration restée la plus célèbre de sir Winston Chur-chill. Il prononça ces mots le 13 mai 1940 devant la Chambre des communes lors de son discours d’investiture au poste de Premier ministre. Ce lauréat du prix Nobel de littérature en 1953 – c’est dire s’il savait manier la langue et l’art du récit – fit de sa vie un roman autour d’un thème unique, la capacité de résistance de la Grande-Bretagne à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale. Son discours se poursuit par ce qu’on considérerait de nos jours comme une absence totale d’humanisme :

Vous demandez quelle est notre politique ? Je peux vous le dire : c’est d’engager le combat sur terre, sur mer et dans les airs, avec toute la puissance, la force que Dieu peut nous donner ; engager le combat contre une monstrueuse tyrannie, sans égale dans les sombres et désolantes annales du crime. Voilà notre politique. Vous demandez, quel est notre but ? Je peux répondre en un mot : la victoire, la victoire à tout prix, la victoire en dépit de la terreur, la victoire aussi long et dur que soit le chemin qui nous y mènera ; car sans victoire, il n’y a pas de survie.

Le storytelling de Churchill est tout entier dans ce discours, sans nuances, sans concessions. La victoire est le but unique, il faut vaincre ou mourir.

1. François Sergent, « De Gaulle-Churchill, frères ennemis. Des dépêches de 1943 révèlent que pour son allié le général était à “éliminer” », www.liberation.fr, 6 janvier 2000.

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Le storytelling des personnalités publiques

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Charles de Gaulle

Le destin du général de Gaulle est proche de celui de Churchill. Tous deux sont de fins lettrés, tous deux sont des militaires, l’em-portant à force de constance, d’obstination et de foi dans la gran-deur de leur pays, qu’ils jugent capable de vaincre le nazisme. Tous deux écrivent, tous deux après la victoire sont battus aux élections. Tous deux reviendront aux affaires pour une courte période, le premier en 1951 pour la guerre de Malaisie, le second en 1958 car la situation de la France, lors de la guerre d’Algérie, semblait presque aussi pathétique que pendant la Deuxième Guerre mondiale. Tous deux amorceront une délicate décolonisation de leur pays.

Churchill et de Gaulle auraient pu s’exprimer ainsi :

Prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée.

Mais c’est le général de Gaulle qui a prononcé cette phrase, ajoutant même :

La France ne peut être la France sans la grandeur1.

Car la différence est de taille dans le storytelling de ces deux géants de l’Histoire. Churchill en demanda toujours plus aux citoyens britanniques, le général de Gaulle comprit que les Fran-çais avaient besoin d’être soutenus, encouragés et non pas morigé-nés comme les Britanniques. On se souvient de ses paroles enthousiastes au moment de la libération de Paris, alors que la majorité de ses habitants avaient collaboré ou étaient restés passifs face à l’occupant. Le 25 août 1944, sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Paris, il prononce lors d’un discours l’une de ses célèbres « petites phrases » :

Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France.

1. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre. L’appel, 1940-1942, Plon.

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En 1959, il ajoutera :Ce qu’il faut surtout pour la paix, c’est la compréhension des peuples. Les régimes, nous savons ce que c’est : des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas.

Les deux hommes ont en commun dans leur storytelling une envie de grandeur pour leur pays et un même ennemi, la lâcheté, mais Churchill manie le bâton alors que de Gaulle utilise la carotte. C’est pourquoi il se trouve complètement démuni en 1968 et ne comprend pas en 1969 que les Français le « congédient » sur une affaire de décentralisation, pourtant souhaitée par tous.

QUE RETENIR DES STORYTELLINGS DE CHURCHILL ET DE DE GAULLE ?On parlera volontiers d’« intolerance idealism » à propos du Premier ministre anglais, et de compréhension, sous des dehors austères et militaires, pour le président français comme l’atteste cette analyse de la « crise » de Mai 68 : « Dans sa première intervention publique depuis le début de la crise, de Gaulle privilégie la compréhension à l’égard d’une agitation qu’il attribue au trouble de la jeunesse et aux mutations de la société. Tout en affirmant la volonté du gouvernement d’assurer l’ordre, il juge que la réponse à la crise réside dans des réformes qui mettront en œuvre la participation. Aussi annonce-t-il la tenue d’un référendum destiné à approuver cette solution, mettant en balance son départ du pouvoir si les Français répondaient négativement1. »À Londres, il eut le même comportement compréhensif face aux menaces à peine voilées de Churchill à son égard. « De Gaulle décrit dans un beau passage de ses Mémoires de guerre le rôle de Churchill dans ses premiers jours à Londres : “Quant à moi, écrit-il, je n’étais rien au départ… Naufragé de la désolation sur les rivages de l’Angleterre qu’aurais-je pu faire sans son concours ? Il me le donna tout de suite2.” »L’objectif est le même mais la méthode est opposée. C’est, au-delà de l’histoire, une nouvelle opposition binaire entre proche et lointain. Des deux, n’est pas le plus lointain celui qu’on pense, malgré sa haute taille qui semble l’éloigner du commun des mortels. Leurs vies publiques sont proches mais leurs storytellings, leurs façons d’écrire le récit de leur action, sont opposés car ils avaient une vision très différente de ce qu’on pouvait exiger de leurs peuples respectifs.

1. Serge Bernstein, Institut national de l’audiovisuel (INA), « De Gaulle et la crise de mai 1968 », www.ina.fr/2. Site officiel de la Fondation Charles-de-Gaulle, « Appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle : texte et circonstances », www.charles-de-gaulle.org/

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La fabrique de l’ennemiComment réussir son storytelling

« Il était une fois… » Il n’a pas échappé aux publicitaires que leshommes aiment les histoires. Plutôt que de vanter les qualités d’unproduit, d’une région ou d’une personne, il est désormais d’usagede raconter son histoire, celle de ses créateurs ou de ses employés.Mais n’est pas conteur qui veut. La narration est un art qui obéit à desrègles et s’inspire de modèles éternels. Le storytelling emprunte auxcontes de fées, fables et mythes fondateurs une structure narrativequi repose sur le manichéisme. L’ennemi est la pierre angulaire d’unbon récit. Sans ennemi, pas de lutte ; sans lutte, pas de héros. Unstorytelling efficace est un récit qui fabrique un ennemi et quiidentifie les armes pour le combattre.

Georges Lewi donne les clés pour réussir son storytelling à l’aided’exemples de storytellings d’entreprises (Michelin, Free), demarques (Red Bull, Google), de territoires (L’île de Ré, Dubaï), depersonnages publics (Obama, Poutine) et de générations (jeunes,retraités).

Georges Lewi est consultant en branding et e-branding au Celsa et à l’Associationprogrès du management (APM). Expert en stratégies de marque, il a introduit en France le storytelling. Il est l’auteur, entre autres, de Mythologie des marques(2e éd., Pearson, 2009) et La marque (avec P.-L. Desprez, 4e éd., Vuibert, 2013).

ISBN : 978-2-311-00973-6