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71 © 2012, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Métastase lombosacrale Cas 15 OBJECTIF Les trois enseignements à retenir de ce cas sont : (1) se méfier des douleurs rachidiennes nocturnes ; (2) toujours soigneusement examiner les radiographies et ne pas juste se fier aux comptes-rendus ; et (3) se souvenir que les examens biologiques peuvent rester normaux malgré l'existence d'un processus pathologique grave. PATIENT(E) Patiente âgée de 40 ans, scientifique, de corpulence moyenne, qui ne fume pas et ne boit pas. ANTÉCÉDENTS La patiente a toujours été en bonne santé. DOLÉANCES ET SIGNES FONCTIONNELS (fig. 15.1) La patiente se plaint de douleurs permanentes au centre du bas du dos avec une sensation de « brûlures doulou- reuses ». Les symptômes sont survenus après une chute il y a un an. Elle a consulté un thérapeute manuel pour des manipulations lombales. Son médecin traitant l'a mise sous AINS mais sans réelle efficacité. L'intensité de la douleur est variable. Elle commence à se déplacer dans la fesse droite et dans la région de la hanche, jusqu'au bord latéral de la cuisse. La douleur est minime au réveil, et elle se majore progressivement au cours de la journée, même si elle travaille dans un bureau, ce qui est un travail sédentaire. La douleur lombale est aggravée par tout mouvement brusque ou en torsion, ainsi que par la toux et l'éternue- ment. Elle est majorée pendant les règles. La patiente prend deux antalgiques avant d'aller se coucher afin de ne pas être réveillée par ses douleurs pendant la nuit. Elle a reçu une injection de cortisone à la hanche droite pour une bursite, mais celle-ci n'a eu aucun effet. ÉTIOLOGIE Cette douleur a été reliée à une chute survenue il y a environ un an. L'aspect nocturne de cette douleur a été négligé. EXAMEN CLINIQUE Les réflexes ostéotendineux des membres inférieurs étaient normaux, ainsi que la force musculaire. Les sensibilités à la Figure 15.1

Métastase lombosacrale - Decitre

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Métastase lombosacrale Cas 15

OBJECTIF

Les trois enseignements à retenir de ce cas sont : (1) se méfier des douleurs rachidiennes nocturnes ; (2) toujours soigneuse ment examiner les radiographies et ne pas juste se fier aux comptes-rendus ; et (3) se souvenir que les examens biologiques peuvent rester normaux malgré l'existence d'un processus pathologique grave.

PATIENT(E)

Patiente âgée de 40 ans, scientifique, de corpulence moyenne, qui ne fume pas et ne boit pas.

ANTÉCÉDENTS

La patiente a toujours été en bonne santé.

DOLÉANCES ET SIGNES FONCTIONNELS ( fig. 15.1 )

La patiente se plaint de douleurs permanentes au centre du bas du dos avec une sensation de « brûlures doulou-reuses ». Les symptômes sont survenus après une chute il y a un an. Elle a consulté un thérapeute manuel pour des manipulations lombales. Son médecin traitant l'a mise sous AINS mais sans réelle efficacité. L'intensité de la douleur est variable. Elle commence à se déplacer dans la fesse droite et dans la région de la hanche, jusqu'au bord latéral de la cuisse. La douleur est minime au réveil, et elle se majore progressivement au cours de la journée, même si elle travaille dans un bureau, ce qui est un travail sédentaire.

La douleur lombale est aggravée par tout mouvement brusque ou en torsion, ainsi que par la toux et l'éternue-ment. Elle est majorée pendant les règles. La patiente prend deux antalgiques avant d'aller se coucher afin de ne pas être réveillée par ses douleurs pendant la nuit. Elle a reçu une injection de cortisone à la hanche droite pour une bursite, mais celle-ci n'a eu aucun effet.

ÉTIOLOGIE

Cette douleur a été reliée à une chute survenue il y a environ un an. L'aspect nocturne de cette douleur a été négligé.

EXAMEN CLINIQUE

Les réflexes ostéotendineux des membres inférieurs étaient normaux, ainsi que la force musculaire. Les sensibilités à la

Figure 15.1

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piqûre et vibratoire étaient normales. Il n'y avait pas d'iné-galité de longueur des membres inférieurs notable. La posi-tion assise courbée en avant n'aggravait pas les douleurs dorsales. Lorsqu'on étendait les jambes, cela ne majorait pas les douleurs. La flexion active des membres inférieurs en extension se faisait à des amplitudes normales et sans dou-leurs. Le testing de la hanche droite était normal. On trou-vait néanmoins une légère douleur à la réalisation du test de Fabere à droite.

Les amplitudes de mobilité active du rachis lombal don-naient les résultats suivants.

1. La flexion se faisait sans limite et était non douloureuse. 2. L'extension était limitée à environ 10 %, à cause d'une

légère « gêne » au bas du dos. 3. L'inclinaison à droite était limitée à environ 10 % mais

sans douleur, alors que l'inclinaison latérale à gauche entraînait une douleur modérée dans le bas du dos, avec une limitation à environ 10 % de l'amplitude.

La palpation abdominale était normale.

ORIENTATION CLINIQUE

Devant ces douleurs nocturnes sans anomalie des réflexes ostéotendineux, ni des sensibilités à la piqûre et vibra-toire, sans douleur à l'élévation des membres inférieurs en extension, il faut évoquer une pathologie lombosacrale grave.

IMAGERIE

Des radiographies du rachis lombosacral ont été réalisées 12 mois avant la consultation ; celles-ci ont été interprétées comme normales, à part un « minime rétrécissement du disque intervertébral L5–S1 ». Toutefois, après relecture, le cliché oblique a montré une concavité modérée de la por-tion antérolatérale droite du corps vertébral de L5. Le cliché de profil ( fig. 15.2A ) ainsi que les autres vues étaient sans anomalies.

CONDUITE À TENIR ?

Devant cette douleur nocturne qui nécessite deux compri-més d'ibuprofène au coucher pour la soulager, d'autres ima-geries ainsi que les tests biologiques – dont les résultats sont rapportés aux tableaux 15.1 et 15.2 – ont été réalisés.

De nouveaux clichés radiographiques de face et de pro-fil du rachis lombosacral ont été réalisés. Le compte-rendu disait : « pas d'anomalie osseuse évidente retrouvée ». Néanmoins, ce compte-rendu était incorrect puisque l'on pouvait voir un aspect concave modéré du mur antérieur du corps vertébral de L5 (voir fig. 15.2B ). Un scanner a donc été réalisé.

Le scanner retrouve sur les coupes axiales en fenêtre pour parties molles au niveau de L5–S1 ( fig. 15.2C ) et en fenêtre

osseuse ( fig. 15.2D ) un défect osseux du rebord antérieur de la portion antérolatérale du corps vertébral de L5, avec un effet de masse dans les parties molles adjacentes.

Les coupes osseuses ( fig. 15.2E et F ) montrent une « très minime zone hyperdense au niveau du rebord supérieur du mur antérieur du corps vertébral de L5, suggérant une activité ostéoblastique minime et non spécifique ». Une zone hyperdense était aussi retrouvée au niveau du corps vertébral de T10. Une IRM lombale a alors été pratiquée. L'IRM ( fig. 15.2G et H ) montrait : une masse du ligament prévertébral érodant le mur antérieur du corps vertébral de L5 avec conservation des espaces intervertébraux adja-cents. On pouvait évoquer un phénomène inflammatoire et plus probablement un processus néoplasique avec loca-lisation métastatique, ou un lymphome sous-ligamentaire. Un granulome infectieux devait aussi être envisagé. Un nodule de Schmorl récent fut remarqué au niveau du pla-teau supérieur du corps de T11 ( fig. 15.2G ) en regard du point hyperdense visible sur le scanner osseux.

Tableau 15.1 Résultats biologiques

Bilan Unité Valeurs normales

PAL (phosphatases alcalines) 69 UI (30–115)CRP (protéine C réactive) 5,8 mg/l (0–10)

Tableau 15.2 Hématologie

Unité Valeurs normales

Hémoglobine 120 g/l (115–165)Leucocytes 7,6 10 9 /l (3,5–12,0)Plaquettes 329 10 9 /l (150–4000)Hématocrite 0,37 (0,35–0,47)Hématie 4,3 10 12 /l (3,9–5,6)VGM (volume glo-bulaire moyen)

86 fl (81–97)

TCMH (teneur cor-pusculaire moyenne en hémoglobine)

28 % (27–34)

CCMH (concen-tration corpuscu-laire moyenne en hémoglobine)

322 g/l (310–360)

Neutrophiles 4,16 10 9 /l (2,5–8,0)Lymphocytes 2,83 10 9 /l (1,2–4,0)Monocytes 0,54 10 9 /l (0,0–0,8)Éosinophiles 0,07 10 9 /l (0,0–0,6)Basophiles 0,01 10 9 /l (0,0–0,3)VS (vitesse de sédimentation)

18 mm/h (2–20)

Marqueurs tumoraux ovariens modérément élevées.

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Cas 15 73

Figure 15.2 (A) Cliché radiographique de profil centré sur les niveaux L4 à S2. Noter le « léger rétrécissement de l'espace intervertébral L5–S1 ». (B) Radiographie de profil du rachis lombosacral réalisée 12 mois après la radiographie précédente. Noter l'aspect de concavité minime du mur antérieur du corps vertébral de L5 (flèches). (C) Coupe scanographique axiale en fenêtre de parties molles passant au niveau du tiers supérieur du corps vertébral de L5. Noter la densité des tissus mous prévertébraux qui est similaire à celle des muscles aux alentours, en avant du bord antérieur du corps vertébral (flèches blanches) et l'érosion osseuse le long de la corticale antérieure du corps de L5 (flèches noires). R = côté droit de la patiente. (D) Coupe scanographique axiale en fenêtre osseuse montrant les mêmes aspects qu'en (C). R = côté droit de la patiente. (E) Coupes osseuses frontales montrant une hyperfixation en regard du corps vertébral de L5 (flèche). (F) Coupes osseuses axiales passant par le corps de L5, montrant l'hyperfixation du corps de L5 (flèches) et où l'on peut voir aussi un point fixant au niveau du corps de T11, même si on est très près des limites de la zone scannée et que cette image peut correspondre à un artéfact (petites flèches noires).

A B

C D

E F

(suite)

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Après discussion avec le radiologue à propos de ce « nodule de Schmorl » en T11, il a été confirmé qu'il s'agis-sait d'un nodule de Schmorl et non d'une localisation secondaire.

Au vu de ces découvertes, il a été réalisé une ponction à l'aiguille guidée sous scanner pour un examen cytologique et une coloration de Ziehl-Neelsen à la recherche de mycobac-téries. Cet examen a montré « des cellules inflammatoires et des débris inflammatoires. Quelques cellules apoptotiques avec aspect de cellules épithéliales très en faveur d'une néo-plasie et non d'une infection, ou d'une simple inflammation. Pas de mycobactéries retrouvées ; pas de germes retrouvés aux cultures. Une biopsie est suggérée ».

Un cliché du thorax ainsi qu'un scanner thoracique ont été réalisés à la recherche de métastases ; ceux-ci ont montré des « plages pulmonaires libres et un cœur et un médias-tin d'aspect normaux, sans adénopathie axillaire, hilaire ou médiastinale retrouvée ; aspect supérieur du foie et de la rate normal ». Un scanner abdominopelvien a retrouvé « un foie, une rate, un pancréas et une vésicule biliaire d'aspect normal » et confirmé l'aspect malin de la lésion antérieure au corps vertébral de L5 ».

La patiente a été adressée à un gynécologue pour la réa-lisation d'un examen clinique gynécologique ; l'examen cli-nique ainsi que l'hystéroscopie ont été normaux.

La patiente a été orientée vers un chirurgien ortho-pédiste pour avis ; celui-ci l'a adressée à un médecin nucléaire pour la réalisation d'un PET-scan corps entier qui a été en faveur d'une « infiltration du corps vertébral de L5 plutôt que d'une pathologie inflammatoire ; le foie est élargi ».

Une biopsie à l'aiguille réalisée dans la foulée retrouve une tumeur à cellules indifférenciées d'origine épithéliale. Le diagnostic de localisation secondaire d'une tumeur pri-mitive d'origine inconnue a donc été posé.

DIAGNOSTIC

Carcinome ovarien avec localisations métastatiques.

TRAITEMENT

La patiente a été adressée à un cancérologue pour prise en charge spécialisée.

Note En analysant rétrospectivement les imageries IRM, les explorations par laparotomie et les valeurs du CA-125 comme facteurs prédictifs de localisation tumorale rési-duelle chez des patientes souffrant de cancer ovarien, Low et al. (2005) ont montré que l'IRM avec injection de gadolinium permettait de mettre en évidence les zones de

G

H

Figure 15.2 Suite (G) Coupe sagittale de l'IRM du rachis lombosacral en séquence T2 montrant une « importante masse des parties molles localisée sous le ligament prévertébral » en avant du corps vertébral de L5 (flèches blanches) avec un rehaussement du contraste du corps vertébral de L5 correspondant à une réponse inflammatoire à ce processus érosif (flèches noires). Noter le nodule de Schmorl au niveau du plateau vertébral supérieur de la vertèbre T11. (H) Coupe axiale de l'IRM en séquence T1 passant par le tiers supérieur du corps vertébral de L5, montrant la masse sous-ligamentaire (flèches blanches) avec l'érosion de la moitié droite du mur antérieur du corps vertébral (flèches noires). R = côté droit de la patiente.

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Cas 15 75

tumeur résiduelle avec précision. Les auteurs y attribuaient une valeur prédictive positive ainsi qu'une valeur prédic-tive négative identiques à l'exploration par laparotomie, et supérieure à celle du dosage du marqueur CA-125 utilisé seul.

Références Low , R.N. , Duggan , B. , Barone , R.M. , et al. , 2005 . Treated ovarian cancer :

MR imaging, laparotomy reassessment, and serum CA-125 values compared with clinical outcome at one year . Radiology 235 , 918 – 926 .

Pour en savoir plus Ellis , H. , 1996 . Back, pain in . In : Bouchier , I.A.D. , Ellis , H. , Fleming ,

P.R. (Eds.), French's index of differential diagnosis . thirteenth ed. Butterworth-Heinemann , Oxford , pp. 44 – 53 .

Friedman , G.D. , Skilling , J.S. , Udaltsova , N.V. , et al. , 2005 . Early symptoms of ovarian cancer : A case-control study with recall bias . Fam. Pract. 22 , 548 – 553 .

Frymoyer , J.F. , (Editor-in-Chief), 1997 . The adult spine : principles and practice , second ed. Lippincott Raven , Philadephia .

Low , R.N. , Duggan , B. , Barone , R.M. , et al. , 2005 . Treated ovarian cancer : MR imaging, laparotomy reassessment, and serum CA-125 values compared with clinical outcome at 1 year . Radiology 235 , 918 – 992 .

Moll , R. , 1998 . Cytokeratins as markers of differentiation in the diagnosis of epithelial tumors . Subcell. Biochem. 31 , 205 – 262 .

Yochum , T.R. , Rowe , L.J. , 1996 . Essentials of skeletal radiology , second ed. Williams & Wilkins , Baltimore .

1. Attention aux douleurs nocturnes ! 2. Toujours analyser soigneusement les clichés qui sont

qualifiés de « normaux » par le compte-rendu. 3. Les tests biologiques de routine peuvent être normaux

malgré l'existence d'un processus pathologique grave.

POINTS CLÉS

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