La France, l’Allemagne et la défense européenne : pour plus de pragmatisme et moins de pathos

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    ______________________________________________________________________

    La France, lAllemagne

    et la dfense europenne :pour plus de pragmatisme et moins de pathos

    ______________________________________________________________________

    Claudia Major

    Janvier 2013

    Comit dtudes des relations franco-allemandes

    VViissiioonnssffrraannccoo--aall lleemmaannddeessnn2200

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche, dinfor-mation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en 1979par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilit publique(loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbateuropen.

    Les opinions exprimes dans ce textenengagent que la responsabilit de lauteur.

    Ces Visions franco-allemandes sont publies dans le cadredu Dialogue davenir franco-allemand , un projet men

    en coopration par le Comit dtudes des relations franco-allemandesde lInstitut franais des relations internationales,

    la Deutsche Gesellschaft fr Auswrtige Politik et la

    Les activits de recherche, de secrtariat de rdaction et de publicationdu Cerfa bnficient du soutien de la Direction de la prospective du ministre

    des Affaires trangres et du Frankreich-Referatde lAuswrtiges Amt.

    Directeurs de collection : Yann-Sven Rittelmeyer, Hans Stark

    ISBN : 978-2-36567-118-7 Ifri2013Tous droits rservs

    Site Internet :Ifri.org

    Ifri-BruxellesRue Marie-Thrse, 21

    1000BruxellesBELGIQUETl. :+32(0)22385110Fax:+32(0)22385115

    Email :[email protected]

    Ifri27 rue de la Procession

    75740 Paris Cedex 15FRANCETl. : +33 (0)1 40 61 60 00Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

    Email :[email protected]

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    Auteur

    Claudia Major est directrice adjointe du groupe de recherche Politique de scurit internationale la Stiftung Wissenschaft undPolitik.

    Titulaire dun double diplme de Sciences Po Paris et delUniversit libre de Berlin, elle a obtenu son doctorat luniversit deBirmingham. Elle est charge denseignement Sciences Po Paris.

    Depuis 2010, elle est galement membre du Conseil pour laprvention civile des crises auprs du ministre fdral des Affairestrangres.

    Ses domaines de recherche sont notamment la politique descurit et de dfense en Europe, aussi bien dans le cadre de lUnioneuropenne (Politique de scurit et de dfense commune, PSDC)que de lOrganisation du trait de lAtlantique nord (OTAN), lescapacits militaires et les capacits civiles ainsi que les compre-hensive approaches dans la gestion de crises. De plus, ellesintresse la coopration UE/ONU dans la gestion militaire des

    crises ainsi quaux politiques de scurit et de dfense allemande,franaise et britannique.

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    Rsum

    Alors que le 50eanniversaire du trait de llyse va tre clbr enjanvier 2013, la coopration franco-allemande en matire de dfensene vit pas ses heures les plus heureuses. Si la coopration bilatraleest dense et a permis diffrentes ralisations, elle ninclut pas tousles domaines et ne semble pas tre trs efficace. Les incompr-hensions prvalent et le rseau tiss entre les deux pays ne permet

    pas toujours daplanir les diffrences. Les divergences propos de laculture stratgique, des ambitions sur la scne internationale ou delindustrie de dfense tmoignent des priorits diffrentes des deuxpays et les accords sont souvent purement rhtoriques. De plus,dans le contexte actuel de la crise conomique, lattention desgouvernements est mobilise par dautres questionsque la dfense.

    Cependant, une meilleure coopration semble indispensablecompte tenu des dveloppements internationaux. Le partiel red-ploiement amricain en Asie et la diminution des budgets de dfensedans pratiquement toute lEuropeaffaiblissent considrablement les

    capacits militaires sur le continent ; la relation bilatrale doit donctre poursuivie, mais aussi redynamise et amliore. Lauteurformule plusieurs propositions sur le plan politique, militaire ou indus-triel : par exemple, instaurer un fonds de rinvestissement, crer unescadron arien franco-allemand, mettre en place un march pour lesquipements militaires en surplus ou tablir des objectifs capacitairesrgionaux. Il sagit dancrer la coopration dans le cadre europenafin de dvelopper des projets ralisables et mutuellement souhaits,qui permettront Paris et Berlin mais aussi lEurope de conserverune capacit daction crdible en matire de scurit et de dfense.

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    Sommaire

    INTRODUCTION................................................................................... 4

    LETAT DE LA COOPERATION FRANCO-ALLEMANDE

    EN MATIERE DE DEFENSE:DES REALISATIONS

    ET BEAUCOUP DE QUERELLES............................................................. 6

    LES NECESSITES DE LA COOPERATION POURQUOI COOPERER?

    ET POURQUOI MAINTENANT? ............................................................ 16

    LES PERSPECTIVES:ALLER PLUS LOIN

    QUE LA PRESERVATION DE LACQUIS.................................................. 22

    INITIATIVES POUR SOUTENIR

    LA NOUVELLE DYNAMIQUE FRANCO-ALLEMANDE................................ 26

    ET MAINTENANT?EN QUETE DE VOLONTE POLITIQUE......................... 33

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    Introduction

    La coopration franco-allemande de dfense ne vit pas ses heuresles plus heureuses. Ce constat, valable depuis plusieurs annes,devient de plus en plus vident pour trois raisons.

    En premier lieu, la France et lAllemagne, clbrant le 50eanniversaire du trait de llyse en janvier 2013, sont en qute dersultats mais aussi de nouvelles ides pouvant tre prsents lors

    de ce jubil. Ensuite, la relation franco-allemande dans son ensembleest remise en cause en tant que moteur de lintgration europennedans de nombreux domaines. Enfin, bien que la pression en faveurde la coopration en matire de dfense ne cesse daugmenter, lesavances dans ce domaine ont t rares ces dernires annes et lesprogrs lents et difficiles.

    Les deux gouvernements continuent de se rfrer leurrelation bilatrale comme laxe majeur de leurs politiques descurit et de dfense, mais en ralit, il existe peu dobjectifs com-muns, les capacits de coopration restent modestes, la comprhen-

    sion mutuelle faible et le leadershipabsent lchelle europenne.Ce sont plutt les incomprhensions qui prvalent, ainsi que lontmontr les dbats autour dune intervention au Mali en 2012 ou lafusion rate entre EADS et BAE lautomne 2012.

    Ces querelles bilatrales derrire lamiti de faade sontdangereuses. Les deux pays peinent saisir que le blocage actuel deleur coopration bilatrale de dfense ne porte pas uniquementprjudice leur propre capacit daction, mais menace plus gnrale-ment les bases politiques et militaires de la coopration europennede scurit et de dfense, la fois au sein de lOrganisation du traitde lAtlantique nord (OTAN) et de lUnion europenne (UE). Aucunpays ne peut faire face seul aux trois dfis que constituent la rduc-tion des capacits europennes en matire de dfense (consquencede la crise financire), le pivot stratgique amricain vers lePacifique et les risques internationaux pour la scurit, par exempleau Moyen-Orient et en Afrique. La coopration bilatrale bancale, sielle perdure, apparat donc comme une option risque et irrespon-sable. La France et lAllemagne doivent prendre une dcision clairequant leur volont de relever ces dfis ensemble ou avec dautres

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    partenaires. Dans le cas contraire, elles risquent de perdre leur capa-cit dagir sur le plan militaire, la fois individuellement et au niveaueuropen.

    Le 50e anniversaire du trait de llyse pourrait constituerlopportunit pour les deux pays de mettre leurs querelles de ct etdengager une coopration porteuse de sens. Cet article analyse lesquestions poses par la coopration franco-allemande de dfense enmettant laccent sur le point de vue du partenaire allemand : quest-cequi a t accompli, quels sont les problmes en suspens et quedoivent faire les deux pays dans cette perspective ? Aprs prs de 50ans de coopration troite, Berlin resteou redevientpour Paris unpartenaire mconnu et incompris. Il est donc grand temps dexpliquercomment lAllemagne conoit les questions de dfense, dexposer lesmotifs de son comportement et dvaluer ce que la France peut

    raisonnablement attendre dune coopration avec lAllemagne enmatire de scurit.

    Cet article vise dessiner des perspectives qui permettraient la France et lAllemagne dexploiter la fentre dopportunitouverte, aussi bien pour des initiatives immdiates que pour cellesqui suivront les lections fdrales en Allemagne lautomne 2013.

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    Ltat de la coopration franco-allemande en matire de dfense :

    des ralisationset beaucoup de querelles

    La coopration franco-allemande de dfense peut senorgueillir denombreux succs depuis la signature du trait de llyse en 1963.Problmes structurels et obstacles conjoncturels ont toutefoisengendr des frustrations et empch cette coopration de donner sapleine mesure.

    Les rali sat io ns : des allis proches

    La coopration bilatrale en matire de dfense englobe plus dedomaines que ce qui est communment peru. Elle se dcline ainsi

    au niveau des politiques, des structures et des personnels1

    .Berlin et Paris ont mis en place un rseau politique trs

    dense. Le forum de coopration le plus important est le Conseilfranco-allemand de dfense et de scurit cr en 1988. Il est chargde dvelopper des concepts conjoints, dassurer la coordination surles questions de scurit europenne, damliorer la cooprationentre les forces armes et de renforcer la coopration industrielle enmatire de dfense.

    Cet engagement politique se traduit par de nombreuxprogrammes dchanges de personnels: les officiers franais et alle-

    mands suivent une partie de leur formation et de leur entranementen commun, dans le cadre par exemple de la Fhrungsakademie enAllemagne ou de lcole de guerre en France. En outre, les

    1Voir par exemple S. Bernhard Gareis et N. Leonhard, Die deutsch-franzsischeMilitrkooperation: Speerspitze europischer Streitkrfte? , in Deutsch-

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    fonctionnaires sont rgulirement dtachs auprs des ministres dupays partenaire. Enfin, avec lentre en service de lhlicoptre decombat Tigre au sein de leurs armes, la France et lAllemagne ontcr une cole franco-allemande qui forme ensemble les pilotes et

    les techniciens des deux pays.

    Dautre part, cette impulsion politique a ouvert la voie desprojets bi- et multilatraux de coopration militaire. Les initiatives lesplus connues cet gard sont la Brigade franco-allemande (BFA)cre en 1987 et le Centre de commandement europen de transportarien (European Air Transport Command, EATC), oprationneldepuis 2010. Ce dernier coordonne lutilisation des moyens de trans-ports ariens franais, allemands, nerlandais et belges, permettantainsi de les utiliser dune manire plus efficace. Lanc par la Franceet lAllemagne, lEATC a ds le dbut t conu comme un projet

    europen : il est cens rpondre au manque de moyens de transportstratgique arien europens. Des partenaires de lUnion ont succes-sivement rejoint le projet, ce qui leur a permis damliorer leurs capa-cits via leur mutualisation. Ainsi, lEATC tmoigne de la responsa-bilit franco-allemande en matire de capacit daction europenne.

    La BFA est une formation militaire intgre unique pour cettetaille, puisquelle comprend environ 5500 soldats des deux pays. travers son haut degr dinteroprabilit, les deux pays se sontfamiliariss avec les modes opratoires du partenaire. La BFA agalement servi de courroie de transmission : elle a permis laFrance de rester en phase avec les standards OTAN, facilitant de cefait sa rintgration au sein de lAlliance en 2008.

    mais dpourv us d e modle un ivers elen mat ire de cooprat io n

    Nanmoins, si la coopration bilatrale est trs dense, elle ninclutpas tous les domaines et ne semble pas tre trs efficace.

    Cest dabord la coopration industrielle qui est nglige parlacoopration franco-allemande en matire de dfense. EADS consti-tue une exception, dailleurs de plus en plus considre commeproblmatique, du point de vue allemand tout au moins. Si le groupe

    Franzsisches Institut (dir.), Frankreich Jahrbuch 2010, Wiesbaden, 2011, p. 177-188.

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    reste une entreprise direction franco-allemande et un acteur majeurde lindustrie de dfense, avec des produits tels que lavion europende transport militaire A400M, il est galement devenu une source decontentieux lorsque son PDG a tent de limiter linfluence tatique au

    sein de lentreprise et quil a engag une fusion avec BAE Systems2en septembre 2012. LAllemagne a bloqu la fusion, entre autresparce quelle craignait une intervention encore plus grande de ltatfranais dans la nouvelle entreprise.

    Au-del du cas EADS, les perspectives de coopration indus-trielle en matire de dfense court et moyen terme sont faibles, limage de lindustrie navale. Cela est principalement li aux diver-gences de perceptions quant au rle de ltat dans lindustrie: alorsque Paris a plutt une tradition interventionniste, Berlin est adepte dulibre march sans intervention tatique. En outre, les deux industries

    de dfense sont structures de manire diffrente. Alors que les PMEet les entreprises familiales dominent le paysage en Allemagne, laFrance compte sur de grands groupes contrls ou soutenus parltat.

    La deuxime difficult tient aux divergences quasi syst-matiques entre la France et lAllemagne concernant les oprations.Mme lorsque les deux pays sont engags sur les mmes thtres,comme en Afghanistan, ils le sont le plus souvent avec des mandatsdiffrents et dans des rgions distinctes. Cest lune des raisons pourlesquelles la BFA nest pas intervenue dans des scnarios de hauteintensit, pour lesquels elle tait pourtant entrane. Les cultures enmatire de planification sont par ailleurs diffrentes dun pays lautre: Berlin ne fait pas de planification froid , ce qui compliquela prparation des engagements communs. Paris sest ainsi plaintque la BFA ne soit pas devenue un outil oprationnel, mme si elle acertes russi amliorer la comprhension mutuelle entre les deuxvoisins.

    En outre, lAllemagne a souvent le sentiment dtre force se dployer : lorsquelle a accept de diriger la mission EUFOR

    (Force de lUnion europenne) en Rpublique dmocratique duCongo (RDC) en 2006, elle a eu limpression dtre entrane dansune aventure africaine de la France sans vraiment avoir la

    2C. Mlling, EADS und BAEeine rstungspolitische Bruchlandung, Berlin, StiftungWissenschaft und Politik, Kurz gesagt , 12 octobre 2012, (accs le 14 novembre 2012).

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    possibilit de dire non3. En consquence, Berlin a refus de participer par principe semble-t-il la mission EUFOR au Tchad et enRpublique centrafricaine (RCA) en 2008-2009, alors quellecorrespondait aux critres allemands : coopration avec lONU, cadre

    multilatral, action humanitaire.

    Troisimement enfin, les clichs et les perceptions biaisespersistent malgr le haut degr dinteraction des deux pays. Au coursdes dernires annes, on a mme sembl assister un retour enarrire, avec une rsurgence des strotypes traditionnels (lesFranais aiment lAfrique et les oprations, les Allemands privilgientles moyens civils mais refusent la force militaire). La raction decertains responsables politiques allemands une potentielle opr-ation de lUE au Mali lautomne 2012 souligne cette tendance, puis-quils pointaient presque automatiquement le risque dtre entran

    dans une aventure franaise4.

    La coopration ne vise pas, toutefois, effacer les diff-rences, mais les grer et les attnuer au fil du quotidien politiqueen distinguant entre les mythes et les vraies divergences. Or, ilsemble que le rseau tiss entre les deux pays ne permette pas deconcilier des spcificits pourtant connues.

    Lune des raisons pourrait tenir ce que les deux partenairesont tendance sous-estimer leurs diffrences en termes de priorits,de cultures stratgiques et de considrations de politique intrieure.

    Plutt que de les aborder ouvertement, les deux partenaires prfrentsouvent les escamoter par des dclarations de bonnes intentions.Pendant des dcennies, les deux pays ont chacun implicitementescompt que lautre volue et se rapproche de ses propresprincipes. Concrtement, la France a pens que lAllemagnesaccommoderait la longue de lusage de la force lors de conflits,peut-tre pas de manire aussi naturelle que la France, mais quelleadopterait au moins une attitude plus conciliante. LAllemagne a bienprouv quelle participe aux oprations militaires internationales etquelle constitue une force de combat importante, par exemple dans

    le cadre de lintervention de lOTAN en Afghanistan, mais elle reste

    3P. Schmidt, Freiwillige vor!. Fhrungsrolle wider Willen: die Bundeswehr und ihrEinsatz im Kongo , Internationale Politik, novembre 2006, p. 68-77; C. Major, EU-UN Cooperation in Military Crisis Management: The Experience of EUFOR RD

    Congo in 2006, Paris, Institut dtudes de scurit de lUnion europenne, 2008, Occasional Paper , 72/2008.4 Die Angst der Bundeswehr vor dem Abenteuer Mali , Die Welt, 25 octobre 2012 ; Soldaten in Sandalen , Der Spiegel, 29 octobre 2012.

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    dans lensemble rticente lemploi de la force. Cela dmontre que siles habitudes peuvent changer, les comportements fondamentauxperdurent : lAllemagne na pas (encore?) modifi son approche quifait des moyens civils une priorit une approche qui lui a dailleurs

    t impose par les Allis aprs la Seconde Guerre mondiale, maisquelle a intriorise depuis des dcennies et qui la souvent bienservie.

    La mauvaise apprciation de ces divergences peut galementexpliquer pourquoi les structures de lamiti franco-allemande nesemblent pas produire des rsultats la hauteur des effortsconsentis. De fait, au cours des dernires annes, les deux tatsnont pas russi dvelopper des projets de coopration substan-tiels. La relation semble enlise dans une rhtorique prolixe endclarations de bonnes intentions et une routine administrative bien

    rode. Des runions ont lieu, des fonctionnaires sont changs, desdclarations communes sont laboresmais pour quels rsultats ?

    Dans lagenda franco-allemand 2020 adopt dbut 2010,Paris et Berlin ont formul des objectifs pour la coopration dedfense aux niveaux oprationnel, politique et industriel, mais ils ontt bien en peine de produire des rsultats5. Un groupe de travailbilatral sur la question de lindustrie de dfense lanc en 2009 najamais vraiment pris son envol6. Un espoir damlioration existecependant avec le processus de Chantilly7 engag en 2011. Pardes changes plus ouverts, ce processus a permis dattirer l attentiondes deux partenaires sur leurs besoins et leurs contraintes depolitique intrieure rciproques. Lun des rsultats a t la dclarationdu Conseil franco-allemand de dfense et de scurit de fvrier 2012, la teneur inhabituellement volontariste8. Ltape suivante a t unedclaration commune de juin 2012 qui portait spcifiquement sur la

    5Gouvernement fdral, Deutsch-Franzsische Agenda 2020, (accs le 14 novembre 2012).6A. Marchetti et L.-M. Clouet, Incertitudes sur la PSDC Une ncessaire rflexionfranco-allemande, Paris, Ifri, juillet 2011, Visions franco-allemandes , n 19.7En rfrence la ville ponyme. C. Major,A New Force to Be Reckoned with. WhatFrance and Germany Should Do to Save European Defense, Berlin, DeutscheGesellschaft fr Auswrtige Politik, avril 2012, IP Journal .8 A. Jupp, G. Westerwelle, G. Longuet et T. de Maizire, Dclaration surlapprofondissement du dialogue stratgique franco-allemand. Renforcer les moyensde la scurit et de la dfense europennes , Paris, 6 fvrier 2012.

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    coopration industrielle de dfense9. Les deux initiatives attendenttoutefois toujours dtre mises en uvre concrtement.

    Problmes s tru ctu relset obs tacles conjonc turels

    Ces difficults sont dues la fois des problmes structurels et des obstacles conjoncturels. Lun des dfis structurels majeurs rsidedans les diffrences de culture stratgique entre les deux pays. Laculture stratgique dun tat,cest--dire la manire dont il organiseses politiques de scurit et met en uvre la force militaire, est eneffet conditionne par son histoire et tend voluer trs lentement10.

    La politique de scurit de lAllemagne reste influence par laSeconde Guerre mondiale et par la guerre froide. Jusqu la fin de laguerre froide, lAllemagne tait marque par sa rticence enverslusage de la force militaire, ainsi que par sa forte volont de sancrerdans le bloc occidental et dintgrer sa politique de dfense au cadrede lOTAN afin de rassurer ses partenaires. Ctaient donc en grandepartie des facteurs externes plutt quinternes qui influenaient leconcept de dfense allemand. Ce nest que rcemment quelAllemagne a commenc dvelopper une dfinition indpendantedes risques, des intrts et de lusage de la force. Trois axes majeurs

    guident encore aujourdhui la politique de dfense allemande. Le multilatralisme est un objectif part entireplutt quun moyen datteindre des objectifs. Lancrageferme au bloc occidental (UE et OTAN) ainsi que larassurance des partenaires constituent des objectifsen soi. Des initiatives rcentes tmoignent de cetattachement de lAllemagne au multilatralisme, limage de celle lance dans le cadre du Triangle deWeimar en 2010 pour soutenir la Politique de scuritet de dfense commune (PSDC)11 ou de larticle de

    9 Ministre fdral de la Dfense de la Rpublique fdrale dAllemagne et leministre de la Dfense de la Rpublique franaise, Absichtserklrung ber neuePerspektiven fr die deutsch-franzsische Rstungskooperation , Paris, 14 juin2012.10K. Longhurst, Germany and the Use of Force, Manchester, Manchester UniversityPress, 2004, p. 17.11C. Major et F. Wassenberg, Warsaws Ambitious CSDP Agenda, Berlin, StiftungWissenschaft und Politik, septembre 2011, SWP Comments , C25 ; C. Major,

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    2012 dAndreasSchockenhoff et Roderich Kiesewettersur la scurit europenne12.

    Les moyens non militaires sont prfrs la

    force militaire. La participation de la Bundeswehr desoprations militaires requiert un mandat de lONU, uncadre multilatral et une autorisation du Bundestag.

    La pense militaire se concentre sur lesquestions oprationnelles plutt que sur les consid-rations stratgiques qui les sous-tendent. Pendant laguerre froide, la menace sovitique tait la raisonmme de lexistence de la Bundeswehr. Depuis sacration, cette arme a t entrane faire face

    quelque chose et non comme un instrument au servicede quelque chose, par exemple lintrt national ausens large.

    Plusieurs signaux semblent indiquer que lAllemagne est prte accepter le fait que sa position dominante en Europe, notammentsur le plan conomique, pourrait aller de pair avec des responsabi-lits accrues en matire de scurit. Il semble cependant quilsagisse plutt dun leadershippar dfaut que dun choix assum: lespartenaires de lAllemagne appellent ce changement de leurs vuxavec de plus en plus dinsistance, mais Berlin ne se porte pas volon-

    taire. Les principes directeurs de la politique de dfense dictsen 2011 constituent lun des indicateurs du timide changement encours13. Une autre indication est donne par les tentatives du ministrede la Dfense, Thomas de Maizire, dimposer un nouveau discourssur la Bundeswehr. Il souligne ainsi que larme est une organisationmilitaire et non une agence dintervention humanitaire et indique

    Viele europische Soldaten, aber keine europische Armee, Genshagener Papiere, paratre, 2013.12 A. Schockenhoff et R. Kiesewetter, Impulse fr Europas Sicherheitspolitik ,Internationale Politik, septembre-octobre 2012, p. 88-97.13Ministre fdral de la Dfense, Dfendre nos intrts nationaux assumer nosresponsabilits au niveau international faonner ensemble la scurit. Les

    principes directeurs de la politique de dfense, Berlin, 27 mai 2011 ; pour la versionfranaise : ; C. Mlling, Deutsche Verteidigungspolitik. Eckpunkte fr eineberfllige Debatte zur militrisch-konzeptionellen Ausrichtung der Bundeswehr,Berlin, Stiftung Wissenschaft und Politik, mars 2012, SWP-Aktuell , A18.

    http://www.nato.diplo.de/contentblob/3150950/Daten/1318883/VM_deMaiziere_180511_frz_DLD.pdfhttp://www.nato.diplo.de/contentblob/3150950/Daten/1318883/VM_deMaiziere_180511_frz_DLD.pdfhttp://www.nato.diplo.de/contentblob/3150950/Daten/1318883/VM_deMaiziere_180511_frz_DLD.pdfhttp://www.nato.diplo.de/contentblob/3150950/Daten/1318883/VM_deMaiziere_180511_frz_DLD.pdf
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    quelle pourrait tre amene intervenir en raison de lappartenancede lAllemagne des organisations internationales mme si les int-rts allemands ne devaient pas tre directement en cause14.

    La deuxime diffrence structurelle concerne les ambitionssur la scne mondiale. Alors que la France revendique toujours sonrle de moyenne puissance capable de mener des engagementsactifs en matire de dfense ( limage des oprations en Libye et enCte-dIvoire en 2011), lAllemagne a peu dambitions en tantquacteur international. Par consquent, Berlin ne partage ni la peurde dclassement stratgique de la France, ni sa conception dunepolitique de scurit de porte mondiale. LAllemagne a une visionnettement plus eurocentre et se montre rticente face desambitions globales.

    En troisime lieu, les structures et les pratiques politiques delindustrie de dfense diffrent considrablement. En France, ltatgarde encore le contrle de segments majeurs de lindustrie dedfense, alors quen Allemagne celle-ci est entirement prive. lexception dEADS, de TKMS et de Rheinmetall, les acteursprincipaux sont au moins partiellement entre les mains de familles oude petits groupes dassocis15.

    Les strotypes allemands sur le paysage industriel franaisdans le domaine de la dfense constituent un obstacle important laconsolidation industrielle. La question la plus importante reste la

    volont suppose de ltat franais dintervenir dans les entreprisesmultinationales afin dempcher les arrangements internationaux etde sauvegarder lintrt national. Les interfrences politiques au seindEADS sont ainsi constamment mises en avant. Des exemples tirsdu secteur civil appuient ces critiques : la fusiontrs contestable dupoint de vue allemand de Sanofi-Aventis en 2004 a des rpercus-sions encore aujourdhui.

    En outre, lAllemagne estime que Paris compromet des solu-tions inspires par le march en maintenant flot des industriesinefficaces par le biais de subventions directes, limage de G iat-

    Nexter. En consquence, le milieu de la dfense allemand sestime

    14 Plusieurs observateurs ont parl de Bndnispatriotismus ou patriotismedalliance. Voire par exemple J. Bittner, Schlanke Bundeswehr , Die Zeit, n 44,27 octobre 2011.15Diehl est une fondation familiale 100 %, 25 % des actions de Thyssen-Kruppsont contrles par une fondation familiale, KMW est une entreprise familiale 100 % et Heckler & Koch est dirige par des associs.

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    victime des pratiques politiques et commerciales de la France. Dupoint de vue allemand, la consolidation industrielle ne dpendrait pasuniquement dune diminution de factodu rle de ltat franais dansles industries de dfense, mais impliquerait galement de combattre

    les prjugs et de rtablir la confiance.

    Une quatrime difficult structurelle rside dans le fonction-nement diffrent des deux tats. La France est habitue uneapproche top-downqui correspond son systme politique centraliset qui garantit une prise de dcision rapide, alors que lAllemagne estcaractrise par une approche bottom-up plus consensuelle. Larecherche dun accord peut ainsi tre plus laborieuse, mais ladcision prise jouit gnralement dun soutien plus large. Cesrythmes de dcision diffrents peuvent toutefois conduire dessituations asymtriques, avec lun des partenaires attendant que

    lautre prenne une dcisionou lautre partenaire se sentant press detrancher.

    Ces diffrences sont particulirement aigus dans le cas desforces armes : les forces franaises sont places sous la respon-sabilit du prsident, avec une chane de commandement directe quicontourne le ministre de la Dfense et le Parlement. linverse, lechancelier allemand ne peut pas envoyer des troupes au combatsans laval du Parlement. Ces spcificits conduisent souvent desmalentendus et des attentes incompatibles.

    En plus de ces obstacles structurels, de rcents dvelop-pements de politique intrieure ont compliqu la relation. Le point leplus important est aussi simple que dcisif : les questions de dfensene sont pas au sommet de lagenda pour les deux pays. Cest pluttla crise financire et ses consquences qui absorbent lattention etles efforts des deux gouvernements.

    En consquence, les dfis auxquels la dfense doit actuel-lement faire face ne sont pas pris en compte leur juste mesure.Alors quil est crdible denvisager une Europe sans dfense dici unedcennie consquence de la crise financire et des problmes

    accumuls sur le plan de la dfense depuis la fin de la guerre froide, les dcideurs politiques semblent toujours rticents prendre les

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    dcisions ncessaires mais douloureuses qui simposent afin dviterun tel scnario16.

    Par ailleurs, la politique de dfense allemande est actuelle-ment dans une situation critique : la rforme de la dfense en cours,en particulier la rorganisation du ministre de la Dfense, a absorbbeaucoup de lnergie du ministre depuis 2010 au dtriment dautreschantiers. Il est possible que la nouvelle organisation ne soit pascompltement oprationnelle avant 2013. Il parat difficile de prendredes dcisions audacieuses si larchitecture institutionnelle ne fonc-tionne pas de manire optimale.

    Enfin, les lections se transforment rgulirement enobstacles. LAllemagne commence prparer les lections fdralesde lautomne 2013. Une fois que la campagne lectorale aura t

    lance, il parat peu probable que le gouvernement engage desprojets majeurs. La clbration du trait de llyse dbut 2013marquera ainsi le dbut dune priode dhibernation pour la politiquetrangre en gnral, qui risque de ne prendre fin quune fois lenouveau gouvernement allemand install fin 2013. En considrant lefait que la France a galement suspendu ses activits en raison dellection de 2012, il se sera coul une assez longue priode aucours de laquelle aucun des deux gouvernements naura tpleinement oprationnel.

    16N. Witney, How to Stop the Demilitarisation of Europe, Londres, Conseil europendes relations extrieures (European Council on Foreign Relations, ECFR), novembre2011, Policy Brief , 40.

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    Pourquoi cooprer ?Et pourquoi maintenant ?

    Bien que les raisons voques ci-dessus permettent certainementdexpliquer les blocages actuels, elles semblent constituer un luxe auregard des problmes auxquels sont confronts les deux pays. Cesdfis rorientation amricaine vers lAsie ou encore renationa-lisation des politiques trangres couples une moindre capacit

    dactionen tant qutat-nationappellent une action coordonne. Sila coopration agite des dernires annes tait jusqu prsentgnante mais non nuisible, elle devient plus en plus irresponsable.

    La dmilitarisation silencieuse de lEuropeappel le la cooprat ion

    Le premier dfi concerne la dmilitarisation silencieuse de lEurope.

    Cest le rsultat de deux volutions: les programmes daustrit quiimposent des coupes dans les budgets de dfense de pratiquementtous les tats europens et lincapacit de ces derniers grer cesrductions.

    Ds les premires rpercussions de la crise financire, laquasi-totalit des tats europens ont pris la dcision de rduire lesdpenses de dfense rapidement, drastiquement et de manirepermanente afin daider combler les dficits budgtaires. Cescoupes ont rarement t accompagnes de considrations strat-giques sur les intrts et les risques que prsentent de telles

    mesures. Les ressources financires dterminent de plus en plusclairement les objectifs militaires des tats europens ainsi que lesressources disponibles pour assurer leurs politiques de dfense et descurit (et par extension celles de lUE et de lOTAN) : les financesdeviennent un facteur stratgique en politique de scurit et dfense.

    Au cours des prochaines annes, les grands tats comme leRoyaume-Uni ont prvu de rduire leurs budgets de dfense de 8 %et la majorit des tats de taille moyenne de 10 % 15 % (leschiffres de rfrence tant ceux de 2009, antrieurs la crise). Les

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    coupes les plus importantes, qui pourront aller jusqu 30%, ont tdcides, et en partie dj implmentes, dans les petits tatscomme la Bulgarie17. Comme la quasi-totalit des pays europensont dpens trop peu en matire de dfense au cours des deux

    dernires dcennies, trs peu dentre eux conservent des marges demanuvre. Dans les faits, de nombreux tats de petite et moyennetaille ont vid de leur substance leurs forces armes, se retrouvantavec des units en sous-effectif et dotes dun quipement obsolte.

    LAllemagne a promis de raliser des coupes de 8,3milliardsdeuros dici 2015, mais a gel ces dernires en 2012. Pour 2013, lebudget de dfense est mme en lgre hausse. Nanmoins, larforme a dj permis dabandonner la conscription, de rduire leseffectifs de 250 000 185 000 soldats, dallonger, dtaler et derduire les commandes de matriel. Alors que la France a jusquici

    dans une large mesure maintenu ses budgets militaires, des coupessvres sont attendues dans la prochaine loi de programmationmilitaire au printemps 2013, laquelle suivra la prsentation dunouveau Livre blanc sur la dfense18, prvu pour dbut 2013.

    moyen terme, aucun tat europen ne pourra viter desrestrictions budgtaires dans son secteur de dfense, la pression surles finances publiques en Europe tant voue rester trs forte long terme. La Commission europenne estime que pour ramener ladette aux niveaux davant 2008, chaque tat de lUE devra ddier1 % de son produit intrieur brut (PIB) au remboursement des intrtsde la dette pendant les 20 prochaines annes19.

    Par consquent, si, en thorie, les armes europennes cou-vrent encore un large spectre de capacits, en pratique, de nombreux

    17C. Mlling et S.-C. Brune, The Impact of the Financial Crisis on European Defence,Strasbourg, Parlement europen, sous-commission pour la scurit et la dfense,avril 2011.18 C. Grand, France , in C.M. ODonnell (dir.), The Implications of MilitarySpending Cuts for NATOs Largest Members, Washington, The Brookings Institution,juillet 2012, Analysis Paper ; audition de lamiral douard Guillaud, commissionde la dfense nationale et des forces armes, Assemble nationale, 10 octobre2012, compte rendu n 8, (accs le 14novembre 2012).19 Commission europenne, Annual Growth Survey, Bruxelles, 12 janvier 2011, (accsle 14 novembre 2012).

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    pays en ont t rduits possder des armes bonsa20 : toutjuste suffisantes pour prserver lillusion de la souverainet, maisincapables dapporter des contributions srieuses aux oprations delUE ou de lOTAN.

    Les consquences des coupes budgtaires vont toutefois au-del de la perte de capacits et de moyens humains. Dune part, ellespourraient menacer la base industrielle de dfense en Europe dicicinq dix ans, puisque lindustrie de dfense va de plus en plussorienter vers des clients lexport si les budgets de dfense fondenten Europe et croissent dans le reste du monde. Dautre part, dans 20ans, lEurope pourrait aussi perdre son leadership dans le domainede la recherche et des technologies, car la rduction des budgets derecherche risque dentraner une diminution des nouvelles technolo-gies pour les applications de dfense.

    long terme, la possibilit dune Europe dmilitariseincapable dagir par elle-mme est relle. Les oprations de gestionde crise, comme les dploiements en Libye en 2011 ou enAfghanistan depuis 2003, deviendraient pratiquement impossibles, demme que la dfense territoriale. Par consquent, la France etlAllemagne, et lEurope dans son ensemble, risqueraient de perdreune importante capacit daction.

    Lintervention de lOTANen Libye a dmontr que ce scnarionest pas une hypothse encore lointaine mais au contraire prvisible

    court terme. Les Europens ont prouv des difficults projeterune puissance militaire substantielle en Libye. Un certain nombre depays ont t court de munitions de prcision. L Italie a retir sonporte-avions Garibaldi au milieu des oprations. Des experts delOTAN indiquent que 90 % des oprations ont ncessit une aidemilitaire amricaine sous une forme ou une autre, les commu-nications, la reconnaissance, le ciblage et les munitions de prcisiontant particulirement demands.

    Afin de faire face aux effets des mesures daustrit sur ladfense, les membres de lUE et de lOTAN ont initi en 2010

    plusieurs projets visant accrotre la coopration, la spcialisation etla priorisation, dans le cadre de ce quon appelle le pooling andsharing(pour lUE) etla smart defence(dans le cas de lOTAN)21. En

    20 C. Mlling, Europe Without Defense, Berlin, Stiftung Wissenschaft und Politik,novembre 2011, SWP Comments , C38.21 C. Major, C. Mlling et T. Valasek, Smart but Too Cautions: How NATO CanImprove its Fight against Austerity, Londres, Centre for European Reform, mai 2012,

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    partageant des infrastructures et des services ou en groupant lachatet la maintenance des armements de prochaine gnration, les tatscherchent prserver des capacits qui seraient autrement perduesdu fait des coupes budgtaires.

    La majorit des tats restent pourtant rticents lide desengager srieusement dans la spcialisation, la mutualisation et lepartage de capacits. Bien que la plupart des tats europens aientperdu la capacit de conduire des guerres par eux-mmes depuisdes dizaines dannes, ils restent attachs la facult de pouvoirdcider souverainement quand, o et comment utiliser leurs armes.En outre, ils ne font pas entirement confiance leurs partenaires :ils craindraient, en mettant en place des units conjointes avec unautre pays, de ne pas pouvoir en user librement lors dune crise oudtre entrans contre leur volont dans des conflits. La cration

    dunits conjointes requiert souvent des fonds supplmentairesdurant la priode initiale, avant dentraner des conomies unsecond stade. Or, les ministres de la Dfense sont rticents cetinvestissement initial alors que les ministres des Finances leurdemandent des coupes budgtaires immdiates. Au final, et sanssurprise, de nombreux pays choisissent linaction plutt que lacoopration.

    LEuropelaisse elle-mme

    limpact

    du p iv o t s tr atgique amricain vers lAsie

    Cette inaction devient encore plus critique dans un contexte depressions accrues pour un engagement europen au service de lascurit internationale, consquence de la rorientation amricainevers lAsie (mme si celle-ci reste modeste pour le moment)22. lavenir, les Europens seront dans une large mesure livrs eux-mmes sur le Vieux Continent, non par choix, mais parce que lesAmricains se seront retirs23.

    Les tats-Unis sont eux-mmes touchs par la crisefinancire. Le Pentagone doit conomiser 487 milliards de dollars au

    Policy Brief ; C. Mlling, Pooling und Sharing in EU und NATO, Berlin, StiftungWissenschaft und Politik, mai 2012, SWP-Aktuell , A25.22H. Clinton, Americas Pacific Century, Foreign Policy, novembre 2011.23 F. Heisbourg et alii, All alone? What US Retrenchment Means for Europe andNATO, Londres, Centre for European Reform, fvrier 2012.

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    cours des dix prochaines annes24; la plus grande puissancemilitaire veut donc tablir des priorits dans ses choix. En outre,lEurope est en train de perdre son importance stratgique aux yeuxdes tats-Unis. Dun point de vue amricain, les volutions les plus

    importantes sur les plans politique, scuritaire et conomique ont lieuen Asie, alors que lEurope est passe dun statut de consommateurde scurit un statut de producteur de scurit. Par consquent, lestats-Unis rduisent leur prsence sur le Vieux Continent, augmen-tent leur empreinte en Asie et adaptent leur doctrine militaire auxdfis en mer de Chine25.

    Les Amricains sont donc plus dtermins que jamais voirles Europens prendre davantage de responsabilits militaires, enparticulier dans leur propre arrire-cour. Washington ne remet pas encause ses obligations de dfense mutuelle (les guerres par

    ncessit wars of necessity , ancres dans larticle V delOTAN), mais demandera de plus en plus souvent lEurope deconduire des guerres discrtionnaires , c'est--dire menes parexemple au nom de la dfense des Droits de lhomme plus que pourla dfense du territoire. Les tats-Unis interviendront si leurs intrtsstratgiques sont en jeu, mais il y aura certainement moins de guerres par choix ( wars of choice).

    Les tats-Unis considrent que la scurit de lEurope estmaintenant solidement tablie et ils attendent quelle garantisse elle-mme la paix dans cette rgion du monde et soit autonome, toutparticulirement dans son environnement immdiat. Mme siWashington na jamais remis en question ses obligations dcoulantde larticle V de lOTAN et devrait veiller accomplir ses devoirs vis --vis de lAlliance, ladministration amricaine espre prsent queses allis europens pourront mener leurs propres missions, surtouten territoire europen, et l o les intrts amricains ne sont pasdirectement en jeu.

    En termes militaires, les tats-Unis pourraient refuser decontinuer porter le plus lourd fardeau au sein de lOTAN et de

    pallier les lacunes capacitaires europennes. Washington a certestenu ce discours pendant des annes sans consquence relle pour

    24A. Grissom, The United States , inC.M. O'Donnell et alii, op. cit., p. 24-29.25Voir entre autres Joint Operational Access Concept ; NATOs Sea of Troubles ,The Economist, 31 mars 2012 ; L. Panetta, The US Rebalance Towards the Asia-Pacific , discours, 11eIISS Asia Security Summit, Shangri-La Dialogue, Singapour,2 juin 2012.

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    lEurope, mais son engagement limit et tout en retenue lors de lacampagne de Libye en 2011 a montr que les paroles seraient dsor-mais suivies deffets26.

    Dans le mme temps, le monde nest pas devenu un endroitplus sr. Si lEurope vit effectivement en paix,sa priphrie demeureinstable, que ce soient les Balkans, le Moyen-Orient, lAfrique duNord ou le Sahel. Le prsident russe Vladimir Poutine ambitionne derenforcer son arme mais se montre peu empress damliorer larelation de Moscou avec lOTAN et le monde occidental. Le terro-risme, les tats fragiles ou la cyberguerre constituent des menacestoujours dactualit.

    Il est vident que ces dfis ne peuvent pas tre relevs par untat seul. Une augmentation des budgets militaires europens parat

    aussi peu probable quun rengagement massif des tats-Unis enEurope ou quune disparition des risques et des menaces pesant surla scurit et sur les valeurs du Vieux Continent. Si la France etlAllemagne (et donc lEurope) veulent conserver leur potentielmilitaire et une politique de dfense et de scurit crdible, elles vontdevoir travailler ensemble.

    26 C. Major, Mehr Europa in der NATO, Berlin, Stiftung Wissenschaft und Politik,septembre 2012, SWP-Aktuell , A52.

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    Les perspectives : aller plus loinque la prservation de lacquis

    Continuer entretenir une relation bilatrale peu satisfaisante est uneoption de plus en plus coteuse et frustrante : le temps, les ressour-ces humaines, lnergie et largent quelle consomme pourraient tremieux employs. Les deux tats doivent dcider si leur relationbilatrale constitue loutil le plus adaptpour relever les dfis actuels

    ou sil serait plus efficace de dvelopper des cooprations avecdautres partenaires, comme le Royaume-Uni.

    Lhypothse soutenue ici est que la France et lAllemagnedevraient redynamiser leur relation en matire de dfense. Pour cela,reconnatre quil y a une fracture dans leur relation constitue unepremire tape ncessaire. Plutt que de ressasser inlassablementles mmes refrains culs sur lamiti franco-allemande et les mmesappels sengager pour lEurope dont les dernires annes ontdmontr lchec, les deux pays devraient satteler une tripletche : analyser les raisons pour lesquelles leur coopration estncessaire ; se demander si la logique mme de leur relation doit treremise en cause ; sefforcer de dvelopper des projets pertinents,ralisables et voulus par les deux partenaires (par opposition auxprojets souhaitables et symboliques).

    La France et lAllemagne ont toujours besoindune relation bilatrale

    La coopration entre la France et lAllemagne ne devrait pas sepoursuivre simplement en vertu dune force dinertie ou parce quellereprsente un hritage de la Seconde Guerre mondiale. Elle doitreposer sur la conviction quelleest le meilleur moyen de rpondreaux difficults rencontres par la dfense dans les deux pays. Il sagitdaller au-del de la rhtorique traditionnelle sur lamiti etde formu-ler les raisons pragmatiques qui justifient la coopration.

    Plusieurs raisons plaident en faveur dune redynamisation dela relation. Premirement, ltroite coopration dj existante en

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    matire de dfense constitue une base solide. Les partenariatsalternatifs ne se sont pas rvls tre plus fiables ou plus efficacesen termes de rsultats. Bien qutant complmentaires, ils ne peuventpas remplacer cette relation bilatrale. Cela sapplique aussi bien au

    trait franco-britannique de Lancaster House de 2010 quauxinitiatives multilatrales telles que le Triangle de Weimar et lInitiativede Gand ou aux cadres plus traditionnels comme lUE ou lOTAN27.

    Deuximement, malgr leurs diffrences politiques, les deuxpays continuent de partager une conviction pro-europenne qui vaau-del du domaine conomique et concerne la sphre politique.Paris et Berlin soutiennent tous deux le projet politique europen,auquel contribuent les dimensions conomique, financire et scu-ritaire. Cette convergence de fond offre une base de cooprationsolide sur le long terme qui nest pas partage par tous les parte -

    naires europens (notamment le Royaume-Uni).

    Troisimement, la coopration franco-allemande est plussusceptible dinspirer le reste de lEuropeque dautres partenariats.La crise financire a confirm cette vidence historique : malgr leursdiffrends, les deux pays ont fait avancer lUE dans son ensemble etles autres pays ont accept leur leadership, mme si cela a souventt de mauvaise grce. En cooprant sur la dfense, les deux paysseraient plus efficaces que dautres constellations pour entranerleurs partenaires europens.

    Quatrimement, au-del des considrations sur la romancebilatrale, les deux partenaires ont besoin lun de lautre. LAllemagneet la France continuent tre des poids lourds conomiques, politi-ques et militaires en Europe. Une initiative europenne, comme lepooling and sharing, laquelle Paris ne sassocie pas, risquedavantage dchouer que dans le cas dune participation franaise.De mme, labsence de Berlin dans un projet affecte limportancepolitique, le caractre europen et la crdibilit de ce dernier.

    27Pour un rsum et une description des initiatives rcentes, voir C. Mlling et S.-C.

    Brune, The Impact of the Financial Crisis on European Defence, Strasbourg,Parlement europen, sous-commission pour la scurit et la dfense, avril 2011,p. 43-51; pour Lancaster House : D. Zandee,Franco-British Defence Cooperation asthe Core of European Military Capabilities, Clingendael Policy Brief, n 10, juillet2012 ; pour le Triangle de Weimar : C. Major et F. Wassenberg, Warsaws AmbitiousCSDP Agenda, Berlin, Stiftung Wissenschaft und Politik, septembre 2011, SWPComments , C25.

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    Sans lappui politique et conomique de son partenaireallemand, la France peinera maintenir sa force militaire et les deuxpays risqueraient de perdre leur crdibilit politique. LAllemagne abesoin du soutien politique de la France pour assumer un co-

    leadership en Europe parce quelle hsite endosser seule lesresponsabilits (et les critiques) de dcisions difficiles. La France abesoin de lAllemagne car le dclin de ses capacits lempche dagirseule. Les estimations prvoyant que lAllemagne aura le plusimportant budget de dfense en Europe vers 2015-2020 contribuent faire de Berlin une option de plus en plus sduisante. Ne disposantgure dalternatives crdibles, les deux partenaires ont donc toutintrt conjuguer leurs forces.

    mais devraient ch anger la logique de leurcooprat io n : les paramtres dune nouvel ledonne franco -al lemande

    Pour quune nouvelle donne franco-allemande intgrant les nces-sits de la coopration nonces plus haut voie le jour, les deux paysdoivent librer leur relation des attentes normatives qui la dominentactuellement, reconnatre leurs diffrences au lieu de les escamoteret accepter leur interdpendance plutt que discourir sur leur amiti.

    Trois postulats de base dterminent la nouvelle logiquebilatrale. Tout dabord, la culture stratgique des deux pays ne vapas voluer rapidement, et des stratgies communes franco-alle-mandes seront donc lentes merger. LAllemagne peut bien esp-rer que la France dveloppe une approche plus civile et multilatrale linstar des pays nordiques, ou quelle accepte plus volontiers lesinhibitions lies la politique intrieure allemande. La France, quant elle, peut bien rver dun partenaire idal qui combinerait lesrfrences pro-europennes de lAllemagne avec la culturestratgique britannique. Cela restera des vux pieux.

    Ensuite, les deux parties narriveront pas tomber daccordavant longtemps dans certains domaines (comme les questionsnuclaires ou certains aspects oprationnels). Cela ne devrait paspour autant empcher la coopration dans dautres domaines: il ny apas de modle universel en la matire.

    Enfin, la relation ne doit pas tre exclusive mais explicitementouverte dautres pays. Dautres partenaires pourraient jouer un rleplus important dans certains domaines, comme le Royaume-Uni surles questions nuclaires pour la France. Des accords compl-

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    mentaires bilatraux ou multilatraux peuvent complter et enrichir lacoopration bilatrale.

    Accepter ces paramtres constitue la premire tape en vuedviter les dceptions et les attentes irralistes. La nouvelle donnedans les relations franco-allemandes serait guide moins par desconsidrations abstraites sur lamiti bilatrale que par la prise encompte pragmatique dune ralit: sans coopration bilatrale, il seraencore plus difficile de surmonter la crise de la dfense et descapacits militaires et de rpondre aux attentes internationales duneprise de responsabilit accrue de lEurope. Un tel pragmatisme nestpas ngatif en soi. viter le scnario dune Allemagne, dune Franceet dune Europe paralyses par des querelles de scurit peutconstituer une motivation plus puissante que lide normative etparalysante dune amiti franco-allemande comme moteur de

    lEurope.

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    Initiatives pour soutenir la nouvelledynamique franco-allemande

    Des projets russis peuvent la fois convaincre les deux pays desbnfices de la coopration bilatrale et crer un climat de confiance,ncessaire pour accepter linterdpendancequi rsulte dune coop-ration troite. Cest seulement lorsque les deux voisins percevront nouveau leur relation bilatrale comme un cadre utile que les condi-

    tions du dbat stratgique ncessaire (et plus sensible) sur lesobjectifs communs et le futur rle de la coopration bilatrale au seinde lUE et de lOTAN seront runies. Un point crucial consiste ancrer la relation bilatrale au sein de lEurope: il ne sagit pasuniquement de gnrer des avantages pour les deux pays, mais pourlUnion dans son ensemble.

    Il existe toute une srie de sujets sur lesquels le leadershipfranco-allemand peut avoir une valeur ajoute. Cela inclut entreautresla gestion des effets de long terme de la crise de la dette surla dfense ; les scnarios possibles pour les forces militaires europ-ennes en 2030 ; lavenir des organisations de dfense (UE etOTAN) ; les modalits de la consolidation de lindustrie de dfense ;les leons pouvant tre tires de lAfghanistan pour la mutualisationet le partage des capacits, en particulier dans les domaines de lalogistique et du C428; les scnarios doprations potentielles.Certains exemples de cette liste pourraient tre transforms eninitiatives franco-allemandes ds prsent.

    28C4ISTAR est lacronyme utilis pour dsigner un groupe de fonctions militaires quipermet la coordination des oprations : C4 (command, control, communications,computers), I (military intelligence) et STAR (surveillance, target acquisition, andreconnaissance).

    http://en.wikipedia.org/wiki/Military_intelligencehttp://en.wikipedia.org/wiki/Military_intelligencehttp://en.wikipedia.org/wiki/Military_intelligencehttp://en.wikipedia.org/wiki/Military_intelligence
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    Prendre le leadershipeuropen au sein de lUE

    Les deux pays devraient utiliser la prparation du sommet de lUE surla dfense, prvu pour dcembre 2013, pour laborer des sugges-tions visant renforcer la dfense europenne dans ses dimensionspolitique, militaire et industrielle. Une telle initiative pourrait trelance avant le sommet, en concertation avec les principaux parte-naires de lUE, et communique la Haute Reprsentante afin daug-menter ses chances dtre adopte.

    Aspects politiquesLes deux pays devraient formuler une position commune sur le rayondaction de la PSDC, ses ambitions civiles et militaires (en comparai-

    son par exemple avec le niveau dambition de 2008) et son lien aveclOTAN. Un rsultat tangible pourrait se matrialiser par ladoptiondun niveau dambition plus raliste, partag par tous les tatsmembres de lUE.

    Aspects militairesLes deux partenaires devraient traduire le niveau politique de leursambitions en termes militaires. Combien doprations, de quelle tailleet de quelle dure lUnion est-elle dsireuse (et capable) de lancer, eto ? En outre, en sappuyant sur les 12 projets qui ont t avalisspar le Conseil europen en mars 2012, la France et lAllemagnedevraient mettre en uvre des projets utiles en termes de mutua-lisation et de partage de capacits (voir plus loin). Ces derniersdevraient tre coordonns avec les efforts au sein de lOTAN.

    Aspects industrielsLes deux pays devraient sefforcer dlaborer un cadre politique etjuridique pour la restructuration et la consolidation du paysageindustriel de dfense en Europe. Le cur dun tel effort pourrait tre

    la dfinition dun grand objectif commun en matire dindustrie dedfense pour 2030 ( Defence-Industrial Headline Goal 2030).Dans loptique de trouver des dnominateurs communs pour uneapproche cohrente des politiques darmement et des politiquesindustrielles de dfense, les deux pays devraient rpondre auxquestions suivantes : de quelle base industrielle et technologique lUEa-t-elle besoin ? Quelles sur- et sous-capacits existent et pourraientapparatre lavenir? Quels secteurs sont comptitifs sur lesmarchs mondiaux ? Quelles dpendances sont acceptables au sein

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    de lUE et lextrieur de lUE? Quels lments cls dune politiqueindustrielle de dfense sont ncessaires pour fournir ces capacits ?Quel est le rle de lindustrie de dfense dans ces perspectives ?

    Prendre le leadershipeu ropen au sein delOTAN

    En parallle, lAllemagne et la France devraient tre en premireligne pour coordonner une rponse europenne la demande am-ricaine dune responsabilit accrue de lEurope.

    Aspects politiquesCest la dfinitionde lalliance avec lUE et les tats-Unis qui est enjeu. Une d-amricanisation de lOTAN est actuellement en cours, quisaccompagne de manire concomitante dune europanisation pardfaut. Emmens par Berlin et Paris, les membres europens delAlliance devraient se demander sil ny a pas l une opportunit de :

    dvelopper un vritable pilier europen au seinde lOTAN, dans lequel les Europens prendraient leur compte plus de responsabilits la fois politiqueset militaires ;

    engager un partage du fardeau entre lAllianceet lUE, la seconde se chargeant de la gestion de crisecivile et de faible et moyenne intensit et la premireprenant la responsabilit de la dfense et des conflitsde haute intensit ;

    imaginer des solutions radicalement diffrentes,c'est--dire la fusion progressive de lUE et de lOTAN.Un tel rapprochement institutionnel parat tre unechimre. Nanmoins, les structures de la PSDC ont

    t modeles sur celles de lOTAN et les reprsentantsau sein des deux comits militaires portent pour laplupart la double casquette. La coopration renforce

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    peut conduire lintgration sur la (trs longue)dure29.

    Il dpend des Europens de remplir le vide (politique et

    militaire) laiss par le dpart amricain. Cela implique de sinterrogersur le ciment politique de lAlliance pour quelles raisons exactementles allis ont-ils besoin de celle-ci ? Cela implique galement derquilibrer le niveau dambition de lOTAN. Au vu des capacitsrduites, lobjectif actuel de conduire deux oprations importantes etsix oprations de moindre ampleur en mme temps ne parat plusraliste.

    Aspects militairesIl sagit de dfinir ce que lEurope pourrait offrir aux tats-Unis entermes de capacits et ce que les tats-Unis pourraient garantir silsne sont pas prts tre en premire ligne. Le point de dpart de larflexion consisterait passer en revue les capacits europennes etles plans de lOTAN, afin de dfinir ce que lAlliance peutconcrtement faire sans le soutien amricain ou avec un soutienlimit. Cela inclut la ncessit de prsenter des projets europenstangibles de Smart Defence(voir ci-dessous).

    Assur er le leadershipdans la mise en uvredu pooling and sharingau sein de lUE et delOTAN

    Paris et Berlin devraient lancer les initiatives suivantes dans le butdamliorer la mise en uvre de la mutualisation et le partage decapacits au sein de lUE et de lOTAN30:

    mettre en place un fonds de rinves-tissement. Les ministres de la Dfense et des Finan-ces devraient se mettre daccord pour allouer les res-

    sources conomises par la mise en uvre de projetscollaboratifs un fonds de rinvestissement sp-cial. Cet argent pourrait financer de futurs achats

    29 Cette ide a t relance par Jolyon Howorth, CSDP and NATO Post-Libya:Towards the Rubicon?, Bruxelles, Egmont Institute, juillet 2012, Security PolicyBrief , n 35.30Voir galement C. Major, C. Mlling et T. Valasek, op. cit.

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    communs de matriel. Les pays pourraient postulerpour ces financements, avec une priorit accorde auxachats qui rpondent aux besoins capacitaires de lUEet de lOTAN les plus pressants. Les moyens du fonds

    demands par un tat pour un projet ne devraient pasexcder sa propre contribution.

    Pour le lancement du fonds, les tats contribueraientavec un paiement initial unique fix sur la base de leurtaille et de leur puissance conomique. Par cons-quent, les grands tats contribueraient davantage queles petits tats. Toutefois, les grands pays en retire-raient galement un avantage : en proposant un bonprojet, ils pourraient potentiellement recevoir plus dar-

    gent du fonds que leur contribution initiale. Mme si lessubventions devaient principalement profiter aux petitstats, les plus importants pourraient aussi en bn-ficier puisque leur investissement permettrait aux petitspays de combattre leurs cts dans le cadre defutures oprations. Linverse est galement vrai sanscoopration, les petits tats perdraient certaines deleurs capacits contribuer la dfense et lascurit collectives, laissant peser en cas doprationsun fardeau disproportionn sur les paules des allisles plus importants, comme la France ou lAllemagne.

    Combiner symboles et synergies : crer unescadron arien franco-allemand. Les avions decombat franais et allemands respectivement Rafaleet Eurofighter formeraient les deux escadrilles dunescadron. De telles units mixtes reflteraient uneralit qui existe dj en oprations, o un petitnombre dunits de types diffrents est dploy(comme en Libye en 2011, o les Typhoon partici-paient ct des Gripen et Rafale). En outre, cela

    forcerait les pilotes et le personnel au sol cooprerau quotidien tout en facilitant lharmonisation logistiq-ue. Enfin, une intgration en profondeur permettraitaux escadrilles franaise et allemande de cooprerensemble plutt que cte cte. la diffrence desformations existantes telles que la BFA, cet escadronaurait des tches permanentes ds sa cration, c'est--dire galement pour les priodes de paix. Pendantque lune des escadrilles franco-allemandes sentra-

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    nerait ensemble, lautre pourrait scuriser lespacearien europen. moyen terme, ces tches pour-raient tre largies. En cas de besoin, les escadrillespourraient tre renationalises. Si la France dsirait

    dployer ses Rafale dans une opration laquellelAllemagne refuserait de participer, les Eurofighterallemands pourraient prendre le relais de ces dernierspour assurer les missions de police de lair. Lescadrondevrait tre conu comme un projet europen ds sagense. Paris et Berlin devraient inviter dautrespartenaires les rejoindre, que ce soit le Royaume-Uniou de la Pologne dans le cadre du Triangle de Weimar.En termes militaires, il serait particulirement utiledintgrer les petites nations qui ne peuvent dores et

    dj plus soffrir des aronefs, soit sous la forme deleasing davions, soit en leur transfrant du matriel ensurplus. Les enseignements tirs de lentranementconjoint et des oprations communes pourraientcontribuer la dfinition des futurs besoins militaires,comme la prochaine gnration davions de combat. long terme, la possibilit de dvelopper conjointementla prochaine gnration davions de combat devraitpermettre aux Europens de pallier la diversit actuelleen la matire.

    Mettre en place un march pour les quip-ements militaires en surplus. De nombreux paysdEurope centrale peinent moderniser leur quipe-ment g datant de lpoque sovitique. Dans le mmetemps, les pays occidentaux ont command tropdquipements, limage des hlicoptres NH-90. Lespays qui ont des quipements en surplus esprentgnralement les exporter vers lAsie et le Moyen-Orient pour rcuprer des liquidits, mais comme lesbudgets ont fondu partout ailleurs en Europe, de

    nombreux pays sont en comptition pour les mmesmarchs lexport. Au lieu de vendre leur quipement lextrieur de lEurope des prix brads, ces paysdevraient envisager de les transfrer aux pays euro-pens les plus touchs par la crise, qui sengageraienten retour passer des marchs de maintenance, den-tranement et de modernisation avec les pays dona-teurs. Lutilisation dquipements similaires permettraitdamliorer linteroprabilit et les pays donateurs

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    tireraient profit de contrats de maintenance et dentra-nement. Les pays donateurs et les pays bnficiairespourraient viser des gains defficacit supplmentairesen crant des units conjointes autour de leurs quipe-

    ments communs et en partageant les cots affrents. long terme, ce processus de modernisation par ledon rduirait le nombre de types diffrents dqui-pements militaires au sein des armes europennes etencouragerait les industriels de dfense la conso-lidation. Linitiative de lAgence europenne de dfense(AED) de lancer un march en ligne de gouvernement gouvernement (e-equip) pour les quipementsredondants ou en surplus peut constituer un bon pointde dpart.

    Crer des objectifs capacitaires rgionaux.Aujourdhui, chaque pays dfinit unilatralement sesengagements nationaux de dfense. Prises ensemble,ces contributions sont supposes atteindre un niveaude forces suffisant pour rpondre aux ambitions delOTAN ou de lUE. Des objectifs rgionaux pous-seraient davantage diffrents pays fusionner enpartie leurs armes que le modle existant. Celapourrait constituer le point de dpart dune spcia-lisation choisie des forces armes europennes ( ladiffrence de la spcialisation par dfaut qui se produitdj en Europe). Une impulsion initiale pourrait tredonne par le lancement franco-germano-polonaisdobjectifs capacitaires de Weimar, dans lesquels lestats composant le Triangle de Weimar ou WeimarPlus31se mettraient daccord sur les quipements, leurquantit et les stratgies dachat pour les prochainesannes. Dautres groupes, comme le Groupe deVisegrad32, pourraient suivre ensuite.

    31Les fondateurs du Triangle de Weimar (France, Allemagne, Pologne), plus lItalieet lEspagne.32 Le Groupe de Visegrad, aussi appel V4 , se compose de la Hongrie, laPologne, la Rpublique tchque et la Slovaquie.

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    Et maintenant ?En qute de volont politique

    Les solutions proposes plus haut sont principalement dordretechnique. Si elles sont mises en uvre, elles auraient nanmoins unimpact politique norme : elles permettraient la France et lAllemagne, ainsi qu lEurope, de garder une capacit dactioncrdible en matire de scurit et de dfense.

    Lhistoire a montr que les positions divergentes des deuxpays ne sont pas ncessairement problmatiques tant que le leader-ship politique les transforme en force pour nourrir le processus decoopration. Ctait prcisment ce qui faisait le dynamisme de larelation franco-allemande des premiers temps en Europe. En effet,lune des leons du blocage actuel reste le besoin de leadership pourdpasser linertie administrative et la rhtorique traditionnelle surlamiti et pour exploiter tout le potentiel de la relation bilatrale.Linitiative dune nouvelle donne franco-allemande doit donc treprise au plus haut niveau politique..

    La France et lAllemagne devraient utiliser le 50eanniversairedu trait de llyse comme un jalon vers une nouvelle cooprationplus raliste. Pour un vieux couple comme celui que forment lesdeux tats de part et dautre du Rhin, dpasser la crise de lacinquantaine nest pas chose aise. Il y a pourtant tout gagner decette relation si les responsables politiques en dcident ainsi.

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    Visions franco-allemandes

    Publie depuis 2004, cette collection est consacre une analysecroise de lvolution politique, conomique et sociale de lAllemagneet de la France contemporaines : politique trangre, politique int-rieure, politique conomique et questions de socit. Les Visionsfranco-allemandes sont des textes caractre scientifique et denaturepolicy oriented. linstar des Notes du Cerfa , les Visions

    franco-allemandes sont accessibles sur le site Internet du Cerfa, oelles peuvent tre consultes et tlcharges gratuitement.

    Dernires pub lications du Cerfa

    Roderick Parkes, Les relations germano-britanniques lheurede vrit, Note du Cerfa , n 99, novembre 2012.

    Hannes Adomeit, German-Russian relations : Balance sheetsince 2000 and perspectives until 2025, Note du Cerfa , n 98,octobre 2012.

    Stephan Klecha, La mutation du systme des partisallemands : bientt des pirates bord ?, Note du Cerfa , n 97,septembre 2012.

    Lothar Rhl, Les enjeux du dialogue stratgique lchellefranco-allemande, Note du Cerfa , n 96, juillet 2012.

    Daniela Schwarzer, LEurope face la crise de la dette: les

    dbats politiques allemands, Note du Cerfa , n 95, juin 2012.Pervenche Bers, La crise et la gouvernance conomique

    europenne, Note du Cerfa , n 94b, avril 2012.

    Sylvie Goulard, La France et lAllemagne face la crise:doute sur le diagnostic et la mthode, Note du Cerfa , n 94a,mars 2012.

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    Le Cerfa

    Le Comit dtudes des relations franco-allemandes (Cerfa) a tcr en 1954 par un accord gouvernemental entre la Rpubliquefdrale dAllemagne et la France. Le Cerfa bnficie dun finance-ment paritaire assur par le ministre des Affaires trangres eteuropennes et lAuswrtiges Amt; son conseil de direction estconstitu dun nombre gal de personnalits franaises et

    allemandes.Le Cerfa a pour mission danalyser les principes, les condi-

    tions et ltat des relations franco-allemandes sur le plan politique,conomique et international ; de mettre en lumire les questions etles problmes concrets que posent ces relations lchelle gouver-nementale ; de trouver et de prsenter des propositions et des sug-gestions pratiques pour approfondir et harmoniser les relations entreles deux pays. Cette mission se traduit par lorganisation rgulire derencontres et de sminaires runissant hauts fonctionnaires, expertset journalistes, ainsi que par des travaux de recherche mens dans

    des domaines dintrt commun.Hans Stark assure le secrtariat gnral du Cerfa depuis

    1991. Yann-Sven Rittelmeyer est chercheur au Cerfa et responsablede la publication des Notes du Cerfa et des Visions franco-allemandes . Nele Wissmann travaille au Cerfa en tant que chargede mission dans le cadre du projet Dialogue davenir.