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180 Cah. Nutr. Diét., 43, 4, 2008 médecine et nutrition médecine et nutrition LA GLYCÉMIE POSTPRANDIALE : DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE* Louis MONNIER, Claude COLETTE La dysglycémie du diabétique est la résultante de plusieurs désordres glycémi- ques que l’on peut schématiquement regrouper sous 2 rubriques : a) l’hypergly- cémie chronique soutenue et b) les fluctuations aiguës de la glycémie entre pics et nadirs [1]. L’hyperglycémie chronique peut être évaluée à court et à moyen terme par 2 marqueurs qui sont respectivement la glycémie moyenne et l’HbA1c [2]. Elle est constituée en priorité par l’hyperglycémie « basale » c’est-à-dire par l’élévation des glycémies de jeûne et interprandiales au-dessus d’une ligne de base égale à la limite supérieure de la normalité à jeun, soit 5,5 mmol/L, d’après la définition donnée par les standards internationaux [3]. L’hyperglycémie chronique soutenue est également liée à l’hyperglycémie postprandiale qui, par sa durée et son amplitude, contribue à l’exposition à l’hyperglycémie. D’une manière un peu schématique on peut d’ailleurs con- sidérer que l’hyperglycémie postprandiale contribue aux deux désordres fon- damentaux de la dysglycémie du diabète. Par sa composante horizontale, c’est-à-dire sa durée, l’hyperglycémie postprandiale participe à l’hyperglycé- mie chronique, tandis que par sa composante verticale l’amplitude, elle, par- ticiperait plutôt à la variabilité aiguë de la glycémie. En fait, les deux composantes sont plus ou moins indissociables. Ceci explique que la mesure de l’aire sous la courbe des profils glycémiques au-dessus d’une ligne hori- zontale fixée à la valeur préprandiale pour un repas donné soit la meilleure manière de quantifier le degré de l’hyperglycémie postprandiale. Pour résumer, l’hyperglycémie basale et l’hyperglycémie postprandiale (fig. 1) sont les 2 composantes de l’exposi- tion chronique et soutenue à l’hyperglycémie. Toutes deux participent aux complications diabétiques en sachant que les variations aiguës de la glycémie entre pics et nadirs peuvent également jour un rôle qui n’est pas marginal [4]. Dans ces conditions, il est important de pouvoir détermi- ner chez le diabétique les contributions respectives de l’hyperglycémie basale et prandiale et d’analyser le « spec- tre » des désordres glycémiques postprandiaux quand on se déplace de la physiologie vers la pathologie, c’est-à-dire de l’état normal vers un diabète sucré patent, en passant par l’étape intermédiaire de l’intolérance au glucose. Le choix des thérapeutiques dépend de cette détermination et de cette analyse. Les leçons de la physiologie : l’état postprandial chez le non diabétique L’état postprandial, dérivé du latin postprandium, s’étale sur une période de 4 heures après ingestion d’un repas [5]. Pendant cette période, les glucides alimentaires (en majo- rité les amidons et à un degré moindre les oligosaccharides Institut universitaire de recherche clinique, avenue du doyen Giraud, 34093 Mont- pellier Cedex 5, France. Correspondance : Louis Monnier, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected] * Conférence donnée dans le cadre de la 48 e Journée Annuelle de Nutrition et de Diététique, le vendredi 25 janvier 2008.

La glycémie postprandiale : du normal au pathologique

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180 Cah. Nutr. Diét., 43, 4, 2008

médecine et nutrition

médecine et nutrition

LA GLYCÉMIE POSTPRANDIALE : DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE*

Louis MONNIER, Claude COLETTE

La dysglycémie du diabétique est la résultante de plusieurs désordres glycémi-ques que l’on peut schématiquement regrouper sous 2 rubriques : a) l’hypergly-cémie chronique soutenue et b) les fluctuations aiguës de la glycémie entrepics et nadirs [1]. L’hyperglycémie chronique peut être évaluée à court et àmoyen terme par 2 marqueurs qui sont respectivement la glycémie moyenneet l’HbA1c [2]. Elle est constituée en priorité par l’hyperglycémie « basale »c’est-à-dire par l’élévation des glycémies de jeûne et interprandiales au-dessusd’une ligne de base égale à la limite supérieure de la normalité à jeun, soit5,5 mmol/L, d’après la définition donnée par les standards internationaux[3]. L’hyperglycémie chronique soutenue est également liée à l’hyperglycémiepostprandiale qui, par sa durée et son amplitude, contribue à l’exposition àl’hyperglycémie. D’une manière un peu schématique on peut d’ailleurs con-sidérer que l’hyperglycémie postprandiale contribue aux deux désordres fon-damentaux de la dysglycémie du diabète. Par sa composante horizontale,c’est-à-dire sa durée, l’hyperglycémie postprandiale participe à l’hyperglycé-mie chronique, tandis que par sa composante verticale l’amplitude, elle, par-ticiperait plutôt à la variabilité aiguë de la glycémie. En fait, les deuxcomposantes sont plus ou moins indissociables. Ceci explique que la mesurede l’aire sous la courbe des profils glycémiques au-dessus d’une ligne hori-zontale fixée à la valeur préprandiale pour un repas donné soit la meilleuremanière de quantifier le degré de l’hyperglycémie postprandiale.

Pour résumer, l’hyperglycémie basale et l’hyperglycémiepostprandiale (fig. 1) sont les 2 composantes de l’exposi-tion chronique et soutenue à l’hyperglycémie. Toutesdeux participent aux complications diabétiques en sachantque les variations aiguës de la glycémie entre pics et nadirspeuvent également jour un rôle qui n’est pas marginal [4].Dans ces conditions, il est important de pouvoir détermi-ner chez le diabétique les contributions respectives de

l’hyperglycémie basale et prandiale et d’analyser le « spec-tre » des désordres glycémiques postprandiaux quand onse déplace de la physiologie vers la pathologie, c’est-à-direde l’état normal vers un diabète sucré patent, en passantpar l’étape intermédiaire de l’intolérance au glucose. Lechoix des thérapeutiques dépend de cette déterminationet de cette analyse.

Les leçons de la physiologie : l’état postprandial chez le non diabétique

L’état postprandial, dérivé du latin postprandium, s’étale surune période de 4 heures après ingestion d’un repas [5].Pendant cette période, les glucides alimentaires (en majo-rité les amidons et à un degré moindre les oligosaccharides

Institut universitaire de recherche clinique, avenue du doyen Giraud, 34093 Mont-pellier Cedex 5, France.

Correspondance : Louis Monnier, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected]

* Conférence donnée dans le cadre de la 48e Journée Annuelle de Nutrition et de Diététique, le vendredi 25 janvier 2008.

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et les disaccharides) sont progressivement hydrolysés parles enzymes du tube digestif. Les monosaccharides (essen-tiellement des unités glucose) qui sont libérés par cettehydrolyse sont ultérieurement absorbés par l’intestin pourpénétrer dans le système porte et pour être déversés infine dans la circulation sanguine systémique. La consé-quence est une montée de la glycémie qui peut être plusou moins intense. L’état postabsorptif qui suit l’état post-prandial correspond à une période de 6 h pendantlaquelle, chez une personne non diabétique, la glycémiereste dans la zone normale. Au cours de cette période,l’utilisation périphérique du glucose est compensée parune production équivalente de glucose par le foie à partirde l’hydrolyse du glycogène qui a été stocké dans laglande hépatique au cours de la période précédente.L’état de jeûne réel débute seulement à la fin de l’état pos-tabsorptif c’est-à-dire approximativement 10 à 12 h aprèsle début du dernier repas. Pendant les états de jeûne etpostabsorptifs, les glycémies restent stables et normaleschez les personnes qui ne sont pas diabétiques. Cette sta-bilisation est due au fait que la production hépatique deglucose passe progressivement de la glycogénolyse à lanéoglucogenèse c’est-à-dire à la production de glucose àpartir des lactates, d’alanine ou de glycérol. Il apparaîtainsi que chez les personnes qui ne sont pas diabétiqueset qui prennent 3 repas quotidiens à des heures relative-ment fixes, le nycthémère peut être divisé en 3 périodesqui correspondent aux états de jeûne, postprandiaux etpostabsorptifs [6]. Les périodes postprandiales (4 h cha-cune) couvrent donc un intervalle de temps de l’ordre de12 h, c’est-à-dire une demi-journée. L’état de jeûne estlimité uniquement à une période de 3 à 4 h en fin de nuit.Par ailleurs, compte tenu des superpositions entre étatspostprandiaux et postabsorptifs, on peut considérer qu’unedizaine d’heures sont passées en période postabsorptive.Dans la mesure où nous passons la moitié de notre vie enpériode postprandiale, il semble important de s’intéresseraux variations glycémiques au cours de cette période.Chez les personnes qui ne sont pas diabétiques, les mon-tées glycémiques postprandiales restent limitées dans leurintensité et leur durée. En particulier, la montée glycémi-que au-dessus de la ligne de base excède rarement 2 halors que l’état postprandial (passage des glucides à tra-vers la barrière intestinale) dure environ 4 h. En effet,chez les personnes qui ne sont pas diabétiques, la montéeglycémique est parfaitement contrôlée par la stimulation

de la sécrétion insulinique et par la réduction de la gluca-gonémie [7]. Ces deux phénomènes sont en partie con-trôlés par la sécrétion de plusieurs hormones gastro-intestinales, les incrétines [8]. La plus représentative est leglucagon-like-peptide 1 (GLP1). Sa sécrétion au niveaudes entérocytes est initiée par la présence de nutrimentstels que le glucose, le galactose, le saccharose ou le mal-tose. Son mode d’action original a conduit à la productionde médicaments antidiabétiques capables d’améliorer latolérance glucidique postprandiale. Ces médicaments dési-gnés sous le terme d’insulino-mimétiques appartiennent à 2classes : les analogues du GLP1 dont le premier représen-tant commercialisé est l’exenatide [9] et les gliptines quiagissent en inhibant l’activité de la dipeptidyl peptidase-IV,c’est-à-dire de l’enzyme qui assure la dégradation physio-logique du GLP1 [10]. La stimulation de la sécrétion del’insuline et la freination de la sécrétion du glucagon aucours de la période postprandiale ont deux conséquencesau niveau des flux de glucose : une diminution de la pro-duction hépatique de glucose et une stimulation de sonutilisation périphérique [7]. Ces modifications se poursui-vent avec une intensité variable sur la totalité de la périodepostprandiale, c’est-à-dire sur un intervalle de temps del’ordre de 4 h pendant lesquelles les hydrates de carbonealimentaires sont hydrolysés puis absorbés au niveau del’intestin. La conséquence de ces phénomènes est unelimitation de la montée glycémique postprandiale dansson intensité et sa durée qui n’excède pas 2 h. Chez un sujetnon diabétique, la glycémie postprandiale est considéréecomme normale lorsqu’elle reste inférieure à 140 mg/dL(7,8 mmol/L) à la 2e heure d’une charge en glucose (75 g)[3].

Les leçons de la pathologie : montées glycémiques postprandiales dans l’intolérance au glucose

De la normalité à l’intolérance au glucose

L’intolérance au glucose est un état caractérisé par lemaintien d’une glycémie à jeun inférieure à 126 mg/dL(7 mmol/L) mais par une montée anormale de la glycémieen période postprandiale. Cet état est mis en évidence parla pratique d’une hyperglycémie provoquée orale (75 g deglucose per os) et par l’observation d’une glycémie à ladeuxième heure de l’épreuve comprise entre 140 et199 mg/dL [3]. L’exploration métabolique plus pousséedes états d’intolérance au glucose a montré qu’ils s’accom-pagnent, au moins chez l’obèse, d’une diminution de lasensibilité à l’insuline (fig. 2) et d’un hyperinsulinismeréactionnel (fig. 3) [11]. Alors que l’exagération de lasécrétion insulinique est suffisante chez l’obèse normoto-lérant au glucose (fig. 3) [11] pour compenser l’insulino-résistance, elle devient insuffisante chez l’obèse intolérantau glucose (fig. 3). La conséquence est une dérive anor-male des glycémies postprandiales. Dans ces conditionson peut considérer que l’obésité commune, avec normo-tolérance glucidique, est un état intermédiaire entre la nor-malité et l’obésité avec intolérance au glucose. Ce dernierétat peut être considéré comme un véritable prédiabètedans la mesure où plusieurs études [12, 13] ont montréque chez l’adulte le taux de conversion annuel de l’intolé-rance au glucose en diabète patent est de l’ordre de 10 %.

Figure 1.Contributions respectives de l’hyperglycémie basale (en hachuré)

et de l’hyperglycémie prandiale (en pointillé) chez un diabétique au cours de la journée. L’aire en grisé (glycémie < 100 mg/dL) correspond

à l’exposition normale au glucose chez un sujet non diabétique.

Gly

cém

ie (

mg/

dL)

300

100

8 12 19Heures de la journée

200

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De l’intolérance au glucose au diabète de type 2 patent

Le diabète patent est caractérisé par une augmentationpermanente de la glycémie à jeun qui devient ≥ 126 mg/dL [3]. Les excursions glycémiques postprandiales sontplus longues et plus intenses que chez le sujet exempt dediabète sucré [14]. Sur le plan physiopathologique, le dia-bète de type 2 est caractérisé par 3 anomalies définies ily a quelques années par De Fronzo sous le terme de triu-mvirat biologique [15]. Trois organes sont concernés :– la cellule bêta dont la sécrétion est altérée par 2 modi-fications fondamentales : une disparition de l’insulinosé-crétion précoce [16] et un déficit relatif ou absolu del’insulinosécrétion. Au moment de la découverte du dia-bète sucré il a été démontré que l’insulinosécrétion rési-duelle relative est environ de l’ordre de 50 % par rapportà l’insulinosécrétion d’un sujet normal (fig. 4) [17]. Cedéficit insulinosécrétoire s’aggrave avec le temps ;

– la cellule musculaire devient de moins en moins insuli-nosensible. L’insulinorésistance des tissus périphériquess’intensifie rapidement dans les 2 ou 3 années qui précè-dent le diagnostic pour atteindre ensuite un plateau plusou moins stable (fig. 4) [17]. L’aggravation de l’insulinoré-sistance est toutefois possible au cours de la maladie carl’hyperglycémie soutenue et chronique exerce un effettoxique sur les tissus périphériques [18]. Cet état de glu-cotoxicité qui est proportionnelle au degré de l’hypergly-cémie contribue à la dégradation de la sensibilité des tissuspériphériques à l’insuline ;– la cellule hépatique perd également sa sensibilité àl’insuline qui exerce un effet freinateur sur la productiondu glucose par le foie. Le début de l’emballement de laproduction hépatique du glucose coïncide en général avecl’élévation de la glycémie à jeun (fig. 4) [17].En conclusion, la dégradation progressive de l’insulinosé-crétion et de l’insulinosensibilité des tissus périphériquescombinée à l’emballement de la production hépatique deglucose conduisent le sujet d’un état d’intolérance au glu-cose au diabète de type 2 patent. Ce passage se traduitpar une augmentation de la glycémie à jeun et par unedégradation supplémentaire des excursions glycémiquespostprandiales (fig. 3).

La dégradation progressive des glycémies postprandiales chez le diabétiqueComme nous l’avons indiqué plus haut, les états diabéti-ques sont caractérisés par des excursions glycémiquespostprandiales plus longues et plus amples que celles quisont observées chez les sujets normaux (fig. 5) [14]. Deplus, les glycémies pendant les périodes de jeûne et pos-tabsorptives sont sujettes à des variations permanentes aucours de la même journée et d’un jour à l’autre, alors qu’ellessont stables chez la personne non diabétique. Ces diffé-rences entre profils glycémiques chez les diabétiques et lesnon diabétiques sont dues aux perturbations métaboliqueset hormonales qui caractérisent le diabète de type 2 [15] :a) un déficit plus ou moins intense de l’insulinosécrétion ;

Figure 2.Évolution de la sensibilité au glucose explorée

par le clamp glycémique lors du passage progressif de l’état normal vers le diabète patent (d’après la référence 11).

Figure 3.Évolution de la glycémie et de l’insulinémie au cours d’une épreuve

d’hyperglycémie provoquée orale lors du passage progressif de l’état normal vers le diabète patent (d’après la référence 11).

Gly

cém

ie (

mg/

dL)

Insu

line

(pm

ol/L

)

20

5

0

10

15

1500

500

0 60 120 0 60 120 0 60 120 0 60 120 Temps (mm)

Normaux Obèses Normaux

Obèses Intolérants

Obèses DS2

1000

Figure 4.Évolution de l’insulinorésistance, de la production hépatique du glucose,

de l’insulinosécrétion résiduelle (%) et des glycémies au cours de l’histoire naturelle du diabète de type 2.

Insulino résistance

Production hépatique du glucose

Insulino sécrétion %

Glycémie postprandiale

Glycémie à jeun

-8

100

50

0

-2 0 +8+2

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b) un état d’insulinorésistance et c) une augmentation de laproduction hépatique de glucose qui est à son maximumen fin de nuit et dans la matinée. Par exemple, ce derniermécanisme est responsable du phénomène de l’aube,c’est-à-dire de la remontée glycémique progressive etspontanée qui survient dans la deuxième partie de la nuità partir de 4 à 5 h du matin [19]. Sur le plan hormonal,en dehors de la diminution de l’insulinosécrétion, le diabètede type 2 est caractérisé par une augmentation de la sécré-tion de glucagon. Après ingestion d’un repas glucidique, lasécrétion d’insuline est insuffisamment stimulée chez le dia-bétique de type 2 et la sécrétion du glucagon est insuffi-samment freinée [7]. La combinaison de ces 2 anomaliesexplique que les flux du glucose soient perturbés enpériode postprandiale : persistance d’un flux d’utilisationfaible et d’un flux de production hépatique élevé. Ces der-nières perturbations conduisent à la dérive excessive desglycémies au cours de la période qui suit le repas, en par-ticulier celle qui suit le petit déjeuner : le phénomène del’aube « étendu » (fig. 5) [14].

L’hyperglycémie postprandiale : contribution à l’hyperglycémie globaleLe rôle de l’hyperglycémie postprandiale en tant que contri-buteur à l’hyperglycémie globale a été soulevé par les étu-des de corrélations entre HbA1c et valeurs glycémiquesmesurées à différents moments de la journée : périodes dejeûne et postprandiales. Qu’il s’agisse des glycémies àjeun, postprandiales ou moyennes, toutes sont corrélées àl’HbA1c bien que ce soit en général la glycémie moyennequi corrèle le mieux avec l’HbA1c [2]. Dans tous les casde figure, si on souhaite avoir une vision détaillée de ladysglycémie du diabétique, il est souhaitable d’évaluer ceque nous désignons sous le terme de « triade glucose »[20] : HbA1c, glycémie à jeun, glycémie postprandiale eten deuxième lieu de sortir du point de vue réducteur quiconsisterait à affirmer que l’un des paramètres de la triadeglucose : l’HbA1c, la glycémie de jeûne ou la glycémiepostprandiale, est plus important, ou moins important queles autres. Tous ont leur intérêt et doivent être traités surle même pied d’égalité en sachant toutefois que lescontributions respectives de l’hyperglycémie à jeun et del’hyperglycémie postprandiale à l’hyperglycémie globalevarient avec le niveau de l’HbA1c [21, 22]. Dans un tra-

vail publié en 2003 [22], nous avons démontré que lacontribution relative de l’hyperglycémie postprandiale estde l’ordre de 70 % chez les diabétiques dont l’HbA1c estinférieure à 7,3 %. Cette contribution diminue progressive-ment lorsque l’équilibre diabétique se détériore, pour lais-ser la place à une contribution progressivement croissantede l’hyperglycémie à jeun. Ces résultats ont été confirmésdans un travail récent réalisé en utilisant des enregistre-ments glycémiques continus ambulatoires (CGMS) dans lediabète de type 2 (fig. 5) [14]. Les résultats montrent queles glycémies à jeun et postprandiales sont bien contrôléeslorsque l’HbA1c est inférieure à 6,5 %. Lorsque l’HbA1cdépasse 8 %, l’hyperglycémie est globale, touchant à lafois les périodes nocturnes, postprandiales, préprandiales(avant le petit déjeuner) et interprandiales. Dans la zoneintermédiaire, entre 6,5 et 8 %, on assiste à une dégrada-tion progressive et précoce des glycémies postprandiales,surtout après le petit déjeuner, puis à une dégradation desglycémies préprandiales en fin de nuit. Cette dernièredétérioration qui correspond au phénomène de l’aubedémarre 2 à 3 h avant la prise du petit déjeuner. Ainsipour des raisons diamétralement opposées, il apparaîtque la mesure de la glycémie postprandiale n’a qu’un inté-rêt limité dans deux situations : a) quand l’HbA1c est infé-rieure à 6,5 % et b) quand elle est supérieure à 8 %. Enrevanche, sa mesure est particulièrement importante lors-que l’HbA1c se situe dans une zone intermédiaire entre6,5 et 8 %. Le fait que la dégradation de l’hyperglycémieprandiale précède en général celle de l’hyperglycémiebasale devrait avoir des conséquences pour le traitementdiététique et pharmacologique du diabète de type 2. Enpremier lieu, les mesures diététiques sont surtout intéres-santes à appliquer lors du repas, le plus souvent le petitdéjeuner qui est responsable des plus fortes excursionsglycémiques [14, 23]. C’est donc sur le petit déjeuner qu’ilfaudrait exercer une vigilance particulière en termes demesures diététiques tant quantitatives que qualitatives. Ensecond lieu, les traitements pharmacologiques du diabètesucré devraient tenir compte de l’importance respectivedes hyperglycémies postprandiales et basales. Dans tousles cas, l’hyperglycémie postprandiale doit être prise encompte car son impact sur l’HbA1c est constant et égal à1 % (en pourcentage de point d’HbA1c) quel que soit leniveau de l’HbA1c.Compte tenu de cette donnée, envisageons trois patientsayant des niveaux d’HbA1c à 7 %, 8 % et 10 %. Si noussupposons que le taux d’HbA1c est égal à 5 % chez unepersonne non diabétique, on peut conclure que lesimpacts respectifs des hyperglycémies postprandiales etbasales sur l’HbA1c sont les suivants : a) pour lepatient 1 : 1 % pour le postprandial et 1 % pour le basal ;b) pour le patient 2 : 1 % pour le postprandial et 2 %pour le basal ; c) pour le patient 3 : 1 % pour le postpran-dial et 4 % pour le basal. Dans ces conditions, l’objectifthérapeutique (HbA1c < 6,5 %) ne pourra être atteint parun traitement isolé de la glycémie postprandiale que chezle patient 1. Dans les 2 autres cas (patients 2 et 3), il con-viendra d’abord d’associer un traitement de l’hyperglycé-mie basale à celui de l’hyperglycémie postprandiale. Pourcertains auteurs, les 2 traitements doivent être envisagésde manière concomitante, pour d’autres ils devraient êtreséquentiels en 2 étapes : traitement en premier lieu del’hyperglycémie basale en ramenant l’HbA1c entre 7 et8 %, suivi par un traitement de l’hyperglycémie postpran-diale pour obtenir une HbA1c < 6,5-7 %.

Figure 5.Profils glycémiques chez des diabétiques de type 2, non insulinés,

à différents niveaux d’HbA1c (d’après la référence 14).

Petit déjeuner

15

14

13

12

11

10

9

8

7

6

50 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24

0.7

Durée du diabète (années)

Temps (heures)

matin

4.48.4

10.0

11.5

Con

cent

ratio

n de

glu

cose

(m

mol

/L) période nocturne Postprandiale (période diurne)

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En conclusion, de manière plus générale, il apparaît quele choix du traitement du diabète sucré de type 2 devraitêtre modulé en fonction des niveaux d’HbA1c et des pro-fils glycémiques. Ces deux données permettent une per-sonnalisation des traitements qui doivent être plus oumoins ciblés sur l’hyperglycémie prandiale ou basale selonque l’une prédomine par rapport à l’autre.

Résumé

L’hyperglycémie postprandiale contribue à la fois àl’hyperglycémie chronique dont l’HbA1c est le marqueurde référence et aux fluctuations aiguës de la glycémieentre pics et nadirs. La physiologie nous apprend qu’unsujet non diabétique passe environ la moitié de sa vie enétat postprandial. Toutefois, chez le sujet normal, lesmontées glycémiques postprandiales restent limitées endurée et en amplitude. Le passage de l’état normal au dia-bète patent se fait par étapes successives. La première quiva de l’état normal à l’intolérance au glucose est caracté-risée par une dégradation du contrôle glycémique limitéeà la phase postprandiale. La deuxième qui va de l’intolé-rance au glucose au diabète patent se traduit par l’apparitionde désordres glycémiques en fin de nuit (phénomène del’aube), par une dégradation progressive de la glycémie àjeun, et par une aggravation progressive et supplémen-taire des désordres glycémiques dans les périodes qui suiventles repas. Cette évolution est expliquée par 3 anomaliesdésignées sous le terme de triumvirat biologique : a) undéficit progressif de l’insulinosécrétion endogène ; b) unétat d’insulinorésistance qui évolue au cours du temps ;c) une exagération de la production hépatique du glucosequi est à son maximum en fin de nuit et dans la matinée.Ces observations indiquent que la surveillance des désor-dres glycémiques chez le diabétique de type 2 doit portersur les 3 éléments suivants désignés sous le terme de« triade glucose » : l’HbA1c, la glycémie à jeun, les glycé-mies postprandiales. De manière plus générale, l’évalua-tion des profils glycémiques est d’une grande utilité dansle choix et l’adaptation des traitements qui doivent êtreplus ou moins ciblés sur l’hyperglycémie prandiale oubasale selon que l’une prédomine par rapport à l’autre.

Mots-clés : Glycémie postprandiale – Physiologie et patho-logie.

Abstract

Postprandial glucose excursions contribute to bothchronic sustained hyperglycaemia and acute glucosefluctuations from peaks to nadirs. Lessons from phy-siology indicate that non diabetic persons spend half oftheir life in postprandial states. However, in normalsubjects, postmeal glucose increments remain limitedin duration and magnitude. Progression from normalstages to frank diabetes is a stepwise process. The firststep from normal to impaired glucose tolerance (IGT)is characterised by a glycaemic deterioration limited tothe postprandial period. The second step from IGT todiabetes corresponds to a loss of glycaemic control atthe end of the night (dawn phenomenon) followed bya progressive increase in fasting glucose and by an

additional deterioration of postmeal glucose excur-sions. This progression is explained by three maindisorders (the biological triumvirat): a relentless defectin β-cell function, an insulin resistance that progressesover the time course of the disease, and an hepatic glu-cose overproduction that reaches a peak at the end ofthe overnight fast. These observations indicate that themonitoring of glycaemic disorders in type 2 diabetesshould include the three parameters of the "glucosetriad": the HbA1c, the fasting glucose and the post-meal values. More generally, the assessment of glycae-mic profiles over daytime is helpful for choosing andtailoring the treatments according to whether the pran-dial or the basal hyperglycaemia is predominant.

Key-words: Postprandial glucose – Physiology andpathology.

Conflit d’intérêt

Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt enrapport au contenu de cet article.

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