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1 La grandeur de la chasteté chrétienne Jean-Marie Hyacinthe QUENUM SJ 1 La révolution sexuelle du vingtième siècle a libéré les hommes et les femmes des tabous qui les empêchaient de vivre leur désir charnel de manière éclairée et responsable. Dans le prolongement de la libération sexuelle du siècle passé, est – il encore possible de parler de la chasteté comme une vertu assurant l’intégration de la personne humaine dans sa capacité d’aimer ? Dans les sociétés contemporaines saturées d’expressions sexuelles, que vaut la chasteté de l’homme et de la femme au regard du laxisme ambiant et de la permissivité d’aujourd’hui? La virginité dans la vie consacrée et la fidélité dans le mariage sont-elles aujourd’hui des vertus ringardes, désuètes, incongrues et insolites ? Nous réfléchirons sur la grandeur de la chasteté chrétienne dans une perspective évangélique de foi en nous référant au baptême comme une consécration sans partage de la personne humaine convertie à Jésus, le Christ et Seigneur ( 1Corinthiens 6, 12). Dans la perspective du baptême, le corps humain de la personne convertie à l’évangile, appartient au Seigneur, Jésus le Christ (Romains 6, 3-4 ; 12-13). Ce corps humain, temple de l’Esprit Saint est le centre visible du rayonnement physique, psychique et spirituel de la personne dans le don d’elle-même à Dieu et aux autres. Le corps humain du baptisé devenu la demeure de la Sainte Trinité et membre du corps mystique de Jésus le Christ épouse les caractéristiques fondamentales de la chasteté du Fils de Dieu fait homme, premier-né d’entre les morts. 1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et Maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun.

La grandeur de la chasteté chrétienne

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La grandeur de la chasteté chrétienne

Jean-Marie Hyacinthe QUENUM SJ 1

La révolution sexuelle du vingtième siècle a libéré les hommes et les femmes des tabous qui les empêchaient de vivre leur désir charnel de manière éclairée et responsable.

Dans le prolongement de la libération sexuelle du siècle passé, est –il encore possible de parler de la chasteté comme une vertu assurant l’intégration de la personne humaine dans sa capacité d’aimer ?

Dans les sociétés contemporaines saturées d’expressions sexuelles, que vaut la chasteté de l’homme et de la femme au regard du laxisme ambiant et de la permissivité d’aujourd’hui?

La virginité dans la vie consacrée et la fidélité dans le mariage sont-elles aujourd’hui des vertus ringardes, désuètes, incongrues et insolites ?

Nous réfléchirons sur la grandeur de la chasteté chrétienne dans une perspective évangélique de foi en nous référant au baptême comme une consécration sans partage de la personne humaine convertie à Jésus, le Christ et Seigneur ( 1Corinthiens 6, 12).

Dans la perspective du baptême, le corps humain de la personne convertie à l’évangile, appartient au Seigneur, Jésus le Christ (Romains 6, 3-4 ; 12-13).

Ce corps humain, temple de l’Esprit Saint est le centre visible du rayonnement physique, psychique et spirituel de la personne dans le don d’elle-même à Dieu et aux autres.

Le corps humain du baptisé devenu la demeure de la Sainte Trinité et membre du corps mystique de Jésus le Christ épouse les caractéristiques fondamentales de la chasteté du Fils de Dieu fait homme, premier-né d’entre les morts.

Ce corps humain du baptisé transfiguré par le mystère de la résurrection et délivré des peurs et des convoitises est par la pratique de la chasteté, le centre par excellence du don de la personne à Dieu et aux autres.

Allié d’un authentique amour, le corps humain, par la pratique de la chasteté, valorise la parole échangée, la qualité des relations d’intimité, une vie partagée et le mystère de la personne dont il est le point d’incandescence.

1. La Chasteté, une pratique positive qui affermit la personne humaine dans sa capacité d’aimer.

1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et Maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun.

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La pratique de la chasteté commence dès la tendre enfance. Elle est une expérience fondatrice qui s’impose dans les relations parents-enfants.

En effet, en allaitant leurs enfants et en prenant soin d’eux, les parents interviennent sur leur corps pour y inscrire ordre et modération dans la gestion du désir et du plaisir.

Les travaux de Sigmund Freud montrent éloquemment que la pratique de la chasteté est inhérente au développement psychologique et à la maturité affective de l’enfant et de l’adolescent2.

Associée aux fonctions génitales et aux pulsions sexuelles, la pratique de la chasteté diffère la satisfaction du désir, socialise et humanise l’homme et la femme et détermine leur rapport à leurs propres corps et à celui d’autrui.

La pratique de la chasteté enrichit les possibilités d’exercice du désir, de la génitalité et de la sexualité comme des dons merveilleux de plaisir, de communication, de communion et de don de soi aux autres.

L’engagement amoureux dans le dévouement et la fidélité sans partage du mariage renforce les liens de fécondité corporelle, sociale et spirituelle de la personne humaine3.

Ainsi la chasteté a une valeur positive en structurant la personne dans sa capacité d’aimer son corps humain.

Le corps humain devient ainsi le lieu d’ouverture aux autres dans le respect de la dignité humaine des autres corps qui ne sont point des objets à consommer, à exploiter ou à dominer, mais des sujets à aimer (Jean 13,34).

Une discipline s’impose à toute personne humaine, par la pratique de la chasteté pour soumettre les pulsions du corps et la force de l’instinct à la raison et à la volonté.

La modestie du regard, le dépouillement du cœur humain de la convoitise et le renoncement aux plaisirs narcissiques sont des moyens psychologiques et spirituels pour apprécier et intégrer le corps sexué comme un don pour la communion et l’amour.

La chasteté loin d’être une privation de plaisir ou une absence d’union sexuelle est une manière d’être qui apprécie le corps humain comme la présence visible de la personne désirante dans son ouverture aux autres corps sexués.

La chasteté est la capacité de vivre son corps sexué comme une ouverture au monde et à l’univers des autres corps.

Elle est capacité d’amour et de relation qui produit les émotions d’intimité et d’affection.

La chasteté est la capacité d’aimer et d’être aimé avec la distance et le respect qu’exige une communion authentique qui débouche sur la joie.

2 Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, 1971. 3 Xavier Léon –DUFOUR, Mariage et célibat, Cerf, coll. « COGITATIO FIDEI” 1965, pp. 25-38.

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2. La chasteté de l’homme et de la femme au service de l’amour

Les baptisés consacrent leurs corps humains au Seigneur, Jésus le Christ en devenant membres de son corps mystique.

Le corps humain des baptisés illuminé par le mystère de la résurrection du Christ devient une présence visible ordonnée à l’amour gratuit, désintéressé et oblatif.

Les baptisés qui s’engagent à vivre dans la continence jusqu’au mariage font l’option de désirer l’autre pour lui-même et non pour le plaisir immédiat qu’il procure.

L’expérience de la continence est pour les baptisés une meilleure préparation pour vivre la chasteté conjugale ou la chasteté permanente des personnes consacrées dans la vie cléricale ou celle des instituts religieux ou apostoliques.

Désirer l’autre pour lui-même est la marque d’une maturation affective qui sait reconnaître l’autre comme autre capable d’une parole échangée et d’une vie partagée sous le signe de l’alliance4.

Les époux chrétiens qui vivent la chasteté conjugale dans la fidélité à leur union monogamique s’engagent à vivre l’aventure amoureuse dans l’acceptation de la différence qui débouche sur une altérité enrichissante5.

Ils développent entre eux une union intime exclusive ouverte à l’amour érotique et romantique s’épanouissant dans une vie familiale au sein de l’Église domestique.

En personnes mûres et responsables, évêques, prêtres et diacres et membres d’instituts de vie consacrée et apostolique vivent librement et volontairement comme des eunuques du Royaume dans la pureté et la virginité fécondes de cœur et de corps (Matthieu 19, 12).

L’expérience de la chasteté des personnes consacrées est le renoncement à l’exercice de la sexualité génitale en vue de promouvoir les valeurs du Royaume de Dieu6.

Les valeurs du Royaume de Dieu ont noms : relation à Dieu, service d’amour du prochain, établissement de communautés fraternelles et égalitaires, service de la justice, de la communion et de la réconciliation dans l’esprit de l’évangile.

Pour promouvoir les valeurs du Royaume de Dieu les baptisés dans le respect de leurs appels respectifs acceptent de suivre le Christ chaste en unissant leur solitude affective à celle du Christ se donnant sans retour sur lui-même à l’humanité.

En portant la croix de la chasteté, les disciples du Christ chaste se convertissent aux valeurs du royaume et leur mort à eux-mêmes débouche sur la vie de relations inter- personnelles élargissant leurs cœurs libérés aux dimensions du Royaume de Dieu.

4 Jack DOMINIAN, Passionate and Compassionate Love: a vision for Christian marriage, DLT 1991, p 94 -95. 5 Donald Evans, “Can Christian teaching be good news about sex?” CONCILIUM, 1982. 6 Edward SCHILLEBEECKX, Celibacy. New York: SHEED and Ward, 1968.

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3. La virginité dans la vie consacrée et la fidélité dans le mariage

Beaucoup de baptisés continuent en notre temps de laxisme et de permissivité sexuelle d’adopter l’état de virginité dans l’état clérical et dans les instituts de vie consacrée et apostolique.

Les baptisés qui ont l’expérience de la continence sexuelle se sentent appelés pour des motifs apostoliques et eschatologiques à accueillir le don du célibat consacré.

Ce célibat consacré est inspiré par l’Esprit Saint en vue du service des pauvres, des malades, des rejetés, des exclus, des marginalisés et des handicapés de la vie.

Le désir d’une plus grande intimité avec Jésus le Christ pousse des hommes et des femmes à imiter le Christ dans l’état de Chasteté comme un trésor caché découvert au fond du cœur épris de la liberté d’aimer sans s’enfermer dans un amour érotique et romantique.

La chasteté en vue du Royaume de Dieu fait participer le baptisé consacré à la vie nouvelle de foi, d’amour et d’espérance de Jésus le Christ, vainqueur de la mort et promoteur d’un monde plus fraternel, plus juste, plus solidaire et plus réconcilié.

En renonçant à l’exercice de leur sexualité génitale, le baptisé consacré donne la priorité à sa relation à Dieu traduite souvent par un amour détaché de toutes formes d’égoïsmes.

Dieu en unissant l’homme et la femme dans les liens du mariage, appelle les époux au don mutuel de leurs corps (1 Corinthiens 7, 3-5 ; Ephésiens 5,21-32).

En effet, le mariage des baptisés promeut un amour généreux et parfait à l’exemple du Christ se donnant entièrement à son Église perçue comme son épouse7.

En vivant dans leur mariage le mystère de l’union du Christ avec l’Église, les baptisés vivent pleinement leur sexualité dans un dialogue existentiel qui n’exclut pas leur ouverture à Dieu dans la prière personnelle (1Corinthiens 7, 5).

Le mariage des baptisés est une valeur érigée en sacrement qui exprime l’union du Christ avec l’Église. Mais l’union charnelle de l’homme et de la femme dans le mariage sacramentel n’épuise pas le mystère de l’union du Christ avec son Église.

La fécondité de l’union du Christ avec son Église peut se traduire aussi par le célibat consacré des vierges, des veuves, des religieux et des clercs.

Les personnes consacrées des deux sexes peuvent trouver leur épanouissement humain en s’unissant au Seigneur à travers la rencontre solitaire d’une vie contemplative qui donne sens à leur service d’amour de l’humanité.

Aussi pouvons-nous affirmer sans risque d’erreur que la virginité et la fidélité dans le mariage monogamique ne sont point des vertus ringardes, insolites et étranges. Ce sont des contre-valeurs d’une

7 Pierre GRELOT, Le couple humain dans l’Écriture, Cerf, 1962.

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société laxiste et permissive qui range le sexe au nombre des biens consommables bafouant la dignité de la personne dans sa capacité d’aimer.

Conclusion :

La grandeur de la chasteté chrétienne réside dans le fait de l’incarnation.

Le fils de Dieu en venant dans le monde de la création originelle à travers les traits de l’époux élève le mariage des baptisés au rang de sacrement.

L’union charnelle des époux baptisés exprime la fécondité de l’union du Christ avec l’Église dont il est la tête.

Les époux baptisés s’aiment en s’inspirant de la fidélité du Christ envers son Église.

La chasteté conjugale tire ses lettres de noblesse de la fidélité du Christ dont l’amour parfait et exemplaire façonne les nouveaux rapports entre hommes et femmes dans l’exercice de la sexualité génitale en vue du Royaume de Dieu.

La venue du Christ dans le monde n’abolit pas l’œuvre créatrice qui se poursuit à travers la procréation dans le mariage des baptisés.

Le Christ en inaugurant la création nouvelle par sa résurrection fonde la virginité comme un état anticipant le monde eschatologique.

En effet, « A la résurrection on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel (Matthieu 22,30).

Ainsi la grandeur de la chasteté chrétienne des personnes consacrées est le fait d’une vocation spéciale à imiter la chasteté du Fils de Dieu fait homme.

La réponse libre à cette vocation spéciale en fait une option personnelle, libre et volontaire.

La chasteté chrétienne des personnes consacrées est un charisme de l’Esprit Saint qui rend féconds les ministères du Royaume de Dieu.

Le mariage comme institution divine de la première alliance est la voie commune pour vivre la sexualité ordonnée à l’amour des conjoints, à la procréation, à l’éducation et à la socialisation des enfants.

Le mariage tout en étant le sacrement de l’union du Christ avec l’Église, ne fait pas l’objet d’un appel spécial du Christ comme l’est l’appel au célibat consacré.

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