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La justice transitionnelle dans le monde francophone : état des lieux Conference Paper 2/2007 Dealing with the Past – Series Ministère des Affaires étrangères de la République française Centre international pour la justice transitionnelle Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l'homme et la démocratie en Afrique centrale Schweizerische Eidgenossenschaft Confédération suisse Confederazione Svizzera Confederaziun svizra Département fédéral des affaires étrangères DFAE

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La justice transitionnelle dans lemonde francophone: état des lieux 

Conference Paper 2/2007Dealing with the Past – Series

Ministère des Affaires étrangères de la République française

Centre international pour la justice transitionnelle

Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de

l'homme et la démocratie en Afrique centrale

Schweizerische EidgenossenschaftConfédération suisse

Confederazione Svizzera

Confederaziun svizra

Département fédéral des affaires étrangères DFAE

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Publisher: Political Affairs Division IV, Federal Department of Foreign Affairs FDFAGeneral Editor: Mô BleekerVolume Co-Editor: Carol MottetManaging Editors: Fabien Pasquier, Geneviève SwedorIllustrations: ©2000: Jonathan SissonCopies: 1500Ordering Information: Political Affairs Division IV,

Federal Department of Foreign Affairs FDFA, Bundesgasse 32, CH-3003 Bern 7Email: [email protected]: www.eda.admin.chISBN 978-3-033-01231-8

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Conference Paper 2 | 2007

Dealing with the Past – Series

La justice transitionnelle dans le mondefrancophone : état des lieux

Mô Bleeker, General Editor

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Table des matières

1  Introduction _____________________________________1 

2  Justice transitionnelle : principes et standardsinternationaux — un état des lieux _________________3 

2.1  Un état des lieux des principes et standards internationaux de la justice transitionnelleLouis   Joinet  

3  Mécanismes de la justice transitionnelle ___________17 

3.1  Commissions de vérité : mythes et leçons apprises

Eduardo González Cueva 17

 

3.2  Cour pénale internationale et principe de la complémentaritéWilbert van Hovell 21 

3.3  Le système gacaca au Rwanda : avantages et limites  Joseph Sanane Chiko 29 

3.4  Réforme du système de sécurité et procédures de vérificationet de filtrage de la fonction publique (vetting)Alexander Mayer-Rieckh 43 

3.5  Politique de réparations : rôle normatif et défis des questionsde genre et de l'identitéPaige Arthur 53 

3.6  Politiques de réparation et réhabilitation des victimesLucien Toulou 61 

4  La justice transitionnelle dans tous ses états :études de cas____________________________________71 

4.1   Justice transitionnelle et construction d’une paix durable :des agendas complémentairesMô Bleeker 71 

4.2  Afrique du Sud

Olivier Kambala wa Kambala 83 

4.3  République démocratique du CongoDieudonné Diku Mpongola 105 

4.4  BurundiClotilde Ngendakumana 115 

4.5  PérouEduardo González Cueva 125 

4.6  OugandaChris Mburu 131 

4.7  Tchad

  Jacqueline Moudeina  

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4.8  AlgérieNassera Dutour 147 

Annexes___________________________________________157 

A. Recommandations du séminaire 157 

B. Allocutions liminaires 159 

C. Allocutions de clôture 171 

D. Auteurs 177 

Bibliographie ______________________________________183 

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  Introduction

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1  Introduction

Du 4 au 6 décembre 2006, un séminaire international sur l’état des lieux de la justice transitionnelle dans le monde francophone a eu lieu à Yaoundé (Cameroun).

Il a été organisé conjointement par le ministère français des Affairesétrangères, le Département fédéral des affaires étrangères de Suisse, le Centresous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratieen Afrique centrale et le Centre international pour la justice transitionnelle(ICTJ).

Ce séminaire a réuni une cinquantaine d'experts, acteurs clés d’horizons variéset praticiens de la justice transitionnelle, représentants de gouvernements,d’organisations non gouvernementales, d’universités et de diversesinstitutions internationales. Ces personnalités francophones, en provenance

d'une vingtaine de pays ont, pendant trois jours, partagé leurs expériences,leurs savoirs, leurs doutes et leurs inquiétudes relatifs à la justicetransitionnelle.

C'était aussi la première fois que cette thématique était abordée en référence àun contexte francophone, permettant de s'interroger sur les spécificités desexpériences et des besoins des sociétés situées dans des espaces francophoneset confrontées à un héritage douloureux du passé.

Le séminaire se proposait plusieurs objectifs :

1.  Faire l’état des lieux des initiatives de justice transitionnelle dans lessociétés du monde francophone, notamment africain.

2.  Identifier les concepts, les leçons apprises et les bonnes pratiques enmatière de justice transitionnelle.

3.  Comprendre comment les expériences de justice transitionnelle ontcontribué au renforcement des droits de l’homme, à la promotion de laréconciliation et de la paix.

4.  Identifier les principaux défis qui se sont posés aux initiatives prises en

matière de justice transitionnelle dans les sociétés du mondefrancophone , comme les mécanismes de recherche de la vérité dansplusieurs pays africains, les efforts engagés dans la lutte contrel’impunité et les tensions entre la paix et la justice qu’elle engendre danscertains pays en transition.

5.  Identifier un certain nombre de stratégies à mettre en œuvre à court et àmoyen terme, qui permettront de développer de meilleures pratiquessur le terrain, des échanges d’expériences, le renforcement des capacitéset des connaissances des acteurs, des praticiens et des décideurspolitiques, ainsi que la recherche dans le domaine de la justicetransitionnelle.

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6.  Réfléchir aux modalités pratiques d’application de la justicetransitionnelle dans les régimes juridiques de tradition française et dans

les différents contextes juridiques, culturels et politiques africains.Ce document contient les communications présentées lors de ce séminaire.Nous avons jugé utile d’y adjoindre une bibliographie générale et quelquesliens Internet pour celles et ceux qui veulent effectuer de plus amplesrecherches. La liste des participants, ainsi que le programme détaillé sontdisponibles auprès des organisateurs ou sur leurs sites Internet.

Comme le vocabulaire de la justice transitionnelle nous vient essentiellementdes pays anglophones, nous avons opéré certains choix linguistiques pourcette édition française. Nous avons par exemple opté pour conserver

l’expression « justice transitionnelle », communément utilisée, même si c’estun anglicisme. Le terme vetting est traduit par « procédure de vérification etde filtrage de la fonction publique », le terme accountability par « transparenceadministrative » et l’expression empowerment of citizens (control capacity) par« renforcement de la capacité de contrôle citoyen ».

Ce séminaire a été riche en échanges, débats et questionnements. Il a permisd'approfondir la réflexion sur les exigences de la paix, de la réconciliation etde la justice, qui sont de grande actualité dans de nombreux pays du continentafricain et dans le monde francophone en général. Ces situations sont

effectivement très complexes et requièrent des sociétés en reconstructionqu'elles gèrent des équilibres délicats en réponse aux besoins parfoiscontradictoires auxquels elles font face. La remarque de Louis Joinet, dans sacommunication au séminaire, illustre bien notre préoccupation commune, àsavoir le besoin de développer des réflexions qui puissent éclairer et enrichirla pratique depuis divers contextes culturels, juridiques et politiques : « lesprincipes et standards que devrait respecter la justice transitionnelle [...],stricto sensu  , n’existent pas ou du moins pas encore. Le concept de justicetransitionnelle est d’apparition trop récente pour qu’il puisse être inséré dansle corset d’une démarche normative. Il doit conserver toute sa créativité

potentielle. Tout au plus peut-il être théorisé. Tel est le but de la présentecontribution. Il faut en débattre. D’où l’importance de ce séminaire qui nousaccueille à Yaoundé ».

Pour conclure, nous ne pouvons donc que souligner l’importance depoursuivre ce dialogue et ces échanges d’expériences, notamment entre lespraticiens et praticiennes du continent africain, qui ont en partage la languefrançaise. Yaoundé II est déjà à l’horizon ! 

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2  Justice transitionnelle : principes et standardsinternationaux — un état des lieux

2.1  Un état des lieux des principes et standardsinternationaux de la justice transitionnelle

Louis Joinet

2.1.1 Introduction

Avant de procéder à cet état des lieux, j’aimerais faire quelques commentairespour clarifier certains concepts.

1. « Justice de transition » ou « justice transitionnelle » ? Étantfrancophone, je préfère la première dénomination mais retiens laseconde, désormais  francisée et communément admise comme conceptde droit international.

2. On a parfois tendance à considérer la question de la justicetransitionnelle comme un « en soi » alors qu’elle n’est le plus souventque l’un des aspects particuliers, à un moment déterminant de l’histoired’un pays, d’un processus plus global dit « de transition politique ». Untel processus ne concerne donc pas que la seule administration de la  justice. Devant toujours être resitué dans le contexte plus global du

processus de transition politique en cours, il concerne tout autantl’Exécutif (gouvernement de transition — et non provisoire — mis enplace selon une procédure négociée et pour une période donnée), leLégislatif (gouverner par décret ou toute autre forme dans l‘attente del’installation d’une instance législative élue) que le Judiciaire.

3. Chacun de ces processus politiques a sa propre spécificité. Aucun neressemble à l’autre. On peut cependant distinguer deux grandescatégories :

– d’une part les processus qui accompagnent le passage de la guerrevers la paix par la négociation d’un accord de paix au terme duquel le bulletin de vote se substitue progressivement aux armes, notammentcelles de la guérilla ;

– d’autre part ceux qui, n’étant pas liés à un conflit armé, ont pour objetde progressivement faciliter le passage d’un régime autoritaire, voiretotalitaire, à un état de droit par la négociation d’un accord politiquede transition, quelle que soit sa dénomination (dialogue national,coalition ou pacte démocratique, plate-forme nationale ou autres).

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4. « Réconciliation » ou « conciliation » ? Mon rapport à la Sous-Commission des droits de l’homme des Nations Unies sur la protection

et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité1

 préconise l’emploi du terme « conciliation » préalablement à celui de« réconciliation ». La conciliation relève de la démarche collective. Elleimplique, à un moment ou un autre, un minimum de dialogue. Laréconciliation, en revanche, relève de la morale en ce qu’elle passe parun acte personnel, le pardon. Mais à qui pardonner si l’auteur n’esttoujours pas identifié ? Pourquoi lui pardonner s’il n’a pas manifesté lemoindre repentir ? Le pardon implique qu’il soit demandé. Pourpouvoir tourner la page, dit-on, encore faut-il qu’elle ait été lue.

Qu’il s’agisse d’un accord de paix ou d’un accord politique, quelles sont, dansces deux cas de figure, les problématiques communes ? Tout processustransitionnel est rapidement confronté à trois fortes demandes sociales : ledroit de savoir, le droit à la justice, le droit à réparation, droits qui sontétroitement liés à l’administration de la justice transitionnelle. Pour desraisons de temps, nous nous limiterons à l'examen des deux premiers.

2.1.2 Justice transitionnelle et droit de savoir

Avant même que ne passe la justice, une réponse doit être apportée au« besoin de savoir ». Telle est la thèse avancée dans le rapport précité surl’impunité. Deux raisons à cela : il s’agit certes d’un droit individuel qui, pourla victime, facilitera ultérieurement l’exercice de son « droit à la justice » ; maisil s’agit surtout d’un droit collectif qui trouve ses racines dans cette lancinantequestion qui se pose à tous, oppresseurs et opprimés : « Comment en est-onarrivé là ? »

D’où l’émergence relativement récente, au fur et à mesure de la chute desrégimes autoritaires ou dictatoriaux, d’une double préoccupation pourrépondre à cette question : créer, quelle qu’en soit la dénomination, des

commissions non judiciaires d’enquête communément appelées commissionsde vérité et réconciliation et assurer à bref délai la préservation des archivesde l’oppression.

______________________

1 E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1.

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   Justice transitionnelle : principes et standards internationaux – un état des lieux

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2.1.2.1 Justice transitionnelle et commissions de vérité et réconciliation

C’est ce droit de savoir qui, dans de nombreux pays en sortie de crise, est àl’origine de la création de telles commissions, dans l’attente que la justice soiten mesure de prendre le relais. Leur mission est donc moins de recueillir despreuves de type judiciaire que des informations permettant de mieuxcomprendre les mécanismes de l’oppression violatrice pour en éviter lerenouvellement.

Dans la mesure du possible, de telles investigations doivent être menées àrelativement bref délai, avec célérité et, soulignons le encore, sans revêtir uncaractère judiciaire. Il faut en effet éviter, par exemple, ce que fut la tristeexpérience de la France en 1944 lorsqu’à la Libération, plusieurs milliers de

personnes furent exécutées avec la caution d’une justice transitionnelleexpéditive. Une bonne justice, fût-elle transitionnelle, ne saurait être sommairesauf à devenir une parodie de justice de nature à compromettre le processustransitionnel lui-même.

Les pionniers des commissions de vérité et réconciliation furent les Argentinspuis les Chiliens. La première de ces commissions a été créée en 1984 à BuenosAires, après la chute de la dictature, par le président Alfonsindémocratiquement élu. Dénommée « Commission nationale sur les personnesdisparues » (CONADEP), ses travaux ont essentiellement porté sur les

disparitions forcées. Son rapport a été publié en septembre 1984 et lesnombreux témoignages recueillis ont permis d’identifier des lieux clandestinsde détention.

Au Chili, le président Alwyn créa la Commission nationale de vérité etréconciliation par décret du 25 avril 1990. Son mandat, plus large, portait surl'ensemble des violations des droits de l'homme. Son rapport, publié en 1991,illustre tout à fait cette recherche, en période de transition, du « Commentavons-nous pu en arriver là ? » L’un de ses chapitres est par exemple consacréà l’analyse du comportement de la société chilienne sous la dictature. Y sontsuccessivement analysés le comportement de la classe politique, celui dessyndicats, de la presse, des organisations non gouvernementales, des églises,etc. Ce fut l’amorce d’un premier examen de conscience collectif, initialementscellé par un acte symbolique également collectif très fort auquel j’ai assisté.Le jour de son intronisation, le président Alwyn a conduit sur les lieux mêmedu Stade national — où tant de citoyens avaient été détenus, persécutés,torturés lors du coup d’État de 1973 — une cérémonie au cours de laquelle,dans un long et impressionnant silence, ont « défilé » sur le tableau d’affichagedu stade les noms de milliers de Chiliens disparus.

Puis on est passé, conciliation aidant, à un dialogue permettant de favoriser

l’amorce d’une lente évolution vers un éventuel processus de réconciliation.

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C’est ainsi que quelques années plus tard ont été mises en place des « tablesrondes » auxquelles participaient d’une part des représentants des victimes,

de la société civile ainsi que des autorités civiles, et d’autre part des militairesreprésentant en quelque sorte l’institution des anciens oppresseurs impliquésdans les violations graves des droits de l’homme, spécialement en ce quiconcerne la pratique des disparitions forcées.

Le but était de commencer à apporter une réponse à cette autre questionqu’implique le droit de savoir : « Que sont-ils devenus ? » Même si beaucoupreste à faire, c’est en partie grâce à ce processus que l’on a réussi, avec lacoopération de certains militaires chiliens, à localiser des charniers, à identifierdes corps de disparus et ainsi permis à des familles d’assumer leur deuil.

Le cas de l’Afrique du Sud mis à part (pour des raisons spécifiques surlesquelles nous reviendrons), de nombreuses autres commissions du mêmetype ont été créées par la suite, notamment en El Salvador, au Guatemala, auGhana, au Nigéria, en Équateur, à Panama, au Pérou, au Timor oriental, etc.

Ces commissions remplissent par ailleurs une mission essentielle deréhabilitation à l’égard des défenseurs des droits de l’homme. Quand la rouede l’histoire finit par tourner, on s’aperçoit que les allégations desorganisations non gouvernementales, généralement qualifiées degrossièrement mensongères par les États concernés, étaient bien en deçà de la

réalité finalement révélée.

2.1.2.2 Transition et préservation des archives de l’oppression

Autre aspect essentiel du droit de savoir, la question de la préservation desarchives de l’oppression : « La connaissance par un peuple de l’histoire de sonoppression appartient à son patrimoine et comme telle doit être préservée pardes mesures appropriées au nom du devoir de mémoire qui incombe à l’État.Ces mesures ont pour but de préserver de l’oubli la mémoire collective

notamment pour se prémunir contre le développement de thèsesrévisionnistes et négationnistes »2. 

Pour préserver ce précieux auxiliaire du droit de savoir, puis par la suite dudroit à la justice, que sont les archives de l’oppression, des mesuresconservatoires doivent être prises dès qu’est amorcé le processus de transition,pour éviter qu’elles ne disparaissent. Le rapport précité propose justement

______________________

2  Ibid., Principe 2.

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une série de mesures urgentes destinées à limiter les risques soit dedestruction du fait des anciens oppresseurs, soit de détournement — ainsi

qu’on a pu le constater avec les archives du KGB — par des trafiquants qui selivrent, en connivence avec des collectionneurs indélicats, à un marché noird’archives ou plus banalement, hélas, à des actes de chantage.

La préservation des archives peut même poser de délicats problèmespolitiques lorsqu’elles ont été détournées par transfert dans un pays étranger.Citons à titre d’exemple un cas qu’il m’a été donné de connaître dans le cadrede mon mandat d’expert indépendant désigné par le Secrétaire général desNations Unies sur la situation des droits de l’homme en Haïti. Il s’agissait enparticulier des archives de la dictature du général Cédras. A sa chute, cesarchives, qui contenaient en particulier celles des groupes paramilitaires (les« FRAPH »), ont été « exfiltrées » vers les États-Unis par les autoritésaméricaines. Après de nombreuses démarches et pressions, elles ont étéfinalement restituées aux autorités haïtiennes mais après qu’aient été noircis ,pour ne pas dire censurés, les passages les plus compromettants et ceci enapplication du Freedom of Information Act  , c’est-à-dire de la législationaméricaine.

2.1.3 Justice transitionnelle et droit à la justice

Ce droit repose sur un principe fondamental du droit international des droitsde l’homme selon lequel « Toute personne a droit à ce que sa cause soitentendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial »3. Il estdonc très important que, dès le début du processus transitionnel, une hautepriorité soit donnée à la réforme de l’administration de la justice pouratteindre la vitesse de croisière de la justice ordinaire et éviter que, la routineaidant, la justice transitionnelle ne vienne annihiler l’esprit de réforme.

La création de cours pénales internationales ad hoc (ex-Yougoslavie, Rwanda)ou de la Cour pénale internationale ne dispense pas les États de rendre justice

eux-mêmes des crimes selon le droit international commis sur leur territoire.La compétence des juridictions internationales ne reprend en effet saprééminence que si la procédure devant la juridiction interne a eu pour but« de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour descrimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale » ou « n’a

______________________

3 Voir notamment l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies, le 16 décembre

1966.

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pas été menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect desgaranties d’un procès équitable prévues par le droit international, mais d’une

manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec le motif pourlequel l’intéressé a été traduit en justice »4. 

A cette raison d’ordre juridique s’ajoute une raison d’ordre technique. Les  juridictions internationales, compte tenu de l’importance et de la complexitédes dossiers dont elles sont saisies, ne peuvent juger qu’un nombre très limitéd’auteurs de violations graves des droits de l’homme. Cette contrainteexplique par exemple que le Bureau du procureur de la Cour pénaleinternationale (CPI) donne priorité aux poursuites visant de hautsresponsables politiques ou militaires, en raison de leur responsabilité dans lacommission de crimes graves selon le droit international ; cela pour que passela justice et que joue l’exemplarité. En ce sens, la CPI joue un rôle nonseulement répressif mais également préventif en tant qu’épée de Damoclès brandie sur les oppresseurs en puissance.

2.1.3.1 Principales difficultés que doit surmonter la justice transitionnelle

Priorité donc, en phase transitionnelle, aux tribunaux nationaux. Mais alors,comment éviter qu’ils ne demeurent une cause majeure d’impunité ? Pour s’entenir à l’essentiel on citera les difficultés suivantes :

 Appareil judiciaire souvent détruit dont hérite la justice transitionnelle

Tel fut le cas au Timor, ainsi que j’ai pu le constater lors d’une missioneffectuée après le départ des troupes indonésiennes (palais de justiceincendiés, archives judiciaires, état civil et cadastre détruits, etc.), ou encore enHaïti, où de nombreux commissariats et prisons ont été rendus inutilisablesaprès le départ du président Aristide. Dans de nombreuses localités, celarendait impossible le strict  respect des standards internationaux dans ledomaine, par exemple, de la garde à vue et de la détention. Dans ce casextrême, il n’est d’autre solution pour la justice transitionnelle que de faireapplication dans l’immédiat de la théorie de « l’équivalence de garanties » oude « garanties de substitution ». Elle consiste, en l’espèce, à utiliser des locauxdont ce n’est pas la vocation (par exemple gymnases, entrepôts désaffectés ouautres), sous réserve de faire respecter au minimum trois règles essentielles :

______________________

4 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/9, art. 20, 17 juillet

1998.

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a) que la liste de ces locaux soit rendue publique avec identification duresponsable ;

  b) qu’un registre de présence et de mouvement des détenus soit tenu à jour ;

c) que ces locaux soient accessibles à l’application de mesures de contrôle.

 Absence ou carences du personnel judiciaire

A titre d'exemple, on rappellera que du temps de la dictature indonésienne,les Timorais étaient interdits d’accès aux fonctions de magistrats. Après

l’indépendance, les tribunaux — ou plutôt ce qui en restait — se sontretrouvés du jour au lendemain sans juges ni procureurs pour assurer unminimum de justice en début de transition. Citons encore le cas de l’Éthiopiedont la plupart des juges, après la chute du régime dictatorial, étaient soit enfuite soit en prison en raison des violations graves des droits de l’hommequ’ils avaient cautionnées ou dont ils s’étaient rendus complices. L’une dessolutions passe alors par la formation accélérée d’étudiants en droit, avec, lecas échéant, le recours temporaire à des juristes étrangers siégeantprovisoirement (à titre consultatif ou non, selon les situations) dans les  juridictions internes, pour assurer la formation de la relève sans que soit

interrompu le cours de la justice. Cette sorte d’échevinage ne doit jamais êtredétourné de sa finalité, qui est de transmettre le relais dès que possible aux juges locaux.

Impunité liée à des raisons quantitatives

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le nombre de personnes à juger est telqu’il n’est pas matériellement possible de les juger dans le strict respect desnormes internationales, notamment de celles relatives au droit à un procès

équitable (par exemple, exigence d’un délai raisonnable). Ce type de situationpose la difficile question de l’applicabilité de ces normes dans certainscontextes transitionnels. On pense, par exemple, au Rwanda où — sauf àentériner un déni de justice — il a fallu provisoirement faire appel à desformes spécifiques de l’administration de la justice en recourant à des juridictions coutumières peu conformes, sur un certain nombre de points, auxstandards internationaux.

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Inamovibilité et vetting (vérification et filtrage de la fonction publique)

Autre difficulté et non des moindres : comment assurer un minimum decompatibilité entre, d’une part, « l’inamovibilité » et, d’autre part,« l’assainissement » pour ne pas dire « l'épuration » (vetting) tant l’histoiremontre combien les juges sont trop souvent un frein au changement ? Lesmêmes causes produisant les mêmes effets, si tous restent en fonction, latransition risque de s’en trouver compromise. Essentielle certes, en tant quegarantie de l’indépendance des juges, l'inamovibilité ne doit cependant pasdevenir, là encore, une prime à l’impunité. D’où la proposition, certesimparfaite, pour concilier ces deux antagonismes, de recourir au principefondamental de procédure du « parallélisme des formes ». Les magistrats qui,antérieurement à l’état de crise, avaient été nommés en conformité avec unétat de droit respectueux des normes internationales, peuvent être confirmésdans leurs fonctions ; en revanche ceux qui ont été nommés de manièreillégitime, c’est-à-dire hors la période d’état de droit, peuvent être destitués enapplication de ce principe du parallélisme des formes, quitte à être réintégrés,passé un certain délai, après examen de leur situation au cas par cas. Danscette dernière hypothèse un minimum de garanties doit être prévu, étantobservé que ceux qui ont été compromis dans des violations particulièrementgraves des droits de l’homme doivent pouvoir être écartés disciplinairementavant même d’être jugés.

2.1.3.2 Légalité transitionnelle et droit à la justice

Dans un tout premier temps, la justice transitionnelle est presque toujoursconfrontée à la question de la légitimité de la législation en vigueur qui, enl’état, s’impose à elle tant qu’un législateur apte à promouvoir la légaliténouvelle, donc démocratiquement élu, n’a pas été mis en place. Or il en estainsi dans la plupart des cas. Cette phase peut être schématiquement ramenéeà trois étapes :

Première étape, dite « abrogationniste »

Il s'agit là d'une étape visant à l'abrogation des lois et juridictions d’exception,voire de la peine capitale, qui doit être franchie dans les tous premiers tempset avec célérité pour éviter, là encore, que les mêmes causes n’en viennent àproduire les mêmes effets et que ne s’organisent les lobbies hostiles à latransition.

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Deuxième étape : neutraliser la prescription et l'amnistie

La deuxième étape vise à neutraliser ces primes à l’impunité que sont laprescription et l’amnistie, trop souvent utilisées pour « tourner la page sansl’avoir lue », cela pour assurer la crédibilité des premiers pas de la justicetransitionnelle.

Pour ce qui concerne la  prescription  , s’agissant de violations des droits del’homme les plus graves (crimes contre l’humanité, crimes de guerre,infractions graves aux Conventions de Genève et au Statut de Rome, etc.), onconstate fort heureusement une interprétation de plus en plus extensive, par ledroit international, de la notion d’imprescriptibilité. Encore faut-il que cesévolutions soient prises en compte par la législation nationale, ce qui peut

prendre du temps en période transitionnelle en raison des réticences quipeuvent se manifester sous la pression de l’ancien régime. Alors, que faire enattendant que le législateur soit en mesure d’en prendre l’initiative ? C’est làqu’une conception du rôle transitionnel de la jurisprudence prend — ou entout cas devrait prendre — toute sa place.

On citera parmi ces antidotes  , l’originalité de la jurisprudence sur lesdisparitions forcées engagée par la Cour interaméricaine des droits del’homme et reprise depuis dans certaines législations nationales et bientôt,dans la Convention internationale contre les disparitions forcées. La Cour

qualifie ces violations de « crimes continus ». Autrement dit, la prescription nepeut courir que du jour où le cas est élucidé, ce qui signifie par exemple que siune personne a été portée disparue en mai 1980 et que son corps n’a étéretrouvé et identifié qu’en mars 1992, la prescription ne commencera à courirqu’à compter de cette dernière date. En outre, même à compter de cette date,le départ de la prescription peut encore être retardé de la durée correspondantà la période pendant laquelle les conditions d’un procès équitable n’étaientpas encore réunies, c’est-à-dire tant que la justice, en particuliertransitionnelle, ne présente pas de garanties suffisantes de procédure,d’impartialité et d’indépendance.

La question de l’amnistie est encore plus délicate que celle de la prescription,car elle est d’ordre politique plus que juridique. Les périodes de transitionsont souvent caractérisées tout à la fois par une soif de justice et par une soifde paix, qui passent par un processus de conciliation pour, si possible,amorcer plus tard un processus de réconciliation.

Dans ce contexte, l’amnistie peut certes faire partie d’un plan de réconciliationultérieure, mais pas à n’importe quel prix. C’est là que réside la principaledifficulté. On ne peut admettre — ne serait-ce que par respect pour lesvictimes — que, par exemple, des auteurs de crimes contre l’humanité

puissent bénéficier d’une amnistie. Une exception toutefois a été admise. Il

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s’agit de la voie empruntée par l’Afrique du Sud après l’abolition del’apartheid pourtant qualifié de crime contre l’humanité par le droit

international. Cette réconciliation a été rendue possible parce que les auteursde violations graves ont dû faire repentance, ce qui a permis — s’agissantd’audiences publiques avec retransmission par les médias — « de lire la pageavant de la tourner ».

Autre difficulté que peut rencontrer la justice transitionnelle : la pratique du« rejugement », qui neutralise le principe de « l’autorité de la chose jugée ».L’hypothèse est la suivante : pour certains, accepter de bénéficier d’uneamnistie lors de la période de transition (nous faisons référence ici auxopprimés qui ont été condamnés sous le régime dictatorial et non auxoppresseurs) reviendrait à s’avouer coupables. La justice transitionnelle doitdonc accepter de rejuger selon un procès équitable (il s’agit le plus souvent deprisonniers politiques) ceux qui ont été condamnés sans bénéficier de cettegarantie fondamentale. Il s’agit donc bien d’ex-condamnés qui, pour cetteraison, refusent l’amnistie. Le cas uruguayen est intéressant. La personne avaitla possibilité d’être rejugée dans le cadre d’un procès équitable puis, soit elleétait acquittée, soit elle était condamnée (par exemple pour des faits deguérilla établis). Dans ce dernier cas, la durée de l’emprisonnement subi sousle régime dictatorial était compensée selon l’équation suivante : en raison del’absence de garanties et des mauvais traitements subis, une année dedétention effectuée sous la dictature était réputée correspondre à trois annéesd’emprisonnement venant en déduction de la peine finalement prononcée parla justice transitionnelle. De telle sorte que ceux qui demandèrent à êtrerejugés ont été finalement soit acquittés soit condamnés et rapidement libérés.

Troisième étape : légalité en période transitionnelle

La troisième étape pose généralement le délicat problème de la légalitéapplicable pendant la période transitionnelle. En l’absence de législateur, lesautorités de transition sont le plus souvent obligées de « légiférer » elles-mêmes par décrets ou actes assimilés. Faute de parlement, une garantie desubstitution consiste à procéder dans la transparence et, autant que faire sepeut, à de larges consultations de la société civile organisée. Puis se pose lanécessité, en sortie de crise, de faire « légaliser » ces décrets par le parlementnouvellement et démocratiquement élu. La solution la plus conforme à un étatde droit voudrait que le parlement se prononce au cas par cas, comme s’ils’agissait de lois nouvelles. Mais cette procédure requiert de très longs délais.Or l’opinion demande des signes tangibles et rapides de changement, ycompris dans le domaine de la loi. La moins mauvaise solution paraît être,dans ce cas, de recourir à la technique dite des « lois de validation ». Elle

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permet un gain de temps appréciable tout en conservant, au planparlementaire, une équivalence de garanties significative. Cette technique

suppose l’existence d’un minimum de volonté politique commune entre lesdifférentes sensibilités politiques et permet de légiférer à titre transitionnel.Elle consiste à présenter au parlement une loi unique comportant deux volets :

•  Le premier volet comporte la liste et les références des décretspromulgués irrégulièrement mais par nécessité par le gouvernement detransition (voire de certains textes remontant au régime précédent).Décrets qui, en raison de leur caractère consensuel (c’est souvent le caspour les réformes abrogationistes précitées ou de celles relevant du droitcivil), peuvent être validés en bloc pour leur conférer force de loi ;

•  Un deuxième volet comporte la liste des décrets de niveau législatifégalement pris par le gouvernement de transition, déclarésprovisoirement applicables par la loi de validation dans l’attente du votede lois nouvelles venant les réformer.

Ces clarifications apportées, comment appliquer la législation ancienne dansles cas précités où elle demeure transitoirement applicable ?

2.1.3.3 Légalité transitionnelle et jurisprudence transitionnelle

Nous entendons par là l’interprétation de la loi (encore inchangée) à lalumière des principes et valeurs des normes internationales pour combler leslacunes les plus criantes en attendant que le législateur ne devienneopérationnel.

Il est en effet rare — nous l’avons souligné — que la loi ancienne puisse êtrechangée à bref délai. La raison la plus fréquente en est le temps, souvent fortlong, nécessaire à la mise en place d’un processus électoral permettantd’aboutir à l’élection d’un parlement apte à légiférer (deux ans dans le casd’Haïti, par exemple), alors que la volonté du corps social acteur duchangement doit être prise en compte dès que possible.

Sur le thème de l’État et du droit dans un régime de transition, il est essentielqu’universitaires, juges et avocats se familiarisent avec les techniquestransitionnelles d’interprétation de la loi antérieure (tant qu’elle demeure enprincipe applicable), en prenant comme référent d’interprétation la normeinternationale. Tel fut l’objet, par exemple, d’un séminaire tenu en Ukraine surcette technique d’interprétation alternative dont l’intérêt a dépassé la situationlocale dans le contexte de la transition vers l’indépendance — sinon ladémocratie — des pays de l’ex-URSS. On conviendra que cette technique

d’interprétation était facilitée, même si elle a été insuffisamment suivie par les

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  juges, par le fait que l’URSS avait ratifié — certes sans réelle volonté de lesrespecter — plusieurs traités internationaux des droits de l’homme dont le

Pacte international relatif aux droits civils et politiques.Mais qu’en est-il si le pays qui est engagé dans une période de transition n’estpas lié par une telle ratification ? Rappelons que, dans ce domaine, si lesconventions internationales n’ont un effet « contraignant » qu’en ce quiconcerne les État parties, elles conservent un effet « déclaratif » à l’égard deceux qui ne les ont pas (encore) ratifiées. Ce qui signifie que le juge peut s’eninspirer et pratiquer ainsi une sorte d’interprétation alternative, ou plusexactement, une « jurisprudence transitionnelle » tendant, à la lumière de lanorme internationale et de ses valeurs, à interpréter la loi antérieure encoreapplicable dans le sens de la légalité future.

Il est vrai que les magistrats, en particulier ceux des cours suprêmes, sontsouvent réticents à emprunter cette voie en raison d’une sorte de« souverainisme juridique » allergique à viser un texte qui n’appartient pasdirectement au corpus juridique national. L’un des moyens permettant desurmonter ces réticences consiste à utiliser la technique du « visa gigogne »qui, par exemple, s’énonce comme suit : « Vu l’article xx du code de procédurepénale, ensemble l’article  yy du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques … ».

2.1.4 Conclusion

Peut-on déduire de ce qui précède qu’il existe des  « Principes et standardsinternationaux de la justice transitionnelle » puisque tel est le sujet du présentexposé ?

De plus en plus nombreuses sont les initiatives de justice transitionnelle quis’enrichissent les unes les autres. Leur « sédimentation » et leur créativitédonnent progressivement naissance à une sorte de droit coutumier de la

 justice transitionnelle en cours de formation.De là à considérer qu’il existe des principes et standards en la matière seraitprématuré tant qu’une réponse n’aura pas été apportée à la question deprincipe suivante : que faire lorsque, pour des raisons essentiellementtechniques et non par absence de volonté politique (appareil judiciairedétruit), il n’est pratiquement pas possible, dans un processus de transitiondonné, de respecter strictement les standards internationaux des droits del’homme applicables alors que, dans ce cas, la pression des organisations nongouvernementales se manifeste activement ? Dans ces situations transitoires,ne devrait-on pas admettre une certaine flexibilité (droits indérogeables

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exceptés) quant à l’application desdits standards ou faut-il s’en tenir — entoutes circonstances — à leur strict respect alors que l’institution judiciaire est

entièrement à reconstruire ? Le débat est ouvert.Dans ces situations, entre l’idéalement souhaitable et le pratiquement possible,sur le terrain il nous faut choisir, le pire étant l’immobilisme par excès de léga-lisme. « Summum jus, summa injuria » — justice excessive devient injustice —disaient les Romains. Il importe donc, dans ce cas, de toujours progresserpositivement même lorsqu’il est fait recours, nous l’avons vu, à des solutionsspécifiques (voir la théorie précitée de « l’équivalence des garanties » ou àcelle des « garanties de substitution »). De telles pratiques, dictées par lescontraintes de certaines périodes de transition, appellent la prudence. Elles nesont admissibles qu’à la double condition d’être strictement limitées dans letemps (principe de proportionnalité ratione temporis) et surtout de toujourstendre à ce que le pratiquement possible rejoigne progressivementl’idéalement souhaitable et non l’inverse (principe de l’effet utile). Cette règled’interprétation, antidote de l’immobilisme, nous vient du droit romain. Elle aété consacrée par Cicéron dans son De officiis par le célèbre adage « Actusinterpretandus est potius ut valeat quam ut pereat” » — l’acte doit être interprétéde façon à lui donner vie plutôt que de le laisser sans effet.

  Je n’aurai donc pas l’audace d’énoncer quels sont les principes et standardsque devrait respecter la justice transitionnelle car, stricto sensu  , ils n’existent

pas ou du moins pas encore. Le concept de justice transitionnelle estd’apparition trop récente pour qu’il puisse être inséré dans le corset d’unedémarche normative. Il doit conserver toute sa créativité potentielle. Tout auplus peut-il être théorisé. Tel est le but de la présente contribution. Il faut endébattre. D’où l’importance de ce séminaire qui nous accueille à Yaoundé.Que les organisateurs en soient ici remerciés.

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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3  Mécanismes de la justice transitionnelle

3.1  Commissions de vérité : mythes et leçons apprises

Eduardo González Cueva

  Je souhaiterais partager brièvement quelques réflexions sur les commissionsde vérité, sur la base de l’expérience du Centre international pour la justicetransitionnelle. Comme vous le savez, la création de commissions de vérité estdevenue une pratique presque courante dans les scénarios les plus divers detransition politique ou de négociations de paix.

L’accord de paix récemment signé pour mettre un terme au conflit au Népalcomprend un accord spécifique pour la création d’une telle commission. Une

commission de vérité figure également dans les accords passés en 2005 entrele gouvernement indonésien et les guérillas de la région d’Aceh. La mêmesituation peut être observée dans les accords de paix au Burundi et enRépublique démocratique du Congo. Finalement, diverses organisationsinternationales ont proposé la création de commissions pour le Darfour et laCôte d’Ivoire.

Il est cependant plus facile de proposer des commissions que de les établir, etil est plus facile de les établir que d’en assurer le fonctionnement effectif.L’Indonésie a approuvé une loi portant création d’une commission de vérité etréconciliation en 2004, après six ans de négociation parlementaire, mais cette

dernière n’a pu voir le jour. La République démocratique du Congo a crééquant à elle une commission similaire, mais qui ne fonctionne pas de manièrerégulière. Par ailleurs, diverses voix émanant de la société civile népalaisemontrent leur scepticisme quant à la création d’une commission de vérité.

La raison en est très simple : les commissions sont fréquemment proposées demanière automatique, avec l’espoir d’une réconciliation presque magique. Lecas sud-africain est fréquemment invoqué, mais rarement étudié. Or,l’invocation sans l’analyse équivaut à nous demander d’avoir la foi. La foidans le mythe sud-africain suggère qu’une commission de vérité offre une

alternative à la justice pénale, sur la base de la générosité individuelle desvictimes et la repentance des tortionnaires. Dans ce mythe, il n’y a aucuneplace pour la reconnaissance du fait qu’en Afrique du Sud, la commission devérité n’a accordé l’amnistie qu'à une fraction minime des tortionnaires ; qu’enAfrique du Sud, la justice pénale s’est montrée incapable de poursuivre lestortionnaires non amnistiés ; et finalement qu’en Afrique du Sud, les plusimportantes organisations de victimes demandent toujours aujourd’hui, dixans après les travaux de la Commission de vérité et réconciliation, que legouvernement offre des réparations équitables.

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La loi portant création de la Commission de vérité et réconciliationd’Indonésie est un exemple clair des conséquences négatives de l’imitation

sans aucun questionnement de l’expérience sud-africaine : selon cette loi, lacommission est une instance par le biais de laquelle les victimes et lestortionnaires devraient « régler leurs comptes » directement, face à face. Si letortionnaire admet son crime et que la victime pardonne, la commissionrecommande une amnistie pour le tortionnaire et une réparation pour lavictime. Si la victime ne pardonne pas, le tortionnaire peut de toute façonrecevoir une amnistie, mais la victime n’obtient pas la réparation. Dans tousles cas, le droit de la victime de recevoir réparation dépend de l’amnistie dutortionnaire. Évidemment, cette loi a été rejetée par les organisations dedéfense des droits de l’homme et fait l’objet d’un litige devant la Cour

constitutionnelle indonésienne.Une autre conception problématique est l’idée que la composition descommissions de vérité doive refléter d’une manière précise l’équilibrepolitique qui marque la transition, ce qui voudrait dire qu’une commissionregroupant toutes les tendances politiques soit plus à même de juger, soit plus  juste. Or, la commission pour la République démocratique du Congo a étécréée il y a plus de trois ans sans résultats réels, précisément parce quechacune des parties au conflit y est représentée. Naturellement, beaucoup deses représentants ont été critiqués comme étant complices de violations desdroits de l’homme par les autres factions et, en conséquence, la commission ne jouit pas d’une crédibilité suffisante.

Mais les commissions de vérité continuent d’être proposées dans toutes sortesde situations. Comme cela a été mentionné auparavant, une commission a étéproposée pour le Darfour, au Soudan, et une autre pour la Côte d’Ivoire. Maisil y a eu des propositions similaires pour le Liban, l’Irak, les îles Fidji, l’Algérieet la Colombie.

Par rapport à de tels scénarios, marqués par des attentes excessives, certainesleçons apprises peuvent amener à une vision plus réaliste des commissions de

vérité :1.  La création de commissions de vérité ne peut pas se substituer à une

politique intégrale de lutte contre l’impunité. L’établissement d’unevérité historique, c'est-à-dire une interprétation sociale des violationscommises, peut refléter les revendications des collectifs de victimes,mais pas les revendications plus simples de leurs familles, quidemandent la vérité judiciaire. Même l’établissement des faits à traversles investigations d’une commission de vérité, similaire à uneclarification judiciaire, peut devenir une sorte de re-victimisation, si lesfamilles perçoivent que les faits ne sont pas accompagnés de sanction

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pénale pour les tortionnaires, leurs institutions, ou d’une mesure deréparation. Attendre le pardon automatique des victimes pour la simple

raison que la dimension sociale de la vérité a été livrée est abusif. Lavictime porte déjà des séquelles des crimes commis : elle n’a pas besoind’être « victimisée » une nouvelle fois si elle refuse d’accorder le pardon.Au Maroc, la tentative de répondre et d’en terminer avec les demandesdes victimes par la seule mise en place de réparations s’est soldée par lafrustration des victimes et par la décision de créer une véritablecommission de vérité : l’Instance Équité et Réconciliation. En Indonésie,l’idée d’une commission a été rejetée par la Cour constitutionnellecomme rendant le droit à la réparation contradictoire au droit de justice.

2.  Les commissions de vérité doivent être proposées seulement lorsqu'il y ades garanties suffisantes pour assurer leur indépendance vis-à-vis detoute tendance politique. Les membres des commissions doivent êtreélus après une large consultation avec la société civile. Leur autoritémorale est la priorité absolue, elle est préférable aux liens politiques et àl’expérience professionnelle ou juridique. Le cas de la Républiquedémocratique du Congo montre les limites de la création d’unecommission de vérité sur la base des seuls critères politiques.

3.  Les commissions de vérité ne garantissent pas automatiquement laréconciliation. La réconciliation doit être conçue comme un processus

ouvert sur le long terme, une vision à atteindre, une idée qui inspirel’action pour une longue période historique. La réconciliation ne peutêtre réduite à la réconciliation entre des individus, qui sont régis par dessituations psychologiques complexes. Il est impossible de décréter lepardon ou la repentance. Dans le meilleur des cas, il est possible de créerdes situations favorables à la réconciliation entre individus. En mêmetemps, la réconciliation entre individus ne se substitue pas au besoin derésoudre le conflit entre le citoyen et l’État : la réconciliation correspondégalement à l’établissement d’une situation sociale où l’État confronteles causes de la violence et restitue leurs droits aux citoyens. Sans un

véritable état de droit établissant des droits effectifs, il est impossibled’empêcher le sentiment d’injustice et la tentation de recourir à dessolutions violentes pour régler le conflit social.

4.  La publication du rapport final de la commission de vérité ne devraitpas être considérée comme son principal produit et résultat : c’est plutôtle processus qui a présidé au travail de la commission qui doit êtrevu comme essentiel. Notre foi aveugle dans l’écriture ignore danscertains cas les conditions spécifiques de création et diffusion dudiscours public. La commission sud-africaine vit dans le souvenir

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social, dans les images des victimes qui ont partagé leur témoignageavec la nation ; ce qui n’est pas toujours une fonction accomplie par le

rapport final. Dans mon pays, le Pérou, la Commission de vérité etréconciliation a fait l’objet tant de vives critiques que de soutiensmanifestes, le jour même de la présentation de son rapport final : aucundes opposants à la commission, ni ses défenseurs, naturellement,n’avaient lu le rapport final ; mais tous avaient reçu le message moraltransmis par ses actions publiques. Tous savaient que la commissionavait formulé une accusation historique contre les élites qui avaientignoré les victimes, une accusation historique contre les spectateurssilencieux de la violence.

L’expérience des commissions de vérité est très étendue aujourd’hui. Environtrente commissions ont été créées de par le monde, avec des succès variables.Certaines d’entre elles ont été établies comme des alternatives, d’autrescomme un appui à la justice. Certaines commissions sont le résultat d’unepression sociale, d’autres ont vu le jour suite à un accord politique.

Mais il est prévisible que les mythes ne disparaissent pas dans un futurimmédiat. Pour éviter cette mythification, la communauté des défenseurs desdroits de l’homme doit s'efforcer d'identifier les leçons apprises et lespratiques positives afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les victimes et lerenforcement de l’état de droit.

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3.2  Cour pénale internationale et principe de lacomplémentarité

Wilbert van Hovell

3.2.1 Les progrès de la Cour pénale internationale

En guise d’introduction, j’aborderai en quelques mots les progrès que noussommes en train d’accomplir à la Cour pénale internationale (ci-après « laCour » ou « la CPI »), qui est désormais une institution pleinementopérationnelle1. Nous menons des enquêtes, nous déployons des activités judiciaires et nous entretenons des relations avec des États, des organisationsinternationales, des organisations de la société civile ainsi qu’avec les victimes.Le Statut de Rome a déjà été ratifié par 104 États, dont 29 en Afrique, et leur

nombre ne cesse de croître.Le Bureau du procureur (ci-après « le Bureau ») de la CPI mène des enquêtes àpropos de trois situations : le nord de l’Ouganda, la République démocratiquedu Congo et le Darfour (Soudan). Les deux premières situations nous ont étédéférées par les gouvernements des pays concernés, la dernière par le Conseilde sécurité des Nations Unies. Donnant suite à une requête du procureur dansle cas de l’Ouganda, les juges de la Chambre préliminaire ont délivré, le 8  juillet 2005, des mandats d’arrêt visant les cinq plus hauts responsables del’Armée de résistance du Seigneur. En ce qui concerne la Républiquedémocratique du Congo, M. Thomas Lubanga, un chef de milice bien connu, aété remis à la Cour en mars de cette année. Il est inculpé d’avoir recruté,enrôlé et utilisé des enfants soldats. Ces accusations figuraient au cœur de lapremière audience de confirmation des charges qui vient de se tenir devant laCour et constitua un événement d’une portée véritablement historique. AuDarfour, l’enquête continue d’avancer. Nous poursuivons, en parallèle,l’analyse d’autres situations dans lesquelles des crimes internationauxauraient été commis, comme en République centrafricaine (suite au renvoi decette situation par le gouvernement centrafricain) et dans certains autres pays— sur différents continents — sur la base des communications que nousrecevons d’individus ou d’associations.

______________________

1  Pour rédiger le présent exposé, je me suis appuyé sur la Communication relative àcertaines questions de politique concernant le Bureau du procureur (septembre 2003), lesrapports du Bureau du procureur au Conseil de sécurité des Nations Unies enapplication de la Résolution 1593 (2005), le rapport du Bureau du procureur sur lesactivités mises en œuvre au cours des trois premières années (septembre 2006) et

des documents internes. 

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3.2.2 Justice pénale : avantages et défis

Permettez-moi de faire quelques remarques liminaires sur les avantages et leslimites des poursuites judiciaires dans le cadre des stratégies de justicetransitionnelle, ceci étant le sujet principal de notre session. Je commenceraipar les avantages bien connus. Les poursuites judiciaires visent à rendre  justice aux victimes et à les aider à reconstruire leur vie. Elles permettentégalement de réitérer des valeurs fondamentales qui sont essentielles aufonctionnement pacifique de chaque société, de rétablir la confiance dans lesinstitutions, et d'adresser un signal préventif clair selon lequel l’impunité pourles crimes graves n’est plus de mise.

En général, il est également admis qu’il existe un lien bénéfique entre la justice

pénale et l’établissement d’une paix durable, bien qu’il puisse y avoir unetension entre ces deux impératifs lors des efforts mêmes visant à mettre fin àun conflit. On considère aussi que les enquêtes et poursuites judiciairespeuvent faire la lumière sur ce qui s’est passé lors d’une période de répressionou de conflit, tout en sachant que la recherche de la vérité historique est unedémarche complexe et requiert différentes approches.

Toutefois, l’expérience de plusieurs pays, sur tous les continents, montre quela justice pénale, en période de transition, doit surmonter des obstacles et défismajeurs. Y figure notamment une limite pratique, dans la mesure où la totalité

des crimes graves commis lors d’un conflit dépasse souvent la capacité  judiciaire du pays concerné, qui sort déjà, dans la plupart des cas,sérieusement affaibli de cette période de crise. Dans de telles circonstances,une approche sélective des poursuites judiciaires est inévitable ; elle doit êtrefondée sur des critères objectifs et gagne à être conçue après consultation avecles victimes. La justice pénale pourrait être complétée par d’autres initiatives,telles qu’un programme de réparations, une tentative de recherche de lavérité, ou des initiatives de conciliation non judiciaire. Il est très important quela justice transitionnelle soit dispensée de manière indépendante et impartiale,et pour chaque approche de choisir le moment le plus opportun.

Un deuxième défi majeur concerne la mise au clair des structures et desorganisations qui ont présidé à la perpétration des crimes de génocide, descrimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Une telle démarche estindispensable pour bien comprendre une situation dans son ensemble etidentifier ceux qui portent la part de responsabilité la plus grande pour lescrimes les plus graves. Il s’avère donc nécessaire d’analyser à fond le contexteet tous les aspects organisationnels et d’adopter une méthode d’enquêtemultidisciplinaire.

En troisième lieu, il importe d’évoquer les difficultés liées à la protection des

témoins, victimes ou autres. Il est clair que dans une situation de transition,

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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qui par définition n’est pas encore stabilisée, les risques concernant la sécuritédes témoins sont particulièrement importants. Mettre sur pied un système de

protection et y investir les ressources nécessaires est donc essentiel.

3.2.3 Le principe de complémentarité de la Cour pénale internationale

Il appartient aux juridictions nationales d’agir comme premières lignes dedéfense contre l’impunité. A la différence des tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, la CPI ne prime pas sur les systèmes nationaux.Elle n’a pas vocation à se substituer aux tribunaux nationaux, mais bien à agirlorsque les structures et les instances judiciaires nationales n’ont pas la volonté

ou la capacité de mener des enquêtes et des poursuites. La CPI assume dèslors un rôle complémentaire à celui des systèmes nationaux. En cas dechevauchement des compétences entre les systèmes nationaux et la CPI, cesont les premiers qui ont la priorité.

Ce principe de complémentarité constitue la transposition de la volontéexpresse des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale2 ,de créer une institution qui ait un champ d’action mondial, tout enreconnaissant que c’est aux États qu’il incombe avant tout d’exercer leurcompétence pénale. Ce principe découle de la reconnaissance du fait quel’exercice de la compétence pénale nationale est non seulement un droit, maiségalement un devoir des États3. Les questions de l’efficience et de l’efficacitésont, elles aussi, importantes, puisque ce sont en général les États qui peuventle plus facilement avoir accès aux éléments de preuve et aux témoins.

3.2.4 Évaluer la complémentarité

L’article 17 du Statut de Rome, qui régit la recevabilité des affaires soumises àla Cour, prévoit pour ce faire une analyse de la complémentarité en deuxphases. La première phase consiste à répondre à la question empirique desavoir si une enquête ou des poursuites sont ou ont été menées à l’échelle

______________________

2 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/9, 17 juillet 1998. Letexte est amendé par les procès-verbaux en date des 10 novembre 1998, 12 juillet1999, 30 novembre 1999, 8 mai 2000, 17 janvier 2001 et 16 janvier 2002. Le Statut deRome est entré en vigueur le 1er juillet 2002.

3 Le Statut de Rome rappelle « qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa  juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». Cf. Statut de

Rome, op.cit. , Préambule.

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nationale. Si la réponse est négative, l’affaire est manifestement recevable(compte tenu de l’absence de toute ambiguïté dans le texte de l’article 17).

Si la réponse est positive, la deuxième phase pose une question qualitative : lesprocédures nationales sont-elles entachées de nullité du fait de manque devolonté ou de l’incapacité de mener véritablement l’enquête ou lespoursuites ?4 

La mise en application par le procureur de l'article 53-1 du Statut de Rome,qui l'autorise à ouvrir une enquête en fonction de conditions données, passeégalement par une évaluation du rôle complémentaire de la Cour par rapportà celui du système pénal national concerné. Le procureur fondera notammentsa décision sur une analyse de la recevabilité (et donc de la complémentarité)

en référence à l'article 17. Du fait qu'à ce stade, aucune affaire spécifique n’estencore ouverte devant la Cour, cet examen revêt cependant nécessairement uncaractère plus général.

Au moment de procéder à cet examen, le procureur prend en considération lanature des crimes allégués, de même que les renseignements ayant trait auxpersonnes qui pourraient en porter la responsabilité la plus lourde — enl’occurrence, la catégorie de personnes sur lesquelles le Bureau concentre sesefforts en matière d’enquêtes et de poursuites.

Pour mener à bien son analyse, le Bureau examine les institutions, lalégislation et les procédures nationales pertinentes. Il est possible qu'ilrecherche des informations auprès de l’État concerné ou d’autres sources ausujet des procédures nationales susceptibles d’avoir été engagées à propos decrimes relevant de la compétence de la Cour, y compris dans le cadre dedispositifs judiciaires et non judiciaires spéciaux. D’une façon générale, leBureau s'attache également à examiner les mécanismes dont disposent lespersonnes pour pouvoir signaler des crimes ou pour avoir accès à la justice entoute impartialité et indépendance. Un autre facteur pris en considération estla disponibilité des moyens nécessaires pour mener à bien les procédures(personnel, juges, enquêteurs, etc.)5.

Une analyse méticuleuse a démontré toute sa pertinence dans la situation auDarfour, car le gouvernement soudanais avait annoncé publiquement sa

______________________

4 Décision ICC-01/04-01/06 du 20.02.2006 (publiée en annexe de la Décision ICC-01/04-01/06-37 du 17.03.2006), para. 30-36.

5 La Cour ne s’est pas encore prononcée sur l’interprétation de « manque devolonté » et « incapacité de l’État de mener véritablement à bien des poursuites ».

Cf. Statut de Rome, op.cit. , art. 17.

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volonté et sa capacité de mener des enquêtes et des poursuites à l’encontre descrimes qui auraient été commis et ce, dans le cadre de son propre système

 judiciaire6

. Néanmoins saisi par le Conseil de sécurité, le Bureau du procureura décidé d'ouvrir une enquête, suite notamment à l'examen minutieux de larecevabilité auquel il a procédé au regard de l'article 17 et du principe decomplémentarité susmentionnés.

Comme le procureur l’a indiqué dans les rapports qu’il a remis au Conseil desécurité des Nations Unies en application de la Résolution 1593 (2005),l’examen de la recevabilité constitue un processus dynamique dans le temps.A mesure que nous progressons, depuis l’analyse jusqu’à la sélection desaffaires qui feront l’objet de poursuites en passant par l’enquête, l’examen dela recevabilité s’axera davantage sur des cas emblématiques.

Avant de demander à la Cour qu’elle délivre un mandat d’arrêt ou unecitation à comparaître à l’encontre d’une ou de plusieurs personnes, le Bureause doit d’évaluer si le gouvernement du pays concerné engage ou a engagédes procédures nationales véritables qui englobent tant la personne que lecomportement faisant l’objet de l’affaire portée devant la Cour7.

Il est essentiel de mettre l’accent sur ce point, car l’appréciation de larecevabilité est propre à chaque affaire et ne constitue aucun jugement dusystème national de justice dans son ensemble.

S’il résulte de l'enquête du Bureau et du dialogue mené avec un Étatparticulier que des procédures nationales véritables ont été entamées,l’initiative en matière de lutte contre l’impunité reviendra à l’État concerné.

L’examen de la recevabilité comprend également un examen de la législationnationale concernée. Le simple fait que la législation n’a pas intégré lesinfractions autonomes visées par le Statut de Rome ne constitue pas en soi, et àlui seul, un élément déterminant. A mon avis, la Cour devrait prendre enconsidération le résultat tangible susceptible de découler de toute procédure

______________________

6 En ce qui concerne les cas de l’Ouganda et de la République démocratique duCongo, ces États avaient décidé de ne pas engager eux-mêmes de procédurespénales et de saisir le procureur de la CPI.

7 Il convient aussi de noter que la recevabilité d’une affaire peut être contestée devantla Cour par un État « qui est compétent à l’égard du crime considéré du fait qu’ilmène ou a mené une enquête, ou qu’il exerce ou a exercé des poursuites enl’espèce » Cf. Statut de Rome, op.cit.  , art. 19, para. 2. L’accusé ou la personne àl’encontre de laquelle a été délivré un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître

peut également contester la recevabilité.

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nationale qui aura été entreprise. Il est nécessaire que l’affaire concernéepuisse faire l’objet de poursuites sans que l’on puisse y voir une intention de

soustraire la personne concernée à la justice.

3.2.5 Une approche positive en matière de complémentarité

Plutôt que d’entrer en concurrence avec des systèmes nationaux en matière decompétence, le Bureau a opté pour une ligne de conduite positive, ce quisignifie qu’il encourage de véritables procédures nationales lorsque celas’avère possible, qu’il s’appuie, pour ce faire, sur des réseaux nationaux etinternationaux et qu’il participe à un système de coopération internationale.

L’efficacité de la CPI ne doit pas se mesurer uniquement au nombre d’affairesdont elle est saisie. Au contraire, une augmentation du nombre d’enquêtes etde procès véritables menés à l’échelon national pourrait très bien prouver le bon fonctionnement du système de Rome dans son ensemble.

Une ligne de conduite positive ou active en matière de complémentaritéreconnaît la responsabilité première des États d’exercer la compétence pénale,aide à combler ce que l’on qualifie de « fossé de l’impunité » et permet à laCour de concentrer ses efforts et ses ressources sur d’autres situations ouaffaires.

Il est des situations pour lesquelles le Bureau peut être en mesured’encourager les procédures nationales par le simple fait d’attirer l’attentiondes États concernés sur de graves allégations, ou bien dans le cadre derecherche de renseignements supplémentaires au cours de l’analyse descommunications faisant état de telles allégations. Les stratégies en matière decomplémentarité positive englobent les échanges diplomatiques, le dialogue etles déclarations publiques, des conseils et la mise en commun de l’expérienceacquise dans l’organisation d’enquêtes complexes. Une mobilisation deressources extérieures (pour augmenter la capacité en matière d’enquête ou de

logistique par exemple) peut en faire partie également, par le biais du réseauque la Cour s’efforce de constituer avec les États et les organisationsinternationales.

3.2.6 Le partage des tâches

Il se peut que dans certaines situations la Cour et un État territorialconviennent qu’une division consensuelle du travail représente la façon laplus logique et la plus efficace d’appliquer la justice pénale. Les efforts

  judiciaires conjugués aux niveaux nationaux et internationaux ont

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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vraisemblablement un impact plus grand dans la lutte contre l’impunité,particulièrement dans des situations de crimes commis à grande échelle.

Alors que le Bureau ciblerait normalement ses efforts sur les personnes quiportent la responsabilité la plus lourde pour les crimes les plus graves, lesÉtats concernés pourraient décider de poursuivre d’autres suspects. Ilconvient également de garder à l’esprit que les poursuites engagées par unecour internationale perçue comme étant neutre et impartiale peuventconstituer un avantage important dans des sociétés qui sont profondémentdivisées par un conflit ou en sortent tout juste.

3.2.7 Une démarche globaleNous convenons que dans les pays qui sortent de situations où des crimes ontété commis à grande échelle, rendre justice aux victimes passera souvent pardifférentes mesures prises dans le cadre d’une démarche globale. Comme jel’ai mentionné plus haut, les stratégies en matière de justice transitionnellepeuvent comprendre des formes nouvelles ou traditionnelles deresponsabilité, de recherche de la vérité, de réparations et de vérification et defiltrage de la fonction publique (vetting).

Selon la situation et en prenant en considération les vues et les intérêts des

victimes, l’association d’efforts judiciaires et non judiciaires peut constituerune réponse globale au besoin de justice, de paix et de réconciliation.Cependant, particulièrement en ce qui concerne les personnes qui portent laresponsabilité la plus lourde pour les crimes qui relèvent de la compétence dela Cour pénale internationale, l’impunité en matière de procédure pénale nepeut plus être une option.

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3.3  Le système gacaca au Rwanda : avantages et limites

Joseph Sanane Chiko

3.3.1 IntroductionD’avril à juin 1994, le génocide rwandais a fait près d'un million de morts,aggravant le clivage entre les deux principales communautés du pays, lesHutus et les Tutsis. Après la victoire militaire du Front patriotique rwandais(FPR), le gouvernement a inscrit dans ses priorités la réconciliation et la luttecontre l'impunité, conditions sine qua non de la reconstitution du tissu socialdéchiré. La réconciliation étant un long processus, les autorités ont engagé undébat afin d'arrêter des stratégies cohérentes pour atteindre cet objectif.

Il est évident que le choix entre l'amnistie, les poursuites pénales et une

commission de vérité, après des violations graves des droits de l'homme, estdifficile à opérer. Certains analystes soutiennent que ce choix doit êtredéterminé par l'héritage du passé, les rapports de force au service de lasociété, la culture et l'origine des crimes1. Chacun de ces mécanismes de justicetransitionnelle a ses avantages et ses limites, mais un choix résultant d'unelarge concertation, accepté par tous les acteurs, a plus de chance de produireles effets escomptés.

Dans un premier temps, les autorités rwandaises ont opté pour les poursuitespénales en vue de régler le contentieux généré par le génocide. Vers la fin de

l'année 1999, quelque 2 500 personnes avaient été jugées par les chambresspécialisées créées par la Loi organique n° 08/96 du 30 août 19962 au sein destribunaux de première instance. Au même moment cependant, 120 000détenus attendaient leurs procès, alors que la justice rwandaise étaitcomplètement paralysée. Il fallait donc augmenter la capacité de la justice.C’est pour cette raison qu’a été adoptée en 2001, la première Loi organique surles juridictions gacaca3.

______________________

1 HUYSE  , Luc , VAN DAEL  , Ellen, « Justice après des violations graves des droits del'homme », in Choix entre l'amnistie, la commission de vérité et les poursuites pénales ,K.U.L, janvier 2001, pp. 10-11.

2 Loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 sur l'organisation des poursuites desinfractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité,commises à partir du 1er octobre 1990.

3 Loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des juridictions  gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide oude crimes contre l'humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre

1994.

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30

 

3.3.2 Fonctionnement des juridictions gacaca 

3.3.2.1 Composition

Les juridictions  gacaca4 constituent un système hybride, fondé sur uneinstitution de droit coutumier, qui intègre simultanément des conceptspropres au droit écrit dans le code pénal et la procédure pénale. Tout ens'appuyant sur les vertus « de la mise en débat » d'une affaire qui déchire lacommunauté, le système prévoit des jugements et des sanctions5.

Les Gacaca sont conçues comme une justice participative devant permettre :

•  D'établir la vérité sur ce qui s'est passé lors du génocide ;

•  D’accélérer le cours de la justice ;

•  De mettre un terme à la culture de l'impunité ;

•  De réconcilier les Rwandais.

Initialement, un total de 10 684 juridictions gacaca devaient être créées, à raisond'une juridiction par cellule (soit 8 987 juridictions, la cellule étant la pluspetite unité administrative du pays), par secteur (1 530), par commune (154,aujourd’hui les districts) et par préfecture (13, aujourd’hui les provinces).

Selon les termes de la Loi organique n° 40/2000 sur les Gacaca , une juridiction gacaca de cellule, une juridiction  gacaca de secteur et une juridiction gacaca d'appel au niveau de chaque secteur ont été créées. La juridiction de cellulecomprend une assemblée générale, un siège et un comité de coordination. La juridiction du secteur, qui a en son sein une juridiction d'appel, est composéed'une assemblée générale, d'un siège et d'un comité de coordination.L'instance compétente pour désigner les membres du siège l'est aussi pourleur remplacement.

L'assemblée générale de la juridiction de cellule (article 6) est composée detous les habitants de la cellule âgés d'au moins 18 ans. Lorsqu'il apparaît quedans une cellule donnée le nombre d'habitants âgés de 18 ans ou plus n'atteintpas 200, cette cellule peut être fusionnée avec une autre cellule du même

______________________

4 « Gacaca » signifie « herbe » en kinyarwanda, et par extension « la justice surl’herbe ». Ce mot désigne l'endroit où une communauté locale se réunissaittraditionnellement pour trouver une solution aux litiges opposant les membresd'une même famille, plusieurs familles ou les habitants d'une entité.

5 Avocats Sans Frontières, Vade-mecum : les crimes de génocide et les crimes contre

l'humanité devant les juridictions ordinaires du Rwanda , Kigali et Bruxelles, 2004, p. 68.

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

31

secteur pour former une juridiction de cellule. Il en est de même lorsqu'il estconstaté que le nombre requis de personnes intègres (voir plus bas) n'est pas

atteint. Quand les cellules fusionnées ne parviennent pas à réunir le nombrerequis de personnes intègres et que dans ce secteur il n'y a pas d'autrescellules, ces cellules sont fusionnées avec celles du secteur voisin. Les secteursdont les cellules sont fusionnées sont à leur tour mis ensemble. La décision defusion de cellules est prise par le Service national chargé du suivi, de lasupervision et de la coordination des activités des juridictions  gacaca  , à soninitiative ou sur demande du maire du district ou de la ville.

Aux termes de l’article 7 de la Loi organique n° 40/2000, l'assemblée généraledu secteur est composée des organes suivants :

•  Les sièges des juridictions gacaca des cellules du secteur ;

•  Le siège de la juridiction gacaca du secteur ;

•  Le siège de la juridiction gacaca d'appel.

L'assemblée générale du secteur choisit en son sein neuf personnes intègresqui forment la juridiction  gacaca d'appel et cinq remplaçants, ainsi que neufpersonnes intègres qui forment le siège de la juridiction  gacaca du secteur etcinq remplaçants. Ces élections sont organisées et dirigées par la Commissionnationale électorale.

Selon les termes de l'article 14 de la Loi organique n° 40/2000, est éluInyagamugayo ou « personne intègre » tout Rwandais remplissant lesconditions suivantes :

•  N'avoir pas participé au génocide ;

•  Être exempt d'esprit de divisionnisme ;

•  N'avoir pas été condamné par un jugement à une peined'emprisonnement de six mois au moins ;

•  Être de bonne conduite, vie et mœurs ;

•  Dire toujours la vérité ;

•  Être honnête ;

•  Être caractérisé par l'esprit de partage de parole.

Ces critères ne sont pas objectifs et ils sont difficilement applicables, car lesconcepts de divisionnisme, d'honnêteté et d'esprit de partage de parole nesont pas précisés par la législation sur les Gacaca. Il s'agit en réalité de notions

politiques qui donnent souvent lieu à des abus et à des règlements de compteau niveau local.

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32

 

3.3.2.2 Compétences

Le principe de la catégorisation des personnes accusées de crime de génocideet d'autres crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre1990 et le 31 décembre 1994 a été instauré par la Loi organique n° 08/96 du 30août 1996, qui porte sur l’organisation des poursuites des infractionsconstitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité, commisesà partir du 1er octobre 1990. Il était en effet apparu que les qualificationsclassiques du droit pénal rwandais et les échelles de peines qu'il prévoyaitn’étaient pas adéquates en ce qui concerne la responsabilité des personnes quiavaient, à des degrés divers, pris part aux massacres.

Cette loi créait quatre catégories d'infractions par rapport auxquelles devaient

être classées des personnes soupçonnées d'avoir participé à la conception ou àl'exécution d'actes de génocide. Une nouvelle loi, la Loi organique n° 16/2004 aramené ces catégories au nombre de trois6 :

Catégorie 1 :

•  La personne que les actes criminels ou de participation criminellerangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, lessuperviseurs, les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre

l’humanité, ainsi que ses complices ;

•  La personne qui, agissant en position d'autorité au niveau national, auniveau de la préfecture, au niveau de la sous-préfecture ou de lacommune, au sein des partis politiques, de l'armée, de la gendarmerie,de la police communale, des confessions religieuses ou des milices, acommis ces infractions ou a encouragé les autres à les commettre, ainsique ses complices ;

•  Le meurtrier de grand renom qui s'est distingué dans le milieu où ilrésidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l'a caractérisé dansles tueries ou la méchanceté excessive avec laquelle celles-ci ont étéexécutées, ainsi que ses complices ;

•  La personne qui a commis les actes de torture quand bien même lesvictimes n'en seraient pas succombées, ainsi que ses complices ;

______________________

6 Article 51 de la Loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004 sur l'organisation despoursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre

l'humanité, commises à partir du 1er octobre 1990.

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34

 

En revanche, aucune juridiction ne peut outrepasser ses compétencesnormales. Par exemple, la juridiction  gacaca de cellule qui constate que les

faits dont elle est saisie relèvent en réalité de la première catégorie doitrenvoyer le dossier au Ministère public afin que celui-ci saisisse la juridictionordinaire compétente.

Nous avons souligné que le système  gacaca est hybride en ce sens qu’ilcombine des éléments de la justice classique et de la justice traditionnelle. A cetitre, les juridictions  gacaca peuvent interroger les témoins à charge et àdécharge et assigner toute personne devant apporter des éclaircissements autribunal. Elles peuvent ordonner des perquisitions et délivrer des mandats de  justice. Elles peuvent enfin ordonner une détention préventive. Cescompétences sont dévolues au Comité de coordination.

L'article 12 de la Loi organique n° 16/2004 circonscrit les attributions duComité de coordination :

1.  Convoquer, présider les réunions et coordonner les activités du siège dela juridiction gacaca ;

2.  Enregistrer les plaintes, les témoignages et les preuves déposés par lapopulation ;

3.  Recevoir les dossiers des prévenus ;

4.  Enregistrer les déclarations d'appel formées contre les jugements des juridictions gacaca ;

5.  Transmettre à la juridiction  gacaca d'appel les dossiers dont les jugements sont frappés d'appel ;

6.  Rédiger les décisions prises par les organes de la juridiction ;

7.  Collaborer avec les autres institutions pour mettre en application lesdécisions de la juridiction gacaca.

Les assemblées générales se réunissent une fois par mois. La présence de tousles membres y est devenue obligatoire depuis peu. Chaque assembléegénérale élit pour une année les membres du siège et les personnes à déléguerà la juridiction gacaca immédiatement supérieure.

Le siège de la juridiction  gacaca de cellule établit, avec le concours de sonassemblée générale, les listes des auteurs présumés du génocide ainsi que des biens endommagés. Il prend acte des offres de preuves et mène des enquêtessur les dépositions des témoins. Toute personne qui refuse ou omet detémoigner fait l’objet de poursuites et encourt une peine d'emprisonnement de

douze mois à trois ans dont la moitié est commuée en travaux d'intérêtgénéral.

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

35

3.3.2.3 La procédure d'aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir etd'excuses

Selon la Loi organique n° 16/20047 , pendant la période préjuridictionnelle, enparticulier durant les phases d'établissement des listes et de récolted'informations, les auteurs présumés ont la possibilité d'avouer les crimescommis. L'aveu est recevable si la déclaration contient une descriptiondétaillée de tout ce qui se rapporte à l’infraction avouée, notamment le lieu oùelle a été commise, la date, les noms de témoins éventuels, les noms desvictimes, les biens endommagés. Des renseignements doivent être donnés surles co-auteurs et les complices et des excuses être présentées pour les crimescommis.

Les prévenus relevant de la première catégorie qui recourent à la procédured’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses avant que leurnom ne soit publié sur la liste des auteurs présumés du génocide, passent dela première à la deuxième catégorie. En cas d'aveu, les auteurs présumés dugénocide bénéficient d’une réduction de la peine d'emprisonnement.

Les prévenus de deuxième catégorie peuvent avouer à tout moment et bénéficier des avantages de la procédure d'aveu. Ces avantages sont plus oumoins importants suivant que les prévenus ont avoué avant ou aprèsl’inscription de leur nom sur la liste des personnes accusées par la juridiction

 gacaca (article 56).Le législateur a prévu un régime particulier en ce qui concerne lamanifestation de l'aveu concernant les infractions de viol et de torturessexuelles. La victime de viol et de tortures sexuelles est exemptée de toutepublicité et elle a la possibilité de porter plainte « secrètement » auprès du  juge de son choix ou auprès du parquet, et de bénéficier d'un procès à huisclos. Cette procédure s'étend à celle d'aveu, le dernier alinéa de l'article 38 dela Loi organique n° 16/2004 excluant explicitement l'aveu public de cetteinfraction. Cette interdiction ne prive pas l'auteur du viol ou des torturessexuelles des avantages dont est assorti l'aveu.

______________________

7 Note des éditeurs : une nouvelle loi a depuis modifié les dispositions spécifiques dela procédure d'aveu, tout en en maintenant le principe, pour les 3 catégories decriminels présumés. Voir Loi organique n° 10/2007 du 1er mars 2007 modifiant etcomplétant la Loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004 sur l'organisation despoursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contrel'humanité, commises à partir du 1er octobre 1990, telle que modifiée et complétée.

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36

 

Une personne qui a commis uniquement des infractions contre les biens estexonérée de toute poursuite si elle parvient à un accord à l'amiable avec sa

victime. Cela implique donc un aveu de fait et la reconnaissance de la victimecomme telle.

3.3.2.4 Les peines applicables

Aux termes de la loi de 2004 et de celle de 1994, la détermination de la peinepasse par plusieurs filtres. Si le juge estime établis certains ou tous les faits àcharge, il doit placer le prévenu dans l'une des catégories prévues par la loi, cequi détermine la fourchette des peines à appliquer au cas d'espèce. La peine

définitive est retenue en tenant compte du fait que le prévenu a recouru ounon à la procédure d'aveu.

L'accusé de première catégorie qui n'a pas recouru à la procédure d'aveu, deplaidoyer de culpabilité, de repentir ou d'excuses est passible de la peine demort ou de l'emprisonnement à perpétuité. Selon le préambule de la Loiorganique n° 16/2004, cette alternative à la peine de mort permet auxcondamnés de s'amender. Cette position est conforme au moratoire de faitobservé quant à l'application de la peine de mort depuis les exécutions du 24  juin 1998. Par ailleurs, les négociations avec le Tribunal pénal internationalpour le Rwanda au sujet des possibilités de transfert ont permis augouvernement de relancer le débat sur l'abolition de la peine capitale.

En cas d'aveu fait avant la publication de la liste des auteurs présumés, lescondamnés de la première catégorie sont passibles d'une peined'emprisonnement de 25 à 30 ans. Avant 1996, ils encouraient une peined’emprisonnement à perpétuité et, aux termes de la loi de 2001,l'emprisonnement à perpétuité ou une peine d'emprisonnement de 30 ans.

Les condamnés de la deuxième catégorie sont passibles d’une peined'emprisonnement de 25 à 30 ans pour les homicides volontaires et de 5 à 7

ans pour les crimes commis sans intention de donner la mort. En cas d'aveu, lapeine pour homicides volontaires varie de 12 à 15 ans d’emprisonnement sil'aveu est intervenu après l'inscription sur la liste des auteurs des infractionsdu génocide dressée par la juridiction  gacaca  , et de 7 à 12 ans si l'aveuintervient avant. Et la peine pour les crimes commis sans intention de donnerla mort varie de 3 à 5 ans si l'aveu est intervenu après l'inscription et 1 à 3 anss'il est intervenu avant.

Le législateur a prévu un barème de sanctions spécial pour les mineurs(catégorie 1 : entre 3 et 10 ans d’emprisonnement ; catégorie 2 : 18 mois à 6 ansd’emprisonnement ; catégorie 3 : réparation civile).

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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La Loi organique n° 16/2004 a institué la peine de travaux d'intérêt général,dont l’organisation et la réglementation ont fait l'objet de l'Arrêté présidentiel

n° 26/01 du 10 décembre 2001. Les travaux d'intérêt général sont conçus pourservir l'intérêt de la société. Là où il est prévu, ce mécanisme permet à l'accuséde ne rester en prison que pour la moitié de la peine prononcée et d'effectuerle reste de sa peine en liberté, sous la forme de travaux d'intérêt général qui luiauront été assignés. Les condamnés de la troisième catégorie ne peuvent êtrecondamnés à une peine de travaux d’intérêt général et doivent réparer lesdommages causés aux biens d'autrui.

3.3.2.5 Le droit des victimes à réparation

La question du droit à réparation des victimes du génocide et de crimes contrel'humanité est délicate. Le concept même de victime est difficile à cerner. Deplus, comment faire en sorte que les victimes soient indemniséesintégralement ? L'indemnisation des victimes est un élément essentiel de lalutte contre l'impunité des crimes graves. C’est la raison pour laquelle desmesures de réparation adéquates doivent être prises afin de rationaliser leprocessus de réconciliation. Les articles 27 à 32 de la Loi organique n° 08/96 du30 août 1996 renvoient la question de l'indemnisation aux règles ordinairesrelatives à la dénonciation, à la plainte et à l'action civile, en y apportant

quelques aménagements.Aux termes de cette loi, les victimes, agissant en personne ou parl'intermédiaire d'associations légalement constituées, peuvent se constituerpartie civile et introduire une action en dédommagement, à l’occasion dudépôt de la plainte. Si dans les six mois, le Ministère public n'a pas saisi la  juridiction compétente, la partie civile peut agir par voie de citation directedevant le tribunal. D'après Avocats Sans Frontières, cette faculté n'a jamais étéexercée par une victime.

Le Ministère public représente d'office ou sur demande les intérêts civils des

mineurs et autres personnes dépourvues de représentants légaux, lors de cesprocédures. Les condamnés relevant des deuxième, troisième et quatrièmecatégories prévues par la Loi organique n° 08/96 encouraient la responsabilitécivile découlant des actes criminels qu'ils avaient commis personnellement.Par contre, l’article 30 de cette loi, dérogeant au droit commun de laresponsabilité civile, faisait porter aux condamnés de la première catégorie laresponsabilité civile conjointe et solidaire pour tous les dommages causés. Cesprincipes n'apparaissent plus dans la Loi organique n° 16/2004.

Sur requête du Ministère public, la juridiction saisie d'une action publique

en matière de génocide ou de crimes contre l'humanité pouvait allouer aux

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victimes non encore identifiées des dommages et intérêts à verser sur un fondsd'indemnisation des victimes (article 30 de la Loi organique de 1996). La Loi

organique n° 16/2004 laisse à une loi particulière le soin de déterminer lesautres actions à mener en faveur des victimes (article 96).

La Loi organique no° 16/2004 est muette en ce qui concerne les dommagesmatériels autres que ceux liés aux atteintes aux biens et les dommages pourpréjudices moraux (régis par son article 75). Elle charge cependant les juridictions  gacaca d'appel (secteur) d'établir la liste des préjudices corporelsou des infractions subis par les victimes. Elle se garde toutefois de préciser cequ'il advient de l'énumération des préjudices que les juridictions sont tenuesde faire figurer dans les jugements qu'elles rendent.

Le problème de l'indemnisation des dommages matériels et moraux semblen'avoir pu être tranché à l'occasion de l'adoption de la nouvelle loi de 2004.

3.3.2.6 Voies de recours

Les juridictions gacaca peuvent rendre des jugements par défaut, lesquels sontsusceptibles d'opposition dans un délai de quinze jours après leur notification.Le même délai est imparti pour former appel devant une juridictionsupérieure contre un jugement prononcé par une juridiction  gacaca. Les arrêts

de la Cour d'appel dans les procès des prévenus relevant de la premièrecatégorie sont susceptibles d'un pourvoi en cassation. Les jugements des juridictions gacaca ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Seulle procureur général de la Cour suprême peut, d'office ou sur requête et dansun délai de trois mois, se pourvoir en cassation contre une décision qui seraitcontraire à la loi.

3.3.3 Avantages et limites du système gacaca 

Le système  gacaca a le mérite d'augmenter la capacité de la justice rwandaisede régler le volumineux contentieux du génocide. Par ailleurs, cette justiceparticipative rapproche la justice du justiciable et peut, si tout obstacle estlevé, contribuer au rétablissement de la vérité. Des obstacles existentcependant :

•  Faire connaître la vérité est très délicat. C’est un travail long etlaborieux, dont l'issue dépendra notamment de la participation de tous.L'organisation Penal Reform International, qui a beaucoup travaillé surle système  gacaca  , révèle une faible participation de la population aux

activités des Gacaca pendant les deux phases préjuridictionnelles. On a

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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constaté un manque d'intérêt croissant de la population, à l'exceptionnotable de nombreux rescapés. La situation s'est améliorée, bien que

certaines juridictions  gacaca affichent une faible participation de lapopulation. Pour encourager les citoyens à participer, les activités sontsuspendues pendant les réunions des assemblées générales de Gacaca dechaque entité ;

•  La justice participative suppose un cadre social permettant une libertéd'expression minimale, tolérant la dissidence. Non seulement legénocide a déchiré le tissu social, mais il a aussi détérioré certainesvaleurs de base partagées par les communautés locales. Or, à ce jourencore, le climat sociopolitique au niveau local ne semble pas êtreporteur d'ouverture, de sérénité et de tolérance, propices à lamanifestation de la vérité8. Ce contexte sociopolitique se caractérise parle rétrécissement d'espaces d'expression permettant un débat libre etcontradictoire, ce qui n'est pas favorable à l'éclosion de la vérité surl'histoire du Rwanda, jalonnée de crimes de sang ;

•  La coexistence sociale au Rwanda bute contre l'antagonisme entre deuxcatégories de citoyens, à savoir les rescapés et les familles desprisonniers, auteurs du génocide, même si le gouvernement déploie desefforts considérables pour réduire le fossé qui les sépare. Ce problèmeest mis en évidence dans le rapport du Représentant spécial de la

Commission des droits de l'homme des Nations Unies sur la situationdes droits de l’homme au Rwanda en ces termes : « Le gouvernement aannoncé son intention de remettre en liberté 10 000 détenus noninculpés. Furieux, des rescapés ont crié au déni de justice, si bien que ladécision de libérer tout le monde en même temps a été abandonnée auprofit d'une solution plus discrète ». Très récemment, la même tendancea été observée lors de la mise en liberté provisoire de détenus9 ;

•  La protection des témoins et des victimes est un problème. Les rapportsdes organisations de la société civile telles que Avega-Agahozo10 font

état de menaces contre des témoins. Il est cependant difficile d'enapprécier l'impact sur le système ;

______________________

8  VANDEGINSTE , Stef, « Les juridictions gacaca et la poursuite des suspects du génoci-de, des crimes contre 1’humanité au Rwanda », in Dialogue , n° 234, 2004, p. 26. 

9  Entre janvier 2003 et août 2005, plus de 30 000 détenus avaient bénéficié d'une

liberté provisoire.

10  Association des veuves du génocide d’avril 2004.

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•  La réinsertion des détenus libérés pose aussi problème, certainsrencontrant d’énormes difficultés pour se réintégrer dans leur milieu

d'origine ;•  Un autre défi sur la voie de réconciliation est la non-reconnaissance des

crimes commis ;

•  La plupart des personnes assistant aux procès, les survivants enparticulier, sont souvent choquées d'entendre un criminel avouer soncrime sans manifester la moindre émotion, parfois même avec beaucoupd'agressivité. Les rescapés se demandent, avec raison, si les aveux sontsincères, dans la mesure où souvent aucun remord n'est exprimé. Desmembres de l'assistance semblent être choqués par les accusations et la

désignation de complices. En outre, les prévenus ont tendance àprésenter le génocide comme la conséquence de la politique menée parle gouvernement en place à l’époque et de celle du régime colonial, quiles a mis dans une position difficile. Il est regrettable que legouvernement actuel semble privilégier cette position. A notre sens, lesprévenus ne paraissent pas accepter la responsabilité de leurs crimes,même s'ils avouent. Ils ne recourent à l'aveu que pour bénéficier desavantages qui lui sont liés ;

•  Une autre limite est d'ordre culturel. Par le passé, au Rwanda, la vérité

dépendait de l'autorité et des intérêts en jeu. Un certain comportement,emprunté à la tradition rwandaise, fait que la vérité n’est pas toujoursdite, car le silence permet de se ménager les faveurs des grands. C’estainsi que certains usent du mensonge ou de demi-vérités pour charger lepetit ou le pauvre ;

•  La compétence temporelle des juridictions  gacaca couvre la périodeallant d'octobre 1990 au 31 décembre 1994. Certains analystes croient, àtort ou à raison, que les Gacaca devraient poursuivre tous les crimesquelle que soit l’appartenance ethnique de l'auteur. La poursuite descrimes commis par des éléments du Front patriotique rwandais et sa branche militaire, l'Armée patriotique du Rwanda, ne relève que de lacompétence des juridictions militaires. Il sera donc difficile de connaîtrela vérité et cela pourrait avoir un impact considérable sur l'objectif visé :la réconciliation des Rwandais ;

•  Le manque de formation des juges des juridictions  gacaca est un obstaclemajeur à la manifestation de la vérité. Une meilleure formation est unecondition sine qua non pour garantir la réussite du système. Au stadeactuel, l'inexpérience des juges a des effets pervers : arrestationsarbitraires, règlements de comptes et abus de pouvoir ;

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•  Les conditions matérielles que connaissent les personnes intègres quicomposent les sièges des Gacaca ne sont pas de nature à les protéger des

pressions. Jusqu'à ce jour, ces juges sont des bénévoles, ce qui estanormal ;

•  Enfin, les principes relatifs à la procédure régulière ne sont pasentièrement pris en compte dans les différentes lois organiques sur lesGacaca.

Dans son rapport semestriel de 1999, Avocats Sans Frontières note que « sansocculter le fait que des sanctions seront prononcées, la Gacaca doit êtreconsidérée comme un mode extrajudiciaire de règlement du contentieux degénocide. Il serait vain de se référer aux critères habituels de fonctionnement

de la justice classique »11.

Cette position ne nous paraît pas fondée. En effet, conformément à laconception moniste que le Rwanda applique, la législation sur les Gacaca doitse conformer aux traités et conventions internationaux relatifs aux droits del'homme qu’il a ratifiés. D'ailleurs, le paragraphe 9 du préambule de laConstitution du 4 juin 2004 réaffirme l'attachement du Rwanda aux normesinternationales contenues dans les instruments internationaux régulièrementratifiés.

3.3.4 Conclusion

Le système gacaca accroît certes la capacité de la justice rwandaise de juger lesauteurs du génocide et des crimes contre l'humanité, mais son succès ou sonéchec dépendra de la crédibilité du système, de l'acceptation ou du rejet desdécisions rendues à tous les niveaux.

Les obstacles identifiés doivent être levés afin de crédibiliser le système auprèsde ceux qui l’utilisent. A notre sens, la vérité qui sera établie au terme de lamission des Gacaca ne sera que partielle si certains crimes continuent àéchapper à leur compétence. Si tel est le cas, la réécriture de l'histoirerwandaise mettrait en exergue les causes qui sont à l’origine des massacrescycliques perpétrés dans le « Pays des mille collines », de son accession àl'indépendance jusqu'au génocide de 1994.

______________________

11 Avocats Sans Frontières, op.cit. , p. 11. 

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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3.4  Réforme du système de sécurité et procédures devérification et de filtrage de la fonction publique(vetting )

Alexander Mayer-Rieckh 3.4.1 Pourquoi la réforme du système de sécurité intéresse-t-elle la justice

transitionnelle ?

La justice transitionnelle a trait à une diversité d’approches que les sociétésutilisent pour gérer un héritage de violations graves des droits de l'homme et bâtir un avenir plus juste et plus pacifique. Ces approches, à la fois judiciaireset non judiciaires, visent à englober diverses dimensions de la justice quiaccordent une reconnaissance aux victimes et aux survivants, encouragent la

confiance des citoyens et contribuent à la reconstruction sociale. Dans « justicetransitionnelle », le mot « transitionnelle » qualifie non la qualité de la justicequi est recherchée mais le contexte dans lequel elle est recherchée : des sociétésqui sortent d’un conflit ou d’un régime autoritaire et sont confrontées à unhéritage de violations graves des droits de l'homme.

Les principales approches de la justice transitionnelle comprennent lespoursuites pénales engagées contre les auteurs des violations, les efforts derecherche de la vérité entrepris pour déterminer et reconnaître l’ampleur et lanature des violations, les réparations accordées aux victimes, les programmes

de réconciliation des communautés divisées et la réforme des institutions1. Laréforme institutionnelle, en tant que moyen de prévenir la récurrence desviolations, est de plus en plus reconnue comme une obligation au regard dudroit international2. Elle contribue à accorder une reconnaissance aux victimeset aux survivants en tant que citoyens qui ont des droits, et à faire comprendreque tous les membres de la société sont des citoyens égaux. Elle contribue enoutre à légitimer à nouveau les institutions de l’État et à promouvoir laconfiance des citoyens.

______________________

1   JOINET  , Louis, Question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme(civils et politiques) ,  Rapport final révisé, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, p.10 (notantque les États doivent prendre des mesures « pour éviter que les victimes ne soient ànouveau confrontées à des violations portant atteinte à leur dignité »).

2 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Velásquez Rodríguez decision , Inter-Am.Ct. H.R. 35, OSA/ser. L/V/III. 19, doc. 13, app. VI, 1988, pp. 174-175. Voir aussiMÉNDEZ ,   Juan E. et MARIEZCURRENA  , Javier, « Accountability for Past HumanRights Violations: Contributions of the Inter-American Organs of Protection »,

Social Justice 26 , n° 4, 1999.

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Les violations les plus massives et les plus systématiques sont généralementcommises par des organismes et des groupes qui ont les moyens d’exercer une

force coercitive, c’est-à-dire, les forces armées, les organismes chargés del’application des lois et autres organes de sécurité intérieure, ainsi que lesgroupes armés non étatiques. Une stratégie efficace de prévention desviolations ou de leur résurgence devrait donc viser, en priorité, ces organismeset ces groupes. Il faut, généralement, dissoudre les groupes armés nonétatiques, dont les membres doivent être démobilisés ou intégrés dans desinstitutions régulières de l’État3. La réforme des forces armées sera axée, enparticulier, sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration dupersonnel excédentaire dans la vie civile, la démilitarisation du secteur chargéde l’application des lois, et la limitation du rôle des forces armées à des

fonctions de défense extérieure. Les organismes chargés de l’application deslois auront pour mandat d’assurer la sécurité en exerçant une force coercitiveorganisée, et jouiront pour ce faire de pouvoirs d’arrestation et de détentionainsi que de la possibilité d’user de la force meurtrière. En raison égalementdu caractère clandestin et secret d’une grande part de leur travail, et despossibilités d’ingérence politique, ils comportent des risques importants dedérapage et donc d’effets néfastes sur les normes fondamentales. Cesorganismes sont potentiellement particulièrement susceptibles de commettredes violations4. Cela est le cas, notamment, dans le contexte fragile des sociétésqui sortent d’un conflit ou d’un régime autoritaire, quand des organismes

chargés de l’application des lois et autres organes de sécurité intérieure, quiont commis des violations, peuvent porter atteinte à l’état de droit etcompromettre la transition elle-même. La justice transitionnelle porte donc un

______________________

3 Voir ORENTLICHER ,  Diane, Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jourl’Ensemble de principes pour la lutte contre l’impunité, Additif . E./CN.4/2005/102/Add.1,

8 février 2005, p. 18. De nombreux auteurs ont récemment souligné que lesstratégies de réforme du secteur de la sécurité restent trop étato-centriques et que,pour aboutir, les interventions doivent aussi englober et réformer les structures nonétatiques et informelles. Voir, par exemple : UK Department for InternationalDevelopment, « Non-state Justice and Security Systems », DFID Briefing PD Info018 , 2004.

4 Voir la Résolution Code de conduite pour les responsables de l’application des lois,Assemblée générale des Nations Unies, A/34/169, 17 décembre 1979. Le préambulenote que « la nature des fonctions d’application des lois pour la défense de l’ordrepublic et la manière dont ces fonctions s’exercent ont une incidence directe sur laqualité de la vie des particuliers, tout comme de la société dans son ensemble » et

souligne les « abus que l’exercice de ces devoirs peut entraîner ».

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intérêt particulier à la réforme des organismes de sécurité qui ont commis desviolations, notamment ceux chargés de l’application des lois ou de la sécurité

intérieure5

.

3.4.2 Qu’est-ce qu’une réforme du système de sécurité soucieuse de la justice ? 

Une réforme du système de sécurité soucieuse de la justice vise à transformerun système de sécurité ayant commis des violations en un système quirespecte et protège les droits de l'homme. Les mesures destinées à prévenir larécurrence des violations seront principalement de trois ordres : renforcerl’intégrité du système de sécurité, promouvoir la légitimité de ce système et

donner aux citoyens, notamment les victimes et les survivants des violations,les moyens d’agir. La cohérence avec d’autres mesures de justicetransitionnelle renforcera encore l’efficacité et la crédibilité de l’effort deréforme.

3.4.2.1 Renforcer l’intégrité du système de sécurité

La dimension intégrité du système de sécurité a trait aux moyens employés etaux fins poursuivies pour garantir la sécurité. Dans les situations d'après-

conflit ou d'après-régime autoritaire, la réforme du système de sécurité estsouvent fortement axée sur la formation, la fourniture de ressources et lerenforcement de l'efficacité organisationnelle, pour surmonter le déficit decapacités du système de sécurité. Toutefois, le déficit de capacités n’estgénéralement pas la seule ni même la plus importante des insuffisances dusystème de sécurité dans ce type de situations. En fait, il est fréquent que lesorganismes responsables des violations utilisent leurs compétences et leursressources avec une « efficacité » remarquable. Se concentrer exclusivement,pendant la période d'après-conflit ou d'après-régime autoritaire, sur lerenforcement des capacités de ces organismes c’est prendre le risque d’aider

leurs membres à poursuivre leurs pratiques, et même de faciliter des« violations plus efficaces ». Les efforts déployés pour prévenir la récurrencedes violations ne devraient donc pas se limiter au développement descapacités d'un système de sécurité, mais viser avant tout à renforcer l’intégritédu système.

______________________

5 Nombre des mesures de réforme décrites s’appliquent, cependant, au secteur public

en général.

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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Dans les situations d'après-conflit ou d'après-régime autoritaire, les mesuresde renforcement de l'intégrité auront pour objet, au minimum, de garantir que

les membres d'un organisme de sécurité s'abstiennent de commettre desviolations graves. Par-delà cette norme minimaliste, les réformes entreprisespour renforcer l'intégrité s’attacheront à promouvoir un service public quiréponde de manière équitable aux besoins de tous les citoyens. Promouvoirl'intégrité d'un organisme de sécurité ayant commis des violations peut exigerun changement radical dans les fins et les moyens qui sont les siens : passerdu service de l'État, d’un régime autoritaire ou de groupes d'intérêts partisansau service des citoyens ; de l’oppression, l’impunité et l’arbitraire àl’obligation de rendre compte et à la légalité ; de comportements suscitant lapeur à la satisfaction des besoins du public. Par conséquent, les mesures de

renforcement de l'intégrité comprennent, notamment, des réformesstructurelles qui préviennent les violations (par exemple, procédures devérification et de filtrage de la fonction publique (vetting) pour exclure lesfonctionnaires qui se sont livrés à des violations ; renforcement de laresponsabilité des institutions, en particulier, mécanismes de recensement,d’identification, de discipline interne et de surveillance externe ; renforcementde l'indépendance des institutions pour éviter les ingérences politiquespartisanes ; et promotion de la représentation adéquate des deux sexes et desminorités dans les organismes de sécurité) et qui augmentent la capacité deréaction du système de sécurité (par exemple, formation aux droits de

l'homme et promotion de la surveillance policière de proximité).

3.4.2.2 Promouvoir la légitimité du système de sécurité

La dimension légitimité  a trait au degré de confiance dont un système desécurité jouit auprès des citoyens. Un héritage de violations gravescompromet gravement la légitimité du système de sécurité. Les mesures derenforcement de l'intégrité mentionnées plus haut améliorent la légitimité dusystème de sécurité mais peuvent ne pas être suffisantes pour surmonter la

crise de confiance profonde que connaissent les sociétés sortant d'un conflit oud'un régime autoritaire6. Un héritage de violations massives et systématiques

______________________

6 J’utilise la notion de confiance développée par DE GREIFF  , Pablo, « The Role ofApologies in National Reconciliation Processes: On Making TrustworthyInstitutions Trusted », The Age of Apology: The West Confronts Its Past  , Ed. GIBNEY ,Mark ; HOWARD-HASSMANN , Rhoda E. ; COICAUD , Jean-Marc ; et STEINER , Niklaus,(à paraître). Il soutient que faire confiance à une institution suppose « savoir que sesrègles constitutives, ses valeurs et ses normes sont partagées par les participants,

qui les considèrent comme contraignantes ».

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continue, à l’issue d’un conflit ou après la chute d’un régime autoritaire, desaper la légitimité d'un organisme chargé de la sécurité, car les citoyens,

notamment les victimes des violations, ne savent pas si ses membres enpartagent et en respectent les normes et les valeurs fondamentales — et leursdoutes sont souvent justifiés. Les situations d'après-conflit et d'après-régimeautoritaire sont donc fréquemment caractérisées par la méfiance à l'égard desorganismes de sécurité. Un organisme qui ne suscite pas la confiance aura dumal à fonctionner efficacement parce qu'il est peu probable que des citoyensqui ne peuvent pas avoir la certitude qu’il pourvoira à leurs besoins etproduira les résultats attendus se tournent vers lui.

Des mesures spécifiques de renforcement de la légitimité peuvent aider àsurmonter cette crise de confiance profonde et à transformer des organismesdignes de confiance en des organismes qui suscitent la confiance. Ces mesurescomprennent, par exemple, les excuses des représentants des organismesimpliqués dans des violations massives et systématiques du passé ; lesmonuments commémoratifs, les journées du souvenir et les musées qui sontdédiés à la mémoire des victimes et reconnaissent le rôle des organismes enquestion dans les violations commises dans le passé ; le changement des nomsdes rues et des places publiques qui portent les noms des responsables ou desorganismes auteurs des violations ; la modification des blasons, des insignes etdes uniformes qui sont associés au passé de violence ; et la recherche de lavérité au sein des institutions même. Ces mesures ciblées réaffirmentverbalement ou symboliquement la volonté de surmonter l'héritage deviolations et d’adhérer aux normes et aux valeurs démocratiques.Contrairement aux mesures de renforcement de l'intégrité, elles n’ont paspour objet de modifier les comportements en assurant une formation, ou dedévelopper des structures décourageant les violations. Elles ne visent pas à« promouvoir la confiance à travers l'action » mais à réaffirmer des normes.Elles le font en reconnaissant les violations passées, en exprimant la volonté dese détourner du passé et en réaffirmant l'attachement aux normes.

3.4.2.3 Renforcement du contrôle citoyen

Outre les mesures de renforcement de l'intégrité et de la légitimité, lerenforcement de la capacité de contrôle citoyen fait partie intégrante d'une réformedu système de sécurité soucieuse de la justice. Les cibles premières d'une telleréforme sont les institutions publiques responsables de violations, mais le rôledes citoyens doit lui aussi changer au cours du processus de réformetransitionnelle. Les citoyens ne sont plus simplement les sujets de l'oppressionde l'État ou les victimes de la violence liée au conflit. Ils deviennentvéritablement des citoyens qui ont des droits, des responsabilités et des besoins — des citoyens que les institutions publiques sont appelées à servir.

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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Le processus de reconnaissance des victimes de la violence et des sujets del’oppression exercée par l’État, en tant que citoyens jouissant de droits, se

produit principalement en transformant les institutions responsables desviolations en des organismes publics responsables et participatifs, ainsi qu'enadoptant d'autres mesures de justice transitionnelle. En même temps,toutefois, les victimes de la violence et les sujets de l'oppression de l'Étatpeuvent être visés directement et habilités à se reconnaître et à être reconnuscomme des citoyens ayant des droits, des devoirs et des besoins légitimes. Lescampagnes d’information, les enquêtes menées auprès des citoyens pourdéfinir leurs besoins en matière de sécurité et de justice, la formation desorganisations de la société civile à la surveillance du système de sécurité, laformation des médias sur la question de la sécurité dans la démocratie,

constituent autant d’efforts de renforcement du contrôle citoyen. Ilspermettent aux citoyens d'agir sur le processus de réforme institutionnelle, surles organismes chargés de l'application des lois et la sécurité interne, etcontribuent à construire une relation dans laquelle chacun reconnaît le rôlelégitime de l’autre.

3.4.2.4 Cohérence avec d’autres mesures de justice transitionnelle

La cohérence touche, à la fois, à l’interdépendance des différentes mesures qui

sont prises en vue de la réforme du système de sécurité, qui devront être denature à réaliser la transformation transitionnelle espérée, mais également à lacorrélation qui existe entre cette réforme et d’autres efforts de justicetransitionnelle. Un héritage de violations massives et systématiques produitsouvent une crise institutionnelle profonde appelant une réformetransitionnelle qui ne sera efficace et durable que si elle est générale. Uneréforme du système de sécurité soucieuse de la justice sera encore pluscrédible et efficace si elle s’inscrit dans le cadre d’une politique globale de  justice transitionnelle et si elle est associée à des mesures telles que lespoursuites pénales, la recherche de la vérité et l’indemnisation des victimes.

Par exemple, la réforme du système de sécurité ne sera pas crédible aux yeuxdes victimes et des survivants si aucun effort n’est fait pour accorder desréparations. De même, en l’absence de mesures destinées à réduire laprobabilité d’une récurrence des violations, le versement de réparations serasans doute perçu par les victimes et les survivants comme un gestesymbolique. Les différentes composantes d’une approche cohérente de la  justice transitionnelle sont indissociables et sont beaucoup plus susceptiblesd’avoir des effets si elles se complètent les unes les autres.

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encouragés à prendre en vertu du droit international10 et qui sont largementreconnues comme étant de nature à renforcer l’intégrité des organismes

publics dans les pays sortant d’un conflit ou d’un régime autoritaire11

. Ellespeuvent aussi permettre aux institutions des secteurs de la sécurité et de la  justice de déterminer la responsabilité pénale des violations passées. Unservice de police réformé, par exemple, peut enquêter professionnellement surles violations commises durant le conflit ou le régime autoritaire ; un parquetréformé peut efficacement établir des actes d’accusation ; et un tribunalréformé peut juger de manière impartiale les violations passées.

En outre, dans les situations où les poursuites pénales sont limitées ouretardées, les procédures de vérification et de filtrage de la fonction publique(vetting)  peuvent contribuer à combler le « fossé de l’impunité » engarantissant que les responsables des violations passées ne continuent pas, aumoins, à jouir des avantages et privilèges de la fonction publique12.Néanmoins, ces procédures ne devraient pas servir de prétexte pourabandonner les poursuites pénales. Reste que la pénurie de ressources dansune situation d’après-conflit ou d’après-régime autoritaire, ainsi que lesobstacles juridiques et la multitude des crimes, empêchent souvent depoursuivre tous les auteurs des violations du passé.

Les stratégies de vérification et de filtrage de la fonction publique (vetting) doivent tenir compte des particularités historiques et politiques uniques

auxquelles une société sortant d’un conflit ou d’un régime autoritaire estconfrontée. Ces situations soulèvent des défis considérables mais offrent aussi,souvent, des possibilités inégalées de changements institutionnels. D’une part,plusieurs conditions fondamentales préalables doivent être remplies, enparticulier la réalité de l’autorité et du contrôle du gouvernement sur le

______________________

10  Id. Voir aussi Comité des droits de l’homme, Observations finales : Argentine, Examendes rapports présentés par les États parties en vertu de l'article 40 du Pacte,  

CCPR/CO/70/ARG (2000), para. 9. Le Comité a fait des observations analogues ausujet de la Bolivie, du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Guatemala et duParaguay.

11  Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période detransition , op.cit., pp. 22-23. Voir aussi : Haut-Commissariat des Nations Unies auxdroits de l’homme, Rule-of-Law Tools for Post-Conflict States – Vetting: An OperationalFramework , Nations Unies, New York et Genève, 2006.

12 Le fossé de l’impunité est un phénomène récurrent dans les situations de transitionoù de nombreuses personnes ont été impliquées dans des violations graves mais oùtoutes ne peuvent pas être poursuivies. Voir Haut-Commissariat des Nations Uniesaux droits de l’homme, Rule-of-Law Tools for Post-conflict States – Prosecution

Initiatives , Nations Unies, New York et Genève, 2006, pp. 7-10.

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secteur public, un mandat reconnu en droit, la volonté politique et desressources suffisantes pour mener une procédure de vérification et de filtrage

de la fonction publique (vetting). D’autre part, la conception d’une telleprocédure doit chercher à prévenir certaines conséquences indésirables, enparticulier l’utilisation du processus à des fins politiques partisanes, lacréation d’un déficit de gouvernance, ou la déstabilisation de la situationpolitique et de sécurité. Il est recommandé de procéder à une analyseapprofondie pour déterminer si les conditions sont propices à la mise en placed’un tel processus et évaluer les risques de conséquences indésirables.

Une grande souplesse est possible. La procédure peut, par exemple, viser tousles postes ou seulement quelques postes au sein d’un organisme public, ouune certaine catégorie de postes dans tous les organismes ; prendre la formed’un processus d’examen ou de rengagement ; et utiliser un mécanismespécial ou un mécanisme régulier. Différents types d’institutions soulèventdes préoccupations particulières. Une procédure de vérification et de filtragedes magistrats, par exemple, imposera de tenir dûment compte del’indépendance du système judiciaire. Les droits fondamentaux des personnesqui en sont l’objet doivent être respectés. La procédure doit être fondée surl’évaluation du comportement personnel et non pas sur l’appartenance à ungroupe ou à une institution. Tout processus d’examen doit respecter lesnormes minimales de procédure régulière : conduire la procédure dans desdélais raisonnables et généralement en public ; aviser les parties en cause de laprocédure qui a été engagée contre elles et des charges qui ont été retenues ;leur donner la possibilité d’organiser leur défense, y compris l’accès auxdonnées pertinentes ; leur donner la possibilité de présenter des arguments etdes preuves, et de répondre aux arguments et aux preuves de la partieadverse, devant l’organisme d'examen ; leur donner la possibilité d’êtrereprésentées par un avocat ; les aviser de la décision et des raisons de ladécision ; leur donner la possibilité de présenter un recours devant un tribunalou un autre organisme indépendant13. Les agents nommés illégalement, enviolation des règles de procédure ou des exigences en matière dequalifications, peuvent être démis de leurs fonctions sans qu’il soit besoind’établir d’autres raisons pour leur révocation14.

Les procédures de vérification et de filtrage de la fonction publique consti-tuent une mesure importante mais généralement insuffisante pour renforcerl’intégrité des institutions publiques dans les sociétés sortant d’un conflit oud’un régime autoritaire. En général, elles doivent constituer une composante

______________________

13 JOINET , Louis, op. cit. , p. 29.

14 ORENTLICHER , Diane, op. cit. , p. 16.

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d’une réforme beaucoup plus large de l’institution concernée pour enmaximiser l’impact et en garantir la crédibilité. Le plus souvent, les déficits

d’intégrité des agents de l’État ne sont pas la seule défaillance des institutionspubliques dans les situations d’après-conflit ou d’après-régime autoritaire, etl’exclusion des personnes qui manquent d’intégrité ne peut pas à elle seuleproduire les changements requis pour prévenir la récurrence des violations.

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violations de droits de l'homme pendant le conflit en Sierra Leone — hommeset femmes — attendent donc toujours la réparation qui leur est due.

3.5.4 Identité et réparations

Concernant maintenant l'identité et la réparation, nous avons remarqué qu'ilexiste une lacune dans la connaissance systématique des relations entre lesconflits dits « identitaires » et la dimension des réparations ayant trait auxcaractères ethnique, religieux ou linguistique des victimes. C’est un problèmesurtout dans les contextes postconflit (par exemple en ex-Yougoslavie, auRwanda, au Burundi, en République démocratique du Congo, ou en Irak), où

la politique, les perceptions, et même le sentiment de sécurité sont fortementmarqués par les affiliations des groupes.

Cela pose la question du lien entre réparations et politique à plus grandeéchelle. Lorsqu'il y a un héritage d’abus systématiques contre un groupe, ouun héritage de marginalisation en termes d’accès aux postes publics, aumarché et à l’économie, ou en termes de prise de pouvoir politique, social, ouculturel, lorsqu'il y a un héritage d’assimilation, par exemple, la répressiond’une langue ou d’un mode de vie : comment traiter ces abus à long termedans le cadre d’un programme de réparations ? Va-t-on les passer soussilence ?

Comment repenser les processus de la justice transitionnelle dans de tels cas ?Nous avons souligné que la réparation est un moyen de restaurer la dignitédes victimes en tant que personnes et non en tant que membres d'un groupe.Mais est-il possible de restaurer la dignité du survivant d’un génocide, parexemple, si nous ne reconnaissons pas le caractère spécifique du crime, qui estle fait d’avoir ciblé un groupe, et non pas tel ou tel individu ? Et si nousreconnaissons le caractère propre du crime comme étant un crime contre ungroupe, est-ce que nous ne risquons pas la collectivisation de la culpabilitéparmi les membres de l’autre groupe, qui n’avaient peut-être pris aucune part

aux abus ?

Autrement dit, comment éviter le cycle de la politisation identitaire qui estsouvent à l'origine des conflits ?

3.5.4.1 Dilemmes de l'égalité et de la légitimité procédurales : deuxexemples

Deux exemples illustreront ces dilemmes. Le premier concerne la Commission

de vérité et réconciliation qui a été active de 2001 à 2003 au Pérou. Elle avait

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pour mandat d’enquêter sur une large gamme de violations des droits del'homme commises par le groupe rebelle Sentier lumineux et le mouvement

révolutionnaire Túpac Amaru, ainsi que par l'armée péruvienne, violationscaractérisées par des massacres, des disparitions forcées, des actes terroristeset des violences contre des femmes.

Dans leur grande majorité, les victimes étaient des indigènes, dont la languematernelle était souvent le quechua. Or, aucun indigène ne siégeait dans lacommission, et aucun des membres n'était de langue maternelle quechua. Lacommission mit donc un système de traduction à la disposition des indigènesqui venaient témoigner devant elle. En mettant en place ce système, personnen'avait pensé que la sorte de chapeau melon que portent toujours les femmesindigènes les empêcherait d'utiliser les casques que la commission mettait àleur disposition. Lorsque les femmes se présentèrent, le personnel de lacommission s'aperçut de l'erreur. Il fallut abandonner le système au milieu dela procédure pour utiliser des oreillettes.

Le second exemple concerne le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui poursuit son activité depuis 1993. Des études ont montré quele TPIY a la confiance de 83 % de la population du Kosovo mais seulement de8 % de la population de Serbie1. Partant de cette constatation, on pourraitestimer, en lien avec le dilemme relevé plus haut, que les efforts du TPIY pour  juger les principaux responsables de crimes de guerre et de crimes contre

l'humanité n'ont pas contribué de manière fondamentale à réconcilier lesdifférents groupes entre eux.

Le premier exemple montre les problèmes concrets tels qu'ils sont et uneprocédure équitable telle qu'elle devrait être : organisation, méthodesd'investigation, choix du personnel, technologies, proximité, etc. Une questionse pose : comment la procédure peut-elle assurer que la justice rendue soitéquitable envers tous les groupes ? Faudrait-il prévoir des procéduresspéciales pour les minorités, et si oui, quelle serait la meilleure méthode pourque la mise en œuvre soit à la fois efficace et équitable à l'égard de tous ?

Le second exemple met le doigt sur le problème de la légitimité, et sur lesdifférences de perception de la légitimité par les différents groupes en cause,lorsque la dynamique politique d'un pays se focalise sur des questionsidentitaires. La question qui se pose est alors de savoir comment combler lefossé qui sépare les différentes perceptions, afin d'aider à convaincre tous les

______________________

1 International Institute for Democracy and Electoral Assistance, South East EuropePublic Agenda Survey -Summary 2002. Cf.

http://archive.idea.int/balkans/survey_summary_intl_inst.htm

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en vue d'identifier les bénéficiaires potentiels. Une intense campagne decommunication, dont le financement était assuré, a permis des actions

en particulier par les groupes eux-mêmes, ce qui a renforcé la légitimitédu processus ;

•  Deuxièmement, sans être particulièrement complexe, ce programme deréparations mélangeait compensations matérielles et gestessymboliques : un versement unique de 20 000 dollars américains, ainsiqu'une lettre d'excuses signée par le président des États-Unis. Laconjonction des deux mesures représentait une authentiquereconnaissance de responsabilité et des revendications des victimes,ainsi qu'un engagement du gouvernement à protéger les libertés civilesde tous les Américains, sans discrimination, ce qui a accru la confiancedans les institutions publiques et dans les droits des citoyens ;

•  Troisièmement, les montants versés étaient relativement modestes selonles normes américaines. En fait, le versement avait pour objet non pas derétablir les victimes dans un statu quo antérieur, ce qui, de toute façon,aurait été impossible, mais plutôt de permettre aux victimes deretrouver leur dignité et de savoir qu'elles ont des droits en tant quecitoyens. Ce point est important pour les programmes de réparations engénéral. De nombreux États, en effet, prétendent ne pas posséder lesressources nécessaires pour financer semblables mesures. Cet argument

n'est pas très convaincant, car il est entendu que les réparationsdevraient avoir pour objet la restauration de la dignité et unereconnaissance de la citoyenneté à part entière, et non pas le retour à unstatu quo parfaitement impossible dans le cas des crimes les plus graves.Raison supplémentaire pour vouloir que les réparations comprennenttoute une gamme de compensations différentes, les unes matérielles, lesautres symboliques ;

•  Quatrièmement, les réparations destinées aux Américains d'origine  japonaise ont provoqué du ressentiment parmi les autres groupes

identitaires qui demandèrent aussi réparation des crimes commis aucours de l'histoire, en particulier chez les Afro-Américains qui ontdemandé des réparations pour l'héritage de l'esclavage dont ils ontsouffert aux États-Unis. Comme pour tout plan d'indemnisation parl'État, il faut peser avec soin les effets bénéfiques liés aux compensationsversées, et les inconvénients qui pourraient en découler. Il y a làcertainement un potentiel de ressentiment intercommunautaire, carl'attention que l'État porte à un groupe risque d'être perçue commeportant « préjudice » à un autre groupe. De plus, il est importantd'étudier très soigneusement la structure du mode de distribution, en

vue de décider si les bénéficiaires doivent être uniquement les personnes

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3.6  Politiques de réparation et réhabilitation desvictimes

Lucien Toulou

3.6.1 Introduction

Les sociétés en transition de la guerre à la paix ou d’un régime autoritaire à unrégime plus démocratique se trouvent inévitablement confrontées à uneobligation de réparation des dommages causés par les violations du passé.Celles-ci résultent souvent d’atrocités commises et d’abus de droitsattentatoires à la dignité des victimes, actes auxquels la transition politique estcensée mettre fin. La notion de justice transitionnelle est construite autour del’idée de rendre justice aux victimes des violations des droits de l’homme dans

des contextes de transition politique. Elle sera logiquement centrée sur laréparation des dommages causés par la société en général, ou par quelques-uns de ses membres en particulier, y compris les plus éminents d’entre eux.Mais ce champ émergent de pratiques va au-delà du cadre des poursuitespénales à l’encontre des bourreaux et d’autres auteurs d’abus de droits. Il nes’agit pas de privilégier une confrontation entre la victime et son bourreau etde sacrifier les intérêts du premier au profit de ceux du second en cherchant àtout prix à éviter la condamnation. Une autre approche est envisagée. Elleentend reconnaître, réparer le dommage subi, restaurer et réhabiliter la dignitéde la victime.

3.6.2 La réparation, une obligation de l’État

La réparation est une obligation de l’État de faire face aux crimes du passé. Encela elle doit être distinguée de la réparation comme mécanisme, parmid’autres, de la justice transitionnelle. Diverses politiques sont mises enapplication pour corriger les violations des droits de l’homme et éviter qu’ilsne se reproduisent à l’avenir : les poursuites pénales ; la recherche de la vérité,notamment à travers les commissions de vérité ; les politiques spécifiques de

réparation ; les réformes institutionnelles ; la remémoration et la constructiond’une mémoire collective. Les politiques de réparation comme moyen derestauration de la dignité des victimes sont donc à la fois une obligationmorale de l’État et une opportunité de promouvoir les efforts de réconciliationau travers d’un système de compensation, afin de répondre aux préjudicesque les victimes ont subis ou aux opportunités perdues suite à la violation deleurs droits.

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De fait, le Statut de Rome contient des dispositions novatrices en ce quiconcerne les victimes et prévoit, dans son article 68, la participation des

victimes5

et la mise en place d’une division d’aide aux victimes. Un fonds auprofit des victimes a également été créé par le Statut de Rome6 , qui pourra êtrealimenté par des ressources provenant des amendes et des ordonnances deréparation prononcées contre les personnes condamnées ainsi que par descontributions volontaires versées par des gouvernements, des organisations,des sociétés ou des particuliers.

L’exécution de l’obligation de restituer pose quelques problèmes dans lapratique en raison de la difficulté à restaurer entièrement les pertesconsécutives à des violations des droits de l’homme. Évaluer de telles pertesn’est jamais une tâche aisée et satisfaire entièrement les prétentions desvictimes relève souvent de la gageure. Il s’avère plus aisé d’offrir descompensations adéquates et équitables sous une forme monétaire pour tenterde redresser rétrospectivement les torts infligés aux victimes. Si la restitutionet son corollaire, la compensation, constituent des prestations directes offertesaux victimes ou à leurs ayants droits, la garantie de la non-répétition exige del’État qu’il prenne toutes les mesures institutionnelles nécessaires afin d’éviterque des faits similaires ne se reproduisent à l’avenir.

Il appartient à l’État de poursuivre et de punir ceux qui se sont renduscoupables d’atrocités, de défendre et de protéger leurs victimes, dans une

perspective à court et moyen termes. Dans le long terme, il lui incombenotamment de s’assurer de la mise en œuvre de mesures dissuasives contre lesméfaits des premiers et qui soient suffisamment fortes pour assurer auxseconds que leurs droits ne seront plus jamais bafoués. Cela passe notammentpar l’adoption d’une législation appropriée et l’éducation de tous aux droitsde l’homme. La réparation est donc à la fois un mécanisme rétrospectif etprospectif.

3.6.7 Réparations matérielles et symboliques

Les réparations peuvent être classées selon deux critères : selon leur nature etselon l’identité de leurs bénéficiaires. Selon leur nature, on distingue lesréparations matérielles et les réparations symboliques. Les réparationspeuvent être d’ordre matériel et prendre la forme d’indemnisations, dedédommagements ou d’autres mesures concrètes pour réparer les torts causés

______________________

5  Ibid., art. 68.

6  Ibid. , art. 79. 

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réparations sans pour autant transformer celles-ci en indécente contrepartiematérielle pour l’obtention d’un pardon difficile. C’est pourquoi « le

versement de réparations sans une documentation établissant les faits et unereconnaissance de la vérité, ou sans efforts authentiques visant à réformer lesinstitutions, peut être interprété comme un manque de sincérité —l’acquittement du prix du sang »7. Des réparations matérielles sans processuscomplémentaire de recherche de la vérité peuvent être perçues comme unetentative d’achat du silence et du pardon des victimes privées des aveux deleurs bourreaux.

Certaines politiques de réparation peuvent même brouiller les efforts deréconciliation si elles assimilent les mécanismes de réparation au profit desvictimes aux divers dispositifs amnistiants dont bénéficient les bourreaux. Sil’on admet logiquement qu’une réparation complète est impossible, laréparation seule ne suffit pas à soulager les victimes de leur douleur. Laréparation n’est pas une alternative aux poursuites pénales ou à la recherchede la vérité ; elle est complémentaire des unes et de l’autre. La réparation parl’État n’est ni une décharge des torts, ni un mécanisme de limitation deresponsabilité des auteurs de crimes et d’abus les plus flagrants. Elle impliquel’obligation de prendre en charge les victimes, matériellement etpsychologiquement, dans le but d’apaiser leur colère et de faire en sorte quede tels actes ne se répètent plus à l’avenir.

Deuxièmement, la réparation est généralement un acte de rémission adoptépar les nouveaux gouvernants. La charge des mécanismes de réparationincombe souvent non pas aux autorités sous le gouvernement duquel lescrimes ont été commis mais aux régimes qui leur succèdent. Ceux-ci seretrouvent ainsi avec un agenda socio-économique surchargé et c'est vers euxque convergent toutes les critiques en cas de non-satisfaction des demandes deréparation. Comme si l’innocent devait réparer les crimes du coupable !

La situation est pourtant plus complexe. Certes, ce n’est pas parce qu’ungouvernement promet des réparations aux victimes des atrocités du passé

qu’il doit automatiquement être considéré comme repentant. Il n’est pas excluque l’indemnisation des victimes obéisse à des contingences politiquesindifférentes à la douleur des victimes. Mais le théâtre de violence dans lequelse déroulèrent les atrocités ne met pas en scène les bourreaux d’un côté, et lesvictimes, de l’autre. Ceux qui ont vu et laissé faire ne sont pas que des

______________________

7 BORAINE  , Alex, « La justice transitionnelle : un nouveau domaine », Allocutionprononcée lors du colloque Réparer les effets du passé : réparations et transitions vers ladémocratie , Ottawa, Canada, 11 mars 2004, p. 5. Voir :

http://www.idrc.ca/uploads/user-S/10899187131Discours_d'Alex_Boraine.doc

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innocents ; les comparses et les spectateurs passifs ont leur part deresponsabilité pour avoir simplement été là. Par ailleurs, certains ont tiré un

 bénéfice indirect de la souffrance des victimes. D’autres ont souffert d’être deceux qui durent faire pression pour que l’avenir soit radicalement différent dupassé dans une société qui a bafoué la dignité humaine. En fait, les réparationssont une des pierres angulaires de la réconciliation des sociétés divisées.Qu’elles aient pris part ou non aux atrocités, les autorités qui décident desréparations ont pour objectif majeur de rétablir la légitimité du gouvernementauprès des populations tout en tentant de restaurer les victimes dans leurdignité. C’est l’une des voies pour jeter les bases d’une réconciliation durable,rétablir la confiance des citoyens en leurs institutions, refonder le lien social, bref « lever le deuil du passé » pour « parvenir à la réconciliation »8.

Troisièmement, les politiques de réparation impliquent souvent, mais pasexclusivement, la mobilisation d’importantes allocations budgétaires par desgouvernements faisant déjà face à d’autres priorités. Il arrive souvent que lesautorités aient la volonté politique d’accorder des réparations aux victimesmais qu’elles n’aient pas l’argent nécessaire pour financer les réparationssymboliques et matérielles exigées. La difficulté est aggravée par le nombre devictimes à indemniser. Trop nombreuses, les victimes ne pourraient recevoirque des montants insignifiants et ridicules. Si en revanche des critèresrestreints réduisent le nombre de bénéficiaires éligibles, de nombreuses autresvictimes qui mériteraient réparation se verraient exclues. Politiquement, detels gouvernements peuvent donc se retrouver dans la position de promettredes prestations qu’ils n’ont pas toujours la capacité réelle d’offrir aux victimes.

Plusieurs canaux peuvent servir pour la collecte des ressources appropriées :l’impôt, un fonds de solidarité, une taxe spéciale de réparation, une ligne  budgétaire spécifique, la saisie des avoirs des anciens dictateurs ou de toutautre bien mal acquis, la mise à contribution des entreprises nationales etmultinationales ayant profité de la situation. Outre de nombreuses difficultésà disposer de ces ressources dans la pratique, d’autres problèmes sontsusceptibles d’apparaître. Ils sont relatifs à l’existence ou non d’un consensus

au sein de la société autour des modalités de la réparation, à l’apparition denouveaux clivages ou à l’exacerbation de ceux qui existaient déjà, clivagesrésultant de la mise en œuvre des politiques de réparation elles-mêmes au seinde pays suffisamment meurtris par des années de guerre, d’autoritarisme oud’atrocités.

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8   JEWSIEWICKI  , Bogumil, « Lever le deuil du passé, parvenir à la réconciliation »,Cahiers d’études africaines , n° 173-174, 2004, p. 419-434. 

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  Mécanismes de la justice transitionnelle

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reconnaissance du monde entier et les excuses les plus émues desgouvernements, voire une assistance matérielle, peuvent aider à faire le deuil

des êtres chers, mais elles ne font pas spontanément tourner la page.En plus de l’offense, l’adéquation entre le préjudice subi et la réparationsuppose que la compensation soit basée sur les besoins exprimés par lesvictimes. L’équité d’un programme de réparations se mesure non seulementpar rapport à l’adéquation entre le préjudice subi et la réparation accordéemais, plus globalement, par sa capacité de répondre de manière spécifique à lafois aux besoins de restauration de la dignité de la victime, au problèmedélicat de la sélection des victimes ou des ayants droit, à l’impératif deréconciliation de la société autour de nouvelles valeurs (égalité, solidarité,inclusion, etc.).

Les politiques de réparation doivent être formulées et mises en œuvre de tellesorte qu’elles recueillent l’assentiment des victimes. Celles-ci doiventimpérativement participer à la définition des politiques de réparation conçuespour leur réhabilitation. Il n’est pas d’autre reconnaissance des victimes queleur inclusion au processus rétrospectif de redressement des torts qu’elles ontsubis et à celui, prospectif, d’invention d’un avenir qui soit différent de leurpassé. Des consultations et autres débats publics doivent être organisés pourparticiper aux efforts de réhabilitation de ceux qui ont souffert ; de simplesdécisions gouvernementales unilatérales de réparation ne suffisent pas; elles

peuvent même donner l’impression de forcer la main aux victimes ou n’êtreque l’expression de la magnanimité de dirigeants légitimés uniquement parleur prétention à redresser les torts du passé.

Rien ne doit donc être imposé aux victimes, des réparations financières auxdiverses commémorations de dates clés, des monuments aux rues en passantpar des musées, lieux divers auxquels elles sont censées pouvoir s’identifier, etgrâce auxquels elles pourraient se reconnaître. Les victimes ne demandentsouvent pas autre chose que de pouvoir bénéficier de conditions de viemeilleures pour elles-mêmes, pour leurs enfants, pour les survivants. Elles

exigent rarement des compensations financières élevées qui pourraient laissercroire qu’elles marchandent leur souffrance et mettent à prix leur pardon enquantifiant les peines qui leur ont été infligées. Pourtant, le versement demodiques sommes d’argent aiderait à satisfaire aux besoins les plusélémentaires de la plupart d’entre elles.

Une bonne politique de réparation doit également être dissuasive, capabled’inverser le sens de la dette entre le bourreau et sa victime. A travers uneréhabilitation psychologique de la victime, une telle politique doit pouvoirfaire passer celle-ci d’un statut d’individu bafoué dans ses droits à un statut detitulaire de droits inaliénables et sacrés reconnus par l’ensemble de la société.

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  La justice transitionnelle dans tous ses états : études de cas

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qu’elles pourraient contribuer à l’établissement des garanties de non-répétition. Corollairement, nous comprenons que cette transition doit

conduire à ce que l’État assume ses responsabilités pleines et entières vis-à-visde l’ensemble de ses citoyens. On comprendra que ces éléments doivent secombiner judicieusement avec les autres agendas du développement, de lasécurité, de la bonne gouvernance pour ne citer qu’eux. Enfin, dans le cadre deces transitions de guerre à paix, de dictature à démocratie ou de régimetotalitaire à régime démocratique, je comprends le terme de réconciliationcomme l’élaboration progressive d’un nouveau pacte sociétal.

Ces clarifications de vocabulaire apportées, je souhaiterais partager quelquesréflexions avec vous, approfondir quelques tensions et finalement tenter dedégager quelques principes.

Lorsqu’on use les termes de « justice transitionnelle », on observegénéralement que le terme de transitionnel recouvre des situations trèsdisparates ; le passage du postapartheid, postdictature, postgénocide,postguerre à une autre « situation » qui se réfère à l’état de droit, ladémocratie, la bonne gouvernance ou d’autres termes dont l’étymologiepourrait être discutée. Dans ce binôme, le concept « justice » subsume demultiples intentions normatives, éthiques, politiques, mais aussi des actionspunitives, de guérison, de réconciliation, le rétablissement de l’état de droit, lalutte contre l’impunité par exemple.

Dans le cadre de cette extension de vocabulaire, il nous importe toutefois deréaffirmer d’une part, que la justice transitionnelle n’est que transitionnelle etqu’elle ne doit pas devenir permanente, dans le sens d’une justice « bonmarché ». D’autre part, que de telles mesures doivent viser à déboucher surl’état de droit, la réalisation des mesures assurant la non-répétition et lapromotion d’une paix durable. La transition doit déboucher sur dustructurellement établi. Elle doit aussi déboucher sur un « renversement deperspective » : le passage d’une gestion violente des conflits à la gestion nonviolente des conflits, le passage des situations d’exclusion à des processus

d’inclusion, à la construction d’un bien commun, le passage de la méfiance àla confiance civique.

4.1.4 La nature des situations dans lesquelles des processus de justicetransitionnelle ont lieu 

Les stratégies de sortie des conflits, dictatures ou régimes totalitairesdépendent fortement des contextes dans lesquels ces processus ont lieu, deleur histoire, de leur culture, du nombre de victimes, de la durée de la

répression, de la nature des acteurs etc. Toutefois, si nous devions procéder à

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acteurs locaux. Les acteurs externes peuvent jouer un rôle facilitateur,mais le processus doit être en mains locales, s’il veut être durable.

3.  Il serait crucial de prévoir systématiquement dans les accords de paix,une clause prévoyant que les éléments liés au traitement du passé serontpris en charge dès la réalisation de l’accord de cessez-le-feu et dedémobilisation, par un groupe de personnalités reconnues et acceptéespar tous les bords, qui aurait pour fonction de développer uneproposition complète d’agenda concernant le traitement du passé,proposition qui sera ensuite consultée largement et ratifiée par uneinstance (Parlement ou Exécutif), avec un agenda précis et le devoir derapporter régulièrement à une instance publique. Un tel groupe pourraitainsi proposer un agenda holistique et faciliter la coordination desagendas publics.

4.  Dans l’agenda des transitions, il est impératif d’inclure dès que possibledes acteurs non militaires dans les espaces de négociation afin de« démilitariser » les enjeux pour les intégrer dans le cadre d’unetransformation politique plus large et plus en profondeur. Ceci estindispensable pour générer une volonté politique résolue en faveur deces changements. De larges milieux représentatifs de l’ensemble de lasociété doivent pouvoir s’approprier des processus de transition et endevenir les garants.

5.  Il est impératif que chaque société puisse composer elle-mêmel’adéquate formulation d’accords de paix ou de transitions orientéesvers des solutions durables et globales conformes aux normesinternationales, vers le renforcement du tissu social, et l’émergencecommunautaire, sociétale d’un nouvel imaginaire collectif, un nouvelhorizon éthique partagé.

6.  L’impunité est plus qu’un manquement, qu’une violation, c’est uneculture, c’est un système. La violence et la terreur sont un système. Cesont des chaînes de production de communication et de capitalsymbolique qui mobilisent beaucoup de ressources et de personnes pourlégitimer l’exclusion et la violence. C’est bien ce système qu’il faudra, enfin de compte, désarticuler. Nous comprenons que cela va plus loin quel’exercice de la justice ou que l’addition à somme nulle des mesures de justice transitionnelle.

7.  Les mesures de justice transitionnelle prises dans ce cadre doivents’associer à cette complexe alchimie des sorties de conflit, chercher àdéfinir les balisages nécessaires qui pourront permettre de démantelerla culture de l’impunité. Elles doivent contribuer à construire, dans un

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1.  Nous parlons souvent de réconciliation. Je crois qu’il est urgentd’élaborer des définitions qui puissent nous être utiles dans ces

processus. J’utilise souvent le terme de réconciliation en le rapprochantdu processus de re-création de la concilio  , la communauté en latin. Parextension, j’aime bien identifier la réconciliation dans un tel contexte, àl’élaboration progressive d’un nouveau pacte sociétal et au renforcementdu tissu social. Je crois que si la justice transitionnelle est envisagée dansce contexte, elle peut contribuer à créer du lien social, générer de la(bonne) volonté politique et à déplacer le lieu des conflits sur le terrainpolitique. La réconciliation dans ce sens, peut devenir le moteur centralde la reconstruction d’une société « incluante » qui élabore de nouveauxdénominateurs communs, bref un nouveau bien commun pour tous.

2.  Mon deuxième point concerne les acteurs externes. Les acteurs externesdevraient être concernés par les mesures de justice transitionnelle etdevraient être touchés par des mesures d’accountability  , notammentquand ils ont gravement failli à leur responsabilité de protéger et/oulorsqu’ils ont contribué à durcir des situations ou n’ont pas réagi face àla menace d’un génocide ou de crimes contre l’humanité. Toujoursconcernant les acteurs externes, je crois qu’il faut faire attention à ne pasconfondre accords de cessez-le-feu et accords de paix. Ces derniersnécessitent un effort soutenu, à long terme. La communautéinternationale peut être utile en continuant à mettre à disposition desfacilitateurs ou médiateurs, après les étapes préliminaires de cessez-le-feu et de démobilisation. Il s’agit, dans ces étapes ultérieures, decontribuer à négocier la réalisation des mesures décidées dans le cadred’accords de paix, à leur vérification, voire à leur redéfinition. C’est untravail énorme, difficile et lent. D’autant plus qu’une fois l’euphoriepassée de la fin du conflit, il faut commencer à faire des choix difficiles,poser des priorités. Le dialogue entre les multiples acteurs de la sociétéest crucial dans ces étapes. La communauté internationale peut parfois jouer un rôle de « tiers aidant » dans ces étapes. Malheureusement, c’estsouvent à ce moment précis qu’elle quitte le processus.

3.  Le troisième aspect sur lequel j’aimerais attirer votre attention, estl’aspect genre. Il est impératif de bien comprendre comment la guerre, leconflit ou la dictature affectent de manière différenciée les femmes, leshommes, ajoutons aussi les enfants et les personnes âgées. Sans mesuresspécifiques pour les uns et les autres, on pourra difficilement mener à bien la réhabilitation des victimes et la convocation de toutes les forcesde résilience. Par ailleurs, il faudra impérativement tenir compte desnouveaux rôles et fonctions assumées par les uns et les autres pendantde longues années de conflit ; un retour à la « case départ », notamment

en matière de division des rôles entre femmes et hommes peut s’avérerêtre une nouvelle épreuve douloureuse, voire insupportable.

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(ANC)3. Alex Boraine, vice-président de la Commission de vérité etréconciliation    justifiait ainsi les choix arrêtés à l'époque : « il n’y avait pas

plusieurs choix, sinon de rechercher une autre façon de faire face au passé.Nous avions alors décidé de mettre sur pied une Commission de vérité etréconciliation qui s’occuperait de la recherche de la vérité, d'une amnistieconditionnelle et de la réparation »4. Ces options ont été consacrées dans lesclauses finales de la Constitution intérimaire de 19935.

Ce choix était certainement une réponse aux impératifs de changements qui seprofilaient à l’horizon et à la nécessité de consolider la démocratie naissante enAfrique du Sud, dérivant d’un processus de paix négocié, étant donné que nile régime d’apartheid de Pretoria, ni les mouvements de libération (l’ANC etle Pan Africanist Congress  , ci-après le PAC, pour ne citer qu’eux) n’étaientparvenus à imposer une suprématie militaire dans le conflit.

Cette contribution se propose ainsi d'analyser certaines questions choisies,illustrant la continuité du processus de transformation en Afrique du Sud,dans une perspective de lutte contre l’impunité. Elle soutient que le processusengagé pour faire face au passé en Afrique du Sud est inachevé et que d’autrespistes d’action sont à explorer. Elle se concentrera sur le processus de larecherche de la vérité, la politique de réparations, l’amnistie conditionnelle ets’interrogera sur la question de la réconciliation, avant d’aborder lesperspectives de poursuites judiciaires.

______________________

3 Voir à ce sujet :   Amnesty International  , Afrique du Sud, Une nation arc-en-ciel auxhorizons incertains  , http://www.amnestyinternational.be/doc/article9704.html (étatau 29 décembre 2006).

4 BORAINE , Alex, A country unmasked , Oxford University Press, 2000, p. 7 (traductioninédite).

5 Extrait : « The adoption of this Constitution lays the secure foundation for the people of South Africa to transcend the divisions and strife of the past, which generated grossviolations of human rights, the transgression of humanitarian principles in violent conflictsand a legacy of hatred, fear, guilt and revenge. These can now be addressed on the basis thatthere is a need for understanding but not vengeance, a need for reparation but not forretaliation, a need for Ubuntu [the African philosophy of humanism] but not forvictimization. In order to advance such reconciliation and reconstruction, amnesty shall be  granted in respect of acts, omissions and offences associated with political objectives and

committed in the course of the conflicts of the past ».

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  La justice transitionnelle dans tous ses états : études de cas

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4.2.2 Contexte historique : l’apartheid

L’apartheid fut la politique de ségrégation raciale institutionnalisée en 1948par le Premier ministre issu du Parti national, Daniel F. Malan, et son ministredes Affaires indigènes, Hendrik Verwoerd. L’idée forte de la politiqued’apartheid était le développement séparé des groupes raciaux — blancs,métis (coloured), noirs (Bantus) et asiatiques (Indians) —, avec suprématie de larace blanche. Cette politique fut consacrée par des législationsségrégationnistes, notamment le Population Registration Act , le Groups Area Act ,l’Immorality Act  , le Suppression of Communism Act  , le Pass Law Act  , etc., alorsque les anciennes lois raciales et spatiales comme le Land Act de 1913 étaientdurcies. Cette politique faisait des noirs, pourtant majoritaires6 , des étrangersdans leur propre pays, les soumettant à l’obligation d’obtenir des permis depassage ( pass) pour fréquenter les villes et avoir accès à l’emploi.

En 1954, le Premier ministre Johannes Strijdom donna une nouvelleorientation à la ségrégation raciale, en créant les « bantoustans », territoiresautonomes administrés par les populations autochtones, sur 13 % du territoiresud-africain7.

L’apartheid fut tacitement avalisé par la majorité de la communauté blanche,ainsi que par les institutions sud-africaines (les églises et le monde desaffaires) et certains pays qui maintinrent des relations diplomatiques

privilégiées avec Pretoria.La résistance contre l’apartheid était principalement conduite par l’ANC, quilança des actes de désobéissance civique en 1949, notamment contre le PassLaw Act. En 1955, l’ANC adoptait le Freedom Charter , qui réclamait entre autresl’égalité de tous ceux qui vivaient sur le territoire de l’Afrique du Sud, ainsique l’éducation pour tous.

Le 21 mars 1960, à Sharpeville, une protestation contre l’obligation du port du pass donna lieu à une répression violente de la part des forces de l’ordre. Cetévénement marqua un tournant significatif dans la lutte contre l’apartheid, car

______________________

6 En 1951, sur 17 millions d'habitants, 4 millions étaient d'origine européenne soit25 % de la population. Voir :http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Afrique_du_Sud_%281948-1994%29

7  Id.

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il conduisit au bannissement de l’ANC, du PAC et du Parti communiste sud-africain (SACP). Bannie8  , l’ANC commença à opérer dans la clandestinité et

créa sa branche armée, le Umkhonto we Sizwe (MK)9

. L’  Azanian People’sLiberation Army (APLA, surnommée Poqo), la branche armée du PAC, entra enactivité.

Les mouvements du peuple noir s’amplifièrent. Steve Bantu Biko, leur figurede proue, créa la South African Student Organisation (SASO) en 196910. En juin1976, la révolte des jeunes écoliers de Soweto (protestant principalementcontre l’apprentissage en langue Afrikaans) fut réprimée dans le sang. SteveBiko fut arrêté et décéda en détention le 12 septembre 1976.

Cependant, malgré les voix condamnant l’apartheid au sein de la

communauté internationale11 , le régime d’apartheid continuait à se durcir, enintroduisant notamment d’autres législations sur les homelands12 et enaccentuant les inégalités sociales, au regard de « la suprématie politique des blancs et [de] la rentabilité du capitalisme racial »13.

L’affrontement entre les deux camps était ouvert et empruntait plusieursformes. Alors que l’ANC organisait ses camps militaires dans les pays voisins(Angola, Tanzanie et Zambie) et menait sa guérilla contre les forces sud-africaines, tout en sabotant leurs intérêts, le régime d’apartheid multipliait lesméthodes de répression, les empoisonnements et les assassinats, aussi bien à

l’intérieur de son territoire qu’à l’étranger.L’indépendance du Mozambique puis de l’Angola mit les deux protagonistesface à face14  , l’Umkhonto we Sizwe multipliant les incursions. L’APLA pouvaitégalement opérer à partir du Zimbabwe, qui obtint son indépendance en 1980.Les interventions de l’armée sud-africaine en Angola et au Mozambique, mais

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8 http://www.sahistory.org.za/pages/specialprojects/liberation-struggle/1960s_intro.htm

9 http://www.anc.org.za/ancdocs/about/umzabalazo.html10 http://www.sahistory.org.za/pages/people/biko,s.htm11 L’Afrique du Sud fut exclue des Jeux olympiques en 1968 et la Convention

internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid fut adoptée le30 novembre 1973 par les Nations Unies.

12 http://www.un.org/av/photo/subjects/apartheid.htm13 TERREBLANCHE , Sampie, A history of inequality in South Africa , 1952-2002 , University

of Natal Press, 2002, p. 15.14 SPARKS  , Allister, The mind of South Africa - The story of the rise and fall of Apartheid ,

Mandarin, 1991, p. 301.

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aussi dans le protectorat, de fait  , de la Namibie15  , ne changèrent pas le coursdes événements. Le tout puissant Pieter Willem Botha, conduisant sa politique

d’assaut généralisé (total onslaught), conférait aux services de sécurité despouvoirs illimités, cadrant avec l’état d’urgence.

Les townships devenaient ingouvernables et la victoire militaire sur lesmouvements de libération semblait de plus en plus incertaine. Avec ladémission de Botha en 1989, le Parti national changea sa politique.Abandonnant peu à peu ses préoccupations sécuritaires, il se tourna vers unesolution politique16. De même, l’ANC n’envisageait plus une victoire militaire,mais n’abandonnait pas la guérilla17.

Par ailleurs, avant même le début des travaux de la CODESA, en novembre

1991, les mesures de bannissement de l’ANC furent levées et Nelson Mandelalibéré (février 1990).

4.2.3 La recherche de la vérité (avant et après 1994)

4.2.3.1 Avant 1994

Durant la période des négociations politiques (1991–1993), les violencesinterethniques et entre membres des partis les plus en vue (notamment l’ANC

et l’Inkhata Freedom Party – IFP) se multiplièrent. Les forces de sécurité furentaccusées de complicité directe et indirecte. Des voix s’élevaient égalementpour dénoncer les violences qui s’étaient déroulées dans les camps militairesde l’ANC, hors d’Afrique du Sud.

Des enquêtes furent mandatées pour examiner les violences des forces desécurité18. La Commission Harms fut mise sur pied par le président De Klerken 1990 avec le mandat d’enquêter sur les violations commises notamment parles escadrons de la mort, opérant à partir de Vlakpaas19. La commission avait

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15 DARBON , Dominique, L’assaut final : le syndrome militaire sud-africain ,http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/025038.pdf , p. 53.

16 SPARKS , Allister, op. cit. , p. 368.17  Ibid. , p. 367.18 Il y a eu d’autres commissions poursuivant ce même but, mais nous retenons les

plus importantes.19 Vlakpaas était une ferme des environs de Pretoria qui était utilisée comme centre

des opérations de la police de sécurité et les  Askaris (collaborateurs des services de

sécurité).

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abouti à la conclusion que les allégations à propos des escadrons de la mortopérant à partir de Vlakpaas n’étaient pas fondées20. Par la suite, il s’est avéré

que les conclusions de la commission étaient biaisées, puisque les révélationsde la sous-commission sur l’amnistie de la Commission de vérité etréconciliation confirmaient l’existence21 de Vlakpaas. La CommissionGoldstone (1er octobre 1992 – 30 septembre 1993) enquêta elle sur les violencespolitiques qui opposèrent l’ANC à l’IFP. Elle stigmatisa le rôle des forces desécurité22.

Des enquêtes furent également menées sur les abus perpétrés dans les campsde l’ANC, qui faisaient grand bruit alors que le retour des ténors et destroupes du mouvement s’organisait. En 1991, un groupe de 32 anciens détenusdes camps de l’ANC forma une plate-forme pour attaquer l’ANC sur les abuscommis dans ses camps23 , notamment en Angola24.

La Commission Skweyiya (mars – septembre 1992) se concentra sur les abusperpétrés dans les camps de l’ANC en Afrique australe, y compris en Angola,en Tanzanie et en Zambie25. Elle était composée de trois membres, dont deuxprovenant de l’ANC (Skweyiya et Mabandla). Des figures de proue de larésistance au régime d’apartheid telles que Chris Hani et Jacob Zumaprésentèrent leur témoignage devant cette commission26. Celle-ci confirma quele code de conduite, qui s’alignait sur les prescriptions des Conventions deGenève de 1949 (notamment la IIIe Convention), avait été violé par certains

membres de l’ANC27. La commission ne publia pas de noms et recommandaentre autres que la hiérarchie de l’ANC s’occupe des auteurs des violations,que des compensations soient envisagées et qu’un autre organe indépendantdocumente davantage ces abus28.

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20 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 124.21

  Ibid. , p. 125.22 http://www.sahistory.org.za/pages/sources/docs/1992_goldstone-commission.htm23 HAYNER  , Priscilla B., Unspeakable truths - Facing the challenge of truth commissions ,

Routledge, 2002, p. 60.24 « Quatro » fut l’un des lieux où se déroulaient ces abus : tortures, détentions

arbitraires et inhumaines, supplice du collier.25 HAYNER , Priscilla B., op. cit., p. 60.26 http://www.anc.org.za/ancdocs/misc/skweyiya.html27  Id.

28  Id.

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La Commission Motsuenyane (1993), composée de trois membres considéréscomme indépendants (un Sud-Africain, un Américain et un Zimbabwéen29),

tint des auditions publiques et tant les accusés que les plaignants étaient dotésd’un conseil. Le comité exécutif national de l’ANC reçu de manière positive lerapport de la commission et demanda que soit mise sur pied une commissiond’enquête ou une commission de vérité qui fasse la lumière sur toutes lesviolations commises depuis 194830.

4.2.3.2 Après 1994 : établissement de la Commission de vérité etréconciliation

L’un des chantiers, après l’élection du président Mandela fut la mise sur piedd’une commission de vérité et réconciliation en vue de « faire un cliché le pluscomplet possible de la nature, des causes et de la portée des graves violationsdes droits de l’homme commis depuis le 1er mars 1960 à une date à déterminerpar la constitution […] »31.

Une consultation nationale sur la création de la commission eut lieu durantplus ou moins une année, pendant laquelle diverses entités sud-africaines etétrangères furent consultées avant l’adoption de la Loi sur la promotion del’unité et la réconciliation. Le ministre de la Justice de l’époque, Dullah Omar,n’avait cessé d’insister sur le fait que ce processus de consultation devait sedérouler dans la transparence et inclure le maximum d’acteurs possibles32.

La désignation des commissaires fut soumise au même principe deconsultation. La  loi accordait au président Mandela la liberté de nommer lescommissaires, mais ce dernier opta pour une participation du public. Des 229candidatures présentées au départ, 46 personnes furent soumises à desinterviews, que le public avait la possibilité de suivre lors des audiences desélection, à la radio et à la télévision 33. Une liste de 25 finalistes fut envoyée auprésident Mandela.

Le président Mandela nomma alors 17 commissaires, dont deux en dehors dela liste finale. Les commissaires constituaient un échantillon des communautésvivant en Afrique du Sud et de tous les groupes raciaux, bien que les blancs

______________________

29 S. M. Motsuenyane, Margaret Burnham et D. M. Zamchiya.30 http://www.anc.org.za/ancdocs/pr/1993/pr0829.html31 Loi sur la promotion de l’unité nationale et la réconciliation, 26 juillet 1995.32 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 49.

33  Ibid., p. 72-73.

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fussent surreprésentés, avec six commissaires. L’archevêque Desmond Tutufut désigné président de la Commission de vérité et réconciliation, tandis

qu’Alex Boraine occupait les fonctions de vice-président.

 Mandat et fonctionnement de la Commission de vérité et réconciliation

Le mandat de la commission avait également fait l’objet de consultationslarges et populaires. La lecture croisée de l’article 3.1 de la Loi sur lapromotion de l’unité et de la réconciliation ainsi que de ses amendementsrévèle que les missions de la commission étaient les suivantes :

•  Établir les causes, la nature ainsi que la portée des graves violations desdroits de l’homme commises sur le territoire de l’Afrique du Sud, et endehors de son territoire, durant la période allant du 1er mars 1960 au 5décembre 1993, y compris les antécédents, les facteurs et le contexte deces violations ; établir le sort des victimes et aussi les motifs et le sort desauteurs de ces violations par le biais des enquêtes et des auditions ;

•  Faciliter l’octroi de l’amnistie aux personnes qui divulguent toute lavérité sur les faits déterminés par un mobile politique et se conformantaux prescriptions de la loi ;

  Établir et faire connaître le sort et la situation des victimes en restaurantla dignité et l’humanité de ces dernières, en leur permettant de faire lerécit de ces violations, et en recommandant des mesures de réparation àleur bénéfice ;

•  Élaborer un rapport qui présente le récit complet des activités et lesconclusions de la commission au regard des points précédents, et quicontienne des recommandations portant sur les mesures visant àprévenir ces violations.

La commission avait établi ses quartiers généraux au Cap, mais avait

également des bureaux régionaux à Johannesburg, Durban et East London.Comme le prévoyait la Loi sur la promotion de l’unité nationale et laréconciliation, elle disposait de trois sous-commissions dont les mandatsétaient les suivants :

•  Sous-commission sur les violations des droits de l’homme : tenir des plénièresà travers le pays, mener des enquêtes sur les abus individuels etrecueillir les informations nécessaires pour son rapport final ;

•  Sous-commission sur l’amnistie : examiner les demandes d’amnistie etaccorder l’amnistie sur la base de la divulgation des faits, la nature

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politique des faits, la période durant laquelle les faits ont été commis etl’appréciation de la proportion entre la nature de l’acte et l’objectif visé ;

•  Sous-commission de la réparation et réhabilitation : élaborer desrecommandations sur une politique de réparation ainsi que lesmodalités de son application.

La commission était dirigée par un président, qui était secondé par un vice-président. Ce dernier était directement assisté d’un secrétaire exécutif et d’undirecteur exécutif. Chaque sous-commission était dotée d’un président, d’unou de deux vice-présidents et de secrétaires exécutifs. Desmond Tutu présidaitla sous-commission des violations des droits de l’homme. Les commissairesassumaient le rôle de président et vice-présidents dans les sous-commissions.

Cependant, la sous-commission sur l’amnistie, à cause de sa nature quasi  judicaire, était présidée par un juge, nommé par le président Mandela. Ellecomptait en son sein deux autres juges et deux commissaires.

La Commission de vérité et réconciliation a disposé de vingt-quatre mois pouraccomplir son mandat. Toutefois, il faut mentionner que la sous-commissionsur l’amnistie a continué à fonctionner jusqu'à fin mai 2001, alors que lacommission elle-même avait clôturé ses travaux avec la remise de son rapporten octobre 199834.

Travaux et bilan de la commission

La commission opta pour des auditions publiques, qui étaient précédées par la« collecte des déclarations » des victimes ou de leur famille. La commissionavait également veillé à ce que l'accès des médias aux travaux des sous-commissions sur la violation des droits de l’homme et sur l’amnistie soitassuré dans toutes les auditions publiques. Alex Boraine reconnaît que lacommission « est redevable aux médias, qui — à travers leur implicationconsciencieuse — ont associé tout le pays au déroulement des travaux de la

commission […] en en faisant une expérience nationale plutôt que desdélibérations se limitant aux commissaires »35.

Cependant, le travail de la commission était délicat dans son ensemble, et sonpersonnel devait impérativement tenir compte des facteurs et pointssuivants36 :

______________________

34  Rapport de la commission , vol. 6, section 1, p. 1.35 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 89.

36  Ibid., p. 110.

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•  Le bon déroulement et la sécurité de toutes les activités, mais aussi lasécurité de tous les participants ;

•  La représentativité des victimes aux auditions ;

•  La sensibilité quant au choix des sites où tenir les auditions ;

•  Les dispositifs dans la salle des auditions (place des victimes, destémoins, du bureau de la commission, etc.) ;

•  Les services de traduction ;

•  Le format et la durée des auditions ;

  Le temps alloué aux témoignages des victimes ;•  L’assistance juridique aux victimes ;

•  Le soutien psychosocial aux victimes et aux familles qui témoignaient ;

•  Le procédé de contre-interrogatoire des victimes par les auteursprésumés des violations.

A côté des auditions individuelles (victimes) et de celles des auteurs présumésdes violations graves des droits de l’homme (amnistie), la commission décidad’organiser également des auditions spéciales et des auditions desinstitutions37. Les auditions spéciales se concentraient sur le service militaireobligatoire38  , les enfants et les jeunes39  , ainsi que les femmes40  , tandis que lesauditions des institutions portaient leur attention sur les institutions publiqueset privées du pays (les partis politiques, les forces armées, le monde desaffaires et du travail, le secteur de la santé, les médias, les institutionscarcérales, les communautés religieuses, etc.).

La commission a tenu sa première audition publique le 16 avril 1996, à EastLondon, dans la province du Cap-Oriental. C’était l’audition publique du casMapetla Mohape, mort en détention en 1976. Le deuxième jour des auditions

fut troublant, surtout lors de l’audition de Nomonde Calata, veuve d’un des

______________________

37  Ibid., p. 273.38  Rapport de la commission , vol. 4, ch. 8, pp. 222-249.39  Ibid., pp. 250-280.

40  Ibid., pp. 284.

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« Cradock Four »41. Ses cris de douleur firent le tour du monde et hantèrent lacommission durant toute son existence.

La commission se lançait dans un travail de longue haleine et son sloganpromettait beaucoup : « la vérité, la guérison et la réconciliation ».

Selon un décompte basé sur le rapport de la commission, le nombre depersonnes qui se sont présentées à la commission est de 21 29842 , ce qui sembleassez marginal par rapport à la portée et à la durée du régime de l’apartheid,qui a touché au quotidien un nombre considérable de non-blancs, lesviolations des droits de l'homme (de la population noire surtout) ayant duréplus ou moins 350 ans. Sur ce nombre, seules 19 050 personnes ont étéreconnues comme victimes. Les facteurs suivants pourraient expliquer ces

résultats :

•  Certains témoignages (quoique poignants) ne répondaient pas à ladéfinition des violations des droits de l’homme, contenue dans la loi surla commission ;

•  Certains témoignages n’avaient pas été corroborés : toutes lesdéclarations faites à la commission n’ont pas été vérifiées et n’ont pasfait l’objet d’enquêtes (peu de preuves ou preuves détruites) ;

•  Certains témoignages tombaient en dehors du mandat temporel de la

commission (avant le 1er mars 1960 et après 1993) ;

•  Malgré les dispositifs mis sur pied pour atteindre le plus grand nombrede victimes, certaines personnes n’ont pas pu accéder à la commission ;certaines n'ont appris que tardivement l’existence de celle-ci et n’ont paspu rencontrer les commis à la collecte des témoignages (cette dernière apris fin en décembre 1997 ; des milliers de personnes se sont présentéesà la commission pendant cette période et la commission a décidé de nepas les considérer) ;

•  Certaines personnes avaient peur d’aller témoigner ;

______________________

41 Ceci fait référence à l’incident qui coûta la vie à quatre idéalistes qui avaientcontesté le système racial au Cap-Oriental en 1984. Matthew Goniwe, Fort Calata,Sparro Mkonto et Sicelo Mhlauli furent enlevés par les forces de sécurité etexécutés, puis leurs corps furent mutilés, voir le Rapport de la commission , vol. 2, ch.3, p. 227.

42 Tableau élaboré en conformité avec les données contenues dans le vol. 7, Ibid.

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•  Certains ont fait le choix de ne pas appuyer le processus de lacommission (des membres de la communauté blanche surtout, qui la

considéraient comme biaisée, et d’autres qui estimaient que le processusde l’amnistie était une insulte aux victimes) ;

•  Certaines personnes n’ont pas voulu être qualifiées de victimes. Dans cecontexte, il est étonnant et regrettable que les proches des « grandsprisonniers de l’apartheid », tels Mandela, Mbeki et Luthuli ne se soientpas présentés devant la commission.

La commission, malgré les critiques objectives qui peuvent être formulées àson égard, a eu le mérite d’exister à côté du processus de démocratisation enAfrique du Sud et a peut-être insufflé, avec ses délibérations publiques, une

culture des droits de l’homme. De façon non exhaustive, la commission auraréussi à :

•  Établir la reconnaissance publique des victimes, en leur donnantl’opportunité de s’exprimer publiquement sur leur souffrance ;

•  Contribuer à l’édification d’une mémoire collective (« nul ne pourra direqu’il ne savait pas ») ;

•  Mobiliser l’opinion publique, pour que plus jamais l’Afrique du Sud nerevive pareille situation (« plus jamais ça ») ;

•  Ouvrir le débat sur les transformations nécessaires de l’Afrique du Sud,dans une optique multiraciale ;

•  Publier son rapport et rendre ainsi ses recommandations publiques.

4.2.4 La politique de réparation et les frustrations des victimes

La Loi pour la promotion de l’unité nationale et la réconciliation reconnaissaitque la commission devrait également étudier les stratégies de dédom-magement des victimes des graves violations des droits de l’homme. Ilressortait des auditions de la commission que les victimes et/ou leurs famillesvivaient dans des conditions abjectes du fait de la violation de leurs droitsfondamentaux. La sous-commission de la réparation et réhabilitation a ainsirecommandé les quatre options suivantes43 : 

1.  Réparation intérimaire urgente : pour les victimes qui avaient besoind’une assistance immédiate.

______________________

43  Rapport de la commission , vol. 5, p. 175.

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2.  Réparation individuelle monétaire : de sorte que les victimes deviolations graves des droits de l’homme reçoivent une compensation

financière, calculée sur base de critères divers, et étalée sur une périodede six ans.

3.  Réparation symbolique, ainsi que mesures légales et administratives : laréparation symbolique avait pour finalité de faciliter le processus demémoire collectif et le souvenir des souffrances et victoires du passé,notamment l’identification d’une journée nationale du souvenir et de laréconciliation, l’édification de monuments et la construction de musées.

4.  Réformes institutionnelles : des mesures administratives, légales et dechangement au sein des institutions en vue de garantir la non-

répétition ; la discrimination positive, le Black Economic Empowerment (BEE), la construction de nouveaux logements et d’écoles, les services desoins de santé, pour n’en citer que quelques-uns.

Le rapport de la commission a recommandé que les victimes reconnues par lacommission, ainsi que leurs familles et dépendants (en situation de besoin)  bénéficient de la réparation intérimaire urgente et de la compensationfinancière individuelle.

En ce qui concerne la réparation monétaire individuelle, la sous-commissionde la réparation et la réhabilitation avait recommandé que les victimesreconnues par la commission reçoivent chacune approximativementl’équivalent de 3 000 dollars américains44 par an, durant une période de sixans. Lorsque la commission avait clôturé ses travaux en 1998 (à l’exception dela sous-commission de l’amnistie qui a continué ses travaux jusqu’en mai2001), le gouvernement décida que les compensations monétaires ne seraientpayées qu’à la soumission de tous les volumes du rapport, ce qui fut fait en2003. Il faut noter que ce procédé avait quelque chose de déséquilibré si l’onconsidère, par exemple, que les décisions sur l’amnistie avaient un effetimmédiat45.

Cependant, les pressions de groupes de victimes, notamment le KhulumaniVictim Support Group  , firent que le gouvernement sud-africain dut débourser50 millions de rands, payés à 18 000 victimes, en guise de réparation

______________________

44 Le montant exact est de 23 023 rands. Voir Ibid. , p. 185.45 Par exemple, si le bénéficiaire de la demande d’amnistie purgeait une peine de

prison, il était immédiatement libéré si la demande d’amnistie recevait une suite

favorable. Voir Ibid., vol. 6, p. 14.

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intérimaire urgente46. En attendant la publication du rapport final en 2003, lediscours officiel entretint une ambiguïté entre la réparation à verser aux

victimes et les impératifs du développement de l’ensemble de la populationsud-africaine, considérée comme victime de l’apartheid47. De plus, legouvernement mis sur pied des fonds de pension spéciaux pour les vétéransde la lutte de libération48. En fin de compte, le gouvernement décidait en 2003de payer aux victimes reconnues et citées dans le rapport de la commissionapproximativement 4 000 dollars américains, en un seul versement.

4.2.5 L’amnistie conditionnelle

L’amnistie est certainement l’une des notions controversées que la commissionsud-africaine apportera non seulement à l’étude des commissions de vérité,mais aussi à tout processus engagé pour faire face à un passé douloureux.Beth S. Lyons soutient que, en plus d’être le fruit d’un compromis émanantdes négociations politiques de la CODESA, et d'être légitimée par laConstitution intérimaire de 1993, et par la Constitution de 1996, l’amnistie enAfrique du Sud a été au centre de tout le travail de la commission49.

Cette amnistie n’était pas générale. Elle ne pouvait être accordée que si :

•  L’acte sous examen avait été perpétré avec une motivation politique

(c’est-à-dire, associé au conflit politique de l’époque)50 ;

•  L’auteur divulguait toute la vérité sur les circonstances de commissionde l’acte51 ;

•  L’acte en question avait été perpétré dans la période allant du 1er mars1960 au 5 décembre 1993 (date de la fin des négociations politiques). La

______________________

46 Voir le document ci-joint dans le cadre du Southern Africa Reconciliation Project :MAKHALEMELE , Oupa, « Khulumani case study ».http://www.csvr.org.za/papers/papoupa2.htm , 2004.

47 http://truth.wwl.wits.ac.za/cat_descr.php?cat=448  Id.49 LYONS  , Beth S., « Between Nuremberg et amnesia: the Truth and reconciliation

commission in South Africa », in   Monthly Review  , vol. 49, n°4, September 1997,http://www.monthlyreview.org/997lyons.htm

50  Rapport de la commission , vol. 6, section 1, ch. 1 , p. 8.

51  Ibid., pp. 9-10.

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date butoir fut ultérieurement reportée au 10 mai 1994, pourcorrespondre à celle de la prestation de serment du président Mandela52.

L’amnistie, une fois accordée, impliquait que le requérant était exempt detoute responsabilité pénale et civile, que le requérant qui était en détentionétait libéré immédiatement et que les faits amnistiés étaient effacés du casier judiciaire du requérant53.

Les séances de la sous-commission sur l’amnistie étaient publiques, à moinsque les circonstances ne l’exigent autrement (cas en suspens devant une juridiction)54 ; les médias couvraient les sessions. Mais la commission pouvaitégalement tenir des auditions à huis clos, dont le déroulement était toutefoisfilmé55.

La sous-commission sur l’amnistie fut saisie de 7 127 requêtes56  , dont 65 %émanant de personnes détenues. Près de deux tiers des requêtes ont étérejetées. La sous-commission mit fin à ses travaux le 31 mai 2001, alors que lacommission avait achevé les siens le 29 octobre 1998.

4.2.5.1 Mise en cause de l’amnistie conditionnelle : le cas AZAPO

Un des atouts de la commission, à savoir l’amnistie, était légalement contesté

par l’organisation AZAPO57

 , l’épouse de Steve Biko (Nontsikelelo), ChurchillMxenge et Chris Riberio ayant soumis une requête en inconstitutionnalité del’amnistie devant la Cour constitutionnelle, le 1er juillet 199658.

Les requérants demandaient à la Cour de déclarer inconstitutionnelles lesdispositions sur l’amnistie contenues dans la Loi sur la promotion de l’uniténationale et la réconciliation, le socle juridique de la commission. Le jugeIsmail Mahomed rendit cependant une décision qui justifiait laconstitutionalité de l’amnistie59 , en invoquant les raisons ci-après :

______________________

52  Ibid., p. 8.53  Ibid., p. 14.54  Ibid. , p. 12.55 Cette procédure était appelée « chamber matter », voir Ibid., vol. 6, section 1, ch. 3,

p. 36.56  Ibid., vol. 1, ch. 10, p. 276.57  Azanian People’s Organization.58 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 118.

59  Ibid., pp. 119-122.

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•  Les dispositions sur l’amnistie constituaient des mesures incitant lesauteurs présumés de violations graves des droits de l’homme à

témoigner devant la commission ;•  L’amnistie était l’un des dispositifs clés et une décision politique portée

par l’accord entre le Parti national et les mouvements de libération, sanslesquels la Constitution intérimaire ne serait pas entrée en vigueur et lesélections de 1994 n’auraient pas eu lieu ;

•  La réparation pour les victimes n’était pas écartée, au sens où lareconnaissance des violations de leurs droits ferait partie des actescouverts par les mesures de réparation et de réhabilitation.

4.2.6 Considérations sur la réconciliation

La réconciliation en Afrique du Sud est, avec l’amnistie, l’une descaractéristiques importantes de la commission. Le slogan de la commissionproclamait : « la vérité, chemin vers la réconciliation ». Cependant, la véritéqui est sortie des auditions de la commission ne semble pas avoir déclenchécet état de réconciliation. Certains, à l’instar de Mgr Tutu, pensent que laréconciliation a été servie par le fait qu’il n’y a pas eu d’actes de vengeanceaprès les révélations liées aux travaux de la commission largement diffusés

sur les ondes en Afrique du Sud60. D’autres, comme le président Thabo Mbeki,soutiennent que la réconciliation devrait être la résultante des transformationsde la société sud-africaine. Les ténors du succès des négociations politiques enAfrique du Sud soutiennent que la réconciliation a eu lieu dans les dimensionspolitiques : la conclusion de l’accord et le déclenchement du processus dedémocratisation61. Alex Boraine, sans se limiter à ce seul aspect62 , pense que leprocessus de « réconciliation politique et sociale » a débuté dès lors que lamesure de levée de bannissement des mouvements de libération était

______________________

60 Le professeur Pamela Reynolds soutient, dans la même ligne que l’archevêqueTutu, que « le fait qu’il n’y ait ni vengeances, ni attaques après les révélations faitesdans les auditions veut dire que les gens, dans leur quotidien, ont déjà pesé le prixde la réconciliation et de la vengeance » : KROG  , Antjie, Country of my skull  , ThreeRivers Press, 1999, p. 145.

61 Voir : SIMPSON  , Graeme, ‘A snake gives birth to a snake’: politics and crime in thetransition to democracy in South Africa , 2004, p. 5.

62 Alex Boraine fait une distinction entre réconciliation individuelle et réconciliation

nationale (communautaire).

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prononcée au parlement en février 1992, qu’il était envisagé de libérer lesprisonniers politiques et que les négociations pointaient à l’horizon63.

Lorsqu’on considère les points de vue des victimes, les sentiments sont trèspartagés et les avis mitigés. Shirley Gunn64 , une activiste du Khulumani VictimSupport Group  , touche du doigt les préoccupations des victimes : qui faut-ilréconcilier ? Qui bénéficiera de la réconciliation ? Que vont-elles en tirer ? Elleparaphrase à ce propos Charity Kondile, disant : « Il est facile pour Mandelade pardonner, sa vie a changé ; mais il n’est pas possible pour la femme qui vitdans un shack de pardonner »65.

Mais il nous semble que si les perceptions sont divergentes, les points suivantsdoivent néanmoins être considérés :

•  La réconciliation est un processus, et ce processus a bel et biencommencé en Afrique du Sud ; il a été canalisé par la commission, maissa réussite est liée aux contributions de toute la société sud-africaine ;

•  En tant que partie intégrante de la justice restauratrice, la réconciliationa besoin d’actes forts et de repères tels que la reconnaissance, larepentance (notamment par l'expression de remords) et le pardon : sil’on considère que les principales victimes de l’apartheid sont issues dela communauté noire sud-africaine, la communauté blanche a eu beaucoup de mal à reconnaître les torts causés à la majorité (se pose icila question des bénéficiaires de l’apartheid)66. Le Parti national n’a pasdaigné exprimer ses remords et F.W. de Klerk a manqué une occasionhistorique d’exprimer le repentir du régime d’apartheid et de ses  bénéficiaires. Adriaan Vlok, qui avait occupé des fonctions trèsimportantes au sein du Conseil de sécurité de l’État, sans pour autantaider la cause de la vérité, offrait un acte de contrition en septembre2006, en demandant pardon aux familles des victimes de l’apartheid et

______________________

63 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 345 et 348.64 KROG , Antjie, op.cit. , pp. 145-146.65  Ibid., p. 146. « Shack » est le mot populaire désignant les habitations faites de carton

et de tôles ondulées qui s’érigent dans les townships et les agglomérationsinformelles.

66 Dans l’avant-propos du Rapport de la commission, Mgr Tutu ne manque pas desouligner que « […] la communauté blanche a perdu une opportunité offerte par lacommission […] la lourde charge de culpabilité que portent certains aurait étéallégée s’ils avaient saisi l’occasion offerte par la commission […] » (Traduction

inédite de l’auteur).

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en nettoyant les pieds des mères du « groupe de Mamelodi »67.Cependant, son acte est demeuré isolé et n’a pas eu d’effet boule de

neige au sein de la communauté blanche. En outre, le motif et le choixdu moment de sa repentance publique (plus de dix ans après la clôturedes travaux de la commission) sont douteux. La coïncidence de son acteavec l’intensification des débats institutionnels sur les poursuites judiciaires postérieures à l’action de la commission est frappante. Feu leprésident Botha, quant à lui, a refusé avec superbe les invitations de lacommission, ce qui lui valut un procès, qu’il gagna d’ailleurs68.

La réconciliation, comme processus, est en route en Afrique du Sud, maisdemande plus d’efforts. Cela revient à dire que la divulgation de la vérité nesuffit pas seule à faire la différence.

Priscilla Hayner souligne qu’une « vraie réconciliation pourrait dépendre de ladisparition des menaces de violence, de la mise sur pied de programmes deréparations pour les victimes, d’une attention particulière aux inégalitésstructurelles et aux besoins élémentaires de la communauté-victime »69. Et sil’on essaie de confronter les critères indicatifs de Priscilla Hayner à la réalitéde l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, on constatera que :

•  La violence ou les menaces de violence se sont transformées en Afriquedu Sud : la violence était horizontale du temps de l’apartheid (exercée

par l’État sur ses citoyens) ; elle est aujourd’hui verticale (les citoyensexercent la violence à l’égard de leurs semblables) ;

•  Les recommandations de la commission sur les réparations ont perdu deleur substance face à la réponse inappropriée, du gouvernement : lesvictimes éprouvent de l’amertume et sont maintenues dans leurcondition de victimes au lieu d’être considérées comme des« survivants » ;

•  Les inégalités sont encore très présentes et oppressantes en Afrique duSud ; les conditions d’existence de la majorité n’ont pas

significativement changé.

______________________

67 «  Mamelodi 10» : dix jeunes adolescents furent tués en 1986, après avoir étéentraînés dans un guet-apens par un collaborateur, qui leur avait promis de les fairepasser dans les camps de l’ANC au Botswana.

68 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 217.

69 HAYNER , Priscilla B., op.cit. , p. 6 (traduction inédite de l’auteur).

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4.2.7 Discussions sur les poursuites judicaires après les travaux de la commission

Dans sa décision déclarant que l’amnistie, telle que prévue par la Loi sur lapromotion de l’unité nationale et la réconciliation, ne viole pas la Constitutionde l’Afrique du Sud, le juge Ismail Mahomed concluait que les auteurs desgraves violations des droits de l’homme devraient être poursuivis et punis70.

Le rapport de la sous-commission sur l’amnistie préconisait que despoursuites judiciaires soient envisagées contre les personnes dont la demanded’amnistie avait été rejetée, notamment par l’adoption d’une politique claire71 sur les poursuites judiciaires.

A la clôture de ses travaux en 2003, la commission avait transmis à la National

Prosecuting Authority72

(NPA) une liste de 800 noms qui, à ses yeux, méritait uncomplément d’enquête et des poursuites judiciaires73. Une année plus tard, laNPA mettait sur pied une unité spéciale d’enquête, et l’ancien colonel depolice Gideon Nieuwoudt était arrêté pour son implication dans la disparitiondes « 3 de Pebco »74.

Plus tard, le gouvernement estimait qu’avant de procéder à d’autresarrestations, la NPA devait disposer d’une ‘politique des poursuites’. Unprojet de document sur la politique des poursuites judicaires élaboré en 2006est en discussion au parlement. Ce projet propose notamment que la NPA aitle pouvoir d’abandonner les poursuites contre toute personne qui divulgueraittoute la vérité sur les crimes sous examen et s’engagerait à coopérer avecd’autres initiatives dans ce sens75. Dans ces conditions, il y a lieu de craindreune sorte d’amnistie à huis clos.

Il semblerait que 16 cas sont déjà sous enquête et que la NPA a déjà établi descontacts avec les victimes et leurs familles76.

______________________

70 BORAINE , Alex, op. cit. , p. 121.71  Rapport de la commission , vol. 6, section 5, ch. 1, point 24, p. 595.72 Autorité judiciaire chargée des poursuites pour le compte de l’État (Procureur

général de la République).73 http://truth.wwl.wits.ac.za/cat_descr.php?cat=374 http://truth.wwl.wits.ac.za/cat_descr.php?cat=575  Id. 

76 http://www.info.gov.za/speeches/2006/06051211451001.htm

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4.2.8 Observations finales

•  Le cas de l’Afrique du Sud montre que faire face à un passé douloureuxest un processus de longue haleine ;

•  L’Afrique du Sud a opéré des choix pour affronter son passé : elle aprivilégié la recherche de la vérité, dans l’optique qu’elle aboutisse à laréconciliation, en y attachant des mesures incitatives pour les auteursprésumés des graves violations des droits de l’homme (amnistie) et desmesures de réparation et de réhabilitation pour les victimes ;

•  L’amnistie a soulevé des questions d’ordre légal, mais aussi moral.Quoique l’amnistie soit inopérante pour les crimes à caractère

international, la Cour suprême d’Afrique du Sud avait confirmé salégalité, tout en souhaitant que les requérants déboutés de l’amnistiesoient punis. Ronald Slye dit à ce propos que « les tribunauxinternationaux qui ont eu à examiner cette question ont abouti à laconclusion que l’amnistie suite aux graves violations des droits del’homme viole les principes fondamentaux du droit international desdroits de l’homme ; tandis que les tribunaux nationaux (à des exceptionsprès), qui ont eu à examiner cette question maintiennent que l’amnistieest constitutionnelle »77 ;

•  Dans un laps de temps relativement court, compte tenu de la périodecouverte (1960-1993), la commission a réussi à accomplir un travail demémoire considérable, en rendant en même temps disponiblesd'énormes quantités d’informations, jusqu’à présent inutilisées ;

•  Cependant, les transformations au sein de la société sud-africaine, quiauraient pu — peut-être — consolider les acquis de la commission,tardent à se manifester (les richesses sont toujours concentrées entre lesmains de la minorité blanche). La majorité de la population noire vitdans une situation de pauvreté criante, rendant difficile le processusréconciliation. Les mesures de correction des inégalités du passé sont

encore marginales et ne touchent qu’une infime partie de la population(10 % des noirs seulement bénéficieront du Black EconomicEmpowerment), tandis que la corruption prend des proportionsinquiétantes ;

•  La commission a certainement suscité des attentes immenses auprès desvictimes ;

______________________

77  VILLA-VICENCIO  , Charles ; VERWOERD  , Wilhem, Looking back, reaching forward-reflections on the truth and reconciliation commission of South Africa, Zed Books Ltd.,

2000, p. 176.

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4.3  République démocratique du Congo

Dieudonné Diku Mpongola

4.3.1 IntroductionLe 29 octobre 2006, près de 17 millions de Congolais se sont rendus aux urnespour le second tour des élections présidentielles et des élections législativesprovinciales. Ce processus électoral est destiné à tourner la page de 25 ans dedictature et de 16 années d’une transition, et à propulser la Républiquedémocratique du Congo dans la sphère des nations démocratiques.

Cette ambition démocratique ne peut faire perdre de vue que l’évolutionpolitique et institutionnelle de la République démocratique du Congo a étéémaillée de nombreuses convulsions accompagnées d'autant de violations des

droits de l’homme et du droit international humanitaire. La guerre que laRépublique démocratique du Congo a connue depuis août 1998 a fait, d’aprèsune étude de l’organisation non gouvernementale américaine InternationalRescue Committee, plus de 3,8 millions de morts et 31 000 civils continuent demourir chaque mois des suites du conflit1.

Toute nouvelle démocratie ou toute société qui a subi une guerre civile doitinévitablement régler les questions de son passé autoritaire. Il n’y a pasd’alternative2. Face à cette exigence, la République démocratique du Congo adû mettre en œuvre certains mécanismes. Il s'agira ici de les évaluer en

cherchant à dégager les perspectives d’avenir, étant entendu que laconsolidation de la démocratie naissante est fonction de la capacité de toutesles parties prenantes (gouvernement, société civile, Églises, associations,communautés, acteurs internationaux, justice) de faire face aux crimes dupassé.

4.3.2 Mécanismes de justice transitionnelle mis en œuvre en Républiquedémocratique du Congo

• 

Des différents mécanismes de justice transitionnelle connus, laRépublique démocratique du Congo en a retenu trois, à savoirl’amnistie, les poursuites pénales et la commission de vérité etréconciliation ;

______________________

1 Voir : http://www.theirc.org/resources/Enquete_de_mortalite-Version_Francaise.pdf

2 HUYSE  , Luc ; VAN DAELE  , Ellen (éd.) :  Justice après de graves violations des droits del’homme, le choix entre amnistie, la commission de vérité et les poursuites pénales . Recueil

de documents officiels, rapports et articles, Université de Louvain, 2001, p. 7. 

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•  C’est au cours des négociations politiques intercongolaises visant àtrouver une solution à la crise politique et militaire qui a secoué le pays

depuis 1996, appelées « dialogue intercongolais », que l’on a parlé pourla première fois des mécanismes de justice transitionnelle. Plusieursrésolutions adoptées dans le cadre de ce processus, ainsi que le texte quia sanctionné le dialogue, à savoir l’Accord global et inclusif sur latransition politique en République démocratique du Congo, ont instituéces mécanismes.

4.3.2.1 L’amnistie

Le point III. 8 de l’Accord global et inclusif signé en Afrique du Sud le 17décembre 2002 dispose ce qui suit : « Afin de réaliser la réconciliationnationale, l’amnistie sera accordée pour faits de guerre, infractions politiqueset infractions d’opinion à l’exception des crimes de guerre, des crimes degénocide et des crimes contre l’humanité. A cet effet, l’Assemblée nationale detransition adoptera une loi d’amnistie conformément aux principes universelset à la législation nationale. A titre provisoire, et jusqu’à l’adoption et lapromulgation de la nouvelle loi, l’amnistie sera proclamée par décret-loiprésidentiel. Le principe de l’amnistie sera consacré par la Constitution detransition ».

En application de cet accord, la Constitution de transition promulguée le 4avril 2003 reprendra cette disposition en son article 199. Le 15 avril 2003, undécret-loi d’amnistie provisoire est promulgué par le chef de l’État. A titred’observation, il importe de souligner que d’une part, l‘expression « amnistieprovisoire » est particulière et que d’autre part, conformément au droitinternational, elle exclut de son champ les crimes graves selon le droitinternational que sont les crimes de guerre, les crimes de génocide et lescrimes contre l’humanité. L’application de ce décret-loi d’amnistie par lesparquets, sous la supervision du ministère de la Justice, a été considéréecomme discriminatoire en l’absence de critères objectifs d’application.

Le 29 novembre 2005, l’Assemblée nationale a voté la Loi d’amnistie pour faitsde guerre, infractions politiques et infractions d’opinion. Celle-ci définit lesinfractions politiques comme « des agissements qui portent atteinte àl’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, les actesd’administration et de gestion ou dont le mobile de son auteur ou lescirconstances qui les inspirent ont un caractère politique ». Quant aux faits deguerre, ce sont « des actes inhérents aux opérations militaires autorisés par leslois et coutumes de guerre, qui, à l’occasion de la guerre, ont causé dommageà autrui ».

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L'adoption de la loi d'amnistie s’est déroulée dans un climat de tensionpolitique extrême. L’origine en était l’interprétation que le camp du président

Kabila d’une part et les partis de Jean-Pierre Bemba et d’Azarias Ruberwad’autre part donnaient à l’expression « infractions politiques ». Si, pour lecamp présidentiel, l’infraction politique excluait de son champ d’applicationles auteurs de l’assassinat du chef de l’État, pour l’autre camp, les assassins duchef de l’État étaient auteurs d’une infraction politique et donc susceptiblesd’être amnistiés. L’enjeu de cette interprétation divergente était le sort despersonnes condamnées le 29 janvier 2003 par la défunte Cour d’ordremilitaire, dans le cadre du procès lié à l’assassinat du président Laurent-DésiréKabila.

Face à cette divergence d’interprétation, le président de la République asollicité, en date du 6 décembre 2005, l’avis de la Cour suprême de justice surla base l’article 147 de la Constitution, pour savoir si l’assassinat du chef del’État était une infraction politique. Dans son avis rendu le 13 décembre 2005,la Cour a conclu que « l’attentat à la vie du chef de l’État ou d’un membre desa famille constitue une infraction de droit commun ». C’est donc sur la basede cet avis que le ministre de la Justice exécute la loi d’amnistie.

4.3.2.2 Les poursuites pénales : Tribunal pénal international pour la

République démocratique du CongoLa Résolution n° DIC/CPR/05 relative à l’institution d’un tribunal pénalinternational, adoptée dans le cadre du dialogue intercongolais, traite del'option de poursuites pénales et décrète ce qui suit :  «Décidons qu’unerequête soit adressée par le gouvernement de transition au Conseil de sécuritédes Nations Unies en vue de l’institution d’un tribunal pénal internationalpour la République démocratique du Congo doté de compétences nécessairespour connaître des crimes de génocide, crimes contre l’humanité, y compris leviol utilisé comme arme de guerre, crimes de guerre et crimes contrel’humanité et violations massives des droits de l’ homme commis ou présuméscommis pendant les deux guerres de 1996 et 1998 ».

Le 17 janvier 2003, l’ambassadeur congolais auprès des Nations Uniesréclamait la création d’un tribunal pénal international, dans une lettreadressée au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cependant, la lettredemandait la création d’un tribunal pénal international pour les crimescommis en Ituri et non pour les crimes commis sur tout le territoire de laRépublique démocratique du Congo. En outre, les crimes pour lesquels le

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tribunal était requis tombent sous la compétence de la Cour pénaleinternationale (CPI)3. Le président Kabila a, dans son discours adressé à

l’Assemblée générale des Nations Unies le 24 septembre 2003, exprimé lesouhait de la constitution d’un tribunal pénal international.

Du reste, l’option de la création d’un tribunal pénal international ne sembleplus bénéficier des faveurs des Nations Unies elles-mêmes. En effet, leSecrétaire général adjoint aux affaires juridiques, Ralph Zacklin, a déclaré :« La vérité c’est qu’aujourd’hui, il est impossible d’envisager la création d’untribunal du type TPIY dans de nouvelles situations, même pour les violationsextrêmement graves du droit pénal international, par exemple au Libéria, enRépublique démocratique du Congo ou en Côte d’Ivoire. Ceci n’a pasdissuadé les gouvernements ou la société civile d’essayer de faire justice dansles sociétés postconflit mais a rendu impérative la nécessité de trouverd’autres moyens pour ce faire »4. 

De nombreuses critiques se sont élevées à propos de l’option d'un Tribunalpénal international pour la République démocratique du Congo5. Il s'agitnotamment du coût d'un tel mécanisme6  , mais aussi de son probableéloignement par rapport au lieu de la perpétration des crimes. Si l'on se réfèreà la pratique récente, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslaviesiège à La Haye, tandis que le Tribunal pénal international pour le Rwanda estinstallé à Arusha.

Le manque total d’impact des tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur lesystème de justice pénale nationale est également à relever. L’installation detels tribunaux loin du territoire du pays dans lequel les crimes ont étéperpétrés n’entraîne ni renforcement des capacités des magistrats et agentsnationaux de l’ordre judiciaire, ni amélioration des infrastructures judiciaireset pénitentiaires de ces pays.

______________________

3 Voir BORELLO  , F., Les premiers pas : la longue route vers une paix juste en Républiquedémocratique du Congo , ICTJ, 2004, pp. 35-36.

4  Ibid., p. 37.5 Voir DIKU MPONGOLA , Dieudonné : Argumentaire en faveur de la création de chambres

spécialisées mixtes au sein des juridictions congolaises  , p. 3. Document préparé parl’auteur dans le cadre de la Coalition congolaise pour la justice transitionnelle.

6 Voir à ce sujet le rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des NationsUnies : Rétablissement de l’état de droit et l’administration de la justice pendant la périodede transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, S/2004/616, 3

août 2004, pp. 18-19.

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Ainsi la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH)note dans son rapport publié en juin 2004, République démocratique du Congo, la

  justice sacrifiée sur l’autel de la transition9

 , que les blocages peuvent égalementêtre liés au peu d'empressement des acteurs de la transition, au pouvoir àKinshasa, à voir réellement se mettre en place un tel système, auquel ilspourraient eux-mêmes être soumis.

4.3.2.3 La Commission de vérité et réconciliation

La Commission de vérité et réconciliation fait partie des cinq institutionscitoyennes ou d’appui à la démocratie instituées par les signataires de

l’Accord global et inclusif issu du dialogue intercongolais10

. Selon les termesde la Loi n° 04/018 du 30 juillet 2004 qui régit son organisation et sonfonctionnement, la commission a pour mission de rétablir la vérité et depromouvoir la paix, la justice, la réparation, le pardon et la réconciliation, envue de consolider l’unité nationale11. Sa compétence est fixée ainsi : « Lacompétence de la Commission de vérité et réconciliation s’exerce à l’égard detous les Congolais, y compris l’État congolais, les militaires, les policiers, lesagents de sécurité ainsi que les personnes jouissant des immunités depoursuite ou des privilèges de juridiction. Les crimes et les violations desdroits de l’homme commis en dehors du territoire national mais en relation

avec les conflits politiques de la République démocratique du Congo relèventaussi de la Commission de vérité et réconciliation. La Commission de vérité etréconciliation connaît des évènements survenus ainsi que les crimes etviolations des droits de l’homme perpétrés au cours de la période allant du 30 juin 1960 jusqu’à la fin de la transition »12.

Au moment où la transition prend fin, force est de reconnaître que lacommission, dont la durée de vie est identique à celle de la transition, n’estpas parvenue à satisfaire pleinement des attentes des Congolais surtout en cequi concerne ce qu’il y a lieu de considérer comme le principal aspect de sa

______________________

9 Voir Programme de coopération juridique et judiciaire, Rapport n° 377, juin 2004, Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme,http://www.fidh.org/IMG/pdf/rdc387f.pdf

10 Les autres étant l’Observatoire national des droits de l’homme, La Haute autoritédes médias, la Commission électorale indépendante et la Commission d’éthique etde lutte contre la corruption.

11 Cf. Loi n° 04/018, art. 5, 30 juillet 2004.

12  Ibid., art. 6.

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mission, à savoir la recherche de la vérité. Plusieurs facteurs expliquent cettesituation. En premier lieu, et à l’instar des autres institutions aussi bien

politiques que citoyennes, la commission a été guidé par la « logique descomposantes et entités », c’est-à-dire que ses membres venaient aussi bien dela société civile, de l’opposition politique, des mouvements politico-militairesde faible importance que des principaux groupes belligérants dans la longueguerre civile qui a meurtri la République démocratique du Congo. Or c'est surces derniers que pèsent des présomptions de graves violations des droits del’homme et de crimes graves selon le droit international. Leur présence au seinde la commission a inhibé considérablement son travail. En second lieu, lalongue période faisant l’objet des enquêtes de la commission — soit du 30 juin1960 au 30 juin 2006 qui marque la fin de la transition (soit 46 ans) — était trop

ambitieuse au regard de la relativement courte durée de vie de la commission.En outre, il y a lieu de relever également un déficit d’expertise dans le chef desmembres de cette commission sur les questions de justice transitionnelle.

Lors de l’atelier d’évaluation de la Commission de vérité et réconciliation,organisé en juin 2006 à Kinshasa avec l’appui du PNUD, de la MONUC et duCentre international pour la justice transitionnelle, les participants ontexaminé son fonctionnement au cours de ses trois années d'existence et ontreconnu les faiblesses et les insuffisances de cette institution citoyenne13.Analysant les raisons qui ont empêché la Commission de vérité etréconciliation d’être pleinement opérationnelle, les participants ont noténotamment « le manque de volonté politique gouvernementale, l’insécurité àl’est du pays et qui continue à ce jour, la méfiance de certaines composantes etentités à l’endroit de la commission de vérité et réconciliation, la non-conformité de la composition de la Commission de vérité et réconciliation parrapport aux principes admis d’une commission de vérité et réconciliationclassique qui a entraîné une attitude réservée de certains acteurs de lacommunauté internationale »14.

Dans la perspective de la possibilité prévue par l’article 222 de la Constitutiondu 18 février 2006 de créer une nouvelle Commission de vérité et

réconciliation après les élections générales en République démocratique duCongo, ils ont recommandé le respect du principe n° 6 de l’Ensemble desprincipes pour la promotion et la protection des droits de l’homme par la luttecontre l’impunité, qui précise que « dans toute la mesure du possible, les

______________________

13 Cf. Rapport de synthèse de l’Atelier d’évaluation de la Commission de vérité etréconciliation, et perspectives d’avenir (22 au 24 juin 2006, Kinshasa),  2006.

14  Id. 

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décisions visant à l’établissement d’une commission de vérité définissent sonmandat et énoncent que sa composition devrait faire l’objet de larges

consultations publiques pour chercher tout spécialement à connaître l’opiniondes victimes et des rescapés. Il conviendrait de veiller tout particulièrement àce que les hommes et les femmes participent à ces délibérations sur un piedd’égalité »15. Ils ont  également recommandé la limitation de son mandat enmettant un accent sur le fait que la commission n’a pas vocation à se substituerà la justice, sur la focalisation de la commission sur le volet vérité et sur lesatteintes graves aux droits de l’homme, ainsi que sur les violations du droitinternational humanitaire et les crimes de guerre. Enfin, les participants ontestimé que « la commission vérité constituant un des éléments d’une stratégieglobale de justice transitionnelle, il est recommandé qu’elle soit davantage

conçue en tenant compte des différentes interactions possibles en matièred’amnistie et de poursuites judiciaires, de réparations, d’assainissement et deréforme »16.

Pour sa part, dans une déclaration rendue publique en septembre 200617  , laCoalition congolaise pour la justice transitionnelle a relevé les insuffisances dela Commission de vérité et réconciliation tout en préconisant, dans laperspective de la possible création d'une nouvelle commission de vérité etréconciliation, que celle-ci soit fondée sur une large consultation de la sociétécivile, une délimitation réaliste de la période couverte par ses enquêtes et lapossibilité de recourir à l’expertise internationale en vue d’une plus grandecrédibilité ainsi que l’implication financière de la communauté internationale.

4.3.3 Justice transitionnelle en République démocratique du Congo : le bilan

Des mécanismes de justice transitionnelle prévus par l’Accord global etinclusif sur la transition en République démocratique du Congo, aucun n’a étémis en œuvre de manière satisfaisante. Bien plus, aucun mécanisme depoursuite judiciaire n’a été mis en place de sorte que les auteurs présumés descrimes graves et des violations massives des droits de l’homme qui y ont étécommis au cours des dix dernières années se drapent du voile de l’impunitétandis que les victimes sont abandonnées à elles-mêmes.

______________________

15 Cf. E/CN.4/2005/102/Add.1.16  Cf. Rapport de synthèse…, op.cit. 17 Soit la Déclaration de la Coalition congolaise pour la justice transitionnelle (CCJT),

Beni, 16 septembre 2006.

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Les mécanismes de poursuites pénales envisagés pour se substituer àl'inexistant Tribunal pénal international pour la République démocratique du

Congo, notamment les chambres spéciales à composition mixte dans lestribunaux congolais18  , en sont encore au niveau des réflexions entrespécialistes.

La Commission de vérité et réconciliation, pour les raisons évoquées plushaut, ne s’est préoccupée que de questions mineures au regard des enjeux devérité, de réparation et de réconciliation. Bien plus, dans bien des cas, elle s’estattelée à des missions totalement étrangères à son mandat.

En outre, aucune réparation de quelque nature que ce soit en faveur desvictimes n’a été prévue, la commission se limitant exclusivement à « identifier

les victimes et déterminer l’étendue des responsabilités ». La recommandationde création d’un fonds d’indemnisation des victimes des crimes contrel’humanité, financé notamment par le biais de l’exploitation légale desressources naturelles du pays, préconisée par l’expert indépendant sur lasituation des droits de l’homme en République démocratique du Congo nesemble pas à ce jour connaître un début de concrétisation19. De même, aucuneréforme institutionnelle n’a été envisagée pour purger la magistrature, lesservices de sécurité, la police et l’armée des personnes auteurs de crimesgraves et de violations avérées des droits de l’homme.

Cette inertie sur les questions de justice transitionnelle semble faire l’objetd’un consensus tacite entre les principales forces politiques qui ont géré latransition de manière concertée en République démocratique du Congo :« Force est de constater en effet qu’en dépit des divergences politiques réellesou supposés entre partis politiques et candidats divers, un consensus tacitevoire une omerta sur ces questions de justice constitue leur dénominateurcommun. [Nous en voulons pour exemple] le rapport de la CommissionLutundula sur la validité des conventions à caractère économique et financierconclues lors des guerres de 1996 et 1998 »20. 

Il convient d’ajouter à l’absence de volonté politique, comme facteur explicatifde l’inertie des autorités sur les questions de justice transitionnelle, l’attitude

______________________

18 République démocratique du Congo : commentaires sur le rapport de l’auditorganisationnel du secteur de la justice, document préparé par Human Rights Watch ,novembre 2004.

19 Cf. Rapport de l’Expert indépendant…, op.cit. , p. 20.20 DIKU MPONGOLA , Dieudonné, Les défis de la justice transitionnelle en période électorale

en République démocratique du Congo  , inédit, juillet 2006, pp. 3-4. La commission en

question porte le nom de son président, Christophe Lutundula Apala. 

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de la communauté internationale, plus encline à privilégier la dimensionpolitique de la transition, avec comme point de chute les élections, que la

  justice, la « crainte » étant de voir les questions de justice transitionnelle,surtout dans ces aspects liés aux poursuites pénales et à la recherche de lavérité et réformes institutionnelles, « fragiliser voire déstabiliser la transition ».

4.3.4 Conclusion

La viabilité de la démocratie et de l’état de droit dans lesquels la Républiquedémocratique du Congo s’est laborieusement engagée est tributaire de lacapacité de la société congolaise dans son ensemble de faire une catharsis et

d’aborder, voire d’affronter, son passé et son « passif » autoritaire enenquêtant courageusement sur les crimes graves selon le droit international etles graves violations des droits de l’homme, en poursuivant les auteurs (si pastous, du moins ceux qui portent la plus grande responsabilité) et en accordantaux victimes une réparation appropriée. La démarche serait incomplète si ellen’intégrait pas des réformes institutionnelles destinées à retirer des différentsservices publics et de l’administration les personnes responsables des crimesgraves et de graves violations des droits de l’homme et du droit internationalhumanitaire. Bien plus, le volet réparation dans ses différentes formes devraitêtre étudié avec la plus grande attention afin que les victimes ne soient pas des

laissées-pour-compte des accords de paix et des processus politiques, quand bien même ils seraient couronnés par des élections.

Adopter l’approche de l’amnésie au nom d’une interprétation perverse desconcepts de pardon et de réconciliation et ainsi passer par pertes et profits lesmillions de victimes de la tragédie congolaise, y compris leur ayants cause,constitue le meilleur moyen de capitaliser les frustrations et de bâtir ladémocratie congolaise sur du sable mouvant.

C’est pourquoi, en vue de combattre la formation d’une « jurisprudence del’impunité », une appropriation citoyenne des questions de justice

transitionnelle est la voie obligée pour qu’elles deviennent une exigence denature à infléchir une volonté politique. Et ce, afin que pour nos autorités la  justice, y compris la justice transitionnelle quitte l’arène des discours pourdevenir une question donnant lieu à la mise en œuvre des politiques et desprogrammes.

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4.4  Burundi

Clotilde Ngendakumana

4.4.1 IntroductionCette présentation sur la justice transitionnelle au Burundi décritsommairement les mécanismes de justice transitionnelle tels que proposésdans différents textes de loi et rapports officiels, l’état actuel du processus desnégociations entre le gouvernement et les Nations Unies, et enfin, l’image dela société civile burundaise et son rôle dans ce processus.

4.4.2 Contexte

Le Burundi vient de sortir d’une période dite de transition, après une longuecrise de déchirements entre Burundais et de violences survenues de manièrecyclique (1962, 1988, 1991 et 2003) depuis son accession à l’indépendance. En1993, après une trentaine d’années caractérisées par des coups d’État et desrégimes à caractère dictatorial, les premières élections libres et démocratiquesportèrent au pouvoir le président Ndadaye Melchior. Deux mois à peine aprèsson investiture, il fut assassiné déclenchant une recrudescence des violences.

Des violences extrêmes ont recommencé et ont duré douze ans. Enfin, en juin1996, des négociations entre le gouvernement burundais et le groupe rebelle

CNDD-FDD furent engagées, et aboutirent à un cessez-le-feu puis à un accordde paix, l’accord d’Arusha, signé le 28 août 2000. Bien qu’affaibli par seslogiques partisanes et les divisions persistantes qui le sous-tendaient, l’accordd’Arusha laissait entrevoir, au moment de sa signature, l’espoir d’un avenirmeilleur. Il jetait les bases d’un processus conduisant à un régime de transitionet à la mise en place d’institutions par voie démocratique.

4.4.2.1 L’accord d’Arusha

Aux termes de l’accord d’Arusha, deux mécanismes devraient être mis enplace pour faire la lumière sur les crimes graves perpétrés au Burundi depuisle 1er juillet 1962 : une Commission nationale pour la vérité et la réconciliationet une Commission d’enquête judiciaire internationale (CEJI) sur le génocide,les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité.

Le même accord prévoit la création d’un Tribunal pénal international surdemande du gouvernement, au cas où le rapport de la CEJI établirait que descrimes commis au Burundi puissent être qualifiés de crimes de génocide,crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité. En mars 2005, une

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mission des Nations Unies, dite Mission Kalomoh , proposa dans son rapport larévision de la nature, de la composition et du mandat des mécanismes de

vérité et de justice, tels qu’ils avaient été fixés par l’accord d’Arusha.

4.4.2.2 La mission Kalomoh

Sur initiative du gouvernement burundais, dans sa correspondance du 24 juillet 2002, adressée au Secrétaire général des Nations Unies par le présidentBuyoya alors en exercice, il a été demandé à l’ONU de créer une commissiond’enquête judiciaire internationale pour le Burundi, comme le prévoyaitl’accord d’Arusha. Conformément à cette demande, près de deux ans plus

tard, le président du Conseil de sécurité adressait une lettre au Secrétairegénéral, le 26 janvier 2004, lui demandant d’envoyer une mission d’évaluationau Burundi en vue d’examiner l’opportunité et la possibilité de créer une tellecommission1.

 Mandat de la mission

Les tâches assignées à cette mission sont notamment les suivantes2 :

1. Préciser les modalités et options pour la mise en place d’une commissiond’enquête internationale conformément à l’accord d’Arusha, examinerquelles approches pourraient soutenir le processus de paix, promouvoir« la vérité et la réconciliation tout en réalisant la justice ». A cette fin, lamission devait :

•  Évaluer les progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformesdu secteur judiciaire prévues par l’accord d’Arusha et la capacitédu système judiciaire burundais à assumer, d’une manièreimpartiale et efficace, le jugement des criminels, notamment euégard à ses pouvoirs d’instruction ;

•  Recommander des structures, dans le cadre d’une commissioninternationale, qui auraient des avantages positifs durables sur lesystème judiciaire burundais ;

______________________

1 Cf. S/2004/72.

2  Id. L’annexe à la lettre présente le projet de mandat pour la mission d’évaluation.

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•  Faire le point sur les travaux concernant l’institution d’unecommission nationale pour la vérité et la réconciliation, et les

conséquences de la loi assurant l’immunité provisoire auxresponsables politiques qui rentrent d’exil.

2. Évaluer la valeur ajoutée d’une commission d’enquête internationale, euégard aux rapports présentés par les commissions d’enquêteprécédentes, notamment le rapport Whitaker de 1985, le rapport desorganisations non gouvernementales de 1994, le rapport desambassadeurs Aké et Huslid de 1994-1995 et le rapport de lacommission d’enquête internationale de 1996.

3. Définir quelle pourrait être la répartition des compétences et des

pouvoirs entre la Commission nationale pour la vérité et laréconciliation et la commission d’enquête internationale, s’agissantnotamment de la complémentarité de leurs responsabilités en matièred’enquête, de la qualité des personnes dont elles auraient à connaître etde la question de l’amnistie.

4. S’agissant des modalités proposées pour la mise en place d’unecommission d’enquête internationale :

•  Examiner la possibilité de circonscrire la compétence temporellede la commission ;

•  Évaluer la capacité du gouvernement à assurer la sécurité desmembres de la commission et à faciliter leur travail d’enquête ;

•  Évaluer les moyens logistiques, humains et financiers quenécessiterait la mise en place de la commission ;

•  Préciser les attentes des autorités burundaises concernant lesconclusions de l’enquête et leur application pratique, eu égard enparticulier aux poursuites qui pourraient être engagées devant untribunal international ou des tribunaux nationaux.

Composition de la mission

Cette mission dirigée par M. Tuliameni Kalomoh, sous-secrétaire général auxAffaires politiques, était composée par des représentants du Département desaffaires politiques, du Bureau des affaires juridiques des Nations Unies, duBureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, duHaut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du Bureau du

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coordonnateur des Nations Unies pour les questions de sécurité. Dans toutesles visites effectuées au Burundi, elle a été assistée par le Bureau des Nations

Unies au Burundi.

Consultations menées par la mission

Arrivée au Burundi en mai 2004, la mission a tenu des consultations du 16 au24 mai auprès de diverses personnalités du pays, dont les représentants dugouvernement, les autorités locales, les représentants des partis politiques, lesautorités judiciaires, les dirigeants religieux et les membres de la société civile.Pendant son séjour dans le pays, elle a rencontré le président du Burundi,

Domitien Ndayizeye, et le vice-président, Alphonse Marie Kadege. La missiona également tenu des consultations avec deux anciens présidents du Burundi,Sylvestre Ntibantuganya et Jean-Baptiste Bagaza, des dirigeants des partispolitiques et des mouvements politiques armés, et enfin, des représentants dela communauté musulmane.

La mission a également rencontré des membres de l’équipe des Nations Unieset d’autres personnalités diplomatiques, les représentants d’organisations nongouvernementales nationales et internationales, un groupe de rapatriés et desexperts à titre personnel (professeurs de droit, avocats de la défense ethistoriens). En plus des rencontres consultatives, la mission a effectué desvisites dans différentes structures du ministère de la Justice, notamment dansles locaux des divers tribunaux et a rencontré des autorités judiciaires et desmembres de la profession juridique : le procureur général, le vice-président etdes juges de la Cour suprême, des membres de la Cour constitutionnelle, etdes membres de la Cour d’appel et du Tribunal de grande instance. De même,elle a rencontré le président du Tribunal militaire, le directeur de la policechargée des enquêtes, des membres de l’Ordre des avocats et des responsablesde la prison centrale de Mpimba. En dehors de Bujumbura, la mission a visitéla ville de Gitega, où elle a rencontré le gouverneur et le commandant militairede la région, visité le Tribunal de grande instance et rencontré le président dela Cour et le procureur général.

Recommandations de la mission

Après avoir mené ses consultations, la mission d’évaluation a fait sesobservations et a recommandé notamment la création d’un mécanisme non  judiciaire de recherche des responsabilités sous forme d’une commission devérité mixte et la mise en place d’un mécanisme judiciaire d’établissement desresponsabilités, soit une « chambre spéciale » intégrée à l’appareil judiciaire burundais.

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Une commission de vérité nationale de composition mixte

Dans le souci de favoriser le renforcement de l’objectivité, l’impartialité et lacrédibilité de la commission, ainsi que la participation des Burundais auprocessus d’établissement de la vérité historique et de réconciliation nationale,la mission a proposé que cette commission soit mixte, avec une fortecomposante internationale, et qu’elle soit donc constituée par deux élémentsnationaux et trois éléments internationaux.

Dans la logique de la mission Kalomoh, cette commission de vérité serait crééesur la base juridique d’une loi nationale et d’un accord entre les Nations Unieset le gouvernement burundais. La loi nationale définirait la compétencematérielle de la commission ainsi que ses compétences ratione temporis et

ratione personae. Elle établirait ses pouvoirs et compétences dans ses rapportsavec la chambre spéciale tandis que l’accord entre les Nations Unies et legouvernement fixerait les termes et conditions de la coopération des NationsUnies à l’instauration et au fonctionnement de la commission.

Une chambre spéciale intégrée dans l’appareil judiciaire burundais

En proposant un tel mécanisme judiciaire, la mission d’évaluation se seraitinspirée de l’exemple des divers tribunaux créés par l’ONU ou avec son aide,

et en considération des moyens de financement, d’efficacité et de rendement.La mission aurait pris exemple sur la Chambre des crimes de guerre de laCour de Bosnie-Herzégovine, en cours de création. L’option de l’intégrationd’une chambre spéciale au sein du système judiciaire serait justifiée par lesouci de renforcer les ressources matérielles et humaines du système judiciaire  burundais en lui fournissant un effectif de juges, de procureurs et dedéfenseurs qualifiés et un greffe expérimenté. Cette chambre auraitcompétence pour poursuivre les responsables au premier chef d’actes degénocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis auBurundi. Sa compétence ratione temporis  , limitée à des phases précises du

conflit, comprendrait au minimum la période allant du début de 1972 à la finde 1993. La chambre spéciale serait créée par une loi nationale, laquellerégirait son fonctionnement et serait amendée autant que de besoin pourgarantir à l’accusé un procès équitable et l’application d’une procédurerégulière. Elle serait composée d’un ou de plusieurs collèges de trois jugessiégeant en première instance et d’un collège d’appel de cinq juges, et auraitune composition mixte comprenant une majorité de juges internationaux, unprocureur international et un greffier. Le Bureau du procureur et le greffecomprendraient un important élément international.

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 Mécanisme de financement

Selon les conclusions de la mission, la commission de vérité et la chambrespéciale ne devraient pas normalement être financées par des contributionsobligatoires, du fait qu’elles ne sont pas des organes de l’ONU. Mais au vu dela situation au Burundi, la création d’un mécanisme pour la recherche desresponsabilités devra être financée intégralement par des apportsinternationaux, soit sous forme de contributions volontaires soit, ne serait-cequ’en partie, par des contributions obligatoires. La mission souligne que ladécision de créer l’un ou l’autre de ces mécanismes — ou les deux — devraittenir pleinement compte des coûts financiers encourus et de la nécessité degarantir leur viabilité et leur durabilité.

Pour mettre en œuvre les recommandations de la mission, le Conseil desécurité dans sa Résolution 1606 du 20 juin 2005, a prié le Secrétaire générald’engager des négociations avec le gouvernement burundais sur la mise enplace de ces mécanismes. Trois mois plus tard, en date du 26 octobre 2005, legouvernement burundais a nommé une délégation chargée de négocier avecles Nations Unies.

4.4.3 De la Commission de vérité et réconciliation à la « Commission Vérité,Pardon et Réconciliation » 

Le 18 juin 2006 à Dar Es Salaam, le gouvernement burundais et le FNL-PALIPEHUTU3 signèrent un « accord de principes en vue de la réalisation dela paix, de la sécurité et de la stabilité durables au Burundi ». A la sectionintitulée « L’Histoire du Burundi et la question ethnique », l’accord stipule que« la Commission Vérité et Réconciliation sera dénommée Commission Vérité,Pardon et Réconciliation »4. L’accord ajoute que « des consultations populairesseront organisées de la base au sommet »5 sans préciser sur quels sujetsporteront ces consultations. L’accord mentionne aussi qu’« il sera créé unecommission d‘experts qui aura pour mission de réécrire l’histoire du

Burundi »6.

______________________

3 Les Forces nationales de libération (FNL) sont l’aile armée du Party for the Liberationof the Hutu People (PALIPEHUTU).

4 Art. 1, al. 3.5 Art. 1, al. 4.

6 Art. 1, al. 2.

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4.4.4 État du processus des négociations entre les Nations Unies et legouvernement burundais

En vertu de la lettre des Nations Unies adressée au gouvernement burundaisle 19 mai 2006, les Nations Unies soulignèrent trois questions essentielles à laconclusion d’un accord-cadre général sur le mécanisme double à savoir :

•  La nature du processus de consultation nationale devant déboucher surla mise en place de la commission de vérité et réconciliation ;

•  La reconnaissance de la non-applicabilité de l’amnistie aux crimes degénocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ;

•  Le rapport entre la commission et le tribunal spécial.

  Jusqu’aujourd’hui, les Nations Unies et le gouvernement ne sont pas encoreparvenus à un consensus sur ces questions.

4.4.4.1 Nature de la consultation nationale

Alors que la lettre des Nations Unies du 19 mars proposait un processus deconsultation nationale « largement ouvert » pour permettre au peuple burundais « sa pleine participation aux préparatifs de la mise en place de la

Commission, de sorte que ses vues et ses aspirations soient dûment prises encompte dans les actes fondateurs », le gouvernement du Burundi sembleadhérer à cette opinion par sa déclaration, dans la lettre du 15 juin 2006répondant à celle des Nations Unies, qu’il est « conscient de la nécessité et del’importance de le démocratiser le plus possible non seulement à des finspédagogiques mais aussi pour recueillir les vues et aspirations du peuple burundais et ainsi donner de la substance à la Commission ».

4.4.4.2 La reconnaissance de la non-applicabilité de l’amnistie aux crimesde génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre

Dans la même lettre du 19 mai 2006, les Nations Unies conditionnèrent lacoopération dans la mise en œuvre et le fonctionnement du mécanisme doubleà l’exclusion expresse de l’amnistie des crimes de génocide, crimes de guerreet autres crimes contre l’humanité, dans les actes fondateurs. Sur cettequestion, sans l’exprimer clairement, le gouvernement montre une positionambiguë cachant son intention non exprimée de soutenir l’amnistie. Auparagraphe 5 de la lettre du 15 juin adressée aux Nations Unies, il affirme « savolonté de tout faire pour éviter l’impunité du crime de génocide, des crimes

contre l’humanité et des crimes de guerre dûment qualifiés, mais qu’il garde à

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l’esprit l’importance de la diversité des contextes historiques et saresponsabilité dans le contexte du Burundi de prendre des mesures propres à

créer un climat de réconciliation, à promouvoir et à réaliser la réconciliationnationale ».

4.4.4.3 Rapport entre la commission de vérité et la chambre spéciale

La position des Nations Unies est exprimée clairement dans sa lettre du 19mai, adressée au gouvernement, lorsqu’elles déclarent qu’il est nécessaire queces mécanismes soient « complémentaires mais distincts, fonctionnantindépendamment du gouvernement et de l’Organisation des Nations Unies, et

indépendamment l’un de l’autre ». A cet effet, les Nations Unies défendirentd’une manière particulière, l’absolue nécessité de l’indépendance de lachambre spéciale et du procureur, proposition au sujet de laquelle legouvernement du Burundi manifesta sa divergence de point de vue. Selon lui,la séparation nette du Bureau du procureur et de la Commission de vérité etréconciliation n’apporterait rien de nouveau au système existant. Pourarticuler son raisonnement, le gouvernement s’appuya sur l’exemple del’Afrique du Sud où le Bureau du procureur spécial aurait eu à connaîtreseulement des crimes graves non élucidés par la Commission de vérité et deréconciliation.

N’ayant abouti à aucun consensus sur les trois points, un accord-cadred’intervention sera prochainement signé. Aussitôt après la signature del’accord-cadre, un texte de loi établissant la commission nationale devrait êtrerapidement élaboré.

4.4.4.4 Commentaires

Bien que la composition mixte prévue pour ces deux instances soit de nature àfavoriser la recherche d’objectivité, une série de critères a été formulée par desobservateurs et des organismes spécialisés en matière de justice :

•  Le profil et le processus de nomination des membres burundais de cedouble mécanisme ne fait l’objet d’aucune consultation au Burundi, cequi ne garantit pas l’impartialité ;

•  Un grand retard est enregistré dans la mise en place de la Commissionde vérité et réconciliation et de la définition de son cadre juridique alorsque c’est la première instance à instituer. La commission devrait, selonl'accord d'Arusha, être mise en place au plus tard six mois après

l'entrée en fonction du gouvernement de transition. Cette loi a suivi une

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procédure sui generis. Adoptée par l'Assemblée nationale de transitionen février 2003, et transmise au Sénat le 26 juin 2003, le gouvernement la

retira le 27 juillet 2003, alors qu'elle était en discussion devant lacommission saisie sur le fond ;

•  Une autre anomalie constatée et exprimée est la libération provisoire deplusieurs milliers de prisonniers politiques (3287), début 2006, qui asoulevé des objections de la part des organisations de la société civile burundaise. Une mesure pareille prise au moment où les négociationsavec l’ONU pour la mise en place d’une justice transitionnelle étaient encours n’a pas de justification ;

•  Aussi, il est reproché à la commission chargée de qualifier les crimes

politiques d’avoir établi des critères permettant à des coupables decrimes très graves de recouvrer, la liberté ce qui a incité certainesorganisations burundaises (FORSC, ITEKA, OAG)7 à déposer un recoursdevant la Cour constitutionnelle, dénonçant l’inconstitutionnalité dudécret du 3 janvier 2006 portant sur l’immunité provisoire desprisonniers politiques détenus dans les maisons de détention ;

•  La société civile burundaise déplore l’absence de position claire dugouvernement sur des questions de taille engageant l’avenir desBurundais.

4.4.5 L’image de la société civile burundaise et son rôle dans ce processus

Malgré les efforts fournis par les acteurs internationaux dans le renforcementdes capacités des organisations de la société civile burundaise, celle-ci resteencore jeune et dispersée. Des noyaux visibles n’ont commencé à émerger quedepuis la signature de l’accord d’Arusha, pour soutenir la mise en place desmécanismes appropriés et une lutte commune contre l’impunité. Jusqu’aulendemain des élections, la société civile burundaise rayonnait par une

participation sacrificielle à la réussite de la mise en place des institutions posttransition.

Aujourd’hui, elle se trouve fragilisée et paralysée par certains actes abusifs dugouvernement actuel. Pour n’en citer que quelques-uns, l’emprisonnement, aucours du mois de novembre, des journalistes de la radio publique africaine, etdu directeur de la radio Isanganiro est un exemple criant de la chute des forcesde la société civile burundaise.

______________________

7 Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC) ; Ligue burundaise des

droits de l’homme (ITEKA) ; Observatoire de l’action gouvernementale (OAG). 

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En dépit de cette situation, quelques membres de la société civile ne reculentdevant aucun effort pour aboutir à des mécanismes appropriés de résolution

du conflit burundais. Depuis août 2006, des réunions de concertation sonttenues régulièrement, une fois toutes les deux semaines, et présidées à tour derôle par les organisations membres d’un groupe de concertation créé àl’initiative de Global Rights. Le groupe a pour objectif de permettre l’échangesur les questions de justice transitionnelle en général, et sur le doublemécanisme en particulier. Des représentants de toutes les confessionsreligieuses sont associés à ces réunions pour les encourager à aborder cesquestions dans le cadre de leur mission quotidienne et ainsi toucher lapopulation à une grande échelle.

A l’occasion de sa dernière réunion du 1er décembre 2006, une questionimportante a été abordée : « la question des consultations larges ». D’aucunsdemandaient l’objet de ces consultations, leur nature et leur forme. Il faut desconsultations qui permettent de communiquer un message précis à lapopulation, pouvant l’éclairer et susciter son intervention libre dans les choixd’une commission de vérité et réconciliation et d’un tribunal appropriés auBurundi.

Les consultations menées par Global Rights auprès de certains membres dugroupe de concertation révèlent l’existence de plusieurs approches,notamment le théâtre, les forums ouverts, les ateliers, mais il est évident que la

réussite de ces consultations nécessite le concours de tous les intervenants.

4.4.6 Conclusion

Le processus de justice transitionnelle au Burundi a évolué dans un contextepolitique instable. Les gouvernements qui se sont succédés n’avaient ni letemps ni la volonté de se consacrer à ces questions qui engagent l’avenir dupays. La société civile et les partis politiques d’opposition étant exclus duprocessus, les positions soutenues par la délégation gouvernementale qui

négocie avec les Nations Unies ne rencontrent pas l’approbation de la sociétécivile. A défaut d’être consultée, la société civile devait au moins être informéeà chaque niveau des négociations pour organiser des débats et faire desrecommandations sur les options des Burundais vis-à-vis des mécanismesappropriés.

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4.5  Pérou

Eduardo González Cueva

4.5.1 La situation lors de la chute de FujimoriLa littérature sur les « transitions démocratiques » a abondamment analysé lescas de « transitions négociées », notamment lorsque les acteurs opposés —autoritaires et démocratiques — renoncent à leurs prétentions radicales etfinissent par conclure un accord pacifique d’alternance au pouvoir. Lestransitions entreprises en Espagne, au Chili, en Pologne et en Afrique du Sudillustrent ce scénario. Dans ces exemples, les accords entre des politiciens departis opposés priment — immédiatement après la transition — sur lesexigences des victimes. Les anciens ennemis passent des accords pours’assurer d’une impunité mutuelle afin faciliter la fin des violences. Les

accords de paix en El Salvador illustrent ce schéma typique ; l’impératif defaire cesser la violence prime sur les exigences des victimes. Dans la foulée, lesamnisties sont utilisées illégalement pour couvrir les crimes contre l’humanitéet les crimes de guerre.

Or, par comparaison, le cas péruvien est atypique. Les autorités étaientabsentes de l’échiquier. En 2000, le régime du président Alberto Fujimoris’effondre sans pouvoir établir une négociation avec les forces démocratiques :Fujimori et ses généraux avaient fui le pays ou étaient emprisonnés. De même,les forces du Parti communiste « Sentier lumineux » et du Mouvement

révolutionnaire « Túpac Amaru » avaient déjà été vaincues par Fujimori dansles années 90. De ce fait, tous leurs dirigeants étaient morts ou emprisonnés.Donc, la marge de manœuvre pour les victimes et leurs exigences de justiceétait importante. En revanche, les autorités n’avaient aucun poids pourimposer l’impunité.

Deux autres éléments complètent ce tableau :

•  Les organisations de défense des droits de l’homme s’étaientrassemblées dans une seule entité représentative au niveau national,capable de mobiliser de larges milieux de manière démocratique et

indépendante des politiciens d’opposition ;

•  Le système interaméricain de protection des droits de l’homme (la Courinteraméricaine et sa Commission) a été très actif dans la surveillancedes violations commises par l’État péruvien. Soumis à une intensepression internationale, Fujimori a accepté de créer une instance étatiqueindépendante, le Défenseur du Peuple, dont le rôle fondamental était dedénoncer des violations des droits de l’homme et de protéger lesvictimes.

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Il est important d’ajouter un autre facteur à cette équation. La presse,contrôlée directement par le régime, a changé de mains ; ses propriétaires ont

fui à l’étranger immédiatement après la chute de Fujimori, ou ont été arrêtéspour corruption. La fuite de Fujimori a découragé les parlementaires en place.Ils ont aussi fui le pays ou changé de camp. La majorité parlementaire passadonc à l’opposition, ce qui déboucha sur un changement pacifique etconstitutionnel du gouvernement. Le nouveau président du Congrès fut alorsnommé président de la République en novembre 2000, après de nouvellesélections. Il forma un cabinet d’unité nationale, dirigé par Javier Pérez deCuéllar, ancien Secrétaire général des Nations Unies, composé de figuresindépendantes.

C’est dans ce contexte que le Pérou est devenu un véritable laboratoire pour la justice transitionnelle. Et bien que le gouvernement provisoire n’ait duré quehuit mois, il a engagé des changements fondamentaux :

•  Normalisation la situation du Pérou vis-à-vis de la compétence de laCour interaméricaine des droits de l’homme ;

•  Ratification de la Convention interaméricaine sur la disparition forcéedes personnes ;

•  Signature et ratification du Statut de Rome de la Cour pénaleinternationale ;

•  Ébauche d’une solution à la question des prisonniers des groupesrebelles condamnés sans procès équitable ;

•  Recommandation pour une réforme constitutionnelle ;

•  Promotion d’un accord entre tous les partis politiques en faveur d’unegouvernance démocratique ;

•  Création d’une commission de vérité.

4.5.2 La Commission de vérité et réconciliation

La commission de vérité n’était pas un élément du programme politique del’opposition pendant le régime de Fujimori. Les leaders des organisations dedéfense des droits de l’homme avaient préféré garder cette possibilité pourdes circonstances plus favorables. Mais, pendant le gouvernement detransition, le mouvement pour les droits de l’homme s’est massivementmobilisé en faveur de l’établissement d’une commission de vérité.

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La commission était perçue comme une nécessité pour mener une véritable« bataille pour la mémoire ». En effet, sous le gouvernement de Fujimori, le

régime avait œuvré dans le sens d’une « réécriture » de l’Histoire officielle. Asavoir que le Pérou aurait été « sauvé du terrorisme » par les efforts del’armée, dirigée par Fujimori, « sans doutes ni faiblesses », c'est-à-dire sansconsidération pour cette « chose inconsistante » que constituent, à leurs yeux,les droits de l’homme. Les organisations des victimes étaient marginalisées etsoupçonnées d’être des groupes terroristes. Aucun membre des forces arméesn’a été jugé pour violation des droits de l’homme, et pour cause, une loid’amnistie avait été adoptée pour les protéger.

La commission de vérité avait pour mandat d’éclaircir les causes etconséquences du processus de violence, les faits et responsabilités desviolations passées (en coopération avec la justice), et de formuler desrecommandations en matière de réparations et réformes institutionnelles.Deux mois après son établissement, la commission reçut le mandatadditionnel de « contribuer à la réconciliation nationale », son nom devant êtrechangé pour y ajouter le terme « réconciliation ». Le nombre de ses membresfut aussi augmenté.

Pour s’organiser, développer ses méthodes de travail et prévoir sondéploiement sur l’ensemble du territoire, six mois furent nécessaires. Pendantcette période, la commission eut très peu de contacts avec la population. La

commission fit alors des choix fondamentaux pour ses travaux : priorité àdonner à la « vérité des victimes » ; témoignage direct comme sourced’information principale ; processus public ouvert à tous ; coopération directede la commission avec la justice pénale ; élaboration d’un concept de« réconciliation nationale » au niveau macrosocial ; et enfin, développementd’une approche laïque de la réconciliation personnelle.

Pendant ses deux ans d’existence, la commission a reçu 17 000 témoignagesindividuels, mené environ 1000 interviews approfondies, réalisé 20 auditionspubliques dans tout le territoire de la république, y compris des auditions des

leaders du Sentier lumineux et du Túpac Amaru en prison. Le travail de lacommission a bénéficié de la décision de la Cour interaméricaine des droits del’homme, lorsqu’elle décida d’annuler les lois d’amnistie de Fujimori (l’affaireBarrios Altos). De son côté, la Cour constitutionnelle modifia les lois anti-terroristes de Fujimori, qui avaient supprimé le droit à un procès équitablepour les individus accusés d’acte terroriste.

Le rapport final de la commission a identifié dix « schémas généralisés ousystématiques de violations des droits de l'homme », parmi lesquels lesexécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la torture, la violencesexuelle et le déplacement forcé. La commission a identifié le nom de 24 000

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victimes tuées pendant conflit armé. Selon d’autres méthodes statistiques, lenombre total de victimes s’élèverait en réalité à 69 000. En outre, la

commission a procédé à trois exhumations, en coordination avec le Ministèrepublic, et elle a identifié environ 4000 charniers potentiels.

La commission a souligné les responsabilités politiques des gouvernements enplace lors de la période de violence, des forces armées et des groupes rebelles,plus particulièrement du Sentier lumineux. De même, la commission a mis encause la responsabilité morale de certaines institutions, telles que les rangsconservateurs de l’Église catholique, pour leur passivité face aux massacres.Enfin, la commission a affirmé sa conviction concernant la responsabilitépénale des leaders du gouvernement de Fujimori, enjoignant le Ministèrepublic à se saisir de ces cas.

La commission a examiné des milliers de cas de violations des droits del'homme. Elle a décidé d’en instruire 47, en collectant des témoignages clef, etles informations concernant les responsables de ces violations. Elle a par lasuite communiqué toutes ses informations au Ministère public enrecommandant des poursuites pénales. La commission a recommandé la miseen œuvre d’un Plan intégral de réparation, incluant des réparations collectiveset individuelles pour les victimes. Finalement, la commission a recommandédes réformes institutionnelles, y compris éducatives, une réforme des forcespubliques, une réforme du système d’administration de la justice, et

l’extension des services de l’État sur l’ensemble du territoire national. Tous lesdocuments de la commission de vérité ont été donnés au Défenseur duPeuple, qui a créé l’Archive nationale des droits de l’homme.

Le jour de la présentation du rapport final, le président de la commission, M.Salomon Lerner, déclara que son groupe de travail avait fait la lumière surune période de honte nationale, comparable uniquement à la pire défaitehistorique de notre pays lors de la guerre contre le Chili à la fin du XIX e siècle.De plus, le président Lerner affirma que la classe politique péruvienne avaitperdu toute son autorité morale et que le pays avait besoin d’une nouvelle

classe dirigeante. Il rendit hommage aux victimes de la violence, en particulieraux exemples de résistance et de courage civique. Finalement, il demanda augouvernement du président Toledo de mettre en œuvre les recommandationsde la commission.

4.5.3 Après la commission

Nonobstant ces résultats, le problème le plus grave de la commission a été lechangement de la situation politique nationale. De toutes les mesures

transitionnelles mises en place par le gouvernement provisoire, seule la

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commission a réussi. En effet, la reforme constitutionnelle a été freinée,l’accord de gouvernabilité a pris fin en raison des différends entre les partis

politiques sur la politique économique du gouvernement Toledo, qui maintintla logique de « libre marché » de Fujimori.

Mais le problème le plus grave pour la commission a été la faiblesse duMinistère public à assumer son rôle ; à savoir juger les leaders dugouvernement Fujimori. Beaucoup ont échappé à la justice ou réorganisé leurparti politique. Les forces armées, démotivées après la chute de Fujimori, sesont regroupées pour s’opposer à toute enquête judiciaire concernant les abuscommis pendant la guerre, et le pouvoir judiciaire s’est révélé incapable decondamner plus qu’une part minime des membres de l’armée pour violationsdes droits de l’homme.

Trois ans après sa publication, le rapport final de la Commission de vérité etréconciliation suscite encore des contestations sociales et culturelles. En effet,ce rapport est perçu soit en faveur ou contre la classe politique. Pourtant, lacommission continue d’être populaire au sein de la population : dans unerécente enquête d’opinion publique, plus de 51 % de la population appuie sontravail. Le rapport est devenu une référence obligatoire dans le cadre desétudes sociales ou celui des décisions juridiques.

Les dossiers judiciaires relatifs aux membres de la force publique n’ont que

trop lentement progressé. Toutefois, les Cours nationales ont connu des succèsimportants : récemment, par exemple, la Cour suprême de Justice a décidé queles violations des droits de l’homme commises par les forces armées devrontêtre jugées devant une juridiction ordinaire, et non par un tribunal militaire.

L’État péruvien a accepté la politique de compensation collective proposée parla commission, mais il demeure réticent envers certains éléments de lapolitique de compensation individuelle. Néanmoins, un Conseil national decompensation a été formé récemment pour établir une liste officielle devictimes individuelles et mener une politique globale de réparation. Ce conseilest dirigé par un ancien membre de la Commission de vérité et réconciliation,et il bénéficie d’un large soutien social, particulièrement de la part despouvoirs régionaux et municipaux.

4.5.4 Conclusions 

Le cas du Pérou illustre une situation exceptionnellement favorable auxpolitiques de justice transitionnelle, c'est-à-dire, une situation où la justiceexceptionnelle de la période de la transition est très proche de la justiceordinaire d’un état de droit. La commission de vérité n’était pas un instrument

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de négociation pour éviter la justice pénale, mais un mécanisme d’appui à la justice pénale, aux réparations et aux réformes institutionnelles.

Le cas péruvien démontre aussi la nécessité d’une coopération soutenue entreles acteurs politiques, car la transition a besoin d’une approche holistique.  Justice, réforme constitutionnelle, accord de gouvernabilité, réformeéconomique ; tout a dû être engagé au même moment. Cela n’est pas possiblesans une alliance solide entre forces politiques et sociales. Mais cette allianceest difficilement réalisable après des années de corruption, de violations desdroits de l’homme et de méfiance généralisée.

Au Pérou, la commission a dû pointer du doigt les partis démocratiques etmettre en cause leur responsabilité dans les violences, notamment pendant la

guerre qui a eu lieu précisément sous les régimes démocratiques quiprécédèrent le régime Fujimori. Ce faisant, la commission est devenueparadoxalement un facteur de dissension au sein de cette même classepolitique qui avait triomphé contre l’autoritarisme de Fujimori.

La commission a donc choisi de jouer un rôle symbolique, celui très risqué quipromeut la démocratie radicale. D’une part, son discours critique del’exclusion et des formalités triviales d’une démocratie inconstante, peuventapparaître comme « anti-système » mais d’autre part, la commission apparaîtcomme respectueuse de la démocratie, de l’ordre constitutionnel et des droits

de l'homme, donc critique du changement révolutionnaire. Cette positionserait tenable dans un état de droit et une démocratie libérale, mais dans unesituation de transition, avec une classe politique faible et vénale, elle s’estavérée très difficile.

De fait, la commission s’est dotée d’une position morale incorruptible qui acertes affaibli sa possibilité d’action, mais en même temps, l’a convertie enpoint de référence utopique pour tout projet de transformation sociale auPérou. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir si ce choix réussira dans lelong terme.

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4.6  Ouganda

Chris Mburu

4.6.1 ContexteLe nord de l’Ouganda connaît la guerre civile depuis 1986 ; en plus de vingtans, elle a donné lieu à un très grand nombre d’atrocités à l’encontre despopulations de la région même, voire d’ailleurs dans le pays. Elle oppose lesrebelles de la LRA (Lord’s Resistance Army) dirigés par Joseph Kony, aux forcesdu gouvernement ougandais (Uganda People’s Defense Force, UPDF). Elles’étend aux districts du Nord-Ouest et du Nord-Est, avec des raids à traversles frontières avec le Soudan et la République démocratique du Congo.Aucune des diverses tentatives effectuées pour régler le conflit pacifiquementou par les armes n’a eu de succès à ce jour.

Au fil des ans, cette guerre a ralenti le développement social, politique etéconomique de la région et au-delà. Ces populations ont perdu des milliersd’enfants, de femmes et d’hommes, tués ou enlevés par les rebelles. Selonl’UNICEF, plus de 25 000 enfants ont été enlevés depuis le début de la guerre.La gamme des atrocités commises dans le nord du pays couvre le viol, lesmutilations, les profanations, le pillage et autres graves violations des droitsde l’homme, ce qui a marginalisé les victimes, les a rendues vulnérables etplongées dans le désarroi. Le gouvernement a, du coup, déplacé plus de 1,6million de personnes dans des camps, prétextant qu’il serait ainsi possible à

l’armée de poursuivre ses opérations contre les rebelles tout en assurantmieux la sécurité des civils. Or les camps connaissent aussi l’insécuritépolitique et les gens y survivent grâce à l’aide alimentaire, mais dans une trèsgrande angoisse de l’avenir. Les Nations Unies ont qualifié cette situation de« crise humanitaire la plus oubliée du monde », ce qui l’a rappelée à l’attentionde la communauté internationale, mais avec très peu d’effets pendantlongtemps ; on peut donc y voir maintenant la « crise humanitaire la plusnégligée du monde ».

Entre 1986 et 1996, la guerre a fait rage sans véritable perspective de règlement

négocié. En 1996, dix ans après l’éclatement du conflit, le gouvernement duprésident Yoweri Museveni a commencé à se rendre compte que sa campagnemilitaire contre la LRA devait être flanquée d’autres stratégies. Pendant cettepériode, la LRA a reçu une aide politique et militaire substantielle dugouvernement soudanais, désireux de neutraliser la SPLA (Sudan People’sLiberation Army) de John Garang, elle-même soutenue militairement etpolitiquement par Kampala. Le conflit dans le nord de l’Ouganda avait doncpris une dimension géopolitique de portée sous-régionale, se durcissant et secomplexifiant jour après jour. C’est à ce moment que le gouvernement adéclaré vouloir protéger les populations civiles contre la LRA en les déportant

par milliers dans des camps de personnes déplacées dans les régions peuplées

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par les  Acholi (districts de Gulu, Kitgum et Pader). Ce qui souleva une vaguede protestations nationales et internationales ; les Ougandais et des voix

extérieures se mirent à évoquer plus ouvertement la nécessité d’explorer lespossibilités de règlement pacifique. A la fin des années 90, le gouvernementougandais avait clairement compris qu’il ne viendrait pas à bout de la LRApar les armes uniquement. Changeant de stratégie, il envisagea une amnistieen faveur des membres de la LRA souhaitant quitter le maquis. C’est dans cecontexte que le parlement ougandais a adopté, le 21 janvier 2001, la loid’amnistie générale.

Ce texte prévoyait à sa Section 3 (i), une amnistie pour tout Ougandais quiavait été impliqué depuis le 26 janvier 1986 ou l’était encore dans des actes deguerre ou de rébellion contre le gouvernement de la République del’Ouganda :

•  En participant directement à des combats ;

•  En collaborant avec des auteurs d’actes de guerre ou de rébellion armée ;

•  En commettant tout autre délit dans l’accomplissement d’actes de guerreou de rébellion armée ;

•  En fournissant son concours sous une forme quelconque à des actes deguerre ou de rébellion armée.

Cette loi a donc mis en place une amnistie générale pour tous les combattantsde la LRA, à condition qu’ils s’annoncent auprès d’une autorité locale,renoncent à la rébellion, remettent toutes les armes en leur possession — cesur quoi le gouvernement leur délivrerait un certificat d’amnistie. Entémoignage de sa réelle intention de mettre en œuvre ce dispositif, legouvernement a créé un organisme, la Commission d’amnistie, présidée parun juge respecté, Peter Onega, et habilitée à traiter tous les dossiers de rebellesquittant le maquis et renonçant à la lutte armée. En janvier 2006, lacommission (qui possédait des bureaux à Kampala, à Gulu, à Kitgum, à Arua

et à Kasese) avait déjà reçu 18 000 déclarations, dont celles d’un certainnombre de membres actifs bien connus de la LRA, qui avaient pris le maquiscontre le gouvernement sur des périodes de longueur variable, allant jusqu’àquinze ans pour certains. Elle avait aussi distribué quelque 11 000« nécessaires de réinsertion » prévus par la loi (le plus souvent composés dequelques ustensiles de ménage et outils agricoles, ainsi que d’une petitesomme d’argent), dans le cadre du programme MDRP (Programme multi-pays de démobilisation et de réintégration) financé en majeure partie par laBanque mondiale. Il semblait donc évident que l’amnistie poussait des milliersde combattants de la LRA, dont ceux qui avaient été enrôlés de force, à

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s’échapper pour se rendre au gouvernement. Ainsi naquit l’espoir qu’il seraitaprès tout possible de mettre un terme au conflit du Nord par des moyens

pacifiques.Mais de graves inquiétudes persistaient. Tout d’abord, aucun autremécanisme plus large de réconciliation — commission de vérité etréconciliation, ou structure quelconque de justice transitionnelle — n’avait étémis en place dans la loi d’amnistie ou quelque autre texte. Bien que la Section9 de la loi donne pour fonction à la commission de promouvoir le dialogue etla réconciliation « dans l’esprit de la loi », la commission ne s’est pasactivement attelée à ce volet de son mandat. La distribution des nécessaires deréintégration n’est pas assortie d’une politique ou d’un processus cohérents deréinsertion des vétérans. Le président de la Commission d’amnistie admet quel’insuffisance des capacités et des moyens, le retard pris dans la distributiondes nécessaires (quelque 12 000 cas en souffrance) et l’absence de rapports desuivi entravent les efforts coordonnés de diffusion de l’information et de miseen place de programmes susceptibles de faire sortir du maquis le reste descombattants de la LRA. Les soldats soumettant leur déclaration ne passent paraucun processus de vérité, de réparation ou de confession, malgré les atrocitésqui leur sont directement attribuées, ce qui a suscité une certaine amertumedans la population des zones touchées, qui s’est parfois indignée de voir desanciens de la LRA revenir avec un petit pécule, sachant qu’ils avaient commisdes atrocités à son égard.

Une grande enquête réalisée au milieu de l’année 2005 par le Centreinternational pour la justice transitionnelle, Forgotten Voices: A Population-BasedSurvey on Attitudes about Peace and Justice in Northern Uganda1  , met aussi enlumière certaines insuffisances du processus d’amnistie. Plus de 2 000entretiens menés dans divers camps du nord de l’Ouganda ont montré quemême si une grande partie (65 %) de la population touchée par la guerre étaitfavorable au principe de l’amnistie, elle jugeait en même temps qu’uneréforme était nécessaire pour y intégrer davantage d’éléments de justice et deresponsabilité ; 4 % seulement pensait que l’amnistie pouvait être

inconditionnelle, et la grande majorité estimait qu’il faudrait exiger de ceux àqui elle était accordée ailleurs une forme d’aveu ou de punition. L’enquête arévélé que dans les camps, on pensait souvent que l’aveu devrait revêtir laforme d’une confession, d’excuses aux victimes, et qu’il faudrait que leprocessus d’amnistie comporte des mécanismes de vérité, des mesures decommémoration des victimes et de réparation du tort subi.

______________________

1 Cf. http://www.ictj.org/images/content/1/2/127.pdf

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Il est toutefois à noter que beaucoup de gens, dans le Nord, etparticulièrement les victimes directes de la guerre, trouvent que malgré tous

ses défauts, le processus d’amnistie ouvre la voie à un règlement pacifiquedu conflit, et qu’il convient donc de le soutenir d’une façon générale. Pourcertains, toutefois, l’amnistie entrave maintenant la possibilité de faire justice àceux qui ont le plus souffert de la guerre dans le nord de l’Ouganda. On aainsi vu se dessiner deux points de vue dans la région : l’un privilégiant la justice sur la paix, l’autre voulant la paix avant la justice. Mais il était clair quele second reflétait l’opinion de la majorité des gens dans le Nord, surtoutparmi ceux qui enduraient des conditions de vie inhumaines dans les campsde personnes déplacées.

4.6.2 Le rôle de la Cour pénale internationale en Ouganda et l’appel croissant à lajustice dans le nord du pays

Les partisans de la justice dans le nord de l’Ouganda ont été confortés dansleur cause au mois de décembre 2003, lorsque la Cour pénale internationale(CPI) a commencé à s’intéresser au pays sur une requête du gouvernement.Elle a annoncé au milieu de l’année 2004 qu’elle lançait une enquête complètesur la situation dans le Nord. Bien que la démarche initiale du gouvernementait spécifiquement porté sur la LRA, le procureur général de la CPI, M. Louis

Ocampo Moreno, a indiqué qu’il se proposait de mener une enquêteimpartiale et indépendante sur l’ensemble des crimes commis dans le cadredu faveur du conflit et couverts par le Statut de Rome — ce qui englobe en faitla LRA et l’armée gouvernementale, sur un pied d’égalité. En 2004, le ministrede l’Intérieur ougandais, M. Amama Mbabazi, a fait écho à la déclaration de laCPI en ajoutant que son gouvernement poursuivrait tout membre de l’UPDFconvaincu d’avoir commis des atrocités à l’encontre de civils au cours de laguerre — mais sans préciser toutefois si les cas seraient renvoyés à la CPI.

Au mois d’août 2004, une équipe d’enquêteurs de la CPI est arrivée enOuganda et a entamé ses travaux ; la LRA venait juste de massacrer quelquetrois cents personnes dans le camp de personnes déplacées de Barlonyo(district de Lira). Au mois d’octobre 2005, la CPI a lancé des actes d’accusationà l’encontre de cinq officiers supérieurs proches de Joseph Kony, chef de laLRA, ce qui fut applaudi par tous ceux qui veulent la justice, et critiqué parceux qui craignent que la justice ne compromette la réconciliation. M. Konylui-même a été mis en accusation. L’irruption de la CPI dans le conflitougandais a lancé une nouvelle dynamique et contribué à concentrer laréflexion sur la nécessité contradictoire de déclarer une amnistie d’une part,mais aussi de faire justice aux victimes et de demander compte de leurs actesaux auteurs des atrocités de l’autre. Pour les chefs religieux du Nord et

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quelques coalitions de la société civile (Civil Society Organizations for Peace inNorthern Uganda, CSOPNU) qui voulaient la paix à tout prix, l’implication de

la CPI compliquait exagérément un processus social et politique quicommençait à porter ses fruits en faisant sortir du maquis des combattants dela LRA. Mais pour ceux qui craignaient que l’amnistie ne débouche surl’impunité et ultérieurement l’instabilité, l’action de la CPI renforçaitutilement la justice transitionnelle, lui faisant lentement prendre pied dans lasociété ougandaise, qui n’est guère familiarisée avec celle-ci.

4.6.3 Les positions de diverses parties prenantes sur la justice, la paix et laréconciliation en Ouganda 

Dans ce contexte, divers acteurs en Ouganda et à l’extérieur ont exprimé despositions différentes sur le problème complexe de la justice, de la paix et de laréconciliation. Nous en donnons ci-dessous une synthèse.

4.6.3.1 Organisations non gouvernementales locales et internationalesopérant en Ouganda 

Les opinions, les approches et les attitudes des divers acteurs se sont écartées

sur la question, et l'on ne voit pas très bien si un consensus pourra se dégagerdans un avenir proche. La CSOPNU, par exemple, s'est déclarée très favorableà une approche faisant primer la paix sur la justice dans l'immédiat, et s'estmontrée initialement très critique à l'égard des interventions de la Cour pénaleinternationale. La plupart de ses membres trouvaient que le moment en étaitmal choisi, et qu'elles faisaient tort au « processus de paix » en cours. Maisaucun ne pouvait nommer de bénéfice concret du processus de paix — sauf àdire qu'il aurait fallu attendre davantage que la médiation de M me BettyBigombe (une ancienne ministre devenue médiatrice) commence à porter sesfruits avant que la CPI n'entame ses enquêtes sur la LRA. Certains

reconnaissent maintenant que l'intervention de la CPI n'est qu'une façonparmi bien d'autres possibles d'aborder le problème très complexe du nord del’Ouganda, mais beaucoup continuent d'être persuadés que toute tentative de  justice dans la phase actuelle est une stratégie qui va entraver le règlementpacifique du conflit. Les organisations internationales, pour leur part, surtoutcelles de défense des droits de l'homme, perçoivent les avantages d'uneapproche intégrant la justice, tout en soulignant que ce ne doit pas être laseule.

Dans leurs rapports respectifs, le Centre international pour la justicetransitionnelle et Human Rights Watch reconnaissent la nécessité de tester

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diverses approches, mais indiquent que les victimes des atrocités souhaitentune forme quelconque de justice pour toutes les souffrances qu’elles ont

endurées pendant si longtemps. Quant au rapport Forgotten Voices…  , il tentede se faire le porte-voix des victimes des très graves violations des droits del'homme commises au cours du conflit.

Le Refugee Law Project  , un groupe de réflexion très écouté de l'Université deMakerere, a publié divers rapports sur la situation dans le nord de l’Ouganda,qui insistent nettement sur la nécessité de faire précéder la justice par untravail sur la réconciliation. L'un de ses rapports est d'ailleurs intitulé PeaceFirst, Justice Later2 (la paix d’abord, la justice ensuite). Il aborde le débat actuelsur la reconstruction postconflit et les mécanismes de justice dans la région. Ilfait clairement valoir qu'il faut instaurer la paix avant de décider d'undispositif de justice et de le mettre en œuvre. Dans un autre rapport plusdétaillé sur la façon dont sont localement perçues la loi d'amnistie et la justice,le groupe concluait que l'action de la CPI mine la loi d'amnistie et qu’elle nesert pas vraiment l'intérêt des victimes qui soutiennent pourtant ce texte engrande majorité. Le groupe a constaté que la population locale faisait preuvede beaucoup de retenue et de magnanimité à l'égard des combattants qu'elleréintégrait, attribuant le phénomène aux valeurs culturelles des Acholi et àleur vision de la justice. Mais le document note aussi avec inquiétude que leprocessus doit intégrer une dimension de vérité et de responsabilité si l'onveut que les initiatives visant à faciliter la réintégration pacifique aient deseffets durables.

4.6.3.2 Chefs religieux des Acholi

La communauté religieuse du nord de l’Ouganda s'est exprimée trèsclairement sur le conflit, intervenant à plusieurs reprises pour atténuer sonimpact sur la population. Les chefs acholi et les chefs religieux nationaux ontété étroitement associés au dialogue de paix dès le début du conflit. En 1997,les responsables catholiques, anglicans, musulmans, puis orthodoxes desAcholi ont formalisé leur coopération pour la paix en formant l'initiative depaix des chefs religieux de l’ethnie acholi (Acholi Religious Leaders PeaceInitiative, ARLPI). Ils se sont efforcés très énergiquement de préparer le terrainen vue d'un règlement négocié, à un moment où il paraissait très improbable.

______________________

2 Cf. http://www.refugeelawproject.org

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L’ARLPI a participé à une grande campagne en faveur de la loi d'amnistie,parvenant à plusieurs reprises à rencontrer des chefs rebelles pour négocier la

paix. Comme on pouvait s’y attendre, ses membres sont très opposés àl’intervention de la CPI et à toute action de justice dans le nord de l’Ouganda.Lorsque la Cour a annoncé qu'elle allait commencer ses enquêtes, les chefsreligieux acholi se joignirent à un groupe de personnalités acholi de hautniveau qui se rendit à La Haye pour persuader le procureur général,M. Moreno Ocampo, de laisser la paix s'instaurer avant de lancer ses actesd'accusation, et pour demander que l'on recoure plutôt aux méthodestraditionnelles des Acholi, soulignant le rôle essentiel à jouer dans cettesituation par le rite ougandais de purification et d’expiation, le « mato oput ». Selon l’avis général de ce groupe, la CPI menaçait en effet le  processus de paix 

en cours, par le biais de la médiation de Mme

Bigombe. Mgr Odama,archevêque de l'Église catholique, a fait valoir au nom de l’ARLPI que lesactivités de la CPI en Ouganda contredisaient directement l'offre d'amnistiefaite par le gouvernement aux rebelles abandonnant la lutte : « Commentpouvons-nous demander aux soldats de la LRA de quitter le maquis en leurpromettant l'amnistie, alors qu'ils risquent d'être arrêtés ? », a-t-il observé. Lacommunauté religieuse indique que cette déclaration reflète le sentiment de beaucoup de gens dans le Nord.

4.6.3.3 Chefs traditionnels acholi dans le Nord

Les chefs traditionnels acholi du Nord ont été activement associés aux effortsde paix et de réconciliation. Ils se sont beaucoup appuyés à cet effet sur leriche code coutumier des Acholi. Ce code moral traditionnel enjoindrait auxAcholi de se réconcilier après chaque conflit, selon la volonté d'un dieu, le« jok », lequel vit parmi la population, dans les sanctuaires qui parsèment sonsystème traditionnel à différents niveaux.

Tout Acholi qui sort de sa communauté et de son clan pour combattre devientimpur ; cette personne doit être purifiée avant de pouvoir rejoindre le clan.Les Acholi considèrent la réconciliation comme l’une de leurs grandes valeurstraditionnelles, mais elle doit être méritée par la personne qui en bénéficie. Enoutre, elle n'est pas octroyée sans contrepartie. Il existe donc un certainnombre de rites et de cérémonies par lesquels doit passer le membre déviantde la communauté traditionnelle ; le plus connu de ces rites est le mato oputévoqué précédemment. Il rapproche l'auteur et la victime des crimes et les fait boire au même gobelet pour les purifier et les réintégrer dans la société. Dansle conflit actuel, les chefs traditionnels acholi, dont le pouvoir est considérableparmi la population touchée par le conflit avec la LRA, ont prôné le recours ausystème traditionnel de justice pour favoriser la réintégration, la réconciliation

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et la coexistence durable des victimes et des auteurs de crimes. De nombreuxintellectuels du nord de l’Ouganda estiment que toute stratégie de justice

transitionnelle dans la région doit prendre en considération ce riche systèmetraditionnel.

4.6.3.4  La communauté locale de défense des droits de l'homme 

Les acteurs locaux engagés dans la défense des droits de l’homme se sont engrande partie bornés à surveiller la situation des droits de l'homme dans leNord, et n'ont donc pas défini de position collective sur la paix, la justice et laréconciliation. Mais des membres de ces organisations ont appelé le

gouvernement à soutenir les initiatives de justice visant à lutter contrel'impunité et à établir les responsabilités. Le Réseau ougandais des droits del'homme (Uganda Human Rights Network, HURINET), une organisationrassemblant la plupart des groupements de défense des droits de l'homme enOuganda, a récemment déclaré son soutien à la création de la Coalitionougandaise pour la CPI (Uganda Coalition for the ICC, UCICC), laquelles'efforce de nourrir le débat sur le rôle des poursuites dans le règlement duconflit du nord de l’Ouganda. L’UCICC et HURINET ont mené d’amplesconsultations auprès de la société civile du pays et fournissent un apport utileà la discussion sur les diverses formes possibles de justice transitionnelle pour

le nord de l’Ouganda.

4.6.4 Synthèse des leçons à tirer de l'expérience ougandaise

Il y a un certain nombre de leçons à tirer de l'expérience ougandaise :

1. La conception d'un système de justice transitionnelle doit toujours tenircompte, selon le contexte, de la façon dont le public perçoit en son seinles auteurs des crimes qui ont causé sa souffrance : en Ouganda, 90 %des rebelles étaient à l'origine des victimes de rapts et ne s'opposaientpas idéologiquement au gouvernement. Ce qui explique pourquoi lamajorité de la population est favorable à une amnistie générale, etapparemment opposée à l'action de la CPI. Les auteurs des crimes sontd'abord perçus eux-mêmes comme des victimes, ce qui est très différentd'autres sociétés, dans lesquelles des personnes quittent volontairementleur village pour combattre le gouvernement, poussées par de profondesconvictions idéologiques.

2. Tout conflit, en Ouganda comme ailleurs, présente plusieurs niveaux.Pour que la réconciliation soit authentique, il est indispensable qu’elle se

fasse à chaque niveau. Les concepteurs de mécanismes de justice

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transitionnelle travaillent souvent dans l’urgence et souhaitent réglerrapidement le problème. Or il faut qu’ils commencent par bien

comprendre les divers niveaux du conflit, trouvent les points de friction,et si possible une formule de réconciliation pour chacun d’eux, afind’obtenir une paix globale. Si la solution adoptée ne règle le problèmequ’à un seul niveau, la paix se trouvera en péril du fait des autresniveaux négligés. Dans le cas de l’Ouganda, les observateurs s’accordentà reconnaître que de multiples réconciliations sont nécessaires :

•  Entre les Acholi ;

•  Entre les Acholi et les Langi ;

  Entre le Nord et le Sud (populations du Nord et reste du pays) ;•  Entre le Nord et l’Est (populations du Nord et tribus de l’est,

comme les Teso) ;

•  A l’échelon individuel, entre les auteurs et les victimes des crimes.

A chaque niveau, la stratégie doit être différente : il n’y aura pas depanacée permettant de rétablir la justice partout. Car à chaque fois, lestorts et les griefs diffèrent, tout comme les façons de les juger et de lesrésorber ; et l’on peut craindre que des représailles ne viennent relancer

le conflit si rien n’est fait. Une personnalité culturelle acholi aurait ditqu’« il est essentiel de trouver une stratégie de véritable réconciliation ;si la réconciliation demeure superficielle, le conflit pourra repartir à toutmoment ».

3. Il est extrêmement difficile de mener un débat sérieux sur la justicetransitionnelle tant que la guerre se poursuit. Il faut le plus souvent unsemblant de transition pour que le dialogue soit authentique et englobetoutes les parties prenantes. Or en Ouganda, le débat a été lancé alorsque les combats se poursuivaient.

4. En Ouganda, 90 % de la population de la zone touchée vit dans descamps ; il est donc difficile de se faire une idée de ce qu’elle concevraitcomme une justice transitionnelle acceptable. Il est évident que sonopinion est largement influencée pour l’instant par ses conditions de vie.Dans pareil cas, il est normal qu’elle cherche par tous les moyens à sesortir d’une situation intenable : on ne saurait donc estimer qu’ellepuisse s’exprimer objectivement. Certaines personnes sont à ce pointabsorbées par leur seule survie qu’elles n’ont aucun recul sur lessouffrances qu’elles endurent et les remèdes à y apporter. Elles déclarentvouloir la paix à tout prix pour l’instant, mais on a tout lieu de croire

qu’elles changeront d’attitude à l’égard des responsables de leurssouffrances lorsqu’elles ne seront plus sous le poids des circonstances.

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5.  Pour que la justice transitionnelle puisse être instaurée dans une sociétépartagée entre deux parties en guerre, il faut que les deux parties se

déclarent en faveur de la paix. Or ni le gouvernement ougandais ni lesrebelles ne témoignent d’une réelle volonté de cesser les hostilités. Lesouvriers de la justice transitionnelle se doivent de s’assurer de l’existenced’une volonté politique chez les parties au conflit avant de dresser laliste des formules possibles.

6. Nous devons nous garder de porter une appréciation simpliste sur lessystèmes traditionnels (comme la Gacaca au Rwanda ou le mato oput enOuganda), de les copier ou d’y recourir sans nous interroger aupréalable sur leur valeur, leur efficacité et leur conformité avec lesnormes internationales. Dans notre rôle dédié à la défense des droits del’homme, nous ne saurions perdre de vue que certaines coutumesséduisantes, populistes par nature, ne sont pas compatibles avec lesdroits de l’homme — par exemple parce qu’elles ne respectent pas lesdroits des femmes, des handicapés ou des enfants. Nous ne saurions nonplus établir des précédents en acceptant un modèle de justicetransitionnelle incohérent par certains aspects.

7. Nous devons être prêts à infléchir les pourparlers de paix si nousvoulons peser plus tard sur la mise en place de mécanismes de justicetransitionnelle. Cette stratégie a bien fonctionné en Ouganda, la justice

transitionnelle est souvent évoquée dans les pourparlers de paix de Juba. Ce devrait être la règle.

8. Il faudrait trouver des stratégies promouvant en même temps la paix etla justice, sans les opposer comme dans le débat ougandais. Nouspouvons parler de la paix tout en condamnant l’impunité. Lespopulations sortant d’un conflit ou d’un régime dictatorial doiventpercevoir clairement que les formules de règlement peuvent être variées,et même paraître contradictoires par moments. En Ouganda, la justice asa place, et il est impensable que justice ne soit jamais faite pour

certaines des atrocités commises. Mais il existe cependant aussi un largeespace de pardon et de coexistence pacifique.

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4.7  Tchad

Jacqueline Moudeina

4.7.1 Les conflits internes au Tchad et le régime d’Hissène Habré Indépendant depuis le 11 août 1960, le Tchad a connu peu de paix réelle. Cepays a été et reste déchiré par de longues années de guerre civile (30 ansenviron) et plusieurs invasions par la Libye. La Libye a soutenu, pendant prèsde 20 ans, plusieurs groupes rebelles du nord du Tchad, notamment le Frontde libération nationale du Tchad (FROLINAT), fondé en 1966, qui combattaitle monopole du pouvoir exercé par le sud du pays.

En 1980, Hissène Habré, ancien membre du FROLINAT, fonde les Forcesarmées du Nord (FAN) qui font dissidence du gouvernement national de

transition installé sous l’égide de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).Cela entraîna de lourds combats dévastant la capitale, N’Djamena. Battu,Hissène Habré s’enfuit en décembre 1980. Les États-Unis rompent alors lesrelations diplomatiques avec Tripoli et décident d’apporter une aide massiveet secrète aux FAN d’Hissène Habré, qui reconquièrent N’Djamena en 1982.

Hissène Habré avait décidé, à son arrivée au pouvoir, de mettre au pas le suddu pays. Les FAN, devenues les Forces armées nationales tchadiennes(FANT), envahissent et reprennent les principales villes du sud qui, en riposte,s’organise en plusieurs factions appelées codos (abréviation du mot

commandos). Hissène Habré organise alors le « septembre noir » en 1984,période au cours de laquelle la répression de l’opposition du sud seraparticulièrement violente et visera les codos  , la population civile, lesfonctionnaires et cadres administratifs.

Hissène Habré fut renversé par l’actuel président Idriss Deby Itno endécembre 1990. Il s'enfuit au Sénégal où il a trouvé asile jusqu’à ce jour. Ilavait instauré une dictature sans égale. Son régime de parti unique fut marquépar de graves et constantes violations des droits de l’homme et des libertésindividuelles.

4.7.2 Exactions perpétrées par le régime d’Hissène Habré

Pendant ses huit années de régime, Hissène Habré a persécuté les différentsgroupes ethniques dont il considérait les principaux leaders comme desennemis de son régime. Il s’agit des Sara en 1984, des Arabes et des Hadjaraïen 1987 et des Zaghawa en 1989. Du rapport de la Commission d’enquête

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ordonnée par le gouvernement tchadien en 1992, il ressort que 40 000personnes sont mortes1 et des milliers ont disparu pendant la durée de ce

régime.L’appareil sécuritaire qu’Hissène Habré avait créé et qu’il contrôlaittotalement était composé d’un certain nombre d’organes de répression. Lapolice politique du régime, la Direction de la documentation et de la sécurité(DDS), s’est distinguée selon la Commission d’enquête « par sa cruauté et sonmépris de la vie humaine »2.

C’est par un décret du 26 janvier 1983 qu’Hissène Habré a créé la DDS, uneforce directement subordonnée à la présidence de la République en raison ducaractère confidentiel de ses activités, qui couvraient la collecte et la

centralisation de tous les renseignements, ainsi que la collaboration à larépression par l’établissement des dossiers concernant les individus,groupements et collectivités contraires ou nuisibles à l’intérêt national.

Très vite, la DDS s’est transformée en une impitoyable machine de répression.Dans une note d’instruction du 26 août 1987, le directeur de la DDS déclaraitque « grâce à la toile d’araignée tissée sur toute l’étendue du territoirenational, [son service] veillait particulièrement à la sécurité de l’Etat », qu’ilconstituait « l’œil et l’oreille du président, [de qui] il [dépendait] et à qui il[rendait] compte de ses activités »3.

La DDS était composée de différents services, dont la Brigade spécialed’intervention rapide (BSIR), chargée des arrestations et des assassinatspolitiques, le Service de recherche, chargé de la collecte d’informations dansN’Djamena, le Service de contre-espionnage, chargé de surveiller toutes lesambassades et le Service de mission terroriste, chargé de persécuter et liquiderles opposants politiques se trouvant à l’étranger.

______________________

1 Voir à ce sujet : Commission d’enquête nationale du ministère tchadien de la Justice, Les crimes et détournements de l’ex-président Habré et de ses complices , 1992, p.69 et 97. Le rapport 2005 de Human Rights Watch sur la situation au Tchad rappelleque la Commission d’enquête avance de façon non scientifique le chiffre de 40 000victimes, en estimant que les 3 780 victimes qu’elle parvint à identifier de façoncertaine ne représentaient que 10 % seulement du total des personnes tuées. Cf.Human Rights Watch , « Tchad : les victimes d’Hissène Habré toujours en attente de

 justice », vol. 17, n° 10(A), 2005, p. 5.2  Les crimes et détournements de l’ex-président Habré et de ses complices, op. cit., p. 69.

3  Id.

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Pendant leur détention, les victimes étaient systématiquement torturées.Parmi les techniques utilisées, on comptait :

•  Le ligotage Arbatachar : une forme de torture qui consistait à attacher lesdeux bras aux chevilles derrière le dos de manière à faire bomber lapoitrine. Ce ligotage provoquait rapidement l’arrêt de la circulationsanguine, entraînant la paralysie des membres ;

•  L’ingurgitation forcée d’eau : la victime était forcée d’avaler une grandequantité d’eau, souvent jusqu’à l’évanouissement. Parfois, un agentmontait également sur son ventre ou y plaçait un pneu ;

•  Le pot d’échappement : cette torture consistait à introduire dans la

 bouche du détenu le pot d’échappement d’une voiture dont le moteurétait en marche. Une simple accélération du moteur provoquaitd’atroces brûlures ;

•  Les brûlures au moyen de corps incandescents : allumettes enflamméesou bouts incandescents de cigarette étaient utilisés pour brûler lesparties sensibles du corps ;

•  Le supplice des baguettes : au niveau des tempes, deux baguettes de  bois étaient attachées solidement aux deux extrémités par des cordesserrées, et plus la pression était forte plus la victime avait l’impression

que sa tête allait éclater. Il arrivait que l’on tape sur les baguetteségalement, provoquant une résonance insupportable ;

•  L’utilisation de piment : il s’agissait de placer la tête de la victime dansun trou à même le sol et de souffler dans un autre trou communiquantavec le premier, dans lequel se trouve un feu auquel on avait ajouté despiments ;

•  La décharge d’électricité, le tabassage, la flagellation, l’extractiond’ongles, etc.

Nous détenons toutes ces informations grâce aux témoignages des victimesrescapées de la DDS et aux documents retrouvés par Human Rights Watch dansles archives de la DDS dès 2001, auxquelles l’accès avait été autorisé par lesautorités tchadiennes qui succédèrent à Habré.

4.7.3 L’affaire Hissène Habré en question

En janvier 2000, inspirée par l’arrestation du général Augusto Pinochet àLondres, l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits

de l’homme (ATPDH) a demandé à Human Rights Watch d’aider les victimes

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Sénégal. Encore une fois, la Chambre d’accusation de la Cour d’appelsénégalaise, qui devait émettre un avis sur cette demande d’extradition, s’est

déclarée incompétente. Le dossier devrait revenir de droit, selon les textessénégalais sur l’extradition, au président de la République, lequel devrait seprononcer par décret sur l’extradition.

Mais ce dernier a reversé le dossier à l’Union africaine. Après avoir confié ledossier à un groupe de juristes africains pour étudier les diverses options pourun jugement d’Hissène Habré en Afrique, l’Union africaine s’est prononcée le2 juillet 2006, au Sommet de Banjul, pour le retour du dossier au Sénégal. Leprésident du Sénégal a solennellement accepté la décision de ses pairs4.

Ce n'est que quatre mois après la décision de l’Union africaine que le Conseil

des Ministres du Sénégal a adopté, en date du 9 novembre dernier, un projetde loi modifiant le code de procédure pénale. Le président de la Républiqueavait également décidé de la mise en place d’une commission chargée desuperviser les réformes législatives et réglementaires permettant d’adapterl’arsenal juridique sénégalais de manière à pouvoir juger Habré. Tout cela sefera-t-il ? Rappelons que l’Union africaine en confiant le dossier Habré auSénégal n’a imparti aucun délai d’exécution à ce pays.

Il faut enfin mentionner que le 26 octobre 2000, 17 victimes ont déposé plaintedevant la justice tchadienne pour disparitions, tortures et actes de barbarie

contre les complices de Habré, les agents de la DDS en les citant nommément.Nous avons ainsi voulu nous battre sur deux fronts en œuvrant au planinternational avec la plainte contre la seule personne d’Hissène Habré, et auniveau national avec les plaintes contre les bourreaux de la DDS.

Mais l’instruction de ces plaintes traîne toujours. Aucun travail sérieux n’a étéfait. Force est de constater que ce combat se révèle être dangereux pour lesvictimes et ceux qui les accompagnent — j'en suis la preuve puisque j'ai étévictime d’un attentat à la grenade perpétré contre ma personne en juin 2001 —car ceux-ci côtoient au quotidien les anciens agents d’Hissène Habré qui sont

toujours présents dans les institutions publiques au Tchad.

______________________

4 Lors du Sommet, celui-ci a déclaré : « Je vais demander à l’Assemblée nationalesénégalaise d’amender la loi afin que l’ancien président puisse être jugé au Sénégal.Notre constitution est la seule de toutes les constitutions d’Afrique qui dit que leSénégal peut à tout moment abandonner sa souveraineté au profit de l’Unionafricaine ». Cela signifie que, suite à la décision de l'Union africaine, le présidentsénégalais n'est pas requis de demander l'avis de l'Assemblée nationale pour ce quiest de la décision de juger Hissène Habré au Sénégal, mais qu'une adaptation de la

législation nationale serait cependant nécessaire pour y organiser un tel procès.

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4.8  Algérie

Nassera Dutour

4.8.1 IntroductionNous ne pouvons pas pardonner si on ne nous demande pas pardon

La tragédie des disparitions forcées en Algérie naît dans un contextecomplexe : l’arrêt du processus électoral en 1992, à la veille de la victoire duFront islamique du Salut (FIS) aux premières élections législatives pluralistesdepuis l’indépendance, le déclenchement d’une insurrection islamiste àl’origine d’une vague de violence terroriste sans précédent, la proclamation del’état d’urgence et la promulgation de décrets antiterroristes conférant toutpouvoir aux agents de l’État.

Les forces de sécurité de l'État ont procédé à des arrestations massives etarbitraires, sous prétexte de s’engager dans une lutte sans merci contre leterrorisme. Elles ont ratissé des quartiers et des villages entiers, arrêté desétudiants, des médecins, des historiens, des avocats, des ouvriers, desagriculteurs, et même des mères de famille. Parmi ces hommes et ces femmes,certains ont été libérés, d’autres jugés et emprisonnés, plusieurs centainesexécutés sommairement. Des milliers d’autres ont disparu. Notre association,le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA), a constitué plus de8 000 dossiers de personnes disparues après leur arrestation ou leur

enlèvement par les forces de l’ordre, mais leur nombre est estimé entre 10 000et 18 000. En 2005, grâce à notre travail, la Commission nationale consultativepour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH) enAlgérie a enfin reconnu l’existence de 6 146 cas de disparitions du fait « desagents de l’État ».

Toutefois, depuis la fin des années les plus sombres de cette guerre, legouvernement algérien n’a eu de cesse de vouloir clore le chapitre desdisparitions et de tourner la page sans que les familles de victimes n’aientobtenu le droit de savoir. L’adoption de la « Charte pour la paix et laréconciliation nationale »1 en septembre 2005 et l’entrée en vigueur de ses

textes d’application le 28 février 2006, ont posé une chape de plomb sur le sortde ces milliers de victimes et sur les revendications de leurs familles.

______________________

1 Le site du ministère algérien des Affaires étrangères met à disposition le texte :

http://193.194.78.233/ma_fr/stories.php?story=05/09/06/3612066

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4.8.2 De l’amnistie générale à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale

Six ans après la « concorde civile » adoptée par référendum le 16 septembre1999, le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, dans sondiscours à la nation le 31 octobre 2004, affichait publiquement sadétermination à mettre un terme aux « années noires » par des mesuresd’amnistie. Comme dans le cas de la concorde civile, le président déclarait queles personnes ayant les mains entachées de sang ne seraient pas amnistiées,mais il enjoignait également les familles de disparu(e)s à se « sacrifier au nomde la réconciliation nationale » ! Il invitait « toutes les Algériennes et tous lesAlgériens, à se prononcer en toute liberté le 29 septembre 2005 sur un projetde Charte pour la paix et réconciliation nationale ».

C’est dans cet esprit qu’une campagne pour l’adoption de cette Charte dite pour la paix et la réconciliation nationale a été lancée et a débouché sur sonapprobation par référendum le 29 septembre 2005. Les résultats annonçantplus de 97 % de oui suffisent à démontrer la mascarade que représentait ceréférendum.

Fort de cette « adhésion massive » à l’idée qu’il se faisait de la paix, et commele prévoyait la Charte2  , le président Bouteflika a usé des pleins pouvoirs quilui étaient conférés pour édicter les mesures d’application de la Charte, àtravers une ordonnance et trois décrets présidentiels. Les textes adoptés sur

instruction présidentielle bafouent très gravement les droits et libertés desvictimes de cette « tragédie nationale ». En effet, à l’instar de la concordecivile, les responsables de la création des maquis de l’AIS (Armée islamiquedu Salut)3 et du GIA (Groupe islamique armé) ont été amnistiés. Ils jouissentnon seulement pleinement de leur liberté mais bénéficient également de laprotection de l’État et perçoivent des indemnisations.

Les textes d’application de la Charte et notamment l’ordonnance n° 06-01,contiennent des dispositions qui violent la Constitution algérienne et toutesles conventions internationales signées et ratifiées par l’Algérie, qu’il s’agissedu Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (PIDCP) oude la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (CADHP).

______________________

2 Voici le passage concerné : « Le peuple algérien souverain approuve la présenteCharte pour la paix et la réconciliation nationale et mandate le Président de laRépublique pour prendre toutes les mesures visant à en concrétiser lesdispositions ».

3 Il s’agit du bras armé du FIS.

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La Charte et ses textes d’application enlèvent tout espoir aux familles deconnaître le sort réservé à leurs proches et les circonstances de leur

disparition, car ils suppriment toute protection garantissant la personnalité juridique et par conséquent le droit des personnes de déposer plainte devantles juridictions de leur pays. L’Ordonnance n° 06-01 prohibe ainsi le droit à unrecours judiciaire pour les familles de victimes en interdisant toute possibilitéd’action à l’encontre d’un agent de l’État4. Ainsi, la guerre de cette décennienoire devient officiellement la « tragédie nationale » et les agents de l’État sontdésormais sacrés « artisans de la sauvegarde de la République algérienne »,placés sous la protection de l’État. Toute critique ou suspicion à leur encontretombe désormais sous le coup de ce texte.

Ces textes d’application codifient également le sort des familles dedisparu(e)s. La question du sort des disparus est éludée et le droit des famillesest réduit à pouvoir réclamer une indemnisation soumise à conditions. Aprèsavoir laissé espérer que de véritables enquêtes seraient ouvertes etpermettraient de découvrir la vérité, le gouvernement algérien, sous couvertde la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, a donc fait un grandpas en arrière et complètement nié le phénomène des disparitions forcées et ledroit des victimes.

Ainsi, les familles ne se voient conférer le statut de « victime de la tragédienationale » qu’à la condition sine qua non de faire établir par la police ou la

gendarmerie un « constat de disparition » en vertu de l’article 27 du chapitreen question. Munies de ce constat, les familles doivent ensuite demander auxautorités judiciaires le prononcé d’un jugement de décès, sésameindispensable aux démarches pour l’obtention d’une indemnisation. Ellesdoivent, de plus, faire établir un acte par un notaire et le jugement définitif dedécès doit être transcrit sur les registres de l’état civil à la diligence duMinistère public. Pour pouvoir enfin requérir une indemnisation, elles doivent— après avoir constitué ce dossier — le déposer dans un bureau appelé« Bureau de la réconciliation nationale ». Aucun critère n’est défini. Nul ne saitdonc sur quelle base cette indemnisation sera attribuée : durée du crime,

______________________

4 « Aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontredes éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutescomposantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection despersonnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation desinstitutions de la République algérienne démocratique et populaire. Toutedénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciairecompétente. » Ordonnance présidentielle n° 06-01 , art. 45, « Mesures de mise en œuvrede la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la

République algérienne démocratique et populaire ».

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nombre de disparus dans la même famille, torture infligée aux familles,nombre d’enfants qu’a laissé le disparu, situation sociale de la famille avant la

disparition, par rapport à la situation sociale après la disparition ? Nul ne sait.Au-delà du droit des victimes, les textes d’application de la Charte portentégalement une atteinte grave à la liberté d’expression en Algérie. L’article 46énonce qu’« est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans etd’une amende de 250 000 DA à 500 000 DA, quiconque qui, par sesdéclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessuresde la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la Républiquealgérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilitéde ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur leplan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par leMinistère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article estportée au double »5.

4.8.3 Les autorités et les disparitions forcées : de la négation à la reconnaissance

Les disparus sont majoritairement des hommes, âgés en moyenne de 25 ans,qui ont été arrêtés arbitrairement par la police militaire, la police judiciaire, lesmilitaires, les gardes communaux, ou encore les miliciens, et qui ont disparuensuite. Souvent les familles ont suivi leurs traces pendant des jours, voire dessemaines. Puis on a nié leur arrestation. Nous avons cherché nos disparu(e)sdans les hôpitaux, les commissariats, les morgues, les différentes casernesmilitaires et de gendarmerie. Nous avons déposé des plaintes auprès de toutesles institutions algériennes et de la justice. Le soutien de quelques avocatsconnus pour leur engagement pour les droits de l’homme nous a donné lesoutils nécessaires en vue d’épuiser toutes les voies de recours sur le plan judiciaire. La justice, quant à elle, a refusé de prendre ce dossier en main et denous aider à retrouver nos disparu(e)s.

4.8.4 Les familles de disparu(e)s s'organisent

Face à cette injustice permanente, nous avons brisé le mur de la peur en juillet1998, en organisant une tournée européenne. Avec des familles venuesd’Algérie et des familles de disparu(e)s vivant en France et surtout avec lesoutien d’ Amnesty international et de la Fédération internationale des liguesdes droits de l’homme (FIDH), nous sommes allées frapper aux portes de

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5  Id.

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l’Europe. L'implication des organisations non gouvernementales internatio-nales nous a aidées à amener la question des disparu(e)s en Algérie sur la

scène internationale et devant les instances des Nations Unies. A partir de cemoment, la question des disparitions forcées était inscrite à l'ordre du jour auxNations Unies à Genève. A leur retour à Alger, les mères, fortes de cetteexpérience en Europe, ont entamé un travail de sensibilisation sur le terrain.C’est ainsi que dès le 2 août 1998, les mères de disparu(e)s en Algérie osaienttenir leur premier rassemblement à Alger, devant l’Observatoire national desdroits de l’homme (ONDH)6.  Depuis, les familles n'ont cessé de manifesterchaque mercredi, elles continuent aujourd’hui encore. Le mouvement desfamilles de disparu(e)s n’a cessé de s’étendre en Algérie. Le Collectif desfamilles de disparu(e)s en Algérie s’est constitué avec ses comités locaux et

régionaux en Algérie même.Notre mobilisation et les recommandations du Comité des droits de l'hommedes Nations Unies ont fini par faire fléchir le pouvoir, qui a dû reconnaîtrepour la première fois l'existence du phénomène des disparitions. Le 10 mai2001, le ministre de l’Intérieur a reconnu l’existence de 4 880 cas dedisparitions, et durant sa campagne électorale en 1999, le président Bouteflikareconnaissait l'ampleur du phénomène en avançant quant à lui le chiffre de10 000 disparitions.

A plusieurs reprises, en 2002, M. Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH,

dont la parole engage donc la présidence de la République, a insisté sur « lavolonté de régler le dossier d'ici la fin de l'année » en parlant desindemnisations. Le CFDA, a rédigé un  Mémorandum remis au président de laCNCCPDH, dans lequel il demandait une rencontre officielle pour entamer undialogue constructif. Pour nous, les principes de base à toute démarchecommune de règlement du dossier sont les suivants :

•  La responsabilité de l'État est entière dans le phénomène desdisparitions, car la Constitution lui fait obligation de garantir la sécuritédes personnes ;

•  Les disparitions de nos proches doivent être considérées comme étantdes disparitions forcées selon les termes de la Déclaration sur laprotection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies du 18 décembre1992 ;

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6 Institution d'État, remplacée en 2001 par la Commission nationale pour la

promotion et la protection des droits de l’homme.

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•  L'indemnisation ne saurait à aucun moment remplacer ou annuler unprocessus de vérité sur le sort de nos enfants. Il s’agit d’une aide et

d’une solidarité nationales apportées aux familles de disparu(e)s. Lescritères fixant ces indemnisations et les modalités de leur attributiondoivent être discutés dans la transparence avec les familles des victimes ;

•  L'indemnisation ne saurait remplacer la mise en place d'une véritablepolitique nationale de réhabilitation, psychologique notamment, desfamilles des victimes et de leur entourage, traumatisées comme d'autrescouches de la population algérienne ;

•  Mise en place d'un processus contradictoire et individualiséd'établissement de la vérité sur les disparitions : ce mécanisme doit,

pour être crédible, associer les représentants des familles et lesorganisations des droits de l'homme et permettre aux familles desoumettre leurs cas, en présence de leurs témoins et d'un avocat de leurchoix.

A notre grand désarroi, le 20 septembre 2003, le président de la République,Abdelaziz Bouteflika instituait une commission de prise en charge de laquestion des disparus, dite « mécanisme ad hoc » : « Ce mécanisme, a-t-il dit,ne sera pas une commission d’enquête mais une interface entre les pouvoirspublics et les familles de disparus. Il ne devra pas se substituer aux appareils

  juridiques et administratifs de l’État ». Ce mécanisme ad hoc était chargé deretrouver les disparus, d’aider les familles dans leurs démarches et d’orienterleurs ayants droits pour l’obtention d’une indemnisation. Mais aucuneenquête n’a été menée ; les familles ont simplement été convoquées et ont dûremplir un formulaire.

Au terme d’une mission de dix-huit mois, Farouk Ksentini, en sa qualité deprésident de cette commission, a reconnu le 31 mars 2005, l’existence de 6 146disparitions « forcées », attribuées uniquement à des actes isolés d’agents del’État, et il s’est déclaré favorable à une amnistie générale. Toutefois, le rapportde cette commission, remis au président de la République, n’a jamais étérendu public et la campagne pour l’amnistie générale a aussitôt été lancée.

4.8.5 La paix et la réconciliation

La recherche de la paix et de la réconciliation nationale sont des objectifsfondamentaux qui doivent être poursuivis par toutes les forces soucieusesde la promotion de la démocratie, de la protection des libertés et dudéveloppement de l’Algérie. Mais ces objectifs ne peuvent être décrétéssans débat démocratique ni sans associer la société civile algérienne,

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particulièrement les associations des familles de victimes et les associations dedéfense des droits de l’homme. Or l’utilisation abusive de la loi d’amnistie

constitue purement et simplement une violation des droits de l’homme.Plusieurs des crimes commis par les protagonistes du conflit sont des crimescontre l’humanité, comme l’énonce l’article 7 du Statut de Rome7.Aujourd’hui, la ratification prochaine de la Convention internationale contreles disparitions forcées permettra peut-être de faire avancer le processus versla reconnaissance effective des victimes du conflit algérien. Reste que sans lavolonté politique expresse du gouvernement algérien, la vérité et la justice nepourront être faites dans de bonnes conditions.

4.8.6 Vers une commission de vérité 

Dans ces conditions, la seule voie susceptible de concourir à l’établissement dela paix et de la réconciliation en Algérie passe d’abord par l’établissement dela vérité. La recherche de la vérité est d’autant plus indispensable que « ledroit de savoir et le droit à la vérité » sont reconnus comme des droitsfondamentaux pour les familles des victimes et particulièrement les famillesde disparus8. Mais qui dit droit dit également devoir. Le devoir dugouvernement algérien est de faire la lumière sur tous les crimes commispendant la guerre civile mais aussi celui de réparer le préjudice subi par lesvictimes. Cette réparation doit être à la fois matérielle et morale. Dans le casde l’Algérie, la réparation morale ne peut être effectuée, en premier lieu, quepar l’établissement de la vérité.

La reconnaissance du droit de savoir et du droit à la vérité exige en outre quesoient menées des enquêtes indépendantes et impartiales par un organismecomposé de personnalités expérimentées, crédibles et indépendantes. Au vudu nombre très important de victimes, de l’intimidation qui plane sur elles etde la peur de représailles qu’elles éprouvent, la seule solution envisageable estde créer une commission de vérité en Algérie. Or, pour cela, il est impératif, au

préalable, que soit levé l'état d'urgence maintenu illégalement depuis quatorze

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7 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/9, 17 juillet 1998.L’art. 7 reconnaît les crimes systématiques ou généralisés, tels que les massacres, latorture, le viol et les disparitions forcées comme des crimes contre l’humanité.

8 Ils « ne sont cependant pas des droits strictement individuels mais forment un droitcollectif qui s’intègre dans un devoir de mémoire, dont chacun à son niveau, a lacharge », in JOINET Louis (éd.), Lutter contre l'impunité - dix questions pour comprendre

et agir , Paris, La Découverte, 2002, p. 21. 

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d’établir une commission de vérité en Algérie. Nous ne pouvons pardonnersans que l’on ne nous demande pardon. Sans cette étape, la réconciliation en

Algérie apparaît plus qu’illusoire. L’Algérie doit se reconstruire sur des basessaines et solides. Le peuple algérien doit regarder son histoire en face etl’accepter.

Seuls, les postulats de vérité assureront la transition vers une Algériedémocratique. Après, il sera temps d'envisager sereinement l'avenir d'uneAlgérie réconciliée avec elle-même, capable d’assurer que l’adage « plus jamais ça » soit enfin une réalité dans ce pays.

 Mon fils a été enlevé le 30 janvier 1997 par la police. Il avait 21 ans, et commetoute mère je dirais que mon fils était beau, il était beau avec de beaux yeux bleus,

un bel homme quoi ! Il avait 21 ans, ne faisait pas de politique, n’adhérait à aucun parti. Il voulait vivre !

Depuis son arrestation je ne vis plus, il m’arrive de m’oublier pendant un momentmais dès que je me retrouve toute seule je me replonge dans mes questions et mesréponses.

Les questions sont d’abord est-ce que mon fils est vivant, est-ce qu’il est mort, est-ce qu’il souffre ? Oui sûrement qu’il souffre ! Ou s’il est mort, il ne souffre plus.

 Alors il vaut peut-être mieux qu’il soit mort … Oh non ! Je souhaite la mort demon fils, je suis une mère indigne, je souhaite la mort à mon fils. Mais c’est pourqu’il ne souffre plus. Non je ne lui souhaite pas la mort, je voudrais qu’il merevienne, comme il était beau et souriant — est-ce qu’il l’est encore ?

 Je voudrais pouvoir arrêter de me poser toutes ces questions. C’est ce qu’on appelle« faire son deuil ». Mais là il y a une autre complication, je ne veux pas faire ledeuil de mon fils. Je veux qu’il me revienne vivant.

 Aucune mère ne pense que son fils est mort, aucune. Je voudrais pouvoir répondreà leurs questions. Je voudrais tellement savoir, quand vont-elles enfin savoir ? Jevoudrais tellement soulager leur douleur parce que leur douleur c’est la mienne,

leur colère c’est la mienne, leur révolte c’est la mienne. Et les écouter sans savoirquoi leur dire c’est insupportable.

Si je dois pardonner, je voudrais savoir ce que je dois pardonner. Pardonner qui etquoi ? Il faut qu’on vienne me demander pardon et me dire ce que je dois

  pardonner. Le pardon est individuel et ne peut s’imposer par la force comme laréconciliation ne peut venir d’en haut.

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  Annexes – A. Recommandations du séminaire

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Annexes

A. Recommandations du séminaire

A l’issue de trois jours d’échanges, les participants réunis à Yaoundé,Cameroun, du 4 au 6 décembre 2006, en séminaire sur « La justicetransitionnelle dans le monde francophone : état des lieux » ont fait lesrecommandations suivantes :

•  Par rapport aux moyens scientifiques (information, formation, vulgarisation) : 

1.  Développement de l’information sur le concept de justicetransitionnelle ;

2.  Traduction en français des publications existantes en anglais et en

espagnol ;

3.  Promotion de la recherche au sein du monde francophone sur la justice transitionnelle ;

4.  Organisation de séminaires destinés à un public cible ;

5.  Diffusion de l’information sur la justice transitionnelle à travers desmoyens audiovisuels (pour permettre aux populations non éduquéesde comprendre le concept).

•  Par rapport aux moyens politiques : 

1.  Renforcement des capacités des acteurs étatiques et non étatiques ;

2.  Mise en place d’un réseau d’experts francophones, qui favorisel’échange des expériences au niveau international, régional et local.

•  Par rapport aux moyens opérationnels :

1.  Prise en compte de la « temporalité » (approche par séquences de la justice transitionnelle) ;

2.  Prise en compte, le cas échéant, de la justice traditionnelle(coutumière), sous réserve qu’elle soit conforme aux principesgénéralement admis en droit international.

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  Annexes – B. Allocutions liminaires

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B. Allocutions liminaires

Marie-Evelyne Petrus-Barry 

Directrice du Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la

démocratie en Afrique centrale

Au nom de Mme Louise Arbour, et en tant que représentante du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Afrique centrale, jetiens à vous souhaiter la bienvenue à Yaoundé et à cet important séminaire,qui rassemble des experts internationaux pour faire l’état des lieux desquestions de justice transitionnelle dans le monde francophone. Le fait queYaoundé ait été choisi pour abriter cette rencontre est la preuve de laconfiance que vous accordez au gouvernement du Cameroun, et à nous tous,qui travaillons ici, par rapport à notre capacité de créer cette plateforme de

discussion et de diffuser les résultats de cet échange de manière efficace dansle reste de la sous-région.

Comme vous le savez, depuis les débuts timides du travail sur les droits del’homme commencé par le système des Nations Unies il y a 58 ans, lorsque lesÉtats membres ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme,des pas de géants ont été accomplis. Cette Déclaration a été suivie denombreux traités internationaux liant les États et dont le but est de garantir lerespect et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Comme l’indique son plan d’action, le Haut-Commissariat aux droits de

l’homme conseille les États, assure le suivi de l’interprétation des traités et deleur intégration dans les systèmes juridiques nationaux. Ce travail, accomplien collaboration avec les États et leurs législateurs, conduit à des changementsde législation et des politiques nationales d’une part, et sert de référence auxsystèmes nationaux pour la justice et les réparations d’autre part.

L’un des engagements principaux du Haut-Commissariat aux droits del’homme est la lutte contre l’impunité : travailler avec tous les États, la sociétécivile et les individus à rendre compte, quels que soient les défis qu’ilsrencontrent, des faits d’impunité. Ce gage de lutte contre l’impunité a très

largement porté les discussions et les pratiques en matière de justicetransitionnelle, qui prennent différentes formes, notamment celle d’organiserdes forums d’échanges, tels que celui-ci, et d’examiner des pratiques qui ontréussi ainsi que de nouvelles initiatives.

Nous savons tous que les pays qui émergent d’un conflit, d’une dictature oud’une absence d’État sont confrontés à d’importants défis, alors qu’ilsorganisent la transition qui doit souvent les mener d’une situation deviolations massives des droits de l’homme et d’une absence totale decontribution des citoyens à la vie politique vers la participation aux processus

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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électoraux et démocratiques. La transition part du chaos institutionnel etcherche à atteindre l’état de droit. Nous avons tous été témoins de situations

où la justice est compromise, lorsqu’une transition s’avère difficile. Ceci nedevrait plus se produire. Et c’est pour cette raison que nous sommes ici ; nousallons travailler ensemble, échanger des expériences, des idées, et participer àl’élaboration des meilleures options possibles, pour aider ces pays à faire faceaux questions d’impunité, à prendre la décision de rendre des comptes, et ce,en essayant de reconstruire leurs institutions détruites ou fragilisées, par desannées de mauvaise gouvernance, de conflit et d’échec institutionnel.

Nous devons dégager les mécanismes les plus efficaces pour nous assurer quel’impunité ne triomphe plus, que la justice est rendue et que les pays peuventse diriger vers une réconciliation nationale, la paix, et finalement ledéveloppement et la mise en œuvre de systèmes de justice.

Afin d’être en mesure de répondre à ces besoins, le Haut-Commissariat auxdroits de l’homme a, il y a trois ans, commencé l’élaboration d’outilspermettant de répondre plus rapidement et plus efficacement aux questionsliées à la recherche et à l’analyse en matière de justice transitionnelle. Cinqmanuels méthodologiques permettant d’aborder différents aspects de la  justice transitionnelle ont été publiés à ce jour. L’objectif de ces manuels estd’aider au développement des capacités de la société civile, desadministrations et gouvernements de transition, et de leur apporter des pistes

d’approche et de réponse permettant d’aborder les situations critiques de justice transitionnelle, et liées à l’état de droit de manière plus efficace. Il s'agitnotamment des trois manuels en français : Supervision des systèmes  judiciaires ;Cartographie du secteur de la justice ; Les commissions de vérité . De même, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a soutenu des initiatives visant àdévelopper des normes en matière de violations majeures des droits del’homme, et a également contribué à la préparation d’études sur les bonnespratiques pour combattre l’impunité et rétablir la vérité.

 Je tiens à vous réaffirmer que le Centre sous-régional des Nations Unies pour

les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale entend, encollaboration avec les autres agences des Nations Unies, continuer à soutenirles gouvernements de la sous-région, la société civile et tous les autrespartenaires afin que les questions de justice transitionnelle soient gérées avecsuccès. Mais il s'agit aussi d’aider à construire une paix durable dans la sous-région par le biais d’une meilleure gouvernance, accompagnée de la prise encompte constante de la responsabilité des États à rendre compte surl'intégration dans la législation nationale des traités qui ont été ratifiés et surleur application, ceci assorti d’une mise en œuvre rigoureuse afin que tous lescitoyens puissent jouir de leurs droits civils et politiques mais aussi de leurs

droits économiques, sociaux et culturels.

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  Annexes – B. Allocutions liminaires

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Notre stratégie est de mettre en place des programmes de renforcement descapacités en matière de justice transitionnelle permettant de sensiblement

augmenter la connaissance et la reconnaissance des questions de justicetransitionnelle par les institutions nationales, les institutions judiciaires et lasociété civile afin qu’elles puissent ainsi bénéficier de plus larges alternativespour promouvoir la justice et la paix durable.

Toutefois, je voudrais rappeler que le Haut-Commissariat aux droits del’homme et les Nations Unies en général jouent un rôle de catalyseur, defacilitation et d’accompagnement, pas un rôle de prise de décision au niveaunational. Les mécanismes de justice transitionnelle sont généralement trèsspécifiques aux pays dans lesquels ils s’appliquent. Nous n’avons nullementl’intention de dicter des options que des pays souverains doivent être enmesure d’adopter en toute liberté, en fonction de leurs circonstancesparticulières. Notre rôle est de garantir que tous les individus et toutes lescommunautés aient des mécanismes et des outils à leur disposition pourmener à bien, eux-mêmes, leurs processus de transition et de justice.

L’intérêt des Nations Unies pour les questions de justice transitionnelle estlargement illustré par ces propos tenus récemment par Mme Louise Arbour,Haut-Commissaire aux droits de l’homme : « Sans perdre sa raison d’être, jecrois que la justice transitionnelle fera de grands bonds en avant pourpermettre que la justice, au plus grand sens du terme, contribue comme il se

devrait à l’avenir des sociétés en cours de transition. La justice transitionnelledoit avoir pour ambition de soutenir la transformation des sociétés oppriméesen sociétés libres, en réglant les injustices du passé par des mesures quipermettront un avenir équitable pour tous. La justice transitionnelle doit allerau-delà des crimes et des abus commis au cours des conflits qui ont amené à latransition mais aussi régler les questions de violations des droits de l’hommecommises avant la transition, et qui ont causé le conflit ou y ont contribué »1.

Au cours de ces trois journées, je suis persuadée que nous allons partager denombreuses idées, suggestions, propositions, expériences sur la justice

transitionnelle. Prenons le temps de réfléchir à toutes ces idées avec humilité

______________________

1  ARBOUR , Louise, Economic and Social Justice for Societies in Transition , Second AnnualTransitional Justice Lecture hosted by the New York University School of LawCenter for Human Rights and Global Justice and by the International Center forTransitional Justice, New York University School of Law, New York, 25 October

2006, p. 2. (Traduction de l’anglais original par l’auteur).

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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et détermination. Avec l’expérience et l’expertise rassemblées dans cette salle,  je n’ai aucun doute sur le fait que, de ces discussions jailliront des idées

nouvelles qui contribueront à une meilleure compréhension des questions de  justice transitionnelle et à l’élaboration de recommandations qui pourrontservir aux processus de transition et feront avancer le respect des droits del’homme, l’état de droit et la démocratie.

Suliman Baldo 

Directeur adjoint  du Programme Afrique du Nord et Moyen-Orient du Centreinternational pour la justice transitionnelle

S’étant solidifié il y a peine une décennie, le champ de la justice transitionnelles’est remarquablement accru ces dernières années. Dans nombre de nossociétés qui viennent de sortir d’une période de répression politique ou deconflits meurtriers, nous sommes de plus en plus témoins du déploiement detoute une gamme de mesures visant à faire face au lourd héritage d’un passéde violations massives et systématiques des droits de l’homme.

Il s’agit d’efforts pour engager des poursuites judiciaires contre les auteurs desplus graves violations, de commissions de vérité et réconciliation qui sontmises en place pour rapprocher les communautés, d'efforts visant à

indemniser les victimes ou leurs survivants et à honorer la mémoire des tuéset des disparus.

Il est à noter que les échanges d’idées, d’expériences et d’inspirations dans cedomaine se font surtout selon une dynamique entre pays du Sud. Ainsi, leChili a appris beaucoup de l’expérience en Argentine, l’Afrique du Sud acherché son inspiration au Chili, mais à son tour continue à inspirer nombred’autres pays africains, étant donné son influence grandissante dansl’architecture naissante de paix et de sécurité sur le continent.

Ces échanges entre pays, continents et régions ont produit une littérature

abondante en anglais et en espagnol. Il y a aussi une reconnaissance duréservoir important d’expériences de justice transitionnelle dans le mondefrancophone, allant du Burundi à Haïti en passant par l’Algérie et le Maroc.

C'est cette reconnaissance qui est à l’origine de ce séminaire, qui se proposed'aborder les questions suivantes :

•  Quelles sont les formes d’échanges d’expériences au sein du mondefrancophone ?

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  Annexes – B. Allocutions liminaires

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•  Quels sont les modèles de succès dans les domaines suivants :poursuites pénales ; commissions de vérité et réconciliation ;

réparations ; édification de mémoriaux ; réconciliation et réformeinstitutionnelle ?

•  Le reste du monde est-il suffisamment averti des expériences du mondefrancophone en justice transitionnelle et celles-ci sont-elles accessiblespar des anglophones et des hispanophones ?

•  Quels sont les réseaux existants à travers le monde francophone, entreuniversités, gouvernements et associations de victimes ?

C’est sur ces pistes que le Centre international pour la justice transitionnelle

cherche à consolider son travail et à intensifier son dialogue avec le mondefrancophone. Mais qui sommes-nous tout d’abord ?

Le Centre international pour la justice transitionnelle a été fondé en 2001 avecpour objectif d’aider les pays et les communautés qui cherchent à gérer unpassé plus au moins récent de crimes atroces et de violations de droits del’homme alors qu’ils abordent une période de paix, de démocratie et d’état dedroit. Le Centre met à leur disposition un ensemble de documentation légaleet d’analyses politiques approprié, et les expose à des fins comparatives auxexpériences d’autre pays. Il travaille avec tous les acteurs locaux, y compris legouvernement, les organisations non gouvernementales, les commissions devérité, etc.

Le Centre a collaboré avec plus d’une trentaine de pays. Il est structuré en cinqunités et programmes qui soutiennent ses différentes interventions. Alorsqu’initialement son travail se faisait surtout en anglais et espagnol, le Centrecherche depuis un certain temps à s’engager avec le monde francophone etarabophone, comme en témoignent ses engagements au Maroc, en Algérie eten Haïti. Nous sommes soucieux d’apprendre les expériences du mondefrancophone dans ce domaine.

Parmi les moyens d’intervention du Centre, la formation professionnelle et lerenforcement des capacités comptent pour beaucoup. Nous lancerons au moisde mars prochain un programme de bourses d’études de dix semaines enpartenariat avec le Centre d’échanges multiculturels de Rabat, visant à formerdes activistes et professionnels de la justice transitionnelle du mondefrancophone. Ce programme complétera ceux déjà donnés en anglais et enespagnol.

 Je me tourne enfin vers nos partenaires dont l’effort a permis à cette rencontrede se matérialiser. Le Centre sous-régional des Nations Unies pour les droitsde l’homme et la démocratie en Afrique centrale et les ministères des Affaires

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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étrangères de France et de Suisse, à qui je dis mille mercis pour unecollaboration qui s’annonce fructueuse. Espérons que nous la maintiendrons

pour d’autres projets aussi stratégiques que celui que nous sommes en trainde lancer maintenant.

Mô Bleeker

Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération suisse

Nous sommes particulièrement heureux de nous retrouver ici, à Yaoundé,avec un tel groupe de praticiens engagés dans des processus concrets etcomplexes de traitement du passé dans le contexte africain.

La Suisse est engagée depuis plusieurs années dans cette thématique de la  justice transitionnelle (et plus largement du traitement du passé) parce quenous considérons la justice transitionnelle comme un instrument important aucarrefour de la lutte contre l’impunité, de la promotion de la paix, des droitsde l’homme et de l’état de droit.

La Suisse s’est engagée de manière résolue dans la promotion des instrumentsinternationaux dans ce domaine en contribuant :

•  Au développement du Statut de Rome et de la Cour pénale

internationale ;

•  A la promotion de résolutions dans ce domaine au sein du Conseil desdroits de l’homme ;

•  Au développement de réflexions conceptuelles sur la justicetransitionnelle dans des contextes de sortie de conflit, dictature ourégime totalitaire, réflexions qu’elle partage avec des pays amis ;

•  Au développement d’actions concrètes avec ses partenaires dans despays en conflit ou en transition, comme en Amérique centrale

(Guatemala), dans les Balkans, en Asie (Népal, Indonésie), et en Afrique,dans la région des Grands Lacs.

La gestion civile des conflits fait partie des priorités de la politique étrangèresuisse et le traitement du passé y occupe une place prépondérante. Dessituations complexes et parfois dramatiques ont lieu aujourd’hui, quiréclament des efforts concertés entre tous les acteurs concernés afin dedessiner des stratégies locales qui répondent aux besoins impératifs de la paixtout en satisfaisant aux impératifs en matière de droits de l’homme et enrespectant les normes et standards contre l’impunité.

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  Annexes – B. Allocutions liminaires

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La Suisse, en tant qu’État (partiellement) francophone, est heureuse de cetteinitiative qui a lieu en français. Beaucoup a été produit concernant la justice

transitionnelle en anglais et en espagnol. Il est utile et important que lesrégions francophones aient un accès facilité aux expériences, aux leçonsapprises d’autres continents, ainsi qu’aux documents divers et aux normes etstandards internationaux. Nous nous trouvons ici sur territoire africain. Or, denombreuses expériences ont eu lieu et ont lieu actuellement dans ce domaineen Afrique. Ce continent est un véritable terreau de réflexions, de leçonsapprises et de défis nouveaux dont la communauté internationale peuts’inspirer. Nous sommes favorables aux déclinaisons multiples de solutionspropres aux contextes locaux, dans le respect des normes et standardsinternationaux. Le fait que le séminaire ait lieu ici, à Yaoundé, nous paraît

ainsi le garant d'une proximité avec les réalités de la région et nous nous enréjouissons beaucoup.

Nous sommes aussi heureux d’être associés dans le soutien à cette initiative, àla France, au Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits del’homme et la démocratie en Afrique centrale et au Centre international pourla justice transitionnelle. Nous nous réjouissons d’ores et déjà des résultats dece séminaire et de leur donner une suite, si les participants le jugent utile.

Michel Doucin  Ambassadeur de France pour les droits de l'homme 

En janvier dernier le gouvernement sud-africain a annoncé l’ouverture depoursuites judiciaires contre des responsables politiques et militaires del’apartheid auxquels l’amnistie n’a pas été accordée dans le code de laCommission de vérité et réconciliation. M. Pikoli, procureur général d’Afriquedu Sud a alors déclaré : « On ne peut pas permettre que des gens commettentde graves violations des droits de l’homme et s’en sortent ». Puis il a ajouté :« Nous devons aussi prendre en compte la question de l’intérêt public et

national, nous traitons une question complexe, les conflits du passé. Il ne peuty avoir de réponse facile […]. Après cela nous terminerons ce chapitre denotre histoire ».

Le sujet qui nous réunit pendant trois jours à l’initiative du Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie enAfrique centrale et du Centre international pour la justice transitionnelle, est àla fois incontournable et complexe.

Incontournable, parce qu’un grand nombre de pays d’Afrique francophoneont à connaître de conflits accompagnés de violations graves du droit

humanitaire et des droits de l’homme. Les traumatismes qu’ils ont causés sont

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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lourds de conséquences pour les victimes directes et leurs familles. Mais, au-delà, ils alimentent assurément, parce que rarement regardés en face, la

récurrence des crises que le continent connaît.Or, il n’est pas de développement sans stabilité, et pas de stabilité sans desrelations pacifiées entre les habitants d’un même pays. Et l’Afrique aterriblement besoin de développement. Incontournable est donc une réflexioncommune aux pays qui partagent, outre les mêmes valeurs, parce qu’elles sontuniverselles — celles du respect des droits de l’homme —, des référentscommuns dus au partage d’une même langue, le français, qui est aussi levéhicule de concepts et manières d’aborder le réel qui le distinguent et en fontune langue de culture.

On sait en effet que, par exemple, dans la tradition juridique francophone, laresponsabilité de l’État, les droits des victimes, la procédure judiciaire et lesprotections qu’elle accorde aux victimes se distinguent des autres traditions.Ces caractéristiques devraient trouver leur prolongement dans une réflexionfrancophone sur la justice, la vérité et la réconciliation.

  J’ai déjà, implicitement, abordé la deuxième dimension du sujet dont nousallons traiter : sa complexité.

Celle-ci résulte, comme le faisait remarquer le procureur général Pikoli, du faitque la justice transitionnelle n’est pas une justice classique visant à faireprévaloir un état de droit permanent. Elle s’inscrit dans l’histoire d’un pays,dont elle est le produit, mais aussi qu’elle entend transformer.

Cette justice doit donc être toute la justice, dans toute sa rigueur, et aussi seprojeter dans une future réconciliation et la consolidation de la paix. Il s’agitpour elle d’être à la fois dans l’histoire et aussi de produire l’histoire dedemain. Une ambition démiurgique, en quelque sorte si l’on y réfléchit.

Comment y parvenir ? Il y faut de la rigueur et du discernement. Fortheureusement, pour ceux qui s’attèlent à cette tâche — qui appelle de leur part

une sagesse « salomonesque » — le chemin de la réflexion est déjà fortement balisé :

•  L’Organisation des Nations Unies, notre organisation, a adopté en 2005des principes directeurs de la lutte contre l’impunité. Leur auteurprincipal, Louis Joinet, est parmi nous et il nous en parlera de façonexperte après la pause. Je me contente d’en rappeler ici les axes : le droitde savoir, le droit à la justice, le droit à réparation pour les victimes et ledevoir de prévenir la récurrence des violations. Ce sont les quatrefanaux pour éclairer notre chemin ;

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•  Et puis nous avons la chance d’avoir aujourd’hui des possibilités de tirerdes leçons de l’expérience. Celles-ci, nombreuses et très diverses,

interrogent dans les écarts qu’elles manifestent par rapport aux quatrerepères que je viens de citer. Si elles ont débuté en Europe et enAmérique latine, elles concernent l’Afrique de plus en plus souvent,offrant un champ comparatif devenu très riche.

Ce sera sans nul doute l’un des grands intérêts de ce séminaire que depermettre des comparaisons entre des situations présentant certainessimilarités et d’importantes différences. Des experts, des représentants desociétés civiles et des victimes, ainsi que des diplomates apporteront leurstémoignages.

  Je voudrais pour terminer, reprendre quelques mots que j’ai rapidementemployés tout à l’heure : « consolidation de la paix ».

Tel est bien l’objectif fondamental de la justice transitionnelle en effet. Celle-cifait partie des outils du projet autour duquel s’est constitué l’Organisation desNations Unies, par une Charte qui entendait apporter la « paix au cœur deshommes ». Soixante ans plus tard, la plus récente réforme de l’ONU a créé une« Commission de consolidation de la paix ». Nul doute que ce nouvel organe,en cours de formation, portera un intérêt particulier à la justice transitionnelleet aux formes qu’elle revêt sur le continent le plus troublé par la guerre

aujourd’hui, même si le nombre des conflits y a diminué ces dernières années,l’Afrique. C’est un intérêt supplémentaire pour ce séminaire que de se tenir aumoment où notre organisation manifeste ainsi un intérêt accru pour le sujetdes méthodes d’enracinement de la paix.

Et, ce sera mon dernier mot, la justice transitionnelle ayant cette ambition defonder des paix durables, n’oublions pas que celles-ci ne sont possibles qu’à lacondition que la justice, toute la justice, soit effectivement rendue au sein dessociétés. Par justice, il faut bien sûr comprendre la justice pénale mais aussi la justice sociale, c’est-à-dire l’équité, l’état de droit et finalement la démocratie.L’injustice sociale est souvent à la racine des conflits qui dégénèrent enpogromes, génocides et autres violences massives manipulées par quelques-uns.

La France est heureuse de s’être associée à la Suisse et aux Nations Unies pourpermettre la réalisation de ce séminaire dont nous mesurons tousl’importance.

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Amadou Ali

Vice-Premier ministre, ministre de la Justice et garde des Sceaux de la République du

Cameroun

C’est un honneur et un agréable devoir pour moi de prendre la parole àl’occasion du séminaire sur la justice transitionnelle dans le mondefrancophone que mon pays le Cameroun a le privilège d’abriter.

  J’aimerais vous exprimer, au nom du gouvernement camerounais que j’ail’honneur de représenter à cette cérémonie, mes sincères remerciements pourle choix du Cameroun comme pays hôte de cet important séminaire.

En choisissant la ville de Yaoundé pour abriter le séminaire sur la justice

transitionnelle dans le monde francophone, vous avez une fois de plusmarqué la confiance et l’estime que vous avez pour le Cameroun, un paysépris de paix et de liberté, résolu à enraciner en son sein une véritable culturedes droits de l’homme.

Vous avez certainement tenu compte au moment de votre choix, afin que celapuisse servir d’exemple, de la diversité et de la tolérance que vous avezobservées au Cameroun, pays dont la devise commence par le mot « paix ».

Faut-il rappeler ici que la recherche de la paix et l’humanisme caractérisentprofondément la démarche de Son Excellence Paul Biya, président de la

République du Cameroun, dont la volonté maintes fois affirmée depromouvoir et de protéger les droits de l’homme et de toujours rechercher unesolution pacifique aux différends, de quelque nature qu’ils soient, vient d’êtreconfirmée par l’accord de Greentree du 12 juin 2006, relatif au différend entrele Nigéria et le Cameroun au sujet de la péninsule de Bakassi.

Le Cameroun est pour la paix dans la diversité, dans l’acceptation de l’autre,dans la tolérance, pour le pardon, pour la conciliation et la reconstruction.

Cette paix, condition d’un épanouissement des populations et d’un déve-

loppement durable, nous en sommes tous conscients, ne peut s’implanter quedans un contexte de promotion et de protection des droits des personnes.

C’est pourquoi, sous l’impulsion du chef de l’État, Son Excellence Paul Biya, leCameroun adhère sans réserve aux instruments de promotion et de protectiondes droits et libertés adoptés dans le cadre de l’Organisation des NationsUnies et de l’Union africaine.

Il considère également avec intérêt, au-delà des réponses classiques,l’épanouissement et l’application de solutions nouvelles à l’instar de la justice

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  Annexes – B. Allocutions liminaires

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transitionnelle, notamment dans les pays ayant souffert de déchirements dusaux nombreux conflits et dont la réconciliation des bourreaux et des victimes

d’hier, après une juste réparation, est une condition de la reconstruction.  Je prie les représentants de la France et de la Suisse de bien vouloirtransmettre à leurs gouvernements respectifs le sentiment de gratitude dugouvernement de mon pays pour avoir permis, avec leur appui, la réalisationde cette importante activité en terre camerounaise. Cet appui témoigne, unefois de plus, de l’attachement aux valeurs qui lient nos pays respectifs.

L’Afrique francophone n’est pas épargnée par les guerres fratricides. Denombreux foyers de tensions subsistent, et il est important de se pencher surtoutes les solutions possibles, qui permettront de faire renaître le sentiment de

fraternité et de reconstruire les nations.

Permettez-moi de partager avec vous, en toute humilité, les quelquesréflexions que m’inspire le thème de vos assises à savoir : « La justice transi-tionnelle dans le monde francophone : état des lieux ».

L’histoire est jalonnée de nombreux mécanismes de règlement de différendsindividuels et collectifs inspirés ou non de pratiques religieuses, tradition-nelles ou modernes. Ces différents mécanismes ont pour vocation primordialel’instauration de la paix, laquelle doit reposer sur la justice et l’équité. En effet,pour qu’elle soit durable, la paix doit être juste ; en d’autres termes, elle doitconcilier les intérêts des victimes et ceux des auteurs de l’infraction.

Considérées aux XVIIIe et XIXe siècles comme moyens pour opérer deschangements politiques et économiques radicaux, les révolutions sontapparues nécessaires pour affermir les droits de la majorité des citoyensvictimes d’atrocités, en dépit de nombreuses violations qui pouvaient parailleurs en résulter.

Au XXe siècle, malgré l’idéologie qui les anime (un sort meilleur pour lescitoyens ordinaires, le progrès économique et social), les révolutions sont de

moins en moins acceptées parce que servant de prétexte pour violer, souventde façon grave et massive, les droits de l’homme.

Ainsi, pour ne parler que des différends collectifs, les situations de crise, deguerre et d’instabilité qu’ont connues certains pays et qui ont entraîné desviolations graves et massives de droits de l’homme ont eu pour corollaire ledroit de ces victimes à attendre légitimement des réparations.

Seulement, l’impératif de paix commande parfois de renoncer à la justiceétatique classique ou de l’écarter pour trouver un « juste compromis » entredes intérêts très antagonistes.

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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Cette situation pose donc la problématique de la justice en ce qu’elle appelleune nouvelle orientation, car comme s’interrogeait Anatole France dans Les

Dieux ont soif  , « comment juger maintenant ? Comment reconnaître en uninstant l’honnête homme et le scélérat, le patriote et l’ennemi de la patrie ? »

La justice transitionnelle axée sur la vérité, l’aveu, le pardon, la réparation —fût-elle symbolique — et la réconciliation, a permis à coup sûr de dénouer dessituations postconflit ou postcrise, avec plus ou moins de bonheur. Il estquestion, pour vous, experts francophones, de faire l’état des lieux en tenantcompte des traditions juridiques de nos pays.

Qu’il me soit ainsi permis de louer l’ingéniosité et la générosité de cetteinitiative qui contribue d’une part à vulgariser ce mécanisme de règlement des

conflits, peu connu de mon point de vue, et d’autre part à renforcer lescapacités intellectuelles et opérationnelles des responsables en charge del’application des lois, en les maintenant en éveil face aux différentes mutations juridiques qui s’opèrent dans le monde.

Au regard des différents points inscrits à l’ordre du jour et vu le paneld’experts, sans préjuger des discussions que j’imagine franches, constructiveset riches, j’émets le vœu de voir des recommandations pertinentes découler devos travaux. Ces recommandations pourront ainsi inspirer des pays en quêtede justice transitionnelle pour fonder une paix durable.

 Je souhaite plein de succès à vos travaux et déclare ouvert le séminaire sur la justice transitionnelle dans le monde francophone.

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  Annexes – C. Allocutions de clôture

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C. Allocutions de clôture

Marie-Evelyne Petrus-Barry 

Directrice du Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la

démocratie en Afrique centrale 

Nous voilà au terme de ce séminaire qui, comme toute activité collective, a eudes moments forts ; forts en émotions, forts de questionnements et deperplexité mais aussi forts de réflexion et surtout de la certitude qu’ensemble,nous pouvons aller plus loin en termes de recherche et d’analyse. Ceséminaire nous a également donné l’opportunité d’affiner notrecompréhension des expériences de la justice transitionnelle, même si nousn’avons pas assez de recul pour nous permettre de dégager des évaluationsprécises des initiatives que nous avons évoquées. Nous avons tout au moins

des pistes.  Je voudrais remercier tous les participants pour leur contribution active,dynamique et engagée. Je voudrais remercier tous les intervenants pour nousavoir fait part de leur expériences qui ne représentent pas seulement le fruitde leur travail mais la preuve d’un engagement personnel pour une meilleure  justice et pour développer des mécanismes permettant à des victimes deretrouver leur dignité d’une part et à des États de rétablir la paix et la stabilitédans un climat de « conciliation ».

 J’ai bien sûr emprunté le mot « conciliation » à M. Louis Joinet que je voudrais

remercier tout particulièrement. Il nous a livré une petite partie de sonimmense expérience et nous a mis sur la voie, nous a permis d’avoir unevision large des problématiques du droit de savoir, des réparations pour lesvictimes, de la difficulté à concilier le droit national et le droit internationallorsque les institutions et l’État ne sont pas en mesure de le faire et que lacommunauté internationale doit participer à la transition et mettre en placedes mécanismes de justice transitionnelle dans le cadre d’un accord de paix oud’une solution politique. Il nous a surtout montré qu’il n’y a pas de solutiontoute faite en matière de justice transitionnelle, et encore moins de situationsimilaire à une autre.

  Je voudrais remercier le gouvernement du Cameroun pour nous avoiraccueillis et nous avoir encouragés dans nos travaux. Je voudrais égalementremercier le gouvernement français et le gouvernement suisse pour nous avoirdonné les moyens de mettre en œuvre cette activité. Ils nous ont soutenusfinancièrement certes, mais leur contribution à la substance du séminaire a ététout aussi importante. Je pense que nous pouvons nous réjouir de cettecollaboration qui ne nous a pas seulement permis d’organiser ce séminaire

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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mais a largement contribué aux échanges. Je remercie nos partenaires duCentre international pour la justice transitionnelle pour l’excellente

collaboration que nous aimerions renouveler.  Je pense qu’à l’issue de ce séminaire, nous avons tous un devoir, celui deconsidérer nos débats comme le point de départ d’une réflexion qui devracontinuer. Bien sûr, elle devra prendre d’autres formes, mais les moyens decommunication modernes nous le permettent. Par nos recommandations,nous nous sommes engagés. Nous devons donc tenir nos promesses et allerau-delà des mots. L’après-séminaire est plus important que le séminaire lui-même. Lorsque rentrés dans nos environnements respectifs nous reprendronsnos activités habituelles, nous devrons essayer d’élargir la réflexion sur la justice transitionnelle à tous nos partenaires, aux gouvernements avec lesquelsnous travaillons, à la société civile, aux individus. Nous devrons travailleravec les commissions de vérité, les tribunaux nationaux, internationaux etmixtes afin de mieux comprendre les enjeux actuels de la justicetransitionnelle et de mieux préparer la réponse aux situations de conflit là oùils pourraient survenir. Nous avons aussi le devoir de diffuser lesinformations et les expériences.

A l’issue de ce séminaire, j’ai moi-même quelques pistes de réflexion qui, jel’espère, permettront au Centre sous-régional des Nations Unies pour lesdroits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale d’améliorer sa stratégie

de travail en matière de justice transitionnelle. Je pense que nous allons nousatteler à mettre les questions de justice transitionnelle en matière de droit à lavérité, à la justice et à la réparation au centre de nos activités dans les pays dela sous-région. Mais nous allons le faire en essayant de comprendre les besoinsdes gouvernements de ces pays, de leurs systèmes judiciaires, des parlementset de tous les acteurs concernés. Nous travaillerons ensuite à l’élaboration et àla mise en œuvre d’initiatives permettant de réfléchir à la manière de mettreces systèmes en place afin de maintenir la paix là où elle existe et de lapromouvoir là où elle est en danger.

Au-delà de tout cela, nous avons la responsabilité, là où c’est possible, detravailler avec les systèmes judiciaires, les États et les individus pour trouverdes moyens de guérir les blessures du passé. Nous devons nous assurer queles cicatrices ne laissent que de toutes petites marques, ne viennent pas hanterle présent pour se transformer à nouveau en conflit.

Nous devons nous assurer que la justice transitionnelle ne soit pasuniquement un moyen de résolution des conflits. Les pays qui connaissentactuellement un processus de justice transitionnelle se trouvent égalementdans un processus de développement. Pour ceux d’entre nous qui travaillentdans ces pays, et pour ceux qui participent à les aider à se développer, il est

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  Annexes – C. Allocutions de clôture

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important que nous commencions à réfléchir à des moyens transparents, videsde tout préjugé, respectueux de leur histoire, de leur culture et de leur

manière de régler les conflits afin de développer une « justice transitionnellepréventive ». Comme l’a dit le Vice-Premier ministre, ministre de la Justice etgarde des Sceaux hier lors du dîner qu’il nous a si gracieusement offert : « LeCameroun n’a pas besoin de justice transitionnelle ». Le Centre des NationsUnies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centralecontinuera à collaborer avec le gouvernement et les citoyens du Cameroun,afin que cette situation continue à prévaloir. Comme le dit le vieil adage :« Mieux vaut prévenir que guérir ».

Nous avons ici évoqué des doutes par rapport à l’efficacité, à la légitimité et àla pertinence des systèmes de justice transitionnelle qui utilisent des systèmesde justice traditionnelle pour régler des conflits qui dépassent la coutumecommunautaire. Si ces systèmes ne produisent pas les effets escomptés dansdes situations de postconflit, ils peuvent au moins aider à éviter les conflitslorsqu’ils sont utilisés pour régler des questions de droits de l’homme, plusparticulièrement au niveau des droits économiques, sociaux et culturels, dontles violations engendrent la pauvreté, les inégalités, le manque d’accès à desservices de base dont l’État a la responsabilité.

Notre responsabilité est d’approcher les questions d’impunité en période depaix, car si les violations des droits de l’homme, quelles qu’elles soient, sont

punies à la mesure de leur gravité, cela diminue les risques de conflit et doncles risques de violations graves. Si des systèmes de justice sont en place etfonctionnent, si la population jouit de ses droits civils et politiques, peutchoisir ses dirigeants et les démettre de leurs fonctions, alors, il y a moins derisques de violations graves. C’est pourquoi, travailler sur la justicetransitionnelle, c’est travailler sur la justice tout court et sur les droits despersonnes. Notre responsabilité est de garder en tête cette approche globale.

 Je voudrais terminer en partageant avec vous un fait concret : ce séminaire asuscité un grand intérêt au Cameroun. Nombreux sont les médias

camerounais qui cherchent à savoir ce qu’est la justice transitionnelle, à quoielle sert et dans quel cadre elle est appliquée. Si les leaders d’opinions’intéressent au sujet, c’est qu’il a un écho au sein de la population. A nous detravailler à garder cette flamme allumée.

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

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Georges Serre

 Ambassadeur de France au Cameroun

  Je me réjouis de la tenue à Yaoundé de ce séminaire, « La justicetransitionnelle dans le monde francophone », tout d’abord parce qu’il est lefruit de la collaboration étroite entre des représentants institutionnels et lasociété civile : il a en effet été organisé conjointement par le Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie enAfrique centrale, et le Centre international pour la justice transitionnelle. Il aégalement bénéficié du soutien du Département fédéral des affaires étrangèresde la Confédération suisse et du ministère français des Affaires étrangères.

 Je me réjouis aussi de l’organisation de ce séminaire parce qu’il répond à un

 besoin fortement exprimé par la communauté internationale : ce besoin, c’estcelui de la restauration de la justice dans des sociétés déchirées, souventpendant de très longues périodes, par de violents conflits. Le retour à la paix,une paix durable et respectueuse des droits de l’homme, ne peut s’envisageren oblitérant le passé. Les auteurs des crimes les plus graves doivent être jugés, et c’est dans le cadre de cette lutte contre l’impunité que doit s’inscrirela justice de transition.

Ce concept encore nouveau peut recouvrir des réalités différentes, quidépendent des particularités propres à chaque situation. Il n’y a pas de

modèle préétabli, ni de réponse toute faite. Ce séminaire a permis de faire unétat des lieux, et de confronter les expériences toujours riches, parfoisémouvantes, des uns et des autres. Parfois la justice de transition suppose lamise en place préalable de « commissions de vérité », parfois le recours à une  justice pénale internationale s’avère indispensable. Quels que soient lesmécanismes envisagés, ce qui apparaît essentiel c’est la mise en place deconditions qui permettront à terme le jugement des responsables des crimescommis et la reconnaissance des droits des victimes. La question prend unedimension spécifique quand elle s’inscrit, comme c’est souvent le cas, dansune situation de sous-développement économique et social, car dans ce

contexte la sortie de crise suppose l’espoir d’une vie meilleure et notammentl’accès à des conditions de vie satisfaisantes pour tous. Dans nos efforts pour  bâtir des justices de transition, je crois, j’en suis sûr, que le mondefrancophone peut avoir un rôle particulier à jouer. Nous ne partageons passeulement la même langue, nous avons souvent une culture juridiquecommune, dans laquelle les victimes trouvent naturellement leur place dansles procédures pénales qu’elles connaissent, et qui peut servir de référence,parmi d’autres, pour la mise en place de ces justices.

  J’espère que ce séminaire connaîtra à l’avenir des prolongements, dans

d’autres lieux, dans d’autres enceintes, et que la réflexion menée dans cedomaine contribuera à la progression de la justice et de la paix dans ce monde.

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  Annexes – C. Allocutions de clôture

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Amadou Ali 

Vice-Premier ministre, ministre de la Justice et garde des Sceaux de la République du

Cameroun

Pendant trois jours, vous avez, avec minutie, méthode, patience etperspicacité, procédé à l'examen, sous toutes ses facettes, de la justicetransitionnelle dans la zone francophone. Des échos très favorables me sontparvenus quant à Ia conduite de vos travaux, et les recommandations trèspertinentes qui en ont découlé en témoignent.

A l'heure du bilan, je formule le vœu de voir les experts de la zonefrancophone tirer le maximum de profit de ces échanges, étant donné qu'ilssont désormais mieux outillés et plus au fait des diverses expériences.

Pour ceux des participants qui en sont à leur initiation, j'ose espérer quel'expérience aura été enrichissante et qu'ils pourront par la suite égalementassouvir leur quête de connaissance auprès des organisateurs du présentséminaire. Aux autres experts, j'adresse les encouragements du gouvernementdu Cameroun pour la généreuse initiative tendant à la vulgarisation de la justice transitionnelle.

Au demeurant, je souhaite que cette initiative ne soit pas la dernière en terrecamerounaise, laquelle est prête à offrir son hospitalité à toute expérience de

cette nature qui permettra, j'en suis sûr, de renforcer les capacitésintellectuelles, techniques et opérationnelles de ses fils et de contribuer à ladiffusion du droit.

Avant de terminer mon propos, je tiens à féliciter les organisateurs,notamment le Centre sous-régional des Nations Unies pour la démocratie etles droits de l'homme en Afrique centrale et le Centre international pour la justice transitionnelle, pour le pari de I'organisation, les participants pour leurassiduité et leur engagement, et mes collègues du gouvernement pour lasolidarité dont ils ont fait preuve.

En souhaitant aux participants étrangers bon retour dans leurs pays respectifs, je déclare clos le séminaire de Yaoundé sur la justice transitionnelle et je vousremercie de votre bienveillante attention.

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  Annexes – D. Auteurs

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D. Auteurs

Paige Arthur

Paige Arthur (États-Unis) est directrice adjointe de l’Unité de recherche du

Centre international pour la justice transitionnelle. Elle a auparavant étérédactrice adjointe de la revue Ethics & International Affairs  , et associée duprogramme « Éthique dans un Monde Violent » du Conseil Carnegie pourl’éthique dans les relations internationales. Elle a obtenu son doctorat enhistoire européenne à l’Université de Berkeley (Californie). Elle est aussidiplômée en relations internationales de l’Université Johns Hopkins. Elle aécrit sur la violence politique et les questions identitaires, en particulier dansle contexte de la décolonisation française. 

Mô Bleeker Mô Bleeker (Suisse) est chargée de la thématique traitement du passé et justicetransitionnelle à la Division politique IV (Sécurité humaine) du Départementfédéral des affaires étrangères de Suisse. Avant de travailler à Berne pour leDFAE, elle était conseillère pour la promotion de la paix au Guatemala.Anthropologue de formation, avec une spécialisation en sciences des religions,communication sociale et études de développement, elle accompagneconceptuellement et sur le terrain plusieurs initiatives dans le domaine dutraitement du passé, de la justice transitionnelle et de la transformation desconflits. Elle a travaillé auparavant plusieurs années dans le développement,les droits humains et l’interculturel et publié plusieurs écrits.

Dieudonné Diku Mpongola

Dieudonné Diku Mpongola  (République démocratique du Congo) est avocatau barreau de Kinshasa. Il œuvre également au sein de l'Observatoirecongolais des droits humains (lauréat du Prix des droits de l’homme de laRépublique française en 2002). A ce titre, il a mené une étude sur la possibilitéde créer des chambres spéciales mixtes au sein des juridictions congolaises,

qui a servi de base au séminaire organisé sur ce thème à Kinshasa en juin 2005.Il est maintenant chargé de rédiger un argumentaire sur ce sujet pour appuyerle plaidoyer en faveur des chambres spéciales mixtes auprès des autoritéscongolaises. M. Diku a également présenté une communication sur « Les défisde la justice transitionnelle en période électorale en République démocratiquedu Congo », lors d’un séminaire à l’attention de la presse en 2006.

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Nassera Dutour

Nassera Dutour  (France / Algérie) est d'origine algérienne mais est née enFrance et y a vécu une grande partie de son enfance, jusqu'à ce qu'elle décidede s'installer dans le pays de ses ancêtres. Suite à la disparition de son fils, en  janvier 1997, elle fait sa première apparition publique les 25 et 26 novembre1997, devant la Sous-commission de la promotion et de la protection des droitsde l'homme des Nations Unies. En 1998 elle a créé le Collectif des familles dedisparu(e)s en Algérie (CFDA), en lien avec le phénomène de disparitionsforcées qui a touché de plein fouet ce pays d'Afrique du Nord durant ladernière décennie. Le CFDA souhaite que la vérité sur les crimes du passé soitconnue et milite pour la création d’une Commission vérité et justice enAlgérie.

Eduardo González Cueva 

Eduardo González Cueva (Pérou) est expert en justice transitionnelle et endroits de l’homme auprès du Centre international pour la justicetransitionnelle ; il travaillé comme expert dans de nombreux pays d'Afrique,d'Asie, et d'Amérique latine. Auparavant, il a travaillé pour la Commission devérité et réconciliation du Pérou, en tant que responsable des témoignagespublics et de la protection des victimes et des témoins, et il a participé à larédaction du rapport final de la commission. Il s'est par ailleurs engagé enfaveur de la création de la Cour pénale internationale. Il est diplômé ensociologie de l’Université catholique du Pérou et la New School for SocialResearch de New York.

Louis Joinet 

Louis Joinet (France) est magistrat et Avocat général à la Cour de cassation. Ensa qualité d’ancien rapporteur de la Sous-commission de la promotion et de la

protection des droits de l'homme Nations Unies, il a été l’auteur du rapporttraitant de  La promotion et la protection des droits de l’homme par la lutte contrel’impunité  , et contenant en annexe un Ensemble de Principes pour la protection etla promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité (1997). Une partieimportante de ce document porte sur les processus de transition. Il a en outrecoordonné, aux éditions La Découverte, l’ouvrage collectif Lutter contrel’impunité : dix questions pour comprendre et pour agir. Il est actuellement expertindépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme enHaïti.

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Jacqueline Moudeina 

  Jacqueline Moudeina (Tchad), l'une des rares femmes avocates au Tchad,défend les victimes de l'ancien dictateur tchadien, Hissène Habré. Elle aengagé des poursuites au Tchad contre plusieurs de ses anciens collaborateurset elle est également l'une des avocates dans le procès intenté à Hissène Habréau Sénégal. Son engagement est fondé sur la conviction qu'aucun processusdémocratique ne peut être consolidé tant que les victimes sont privées de lavérité et de la justice. Victime d'un attentat au Tchad en 2001, alors qu'elleparticipait à un rassemblement pacifique, Mme Moudeina a été lauréate en 2002du Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l'homme.

Clotilde Ngendakumana 

Clotilde Ngendakumana (Burundi) est, depuis février 2006, assistante desprogrammes de Global Rights à Bujumbura, une organisation avec laquelleelle a travaillé dès mars 2002 en tant que consultante dans un programmed’assistance judiciaire. Suite à une formation juridique, elle a entamé en août1998 une carrière de magistrate au parquet de la Mairie de Bujumbura, et a étésubstitut du procureur de la République jusqu’en octobre 2001, puis substitutgénéral auprès de la Cour d’appel de Bujumbura jusqu'en mars 2002.Mme Ngendakumana est membre de l’Association des femmes juristes du

Burundi et de l’Association chrétienne contre la torture.

Joseph Sanane Chiko 

  Joseph Sanane Chiko (République démocratique du Congo) a exercésuccessivement des fonctions en tant que magistrat puis vérificateur desimpôts à la Direction générale des contributions jusqu'en 1993. Une année plustard, il s'est inscrit au barreau de Goma, où il a été élu bâtonnier en mai 2006.Il préside depuis 2005 la Ligue des droits de la personne dans la région des

Grands Lacs, une organisation régionale créée en mai 1993 et constituéeaujourd’hui par 27 organisations membres opérant au Burundi, en RDC et auRwanda. Il a effectué ses études de droit à l'Université de Kinshasa.

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  Annexes – D. Auteurs

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Lucien Toulou

Lucien Toulou  (Cameroun) enseigne à l’Université catholique d’Afriquecentrale. Docteur en science politique, ses recherches actuelles portent sur lesprocessus de sortie de crise à partir de deux orientations majeures : l’impactdes élections compétitives sur la transformation des conflits violents, ainsi quel’articulation des divers modes de transition politique avec les mécanismes de justice transitionnelle. Ancien boursier du programme du Centre internationalpour la justice transitionnelle au Cap, il a réalisé une étude sur l’état des lieuxet les défis de la recherche et des pratiques de la justice transitionnelle enAfrique francophone.

Wilbert van Hovell 

Wilbert van Hovell (Pays-Bas) occupe depuis 2004 le poste de conseillerprincipal en relations extérieures au sein du Bureau du procureur de la Courpénale internationale. Il a auparavant travaillé pendant 17 ans pour lesNations Unies en Afrique, en Asie et en Europe. Juriste de formation, il acommencé sa carrière en tant qu'avocat au barreau d'Amsterdam.

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  Bibliographie

183

Bibliographie

1. Poursuites pénales/responsabilité __________________________________184

2. Amnésie/amnistie/oubli/pardon/négation ___________________________185

3. Témoignages/Commissions de vérité et assimilés_____________________186

4. Travail de mémoire_______________________________________________187

5. Réparations/réhabilitation/réconciliation/reconstruction_______________187

6. Réformes institutionnelles ________________________________________188

7. Sites Internet ____________________________________________________188

8. International Documents _________________________________________189

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184

1. Poursuites pénales/responsabilité

AMNESTY INTERNATIONAL , Les assassinats politiques. Rapport sur la responsabilité des Etats , Paris : Seuil, 1983

AMNESTY INTERNATIONAL , L’inacceptable : disparitions et  assassinats  politiquesdans les années 80-90, la terreur, les victimes, pourquoi la terreur continue-t-elle ?Comment mettre un terme à la terreur ? Paris : EFAI, 1993

AMNESTY INTERNATIONAL/CODESRIA (Conseil pour le Développement de laRecherche en Sciences Sociales en Afrique) (avec la collaboration d’AgnèsCallamard), Surveiller et enquêter en matière d'assassinats politiques , Amsterdam :Amnesty International & CODESRIA, Dakar, 2001

ARENDT  , Hannah, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, Paris :Gallimard, 1991

BAZELAIN  , J. P., CRETIN  , T., La Justice pénale internationale, son évolution, sonavenir de Nuremberg à La Haye, Paris :  PUF, Coll. Criminalité internationale,2000

BOUCHET-SAULNIER  , Françoise, LAFFONT  , Frédéric,  Maudits soient les yeux fermés , Paris : ARTE Éditions/Lattès, 1995

BOURDON  , B., DUVERGER  , E., La Cour pénale internationale  , Seuil, 2000

BOUTRUCHE  , Théo, «Les tribunaux pénaux internationalisés ou l’émergence d’unmodèle de justice ‘hybride’ », inwww.weblaw.ch/jusletter/Artikel.jsp?ArticleNr=1587&Language=1

CENTRE DE DROIT INTERNATIONAL DE L’INSTITUT DE SOCIOLOGIE DE

L’UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES , Le procès de Nuremberg : conséquences etactualisation , Bruxelles : Bruylant, 1988

CHRETIEN , Jean-Pierre, Rwanda : les médias du génocide , Paris : Karthala, 1995

DELAGE  , C., La Vérité par l'image : de Nuremberg au procès Milosevic  , Paris :Denoël, collection Médiations, 2006

DUPAQUIER ,   Jean-François, La justice internationale face au drame rwandais ,Paris : Karthala, 1996

HAZAN , Pierre, La justice face à la guerre : de Nuremberg à La Haye , Paris : Stock,2000

 JOINET , Louis, Lutter contre l’impunité  , Paris : La Découverte, 2002

NARODETZKI , Jean-Franklin, Nuits serbes et brouillards occidentaux : introductionà la complicité de génocide , Paris : Esprit frappeur, 1999

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  Bibliographie

185

2. Amnésie/amnistie/oubli/pardon/négation

ABEL , Olivier, Le pardon : briser la dette et l'oubli , Paris : Autrement, 1991

ACAT/FRANCE (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), Impunité, justice, pardon. Actes du colloque, 8-9 mai 1993 , Paris : ACAT, 1994

BONAFINI – DE SANCHEZ , Une mère contre la dictature, Paris, 1999

FINKIELKRAUT  , Alain, L’avenir d’une négation : réflexion sur la question du génocide , Paris : Seuil, 1982

FINKIELKRAUT , Alain, La mémoire vaine , Paris : Gallimard

KADIMA KADIANGANDU  , Joachim, Les schémas du pardon pour la démocratie auCongo-Kinshasa , Paris : GIRAF, 2001

LEFRANC  , Sandrine, Politiques du pardon : amnistie et transitions démocratiques :une approche comparative, Paris : PUF, 2002

LEVI  , Primo, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris :Gallimard 

LEVI , Primo, Si c’est un homme , Paris : Gallimard, 1996

MARY , Claude, Une voix contre l’oubli , Paris, 1999

PONS , Sophie, Apartheid, l'aveu et le pardon, Paris : Bayard, 2000

SICHERE  , Bernard, Qu'est-ce que faire justice ? Juger, pardonner  , Paris : Bordas,2003

STORA  , Benjamin et HARBI , Mohamed (dir.), La guerre d'Algérie : 1954-2004, la fin de l'amnésie , Paris : Robert Laffont, 2004

STORA , Benjamin, La Gangrène et l'oubli : la mémoire de la guerre d'Algérie, Paris :La Découverte, 1992

TERNON , Yves, Du négationnisme. Mémoire et tabou , Paris : Desclée de Brouwer,1999

TUTU  , Desmond, Il n'y a pas d'avenir sans pardon  , Paris : Albin Michel, 2000(traduction française)

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186

3. Témoignages/Commissions de vérité et assimilés

ARENDT  , Hannah, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal , Paris :Gallimard, 1991

BARTH , Maurice (Éd.), Proyecto interdiocesano de recuperación de la memoriahistórica (Guatemala), L'enfer guatémaltèque 1960-1996 : le rapport de laCommission Reconstitution de la mémoire historique , Paris : CCFD/Karthala, 2000

COMMISSION D’ENQUETE SUR LES CRIMES ET DETOURNEMENTS COMMIS PAR L 'EX-PRESIDENT  , ses co-auteurs et/ou complices , ministère de la Justice du Tchad,Les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices : rapport de laCommission d'enquête nationale , Paris : L’Harmattan, 1993

DREYFUS , Paul, Pol Pot, le bourreau du Cambodge , Paris, 2000

DULONG  , Renaud, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle , Paris : Éditions de l’EHESS, 1998

GUTMAN , Roy, Bosnie : témoin du génocide , Paris : Desclée de Brouwer, 1994

HATZFELD  , Jean, Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais  , Paris : Seuil,2000

KIERNAN , Ben, Le génocide au Cambodge , Paris, 1998

MARCHAL , Roland, Justice et réconciliation , Paris : Khartala, 2004

MCCONNACHIE , Kirsten, Les Commissions de la Vérité et les ONG : Le partenariatindispensable. Les « Lignes Directrices Frati » pour les ONG s’engageant auprès desCommissions de la Vérité   , document thématique CDD-Ghana, Centreinternational pour la justice transitionnelle, 2004

L’enfer yougoslave : les victimes de la guerre témoignent , Paris : Belfond, 1994

REYCHLER  , Luc,Construire la paix sur le terrain , Bruxelles : GRIP, 2000

Plus particulièrement :- ASSEFA , Hizkias, « La réconciliation », pp. 290-297- HUYSE , Luc, « Amnistie, commissions de vérité ou de poursuites »,

pp. 275-283- HUYSE , Luc, « L’intégration du passé en Afrique du Sud », pp. 298-304- ZEHR , Howard, « La justice réparatrice », pp. 284-289 

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  Bibliographie

187

4. Le travail de mémoire

BARI , Nadine, Guinée, les cailloux de la mémoire , Paris : Karthala, 2003

BÜHRER , Michel, Rwanda : mémoire d’un génocide , Paris : Cherche-Midi, Unesco,1996

FERENCZI  , Thomas (dir.), Devoir de mémoire, droit à l'oubli ? 13e Forum LeMonde – Le Mans, 26-28 octobre 2001, Bruxelles : Complexe, 2002

FORGES , Jean-François, 1914-1998, Le travail de mémoire , Paris : ESF, 1998

GROSSER , Alfred, Le crime et la mémoire , Paris : Flammarion, 1989

HALBWACHS  , Maurice, La mémoire collective  , Paris : Albin Michel, 1997,nouvelle éd. revue et augmentée

MBEMBA  , J.M., L’autre mémoire du crime contre l’humanité   , Paris : PrésenceAfricaine, 1991

OSIEL , M., Juger les crimes de masse: la mémoire collective et le droit , Paris, 2005 

RICOEUR , Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli , Paris : Seuil, 2000 

TRAVAIL DE MEMOIRE , 1914-1998 : une nécessité dans un siècle de violence , Paris :Autrement, 1999

VERGES  , Françoise, Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leursabolitions : Rapport à Monsieur le Premier Ministre, Paris : La Découverte,2005

5. Réparations/réhabilitation/réconciliation/reconstruction

ALTOUNIAN  , Janine, La  survivance. Traduire le trauma collectif   , Paris : Dunod,2000

AMERIE  , Jean, Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour surmonterl’insurmontable , Paris : Actes Sud, 1995

KADARE , Ismaïl, Il a fallu ce deuil pour se retrouver. Journal de la guerre du Kosovo,Paris : Fayard, 2000

MOREAU DEFARGES  , Philippe, Repentance et réconciliation  , Paris : Presses deSciences Po, 1999

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

188

PIQUET  , Martine, REDONNET  , Jean-Claude, TOLRON Francine, L'idée deréconciliation dans les sociétés multiculturelles du Commonwealth : l'exemple de

l'Afrique du Sud, de l'Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande dans les années1990, Paris : Armand. Colin/Poitiers : CNED, 2002

6. Réformes institutionnelles

FRAIPONT  , Ariane, « L'ambiguïté des lustrations en République tchèque », Transitions, vol. 39, n°1, 1998, pp. 87-110

GAILLARD , Anne-Marie, « La réponse institutionnelle chilienne aux défis posés parle retour des exilés », Autrepart, n°5, 1998, pp. 121-135

HASSNER  , Pierre, « Institutions, États, sociétés, une culpabilité partagée »,  L’ex-Yougoslavie en Europe. De la faillite des démocraties au processus de paix , Paris :L’Harmattan, 1997, pp. 45-58

« Les politiques de la haine : Rwanda, Burundi 1994-1995 », Temps modernes,vol. 50, n°583, juillet - août 1995

RAVENSWOOD , George, « L’Afrique du Sud en transition », Études, mai 1997, pp.591-598

TREMBLAY , P., « La transition politique en République Démocratique du Congo : unechance historique », Droits et démocratie, avril 2004

7. Sites Internet

www.ihej.org L'Institut des Hautes Études sur la Justice (IHEJ) est uneassociation régie par la loi de 1901, subventionnée par le Ministère de la  Justice. Il a été créé en 1990. Son siège est à Paris dans les locaux de l'ÉcoleNationale de la Magistrature.

www.ridi.org/adi/ Actualité et Droit International

http://asffrance.multimania.com/ Avocats Sans fFrontières France

http://www.fondationshoah.info/

http://usinfo.state.gov/journals/itdhr/0596/ijdf/frhrej05.htm De l'importancedes tribunaux pénaux internationaux Par Neil J. Kritz, Diplomatie Judiciaire :Chroniques et reportages sur la Justice Pénale

http://www.diplomatiejudiciaire.com/

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  Bibliographie

189

http://www.ichrdd.ca/ Droits et Démocratie

http://www.fidh.org/ Fédération internationale des ligues des droits deI'homme

www.ceri-sciences-po.org/cherlist/pouligny/index.htm Ils nous avaient promisla paix. Opérations de l'ONU et populations locales, Paris, Presses de Sciences Po,2004

http://www.ceri-sciences-po.org/themes/pouligny/vf/home.htm « Faire la Paixaprès des massacres ». L'objectif central de ce projet est le développement d'unmodèle d'analyse et d'intervention pour aider à la reconstruction de sociétés làoù des massacres de grande ampleur ont été commis.

http://europa.eu.int/index_fr.htm Horizon,  journal de la Maison des droits del'homme Paris X-Nanterre, 5FF le numéro l’Union européenne en ligne

http://www.osce.org/docs/indexf.htm La Bibliothèque de l’OSCE

http://www.echr.coe.int/ La Cour européenne des droits de l’homme

http://www.hrw.org/french/themes/habre.htm L'affaire Habré, Human RightsWatch

http://www.maghreb-ddh.sgdg.org/ Le Maghreb des droits de l’homme

(Tunisie, Maroc, Algérie)

http://www.eudh.org/fr/ L'Encyclopédie Universelle des Droits de l'Homme

http://www.swisspeace.ch/typo3/en/peacebuilding-activities/koff/topics/dealing-with-the-past/index.html Traitement du passé etréconciliation, un site qui contient à la fois des informations sur des processusde terrain, des documents internationaux ainsi que de l’information sur desévènements dans ce domaine.

8. International Documents

NB: Sources citées en anglais ; disponibles en anglais et en français (ainsiqu’en d’autres langues) sur le site des Nations Unies : www.un.org

BASSIOUNI  , Cherif, The Right to Restitution, Compensation and Rehabilitation forVictims of Gross Violations of Human Rights and Fundamental Freedoms ,E/CN.4/2000/62

HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS , The Right to a Remedy and Reparation

  for Victims of Violations of International Human Rights and Humanitarian Law ,E/CN.4/2003/63

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La justice transitionnelle dans le monde francophone

190

 JOINET  , Louis, Final Report. Question of the Impunity of Perpetrators of HumanRights Violations (Civil and Political) , E/CN.4/Sub.2/1997/20

 JOINET  , Louis, Revised Final Report. Question of the Impunity of Perpetrators of Human Rights Violations (Civil and Political)  , E/CN.4/Sub.2/1997/20,E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1

ORENTLICHER  , Diane, Independent Study on best Practices, includingRecommendations to assist States in Strengthening their Domestic Capacity tocombat all Aspects of Impunity , E/CN.4/2004/88

ORENTLICHER  , Diane, Report of the Independent Expert to update the Set of Principles to combat Impunity , E/CN.4/2005/102

ORENTLICHER  , Diane, Report of the Independent Expert to update the Set of Principles to combat Impunity. Addendum. Updated Set of Principles for theProtection and Promotion of Human Rights through Action to combat Impunity ,E/CN.4/2005/102/Add.1

UN  SECRETARY-GENERAL REPORT , The Rule of Law and Transitional Justice inConflict and Post-Conflict Societies , S/2004/616

VAN BOVEN  , Theo, Study concerning the Right to Restitution, Compensation, andRehabilitation for Victims of Gross Violations of Human Rights and Fundamenta l

Freedoms, E/CN.4/Sub.2/1993/8VAN BOVEN  , Theo, Revised Set of Basic Principles and Guidelines on the Right toReparation for Victims of Gross Violations of Human Rights and Humanitarian Law ,E/CN.4/Sub.2/1996/17

VAN BOVEN  , Theo, Basic Principles and Guidelines on the Right to Reparation forVictims of Violations of Human Rights and International Humanitarian Law ,E/CN.4/1997/104

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