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 AUTOM · NE 948 P RIS

La Licorne

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la licorne

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L LICORNE

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C HIERS TRIMESTRIELS

DE LITTÉRATURE PUBLIÉS

SOUS L

DIRECTION

DE

SUS N SOCA

TEXTES RÉUNIS PAR

ROGER CAILLOIS  PIERRE D VID

PIERRE

LEYRIS

BT SHBRB N

SIDBRY

L

LI ORNE

III. utomne 1948

r

I bis,

rue de Beaujolais

P RIS

- l 

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  ommaire

JORGE GUILLEN: POEMES

ROBERT MUSIL: L E

MERLE

SOR JUANA INES

DE

LA

CRUZ:

LETTRE

AUTOBIOGRAPHIQ

UE

présentée par

SUSANA SOCA

ROGER CAILLOIS: lli PACE

AMERICAIN

JORGE ROJAS: SONNETS

ALEXIS REMIZOV:

LETTRE

A DOSTOIEV SKI

PIERRE JEAN JOUVE: CHEMIN

Dlli

ARTISTES

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  oèmes

par

JORG GUILL N

T

radtuliofl

de l  IPII 'OI dt

Jules upervielle

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EL IRE

Aire : nada, casi nada,

0 con un ser muy secreto,

0 sin materia tal vez,

Nada, casi

fda

: cielo.

Con sigilo

se

difunde.

Nadie puede ver su cuerpo.

He aru su misma Idea.

Aire claro, buen silencio .

Hasta el espiritu el aire,

Que es ya brisa, va ascendiendo

Mientras una claridad

Traspasa

l

brisa al vuelo.

Un frescor de trasparencias

Se desliza como un témpano

De

luz que fuese cristal

Adelgazandose en céfiro

Qué celeste levedad,

Un aire apenas terreno,

Apenas une blancura

Donde lo mas puro es cierto

1

L AIR

L  air n'est rien ou

presque

rien,

A

moins qu

  il ne se

dérobe

,

Sans matière,

en

tm secret.

Rien ou presque rien

, le

ciel.

Cauteleux

il se répand

Nul ne

peul

lui voir

le

corps.

Ces/ ainsi qu il s'es/

voulu

De l air

clair, un bon

si/mee.

Jusqu'à devenir esprit,

Se faisant

brise,

il s'élève

Cependant qu'une clarté

Traverse la brise

au vol.

La

raîcheur

des transparences

Gliss

e comme d ut

glacier

De lumière, son cristal

ajftne

jusqu'au

zéphyre.

Céleste légèreté,

Un air

à

peine

Je eslre

Ces/ à

peine

une blancheur

s'ajftrme le plus pur.

l

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Aire noble, que sc otorga

Distancias, alejamientos.

Ocultando su belleza

No

quiere parecer nuevo.

Aire que respiro a fondo,

De

muchos soles muy denso,

Para mi avidez actual

Aire en que respiro tiempo.

Aquellos dias de entonces

V agan ahora disueltos

En

este esplendor que impulsa

Lomas leve hacia lo eterno.

Muros y cerca del campo

Guardan ocres con reflejos

De tardes entemecidas

En

los altos del recuerdo.

Cômo yerra

por

la atmôsfera

Su dulzura, conduciendo

Los pasos y las palabras

Adonde van sin saberio

Algo cristalino en vias

Quiza de enamoramiento

Busca en un aura dorada

Sendas para el embeleso.

2

ir seigneur, lui qui

s adjuge

Des distances, des lointains,

Dissimulant sa

beauté

Pour

ne pas paraître

neuf.

ir

que je

respire

à fond

Tanf de soleils l ont fait

dense

Et, pour

plus

d avidit

é,

ir

où le

temps

se

respire.

Et tous es

jeux

d autrefois

Rôdent

maintenant dissous

Dans

cette

splendeur

que

pousse

Un soujjle vers l éternel.

Des murs près de la

campagne

Gardiens des ocres reflètent

De

tendres

après-midis

ux

cimes du souvenir.

Comme

elle erre

sa douceur

Dans l atmosphère elle guide

Les pas comme

les paroles

Qui

vont

l air sans

savoir.

C

est du

cristal

mais en voie

De

devenir amoureux.

Il

cherche

une aura

dorée

Et

des sentiers

pour

l extase.

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Respirando, respirando

Tanto a mis anchas entiendo

Que gozo del paraiso

Mas embriagador:

l

nuestro.

Y la vida, sin cesar

Humildemente valiendo,

Callada

va

·

por

él aire,

Es aire, simple portento.

Vida, vida, nada mas

Este soplo que da aliento,

Aliento con una f :

Si, lo extraordinario es esto.

Esto : la luz en

l

aire,

Y con l aire

un

anhelo.

i Anhelo de tras·parencia,

Sumo bien Respiro, creo.

Mas alla del soliloquio,

odo

·

m

amor dirigiendo,

Se abalanzan los balcones

Al aire del universo.

i

Balcones como vigias

Rasta de los mas extremos

Puntos que la tarde ofrece

Posibles, amarillentos

14

Je

respire,

je

respire

Si àfond

que

je me

vois

Jouissant

du paradis

Par excellence

, le

nôtre

.

Et la

vie,

la

vie

sans cesse

Qui

vaut

par

l humilité

Va

taciturne

dans

l air,

Cet air,

e

prodige

simple.

C est de

la vie, rien

de

plus.

Ce souffle où naît

notre

souffle ,

Un souffle

avec

une

foi,

Oui, et

voilà la

metveille.

Voilà :

lumière

dans l air

Et

avec / air un

déSir

,

Un soupir de transparence

Suprêm

e.

Je crois,

je

respire

.

u delà

du

soliloque

Et

dirigeant mon amour

S élancent tous

les balc

ons

Dans les airs de l 

univers

.

Des balcons ou des vigies

Venant

même

de

ces

points

Extrêmes

à

peine

possibles

Et dans

le

soir, jaunissants.

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Mis ojos van abarcando

La ordenacion de lo inmenso.

Me la entrega

el

panorama

Profundo cristal de espejo.

Entre

el

chopo

y

la ribera,

Entre

el

rio y el remero

Sirve, transicion de gris,

Un aire que nunca es término.

i

Margenes de la hermosura

A través de su despejo,

El trope de pormenores

No

es trope . ;Qué bien sujeto

Profundizando en

el

aire

No estan solos, estan dentro

Los jardinillos, las verjas,

Las esquinas, los aleros

En

el

contorno del limite

e complacen los objetos,

Y su propia desnudez

Los redondea: son ellos.

j

Islote primaveral,

Tan verdes los grises Fresnos,

Aguzando sus ramillas,

Tienden un aire mis tierno.

16

Et mes

yeux

vont contenant

L'ordonnancement immense,

Panorama

retrouvé

ux prifondeurs du

miroir.

Entre /'arbre

et

le miroir,

La

rivière et le rameur

L air

qui

n'est jamais

un

terme

,

Sert

de transition en gris.

marges

de

la beauté

A

travers

son

éclaircie

La

oule

de cent détails

N est point foule.

Nul

désordre

S'approfondissent dans

l air

Pour mieux se

sentir dedans

Les jardinets

et

les grilles,

Les

coins

de

rue, les auvents.

Contournés par

leurs limites,

Se complaisent

les

objets

Et

leur propre nudité

Les parachève: ils

sont

eux,

C'est

un îlot

de

printemps

Si

verts, les

gris/

Et des

frênes

En

aiguisant

leurs

branchettes

Nous

tendent

un air plus

tendre.

17

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El soto.

La

fronda. Limpidos,

Son esos huecos aéreos

Quienes mejor

me

serenan,

Si a contemplarlos acierto.

Feliz el afan, se colma

La tension de un dia pleno.

Volfunenes de follajes

Alzan

un

solo sosiego.

Torres

se

doran amigas

e las mieses y los cerros,

Y entre la luz y las piedras

Hay retozos de aleteos.

En bandadas remontandose

Juegan los pajaros. Vedlos.

Todos van, retornan, giran,

Contribuyen

al gran juego.

Juego tal vez de una fuerza

No

muy solemne, tanteo,

De formas que sî consiguen

La perfecci6n del momento

Esta perfecci6n, tan viva

Que se extiende al centelleo

Mas distante, me presenta

Como una red cuanto espero.

8

Bois,fiuillages, si limpides

Sont ces

cre11x

aériens

Et comme ils

me rassérènent

Lorsque je

sais

les aimer.

Hetmux

l'élan,

comme il

comble

La

tension d'tm jour

trop

plein/

Des volumes de feuillages

Se haussent

en

un seul calme.

Les tours

se

dorent, amies

Des moissons

et des

coteaux,

Pierres,

lumière Entre

vous,

Des halètements s'ébrouent.

En

bandes qtJi

se dépassetJ/

]o11ent

les

oiseaux. V oyez-les.

Tous vont, viennent

ou

bien virent,

Collaborent

atl grand jeu.

Jeu

peut-

être

d'une force

Sans solennité, ébauche,

Mais

des formes qui

atteignent

La perfection

de l instant/

Cette

perfection

si

vive

Qr

elle

atteint

e qui scintille

Tout au loin,

et me présente

Comme

un ftlet mon attente.

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j Aquel desgarron de sol

Arden nubes

y no

lejos.

Mientras sin saber por qué 

Se ilumina

mi

deseo.

Arbolados horizontes

- Verdor imperecedero

  an

sus cimas al dominio

Celeste gloria en efecto.

.Gloria de blancos y azules

Purisimos  violentas

Algazaras de celajes

Que anuncian dioses

y

fuegos.

La realidad por de pronto

Sobrepasa anuncio

y sueô o

Bajo el aire por el aire

Ceiiido de firmamento.

El aire clara es quien sueiïa

Mejor.

j

Solar de misterio

Con su creacion el aire

Me cerca. iDivino cerco

A una creacion continua

- Soy del aire - me someto.

j

Aire en trasparencia Sea

Su sefiorio supremo.

1

Ce

grand

lambeau de soleil,

Des

nuages

flambent,

là/

t

sans

trop

savoir pourquoi

S illumine mon désir.

Des bosquets, des horizons,

- Impérissable verdeur -

Donnent

cimes au domaine

Céleste, lui donnent gloire/

Gloire

de

blancs et

de bleus

Les plus p

urs, les

plus violents,

Réjouissance de nuages

Prémrsmrs de dieux,

de

feux.

La réalité soudain

Passe l annonce et

le

rêve

Sous

les

airs comme da

ns

l air

Que

cerne

le

firmament.

L air

est

clair pour mieux rêver

Territoire

du mystère

t l air, de sa

création

M encercle. Oh le clos divin/

La création

contintte

Fils de l air, je m y soumets

L air, transparence/ Que soit

Sa

suprême seignetlriel

2.1

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LOS

AIRES

D amas altas, calandrias

Junt en su elevaci6n

Algazara y montana,

Todavia crecientes

Gracias a la maiiana

Trémula del rocio,

Tan candida

y

sin tasa,

Bajo el cielo inventor

De distancias, de fabulas.

Libertad de la luz,

Damas altas, calandrias,

Lo

ru bio, lo ascendente

Sean asi la traza

Tan

simple aun, clarisima,

De

las profundas Nadas

Gozosas de los aires,

Con un alma inmediata,

Si visible, total

Ah para la mirada

De los siempre amadores.

Damas altas, calandrias

LES AIRS

D ames hautes, calandres/

Mêlez

votre

altitude/

Ramages et

montagnes

S associent

pour grandir

Dans

le

matin qui tremble

D une

immense

rosée,

Candide et sans mesure

Sous

le

ciel

inventeur

De distances, de

Jables.

Libres

dans la

lumière,

Dames hautes, calandres,

Air

doré,

ascendant/

Suivez ainsi la trace

Si

simple

encor si

claire

De

ces

riens

si

profonds

Et si

friands de l air.

Lmr

âme est immédiate,

Oui,

visible,

totale,

Ab pour le seul

regard

Des

toujours

amoureux.

Dam es

hautes, calandres/

3

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  e

Merle

p r

ROBERT V MUSIL

Tradtution de l allemand dt

Philippe Jacottet

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NOTE

Robert Mu

sil est né en

18

So à Klagenfurt

(Autriche)

et mort à

Genève en 194> . Son œuvre

principale,en trol s volumes , intitulée Der Ma tn ohne

i genuhaflt

n

 

a tenu une audience européenne

t s est vue souvent citer à côté des œuvres de

Proust et de Joyce pour sa hardiesse et sa nouveauté.

Il est encore impossible aujourd'hui d 'en mesurer

l'inlluence. Elle unit

à

une surprenante indépen-

dance dans l pensée

et

la critique de la civilisation

une

tr

ès gra

nd

e force de création

po

étique e t repré

sente, de l'avis unanime des connaisseu

rs

, une œuvre

clef dans la sit uation de l'esprit européen.

u Merlt a paru pour la première fo is en 9z8 à

la • Neue Rundscluu S Fischer, Berün ' ·

L  Sdeux hommes dont l faut bien que je commence par faire mention (s

voir relater

tr

ois petites histoires dont il importe de conna tre le nar

amis d'enfance; appelons-les

Aun et

Adeux. Car,

au

fond, une amitié d'enfa

mesure

qu'on

vieillit, chose plus singulière: les années ont beau vous cha

à la tête,

et

le moindre poil comme le

fond

du cœur, les-relations réciproque

pas moins remarquablement égales

à

elles-mêmes, pareilles en cela aux rapp

tient chacun de nous avec les messieurs successifs auxquels il donne

tour

Sans doute n'est-il pas question

de

vouloir

qu'on

ait gardé les réactions du

à grosse tête

et

à

cheveux blonds qui fut photographié jadis, non; on ne p

dire, au fond, qu'on tienne beaucoup à cette petite hottent stupide qui fu

va

pa

s autrement avec les meilleurs amis

du

monde :

qui ne

s'entenden

déçoivent mutuellement,

et dont

beaucoup

ne

peuvent même pas se sou

certain sens, •Ce sont même là, quand l'élément mystérieux se garde pur d

les amitiés les meilleures et les plus profondes.

La jeunesse qui avait fait d'Aun et d'Adeuxdes amis n'avait tien eu de très

qu'ils eussent été élevés tous les deux dans un institut

l'

on

se flattait

d

principes religieux l'importance convenable; mais les élèves mettaient toute

à n

'en pas tenir compte. Un exemple: l'Institut avait son église, une belle

comme il faut, avec

une tout de

piètre,

et

.

qui

était réservée exclusivemen

de

'.éco

le

. Aussi, comme jamais étranger n

'y

mettait les pieds, était-il tou

à quelques acolytes - tandis

qu

e les autres aux premiers bancs s'agenouillai

vaient tour

à

tour, selon que l'exigeaient les rites - de jouer ailx cartes derr

confessionnaux, de fumer des cigarettes sur l'escalier de l'orgue

ou

de file

1

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q ~ i poruit sous son toit pointu, à la man.ihe d un dessous de bougeoir,

un

balcon de

pterz:e

sur la balusttade .duquel, à une hauteur vertigineuse,

e x ~ c u t a i e n t

des acrobaties qui

a u N ~ e n t pu

cofiter

la

vte

de

moindres pécheurs.

L un

de ces à Dieu consistait:\ se dresser,

par

une lente tension des muscles, sur

la balusuade en regardant en bas, et à

se

balancer un moment de bout sur les mains· tous

ceux qui ont e x ~ t ~ cette acrobatie à terre mesureront combien il faut d a s s u r a n ~ e de

t ~ m é r i t é et de chance pour la rééditer sur un rebord de pierre large d'un pied, r o u ~ au

haut d'une t ~ u r .

n a ~ t ~ a i l l e ~ r s

ajouter que bien des gars,

parmi

les plus turbulents

et

les

plu

s adroits, ne s y n s q u ~ e n t pas, alors

que

c'efit ~ t ~ une simple promenade

pour

eux q ~ e de

a r c h e r

sur les mams à terre. Aun , par exemple, ne le faisait pas. Par contre

v ~ d à

qu1

peut nous servir

pour

la

pré

sentation du narrateur),

c ~ t a i t

Adeux qui avait

tmagmé, dans son adolescence, cette épreuve de caractère. Il

t a i t

difficile de trouver deux

corps comme le sien. Ce n ~ t a i t pas tellement le sport, comme à tant d 'autres, qui lui avait

donné des muscle

s

que la nature qui paraissait l 'en avoir to

ut

tressé, sans autre effort.

Li dessus venait une tête étroite, plutôt petite, avec des yeux qui étaient des éclairs

enrobés de velours, et des dents qui évoquaient, plus que la

s u a v i t ~

mystique, l'éclat

dur

de la bête en chasse.

P l ~ s tard, u n ~ fois étudiants, les deux amis se prirent d'enthousiasme

pour un

de ces

m a t ~ i a l i s m e s qw, en renonçant à l'âme et à Dieu, considèrent l'homme comme une

simple

m a ~ b i n e

phys ologique ou économique, ce que, d'ailleurs, il est peut-être réel

lement; s de .cela, ils se souciaient pas le moins

du

monde, parce que le charme de

telles ~ h i l o s o p h i e s .és1de pas tant dans leur v ~ r i t é que

dan

s

un

quelque chose de

é m ~ > n u q u e , de s l l D l s t e qu'elles ont, attristé d'intellectualisme. Les re.ations qu'ils entre

tenaient alors

~ t a l e n t

déjà devenues une amitié d'enfance. En effet, .Adeux était étudiant

en

a g ~ n o ~ et

parlait de partir \ l'étranger, en Russie

ou

en Asie, c o=e ingénieur

fores.uer, Sltot .ses études terminées; tandis

que

son :tmi,

s ~ t a n t

déjà choisi de moins

puérils enthousiasmes, se dépensait au service d un mouvement OIIVrier assez ambitieux

Lorsqu'ils r e t r ~ u ~ è r e n t , peu avant la Grande Guerre, Adeux avait déjà ses e x p é r i e n ~

russes

den:he

lut; il en _Parlait peu, avait trouvé un emploi dans les bureaux de quelque

~ r a ~ d e s o c 1 é t ~ et e ~ b l r u ~ avoir essuyé

de

sérieux déboire

s

encore que sa situation suffit

:t lw assuree une pettte v1e bourgeoise. Mais son ami d'enfance, entre temps, avait lâché

la lutte des classespour publier un journal où l on ne parlait que de paix sociale

et

qui était

entre les.mains d 'un homme d'argen t. Dès lors, ces inséparables n'éprouvèrent plus que

du mépr1s l'

un

pour l 'autre, mais se perdirent de

vue

encore une o s et lorsqu'enfin ils

se r e t r u ~ è r e n t ensemble

pour un

peu de temps, Adeux fit le r ~ c i t qui suit

à

la man.ière

dont

on vtde devant un amiun sac de souvenirs pour ne pas se remettre en route avec sa

besace pleine. Dans ces.circonstances, les répliques de l'autre n'importent guère,

et on

peu.t relater leur. entreuen presque

en

monologue. D serait plus important d':trri

ver

à dire avec exaeutude de quoi Adeux avait l'air à ce m o m e n t - ~ car, si l'on veut bien

28

comprendre

ses

paroles, une impression directe est presque indispensable. Mais c

pas facile. Tout

au

plus p o u t t a i t ~ n hasa.rder qu'il rappelait une de ces minces b

nerveuses qui, posée sur sa poin te flexible, serait appuyée à une paroi;

d ns

cett

tion mi-dressée, mi-affaissée, il paraissait se sentir bien.

- Parmi les lieux les plus singuliers du monde, dit Adeux, il faut compter ces

de

Berlin

où deux, trois, quatre maisons se montrent leur derrière, et des cuis

chantent, assises au milieu d un trou carré, entre quatre murs. Rien qu'à voir les ba

de cuisine en cuivre rouge sur les rayons, on devine le vacarme qu'elles doivent

Tout au fond, une voix d'homme braille des injures à une des filles d'en haut, o

il y a

de

lourds sabots qui arpentent le carrelage sonore. Lentement. Rudement

repos. Sans raison. Sans cesse. N'est-ce pas bien

ça?

Les cuisines

et

les chambres à coucher donnent donc sur ce trou; toutes proch

unes des autres, comme l amour et la digestion dans Je corps humain. Etage par

les lits nuptiaux sont posés les uns au-dessus des autres; car toutes l

es

cham

coucher de l 'immeuble ont la même situation, et la paroi de la fenêtre, celle de

de bains, celle de l'armoire, déterminent la place du lit à un demi-mètre près. De

étage

par

étage, les salles à manger s'entassent les unes s ur les autres, les sal

bains avec leurs carreaux blancs et les balcons avec l'abat-jour rouge. L'amour, le

meil,

la

naissance,

la

digestion, les revoirs inattendus, les nuits de souci et les nu

fête, s'empilent dans ces maisons comme les petits pains en colonnes dans les

i s t r

automatiques. Chacun, dans ces appartements pour

c l a s s ~

m o y e r m ~ t r o ~ ~ e son

tout fait quand il emménage. Tu m'accorderas que la liberté humrune

r e s 1 d ~

pn

lement dans le où et le quand

d un

acte car leur matière même est presque touJour

tique; alors, quand on uniformise jusqu'au plan même de tout, cela a sacrée

tance. Je

suis

grimpé

une

fois sur une armoire, uniquement pour expl01tcr la ve

et

je t'assure que,

de

là-haut,

la

conversation désagréable

que j

avais à tenir se pré

tout

autrement.

A

ce souvenir, Adeux se mit à rire et se versa à boire; Aun pensait qu'ils

installés sur un balcon avec un abat-jour rouge qui faisait partie de son appart

mais

il

ne dit rien, parce qu'il savait trop bien ce qu'il aurait

pu

objecter.

J e econnais d'ailleurs aujourd'hui encore q u'il y a dans cette régularité quelque

de puissant, concéda Adeux spontanément, et je croyais alors retrouver dans ce

go

grandes masses nues quelque chose comme le gollt du désert ou de la mer; un a

de Chicago, bien que l'idée seule m en soulève le cœur, c'est tout de même autre

qu'un petit pot de lieurs Mais l

 é

tonnant était que dans le temps même où

j ~ v

appartement, je pensais plus souvent que de coutume

à

mes parents.

Tu

te souvte

j'avais autant dire perdu tout contact avec eux; mais il y eut alors tout à coup da

tête une phrase : lis t ont

dt nné

l vie

et

cette phrase comique me revenait de tem

temps comme une mouche qn'on n'arrive pas à chasser. Il n

 y

a rien

de

bien par

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à remarquer dans cette formule papelarde qu on nous inculque dès l'enfance. Mais, quand

je considérais mon appartement, je disais alors

tout

de même :

Eh

bien 1 voilà que

tu

as

acheté ta vie, pour

tant

et

tant de lo

yer annuell Peut-être disais-je aussi, quelquefois:

Maintenant, tu t'es créé une vie par tes propres forces 1 Cela tenait ainsi le milieu entre

l'épicerie, l'assurance-vie et la fierté. Et pourtant, il me parut alors extrêmement curieux,

mystérieux même,

qu il

y

eût

quelque chose qui m'avait été donné, que je le voulusse ou

non, et que ce quel

que

chose

fût

encore,

par

dessus le marché, le fondement de

tout

le

reste. Je crois

que

cette phrase recélait

un

trésor irréductible à

tout calcul,

à toute règle,

que

j'avais enfoui.

Et

c'est alors qu'il y eut l'histoire du rossignol.

Elle commença

par

un

soir

comme beaucoup d'autres.

J

étais resté

à la

maison et

m'étais assis, après qu e

ma

femme

fût

allée se coucher, dans la grande chambre; la seule

différence qu'il y

eût

avec d'autres soirs semblables, c'est

peut

-être

que

je

ne

touchai

à

rien, pas même à

un

livre; mais

cela

aussi était déjà arrivé. A partir

d une

heure, la rue

commence à devenir plus tranquille, l

es

conversations se font rares; c'est joli de

suivre

d un

e oreille les progrès

de

la nuit. A deux heures, du bruit

ou

des

rir

es en bas,

signifient déjà ivresses ou rentrées tardives.

Je me

rendis compte que j

 a

ttendais quelque

chose, mais je ne pressentais pas quoi. Vers trois heures, on était en mai, le ciel commença

à s'éclaircir; je traversai à tâtons l'appartement

obscur

jusqu'à la chambre à coucher et

m'étendis sans faire de

bruit

.

Je

n'attendais plus maintenant

que

le sommeil,

et

dans

le matin

tout

proche,

un

jour comme les autres jours. Bientôt je

ne

sus plus si je veillais

ou si je dormais. Entre les rideaux et les fentes des persiennes, une ombre verte en.fia

l'écu

me du

matin laissa glisser ses minces torsades blanches au travers. Il est possible que

ç'ait été là ma dernière impression

de

veille ou déjà une paisible vision de rêve. Alors, je

fus réveillé par quelque chose qui approchait; c'étaient des sons.

Encore

saoul

de

sommeil,

je le constatai une première fois, une deuxième. Ils étaient posés sur le faîte de la maison

voisine et jouaient dans l'air comme des dauphins. J'aurais pu dire aussi : comme des

fusées dans un feu d'artifice; l'impression de fusées, en effet, se prolongeait; dans leur

chute, ils éclataient doucement contre les vitres

et

se noyaient dans la profondeur

comme des étoiles d'argent. Je me sentais maintenant dans un état magique; j'étais couché

dans mon lit comme un personnage sur la dalle de son tombeau,

tout

éveillé, mais autre

ment

qu on

ne

l est

en plein jour.

C est t ès

difficile à décrire, mais,

quand

j'y pense, c'est

comme si quelqu'un m'avait mis sens dessus desso

us; au

lieu d 'être en relief, j'étais comme

quelque chose d'enfoncé.

Et la chambre elle-même n'était pas creuse, mais faite d une

matière qui n'existe pas parmi les matières du jour, une matière noire à la vue et noire au

toucher dont j'étais fait moi aussi. Le temps battait à petits coups rapides comme le pouls

d un

fiévreux. Po urquoi n'arriverait-il pas main tenant ce qui, sinon, n'arriv e jamais? -

C'est un rossignol, ce qui chante là, me dis-je à demi-voix.

Eh

bien continua Adeux, il y a peut-être à Berlin plus de rossignols

que

je ne pensais.

Je crus alors

qu il

n'y en avait

point

dans ces montagnes de pierre, et que celui-ci était

JO

venu de très loin vers moi. V ers moi 1 e le sentais,et je me dressai sur mon lit

-

Un

oiseau

du

ciel Il y en a

donc

vraiment Danc ces moments-là, vois-tu

naturellement

prêt

à croire au surnaturel; c'est comme

si

l'on avait passé

so

pays des contes de fées. Immédiatement, je pensai: je suivrai le rossignol. A

pensai-je, adieu, aimée, maison, ville Mais je ne m'étais pas encore levé de

je ne savais pas enco.re très bien si j'allais rejoindre le rossignol en montan

ou

le suivre en bas dans les rues, que l'oiseau s'était

tu

et, sans

doute

envo

Maintenant, il chantait

sur un

autre toit,

pour un

autre dormeur. Adeux

Tu vas croire que l'histoire finit là?

Or

c'est maintenant seulement qu'elle

et j'ignore comment elle doit finir

J en étais resté comme orphelin, le découragement m 'accablait. Ce n'étai

un rossignol, c'était

un

merle;

me

disais-je;

tout

comme tu brûles

de

le

dire

tout

le monde le sait, imitent les autres oiseaux. J'étais maintenant complètem

le silence m'ennuyait. J'allumai une bougie et considérai la femme qui éta

côté de moi. Son corps avait

une

couleur

de

brique pâle.

Le

bord blanc de l

était sur la peau comme

une

bande

de

neige.

De

larges lignes d'ombres

autour de son corps et

on

ne comprenait pas bien d où elles venaient, en

dussent

dép

endre, naturellement, de la bougie et de la position de mon bras.

que cela peut

bien fai.re pensai-je en la regardant, que ce

n ait

été

v ~ e n t

Au

contraire,

qu il ait

suffi d un simple merle

pour

me rendre à ce

pomt

fou,

bien plus grave Tu sais bien qu on ne pleure qu'à une simple déception

double, on réussit toujours à resourire. Et cependant je ne cessais de regarde

Tout cela tenait ensemble

tout

seul, mais je ne sais comment. Pendant

pensais-je, je t'ai

aimée

plus que

tout

au monde, et maintenant

tu es c o u c h

une cartouche brûlée de l'amour. Maintenant, tu m'es devenue tout à fa

maintenant, je suis ressorti à l'autre extrémité de l'amour. Etait-ce du dégo

rappelle pas avoir jamais ressenti de dégoût.

Et

je te décris ça

o ~ ~

si

pouvait percer

le cœur

comme

on

perce

une

montagne;

de

1autre cote de

a un autre mond e avec la même vallée; les mêmes maisons, les mêmes petits

au fond, je ne savais tout simplement pas ce que c'était. Aujourd'hui même

pas encore. Peu t-être ai-je tort de rattacher cette histoire à deux autres qui

Tout

ce

que

je puis

te

dire, c'est l'impressi

on que

je ressentis quand je la

comme si

un

signal m'avait atteint, lancé

je ne

sais

d où

..

Je posai ma tête à côté de son corps qui dormait sans se douter de den

Alors sa poitrine sembla se soulever et s'abaisser comme une masse énorme

de

la

chambre émergeaient et replongeaient le l

ong

de ce corps endormi co.m

mer autour d un

bateau

qui

est

d é j ~

loin au large.

Je

n'aurais probablemen

sur moi de m en aller; mais si je m'esquive maintenant, me sembla-t-il, je .

barque abandonnée dans la solitude qu un grand bateau

stlr

de

lui

a dépassé

31

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7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 17/120

y prendre garde. J'embrassai la donneuse, elle ne le sentit pas. Je lui murmurai quelque

chose à l'oreille, avec tant de prudence peut-être qu'elle ne l'entendit pas . Alors, je ris de

moi-même et

me

moquai

du

rossignol; mais, discrètement, je m'habillai. Je crois que

j'ai sangloté, mais je partis vraiment. Je me sentais d une légèreté folle, bien que j'es

sayasse de me dire qu'aucun

homme

comme il faut n'avait

le

droit d 'agir ainsi; je me

souviens, j'étais comme un

homme ivre qui

se querelle avec la rue où il passe pour

s'assurer

qu il est

de sang-froid.

Naturcllement, j'ai souvent pensé à revenir; quelquefois, j'aurais traversé la moitié

du monde pour revenir; m is je ne l  ai pas fait. Elle était devenue intouchable

pour

moi;

en

bref, je ne sais si tu me

comprends:

quiconqu e ressent très profondément un tort ne

peut plus rien y changer. D'ailleurs, je

ne

te demande pas l'absolution. Je veux te raconter

mes histoires

pour

éprouver

l

eur

vérité;

pendant

des années je

n ai pu

parler à personne,

et si je m'entendais en parler tout haut avec moi-même, j avoue que je

ne

serais pas

tranquille.

Sois

donc

bien persuadé que

ma

raison ne songe pas

à

rien sacrifier à tes

lumi

ères.

Deux

ans plus tard, je me trouvai dans

une poche

à

l an

gle mort

d un front

du

sud

du Tyrol qui dessinait, des tranchées sanglantes de Cima di V ezzena aux rives du lac de

Caldonazzo, une longue courbe. Par delà deux collines aux beaux noms, elle s'enfonçait

dans

la

vallée comme une

vague

sous le soleil, puis remontait sur l au

tre versant

pour se

perdre enfin dans

la

tranquillité des montagnes. On

était

en

octobre;

les tranchées, faible

ment défendues, étaient noyées de feuillage, le lac brûlait bleu dans Je silence, les collines

ressemblaient à de grandes couronnes anées; des couronnes mortuaires, pensais-je souvent ,

sans

m en

effrayer. Avec des hésitations, la vallée se partageait autour d 'elles en

plu

sieurs

bras; mais,

au

delà de la ligne que

nous

occupions, elle échappait à cette

douceur

distraite

et

partait comme un coup de trompette, brune, large, héroïque, vers l espace ennemi.

La nuit, nous allions occuper une position avancée établie au centre de cette région.

Elle

était

A dans la vallée, si bien exposée que,

d en

haut, on aurait pu nous lapider sans

peine; mais on se contentait de

nous

rôtir

à petit

feu d 'artillerie. Néanmoins, le matin

qui

suivait ces nuits-là, tous avaient un drôle d air qu'ils ne perdaient qu au bout de quelques

heures : les yeux agrandis, et toutes ces têtes dressées irrégulièrement sur les épaules

comme une pelouse foulée. Néanmoins, l n est : ~ s une de ces nuits où je

n ai

e souvent

levé la tête au-àessus

du

parapet pout la

retourner

ensuite avec prudence, comme

un

amoureux; alors je voyais se dresser dans la nuit le massif de la Brenta, bleu clair, avec

des plis raides, comme: en verre. Et c est justement dans ces nuits-là que les étoiles

étaient grandes, elles avaient l air découpées dans du papier

doré

ou, à

cause:

de leur

scintillement gras, dans

de: la pâte

cuite, le: ciel restait bleu jusque dans

la

nuit et

le

mince,

le virgi.nal croissant de lune, tout en

ar

gent

ou tout

en or, était couché sur le dos au

nùlieu d'elles et se ondait en délices. Tâche

de

te représenter combien c'était beau. Il n y a

rien d'aussi beau dans la vie à couvert. Alors, quelquefois, je n y tenais plus, le

bonheur

et

31·

un

vague et violent

désir

me fais a.ient sortir.

en

rampant dans. la

nuit;

jusqu'aux ar

noirs

et

vert-or panni lesquels je: me dressats c ~ m m e ~ n e

pente plw_ne b . ~ u n - v e r t

d

le plumage

du

tranquille oiseau

Mon

au bec pomtu qUJ est, par mag1e, no1r et de to

les couleurs, comme tu n en as jamais vu.

Le jour, au contraire, quand

nous

occupions les positions, a ~ a n c é c : s , ~ o ~ s pouvi

sans

nous

gêner faire une sortie à cheval.

Dans

ces p o s ~ ~ s

ou

on a auss

b1en le

te

de: la réflexion que de la peut,

on

apprend pour la prem.1ere fols à c o ~ t r e le dan

Chaque jour il vien t chercher ses victimes, une n o e moyenne ~ e ~ o m a d a i r e tant et

de cc:ntaines, et déjà les officiers de l'Etat-maJor général de

div

1s1on en f ~ n t com

aussi abstraitement

qu une

société d'assurances. D'ailleurs, on ne fait pas s o J - m e m e ~ u

mc:ot:

on

connalt d'instinct sa chance

et l on

se sent assuré, encore

que

ce

ne

solt

dans des conditions particulièrement favorables. Tel est Je calme étrange qu on épro

quand on vit longtemps au front. Il fallait que je t e x p l i ~ e pout que tu

te fasses pas une fausse idée de mon état. Sans doute:, il arnve

qu on.

se sente sou

le désir de rechercher

un

visage précis, connu, encore aperçu

peu

de

JOUIS

u ~ v a

mais l n est plus là.

Un

tel visage peut alors vous o u l e v e r s ~ t

p l ~ s

que de ~ a t s o n , il

longtemps dans l'air à trembler comme la lueur d une bougte. S1 on a moms peur d

mort

que d'habitude:, on est ainsi

plus

accessible

à

toutes sortes d 'excitations. C'est com

si l'angoisse

de

la fin qui visiblement

ne

cesse de peser

sut

le:' .hommes comme

une d

avait été roulée loin de vous

c:t

qu'alors, dans le vague vo1smage de la mort, fleu

une singulière liberté intérieure.

Une

fois, c'était en plein jour, un avion ennemi arriva au-dessus de

notre

pos

d'ordinaire si paisible. Cela n'arrivait pas souvent, parce

que

la montag ne, avec

brèches étroites entre des sommets fortifiés, les obligeait à voler très haut. Nous é

justement

sut

une des couronnes mortuaires, et un n s t a n ~ l,e ciel fi:tt m o ~ c h e t é . pa

petits nuages blancs des shrapnells de nos battenes comme

SI

on ava.tt.marué

h a ~ i l

quelque h o u p e t t ~ . Ç'avait un petit

air

gai et

p r e s ~ e

cha.m:ant.

Et pws,

le soleil

b ~

à travers les plans tricolores de l'avion, quand l passait JUste au-dessus. de nos

comme à travers des vitraux

ou

du papier de soie de toutes les couleurs, et il m a n

plus à la f ~ t e qu un peu de Mozart.

L idée

me passa bien par la

tête que:

nous étions ré

là comme

un groupe

de spectateurs aux courses et que

nous

offrions une

b l e

.e:'cel

L un d entre nous dit même: Vous feriez mieux de vous planquer Ma1s, vlSlblem

personne n'avait envie de se terrer dans un trou c o m m ~ une souris. des c h ~ p s .

moment j en

tendis un l

éger

tintement qui se rapprocha.tt de mon v1sage rav1, les

au ciel.

Na

turellement, il se

peut que:

ç'ait été l

 inve

rse, que j'aie

d abord

enten

tintement

et

seulement après compris l 'approche d un danger; mais, à l instant m

je me dis: une jll hette1C'était des barres de fer pointues

pas plus épaisses qu un ;r

de charpentier,

que

les avions lâchaient alors sur l'ennelDI, e.t' :oucha ent-elles le cran

pouvait

compter

ne les voir ressortir

qu aux

pieds, mats JUStement elles touch

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7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 18/120

rarement, et on a eu vite fait d y renoncer par la suite. Aussi était-<:e ma première fiée

h

mais, les bombes

et

les balles de mitrailleuse ayant un tout autre son, je sus tout de suite

à quoi j'avais affaire.

Tout

mon être était tendu, et l'instant d'après j'avais déjà lesentiment

singulier, sans fondement dans la réalité probable, qu'elle f{)UÇberait

Et sais-tu ce que j'éprouvais? Non pas d'effroyables pressentiments, mais un bonheur

encore jamais espéré D abord, je m'étonnai d'être apparemment le seul à entendre le

tintement. Puis ie pensai que le bruit allait de nouveau disparaître. Mais il ne disparaissait

pas. Il se rapprochait de moi, bien que très lointain encore, et grandissait à vue d'œil.

J'observai prudemment les visages, mais personne ne s'apercevait de rien. Et, dans le

moment où j'eus conscience d'être

le

seul à entendre ce chant ténu, quelque chose hors

de moi monta à sa rencontre: un rayon de vie; aussi infini que celui de la

mort

qui descen

dait.

Je

n'invente rien, je cherche

à

décrire le plus simplement possible; j'ai la conviction

de m'être exprimé aussi prosaïquementqu un physicien; mais je sais bien que c'est jusqu'à

un certain point comme dans un rêve

où l on

s'imagine parler très clairement alors que

les mots, hors de vous,

sont

confus.

Cela dura

un

long temps, pendant lequel je fus seul à entendre approcher l'événement.

C'était une seule note haute, ténue, chantante, comme quand on fait vibrer le bord d'un

verre; mais il y avait quelque chose d'irréel là-dedans; jamais encore

tu

n'as entendu ça,

me disais-je. Et ce son était dirigé contre moi; j'étais

en

liaison avec lui et je ne doutai pas

un instant que quelque chose de décisif pour moi dût avoir lieu.

ll

n y avait pas en moi

une seule des pensées qui sont censées se présenter au moment où

l on

,quitte la vie,

tout

ce que je ressentais était au contraire tourné vers l'avenir; et, je dois

le

dire en toute

simplicité, j'étais persuadé que dans la minute qui venait, j'allais sentir la présence de Dieu

dans le voisinage de mon corps. C'est tout de même quelque chose pour un homme qui

a cessé de croire en Dieu

à

l'âge de huit ans.

Entre temps,

le

son là-haut avait pris corps,

enB.ait,

menaçait.

Je

m'étais demandé une

ou

deux fois s'il fallait do nner l'alarme, mais, dussé-je être touché,

ou

un

autre, je ne le

voulais pas l'Peut-être se cachait-il une sacrée vanité dans cette idée que là-haut, au-dessus

d un champ de bataille, une voix chantait pour moi. Peut-être Dieu

n'es -il

rien d'autre,

en somme, que le plaisir

pour

nous autres pauvres hères, dans l'exiguïté de notre existence,

de nous rengorger vaniteusement d'avoir au ciel un parent riche.

Je

n en sais rien. Mais,

maintenant, sans doute, l'air s'était mis à tinter aussi pour les autres; je remarquai que

des taches d'inquiétudes couraient sur leurs visages et, vois-tu, aucun d'eux ne laissait

non plus échapper un seul mot

Je

-regardai encore une fois ces visages: des gars dont

rien n'était plus éloigné que de telles pensées étaient là debout, sans s'en douter, comme

un groupe de disciples dans l'attente de la Nouvelle Et soudain Je chant devint

un

son terrestre, dix, à cent pieds au-dessus de nous,

et

expira. Il était là, c'était là. Parmi

nous, mais tout près de moi, il avait été un peu assourdi

et

mangé

par

la terre, avait volé

en éclats d'irréel silence. Mon cœur battait à grands coups tranquilles; je n'ai même pas

34

pu avoir peur un fragment de seconde; il ne manquait pas

la

moindre parae

à ma vie. Mais la première chose que je perçus de nouveau fut que tous me

J'étais debout à la même place, mais mon corps avait été sauvagement arr

et avait exécuté une profonde révérence en forme de demi-<:ercle.

Je

sent

réveillais d'une espèce d'ivresse, et je ne savais pas combien de temps j'avai

Personne ne m'adressait la parole; enfin, quelqu'un

dit:

une

flécbettei et

tou

la chercher, mais elle était enfoncée à plusieurs mètres ,

de

profondeur dans, l

moment, un sentiment de reconnaissance m'envahit comme

un

feu, et je

rougis de tout le corps. Si quelqu'un m'avait dit alors que Dieu était entr

n'aurais pas ri. Mais je ne l'aurais pas cru non plus. Je n'aurais même pas

gardasse

un

seul éclat. Et pourtant, chaque fois que j'y repense, je 'Vou

encore

une

fois,

en

plus clair, une expérience de ce genre

Je

l'ai d'ailleurs revécue, mais

ce

ne fut pas plus clair, dit Adeux en com

dernière histoire. Il semblait avoir perdu de l'assurance, mais on pouvait voir

pour

cette raison même, l brûlait de se l'entendre raconter.

Cette histoire évoquait le souvenir de

sa

mère, qui n'avait jamais reçu

preuves de son amour, bien qu'il affirmât

le

contraire.

- Nous nous sommes, supecliciellement, mal. convenu, et, en somme,

là que de naturel, quand une vieille femme vit depuis des dizaines d'années d

petite ville

et

que son fils,

à

courir le monde, n'est arrivé, selon elle, à rien.

me troublait comme celle d un miroir qui déforme imperceptiblement votre

la blessai en ne revenant pas à la maison pendant des années. Elle m'écriva

chaque mois, une lettre soucieuse, toute en questions, et bien que d'habi

répondisse pas, il y avait là néanmoins quelque chose de très singulier,

et

m

gardai avec elle de profondes attaches, comme on l'a

vu

pour finir.

Peut-être s'ébrit-il passionnément imprimé en elle, depuis des dizaines

et

d'années, l'image d'un petit garçon en qui elle avait mis Dieu sait quels espo

ne pouvait éteindre; et parce que j'étais ce garçon depuis longtemps

d i s p a t : ~ : ~

restait attaché à moi, comme si tous les soleils qui s'étaient couchés depu

encore quelque part entre lumière et ténèbres.

Tu

aurais là un autre exem

mystérieuse vanité

quin enestpas

une. Car je peux bien dire

que

je n'aime

sur moi-même, et le plaisir que tant de gens prennent à contempler des ph

qui les représentent à des époques antérieures de leur vie ou à se remémorer

fait en

tel

endroit, à telle date, tout ce système.

de

Caisse d'épargne .du M

absolument incompréhensible.

Non

que je sois spécialement capricieux ou

qu

que pour l'instant; mais quand quelque chose est passé, l'liomme d'alors est

et

lorsque, dans une rue, je me souviens d'avoir souvent fait ce chemin autre

je revois mon ancienne demeure, je me contente de ressentir, sans tant de p

3l

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7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 19/120

espèce de douleur,

une

violente aversion envers moi-meme, comme si

on

me t:appelait

q u ~ q u e

chose de

n t e u x .

Le passé

fuit

.comme

une

cw

i

m ~ r e

qu on se

mnsforme;

et il me sem?le qu on ne se transfotmer.ut p:I.S de quelque maruère qu on le fasse, si celui

que . l on ~ W t t ~ ~ t a i t si ~ p r o c h a b l e . Mais, justement parce

que

c'est

a

mon sentiment

~ b J t u e l , il l ~ t

merveilleux de constater qu un ette avait

c o n s e r v ~

de moi,

to

ute ma

v t ~ la ~ è m e t.mage; une image i quoi je

ne

correspondis vraisemblablement jamais et

~ v a n pourtant, dans un certain sena, p r é s i d ~ l ma ~ t i o n qui ~ t a i t au fond mon

ongme. Me comprendr:I.S-tu

si

je te dis,

en

image que ma mère une nature de lionne

a i l ~

dans l'existence réelle d une femme en bien des sens b o m ~ e ? Elle

n avait pas

ce que

nous

avons

l habitude

d'appeler intelligence: incapable

de faire

abstraction

de

rien comme

d'aller chercher

très

l

oin

ses taisons;

et

me

remémonnt mon

enfance, je

ne

peux

pas

dire

non

plus qu'elle fUt bonne, c r elle

était

vjolente et

trop

soumise i ses nerfs; et tu

peux

r e p ~ s e n t

ce que ~ o 1 1 n e Fo i s

' a l l i a n ~ de

la

passion avec des vues b o r o ~ e s . Mais

Je

soutiendrais volontiers qu l

est de

certaines valeurs de certains templ raments qui

aujourd'hui .encore se composent avec la forme corporelle où un être se présente ~ o u s

dans l'expénence r d i n a i r e , de façon tout aussi incompréhensible que les dieux, au temps

des fables, ont

p11s

la fomte de

serpents

ou de poissons.

Peu

2p.œs

l hl

stoire de la flkhttte

je

fus

Wt

prisonnier 2u cours

d une

rencontre en

Russie; plus tard, participai au gnnd bouleversement et

ne

me pressai p:I S de

ren:ru,

~ ~ t t c nouvelle VIC m 2 longtemps plu. Je m en éto11ne aujourd'hui encore. Mais, un

J O ~ ,

Je

d ~ u v t ; i a qu'il m'était devenu impossible ~ o n c e r sans bâiller quelques-uns des

UJomes

qw ~ 1 ~ t 2lors li-b:I.S pour indispensables, et je me dérobai au danger de

~ r r . q u e cela Signifiaiten filant en Allemagneoù l'individualjsme était justement en pleine

~ ~ a ~ o n . Je fis toutes sortes d'affaires ~ u t e partie par n ê c e s s i t ~ . partie parce que

J

c o ~ t e n t

de me retrouver a n ~ un VIeux pays où on

peut

mal 2gir sans erre obligé

d

en avou

_honte.

me

réussJt guère,

et

parfois même je

me

trouvai terriblement

mal

en potnt

. La SJtuatJon de mes parents

n était pas

non plus bien brillante. Alors, de

temps.

en t e m ~

ma. mère m'écrivait: • Nous

ne

pouvons héw t'aider; mais, si je

p o u ~ s te en atde avec le peu dont tu héritCI:I.S un jour, je souhaiterais presque

mo= :

V o ~

ce .qu'elle m'écrivait, quand je n

 é

tais plus a l i ~ la

voir

depuis des artnées

et que JC ne

lw

v a a

pas do11nê

le moindre

signe d'affection. Je dois avouer que

je

pris

~ d a

pour

une stmple formule, tant soit peu hyperbolique, à lllquelle je n'attachais aucune

~ ~ p o r t a n c e , ~ u t

en

n'ayant

aucun doute

sur ' a u t h e n t i c i t ~ d un sentiment dont l'expres

sion seule

était

fausse. Mais

c est

alors que le très ~ t n n g e se

prodwsit

: ma mère

tomba

réellement malade, et

on

pourrait croire qu'elle entr2lna aussi mon père qui lui était tout

dl voué,

à

sa suite. '

Adeux nt une pause. El l e mourut d une maladie qu'elle devait

llVO

ir ponée

en

elle

S DS que personne

s en doutât. On pourrait donner

de cette coïncidence t outes sottes

d'explications nllturclles,

et je

crains bien que tu

ne

m'en veuilles si je ne le

fais pas. Mais

36

l ' ~ t t a n g e , c ' ~ t a i t encore une fuis les circonstances accessoires. Elle ne voulait nulle

mourir; j sais qu'elle s'est défendue eontte cette

mon

prématurée, qu'elle

s en

est pl

:lvec violence. Sa

o l o n ~

de vivre, ses résolutions et ses vœux s'élevaient

çontre

l

nement. On

ne peut

pas dire non plus

que

ce soit

une

~ c i s i o de carac

tère qui

empom

sur sa volonré d un moment; car, sinon, elle efit pu songer avant au su

ou à

la

pauvreté volontaire, ce qui ne fut nullement le C:I.S. Elle fut elle-même, dan

perso11ne

tout

entière, une victime. Mais n'as-tu jamais r e m a r q u ~ que ton

corps

a en

une

autte volonœ qu

e t

oi?

Je crois

que tout

ce

qui nous

semble

notre

volonté ou

sentiments, nos sensations, nos pensl es,

et

paraît avoir barre sur nous,

ne

le peut q

ve. ru d une procuration spéciale, et qu'il y a

dans

les graves maladies, les guéri

inespl des, les luttes indécises

et

à

to u

s les toumants

du

destin,

une sone

de • déc

première • de tout

le

corps où réside

Je

derruer

mot

de 12 puissance et de la v ê

Mais, quoi

qu

' il

en

soit,

il

reste certain que la maladie de

ma

mère me fit dès l'l

l'impression

de

quelque chose d'absolument volontaire, et n y verrais-tu même qu

gination, il

n en

resterait pas moins qu'11l'insrant où je reçus

lll

nouvelle de sa ma

et bien qu'il n y eilt

Il

aucune raison de s ' i n q ~ t e r , je fus complètement et visible

t n n s f o r m ~ ; une

certaine dureté

dont

j'étais

entouté

fondit dans l'espace

d un

instan

tout ce que je puis dire, c'est que l état où je me trouvai dès lors rappelait beaucoup

réveil cette nuit où je quittai la maison et l 2ttente de

la

flèche qui fondll.it du h2u

airs

en

chantant. Je voulus tout de swte aller rejoindre

ma

mère, mais elle

me

tint à

rance sous toutes sortes

de

prétextes. D 'abo

rd

elle ~ c r i v i t qu'elle se

djouissait

de

voir, mais qu'il me f21Wt attendre la fin de cette maladie, d'ailleurs bénigne, pour qu

pOt me recevoi r en pufaite santé; plus t2rd, elle me fit dire que ma visite risquait, s

moment, de lui

procurer

une émotion uop vive; enfin, lorsque je

me

fis pressan

ruieux décisif était imminent,

me

d i s a i t ~ n , et je n'avais

qu

' t patienter encore un pe

semble qu'elle

ait

r e d o u ~

un

revoir qui etlt

pu

troubler

son

2ssurance;

et

puis,

to

d ~ c i c h sj vite que je réussis tout juste être

pour l'enterrement.

Je uouvai mon

père

malade lui 2ussi et, comme je le disais, je ne pus

bientôt

plus

1'2ider2 mourir. ' a v a i

t é t ~ a u t r e f o i s u n e x c e l l e n t h o m m e , m a i s p e n d a n t c e s

semaines-I

montra o:ttao.rdinairement têtu

et

capricieux, comme s'il 2Vait beaucoup de choses

reproche.r et que ma présence lui fût désllgréable. Après son enterrement, l me f

mettre en

o

rdre

les affaires de

la

maison, et cela

prit bien

quelques semaines; je n'étai

s s ~ . D e temps

en

temps, par une vieille habitude, les gens de la petite ville ven

vers moi

et

me racontaient i quel endroit de la chaiiJbre mon père s'l tait tenu,

et

ma m

et eux-memes. Ds soumettaient tout à une inspection ~ t i c u l e u s e et s'offraient à me rac

tclle ou tclle pièce. lls fon t les choses tellement fond, ces gens de province Et l un d

me

dit une foi

s, après llvoir tout

e n m i n ~ en

détail: c C'est tout de même terrible,

famille entière qui s ' ~ t c i n t en l'espace d  une ou deux semaines • Moi, perso11ne n

comptait. Quand j'étais seul, je restais assis tnnquillement à lire des livres d 'enfants;

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7/21/2019 La Licorne

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avais trou au grenier toute une caisse. Ils étaient pleins

de

poussière

et

de suie,

i m o i t i ~

racomis, ;. moitié pow::tis par l'humiditl , et chaque fois qu'on en battait les feuillets, des

nuages de noirceur tendre s'en é c h 2 . ~ p a i e n t ; ~ les v o l ~ m e s c a t t ~ n n é s , il ne restait.,du

papier madré que des archipels d é c h i q ~ e t é s . Mais q u a n ~

Je

p é ? ~ t t a l s dans es pages, Jen

c o n q u ~ t a i s

le contenu comme un mann entre

ces

écueils,

et

Je

fis

une f01s une éttange

d ~ c o u v e r t e . Je q u a i que le noir en haut des pages, i l'endroit où on l

es

tourne, et

en bas au bord, était, presque imperceptiblement, différent de celui que provoque la

simple moisissure,

et

je trouni ensuite toutes sortes de.

a g u e s

t a c h ~ et, f i o a l e m e ~ t ,

sur

les pages de titre, de farouches traces

de

crayon un peu palies; et tout

dun

coup, subJUgué,

je reconnus que cette usure passionnée, ces égratignures

de

crayon, ces taches laissées der

rière moi

à

la hâte, ~ t a i e n t des traces de doigts d'enfant, de mes doigts, conservées trente

ans et plus dans une caisse sous un toit et oubliées du monde entier Eh bien comme je

te

le disais, si

se

souvenir

de

soi-même peut être tout

i

fait banal pour beaucoup d'autres,

pour

moi, c'était comme le monde r e n v e ~ J'avais aussi retrouvé la chambre qui

était, trente ans

et

plus auparavant, ma chambre d'enfant; on y avait mis ensuite les

armoires

à

linge et d'autres choses de ce geru:e , mais au fond on l'avait laissée

telle qu'elle était lorsque j'étais assis

à

la table de sapin sous la lampe à pétrole dont

trois dauphins tenaient les chalnettes dans l

eur

gueule. Maintenant j'y restais de nou

veau assis une bonne partie de la j o u m ~ e et je lisais, comme un enfant dont les

jambes n'arrivent pas jusqu'à terre. Car, vois-tu, nous sommes habitués à ce que

notre tête tienne

m l ou

ne touche

à

rien de fixe, parce que nous avons quelque

chose

de solide sous les pieds; mais être enfant, c'est n'être

tout

à fait sûr ni à un

bout ni à l'autre, n'avoir encore, au lieu des tenailles de plus tard, que de molles

mains de flanelle et être assis devant un livre comme si l'on cinglait

à

travers l'espace

sur une petite feuille par dessus des abimes.

Je

t'assure, mes jambes sous la table

n'arrivaient pas jusqu'à terre.

Je m'étais aussi installé

un

lit dans cette chambre, et j'y dormais. Alors, le merle revint.

Une fois, p a s ~ minuit, je fus réveillé

par

un chant splendide, merveilleux.

Je

ne m'éveillai

pas tout de suite, mais, d'abord, j'écoutai longuement du fond de mon sommeil. C'était

le chant d'un rossignol; seulement, il n'était pas sur les arbustes du jardin,

mais

sur le

toit d une maison voisine. Je commençai à dormir les yeux ouverts. n y a pas de ros

signols ici, pensai-je, c'est un merle.

Ne

va pas croire que je recommence mon histoire Mais au moment même où je

pensais:

l

n y a pas de rossignols ici, c'est un merle,

i e ~ é v e i l l a i ; c : é t ~ t

quatre

heures du matin, le jour m'entrait dans les yeux,

Je

sommell dtsparut

auss1

VIte que la

trace d'une vague est bue par Je sable sec de la rive, et, devant la lumière pareille ~ u n

tendre drap de laine blanche, un oiseau noir était posé

sur

la fenêtre ouverte Il était là,

aussi vrai que je suis ici.

- Je suis ton merle, dit-il, tu ne me reconnais pas?

,s

En r ~ t é , je ne me suis pas souvenu tout de suite, mais, quand l'oise

je me sentais extrêmement heureux.

-

Je

me suis déjà posé une fois sur le bord de cette fenêtre, tu ne t'e n

continua-t-il, et alors je lui répondis: Oui,

un

jour tu t'es p o ~ là où tu

et je me suis dépêché de fermer la fenêtre.

-

Je

suis ta mère, dit-il.

Cela, vois-tu, je dois l'avoir rêvé. Mais l'oiseau, non; il était posé

là,

il

chambre, et je me dépêchai

de

fermer la fenêtre. J'aUai chercher au greni

cage de bois dont je me souvenais, parce que le merle était d ~ j à venu

moi, dans mon

enfance

tout comme je venais de le dire. n s'était

p o ~

puis il était entré dans

la

chambre,

et

j'avais employé une cage, mais

bientôt, et je ne le tenais pas enfermé, il vivait librement dans ma cham

rentrait. Un jour il n'était pas revenu, et voici qu'il était là de nouvea

aucune envie de me casser la tête pour savoir si c'était le même merle; je t

et

une nouvell e caisse de livres,

et

si je peux te dire une chose, c'est que de

été un si brave homme

que

du jour où je possédai le merle; mais te dire

qu'un brave homme, cela m'est sans doute impossible.

- A-t-il souvent reparlé? demanda, non sans malice, Aun.

- Non, il n a pas reparlé. Mais il m'a fallu lui proc urer sa nourriture de

vers. Tu vois bien, cela crée déjà une petite difficulté, qu'il se nourrisse d

je dois le tenir pour ma propre mère Mais on s'y fait, tu sais, ce n'est

d'habitude, et à quoi ne faut-il pas s'habituer, même pour des choses plu

Depuis je ne l'ai plus quitté,

et

je n'ai rien d'autre à te dire; voilà ma troisi

CÔmment elle finira, je l'ignore.

- Mais tu donnes pourtant à entendre, dit A

un

cherchantprudemment à

que tout cela a une signification commune?

- Mon Dieu, répliqua

Adeu.. <,

tout s'est p s s ~ exactement comme je

j'en savais le sens, je n'aurais sans doute pas besoin de te raconter l'histoir

comme quand tu entends

un

murmure, ou ne serait-œ qu'un simple bruisse

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  ettre

autobiographique

par

SOR JU N INES

DE

L CRUZ

prlsenllepar

SUS N

SOC

t

tr duite dt l esp gnol par

Yve t te Bi

llo

d

Page 22: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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SOR JU N

C ERTAINES

vies que

le

xvn siècle a produites panl.lèlement

en grand

n

proposent dans leurs seules années terrestres

un

cycle complet

l nous e

voir

les recherches de l

 humain

les plus anciennes

et

les plus nouvelles

recherche du divin.

Sor

Juana

Inès

de la

roix

est

l une des dernières grandes figures de l uni

du monde latin, ce

globe

téléologique tenu par une main invisible et corre

globe visible que les peinttes plaçaient dans la main fermée des rois de la ter

Mais aussi, la religieuse mexicaine appartie nt essentiellement

l

ce monde du

le dernier

de toute

une civilisation à ressembler admirablement à lui-même.

C est

une

joie

pour moi que

de parler de

Sor

Juana

en

français à cause de

dances que je vois en elle

non

seulement avec l esprit

et

le monde français du G

mais, plus particulièrement, avec certains aspects

de

Port-Royal.

Dans

une colonie fermée comme une ile se forment par opposition des

ouvertes

au

monde extérieur

que

la métropole elle-même. Le

monde

de

l

Espagne sur lequel Sor Juana rayonna, ressemble

à

une petite cour lettr

autant qu à la grande métropole écrasée sous l étiquette autrichienne qu

épe.rdument d imiter.

Héritière des scolastiques

et

des grands humanistes, située (en

toute

ortho

les encyclopédies jésuites

et

les encyclopédistes, nous voyons dans cet esp

l un

des plus caractéristiques de son siècle; comme nous voyons dans cette fil

- d origine basque par son pè r une des plus vivantes créatures du mond

et

américain.

Nous

ne pouvons faire sa connaissance à travers les siècles san

ment juvénile qui vient d elle plus que de

nous:

l étonnement qu elle montrai

43

Page 23: La Licorne

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r.ueurs d Europe quand elle leur ~ c r i v a i t qu'ils aimaient peut-être ses vers parce qu'elle

l

es

avait

p r ~ t é s

avec l

es t pices

de

sa

terre maic:Une.

Le besoin de

connaltte

apparalt chez Sor JIW a comme une

pan

de son immense

v i t a l i t •

Forli

de srimct

s SlltS et jamais

ap

prists

•, dle allait de l'une sl l'autre et seul ce

changement lui servait de repos. Cet &re d ~ v o r t d ' u n i v e r : s a H t ~ est do

ue

d'une si tenace

H b e r t ~ nature.lle que ni le confoonisme écrasant de son milieu et de son temps,

ni

l

o l o n t ~

«:cl6iastique,

ni

son propre

et

constant d6 ir

o ~ s s a n c e

ne parviendront sl

l

en frustrer.

Tout en

dle

est impttvu, envahissant :

dle

brille, dle règne,

dle

plonge dans l stupeur

cette colonie espagnole où les pttjugt s contre ~ r u d i t i o n se confondent parfois avec la

terreur raciale de l'hérbie.

11

fut dit de

So

r

Ju

ana dans son siècle: •

P o ~ ~ r s u i v i t

pam que belle, pane fJ' sagr,

inforflmlt

». Nous savons seulement que, pousst e par son confesseur inquiet de son trop

grand succès à la cour du vice-roi, elle entra à dix-sept ans au Carmel.

Mais elle n'en supporta pas l règle, tomba malade et n'y put rester.

L a n n ~ e

suivante, dle entra au couvent de S a i n t ô m e ,

à

Mexico, qui suivait

l

règle

d

es

Augustines.

Elle y apportait

sa

raison naturelle c i p H n ~ e et la o n t ~ de bien remplir les devoirs

de son ~ t a t .

Si la vie

a p p : ~ . r a i s s a i t à

cette jeune fille, belle

parmi

les plus belles, comme faite par

d'autres et pour d'autres, dle lui opposait un refus qui avait l'attrait de la grandeur en

recourant à la noble retraite que son siècle offrait à un renon.cement imparfait.

Elle nous dit que son manque d'inclination au mariage

l

droda à entrer en reHgion.

Cette grande a s s i o n n ~

maait

trop

~ t r a t e m e n t

le particulier

et

le pour que

no

us

puissions distingue.r dans son afli.rmation

ce

qui ressortit au p.rincipe lui-m

âne.

Quoi

qu'il en soit, Juana de Asbage fut ~ par cer aspect de l vie reHgieuse qui pe.rrnctta.it

de poursuivre l'existence du clerc m ~ ~ v a l , de l'homme à

l

fois retranche et libre, tout

a b s o ~

en dehors de certains devoirs

  ~ s e ,

par l

es

travaux de l 'esprit.

S

es

vers gardent une apparence ci.rconstancielle (ils lui furent toujours decnand6) et

elle

se

dt robe sous la redoutable babilm de leur construction, mais leu.r unite ~ t i q

nous laisse entrevoir Sor JIW a dle-même, et toute son a n x i t t ~ maltrist e.

ertains

quatrains nous demeun:nt, très purs,

pa.rm

i l

es

voix

de l

grande pot sie

espagnole du xvn• siècle :

Je

froltVI diamat1tni i

fJII

j

imt

Comme moi-m

llltt

}0111

q11i m aime sllis

dilliiJanl.

Sur un ton plus grave où passent des réminiscences amères, dle

v i t :

Ce toNI mtlll

d amo lli

Dans mon

ctzNT

apwf11

Je

sai

s fJII je k

sms

tl

ll sais

pas

a cd/Ise qlli me ft fait smtir.

Je

s

olfjf

re mortelle

agoni.

Polll obtmir ljlltlfjlll songtrie

QNi comm

ençe

111

désir

t

1 «bèvr 111 mlla11tr1lie.

Par

pt11

de çJxm

offmsle,

nplein amolli , il m arrive

De rejNJer jaw

lll

llgirt

A

qu

i je

do

nnerais ma

vil.

Si par hasard mt contredis

n

nfft

çonjNJe

trrtlll ,

Ct/IIi

qlli Amo

lif

sentira

CD111prmd

ra n

t p ~ ~ j t dis.

Comme ses grands contemporains Gongora

et < ? r a ~ i , .Sor.

J ~ a s'adonna a

recherches verbales du baroque avec les déments de v i t a l i ~

qw

lut t t ~ e n t propr : et

ressources que lui offrait une langue inépuisable .jeux m o ~ qw sont les )Cwt

l'âme, en antinomies aux identités secrètes,

en

opposltlons

qu1

c.qmment mouv

emc

successifs de l'esprit, en possibilit6 qui ont l'air de fuser au hasard des

~ e s et

qu

tiennent entre dles comme l

es

membres d un corps in

vi

sible. Sor Juana SWVlt ces maî

de l'obscur qui, au renouvdlement de l an de la parole, apportaient le souffle d

immense civilisation à la veille du déclin.

Conceptiste et gongorienne, dle l

es

suivit en

e s ~ t

tertiblcmen.t

m ~ ~ ·

pr

fut claire comme celle de Graciân pouvait l'être et,

SI

elle nous a J S S ~ une mutauon

Soledadu

elle c r i v i t sur des motifs moins tcanspost s des vers qui, sous l'dt gance sav

de leur ::Omposition, rejoignent par instant d'anciennes ~ ~ l o d i e s ~ p u l a i r e s . .

Le confesseur qui avait

p r e s

Juana de Asbage de

qwtt

er la

m ~ n du

v J ~ - r o J

put empêcher la cour coloniale qui avait

assiste à sa

prise d'habit de lw e n ~ viSite

d

un

parloir qui devait deveni.r

dlèbre

sl travers le monde espagnol tout entter  .

Dans ce parloir dont la mondani

inquit tait son comme elle e ~ t m q w

Bossuet, l

 o

n jouait l

c o m ~ e ,

l

 o

n faisait de

l

musique et l

 on

rencontrait tous

4)

Page 24: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 24/120

bommes

d

esprit qui partaient pour la Nouvelle-Espagne. En ce siècle de con

ver.;

aùon,

Sor Juana rayonnait. Elle

ri

ait, ver.;ilia.it

et

philosophait rout en parlant. Son œuvre a

l air de s o

rùr

comme par enchantement d un discours imprévu.

D isciple de saint Jérôme t de Gongora tout ensemble, elle donna une grande part

de son temps

à

des ouvrages de haute dévotion : commentaires

de

l  Ec riture, poésie reli

gieuse, alllos saçranJmlalu. Elle n entreprit jamais de traité d ascèse, comme si elle fût

restée

à

l affût du seul monde auquel elle n  eût point accès, se contentant de ramener toutes

les sciences, ainsi qu eUe nous le dit elle-même,

à

la divine théologie. En

1690,

on imprime

ses

Objutùms

a

sermon

sur les

i r o ~ s u s tk I An10t1r

t u Chrirt

prononcé à Lisbonne par le

jésuite Antonio Vieyra; les deux pays s indignèrent de la présomption d une religieuse

q

ui

s opposait à un grand théologien, ses amis

et

ses ennemis se divisèr

ent

et elle subit

plus d attaques qu 

el

le ne reçut de louanges. L évêque de

Pu

ebla, qui avait fait imprimer

la

llre

Atblnagorique,

ou

critique au Sermon s

ur

le

Co=dement

de Sor Juana, lui

écrivit une lettre à laquelle nous devons la réponse qu  on lira ici: eUe est comme un miroir

de la vi e e t d e l esprit d e la religieuse mexicaine.

Nous pensons avec mélancolie

à

la théol

og

ienne

et à

l exégète qu aurait été cette grande

sty liste si ses supérieur.; lui avaient ordonné de travailler avec des érudits

ct

de p roduire

une œ

uvr

e continue. l\1ais la réponse

à

la lettre de l évêque nous empêche de regretter

tout à fai t les conjonctures qui donnèrent naissance à ce document singulier dans l histoire

de toutes les langues et de to utes les littératures. Est-ce le privilège de l injustice ou celui

de

la

sagesse des civilisations qui empêchaient les femmes de s o.-prime

r, qu

e de permettre

de siècle en siècle

à

une femme de dire l essentiel? Nous devons

à

la longue contrainte

qui pèse sur la vie de Sor Juana l étonnante liberté avec laquelle s affirme cet esprit conforme

aux principes

de sa

foi et qui, par un jeu

qui

lui est naturel, allie la retenue i la plus

pla.ismte ga.ité.

Produit

t

synthèse de toutes les circonstances adver.;es à l esprit

t à

la vie de la

reli-

gieuse, Sor Juana nous impose la présence de cet esprit

et

de cette vie avec une force qui

ne se peut oublier. Or par sa bouche s apriment des générations entières de femmes qui

ne connurent qu un usage restreint de la parole.

Cette lettre ne nous apparalt pas seulement comme un traité en fa

ve

ur de l éducation

des

6.ll

es habilement construit avec tous les arguments que les habitudes

t

les traditions

de son siècle lui prêra.ient. semble qu il ait trait aussi

à

la condition humaine et

à

la

défense d un cerrain accord de l êrre a:vec sa nature

pr

opre. Quand Sor Juana eut éprouvé

que la sienne comp

ortai

t le besoin de savoir comme part de son destin, le contact avec

les choses

pro

duisant l étincelle qui déterminait la recherche, elle arreignit l argument

décisif de sa letrre qui est aussi celui de sa vie. Sommée de renoncer

à

ses livres, elle s aper

çut de l inutil.ité de cet ordre, parce que son esprit livré

à

lui-même travaillait sans instru

ments avec plus d ardeur que jamais, ct sa fatigue était plus grande aptts un quart d

 h

eure

de

concentration me ntale qu  après quatre jours

d

étu

de

. Les travaux féminins qu elle

accomplit de

la

meilleure

gr

âce du monde l  incitent

à

méditer autant

et

d

traité de science;

la

cuisson d un

œuf

la fait songer à

ce

qu Aristote eût gag

de cette tkhe; malade,

à

l infirmerie, a position de

deu. {

pourres l amèn

nouveau problème

d

architecture ; et l image channante de deux petites

6

bague qu eUe surveille

de sa

fenêrre lui fait retrouver les raisons qui avai

anciens de croire à la sphéricité de la terre.

Apr

ès

la

publication(en

1690)

de cette letrre qui est comme la somme

de tout ce qu eUe accomplit, mais de tout ce qu elle efit pu accomplir, Sor

J

de

moins en moins avec les hommes. Aucun confesseur ne lui ordonna d

se passait dans son âme quand elle eut rendu ses quatre mille volumes et

ments de

sci

ence et de m u

siqu

e, po

ur

ne garder que trois petits livres de

nombreux cilices et disciplines.

Bi

en

qu il lui eût été demandé de

ne

pas

parler,

cc q

u

elle 6t en eff

lllll

nières,

il nous semble que cette 6.lle qui avait eu le goût de la parole, ch

de se taire à l heure d un détachement qui nous fait voir en eUe comme un

~ p u i s é

par les pénitences et par les soins qu elle avait donnés à ses

la peste, en

169l

elle alla

à

la rencontre de la mort sans avoir rompu

le

donnait tout entière à l seule tâche qu elle n efit pas encore accomplie et,

première fois de sa vie, c était une tâche e.<tclusive, elle n admettait po int de

Su

Page 25: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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LETTRE AUTOBIOGRAPHIQUE

J n avais pas encore: trois ans accomplis que: ma mère: envoyant une

mes sœurs, plus âgée que moi, chez une de ces personnes que l on app

« Amies » pour qu elle apprît à lire, l affection et l espièglerie me la fi

suivre; et, voyant qu on lui donnait leçon, je m enB.ammaî pou r ma part d

si vif désir de savoir lire que, pensant tromper la maîtresse je lui dis «

ma mère ordonnait qu on me donnât leçon. »E lle ne le crut point, car ce n é

point

à

croire; mais, amusée de cette saillie, elle accéda à

mon

désir. Je co

nuai mes visites, et elle ses leçons, mais

non

plus par jeu, car l expérienc

détrompa,

et

je

sus lire en un temps si bre f que je savais déjà lorsque ma m

l apprit; la maîtresse le lui avait caché pour lui donner un plaisir plus en

et recevoir une récompense plus considérable; je m étais tu, croyant qu on

fouetterait pour l avoir fait sans qu on l eût commandé. Celle qui m instru

vit encore, Dieu l ait en sa garde, t peut en témoigner.

Je

me rappelle qu en ce temps-là, bien que ma gourmandise fût ce qu

est d ordinaire à cet âge, je m abstenais de manger du fromage, car j av

oui dire qu il rendait sot; or, le désir de savoir était plus puissant chez m

qu

e celui de manger, qui est pourtant bien fort chez les enfants. Plus ta

j avais alors

six

ou sept ans

et je

savais lire

et

écrire, outre les autres tale

et ouvrages de couture

qu

 on a coutume d enseigner aux femmes, j enten

dire qu il y avait à Mexico une Université t des Écoles où l on étudiait

sciences; je ne l avais pas plus tôt appris que je me mis à tourmenter ma m

9

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de prières instantes et importunes, pour qu'elle me donnât d'autres vêtements

et m'envoyât

à

Mexico, chez des parents qu'elle avait, afin

d é t u ~ i e r et

d.e

suivre les cours de l'Université: elle ne le voulut pas (et fit fort bten), mats

je

donnai le change à mon désir en lisant beaucoup

de

livres divers qu'avait

mon grand-père, sans que ni punitions ni exhortations parvinssent à m'en

détourner : de sorte que, lorsque je vins à Mexico,

on

s'étonna

non

pas tant

de mon intelligence que de ma mémoire et de mes connaissances dans un âge

où il semblait que j'avais à peine eu le temps d a p p r e n ~ e à p ~ r l e r . .Je c?m

mençai par m'appliquer à la grammaire, dont je ne

pns

pa

s

Je crms,

v ~ g t

leçons; et mon zèle était si

vif

que, bien que chez les .femmes (et.

~ r t o ~ t

a ,un

âge si tendre), les grâces naturelles de la chevelure so1ent très

p n ~ e e ~ , Je rn

en

coupais quatre

ou

six doigts, mesurant jusqu'où mes. cheveux

a r n v ~ e n t

a ~ p a -

ravant,

et

m'imposant pour règle que, si je ne sava1s pas, quand ils auratent

repoussé, telle ou telle chose que je m

 é

tais proposé d apprendre d a n ~ le temps

qu'ils repousseraient, je devais me les couper de nou':eau pour .Peme de ma

sottise. Il arrivait que mes cheveux poussatent et que Je ne sava1s pas ce q ~ e

je m

 é

tais fixé, parce qu'ils poussaient vite et que j'apprenais lentement;

Je

les coupais donc pour peine de ma sottise; l ne me

se

mblait pas juste qu'une

tête soit parée de cheveux alors qu'elle était dénuée de connaissances, orne

ment bien plus désirable. J'entrai en religion, car, bien. que je susse que

c ~ t

état

comportait

de

nombreuses choses

Ge

parle des accesso.

ue

s, non

d e ~

essentielles)

qui répugnaientà mon caractère, malgré tout, comme

Je

me refusatsabsolument

au

mariage, cet état était le moins disproportionné

et

le plus convenable que

je pusse choisir sous le rapport de l'assurance, que je désirais, de mon sa:ut :

à cette considération (comme à la fin la plus importante) cédèrent et se o u ~ e n t

toutes les petites impertinences de

mon

caractère, qui étaient de vouloir vtvre

seule, de refuser toute occupation forcée qui gênât la liberté de ~ e s é t u d e s ~

ou bruit de communauté qui troublât le silence paisible de mes livres. c l

mc fit hésiter quelque peu dans ma

.d

étermination, jusqu'à ce

~ u e

de doctes

personnes m'ayant avertie que c'était

tentation, j'en triomphat par le

s e c o u ~ s

de

la

grâce divine,

et

pris l

 état

que j'occupe si indignement. Je p e n s ~ me

fuir

moi-même, mais pauvre de moi Je m'emp?rtai

m ~ m e ~ v : c

mol,

m ~ n

plus grand ennemi : cette inclination, dont Je ne sats pomt distinguer

s1

le etel

me l 'a envoyée comme faveur ou châtiment, car étouffée et e ~ ~ ê c h . é e par t?us

les exercices de la religion, elle éclatait com me la foudre, et fatsatt bten parattre

en moi le :

privalio

est ca

u

sa

appetitus.

Je repris (c'est mal dit, car je ne cessai jamais), je poursuivis,

labeur appliqué (pour moi c'était un délassement qui occupait tous

que je ne consacrais pas à

mes

obligations) : lire

et

lire encore, étu

encore, sans autre maître que les livres eux-mêmes.

On

sait combi

d'étudier dans ces caractères sans âme, sans le secours de la voix

de l'explication d'un maître: eh bien, je supportais avec plaisir

peine,

pour

l'amour des lettres: ob si ç'eût été pour l'amour de D

cela aurait dû être, combien n'eussè-je p s acquis de mérite Ce

tâchais de l'élever autant que je le pouvais, ct de le diriger à son

la lin où j'aspirais était l'étude de la théologie; il me semblait que

bien indigne de ne pas savoir, étant catholique, tout ce que, dan

on

peut saisir des divins mystères

par

les moyens naturels;

et

que

couvent

et

non dans le siècle, l'état ecclésiastique me faisait

un

m'adonner aux lettres;

et

plus encore, qu'étant

fille

d'un Saint

d'une Sainte Paule, rester inculte était indigne de parents si docte

que je me disais à moi-mêm e, et l me paraissait raisonnable, mêm

l'était pas (ce qui est bien probable), de louer et d'applaudir ma p

nation, en lui présentant son désir comme une obligation : je

donc, dirigeant toujours mes études, comme je l'ai dit, vers les som

Sainte Théologie ; et il me parut bon, pour arriver jusqu

 à

elle

les degrés des divers arts

et

des sciences humaines; car, comment

style de la Reine des Sciences si l'on ne pénètre pas celui de

ses

s

Et

enfin, le livrè qui contient tous l

es

livres,

et

la science qui renferm

sciences, à l'intelligence de laquelle elles servent toutes : et lo

sait toutes (on voit bien que ce

n est

pas facile,

ni

même possi

une condition plus importante que

tout

le reste, l'oraison constante,

de vie, pour obtenir de Dieu cette purgation de l'esprit et illum

l'âme nécessaires à l'intelligence de choses si élevées : si l on n a

tout le reste ne sert de rien.

L'Église dit du docteur angélique Saint Thomas : in

locomm Sacrae Scripturae ad orationem ieiunum adbibebat. Quin eliam

fratri Reginaldo dkere solebal qtlidquid sdrel

non

lam studio au

peperisse quam ditmitus lradilttm accepisse.

Mais moi, si éloignée

d

comme des Lettres, comment pouvais-je prétendre à écrire? Au

m'assurer quelques principes, je m'appliqua i constamment à des étud

sans avoir

pour

aucune d'inclination particulière; en effet, ce n'es

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choix que j'en ai é t u c l i ~ certaines plus que d'autres, mais par

Je

hasard qui

t o ~ b e r entre ~ e s mams certains livres, et leur donna (sans que

mon

choix

tntervmt) la préference : et

c ~ m m e

je n'étais pas menée par l'intérêt, ni limitée

dans_ le temps par la nécesstte des degrés qui eût pu mc resserrer dans l'étude

c ~ n ~ u e

d'une chose, j'étudiais presque en même temps diverses choses, ou

laiss.ats

les pour les autres; en cela cependant j'observais un certain ordre,

car

Jc n o ~ m a t s

les unes

«

étude ,. t les autres

«

récréation ,. · ces dernières

me

_ o s ~

des p ~ e m i è r e s : il s'ensuit que j'ai étudié bien

d;s

choses, sans

pan:erur

nen

savou,

parce

9ue les unes ont gêné les autres. Il est vrai que

Jc clis

c e ~ pou.r la p a r ~ e prattque des sciences qui en ont une, car il est clair

que, tandis

qu

mante la. plume, le compas reste en repos;

et

tandis que la

h ~ p e ~ é s o n n e , 1 r g u ~ chome; et sic

de

celeris; car, comme il faut beaucoup

d excretee pour a ~ q u é n r u ne h ~ b i t u d e , ~ e l l e c i ne peut être parfaite lorsqu'on

se

p a r ~ a g e

entre diverses d i s ~ p l i n e s ;_mats c'es; le contraire qui arrive dans tout

ce relève de la spéculatton, et Jc voudrats persuader l

es

autres, par mon

e x ~ _ e n e ~ c ~ que ~ o n . seulement des exercices variés ne

se

gênent pas, mais

qu

ils s atdent. s cclatrcnt et s'ouvrent des chemins les uns aux autres

par

des dét?urs,et des rapports c:chés,. car la sagesse de leur auteur les a placés

de mantère_ former cette chatnc uruverselle; il semble qu'ils se correspondent

et sont par un concours et un agencement admirables. C'est

la

chaîne

que les anetens ont représentée sortant de

la

bouche de Jupiter,

étaient

suspendues toutes les choses, se tenant les unes aux autres ..

~ u s s _ i n e s t ~ c e point une ~ c u s e , mais je ne la donne pas

pour

telle,

q ~ e ~ avou étudié _des choses différentes, car celles-ci s'aident plutôt; mais

n

avou

pas su en ttrer profit est

à

l'insuffisance

et

à

la faiblesse de mon

~ n t e n d e m e n t , ce n'est pas. la faute de la diversité : ce que je pourrais alléguer

a ma. décharge,_c'est la ~ e m e

~ ê m e q ~ e

j'ai

prendre,

non

seulement parce

que

Je

manquats de maJtres, mats

auss1

de condisciples avec qui m'entretenir

et . e x ~ r c e r a ~ r è s a v o ~ é ~ d i é ; n'ai eu pour maître qu

 un

livre muet,

pour

c ~ n d i s c t p l e un encncr tnscnstble, et, au lieu d'explications et d'exercices,

bten

~ e s

e m p e c h e m ~ n t s , non seulement ceux de mes obligations religieuses

on. satt assez combten celles-ci passent Je temps de façon utile t profitable)

mats

~ e s .

choses . ~ c c e s s o i r e s d'une communauté, par exemple, que je sois

o ~ c u p e e

a lire qu il prenne fantaisie aux religieuses de la cellule voisine de

f a u ~ de la m u ~ t q u e ct de c ~ a n ~ e r ; en train d'étudier,

et

que deux servant

es

qui

se disputent vtennent me fatre Juge de leur différend; en train d'écrire et

qu une

amie s'avise de mc faire visite, me rendant un bien mauvais service dan

meilleure intention; en

ce

cas, outre l'obligation d'accepter le contre-tem

il faut encore être reconnaissante du préjudice ; et cela, continuellement, p

que les moments que je c o n s a c r ~ à l é ~ d . e étant ceux q u ~ me 1 a i ~ s e la règl

la communauté, les autres auss1 ont

lo1S1r,

alors, de

venu

me deranger;

p

savoir combien cela est vrai, il faut avoir l'expérience de la vie en comm

seule la force de

la

vocation peut faire que je me trouve contente, et le g

amour qu'il a entre mes chères sœurs et moi : comme l'amour est unio

n'est pas

pour

lui d'extrêmes inconciliables. . . .

En cela oui, je l'avoue, ma peine a été grande :

auss1

ne pws-Je p

répéter ce que j'entends dire

à

d'autres avec envie, que le savoir ne le

point coûté d'effort: ils sont bien heu.rcux. . . . .

Quant à moi, non point le savotr (car

Je

ne sats nen encore) mats le

de savoir m'a coûté tant d'efforts que je pourrais dire avec mon Père S

Jérôme (bien que je n'aie pas su en profiter comme _ui) : f -uid ibi

la

iwumpserim   quid sustinuerim dijftcultalis,

qu

oies d e s p e r a : e r ~ m j Omque c e s ~ a

el conlentione

dùendi

ru u

incoeperim

 

testis est

cowctenlla   lam ffua 

qut

p

sum,

quam eorum, fJUÎ

mecum

duxemnt

tJilam.

• . ., .

Sauf pour

ce

qui est des compagnons et des temoms (car J at ma

de ce secours), je peux bien attester l vérité de ces paroles. Et penser

ma noire inclination a pu être assez forte pour triompher de tout

Je

dois

à

Di

eu, entre autres bienfaits, un naturel si facile ct si af

que les religieuses m'aiment beaucoup pour.cela (elles sont s s e z bonnes

ne point s'arrêter

à

mes défauts) et platscnt ~ u c o u p a

_ma c o m p a

et moi,

à

cause du grand amour que

Je

leur porte,

Je

me plats beaucoup

leur, ct avec plus de raison; donc j'avais coutume d'aller,

p e n ~ a n t

nos mom

de loisirs aux unes et aux autres, les récréer ct me clistratrc en conve

avec elles. Je me rendis compte que, pendant

ce

temps, je ~ a n q u a i ~

étude, et je

fis

vœu de

n

entrer dans aucune cellule sans

y

erre oblige

l'obéissance ou

la

charité : à défaut

d un

frein si dur, l'amour aurait bri

qui n'eût été que résolution. . . .

Connaissant ma fragilité, je faisais ce vœu pour un mots ou qumze Jo

quand il était accompli, je me donnais, avant de le r e n o u v ~ l e r , . un ?u.

jours de trêve, ce jour servant non tant

à

mon repos (ne pas ctudter n a J

été du repos pour moi) mais plutôt

à

cc qu on ne me jugeât pas dure, se

ou

ingrate envers la tendresse imméritée de mes très chères sœurs.

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On peut bien voir par là quelle est la force de mon inclination. Béni

soit Dieu, qui a permis que ce fût pour l

es

lettres, et non pour un vice quel

conque qu'elle fût en moi presque insurmontable; on peut imaginer aussi

combien mes pauvr

es

études

ont

dû naviguer contre le courant, ou plutôt

comme elles ont fait naufrage. Je n'ai pas encore dit les difficultés les plus

rudes : jusqu'ici,

il

ne s'agissait que de contre-temps, que le hasard fait naître,

et

qui ne le sont qu'indirectement, mais il en eut de positifs qui, directement,

ont tendu à empêcher et à interdire mes exercices. Qui ne croirait, me voyant

si gtnéralement applaudie, que j'ai navigut vent en poupe sur une mer d'huile,

portée par les acclamations générales? Dieu sait pourtant qu'il n'en a guère

été ainsi car entre les fleurs de ces mêm

es

acclamations,

se

sont élevées, comme

autant de serpents, tant de rivalités

et

de persécutions, que je ne saurais l

es

compter; ceux

qui m ont

fait le plus de mal, ceux qui

m ont

le plus touchée, ne

sont cependant pas ceux qui m'ont poursuivie de leur haine déclarée

et

de leur

malveillance, mais bien plutôt ceux qui, tout en m'aimant et désirant mon bien

e

t qui peut-être se sont acquis des mérites auprès de Dieu par leur bonne

intention) m ont mortifiée et tourmentée plus que les autres avec leur: «il

ne

convient

point

à la sainte ignorance d'étudier ainsi; elle va se perdre, s'évanouir,

en montant si haut par l'effet même de sa pénétration et de sa finesse »

Comme il m en a coûté de résister à cela Étrange supplice, où j'étais

à la fois le martyr et mon propre bourreau Car, à cause de mon tale

nt

(deux

fois malheureux en moi) pour faire des vers, ils avaient beau être sacrés, quels

ennuis n'ai-je pas éprouvés? ll est vrai, Madame, que je me prends parfois

à

considtrer que celui qui

se

signale, ou que Dieu signale, car lui seul le peut

faire, est considéré comme

un

ennemi commun, parce qu'il semble

à

quel

ques-uns qu'il usurpe les applaudissements qu'eux-mêmes méritent;

ou

qu'il

accapare les admirations auxquelles ils aspiraient, de sorte qu'ils le poursuivent.

Cette loi barbare de la police d Athènes dure encore, qui exilait de la République

celui qui se signalait par ses mérites et ses vertus, afin qu'i l ne s'en servît point

pour tyranniser la liberté publique; e

ll

e s'observe à notre époque, bien que

le motif des Athéniens ait disparu; c'est qu'il en est un autre, aussi puissant,

s' il n'est pas aussi bien fondé,

et

qui

se

mble une maxime de l'impie Machiavel:

on doit détester celui qui se signale, car il ôte de l'éclat aux autres. Il en est,

l

en a toujours été ainsi. Toute éminence, qu'elle soit en dignité, en noblesse,

en richesse,

en

beauté, ou en savoir, est

en

butte aux préventions, mais celle

qui les éprouve avec le plus de rigueur est celle de l'entendement : d'abord,

parce qu'elle est sans défense, tandis que richesse et pouvoir châ

défie; plus l

 ent

endement est grand, plus il est modeste et résigné

se défend. Ensuite, comme le dit le docte Gradin, l'emporter

d

deme

nt

c'est l

 em

porter dans l'être. L'ange est plus que l'hom

seule raison qu'il comprend davantage : comprendre est ce q

l'homme de la brute; aussi, comme personne ne veut être moins

personne ne confesse qu'un autre comprend

mieux:

c'est-à-dire est

un homme souffrira er confessera

qu un

autre est plus noble que

l

plus riche, plus beau; même qu'il est plus savane; mais plus int

trouvera difficilement qui en convienne: nms est qui velit çedere i

ce qui rend si efficaces les coups portés à cette qualité.

J'avoue que je me trouve bien loin de parvenir à la sagesse, m

désiré la suivre, fût-ce

a

o t ~ Mais je n y ai gagné que d'approc

tage du feu de la persécution, du creuset des supplices : on en est v

demander qu:on m'interdît l'étude.

On

l

 a

obtenu une fois d'une supérieure très sainte

et

très c

crut

que l'étude était objet d'Inqu isition et m'ordonna de

ne

poin

lui obéis (pendant les trois mois environ que dura son pouvoir),

est de ne pas ouvrir de livre; quant à

ne

pas trudier du tout, com

pas en mon

pou

voir, je ne pus le faire, car, j'avais beau ne pas étud

livres, j'étudiais dans toutes les choses que Dieu a créées, m'en serv

de lettres,

et

prenant pour livre toute cette machine universelle.

J

rien que je

n y

réfléchisse, je n'entendais rien que je ne le considér

les choses les plus minces

et

matérielles; comme il n'y a pas de

basse qu'elle soit,

en

laquelle on ne reconnaisse le

me feal Deus

point qui ne saisisse l'entendement, si

on

la considère comme il

je le répète, je les regardais toutes et m'en étonnais; les personnes m

qui je parlais, et ce qu'elles me disaient, faisaient rebondir mes cons

d'oit pouvait bien venir cette diversité de natures et de caractères

n y a qu'une seule espèce? Quels pouvaient être les tempéraments

cularités cachées qui en étaient cause? Si je voyais une figure, je

à

combiner les proportions de

ses

lignes,

à

les mesurer avec l'en

et à la réduire

à

d

 a

utres différentes.

Je

me promenais parfois dans

dortoirs (une très grande pièce) et j'observais que les lignes de ses

parallèles, et son toit au même niveau, la vue faisait s'incliner ses l

vers l'autre, et son toit était plus bas loin que près ; d où je tirais qu

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visuelles sont droites, mais

non

parallèles,

et

vont former une figure pyrami

dale. Je me demandais si ce ne serait pas

la raison qui obligea les Anciens

à

douter que le monde fût sphérique. Car, bien que cela semble vrai, ce po

uv

ait

être une illusion de la vue, qui montrait des courbes où il pouvait ne

point

y en avoir.

II m arrivait - et m arrive toujours - de tout remarquer ainsi, sans

que j y puisse rien, bien que cela me fâche, car

ma

tête. se fatigue; je croyais

que cela arrivait

à tout

le monde, comme de faire des vers, jusqu

 à

ce que

l expérience m ait montré le contraire :

et

cette nature ou coutume, est telle

que je ne vois rien sans me reprendre

à

le considérer. Deux fillettes jouaient

devant moi

à

la toupi

e;

à peine eus-je

vu

le mouvement et

sa

figure qu e je me

mis, avec ma passion habituelle,

à

considérer le mouvement facile de la forme

sphérique; et comme l impulsion imprimée durait indépendamment de sa

cause, qui était la main de la . illette;

non

contente de cela, je fis apporter et

éparpiller de la farine, pour qu on pût constater si la toupie décrivaü, en

dansant au-dessus, des cercles parfaits ou non;

et

je trouvai que c étaient des

lignes en spirales, qui perdaient leur forme circulaire à mesure que diminuait

la force

de

rotation. D

 a

utres enfants jouaient aux épingles (le je u

le

plus frivole

de l enfance),

et

je m approchais

pour

contempler les figur

es

qu elles formaient;

et

voyant qu il s en était placé trois en triangle, je me mettais

à

enlacer au hasard

un

triangle avec

un

autre, me souvenant que c était

la forme que

l on

attribue

au

mystérieux anneau de Salomon, qui possédait un lointain reflet et représen

tation de la Très Sainte Trinité, en vertu de quoi il opérait

tant

de prodiges

et de miracles; c est aussi la forme qu avait, dit-on, la harpe de David, c est

pourquoi elle guérissait Saül lorsqu

 on

en

jouait:

c est presque la même forme

que conservent les harpes de nos jours.

Mais que ne vous conterais-je pas, Madame; d

es

secrets naturels que

j ai découverts en cuisinant?

Qu un

œuf reste entier quand on le fait frire

dans le beurre ou l huile, et

au contnire se

défait dans le sirop; que, pour que

le sucre reste fondu, il suffit de lui ajouter trè s peu d eau où aient trempé des

coings ou d autres fruits acides : que le jaune

et

le blanc

d un

même

œuf

sont

choses si contraires que, lorsqu 

on

s en sert pour des sucreries,

on

peut les

travailler séparément, mais

non

en les mêlant. Mais je ne devrais pas vous

lasser par de telles vétilles, que je ne vous rapporte que pour vous donner

entière connaissance de mon caractère, et je crois bien que cela vous feia rire;

mais, Madame, que pouvons-nous savoir, nous autres femm

es

, que philosophie

de cuisine? Lupercius Leonard a fort bien dit

que l on

peul

bien

philoso

etpréparer

les

repas. Et

je

is

d ordinaire, voyant

ces

petites choses : Si Ari

avait fait la cuisine, il aurait écrit bien davantage. Pour en revenir à ma fa

de raisonner, cela se fait si constamment en moi, que je n ai pas besoin de liv

une fois que, à cause d un sérieux dérangement d estomac, les méde

m avaient interdit les livres, je passai quelques jours de la sorte; ensuite, je

montrai qu il était moins dangereux de me les permettre, parce que mes pen

étaient si fortes et si véhémentes qu elles exigeaient une dépense d esprit

grande en

un

quart d heure que quatre jours d étude dans les livres; et a

ils

se

résignèrent à m accorder la lecture; mon sommeil même ne s est ja

délivré de ce continuel mouvement

de

mon imagination; au contraire, ell

meut

en

lui plus libre et plus aisée, comparant avec plus de clarté et de ca

les apparences qu elle a retenues du jour; elle discute, compose des v

dont je pourrais vous dresser un long catalogue, de même que de quel

idées particulièrement subtiles, que j ai saisies plus facilement endor

qu éveillée; je vou s en fais grâce, car je crains de vous fatiguer.

Si c était là des mérites (je

le

s vois célébrer

pour

tels chez les homm

ce ne le serait pas en moi car le labeur m est nécessaire; si cela est coupa

l

même raison m absout; cependant, je manque toujours à tel point de

fiance en moi, que je ne me fie pas à mon propre jugement, ni po ur cela, n

p

le reste : c est pourquoi j en remets

la

décision

à

votre souveraine auto

et

me soumettrai

à

ce qu elle décidera, sans protestation ni murmure, car

n est autre chose qu une simple narration de mon inclination vers les let

Je

conf

esse aussi que bien que je n aie pas eu besoin d exemples, ceux que

pu

lire, aussi bien dans l

es

lettr

es

divines que dans les humaines,

n ont

laissé de m aider; je vois une Déborah, donnant d

es

lois militaires ou politiq

et gouvernant le Peuple, où se trouvaient cependant tant d hommes sa

Je vois une très sage reine de Saba, si savante qu elle osa mettre

à

l épre

par ses énigmes, la sagesse

du

plus grand des sages, sans qu on eût

à

l

reproch

er;

la faisant au contraire

pour

cela juge des incrédules. Je vois

et de si remarquables femmes : les unes douées du don de prophétie, com

Abigail, les autres comme Esther, de persu asion; d autres de piété, com

Raab ; d autres, de persévérance, comme Anne, mère de Samuel ; et une

nité d autres, en

d

autres sortes de qualités et de vertus ..

Le vénérable Docteur Arce (digne professeur d Écritu re par sa v

et

sa

science) soulève cette question dans son savant Bibliorum:

an

liceat fn

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sac

rorum Bibliorum s

tudio

incumbere

taque

ittlerpr

etari? Et il cite à l

 a

ppui du

contraire de nombreuses maximes des Saints, en particulier

cc

que dit l'apôtre :

Mulieres in

Ecdesiis

taceant, non enim permittitur eis loqui,

etc... Il cite ensuite

d'autres maximes, et du même apôtre : Anus simili/er

itt

habitu sattcfo bme

docentes, jointes à des interprétations des Saints Pè:cs; ct ,il c o n ~ l u t

e n f i ~ ,

dans sa sagesse, que lire publiquement en chaire et prechee _n est potnt permis

aux femmes; mais qu'étudier, écrire et enseigner dans le pnvé,

non

seulement

leur est permis, mais très utile et profitable; naturellement, cela

ne

peut s'en

tendre de toutes les femmes, mais de celles que Dieu a pu doter de vertu et de

sagesse exceptionnelles, qui seraient très

c u l t i v é

_et

~ r u d i t e et

q u ~

aur_ient

l'humeur et

le

s qualités requises pour un

l 0 1

s1 samt : cela ~ s t s1 vra1 que

ce n'est pas se ulement aux femmes (que

l on

nent

po

ur

so

tt

es) mals aux hommes

égaiement (qui, rien que parce qu'ils sont hommes n s e n ~ être s ~ g e s que l'

on

devait interdire l' interprétation des Textes Sacrés, a moms qu'ils ne fussent

très savants et très vertueux et de nature docile et portée au bien : c'est parce

qu' il n'en a pas toujours été ainsi qu'il s'est trouvé, je crois, tan_t de sectaires,

et que tant d'hérésies ont pris racine; car bien des gens n'étudient

q u ~

pour

ignorer, spécialement les esprits arrogants, inquiets et s u p ~ r b c s ,

am1

s des

nouveautés dans

la

Loi (qui, justement, les refuse) ; ct ceux-a ne se trouvent

satisfaits que pour dire ce que nul n'a dit avant eux. C'est d'eux que parle

Saint-Esprit : 11

malevolam animam non introibit safienlia.

A c e ~ - l à sa:ou

fait plus de

mal

que l' ignorance. Un sage a dit: « 11n s

ot

qu: t1e :mt pomt

latin

nest

pas

1111

sol complet;

mais

celui qui

le

sail

est 1111

sot

pat

en

té». J aJOUte,

mo1,

qu'il est parfait (si la sottise u p p o perfection) lor_squ'il a étudié un peu de

philosophie ct de théologie, et qu'il a quelque n ~ n o n des langues, de sorte

qu'avec cela il est

un

sot en bien des sciences

et

b1en

des langages : un grand

sot n  a pas assez de place dans sa seule langue maternelle... .

Pour en revenir à notre Arce, il cite en confirmation de son sentrmcnt

ces paroles de mon père Saint Jérôme, dans d laetam de in titutione filiae, où

il

dit:

d

huc

/entra lingua Psalmis dulcibus imbuatur. Ipsa nomma

per q t t ~ e c o n s ~ e -

esdt paulatim

verba contexere

non sint fortuila

sed cerla

et e r v a ~ a

de

t n d u s t r ~ a ,

Propbeltlmm viddicet, atque Aposto

arum

et

omnis

ad dam Patrrarc

haru

m senes,

de Ma

thè

o

Lucaque

descendat, 111

dum

aliud agit,

futttrae memoriae

praeparetur.

Reddat tibi pensum quoh'die de scriptortlm

ftoribus carptum

. .

Eh bien, si c'est ainsi que le Saint désirait

qu on

formât une enfant

qu1

commençait

à

peine à parler, que voudra-t-il pour ses nonnes et ses filles

spirituelles?

On

le voit

bi

en par Eustoquia et Fabiola, et Marcell

Pacatule, et par d autres que le Saint honore de ses lettres, les exhorta

exercice; comme

on

le voit aussi par la lettre que je cite,

j'ai

ce

reddat

tibi

pensum,

qui se réclame du bme docentes de Saint P

confirme : le reddat ti Ji de mon Père donne à entendre que la m

l'enfant doit être sa mère elle-même, Uta.

Combien d'accidents n'éviterait-

on

pas dans notre Républi

femmes d' âge étaient cultivées comme Léta, et savaient enseigner

l'ordonnent Saint Paul et mon père Saint Jérôme Au lieu que,

à

cela, et à cause de l'extrême liberté

où on

laisse les pau

vr

es femm

des pères désirent instruire leurs

filles

plus qu  à l'ordinaire, le be

manque de femmes instruites les force

à

introduire des hommes

pou

à

à

écrire et à compter, à jouer d'un instrument et autres talen

qw en .résulte n'est pas négligeable, comme on le vérifie chaque

jo

exemples lamentables d'unions mal assorties : les rapports directs e

passé ensemble ont coutume de rendre facile ce qu on n'aurait pas cr

C'est pour cette raison que bien des gens préfèrent laisser leurs fill

et barbares, plutôt que de les exposer

à

un danger aussi évident qu

liarité avec les hommes; cela ne serait pas à craindre s'il y avait,

veut Saint Paul, des femmes cultivées, qui se transmissent l'une à

magistère, ainsi que cela se fait pour les travaux manuels. Quel inc

y aurait-il qu'une femme d'âge, instruite, d'entretien et de ma:urs

eût

à sa charge l'éducation des jeunes filles? Au lieu que celles-ci,

perdent par manque de religion, ou parce qu'elles s'y appliquen

moyens aussi dangereux que le sont des maîtres de J'autre sexe, san

l'indécence de voir, assis à côté d'une femme vertueuse (qui rougi

c'est son père qui la regarde en face),

un

homme étranger la traiter av

liarité d un parent et d

 un

maître; la réserve qui s'impose dans le

avec les hommes et dans leur entretien suffit pour qu on ne le perm

Je ne

trouve pas, pour ma parr, que cette façon de faire instruire des fe

des hommes puisse être sans danger, hors du sévère tribunal du con

ou

dans le chaste éloignement de la chaire, ou encore dans la loin

naissance par les livres; il ne peut en être ainsi dans un commerc

et immédiat; tout le monde sait que cela est vrai; cependant, on le

l seule raison qu on manque de femmes âgées qui soient instruite

donc pas un grand malheur qu'il n  y en ait pas? C'est ce que devrai

59

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7/21/2019 La Licorne

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dérer ceux qui, s'en tenant au M11litrts it Ecdesia tauatJI, se fâchent parce

q ~ e

l ~ s

f ~ s s_'instrnisent et enseignent, comme si ce n'était pas l'apôtre

lw -meme qut a

dit

:

Bme docmles.

Du reste, cette interdiction fut faite dans

les circonstances que rapporte Eusèbe : dans l'Église Primitive, les femmes

s é ~ i e n t

mises à s'instruire les unes les autres dans l

es

temples; et cene rumeur

étatt gênante quand les apôtres prêchaient; c'est pourquoi

on

ordonna aux

femmes de

se

taire, de

la

même façon que maintenant, pendant le

pr

êche, il

n 'est pas permis de prier à haute voix.

Il est hors de doute que, pour l

 in

telligence de bien des endroits, il faut

connaître l histoire, les coutumes, cérémonies, proverbes, ainsi que les manières

de parler du temps

furent écrites les Saintes Écritures,

à

quoi elles

se

rapportent et à quoi font allusion certaines locution

s.

Cela demande plus

d in

struction que ne pens

ent

certains, et il y faut plus que de simples grammai

riens, qui croient avoir beaucoup fait lorsqu'ils veulent interpréter les Écri

tures avec quatre termes de logique élémentaire et s'emparent du

Mulieres in

Bçdesia

lac

eanl,

sans savoir comment il faut l'entendre,

ou

encore du

Mulier

in silmtio

discal,

alors que cette citation favorise davantage l

es

femmes qu'elle

ne leur est opposée, puisqu'on veut qu 'elles s'instruisent; et l est clair que,

lorsqu'elles étudient, il leur faut se taire. Il est écrit aussi:

.Audi Is

ra

è l

el/ace

où l est question des hommes et des femmes, tout ensemble, à qui on o;donne

de se

t ~ i r e

; car qui écoute et apprend doit faire attention et se taire; sinon, je

~ o u d r a t que ces interprètes et citateurs de Saint Paul m'expliquent comment

ils entendent ce pas

sa

ge :

Mltlieres

in

Ecdesia

taceanl

.

Car,

ou ls

l'entendent au

sens matériel, des pupitres et des chaires, ou, au sens spirituel, de la Réunion

des

i d è l ~

qui est

~ ~ l i s e

: s'ils l'entendent de la première façon, qui est

à

mon sennment) son verttable sens, nou s voyons bien qu'en effet on ne permet

pas que les femmes lisent publiquement ni prêchent dans l

 É

glise; pourquoi

donc reprendre celles qui étudient dans le secret? Et s'ils l'entendent de la

seconde, et veulent que l'interdiction de l apôtre soit formelle, qu on ne per

mette pas même aux femmes d'écrire ni d étudier en secret, comment se fait-il

que l Eg lise ait permis d'écrire à une Gertrude, à une Thérèse, à une Brigitte,

à la nonne d'Agreda et à beaucoup d'autres? Et s ils me disent que celles-ci

llaitnt

des

Saintu,

c'est vrai, mais cela ne s'oppose pas

à

mon argument :

d'abord, parce que

la

proposition de Saint Paul est absolue et comprend

toutes les femmes, sans faire exception

pour

les Saintes, car il y en avait aussi

en

son temps : Marthe

et

Marie, Marcelle, Marie mère de Jacob,

et

Salomé,

6o

et bien d autres qui se sont trouvées dans la ferveur de l ég lise primitive

il ne fait pas d'exception pour elles; et nous voyons que maintenant l'Ég

permet aux femmes d écrire- Saintes ou non, car Mme d'Agreda et M

d'Antigua ne sont pas canonisées, or on fait courir leurs écrits. Sainte Thé

et les autres ne l'étaient pas quand elles ont écrit. La défense de Saint P

regardait donc seulement

la

publicité de la chaire, car, si l'apôtre avait inte

d'écrire, l'Église

ne

le permettrait pas. Pour ma part, je ne prétends pas en

gner, ce serait en moi une présomption bien extrême : quant

à

écrire, il y

plus

de

tal

ent

que je n'en

ai et

une bien gra

nd

e méditation; c'est ce que

Saint Cyprien :

gravi

consideralione indigent ljtlat

uribimus.

La seule c

que j'ai désirée, c'est d

 é

tudier pour être moins ignorante : car, selon S

Augustin, on apprend certaines choses pour agir et d'autres seulement p

s'instruire :

disdmus

fjflaedam

ut

sciamus, quaedam

faâamu

s. Où donc est

faute, puisque je ne fais même pas ce qui est licite chez l

es

femmes,

e n s e i

en écrivant, ayant reconnu que je n'ai pas qualité pour cela, suivan t le con

de Quintilien : Nosca

t fJIIÙfjllt,

et non

la

nl m

ex alimis praeceptis sed x na

s a

çapia

t Onsilium?

Si ma faute est dans la

Le/Ire athlnagorique,

cel

a-t-elle fait autre chose que rapporter simplement mon senriment, avec t

la révérence que je dois

à

notre Sainre Mère

l É

glise? Mais si Elle-mê

avec Sa très Sainte autorité, ne me l'interdit pas, pourquoi faut-il que d'au

me l'interdisent? .. Si j'avais cru qu'elle dût être publiée, je ne l'aurais

laissée dans un état si négligé. Si, comme le prétend le Censeur, elle esr h

tique, pourquoi ne la dénonce-t-il pas? De la sorte, il serait vengé, et

contente, car, comme c'est mon devoir, j'apprécie davantage le nom de ca

lique

et

de

fille

obéissante de ma Sainte Mère l'Église que tous les applau

sements adressés à mon savoir. Si elle est

barbare

(et il a raison de le pen

qu'il rie donc, fût-ce d'un rire forcé; je ne lui demande pas de m'applau

j'étais libre d'être

d un

autre senriment que Vierra, n 'importe

qui

le sera a

bien

de

s'écarter de

mon

opinion.

Mais où vais-je me perdre, Madame? Cela ne convient pas ici, et n

pas destiné à vos oreilles; mais comme je parlais de ceux qui m'attaquen

me suis souvenue des formules de l'un d'eux, qui s'est récemment déc

et, insensiblement, ma plume s'est laissée entraîner à lui répondre à lu

particulier, alors que mon propos était de parler en termes généraux.

Pou

revenir

à

notre Arce, il dit qu'il a connu dans cene ville deux nonnes; l'

au couvent de Regina, qui gardait le Bréviaire en mémoire de telle sorte

6

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dans les conversations, elle appliquait avec la plus grande promptitude et

propriété, les vers, l

es

psaumes et les maximes des Homéli

es

des Saints. L'autre,

dans le couvent de la Conception, avait si bien accoutumé de lire les Épîtres

de mon Père Saint Jérôme

et

l

es

expressions du Saint que, nous dit Arce :

H i e r o ~ m u m ipsum hisparll loquefJfeln

audire me

existimarem

Il dit u s ~

de

cette

dernière qu'il s

ut,

après

sa

mort, qu'elle avait traduit l

es

dites Epîtres en

langue vulgaire;

et l

se lamente que de tels talents ne

se

soient pas employés

à de plus grandes études, et sur des principes scientifiques; il ne dit pas les

noms de l'une ni de l'autre, mais il

les

cire en confirmation de son opinion :

qu'il

es

t non seulement permis, mais très utile et très nécessaire aux femmes

d'étudier les Saintes Écritures, et plus encore aux nonnes; c'est à cela même

que m'exhorte Votre Sagesse, et

à

quoi concourent tant de raisons.

Mais lorsque je considère le talent si combattu d'écrire

en

vers, il est

en moi

si

naturel que je dois même me faire violence pour que cette lettre ne

soit pas

ve

rsifiée, et que je pourrais dire moi aussi :

Quidquid c o r ~ a b a r .dicere

versus

erat; je l'ai tant vu condamner

et

incriminer par tant de gens que

Je

me

suis proposé de chercher quel mal il peut causer, et ne l'ai pas trouvé ..

Le mauvais usage n'est pas la faute de l'Art, mais de celui qui l'exerce

mal et parvient à faire de ses vers les pièges du démon; mais cela se produit

dans tous les domaines, et dans toutes

le

s sciences : si

le

mal réside dans le fait

que c'est une femme qui

le

s compose, on

sa

it assez combien en

ont

usé de

façon digne de louange Mais quel mal y a-t-il dans

le

fait que je sois une

femme? Je confesse sans ambages que je ne vaux pas grand'chose et même

rien du

tout;

mais je ne crois pas

qu on

ait vu de moi

un

poème indécent.

D'ailleurs je n'ai jamais rien écrit de ma propre volonté, mais sur les instances

et

à

l'instigation des autres; de sorte que je ne me souviens pas d'avoir rien

écrit par plaisir, excepté quelques pages intitulées Le songe»

Je puis assurer pour ma part que

les

calomnies

m ont

quelquefois mor

tifiée; mais elles ne m ont jamais fait de mal, ca r je tiens pour bien sot celui

qui, ayant l'occasion d'acqu érir des mérites, esquive la peine et perde le mérite;

c'est comme ceux qui ne peuvent

se

résoudre à mourir et meurent enfin, sans

que leur r

és

istance puisse leur éviter de mourir mais elle ne fait que leur ôter le

mérite de

la

résignation, en rendant mauvaise une mort qui pouvait être

belle.

De

sorte que,

à

mon avi

s

ces choses sont plus profitables que nuisibles.

E t je tiens pour plus grave le péril que font courir les applaudissements à la

6z

faiblesse humaine, qui a coutume de s'approprier ce qui n'est

aussi faut-il s'armer de la plus grande vigilance

ct

garder grav

cœur ces paroles de l apôtre:

Quid

autem

habes quod non accepisli,

pisH, quid gloriaris quasi non acceperis

pour

s'en faire un bouclie

aux pointes des lances que sont

les

louanges; car, si nous ne

le

s

pas à Dieu, à qui elles appartiennent, elles nous ôtent la vie et nous

de l'honneur de Dieu, usurpateurs des talents qu'il nous a confié

qu'il nous a prêtés, dont nous lui devons rendre compte au p

crains donc plus ceci que cela : cela, par un simple acte de patien

en profit tandis que ceci exige bien des réflexions d'humilité

et

de

de soi pour

ne

pas être funeste.

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Espace méricain

p r

ROGER C ILLOIS

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J

NOUVEAU MONDE

I

soLÉ par

d'immenses étendues d'eau que l homme n'apprit pas vite à

continent demeura longtemps inconnu

du

reste du monde. Et le jour,

loin, où le monde eut l révélation qu'il existait une terre nouvelle au delà d

était lui-même

vieu. <

et tigué, en proie à ces difficultés inextricables qui s'a

long

de

l'histoire, qui

ne

se simplifient jamais

et

qui découragent à

l

fin

impatientes. Toutes sortes de traditions

y

étaient puissantes,

qui

étaient a

les unes aux autres ou mal composées entre elles; on ne pouvait concevoir

précaire et comme miraculeuse entre une multitude de fidélités exigeantes

timents tenaces,

de

nations rivales, de partis

et de

croyances qui

ne se

support

lement qu'avec peine. Quelle fmkheur, quelle aisance demeuraient permise

de querelles d'idées, d'intérêts

et

de prestiges? De ces querelles les unes étaien

Des autres, on cherchait en vain l'origine. Nées d un accident oublié ·ou pe

elles n en continuaientpas moins

à

provoquerdes heurts absurdes sans doute,

les plus durables et les plus cruels, soutenus comme ils étaient par des hain

rissait le souvenir des anciens chocs.

f

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  nregard

d un

monde neuf

et

tout offen à l espérance, s était ainsi ~ s é

d âge

en

âge un limon à la fois fertile t empoisonné, toujours plus lourd de rancune,

de

sagesse

et

de méfiance, parfait lieu de guerre et de fermentation, univers riche, encombré, presque

étouffant: l Europe, comme elle était déjà et comme elle est restée.

L Europe peupla l Amérique de tout ce qui la fuyait: persécutés et aventuriers, cher

cheurs d or, missionnaires, mélange inaccoutumé de fripons audacieux et d apôtres témé

raires, qui réunissait des désespérés, des saints, des avides, anxieux également

de

se trouver

au large

et

d avoir les coudées franches. Ces âmes ombrageuses et indépendantes aimaient,

j imagine, l espace et la liberté. L effort ni le danger ne leur faisaient peur. f.ttange et

décisif destin que celui d une terre

où ne

vécurent longtemps que des hommes qui

avaient dû

pou

r elle quitter l a leur. Voilà qui marque singulièrement cette contrée parmi

les autres : ceux quidevinrent Américains le fure nt à l origine de chaque lignée

pa

r l eur

volonté et non par la naissance, formant une race inédite et diverse d hommes qui

avaient un jour rompu avec leur héritage pour s en remettre

à

leur étoile. Et comme

on se trouve ailleurs

par

hasard, on se trouvait là

pour

avoir accepté

un

pari avec soi

même : celui de défier l avenir n ne comptant que

sur

ses

prop

res forces.

Passé

le

temps d une conquête brutale

et

souvent exterminatrice, le continent demeura

entre les mains des nouveaux-venus, comme une récompense inépuisable qu il leur fallait

reconnaltre avant d en jouir. Mais il

n y

eut pas de

fin

à cette exploration nécessaire. Car

cette longue terre a presque la mesure du globe: de part

et

d autre de l f.q uateur, elle

étend deux fois la gamme des climats jusqu aux abords des fxoides et brumeuses solitudes

passe l axe de la planète.

Celui qui posait le pied sur ce sol acceptait que

tout

y commenç

ât

avec lui. T pouvait

assurément gaxder

pour

sa terre natale une secrète nostalgie, mais

qu

i appartenait déjà

à

la douceur du rêve et des contes de la veillée. Sa patrie véritable était désormais dans

l avenir: il cessait de la recevoir, glorieuse

et

accomplie comme un don du passé, il

avait à la fonder par son adl:esse

et

par sa vaillance.

Voici que sans même qu il y pensât, elle prenait forme et figure, profitant d efforts

accomplis pour de plus humbles triomphes et surgissant de surcroît. l ne soupçonnait

pas ce

qu

 elle serait un j

our,

mais devinait confusément que cette splendeur lointaine

dépendait un peu de ses vertus personnelles. Ainsi chacun travaillait à une pattie toute

incertaine et future, sans autre bord que la ligne mouvante qui sépare la terre aménagée

par

les hommes de l étendue louche où ils n ont pas encore d établissement fixe.

l

ne

connaissait guère

d auue

sens au mot frontièxe, limite pour lui de l empire humain dans

la nature et non pas limite d une nation

que

pressent des voisines ennemies et fra

temelles, qu elle repousse

à

son tour.

68

La nature contraint i i chacun d apprendre ce q u elle est dans sa vraie puissa

dans sa pleine çigueur. L émigré se souvient avec étonnement que, là-bas,

dans la

sule restreinte qu il abandonna, il n est pas de campagne qui ne

lui

apparaltrait aujou

• jardin bien dessiné, diligetnment entretenu, peigné

et

ratissé avec soin par

un

a

attentif; jusqu aux gorges que les poètes prétendent sauvages et lugubres, jusq

forêts qu ils disent impénétrables, lui semblent

par

comparaison recéler quelque:

de familier, d apprivoisé, qui rappelle

un

bibelot poli et travaillé par une savante

citude. Elles ne lui offrent plus rien de déconcertant ni de démesuré. l admet sans

que des chasseurs s y soient égarés, des bannis réfugiés, des amants abrités. Mais l

plus

ign

o

rer

que ces sites revêches sont i

solt s

dans

un

paysage riant

et

fertile,

quitte pour y pénétreret qu on retrouve aussitôt. Libr e à un cœur appliqué de les déc

pittoresques, mélancoliques ou consolants. L imagination peut

à

son aise leur prêt

charmes : il n e filudrait pas qu ils fussent des Uots prêts de disparaltrc

à

leur tour

bien la mer qui les environne

et

qui menace

de

les engloutir,

pour

que le ruoit le

conservé

de

signifier à l homme comme à

un

intrUs insolent qu il lui conviendrait

de fuir et de se cacher. Que lui sert d insister comme l fait poux imposer sa prés

un univers complet sans elle, et harmonieux et éclatant, qui la refuse avec plus d in

rence encore que de haine?

Tout est faiblesse chez cet animal médiocre, dont la prétention seule semble i

l parvient cependant à ses fins. Son énergie est à la mesure de sa prétention. Qu

discrète que demeure son empreinte, sa volon

emporte

le

dernier mot. Dans les ho

nouveaux où l espèce impérieuse reste clairsemée, là où la plaine ressemble à la m

n ose irrulginer qu il existe, invisibles

et

épars dans l immensité nue, des êtres q

vouent leux labeur et qui en attendent leur nourriture. lls y sont pourtant et ils y rè

La plaine n oppose: encore que peu

d

obstacles

à

l  installation des homme

forêt ne se montre pas si traitable. A la première distraction, elle résorbe le dom

qu on lui inB igea

Sa

patience, sa puissance sont inexorables. Que l ouvrier se dé

un instant

ct

voilà son œuvre folle reconquise par un

néant

vorace.

Des

explorateurs se

ni

les plantes

ne

parviennent à subsister,

tant

ils y sont rares.

Le

voyageur

pe

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7/21/2019 La Licorne

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fraient un sentier à travers les lianes, ils trébuchent à l improviste contre des ruines qui

avertissent qu ici des hommes implantèrent

un

e fois leurs règles et usages, - et qu ils

ne

surent pas les maintenir.

Pourtant ces monuments n attestent pas

l

existence d une de ces civilisations millé

nai

res qu exhument les soins de l archéologie. Ils

sont

d hier. Poudre et débris d  une

entreprise récente, leurs épaisses parois que disloque lentement une sève irrésistible, la

veille encore proclamaient l orgueil et la foi

de

ceux qui les élevè.reot; et déjà les petits-

6.ls

de

ces architectes présomptueux remercient

le

hasard qui

leur

livre des édifices perdus

pour la mémoire même. •

Le

s habitants

d une

ville surgie au cœur des ténèbres humides de l Amazonie, exploi

tant, il y a moins d un siècle, les richesses de la forêt, en retirèrent une fabuleuse fortune.

Ils firent venir l o r et le porphyre de leurs retraites lointaines et construisirent pour la cité

presque inaccessible

un

théâtre comme

l Europ

e en connalt peu. Les frontons, les colon

nades, les cscaliets, les vestibules, les galeries, tout étonnait

par

le luxe

et par

les dimen

sions. Les artistes les plus réputés de l ancien monde, r emontant le fleuve interminable,

venaient distraire à grands frais

un

public fruste. Puis la prospérité

s en alla

aussi brus

quem

ent

qu elle était venue: on avait découvert

au.

antipodes le moyen de produire la

gomme à meilleur marché. Sans hâte, la végétation reprit possession de la clairière

d un

jour. On vit les arbres, source de cette opulence fugitive, soulever les dalles de leurs

racines, contourner, écarter ou renverser de leurs branches les murs aux revêtements de

pierres rares, ombrager les péristyles clairs de

leur

feuillage luisant et sombre, montrant

vite comment l empire

de

la nature prévaut

sur

l œuvre bu.maine. Sur le marbre disjoint

apparut la mousse et, victorieuse

à

la 6.n, s ouvrit la frêle corolle du parasite. Ainsi, là

bas, nomme-t-on l orchidée.

Courant le long du continent, de l une

à

l  autre banquise, une arête minérale étire à

l est une barrière gigantesque et désolée. Sur sa surface lunaire, il semble

que ni

les animaux

longtemps sans distinguer nulle part la moindre trace d humanité et le viva

bientôt de n y apercevoir aucun vestige de vie.

n

dirait la peau rude e

planète refroidie depuis peu, à qui n a pas encore

été

confié comme un

précieux frémissement.

Le

désert même

provoque

moins

de

surprise

et

monotonie du paysage, la répétition des dunes, des épines ou des cailloux y

d une solennelle unité où l esprit trouve son compte. Mais là tout est c

changeant, plissé et tourmenté à l extrême. Mille structures disparates s a

cesse

en un

désordre coloré.

u le

soleil qui,

du

haut

d un

ciel inaltérable,

univ

ers mon une égale clarté, y éveille par larges plages des couleurs qui f

instant que ces rocs retiennent en eux quelque chose d animé, qui respire,

qui reconnait au moins, comme sait faire le moindre brin d herbe,

se tr

se tourner vers elles, la chaleur et la lumière. Mais tout est de pierre et

qui, sur ces plateaux mornes, arbore des teintes trompeuses. Mieux ornée

accaparant pour elle l  éclat des autres règnes, on la voit si puissante en cette

semble réussir à en défendre l accès à

tout

ce qui

n est

pas comme elle inerte

vainement immonel.

Pourtant la mer bat inlassablement ce socle impassible, et avec elle l

poissons se meuvent sous ses vagues impénétrables; dans ses profondeurs

monstres hérissés, mais vivants; la transparence hideuse

de l

méduse

frissonne du moins; le corail s y dével

oppe;

l iode s accumule dans l algu

panout en suspension dans le liquide ensemencé, grouille indistincte la fou

élémentaires de la

vie,

soudain parentes

et

fraternelles. Là-haut, dans l az

retourne à tire-d aile aux iles plus clémentes d où

l

est venu.

Sur

le riva

vie n a

jamais

pu

s accrocher. L

 homme

cependant

y

a déjà tracé des piste

Plus bas, rompue par

un

large détroit, l Amérique pousse encore com

appendice la

Terre

de Feu, to

ute de

vide,

de

glace et

de

brouillards. Les mon

enfin dans l Océan. Les sommets de leurs chatnes noyées émergent en chape

péninsules tortueuses qui découpent dans la mer un labyrinthe de cana

semb

le avoir empli

de

merveilles cette contrée reculée. On dirait qu elle s

poser ses tableaux l

es

plus majestueux là

personne ne parais

sait

destiné

à

l

et la solitude augmente encore leur majesté.

La

nomenclature de la région dit assez combien l homme souffrit de sa

71

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7/21/2019 La Licorne

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de la tempérer par de précaires installarions, Pott Fllmine,

Baie

Inutile, Ile Désollltion, et

mnt de noms qui inscrivent dans la géographie une tecrible histoire. P e u t ~ t r e le pire

est-il celui du fjord profond, qui servit à baptiser la province

entihe: Ulcima

Espera=.

A quels désespérés cette sinistre impasse parut-elle la dernière espérance? Aujourd'hui

encore le dépanement est quasi-désert: il ne compte qu'un village qui fait office de capi

tale. Les glaciers descendent jusqu'à

lll

mer; sonant des

eaux

sws intermédiaire, une forêt

obstinée ou des prairies chauves montent à l'inverse jusqu'aux altitudes pures où

se

forme la glllce.

e long du rivage, les vagues sont rouges du sang des moutons égorgés dans les

abattoirs du frigorifique. Une odeur âcre emplit l'atmosphère. D

es

oiseaux au

cr

i strident

tourbillonnent, po

rt

ant

au bec

un

lambeau de viscère qu'ils laissent choir po

ur

le ramasser

vire, ivr

es

et joyeux plut ôt qu'affamés. L'industrie, qui dédaigne ces déchets ct qui néglige

de les détruire, les abwdonne à l'avidité des rapaces. La fumée de l'us ine s'élève péni

blement dans le ciel. Quelques bommes sont r assemblés dws la bourgad

e

d'autres dis

persés dans l

es

exploitations voisines.

Il

s font rarement de vieux os.

So

us une latitude où

déjà le soleil éclllire plus qu'il ne réchauffe, d'un bout à l'autre de l'année l'humidité e

st

pénétrante et la pluie comme éternelle.

A l'horizon

d un

e ha

ut

e terrasse, l

es

derniers con

tr

e forts de massifs monstrueux

dessinent les différents plans

d un

décor grandiose. Ils

enf

erment dans leurs parois

nues

d

es.

lacs bleus .et tranquilles : ceux-ci d'une forme simple, ceux-là sinueux et découpés,

feuilles de lunuère, acanthes de fraîcheur à la surface d un monde aride r menaçant. Que

le voyageur pounant ne se

fie

pas trop à leur apparence: telle lagune dont la teinte et le

dessin ravissent les yeux,

qu

elque chose enfin d'amical, quelque chose de caressant, cette

l a g u n ~

est saturée de soude œustique: l'eau en serait dangereuse,

si

son amertume n'em

pêchaJt

~ l l S

de lll b o ~ e

~ e l

l i b e ~ é est vaine, où la distance elle-même emprisonne

Tout

pr

es, semble-t-il,

maJs

en réalité seul de sa hauteur au milieu des lointains som

mets, se dresse, imposant, étincelant de

la

neige qui le recouvre,

un

verrou gigan

tesque qui l

wce

contre le ciel trois dents de

pi

erre comme l

es

tours d'une cathédrale

naturelle. Et ce mont compliqué, abrupt, illuminé de toute part, semble l énorme archi

tecture ~ a n c r u a i r e q.u'au bout .du. monde construisit un peuple de

Cycl

opes pour de

fières dtvlrUt

és

qut, retirées aux limites d

es

te

rr

es, évitent les hommages ordinair

es

d

es

homm

es.

Voici t e ~ e

diffic

ile.où, sc;ouant la poussière de.ses s ~ u v e n i : s et disposé à de pénibles

travaux, vmt

JOur

après JOur s mstaller

un

peuple qut fuyaJt la rrusère ou l'oppression. Les

72

uns cherchaient

l or

ct le bien-être, d'autres la liberté ct l'aventure,

il

en était d'autres

avaient dessein d'édifier une sone de cité sainte aux mœurs enfin conformes à la loi div

tous persuadés également qu'ils seraient affranchis à jamais de l'esclavage dont

ils

ven

de secouer le

jo

ug: la pauvreté, l'intolérance ou la corruption. Hélas, il n'est pas de s

rudes plus tenaces que celles.O, qui accompagnent l'homme partout où

l

s'exile po

échapper. Bientôt leur malfaisance reparaît, hypocrite ou violente ~ o m m e au dépa

cene fois le globe n'offre plus de nouveau monde pour un autre e s s ~ g e o u r t a n ~

dilués sur une étendue plus vaste, les maux n'y

ont

point repris leur vtrulence anCi

Une grâce continue d'avantager les descendants de ceux qui jlldis débarquèrent a:

de richesse, d'indépendance ou de loyauté. Un sang plus abondant coule plus

~ d

les

veines des fils comme s'il gardait quelque chose, non point des fautes ou des t ~ ~

des pères, mais de l'audace de leur décision confiante;

il

semble que

la

?énérostté

instant continue de marquer, mais dont s'évapore la puissance, la sepuème et la

septième génération de la lignée nouvelle. .

Livré aux dimensions véritables de la terre, par force plus attentifà la nature et m

pressé par ses semblables, l'homme, à son insu,

se

trouve subtilement dégagé.

gagné une première noblesse

et

un ~ g e

élargisse.men t

de l'être. Ce sont les

P r ~ e

l'espace qu'ici personne ne semble avol reçus en VaJn: 1

bab1rude

de lom 1ho

et l'avenir, et l n'est rien qui purifie mieux le regard; autour de sot la ~ s t a n c e de

pan

comme un domaine inaliénable, c'est le secret peut-être d'une drotture essen

et la jeunesse du monde chaque matin, l'eau vive de l'aurore pour laver l'âme et

la rafraîchir.

l accompagne pour le protéger. Ces avantages dont il jouit au cœur des

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L li\lfPOSTEUR

Qmegarde

sur

la mappemonde les taches éparses qui désignent l univers habité

s étonne déjà qu elles soient si rares et si distantes imaginait naïvement ce globe uni

formément peuplé

et

voici que les places

la tribu est rassemblée presque entière lui

révèlent leur petit nombre

et

leur isolement. Il croit voit de larges oasis perdues dans un

dése.rt démesuré. Mais sur la planche de l adas, su la sphère coloriée que la main caresse

et prend plaisir

à

faite tourner autour de son axe, ces proportions n effraient pas: to

ut

tient dans la chambre. Au contraire, celui qui survole

d un

coup d aile l immensité

d un

continent, suivant au cours d une longue étape

la

succession des cliroats

sur

le sol où elle

s inscrit, connaît que

son

sort dépend de l appareil qui le porte

t

par

quoi

le

soutient

une inconcevable somme de travaux heureux. Déposé indemne en quelque point du

parcours, sa perte n est pas moins fatale, elle est seulement plus lente

et

plus douloureuse

que si la machine en

s

abattant l avait tué

d un

coup. L insecte conquérant ne reste

puissant, il n est même assuré de survivre qu aux environs des vastes fourmilières éclliiées

de loin en loin par son industrie et que son industrie seule a lentement rapprochées.

L homme ignore

sa

misère tant qu il ne s est pas trop écarté des territoires qu il

occupe à demeure,

en

force,

et

muni des divers recours qu une patience plus ancienne

qu

e

sa mémoire lui légua. Dès qu il s en trouvè privé, que lui reste-t-il pour se mesurer à une

nature qui l écrase par

son

étendue, par sa pérennité,

par

la réserve inépuisable

de

ses

énergies

in

différentes?n ui semble

qu

e partout

il peut s aventurer, le génie des siens

74

bien qu ils se dégra

dent

t se raréfient à mesure qu il s éloigne des établiss

où tout concourt à sa sécurité et à son agrément. est convaincu toutefois

pas d échapper complètement à leur influence tutélaire. Accoutumé dès

une existence privilégiée dont la douceur le Batte, il se persuade volontier

soi, qu elle

ne

renferme rien d étrange

ni

d admil:able, qu elle est enfin

con

des choses. la croit presque naturelle à l égal de la nature; de fait, il en reço

si continus et si nécessaires q u il oublie de les distinguer

du

don de vivr

en profite comme à son insu et ne remarque pas plus leurs présents innomb

s étonne d être né.

c

Aussi, de tout ce qu ajoutèrent à la nature sa science

et

son adresse, retie

ce qui l importune et qui n est rien auprès de ce qui l aide. Il médit bi

condition

où il

s est haussé.

ll

y découvre l origine de ses mau: < et, ce qui

grave encore, celle de son ennui. aspire à retrouver son premier état

et

dévoyé. TI envie la bête innocente qui bondit au soleil

et

qui assouvit jo

simples

in

stincts.

Mais il tient ses discours dans sa chambre, sous

la

lampe, là où il est le p

trouver, son vœu exaucé, avec les seules ressources de l animal t sans per

secourir. Il reste alors si parfaitement abrité que son imagination lui refus

représenter aux prises avec la planète, telle qu elle se montre en

son

entière d

repoussant encore un maître mal installé, elle semble attendre qu il se lasse

en

vain.

L être chétif,

en

ces conditions sévères, sent vice sa faiblesse et s

défriche un nouvel arpent,

il

peine, il s obstine, le succès récompense so

victoite. contemple avec fierté l enclos qu il s est réservé au sein d un mon

sa défaillance. Et la moindre secousse emporte tout, qui était infiniment

nulle secousse n est nécessaire. Sécheresses, inondations, incendies, tor

d accidents superflus, inutiles à la ruine

d une

entreprise déjà condamnée

p

même.

La

nature efface sans colère Je fruit d un labeur opiniâtre. fau

contre elle et la gagner de vitesse. Que l imposteur ralentisse seulement so

souffle

un

instant

t

elle reprend en se jouant ce qu elle avait

céd

er

à

s

a peine à déceler ensuite les traces de l injure légère que lui lit le caprice

_ C ~ prodige que l homme prenne ied

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m:untlenne, miracle qu il y é-'' d d p b sur cette écorce rebelle, merveille qu il s y

ume e um les empir Pui é . .

neur dema mee sur e sol

qu'- e

• es.

55

·Je continuer à lire l hon-

=

n a pas encore conquis en • ,

reste hasardeuse et son triomphe é J • ces apres contrées ou sa présence

frayer.plus avant la voie difficile

D m ~ ~

. e mesure le chemin. parcouru

et

voudr.tis

· n .unporte guère d ·

en route, se moquant d une arde r .

1

que . es êt res comblés s amusent

tout, et jusqu au loisir de s en m o ~ u ; : J eur parait sans ObJet Je sais qu ils lui doivent

r

HERlTAGE INDIVISIBLE

1 ~ ) . 1 4 l ; à

TH U  YD

T

OUT la terre fut une fois

la

sauvage planète qu elle demeure encore presque

aujourd hui. L'hommealors n était rien qu'un animal inquiet de sa subsistance et crai

pour

sa vie. Il abattait des arbres, en équarissait les troncs, qu il enfonçait dans le so

de se ménager

un

mauvais refuge contre l intempérie,les autres bêtes

et

les autres hom

Maintenant le plus difficile est accompli, qui fut de fonder les premiers établissemen

désormais se mttache l effort humain

et

d'où il se répand. Au

ssi

loin que s écarte au

d'hu

i le plus rnisémble, il

ne

s aventure plus seul. Quelque démuni

qu'on

l imag

reste cependant pourvu d un irremplaçable viatique par où l industrie de l espèce con

de le secourir. Des outils, une arme, une boussole, des boites de conserve, et serait

d es souvenirs, peut-être font tout son bagage. Mais c est assez pour Je relier aux cap

où s accumulent la science et le pouvoir des siens .

Là s élèvent les ateliers, les labomtoires et les usines qui soumettent la nature

fantaisie; là, dans des palais désaffectés de leur destination première,

ils

ajoutent les c

d  œuvre sortis la veille de leurs mains aux épaves retirées de l abime de l histoire, o

rares collections iront à leur tour s engloutir avec les murs qui les abritent; là son

semblés les bâtiments où tr.tvaille le peuple des scribes

et

des comptables préposé

régulation

de

la justice,

du

commerce, des finances

et

de

l'ord

re public; là se dre

enfin les temples que l homme construit

pour

témoigner aux Dieux qu il a foi dan

77

éternité. Et l

es

Dieux morts, qui passent plus vite que lui, ces habitats ruinés ne témoignent

plus que la grandeur de leur architecte.

mauv

ai

se grâce

à

la foule de ses déshérités. Une féerie m'attend où je croya

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http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 40/120

, Tout ce qui me. pesait _me comble d o rgueil.

Je

regarde comme un don éblouissant

1œuvre de 1

s p è c e

1ndust:1euse. Devant elle, je ne suis qu assentiment. Sans doute; dans

un

o r n e n t

e.

o n n a l ~

les r a ; e ~ _ l e n t r ~ p r i s e tâtonnante.

Je

me rappellerai ce qu'elle

t l e n t de lesme,

de

sottise et d Jruqulté, maJs du moins sans me voiler la face et sans crier

qu'il est

e m p s de_

revenir en arrière. Je saurai que la même force qui, rétive et divisée

contre

so1

sut

  e m m e ~ é ~ i 6 v r a g e

fragile, peut d'un coup Je dévaster. Sous tant

de :alculs, de mallce et d hés1taoon,

Je

percevrai, couvant comme

un

e braise mal éteinte

et

tOUJOurs menaçan te, la violence native du seul fauve qui s'est dompté

lu

i-même et qui

perd tout s il oublie d opprimer sa férocité originelle.

. Mais, pour a n t encore,_ e n ~ p e r ç que les fruits m p l a ç a b l e d'une vigilance

m i l l ~ n ~ t r

ser

ruen

t-ils pourns, qu il me resterait de faire con6ance

à

l'arbre · et J'arbre

s e ~ l t - moubond, qu'

il

me reviendrait d 'en couper le seul rameau

en

core vivace pour

la sève

à

quelque souche plus vigoureuse et plus

rud

e. D 'innombrables victoires

ou_ .n a pas combattu me rendent invincible. Et il n'est personne qui ne partage et ce

pnv ile

ge

et cette charge.

n

même

t e m p s ~

je retrouve lavé de faciles mépris. Je ne dédaigne plus les

c h r o ~ o s des

c a l ~ n d r i e r s

ru les c o l o m ~ c : s en pouss

re de marbre, je n 'a.i plus envie de

so

uru

e des refrains des carrefours . N1 Je ne

m e

n moque, ni je ne feins de les

pr

éférer

aux grand

es u v r e

Brusquement

Je

l

es se

ns solidaires d

es

fresques, d

es

symphonies, des

sommets a t t e m ~ p a ~ les ma1trc:s les plus puissants ou les plus subùls. Distinguant bien

la et

la

moue, Je me souv1ens en même temps qu'il a fallu tisser l'une

et

l'autre et

p o ~ r

le

m a r b ~ e

et ~ i r e

la

glaise. Il n est rien de vulgaire ni de grossier qui n''ait

couté la peme

et JU

stement cette même peine qui aboutit

à

la fin aux plus délicates

merveilles.

Je

me prends à chérir jusqu'aux plus fades richesses d'une civilisation je recueille

comme une manne

ess

entielle cette menue monnaie de ses trésors, qu'elle abandonne de

78

décor odieux. Rien n'est pourtant changé dans

le

spectacle banal : une rue

les enfants qui vont à l'école,

la

voiture aux primeurs

et

le camion de démé

bureau

de

poste et le café avec l écusson d 'une société sportive, des affiche

le remblai d une ligne de chemin de fer, toutes choses soudain déconcertantes

En

ce faubourg paisible

et

morne, où il n'est rien que de sordide, l œuvre de

révèle pas moins sa force et sa présence qu'aux lieux illustres où les voyage

toute part po

ur

admirer se laissent emplir d'une émotion solennelle . Ici et là,

que prodiges et je ne me lasse pas de les

int

erroger.

e

les dénombre, je les

n'ose m'en a

ppr

ocher, je crains de les perdre. Je suis deva.ot eux comme un

l'on vient d'offrir un jouet inoui, plus complet

et

plus beau qu'il n'aurait

Comment porter la main sur un cadeau qui déro

ute

à ce point mon inexpérie

Cette maison que j'habite,

je

sens qu'une vie

ne

suffirait pas

à

m

en appre

si je n'avais pas grandi en cette science accoutumée. Rien de plus simpl

ordinaire que

es

murs et ce toit, qui n'abritent

à

leur tour que choses or

meubles et du linge, de la vaisselle et des livres, les accessoires habituels

de tous les jours et de tout le monde, mais miracles aussi qu 'il a fall

fabriquer et conduire à cette ultime

et

décisive simplicité, qui ne laisse

désirer,

à

retrancher

ou à

reprendre.

Je

suis tenté de m'extasier sur une c

découvrir une beauté suprême qui manque, dans leur splendeur, aux p

cathédrales, une forme si claire que l objet le plus humble en reçoit comme

d ét

ernité.

Quel changement apporter à

la

cuillère qu on achète au bazar, qui ne

sur-le-champ moins commode et moins élégante? Elle n'est qu'

un

instrum

main se sert pour porter

un

liquide à la bouche. lü.en ne l empêchait de p

aspects infiniment divers. Je songe qu'il dut y avoir des cuillères plus bom

plates, plus courtes, plus épaisses ou plus rondes. J en imagine d'autrem

d'autrement courbées,

d autr

ement proportionnées.

Et

toutes aboutissent

à

Je dessin semble accomplir le leur et qui, mi eux qu elles, remplit son rôle.

Cet ustensile dérisoire, à l'égal des joyaux des musées, m'enseigne en que

efficace la perfection réside. Obtenue par l'effort d une avarice obstinée, par el

chose comme la plus rare devient immuable et triomphante . L'objet famil

chef-d

 œ

uvre dans

un

e indivisible splendeur. Une secrète synta.xe les sit

hiérarchie sans coupure. Si l 'un d'eux disparalt, l'autre témoigne à sa pla

tessons gravés suffise

nt

à donner l'image d'un style; ils manifestent l'exc

culière que la patie

nc

e de générations relayées sur la même aire, regarda co

lisible des vertus de son choix.

79

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7/21/2019 La Licorne

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· 

nn existe qu un monument plus duntble que l airain,

et

il est impalpable.L acquisition

pour

toujours que chaque auteur éphémère rêve de pantchever dans son œuvre passerait

à

peine moins vite que lui, si par mintcle elle devait tout

à

ce créateur

solit:ai re

Comme le

corps de l homme se dissout dans la terre et, cessant d être personnel, restitue ses sucs

à

la nature,

ses

plus hautes réussites ne survivent que rendues

à

l existence

o ~ s e

d où

elles sont

un

jour sorties et où elles sont bientôt dissipées.

Le

souci qui les évoqua du

néant trouve cependant sa récompense

et

sa gloire. De leur éclat passager subsiste une

trace anonyme

et

immortelle, cette fois VnlÎrnent

une

acquisition

pour

toujours : quelque

adresse héréditaire, un souvenir, un désir; une dou

ceur

insidieuse, une langueur, jusqu au

goût de cendre et à l amère jubilation d avoir trahi qui restent au cœur du traître après

la trahison

le

regret de loyauté. Tout demeure, tout se fond dans l héritage commun à

travers mille déchb.nces sans cesse plus vagues

et

sans cesse avilissantes, cac to

ut

finit dans

la boue, tout coule vers le plus bas niveau. Mais il n  est de boues fécondes que celles qui

ne furent pas poussière dès l origine.

Elles déposent alors un sédiment d une étrange espèce. Avec le temps, la couche en

devient si P.rofonde

et si

gntsse que l

es

imprudents qui l épaissirent de leur labeur aveugle,

n auraient plus la force de s en dégager

si

la fantaisie l

es

en prenait. Ces alluvions nou

velles, qu ils ont ajoutées

à

la nature, partagent bientôt la puissance de ses lois.

Le

limon

où se diluent les chefs-d œuvre, une tempête de hasard n en disperse pas aux vents

l

poudre desséchée: il s étend, se glisse

et

recouvre le globe, seul patrimoine inaliénable

qu un intrus sans

forces

ni titres ait su

se

ménager sur la surface évasive.

onnets

par

JORGE ROJ S

Traduction de l espagnol p r

Ro g

e r Caillois

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Momentos de

la

Doncella

L

SUENO

Dormida asi desnuda no estuviera

mas pura bajo

el

lino. La guarece

ese mismo abandono que la ofrece

en la red de su sangre prisionera.

Y ese espasmo fugaz de la cadera

y esa curva del sena que se mece

con

el

vaivén del sueiio

y

que parece

que una miel tibia y tacita

lo

hinchiera.

Y esa pulpa del labio que podria

nombrar un fruto con

la

voz callada

pues su propia dulzura lo diria.

Y esa sombra de

ala

aprisionada

que de sus muslos claros volaria

si

fue

se la

doncella despertada.

8

Moments de

la

Jeune

Fille

LE

SOMMEIL

Nue , elle dort. Son corps ne serait

pas

Plus

pur

sous

le

lin. Le

même abandon

Qui la propose, la

défend,

captive

Du frêle

rés

eau

de son sang

 -

Et ce sursaut rapide de la hanche

Et

la courbe du sein qui

se soulève

u rythme du sommeil

et

fait qu il semble

Gonflé

d un

miel secret

et

tiède.

Et

la pulp

e des

lèvr

es

qui pourraient

Sans rien dire

nommer

quelque doux fruit

Que déjà nomme leur

douceur

;

Et l ombre d aile prisonnière

Qui s envol

erait

des

cuisses

claires,

La jeune fille s éveillant.

Page 43: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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EL ESPEJO

Retrata

el

agua dura su indolencia

en la quietud sin peces ni sonidos ;

y copian los arroyos detenidos

sus rodillas sin mancha de violencia.

Sumida en

es

facil transparencia

ve sus frutos apenas florecidos

y encima de su alma endurecidos

por curva miel y d.lida presencia.

Con un afan de olas blandamente

cada rayo de luz quiere primero

reflejarla en

l

estatica corriente.

Y

el

pulso entre sus venas prisionero

desata su rumor y ella se siente

a la orilla de

u

rio verdadero.

LE

MIROIR

V

eau

dure reflèt

e

son

ind

olence

En un

calme

sans

poissons

et sans

bru

it

un ruisseau arrêté reproduit

Ses g

enoux

vierges de toute

vio

len

ce

.

Plongée en la

facile

transp

are

nce

Elle

voit

ses Jntils peine fl

euris

Qui, par- dessus s

on âme, sont

d  trcis

En courbe

de miel

et

chaude presence.

S élanfa lt mollemmt, telle une vague,

Chaqu

e rayon désire le premier

La

réfléchir dans

le

st

able

cou

r

  1

So

  pouls

,

en/re

les

veines prisonnier,

Délivre sa rumeur. t

la

voici

Qui se

sent

au

bord d'un

vrai

fleu

ve.

Page 44: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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L

MUERTE

Igual que

por

un

ambito cerrado

donde faltara el aire de repente

volaba una paloma por su frente

y por su sexo apenas sombreado.

Y

por su vientre de cristal curvado

camo un vasa de lampara caliente

el éleo de su sangre dulcemente

quedé de su blancura congelado.

Sus claras redondeces abolidas

bajo la tierra al paladar del suelo

entregaron sus mieles escondidas.

Y alas y velas sin l amplio cielo

de su mirada azul destituidas

fueron del aire y fueron de su vuelo.

8

III

L MORT

Comme

à

l intérieur

d rme chambre

close

Où l air ferait défaut subitement

Il volait par son front une colombe

t par son sexe

peine

ombré.

Et par son ventre de cristal, courbé

Comme le

globe

d une

lampe,

l huile

Chaude de son sang doucement se ftgea ,

Par celte blancheur, congelée.

Abolies,

ses

formes pleines

et

claires,

Som le

sol,

aux papilles de la

terre

Ont

livré

les miels q11 elles cachaient.

Ailes el voiles, sous le vaste ciel

De son regard bleu, furent aussitôt

Privées

de l air et de leur vol.

S onetos Element ales

Sonnets Elémentaires

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7/21/2019 La Licorne

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L

AIRE

Tunica de los arboles ligera

como

un

lino de agua contra el viento

cada hoja que

c e un

movimiento

te imprime suavemente de bandera.

Numero de l fior. La luz primera

tras l viaje nocturno en seguimiento

de

tu

eterno llamado su recuento

inicia de la gracil primavera.

Sitio del arpa musica callada ;

l

de la paloma que ha existido

sôlo bajo l frente de l amada.

Bosque invisible donde tiene

l

nido

la tarde a cuya sombra iluminada

l alma cruza con su dulce ruido.

88

L AIR

Tunique

des arbres, légère

Contre

le

vent

comme

toile

liquide

Cbaque feuille

qui

tombe doucement

T imprime

un mouvement de drapeart.

Chiffre de la fleur. La

prime

lumière

Après le trajet

nocturne, obéissant

A fa voix

ét

ernelle,

commence

L

 inventaire

du fragile

printemps

.

Lieu

de harpe, mttSÙJtle

tue

,

Aile de la colombe qui n exista jamais

Que

sous le

front

de

l ai

mée.

Invisible

forêt où

le

soir

A son nid. Dans son

ombre illuminée

L âme croise avec son faible brui

t.

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EL

FUEGO

Rosa de vientos locos. Tempestades

crecen en tus corolas repentinas

en

ceniza de turbias golondrinas

dùsporrotean tus altas claridades.

Del viento agua subito te evades

Cuando a su hoz parece que te inclinas

de repente

en

furiosas serpentinas

el enemigo a tu materia afiades.

Iluminada mies de aullantes oros

sonambula gavilla cabellera

dando al viento sus rutilos tesoros.

El suplicio de un martir no tuviera

mas circulos de ângeles ni coros

de rubias salamandras

en

la hoguera.

L F U

Rose

de

vents

fous.

D

es

tempêtes

S élèvent

dans

tes

subites corolles

t tes

hautes

clartés crépitent

En cendres d hirondelles troubles.

De l eatl

et

du vent,

tu t évades soudain.

Quand sous

la

faucille,

tu

parais t incliner

D un coup,

tes serpents

furimx

Ajoutent l ennemi ta substance.

Moisson

illuminée

d ors hurlants

Gerbe

somnambule, chevelure

Qui livre au vent d éclatants trésors.

Lors du supplice, un martyr au bûcher

Ne compterait

pas plus

de

cercles

d anges

Ni de chœurs de blondes

Salamandres.

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EL GU

Beso sin labio novia en tu desvelo

esperando una boca que

te

beba ;

niiia aun si

un

cantaro te lleva

arrullada en los brazos bajo el cielo.

Llueve el mundo goza de tu vuelo ;

danza la espiga abrese la gleba

es

mas duke cantar cuando se prueba

tu liquido que sabe a nuestro suelo.

Saltando entre los juncos extraviada

en busca de la sed corza ligera

has quedado en mi mano aprisionada.

No importe que quien te haga prisionera

te dé su forma corre alborozada

persiguiendo

tu

forma verdadera.

L EAU

Baiser sans lèvres, fiancée sans voile

Tu

attends

une

bouche

qui

te boive;

t encore

enfant,

si

t emporte une

jarre,

Sous

le ciel, entre dettx bras bercée.

Il

pleut,

el le monde

jouit

de

ton vol;

Les

épis dansent,

la glèbe

s entr ou

vre.

Il

fait plus

dot

tx

chanter quand ot

goûte

Ta

liqueur qui

a le

goût

de

notre

sol.

Sautant

entre

les jonc

s,

égarée

dans ta

Recherche de la

soif,

chèvre légère

Qui

dans

mes

mains

demeures emprisonnée

Il

importe que t impose sa

forme

Qui te

tient prisonnière, cours réjouie

A

la poursuite de la vraie forme.

9

Page 48: La Licorne

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Lettre ostoïevski

pat

LEXIS REMIZOV

r

  du  tion du m

sse p

r

lexandre Bachiach

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C

EST

avec peine et amertume que j écris ces lignes- condam

car elles ne mènent

à

rien. Oui,

l es

t douloureux

et

amer

vaine. Aussi me dis-je : ô,

ma vi

ratée ..

« Et

pourtant j ai

év

it

er

la souffran

ce J

en eus pourtant le présage -

je

n en tins a

j avais une voie de rédemption - je lui ai tourné le dos

».

Ces pa

avez dites, Fédor Mikhaïlovitch, so

nt

une condamnation d

expliquent bien des choses

à

beaucoup d entre nous : ce n est

que j ai compris ce que signitie la loi

du

talion, ou le« pressing»

voudrez. Mais j  ne puis l accepter pour moi.

Et que

je me

trouve

à

l étranger, que depuis plus de vingt ans

de la Russie, vivant« sous la protection de

Di

eu

»,

c est-à-dire com

sauvage, mais jouissant

du

gaz, de

l

électricité, de

l a

scenseur, li

être astreint à nulle corvée, nullement obligé de rendre compte

d

car je pense ce que je veux -

tout

cela ne change

en

rien mon de

Pour moi,

je

n ai rien

pu

éviter -

et

je n ai pas besoin de réde

ma

vie antérieure en Russi

e,

n ma vie présente ne peuvent, certe

de personnel

Et

je n ai jamais redouté aucune souffrance « bi

innombrable

».

Mais toujours je fus pusillanime et mal endurant:

çan t des dents et avec désespoir que je supporte la douleur phys

souffre du froid. Ces réactions s

ont

pe

ut

-être l effet d un défaut

de la faiblesse de

mes

nerf

s. Au

moindre attouchement

je

surs

97

soudain me jette dans des transes et

u un

é ,

comme paralysé ,··en deviens tdi t q .

f:vend

ement grave survienne :je reste Je n

 e

nvie personne et je n'ai jamais aspiré à devenir célèbre.

e

n'

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7/21/2019 La Licorne

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. , o , un vrat ar eau pour t 1 d 1

qw e ~ t plus terrible encore, c'est mon infaillible mém .

o ~ t

e m o ~ e 

Et,

ce

de vou une fois pour ne pius jamais bli .

ou

e VlSuelle : l me suffit

pleurs

muets des bêtes. Par dessus

le

a r c ~ ~ nt les souffrances humaines, n les

la misère - mais

ce

qui m'a.flli 1 1 . e a toutes entraves vient s'ajouter

abandonné et que tout espoir t ~ ; s fst ~ e i s e n ~ que l esprit de lutte m a

Et

. ., . , a a vte ummeuse est perdu.

r o m p r , o ; a ~ t ~ .. e ~ : ~ : : ~ s s ~ r e at ces.instants que rien ne viendrait inter

déchéance. J aime encore lire à

h a u ~ o

n e ~ q ~ ces quelques p e n s ~ e s

sur

ma

par moi-même que je sais : qu'il ea ~ : e · · ~ ce n : sr_Pas

parles

livres, mais

souifrance

l

n y

a pas

de

vie -

,Y

t

ou rance a

~ t v r e ,

et que sans cette. . c es

un

e espèce de musrq e E

il

.

une

)Ole

de vivre, et sans cette joie l n' d . , u · t qu y a aussr

y a l'allégresse qui donne la plénitud , ~ a s evre - c est l amour. Et puis

l

de peine mais d'amour , de a avre :

ce

sont es larmes soudaines

non

' -   quan es ang ,. ·

c'est ce doux pardon de Jhomm . .fines se reJourssent dans es cieux ».

e au cœur m i · ' · '

pardonn

é?

répond .: «

Pour

l'e't . él . , qw a ma u e s t w n « Me sera-t-il

c

· . errut ·

»,

c est une vou: do · . · · .

nante qw un )Our se nt entend ' I'h mmatrJce t V  Vl -

« Lève-toi et marche » re a omme au plus profond de

sa

chute :

Voilà

Je

pius clair de ma conception de 1 . . .

toujours joie et, pour grâce particulière - llaé vte, qw est t ~ U J o u r s souffrance,

suprême - la douleur seule... a gresse. Ce qur me reste, mon lot

Feuilletant un

jour

des illust é · .

célèbres et je me suis demandé r. s, Jclme s ts penché

sur

les photos d'hommes

l

s rendent donc célèbres? Et . . q ue .est e

s e c : ~ t

de ces visages? quels traits

é1

' b . Je me sws compare a eux Et ., · ,

ces c e rltés ne

sont

que des

e'ph

, , d

1

. ·

J

at pense que toutes

E

. em eres ont •

CX sten

• ch, .

t Je me suis clis : non, jamais je n fi . . d

ce

s a eve avec

Je

Jour.

musée. A moins que je ne devieO: ~ r ~

parue,

e leur

a n t

mais périssable

implique en premier lieu et obli e eros d un • falt divers » - mais cela

· , . ga

tou

ement

«

l'actio T cli

untque desu

c e

st d'être tran uill T , , . n ». an s gue

mon

paro e; fai peine à me b a i s s U : · t r é ~ : :

; r s t

~ r u b i e : chaq_ue chaque

q ~ ~

Je reve avec rage de trouver quel ue h

es

pteds ne m_e

d w ~ a t t pa

s, bien

J at de Ia peine à répondre au « b . q c ~ s e ... pas un ~ o n bten entendu 

paisible qu'aujourd'hui Non, . OnJou: », m:me par une Journée aussi neutre et

1

. ·

Je ne

sws vratment pas · , f:

.

d

es Journaux ne s'enrichiront pas d f: . , .suJet a atts- 1vers et

rien à y faire. e mon att. C est amst que je suis, l n y a

qu'observer, c'est même drôle de dire dans quel but - simplem

ent

pour e

de cesser d

 ê

tre

ce

que je sui

s.

Er nui n'est responsable de ma déchéanc

général, je pense qu'il est toujours vain de cherch

er

es responsables d

propre destin. J e suis né ainsi, tout simplement.

Je suis né dans Ia richesse, richesse qui n'a servi qu

 à mon

entrée dans

et puis ce fur fini. A peine commençai-je à marcher que je me suis trouvé

les pauvres et

j'y

suis demeuré.

Même enfant, je n'eus jamais rien de

re

marquable. Mais aux premières a

de mon existence on parla beaucoup

de

ma veine : j'étais né « coiffé » et

que l'on sût que la sage

-f

emme avait volé ma

«

coiffe

,

j'étais, même

preuves, différent des autres, marqué par la Providence. Mes premiers souv

sont peuplés d'innombrables visages et de mains sur lesquelles j'impos

main pour porter chance > : car je portais chance aux gens - réuss

succès dans les affaires venaient de moi Soudain - je ne s

ai

s pourquoi

fus oublié : j'avais peut-être perdu mon pouvoir bénéfique, on s'en aperçu

cessa d'avoir foi en moi. Et depuis lors je ne vis plus de mains tendues v

mienne.

Je

n'ai évidemment pas su ce qui était arrivé et personne ne m

parlé. Mais to ut cela m faisait bouillir.

Je ne me souviens plus de

ce

qui m'avait particu

li

èrement blessé, ce qu

ce tte dernière goutte qui

nt

déborder ma rancœur, mais je décidai de b

tout

ce

qui m'appartenait. De mes petits cubes de construction je

fi

s un p

dans ce poêle j'amassai

tou

tes sortes de saletés et j'y mis

le

feu.

J y

mis

l

f

et je ne m'enfuis pas.

En

généra

l,

les enfants, lorsqu'ils

ont

mis le feu

à

quelque chose

pr

e

aussitôt la fuite. Il n y a pas longtemps encore, un soir, j ai vu près de

nous dans un terrain vague, parmi les décombres où pousse la barda

ne

(u

ces « terrains

à

vendre

»

 , une bande de gosses d'une douzaine d'an

mettre le feu et s'envoler dans toutes l

es

directions, exactement comme

le décrivez dans vos « Frèr

es

Karamazov ». Et moi, je n avais mêm

cinq ans.

Mon feu ava

it

bien pris et, le regardant flamber, je n'éprouvais aucune

Je sentais se ulement dans le tréfonds de mon

ur comment, sous l'effet

flamme, fondait ma rancœur, une rancœur innée, informulée encore par des m

On aperçut mon brasier

à

temps et on vint l'éteindre. On ne me punit

pa

m

dit

seulement« qu il ne falla it pas jouer avec le feu ». A partir de ce jo

99

délaissai tous mes jouets. Mais mon propre abandon, je n'en pris conscience que

plus

tud.

J'avais six ans. L'été, par un soir gris, je me suis faufilé sous la véranda. La

Mais je fus absolument assommé quand. i. la vue de

mon

d'étudiant sur

utre

par/i(fl/aritl u nfusoires,

on

n'a rien trouvé

dire que cette question outrageante : « C'est bien

_vous

qui a

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7/21/2019 La Licorne

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maison que nous habitions se trouvait dans un faubourg. Sous cette véranda

on empilait des planches; et li, dans les ténèbres et l'humidité douce, j'ai sou

dain tout compris et j en suis sorti comme

on

revient après un enterrement.

Personne ne m'avait vu, seul

notr

e chien de garde qui passait devant

la

véranda

en

remuant la queue avait paru m'approuver.

J en suis sorti complètement changé: li, assis dans l

es

ténèbres, je m'étais

juré de retrouver mon don de chance. J en suis sorti replié sur moi-même

et

aux aguets.

Et pourtant rien

n a

changé,

pis:

je remarquai bientôt que j'étais marqué du

sceau de « mé

fi

an

ce>>

. Comme si, i cause de la chance qui m'avait trahi,

on

avait

cessé d'avoir confiance en moi.. .

De toute mon enfance, je me souviens d'un seul être qui m'ait traité comme

tous les autres. Une ancienne amie de

ma

mère, Frau Bertha, u

ne

institutrice,

venait parfois en visite. Avec son arrivée la maison me semblait s illuminer. On

ne sait pourquoi, de tous l

  s

enfants c'est moi qu'e

ll

e avait remarqué et elle

s'occupait beaucoup de moi, m'interrogeant sur les livres que je lisais au hasard.

Car, les livres, je les lisais

non

par curiosité, mais pour essayer de changer- me

métamorphoser-

cesser d'être moi-même et, devenu un autre, me faire remar

quer.

A certe Frau Bertha qui, semblait-il, me faisait confiance, est associée une

image vivace encore auj

our

d hui : quelque chose de vitreux et brillant, comme

si cette Allemande fadasse, tou jours modestement vêtue, était tapissée de bre

loques et de colifichets. Et tout cela brimbalait, y compris ses paroles

à

la pro

nonciation incorrecte

et

sa bizarre façon de tourner les phrases.

Après ses visites je me sentais transporté et ne cessais de répéter des mots

allemands t

ou

t en m' imaginant être Français comme notre maître d'étude,

gaillard extraordinairement vivant et toujours gai. Et moi, ni gai, ni vivant de

mon

naturel, mais au contraire par trop lymphatique, je parafai mes cahiers

scolaires en français :

«

Chantecleroff >> Plus tard je devien

dr

ai Anglais .. e

comprends maintenant: mes métamorphoses n étaie

nt

qu un

désir d'évasion

surtout ne plus être moi-même.

J étais bon élève. Il ne pouvait en être autrement : car c'était mon unique

voie de salut.

l OO

Et puis, une autre fois: j'aimais i.lire des heures n t t è à_baute

appris i lire très distinctement, et voili. une sou:ée Je fus

public. Ma lecture plut. Savez-v

ou

s ce que J'al entendu?« u ~ l l e

quable, fit un des organisateurs de la soirée, c'est vraiment 1 0 a

quoi donc « inattendu

»?

Avant j'avais déji bonte de moi-même,

je commençai de me haïr.

c Que se passe-t-il, pensais-je, pourquoi personne

ne

p

confiance? Que dois-je faire pour être comme tout le monde

vivre avec ses semblables, marqué du sceau de Cain? •

Et

je m'efforçai de singer ceux que

l on

prenait au

s é r i , e ~ ,

leur voix et même leurs pensées - en dissimulant mon vemab

leur personnalité indiscutable et reconnue - devenir quelqu'u

Tout cela tourna mal : ma propre nature fut si profondéme

n

eût été impossible de la retrouver

et

celle des autres n a fait qu

voies.

Je parlais - sans croire à mes paroles empruntées, j'agissais

mes fausses imitations.

Et

si dans le passé personne ne me fa

maintenant c'est moi-même qui n'avais plus foi en moi. Ains

cercle.

Et durant cette époque de ma vie j'ai commis des fautes i t

je n  ai guère honte, mais dont, jusqu'au dernier

jour

, je porte

je comprends : ce que je suis - ce

à

quoi en

fin

de compte

c'est ce qui devait être.

Pourtant comme

l

est merveilleux le monde avec toutes ses •

-

dit

es-vous avec juste raison - l'homme ne peut être rendu re

on

ne peut accuser que soi-même et rendre compte qu i sa pro

Comme elle est belle, la vie avec sa douleur, sa joie, et s

on

allé

• Seul l'homme pauvre, dites-v

ou

s, peut savoir combie

mauvais .. Mais permettez-moi d'ajouter : « et combien l esc

suis prêt à le répéter des milliers de fois. Jugez-en donc vous-m

mortels auraient-ils pu supporter la vie en Russie durant les an

munisme de guerre si les hommes ne s'étaient entraidés? Q

de citer ce seul exemple de l'histoire vécue.

1  1

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  bemin

des r t i s t e s

par

PIERRE

JE N JOUVE

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  Eaux vertes Si les rocs tombent en tragédie

D'harmonie avec le retour des baisers

De l'ombre et si le temps chagrine un léger bois

De plumes et d'acide; et l'antique lumière

Aux cumulus errants sans aucun poids se

rit

Par le vent irritant perpétuel surgi

Si l'herbe est relevée au marécage et nue .

»

Et

la nymphe aux yeux de paradis solitaire :

Vois au contraire ici dans l'abîme distant

L'énorme et l'argenté sur les arbres; le sang

De

l

vallée ombreuse et déchir

ée

du peintre,

La chute tourmentant l'éventail du pierrier

Et dans l'âme les plaintes des guerriers blessés :

L antique amour mourant sur une beauté nue.

Que ton chagrin de toutes âmes, disait-elle,

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Perdues, que ton tremblement d univers

En

ruine, ici désarment mieux pour ton salut,

Comme à

l herbe et

au

bois vieillard et toujours belle

Le corps de ton Hélène ombreux de fausseté. ))

e

tremblais,

je

mourais de chagrin, j allais vers

Le jour bleuâtre plus que dans le temps orné

e la peinture sur fond or.

Et

le vent erre

Et

les monts font

le

bruit muet de

mon

tonnerre.

{

Si/s-

Maria

} pouvantail

EL ADEFESIO)

a

ble de

l Am

o

ur

et d

es

Vieilles

AC

TE

I - SCÈNE U

par

RAFAEL

ALBERTI

T

ra

duçfion de

l espag

nol par

Yvette Billod

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GORGO, UVA, AULAGA

trois vieilles filles.

ALTEA, leur nièce.

ANIMAS, la servante.

ACTE 1

ALTEA

(s'agenouillan

t devant Gor

go).

- Pardon, tante, si par ma jeunesse je t'a

quelque souffrance, en manquant

à

l'obéissance, à l'amour, au respect que j'ai to

eus pour toi.

GORGO (aveç

do11mn ).

- Lève-toi,

ma

fille. A l reine de la beauté une viei

rien

à

pardonner.

ALTEA. - Merci, tante.

GORGO

(aprè

s

avoir

fait signe

A11im

as de s tn a

lle

r  .

- Tu

es be

ll

e

Altea.

regardée au miroir? T'es-tu regardée en déesse des champs?

AL1EA (im11e et diconterJie). - Tan te 

GORGO. - Allons, regarde-toi,

ma

fille. Nous autres vieilles, nous voulon

avec toi

de

ta jeunesse. Cette glace sera

fière

de te recevoir.

AL1EA

(indiâse, çonfuse).

Je ne veux que

te

faire plais

ir

..

GORGO. - Uva, Aulaga, .. Calm.e-toi, Altea .. emmenez-la jusqu

 a

u miroi

qu'elle se réjouisse.

UV

A

(la p rma11t par la main).

- Petite

AULAGA. - Quelle femme déjà

UV

A.

- ... Elle qui était si menue ..

ALTEA. - Je sais bien que vous m'aimez .. presque autant que tante Gorgo

UVA. - Tu es bien faite, ma

fille.

AULAGA. - Ronde et fralche

c o e

une cruche d'or.

Altea

solirit tlowemmt.

GORGO. - Ne te fais pas humble,

ma

nièce, surtout avec cet air

d

arbre ro

II

I

vigoureu.'l:. Sois joyeuse et fière, comme je le suis de toi. Ris donc. (Se levant et allant à

e/14:) Non, tu n'es pas triste. Jouis de

ta

beauté, glorifie-toi de la fleur de tes ans. ( Allea

r

if doucement.)

Plus fort, plus fort Tu n'offenses personne te réjouir de ta beauté.

Regarde-toi bien au miroir. Tu vois? Qu'y a-t-il de plus soumis, de plus obéissant, de

ALTEA. Je n'ai jamais voulu te fiùre de mal, tante Gorgo.

GORGO.- Mefaire

du

malt Et pourquoi penses-tu ça, ma fille? J'a

Assieds-toi. (Altea s assied.

Elle

la

çontemple un

instant

.)

Dommage que

ttônel Ce que tu mérites réellement. Mais je vais m'asseoir, moi aussi. M

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plus fidèle? Il ne t'ajoute rien, et ne te retire rien non plus. Il ne te rend que ce qui est à

toi. (Ltii levant lu bras:) Regarde

ces

bras, ma fille. Crois-tu que la glace mente? Regarde

quels yeu. l: .. quelles joues .. quelle bouche .. quelle grappe de cheveux. Elle

les

dénoue).

Touchez-les, Aulaga, Uva.

AULAGA

soupirant).-

Oh

UVA

nostalgique).-

Quelle douceur Quel brillant

GORGO. - Tu peux te vanter de tes épaules ..

Et

quelle gorge, petite As-tu vu un

cou comme le tien dans nos villages de la montagne? Non , non, ne me baisse pas les yeux ..

Je te le répète, ne sois pas modeste. Est-ce que je t'ai élevée ainsi? Toi seule est a maîtresse

de ce qu'il

y

a là-dedans.

ALTEA. - Je n'ai jamais pris le temps de me regarder, tante.

GORGO. - Petite menteuse. Tu veux me tromper maintenant? Allons

ALTEA. - Je suis contente de te plaire.

GORGO. - Me plaire .. Me plaire .. A qui donc sinon à moi, ma jolie? Si

tu

avais

quelqu'un d'autre que moi... Mais il a fermé les yeux,

l

nous a quittés un jour, quand

la fleur pointait à peine sur la branche. Tu t'es ouverte maintenant, ma fille. Et je suis

pour

te donner mes soins. Je suis un peu comme ta jardinière. Je suis la s u l ~ qui tu

dois plaire.

ALTEA. - Oui, oui, tante.

GORGO. - Mais touche, Aulaga, quelle taillet

UVA. - Et quel dos Ma

main

s'engourdit ..

GORGO. Eh bien,

et

ce buste, mes amies? J'ai lu une fois que les magnolias ..

Mais pas ici ... Des citrons de lunel... Quel parfum  C'est tout un jardin

ALTEA

ta11dis

qu Uva la flaire) . -

C'est la lavande fraiche que met Animas dans

mon linge.

GORGO. - La lavande d'Animas C'est l'arôme de ton sang, de ta chair en fleur.

Et si cette glace pouvait voir ..

l

Iais

ça

, ma nièce, ce sont des secrets réservés

à

des

miroirs plus intimes.

ALTEA. - Tante, je t'en prie, devant Aulaga etUva ..

UV

A.

- Garde pour toi ta petitevanité. Nous aussi nous avons eu notre mois de Mai.

GORGO. - Regarde, la voilà comme un coquelicot.

ALTEA

. - Je mourrai, si je n.obtiens pas ton pardon.

GORGO. - Allons, sois contente, Al.tea. Puisque je ne suis pas fâchée. Ce qui

arrive .. bien sÛI... être ton père sans l'être .. t'élever .. te soigner .. Tâcher que tu fa sses

seulement ce qui l'aurait rendu heureux, lui,

et

fier ..

1 I

Au/aga

etUva

s assoient avtç elle.) Bien sûr que si les jalousies ne don

rue, tu n'aurais pas pensé, ma nièce, à ce que

tu

viens de me dire. Me fair

pt111se). Qu'est-ce

qu'on

voit, petite,

de

la tea:asse?

Tu

l 'as bien

vu?

Rép

ALTEA

(surprise). L a campagne, tante .. le calvaire.

GORGO. Et quoi encore?

AL

TEA. - Le ciel, tante.

GORGO. Et qu'est-ce qu'on voit

de

la galerie du jardin?

ALTEA. - Les arbres .. les fleurs .. les murs ..

GORGO. - Rien de plus?

ALTEA. - Les oiseaux, le ciel ..

GORGO. - Et derrière les jalousies du salon bas,

Al.tea?

ALTEA. - La rue ..

GORGO. - La rue, rien de plus? (

Alte

agarde

le

si/en e.

Gorgo

se live

C'est peu de chose, ma nièce. Tu es bien sûre? Rien de plus que la ru.e?

ALTEA. - La place ..

et

la fontaine ..

GORGO. - Rien de plus?

ALTEA . - L'église ..

GOR

GO. - Rien que ça? Parce que la rue, c'est fait pour qu'on y

les gens montent et descendent par

là. Ce

n'est pas vrai, ma nièce?

ALTEA. - Tante, je t ai toujours aimée, mais moi .. Quelle peine t

GORGO. - Et les jalousies, pour voir sahs être vue ce qui passe

la rue.

ALTEA. - Tante, tante, je t'en supplie ..

GORGO. - Et pour parler aussi avec celui qui passe et repasse da

AL

TEA

( o

tn

1 à genoux).

-

Pardon, pardon 1

GORGO. - Me faire

du

malt Et celui qui passe

et

repasse dans

rôde la nuit, n'est-ce pas, Al.tea, qu'il doit être grand,

mince,

brun,

et

se

jettent des flammes? ..

ALTEA. - Tu ne m'as jamais fait pleurer, tante.

GORGO. - Mais je ne veux pas que

tu

pleures. Je ne suis pas une ha

féroce à l'affût de ta gorge. Ne crains rien, ma fille. La relevant:) Calme

UVA. - Devant nous, tu peux parler tranquille, en toute confiance

GORGO. - Tu l'entends? Aulaga, où es-tu partie?

AULAGA (qui

étaitdistraile).-

Oui oui, nous sommes comme Go

sans crainte.

113

GORGO.

-Ainsi, il

est bron .. olivàae ..

Et

les

yeux

.. De quelle couleur avons-nous

dit qu'étaient

ses

yeux?

(Alita

se

lait. Gorgo,

œu

111 amnt piNS

dHr:) Noirs .. Mais comme

AULAGA. - Il est répugnant, petite   Avec un pareil métier

GORGO

. -

Eh

bien oui, oui, de celui-là 1

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7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 58/120

des charbons ardents .. Non?

(Alita

fait

oMi dt

la Ille). Et il est svelte, comme un jonc,

un homme de cheval .. Bon cavalier natu.relle.ment. Le plus gaillard de par ici (elle la

J t f o ~ P,ar

les

i p t J / J i t ~

Jandis

IJH'

l t a

G O ~ I I I I / 1 1 1 1 1 pantin, sem11 denoii1Jt JJJ la litt ajftmJativtnJtnt).

Et il s appelle? C est ce que

Je

ne saJs

pas,

ce que

tu

ne m'as pas encore dit,

ma

nièce.

UV A. - Mais elle va le dire, j'en suis sG.re .

AULAGA. - Ta tante Gorgo doit le savoir. C'est pour ton bien, ma fille. Pourquoi

la martyriser?

UV A. Et quelle raison pour le cacher? Moi je t'aide, petite étoile. Aulaga aussi.

Tu v

as

votr comme à nous deux, nous l'amenons à t

es

lèvres. C'est peut-être Lino, le

fils de Doila Margara, du • Champ d

es

Citronniers a?

GORGO

. - C'est lui?

Ali ta,

l

cMjc

iiTJ

••« lo l i f t , t l it

• ibûlfmll :

lfiJII.

AULAGA. - C'est Uonce, le plus jeune d

es

Olmedo?

GORGO. - C'est lui?

UVA. - Bias, le plus beau garçon du • Grand Pin a?

GORGO. - C'est lui ?

Al i ta tlil11011

 

tif 1iÛIItt.

AULAGA. - Femwd, des Rossignols? Bomos, de la Belle Vigne?

GORGO (nten11fant de

son

b4Jon). - C'est lui, c'est lui, c'est

lu

i?

ALTEA

 

Tante, tante, je t'en priel

UVA. - Mais

ce

sont les plus riches, ma fille, ce qu'il y a de rniew: à vingt lieues

à

la ronde.

GORG:O (

dlboNtonnant

.la}at]Nlte d Alita d Nm

JtfONJSt).

-C est quelque pouilleux,

q ~ e l q u e teigneux quarner d

es

va-nu-pieds? Allons, petite, réponds,oumon bâton

te

dira ce que tu méctes depuis un bon moment.

UVA  Elle doit avoi r honte, Gorgo; qui sait

si

ce n'est pas le barbier du coin.

AULAGA (riant  .-... ou Frasco

,l

e tondeur, qui n'a plus de sourcils?

, GORGO. - Le tondeur?

e s ~ r

trop beau pour elle, pour ce lézard mort Trop

d honneur pour elle Savez-vous

de

qut elle est amoureuse? Je vais vous le dire en secret.

T w 1 1 ~ Ûl t rnJ ''o.uiu, lt v11tm

1

rt if"'

ltJtT

t eor ;. t1 l<lolml tû drt

11

Nwhtl•l

/rs

ururu t i' lllllf#'"' IJDm. '

UVA. - Ouf Est-ce possible, Gorgotine?

114

UVA. - Je ne serai pas marraine de ta noce Pouah

AULAGA. - M o i , je ne lui donnerais pas un baiser sans me boucher l

es

na

LES TROIS. - Ah , Ah, Ah, Ah 1

YMi f l t troiJ

1111

brl

1

 

n ~ • • • lnJÜ ••JI{WIJÎtul lr tJ.

tllll

r i t•l ,

l f l fJ9"l l f l l l ,

bkua f l t t , t

tl VÎitiiJIIIIUIDNT

tf'

Al i ta lf"Î

pkllrt

/Dili

;01,

la l i f t

nl l l l t r l t tit

ltl

MtiiX.

GORGO. -

Je

te le répète, ne pleure pas, bahi. Découvre-toi la figure,

ou

ve

balayer le plancher avec

ta

tignasse.

UVA. - On dirait un crapaud de mer.

AULAGA. - La reine de la vidange

GORGO. -

La

reine? du

fu

mier de la poubelle finies les déesses de la b

Plus de parures, plus de pendentifs, plus de jolies c o u l e ~ (elle

ltti amuhe

IIJ ~ t

p

ar

à <o

11

p

1

  . Qu'est-ce que

tu

t'étais imaginé? La retnel

Tu

vas porter ~ m t e

la robe que ru mérites. Apporte-la, Uva. Dans le.pb:card de ma ~ a m b r e . I : a relDe

des pages secrets qui tou.ment autour d'elle,. à m m ~ t l AYoue qw c'est ou

1e te

me

et te

fais sauter

le

smg

avec mes ongles. Dt

s-le

, clis-le. .

ALTEA. - Je ne

peux

pas, tante, je ne peux pas. Tue-mot . . Suce mes ve

Traîne-moi par les cheveux... .

GORGO. - Non 1

Je

t'enterrerai vivante entre quatre murs, et ru ne sorura

jamais, même pour la messe de l aube. .

ALTEA. - Enfouis-moi dans la terre .. vivante . . les yeux ouverts .. Mats ne

demande pas . . Je ne peux pas .. C'est impossible .. Ma gorge se noue....

GORGO. - Tu ne peux pas? Tu

n

as pas Je courage? Tu vas vo1r Tu vas v

c'est vrai, ma nièce

r•

tJI

r t J . I ~ N I

tzpporla/11

11111

rtN

IHÎrt

PÎti

lu

j tMtl l t ,

lllllf W

ln l / t ,

r i t ~ J n t û

GORGO. - Aulaga, aide UV:l. Accrochez-lui,

à

vous deux, ces n o u v ~ u x h

de déesse. Enfermez-moi-la bien

là-dedans.

(Se

dirigeant

pour rortir ven

la

dr fJttt :)

sonnez-la bien. Dieu Dieu du ciel

(Pendant

fJ ' lu

dmx viti/ln babil/tnt Alita

en

da111 la toNiiue, awt de ç o ~ ~ r t n paHus

on

entend

e-ritr Gorgo :) Ou i Oui me voilà

t' obéis .. Tout de suite .. Oui 1Je suis prête1

LA f i g ~ ~ r t <Dwtr t t

t l ~ m t ll•ff•

IIOÎrt  lf"Î 111

1or11bt} ',qrt'à

la lo il lt 

IDNJ

D

If' l t liJtt

Jo <ann

. ; t l lcNNU

Ûlf

l

l l m l t l ln t l t t l lt l f f

61/IDIIT

tl Alita

.

Ame qui veilles là-haut

Ta main soutienne mon fardeau.

ll

Ame qui souffres là-haut

Ne me laisse poin t en repos.

Ame qui brilles là-haut

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7/21/2019 La Licorne

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Ton rayon soit le plus beau.

S 'arrêtant en fa<e tl Alita, le MJ 11 publit, elle Jou/he at·tt prétalltion le voile qui la touvr•.

ALTEA

(avec

1111 ri

d

'ho

rreur,

elle

tontbe

à genoux, cont

nJe

ha/Juciné

e

). - Castor . c'est

Castor ..

GOR O (

olfiours voil

ée, die

m/ève

sa barbe qu'e

lle conl

t nple rm instant, avant

de

la j eter

sur

la

table. D

écouvert

e

alor

s, le

vant les

y

mx atl ciel,

avec

an

goisse et

comme

pour

elk-f Jêm

e).

-

Non Vois l'abîme où u nous plonges, frère.

Uva rit t l o ~ ~ n u n f tl

i rMi

quemmf .

AULAGA (angoiss

ée, voixd extase). -

Castor .. mon neveu .

l

ne m'a jamais rien dit .

OR O

(avec

un air

dur

,

mais abat

tu,

relève Ai tea

et lui ·

couvre le visage de son voile.

Puis

elle rie :)

-

Animas Animas Animas

ANIMAS (a"ivant).

-

Madame ..

GORGO. - Ote-moi cet épouvantail de devant les yeux.

ANIMAS. - Hélas ma pauvre hirondelle, ma petite étoile

OR O

(lui

mo11frant

la

porte

de

sa canne). - Silence

Animar

t l

Altta

s

en

v t

 

OR O

(après

une pause

) .

- Ainsi, c'était Castor, le petit neveu de tes rêves,

Aulaga ...

(pour

elle

-

même) mon cœur me l'avait dit.

AULAGA (se mettant à plermr).

-

Gorgo .. Gorgo .. Gorgo ..

GORGO

(co

mme illunJinée

, s'adressant

au

ei

el

).

- Lumière .. Ta lumière seule, mon

frère ..

Uva

r

 t

de

n

oiiJ ta

aux

étiaU

fanais

que

le

ritl

1a

  1ombe.

p

ar

R  M   FORST R

Tradu

ctio

n de / anglais par

Charles Mauron

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7/21/2019 La Licorne

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1

LES NEUF GEMMES D UJJAIN

ll A le vieux palais, dit-il et son doigt pointa vers un palais neuf.

- Mais non, je veux voir les ruines dont parlait

l

chef de gar

palais que

Roi Vikramaditya a bâti et où

l

mit pour

orn

ements Kalid

ses huit compagnons. Où est-il? Où sont-ils?

l répéta : Vieux palais », sur un

ton

plus dubitatif et arrêta le cheval.

loin à gauche, derrière un petit bois, une masse blanche t fantastique se pro

contre l horizon poussiéreux. Panout ailleurs l Inde régnait.

- Vous m avez fait prendre la mauvaise route, prononçai-je et comm

n arrivait, j ajoutai:   Très bien, continuez par là». Le cheval quitta donc la

et d un pas h

és

itant s engagea au travers des terres.

Ujjain, fameuse dans la légende

ct

l histoire, est aussi sacrée que Bé

n

l aurait dû avoir, évidemment, des escaliers des temples et le fleuve

Sipra. Où étaient-ils?

No

us n avions vu, depuis la gare, que des champs cul

des oiseaux, des hommes, des chevaux, frères de misère du nôtre. La piste

flot tait vaguement, se brouillait, offrait des alternatives diverses; rien du sé

vers

le

but

qu offrent les pistes d Angleterre. Les champs cultivés sans

d ordonnance, jetés deçà delà jonchaient l énorme terre, séparés par des t

brunes. l n y avait une place pour rien, rien n était à sa place. Ni en son t

d  a

illeur

s.

La petite monnaie du nord sonnant faux, il n était plus de va

certaines que le d ôme du ciel et le disque solaire.

Au point

la piste élimée disparaissait dans le chaos le cheval .fit

119

mais le conducteur répéta : << Vieux, très vieux •> en désignant le palais neuf.

Nous abandonnâmes le cheval à son rêve.

<<

Retournez près de lui •> ordonnai-je,

mais je vis, en jetant un regard en arrière, que l homme aussi rêvait, assis sur les

talons,

à

l'ombre des ricins. Je répétai mon ordre

et

cette fois l'homme s'éloigna,

Caressant leurs corps avec amour, ils murmuraient que la sainteté p

pagner de grâce, que la vie n'est pas toute illusion et qu'il n'existe p

interminable. L'eau chantonnait des certitudes plus proches que

ayant chantonné s'y évanouissait.

En

la considérant, je vis que la

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7/21/2019 La Licorne

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mais pas dans

la

direction du cheva

l.

« Attention, nous allons tous nous perdre

»

criai-je. Mais la désintégration était à l'œuvre : mon expédition s'élimait comme

la piste, comme

le

s champs.

Sans char, sans suite, j'atteignis les arbres

pour

découvrir, comme partout,

à leurs pieds, quelques hommes. Le charme de

la

solitude manque à cette plaine.

Désolée à première vue, elle cache quelques hommes dans tous les coins en

nombre incalculable. Les hauts épis et les herbes s'agitent, une ondulation au

loin saisit le sentier, hachuré de corps bruns, piqué de safran ou de pourpre.

Les villages, le soir, détachés

d un

fond vide, se hèlent

à

travers l'espace avec

des tambours et des feux. Ce boqueteau devait être un village,

en

effet, puisque

à côté des quelques hommes se dressait un enclos autour d'une sorte de

rue

et

de dieux multipliés. Sur quelques mètres, une litière de huttes et de détritus

couvrait

le

sol. Puis

la

plaine reprenait, étendant aussi loin que l'œil pouvait

voir son doux désordre.

Par quelque escamotage cependant, la plaine présentait soudain une colline.

Du sommet, on voyait des ruines - les ruines. Leur apparition confondait.

Elles bordaient l'autre rive

d un fleuve rapide, qui, dans sa gorge profondément

creusée, roulai t avec une violence incroyable dans ce paysage assoupi.

On

voyait

là des chutes, des gués babillards, des eaux basses, enfin à droite une faille

profonde

le courant, unissant tous ses nœuds, forçait des mâchoires de pierre.

Aucun don

du

fleuve à

la

plaine; nulle prairie, nulle frange d'herbe à ses bords.

Comme le Gange de la légende, il jaillissait

du

ciel et, traversant la terre en

hâte, courait sous l'océan purifier l'enfer.

Dressé sur cette rive, le palais moderne prenait,

vu

d'ici, de vagues airs de

château sur la Loire. Les ruines touchaient le fleuve - un donjon de pierre

grise avec une écluse et des marches. Des blocs avaient roulé, quelques-uns

sculptés; ayant franchi le gué, j'en

fis

l'ascension. Au-delà, de nouvelles ruines

surgirent et

un

second fleuve.

Celui-là avait été

ci

vilis

é. Né du

premier, il retournait à lui par des chicanes

et des barrages murmurants. Sur ce cours si bref,

on

avait bâti un château

aquatique. Ses eaux coulaient dans des réservoirs sculptés, reflétant pavillons

et chaussées détruits, d'où quelques hommes descendaient

pour

se baigner.

12

faisait partie

du

palais en ruine

et

que les hommes l'avaient sculp

avaient sculpté les blocs.

De retour, je manquai le gué, il fallut patauger dans le coura

profondes

pour

des alligators, les basses eaux parlaient de sangsu

se passa bien; dans la plaine, là-bas, une tonga errait sans but. C'ét

ct son conducteur n'éprouva aucune surprise à nous retrouve

nouve

au

sain et sauf sur la grand-route, je m'aperçus que pas

n'avais songé au passé. Vraiment, était-ce là le palais

de

Vikramad

et

ses

huit

compagnons avaient-ils jamais prié dans ces eaux

Kalidas décrit Ujjain. Dans son poème e Nuage messager aussi m

aussi charmant que ma propre expédition - il loue la cité bien-aimé

un demi-dieu, leque

l

éloigné de sa belle, se sert d'une nuée pour lu

un message. Un nuage anglais irait droit, celui-ci est hindou. Ai

décrit les lieux où il pourrait passer s'il s'écartait suffisamment de

de ces lieux, le plus aberrant est Ujjain. Le nuage, s'il vagabondai

entrerait dans la ville avec Sipra, le fleuve sacré, il pourrait enten

paysans chanter dans ses rues des chants de liesse. Les jeunes filles b

mains, les paons des ailes : lui cependant pourrait, averse, mouille

odorants ou, rayon

du

soleil couchant, se suspendre au bras

de

Sh

quand les femmes se glissent vers leurs amants « dans une ombre

qu'une aiguille

»,

le nuage, de ses éclairs silencieux, pourrait leu

chemin et, las de leur bonheur comme

du

sien, dormir enfin parmi d

de colombes et jusqu'à l'aube. Ainsi parlait Kalidas

de

sa ville; le

(n'y avait-il pas un lexicographe parmi eux ?)

s y

sont peut-être div

Les bosquets voisins évoquaient sans doute

pour

le poète ce bois

Saktmtala

les nymphes cachées poussaient,

au

travers des feuillag

de noces. «

D où

viennent ces parures?

>>

demande l'

une

des prome

saint ermite les a-t-il créées par un effort

de

son esprit?

»

Conclusi

mais fausse.

« e

n'est pas

tout

à fait

exac:t

répond une autre. Les

pour

les porter, n ont eu besoin d'aucun secours. Pendant que no

des fleurs, des mains de fées se sont tendues •> Une troisième cri

sommes que de pauvres filles. Qui nous dira comment disposer

U I

Pourtant, nous avons vu des images. Nous pouvons les imiter. Elles ornent

la fiancée ..

Mais le passé ne luit que dans les livres et Kalidas s'était évanoui sitôt que

loin, étaient face au public, la maison derrière; ce qu'il

y

avait de moins

naliste dans la famille y était demeuré à l'abri de la purdah et assista au m

au travers des persiennes. Tel était le décor.

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7/21/2019 La Licorne

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j'avais senti l'eau de Sipra gagner mes chevilles. Oubliant les atours

de

Sakun

tala, je n'avais plus pensé qu'aux miens: étendus maintenant sur

le

marchepied

de la tonga, allaient-ils sécher avant que nous atteignions la gare

?

Un seul

chaos enveloppait Ujjain et tout le reste. Pourquoi faire des différences?

Je

demandai au conducteur de quelle espèce étaient

ce

s

arbr

es, il répondit : « Des

arbres »; et quel nom portait cet oiseau : « Oiseau »; et l'interminable plaine

murmurait : « Les palais sont des palais; les ruines des ruines.

2.

INDE, EN MARCHE

La famille rationaliste (mahométane) habitait un peu plus bas que mes amis

(anglais). Nous pouvions, à travers les cèdres,

voir

les murs rouges et le toit

en tôle ondulée de leur maison, dont la masse se profilait sur un demi-lointain,

sans toutefois troubler la ligne des neiges. La maison était grande, mais je ne

crois pas que

ses

habitants aient occupé dans leur communauté une place

éminente : ils ne connurent soudain la gloire qu 'à l 'occasion de ce mariage, le

premier de son genre dans la province. Nous ne les connai

ss

ions

pas;

invités

cependant avec toute

la

société

du

lieu, nous

valâmes, quand le soleil tomba,

pour

nous mêler

à

la foule dans leur jardin.

Un mariage public D allait être vraiment célébré ici. Sur

un

e estrade, au

centre de la pelouse, se dressaient

un

sopha, un fauteuil et une table aux franges

déchirées; autour de l'estrade environ deux cents invités faisaient cercle. Les

riches étaient assis sur des chaises, les pauvres sur un tapis le long du mur.

Di.fférents par la race et par la religion - Mahométans, Hindous, Sikhs,

Eurasiens, Anglais - ils appartenaientà des couches sociales diverses,

bi

en que

la plupartfussent des fonctionnaires subalternes, et ils avaient accepté l'invitation

pour des motifs mêlés : amitié, curiosité

ou

haine (la cérémonie faillit mal finir,

mais nous ne le sûmes que le lendemain). Les neiges, soixante-dix milles plus

IZZ.

Après une longue attente, les personnages apparurent. Le Mulvi

fauteuil-

belle allure, âge mûr, robe de velours noir et d'or. li fut rejoi

le marié, apparemment maître de soi, et la mariée sans son voile. lis s'a

côte

à

côte sur le sopha, cependant que les hôtes murmuraient : « Voilà

absolument contraire à la Loi islamique» et

qu un

enfant disposait des vas

bouquets congestionnés. Puis arriva le frère du marié pour une longue c

sation avec le Mulvi. Dans une excitation croissante, ils gesticulaient, se

paient la poitrine, échangeant avec véhémence des murmures et des so

Une d.iJiiculté avait surgi, mais laquelle? Personne ne pouvait le dir

e.

Un

fut enfin conclu puisque le frère, se retournant vers l'auditoire, annon

anglais que la cérémonie allait commencer par des versets du Coran. On l

" Le numéro suivant, dit le frère, sera un poème sur la Conscience. Un

éminent va déclamer ses vers sur la Conscience en urdu, mais son text

traduit. » Le poète et son interprète prirent donc place sur l'estrade

pou

récitation alternée mais non poi nt parfaitement claire : car le poète, qui co

nait l'anglais, voulut corriger l'interprète et tenta même de lui arrach

papier. D'arides vérités s'élevèrent dans l'air du soir, rendues un pe

déprimantes par les haillons orientaux dont

on

les avait revêtues. La Cons

était ceci, était cela : quelle que fût l'image, on ne lui échapperait pas. « Le

sur le monde répand les flots de sa lumière. Bénis soient

le

soleil, la lune

étoiles, sans qui les astres de nos yeux ne sauraient voir. Mais l e

autre lumière, celle de la Conscience... La conscience alors deven

jardin

chantaient éternellement les rossignols de l

 é

loquence,

éternellement la rosée de la rhétorique et

ceux qui n'écoutaient pas é

«

roulés sur des épines ». Quand la conscience eut bien pris son vol,

on

d

le couple mari et femme. Des invités chuchotèrent : Le Mulvi saute t

telle exhortation; c'est un scandale Mais déjà

le

Mu vi, s'adressant à

tance et particulièrement au public du tapis, déclarait les formes du m

moins importantes que la conduite après le mariage. Ce fut son thème esse

tandis qu ille développait, on nous

se

rvit des rafraîchi

sse

ments et

la

céré

atteignit plus ou moins son terme.

Spectacle déprimant, désolant presque - tout le problème de l'aven

Indes s'en trouvait posé. Comment pouvait

hoir

un tel méli-mélo? Le

n'avait pas achevé

qu un

gramophone commença et le gramoph?ne ne s é t ~ t

pas ru

qu un

acte mémorable se produisit soudain .Comme le soleil se couchait,

les orthodoxes se retirèr

ent

pour leur prière du sotr. Groupés sur la terrasse de

derrière, une vingtaine, ils se prosternèrent vers la e q u ~ Là é t a i ~ n t u n i ~ é ,

et ces montagnes, au surplus, ne sont pas la région de Bom

mariages sont moins rares. Eniin, ayant accompli notre devoi

satisfaits  Les grands mots ruisselaient de ses lèvres ; la conscien

fleurissait, chantait, fulgurait, et pourtant, de quelque façon, l'

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7/21/2019 La Licorne

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la dignité,

la

grandeur d'une tradition que le

jug

ement pnvé lalSSe rntacte; ils

n'avaient pas gardé ceci et rejeté cela; ils avaient accepté l'Islam sans

é s ~ r v e

et la beauté les en récompensait. Il y eut une fois, en Angleterre, un manage

où une dame talentueuse, d'esprit avancé, mais pas trop, réécrivit

pour

sa fille

le texte de l' office. L'essai s'avéra malheureux, il fut bien pire aux Indes, où

s'offrent de plus vastes chances de désastre.

Au

beau milieu des dévotions ortho

doxes, un disque crachota et - vlan

Ça s'rait bien plus choue

 

e vec ma p'tite L ise/le

Par un hasard diabolique, prière et chanson finirent ensemble. Les

ortho

doxes revinrent vers nous sans raideur gênée, mais les neiges et le soleil

étaient à eux plutôt qu'à nous; ils avaient obéi ; nous avions pénétré dans ce

chaos désagréable, ni obéissance ni liberté, qui paraît être, hélas, l'avenir immé

diat des Indes. Peu amène, la discussion s'engagea entre les hôtes : la famille

rationaliste était-elle allée trop loin? Ne pouvait-elle aller plus loin encore? La

mariée, en tout cas, aurait pu garder le voile; elle aurait pu, en tout cas, s'habiller

à l'européenne. Des bébés eurasiens avec de petits cris, voletaient dans le cré

puscule ainsi que des chauves-souris, les coupes tintaient, on ~ e m i t en marche

le gramophone - un disque indien cette fois - et aux premtères notes d'un

ballet nous partîmes.

Le lendemain matin, un ami (sikh) nous apprit, au petit déjeuner, qu 'un

certain nombre d' hôtes avaient voulu protester contre de telles innovations, le

Mulvi avait insisté pour

se

justifier, voilà pourquoi il avait discuté sur l'estrade

et parlé après la cérémonie. Un grand trouble régnait maintenant chez les Maho

métans du lieu,

dont

beaucoup prétendaient qu il n'y avait pas eu mariage. A

notre ami succéda le frère du marié, qui nous remercia d

 êtr

e venus, nia l exis

tence du moindre trouble dans la communauté et

nou

s montra les versets du

mariage. Quelques messieurs vieux-jeu, dit-il, n ont pas saisi ~ m m é d i a t e m e ~ t

- l'idée était nouvelle. Nous avons donc expliqué

la

chose et ils ont compns

to

ut

de suite. La jeune dame

es

t avancée, très avancée .. >> Elle allait même plus

loin que son mari, apparut-il : le frère se félicita qu on eût évité un

s c ~ n d a l e

«

C'était difficile, s'écria-t-il.

No

us autres musulmans retardons s

ur

les Hindous

en dignité. Sortir de l'ornière, en

tout

cas, n'avait pas été chos

deux familles bourgeoises et ce sont des actions comme la leu

pensées d'un philosophe ou l'exemple des princes, qui font

nation. L'Inde venait de s ébranler, tel était bien le sentiment

les paroles de ce petit employé plutôt servile.

Pour

le bien

o

quittait les neiges immuables, descendait dans une vallée do

demeurait encore invisible.

«

Je vous prie, écrivez sur tout cela, dit-il en nous qu

prie, donnez-en

un

compte-rendu dans les journaux angla

grand pas en avant contre la superstition, et nous avons b

le sachent. »

JODHPUR

Une erreur, à coup sûr Il est manifestement impossible

vienne, en battant de sa queue de pierre, s'accroupir parmi les m

flancs élevés à une hauteur incroyable, se transmuent en maçon

parapets, écailleux de canons ;

et

qu

e plus haut encore

un

palais

ronnant le dragon et, comme lui, couleur de perle. Ceci était à l'a

écharpe de brouillard isolait le mont de la terre inférieure. Pl

jour, l'ombre et le soleil s'opposèrent. Au crépuscule, la visio

teinte unique - olive sombre - la base plongeant dans la nuit

du dragon posée au milieu des étoiles.

Cette vision, la communauté anglaise, postée à trois milles

plaine, ne l'avait jamais quittée du regard. Rien de cette indiffér

jugée ailleurs de si bon ton. On aimait la ville ainsi que son peu

siasme d un hôte de passage, loin d'ennuyer, semblait accueil

Hommes et femmes partageaient leur club avec les Indiens; ainsi, sous son roit

gncieux, le • problème des races • se trouvait rtsolu, non point par des réfor

mateurs qui accentuent

cc:

qu ils dénoncent, mais par le génie de la ville, don

Des transepts en nids d abeille lui répondirent, puis, resserrée mais magnif

la cour du palais apparut.

Nous fûmes accueillis par

le

gardien de la cassette :

les

joyaux étaient, co

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7/21/2019 La Licorne

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nant

à

chacun une tâche

à

faire et de quoi penser. A l autre bout de

la

ptninsule,

on

m avait parlé de

cc:

loyalisme-

fort rare, de l aveu commun. Nul cependant

ne m avait décrit la gta.ndeur qui l inspire

l e

vent qui souffle du désert, le sable

et la pourpre des roches, les collines aux pieds creusés de carrières et

de

réser

voirs

et,

sur la plus haute d entre elles, le palais-forteresse, tternel émerveille

ment, couronne de dragon.

«

J aime ces Radjpoutes, s écriait un fonctionnaire

a n g l ~ s

ont

leurs défauts et l on prend ses mesures en conséquence:, mais je

les

a1me

Je les respecte et ne cesserai jamais de le faire. •

On

eûr dit que chaque

race avait fait des concessions. La nôtre semblait plus sensible, celle des Indiens

pl

us

solide. Un terra

in

commun d amitit avait été découvert •

mais

si nous étions

tous ailleurs, poursuivait mon fonctionnaire, le résultat,

je

crois, ne sera

it

pas

le même

».

Le matin suivant,

je

gagnai le fon. Mon compagnon était un jardinier

paysagiste de Bombay, nommé par le chef dc l Etat pour aménager en parc

quelques-unes des terres basses. Secouant la tête, il remarqua : • Un endroit

pareil n a pas besoin d un parc. • Nous dûmes faire un grand détour, un seul

sentier reliant la montagne 2 la ville La citadelle débouchait sur une région

sauvage, où, pour

des

milles,

un

rempart suivait

la

crête des collines. Au-dessus

s étageaient, plus petits, de nombreux

fons

- l un d entre eux débordait son

pitdestal - avec,

2

mi-côte, un petit lac vert

et

le tombeau en marbre d un

prince. La forteresse sc confondait avec le mont -

la

distinction entre nature

et an,

toujours faible dans l 

Ind

e, étant ici devenue ntgligeable. La première

entrée-

il

y avait cinq ou six lignes de

défense-

s ouvrait entre deux falaises

de maçonnerie, au flanc desquelles avaient été creustes

des

grottes pour les

gardes. Chaque tournant de

la

rampe était commandé par une ouverture avec

d innombrables embuscades. A Daulatabad, dans le Deccan, les défenses durent

être encore plus fortes, puisque l ennemi devait nécessairement y passer par un

tunnel creusé dans la roche vive et fermé à son extrémité supérieure par le rideau

de feu d

 u

n bûcher. Mais Daulatabad n a pas, comme cette ville, une couronne

légend

e.

Soudain le grain du rocher s affina

et

nous passâmes au pied d à

pi

cs

dont le bord supérieur avait été sculpté.

«

Il faut

bi

en de quelque façon que

cette rampe s insinue dans le palais, dit mon compagnon. Je suis resté des années

sans savoir qu i l exisrait pareille chose aux Indes, même

au

monde. • Et ensuite?

u6

presque toujours, bêtes

et

laids.

Une

dame ne porte

pas

les bijoux d au

on avait donc retaillé

et

resserti les pierres au goût de Regent Street.

Un

c

d émeraudes - butin volé aux

Musulmarls-

avait échappé

à

la casuation. A

le Trésor, nous visitâmes d autres salles pour admirer enfin les plafonds p

ct

les glaces du grand salon de Durbar. Mais ce n était

pas

le plus beau.

Virlrent des murs de plus en plus compliqués (pas

le

moindre parfum

qu ils cachaient, l appartement des femmes) d où nous émergeâmes soudai

une plate-forme de plusieurs acres, balayée par

le

vent et rôrie de soleil. Le s

ment de l espace nous repr

it

.

D un

côté, très au-dessous de nous, des vauto

de l autre, plus lointain encore, le royaume des homm

es.

Nous pouvions p

trer leurs secrets avec une arrogance

princière-

un cortège nuptial, une fa

endormie, des troupes

de

police à l entraînement dans un cimetière clos

chameaux, deux femmes

se

querellant au sommet d une maison. Le plan

temples trait devenu clair : nous pouvions en saisir les dimensions, les s

tries, la position par rapport aux réservoirs. Notre regard, fatigué de dé

pouvait courir sur la brousse gris-vert, ou, sautant par-dessus la civilisa

se reposer sur le grand cercle du désert et sur les forts qu avait détru

nôtre. Sur la plate-forme, une garnison radjpoute, désœuvrée, jeune, p

d insolence, jouait au milieu des canons.

Ces

derniers, chargés d ans, holla

ou hindous, avaient été coulés

2

l image de poissons, de dragons ou d alliga

Les plus sûrs d entre eux, utilisés pour des salves officielles, explosaien

temps

à

autre, rejetant dans le fort les cadavres de leurs servants. Etant d

tout ce qui restait encore de canons

t

de Radjpoutes, aucun changement n

envisagé, bien qu une réforme pût un jour surgir sous les espèces d  un bo

électrique

et

d un Babou. Au-delà de la troupe, sur la pente, nous trouv

l autel d  une déesse.

Bi

en qu elle porte un nom commun - Chamundi

vit là et non ailleurs, étant

fill

e du roc, sinon le roc lui-même. Derrière

Chamundi apparaissait

la

ville occidentale, que la queue du dragon, batta

beau milieu, divisait en quartiers;

les

replis de la queue cachaient des l

acs

fonds, dont les Brahmanes couvraient les eaux de fleurs ou nourrissaien

poissons.

C est ici terre d  héroïsme : une touche de gloire y a rehaussé des action

eussent été brutales ailleurs. L héroïsme en Europe est devenu morn

a fait retraite dans

les

musées :

on

perçoit

ici

sa vic magique La civilisation de

Jodhpur, quoique restreinte, n'a jamais cessé de fleurir. Elle ne s'est pas étendue

au loin, elle

n a

pas excellé dans

le

s

arcs,

pourtant elle demeure aussi sûrement

vivante que la civilisation d'Agra est moree. e n'est pas comme souvenir poi

Abdullah. répondit que le fait était exact; il arrivait i peine d'

- Je crots que vous avez besoin d un secrétaire.

- Non, je n'ai pas besoin d'un secrétaire. Encore sans relat

ville, je peux suffire i mon travail. Comme vous le voyez

nou

s

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gnant qu 'elle touche le cœur du @se t de l'étranger. Quand elle mourra vraiment,

puisse sa more être totale et définitive, puisse Jodhpur ne jamais se survivre

en archéologie, ni entendre, comme Dehli, retentir les trompettes d uneofficielle

résurrection. On souhaiterait voir l é treinte du sable

se

resserrer sur la ville et

se multiplier l

 é

mergence des cailloux pourpres afin que le désert, reprenant

la

vie autrefois donnée, un jour, loin du regard des hommes, ravisse la couronne

du dragon. Ce souhait peut être exaucé. L'Etat frère de Jaisalmer, pris i

la

gorge, se débat contre cette mort et « ne sera sauvé que par l'établissement d une

voie ferrée

»

Les voies ferrées peuvent créer. Sauver, non. Pour moi, j'abandon

nerais les héros aux tombes héroïques pour réserver toutes les bénédictions du

progrès aux Colonies du Canal, dans le Pendjab.

Midi. Une explosion bruyante ct peu scientifique. Tout le monde reste vivant.

Lessoldatscourenten riantvers l'ombrefraîchedu couloir ct y tombent endormi

s.

1914.

LE

SUPPLIANT

C'est une histoire que lui-même (appelons-le Abdullah), dans un état d'agita

tion extrême, a commencé de nous conter en un Bot de paroles sur la terrasse

de sa maison : notre ami, donc, était assis avec son frère da

ns

la véranda à débal

ler des livres quand un vieillard

s

avan

ça

. l avait l'air d un bandit.

- Bonsoir, Messieurs, dit-il. Aurez-vous la bonté de souscrire à un billet

de chemin de fer pour que mon

@s

puisse se rendre à Calcutta?

La liste de souscription qu'il présenta était fausse. Mais lui était un suppliant,

un musulman et un vieillard.

- Je suis pauvre moi-même, dit not re ami. Pourtant si

votr

e fils veut bien

accepter deux roupies .. Et

il

donna la somme.

- Vous venez, je crois, vous installer ici comme avocat, remarqua l'homme

en s'asseyant.

u 8

simplement. '

- Vous avez besoin d un secrétaire. Je serai votre secrétaire.

- Vous êtes trop bon, mais pour l'instant je n'ai pas bes

taire.

- A quelle heure est le dîner?

. Une théorie veut qu'un suppliant s'en aille après un repas ; e

JUSte et les deux frères classèr

ent

leurs livres toute

la

soirée, avec

portier, impératif gamin de dix ans. Ils avaient agi avec courtois

heureux. Mais vers minuit,

on

entendit des roues : c'était un

gh

ari

de bagages. Un tur ban jadis blanc parut à la portière.

- Je suis votre secrétaire, dit le vieillard.

est ma chambre:

laissa payer le cocher.

« ~ a ~ s q ~ e pouvais-je faire?

prot

esta Abdullah en réponse

à

n

v . a t ~ J e fatre d'autre?

On

ne peut manquer i l'hospitalité et il est

n ~ ~ il a t e ~ u ~ e b o u t ~ e s domestiques pour

lui

nettoyer sa hook

d bu1 il se plamt a leur sujet. »Il soupira, puis dit en riant: « Hélas P

Quoi encore? •

Nous

a r p e n t i ~ n s

la terrasse, parlant t antôt pour le gro nder, tantô

lamenter :tvec lut Cette terrasse était vraiment exquise. Au-dessus

poussière, elle s'élevait dans un monde

de

verdure. Manguie

Jaillissant alentour de cent petits jardins ou cours intérieurs s '

nive:'-u où

nous nous

tr

ouvions, en une ville pour oiseaux. e o l ~ l a

une mcroyable pourpre fleurissait dans le

id

orangé

à

l

ouest. Mêm

pourtant

?"o

us n'étions pas libres. Quelques pas trop à gauche, nou

notre vo1sm le commerçant, un Hirldou gras, qui aussitôt nous criai

Gentlemen  Gentlemen Reculez s'il vous plaît Appartement de

Quelques pas trop à droite, par contre, nous apparaissions à d

 a

utre

m ~ i n s surveillées

ou

surveiilables, et q

ui

, au plus haut de leur toit

agitant de

~ c h a r p e ~

« Une maison de deux étages est dang

un débutant »,

disa1t

elliptiquement Abdullah. Nous nous déplacio

c e ~ t r e Au fond de notre propre

cour

, cependant,

le

suppliant gro

étatt gros, par la grâce de Dieu, et l'escalier étroit.

Nous prîmes un morne congé : d'abord notre ami n'avait pas insisté pour

que nous restions jusqu'au thé.

Or

le thé, chez lui. était délicieux- on y servait

des

po

is au beurre ainsi que des mandarines, ainsi que des goyaves, coupés en

nique. l l l'écouta en silence, l

es

yeux fichés au sol. Quand nous eûmes

f

releva son regard vers le mien et dit :

- Que vous rüez de moi, c'est naturel. Vous êtes Anglais et

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tranche et poivrés, et quelquefois ses amis mariés avaient envoyé des pâtisseries.

Notre ami ne pouvait nous prier de grand cœur : le suppliant se tenait mal à

table; il ne pouvait sortir pour prendre le thé avec nous : il laisserait son frère

seul; il

ne

pouvait sortir avec son frère et nous : la maison demeurerait seule.

Un regard jeté sur le vieux nous rendit plus mornes encore. Son salam (me dit

on) impliquait mille insultes.

Et

une enquête dans le bazar nous révéla qu'il ne

valait vraiment pas cher. l n y avait rien à faire, Abdullah, malgré

sa

douce

bonne humeur, n'admettant pas la moindre intervention contraire

à l ho

spitalité.

Nous n'avions plus

qu

 à

nous demander combien de temps il sacrifierait ses

amis, sa liberté et sa carrière,

t à

réfléchir sur les inconvénients d'une conduite

domestique dans le style moyenâgeux.

Le lendemain matin, le suppliant vint nous voir. ll fut mis

à

la porte avant

d

 avo

ir pu parler. Quelques instants plus tard, Abdullah arrivait et sautait de

sa bicyclette, rayonnant de joie.

- Quelle chance s'écria-t-il. ll a volé une roupie, six annas, quatre pies

dans la poche de mon domestique et il est parti.

Après l'avoir félicité, nous demandâmes quelques détails.

- Ah Ah Nous revoilà heureux enfin. Maintenant je peux vous dire. Quand

le gamin

l a

surpris, je

n ai

su que faire.

On

ne peut pas être impoli.

e

me suis

contenté de dire :

«

Nous

nou

s trouvons devant une méprise, apparemment.

»

Puis j'ai

~ t t e n d u

TI a dit : c

Je

ne reste jamais dans une maison

l'on

n a

pas

confiance en moi. » J ai répondu : « Je regrette d'entendre une chose pareille,

je n'ai jamais

dit

que je n'avais pas confian

ce

en

vous. - Non, mais

ce

sont

vos domestiques. Suffit   Suffit Je

ne

suis plus votre secrétaire. Je m'en vais.

»

Je lui

is

alors que je regrettais

sa

décision, mais qu'elle était peut-être sage. n

est donc venu droi t chez vous, ayant tiré

e

nous tout ce qu'il pouvait Oh, le

vieux gredin Le monstre De pareils hommes sont une honte

pour

l'Inde

Mais on

n y peut

rien, j'imagine.

- Et l'argent?

- Oh, il

l a

emporté, naturellement. Naturellement. Mais j'aurais pu être

dans l'obligatioç. de rembourser jusqu'à cinquante roupies. Bon, c

 e

st fini.

Viendrez-vous aujourd'hui prendre le thé tous les deux?

l ét?.Ït vraiment trop niais t nous lui assénâmes un bon sermon britan-

suivez d'autres coutumes. J aurais agi moi-même différemment en A

terre. Tout cela est grotesque, admettons-le. Puis

sc

tournant

son second critique - un Indien, lui - il ajouta

voU:

plus sév

Mais vous - je suis honteux

pour

vous.

Vou

s aunez du compre

Tant

que nous possédons de

l a

rgent, une table, une m a i s o ~ , nous de

partager, si

l on

nous en pri

e,

avec les ~ ~ u v r e s et v t e ~ . N a ~ r

Vous avez le cœur froid. Vous avez oublie nos tradiuons d hosptt

Vou

s

ave><

oublié l'Orient . Je suis vraiment honteux pour vous,

honteux.

• 

5

PAN

Dan

s le silence de la chaude mi-journée , je gagnai, comme bien souve

retraite d'une clairière au cœu r de collines basses et broussailleuses. Rien d'i

main dans les collines et la clairière avait reçu ce strict minimum de cu

indispensable

à

la manifestation des forces cosmiques. Quand l'univers fa

gros yeux, il lui faut aussi des orbites . La nature outragée doit flanquer son

quelque part. Ces clayonnag

es

,

pour

un tel rôle, paraissaient assez indi

simpl

es

treillis en osier peut-être, à coup s

ûr

de mauvais augure; ce trem

village, à l'horizon, pouvait être l'asile

chercheraient refuge pâtres et v

geurs terrifiés. Les claies avaient sept pieds de haut. Reliées par des cord

tendues de nattes, elles ceignaient d'une palissade impénétrable une aire

ou

deux acres . Du point dominant où je me trouvais, je pouvais, par-dessu

faîte voir l'entrelacs confus de cordes et de tentes, toile d'araignée

sur

piq

Un r v a t e u r vulgaire

eût

pu se croire dans le Kent. Nous sommes m

naïf

s.

Un tout autre mystère fermente ici. Le houblon d e ~ n d e à être p ~

du ve

nt

mais non pas du soleil ; il ne va pas chercher retratte dans des clam

au cœur de collines broussailleuses et s'y réfugier derrière un système com

131

de portes capitonnées de paille et battant sur

le

dos des voyageurs comme celles

des cathédrales en Occident.

Me voici

à

l' intérieur. Ah

Tout

un univers de chaleur et de fumure; sans

air, sous une tente immense cependant, dont les piliers et les cordages symé

triques sont mouchetés d'ors verts. Des avenues noyées dans une exhalaison.

« salutaire » et l'a peut-être recommandé à Dante, à son retour.

colique et les

m ~ u x

de tête de Duarte Barbosa, un contemporain d

Huygen van Lmschoten en prit aussi. Ce produit d'une terre a

plus fameuse contrée du monde, l'Inde ample et vaste », mêlé a

d un

peuple anci:n - Brahmanes, ~ a r s i ~ , Maures, Gentous, Bania

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Autour de chaque mât, un

lis

e

ron

s'enroule, aromatique et pois

se

ux : ses

feuilles en forme de cœur, tendues vers le soleil

et

plantureuses dans leurs aspi

rations crépusculaire

s,

courent le long de portées latérales pour u ne symphonie

subtile et compliquée. Et

ces

apparitions, oh sont-ce

des hommes? Des

hommes nus et couleur de fumier- est-ce possible? Glissant entre les liserons

sans rompre la plus délicate des vrilles, ils s'accroupissent sur le sol et de l'eau

en sort doucement, qui va imbiber les racines. Quels acolytes, servant quelle

divinité sans nom? Je demeure perplexe. Et un passage du Dr John Fryer

(r65o-1733) me vient

à

l'esprit :

Ces Plantes, alignées, composent un Bosquet dont l'Apparence, flattant

les Y eux des Peuples Fanatiques, le ferait aisément passer pou r sacré; car si l

Foi Chrétienne, partout où elle s'est portée, n'avait Hermétiqueme

nt

clos la

Bouche du Grand Imposteur, ces Végétaux pourraient encore, comme ils firent

jadis si je m'en crois, servir de vraies Officines pour la Distillation de ses Oracles

Fallacieux; en masquant la lumière du Jour, ils engendrent comme un Saisisse

ment solennel et mélancolique, qui paraît habiter en eux et qu'ils répandent

alentour; représentant ainsi le Lieu le plus propre à Séduire une Ame Dévote,

avec les Pilas tres, Piliers, Nefs et Chœurs d'une Cathédrale - et selon une Dispo

sition très-ingénieuse offrant aux Yeux, de

tout

e part, une parfaite Egalité de

Perspective ».

C'est cela; je sais maintenant; mais pour plus d'assurance encore, j'étends la

main, j'arrache une feuille et la mange. Ma langue perçoit des coups d'aiguillon

- dards d'orange irrascible

et

de poivre alliés. C'est bien cela; je suis en pré

sence de

Pan.

Pan; pan-supari; beetle, bittle, bettle, betl, bétel : quelle impression sur les

premiers voyageurs Avec quel soin, revenus d'Orient, ils le décrivent à leurs

amis Le Dr Fryer s'y efforce le plus vivement. C'est qu'avant son départ, il a

lu Sir Thomas Browne, comme le

prou

ve l'ignorance où nous demeurons des

véritables végétaux auxquels fait allusion le passage

pr

écédent -

 l

peut fort

bien a

vo

ir voulu évoquer l

es

palmiers. C'est à mon convolvulus que pensait

Marco Polo. Moins grand prosateur, sans détour, il dit de son Pan qu'il est

x;z

apparut a nos peres comme un objet digne de leur curiosité

et

m

sympathie. Nous lui portons un plus pauvre intérêt.

La

gent ang

r e ~ s a n t a v ~ c ~ a n tout o m ~ e r c e c o n d a ~ e sans appel« la malpro

qu_o,nt les

t n d i g è ~ e s

de m a ; h ~ r ~ e s notx de bétel » encore que

preferent

ne

pas etre appeles mdigènes et que ce qu'ils mâchent

bétel, ni malpropre, ni même une noix. Quelques-uns de nos f

s é t ~ n t : pour

_des

fins d étiquette, qualifiés techniquement, plonge

attristes

et t e ~ t s

les plateaux où sont empilés les petits paque

A ~ e r

plus lom

s ~ r a t t

m ~ n q u e r

à la dignité britannique. Quel d

~ d a n g e

a bon gout en falt, et

sa

consommation, inoffensive

et

légèr

d_un s ~ c r e m e n t .

Les premiers voyageurs l ont aussi compris :

«

C

divertissement aux I n d ~ s :

on

l'appelle communément

« Pan

». D

que tourmente le souci de la nourriture, ce qui n'est point alim

m a n ~ e ?evient esJ?èce c o . m ~ ~ i ~ n . A proprem ent parler, le Pan

que 1bote admtrustre a ses mv1tes a la fin de leur entretien · adoucis

on l'offre donc souvent en même temps que l'externe, l'e;sence

de

en fait un noyau d'hospitalité,

et

un importan t commerce a lieu,

s o u ~ sa

petite égide. On

peut«

aller à

un

Pan » « donner

un

Pan

moms compromettant qu'une réception; au Patl d'ailleurs, peuven t

thé, café, glaces, sandwiches, pâtisseries, whisky-sodas : l'invit

aperçus par hasard, pour ra les consommer incidemment. J ai assis

ce f u t ~ pour moi du moins, un énorme repas. Mais l'étiquette n y v

nournture.

Il

y a d'autres avantages. Un

crédit<<

pour le

Pan

 

sert

d

'exç:us

e à certaine b i e n ~ e i l l a n ~ : Il donne

à

cette femme cinq r

le Par nous poum?ns ?lle comme argent de poche (pin-m

nouveau Jeu de mots

qu1,

soigneusement expliqué, provoque le ri

Cependant, cette feuille verte - la feuille de bétel

pour

parler e

Cueillie, elle perd

sa

virulence

pour

ne plus être, au bout

d un

tem

que parfumée, agréable et rafraîchissante. Une fois apprêtée,

on

la

de chaux. Peut-être fut -ce jadis un mode de conservation, deven

raffinement -

on trou

verait un analogue dans la térébenthine, ingré

tiel aujourd'hui des vins grecs. Sur la chaux,

le

s autorités diffèrent ; certains

docteurs, croyant qu 'elle peut causer le cancer, en désapprouvent l'emploi et

l'opinion générale y voit le moins honorable élément du mélange, si utile qu'il

soit pour en lier les autres. La demeure originelle de ce Pa  fut l'Inde méridio

. , , , d nt leur bénédiction sur ce qui les a p r é

sont simplement

miS

a 1œuvre, eten a . la gent anglo-indienne a por

dés. Incroyable, vraiment, la c ~ n d a m n ~ ; l O ~ qque'au prochain miroir. Un nouve

sur cette pratique innocente, m ~ r o y a e

JU

S u 1 Pourquoi rouge quand

d b

0

·

Je sms tout rouge. '

choc nous y a ~ e n : on eUh, blanche

J

e ne sais; les auteurs disent qu

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nale, comme le montre l'étymologie, t la première chaux fut empruntée

à

la

coquille des huîtres perlières. La chaux enrobe un élément très important : la

graine déchiquetée du palmier arec, communément appelée noix, bien qu'elle

n'ait pas de coquille. La graine d'arec, qui par la grosseur ressemble à l'œuf du

petit déjeuner, rappelle plutôt, par ailleurs, ces pyrites de fer qu'

on

nous faisait

ramasser sur les plages à l'école: d'une incro

ya

ble dureté, elle darde

à

J'intérieur

ses rayons, l'extérieur demeurant nocturne. Se sentir même un petit morceau

d'arec dans la bouche est alarmant :

on

s y fait plus tard et l on apprend à le

mâchonner convenablement. Bétel, 'chaux, arec forment la trinité du

Pan;

mais

de nouveaux ingrédients peuvent être ajoutés, par exemple la graine de carda

mome. Quand tout est au point, la feuille flexible est pliée sur elle-même jusqu'à

ressembler

à

un mille-feuilles

ou

au nid des guêpes mégachiles. y a bien des

façons de plier les feuilles ; les unes sont reployées, style

billet-dor1x

d'autres

agrafées à l'extrémité par un clou de girofle.

n

existe tant de manières de faire

n'importe quoi, d un bout à l'autre des Indes, que toute description s'y mue vite

en erreur. Mon propre bétel poussait à Garhi, Bundelkhand, mais

on

peut bien

le cultiver différemment en tournant le coin.

L'opération, maintenant. Déplier un Pan

ou

le mordre

à

un bout serait

déplacé. TI doit pénétrer entier dans la bouche, avec les conséquences que le fait

y comporte. La feuille elle-même est assez clémente, mais la crise survient au

moment où, les fibres s'étant déchirées, les pyrites de fer

en

tombent et

vont

deçà delà se loger sous la langue. Le

no

vice alors, dans un grand désordre, se

lève, vole épouvanté vers la cour et

y

arrose de shrapnels les spectateurs, avec

le sentiment de succomber, sous couvert végétal,

à

l'invasion d'une armée

minérale, car c'est l'instant précis où la chaux commence à piquer. Si l'on peut

traverser assis cette épreuve, une paix céleste s'ensuit; les ingrédients se saluent,

une sensation unique se forme, et sans cesser d'être un problème, notre

Pan

devient un plaisir. Le cardamome craque, l'arec formidable cède, se rompt,

cherche vainement un refuge dans les défilés des gencives et s'enfuit.

On

sent la

chaleur de sa bouche propre battre selon les pulsations de l'infini, en une harmo

nie qui, gagnant vers l'intérieur, établit peu à peu son règne sur les régions que

nomma Barbosa.

On n a

rien avalé d'enivrant ; les doux anges de l'eupepsie se

bétel est vert, arec brun et la c aux . ' sang » pourquoi rien d'autre

é ét d' e salive rouge- •

bétel « favorise la s cr

100

un

h ffi ais

un

oubli est toujours p

la favorise-t-elle? Un rinçage de

b o ~ c e s ~

h ~ i r ~ s vermillon et l'on est à jam

siblc: l'on va

br

idger au .club

v ~ c

e s m a ~ mâchent du bétel pendant

déshonoré. Chez les Indiens, qm, nmt et Jour , en effet et les dents n

années san  s se brosser ensuite, le rouge ~ m l ~ u r e s

h a b i t u

cc qu'évidemm

hid

· u'au moment ou

on

'

cissent. Ils sont eux JUSq

1

d rt mais leur haleine est douce

d

f

Leur apparence es esse ' .

f

l'In

on a tort e alfe. · . r ul pour foule

1

e pre cre

. · ent aux Italiens et,

10

e '

d

s'opposent amst exactem . . t l'Inde manque tragiquement

Servir le Pan est un peut art en sol, e entée ne connaît presque rien

· choses . cette terre

tourm

consacrés aux petltes , .' . ,

1

éant et la société des bommes en sou

comble l' intervalle entre

1

llimite et e n l d, cence ce qui n'est pa s méta

Où la

piété s'arrête commence p r e s q u ~ m .e 1

é;asif

qui coquetant ave

· · 0 doit beaucoup a ce ntue ' '

sique est mmgu e. n il d et sait éluder les tabous sans c

r

mais son v e maussa e,

relig1on, ne eve la . . . . d 'oli service apporte au cœur un

dans la grossièreté : amsl l'appa:ltlon J d parce qu'il es t

le

salut à

choc - ce petit choc plus humatn que _es g;an lateau recouvert, l'hô

joie terrestre.

En

général le Pan arrivde prepare.surs o offre d'abord un par

. , · d s les gran es occas10n ,

invisible

1

env01e; et an .

1

.

Les communions sans ap

b

l moucholi

ou

pour a mam. bl , 1

épais et run, pour e . • . rédients . elle ressem e a a

peuvent laisser paraî·tr·e la b o ~ ~ ~ s a ~ x

:Or

ins que notre boîte aux épic

aux épices de nos cu smes occtdent . Circulaire parfois avec les

b Ell divise en compartunents . '

lui ressem e. . e

se

1

d.

e.

elle est parfois rectangu

partiments en rayons et

le

c o _ u ~ e r c e

e ~ i l o ~ o ~ m e

le plateau d'une mal

parfois à deux étages, le supeneur mo ehl d'arec Les boîtes mod

l inférieur sans cloison pour le,s g r o s s e ~ c ~ e : m s o ~ v e n très belles.

sont d'ordinaire faiblement ornees, pu s n : , ~ boîtes

à

Pan en allia

. . d D prodmt de magmuques .

une c1té oubliee u eccan, a . , l' ir d en voir fabnquer

, d' t J y suiS alle avec espo

1

plomb incruste argen . . lie

>>

le travail de toutes

es

. l

 

d . t reçu là une vie nouve '

malS

m ustne ayan . t 1 du Prince de Galles.

y

était en conséquence au

me

; 'est pourtant pas tout à fait. Q

L'hôtesse hindoue, presque mv1S1 e, ne

13l

vue préparer un

Pa

ne parle jamais plus d u • bétel malpropre.

»

L'acte est d'une

exquise délicatesse, le cérémonial du thé en Extrême-Orient, autour duquel on

a fait si grand bruit, ne saurait avoir plus de charme. D'abord il faut découvrir

la feuille parfaite. L'hôtesse, avec un dédain fantastique, commence par tout

rejeter,

à

la recherche de l'Unique, poussée sur quelque tige étrangère

à

ce monde.

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Elle choisit enfin la meilleure, en cisèle l

es

bords, la pose sur la paume d'une

main

trop

petite. Songeuse la considère « Triste feuille, feuille humiliante;

vaut-il la peine d'aller plus loin?

»

a décision est prise : saisissant une grosse

plume ou une petite cuiller, elle la plonge dans le compartiment qui contient

le lait de chaux. Viennent ensuite l'arec, déchiqueté déjà avec des pinces ouvra

gées, le cardamome et

tout

ce que l'hôtesse juge bon. Peu à peu, ses mouvements

s'accélèrent, son courage s'affermit, oubliant son désappointement, elle n'est

plus qu'anticipation; hôtesse jusqu'au bout des ongles, elle accomplit le dernier

agrafage avec la rapidité de

l

éclair, se penche et présente le don. Petits gestes,

petit don. Evoquer, à propos du

Pan

le grand Mystère Oriental, fausserait tout.

L'Orient est assez mystérieux déjà, mystérieux jusqu'à l'ennui.

Çà

et là cepen

dant, du

Tout

Eternel un détail menu se détache et notre humanité commune

nous revient en mémoire.

Telles sont les grandes lignes

d un

sujet négligé. D'autres aspects existent.

Il a le Pan

Comique

où l'on met du sel.

On

l'offre aux bouffons. Oh comme

ils crachent - parfois jusqu'à de vraies nausées Un jeu de mots n'est pas plus

drôle. Enfin, il a le Pan Tragique où l'on met du verre pilé et que l on offre

à ses ennemis.

oèmes

par

RENÉ

CHAR

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L SORGUE

CH SON POUR YVO ·r .;E

Rivière trop tôt partie,

d une

traite,

sans

compagnon 

Donm atiX

enfants de mon

pays

le

visage de

ta passion

.

Rivière où

l éclair

finit el où commence ma maison,

Qui roule aux marches

d

ouhli la roc

aille

de ma raison.

Rivière, en toi

terre est

frisson  soleil anxiété.

Que

chaque pauvre dans

sa nuit fasse son pain de

ta moisson

Rivière

souvent

p nie

rivière / abandon.

Rivière

des

apprentis à la calleuse condition,

Il n est vent qui ne jllchisse

à

la crête de

tes

sillons.

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Rivière

de

l âme vide, de la grtenille et drt souPfon,

Du vieux malheur qui se dévide,

de

l ormeau,

de

la compassion.

Rivière

des

farfilrts, des fiévreux, des équarrisseurs,

u soleil lâchant sa charrue pour s acoquiner au menteur.

Rivière des meilleurs

qu

e soi, rivière des brouillards

éclos,

De la lampe qui désaltère l angoisse autour

de

son chapeau.

Rivière

des

égards au songe, rivière qui rouille le f er,

Où les étoiles

ont

ce

tte ombre qu elles refusent

à

la mer.

Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux,

De l ouragan qui mord la vigne et

annonce

le vù nouveau.

Rivière au cœur jamais détmil dans

ce

monde fou de prison,

Garde-nous violmt et ami des abeilles de l horizon.

SUR

LA

NAPPE

D UN ÉTANG

G

Je t aime,

Hiver

aux

graines belliqueuses .

Maintenant,

lon image

luit

Là où

son cœur

s est penché.

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CR YON DU PRISONNIER

Un amour dont

la bor1cbe est

un bouquet

de brumes,

Eclôt

et disparaît.

Un chasseur

va

le suivre,

un

guetteur l apprendra,

Et ils se

haïront

tous deux, puis, ils se maudiront tous trois,

Il gèle au dehors,

la feuille

passe

travers l arbre.

4Z

LOY L

V E C

L

VIE

Dis ce

que le

feu hésite à

dire

Soleil

de l air,

clarté qui ose

s,

Et meurs de l avoir dit po  tr

tous.

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  remiersang

par

EDU RDO

Z L ME BORD

Traduttion de

l espagnol

p r

Yvette

Billod

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T ous les sentiers de la Guajira sont bordés de nopals et de cactus. Sab

neux. couvens de coquillages et d épines. L un d   eux conduit au ran

de Pablo. Cdui-ci, comme presque tous ceux de la Guajira, est en torchis g

couleur étrange dans ce pays où tout est rouge vif bleu fulgurant,

ven

viol

doré, mai s jamais gris. l est réduit aux quatre mur

s Ce

rectangle renferm

salle à manger, la salle et l alcôve.

On

cuisine dehors, sur un foyer primitif

de trois grosses pierres.

Nous nous assîmes. Le poisson n était pas encore 2 point et le riz sc de

chait à petit feu. Un hamac tout neuf, mélancolique et distendu.

Je

pus

r e n ~ ~ o m p t e alors _ que

la

joie de Pablo, lorsque Anashka était près

se fatsatt préoccupation. Elle ne paraissait pas le remarquer. Comme ste

une grande malle de CUir et trois gros bidons

d e

ssence « Troco ». Sur

table, six assiettes de fer blanc émaillé, une tasse

à

bouillon et un grand cout

Dans un coin une belle carabine

«

Winchester propre et brillante.

Cc jour-là, qui restera longtemps dans mon souvenir, nous bavardâ

longuement Manuel ct moi, mais de cette

fa

çon timide et balbutiante des

qui se connaiss

ent

depuis peu. Il y entre une teinte de respect, pour l inte

t e u ~ La familiarité n est autre chose qu un manque de respect

mutud

ne sats pas pourquoi chacun de ceux que j ai rencontrés à

la

Guajira prof

de toutes les occasions qui se présentent

pour

me raconter leur vie. Il y

eux un étrange besoin de se confier. Ils racontent comment ils sont

ve

nus, de

147

combien de temps ils sont

là,

et bien d autres choses encore. Ils désiren

_t tout

savoir des lieu

:<

qu ils

ont

oubliés. Ils interrogent, questionnent, s en

qw

èrent.

La

fl

amme

de

l espéra nce frustrée brille sur leurs visages, dans leu;:s yeux. Ils

voudraient aller ailleurs, mais ne le peuvent pas. Quelque

c h ? s ~

d mconn : _

t

de terrible les retient attachés, enracinés,

et

les empêche de realiser le

ur

destr.

presque invisible. Je courus à côté de lui Trois coups rapproché

en siffiant devant mes yeux. Le premier arrêta

l

cheval, comme s

terrible l eût engourdi inopinément. e cavalier, je pus m en rend

alors était un Indien. Un Indien de haute taille, avec des dents brilla

bouche étonnée.

Il se tourna vers nous, plaça upidement la flèche

au moment où son bras

se

recourbait pour la décocher, il

se

ntit la b

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Les choses se passe

nt

ain

si

là-bas.

On

y souffre

et n

y a

du p l a i s ~

comme

partout, mais les plaisirs sont aigris, les douleurs

av1v

ées par la cerutude que

tout

es

t, mystérieusement, inévitable, qu il n y a pas de force, de

~ a g e s s ~

ni

de volonté capables

d wnuler

les capricieuses arabesques du destln,

qw

entrelacent leurs nœuds

et

finissent par étrangler l

es

gorges, par

tout

rendre sanglant

et

fumant, de cette fumée

vo

race des

~ c ~ n d i e s

intér

_ieurs.

Les nopals, la saline avec la régularité sans fin de

ses

rrurous

P ~ l s m a t l ~

les Indiennes, les disputes, les crim

es

tout cela, avec ses obsc

un t

es, ses t1èdes

tén

èb

res

et

son éclat, captive

et

charme com

me

les jardins de lotus dans les

voyages d Ulysse. .

Je ne sais pourquoi je pressentais quelque chose de dur, .de tnste

et

pénible. Je n ava

is

pas remarqué jusqu alors que s

ur

tous l

es v1sages

des habi

tants de ce miséra

bl

e village

se li

sait la certitude

~ r r i b l e u n e

attente pr

?lon

gée

et constante. Mais aucun autre visage ne montrait une mqwétude ausst tenace

que celui de Manuel.

Anashka était dehors communiquant à to

ut

ce qu elle touchait

un

halo de

nudité primitive. Elle faisait la cuisine

et

j éprouvais un s e n ~ e n t d étrangeté

à

la voir demi-nue, le corps si proche de la

fla

mme

et

des aliments. Son corps

n était-il pas flamme, lui aussi, et sa nudité un aliment pour la luxure? Ses bras

sont longs, fins, ronds; la couleur de l acajou y court, et sa rencontre ~ v e c

l éclat délicat de l or des bijoux produit de tièdes contrastes, des lurruères

inconnues. Pablo marche de côté

et

d autre, inquiet.

T

cherche, regarde,

sort

sur le

pas de

la porte.

En parlant avec mon nouvel ami,

je

sentais la venue ce que nous atten

dions tous. Nous nous assîmes pour manger.

Et

soudam, comme Manuel

était sorti chercher de l eau - l eau était dehors, dans

un

baquet, sous

toit de torchis - nous entendîmes un cri. Le galop l

our

d d un cheval

qw

s éloignait : Pablo sortit, la carabine à la main, et moi derrière. Manuel gisait

sur le sable, un coup de couteau dans le dos. Pablo le regarda à peine et e n ~

en courant vers la plage, par laquelle s éloignait, rapide,

un

ch

ev

al au cavalier

front. Il fit

un

g

es

te brusque, comme pour chas

se

r une mouche,

se contractèrent, se durcire

nt

comme des boules; il tendit les bras po

ser la vie qui Je fuyait

et

fit

un

saut terrible, les yeux grands ouvert

soleil. Il tomba à côté du cheval blessé qui regardait la

mort

ave

tendres

.

. L eau de la mer mouillait ses cheveux. Nous approchâmes

yeux rouges à cause du Bot de sang qui coulait de la blessure. Ceu

aussi étaient rouges, sombres, brillants pleins de colère.

Tout

s étai

un

mot

. Muets, nous nous regardâmes, saisis de crainte. J étais si

que je lus sur son visage d homme qui vena

it

de tuer l éclat de la

la plus pure

et l ass

urance

qu

 il

se

défendrait désespéréme

nt

à n im

moment. Quand nous so

ul

evâmes le cadavre pour

le

sortir de la m

déjà froid. Et quelle

se

nsation de froid donnait ce corps

au

milieu

lumière et de soleil.

Le

sang er l eau de mer s étaient mêlés sur sa

membres étaient forts, raidis,

et

le poil rare, hérissé. Pablo le soul

pieds, et, soudain, lâcha le cadavre et partit en courant vers Je villag

sachant que faire, je regardai la figure qui souriait de sa bouche enco

qui renfermait encore le dernier souffle,

et

je me mis

à

courir derr

comme si la mort était contagieuse, comme si les balles couraient a

les couteaux déchiraient l air. Le cadavre de l Indien resta seul, so

indifférent qui jouait sur le corps,

et Jui

donnait des ombres violettes

bée vert courait sur la main droite, la main qu habitait encore la

laquelle il avait placé la flèche sur l arc. Un filet d eau sanguinolen

la joue et tomba sur

le

sable, il continua de goutter lentement; le s

l absorbait, assoiffé, et l lumière brillait sur le rouge à reBets ve

j arrivai au rancho de Pablo, habité d  une peur qui devenait à cha

plus intense, tout Je village était réuni. Tout me paraissa

it

si

distant, si terriblement éloigné de moi, ·et, pourtant, si actuel.

Il

m

que

l Indi

en était mort depuis très longtemps déjà, que tout cela n

souvenir de la première période de ma vie. La vision du cadavre

celle du premier mort que j avais contemplé dans mon enfance,

et

49

s faisait vague de la même façon.

Tout

paraissait si distant que c'était plutôt

comme le souvenir d'une vie antérieure.

On

avait couché Manuel à plat ventre, sur une natte. Une vieille

inconnue, au visage ridé

et

jauni, plaça sur la blessure un emplâtre d'herbes

n'en avait qu'une. La baine, la colère, l'amour, la douceur,

er

le mépris j

sent, dans ces paroles, comme des fontaines de feu .

- Tu ne peux pas savoir ce que c'est .. Ici,

on

a la mort à deux pouces

poitrine

.

.

Et

si

on

ne

se

méfie pas, on est roulé par l'Indien ou le blanc, o

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humides. Les commentaires

se

croisaient au-dessus de

ma

peur, la rendant

plus aiguë.

- Maintenant, les Indiens

vont

venir

et

nous tuer ,tous

»,

disait Rosa, en

s'approchant d'Augusto, qui regardait avec des yeux absents.

- T faudra payer, sinon ..

»,

murmurait-elle encore, tremblante.

Payer? Qu'est-ce que ça voulait dire? Pablo, près de la natte où reposait

le blessé, pâle

et

frissonnant, tenait encore la carabine dans ses mains.

- Payer? putain

» On

aurait dit qu'ils reprochaient à Pablo ses paroles.

La

tr

istesse bougeait dans les yeux d'Anashka. Accroupie, elle regardait

Manuel, l

es

yeux pleins d'une immense tendresse. C'étai t une tendresse craintive,

incertaine, qui ne savait où

se

poser. Pleine de pressentiments funestes, elle

paraissait sentir

à

côté de lui le souffle de la mort.

Tout

le monde s'en alla, sauf Pablo

et

Anashka. Nous nous regardions

en silence, assis sur le plancher tiède. Quel regret de ne pouvoir parler, de ne

pouvoir dire des choses douces, tranquillisantes, à cette femme si éloignée de

moi par son langage.

Il fait nuit déjà. Une nui t polie, nette, avec des étoiles fourbies et nettoyées

par le vent. Tous les bruits deviennent intenses et tout le village se remplit de

ténèbres encore plus profondes, avec ce grognement qui accorde le silence sur

des rythmes aigus, sonores

et

rudes.

-

Tu as

sommeil? me demande Pablo.

Si tu

veux, à côté il y a l'autre

hamac.

- No n, pas e.ncore. Dis-moi, comment

tout

ça s'est-il fait? ..

-

Tout

ça .. quoi? - répond-il,

et sa

voix

se

trouble. Il sait de quoi

je

parle.

Et je

n'aurais pas

parler.

- L'histoire de l'Indien

et

.. Manuel... et .. et .. toi ..

- Qu'est-ce que ça peut bien te foutre, à toi?»

me

répond-il d'une voix

rauque, grave et angoissée comme son silence d'après la mort. Je me tais,

quelques minutes passent. A la porte

un

chien jaune, maigre, regarde avec

méfiance. Il s'approche, renifle. Le chien, que Pablo est resté

à

regarder sans le

voir, s'en va.

Et

Pablo

se

met

à

parler, nerveusement, avec une rapidité verti

gineuse, et

sa

voix s'infléchit soudain

en

mille nuances, elle, qui, auparavant,

J O

noir, ou n 'importe qui... C'est tous les mêmes. Celui-ci - il montre Manu

est venu ici sans rien savoir, comme toi. Et, comme toi, avec quelques

Au

bout de deux mois, Anashka est venue un jour vendre du lait.. . Ils

entrés dans le rancho,

ill

a prise .. T est resté avec elle jusqu'au soir .. Le le

main, elle est revenue avec le père, er l

 o

ncle

et

le frère .. qu'il fallait la p

et ci, et

ça,

et

patati et patata

ll

a dû leur donner

tout

ce qu'il avait,

et

co

il ne lui restait plus rien, ils sont partis furieux,

et

ils lui

ont

pris, à la pa

tout

ce

qu

 e

lle avait de chèvres et de brebis, parce qu'ici, quand on se met

une Indienne,

et

qu'elle s'en va le raconter,

il

faut la payer.

Et

si

on

ne la

pas, il faut au moins payer pour avoir couché avec .. sinon, on vous tue

bien, les Indiens, qui étaient partis fâchés, avaient juré qu'ils auraient sa

Mais ces Ind iennes, c'est plus putain que nature

.

. elles écartent les jambes

le premier venu dès qu'elles voient un bout d'étoffe ou

un

pot

de

maïs

elles croient qu'avec les civilisés elles vont mener une vie de riches, mais

se

mettent bien dedans. Putain de sort, celui qui a de l argent à l'ombre ne

pas se faire ..

ici J ai

tué ce salaud d'Indien parce que je ne peux pas supp

qu on Banque un coup de poignard

à

un type par derrière. Putain qu'on s'é

face à face comme des hommes, mais dans le dos, ça, ça n'est plus de

Moi, je m'en fous .. Un beau jour je m'en irai sans avoir rien à empo

c'est pour

s;a

que

je

me tiens bien tranquille ..

Que

moi j

 a

ille payer po

mort? ha h ha ... lls seront riches avec ce que je leur donnerai .. ha ha ha h

- Comme si j'étais assez con ha ha ha

e

rire,

s:a

le mettait comme hors de lui.. Les yeux rouges, con

tionnés,

et

une figure terrible

de

possédé.

Ha

ba

ba

Cette voix résonne en

à

mes oreilles. Il reprit son sérieux, resta silencieux,.avec les muscles qui

saillaient encore sur sa figure. Anashka s'était caché l figure entre les jam

Pleurait-elle? Riait-elle comme lui? La peur se mit à grincer entre mes

pénétrer dans mon sang, à saturer ma chair. Mes yeux s'ouvraient pour

tout à

la fois, mais j'avais peur de ce visage

à

la bouche ouverte dans

grimace sinistre, aux lèvres bavantes et tendues .. Je me levai sans faire de

et

allai dans

la

chambre voisine.

je me couchai dans

un

hamac. Je tou

et retournais dans ma tête tout ce qui s'était passé, sans pouvoir trouv

I J

bout du fil Tout craquait autour de moi. Je croyais entendre des sanglots, des

cris, des soupirs, des baisers.

Je

me rappelais les lèvres d'Anashka, fraîches

et

rouges comme la pulpe de certains fruits, ces lèvres couvertes de petites rides,

qui se croisent et s'entremêlent sur toute la bouche, comme les traces des

baisers qu' elle a donnés. Anashka, ronde, ronde, ronde comme une mauvaise

pensée .. De sorte que moi aussi je peux acheter une Indienne? une Indienne

l

es

bracelets

qui

lèchent, avec les langues de leur musique, le ryt

sa

sauvage inquiétude. Puis la nudité s'empare des pieds qui s'ou

chemins

.

. dix chemins pour aller vers la vie .. dix chemins pour

sa bouche. Pieds qui dérobent

à

la stable mobilité du sable cha

fortes et massives de ses pas, qui se prolongenten des stries concent

cieuses, absurdes. Pieds à la poursuite de l'amour et du repos, clair

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7/21/2019 La Licorne

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pour moi seul? Oh la douleur terrible d un coup de poignard, d'un e flèche

dans le ventre .. ou d'une balle dans la tête .. Mais, qu'est-ce que ça veut dire?

on peut acheter une, deux, trois femmes? .. est-ce

un

mariage? Est-ce une indem

nisation pour la valeur que représente une femme, comme élément retiré au

travail, donc à la fortune? Peut-être. Ça doit être

ça. En tout

cas, c'est étrange.

L'Indien, là-bas, près des vagues, doit avoir les oreilles frappées par

le

bruit

du ressac. Il doit sentir encore la balle casser l'o s frontal comme un coup de

marteau .. Peut-être

qu

'il

n a

rien senti. Sauf que sa vie s'en allait, que

le

monde

s'effaçait devant ses yeux, qu'il cessait de se souvenir .. que ses doigts ne lui

obéissaient plus et que son corps s'évanouissait dans

un

spasme inconnu ..

Nudité d' Anashka... nudité qui court

tout

le long

de

son corps comme un

ruisseau fertilisant, qui s'assombrit dans les creux

et

s ouvre, clair, sur l

es

parties

lisses .. De la tête aux cheveux emmêlés qui s'arrêtent sur la nuque bombée,

jusqu'à la taille cambrée, creusée par la rondeur continue des perles de verre

qui forment le lourd

t

drape

»

•. Ce

drape trop

lourd pour son corps fragile.

Il pèse peut-être ro, 15, 2 livres .. Le cirape de verre qui donne à son corps

une souplesse étonnante. Oh sa peau coule ur de cacahuète Sa peau qui s'assom

brit dans les creux, comme la lumière pénétrant dans une alcôve, sa peau qui

l'inonde de nuances, la couvre de teintes diverses, la fait étrangement chan

geante. Mais le guayuco, comme du coton

qui

aurait poussé des graines du drap e,

naît près de la taille. Le guayuco, en d'audacieuses incursions, cou vre les zones

défendues, amplifie les courbes qui s'avancent

et

met les cuisses

en

relief,

cuisses couleur d'acajou .. Alors la nudité renaît, plus fluide maintenant, de

l'union des jambes étroites et

exactes. Nudité croissante, qui pousse vers le

monde par les deux rondeurs jumelles des genoux, à la peau luisante t tendue.

Cette nudité se gonfle dans l art iculation et descend le long des jambes fines,

longues, s cache dans les lignes fuyantes, pour renaître

sur

l os alimenté

pendant tant d'années de la farine jaune du mais et du sang rouge des ygua

rayas .. Après ce long parcours, la nudité rencontre de nouveaux obstacles :

une ligne de petites sphères d'or, les bracelets

qui

rendent la marche sonore,

qui définissent la vie... Pieds d Anashka qui mènent à toutes les

tous les chemins ignorés ..

Je. ne peux pas dormir.

Le

sommeil silencieux ne vient pas à m

ses

pteds d'ombre. La nuit claire entre par les fentes du bois et p

grande ouverte qui donne sur la mer. Je vois

un

petit morceau

d éto iles languissantes

et

comme

effacées.

Le vent e st frais, salé, il

aussi clair qu'en plein jour. D'ici j'arrive à voir la figure de Pablo;

courent des larmes qui commencent déjà à sécher, laissant ces pe

de saleté que déposent les pleurs en passant sur le visage. Peut-être

entraînent les scories de l'âme. Je regarde vers ma droite, et me rep

même, surpris et inquiet. Qu'est-ce que cela? Il y a dans le coin un tro

b l a n c h e ~ brillante, phosphorescente. Un trou rond. Qu est-ce que ç

mon Dteu Je n'ose pas me lever. Si c'était une hallucination ca

émotions de la journée?

On

dirait une pupille ronde, gigantesqu

~ e s c e n t et

bl.anche comme l

es

yeux de l'Indien mort. J'hésite long

Je me leve, pteds nus, supportant la douleur que causent à mes pi

ments de coquillage.

Je

m'approche, cela disparaît au moment même

La peur fait ,trembler mes membres, ma langue devient sèche comm

buvard, et mes yeux doivent être en ce moment démesurément

retourne au hamac et voici qu'apparaît de nouveau le rond blanc p

cent. Alors, poussé

par

on ne sait quel ressort caché, je m'incline,

plonge dans

un

liquide froid, visqueux, qui me donne à réfléchir e

le calme. Quelles craintes futiles, ridicules C'était la marmite con

mêlée au sang du m ulet qu'a pêché Pablo. Le phosphore, à la lumièr

lui donnait cet aspect effrayant de feu follet.

Je

vais au hamac et m

Mes regards ne peuvent s'arracher à ce coin, où tout maintenant es

peu mystérieux. J 'ai mis mes mains dans l'inconnu, et elles m'ont ré

était caché. Les aboiements des chiens trouen t la nuit, minces

au tranchant, au contour de douleur. Un coq chante dans une cour,

la paresse de son gosier matinal. Une heure? deux? trois? Impos

savoir. La lumière des étoiles grimpe sur b charpente, se suspend aux nœuds

de mon hamac, passe sur mon cœur, le léchant comme une langue affectueuse,

une langue de chien malheureux.

e

continue à regarder, les yeux grands

ouverts les cils collés à la naissance des sourcils et aux orbites, qui doivent être

d un bleu plus profond, plus épais, avec cette alternance de lumières

ct

d  ombres

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7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 78/120

et

cette obsession du regard,

fixé

dans le coin où l eau montre toujours son œil

de feu follet. Je dois avoir

un

aspect grotesque d halluciné, avec de tels yeux

et la bouche ouverte pour donner passage à ma respiration dillicile. Celle

d Anashka arrive jusqu à moi. Cest, comme la mienne la respiration d une

personne éveillée, qui veille ct attend quelque c

ho

se, comme moi. Mais qu est-ce

que j attends? Je retarde un moment la marche de me s poumons, pour l accor

der à la sienne, pour marcher dans b vie avec les mêmes coups dans le cœur

et dans les artères, dans les tempes, dans les poignets, dans le cou, dans tous ces

endroits

la vie est plus proche du monde, de l air, de tout ce qui existe;

nous touchons

la

fragilité de la vie, et pen

so

ns qu

e

si ces artères se rompaient,

par là couleraient, lentement, notre vue notre ouïe, notre goût, notre tact,

notr

e odorat, la mémoire

et

l intelligence. e cœur continue à battre

sa

télégra

phie dans l

es

tempes.

Et

nous marchons maintenant ensemble par les chemins

de la respiration et du pouls. Sentiers des palpitations égales invariables. Nous

partirons, nous partirons

.

. Manuel, l œillet de sa blessure dans le dos

.

. Anashka

avec son rire éventré sur les lèvres, ce

ri r

e qui, à force d être à l air libre, semble

corrompu . . Et Rosa ... Rosa les mains toujours sur les hanches comme si elle

avait mal aux reins. Enceinte, Rosa est destinée à être toujours enceinte ..

Toujours .. Enceinte encore après la mon d Augusto, et sans avoir commerce

avec aucun autre homme .. Enceinte, enceinte. Rosa

et Augusto .. Un canoë

avec une voile en forme de trapèze .. Partir ..

Tandis

qu

e je dormais, le hamac

se

balançait lentement, pour que

tout

ne fût

pas

mon

à l entour, et l eau de la marmite montrait son œil de phosphore.

rois sonnets scotistes

par

GERARD MANLEY HOPKINS

présmtls el traduits de /  ngl is

p r

Pierre Leyris

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7/21/2019 La Licorne

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HOPKINS

Q U ND

il

entra dans la Compagnie de Jésus (il avait vingt-trois ans)

poète, cessa d écrire. ll ne s y hasarda de nouveau qu au bou t de

detllllnde de son supérieur. La première œuvre qui éclate après ce long sile

o

the Dmtstblafld

1

,

témoigne d une profonde maturation : auparavant.

sa

d un jeune poète merveilleusement doué

et déjà

rigoureu. {

qui exorcisa

l adolescence, l esthétisme de Keats et de William Morris, et qui avait d

quoi prolonger la lignée «métaphysique» de Crashaw; mals à présent

qui parle, avec une singulière autorité, dans un langage de l avenir.

Avec Je sonnet à Henry Purcell, écrit trois ans plus tard (1879), Ho

plus loin encore dans sa technique propr

e.

Mais les innovations rythmiques

il brise ici

la

monotonie du sonnet alexandrin (rare en anglais) l obligen

système de notation pour permettre aux deux amis qui composèrent ju

le plus clair de son public de scander et d entendre correctement son

poè

les hardiesses de syncaxe

et

de

vocabulaire, le caractère abrupt, immédiat

en tous lieux, l extrême densité du discours le contraignent à des explicat

«Le sixain .du sonnet à Purcell

 

n est pas élaboré aussi clairement

souhaité.

En

voici l idée: de même que l oiseau de mer qui ouvre ses

envoyant une bouffée de vent au visage signilie la rafale du mouvement, m

do

nn

e à son insu une bouffée de savoir quant

à

son plumage, dont les m

risent son espèce - ainsi

Purcell,

bien qu il ne

se

soucie apparemment q

1.

Gerard Manlcy Hopkins: P mi (Oxford University Press).

1 . a

Thl Lttûr1

of

G M 

Hopleùu to

Roblrl Bridger

(Oxford University Press). C

Ij

ou du sentiment qu'il veut exprimer ou évoquer, nous permet incidemment d'observer

l

es

marques spécifiques de son propre génie.

«Saki

est.

un mot dont je trouve l'usage commode. Quand j'ai commencé à l'employer,

Je ne le savats pas

si

commun en allemand sous la forme

satht.

C'est le sa

lee

de

for t

he

sah of f orsakt names

ake, ke

epsake . J'entends par là l'existence qu'une chose peut avoir

que d'être entendu. Les m

oonmar

ks [lunules]

.ne

.se r a p p o ~ m m ~ t qu'.à l'i

m

non

à son application;

du

moins pas

en

détail: Je s o n g e a ~ aux pennes d

o1sea

u.

a une cho

se

qui m'inquiè

te: parfair a/1  j e n t e n

f a i r

fortune he) fall;

il ve

l'esprit depuis lors que

f air

est peut-être un adJectif propre an d i c a t et qu il ne

être employé que dans des cas comme fair jal/ day    u z y :m day [ali 

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7/21/2019 La Licorne

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en dehors d'elle-même comme une voix par son écho, un visage par son reflet, un corps

par

son ombre, un homme par son nom, son renom ou

sa

mémoire, el t ss

i

cela au

dedans de h o s e qui lui permet spécialement d'avoir cette existence extérieure: quelque

chose dtstJnct, de marqué, spécifiquement ou individuellement parlant, comme pour

une VO X et écho la netteté; pour un corps jetant une ombre, le volume; pour un

homme, le gérue, les grands accomplissements, J'amabilité et ainsi de suite. Dans le

ca

s

présent, c'est, comme le dit Je sonnet, la qualité distinctive du génie.

«

W11thtrin

g

est un mot du nord pour le bruît et la

ru.ée

du vent: d'où

« lf? theriJJg

Heights

» d'Emily Brontë.

« ~ a r

mo

onmarks,

j'entends les motifs en forme

de

croissant d

es

pennes, dus soit au

colorts de

la

plume, soit

à

l'empiètement d'une plume sur l'autre.

»

Quatr.e a n ~ plus tard, Hopkins devra revenir à la charge, Robert Bridges achoppant

e n ~ r e

aux difficultés

du

poème (que notre traduction aplanit, hélas,

pour

une part,

au heu de

se

bomer à les proposer) :

• Le ~ n n e t sur Purcell signifie ceci: Vers 1-4: J'espère que Purcell n'est pas damné

pour v ~ 1 r été protestant, parce que j'aime son génie.

1-8:

Et cela non pas tant pour

les

d o n ~

~ u i l

partage et quand bien même il les partagerait au plus haut degré, avec d'autres

m u s i C i e n s ~

q u ~ pour son ~ d i v i d u a l i t é propre. 9-14: En sorte que, alors qu'il vise seu

lement à 1mpnmer en mot, son auditeur, ce qu'il veut dire, je recherche cependant ses

~ a r q u e s

~ e s

mouchetures individuelles et spécifiques, ses

sakes.

C'est comme lorsqu'un

otseau

qu1

songe qu'à prendre son essor ouvre ses ailes: l'attention du spectateur

peut ê:re .atttrée pa: son geste sur le plumage qu'il déploie. - En particulier, les premie

rs

vers stgnifient: Puisse Purcell, ô puisse-t-il avoir eu une bonne mort et cette que

j'aime tant et,qui respire ou. frémit manifestement dans ses œ u v r ~ s'être séparée de

son coi?s

et

s en être allée, bten que Je ne forme ce vœu que des siècles plus tard, en p ix

avec Dteu. En sorte que la lourde condamnation qui pèse extérieurement ou nomi

nalemen.t sur pour v o i r été ho

rs

de la véritable Eglise puisse, en conséquence de ses

"?nnes mtenttons,

avou

été rapportée.

Low

lays him

est simplement

lays him ff1»1,

c'est-à

due

le frappe u r d e m ~ t pèse sur lui

(ceci

vous

paraltra

sans doute plus professionnel

que V . o ~

ne.

y éoez attendu).

Il

est un peu déconcertant de constater que je suis

lnlntelligtble, surtout dans l'une de mes meilleures pièces. A propos,

listed

[rôlé]

es

t

enlzsted [enrôlé]. Sakes est hasardeux; j'étais ici plus soucieux de dire ce que j'avais à dire

o

uf fai

r.

Mon vers aurait bien

al

ors ~ . s e n m,ats un

1

sens que Je n aurais p mats vo

Connaissez-vous quelque passage d

éCi

sif à cet egard? •

Dans le recue-il des PottiS, Hm ry Plffce/1 vient immédiatement après Duns c ~

OxfortP 

ce sonn

et

où le do

ct

eur franciscain est exalté comme u le plus rare débrow

du réel •, comme celui

• Qui entre tous berce le

mieu.x

mon âme en paix. •

A

propos de Purcell, Duos Scot est encore - quoique impli

ci

tement - célébré :

gument liminaire (où l'on reconnaît nettement la distinction

r m e ~ e ~ t r e

la n

individuelle et la nature spécifique) fait délibérément éta t de ses categ

oo

es, et to

poème est imprégné de sa pensée. ,. . . . .

Hopkins avait rencontré l'œuvre de Scot alors qu il fatsatt sa philosophie au

naire:

« C'est à cette époque, écrit-il

3

, que j'eus pour la première fois l'e

xe

:nplaire

sur les Sentenc

es

[de Pierre Lombard] à la bibliothèque de Baddely, et Je

fu

s S

ai

SI

accès d'enthousiasme to

ut

neuf. Peut-être n'en sortira-t-il rien, pe

ut

tr

e est-<:e

l

trait de la miséricorde divine.

Mais

en ce temps là, chaque fois que je percevais un

in

[motif intime] du ciel et de la terre, je pensais à Scot. •

n dira de même quelques années plus tard:

«

Je puis

lire,

du moins quelque

Duns Scot, et je me soucie davantage de lui que d

'A r

istote et, p t

e ftla 

d'une dou

de Hegel

4

,,

, • . • • •

Le mot i

ns

tape que nous avons traduit provJsoltement par mo if mtzm

t,

est

forgé par Hopkins

et

dont

il

use constamment, avec

nu

ances diver

ses. l

écr

exemple, en cherchant à

ju

stifier la bizarrerie de sa poésie:

C'est

1a

le

rue

X

CV

ll

à Ro

bert Bridges. - L'équivoque qui inquiétait Ho

pkin

s (ses

d'

ailleurs balayés pa un é c é d p e . a r ~ e n _ i s t e , qu

 

ique w.nsposee g r a m m a u c

daru la traduction : c so

it

bten échu, ô bten, bten it echu

à

1 ame • ou le lecteur fnnçats nsque (tan

de prendce

pou

r

un

ad le s

ub

stantif • bien •· .

z.

Tr

aduit par A. Rodttt daru M.e

s

lll l

s 1 j 1anv1er '9

  l· . .

3

.

No

te-Books and Papers

of

G. M. H o p ~ (Oxford Uruvermy Press).

4· Cf. Lettres

XX

Vlll et LUI

à

Robert

Bndge

s.

1

« Comme l'air, la mélodie est

ce

qui me frappe Je plus en musique, et le modelé en

peinture, ainsi le dessin, le patton ou ce que j'ai coutume d'appeler i n s ~ p e est ce

à

quoi

je vise par dessus

tout

en poésie. Or, c'est la vertu du dessin, du patron ou de

l'ins

cape

que

d'être distinctif ..

Dans ses Note-Books, remplis de la contemplation minutieuse et passionnée de

la

l'analogie des Idées divines, et il.&it œuvre de prédication et de louange en

associés à leur fin sacramentelle, dans les

inscapes

de

sa poésie.

ll

y a une union si intime entre l'intuition de Hopkins et la pensée de

l

es

poèmes scotistes

de

Hopkins serait citer la plus grande

part de

son œ

deux sonnets qu'on lira i i :1lla suite de

H

enry Purcell portent plus claire

autre le sceau du grand Franciscain. Le sonnet qui va du martin-pêcheur

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7/21/2019 La Licorne

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nature, et des chiffres de la nature, Hopkins emploie inscape chaque fois qu'il saisit quelque

schème spécifique du monde:

«

Le monde entier, dit-il, est plein

d inscape. »

Ajoutons

que, pour lui,

tout ins

cap

e

est objet de beauté,

de

beauté naturelle, mais signi.6ant ana

logiquement le divin :

«

Je

ne crois pas avoir jamais vu rien de plus beau que la jacinthe des bois que je

viens de regarder: je connais par elle la beauté

de-

Notre-Seigneur.

»

Aussi bien, pour lui, comme écrit le Dr. Pick

2

, «

inscape » signifie beaucoup plus que

le dessin extérieur ou le patron, comme il ressort clairement des passages où cette expres

sion est associée au noyau intime de

l

être .. Hopkins définit la chute de Lucifer comme

«

un appesantissement sur sa propre beauté, une intensification de son propre inscape,

une mélodie jouée sur l'orgue et le registre

de

son propre être ».

En

ce

cas,

il ne s'agit

plus de la configuration externe

d une

chose ou d'un être, mais de son « secret omo

logique », de sa « forme interne ».

Po

ur

en revenir à Duns S

co

t, s'il ne fut

p s

à la source

de

cette chasse spontanée

aux

inscapes

du monde (le mot

Îlurape

et par conséquent l'expérience qu'il traduit sont

bien antérieurs, chez Hopkins, à

l

lecture de Scot),

il

la justifia métaphysiquement,

aidant le poète-prêtre à la mener

d un

cœur entier et à l transmuer en quête de

Djeu:

«

Duns Scot »  dit Gilson • situe le principe d'individuation à

l int

é

ri

e

ur de

la forme

même .. L'essence

de

l'individu contient donc un principe

de

contraction et

de

limitation

qui restreint son universalité .. L'individualité ne s'ajoute plus à la forme comme un

accident extérieur matériel et accidente

l;

elle esr au contraire ce qui confère

à

l être réel

sa perfection dernière

et

comme son ultime achèvement.

»

Toutes les substances créé

es

sont

immédiatement actives,

par l

vertu de ce principe d'individuation

(Haemitas} au

dedans de la forme qui constitue la relation réelle entre

l

créarure

et

Dieu.

Tou t cela, Hopkins assurément l'avait senti avant que

de

le voir ordonnancé chez

Scot.

Ma

is

Scot

«berce son âme en paix • parce qu'il corrobore son intuition prophétique

du monde et qu'il

l

précise philosophiquement. Le monde est une théophanie. Non

se

ulement le jeune prêtre n'est

pas

tenu de

se

détourner ascétiquement de la nature, mais

encore il

s

élance v

er

s son Créateur en cherchant à saisir dans les

inscapts

du monde créé

1 Œ. Lettres

XXVIU

et LID

à

Robert Bridges.

2 . GerardM  ey Hop

 t

n;, by Jo hn Pick

O:r.fot<l

University Press). A cette

étudequi

analyse

si linement

la fus i

on

du ~ t r e

et

du

poète

en

Hopkins, comme à "admirable travail d'

en

semble de W.

H

Gardner

(Gerard anuy Hop ns, Édition Sccker and Wa.rburg), ces quelques lignes d'introduction sont constam

menr redevables.

I6o

à

son parangon le Christ montre le jeu de l'eccéité en toute créature selo

de

l'univers; et

A

quoi

urt la Beautl

Mo

rt

elle désigne

la

beauté corporelle au

révélatrice de

la

beauté secrète du self

de

l'homme qui trouve son ac

ultime dans

«La meilleure beauté de Dieu, laquelle est grâce •·

PIERR

161

HEN RY PURCELL

The poet

wishe1

JIJel/ fo lbt

divin

e gtnit11

of

P11mll and

praim hi111

thal,

wberetu olbtr mtllicianJ bave given 111/trantt to the

mood

1 of '' '' mind,

HENRY

PURCELL

t

poète

souhait

e

till

bien li

divin gl

nù dt Pllrftll tl le l

o11t

de çe que, alorJ

qm d'aJtlrn IIIIIIÎfÎml ont donnl expreuion

a11x

modu de l uprit h1111

1aÎ

 

,

Page 82: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 82/120

be

ha

l, ty

ond

thal; llfttrtd in J 11 lht very mala

and

Jpt iu

of man

al

rreated hoth in bim and in ali men gtntrai J.

Have fair fallen, 0 fair, fair have fallen, so dear

To me, so arch-especial a spirit as heaves in Henry Purcell,

An

age

is

now since passed, since parted ; with the reversai

Of the outward sentence low lays

him,

listed to a heresy, here.

Not mood in him nor meaning, proud

fire

or sacred fear,

Or

love or pity or ali that sweet notes not his might nursie :

It

is the forgèd feature finds me ;

it

is the rehearsal

Of

own, of abrupt self there so thrusts on, so throngs the ear.

Let him oh with his air of angels then

lift

me, lay me only l I l

Have an eye

to

the sakes

of

him, quaint moonmarks, to his

pelted plumage under

Wings: so sorne great stormfowl, whenever he haswalked hiswhile

The thunder-purple seabeach plumèd purple-of-thunder,

If a wuthering

of

his palmy snow-pinions scatter a colossal

smile

Off him, but meaning motion fans fresh

our

wits with wonder.

161

il

a

en

011/rt expriml par

du

notu

la

ja(fllrt

mi111e

tf

l upitt

dt l'hol/lmt

telles q t ~ frites

en

lui tl

en

tous les hommu glnlralmmtl.

Soit bien écbtJ, ô bien, bien soit

écbtl

à

l'âme

Si chère et

si

archi-spéciale' qui palpite chez

Henri

Purcell,

Voici

des

âges

défunte

el

dès

lors

séparée;

-

soit

rapportee

La

sentenc

e nominale qui pèse l

our

d sur

lui

, en /

'hérésie

rô1

Honneur chez lui ni signifiance, feu fier

non

plus que crainte sain

Amour, pitié,

ni tout

ce

que douces

notes

non

siennes

pourraient

nou

Ne me touche,

mais

le trait

forgé, mais

le régal

Du moi propre,

du

moi abrupt quiforce et qui p

euple

l'oreille.

Qu'il, oh/ qu'avec

son

air

des

anges

il

m'élève, me dépose, pourv

Que j'entrevoie ses

marqu

es , ses bizarres lunules , son plumage dé

sous

les

ailes:

T

el,

un

grand

oiseau des

tempêtes

,

après

avoir

marché

un

t

em

ps

Sur

la

grève

pourpre-

tonnerre

,

emplumé

de

tonnerre pourpre,

Qu'une brusque bourrasque de ses rémiges neigeuses éparpille alen

un sourire

colossal,

Voulant le

seul

envol, nous évente d'émerveillement.

1 Les

lettres imprimées en romain sont élidées (N. o.

T.)

163

  sking(isbers

catch t

re...

e

martin pêcheur flambe ...

Page 83: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 83/120

As kingfishers catch fire, dragonB ies drâw flame;

As tumbled over

r m

in roundy wells

Stones ring; like each tucked string tells, each hung bell's

Bow swung finds tongue

to

fling out broad its name ;

Each morta

thing

does one thing and the same

Deals out that being indoors each one dwells ;

Selves - goes itself;

myself it

speaks and spells,

Crying

What I

do

is me: for that I came .

t

say more : the just man justices;

Kéeps grace : thlt keeps

ali

his goings graces ;

Acts n God's eye what in God's

eye

he is

Christ

fo r

Christ plays

in

ten thousand

p l a c e ~

Lovely

n

limbs, and lovely in

eyes

not his

o

the Father through the features

of

men's faces

r882

Le martin-pêcheur

ftambe et

la

libellule

arde;

Précipitée

par dessus

bord

dans

le

puits

rond

La

pierre

sonne; émue, la

corde chante;

en branle

La

cloche arquée ,

trouvant langue, clame

son

nom

;

Tottle chose

ici-bas fait

une et mêm

e

chose

:

Divulgue

e secret habitant de chacun ;

S avère,

persévère;

épelle et

dit

moi-même,

Criant

Ce que je fais est moi: pour

ce

je vins.

Je dirai

plus

encor:

le juste

au

v

re

justice;

Garde grâce,

par

gardant ses voies en

graêe

;

Agit aux

yeux de

Dieu

e qu il

est

à

Ses

yeux

Christ -

car

le

Christ

se

joue

en

mille

et mille places,

Pour

complaire m

des

yeux, en

des membres

non

sien

u Père sur les traits

des visages

humains.

t6s

T o wbat serves morta/ beauty

...

A quoi sert la beauté mortelle ..

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To what serves mortal beauty dangerous; does set danc

ing blood - the 0-seal-that-so / feature, flung prouder form

Than Purcell tune lets tread

to?

See : it does this : keeps warm

Men s wits to the things that are; / what good means - where

a glanee

Master more may than gaze, gaze out of countenance.

Those lovely lads once, wet-fresh f windfalls

of

war s storm,

How should Gregory, a father, have gleanèd else from swarm

ed Rome? But God to a nation / dealt that day s dear chance.

To

man, that needs would worship black ? or barren stone,

Our law says : Love what are Jlove s worthiest, were ali known ;

World s loveliest- men s selves. Self lashes off frame and face.

What

do then?

how

meet beauty? Merely meet

it;

own,

Home at heart, heaven s sweet gift; / then leave, let that alone.

Yea, wish that though, wish ali,

God s

better beauty, grace.

A quoi sert

la beauté

mortelle

(elle

a ses dattgers, fait

danser

Le sang) les

traits

- ô quel camée - projetant plus fière figu

u

'aucun menttet

de

Purcell

? A

ceci

q

u'e

lle a

ttise

en

l'homme

Un zèle ardent portr ce qui est/ l instruit du bien quand un coup

En apprend plus

que longs regards qui feraient

perdre cotJtenanc

Ces beaux gar

fons

chus frais-mottillés naguère d'tm atttan de guer

Commen

t,

sinon, Grégoire,

un

père,

eût-il pu l

es

glaner

dans

Ro

Pullulante ? A notre pays Dieu donna cette chère chance.

A l'homme féru d'adorer la

pierre

stérile

ou

le bois,

Aime le plus digtze d'amour en ce monde, dit

notre loi

:

Le self des hommes/ le self sourd de la

membrure

ott de la face

Mais quel

accueil

faire

à beauté?

Tout

simple

:

reconnais,

recueil

En ton cœur ce dot X don du ciel/ puis

laiss

e, laisse-le tranquille,

Sa

uf

à lui

souhaiter

de

Dieu la beauté stiprême,

la

grâce.

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  es

derniers

sept

sage

par

LFONSO REYES

Traduction de l espagnol p r

Yvette Billod

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J.-C.,

la démonologie et les hiérarchies du bien et du ml tourmentaient les esprits d une

inquiétude maladive. La vie et la mentalité athéniennes

ont

moins souffen des incursions

des bacbares que des sièges

de

la foi naissante, qui avançait sur les peuples au milieu de

tragiques fluctuations. Justinien estima opportun de fermer les écoles d Athènes par un

édit en l année

.19

·

Une telle dédsion ne fut point fille de la réflexion

et

de la prudence. C était une

nouvelle extravagance de cette administration hystérique, au compte de laquelle on

neveu

Ju

stinien apparalt aux crédules

de

son époque, dans les mémoir

Procope, comme un vampire revêtu de forme humaine, obtenu par l union

et

de

quelque étrange démon.

Et

les serviteurs u palais voyaient errer la

salles immenses un corps fantomatique décapité, qui

ne

recouvrait qu au

rence de Justinien, quand

la

tête revenait

d on

ne sait où

se

placer

sur

ses é

avec

une

diablesse, il n avait pu engendrer d enfants, hormis une fille m

l impératrice Théodora, la fille du gardien

d ours

du drque, qui exhibait s

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7/21/2019 La Licorne

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peut

inscrire tant de choses bonnes

et

mauvaises.

n

n était pas possible à des esprits

form

és

par

la philosophie de se rappeler sans

horreur

comment les subtiles disputes théologiques

sur la nature du Père et du Fils se résolvaient à coups d épée, et en ao:osant de sang les

temples et les rues de Constantinople, comme si

l on

remettait

à

la force ce

qui

n incombait

qu à la

raison.

Et on

ne

peut

évoquer sans indignation la longue

et

cruelle obstination

de

l empereur Constance et même

de

l empereur Julien contre l évêque d Alexandrie.

Athanase, qui avait consacré tous ses efforts à

ép

urer, face à l hérésie des ariens,

la

notion de Trinité, dut fuir dw:ant plusieurs années. de refuge

en

refuge, parmi les

farouches et fidèles ascètes africains. Ceux-ci tendaient docilement le

cou

aux soldats

impériaux,

plutôt

que de

tomber

dans

la

tentation de

le

dénoncer. Et Athanase s enfonçait

toujour s davantage jusqu à ces régions que l on imaginait peuplées d andtiagues

et

de monstres. Certain

jour

, il dut

son

salut à l alcôve d

 une

jeune fille aussi chaste que

belle. Son existence mouvementée porte l accusation

la plu

s véhémente

contre

les erreurs

d une époque

qui

vit la folie s emparer

du

trône.

Constantinople pesait sur le

monde

comme un po u

voir

sans équilibre. Enveloppée

dans sa

pourpre

impériale, elle offrait le spectacle inconfortable de l intrigue de palais

oscillant entre la faveur exorbitante

et

l assassinat arbitraire, d un empereur qui demande

pardon à

son peuple puis l envoie se faire égorger au milieu des émeutes du drque entre

blancs, rouges, verts et bleus.

l répandait

le

luxe

de

la

soie, dont il arrachait peu

à

peu

le

secret aux lointaines

industries de

la

Chine. ll souffrait le joug des eunuques énormes, tressaillait d adu

lation et de crainte, se faisant la femelle des armées.

En

même temps, il rebâtissait, pour

l étonnement de tous les siècles, les muts de Sainte-Sophie, l rédigeait le code en sage,

s inspirant du Questeur Tribonien,

il

cMtiait le Perse, arrêtait avec l épée

de

Bélisaire le

passage des Vandales et des Goths.

Rude pasteur dardanien, l empereu.t Justin ne sut jamais

ni

lire

ni

écrire, et, pour

signer ses décrets, il passait gauchement sa plume par les rainures d une planchette. Son

lescente,

le

corps couvert de graines .

que

venaient picorer les colombes, c

tard, consumait de

son

feu l

asdf

les marchands de l Asie et de l Afrique,

dont la sensualité s é

leva

du tréfonds de

la

luxure jusqu au mystidsme

de l

universelle

et dont

les yeux immobiles avaient

la

fasdnation

du

diamant, vi

les imaginati.ons de

la

luxure

et

de la peur, transfigurée en

un

exemple d

 h

beauté.

C est ainsi

que

se présentait

aux

hommes

le pouvoir

qui lança l anathè

philosophie athénienne,

rompant

la tradition des études platoniciennes, la«

dont

nous

parlent les Annales contemporaines. C est ainsi

que

s éteigp.it p

la torche de l Acadétnie, dont les étincelles mourantes n éclairaient plus qu

fantômes.

Sous ces arbres vénérables,

qu Horace avait

trouvés reverdis après les

de Sylla, reposaient les cendres de

l auteur

de

Phèdre

et du Bantplet pretni

occidental de l extase.

C est

que

s étaient dressées les tentes des adeptes

qui,

la

nuit même ne ,consentaient pas à s éloigner de lui. Là,

à l aube

d

Acadétnie, comme s ils avaient cherché un refuge

contre la

tempête de co

déchainée par les conquêtes d Alexandre, les Platonidens, déjà déconcerté

sceptiques, avaient commencé cette vie en commun, symbole de l époque

autre jardin athénien, réunissait aussi les épicuriens, leu r inspirantune véritab

de l amitié.

Les vents chauds

de

l Afrique

souffièrent ensuite d Alexandrie. Dans

fondaient activement les métaux

de

l hellénisme et du judaïsme. Philon avai

préparé le terrain, interprétant la Bible comme un voyage allégorique de

matière à Dieu. La secte de Plotin, de Porphyre et de

Ja

mblique poussa com

magnétique, pour se dessécher ensuite sur le sein de la douce Hypathie,

foules furieuses. Nestor avait

appom

à Athènes les derniers pollens

de

l aven

de Byzance en cultiva les dernières pousses.

173

Et

maintenant la grille s'est f

ennée sur ordre de

l'Empereur.

Et sept

autres sages

de

la Gœce, non plus les

grands

hommes que l'Antiqui té identifiait difficilement, les

confondant les uns avec les autres comme des

d i v i n i t

mythologiques, mais sept mortels

de

taille moyenne et d'aspect nullement remarquable, restaient en

t t ~

perplexes, devant

le portique fermé. Isidore

de Gaza

les Phéniciens Diogène et Hermias, Eulalius le

Pluygien, Priscien de Lydie, Simplice de Cilicie et I>am:ucius le Syrien -

demier

scho

comme Deuxippe, historien et maitre d'école, qui parvint à réunir une poignée de b

Pire encore était le sort des citoyens de la Thrace, de la Macédoine, de l'Asie et d

de l ggée, victimes d innombnbles pillages. Le tr6or public fondait, et les partic

enterraient leur or

et

leur argent. es salaires des Sophistes étaient

mal

payés,

vement ou parfois jamais. Avec Claude D et ses successeurs on vit une prospérité re

Les études doivent beaucoup, en particulier, à la protection de Dioclétien. Notre Aca

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liuque

de

l'Aeadémie - se contemplaient en silence, se demandant à part soi comment

allait se manifester la colère des dieux offensés. Isidore, qui était vieux, se mit

à

parler

posément:

• U y a dea siècles, dit-il, que la catastrophe est annoncée. Depuis la mort de Marc

Aurèle, la philosophie est en butte aux persécutions, et tOUtes les protections qu on lui a

ensuite accordées ne sont que velléités ou allégements passagers .

Et

il ne serait certes

pas juste d'accuse r toujours le caprice des empereurs. Les temps ont cessé d ê

tr

e pro-

pices. Des guerres civiles et des revolutions militaires ont distrait l'attention royale. On

a parfois entendu gronder aux frontières le tumulte des hordes barbares.

• Les B.éau.x les tremblements de terre, ont annoncé une ère de souffrances. Le mons

trueux Commode sut encore honorer Adrien de Tyr et Polydeuce de Naucratis. Les

Sévères, sans être patrons déclarés d

es

lettres,

p r o t é ~ r e n t

encore Philostrate,

et

les p.res-

criptions d'Antonin le Pieux et

de

Marc-AULèleen veur des Sophistes furent maintenues

et

respectées.

Il

est vrai

que

Septime Sévère retira

l i m m u n i t ~

au Lycien Héraclide,

mais

c'est parce

que

celui-ci avait lamentablement échoué dans un discours public. Julia

Donna,

épouse de Septime Sévère, poursuivait assidûment ses études et insista

de

son

fils,

Canealla,

pour

qu'il

fit venir à Athmes

Le

Sophiste macédonien Pbiliscos . Mais

Caraealla manqua

de

respect

à

ce demi

er

et menaça même

de

retirer sa veur

à

tous les

malttes.

Il

annonça qu'il ferait brûler les livres d 'Aristote et de ses disciples,

à

cause

d'imaginaires complicités dans la mo

rt

d'Alexandre,

que

Caracalla prétendait venger

à

tant de siècles

de

distance.

Il

n'alla pas jusqu'à brûler leurs livres, mais il supprima les

émoluments des sages d 'Alexandrie. Alexandre Sévère

vo

ulut effacer ce souvenir fun este

en protégeant à

Rom

e les grammairiens et les astronomes ct en sc montrant g énéreux

à

l'égard d

es

rhéteurs des provinces. Malgré tout, l

 im

portance accordée aux philosophes

ne redevint jamais ce qu'elle était auparavant. Les empereurs, qui écoutaient naguère le

conseil des Stolciens, étaient maintenant des capitaines élevés au trône u l'acclamation

de

la soldatesque. Entre temps, les Goths passaient

l l

ster; les Hérules de I

 Euxin

arrivaient

jusqu à nos portes, et

ce

n'étaient pas des guerriers qui les amtaient, mais des hommes

174

eut, en somme, assez

de

chance et put respirer.

Les

dieux sourirent

un

instant, ava

portet leur condamnation délin.itive. C'est alors le temps du Sophiste Julien, de Per

d'H.imerius,

de

Thémiste, D

iop

hante, Hephestion ct autres

de

moindre importan

surtout

du

malheu.reux Libani

us

,

que vint

broyer, en tournant, la roue des dest

M e ~ l g r é

les centres f

on

dés

à

Constantinople, une lar

ge

marge restait enc

ore à

nos tr

ici , à Athènes. Mais les nouvelles écoles imposèrent le

ur

d

oc

trine

à

l'Empire,

et

c

le commencement de noue ruine.

Les sages se

turent

un instant.

Le di

scours

du

vénérable Isidore n'était pas précisé

réconfortant. Ils s'éloignèrent

par

les rues d'Athènes, ombres

d un

âge déjà ré

Hennias se risqua à observer :

- Pourquoi devons-nous croire, comme Libanius,

que

l'antique sagesse est in

patible avec les nouvelles croyances? Basile et Grégoire de Naziance n'ont-ils pa

leurs études à Athènes?

T

est vrai

que Le

second demeure irréconciliable,

si

le pr

est conciliant. Mais Proclus ne se considérait-il pas comme l'biérophante de tou

dieux

de

l'univers? Ne nous a-t-il pas tracé

un

chemin?

Simplicius expliqua :

- Proclus '  int au monde alors que la düfusion de croyances nouvelles était inévi

Libanius croyait encore à la perpéru.a.tion

de l

ordre antique, particulièrement d

l'attitude adoptée

par

l'empereur Julien.

ll

comparait la conduite

de

ce dernier avec

de Constantin et de Constance D, qui, selon Libanius lui-même, s'étaient livrés

« adorateurs de tombes

».

Libanius éprouva une jouissance enivrante à croire res

pour toujours l'Olympe de ses aïeux, b ien qu il f \.t déjQ évident que l 'attitude de J

rencontrait à chaque pas des résistances : à Antioche, ou même dans le temple d 'Ap

et D aphné; à Alexandrie, à Pesinus, à Césarée et à Naziance.

Priscien ajouta:

- La satisfaction de Libanius

ne

dura pas plus de trois ans. Une flèche perse m

à la vie de Julien.

T

s'en

.f.ill

ut de peu

que

Libanius transi de douleu.r, ne se jetât

su

épée,

à

la

mort de

celui qui

fut

plus

venueux

qu'Hippolyte, plus sage

que

Rhadam

17J

plus sagace que Thémistocle et plus valeureux: que Brasidas.

T

ne

vécut plus ensuite que

pour incriminer les cieu x

Damascius intervint alors, continuant la revue des infortunes commencée

pat

Isidore :

- Depuis lors on vit se précipiter la décadence d'Athènes, Constantinople emporter

la faveur des Princes. Le pillage des te

rr

es, sous prétexte qu'il s'agissait de propriétés

consacrées

à

des cultes antiques, se fit fréquent. C'est ce que nous conte Libanius. Le latin

et le droit se substituèrent au grec

et à

la philosophie. Puis vint le partage de Théodose.

qu'elle avait conservé plusieurs siècles encore après avoir perdu son itn

et militaire. Athènes s'était érigée en musée de l'esprit humain dès l'

tombée sous le joug macédonien.

Et

ses conquérants eux-mêmes, Macéd

rivalisaient pour lui plaite, autant du moins que les citconstances le pe

en ces jours funestes où Athènes prit position contre Rome dans .guer

comme s'ils avaient eu conscience de

leur

grave responsabilité.

Mais tout était changé maintenant. La magnificence d'Athènes se r

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Honorius gouverna l'Occident, Arcadius l'Orient. Et la vertueuse fille de Léonce, élevée

par un père disert et assidue

à

nos leçons eut beau, quand elle

fut

devenue, pour notre

gloire, l'épouse de l'empereur Théodose II , protéger de loin Athènes, comme une divinité

tutélaire, son étoile déclina vite et elle mourut, oubliée, dans un couvent de Palestine. Nos

œuvres d art émigrèrent dans la capitale du Bosphore. Sinesius, après son voyage, et

cachant

mal

sa rancœur et sa complaisance envieuse, confesse qu 'Athènes l a déçu. Il ne

reste plus

à

Athènes, dit-il, que les noms

de

-quelques sites mémorables, comme le pelage

de la

bête sacrifiée.

Diogène objecta doucement:

- Sinésius avoue cependant qu'Athènes conserve quelque chose de bon: le miel

Nousavons eu encore Proclus, notre bon t t r e ~ la cité a connu encore des jours de gloire.

Le souvenir des gloites passées eût suffit à consoler un vieil épicurien, mais non les

derniers platoniciens.

-

trouver - s'écria Eulalius, comme se parlant à lui-même, mais formulant la

pensée de tous

trouver le pays du roi philosophe, qui fit toujours rêver Platon?

Et les sages se dispersèrent mélancoliquement.

Pendant trois ans ils supportèrent une vie d'humiliation et de silence. n tolérait

encore

à

Athènes quelques enseignements mineurs : grammaite, rhétorique

et

ceci sous

l étroite surveillance officielle. On ne pouvait satisfaire à si peu de frais ceux qu'Agathias

a appelés «

la

Beur des philosophes »

Tis se réunissaient

pour

se réconforter

et

se

l m e n t e r ~

se promerumt aux alentours

de la ville, ils se montraient parfois devant le temple de Socrate, où

Pr

oclus s'était

reposé.

La ville se transformait en une bourgade. La fermeture des écoles ralentissait l'affiux

d'Egyptiens, de Syriens, d'Arméniens, fils de famille aisée qui, en d'autres temps, accou

raient en quête de la philosophie hellénique. Athènes avait perdu cette animation de ville

universitaire et de lieu de pélerinage pour hommes de lettres méditerranéens, caractère

q6

les édifices publics, car, comme le remarquait déjà le vieux Dicéarque

maisons particulières accusait la condition semblable des libertés civiqu

précisément par suite de la prostration politique, les édifices publics

incurie manifeste.

es peintures de Poligno

te

n'étaient plus admirées désormais da

Pécile, où le roi Antigone Gonatas avait un jour écouté avec respect l

stoïque Zénon.

L

Athéné Promachos - la science qui protège la pa

sculptures de Phidias se trouvaient depuis des années à Constantinople

détruit. Les édifices montraient des mutilatiôns: leurs marbres et leurs

contribué au.x constructions de Sainte-Sophie. L'Acropole, bien qu'ell

destruction, était couverte de mousse et d'herbes folles.

Tout

ce

qui

y

portait les marques de l'abandon.

De

nouvelles images remplaçaient les images palennes. Sainte S

Parthénon,

à la

place d'Athéna. Dans l'Erechteion

on

vénérait la vier

et

le t emple de la Victoite Aptère étaient transformés en églises.

Le

co

occupait l'antique sanctuaire d'Apollon. Sans.doute les bonnes gens con

peu:

dans

le

Thésélon, sous la figure de Saint Georges, tueur du dra

encore adorer Héraclès Théséos; les saints médecins,

ou «

analgites •,

leur paraissaient être les noms nouveaux des Dioscures, Castor et Pollux

leur rappelait

de

très près

Dém

éter, Saint Denis leur faisait l'effet

d u

moniel différent pour

i o n y s o s ~

Héli

os

au char de flamme se nomm

prophète Elie, qui lui aussi descend au milieu des flammes; et a Vierge

d Athènes, était la Panagia Athéné. Les coutumes rituelles n

 o

ffraie

nt

gu

Les malades continuaient

à

interroger leurs songes dans les sanctuaire

processions étaient toujours les mêmes. La semaine Sainte évoquait les m

Si la Chrétienté m it cilement en fuite les divinités majeures, les dieux

populaires

et

rustiques, plus proches de la terre, se glissaient subrepti

I77

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vastée, Ctésiphon se releva si bien que, dès la

fin

du même siècle, elle résistait aux assauts

de Sévère, et

put

encore se remettre des coups qu'il lui avait portés. C est

que, au

m• siècle Odenatus de Palmyre, époux de l'illustre Cénobie, avait humilié l superbe du

terrible Sapor, lui arrachant son trésor et ses femmes. Peu après, Ctésiphon n'échappa à

la rigueur de Carus qu en se livrant à lui sans combat.

Au xv•

siècle, Julien l'Apostat y

apporta l guerre, traversant l'Asie Mineure de Constantinople à Antioche,

et

pénétrant

de Syrie en Mésopotamie

par

la zone

de

l'Euphrate.

ll

faut supposer que les sages firent

maintenant

en

quête

d un

refuge, les représentants de la culture méditerran

antique et authentique.

Les Sept s'attendaient

à une

réception chaleureuse

et

comptaient s'ét

terre étrangère pour

le

reste

de

leurs jours. Mais le destin en avait décidé

première impression dut être

un

émerveillement. La cour des empereur

Constantinople n'était qu'une imitation de

la

magnifique cour

du

Grand

passage de l'Asie Mineure à l Orient mystérieux, Ctésiphon héritait du

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par mer la route d'Athènes à Antioche,

la

plus directe et

la

plus facile,

et

de là suivirent

par

terre à peu près la route

de

Julien: trois jours pénibles jusqu'à Alep,

au

milieu des

sables

et

des pierrailles; ensuite, autre étape à Batna et aux ruines

du

temple d'Hiérapcilis,

déjà proche

de

l'Euphrate. Le ·fleuve passé en bateau,

on

pouvait monter jusqu'au cirque

de

Samosate,

ou

visiter les temples d'Edesse, mais,

s l on

était pressé, mieux valait

pousser jusqu'à Carra (Haran)

l on admirait le temple de la Lune et

les chemins se

divisaient, l un vers le Tigre, l'autre vers l'Euphrate. Ces campagnes avaient vu les

combats de Galère, dont Dioclétien attendait l'issue à Antioche. Avant de passer ce

u v e on

touchait Nisibis, où les chefs romains avaient reçu Apharban, empereur des

Perses défaits. Plus tard, Constance

l l

et Sapor y combattirent furieusement. En incli

nant vers la droite, on pouvait longer la Mésopotamie jusqu'à Nicéphore et passerensuite

le Caboras, affiuent de l'Euphrate, à Circesius. Les troupes de Julien 6 ooo hommes -

en un mois se transportèrent d'Antioche à Circesius. Sept hommes seuls

ont

pu mettre

le même temps. Le Cabotas séparait la Syrie de la Perse. C'est là que commençait cette

région désertique, appartenant en ttalité au désert d'Arabie, exposée aux: attaques des

brigands, qui est décrite dans Xénophon, et qu il ne fut jamais possible de fertiliser. Elle

n'était rendue plus aimable que par l'odeur de ses arbustes épineux, ·et les ressources

qu'elle offrait pour la chasse aux antilopes, aux autruches et aux onagres, ce qui, certai

nement, ne tentait guère nos voyageurs. Les vents qui la balaient soulèvent des tempêtes

de sable. Ensuite, apparaissent les tettes cultivées de l'antique Assyrie et quelques villes

comme Anatos, la forteresse de Tiluta, les murailles en ruines de Macep:racta, par·où l on

arrive aux vallées des deux grands fleuves; Babylone

et

Ctésiphon s'y regardent face

à face, et

un

système de multiples canaux facilite les communications. Les voyageurs

purent y parvenir au bout de quinze jours de voyage à partir de Circesius. Nous voici

enfin au paradis des palmiers, dont les trois cent soixante vertus différentes ont été chan

tées par les poètes.

Quel meilleur tribut pour le Grand Roi  

D où

venait autrefois la guerre venaient

r8o

vétustes cités d'Acad, Babylone et Séleucie; elle était le centre de gravitati

monde inconnu. Pour comprendre Constantinople il fallait venir à Ctés

partaient ces courants d'orientalisme qui donnaient une physionomie si étran

et avaient imprégné la cour de Dioclétien de despotisme asiatique. Ce der

déjà pass'er la plus grande partie

de

ses loisirs à Nicomède, sinon à Milan, e

en tout cas, que les empereurs se détachaient de Rome, où le Sénat, bien

déjà plus qu'une ombre, les importunait par le souvenir des institutions o

tépubliéaines, lointaine origine de leur pouvoir. e transfert de

l

capitale

Bosphore paraissait un effet de l'inclinaison de la balance, provoquée pa

Ctésiphon.

Passé le premier ·moment d'étonnement, les inquiétudes commencèren

Les voyageurs se rendirent bientôt compte - dit Agatias - que les f

étaient incroyablement tyranniques et arrogants. Les voyageurs les ·détest

appliquèrent les pires qualificatifs. Puis ils observèrent que le pays était infesté

et de voleurs, ·qui restaient souvent impunis, tandis que l on châtiait des in

philosophes commencèrent alors à se repentitet à maudire le jour où ils avaie

leur foyer.

Ils purent enfin parler au Monarque. Grande fut alors leur déconven

affectait un certaiD intérêt

pour

les choses de la p h i l o ~ o p h i e mais qui resta

et l était imbu de superstitions extravagantes qu'ils ne pouvaient partager

avec une déférence de grand seigneur,.

eur

témoigna son admiration, les invit

à sa cour, les tenta par des promesses. l était évident qu'il désirait leur plai

pas par sa faute que les malheureux: sortirent de sa présence, convaincus

que

régions ne leur convenait pas,

et

que,

pour

eux,·il était mille fois préférable

vivants dans quelque coin paisible de l'Empire.

lls

parlaient peu, se regardaient

l un

l'autre

et

se comprenaient

du

regard

se considérant, sans raison, responsable, et bien que personne ne le lui rep

181

tombé dans un mutisme traversé

de

honte et de colère. Après tout,

il

n y avait aucun

motif pour

imaginer que

la

Perse fût différente des autres pays. Cosroes, comme tous les

puissants, était ambitieux

et

cruel. Les mages se révélaient plus incommodes

et

plus

intolérants que les chrétiens,

et

ne paraissaientpas voir les Sept d un bon œil. Les nobles

étaient vicieux comme dans toutes les cours. es courtisans, serviles selon la loi de leur

état. Les.magistnts, prévaricateurs et vénaux. es coutumes étrangères scandalisaient les

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philosophes athéniens. Voyager par curiosité et voyager en quête d une résidence défi

nitive sont deux choses clliférentes. Cette foule

d

épouses et de concubines, la tolérance

de l inceste, l exposition des cadavres livrés à l appétit des chiens et des vautours, tout

paraissait calculé pour les remplir d horreur.

Cosroes, cependant, ne manquait pas de grandeur, et sa conduite à

l

égard des philo

sophes le rend sympathique. Il est certain

qu

 

il

sut l

es

comprendr

e

Il

ne se laissa pas

aveugler par l orgueil, et ne

se

crut pas offensé. Au début de l année lH• l fit la paix avec

l Empire Romain d Orient, et exigea qu on insérât dans le traité une clause permettant

à

ses hôtes de retourner dans leur patrie, et les protégeant contre les mesures qu édictait

Justinien pour en finir avec les Gentils. Ce privilègefut spécialement confié à la vigi

lance d un puissant médiateur.

Et

l

es

philosophes s en retournèrent, instruitS par l expérience. Ils choisirent tou

tef

ois

une résidence plus éloignée de Corrstantinople et s établirent à Alexandrie. He.rmias eut

encore assez d ardeur pour continuer

à

commenter le Phèdre

et

légua

sa

chaire l son fils

Amonius. Simplice mettait la dernière main

à

ses interprétations d Epictète, qui sont un

répenoire

de

l antique philosophie hellénique. Mais pouvaient-ils se sentir heu reu x dans

cene bouillonnante cité, où voisinaient bruyamment toutes les nees

et

toutes les

natiorrs, les nouv;eautés et

les

ruines, l ascétisme et la licence, le luxe

et

les haillons,

l hérésie

et

l onhodoxie, l extravagance

et

le bon sens, dans un incompréhensible enche

vêtrement de subtilité t de paradoxe?La vérité est que les Sages ponaient la m ort dans

l

âme, et, comme l

es

bons capitain

es

, montaient la garde sur le

pont

, tandis qu achevait

de s engloutir, ouvert par Je flanc,

Je

navire de la Grèce. ,

Le

uai

par

MARCEL

BIZIA

UX

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se

déformer. Cependant elle n allait pas toujours comme je voulais.

De my

sté

rieux attraits l obligeaient parfois à s éloigner, à s étendre loin de moi au voisi

nage des réverbères, tantôt à droite, tantôt à gauche; mais

si

je ne la voyais

plus pendant un long moment, je ne m inquiétais pas. Elle avait un léger poids

que je connaissais bien, une sorte de système ou plutôt de convention entre

nous qui m assurait de sa présence derrière moi, et quand par hasard je meretour

long

des

cheminées, à quelque distance dans l air, une mince ligne blanch

fidèle, mais une ligne

fixe

dont tous les points étaient nés en même temps

n avait pas été tracée

d un

commencement vers

un

e

fin

une ligne qui ex

dans l espace seulement, et hors du temps. Elle ne scintillait pas, et ne pro

geait ni n enfermait rien. On aurait dit une attention générale considérable,

sorte de recueillement intense et universel enface d  une perspective d événem

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nais, c était pl utôt par amitié que par suspicion.

Parfoi

s

j oubliais la nuit. Je me croyais dans

un

e de ces clartés légendaires

où je marchais savamment, presque religieusement, avec

un

souvenir de cierge

à

la main. De très courts instants, je m attardais à regarder les gros anneaux

lisses et noirs au bord du quai, mais sans m arrêter vraiment, trop seul, trop

monotone, pour ajouter encore l immobilité à cette absence de pensées qui, à

la

fin

m accablait. Je m efforçais de préciser, sans goût, la silhouette des gens

qui passaie

nt

loin, là-bas, sur le pont

tout

blanc.

Et

je demeurais toujours sans

réponse.

Une image de la journée passée surgissait sans cesse devant moi: trois petits

enfants, d une même taille rigoureuse, traversant,

l un

derrière l autre, également

distants et

du

même pas, une large rue. Mais chacun, sous le bras droit, portait

objet différent.

Le mot suicide passait quelquefois sans me surprendre, mais c était le mot

dont on parle, celui

qu on

prononce lorsqu on a peur d être seul et

qu

 alors on

s occupe des autres. Je n y attachais pas d importance. D autres mots passaient

aussi.

Les bruits s éteignaient de plus en plus alentour. Les plus proches, ceux de

l immédiat voisinage avaient d abord disparu. Puis,

en

progressant,

tout

s en

était allé.

n

ne restait alors que les derniers échos très diminués de rumeurs

lointaines. Et soudain, le silence fut total : je ne le remarquais plus, je ne pou

vais plus y penser; je n arrivais à percevoir de ce fait, de

ce

moment, qu une

possibilité de souvenir prochain. Aucune comparaison ne pouvait plus exister,

n était plus nécessaire. Tou s les passants s étaient arrêtés, les souffies suspendus,

la direction des regards figée. A force de solitude je parvenais à ne plus être seul.

Peut-être à me retrouver. Je voyais partou t, aut our des immeubles

et

jusqu au

186

Je m étais moi aussi arrêté. Immobile

à ce

moment, j étais persuadé q

je le voulais, je pouvais faire un geste, lever la main, avancer un pied. Je

sentais, je me savais absolument indépendant de cene immense et insolite a

tation. En moi?

Ni

orgueil ni étonnement exagéré. Bien sûr, j étais cepen

un peu intrigué par ce chat en arrêt devant moi depuis cinq minutes, comp

ment immobile sur ses pattes de derrière, et semblant de celles de de

jouer d un tambour imaginaire. C était peut-être moi qui l étonnais. Le

ne devait plus avoir son va-et-vient car je ne voyais plus dans l eau toute pr

de la Seine qu un reflet plaqué, surface

fixe

qui me faisait songer à du ca

Puis, tout à coup, il me sembla que tout reprenait,

se

remettait à vivre

garde l impression d 

un

immen

se

ballon blanc qui

se

serait soudain go

lentement, lentement, jusqu à son maximum, suivi parallèlement du lent mo

ment des corps muets s animant

à

nouveau. Jusqu à l éclatement. Et tou

remit

en

route.

Avant le bruit, j avais juste eu le temps d apercevoir devant moi, une om

rapide,

un

corps aux yeux fermés qui s élançait. Mais lorsque j e

us

essuyé

qui venait de m éclabousser le corps et le visage en m aveuglant, lorsque je

regarder, la Seine continuait à couler, aussi calme qu auparavant.

J eus un frisson : derrière les grands arbres noirs du quai, passant, recu

de l un à l autre, précédant silencieux ma promenade, il y avait plus d une h

que l homme m épiait, indécis. Nous venions d arriver à l extrémité

du

q

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  ariationssur le

temps

par

JE N GROSJE N

RUTH

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Trame

de

rêve suspendue par

l

'émoi.

L'histoire

qui

s'était mise

aux

rames

n'a

soudain plus

de voyage.

L'abeille

m'éveille

à

la

douleur.

Appt JéS

tour

à

tour

11 sép

arés comme mes

deux lèvres.

Quelle

promesse

plus que

frémir?

Il n'est

de

sens

qu'ailleurs

toujours.

T

ambottrins et

frelon s.

L al

véo

le

est

vide d'o

ù j'entendais

bourdonner

la

cité.

Je

ne

plus

que

le

vent

de

ta

route

et

je dialogtte

avec ton cœur

.

L'ombre

te

passe sur

l

'épau

le. Le

chat tigré

tefixe. Des

étam

font

jauni

le

z.

Tel

est mon nom.

Regarde,

éblouie, les

genêts

sont en fleurs

mais

la maison

du

est

si

loin/ Supplice incorruptible

d'avoir

su

véritable

mon désir

.

TR NSE

Qtlà nouveau existe la distance successive est mourir. N être plus

idiot parmi les

bommes

est impossible. L'étor1rneau oblique son bec.

RUTH

:

Je

me

lève, amazone

solaire,

sur la forêt. Tant d'arb

Je vois chacun. Il me

faut

ces

inextricables

pour une seule

fla

présence.

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P

uisque

la main de l'orage, avant de gifler, caresse les têtes

pressées des arbres, il te

faudra

laisser l'averse s esstf)'er.

Les roches noires

me

ceinturent. La pluie s'approfondit. Je

t

'entends gémir.

Quel

sage

palmier agiterait ses mains

éloquentes?

Chant

er seule-

ment qui

est émanation

et non attitude.

Ton

absence par

mon

refus.

Comme

le

selfait

la

mer

en

allée.

Chamelles de sables si vaines

et

que

je ne puis dépasser. e scorpion

dtt

moins me guette

sous

la pierre.

Vais-je, fou,

dessiner

les cotlstel-

lations?

Je saurai

coucher

mon cadavre

comme

une flèche

vers

l Est. Ils

verront bien. Toul mon corps {index co11pé trop court} comme

Pespoir

de l'aurore. Si

le

soleil buvait l'eau de

mes

jointures

el

que mort au

moins je sois vrai/

Ignore l'humus

elle

muguet.

Devine la

pott/re

ella br

referai

patiemment

le

désert. Voici des stères

déjà

. Je réunis

en fagots.

Seul bûcheron dans

tant de feuilles

mortes.

Une solitude

à

ta gloire. Mes

étriers

Ce silence abso

question.

Voici,

po11ry

répotldre, l'éternité où

la

lumière pre

un

incendie.

*

Le paradis

n est-il pas simplement

un enfer tttile

et

l'a

solitude

significative?Qu est/a oie que le

confort

d'être perdtt

sinon

la

connivence de lottles les

restitutions?

. o u ~ n'est que mouvement. Les

plaies

étincellent comme

knes.

Nt

rem

ords,

ni ra11cune ni r

egret.

L élan.

Et

la

m

la

roue.

Et quels autres

qtte

toujours,

lampadaire dans les

b

anciens,

le

seul Autre?

 

L'aveugle chante chaque nervure du pré et dtt boi

s. Q

uelqu'un

qui écoute en

voit

une.

Le

soleil passe dans le vent. .

BOOZ:

Ce

ne

peril

être pire ailleur

s. j i r

ai

seul

sous les arceaux

noirs.

reviendrai

avec

les

grappes de g Jcines cerner ton plaisir de ma joie

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Tt

 

es

venue

Sagesse. Je suis

lotJ

ombre exacte. Je

détruis

chaque

chose en la disant. Vidée de

son

essence elle cesse d'exister.

De nouveaux tas

de

feuilles

de

platanes s'allument

jusqu'à

ce

que

les arbres soient

purs.

Odeur

du feu.

ESTHER:

Chape

de pierreries, je n'ose. Découds

mes

lèvres dans

la

ténèbre.

La profondeur des cuivres noie

ma

clameur.

j ai pleuré comme une prisonnière, tu

sais

. Si je

me

, cachais Ce

serait pire. La déroute de

la steppe galope devant ta colere,

Ange de

Dieu.

Comparaître au

moins

. Les

ta

ureaux

immobiles enténèbrent

ton

seuil. Je vais sur un ft/ d'or

à la

rencontre

de t'aimer.

Tu es toute couchée dans le tombeau de la

montagne.

Ton gémis

ment ineffable m'assaille

à

travers ton bâillon d'aromates

el je

me hâ

Traqué

par

les

granits. Sans sali

ve

.

Je

suis

parti si tard

et

lassé/ Mon

cœur

m'escalade

à

ta rencon

tre. Retiens ton soujjle jusqu a

hirondelles.

RUTH:

Le profil

du

silence

masqrte

un mystère de

bronze

. L e

cimete

de

la

Jouve/le

lune tranche

le seringa par

J

oder r de la mort.

Je ne savais pas que je n'existais pas

avant

d'ê

tre la

plaie de

flanc

.

Souffrance d'être

qui

m'empoignes au ventre sans un geste, lâc

moi/

Non, rien

que n'être que

toi,

l

emps.

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aux moments de son plus grand éclat, il a toujours manqué que

chose à la philosophie. Chaque culture signifie une certaine nécessité

des

im

qui orientent pour chacun l effort d être homme. Celle-ci a engendré le m

et le genre très ambigu qu on appelle roman, et qui en

es

_ la décadence. Sou

formes font leur apparition des images de la vie qui, au-delà du t emps rég

dominent le passé le plus lointain

et l

futur inaccessible. Elles domi

définissent et même justifient l agir et le pâtir qui forment l histoire d un pe

Entre toutes les images créées par la littérature espagnole, Don Quic

de la Manche est, on n en peut douter, celle qui atteint e lieu définitif po

conscience espagnole. Qu il soit également le symbole accepté par la consc

universelle en donne confirmation, puisqu un peuple, pour définis que s

sa

personnalité

et

son destin, ne laisse pas de s intégrer à l Histoire Unive

en

fonction de laquelle il atteint son rang effectif. Mais

e

n est pas seule

devant l Histoire Universelle - la véritable - que l figure du Chevalier

Manche représente l incarnation des aspirations profondes

d un

peuple.

apercevoir clairement cette valeur, ou

ce

projet, il faut au préalable dégag

problème qui paraît affecter les Espagnols, mais qui, on s en rend vite com

affecte également la culture occidentale : c est le problème de son ambig

Or

toute ambiguïté requiert une libération.

Si l on considère la figure de

Don

Quichotte dégagée de son entou

elle ne paraît pas ambiguë

Ma

is

on

ne peut la considérerisolément; elle dem

1

99

toujours liée

à

un

autre,

à

quelqu'un qui est un autre. Vivant dans cette solitude

intime de tous les héros, sa vie est t

ou

jours convivance. Si l'action qu'il réalise

est pleinement choisie par lui, il doit compter, pour la réaliser, avec son écuyer,

son serviteur Sancho; impossible de les séparer. Or, il se trouve que Sancho n'est

pas seulement un serviteur fidèle de Don Quichotte, mais encore quelque chose

de contradictoire en apparence : un juge. La présence de Sancho est en réalité

un miroir, le miroir de la conscience qui considère le génial Chevalier

pour

en

prendre la mesure. Aussi, orque nous, Espagnols, nous regardons dans

le miroir que nous tend Cervantès, nous nous

tr

ouvons devant deux images

la libération, de la liberté. La Liberté est sa passion, elle se mêle

à

la justice, mais justice, pour lui, sera toujours liberté, liberté et

n

liberté et

non

pas égalité. Et la plus grande ambiguïté de l'œuvre

est que le héros qui consacre l'effort de son bras et son inflexibl

libération de tous ceux qu'il rencontre sur son chemin, soit celui q

plus que quiconque, plus que les galériens et les criminels, plus q

de joie » - qu'il appelle, lui, « demoiselles • - que quelqu'un

que tous accourent à

sa

rescousse, à

sa

libération. Telle est l'ironi

sans se lasser Cervantès

à

chaque page de son livre, et qui en fa

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indissoluble

ment

liées : l'image de Don Quichotte, véritablement sacrée, sym

bole de nos plus intimes aspirations, et l'image de Sancho, à son

tour

miroir de

Don Quichotte; jeu de miroirs et d'images qui, dans leur excès de clarté,

conduisent

à

l'ambiguïté. Avec laquelle de ces images nous identifier? Si nous

nous tournons vers la première image, celle du chevalier, première par le rang

et l'originalité,

l

autre image se montre bien vite, celle de l'homme

du

commun,

qui

se

rt et soutient Don Quichotte, et sans lequel il n'aurait rien fait. Mais bien

plus : Cervantès, qui

ne

se confesse jamais, qui ne parle jamais

à

la première

personne, ne

hi

sse pas d'être présent en toute occasion, et il nous regarde, lui

aussi. Jeu de miroirs et d'images, réglé par un regard et un sourire. Et nous en

venons ainsi à éprouver le même sentiment que dans la vie réelle : nous

no u

s

sen

ton

s indécis sous le regard omniprésent d'un Auteur qui, tout en se mani

festant avec la plus grande cb.rté, a laissé intact le mystère.

Le mystère qui circule par tout le livre, dans lequel se concentre l'ambiguïté,

c'est que Don Quichotte soit fou, et plus que fou, aliéné, enchanté. Ce n'est pas

simplement un fou, mais l'individu exemplaire d'une sorte de folie qui s'est

manifestée et a circulé par toute l'Histoire, bien qu'elle n'ait pas eu toujours

cette netteté et

ce

caractère bien défini : la sorte de folie qui demande

à

grands

cris

qu on

la rachète,

qu on

la libère. Un fou est toujours un être ambigu;

on

sa

it

le respect

dont

on

l'entoure encore, dans les milieux nettement populaires.

Pour les gens simples, un fou est un

t

innocent », un être inspiré, grâce auquel

s'ouvre parfois la vérité, un être sacré, en somme. Don Quichotte

n e

st peut

être pas un fou particulier, mais le fou tel que l

 a

vu et senti la conscience

originelle des hommes qui subsiste encore dans le peuple. Quelle que soit l'ori

gine de la conception de Cervantès Don Quichotte est un fou sacré,

un «

inno

cent > qui crie pour qu' on le libère des enchantements

du

monde.

L'ambiguïté s'accentue parce que Don Quichotte est possédé par la folie de

2

livre, une blessure.

Une blessure parce que la folie de

Don

Quichotte pose de

problème, aujourd'hui plus pressant que jamais, de la liberté de

on sait que ce dont souffre le héros n'est pas autre chose que le c

un

jour

la passion inéludable de tous les hommes. Nous voyons

Don

Quichotte est

un

livre classique,

un

livre actuel en ce mome

cience, c'est simplement parce que, comme tou s les classiques véri

présente notre propre conilit, et, lorsque nous avons recours à

faisons que nous regarder nous-mêmes.

l n est

pas étonnant qu'e n présence de cette ambiguïté multip

Cervantès, ambiguïté de plans qui se croisent dans le foyer centra

de sa folie, aient surgi, dans la dernière période de la pensée esp

commentaires d'égale qualité, deux livres qui nous ont présenté,

gnols, deux h e m i n ~ ou deux moyens de dissiper l'ambiguïté d

c est·à-dire, de le racheter de sa folie, de détruire les enchantemen

et annulent finalement sa claire volonté et son action innocente

réalité deux guides- genre si espagnol-

pour

sortir du conilit q

fait d'être Espagnol. Mais si celui-ci est

le

conBit de l'aliénation, d

ment

du

monde en face de la liberté, il se trouve être ainsi le conflit l

tiquement universel

et

actuel, le conilit de l 'Histoire toute entière

critique

da

.ns l'ère que nous traversons actuellement.

Rien d'étonnant à cela; lorsque l'Espagne a pleinement réa

grande aventure, cela n a pas été seulement pour elle-même, ma

avant tout pour quelque chose d'universel; s'ilnous était permis d

définition de l 'Espagnol, nous oserions

propo

ser celle-ci : est auth

Espagnol celui

qui,

comme Don Quichotte, vit et souffre pour ob

chose d'universel.

%01

  es tentatives de libération de Don Quichotte dont nous parlons ont été

réalisées par les deux hommes

de

plus haute valeur intellectuelle des derni ers

temps :

don

Miguel

de

Unamuno

et

le philosophe Ortega

y

G.lsset. e livre

du

premier a

vie

de Don

u

cho

lle

et

at Çho

fut écrit à

l o

ccasion

du

centenaire de

la publication du Quichotte. Celui d Ortega U s

mlditatjons su

r le Quicholle

marque la première étape d une pensée philosophique longuem

ent

mûrie, qui

a abouti à

un

e philosophie de la Raison Historiqu

e.

challe est aussi contradictoire

qu il

est possible avec

l

ave

nture

d'Unam

premier lieu, il

ne

considère pas

Don Qui

chotte, mais le livre

tout

enti

travers lui, Cervantès. C est Cervantès qu il préten d déchiffrer. Ortéga d

ainsi l'ambiguïté

du

Quichotte, son ambivalence, la perplexité qu'

devant lé livre sans égal la conscienceespagnole. Qui était Cervantès, et

voulu nous dire, se demande-t-il? Son interrogation se charge de la plu

angoisse philosophique

pour

le destin d'

un

peuple si singulier, d' une

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Unamuno, dans sa Vie de DonQukho

lle

et Sancho se lance au secours de Don

Quichotte enfermé dans l'enceinte

du

roman de Cervantès avec la passion insa

tisfaite de l 'auteur qui n'a pas trouvé son personnage ; ille délivre en transfor

mant Don

Quichott

e en un personnage de tragédie. C'est ainsi qu 'ille sauve de

l'ambiguïté. Sancho est simplement le serviteur incrédule.

Le

:

« Je

crois,

Seigneur,

vi

ens

en

aide à

mon

incrédulité

»

n

 es

t autre cho

se

que la nature

humaine que

n a

pas entièrement gagnée la foi, la matière qui résiste

à

la flamme

de l'espérance; le bon sens qui ne se laisse pas pénétrer par la folie de la charité.

Et

la survivance même de

Don

Quichotte change de genre, car, s'il a reçu de

Cervantès l immortalité, il atteint, entraîné par la passion d'Unamuno, à

la

vie

« éternelle ». A ce point, l'ambiguïté se dissipe complètement, car être immortel

c'est simplement survivre dans la mémoire des hommes, aller au-delà des

frontières de la mort, mais, en échange, abandonner la vie. Tandis que la vie

• éternelle t est au contraire

l absorption

totale de la mort dans la vie, la destruc

tion de la mort. Résultat en accord

av

ec l aven

ture

unamunesque, qui vise à la

libération

de

Don Quichotte,et, puisque

la vi

e éternelle se présente aux hommes

seulement dans la Religion

qui

fit de la liberté sa révélation fondamentale, en

accord avec le christianisme. Unamuno délivre

Don

Quichotte de l ambiguïté

du

roman, du jeu de miroirs équivoque

et

, e baptise chrétien; son histoire est

une

forme

de

la pass

ion

tragique, des souffrances

de

la liberté s

ur

la

terre,

et

elle s'achève par l'introduction du héros à la vie éternelle.

Unamuno propose ainsi aux Espagnols et à tous ceux qui s'approchent du

miroir qu est l'a:uvre de Cerv antès avec le désir de déchiffrer son énigme, une

aventure entièrement quichottesque : s'identifier avec le héros et, ce faisant , le

délivrer d es contingences

du

monde

sa

vie

se déroule. Mais quelles so

nt

ces

contingences? On le sait ; on sait

que

le

monde pour

le héros, et plus

qu

e pour

personne, pour Don Quichotte, est « enchanté ». Unamuno nous ordonne

de

négliger 1 • enchantement

et

de poursuivre.

Cc qu Ortéga y G.lsset essaie de réaliser dans son livre Mlditations sur leQui

2.

02.

qui pose tant de problèmes fondamentaux. Ce qui est essentiellement e

en arrive-t-il à dire, est

quelqu

e chose d'aussi rare dans le

monde

que les q

gouttes

de

sang

grec

qui subsistent actuellement. Ce caractère espa

s'est réalisé aus toute sa pureté

que

dans

un

édifice: I

 Es

curial,

et

dans

u

Le Quichotte. Or le livre - monument de

mot

s - est terriblement

Ce

n'est pas

Don

Quichotte

qu

'

Ortega

pr

étend délivr

er

mais le d

l E

spagne retenu pri

so

nnier en lui, enchanté avec lui

et

par lui.

En

consé

ce que fait Ortega, ce qu il nous propose, ce n est pas de délivrer le pers

mais de nous approcher

du

regard de l'Auteur

et

plus encore que du

du lieu où naît ce regard. L ambiguïté se résoudra - on le déduit d

l'a:uvre philosophique d Ortega - par la connaissance. C est la pensé

sophique qui résout l'ambiguïté essentielle de toute révélation mytho

figurative : la pensée

détruit

les enchantements du monde qui entoure

parce qu'elle détruit les enchantemen

ts don t souffre le héros lui-même,

de son image la pensée qui y est cachée.

Car toute révélation poétique est ambiguë, dira plusieurs années p

O rtega au commencement

de

son cours

Thèse ml

taphysique sur

la Raiso

Et si la claire interrogation philosophique sur l'essence des choses a

Grèce, cc fut parce que ses dieux, façonnés par la poésie, étaient de

ambiguë. Cette proposition éclaire po

ur

nous définitivement son livr

Quichotte. Devant

la

révélation poétique du Quichotte, il nous pro

dissoudre dans la conscience cette figure quasi mythologique, d éclair

pensée

philo

sophique le rêve qu'elle porte en elle, de déchiffrer son énig

en tirer un dessein de vie.

Nou

s voyons maintenant plus netteme

nt

en quoi consiste l'ambig

miroir que nou s offre Cervantès : Don Quichotte, le protagoniste, est

d un long rêve ancestral, il est parvenu au rang de héros simplement po

obéi, comme tous les protagonistes de tragédie,

à un

cauchemar ances

ceux-ci sont les victimes au sens sacré et au sens humain. Toute tr:tg

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lisme, Raison

Hi

storique, essaie d embrasser la totalité de la vie

humaine:

vie

et conscience, et elle contemple au-delà encore l existence de l homme entre

• l être

et

le néant

»

Pourra-t-elle vraiment annuler la

tngédie

d exister, c est-à

dire la tragéclie de la liberté? La conscience philosophique, retranchée jusque

sur ses d e r n i ~ r e s positions, puviendra-t-elle à annuler les figurations poétiques,

les mythes, les personnages ambigus porteurs des plus profondes et indéchif

frables espérances? Vivrons-nous, dans l ère qui vient e s ouvrir, de connais

sance philosophique ou de symbolisme poétique? de quoi vivront ceux qui

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7/21/2019 La Licorne

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nous suivent?

u

peut-être se prépare-t-il enfin

une union

entre Philosophie

et Poé

sie,

un

mode de connaissance

et

une sorte

de

raison qui, sans détruire les

images des héros, parviendraient à

li

ssiper leurs enchantements.

Nous ne

savons pas s il en sera ainsi. Mais c est seulement dans ce cas,

par

l union de la

philosophie

et

e

la poésie,

qu

e

notre Don

Quichotte trouvera sa

libération, la libération des enchantements

du

monde

en

meme temps que de

sa folie; et aveclui toutes les figures nées des reves fantastiques de l espérance.

Mais l espérance supreme pour les occidentaux, a toujours été, sous clivers noms

et livers signes, celle qui se pare du nom de Liberté.

On n a peut-être jamais écrit d œuvre plus près d

 être

la Tragéclie dela Liberté

-

notre

Tragédie - que l  histoire ambiguë du Chevalier de la Manche.

Mais son

~ m b i g u ï t é

pourrait peut-être

se

résoudre ainsi : sans alliance 2vec

la poésie, la pensée philosophique ne pourra 2tteindre le secret suprême de la

liberté terrestre, la fusion de la liberté avec ce qui paraît être son contraire :

amour, obéissance.

ils

u

Pays

par

GEORGES BEMBERG

Page 105: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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r

E

N NT

,

je retournai au pa

ys

où m a

tt

endait

un

sol dém

es

u

même

ma

ville par le réseau de l estu:lire - au petit

yacht

b

ni

ca

l dans d étroits canaux bourbeux,

l

es

saules déposaie

nt

s

u

minuscules chenilles. Après m être grat té jusqu au sang, j arrach

les branches coupables que je foulais.

L eau baissait; la banquise entamée, le navire penchait pour

de haleurs dans la saussaie. J oublie quelles étaient les manœuvres

Au terme de quelques heures enlin, la quille se redre

ss

ait. L 

o

assez vite dans un

eu

ve qui n était bientôt qu un afBuent, puis

La côte verte ajourée de minces cours d eau qui se ramifiaient à

ruissea

ux, semblait l ancêtre même de cette eau, non marine, m

libre que l océan, et dont la couleur, plus claire que le ciel, crée l

image renversée.

A cet effet, souvent,

je

mets ma

tê t

e

en bas

, afin que la rivière

le

ciel

rivière,

et

je

n ai

de

esse

qu elle ne m ait enduit

de

son lait ro

de

l

encre tiède qui me glue les pieds.

C est cette eau, je crois,

qu

e dans ma ville, je hume

et

dans ses

elle guette sous forme d arbres noirs. Rien, pourtant, de plus sec

qu

rose sous le pigeon dormeur, ses feuilles plates et courbes dans la

parcs, i une contre l autre. M

ais

bientôt l écorce ébénacée d 

un

pa

Beurs mauves, le tronc saurien de l arbre

à

kapok évoquent cette m

souvent j'allais regarder aux heures de marée basse, lorsqu

 e

lle découvrait avec

honte la vase noire où gonflaient ses poissons. Les rares pataugeurs sur le rivage

avaient des voix lointaines qu'on entendait bien. Je révérais l'indécence d'une

côte sans eau, ce retrait d'une chose ess

en t

ielle, l'abandon d'un sol mou prêt à

pourrir pour peu qu'à l'air libre il demeure trop longtemps.

Mais la rivière reviendra comme

un

accès de fièvre. Elle cachera sa lie, et la

côte diminuera. Les jardins et les arbres s'apprivoisent sous la menace de l'eau

qui monte.

mais nul ne se suffisait plus durant cet instant de rareté.

l i

fallait affronter le

ensemble.

L'aboi des chiens ne portait plus. Les arbres autour de la maison nous a

daient. Je sautais à terre. La voix des miens avait perdu relief. Je rem

engourdi, étonné de mes mouvements. La lampe à l'entrée

me

faisait sign

J'entrais dans la maison comme dans une châsse où se fussent conservé

dimensions humaines.

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Cette rivière, pourtant, dont on parle comme d'une mer, échappe à toute

définition. Fleuves soumis d'Europe, mers alpestres,

lacs

d'Asie, plus que jamais

domptés

en

regard de ma rivière Que rares sont ceux qui connaissent le mystère

de l'eau; qu'innombrables ceux qui n'en peuvent parler qu'en fonction de

ses

reflets.

Notre eau est sans reflets. Rien ne s'y baigne que le ciel, dont elle tient des

couleurs qu'il n'a pas.

n

Mon enfance s'est fixée à des bruits d'arbres, vers midi, lorsque

je

ne dormais

point la sieste, ·et qu'à la croisée, où filtrait un silence de cretonnes, la mouche

enfin se taisait.;

Notre maison s'abritait d eucalyptus parallèles auxfûts souples, dressés conrre

la plaine. J'avais l'illusion de la forêt. Mais toujours, je redoutai le pays béant

avec l'herbe des animaux sous le cid entier.

Retranché derrière les troncs pelés, le rêve s'alliait aux bouquets jaunes,

m'entraînait dans l'allée de poussière

voletait une plume.

Au seuil du verger qu'ardoisait une lavande à l usage de mes draps, c'étaient

chaque fois la menthe, et l'enclos de baies tièdes, au soir transparentes.

A peine attelée, la voiture roulait s

ur

une piste noire

à

travers l'air apprivoisé

de l'après-midi. C'étaient des échantillons d'eau, sous forme de

B.aques

perdues,

qui s'annonçaient au loin par des coulées bleues.

Jamais la terre ne m'avait paru si basse. Je

m y

sentais peu de chose. Nous

étions six dans la voiture. Cependant que nous rentrions le soir, fuyant l'espace

qui reculait dans tous les sens, on se blottissait les

un

s contre les autres, car pour

chacun l'abri d'un corps voisin devenait nécessaire. Nous n'avions pas froid,

21

m.

C'est aux bords d'une marc, à l'heure où disparaît très vite le dernier seg

du

soleil, qu'aux approches de l'automne j'allais visiter les oiseaux. J'avais

le jour à cheval en quête d un gibier d'eau, canard, ibis ou sarcelle, sans po

jamais l'approcher. Averti de ma présence par le cri du tero, je voyais s'en

le i f f i . e ~ au bec

c r ê ~ é

de rouge, l'aile courte et prompte dans l'air mince. L

temps, Je le regardats tournoyer aut our de cette mare en cette époque un

~ n s

le voisinage, dans l'espoir qu'à nouveau il viendrait s'y poser, pourvu

Je restasse immobile et accroupi, déjà tout frissonnant, derrière les joncs.

Certains soirs, après m'être séparé de la mare, lorsqu'on s'apprêtait à d

l envie

e p r e n i t

d

 y

retourner comme rappelé soudain par le mystère qu

dégagea1t. Pendu au bras de mon père

à

qui je dois une telle découverte,

l'eau noire, qui m'attendait par delà le bois d'eucalyptus, je l'entraînais. La

m ~ v e s t . i s s a i ~ de. grâce. Je v o y i ~ nager l siffi.eur. Mon père charge

peut fusd

et Je

vJsats en tremblant. J attendais ensuite que le faible couran

ramenât l'oiseau magique dont tout à l'heure j'avais ta

nt

admiré le sillag

Encore chaud dans mes mains

caillait

un

sang plumeux, il n'était pl

même; j'ouvrais son aile lisérée, déjà roidie, acquise

à

l'immobilité et au si

qui m'entouraient, et je m'acheminais vers la maison, portant l'oiseau mo

dont la tête lourde d'un sommeil inespéré retombait sur sa gorge blanche

A l'aube souvent levé,

je

croyais devoir devancer le jour. D'épars voil

brume s'étageaient peu à peu sur l'herbe, à cette heure muette, que devait bi

animer u11 e industrie d'insectes.

Je revoyais la mare de la veille, mais toute une plaine devant moi fin

par m'en distraire, une plaine où l'homme à cheval se confond au loin

l'arbre qu'il désire.

Il

Terre ou ciel? Force m était de choisir laquelle de ces deux moitiés, si parfai

tement définies, allait l emporter sur l autre. J étais en contradiction avec le

continent puisque je restais debout, dénoncé par une inexorable loi que je sem

blais défier. Une force mienne m empêchait de tomber, qui me séparait

du

monde

je vivais. Ma solitude se définissait dans l autonomie de mon être. Je devais

triompher, mais j avais peur, soudain, de

me

découvrir à ce point moi-même

devant l accusation muette

du

pays.

Quel relief prenaient alors le terrier à peine exhaussé du loir,

et

celui entre

les pierres des civettes, que seul passaiten hauteur le chardon sec aux dards bleus.

d eau.

Je

me souviens comme lui de

tout

e une généalogie

de

gr

perdus, divisé

s

ramifié

s

aux berges silencieuses.

Nous reviendrons liquides et suivant que nous mourrons près

ou dans la steppe, nous serons eau ou vapeur. Chez nous, la po

pas humaine.

v

Un

soir, qu il avait fait beau, un cygne

bl

essé

me

revint

u ~ c i e l

dans un vacarme de plume

s.

Son aile brisée s était prise dans

u

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IV.

Trois plumets fument

à l horizon. C est le gnandou, fidèle aux nuages dont il

tient sa couleur. Il était là, soudain,

à

quelques mètres, gêné dans sa course par

un bagage d ailes

sa

les, habitées

de

poux, le jarret puissant, l œil démesuré dans

la tête plate.

Du

haut de la Ford que soulevaient d innombrables fourmilières je

visai. La balle vrillait l air. J entendais le son de sa trajectoire. Le bruit sourd

dans l aile. L oiseau tombait,

se

levait, retombait, fuyait sa propre douleur qui

l étonnait bien plus que le bruit du moteur derrière lui. Bientôt, accroupi, le

cou sinueux, il haletait dans

un

creux de paille, prêt à cingler

d un

coup de patte

qui s en fût approché. L homme à cheval qui a nom Monsalvo, serre son couteau

sous le bec de l animal, dont l œil resté ouvert semble ignorer le torrent violent

qui l imbibe tel un suaire à l heure de la soif. .

C

 est

mon second crime

en

moins d

 un

jour. L oiseau

che

un

sang

rap1de

au son d une mouche. Monsalvo essuie dans l

 he

rbe sa lame blanche. l n a rien

vu.

Son cheval broute

le

mors. Nous partons.

Cependant que la plaine s aplatit sous le jour,

se

tend, se détend comme une

peau transparente de lumière, je songe au sang fait terre, à la bourbe ralentie

au sein de l aile,

et

déjà

mon

cœur se lève, car j ai attenté

au

continent, l

eq

uel, à

présent, va m  obséder,

du

rant

un

temps, de cette saveur qui lui est propre, et

que je dois endurer chaque fois qu au travers

d un

homme,

d un

animal, d une

plante, il lui arrive de mourir.

Insigne alliance que celle du l imon de mes euves avec

le

sang lourd de mes

oiseaux. Je me sais les veines nourries

d un

fluide végétal qui me lie à l aguaribay

que

je

vois ombré de ses cheveux verts au bord

du

delta. Son écorce noire,

humide sous la feuille, m est proche. Nous sommes issus de l eau. Nous sommes

D autres cygnes le survolèrent.

J

enviai cette fière agonie que p

présence je craignais d importuner. Du ciel, de l eau, et

du

cri de

lointaine, se dégageait un mépris qui passait de beaucoup celui q

signifier un de mes semblables. Ma place n était pas là. Qu étais-je v

Ma primauté d homme semblait révoquée. J avais beau me sentir ra

même, je ne comptais pas. Les oiseaux passaient d abord.

Le cygne vêtait de blanc cc coin de nuit. Je décidai de le cherch

fonçai dans la mare. Mais l eau croissait à chacun

de

mes pas et

couvrir

ma

taille d enfant.

Je dus regagner

la

voiture. Vaincu et transi, deux jours plus

malade.

La nuit, dans le lit sec où m anéantissait la fièvre, les heures oisive

s

ur

mon front comme si le temps se fût clos sur moi. Je me représen

dans l obscurité. Les cygnes étaient partis. L eau ne faisait qu y cr

eau qui m avait donné la fièvre. Cette première amante,

tout

e fémi

et

désireuse de châtier tous ceux qui ne pouvaient lui résister. C

mal d eau.

Cygnes, canards et sarcelles s étaient vengés sur moi. J imaginais

striant le ciel.

e

cri des oies très haut.

Le

plongeon imprévu d une

plainte qui naît du seul espace déroulé, à laquelle répondent

tou

s le

la création.

Je

me

sentais renié par ma terre, non pas que

je

m y trouvasse ét

le seul fait d

 êt

re humain m en rendait indigne. L eau m avait cul

si je l

 e

us

se

trahie

en

devenant chair. Elle me serrait à peine,

et

la

son étreinte m alarmait d autant plus que

je

la savais fatale.

Par le mal consumé,

je

grandissais,

mes

membr

es

s étendaient à p

~ 1 3

j

me sentais redevenir terre et eau. Le pays me taisait sien. Atteint comme lui,

je

n'avais mal qu'au travers de la vision que

je

m'étais faite de lui. Nous n 'étions

plus qu'un.

Le

front illuminé

de

ma mère,

fille du

pays, sur mon bras la main loyale de

mon

père,

cet

ami de l'eau, près de moi, lors même que dans mon délire, je

célébrais les veillées rosies du premier frisson de mars,

et

qu'une larme de rage

coulait

le

long de mes tempes.

Le cygne s'est envolé. L

es

flamants grimpent. Tous les oiseaux

me

quittent.

VII.

Le pied enfoncé dans un tertre chenu,

je

vois

nu

chair s'obscurcir de

mis, comme

un

monde voué au mal. Leur besogne trop prompte pou

enrayée récolte une moisson d'enfer, qui point à ma cheville tuméfiée, a

luisante de chaleur et prête à couver l'œuf tendre

sc condense ma fiè

Tard ce matin, mon cheval entame une bouse croulière non loin de l'a

voir visité d' une soif de bétail, qui m'obsède plus que celle qui blanch

du ces fixe

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Voilà qu'esseulé dans l

es

joncs, le soir peu à peu s'empare de moi.

Qu

e n'ai-je su m'attarder auprès de cette eau Je n'eusse plus

vo

ulu

guérir ..

VI

.

Le sol m'a transmis

un

mal qui remue dans les feuilles.

Qui

saura, que l'ar bre,

m'

en

parler? Je laisse bruire jusqu'à moi toute la voix d'une terre qui se plaint

d'être habitée. Avec

ses

gestes de longues plaines, et ses fleuves, elle

se

cherche

encore. Elle voudrait n'être que seule.

L'hiver, dans l'allée

sa

upoudrée de mimosas, je foulais d

es

pelures d  euca

lyptus, et j 'entrai dans la plaine. C'est encore Monsalvo à cheval qui me salue,

retour

des

mondes dans sa poussière. Mon père m'a dit que tout l'océan n'a pas

suffi à le garder. T est rentré de voyage, l'œil las, la mine fautive, en quête d un

arbre,

ce

mât de nos plain

es

.

Saura-t-il m'instruire

un

jour du silence qui émane de sa personne comme

de

choses qui l'entourent ?

Je

n'ai rien à

dire

Je n'ajoute rien

au

râle que fait

la plaine dans la distance.

Je

ne fais rien. Je ne

sais

qu'incliner contre l'arbre

qui chante ma paresse horizontale. ·

Monsalvo

Nom

que semble énoncer toute une terre à cheval parcourue, à

l'image de laquelle

Dieu

daigna te créer. Sont-ce là-bas tes pensées que

tu

vois

défiler dans les nuages? Le duvet rose me colle au creux des paumes et

ton

poignard luit à ta ceinture, dans l air avarié d'un relent de carcasse.

Ce soir,

des

visages reflètent l'âtre,

va se fondre

tout cc

que l'horizon a

déposé au fond des cœurs.

Un

r

ôt

fumant meuble ce coin d'hommes pensifs.

Je vois suer la pierre rougie

et

Monsalvo contre

un

mur avec autour de lui

l'odeur d'une journée que j'ai vécue.

salive. Le poing soleil sur terres écachées à tout jamais leur dime

unique, où

je

lutte contre le grain d'air qui lève dans m

es

tempes. V

saigner du nez? Le pays tout entier est bandé sous l'arche de lumièr

e.

narines s'allument. Ma tête

se

fêle. Je m'agrippe au crin qui frémit de taons

mais le bassin de zinc au pied du moulin augure une trêve à mon usage.

Qui dira ce goût d'eau, lieu d'une transparence

qu

'àppelle

la

plaie du

ce contact advenu, ces recels ..

Sitôt que mon visage s'inonde sous la jatte inclinée, j'essaie de m'in

à la grotte bulleuse - dont

je

vois s'ouvrir ve

rs

moi la nuit - avant que

boue de mes lèvres

sc

remette à fumer.

Là-bas,

ce

crâne de vache s'ébranle, qui émerge d'une flaque au bord

rout

e où chaque jour

j

passe venant de l'épicerie ro

se.

Les cornes maud

le ciel dans le repos de ces quelques débris d'os blancs qui ne tiennent p

rien.

Défaits, purs d'une odeur distribuée par les champs, à présent initié

ressemblance

des

pierres, ils sombrent calcinés dans de nouvelles espèces

vm.

C'est encore la terre qui l'emporte en ce continent où

je

me sens rav

rang d'homme. La terre premièrement.

uis

les plantes

et

les animaux.

l homme ne les suit pas.

T

s'est importé. Arrivé d'Europe, pour peu q

boive l'eau du fleuve et que la poussière fasse crier mes dents,

je

fléchis de

veau à la manière de cet homme vertical qui descend du Nord, avec sa vie r

à

fleur de peau,

fin

de nous instruire de méthodes qui valent seulement

qu'elles mènent

à

bien

u e

entreprise. Mais bientôt il ralentit lui aussi

fils

déjà tient

de

l'eau.

C'est cette saveur de fleuve que dans mes veines je goûte avec la do

21)

tiède des fruits

et

le sucre des femmes, qui m'alanguit aux yeux de cet homme

tard venu-

comme qui serait exclu d' un commun secret,

-dont

je vois clignoter

une paupière mince et rougeâtre qui vient d

 a

illeurs.

e Nord,

mon salut, est de sel. Là-haut, dorment les sols d'hiver, comme des

loirs blottis, et l'homme, de

tout

temps libre, est

un

fauve. Sa raison canine

quête

la

mesure, mais il n 'avale point ce qu'il mord,

ille

garde. Sa faim ne vient

qu apr

ès. l peut toujours l'ajourner.

Chez nous, au fond

du

Sud, ses barèmes s'invalident, ct son métier d'Europe,

ct sa faim prévue.

Il

lui faut une fille crue

pour

lui apprendre à marcher sans

compter ses pas.

humide,

et

le marbre

du

soir fond comme un sorbet.

Et

dans le ci

une démangeaison

qui

lui prend sa coule

ur

.

Au

seuil

d Orion

éc

pan de nuit, une bête quelque part

va

se plaindre, près

ou

loin, da

rien jamais

ne

finit. Pas

de

froissure d'air. Dans les feuilles

tout

est no

seule habite. Seul l'espace est là incertain.

J ai pu voir la lune mouiller l'herbe des prés, puis mont

er

comm

après elle afin d'aviver ce masque qui pend mollement à l'exempl

visages d'ici sur le

point

de fondre. Le monde qu'elle rend visib

prend un relief sidéral qui lui sied. l

est

une absence en quête

d

dans la nuit pâle, la chaleur retranchée du jour laisse un vide qui n

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Je

laisse ceux

du Nord

se partager le butin de la certitude. Que ne viennent

ils fondre le sel de leur race

au

creuset

d un

jour vif, au gré des vents immenses

qui bordent le vide, à

l ombr

e

d un

chant

e

feuilles, au fond

d une

citerne que

visite, la nuit, un blanc poignet de femm

e?

IX.

Cette façon qu ont les sols d'engloutir leurs morts Ici, la terre a faim de

l'homme qu'elle fait croître tel

qu

'une herbe

dont

elle garde jalousement les

racines, tel

qu un fil

s,

qui

sait remonter

une

lignée de sexes différents, sous forme

de fleuves ou

de

plantes, jusqu'à sa première matrice.

Nous retournerons tous à la t erre par un vertige de la naissance. La mort

n'est pas, chez

nou

s, autre chose. Les éléments

dont

je procède aiguillent vers

eux ma vie. C'est penché vers la

mort

qu'avec l'arbre chanteur et de tant

cerné j'attends d

 éc

happer

pour

un instant à ce vers quoi je suis fatalement voué.

Non

tant la mort, qu un retour au sol avide qui m'a fait.

L'homme d'ailleurs connaît-il ce vertige, cette plaine que de tout côté je vois

finir où je me sens posé par un hasard que j'ignore? Comment rachetçr cette

fonction verticale qui se nomme vie?

Pèse

nt

des paresses à l'image

de

l'eau oisive

qui

s'étire là-bas comme

un

geste.

Heureux l'oiseau tendu dans le sens du pays. Heureux son cri

bref

qui annule

les distance

s.

x.

Lor

s même qu'applaudit l oiseau qui détale, j'avise la soie d un pluvier se

foncer sous l'aile chaude de soleil. Pensif, les pieds dans l'eau, il hoche une tête

u6

vrai froid. Une excessive fraîcheur qui

ti

ent

du

marbre immobili

touche et devient elle-même plus calme

qu

e le silence qu'elle emp

Toujours c'est dans la

nuit

que je me sens

peu vraisemblable-

ciel ne font alors plus

qu un

abîme qui permet aux choses vivantes d

- droit, oblique

ou

couché. La terre est seule ici. L'homme pr

conscience de son intrusion. Qu 'y fait-il? Rien n' indique son

l

qu

e l'éclairage où baigne la plaine, semble m'exclure des éléments

vois surl'her bele reprochede mon ombre géanteet seule

dont

je veux

Suis-je seul d

 ê

tre seul ou d être non précédé? Ce

n

es

t pas un s

que

d

errer dessus la pla

in

e, quêtant refuge auprès

d un

sol qui m

Rien, autour de moi, n'annonce que lors d'

un

lendemain d'hommes

mûries, soit reconnue ma présence, qu'enfin, tel un

.fil

s de ce

Nord,

terre à

mon

échelle,

je puisse m'introniser.

Mais mon sort n'est

point

d'être homme.

J ai

beau m é n o n c ~

rien ne m'autorise à répondre à ce nom qui me fut donné au matin

sance comme un désaveu de cette terre d'où je procède.

Je

ne me sa

J ai

soudain peur

d êtr

e moi. Une impénétrable hiérarchie m'aboli

dans sa fidélité, m'accorde un rayon de mémoire,

je me souvie

XI.

Une mare

vit

en moi depuis qu'elle disparut lors d'un trop lon

ne sera plus comme cette vie d'automne où je la vis naître, car c'est

nant, le seul é

toujours, vorace et sans oiseaux.

Il

court qu

'un roi

d Europe

vint y prendre un gibier. Il

y

a d

longtemps que ne le fait croire la légende. e monarque précéda l

l'tvaporation d'ailes qui désola nos steppes roussies par l'herbe drue des ciels

blancs.

Ah que viennent les soirs d'ailes

ct

de cris qui blessent le

cid

de douleur,

ces remous, ces retours au pays

Survit une eau d'averses

en

attendant que montent les fieuvcs. La bouc sc

fend. Le

ro

seau casse. Une étoffe de feu volète devant moi dans l'air cuit.

Tout

e

trace d'oiseau, toute plume, toute transparence s'égarent. Le jonc sèche vite, sc

dore et devient un faux signe car il continue d'annoncer l'eau.

suffoque avec l'oiseau, m

es

mains

se

taisent .qui

é p e ~ a i e ~ t ,

et celles que) a

sur une robe prêtes à dormir. l est des fnssons

qw

déferlent sur la nve

choses. Une ;au d'herbe

se

dépose sur le navire, telle une neige d'été, plus c

que la fleur cachée qui vient à

p ~ é s e n t s ~ c r a s e r

contre.la joue.

. ~ n e

Elle

Heure féminine, d'argent mouillée et dun chant magtque,

qUI

s egoutte

les plus noirs retraits des berges, parmi les s a u l e ~ . V ais-je encore r ~ m o n t

long de

ces

fleuves qui entr 'ouvrent leurs bras attlédts par le sommet

des

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7/21/2019 La Licorne

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Que ne suis-je parti avec la migration Vienne l'hiver, l'eau fieurira de

ces

cris qui peuplent mon espoir. C'est promis chaque année. Mais la mare n'est

plus fidèle à ce qu'elle fut. J'irai ce juin quérir la plume sous l'oie pure et fidèle

qui m'annonce la saison.

xn

La mort est le retour au continent. La vie n'est qu'une suite de migrations

semblables à celles des oies de Maipo, lesquelles reviennent au sommeil dans

les eaux.

Que me sert de lutter? J'appartiens à cette mort comme un fils

à sa mère.

Après tant de caresses d'eau, de lumière et de plaines, que je savourais chaque

fois que, retour d Europe, elle m'enlaçait, je n'ai

pu

l'oublier. Me fût-il donné de

pouvoir mourir comme un homme de pays mûr, je n'aurais point connu de

vertige. J'eusse cru en

un

vtritable réveil dans l'authentique. Je me fusse adonné

à la vie, cette offrande .

Mais que me sctt de prier Dieu quand l e pays me réclame avec une impa

tience de femme? Je n'ai plus devant moi qu'un

infini

sommeil qui s't rend par

delà

les

plaines en d'heureuses coulées, résorbées chaque nuit en un cri d'oiseau.

Je n'ai plus que ma terre, patrie natale, invaincue, défiante devant un Dieu

impuissant qu'elle prive de son Els

Je

n'ai plus dans ma main qu'un or

fin

de

poussière qui s'tlève dans l'allée où la brise démêle l'écheveau de feuilles

mortes.

Retourne au delta, crie .en moi une voix d'eau. Va, va, vers ce dont

tu

es

C'est là qu'est l'être que

tu

dois vivre. Vois comme déjà l'arbre te ressemble ..

Au

sexe feuillu de l'estuaire j'appose une lèvre verdie de baisers à la

~ v u r

des eaux lentes. Par tant de ficurs liquéfiées dans la nuit qui mc noie, où je

2.18

Page 111: La Licorne

7/21/2019 La Licorne

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Cherchez l Art seul

par

WL DIMIR

WEI LÊ

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Û  egarde, on toume la tête et l on ne se rappelle rien de ce qu on a vu. Nul fan

qui vous obsède et qui vous suive. » Ainsi écrivait Diderot,

à

une époque o

visite annuelle du Salon était forcément moins pénible qu aujourd hui;

il ne

se p

que de la médiocrité: de son temps

il

y avait encore du style. N est-ce

pa

s

no

us p

qui aurions dro

it

de prononcer ces

par

oles à la sortie d une

de

nos solennelles foire

croûtes, ou simplement après

un

coup d œil rétrospectif sur la

pr

oduction pictura

notre temps? Voici un de ces grands bazars où les gens circulent par désœuvremen

en vertu d  un devoir imaginaire, se repaissent d  inepties et déchiffrent des rébu

s.

trouve

de

tout : de la géométrie appliquée et

de

la photographie coloriée,

de

s inven

saugrenues et des pastiches bien sages, des portraits qui ne le sont pas et qui le sont

de la fausse gaucherie et de la vaine virtuosité, tout, sauf une œuvre cohérente et pou

d une existence inaliénable. On en so

rt

comme de ces immenses cimetières urbains

les monuments prétentieux

t

criards s affirment chacun c ontre tous, s affronten

livrent bataille

et

finissent

par

ajout

er

à

la mort un autre genre

de

néant.

On regatde, on tourne

la

tête .. Mais dirons nous qu aucun fantôme ne nous

Ces milliers de toiles qui insistent tellement pour être quelque chose

et

qui ne sont

n ont-elles pas été couvertes

de

couleurs

par

des bommes souvent intelli

ge

nts, dévo

leur métier, lui ayant sacrifié parfois leur bien-être personnel ou celui de leurs pro

des bommes

pout

lesquels ce genre d occupation représente tout le sens que peut

une vie?

Tant de

peine, de privations, un aussi

dur

labeur pour rien?

Du

temps de Di

la question ne se posait

pas

encore ainsi. ll y avait moins de peintres, et ces peintres é

des artisans; l

eut

travail répondait

à

une demande réelle; leur savoir-faire, aussi,

une réalité. Décoration, portraiture, divertissement, illustration - chacun d eux po

préte.Ddre y pourvoir b o n n ê ~ e n : ~ t et cbns .ta

~ e : s u r e

_de ses ~ o y e n s p ~ p r e s .

~

~ u i l s

produisaient pouvait paraître

UlSlplde, mal

reuss•, inféceur _•dée que 1on se ~ s a l t

de

l'art mais n'arrivait jamais provoquer cette profonde répulsion que nous font eprouver

i n v ~ c i b l e m e n t

de si nombreux tableaux modernes. Meme

si

l'on avait voulu aboutir

un résultat

pueil.

on n'aurait pas su comment s'y prendre. Aucune époque antérieure au

siècle dernier

n a

même conçu l'idée d'une floraison aussi énorme d'impostures, de

mensonges, d'absurdités

et

de &ux-semblants. . . .

Aujourd'hui on s'y est fait. Nombre de gens semblent en avoLr pcs leur paru

et

ne

s'imaginent même pas un autre état de choses. Et pourtant, quel effet stupéfiant, 1expo

sition italienne de Londres, en 1930, lorsque, courbé quelque peu sous l'avalanche des

français a eu pour effet

de

désencombrer la composition, d'éclaircir la p

la touche des praticiens même les plus rœdiocres d'aujourd  hui et contri

les affranchlr du 6gnolage

de

l'exécution et du goût

de

l'anecdote.

En

de

piétisme évident et désuet, tous l

es

peintres français

et

étrangers se réclam

de la seule w.dition stylistique encoie viVllDte et dont les variations

d'une

bçon

organique

et

continue; seulement sa dilfusioo même n a pas

sa "ital.ité; elle suscite des échos un peu partout, mais son renouvellem

propulsion vers l'avenir n ont plus leur puissance ancienne. Elle ne repré

que e dernier aboutissement du style baroque ou c pictural • déjà plusieur

et potte en soi,

de

ce

wr

malgré le génie

de

ceux qui l'illustrèrent si

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chefs-d'œuvre, on passait des salles du xv-, xW, •.xvrn- s i è c l e , ~ celle, ~ i g n e u -

scment aménagée elle aussi, du XIX". Après avolt priS pan au magnifi_ue festl.n tenu

dans la demeure des dieux, on regagnait to ut penaud u loge de coooerge natale.

Et

l'impression n'était pas due à la se

ul

e a m b i ~ s o c i a l ~ de

l

époque, car ce o:est pas le

sujet, c'est la forme même de ces nouvelles

1mages qu1

parut tant

ôt

gonflée a

o u t r ~ c e

comme le ventre du nouveau riche et tantôt étriquée comme le veston du prolétal.te.

11

est vrai que la peinture française du même siècle

ne

saurait ?roduire pareille

i ~ p r e s -

sion, - ooo que la moyenne en soit supécieure

d a u ~ ~ malS

parce qu'une_ p w s s a n ~

wditio

n srylistique s'y est maintenue plus longtemps. qu

a i l l ~ r s ,

sans t o ~ t e f ~ 1 s

v o 1 r

aJfumer son emprise, comme jadis, sur rous les doma10es.de l art à la

ls  ru_

meme .sur

l an pictural considéré dans son ensemble. La gr ule pe10ture fraoça1se d hler .et d au

jourd'hui n'est pas un fleuve majestueux qui s'écoule libretnent dans une plaine.

entraves; elle est un chemin de crète semé d'embûches de route sorte, bordé de préop

1ces

et dont l acds ne s'est ouvett ceux qui surent abandonner dans

la

~ tous leurs

anciens compagnons de route. Rien de semblable, hors de France, depots cent ans et

plus, à

cette

lignée de peintres qui dans leur propre pays s ~ e n t d'une _ çon que

personne n'aurait pu imaginer autrefois de tous les autres barbouilleurs de t o i l ~ obscurs

ou même célèbres. Que

fon

en

fasse

absw.ctioo et l'on obtiendra, la petnture_ du

Second Empire et de la Troisième République, une vue d'ensemble parbit ement plausible

et

qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celles

q u o f f ~ e n t ,

dans les

m e m ~

années,

d'autres pays d'Europe. Nous voici débarrassés

de

cette

~ t g n é ~

de

n o v a t e u ~ m ~ l e n t s

que leurs contemporains considéraient comme

tels

parce qu'ils étruent les

s e u ~ s

a

o n ~ u e r

te grand passé de la peinture européenne. ll n'y a

p l u ~

devant oous_(comme s1_nous avtons

quitté Paris pour une autre capitale) que le menu frenn

?e ~ x . q u t

ont fourru au: Salons,

aux amateurs, aux critiques

et

aux marchands la monnrue art.Jsuque

c o u ~ a n t

1époque.

Les autres

n ont

pas réussi à faire la règl

e;

ils furent

et

restent en;ore 1exceptt?n.

Or, s'il est vrai que le royaume des poufs et des peluches n est plus. celw où _nous

vivons la différence qui n'est pas niable entre la peinture moyenne du s1ècle detolet et

celle nôtre n'est pas non plus extrêmement profonde. L'influence des grands maltres

l

une detoière fois, les gettnes naturels du vieillissement et

de

la dissol

~ o ~ t plutôt la nourrir de soi; et voici que l on rejoint insensibl

l ava.Lent autrefots méconnue ou récusée. Comparés à eux, nos contemp

d un horiz

on

historique et géographlque plus vaste (ce qui souvent ne s

les frontières du pastiche); ils

se

fo

ot

surtout beaucoup plus volontiers e

et. formaljstes que leurs

de

vanders (ce qui, non plus, n'est pas toujour

S'Ils _Prétendent é tonner

là où ceux-ci s'empressaient de plaire, cela ne su

en différencier profondémen t, et s'ils cultivent laJormt ~ ~ r e plutôt que

l i

slljtt

intlrru111tt

le

résultat qu'ils obtiennent est autre quant à. l'effet, mais

à

la valeur, car la forme sans contenu est tout aussi absurde, au point de

absurde enctement dans la meme mesure que le contenu satlS forme. L'

est celui qui sépare la peinture possédant encore un sryle de celle qui l

p o s ~ e

plus aucun;

et

rien n'empêche d en manquer ég2lement, que l

carrelages comme feu M Mondrian ou des cardinam: comme feu M. Roy

Plus ça

change

et plus c'est la même chose; ce sera un jour l'épitaphe

d

Tout y est agité et stagnant i la fois, varié à l'infini et tristement uniform

l an de l'Antiquité linissante, les variations, les engouements successifs

pas

dans une suite intelligible, et le même déséquilibre intime .bit échoue

plus divers. L'artiste et son public sont tous deux omniscients

et

omnivo

Y regarder de près chacun

bsse

son choix et prétende à l'originalité la pl

peu loin c'est

la

monotonie du n'importe comment à propos

de

n'imp

p r ~ s

se contredisent, les esthétiques s'affrontent, les grands noms

du

de féuches ou de repoussoirs, mais tout cela ne tire pas à conséquences,

s ~ l e

conséquence grave s'ensuit: l'artiste finit justement par ne se souc

u q u ~ et de p ~ d é s , il applique des recettes, il e s p ~ r e arciver à la forme

D

sut

trop b1eo que telle Madone nous plaisait parce que les couleurs

~ u n e

certaine façon et que 13 construction pyramidale y était d une réus

il

nous ressert la pyramide et l'accord, dûment encadrés, quitte à n ous trai

si nous lw demandons des nouvelles

de

la Madone. Maltte, rassurez-vou

j

la Fomarina en ch2ir et en os, que nous réclamons, c'est seulement ce petit obstacle entre

la

petfection et vous-m me que

yous

avez aiminé et sans lequel vos o r m ~ et vos couleurs

ne

nous

émeuvent pas et ne peuvent

plus

que

nous

plaire ou

nous

déplaire. Croyez-

voos

que l'on puisse sans dommage abstraire de l'œuvre

d'art

tout ce qui est

art et

jeter par

dessus bord le reste? C'est l e

vrai

problème de l'art absw.it.

Ce problème est posé de travers par

la

critique actuelle et

le

terme

m ~ m e

d'abstrait

n'est

pas heureusement choisi s'il

doit

désigner

tout an

qui s'abstient de teprésenter

les objets

du monde

visible.

Dans

le passé, lorsqu'on

s'en

est abstenu,

ce

n'était jamais

par désir d'abstraire quoi que ce soit de quelque chose d'autte; on

l 'a

fait en dehors de

toute

analyse esthétique. L'abstention, en soi, n'est pas

un

vice, mais elle

peut

resulter

~ b r e s

ou des fruits,

c'est en

les dévêtant de

tout

ce qu'ils

peuvent

représente

1 o ~ e en tant qu'éléments d 'un monde qui est aussi le sien; et quant aux form

ne i figurer aucun objet, elles ne

sont

pas

non

plus, chez eux, symboliq

expresstves. Toute

forme

acoeptée par eux

ne

l

'est qu

'

en

vertu de sa valeur d'ag

ou

~ e m e n t

Et e

ne

parle

pas

des pires

d'entre

eux,

mais

des meilleurs. Henri ·

avatt éC:Ot en ~ 9 0 8 • ~ s t ~ d o i ~ se

~ d r e

compte, quand il raisonne, que son

est a c ~ c e , mru s quand il petnt il don avotr

ce

sentiment qu'il a copié

la

nature. Et

quand

s'en

est écarté il

doit lui

rester cette conviction

que

ce n'a

été

que pour

la

plus complètement. • Le

r é ~ t e

es_ sage, mais quarante ans plus tard

ce

n'est pas

sagesse-là que semble a ~ u t 1 r M a t i S ~ . Des photographies exposées récemment

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7/21/2019 La Licorne

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en un

grand

appauvrissement. Veut-on des

arts putement

ornementaux, comme ceux de

l 'Islam, et

une peinture

confinée à l'arabesque? Ce serait désavouer trois mille ans d'art

européen, car celui du moyen âge (l'a-t-on oublié?) n'a été nullement i c o n o c l a s t ~ (ou

bien est-on allé jusqu'à confondre absence de « réalisme » et manque de représentatio

n?)

Mais

il

ne

s'agit pas

de

cela.

Nos

peinttes

ne

s'interdisent pas

de

représenter

le monde;

ils s'en désintéressent,

mème

lorsqu'ils le représentent, - ce

qui ne

re

vient

point

du

tout au mème - et

ne

se préoccupent jamais que

de

leur tableau. C'est pourquoi il n'y a

aucu ne <illférence de principe

entre

les œuvres peintes ou sculptées de cotte

tetnps

censées

devoir

représenter ceci ou cela et celles qui se targuent de ne représenter rien du tout;

les premières devraient s'appeler comme s'appellent souvent les secondes : • Etude de

volumes • ou c Composition colorée n°

»,

car c'est bien

cela

le vrai titre

de

ce

qu

'on a

intitulé p r habitude • Porw.it de M. Durand ,. ou « Vue de Venise"· Un vrai porw.it,

un

paysage véritable demandent

une

affection,

une

humilité, dont l'art d'aujourd'hui,

absw.it

ou

non,

a fait abstraction depuis longtemps. Et lorsque

cet art

ret

ourne à

l'objet •, comme il

l 'a

fait vers 1930 avec la « Neue Sachlichkeit • en Allemagne, ou dans

cert in courant de peinture internationale patronné plus

ou

moins par les surréalistes,

c'est pour

ptendre

cet

objet en

haine et en décision, poursouligner d'une façon sarCISti

que

son objectivité même (c'est-à-dire

son

inéductibilité à un simple

état

de conscience) et,

si possible,

le rendre par l

rréel, factice, fantomatique. Le mariage

de la

forme

et de

l'objet

n'

est, dans

ce

cas,

qu'un

mariage

de

raison,

et

malheureux

par

surcrott;

on

ne voit

donc pas

pourquoi

il ne serait pas permis d'opter pour l

eur

divorce pur et simple.

«

Pour plaire et charmer, il ne faut pas seulement

qu

'il y ait de

la

chose, il faut encore

qu'il

y

ait

de l'homme.

Nous

dirions plutôt: pour émouvoir,

pour SÎflÙJitr

pour accéder

à la plénitude de ce que peut être l'œuvre d'art; mais dans l'essentiel il faut convenir que

Joubert a vu juste, à condition de ne pas l'interpréter d'une manière

trop

étroite. n y a

de l'

homme

dans

une p&he de

Chardin, dans

un arbre

de Corot, et aussi dans

un

chapiteau

ionien

ou

dans

une page

omemenréedu ook

o Kt/IJ

Par

contre il n'y

a que

de la

chose

dans l'image même de l'homme, telle que nous l'off:rent la plupart des sculpteurs et des

peintres

d'aujourd

'hui. Si ces derniers condescendent à faire figurer su:r leurs toiles des

u 6

montrent les étatS successifs de cenatns de ses tableaux indiquent

non

p s

le

d

• rendre

plu

s complètement • quoi que ce soit, mais

plutôt une

série de

d ~ m a r c

s ~ s

c ~ n t r a i r e ,

un

e volonté d'extraire de l'objet telle arabesque liné:lire, tel éclat

qw,_om de le

~ r é e r , _

se substituent à lui et é ~ t i s s e n t . l est vrai qu'un anéantiss

~ ~ e l

s:

r ~ u 1 t

tOU o u r ~ ,

m ê ~ e

dans l'œu;re la plus « réaliste,, mai s ici il est co

l'obJet n d autre se_ns

qu

esthénque, son existence

est

lpuùlt par le tableau. Et cepe

art de

ce pemtrc se

rattache encore i

la

tradition stylistique française

don

l'un des derruers représentants. A l'intérieur même

de

celle-ci Manet et Degas fai

déjA l'abstraction

par

rapport

à

Corot ou à Courbet;

seul;ment

ils

en

étaient

~ o n s c e n ~ s

que l'est

~ i a t i s s e _ a u j o ~ d b u i , _

et

~ ê m e qu'il ne l'était en 1908. L'esp

b s t r a e t l o ~ a v a ~ t

été déJà celw

de

liDlpressJo

nmsme;

ce qui

est

nouveau chez les cu

et leurs

~ o u ~ r s

direct

s,

c'est qu'il a fait,

un

e fois de plus,

retour sur

soi-même

et

s'e

désomws moms sur les éléments de

la

nature (comme chez Matisse) que sur les pro

de l'a .tt.

Cette

a ~ s t r a c t i o n

r e d ~ u b l é e , son résultat est-il

un

art spiritualiste (dans le sens

du

de Baudelaue:

~ e s ~ m ~ b e s q u e

est le plus ~ i t i t u

a l i s t e

d C:S dessins •)?

Null

e

croyons-nous, s1 1 adJectif n est pas conçu comme 1dennque

i

• mtellecruel o

ou

à , d

carné •. l n

art

au_thentiquement

voué

au culte de l'Esprit, comme celui du moyen

ren_once,

il

est vr:u, à teprésenter la w r e à la manière de l'

art

moderneou de l'art an

m a ~ s

ne renonce aucunement

à expnmer

un contenu humain,

ni à

utiliser i

cene

f

f o r ~ e s naturelles dûment transposées dans un registre supérieur et puriliées de

c o n u n ~ e n c terrestres. La signification , pour lui, prime l'apparence, mais il est bien

de

s a c r ~ e r

les deux à

c e r ~ i n :

rapports. purement formels.

N'est

abstrait

que

l'art

qu

a c n o ~

de t

out

cc qu• n est pas 1art,

ct

c'est

pr

écisément

à qu

oi tend la pei

m o d e ~ e , m d ~ d a m m e n t de ce q u ~ U e s'abstient ou non de représenter une orang

une ~ t a r e

_

S•

elle ou la sculpture

reoent

la forme humaine, c'est seulement parce qu

en

_me parti ( ~ t h é t i ~ e m e n 9 .

Or,

croyez:vous que les sculpteurs de Chartres

n

v n u m e n ~ que

ltrl p rtt

des

SUJetS

de l'Ecriture,

ou

Rembrandt -

et Rou

ault -

de

la

du Crucifié; ou Vermeer de ce vase

de

Delft et de cette écorce de citron, ou Cézann

21 7

la montagne Sainte-Victoire? T n en est rien, et les docteurs qui vous l ont enseigné

n ont pas saisi

~ a n d c h o s e

du mystère de

l

creation. S il est vrai que l artiste doit se

détacher de l objet au cours de son travail, fin de ne pas laisser s y engluer son œuvre,

il est vrai aussi qu il

ne

produira rien qui vaille, si tout d abord l

ne s y

attache, non pas

seulement avec tel instinct,

tel

don spécialisé, m is avec son humanité entière: de toutes

ses forces et même de tou te sa faiblesse.

T est une vérité qu il aura été réservé

à

notre temps de rendre évidente : cherchez

l art seul, et vous n aurez pas d art.

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Tbéopbi e

p r

HENRI THOM S

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L

condamnation

du

poète p r l vie, le guignon au '' rire inouï (Mallarm

comme chacun sait, d'invention assez récente. l ne convient pas de les évoquer à

de

Théophile de Viau. Son talent ne réclamait pas les difficultés pour mûrir, et

trouvaient pas dans son caractère les profondes complicités qui transforment

l

m

en destin. Son heureux naturel reprend le dessus dès que l'existence pourchassée

rompt un peu, et malgré les plaintes et les cris de détresse, l'œuvre reste assez indép

des tribulations de l'homme. C'est pour s'être senti trop à son aise dans la vie,

e

dit, et avoir tenté, par une gértérosité spontanée, de communiquer à d'autres son

tement,

Comme u cœurs

se

plaisent l amour,

Con11ne

lesyeux sont

aisés

d un be

ar

jour,

Comm

e

l l

printemps tout l Univers

recrée,

que Théophile a choqué la société qui l'entourait et effarouché jusqu'à ses partisan

La société le met machinalement en prison, et voici se dérouler

l  énorme mite

de

malheurs

qui

l

poussera de refuge en refuge, usera

sa

santé

et

donnera à la

fin

de sa court

caractère hagard et miteux particulièrement inadmissible dans le monde auquel

attaché, auquel l demandera obstinément son pardon et son retour

en

grâce.

es

et ses lettresde prisonnier sont souvent d un style admirable;

ils

ont la fermeté de Malherbe

et un frémissement que ce dernier n a pas :

Mail,

l'heure,

qui la ltl l l savoir?

Nos m a l b e ~ ~ r s

ont

certaines co11rses

Et des

flots

dont

11

ne pmt voir

Ni les limites

ni

les sottrces.

Die11

se11l connall

changement,

Car

l'esprit ni

le

j

  gement

Dont

nous a

po11r11111 la natrm

Quoi que

l'on

vmille

prémr11er

Son cœur

se

soulève de dégoût

à

la laide

ur de

ce qui ·

l

environne : •

J

le respect

queje dois

à Votre

Mf iesté,

l11i

d peindre lu

saletls

et l

orre11r

ni d111ie

dont

j'étais

gardé

:je n'y

avais de la

c/artl

que d'une

petite

chandelle

à chaque

repa

..si ptu t ~ o n ne s a ~ ~ r a i i d ù c e r n e r la voiite d'avec le plancbtr, ni la jenttre d'ave> l

iamais eu de jt11: aussi

la

vapt11r d11 111oindre charbon, ll't Jant là"dedans .de quo

étlun poison . Mon lit liait de t

elle

disposition que

l

11miditl de l

ssielle

et

la

paille

y engendraient du vers et

autres

animtJHX qu'il me fallait éçraser à

toNte

h

ton des épîtres et suppliques où il tente de

se

justifier. e danger qu il c

et ptessant; il n évita sans doute que de justesse le b(lcbe.r. Villon lui-mê

être pas été serré de si près par la justice humaine, et l

es

geôles de Verla

attestent l adoucissement des mœurs, comparées aux ténèbres de la grosse t

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N'tl/fend pas piNs notre aventure

Qtlt le seçret

j/11x

de

la 111er.

son frère.)

Il ne fait

pas bon visi

ter

Ce/11i rpi

sait

si bim chanter,

Car

l'artifiçe

de

l e1111it

Ne salirait

tro1111er

tm to1nbea11

D o t ~ son esprit totfiortrs pl11s beau

Nt rttJitlll/e encore à

la

vie.

(Ode VIII.)

On songe parfois à une navrante complainte populaire :

Tout

mt

quitte, la lvhue

est

prise

Et

le bruit

de

tant de verrorts

Me choqt1e la

voix

et la brise.

Ailleurs, son lyrisme s altère d une note étrange:

Dim,

q11e

c'eslutl tontentemmt

Bien do11x

à la

r

aison

lmtnaine

Qrte d'exhaler si

doucrnmtl

La Wuleur que nous fait

la baille

1

Cependant les divertissements tristes de Villon, les méditations familiè

ont un accent de vérité qui manque bien souvent à Théophile. Il ferait p

poèmes de prison d

 A

pollinaire.

On

a bien l impression

qu

 une bonne pa

Théophile et

de

s

es

écrits sont

le

résultat d une sorte de mimétisme v

vaguement voulu, compliqué de dégoih.

Il

est certain qu illui fallait grim

ses

sentiments, sous peine des plus grands châtiments. e souci de justif

pour

se

défendre jette son esprit dans une confusion dont il ne peut se gu

donnant la. ustification pour s amuser à cette

Histoire

Comique où

se

révè

l

 i

rinocence que

les

juges ne savent voir :

« J'aime un bea11 jour,

des

fontaines claires,

l'aspect

des monlaflles, l'étem

plaine, de

belles

Jor ts; l'Océan, ses vagues, son calme, ses rivages; j'aime encort

pl11s partiCIIIiirenJent

lu

sms; la musique,

les / e ~ ~ r s ,

les

bea/IX

habits, la

chasse, l

les·

bon1us

o d e ~ ~ r s , la bonne chère;

mais

à tout ct/a mon disir ne s'attache

q t ~ e pou

point

po11r

se travailler .. »

La véritable défense de Théophile est dans ces lignes et d autres sem

les

juges, ni Théophile lui-même, n estiment ce plaidoyer suffisant.

L'A

par lui-même u

se

d autr

es

arguments :

«

JeJais projmion

partiCIIIitre

et

p11bliqllt

de

chrétien catholique

r

omai

n;

e

je

tomm

tmie,je

me

confesse; le ptre S

lgNira

n, le père A thanase elle père AubitP.

i e ~ 1 1 e aux

o11rs

maigres et, le dernier

carime,

pressé d' me maladie où les

mlderins

donner pour l'opiniâtreté

qu

e 'avais à

ne

point manger de viandes,je j11s

contrain

dispense,

de

peur

d'itre coupable de

ma

m

ort

.. Je n'allègue point ceti par une

vafl

par

la

nlmsitl d

'un pauvre

accNsi

qui

ne

publie

sa dévotion

q t ~ e

p o ~ ~ r dklarer son

S il y a là duplicité, il serait injuste d en rendre Théophile entièrem

Il

est plus probable que l angoisse rendait,

à de

tels moments, son chris

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pas moins gagné

la

partie; Théophile dépérit physiquement

et

sa renommée s éteint. La

Société élimine celui qui la prend à

la

légère, y circule sans se fixer, met dans les esprits

des pensées - ou des absences de pensées - qui n ont que faire de l ordre raisonnable.

Théophile est de ceux-là : peut-être le seul esprit vraiment

/Iger

de son siècle, par lui

le mot grâce désigne autre chose qu une opération de Dieu

en

l homme, une qualité du

cœur

et

de l esprit, sensible dans le langage. L ordre des Cours

et

des Tribunaux, les Cou

rumes, les Credos, perdent de leur importance dans la lumière

où le

poète les aperçoit;

ils ne cessent pas d exister, la scène qui est partout n est jamais vide, mais ce qui s y passe

ne provoque plus que de la galté, ou une mélancolie un peu folle: impossible d y croire

tout

à

fait. l existe autre chose, un autre monde plus libre derrière tout cela. Théophile

y a son vrai séjour, et si la machine sociale l arrache à cette liberté, il ne cesse malgré tout,

t la gr e a rendu la

terre

Pl

ei

ne

e

palmes et de lys.

Cette tentative sans cesse reprise, qui rend au langage pouvoir

et

ryth

de toutes les facultés, la plus fine raison, la perception des rapports que

grossièrement. Converti en observation psychologique, ce discernemen

il entretient une sensibilité toujours à vif. Si Thoophile a les yeux ouverts

aspects changeants,

l

est capable aussi de percevoir la vie invisible des

doute, dit-il,

Je

n'entends pqint

les lois

ni la f4fon d aimer,

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malgré lui-même, de témoigner pour elle. Dans l intervalle des plaintes et des angoisses,

les visions reparaissent, les mots qui les disen t ne sont plus ceux qui servent à se défendre

et

à attaquer; ils n obéissent plus

qu à

la beauté sans

but

, mais

non

sans

loi:

US

'{/phyrs

Se donntnt

aux flots,

Les flots se

do1111enl à la

ltmt

Les

navires

aux

matelots,

Les

mate/Qts

à

la jorl1111e

(Au duc de Bouquinquant.)

Le

pri paraît

en

ses

fouleurs,

La btrglre OHX bamps

r t v e n ~ ~ t

Mouillant

sa

jambe

toute

nllt

Foule

les

herbes

et lts

fleurs.

(Le matin.)

Beaucoup de poèmes de Théophile offrent çà et là de ces haltes magiques devant des

paysages éternellement jeunes :

Les roses, les rofhers, les

ombres,

les rttiueaux ,

Le n u r m u r ~ des vents et

le

bmit d

es

oiseaux.

Le monde qu il décrit alors n est plus

l'ici-bas

du christianisme, mais

l Eden

reconstitué,

brillant dans les interstices des barrières que les hommes

ont

aveuglément dressées.

mais l sait indiquer les zigzags singuliers

de

la vie morale. Ses lettre

c o 1 n i q t ~ t sont semées d observations qui vont loin,

et

il nous a laissé

du

bien curieux portrait. Par certains points, Théophile fait songer à B

certainement goûté. C est bien la même humeur hautaine, l attaque incis

délicatesse la plus rare avec les êtres aimés; ses contemporains nous le m

ment généreux, d une gentillesse presque enfantine. es auteurs du sièc

(pas si vite ni si complètement qu il semble) nous apparaissent, de Boile

curieusement étrangers, lointains,

un

peu mannequins, comparés à cette

vivante, avide de toutes choses exquises ou singulières dans l existen

no

cturne.

Les piedsfailknt

à mon

heval,

Mon laquais tombe du

haut mal,

J'entends

c r a q t ~ t t t r le

tonntrn,

u

arbre

est sorti de sa place

.

Qu il nomme, sel

on

les modes opposées, Natur e

ou

Dieu ces appar

le terme revient avec insistance chez lui), c est bien, à travers ces mots, l 

qui s

ur

git, à la fois insolite

et

rassurant, brisant les conventions de l espr

la poésie ne· inira jamais d explorer

et

de nommer. Théophile est

l un

de cette entreprise; il n a pu surprendre, durant sa courte existence, que

la grande image; mais il est le seul à l avoir fait, de son siècle.

On ne

peut guère irnaginer d époque plus propice que la nôtre

à

d autew:s tels que Théophile Certains siècles se charge nt de pousser

nombre plus ou moins grand d auteur

s;

d autres se sentent le besoin de l

es

remettre

en

lumière. Les premiers sont les siècles où se forment l

es

écol

es,

où l

es

esthétiqu

es

cristal

lisent autour d exemples sévèrement choisis, tout ce qui gênerait leur avènement est

condamné. e xvrn• siède fut résolument oublieux; au point de vue de la doctrine, Boileau

valait mieux que Théophile, et l fallait que la doctrine fût-

On peut imaginer aussi un siède qui ne réhabiliterait que certains aute urs , dont les

œuvres illustrent la

th

éorie dominante; ce fut le cas du premier romantisme: Théophile

reparalt en qualité de grotesque et de pittoresque, image très incomplète.

Notre époque est juste envers for/ln les œuvres, - de

la Chanson dt

Roland à U co p

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de dis   tout

reçoit la même lumière, to

ut

gagne sa place dans l

es

musées de l esprit. C est

qu en effet notre époque ne possède pas une doctrine, une école, mais toutes l

es

écoles;

l

faculté d oubli a fait place à une monstrueuse mémoire.

En

attendant quelque sursa

ut

de la conscience esthétique qui secoue l encombrement

et

permette

l

avènement d

 une

beauté au visage neuf, puisse Théophile appotter son appoint à la délectable confusion,

car « la ro

ut

e de l excès conduit au palais de la Sagesse.

CE TROISIEME CAHIER DE

L LI

CORNE A

ETE

ACI-IEVE D IMPRIMER LE 25

OCTOBR

E

1948,

SUR

LES PRESSES

DE

L IMPRIMERIE

UNI

ON ,

A PARIS.

LE TIRAGE EFFECfUE

SUR

PAPIER

ALMA

DU

MARAI

S,

A E

TE

LL11TE A 1 . 1

00

EXEMPLAIRES,

NUMEROTES DE

r

A

1. 1

00

EXEMPLAIR

E

58