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Théorie et terminologie àpropos des concepts de contiguïté et similarité Author(s): Georges Mounin Source: La Linguistique, Vol. 21, Fasc. 1, La Linguistique Fonctionnelle (1985), pp. 37-45 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248947 . Accessed: 14/06/2014 22:31 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.60 on Sat, 14 Jun 2014 22:31:30 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La Linguistique Fonctionnelle || Théorie et terminologie à propos des concepts de contiguïté et similarité

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Théorie et terminologie àpropos des concepts de contiguïté et similaritéAuthor(s): Georges MouninSource: La Linguistique, Vol. 21, Fasc. 1, La Linguistique Fonctionnelle (1985), pp. 37-45Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248947 .

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TH1ORIE ET TERMINOLOGIE A PROPOS DES CONCEPTS

DE CONTIGUITE ET SIMILARITI

Georges MOUNIN

J'imagine qu'aujourd'hui tout le monde est - ou pourrait etre - d'accord sur la definition des concepts de module, de systhme et de theorie. En linguistique, si module fait toujours allusion B quelque chose de bien formalise, au sens logique et

math6matique de ce dernier terme les concepts de systeme et de theorie sont souvent trbs proches d'etre synonymes. Systeme couvrira generalement la description et l'explication, par une structuration complkte, des ph6nomtnes d'un domaine donn6 forcement empirique au depart. Thdorie, en plus, inclura les prin- cipes ou fondements, les methodologies qui permettent la cons- truction du systeme.

Ce qui nous retiendra ici, c'est qu'une th6orie doit etre a la fois

coh6rente (c'est-?a-dire qu'elle ne doit pas contenir de propositions logiquement contradictoires), adequate aux faits fournis par le domaine A l'6tude, et si possible exhaustive. Ces exigences ont comme consequence obligee que toute theorie digne de ce nom postule une terminologie rigoureuse. A son tour, cette exigence suppose la definition explicite et univoque de tous les termes premiers ou sp6cifiques, de tous les postulats, axiomes et regles utilisis. En ce sens, on peut dire que Bloomfield et Hjelmslev ont tente de construire une vraie theorie linguistique; la chose est beaucoup moins sfire pour Chomsky1.

Nous choisissons d'illustrer ces rapports entre theorie et ter-

I. Cf. Georges Mounin, La Linguistique du XXe sicle, Paris, P.U.F., 1972, p. 189-224, et notamment 216-220.

La Linguistique, vol. 21, 1985

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minologie par un exemple interessant. D'abord parce qu'il est fourni par Roman Jakobson qui a revendique et tenu toute sa vie une place eminente comme theoricien en linguistique. Ensuite, parce que son exemple bindficie aujourd'hui d'un recul histo-

rique d'un quart de siecle, et qu'il evite ainsi au maximum les

risques inherents a la polkmique entre vivants. Enfin, parce que cet exemple a ete mis 5 l'apreuve en psychiatrie et en litterature.

Dans son article-somme2, Jakobson part de trois postulats : le

langage a < un double caractere >> (p. 45), il posshde < deux modes d'arrangement c des signes (p. 45), il est done structurable selon < deux operations >> : la < selection >> et la << combinaison >>

(p. 48 et 49). Rien de tout ceci ne nous loigne de la pensee de Saussure qui en est l'origine - sauf deja la terminologie (arran- gement, silection, combinaison) qui peut avoir ete determinde par le fait que le texte original de Jakobson a ete prononce puis ecrit en anglais americain, mais retraduit en frangais mot a mot par Ruwet.

Ce fait de traduction concerne certainement le cas du concept et du terme << selection >, celui-ci courant depuis Bloomfield.

Jakobson le definit comme l'aptitude a choisir une unite dans un stock de signes tenus en reserve, dans le < tresor lexical >> (p. 46). On retrouve ici le < tresor interieur qui constitue la langue >> selon Saussure (Cours, p. 17I). Ce stock d'unitis s'organise selon des << relations c [c'est toujours Saussure, qui dit cependant plus volontiers < rapports )> (ibid.)]. Jakobson definit ces modes

d'arrangement comme un ensemble d' < unites associees dans le code c [de la langue] (p. 48). Il s'agit bien l1 des << rapports associatifs c du Cours (ibid.) auquel Jakobson renvoie d'ailleurs

(p. 48). Mais il propose aussi dans son developpement d'autres termes

comme synonymes de silection, parlant par exemple de << concur- rence >> entre des < entitis simultandes >> (p. 46, 48), ce qui intro- duit dcdj un premier glissement par rapport

' Saussure. Ce dernier ne parle en effet de 1' << axe des simultanditis >> (Cours, p. 115) que pour definir les rapports synchroniques et les opposer aux < rapports de succession >> (ibid.), diachroniques. Jakobson parle egalement de relations de << substitution c (le terme vient de

2. Roman Jakobson, Essais de linguistique gnetrale, Paris, Ed. de Minuit, 1953; ainsi que Questions de poitique, Paris, Ed. du Seuil, 1972.

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Concepts de contiguzftd et similaritd 39

Bloomfields, il est synonyme de cc qui deviendra la commutation chez Hjelmslev), (p. 48, 51, 61). Il parle aussi d' << alternation >>, ce qui montre bien qu'il s'agit de sdlection, c'est-8a-dire des choix

qu'on appellera plus tard paradigmatiques, entre << termes alter- natifs > (p. 48, 49).

Ces termes, unis dans la memoire par les rapports associatifs de Saussure (qui les appelle aussi des << series mnemoniques vir- tuelles >>), se voient de plus presentes comme des < termes relies entre eux par diff6rents degres de similaritd >> (p. 48). Ici, le glissement est beaucoup plus grave car, ainsi qu'on le verra, Jakobson oublie en cours de route que ces rapports de << simi- larit >c peuvent n'etre que phoniques (Saussure cite alors : ensei- gnement, clement, justement, etc., Cours, p. I75) ou morpholo- giques (cf. enseignement, changement, armement, etc., ibid.) aussi bien qu'etymologiques (enseignement, enseigner, ensei- gnons, etc.) ou simantiques (enseignement, apprentissage, edu- cation, etc., ibid.). Enfin, ces rapports de similarit6 sont definis comme une << relation interne >> des termes relies dans le code.

Nous sommes donc en presence de six termes ou expressions (selection, concurrence, substitution, alternation, similaritY,

rela- tion interne [au code]) pour designer ce que tout le monde appelle les rapports paradigmatiques (dans le code) entre unitis linguistiques. Unites qui peuvent figurer au meme endroit d'un contexte donne et qui, au moins dans ce contexte, s'excluent mutuellement (au meme endroit ou dans des positions fonction- nelles iquivalentes; autrement dit, des unites qui possedent non pas les memes distributions, mais les memes compatibilitis avec telles ou telles unites du contexte : une bonne bire, une petite bi"re, une grande biere, une triste biere, une sale biere - mais une excellente biere ou bien une biere excellente, une mediocre biere ou une biere m6diocre, et aussi une biere chore, etc.).

Il faudrait ajouter d'autres termes a ceux que Saussure cite, bien vus par les psychologues du langage : les mots qui ont la meme initiale, la meme finale, le meme nombre de syllabes, etc.

(cf. les travaux de John Deese) 4. En fait, Saussure avait poussi son

3. Leonard Bloomfield, Language, 1933; trad. frang., Paris, Payot edit., 197o. 4. John Deese, The Structure of Associations in Language and Thought, Baltimore, Johns

Hopkins Univ. Press, 1966. Voir aussi : G. Mounin, Structures du lexique et defaillances de m6moire, dans Linguistique et philosophie, Paris, P.U.F., 1975 (P I157-168).

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analyse des << rapports associatifs c beaucoup plus loin que l'analyse de ce que nous nommons tous aujourd'hui en phonologie, en morphologie et en syntaxe, des rapports paradigmatiques. C'itaient < des groupes au sein desquels rbgnent des rapports tr6s divers >> (Cours, p. 171); qui, c par un c6to ou un autre, ont tous quelque chose de commun entre eux >> (ibid., p. 171, 173) [<< commun >> n'est pas ici un synonyme de globalement semblable : farine et fiodalitd ont en commun /f/ a l'initiale; bouteille et pareille, la rime en /ej : Saussure parle alors expressiment de << la simple communauti des images acoustiques >> (ibid., p. I74)]. Il note aussi qu'il y aura << autant de series associatives qu'il y a de rapports divers > entre les entitis (ibid., p. 173). I1 ajoute meme qu' << un mot quelconque peut toujours 6voquer tout ce qui est susceptible de lui etre associk d'une manire ou de l'autre c (ibid., p. 174) - ce qui contenait peut-etre en germe le concept de connotation tel que l'a difini Martinet.

La definition du concept de < combinaison c permet de faire des observations analogues. Jakobson le definit d'abord comme le < mode d'arrangement >> ou 1' F operation >> qui &tablit des << rapports entre les unites dans l'Cnonc )> (p. 45, 48), c'est-a-dire les < associe > dans le message, dans la parole, dans le contexte (p. 48). Mais il utilise aussi le terme de << concatenation >>

(p. 46, 48) entre << unites successives >> (et le mot ici n'a rien a voir avec 1' < axe des successivites c saussuriennes). Il parle encore de rapports de c contexture >> (p. 50, 58, 61), ou de <<juxtaposition c

(p. 49), qui conf6rent a cette operation de combinaison un << statut de contiguite >> (p. 48), terme qui, comme on va le voir, conduit a des glissements semblables a ceux qui naissent du terme de similarite. Le gofit du binarisme enracine chez Jakobson le

pousse enfin a dffinir la relation de combinaison comme un << rapport externe >> (p. 55). On peut ne voir 1l qu'une passion fourvoyante pour la symitrie, totalement improductive : car enfin, si les rapports de silection sont internes (dans le code), ils sont ~ externes >> l'Fnonce; tandis qu'a l'inverse les rapports de

contiguitY, s'ils sont < externes >> par rapport au code, n'en sont pas moins << internes >> dans l'Fnonc6. Tout ceci certes n'empeche pas de reconnaitre ici les << rapports in praesentia c, ou << rapports syntagmatiques presents dans une serie effective c [un inonce ou

fragment d'enonc6] prdlev'e sur o la chaine de la parole >>

(cf. Cours, p. I70-173). Jakobson renvoie d'ailleurs explicitement

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a Saussure (p. 48). La aussi, nous avons done rencontre une demi-douzaine de synonymes.

On peut penser, dans un premier temps, que ce foisonnement

terminologique n'est pas grave en soi, meme s'il est inutile, meme si l'on peut regretter que Jakobson n'ait pas adopte le couple pratiquement universel : paradigmatique/syntagmatique. On peut penser aussi que cette analyse philologique serree de son texte ne porte que sur des vetilles - mais ce texte a et6, en son temps, fondamental. On peut porter les deux erreurs de lecture concernant le texte de Saussure au compte de l'extraordinaire agilite intel- lectuelle de Jakobson, de son penchant pour les rapprochements intuitifs, rapides, de sa tendance aux extrapolations brillantes.

Vingt-cinq ans d'histoire de la linguistique montrent aujourd'hui que ces glissements terminologiques entrainaient des fragilitis theoriques qui ont co~ite cher.

Si l'on prend le concept de << contiguitc >>, on apergoit qu'il est dlargi arbitrairement par rapport au concept de relation syntag- matique (des unites dans l'enonce). Il faut par exemple qu' << une forme de contiguite, note Jakobson, existe entre protagonistes de l'acte de parole pour que la transmission du message soit

assurie >>. C'est vrai, mais cela n'a rien a voir avec l'axe syntagmatique. Il y a plus grave que cette confusion : << On peut prevoir que [...] tout groupement semantique sera guide par la contiguite spatiale ou temporelle... >> (p. 55). Nous sommes alors en pleine indistinction : les rapports paradigmatiques (<< groupes semantiques >>) seraient done a verser sur l'axe syntagmatique des contiguites ? Le mot contiguFtd ne veut plus rien dire. Insistons. La << contiguite >> simantique d'enseignement avec iducation n'a rien a voir avec la << contiguit6 >> des rapports syntagmatiques entre unites dans un enonce. Quelle contiguite << spatiale ou tempo- relle >> (p. 55) peut-il bien y avoir entre : bikre allemande, belge, alsacienne, alcoolisee, blonde, brune, Mlgbre, imbuvable, etc., qui forment un groupe fonctionnel paradigmatique de par la

compatibiliti syntaxique de chaque adjectif avec biere, et non pas un groupe semantique ? Aucune. Plus grave encore : << Les mots derives de la meme racine, tels que grand, grandeur, gran- diose, etc., sont semantiquement relies par contiguitc >> (p. 58). Evidemment. Mais cette << contiguite >> n'a rien non plus d'un rapport syntagmatique (dans 1'Cnonce). La confusion entre les deux << modes d'arrangement >> devient totale. Elle l'est, si l'on

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peut dire, encore plus dans cette affirmation : << Un paradigme (en particulier la sdrie des cas grammaticaux tels que, en anglais, he, his, him, ou des temps tels que il vote, il vota, etc.), offre le meme contenu simantique de diff6rents points de vue associds par contiguite >> (p. 58).

Enfin, toujours pouss6 par son binarisme irrepressible, Jakobson propose une extension de sa theorie au domaine de l'analyse litt& raire : ici, la contiguitd, ce serait la prdponderance de la meto-

nymie. << Les realistes >>, dans leurs descriptions des d6tails juxta- poses de proche en proche, procederaient en << suivant la voie des relations de contiguite >> (p. 63). Au contraire, la mitaphore, instrument privilegid des poetes, serait un produit de la similarite

(ici Jakobson passe de la << similarit >>c paradigmatique a la << similitude >> et a la << ressemblance >> tout court [p. 55], ce

qui permet de bien saisir le micanisme de ses glissements termi-

nologiques). C'est d'ailleurs le seul point de son expose oih il

apergoit quelque chose des risques de sa demarche, mais a quoi il ne s'arr&te pas, parce que cela detruirait toute sa construction terminologique. Il note que dans la hutte a bru'l, il y a contiguite entre hutte et brle'6 sur l'axe syntagmatique (donc contiguitt positionnelle syntaxique) - tandis que dans la hutte est une petite maison, il y a la fois, entre hutte et petite maison, contiguite syntagmatique (syntaxique) et similarite simantique (paradig- matique), ou, dit-il aussi : << contiguitd semantique >> (p. 62). Mais que devient l'opposition entre les diveloppements par contiguit6 (metonymie) des realistes dans le roman, et les dive-

loppements par similaritd (mitaphore) chez les poetes : dans

L'expiation ou dans Aymeri de Narbonne chez Hugo, dans Le

phinomine futur chez Mallarm6, dans Les chants de Maldoror, etc. ? Comme on voit les glissements qui concernent le terme de simi- larit6 ne sont pas moins fourvoyants que ceux qui concernent le terme de contiguite.

Avant de conclure, il nous faut examiner la tentative la plus recente d'interpreter positivement la construction terminologique jakobsonienne qu'a proposee le pr Rend Tissot dans son ouvrage Fonction symbolique et psychopathologie (Paris, Masson, 1984). Pr&- sentant les points de vue oppos6s de Jakobson (les tropes sont des transferts de signifids) et de Lacan (les tropes sont des transferts de signifiants), Tissot fait d'abord preuve de beaucoup de

prudence et dit que << dans l'une et l'autre de ces theories,

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Concepts de contiguiti et similarite' 43

l'honnete homme se heurte a beaucoup de contradictions o

(ouvr. cit., p. 27); et que la tradition (qu'il suit << de Bossuet &

Jakobson en passant par Littr >>) < ne vaut probablement pas mieux que l'originalite a tout prix de Lacan >> (ibid., p. 29). Mais il semble avaliser les exemples de Jakobson, tout en

nuangant beaucoup les formules rigides de celui-ci sur la mita- phore et la metonymie. Tissot parle alors de < preference >>

(p. 27) et de << pridominance >> (p. 29) pour l'un ou l'autre de ces proced's chez les r'alistes, les romantiques, les cubistes et les surrialistes. Il conclut cependant : < Mais les micanismes evoques sont-ils exacts ? > (ibid.).

En fait, il s'agit surtout, pour Tissot, de rapprocher les formulations de Jakobson sur la metaphore et la mitonymie de celles de Piaget sur l'assimilation et l'accommodation. La meita- phore resulterait d'un << dplacement de 1'6quilibre assimilation/ accommodation au profit de l'assimilation >> (ouvr. cit., p. 33), tandis que la metonymie proviendrait d'un << dplacement de

l'Iquilibre assimilation/accommodation au profit de l'accommo- dation >> (ibid., p. 34). Rappelons que chez Piaget, dans l'assimi- lation, << les objets perdent leurs propridtis et leurs frontieres : ils se confondent avec le sujet >; tandis que, dans l'accommodation, c'est le sujet qui perd ses frontieres au profit des objets (ibid., p. 72).

Il est possible, et meme probable - bien que le linguiste ne se sente pas qualifid pour en juger - qu'il existe une certaine

homdomorphie des oppositions m6taphore/mitonymie et assi-

milation/accommodation. Mais les exemples apportis par Tissot, qui cadrent avec le moddle de Piaget, ne 1event pas les objections qu'on a faites "

propos du couple de Jakobson. Dans une phrase de psychopathe comme : << Il s'en imana un diment aimante par emanation >>, on ne saurait parler de mitonymie au sens rheto-

rique ou stylistique ou linguistique du terme, quelle que soit la

difinition large (englobant la synecdoque) ou 'troite qu'on en donne. Emana, diment, aimant6, imanation (qui sont lids par des

rapports syntagmatiques ici) sont tout au plus lies aussi par un

voisinage, ou une contiguite phonique, qui n'a rien "a voir avec la mitonymie; pas plus que des a-peu-pres comme dis-

pers6 > dix-percd ou je persivere > je pere-sivere, ou des lettres de schizophr nes << constitudes de la meme proposition indefiniment rdpetee >>(ibid., p. 69-79).

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On saisit bien ici le danger represente par le fait de proposer comme synonymes syntagmatique et contiguftd, car ce dernier terme recouvre, repetons-le, toutes sortes de voisinages ou, comme disait Saussure, de rapports associatifs. On peut penser que la

rdcuperation du couple jakobsonien n'ajoute rien ' la construction

conceptuelle de Piaget, suffisamment convaincante a elle seule. Par exemple, dans la suite metonymique < Je suis heureux de vous accueillir a la maison >> (ou : sous mon toit, a mon foyer, dans mes murs, etc.), la serie associative de type mitonymique maison, toit, foyer, murs constitue un paradigme semantique. Et

quand Hugo parle du dieu, du moissonneur de l'Cternel ete, de la faucille dans le champ des etoiles, on ne saurait dire, pour la suite moissonneur, faucille, champ, qu'il y ait assimilation au sens de Piaget, c'est-a-dire d'absorption du sujet (Hugo) par les objets. Tissot parle justement, me semble-t-il, en divers endroits, du point de vue de Condillac, pour qui la premiere fonction des tropes est de designer les choses qui n'auraient pas de nom, d'une fonction

primitive done de nomination (ouvr. cit., p. 25, et surtout p. 32, par une r6firence

. Pierre Guiraud). C'est ce qu'on nomme

aujourd'hui volontier la fonction heuristique et cognitive des

tropes, si sensible dans la recherche etymologique oh l'on voit par exemple passer de la metaphore vivante ' la metaphore usee, puis au cliche, puis

' l'image non pergue d'un terme arbitraire :

le pied de la montagne, le cceur du problhme, etc. En conclusion, le moddle de Jakobson (sdlection/combinaison,

metaphore/metonymie) n'apporte aucun renfort au moddle de

Piaget (assimilation/accommodation). Ce dernier ne gagne rien h etre associe au premier, et il risque d'y perdre sa clarte, son univocite. Certes, Jakobson est un lecteur et un theoricien trop fin pour n'avoir pas apergu les difficultis soulevees par son moddle. Il nuance donc parfois, comme nous l'avons dit, le fonctionnement de sa structure bipolaire du langage : l'opposition podsie- metaphore/prose-metonymie n'offre pas vraiment, dit-il, la cou-

pure absolue proposee par le moddle (Question de poltique, p. 130; Essais..., p. 63, 66 et surtout 243). Mais ces nuances, qui sont sur- tout des repentirs, n'affectent pratiquement jamais I'analyse des exemples illustratifs, et surtout ne lvent jamais les confusions causees par la synonymie entre syntagmatique (univoque) et

contiguifts (multivoques), ni entre paradigmatique (univoque) et similaritis (multivoques). Il est sfir aussi que Jakobson a fait de

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Concepts de contigute' et similarite 45

Saussure une lecture biaisee par ses propres prdsupposes (sur l'axe des simultan6itds et celui des successions, qui n'ont chez ce dernier rien A voir avec l'axe paradigmatique et l'axe syntagma- tique). Le binarisme foncier de Jakobson l'a conduit h de multiples synonymies plus que fragiles h propos des concepts de selection et de combinaison. Nul doute qu'il n'y ait 1l en grande partie la cause de l'dchec du modele jakobsonien, tant en pathologie du langage qu'en theorie de la litterature. Il n'y a pas de bonne theorie sans une terminologie trbs vigilante sur ses difinitions5.

< Le Clotet > Traverse Baret

13zoo Aix-en-Provence.

5. Le texte qu'on vient de lire est issu d'un s'minaire de 3e cycle datant de 1966, repris a plusieurs occasions dans des conferences dont la dernibre a eu lieu a l'Universit6 autonome de Barcelone en 1984. Je me suis rencontr6 sur ce theme avec Pedro J. J. Alber- telli, On Metaphor and Metonymy (Unpublished paper, 1978, 1983). Ce texte, centre surtout sur la conf6rence de Jakobson, Two Aspects of Language and two Types of Aphasie Disturbances (1956, repris dans les Essais), devait paraitre en 1985 dans les Cahiers F. de Saussure.

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