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25 Chronique | Les savoirs enseignants Vivre le primaire | automne 2019 Chronique Les savoirs enseignants - Univers social La longue marche des Québécoises pour le droit de vote _ Bien que le droit de vote et l’éligibilité des femmes aux élections semblent aujourd’hui acquis, il s’avère opportun, par devoir de mémoire, de proposer un portrait historique du suffrage féminin au Québec ; un long combat parsemé d’embuches s’échelonnant sur près d’un siècle. _ C’est avec l’Acte constitutionnel, promul- gué en 1791, que le parlementarisme nouveau permet aux sujets britanniques de 21 ans et plus, propriétaires d’une terre ou d’un bien immobilier, de se prévaloir du droit de vote et ce, sans égard au sexe. Cette disposition ouvre la porte à la parti- cipation des femmes répondant à ces cri- tères aux élections au Bas-Canada. Cette situation, décriée avec virulence par plu- sieurs politiciens et le clergé catholique, amènera les députés du Bas-Canada à abolir définitivement le suffrage fémi- nin en 1849. Les raisons évoquées pour justifier ce retrait sont nombreuses, mais retenons principalement l’incompatibi- lité de cet exercice de la citoyenneté avec le rôle de mère au foyer. _ En effet, selon la logique antisuffragiste, c’est dans la sphère domestique que la femme accomplit son plus grand rôle pour la nation canadienne-française alors que l’homme, davantage détaché des liens familiaux, est mieux outillé émotionnellement à affronter les aléas de la joute politique. Cet argumentaire fera long feu et sera repris ad nauseam afin d’exclure les femmes de la partici- pation démocratique pendant 90 ans. _ Quelques précurseurs de la lutte En Occident, des mouvements suffra- gistes naissent dans la seconde moitié du 19 e siècle revendiquant non seule- ment la participation, mais également l’éligibilité électorale des femmes. Ainsi, grâce à Kate Sheppard et nombre de militantes, la Nouvelle-Zélande devient le premier État souverain à accorder le droit de vote aux femmes en 1893. Emmeline Pankhurst et les suffragettes anglaises l’obtiennent péniblement en 1918 … et exclusivement pour celles de 30 ans et plus. Véritable signe des temps, le gouvernement du Canada accorde le droit de vote aux femmes aux élections fédérales en 1917 en reconnaissance à leurs efforts de guerre. _ Les suffragettes québécoises franco- phones et anglophones, incarnées, entre autres, par Carrie Matilda Derick (1862- 1941), Marie Lacoste-Gérin-Lajoie (1867- 1945), Idola Saint-Jean (1880-1945) et érèse Casgrain (1896-1981), entament le même combat sur la scène provin- ciale. Elles veilleront à faire des repré- sentations incessantes auprès des élus dans le but de redonner aux femmes le droit de vote. À tour de rôle, l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec et la Ligue des droits de la femme feront parrainer 13 projets de loi permettant le vote féminin entre 1927 et 1939, tous battus en brèche. Ce n’est que le 18 avril 1940 que l’Assemblée législative adopte la loi permettant la participation des femmes aux élections provinciales, une des promesses phares du gouvernement d’Adélard Godbout. _ Danny Legault Chargé de cours en histoire Université du Québec à Montréal [email protected] En effet, selon la logique antisuffragiste, c’est dans la sphère domestique que la femme accomplit son plus grand rôle pour la nation canadienne-française alors que l’homme, davantage détaché des liens familiaux, est mieux outillé émotionnellement à affronter les aléas de la joute politique. Références _ Denyse, B. (2019). Repenser la nation, l’histoire du suffrage féminin au Québec. Montréal, Québec : Les éditions du remue-ménage. _ Le Réseau québécois en études féministes (RéQEF). Ligne du temps de l’histoire des femmes du Québec. Repéré à http://www.histoiredesfemmes. quebec/ _ Assemblée nationale du Québec. Par ici la démo- cratie. Repéré à http://www.paricilademocratie.com/ Mlle Idola Saint-Jean/A.J. Rice, Laprés & Lavergne. Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

La longue marche des Québécoises pour le droit de vote · le droit de vote aux femmes en 1893. Emmeline Pankhurst et les suffragettes anglaises l’obtiennent péniblement en 1918

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Page 1: La longue marche des Québécoises pour le droit de vote · le droit de vote aux femmes en 1893. Emmeline Pankhurst et les suffragettes anglaises l’obtiennent péniblement en 1918

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Chronique

Les savoirs enseignants - Univers social

La longue marche des Québécoises pour le droit de vote_

Bien que le droit de vote et l’éligibilité des femmes aux élections semblent aujourd’hui acquis, il s’avère opportun, par devoir de mémoire, de proposer un portrait historique du suffrage féminin au Québec ; un long combat parsemé d’embuches s’échelonnant sur près d’un siècle. _

C’est avec l’Acte constitutionnel, promul-gué en 1791, que le parlementarisme nouveau permet aux sujets britanniques de 21 ans et plus, propriétaires d’une terre ou d’un bien immobilier, de se prévaloir du droit de vote et ce, sans égard au sexe.

Cette disposition ouvre la porte à la parti-cipation des femmes répondant à ces cri-tères aux élections au Bas-Canada. Cette situation, décriée avec virulence par plu-sieurs politiciens et le clergé catholique, amènera les députés du Bas-Canada à abolir définitivement le suffrage fémi-nin en 1849. Les raisons évoquées pour justifier ce retrait sont nombreuses, mais retenons principalement l’incompatibi-lité de cet exercice de la citoyenneté avec le rôle de mère au foyer. _

En effet, selon la logique antisuffragiste, c’est dans la sphère domestique que la femme accomplit son plus grand rôle pour la nation canadienne-française

alors que l’homme, davantage détaché des liens familiaux, est mieux outillé émotionnellement à affronter les aléas de la joute politique. Cet argumentaire fera long feu et sera repris ad nauseam afin d’exclure les femmes de la partici-pation démocratique pendant 90 ans. _

Quelques précurseurs de la lutteEn Occident, des mouvements suffra-gistes naissent dans la seconde moitié du 19e siècle revendiquant non seule-ment la participation, mais également l’éligibilité électorale des femmes. Ainsi, grâce à Kate Sheppard et nombre de militantes, la Nouvelle-Zélande devient le premier État souverain à accorder le droit de vote aux femmes en 1893. Emmeline Pankhurst et les suffragettes anglaises l’obtiennent péniblement en

1918 … et exclusivement pour celles de 30 ans et plus. Véritable signe des temps, le gouvernement du Canada accorde le droit de vote aux femmes aux élections fédérales en 1917 en reconnaissance à leurs efforts de guerre._

Les suffragettes québécoises franco-phones et anglophones, incarnées, entre autres, par Carrie Matilda Derick (1862-1941), Marie Lacoste-Gérin-Lajoie (1867-1945), Idola Saint-Jean (1880-1945) et Thérèse Casgrain (1896-1981), entament le même combat sur la scène provin-ciale. Elles veilleront à faire des repré-sentations incessantes auprès des élus dans le but de redonner aux femmes le

droit de vote. À tour de rôle, l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec et la Ligue des droits de la femme feront parrainer 13 projets de loi permettant le vote féminin entre 1927 et 1939, tous battus en brèche. Ce n’est que le 18 avril 1940 que l’Assemblée législative adopte la loi permettant la participation des femmes aux élections provinciales, une des promesses phares du gouvernement d’Adélard Godbout._

Danny LegaultChargé de cours en histoireUniversité du Québec à Montré[email protected]

En effet, selon la logique antisuffragiste, c’est dans la sphère domestique que la femme accomplit son plus grand rôle pour la nation canadienne-française alors que l’homme, davantage détaché des liens familiaux, est mieux outillé

émotionnellement à affronter les aléas de la joute politique.

Références

_ Denyse, B. (2019). Repenser la nation, l’histoire du suffrage féminin au Québec. Montréal, Québec : Les éditions du remue-ménage.

_ Le Réseau québécois en études féministes (RéQEF). Ligne du temps de l’histoire des femmes du Québec. Repéré à http://www.histoiredesfemmes.quebec/

_ Assemblée nationale du Québec. Par ici la démo-cratie. Repéré à http://www.paricilademocratie.com/

Mlle Idola Saint-Jean/A.J. Rice, Laprés & Lavergne. Bibliothèque et Archives nationales du Québec.