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La médecine entre le malade et la maladie Deux visions complémentaires l'évidence, entre la philosophie, la morale et les principes qui commandent la théorie et la pra- tique de la médecine ancestrale des Africains, des Chinois et autres peuples dit du «Tiers- Monde» et ceux de l'Amérique du Nord. et de l'Europe occi- dentale, il y a une énorme con- tradiction. Dans un article pub- lié dans la revUe « Notes' et Documents voltaïques », bul- letin trimestriel d'information scientifique et technique, N°14 (3-4) de juillet-décembre 1983, et intitulé « Médecine tradition- nelle et scienceshumaines », je concluais en ces termes: «l'Afrique doit mettre fin à l'i- dolâtrie négative des puissances occultes de ses guérisseurs, qui poussent beaucoup de chercheurs à une attitude de contemplation béate,. contraire à leur métier d'interrogateurs du réel dans toute sa complex- ité. C'est faire du. tort aux guérisseurs que de les maintenir Un mariage de raison s'impose entre l~ médecine traditionnelle... d'Etre existant dans l'univers... Il a cessé d'y avoir deux com- partiments dans l'univers, celui des esprits et celui des corps. Il n'y a plus que deux sens sur une même route,' le sens de la plu- ralité négative et celui de l'unifi- cation positive. Il n'y a qu'un seul « mal» la désunion, le refus de l'un Celui qui a compris cette immense simplicité des L'addition des deux médecines qui devraient nous faire avancer plus vite, semble même parfois nous tirer en arrière. Il me sem- ble que nous ne faisons peut être pas assez pour créer et réussir la « note un.ique » dont parle Theilhard De Chardin. Deux médecins français, les docteurs Jean Clouzet et Monique Horwitz, de retour de autant suivre la filière améri- caine, soviétique, anglaise ou même française. Bombe atom- ique, satellite artificiel, ou médecine traditionnelle, on se prend à évoquer la célèbre for- mule, ironique et méprisante de Picasso: «je ne cherche pas, je trouve»... . Sait-on que la médecine psycho- somatique, cette façon d'admet- tre que le corps et l'esprit jouent un rôle de vases communicants, était reconnue en Chine depuis plusieurs dizaines de siècles? » (fin de citation. pp 52 à 54). Cette longue citation des deux médecins français me permet de renouer avec le Burkina Faso et le continent africain, pour affirmer que ce qui est scien- tifiquement vrai en Chine est aussi vrai chez nous. Les statistiques de l'Unité d'Analyse Avancée de la Pauvreté (UAAP) publié en septembre 2007 dans la brochure intitulée « approche anthropométrique des détermi-

La médecine entre le malade et la maladie Deux visions ... · Il a cessé d'y avoir deux com-partiments dans l'univers, celui ... mystiques, les plus extravagants et de subtils intuitions

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La médecine entre le malade et la maladie

Deux visions complémentairesl'évidence, entre la

philosophie, la moraleet les principes qui

commandent la théorie et la pra-

tique de la médecine ancestraledes Africains, des Chinois et

autres peuples dit du «Tiers-Monde» et ceux de l'Amériquedu Nord. et de l'Europe occi-dentale, il y a une énorme con-tradiction. Dans un article pub-lié dans la revUe « Notes' et

Documents voltaïques », bul-letin trimestriel d'information

scientifique et technique, N°14

(3-4) de juillet-décembre 1983,et intitulé « Médecine tradition-

nelle et scienceshumaines», jeconcluais en ces termes:

«l'Afrique doit mettre fin à l'i-dolâtrie négative despuissancesoccultes de ses guérisseurs, qui

poussent beaucoup dechercheurs à une attitude de

contemplation béate,. contraireà leur métier d'interrogateursdu réel dans toute sa complex-ité. C'est faire du. tort auxguérisseurs que de les maintenir

Un mariage de raison s'impose entre l~ médecine traditionnelle...

d'Etre existant dans l'univers...

Il a cessé d'y avoir deux com-

partiments dans l'univers, celui

des esprits et celui des corps. Il

n'y a plus que deux sens sur unemême route,' le sens de la plu-

ralité négative et celui de l'unifi-

cation positive. Il n'y a qu'unseul « mal» la désunion, le refus

de l'un Celui qui a compriscette immense simplicité des

L'addition des deux médecines

qui devraient nous faire avancer

plus vite, semble même parfoisnous tirer en arrière. Il me sem-

ble que nous ne faisons peut être

pas assez pour créer et réussir la

« note un.ique » dont parleTheilhard De Chardin.

Deux médecins français, lesdocteurs Jean Clouzet et

Monique Horwitz, de retour de

autant suivre la filière améri-

caine, soviétique, anglaise oumême française. Bombe atom-ique, satellite artificiel, oumédecine traditionnelle, on se

prend à évoquer la célèbre for-mule, ironique et méprisante dePicasso: «je ne cherche pas, jetrouve»... .

Sait-on que la médecine psycho-somatique, cette façon d'admet-tre que le corps et l'esprit jouentun rôle de vases communicants,

était reconnue en Chine depuisplusieurs dizaines de siècles? »(fin de citation. pp 52 à 54).Cette longue citation des deuxmédecins français me permet derenouer avec le Burkina Faso et

le continent africain, pouraffirmer que ce qui est scien-tifiquement vrai en Chine estaussi vrai chez nous.

Les statistiques de l'Unitéd'Analyse Avancée de laPauvreté (UAAP) publié enseptembre 2007 dans labrochure intitulée « approcheanthropométrique des détermi-

dans des fonnes patriarcales etmoyens-nageuses de travail.Leurs méthodes et leurs

procédés peuvent et doivent êtreaméliorés par eux-mêmes, si undialogue profond et critiques'engageait entre eux et les ten-ants des méthodes modernes.

Certains croient que le mod-ernisme tue lespuissanc,es cura-tives des guérisseurs. Nous nepartageons pas ce point de vue.C'est pourquoi nous pensonsque les guérisseurs seront bienmeilleurs collaborateurs de lamédecine moderne, s'ils s'ou-

vraient au progrès scientifiqueet technique, s'ils s'adaptaientaux changements profonds quilentement mais sûrement,

poussent toute la collectiviténationaleen avant... »

Il Ya un besoin réel d'ouverture,.de synthèse et d'union dessavoirs pour mieux assurerl'avenir... Theilhard deChardin...écrit : « L'unionn'ad-ditionne pas, elle produit...chaque union nouvelle réaliséeaugmente la quantité absolue

choses, celui qui a entendu lanote unique sous le bruit uni-versel, .celui-là possède lemonde» (fin de citation).

Pourquoi deux médecines?

Il est trè.s fréquent d'entendredes universitaires africains et

même des médecins parler de«médecine moderne» et de

«tradipraticiens» ou de«médecine traditionnelle », pour,différencier deux pratiques par-faitement complémentaires.Au Burkina Faso, à peine 20%de la population vont au dispen-saire, à la clinique ou en phar-macie pour se faire consulter etse soigner. Cela veut dire quebon gré mal gré 80% des burkin-abé fréquentent toujours les

guérisseurs, tradipraticiens etautres phytothérapeutes locaux.Malgré le faible taux de couver-ture du pays par les dispen-saires, centres de soins et hôpi-taux, le constat est que lafréquentation reste faible elleaussi. Il y a problème.

Chine, ont écrit un livre « com-

ment se soignent les chinois.aujourd'hui» aux EditionsRobert Laffont Paris (France) en1980. Ils se posent cette ques-tion « comment aborder avec

notre esprit cartésien, notre con-fort de pensée, nos certitudes,cette médecine autre, guidée parune boussole affolée qui semble,à chaque époque et dans chaquedomaine, osciller sans cesse

entre les affirmations les plusmystiques, les plus extravagantset de subtils intuitions véritable-

ment scientifiques?Scientifiquement parlant, cettemédecine se présentait mal. Etpourtant, parfois, cela marche.Les découvert~s sont fulgu-'"

rantes et géniales. L'ingéniositédes chinois n'apparait pas seule-ment dans le domaine médical:

la Chine qui ne possédait aucuneplate-forme atomico-balistique,n'avait, pour les expertsétrangers, aucune chance defaire la bombe et de s'envoyer enl'air par satellite interposé. Etpourtant elle l'a fait sans pour

nants de l'Etat de santé: cas des

enfants de moins de cinq ans auBurkina Faso» sur l'état desanté et les carences nutrition-

nelles, démontrent à l'évidence

qu'il est temps de repenser nosconceptions sur la coexistencedes deux médecines, incapablesl'une comme l'autre d'inverserles tendances actuelles. Lamédecine occidentale et la

médecine traditionnelle, enaffrontant la maladie dans nos

pays, de façQn séparées sinonopposées, au sein de sociétés encrise identitaire, culturelle,

philosophique et économiqueenfin, ne pourront qu'échouer.Nos sociétés ne sont ni occiden-

tales, ni traditionnelles de nos

jours. Elles vacillent entre lesdeux, sans véritables repères nisocles de valeurs communau-taires consolidées. Elles sont

ballotées entre dispensaires,cliniques privées, officinespharmaceutiques, cases deguérisseurs, de charlatans etautres purs escrocs bien camou-

",.

Un mariages'impose

de raison

Nous assistons chaque année iciau Burkina à des célébrations

des journées de « la médecinetraditiont1elle » ou des « plantesmédicinales ». Une de ces

journées a eu lieu en fin septem-bre 2009 à Ziniaré. Nous avons

suivi ces journées dans la

presse. Les tradipraticiens récla-ment des titres, des droits offi-

ciels pour exercer, etc. Les vrais

problèmes sont ailleurs. Ils sont

dans notre incapacité à fairecomme les chinois c'est-à-dire

doivent être culturellement

assimilés par la société dans unprocessus de diffusion des idéesnouvelles liées à l'éradicationde

l'ignorance et de l'illettrisme.Une nouvelle médecine ne peutnaître que d'une approchethéorique nouvelle d'abord chezles praticiens des deuxmédecines existantes chez nous.

Ma conviction est que le poten-tiel existe et depuis des millé-naires comme en Chine.Aucun autre continent au

Monde n'a subi quatre siècles(400 ans) de ponctions con-stantes et régulières de sesjeunes filles et garçons pour laproduction du coton et du sucreaux Amériques comme l'Afriquesous la traite négrière. La popu-lation n'a pas disparue malgrécela. Les sociétés ont pu contin-

ailleurs qui luttent avec succèspour valoriser ce capital médi-cal, surtout en matière de phy-tothérapie. Mais nous sommesloin du compte. Il faut réussir àélaborer une théorie nouvelle et

une pratique nouvelle. Le jour-nal « Africa International» de

Mme Marie-Roger Biloa, dansson no424 du mois d'octobre

2008, présente « les 50chercheurs scientifiques des 50dernières années, 1958-2008»

du continent africain. On y trou-ve des noms de chercheurs des

phytothérapeutes du BurkinaFaso. C'est très honorable pournous tous.

Conclusion: « connais-toi,toi-même et tu connaitras l'u-

nivers et les dieux» (Socrate)

un continent comme l'Afrique,qui couvre 30,3 millions de km-(c'est trois fois la Chine

Continentale) avec plus d'unmilliard d'habitants répartis dans53 « petits pays », le « miracle »

médical n'arrive pas à exister?

C'est parce que les chinois l'ont

voulu et qu'ils ont pu construire

par un « mariage de.raison» uncouple exemplaire qui a enfantéla médecine moderne chinoise.

Les deux médecins françaisécrivent en page 70 de leur livreque: « Les médecins de forma-tion occidentale se battent

comme de beaux diables pourtenir à distance cette médecine

toute de « rites et de supersti-

tions ». C'est ainsi que dans

cette revue de prestige qu'est lechinese Medical Journal, aucunarticle n'est consacré à la

médecine chinoise pendant les

dix premières années de régimecommuniste. En 1958, Mao

pousse un coup de gueule et un

coup de plume pour dire à tous,

dirigeants, médecins, malades,

que cela ne peut plus durer. Les

chinois ne peuvent pas (et ne

pourront jamais ?) se passer dela médecine traditionnelle. Elle

créer de nous mêmes, par nous-mêmes et pour nous mêmes,notre médecine moderne quifusionnent positivement, toutesles méthodes, toutes les pra-tiques liées à la recherche d'unbon état de santé de nos popula-tions, en s'appuyant sur les croy-ances socio-culturelles liées à la

santé qui règnent sans partagedans les 8000 villages duBurkina Faso. Et c'est parfaite-ment possible, si une volontépolitique s'affirme et s'impose àtous. C'est pratiquement unerévolution culturelle en matière

de Santé qu'il nous faut engageret réussir, d'abord dans les

esprits. Parce que l'idéal ici,c'est de réussir à expliquer etfaire accepter par tous pourquoiet comment éviter de tomber

malade. C'est la prévention.Savoir pourquoi il faut toujoursse laver les mains avec du savon

avant de manger diminue forte-ment le risque d'attraper aumoins les maladies dites des «

mains sales ». Ces concepts sim-ples ne s'imposent pas. Ils

...et la médecine moderne.

uer à se reproduire avec et grâceà une médecine qui soignait etguérissait obligatoirement.Depuis l'Egypte des pharaonsnoirs, il y a eu sur la terred'Afrique une médecine, deschercheurs, des pharmaciens etdes médecins qui pnt trouvé dessolutions aux problèmes desanté des africains. Sinon nous

n'existerions pas aujourd'hui.Notre contact avec les

médecines européennes etautres, date d'à peine cent (100)ans. C'est insignifiant dans l'his-toire de la santé des sociétésafricaines. Nous avons un

héritage ancestral ignoré et malexploité. Certes, il existe des «

hérétiques du savoir médicalinstitué» au Burkina comme

,.'

Aujourd'hui, sans aucun aprioriidéologique et politique, lesélites intellectuelles de l'Afriquedoivent étudier sérieusementl'histoire de la Chine dans ses

deux composantes qui sont le

Continentp (Pekin) et l'lIe(Taïwan).La Chine Pékin est un grandpays de 9 millions de km- et 1,6milliards d'habitants. La Chine

de Taïwan est une petite île de36.000 km- et 21 millionsd'habitants. Le « Grand »

Continent comme la « petite »île font tous de très grands pro-grès dans tous les domaines etparticulièrement dans lamédecine et la phytothérapie. Ilexiste uneet une seule médecine

moderne ciÜnoise.Pourquoi, sur

n'est pas qu'un ramassis derecettes de bonnes femmes... «

la médecine et la pharmacologietraditionnelles, dit ~e présidentMao, constituent un riche patri-moine: il faut s'efforcer de l'ex-

plorer et de le porter à un niveausupérieur... Cette citation...apparait... comme un ordrepour tenter de concilier, de com-biner ces deux médecines... »

(fin de citation). Au Burkina

Faso et en Afrique, cette volontéd'unifier, de combiner, de

rassembler pour réussir existe,

se manifeste de plus en plus

fortement. La crise économiqueet financière actuelle n'offre-t-

elle pas une 9Pportunité supplé-

mentaire pour chercher à faire «

beaucoup» avec le « peu» deressources financières

disponibles?

Pr Basile L. GuissouDirecteur de recherche en

Sociologie PolitiqueINSS/CNRST

03 ~P 7047 Ouaga 03