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L es quelque 35 000 gravures rupestres ins- crites sur les roches de la région du mont Bégo, aux alentours de 2 000 ans avant notre ère, ne comportent en fait qu’une dizaine de thèmes iconographiques. Entre 2000 et 2600 mètres d'altitude, les populations de l’âge du Bronze ancien ont répé- té les mêmes figures schématiques. Près de la moitié de ces dernières sont en effet des formes rectangulaires surmontées de deux cornes, figurations sommaires du boviné (photo 1). Les autres représentations gravées sont des cen- taines de poignards, de hallebardes, de parcel- laires et de formes géométriques. Ce sont les attelages qui permettent d’identifier le boviné déjà dressé à tirer l'araire ou des charges (fig. 2). L'étude approfondie des araires, des travois et des chariots, déjà engagée par Henri Pellegrini, a recours à l’ethnologie. Les outils encore utili- sés aujourd’hui donnent des précisions sur cer- tains instruments représentés sur les roches du mont Bégo. Disparu en France au cours du XX e siècle, le labour avec un araire est encore une pratique courante dans de nombreux pays. Les chariots composés de traverses de bois, tels qu’ils sont figurés sur les roches de Fontanalba (fig. 3 et 4), sont encore fabriqués par les éleveurs mongols (fig. 5). Ainsi, le travail et les savoir-faire des hommes de l’âge du Bronze peuvent être éva- lués grâce à la confrontation des témoignages gravés et vivants. Les armes, les outils et les bovinés ne signifient pas cependant que les gra- veurs ont simplement voulu représenter des thèmes de leur vie quotidienne. L’absence de figuration d’oviné, malgré l’élevage des moutons depuis le Néolithique, tend à confirmer certains 6 LA MESURE DU TEMPS SAISONNIER AU MONT BÉGO Jérôme MAGAIL* Fig. 1 - Vallée des Merveilles. Gravure d'un boviné. Fig. 3 - Val de Fontanalba. Gravure de chariot attelé. Fig. 2 - Vallée des Merveilles. Gravure de chariot attelé. Fig. 4 - Val de Fontanalba. Gravure d'un attelage de deux bovinés traînant un chariot. * Docteur en Ethnologie. Directeur adjoint de Mission archéologique fran- çaise en Mongolie.

LA MESURE DU TEMPS SAISONNIER AU MONT BÉGO · déjà dressé à tirer l'araire ou des charges (fig. 2). L'étude approfondie des araires, des travois et des chariots, déjà engagée

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Les quelque 35 000 gravures rupestres ins-crites sur les roches de la région du mont

Bégo, aux alentours de 2 000 ans avant notreère, ne comportent en fait qu’une dizaine dethèmes iconographiques.

Entre 2000 et 2600 mètres d'altitude, lespopulations de l’âge du Bronze ancien ont répé-té les mêmes figures schématiques. Près de lamoitié de ces dernières sont en effet des formesrectangulaires surmontées de deux cornes,figurations sommaires du boviné (photo 1). Lesautres représentations gravées sont des cen-taines de poignards, de hallebardes, de parcel-laires et de formes géométriques. Ce sont lesattelages qui permettent d’identifier le bovinédéjà dressé à tirer l'araire ou des charges (fig. 2).L'étude approfondie des araires, des travois etdes chariots, déjà engagée par Henri Pellegrini,a recours à l’ethnologie. Les outils encore utili-sés aujourd’hui donnent des précisions sur cer-tains instruments représentés sur les roches dumont Bégo.

Disparu en France au cours du XXe siècle, lelabour avec un araire est encore une pratiquecourante dans de nombreux pays. Les chariotscomposés de traverses de bois, tels qu’ils sontfigurés sur les roches de Fontanalba (fig. 3 et 4),sont encore fabriqués par les éleveurs mongols(fig. 5). Ainsi, le travail et les savoir-faire deshommes de l’âge du Bronze peuvent être éva-lués grâce à la confrontation des témoignagesgravés et vivants. Les armes, les outils et lesbovinés ne signifient pas cependant que les gra-veurs ont simplement voulu représenter desthèmes de leur vie quotidienne. L’absence defiguration d’oviné, malgré l’élevage des moutonsdepuis le Néolithique, tend à confirmer certains

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LA MESURE DU TEMPS SAISONNIER AU MONT BÉGO

Jérôme MAGAIL*

Fig. 1 - Vallée desMerveilles. Gravured'un boviné.

Fig. 3 - Val deFontanalba. Gravurede chariot attelé.

Fig. 2 - Vallée des Merveilles. Gravure de chariot attelé.

Fig. 4 - Val de Fontanalba. Gravure d'un attelage de deuxbovinés traînant un chariot.

* Docteur en Ethnologie. Directeur adjoint de Mission archéologique fran-çaise en Mongolie.

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manques. L’interprétation d’araires attelésconduits par des personnages, mérite aussi laplus grande prudence car des labours rituelspourraient être représentés. Ces milliers de gra-vures, chacune composée de centaines decupules, ont été exécutées, dans la majeurepartie des cas, au moyen d'une percussion lan-cée (fig. 6). Telle une tradition séculaire, le styleschématique n’a pas changé, et seuls quelquesthèmes iconographiques bien définis ont étérépétés.

4000 ans après l'exécution des gravures, cer-taines traces permettent encore de découvrir lemouvement exécuté par la main du graveur et letype d’outil utilisé.

Des cupules allongées, situées en périphéried’un attelage de la zone archéologique IV, témoi-gnent de la méthode employée (fig. 7). Lors del’inscription de l'extrémité inférieure du timon,l’outil a percuté malencontreusement, à plu-sieurs reprises, une irrégularité naturelle de laroche. Les traces sont parfaitement identifiablessur la droite du timon où des impacts montrentque la pointe de l’outil a éraflé l’arête saillanteavant de poursuivre sa course vers le lieu visé(fig. 8). La position et la forme des cupulesattestent que le graveur était droitier et qu'il uti-lisait vraisemblablement une pierre ayant unepointe mousse (fig. 9). Le tracé du timon finis-sant dans un creux, le graveur, gêné dans sontravail, a dû adopter un mouvement parallèle àla roche.

Les calendriers rituels agro-pastoraux

Les conditions climatiques, proches de cellesd’aujourd’hui, laissent penser que les graveursdu mont Bégo répétaient leurs gestes et leursreprésentations schématiques durant la périodequi sépare le solstice d’été de l’équinoxe d’au-tomne.

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Fig. 5 - Chariot mongol - Gol Mod.Fig. 6 - Percussion lancée.

Fig. 7 - Traces acciden-telles sur le bord droit du

timon gravé.

Fig. 8 - Détail des tracesaccidentelles.

Fig. 9- Schéma de la réalisation des traces accidentelles.

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D’un point de vue anthropologique, cetterépétition à la fois technique et iconographiquedans un contexte saisonnier, évoque l’aspectfondamental du rituel transmis de générationen génération. En ce lieu, les éleveurs et lesagriculteurs réitéraient des traditions cultu-relles et des actes cultuels indispensables à leurcohésion sociale, tels qu'on en connaît encorede nos jours dans les villages. La fête de laSaint-Eloi, à Tende, durant laquelle les muletsdoivent être bénis, associe le rite et les activitésagro-pastorales. Mais quels étaient les dieux del’époque ? A plusieurs reprises, différents cher-cheurs ont identifié des divinités solaires oubien l’expression d’un culte du soleil au montBégo. Le personnage gravé sur la dalle dite de la"Danseuse" a notamment été interprété de lasorte par trois chercheurs : Roland Dufrenne,Henry de Lumley et Emilia Masson (fig. 10). Or,cette roche ornée comporte un ensemble icono-graphique étonnant qui incite à poursuivre lesrecherches dans cette voie en formulant uneautre hypothèse : certaines roches gravées dumont Bégo étaient-elles orientées elles-mêmesvers le mouvement apparent du soleil afin derepérer des dates ? Cette question, posée il y après de dix ans, a ouvert une recherche et uneprospection à l’issue desquelles, quatre rochess’avèrent être des instruments de mesure dutemps solaire.

Les gravures cadrans solaires

Les deux roches gravées présentées dans cetarticle, dont la dalle dite de la "Danseuse", sontnotamment des cadrans solaires saisonniersmarquant certaines dates. Ce type d’instrumentn’a rien d’étonnant car la fin du Néolithiqueeuropéen a été marquée par la construction de

monuments qui, tel le cercle mégalithique deStonehenge (Grande-Bretagne), repèrent lesoleil levant solsticial. Plus proche du montBégo, au Chalcolithique et à l’âge du Bronzeancien, les allées funéraires des dolmens desAlpes-Maritimes et du Var furent systématique-ment orientées vers le soleil couchant (fig. 11).

La dalle dite de la "Danseuse" a été choisie etgravée dans le but de repérer une date en fin desaison estivale : le 8 septembre actuel. Les gra-

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Fig. 10 - Vallée des Merveilles.Personnage masculin de la dalle dite de la

"Danseuse".

Fig. 11

Fig. 12 - Dalle dite de la "Danseuse" vue de l'est.

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vures concourent à une visée du soleil couchantprécisément ce jour-là (fig. 12). Les représenta-tions d’armes démesurément grandes sont laclé du système permettant la mesure du tempssolaire (fig. 13 A & B). Les hommes de l'âge duBronze ancien utilisaient un poignard métal-lique qu'ils déposaient sur la gravure représen-tant un poignard allongé, les pointes étant enconcordance. Le retour de la date recherchéeétait précisé, au moment du coucher du soleil,lorsque l’ombre de cette arme parvenait à l’ex-trémité du manche de la représentation gravée,(fig. 14).

Les observations effectuées sur la dalle de la"Danseuse", ont nécessité la reproduction dedeux poignards de l’époque du Bronze, qu'il fal-lait positionner sur la roche (fig. 15 et 16). Lestrois représentations d’armes (fig. 13 A, B et D)qui sont dirigées vers le soleil couchant, révè-lent, au soir du 8 septembre, le fonctionnementdu système. Le modèle de poignard de l’âge duBronze ancien est exactement de la taille de l’ar-me gravée B1 et déploie une ombre jusqu’aucontour du grand poignard B2 (fig. 14).L’expérience se déroule de la même façon, et aumême moment, avec la gravure A (fig. 13) quiest aussi composée de deux poignards gravés,plus difficiles à distinguer car l’ensemble estcomposé d'une seule plage de cupules (fig. 15).Le petit poignard D (fig. 13), de la taille desarmes à lame triangulaire, a été gravé dans lesmêmes circonstances mais utilise un systèmede lecture légèrement différent (fig. 16). Placésur la gravure, le modèle reconstitué forme uneombre qui parvient jusqu’au corniforme situéau-dessous (fig. 13, E), dont le prolongementdes cornes atteindrait le poignard gravé : confi-

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Fig. 13. Dalle dite de la "Danseuse" vue de dessus.

Fig. 14. Fig. 15. Fig. 16.

Reconstitutions de poignards placés sur la roche. Fig. 17 - Plan incliné de la dalle vers l'horizon.

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guration semblable aux contours du grand poi-gnard B2 qui rejoignent ceux du petit poignardB1 inscrit à l’intérieur (fig. 13).

Il s’agissait également de comprendre laméthode utilisée par les hommes de l’âge duBronze ancien pour mettre en place cet instru-ment de mesure. La recherche d’une dalle dontla surface était orientée vers l’horizon occidentalétait la première condition nécessaire à unevisée du soleil couchant à l’aide d’un poignardposé sur la roche.

Le soir venu, lesgraveurs ont attendula descente de l’astreà l’horizon entre lespentes de deux mon-tagnes, et ont marquécet endroit précis dela pointe de la lamede leur arme (fig. 17).Etant donné que laposition apparentedu soleil varie surl’horizon de jour enjour, l’astre passe parla visée gravée unseul soir par été. Lecontour du vrai poi-gnard et de sonombre ont été tracésà l’aide d’une épingleou d’un silex, puis laroche a été marquée

plus profondément grâce à une percussion lan-cée (fig. 18). Pour les autres armes, et notam-ment le deuxième grand poignard A, le mêmeprocédé a été utilisé (fig. 19). Ses bords compor-tent d’ailleurs un alignement de cupules qui nepeut être réalisé sans un tracé préalable (fig.20). Le repérage de la date à l’aide de ces ins-

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Fig. 19 - Méthode d'inscription des gra-vures du grand poignard A.Fig. 18 - Méthode d'inscription des deux poignards (B1 et B2)

placés l'un dans l'autre.

Fig. 20 - Bord rectilignedu poignard A. Fig. 21 - Poignard posé sur la gravure B, le 8 septembre.

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criptions a été conçu comme moyen techniquepour retrouver chaque année ce jour précis. Leshommes n’avaient qu’à poser leur poignard surla roche (fig. 21) et à attendre que l’ombre deleur arme soit dans l’axe de la longueur de lagravure pour que le retour de la date attenduesoit repéré.

En ces lieux hostiles, dès l’automne, les éle-veurs de l'âge du Bronze ancien ne pouvaientrester à 2 300 mètres d’altitude au-delà de la

mi-septembre car le froid aurait pu les sur-prendre et anéantir leurs troupeaux. Les ber-gers actuels descendent d’ailleurs aux alentoursdu 10 septembre.

Il ne s’agit pas cependant d’affirmer que ladalle dite de la "Danseuse" se limite à unemesure profane du temps. Le poignard en bron-ze servant de gnomon, évoque l’aspect cultuelde ce type de mesure car il est constitué du pré-cieux métal extrait de la terre grâce à un feusacré et possède l'éclat doré de la lumière solai-re. L’origine de cette arme étant vraisemblable-ment considérée comme surnaturelle, elle étaitun des objets les plus convoités. Si l’anthropo-morphe entouré d’une ellipse (fig. 10 et 13 C)illustrait les conceptions d'une cosmologie solai-re, il n'est pas étonnant de le voir côtoyer despoignards en bronze, eux-même d'essence solai-re. L’association de l’arme métallique et del’astre du jour se retrouve sur une roche située200 m au-dessous de la dalle dite de la"Danseuse" (fig. 22). Les motifs d’un poignard etd’un soleil semblent rappeler sous forme idéo-graphique l'association spécifique qui préside àla mesure chronologique effectuée plus haut.

Une autre roche de la Vallée des Merveilles aété gravée dans le but de marquer plusieursdates de la saison estivale (fig. 23). Les pétro-glyphes alignés au bas de la roche sont indiquésà tour de rôle chaque soir par l'ombre d'une

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Fig. 22 - Vallée des Merveilles. Poignard et soleil associés.

Fig. 23 - Vallée des Merveilles. Roche gravée faisant office de cadran solaire;

Fig. 25 - Ombre allongée sur les premières gravures du cadran.

Fig. 24. Entaille gnomon vue de l'est.

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entaille faite dans le rocher. L’étude de l'ensemble a révélé que cette série

correspond à la période qui s’étend du solsticed'été au 14 septembre, c'est-à-dire la saison del’estivage à cette altitude.

Se dégageant du bloc rocheux, une pointeeffilée d'environ 20 cm de hauteur a été entaillée(fig. 24). Sa surface cassée possède la teinte duschiste non encore oxydé et le lichen ne l'a pascolonisé. Les observations montrent que les pre-

miers poignards gravés, situés sur la gauche dela dalle, sont dans la direction de l'ombre del'arête au solstice d'été et que la dernière figurecornue, à droite, est désignée par l'ombre le 14septembre (fig. 26). Ainsi, du solstice d'été à lami-septembre, soir après soir, l'ombre se dépla-ce de la gauche vers la droite. Ce phénomène sepoursuit à mesure que les jours diminuent, lesoleil se couchant de plus en plus vers le sud-ouest. En fin d’après-midi, on peut encore voirl’ombre de l’entaille s’allonger lentement avec lecoucher de l’astre et toucher de son extrémitéune gravure (fig. 25).

Lors de la mise en place de ce dispositif, laposition du gnomon a été recherchée de façon àpouvoir inscrire plu-sieurs dates de lasaison estivale sur lapartie plane de laroche. Pour trouverla place adéquate dugnomon, le graveur avraisemblablementutilisé un bâton qu’ila déplacé sur le som-met de la roche. Lejour le plus long del'année, la positiondu gnomon a étédéterminée de tellesorte que son ombre

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Fig. 26 - Directions de l'ombre de l'entaille au cours de la saison.

Fig. 27 .

Fig. 28 - Graveur inscrivant les premiers motifs lors des jours les plus longs de l'année.

Fig. 29 - Corniforme auxcornes non piquetées.

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s’étende sur la partie gauche (fig. 27). Ainsi, legraveur était sûr de pouvoir inscrire les autresdates sur l’ensemble du plan. L’entaille et lespremières gravures ont donc été réalisées le jourdu solstice d'été.

Au cours de la saison estivale, le graveur ainscrit certains soirs (environ tous les troisjours) un pétroglyphe à l'extrémité de l'ombre del'arête (fig. 28). Sur les 35 gravures, une seulen’a pas le même style et la même patine. Toutporte à croire que l’ensemble a été inscrit par lemême type d’outil et par la même personne.Comme sur la dalle dite de la "Danseuse", desindices montrent que le graveur a tracé cer-taines figures avant de les graver. Le corniformede la figure 29 est doté de cornes esquissées parun fin tracé qui n'a pas été repris avec descupules, le graveur n’ayant appliqué de percus-sions que sur le corps.

Chaque année ayant suivi la mise en place dece cadran, l’observation du déplacement del'ombre permettait de retrouver la chronologiesaisonnière.

Seule un nombre restreint de roches gravéesa servi de cadran solaire. La roche entaillée enson sommet fait l’objet aujourd’hui d’unerecherche plus poussée, notamment sur lasignification des dates repérées en fonction desthèmes iconographiques indiqués par l’ombre. Ils’agit notamment de comprendre pourquoi lesolstice d’été est signalé par des poignards dis-posés la pointe vers le haut.

La découverte de la méthode employée parles hommes du mont Bégo met en évidence laprécision de leur calendrier. Il suffisait de comp-ter le nombre de jours entre deux mesureseffectuées pour savoir que l'année comportait365 jours. Quant au rapport entre ces instru-ments de mesure du temps et les 7000 autresroches, il faut peut-être le chercher tout simple-ment à travers un contexte religieux dans lequelcertains rituels étaient assujettis à des datesprécises. Aussi, une grande partie des autrespétroglyphes pourrait avoir été inscrite à desdates indiquées par ces cadrans solaires. Lesactivités agro-pastorales et les moments litur-giques ont toujours intégré le même calendrier.Les divinités pouvaient être ainsi invoquées aumoment propice grâce à des inscriptionsrituelles, soit pour obtenir une année prospèresoit en remerciement du bon déroulement dessaisons précédentes. Les premiers écrits del’Antiquité gréco-romaine montrent que l’em-preinte de la religion sur les travaux agro-pas-toraux s’est traduite pour chaque activité par lepatronage d’un dieu. La mesure du temps etl’arpentage de l’espace étaient aussi soumis auxlois divines, qui accordaient en retour une pro-tection aux hommes et à leurs biens. Les par-cellaires, surtout figurés dans la Vallée de

Fontanalba, qui sont des représentations dedivisions de l’espace territorial, seront notam-ment étudiés dans cette perspective.

Conclusion

Les techniques préhistoriques relatives àla mesure du temps ont fait l’objet de très peude recherches au regard des nombreusesétudes de techniques de taille d'outils et deconfection de matériels. Or, la division du tempscyclique annuel était une nécessité pour antici-per les événements météorologiques et accom-plir les activités aux moments propices. Les pro-cédés employés par les graveurs du mont Bégosont très proches des mesures effectuées par denombreux autres peuples agro-pastoraux quiobservaient les variations quotidiennes du mou-vement apparent du soleil. Les Egyptiens, lesIncas et les ethnies dogon font partie de cespeuples dont l'énumération serait trop longue.Sur certaines roches de la Vallée des Merveilles,les hommes de l'âge du Bronze ancien ont utili-sé l’art rupestre afin de discerner les lois cos-miques qui gouvernaient le rythme des astres,des saisons et des phénomènes météorolo-giques.

Bibliographie sommaire

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