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Armand Colin LE TEXTE ET L'IMAGE : OÙ COMMENCE ET COMMENT FINIT UNE INTERDISCIPLINE ? Author(s): Bernard Vouilloux Source: Littérature, No. 87, LA MOIRE DE L'IMAGE (OCTOBRE 1992), pp. 95-98 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41704605 . Accessed: 15/06/2014 19:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.13 on Sun, 15 Jun 2014 19:26:29 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LA MOIRE DE L'IMAGE || LE TEXTE ET L'IMAGE : OÙ COMMENCE ET COMMENT FINIT UNE INTERDISCIPLINE ?

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Armand Colin

LE TEXTE ET L'IMAGE : OÙ COMMENCE ET COMMENT FINIT UNE INTERDISCIPLINE ?Author(s): Bernard VouillouxSource: Littérature, No. 87, LA MOIRE DE L'IMAGE (OCTOBRE 1992), pp. 95-98Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41704605 .

Accessed: 15/06/2014 19:26

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Réflexions critiques

Bernard Vouilloux , Université de Bordeaux III

LE TEXTE ET L'IMAGE :

OÙ COMMENCE ET COMMENT

FINIT UNE INTERDISCIPLINE ? *

Que des chercheurs se rassemblent pour parler des rapports entre le langage verbal et l'image, il ne peut y avoir là qu'un motif de satisfaction, dont le mobile s'inscrit d'un mot à l'ordre du jour : interdisciplinarité. Mais le risque, avec l'interdisciplinarité, n'est-il pas de voir « consister » une compétence tierce dont l'objet et les méthodes seraient situés, nous dit-on, quelque part entre ces deux corps de disciplines fortement constitués que sont, d'un côté, l'histoire, la théorie, la critique de la littérature, et de l'autre, l'histoire, la théorie, la critique de l'art? (Je ne dirai rien ici de ce qu'implique déjà la restriction des champs du langage et de l'image à ceux, respectivement, de la littérature et de l'art, mais on verra que c'est aussi de cela qu'il s'agit). Or, si la difficulté, précisément, tient à une telle « situation », ce n'est pas celle que l'on croit : une localisation incertaine, ou flottante, vaut peut-être mieux, à tout prendre, qu'une assignation autoritaire et naïve à demeurer en quelque lieu géométrique d'intersection. Tout se passe en effet comme si l'image du savoir disciplinaire comme champ imposait à la pensée un même schème spatialisant et faisait impérati- vement décrire le rapport entre langage et image selon cette logique, selon cette raison « en partie double » qui, de deux ensembles donnés, déduit ou défalque une partie commune.

Ce qui est en jeu ici, c'est la notion de « discipline ». Ce que nous savons (l'histoire de l'histoire de l'art comme Kunstgeschichte et celle des théories de la littérature nous l'enseignent) 1, c'est qu'une pensée devient disciplinaire lorsqu'elle ne s'interroge plus ni sur le mouvement par lequel elle s'est donné ses propres objets ni sur les procédures

* Communication à la table ronde (« Toward a methodology in Word & Images Studies ») qui concluait le second Congrès international de l'International Association of Word and Image Studies (Zürich, 27-31 août 1990). Le texte en a été publié dans le bulletin n° 6 de IAWIS. Je remercie le Professeur Kibédi Varga de m'avoir autorisé à le reprendre.

1. Voir par exemple le livre de H. Belting, L histotre de fart est-elle finie < [Das Ende der Kunstgeschichte ?], trad, fr., Nîmes, Ed. J. Chambón, 1989.

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Le texte et l'image

qu'elle met en œuvre pour les décrire et les interpréter, autrement dit lorsqu'elle se laisse dominer par ses présupposés.

Voyons-nous paraître les spécialistes d'une troisième discipline, d'une interdiscipline ? La réponse n'a au fond que peu d'intérêt. En revanche, ce qui importe, c'est de se rendre attentif aux opérations qui, subrepticement, permettent l'institution de cette interdiscipline. J'en vois principalement deux : le transfert et la réduction.

Par transfert on entendra le geste intellectuel non explicité par lequel on transpose un concept soit d'un champ à l'autre (transfert externe), soit, à l'intérieur d'un même champ, d'une problématique à l'autre (transfert interne). A chaque fois, la recontextualisation du concept décontextualisé induit une similitude formelle entre les deux contextes (on aura reconnu le ressort qui donne à toute l'opération son efficace, c'est l'analogie). Exemplaires à cet égard sont les avatars (que j'évo- querai très brièvement) de deux concepts fétiches de l'interdiscipline : Yekphrasis et la représentation.

En ce qui concerne la première, il suffira d'interroger la pertinence de l'extension à toute description d'une notion si étroitement liée à un état, et à une époque, de la poétique 2. N'est-ce pas encore en vertu d'une extension similaire, de la littérature à la peinture, cette fois, que certains historiens de l'art se sont crus fondés à parler de peinture descriptive ou de description picturale ?

Quant au concept de représentation, le recours qui y est fait ici et là n'est pas moins problématique. En premier lieu, parce que, à supposer qu'il soit légitime d'en étendre la compréhension en deçà et au-delà du système de savoir qui le prend explicitement en charge (appelons-le, pour aller vite, « classique », et nommons-en, aussi vite, les instances fondatrices : la mise en place du régime perspectif au Quattrocento, d'une part, Descartes et Port-Royal, d'autre part), il resterait à montrer que toute image est représentation™ lie. En second lieu, parce que la question corrélative - toute représentation passer- elle par de l'image ? - trouve une résolution contestable dans ce qu'une certaine vulgate critique désigne, sans s'inquiéter du paralogis- me, sous le nom de « représentation littéraire » (ou narrative, etc.).

Pour baliser le terrain, je me contenterai seulement d'inscrire ici deux rappels : que le représenter (l'office du peintre à l'âge classique) et le se représenter (acte de constitution du sens, chez l'écrivain, le lecteur, médiatisé, dans la psychologie que convoque la poétique classique, par l'exercice de la phantasia ) mettent en jeu des modalités qu'aucun jeu de mot (surtout en français) n'autorise à assimiler les unes aux autres 3 ;

2. Qu'il me soit permis de renvoyer par avance à la présentation sommaire que j'en ai donnée pour le Dictionnaire des poétiques, sous la direction d'Yves Bonnefoy (à paraître). Cf. « L'évidence descriptive », Po&sie, 6l, pp. 102-111.

3. On en dirait autant de Y image, laquelle recroise sur l'imagination le figuré verbal et le I figuratif iconique : équivalence dont P. Lacoste, dans le contexte psychanalytique, montre bien

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Réflexions critiques

que la représentation à Tage classique règle les échanges entre les mots et les images essentiellement en mobilisant ces deux agents de conver- sion que sont l'iconographie (c'est l'iconologie de Ripa), qui régit les énoncés et les figures visibles, et la rhétorique, qui régit l'énonciation et la figuration.

C'est précisément sous le régime de ces deux agents de conversion que se pratique massivement aujourd'hui encore l'interdiscipline. On appellera réduction l'opération qu'ils induisent. Ou bien le champ d'investigation est rabattu de facto sur des types d'images dont les significations semblent s'épuiser idéalement dans le message (telles sont les images médiatiques : publicitaires, politiques...), ou bien, s'agissant d'images de peinture, on s'attache exclusivement aux contenus de signification verbalisables auxquels donnent accès les codes iconogra- phique et rhétorique. Où est passée, alors, la picturalité de l'image ? Car si l'on peint, ce n'est pas, ou pas seulement, pour parler. De même la littérature ne se trouve-t-elle pas réduite à ceux de ses contenus de signification qui sont convertibles en images lisibles (et ce toujours par la double ressource de l'iconographie et de la rhétorique) ? Là encore, on se demandera : où est passée la littérarité (comme on disait naguère) ? Car si l'on écrit, ce n'est pas, ou pas seulement, pour faire voir.

Mais que l'on ne s'y méprenne pas : invoquer la picturalité ou la littérarité, ce n'est ni revendiquer pour le médium cette spécificité de nature dont on chercha, du néo-classique Lessing au moderniste Greenberg, à le créditer 4, ni restaurer dans la connaissance les droits

supposés inaliénables de quelque irréductible reste, sacralisé dès lors sous les espèces de l'invisible ou de l'indicible.

Disons-le autrement. Peut-être faudrait-il déconstruire ces modes de

pensée qui, portés à délimiter des champs, à tracer des limites (les Grenzen de Lessing), imposent une représentation statique et triviale- ment spatiale du rapport entre le langage et l'image - comme si la fiction de deux champs distincts et préconstitués était dotée d'une

quelconque existence empirique, et que leur intersection définissait, propter ergo hoc , un champ intermédiaire réglé sans reste par l'iconogra- phie et la rhétorique. Peut-être, oui, faudrait-il inquiéter ces notions de lisible et de visible : substituer à la logique territorialisante des champs et des disciplines qui se les donne pour acquises une attention au travail du symbolique qui les produit. Il faudrait, en somme, se rendre attentif à l'émergence du texte dans le lisible comme à celle du visuel dans le visible.

le caractère spécieux (voir Uétrange cas du Professeur M. Psychanalyse à t écran, Paris, Gallimard, 1990, pp. 63-66).

4. Cf. Th. de Duve, « Clément Lessing », Essais datés ïf Paris, Ed. de la Différence, 1987, I pp. 65-117.

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Le texte et l'image

Émergence du texte dans le lisible : à la transparence des messages convertibles en images lisibles, le texte oppose la résistance du sens qui invente la forme dans laquelle il se produit, et où il insiste. Sartre à propos de Masson : « Voilà ce que Masson veut peindre à présent : ni l'envol, ni le faisan, ni l'envol du faisan : un envol qui devient faisan ; il passe dans le champ, une fusée éclate dans les buissons, éclate-faisan : voilà son tableau » (je souligne) 5. La conjonction, qu'il faudrait dire figurale, du thème et du prédicat fusionnant en une lexie imprévisible et improbable ne représente pas le sujet du tableau : elle re-présente en langue l'ébranlement qui, affectant la relation du sujet à ce qu'il voit, le fait parler.

Émergence du visuel dans le visible : un vitrail du Moyen Age ne fait pas que transposer (transférer), selon l'axiome d'Alcuin (pictura quasi scriptura), les attributs descriptifs de tel saint personnage ou les moments narratifs de tel épisode hagiographique : « la réalité visuelle de ce même vitrail, comme l'écrit si justement Georges Didi- Huberman, sera d'abord le mode sur lequel une matière imageante fut conçue, au Moyen Age, de façon que les hommes qui entraient dans une cathédrale s'éprouvaient eux-mêmes comme marchant dans la lumière et dans la couleur » 6. Dans la lumière-couleur que le vitrail projette sur le sol, sur ce sol-lumière, se consomme l'événement (et quasiment ici l'avent ou avènement) figurai d'une effusion de la Parole donnant à voir.

Or cet événement qu'est toujours à nouveau, dans la textualité comme dans la visualité, la production du sens n'ouvre-t-il pas la logique discursive à une autre entente du symbolique, celle qui nous fait voir et parler ?

5. Cité par G. Raillard, « La nage poissonne », Obliques, 24-25, « Sartre et les arts », p. 34. Sur le figurai dans le langage, on lira les belles analyses de L. Jenny dans La Parole singulière , Paris, Belin, 1990.

I 6. Devant l'image, Paris, Ed. de Minuit, 1990, p. 40.

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