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Chapitre XXIII - Et voici comment mon histoire se finit

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Chapitre XXIII - Et voici comment mon histoire se finit… En cherchant bien, on doit y trouver une morale.

orsqu’on se raconte, c’est que le temps a passé. Margarita et Marcel se traînent sur l’herbe à quelques

pas de la tonnelle, là où j’ai pris racine. Angel les surveille. (Finalement, nous l’avons baptisé Angel.) Il a grandi. Un chien, ça vieillit plus vite qu’un humain. Il prend son rôle très au sérieux, Angel. Je pense qu’il n’hésiterait pas à choper l’un de ces deux diablotins par la peau du cou, s’il lui prenait l’envie de s’éloigner par trop d’un périmètre raisonnable. Pascale est calfeutrée dans son bureau, au rez-de-chaussée de la maison. Elle a repris ses recherches, mais à présent elle travaille surtout grâce à l’Internet. On a acheté la maison. Elle appartenait à une vieille tante de Pascale qui ne voulait s’en séparer à aucun prix. « Une maison de famille…, avait-elle dit à sa nièce, sur un ton désapprobateur, tu n’y penses pas !… » Après avoir vu les zéros qui se succédaient sur le chèque, elle avait ajouté : « Mais avec toi, ça ne sortira pas de la famille… »

L’argent pose problème dans deux cas : lorsqu’on en manque ou lorsqu’on en a trop.

Nous, nous sommes passés d’un stade à l’autre si rapidement, qu’une fois notre aventure terminée, nous n’avons éprouvé aucun mal à nous mettre d’accord. Nous avions le choix entre se partager la cagnotte ou continuer à jouer en bourse pour tenter le jackpot. Certains peuvent penser que cet argent a été mal acquis, mais ce n’est pas notre avis : nous ne l’avons pas volé, nous l’avons gagné. Les trois sous « empruntés » à la First, lui ont été intégralement restitués. Notre magot est constitué des agios de cet emprunt, en quelque sorte. « C’est un butin de guerre », a déclaré le colonel. Et même Magnol, pourtant maladivement honnête, n’y a rien trouvé à redire.

C’est Delata qui a eu l’idée de génie :

- Pourquoi ne pas commercialiser le logiciel de Pascale ?

Ces paroles ont fait l’unanimité. Seule Pascale a tiqué. Finalement, elle a donné son accord à condition de pouvoir apporter certaines modifications. Elle n’a pas souhaité en dire plus. Je crois qu’elle l’a bridé. Il n’est peut-être

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pas magique, son logiciel, mais il doit être drôlement efficace pour qu’elle refuse en l’état de le mettre entre toutes les mains…

On a créé une petite société dont la présidence a été confiée à Delata. Le succès a été foudroyant. Faut dire que le bonhomme, cette fois, il a trouvé sa voie. Sur le plan professionnel, où il explose littéralement, en P-D.G. branché d’une start-up, et dans sa vie privée. Il s’est installé avec Henri, à Utelle, et j’ai l’impression que ce dernier a définitivement renoncé à faire la guerre… D’ailleurs, Pascale m’a dit, l’autre jour, qu’il avait planté des lauriers roses et de la lavande tout autour de sa résidence et qu’il s’en occupait avec beaucoup de goût. Ils font un drôle couple, tous les deux…

Dans quelques semaines, Lorraine termine son stage à Sophia-Antipolis. Elle et Magnol ont acheté la maison voisine, une vieille bâtisse qu’ils se sont mis en tête de remettre en état. Magnol a repris du service pour encore quelques mois. Après, il se met en disponibilité. « Tu comprends, a-t-il dit, je ne peux pas quitter la boîte si vite après

l’école de police, ça ne serait pas correct vis-à-vis de l’administration. Et puis, il y a quelque chose que je veux faire, avant de partir… »

J’ai compris de quoi il retournait l’autre semaine, dans Nice-Matin, en lisant que le commissaire Duchantre était soupçonné d’avoir détourné une importante somme d’argent saisie dans le cadre d’une enquête pour fraude fiscale contre un certain Nicolas R.

Il était vraiment fait pour être flic, ce Magnol. Lorsqu’il va démissionner, sûr que la « grande maison » va perdre un élément de valeur. Mais dans l’administration, c’est comme dans la vie, c’est toujours les meilleurs qui s’en vont… Je blague. Je suis certain que le jour où il va rendre sa carte tricolore, il en aura gros sur la patate… Pour le consoler, je lui ai promis qu’après je l’appellerai par son prénom.

Quant à Paulo, il envisage sérieusement de quitter la First pour venir s’installer dans la région. On a eu une conversation sérieuse avec B&B et les représentants de la Sturdy. Ils se sont excusés d’avoir chargé une officine privée de me surveiller. Ils ont juré leurs grands dieux qu’ils voulaient juste s’assurer que je ne les avais pas escroqués. Ils n’ont pas parlé du logiciel de Pascale et, comme c’est secret, je n'en ai pas parlé non plus. Un silence complice, pourrait-on dire. Ils ont sorti leur chéquier pour me dédommager. Paulo et moi, on n’a pas été dupes : ils étaient en train d’acheter notre silence. Le plus étrange, ça a été la réaction de mon ami : Lorsqu’ils lui ont proposé la place de B&B, non seulement il a refusé, mais il a exigé que celui-ci reste le patron de la boîte. Il paraît que B&B est venu le voir après, il

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pleurait. C’est sans doute la première fois qu’il utilisait ses mouchoirs en papier pour sécher ses larmes…

Depuis, l’ambiance a changé dans la salle des marchés. Mais il est resté ferme, Paulo, il partira. D’ailleurs Delata a besoin de lui. J’ai entrepris de décortiquer les petites annonces et, de temps en temps, je visite une maison et je lui fais régulièrement le compte-rendu téléphonique de mes prospections. Mais, ce n’est pas évident, il est à la tête d’une famille nombreuse, le bougre ! une vraie colonie de vacances.

Il a décidé d’arrêter de fumer, et moi de boire. C’est bizarre comme on envisage l’avenir différemment, lorsqu’on a quelque chose à perdre.

Je n’ai pas vraiment de projets. Je me fais l’effet d’un patriarche. Les amis viennent me voir, à tour de rôle, pour me demander mon avis, ou un conseil.

Un peu comme un parrain.

Pascale aussi, parfois, me demande mon avis. Je lui ai dit l’autre jour qu’elle avait changé. « Non, c’est toi qui as changé », m’a-t-elle répondu.

Marcel est un enfant adorable. Il pousse comme un champignon et il est en pleine santé.

Une chance sur deux, avaient dit les médecins. Mais, cette maladie affreuse, dont je ne peux seulement pas retenir le nom, a la triste particularité de pouvoir se déclarer n’importe quand, parfois à l’âge adulte, et sa fin est toujours irrémédiable.

Les spécialistes appellent cette ignoble chose, cette épée de Damoclès, une maladie orpheline. Elle fait partie de ces maladies pour lesquelles aucun laboratoire

n’a jamais recherché le moindre médicament. Des recherches non productives sur le plan économique, et je suis bien placé pour savoir que la bourse n’apprécierait pas.

Ces deux mots « maladie orpheline » sont terribles. Ils sonnent comme un renoncement, un abandon, et alors qu’avant je serais passé, indifférent, je les rumine, et je ne peux pas être complètement heureux.

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Le chèque des Américains, je ne l’ai pas pris. J’ai été plus exigeant : ils se sont engagés à créer une fondation pour lutter contre cette calamité. C’est la première fois que des investisseurs institutionnels font œuvre utile. L’autre jour, à la télé, j’ai vu le grand patron du Sturdy Fund : port modeste, œil mouillé, voix douce et persuasive, il était magnifique dans son rôle de bienfaiteur de l’humanité.

Pascale m’a donné une leçon, et longuement j’y ai réfléchi. J’ai le temps, à présent, et puis…, j’ai arrêté le rhum (je me suis mis au vin d’orange). Toutes les fables ont une morale, mon histoire aussi. J’ai découvert que l’homme, même le plus ordinaire, comme moi, possède tout au fond de lui des ressources qu’il ne soupçonne pas. J’ai compris qu’à l’avance, rien n’est écrit, surtout pas notre vie, et que nous devons nous méfier de ceux qui nous affirment le contraire. À trop les écouter, nous nous installons dans la facilité et nous prenons le risque de perdre notre combativité, et de voir disparaître ces qualités innées que nous possédons forcément, puisque dans ce monde nous sommes ce que nous sommes.

J’ai compris surtout que le bonheur n’est pas un droit, ni un cadeau. Il ne vient pas des autres, quoique les autres nous disent, mais de soi-même. Pour le trouver, il faut retrousser ses manches. Il faut le gagner.

Bien installé dans mon petit paradis, je vous entends dire qu’il est facile de méditer, de philosopher, lorsqu’on a une vie de carte postale. C’est vrai. Pourtant, le bonheur n’est pas la plénitude et j’ai parfois l’impression qu’il me manque quelque chose - l’aventure, peut-être !

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Journal rédigé dans un petit village du sud de la France, et refermé le 15 juillet 2008.

GM (par intérim)

Photo et images :

- Couverture : Photo Sylvie Dellus.

- Le chien et l’enfant : Magazine archebdo.ch.

- Les amoureux gay : Photo LCI.fr.

- Le champignon : Les aventures de Tintin dans L’étoile mystérieuse de Hergé.

- L’auteur en méditation : Photo Sylvie Dellus, juillet 2008.

Ce texte légèrement remanié a été publié chez Lulu.com sous le titre La journée des 3 Sorcières.

Il est vendu 13,80 € ou peut être téléchargé pour 3 €.

Les lecteurs de ce blog peuvent l’obtenir gratuitement en téléchargement. Il suffit de m’adresser un mail.

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