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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France La morale pour tous (4e éd.) / par Ad. Franck

La morale pour tous (4e éd.) par Ad. Franck

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

La morale pour tous (4e éd.)/ par Ad. Franck

Franck, Adolphe. Auteur du texte. La morale pour tous (4e éd.) /par Ad. Franck. 1880.

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Couvertures aupeneute et intérieureen eouieuf

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MORALE POUR TOUS

PAR AD. FRANCK

MEMBM DE t.'MSTntJT

PM~SSEOB*n OOHË6EBEfMNCE

NOUVELM ËomON

PARIS

LÏBRAIRIE HACHETTE ET C'e& ?9, Bom~VAM) s*n)T-amtM~N, ?9 <.0

UBt~M)MM~t~.<~<mMtP-9:MMM.K.ttMS

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CeetemMme. T}fp. Atmmt MNMT <t P. BRODARB.

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d t~MM <M NM<t&~tM! &)e4MtM,< vot. aMe eartes.BeM~C~-d'a'tMw.

E[M!Mt. Vi~~ef~Naxt.~aMttC~tfto<~e«&ZaM.i~. c-NtaM(Ka~).A! toxt~tM <6t )MM&tt~de«e)n)mmm)t.t tôt.

MgMTt (W. Q.) MM a'm<! <tM<tf~Mt& em~ah. i tôt. mee Mfte.

Femm fAM A)xn<N«<f<nt M~mexfeN AttXMMt. i <tt.

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HetrewaM (R.)!Se«M)~<fNs .aM~.iwt.

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LA MORALE POUR TOUS

DU MEME AUTEUR:

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BteMmtMtre des Mtenees pMhMeÇMttaMt;Z* <d:Men.

l~e!.ZM))nHtt-< 35<r.~aa)tf<taMd'nneMat<ht<~)~lToLim~ 1 fr.ataBMHM~.lToLin-8' ?&.<?~CertMadelToLin~ 6&. st~a~M-temtatM.lvol.in-8*7<r.MtM<M)!Mte)t)ft<et paMMstM<b fE<)it<e. 1 w). in~ 7 <r. MtMtnMfMe et Y~UatMt. 1 Toi.in-8* 7tr.6&m!ea<<p~dodMMt&Mt.lToLim.M. ajb.)M~

tMofmpMxdm dMtt eod6atatt)'p)< 1 voL in-M 9&.Mt<e t<!fath~ame emCtMMe tM xvm*atMte.lvci. in-Ï8. 9 er. M

ne ta BttmN!e. 1 voLin-18. < M~tattmsMtoaaM.lwL. s ?

CoeMMMitM. Imptimmie PA~ttBMB&BC.

LA

MORALE POUR TOUS

i'JRÂ~ AD.FRANCK

MEtmMM!mST!TOT

HtemssNm AC atn4at t)z Kumct

QUATM&ME ÉDrnON

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C"'M,MOMWAm9AmT-CE&]t&!N,T9

i880tte)M<tp~mtM<.)MtMtit.~n<.

TABLE DES MATIERES

ÏNMMMUcn<H~ ïMBMRoBet dïVMÏMt de la MoK~Cw<~«~* JL

PREMÏËRBPARTIE

taTCHOLOSÏE ttOHAM

I. Coup dMl sur la nature humaine en geacML Mmeet le corps. Phénomènesphysiologiques et phénomènespsychologiques. Phénomènes mixtes. SemiMMte, intet-Hftenee, aetiviM. AetMte*vMgIe at ~entanee. AetMMwhMt~Met rea~thte.–UberM. t

tT. On n'~iipu Hbrement Mns avoir )m but on <m m«ti&De* différentemotifs de nos aettOM le pUmit, !t passion,

l'inteifet. le devoir en te bien. Comment nona apetceveMht diaMncNon An bien et du mal; quels aontJet Meea et lessettHmen~ qui se produisent dtnt notre <me en preMnfe4'nne bonneon d'nne mauvaise aoHon. Cesideea et cessen-ttmen~ ne développent dam HfdM~par t'ednoaiton,dansla soe!<t< et dans chaqne peuple par la cMHMNon. M

ni. Mdee dn bien, fondement de la morale. Rftppofftaqui existent entre l'idée dn bien et l'idée dn devoir. Soncaractère abeola et nniveMeL Comment lee hommes ap-pMqnentHdée dn bien MX dia&fentostieNona de la vie. ai

IV. ]&t quoi l'idée dn bien dNeM des notions de l'niib etde l'agféaMe, et dea autres mobiles avee lesquels on y<t tropsonventeMt&nane. M

V. Retent snr la distinctionde yhonneteet de 1'ntite. Ceqni constitue le eMMteM moral Ott la bonté d'un acte, cen'est pM le plaisir on l'intérêtqu'on y tronve, mais la confor-mité de ees actes avee la loi dicMe par la Misen on parla eoMeienee morale. I.'MstoiM nous prouve qM les

hmmNM ont toujours envisagé le bien comme le motif<u-premedenosactes, etque les aetiona les plus admireea sonteeUea o& tTatOret personnel et la passion ont été aacnSea Mdevoir. M

VI. SanoHene de, ta loi momte. Première sanctionaanotion morale, Mtnefda et 8<tis&ct!on de eenMience.Deuxième Mnottoa MmeUem physique, Men-ttM et e«nf-france mtMdeb qui fëfnttemt de nos bonnes et de nos mm-vaMea<M!t!oM. M

VU. TMieiëme MncNem sanction société. Double ma-nifestation de la MnetMtsociale h conscience publique,oureatime et le tnepdt de nos semblables;la loi pénale. Bat1etimMtettteMiotp~aa)e.

Vm. Sanction reti~eme, ou Mnmo-tttM de l'Ame. Né-CMaiM de cette Mnotion pear Mppïeef & ee que les tatreteatd'uMnfSMntetd'ia~tnptet. 48

tX. AntM* prettViM de MmmerttUte de t'4me. 4<t

MnxiÈMËpAR'ns

NMtM macMamm B!m

X. Division de la morale pMprenMni dite. Division etchMMiNett~oadesdewiM. Pourquoih division des dttwetM

)t remplacé 1'tmaenme division de h vertu en q<Mtte ~et~MOMdiMtes.< SI

CHAPITREPREMIER

MOMM ïttmvmcmM

Xt, J&t!<tb MMhMBt, on deveiM enveM aouMnemeo.Oevoprs de la morale icdMdueUeqni regardent îe corpa.De t'hypèee. De It gymnastique. De ie tempenmce.

Le suicide eeadM~nëpar, les lois de la moMte. MX~. DevoiM de la morale individuelle qui regardent l'tme

ils se rapportent aux différentes &e)tïtes,sensibilité, inteUi-genoe, volonté, qu'il <Mt développeret diacipNnefen vue det'aoeotnpUssement duMen. M

SU. Du travail. La tp; du travail obligatoire pour tous.Du tfa~Mtimposé & oh<tqae homme selon son ettt et sa

pM~mien, Chaque condition, dans la aeoietë, a son impef-tance et peat avoir sa dignité,quand on e'aaqaRte adelement

4ee obligations qu'elle impose. Influencesâlutaire du tra-vail sur la moralité humaine. De l'épargne accumnMe ouducapHai ?

CHAP1TM nMOBAI.R SOOt&M

Rmn!ejreMeMt!).–tatmuBe.

XfV. Devoirs de l'homme envers ses semblables ça enversla société. Division et ctassincation de ces devoirs. Lafamille, premier fondementde la société et condition nëeeë-mi!re des m<Bare pabMqoea. Commentht Mic!tedes peapteaaugmenteon diminue selon que les liens de la famille se res-serrent ou se reMohezt. Du mariage et des devoirs qui en.découlent M

XV. Devoirs des parents envers les enfants. Subsistance,entretien, instruction, éducation. Éducation par les bonsexemptes. Les devoirs des parents envers les en&nts sontla source des droits qu'ils exercent sur eux ou le fondementde l'autorité paternelle. Des limites de t'aatorité patet-Nette selon la raison ou la loi naturelleet selon le Code.Comment cetteautorité a varié chez tes différents peuples etaux différentesépoquesde l'histoire. 7A

XV!. Devoirs des enfants enversles parents. Devoirs desen&nis, tant qu'ils sont mineurs obéissance, amour et res-pect. Devoirs des en&nts âpres teur émancipation!recon-.iMMsance et piétéfiliale. 79

XVn. Devoirs des entants <mtreeux. Liens naturels queetée entre eux la communauté d'origine et d'éducation.Sentiments naturels qui en sont la suite. Devoirs qui ré-pondent& ces sentiments. Deveirs mutuela des frères etdes soeurs. Devoirs des frères et des sœurs atnés enversles plus jeunes. Amitié et solidarité de la famille. ?tMidtme *MM<m. -KtMttte m f~mL -BMonNte nMmmt

<MtmsM semMaMMhmsde la tMatMe.

XVÏÏÏ. La famille suppose la société humaine en général.Z

La vie sociale est la condition et le complément nécessairedb la vie domestique. Par nécessite et par instinct.par<tbutes sea facultés, l'homme eat un être esseutiettMMM so-diable. L'état de nature, tel que l'ontcompris certains phi-teMphea, n'a jamais existé. M

XÏX. Les Mations de la société sont, comme les aat!en<individuelles, aoumiaes à la loi du devoir. Fondement desdevoirs de l'hommeenvers Ma semblables eemmnnanM denature; communauté de destinée! fraternité humaine. Ltirole de chaque homme à l'égard de sea semblables est de &-voriserde tout son pouvoir l'aeeompiMsementde leurs devoirset de leurdeetitëe. ?

XX. Distinction des devoirs de justioe et des devoirsde eha-~ite. Lea devoifa de jastice reposentsur cette maxime fou-dameniate < Ne faites pas à autrui ce qae vous ne vondnezpas ttn'en veaa fit. Ba consiateet !t rendre a~ ohaoan ce quilui appartient et à respecter le droit d'aatmi. Corrélationnécessairedea idéesde droit et de devoir. –ÉMmeration deaprincipauxdroits de la personnehumaine et des devoira quienaomtheona&qaence. M

XXI. De l'obligationde respecterla vie de nos semblables.1/homieidevolontaire, hora le cas de légitime défense, eat

an crime contraire t toutes les lois divines et hamaines.Du daeL Origine da daeL Ce qui a pa i'exeaaerantre-fois. Pourquoiil est crimineldans l'état actuelde la société.

Dn droitqu'à la société d'inBi~r des peines aux conpablea.Fondementdn droitpénat. -Comment les lois pénaless'a-

doucissentpar les progrès de la civilisation. MXXn. De l'obligation de respecter nos semblables dans leur

Mherte. UberM de conscience. Uberté individuelle.L'eaotavaa'eest une institution criminelle. Le servage estun esclavage adouci, mais également condamne par toutesles loismoMtea. 109

XXItI. De l'obligation de respecter nos semblables damsleur inteUigence etdans les effortsqu'Us font pour s'instruireet connaître la vérité. Da mensonge. De la calomnie.

De la diBamation.–De la médisance 106XXÏV. De l'obligation de respecter nos semblables dans

lears biens on ie<trs propriétés. Origine et fondementdela propriété.–Dndroitde anoessiond'après la loi natareile etd'après le Code. Devoir de restituer le bien mal acquitet de réparer les dommages causés à autrui. 110

XXV. De l'obligationrésultantdes contrats ou conventionsconclns entre particuliers. Pourquoi la loi intervtent entreles deux parties pour les forcer à tenir leurs engagements.

Comment h* conscienceest d'accord avec la loi. USXXVI. Le caractère commun des devoirs de justice et des

droits oui y correspondent,c'est qu'on peut recourira !& con-

tMMtteponr faire observer les une et respecter les autres.Exempte* tirés dm Code. Comment lea devoirs de justice,étant négatita et d'abstenNon, ne sont que la moitié de lavertu, et comment M tant y joindre les devoirs d'action et decharité qui se résument dans cette maxime < Aimez votreprochain comme vous-même, et faites à autrui ce que vousvoudriez qu'on vous Ht. Le8 devoirs de charité, quoiquete ceaatituanttmenn droitpour celui qui en est l'objet, n'enaent pas meiM oMijpttOtrea pour ohaoun de nous dana ht me-mredenoaforceo U7

XXVJt!. Grandeuret beauté morale du dévoeemeni. Dansun État bien organisé, la loi dn sacrifice a'MeompUtà toustea degtet de t'écheBe Meitde; NOM sommet toa* oMitje* denom dévouer les une pour les tntrM, ohacun Miwnt SMmoyens. 193

XXVïn. La loi de charité ne permet ni de désirer le malde prochain,ni de ae réjouir da mal qui lui arrive, ni deB'tNi~r de aea aaeeea ou de sa prospérité. Du pouvoirque nous avontt sur noa pMtiozs. De i<t haine. De t'ea*vie. De la vengeance. De l'orgueiL De fintotérance.

BtCaeRcede ce*passions ear l'individu et sur la société. 195

TmMOM «ethm. L'étatM la Me~M etv)!e. BtMtM tMpN<~MaBMtat<t<neHeym.

XXÏX. lA société dans ses rapporta avec l'Etat. Qa'M~ceque t'État et qoeUes sont tea conditions de aon existemcer–Dea lois de l'Etat. Du gouvernementou des pouvoirs char-géa de les exécnter. De la nation et de t'amour qu'elleinapire k chacun de aes membres sous le nom de patriotismeça d'amour de la patrie. Quelles sont les sources d'oudérive t'amour de la patrie. De la force qu'il prête a cha.que citoyen et à la nation tout entière. Ce qu'il a produitde grand et de fécond aux différentes époques de l'his-toire 130

XXX. Devoirs du citoyen envers l'État: Ob~ssanceet res-pect que le citoyendoit a la constitution et aux lois de l'État.

Obéissance et respect qu'il doit aux dépositaires de l'auto-rité. Motifssur lesquels repose chacun de ces devoirs. 185

XXXI. Autres devoirs du citoyen envers t'État il est obligéde prêter main.forte à l'exécution des lois, s'it en est requispar l'autorité compétente. Il est obligé, quand la patrioest en périt, quand son indépendance est menacée, de c0f~tribuer à sa défenseet de lui faire le sacrifice, aom-seuie-ment de ses intérêts, mais de savie. !?

XXXM. Dn devoir qu'a le citoyen d'exercer avao ~m~ee etloyawté les droits que la) confère h CeastttutioM et lesMa.Dans t'aceompMssementdes aotes de la vie civile il doit tvei~en vue le bien général et N'inspirer des motifs que la eons-e!enee lui dicte. Du courageeivit. t<4

XXXm. Devoirs de l'état envers le citoyen. Ea Mtearde* saoriBces qu'il lui demande, t'Etat doit reapecteret pto-KeBr le citoyen dana 88a droits et dana aea int~reta teptimea.

n doit venir en aide à l'individu et à la famille et aapp<eerà leur insaCsance pour aasarer le développement MteUeetnet<!t<nora) deiaaeoieM. MS

thMMaMe aMthM. Be~tfs dee tta~entre e~c[t dM MtÏNM eBtMtHM.–NaaMttaMemt.

XXXtV. –ONigationsde t'homme à Mgard de aea semblabiestMtMportées de l'individu & une nation tout entière. ObH-gation de respecter une nation dans sa vie propre, c'esUt-dire dana sa liberté et dans son indépendance. Obligationde respecter une nation dans son honneur et dans sa dignité.

Obligation de respecter une nation dans ses biens ou danssonterritoire. 1MXXXV. Dn droit de guerre. Quellea sont les conditions

auxquelles la guerre devient légitime. Toute nation a ledroit de se détendre contre une agression injuste ou de ren-verser les obstaclesqui s'opposent à l'exercice de ses droits.

La raison moderne tend à modifier les notionsancienne-ment reçues sur le droit de guerre et de conquête. 157

XXXVI. Différence entre le droit des gens naturel et le droitdes gens positii. Les relations internationales, soit qu'onles considère au point de vue des principes essentielsde lajustice, ou au point de vue des conventions positives et desusages qui les règlent, ont varié selon les différentes épo-ques de l'histoire.–Exemples. M4

CHAPITREIII

mv<MB8 DE ï/hOMMB jHtVBBS MS &TaBS !!<?~MMns A MH

jUULVLf. L'homme a des devoirs à remplir dans ses rap-ports avec la nature on avec les étre< inférieurs. Soit qu'oales fasse rentrer dans la morale individuelle, ou dans la mo-rale sociale, ou dans la morale religieuse, soit qu'on leurassigne une place à part dans la division de !a morale, ces

devoha ne doivent paa «M nê~N~éa. Comment nona de-vma traitM les anima)K. Loi QranMnont. OaajtC queMaa devona&iMdeaeheaeainanimeea MO

CHAPÏTREt~

NMMMN~msmMCMWMMaMMMMmXXXVni.–tamoralereBgteme est le couronnementnêeM-

MtM de lamorale. La morale religieusea pour fondementï* ofeyMMe à l'existencede Nea. Pnncipidea prewTM defMMteneede Dieu preuves Uréea de la nature inergaatqae,de la MtaM organisée, de t'eMemMe des &eoitea de l'tmehumaine, de la raison,da sentiment. ÏM

XXXÏX. De ]a nature de Dieu et de aes rapporta avecl'homme. Des sentiments que nous inspire la nature deDieu et des devoirs qa'eBe mena impose eatte inter!eat;eaMeexMDeM;eattepabKo. 183

XL. l.'accMBpMssememt de h M morale &!t partie de noadevoirs envers Dieu. Le devoir envisagé comme cMM-aance a la votante divine. Ce que le sentimentmoral em-prante de force a l'idée d'un têgmtatear anpTeme qm ordonnele bien et défend le mal tM

i.

INTRODUCTION

BËFïNITYON ET BtVÏStON BE LA MOMLB

La morale, si l'on remonte à Fétymologie de sonnom et à celle du nom qu'elle a porte dans l'anti-quité (1), est la science des mœurs, c'est-à-dire lascience qui nous apprend à réglernotre conduite et àgouverner notre vie, car les mœurs, selon la pluslarge et la plus juste aooeptiondu mot, ne sont pasautre chose que nos façons de vivre et d'agir.

Mais d'où nous vient cette censée de régler notreconduite et de gouverner notre vie par des lois géné-rales et constantes, susceptibles d'être la matièred'une science? De la certitude naturelle et inébran-lable que nous avons de ne dépendredansnosactionsque de notre seule volonté, de pouvoirnous conduiresuivantnos propres décisions, d'être, en un mot, descréatures libres. Notre liberté, comme notre viemême,comme tout ce quiexiste,a nécessaïrement unbut, une nn, que nous ne pouvons nous dispenser de

(1) ~9~ en grec, eth~aa en latin, étbiqbe en françaie, ftais(t) n~ en de la e&tee source, <9M~ en &am~,

<Mismots dërivés delà même sorn-ce, de ))«& meeuM.

oonnattre et qui ne peut être que la même pour desêtres de même nature. Donc la morale peut aussiêtre définie « La science qui nous enseigne notrenn, la fin pour laquelle nous avons été créés, et les

moyens de la remplir.»Agir toujours en vue de cette fin, c'est obéir à une

règle ou à une loi, c'est admettre qu'il y a des devoirs,c'est-à-dire'des actions qui nous sont absolumentcommandées et d'autresqui nous sont absolumentdéfendues par la raison, indépendamment de toutecontrainte extérieure, indépendamment de tout châ-timent et de toute récompense. De là une nouvellemanière de définir la morale, car on peut dire qu'elleest la science de nos devoirs.

Enfin,accomplir les actions qui nous sont comraan-dées et s'abstenir de celles qui nous sont défendues,obéir à la loi suprême de notre vie, remplir la finpour laquellenous existons, voilà ce qu'on appelle lebien; le contraire, c'est le mal. D'où il résulteque lamorale est aussi la science qui nous instruit à faire lebien et à éviter le mal.

Toutes ces déSnitionssont également bonnes, carelles expriment exactement la même idée. Elles sup-posent que l'homme,étantun êtrelibreet raisonnable,doitnécessairement se demanderquel usage la raisonexige qu'il fasse de sa liberté.Cette question, en effet,n'a pas cessé d'occuper l'homme depuis qu'il existe;la morale est aussi ancienne que la société, qui nesaurait subsister, ni se former sans elle.

Il est impossible que la morale nous enseigne com-ment nous devons nous conduire, ou quelles règles

nous devons suivre dans les différentes situations denotre vie, si d'abordelle nenousafaitconnaître leprin-cipe commun de toutes ces règles, la loi supérieure,universelle, d'où elles dérivent et à laquelle elles em-pruntent leur autorité. D'un autre côté, puisquelamorale suppose nécessairement la liberté et ne peutse concevoir sans elle, il faut que, avant de nous ap-prendrequel usage nousdevons faire de cette faculté,elle en démontre l'existence eten détermine la nature.Mais il ne sumt pas, pour les comprendre, de considé-1eren elles-mêmes la libertéet la loi supérieure que laraison lui impose, il faut savoir les distinguerde toutautre principe et de tout autre mobile d'activité; ilfaut discerner le rôle et le rang qui leur appartiennentdans le développementgénéral de l'âme humaine. Delà la nécessité de diviser la morale en deux parties;l'une, qui nousapprend quel est l'instrumentet quelest le principede la morale, c'est-à-direquelles sontles conditions sans lesquelles elle ne saurait exister;l'autre, composée des règles et des préceptes, des obli-gations et des défenses auxquelles nous avons à con-former nos actions. La première, purementthéorique,contient nécessairement une analyse de l'âme hu-maine, une étude de nos facultés faite au point de vueparticulierde notre destinée et de notre nn. Aussi ladésignons-nous sous le nom de psychologie morale.La seconde, essentiellement pratique, puisqu'elle serenferme tout entière dansl'expositionde nos devoirs,

nous représente la morale p!'opfeMMn<dite, la mo-rale entendue dans le sens restreint où on la prendtrès-souvent.

Au lien de ces deux expiassions: la psychologiemorale, la morale proprementdite, on emploie habi-tuellement colles de morale générale et de moraleparticulière. Mais la premièrede ces dénominationsmanque de clarté, car elle ne fait pas connattre le vé-ritable objet de la branche de la morale à laquelleelle s'applique. La seconde manque de justesse. Iln'y a pas de morale particulière c'est l'essence mêmede la morale de s'adresser indistinctementà tous leshommes et de n'admettre ni exception, ni dispense.Chacun des devoirs qu'elle nous prescritest absoluetaniversel.

MORALE POUR TOUS

PREMIÈRE PARTIE

MWCHOMMB MONAM)

1

Coup d'eail snr ht mttare humaine en geneMt. L'Orne et teeorpt. Phenomenea phyaietogiqaea etphénomènes psyone-togiqmea. Phénomènes mixtes. SensiMMtô, inteUigenee,activité. Activité aveugle et spontanée. Activité Teloa-taire et réfléchie. Liberté.

Dès que l'hommecommence à ref!echir, son atten-tion se porte invinciblementsur lui-même, et il netarde pas à s'apercevoir qu'il est formé par l'unionintime de deux natures, ou, comme on dit plus géné-ralement, de deux substances trës-diBarentes l'âmeet le corps. Le corps a ce triple caractèred'être perçupar les sons, d'être multiple et divisible, de changeravec les années et de se renouvelerpériodiquementdans toutes ses parties. Il est perçu par les sens, caril est visible, palpable, étendu, pesant; il a couleuret figure et se déplace par le mouvement. Il est mul-tiple et divisible, car il se compose de plusieursor-ganes distincts, faciles à discernerles uns des autres,tant par leurs formes que par leurs fonctions, etchacun de ces organes renferme un nombre indé&nid'éléments et de parties. Enfin, indépendammentdes

changements visibles et sensibles que lui apportentl'âge, les innrmités, les maladies, il est prouvé que,par la nutrition et les diverses sécrétions auxquellesil est soumis, sa substance est renouvelée intégrale-ment à chaque période de sept à dix ans. L'âme nousoffre des caractères absolument opposés. Aucun denos sens extérieurs ne peut l'atteindre. C'est par u&sens intérieur et invisible, par un sens spirituelap- ,1

pelé du nom de conscience, que nous l'apercevonsou qu'elle s'aperçoit avec une certitude au moinségale à celle du témoignage de nos yeux, de nosoreilles ou de nos mains. En effet, qui est-cequipeutdouter de sa propre existence, de l'existence de sonmoi? Or, le moi n'est pas autre chose que l'âme seconnaissant elle-même par la conscience et parlantd'elle-même à d'autres âmes. L'&me est absolumentune et indivisible. Il n'y a qu'un moi dans chacunde nous, et la supposition qui nous paraîtrait la plusincompréhensible est que ce moi pût être partagé,ouque chacun de nous fut à la fois une seule personneet plusieurs. Tandisque chaqueorgane du corps n'estpropre qu'a une seule fonction, le poumon à la res-piration, le foie à la sécrétionde la bile, les artères etles veines a la cireulationdu sang,lemoi est tout en-tier dans chacune de ses opérations. Il n'y a pas enmoi une partie qui raisonne, une autre qui juge, unetroisième qui veut, une quatrième qui admire ouqui aime; c'est avec toute mon âme, avec toute mapersonne que j'accomplis ces diSérents actes d'ou ilïësulte que l'unité est un attribut essentiel, un descaractères distinctifs de l'âme. Maintenant, peut-ondire que l'âme se renouvellq comme la matière dontnos organes sont faits ? Non, car nous noussouvenonsdu passé le plus éloigné, ce qui serait impossible sinous ne restions les mômes. Quelle que puisse être h

durée de notre existence, nous sommes aats quenotre moi d'aujourd'hui est celui de nos premièresannées, et, selon la règle de conduite que nous avonssuivie, nous nous repentonsou nous applaudissonsdesactes dont nous nous reconnaissons les auteurs.

Les deux natures dont l'homme nous présentependant son existence actuelle l'étroite combinaisonse manifestent par deux ordres de phénomènes,non-seulement distincts, mais absolument dissem-blables. Nous percevons directement par la cons-cience toute seule, et sans aucuneinterventionde nossens, tous les faits dont notre moi est le sujet onla cause, comme la joie, la tristesse, l'amour, lahaine, le doute, la connaissance, la réflexion, la déli-bération, le jugement, les actes de volonté. C'est lecaractère essentiel et indestructiblede ces faits de nepouvoir se produire sans que nous en ayons immé-diatement connaissance, et de se dérober à l'actiondes organes par lesquels nous sommes informés del'existence et des qualités du monde extérieur. Jouir,souffrir, aimer, haïr, douter, connaître, vouloir, c'estsavoir que l'on jouit ou qu'on souffre, qu'on aime ouqu'on hait, qu'on doute, que l'on connaît, ou qu'onveut. Et comment le sait-on? Ce n'estni par les yeux,ni par les oreilles, ni par lè tact, ni par aucun autreorgane de cette espèce, mais par le sens intimeou parla conscience. Il en est tout autrement des fonctionset desmouvementsqui, s'accomplissant sans la parti-cipationde la volonté et de l'intelligence,appartien-nentuniquement à notre existence matérielle, o'est-a-dire au corps organisé et vivant. Ceux-là, ce n'estpoint par la conscience qu'il nous est donné de lesdécouvrir, et nous ne les saisissons pas directementmême par les sens il nous a fallu pour les connaîtreune longue suite d'observations délicates, et de labo"

rieuses expériences. Que de générations ont passé surla terre avant que l'on soupçonnât la circulation dusang, l'action de nos poumons sur l'air qu'ils ont ab-sorbé, les transformations successives des alimentsqui renouvellent la substance de notre corps, le rôledu systèmenerveuxdans le mouvement générâtde lavie)Cela n'a pas empêché la circulation,la respira-tion, la nutrition, l'innervation, de se produired'unemanière aussi constante et aussi régulièreque de nosjours. Tous les phénomènes de cette classe se passanten dehors de l'âme, même quand ils agissent indirec-tementsur elle, et ne pouvant être compris que dansla science de la nature, ont reçu le nom de phéno-mènes p&~M~o~Mes (1). Les premiers, qui parais-sent au contrairerester comme étrangers à la natureet se renfermer entièrement dans l'âme ou le moi,ont été appelés des phénomènes psychologiques (2).

Cependant tous les faits dontse composenotre exis-tence ne sauraient trouver place dans ces deux caté-gories extrêmes. Il y a des modifications du corps,les unesaccidentelles, les autres périodiques et régu-lières, comme les phénomènes physiologiques, quine restent pas ignorées de la conscience.Parexemple,que les tissus vivants, qui forment notre enveloppe,éprouventsubitementquelque lésion, ou qu'ils soient'mis en contact avec un agent extérieur, ou qu'aprèsune abstinence prolongée ils aiont~besoln de réparerleur sève appauvrie, aussitôtnous en sommesaver-tis par une sensation particulière, o'est-à-dire parune façon d'être dont nous avons nécessairement uneconscienceplus ou moins distincte,puisqu'il est im-

(1) De deux mots grecs, })<«<« M~, qui signifient discourssur h nature.

(3) De ~0~ Ame, et Mytt, diacoMs,discours sur Mme ousciencede t'âme,

possible de sentir sans savoir que l'on sent. Ilyaaussi des fonctions et des mouvements de l'organismequi, bien que physiquementnécessaires, ne peuventcependant pas s'accomplir sans l'intervention d'uneforce supérieureaux organes. Ainsi, boire, manger,sont sans doute des actes matérielsdont la nature, enles rendant indispensables à notre conservation, anxé et dirigé elle-même le mécanisme, mais quiexigent l'impulsion de la volonté ou de l'instinct.Quand l'enfantà peine né presse de ses lèvres le seinde sa nourrice, il n'obéit pas simplement aux lois dela mécanique ou de la physiologie, il cède à unepuissance mystérieuse qui est en lui et qui le conduità son insu. Il en est de même des mouvements quenous exécutons spontanément pour reprendre notreéquilibre quand nous sommes en danger de le perdre,ou pour soustraire nos yeuxet notre tête au coup quilesmenace.

Il y a donc lien de reconnattre dans la nature del'homme .une troisième classe de phénomènes quitient en quelque sorte le milieu entre les deux quenousavons déjà constatées, et qui, tout en participantdans une certaine mesure à îeur double caractère,ne doit pas plus se confondre avec les phénomènesphysiologiques qu'avec les phénomènes psycholo-giques. Ce sont tous les faits mixtes, sensations,appétits, actes instinctifs, qui nous représentent parleur réunion ce qu'on appelle d'habitude la vieanimale.

Les fonctions purement physiologiques étant horsde notre pouvoir, comme elles sont hors de notreconscience, nous n'avons pas, dans l'intérêt de la mo-rale, à nous en occuper davantage. La vie animale,;dans les limites où elle est susceptible d'être gouver-née, où elle accepte une règle et une discipline, est

placée sous la dépendance des faits psychologiques.C'est donc uniquement sur ces derniers que doit sefixer notre attention. S'il y a une loi qui commandeégalement à tous les hommes, sans distinction detemps, d'origine, de pays, il faut qu'elle soit écritedans la conscience, il faut que notre âme puisse lalire en elle-même dès qu'elle vient à réSéchir sur sanature et sa destinée.

Tous les phénomènes qui se passent en nous, etdont la conscience seule nous atteste l'existence,peuvent se ramener à trois sentir, penser, vouloirce qui revient à dire que nous avons trois facultésprincipales la sensibilité, l'intelligence, la volonté.Une faculté, en effet, n'est pas autre chose qu'unpouvoir,unepuissance, la puissance de faire, le pou-voir d'éprouvercertaines choses.Par conséquent, ellene peut être mieuxétablie que par le fait lui-même.

A la sensibilité appartiennentle plaisir, la douleur,le désir, la joie, la tristesse, l'amour, la haine, lapitié, la frayeur, en un mot, nos sensations et nossentiments. Les premières, comme nous venons de-ledire, dépendent des organes; mais les seconds, àmesure qu'ils s'élèvent, ont pour résultat de. nousdétacher du corps et de tous les êtres périssables.Au-dessus des passions égoïstes, nous rencontronsd'abord l'amour désintéressé de nos semblables, etau-dessusde l'amour de nos semblables,l'amour dela vérité, celui du beau, du bien et dujuste, l'amourdivin, qui a enflammé tant de belles âmes depuisPlaton jusqu'à sainte Thérèse.

Sous le nom de l'intelligenceou de la pensée, oncomprend à la fois les diverses facultés auxquellesnous devons nos idées et nos connaissances, et lesopérations par lesquellesnous les mettons, pour ainsidire, en valeur et leur faisons rendre tout ce qu'elles

contiennent, car notre esprit, commenotre corps, estsoumis à la sainte loi du travail.

Nos facultés intellectuelles, du moins celles qu'ondistingue le plus facilement les unes des autres, sontla perception des sens, ou simplement la perceptionpar laquelle nous connaissons lé monde extérieur,c'est-à-dire les corps et leurs diverses propriétés; laconscience, ou le sens intime, qui nous instruit denotre propre existence et de tout ce qui se passe ennous; la raison, qui nous enseigne les vérités éter-nelles, les rapportsnécessaires des choses, les condi-tions absolues de toute existence la mémoire, qui,sans rien ajouter aux connaissancesque nous possé-dons, a le don précieux de les conserver; l'imagina-tion, qui crée dans notre esprit des images dépour-vues de réalité ou peint avec de vives couleurs desobjets véritables; mais éloignés on disparus. Quantà la conscience morale, qu'il faut bien distinguerdussns intime, ce n'est que la raison entant qu'elles'ap-pliqueà l'ordre moral et qu'elle nous éclaire sur nosdevoirsdans les différentes circonstances de la vie.

Les opérations de la pensée que nous produisonsnous-mêmes et qui nous servent à développer et àcoordonner nos connaissances naturelles sont enassez grand nombre, si toutefois il est possible deles ramenerà un nombre invariable. Nous nous con-tenterons de citer l'attention, la rénexion, la compa-raison, le jugement,l'abstraction, la généralisation,la classification, l'analyse, la synthèse, le raisonne-ment.

Toutes ces opérations se résumentdans une seulele travail que l'esprit, par la puissance qui lui appar-tient et dont il dispose à son gré, accomplit sur lui-même. L'âme n'est donc pas seulement sensible etintelligente, elle est active. Mais son activité ne se

renferme pas dans le domaine de la pensée elle semanifeste aussi par l'empire qu'elle exerce sur nosorganes et sur nos mouvements. Alors elle prend lenom de volonté.

La volonté doit être distinguée avec soin de l'ins-tinct. Tandis que l'instinct agit à la manière d'uneforce aveugle, étrangère en quelque sorte à notreâme, puisqu'elle s'exerce à notre insu, ignorante à lafois des lois qui la dirigent, du but qu'elle poursuitet des moyens qu'elle emploie, la volonté a un carac-tère essentiellement personnel,et on a été, non sansraison, jusqu'à dira qu'elleest la personnalitémême.Vouloir, en effet, ce n'est pas seulement avoir cons-cience de la détermination qu'on a prise ou de l'ac-tion à laquelle on s'est décidé, c'est reconnaître,avecune entière certitude, qu'on en est l'auteur, et qu'onaurait pu, quel qu'en soit le motif, s'arrêter à unerésolutiondifférente. En un mot, la volonté n'existepas si elle n'est pas libre; elle se confondavec la li-berté, et la liberté, c'est le privilége que nous avonsd'être les maîtres de nos actions, c'est le pouvoirquinous a été accordé par l'auteur de notre existenced'user comme il nous plaît, soit des facultés de notreesprit, soit des forces de notre corps, de les dirigervers un but ou vers un autre, au mépris même desinstinctsles plus puissants de notre nature, sans nouslaisserarrêter par la douleur ni par la mort.

Sans la liberté, la morale n'existe pas, car, com-ment prescriredes devoirsà un êtrequi n'est pas l'au-teur et par conséquent qui n'est pas responsable deses actions ? Sans la liberté, le bLn et le mal, la jus-tice et l'iniquité, la vertu et le crime, ne sont que desmots vides de sens on n'est ni bon ni méchant, nijuste ni injuste, ni criminel ni vertueux, quand onfait ce qu'il est impossible de ne pas faire, quand on

obéità une loi ou à une force irrésistible. Cela seulsuffirait à prouver que l'homme est libre, puisque,maigre lui, l'homme fait ces distinctions et règle surelles ses actions, ses jugementset son langage. Maisla liberté n'a pas besoin de preuves, parce qu'ellen'est pas susceptible d'être sérieusement révoquée endoute. Nous sommes aussi sûrs de notre liberté quede notre existence,car elles nous sont attestées l'uneet l'autre de la même manière; nous les affirmonssurla foi de notre conscience. Aussi, malgré quelquescontradicteurs isolés, qui eux-mêmes, en toute cir-constance, se conduisent exactement comme s'ilsse croyaient libres, la liberté a-t-elle toujours étéexpressément reconnue dans les actes et dans lescroyances du genre humain. Les lois, les tribunaux,les assemblées délibér&ntes, les supplications, lesconseils, les menaces, les exhortations morales et re-ligieuses, le dogme universellement accepté de l'im-mortalité de l'âme sont autant de façons diBérentesd'exprimer cette conviction, car on ne commandequ'à celui qui peut obéir, on ne condamne et onn'absout que celui que l'on tient pour coupable ouinnocent, on ne conseille et on ne prie que celui quipeut écouter nos conseils et nos prières, on ne con-çoit de récompense et de châtiment, distribuéssurla terre ou réservés dans le ciel, que pour celuiqui les a mérités en faisant le bien ou le mal,et par conséquent qui a librement choisi entre lesdeux. On cite, il est vrai, des peuples entiers, parexemple les Grecs de l'antiquité et les Turcs de nosjours, qui ont professé le fatalisme. Mais en accueil-lant le fatalisme dans leur poésie et dans leur reli-gion, ces deux nations ne lui ont jamais abandonnéleur législation et leur morale. Les Grecs pleuraientdans leurs théâtres sur les malheurs d'Œdipe, pour-

suivi par la haine du destin et innocent malgré sescrimes mais leurs lois punissaient sévèrement l'in-ceste et le parricide. Un gouvernement musulmanrestera sans défense devant l'invasion do la peste,persuadé que nos jours sont comptés et qu'il n'y aaucun acte de prévoyance qui puisse en changer leterme; mais il se gardera d'absoudre le pillage, lemeurtre,. la rébellion et de leur livrer la société,sous prétexte que nos actions, comme nos destinées,sont écrites d'avance dans le oiel

IIOn n'agit pas librement sans avoir nn but on un motif. Dea

différents motifs de nos actions le plaisir, la passion, l'inté-rêt, le devoir on le bien. Commentnous apercevons la dis-:tinction dn bien et du mal; quels sont les idées et les senti-ments qui se produisentdans notre âme en présence d'unebonne ou d'une mauvaise action. Cesidées et ces sentimentsse développent dans l'individu par l'éducation, dans la so-ciété et dans chaque peuplepar la civilisation.

L'homme est libre, c'est un fait qui résiste à tousles raisonnements possibles et brille de la mômeclarté, quoique ce soit d'une clarté tout intérieure,que ceux qui frappent nos sens. Mais la liberté,telle qu'elle existe en nous, n'est pas cette chi-mère imaginée par quelques philosophes sous lenom de liberté d'indinérence.Sans le sentiment quinous excite et nous anime, sans la raison qui nouséclaire, en un mot sans un but, sans un motif, ilnous est impossible d'agir; autrement,nous descen-drions au-dessous même des forces aveuglesde la na-ture, car la natureobéità des lois, et nous en serionstotalementprivés avec la liberté d'indifférence, qui&'est pas autre chose au fond que la volonté d'un

insensé. Comment comprendre, d'ailleurs, que lasensibilité et l'intelligence fassent partie de nous-mêmes au même titre que la volonté, sans exercersurelle aucune influence, sans lui prêter l'une ses incli-nations et l'autreses lumières,sans fournirdes motifsà nos actions?

Cesmotifssontnécessairement deplusieursespèces,puisqu'ils émanent de deux facultés dinerentes. Onpeut les réduire à quatre le plaisir, la passion, l'in-térêt, le devoir ou le bien.

Par le plaisir, on entend habituellement ce quiflatte nos sens. Or, nos sens peuvent être flattés dedeux manières par la satisfaction d'un besoin réelqui représente une des conditions de notre conserva-tion, comme la faim, la soif, le repos aprèsla fatigue;et par le contentement d'un désir plus ou moins fac-tice que nous avons créé en quelque sorte, et quenous prenons soin d'entretenir. Ce n'est point dansle premier cas, mais dans le second, que le plaisirdevient un des motifs de nos actions. Dans le pre-mier cas, nous obéissonsaux sages lois de la nature;dansle second, nous nous sommes plu au contraire àles renverser pour leur substituer nos fantaisies.Outre le plaisirproprementdit, on distingueles plai-sirs de l'esprit, les plaisirs du cœur, les plaisirs del'imagination;maisceux-ci, suffisamment distinguésdu premier par leurs qualifications, sont ordinal"'rement la récompense d'un devoir accompli ou'd'uneculture de l'âme noblementacquise par le tra-vail.

La passion est un motif d'actionplus puissant quele plaisir et d'une autre nature. Lorsqu'au.lieu de luirésister, comme elle en a le pouvoir, notre âme s'a-bandonne à l'un de ces mouvements impétueuxquis'appellentl'amour, la haine, l'envie, l'orgueil, l'am-

bition, la vengeance, on ne peut pas dire que ce soitle plaisir qu'elle recherche. Chacune de nos passionsa son objet propre qu'elle s'efforce d'atteindreà toutprix, même au prix des plus cruelles souSranoes,et quelquefois de la mort. Un amant véritablementépris n'hésitera pas à donner sa vie pour l'objetaimé, et, chose plus étonnante,un ennemi acharnésacrifiera la sienne pour satisfaire sa haine. L'ambi- 'ctieux,pour arriver au pouvoirou pour s'y maintenir,supporteratoutes les privations, s'imposera toutes les Jcontrainteset ne reculeradevant aucun danger. f

L'intérêt diffère à la fois des doux motifs précé-dents. Il diffère du plaisir comme l'utile diBere del'agréable.L'utile, c'est ce qui dure, ce qui contribueen tout temps a notre bien-être, tandis que l'agréablen'est que la sensationd'un instant. Aussi le plaisiretl'intérêt sont-ils rarement d'accord entre eux, et iln'est guère possible de poursuivre l'un sans êtreobligé d'abandonner l'autre. Par exemple, si nousvoulonsconquérir l'aisance et la sécurité dans l'ave-nir, il fautque nous sachions résisteraux tentationsdu présent. L'intérêt ne se sépare pas moins de lapassion, puisque lepremierest toujours réfléchi,tou-joursguidépar le calcul, et que la seconde, dans sonemportement, est incapable d'écouter autre chosequ'elle-même. Quandpar hasard il lui arrive de mé-diteret de combiner,c'est pouréclaterplus tardavecplus deviolence.

Mais un être véritablementlibre est déterminéàagir parunquatrième motif devant lequel tous les au-tres s'effacent, ou auquel du moins ils sont tous su-bordonnés c'est le devoir ou le bien, c'est-à-dire laloi que la raison nous prescritcomme ia seule dignedenous, laseuleà laquelle il n'est permis à personnede faillir, sous peine de démérite et de déchéance,

la seule qui n'admette ni transaction,ni condition,et qui ne tienne compte ni des temps, ni des lieux, nides circonstances.

La notion du bien, par conséquent le discernementdu bien d'avec le mal, est un fait primitifde la naturehumaine, qui ne vient ni de l'éducation, ni de la lé-gislation, mais que l'éducation développe et que lalégislation consacre publiquement dans l'intérêt del'ordre social. Dès que nous avons conscience denous-mêmes ou que nous nous apercevonsque noussommes des êtres libres et intelligents, nous savonsen même temps qu'il y a une règle d'après laquellenous devons agir pour rester dignesde notre libertéet de notre intelligence.Seulement il faut remarquerque cette règlene se montrepas tout d'aborddans sonunité et son universalité, avec ce caractère abs-traitqui ne la rend accessible qu'à la pensée. C'est àl'occasion ou en présence d'un des faits particulierssur lesquels s'étendson autorité, c'est dans l'instantmême où nous la voyons accomplie ou violée par unacte de la volonté humaine, que la loi du devoir nousapparaît tout à coup comme une révélation inté-rieure, qui s'adresse la fois à notre sensibilité et-ànotre raison, qui donne l'impulsionà notre cœurenmême temps qu'elleéclaire notre esprit.

Voici, en eBet, ce qui se passe dans notre âmequandnous sommes témoins d'une action librementexécutée et qui intéresseà un degréquelconque notreconscience, c'est-à-dire le principe de la morale.Cette action, d'abordnous l'approuvonsou la désap-prouvons, ou, ce qui est la même chose, nous la ju-geons bonneou mauvaise,etnous éprouvons, dans lepremier cas, un sentiment de satisfaction, dans lesecond, un sentiment de peine, comme si nous avionspersonnellement à nous en féliciter ou à nous en

plaindre. Passant ensuitede l'action à Fauteur, il de.vientpour nous le sujet d'un autre jugement et d'unautre sentiment étroitement liés avec les premiers.Nous pensonsqu'il a mérité ou démérité, qu'il estdigne de récompenseou de châtiment, d'être heureuxou malheureux,en raison et par les eSeis de sa con-duite, et, en môme temps que nous portons sur lui cejugement, il nous inspire, selon le degré de vertu oude perversité dont ila fait preuve, un sentimentd'es-time ou de mépris, d'admirationou d'horreur.

Les actions dont nous lisons ou écoutons le récitproduisent les mêmes effets que celles qui se passentennotreprésence. Quant à cellesque nous accomplis-sons nous-mêmes,elles nous présententquelque chosede plus et qui nous pénètre davantage.Ce qu'ellescontiennentde plus, c'est le jugement qui lesprécèdeet le désir ou la lutte qui accompagnent ce jugement.H n'est pas nécessaire que notre volonté se soit tra-duite en fait pourque nous sachions quelle est la qua-lifioation qui lui convient. Notre intentionseuleexcitedéjànotre approbation ou notre blâme,et si malgréceblâme nous passons à l'exécution,c'est que, après uncombat insuffisant entre le désir naturel que le biennous inspire et la passion qui nous pousse au mal,nous avons cédé volontairementà la dernière.Voilàce que la conscience appliquée à nos propres actionsest seulecapablede nous apprendre.Elle donneaussian sentiment moral un caractère plus énergique etplusprofond, en substituantau mépris età l'estime leremords et la satisfaction de conscience. D'ailleurs,le mépris et l'estimese reportent égalementsur nous-mêmes, et c'est dans ce cas qu'ils attestentle mieuxl'existencedu devoir.

Cependant, dansl'analyseque nousvenons de faire,on ne rencontre encore que des faits et rien qui res-

semble à un principe. Les sentimentsque nous éprou-vons pour nous-mêmes et pour les Mires, t'estime,le mépris, la satisfaction de conscienceet le remords,les jugements que nous portons sur les personnes etsur les actes; autant de faits particuliers,autant dephénomènes intéressant à observer, mais qui pour-raient bien, si l'ons'arrêtaitlà, être considéréscommele partagede quelques âmes privilégiées.Où doncestcette loi inviolable qui s'impose également à tousavec une irrésistibleautorité,et dont la connaissanceplus ou moins claire existe naturellementchez tous?

La loi morale se dégage comme d'elle-même, danstout son éclat, des différents actes d'intelligence etdes divers états de l'âme que nous avons énumérés,car il n'y en a pas un seul qui ne la suppose et quine reporte la pensée vers elle. Comment concevoir,en effet; qu'un acte quinous estétrangernous paraissebon ou mauvais, ou qu'un homme avec lequel nousn'avonsaucunrapportsoit estiméou mépriséde nous,s'il n'y a pas dans notre esprit,au même instant, uneidée du bien et du mal, une règle d'après laquellenous devons mesurer à nos semblables notre estimeet notre mépris, une loi à laquelle tous sont obligésde conformer leur vie sous peine d'être vils et haïssa-bles tout à la fois dans leurs personnes et dans leursœuvres?

L'idée du bien et du mal est toujours accompagnéede ce qu'on appelle le principe du mérite et du démé-rite, c'est-à-direde la croyance que la loi morale ré-clame impérieusement une sanction. Cette croyance,non moins naturelleni moins inébranlable que cellequi nous assure de l'existence du devoir, se manifesteen nous de la même manière, à l'occasion d'un juge-mentparticulier. Nous pensons d'abordque tel de nossemblables dont nous approuvons ou blâmons la ooa-

duite menteune récompense ou un châtiment,puisaussitôt nous apercevons une relation générale, né-cessaire, entre le bonheuret la vertu, entre la souf-france et le crime, et l'on nous étonneraitbeaucoupsi l'on venait nous dire que nous nous trompons etque l'harmonie qui règne dans toute la nature estabsente de l'ordre moral.

Ces principes, ces idées, ces sentimentsexistent engerme chez tous les hommes, car ils forment dans leurensemble un des caractères les plus essentiels de lanature humaine, et il n'est en notre pouvoirni de lescréer ni de les détruire complétement. Mais il n'estpas rare qu'ils soient obscurcis et comme refoulésdans les profondeurs de notre âme par les passionsbrutales,par l'ivressedes sens, par les angoissesde lafaim, ou par le sommeil de la raison. C'est ce qui afait croire à quelques esprits systématiques ou super-ficiels qu'ils étaient le fruit de l'éducation. L'éduca-tion, sans contredit, est nécessaire pour les appeleràla lumièrede la conscience et les faire passerpar laforce de l'habitudede la conscience dans les actions.Mais l'éducation ne peut pas changer la nature del'homme; elle ne peut que la développer et la fécon-der. Elle tire de nous-mêmes les sentiments et lesidées sur lesquels elle exerce son influence et qu'elleamèneà leur perfection, comme l'agriculture tire dela terre les semencesqu'elle fait monter en épis.

La civilisation est pour les peuples et les races ceque l'éducation est pour l'individu. La civilisation,c'est la fécondation de l'intelligenceet de toutes lesfacultés humaines par l'expérience et le travail d'unelongue suite degénér&tions. La conscience moraleprend sa part de cette œuvrecommune. Amesure queles peupless'éloignent de la rudesse de leur enfance,!t mesure que l'industrie diminue leur misère, que

l'art les rend sensibles & sa magie, que la poésie leurouvre la sphèrede l'idéal,que la religion leur apprendà lever les yeux vers le ciel, on les voit devenirplushumainset plus justes, ilsse font une idée plus élevéede l'homme et le respectent davantage.

IIIL'idéedu bien, fondementde la monde. Rapports qui exis-

tent entre l'idée du Mon et l'idée du devoir. Son caractèreabsolu et universel. Montrer par des exemples commentles hommes appliquentl'idée du bien MX différentes actionade lavie.

Des deux idées qui sont la règle suprême de nossentiments moraux et que supposent tous nos juge-ments soit sur les hommes, soit sur les actions hu-maines, l'idéedu bien et l'idéedu mérite, la premièreest de beaucoup la plus importante et celle à la-quelle convient le mieux le nom d'idée fondamentale,car, sans le bien, il nous est impossible de concevoirle mérite, tandis que le mérite rentre nécessairementdans l'idée générale du bien. Croire que celui qui afait son devoir et plus encore est digne d'une récom-pense, que celui qui l'a violé appelle sur lui un cha-timent, ce n'est pas un principe absolument à part,ce n'est que l'idée de la justice distributive, o'est-à-dire une des applications de la justice. Or, commentséparer le bien du juste, et ne pas considérer commeune des premières conditions de tous les deux à lafois l'harmonie de la vertu et du bonheur? L'idée dubien est donc le fondement véritable, le fondementunique de la morale; c'est elle qui en supporte, pourainsi dire, tout le poids, qui est la source d'oùdécou-lent tous nos devoirs. Cela est si vrai, que les actionsles plus louableset les plus belles, quand elles sont

accomplies par le désir seul de mériter une tôcom-pense sur cette terre ou dans une autre vie, rentrentpar là même dans la classedes actions intéresséesquiont pour mobile, non le devoir, mais le calcul.

Le devoir est nécessairementcompris dans le bien,mais le bien n'est pas tout entier compris dans le de-voir. Celui-ciest moins étenduque celui-là, et les rap-ports qui existent entre eux peuvent être représentéssous lafigure de deux sphèresconcentriques qui, ayantle même centre, diffèrent par leurs circonférences.Qu'est-ce, en effet, que le devoirC'est cette loi écriteen nous-mêmes à laquelleun être libre, un être rai-sonnable ne peut faillir sans se rendre indigne de laraison et de la liberté, par conséquent sans déchoirdu rang qui lui est assigné par sa nature, sans en-courir son propre mépris et celui de ses semblables.Cela revient à dire que le devoir s'impose à nousabsolument, et que celui qui le viole avec intention,se plaçant en dehors ou plutôt au-dessous de l'huma-nité etde la société, donne à la société et à l'humanitéle droit de le répudier, de le rejeter de leur sein. Hest hors de doute que ce que la raison nous com-mande avec ce caractère d'impérieuse obligation estessentiellement bon. Mais tout ce qui est bon, tout cequi est conforme aux lois de la raison, tout ce qu'ad-mire et applaudit la conscience morale, est-il obliga-toire, at parconséquent doit-ilêtre comptéau nombrede nos devoirs? Nul n'oserait le prétendre. Ce n'étaitpas un devoir pour saintVincent de Paul d'ouvrirunasile a tous les orphelins abandonnés. Ce n'était pasun devoir pour lord Byron de voler au secours de laGrèce opprimée et de sacrifier, à la délivrance d'unpays qui n'était pas le sien, toutes les splendeurs desa vie et sa vie elle-même. Ce n'est pas le devoir quia persuadé à tant d'hommes courageux d'allerbraver,

dans des climats éloignés, la fureur de la fièvre etde la peete, a6n de rapporter dans leur patrie lesmoyens de la préserverde ces fléaux. Dira-t-on qu'ily a deux espèces de devoirs, les uns qui obligent etd'autres qui n'obligent pas? C'est exactementcommesi l'on soutenait qu'il y a des devoirs qui ne sont pasdes devoirs. D'ailleurs, si les actions de la nature decelles qui viennent d'être citées étaient rigoureuse-ment exigées de tous les hommes, il n'y aurait pas demilieu entre la perversitéet les plus sublimes vertus.Celles-ci n'étant plus pour ainsi dire que l'acquitte-ment d'une dette, perdraientleurs droits au respectetà l'admiration du genre humain; car, si l'on estimeun débiteurfidèle à ses engagements, on s'abstientdelui dresser des statues et des autels.

Qu'est-cedonc que le bien, s'il ne se confond pasexactement avec le devoir et si, n'étant pas exigécomme lui, nous le considérons cependant commela règle suprême de notre vie? Le devoir, c'est lalimite au-dessous de laquelle il ne nous est pas per-mis de descendre, sans perdre, dans l'ordre moral,notre qualité d'homme. Le bien, c'est le but le plusélevé que puissentse proposer les efforts réunis detoutes nos facultés; c'est l'ordre éternel, l'ordre su-prême, auquel, par les attributs distinctifs de notrenature, nous sommes appelés à concourir dans lamesure de notre intelligence et de nos forces; c'estplus qu'une simple loi de notre existence ou une per-feotionrelative, c'est la perfectionmême, vers laquellenous portent à la fois la raison et le sentiment, laréflexion et dés instincts sublimes,et dont il est ennotre pouvoir d'approcherde plus en plus sans l'at-teindre jamais.

Le bien, sous la seule forme ou dans les limitescirconscrites du devoir, nous offre ce caractère, qu'é-

tant la loi obligatoire, inviolable, non-seulement detous les hommes, mais de tous les êtres intelligentset libres, il n'admet aucune exception, ni saspension,ni dispense en faveur de qui que ce soit par con-séquent, il peut être conçu comme une loi univer-selle son universalitése confondavec son existencemême. Voici,par exemple,un préceptequiest acceptésans contestation comme fondement de la justice

=« Ne fais point aux autres ce que tu ne veux pointqu'ils te fassent. Supposez que ce précepte ne s'ap-plique pas indistinctementà tous les membres de lafamillehumaine,aux grandscomme aux petits, auxpeuples comme aux individus, aussitôt il perd savaleurmorale,il est dépouillé de sa nature immor-telle et divine pour descendre aurangd'unepure con-vention ou d'une loi imposée par la force. Universel,le devoir est par là même absolu, o'est-à-direqu'il ne jsouffrepas plus de conditionsque d'exceptions, qu'ilne transige avec aucune autre loi et ne reconnaîtd'autre exigenceque celle qui est en lui tout le restedoit luiétre subordonné.S'il n'en était pas ainsi,il neserait plus la loi suprême, la première loi que laraison impose à un être raisonnable. C'est pour ex-primer cette idée qu'un illustre philosophe, Emma-nuel Kant, a donné au devoir le nom significatifd'tntpô'a~ca~yo~MC.

Le Mon, considéré dans son unité, nous offre né-cessairement les mêmes caractères. ll est universel,puisqu'on lui sont implicitement renfermés tous lesbiensparticuliers,etquetoutcequi n'est qu'uneusur-pation de son nom, une ombre de sa puissance, doitdisparare devant lui. Il est absolu, puisqu'il estce que notre esprit peut concevoir de plus élevé, etque tout lui étant subordonné, il n'est lui-même su-bordonné à rien; supérieur à toute cause de modi-

&catiom et de changement, il représente l'ordreétemel et immuable.

Il résultede là qu'il n'y pas une seulede nos ac-tions, pourvu qu'elle tombe sous l'empire de la li-berté, qui ne puisseêtre soumise à son contrôle et nerentre directement ou indirectementdans la sphèrede la morale. Ainsi, la nature nous a donné desappétits et des besoins qui nous invitent avec uneextrême énergie à remplir les conditions de notreconservation physique. Mais ces appétits, ces be-soins, irrésistiblesdansla bête, sontsubordonnés chezl'homme aux lois de la conscience et de la raison.Par exemple, nous devons refuser de satisfaire notrefaim et notre soif aux dépens du bien d'autrui, et, àprendre dans leur ensemble tous les actes du mêmeordre, il est en notre pouvoir en les accomplissantde ne pas céder seulement à la voix de l'instinct,mais d'obéir au devoir, celui qui nous ordonne denous conserver a&n de remplir ici-bas notre tâche.Un amour naturel du b~n-être nous pousse à nousfaire un patrimoine,à nous créer un capital, à réunirdesressourcescontreles besoins de l'avenir; à ce désirégoïste,nous auronssubstituéun sentimentmoral,si,par les mêmesmoyens, nous nous proposonsd'assurernotre indépendance,de mettre notre dignité à l'abrides tentations de la misère. Dy a dans notre cœurdes aSections innées, habituellementappelées la voixdu sang, qui unissent en un faisceau les parentset lesenfants, et sont un dos liens les plus puissantsde lafamille. Mais ces sentiments, en particulier l'amourmaternel, se changent quelquefois, quand ils sontabandonnés à eux-mêmes, en une passion avongte,déraisonnable, fatale à ceux qui l'inspirent. Il estdonc indispensable qu'elles soientéclairées par la lu-mière de la conscience et dominées par l'Idée du

devoir. Si de l'enceinte de la famille nous passonsdans celle de la société civile, nous trouverons deslois qui, malgré toute la justice et la sagesse qu'ellesrespirent, ne réussissent à se faire respecter quepar la force ou par la menace de leurs dispositionspénales. L'homme de bien leur obéit par un autremotif il se dit que le respect des lois, étant la con-dition de l'ordre social, hors duquel l'humanité nepeut subsister,doit être compté au nombre de nos de-voirs les plus sacrés. C'est ainsi que l'idée du devoir,que l'idée du bien, que la loi morale, en un mot,nousaccompagne dans toutes les circonstances de notrevie et embrasse toutes les sphères de notre existence.

IV

En quoi l'idée du bien din~fe des notions de l'utile et de l'a-gréable, et des autres mobilea avec lesquets on lit trop sou-vent confondue.

Montrerque l'idée du bien est universelle etabsolue,et qu'on ne peut lui refuser ce double caractère sansla rejeter arbitrairementhors de notre esprit où elletient une si grande place, c'est avoir prouvé que lebien se sépare par de radicales différences de tousles autresmobiles oumotifs de nos actions du plaisirou de l'agréable, de l'intérêt ou de l'utile, de la pas-sion et même des affections désintéressées que nouséprouvons pour nos semblables.

Le plaisir est une sensation essentiellementvariableet fugitive il ne dure qu'un instant il n'est pas lemême pourtous leshommes, et, dansle mêmehomme,il se modifie, il change avecles circonstances et avecles années. Comment un tel fait pourrait-il se oom-parer à l'ordre éternel et immuable qui représente

l'idée du Mon? Ce c'est pas seulement une différencequ'on remarque entre cette sensation et oette idée,elles sont en complète opposition l'une avec l'autre.

L'intérêt quoique plus durable que le plaisir,l'utile, quoique plus près de la raison que l'agréable,ne peut cependant pas être considéré comme unet&gle constante et générale, et encore moins commeune règle obligatoire de notre vie. Nos intérêts chan-gentavec notrecondition, notre fortune,notre rang,lesrapports que nous avons avec nos semblables, la pro-fession que nous avons ohoisie et bien d'autrescircons-tances dimciles à émunérer. Contentons-nous d'em-prunter quelques exemples à la diversité des profes-sions. Evidemment,celui qui s'est voué à la carrièredes armesnepeutespérer unavancemontrapide qu'entemps de guerre. La guerre est, au contraire,le fléauet le désespoir des métiers pacifiques. Le médecindésire trouver des malades, l'avocat des plaideurs;celui qui n'est ni l'un ni l'autre estime au-dessus detout la santé et le bonheurde n'avoir rien à démêleravec la justice. Le rentier se félicite quand il voitmonter le taux del'intérêt,l'industrielet le commerçantquand ils le voient s'abaisser par l'abondance descapitaux. Comment réduire toutes ces contradictionsà un principe identique et invariablerEn suppo-sant que par un miracle impossible on y eût réussi,rien ne serait fait, car il resteraitencore à revêtir ceprincipe de l'autorité d'une loi obligatoire. Or, nouscomprenons qu'on nous conseille de veiller sur nosintérêts maispersonne ne peut songer à nous en faireune obligation. Si j'ai compromis ma santé, monpatrimoine, mon crédit, on peut me dire que j'ai étéimprudent ou inhabile,mais non que j'ai été unmal-honnêtehomme.

La passion s'accorde encore moins que l'intérêt,

non-seulementavec l'idée du bien et avec l'Idée dudevoir, mais avec toute idée générale capable denous servir de règle, soit dans notre conduite en-vers nous-mêmes, soit dans nos relations avec nossemblables. Personnelle ou égoïste comme l'intérêt,fugitive et variable commele plaisir, la passion jointà ces deux innrmiiés celle d'être violente, aveugle,intraitable. Son caractère propre est de n'accepteraucune loi, parce que la loi, c'est la raison, et laraison est précisément le contraire de la passion.Ajoutez à cela que rien n'est plus discordant, pluscontradictoire que les passions entre elles. Plusieurshommes qui convoitent avec ardeur la même chose,qui ambitionnentle même honneur ou le même pou-voir, qui sont également incapables les uns en facedes autres de maîtriser leur orgueil, leur colère, leuramour de la domination, sont nécessairement, si laraisonn'a point d'autorité sur eux, des ennemis im-placables.Et cependant, qui le croirait?des utopistesont imaginé dans ces derniers temps que le libreessor de toutes les passions était le seul moyen d'as-surer le bonheurde l'individu et l'harmonie du corpssociaL Le libre essor des passions, s'il était possibleun seul instant, aurait pour conséquences inévitablesl'abrutissement de l'individu et la dissolution de lasociété. La morale du plaisir, autrement appeléel'épicurisme, et la morale de l'intérêt, conduisent,quoique plus lentement,au même résultat.

Restent les aSectionc désintéresséesque nouséprou-vons, à dimérents degrés et à différents titres, les unspour les autres la pitié, la bienveillance, la sympa-thie, l'amitié, l'amour sous sa forme la plus pure, lessentiments qui ont leur foyer dans la famille et ceuxqui se développent sur le sol de la patrie. Assurémentce sont là autant d'impulsions généreuses de notre

nature et qui nous rendent extrêmement facile, dansquelques circonstances, l'accomplissement de notredevoir, puisqu'ellesen font pour nous une jouissanceet un besoin. Mais des sentiments, dos affections,nesauraient être érigés en principe d'obligation, nesauraientrevêtir le caractère d'une loi universelle, et,par conséquent, se refusent à prendre la place que

client dans notre conscience et dans notrevie l'idée du:bien. Nous ne disposonspasde notre cœur comme de~totrevolonté; il ne dépend pas de nous d'aimerou de:ne pasaimer,d'être émus depitié, ou de rester insensi-bles à la vue desmaux d'autrui comment doncpour-rait-onnous prescrirele premierde ces deux états etnousinterdirele second ?Puis, tous leshommes,mêmequand ils sont placés dans une situationidentique,n'aiment pas également ni avec une égale constance.Qui déterminerala mesurequ'on sera obligé d'attein-dre et qu'on nous défendra de dépasser?Une mesurecommuneétantimpossibleà trouver, il faudradono ad-mettre desdevoirs intermittentset inégauxcommenossentiments?Ondiraasonprochain <: Jene vous aimepas; donc, je n'ai pas d'obligations à remplir enversvous. On dira à son père et à son frère, à sa mère età sa sœur, à sa femme et à ses enfans <: J'ai cesséde vous aimer, j'ai ouvertmon cœur à d'autresaffeo-tions, je me suisfaitun autre foyer; donc, vous n'avezplus le droit de compter sur moi. Enfin, entre lebien considéré en lui-même et la bienveillance quenous avons pour ceux qui nous entourent,entre nosdevoirs et nos affections pour les personnes, la diffé-renceest si grande, qu'ellese traduit souvent en op-position. Cela est si vrai que, dans un procès où ilserait obligé de prononcer entre un des siens et unétranger, un juge intègre ne manquera jamais dese récuser, quand la loi n'a pas elle-même prévu ce

danger. L'histoire a inscrit sor la liste des héros lesnoms de ceux qui, placés entre l'amour paternel etleur consciencede magistrats, ont mieux aimé étouf-fer le cri de leurs entrailles que violer les lois de lompays.

Ainsi l'idée du bien, l'idée du devoir, ne peut serésoudre dans aucune autre idée; elle est un de cesprincipesconstitutifs de notre raison, un de ces prin-cipes nécessairese~ éternels qu'onne peut nier ou es-sayer de supprimer sans nier la raison elle-même.L'ordre, la loi qu'elle nous représente et dont lecaractère est de s'imposer d'une manière absolue àtoutes nos actions libres, étend aussi son autoritésurles diSërontsmobilesde ces actions, tels que le plaisir,l'intérêt, la passion, le sentiment et, loin de se con-fondre avecaucund'eux, n'accepteleur influence quelorsqu'ellel'a subordonnée à elle-même.

Vs

Retour sur la distinctionde l'honnête et de l'utile. Ce qniconstitue le caractère moral ou la bonté d'un acte, ce n'estpas le plaisir ou i'intér&t qu'on y trouve, mais la confor-mité de ces actes avec la loi dictée par la raison cm parla conscience morale. L'histoire nous, prouve que leshommes ont toujours envisagé le bien comme le motifsu-prêmede nos actes, et que les actions les plus admirées sontcellesoù l'intérêt personnel et la passion ont été sacnnéa audevoir.

De toutes les erreurs qui méconnaissent la nature etle principe des lois de la morale, il n'y en a pas unequi ait trouvé des défenseursplus habiles etplus con-vaincus, et qui soit par elle-même plusspécieuse,quecelle qui confondle devoir avec l'intérêt, le bien avecl'utile. Il est donc indispensable de s'y arrêter et deréunir, pour la combattre,tous les moyens que peu-

vent suggérer à la fois le raisonnementet l'obser-vation.

Remarquons d'abord que les partisans de cetteopinion, autrementappelée la morale utilitaire, s'ap-puientsur un fait incontestable c'est que l'utile etle bien sont engénéral étroitementunis ensemble. Lesactionset les œuvres moralement bonnes sont pour laplupartutiles; les actions et les œuvres utiles sortentrarement du nombre de celles que notre conscienceapprouve comme bonnes. Comment s'en étonner?Est-ce que le bien n'est pas la suprême loi,.l'ordreuniversel, et l'ordre universel ne doit-il pas com-prendre nécessairement la satisfaction des besoinsvéritables ou des intérêts légitimes de la nature hu-maine? Or, lorsqu'on reconnattdes intérêts légitimes,on avoue par là même que tous ne le sont pas; et,comme il n'existe point, pour les distinguer les unsdes autres, d'autre règle que la loi morale, il estévident, dans cette supposition, que l'utile et le bienne sauraientse confondre, lepremierétant absolumentsubordonné au dernier. Si l'on soutient, au contraire,que tous les intérêts sont égaux devant la conscience,que tous sont également légitimes, également res-pectables, comment y trouver une règle de con-duite, une loi générale et invariable,puisqu'ils sont,commenous l'avons dit, en contradiction les uns avecles autres? Mon intérêt n'est pas le même que celuide mon concurrentou de mon rival; l'intérêt d'au-jourd'hui n'était pas celui d'hier et ne sera pas celuide demain. A ne consulterque l'Intérêt, le riche, s'ilne subit point l'empire de la pitié, n'a-t-il pas raisonde rester sourd aux supplications du pauvre, et lepauvre, réduit à une situation où il a tout à gagneret rien a perdre, n'a-t-il pas raison aussi de se ligueravec ses pareils contre le riche?

Cette objection a été prévue par les défenseurs dela moralede l'intérêt, et, afin de ne pas la laisser sansréponse, ils ont imaginé la doctrine de l'm~r~ bienentendu,accueillie avec faveur par l'esprit sceptiquedu xvm" siècle. La doctrine de l'intérêt bien entendufait une différence entre le vrai et le faux intérêt,entre l'intérêt tel que le comprend un égoïsmeéclairéet celui qui est le but d'un égoïsme aveugle, étroitebrutal c'est le premier, non le second, qu'elle nousprescrit de prendre pour règle de nos actions. Or, lepremier comprend aussi bien les plaisirs de l'espritet les jouissances du cœur que les voluptés des sensou le bien-êtrematériel. Iln'exclut, dit-on,aucun sen-timent généreux et élevé, puisque les sentiments decette espèce et les actions qui en découlent, répon-dant à un besoin de notre nature, sont un élément denotre bonheur.

Il ne faut pas un grand effort de réflexion pour seconvaincre qu'il n'est rien de plus chimérique quecette prétentionde faire entrer le bien lui-même dansles spéculations de l'intérêt. Les jouissances que nousdemandons à notre conscience comme le prix enquelque sorte convenu d'avanced'une bonne action,nous sont refuséesaussitôtque cette actioncesse d'êtredésintéressée, et elle cesse d'être désintéressée quandnous l'avons faite, non par amour pour le bien, maispar amour pour nous. D'ailleurs, nous n'aurionsaucuneidée de la satisfaction intérieure que le biennous procure, si nous n'avionscommencé par le pra-tiquerindépendammentde toute considérationégoïste.Puis, s'il est vrai que la vertu nous apporte des plai-sirs incomparables, n'exige-t-elle pas aussi de nousde cruels sacrifices? Qu'est-ce qui nous donnera laforce de les consommer? Assurément, ce ne sera pasl'épicurismeramné de l'intérêtbien entendu. Ce n'est

pas lui qui me persuaderaqu'il faut renoncerà tout,repos, bien-être, honneurs,fortune, et qu'il faut toutsouffrir, même les derniers supplices, plutôt que demanquerà la justiceet à la vérité; ce n'est pas lui quiinspireraau soldat, sur le champ de bataille, le cou-rage de mourir pour la défense de son pays. Ennn, ilest impossible de ne pas remarquer aussi que, s'il nes'agit que d'une question d'intérêt personnel, chacunprend son bien où il le trouve personne n'a le droitde prescrire aux autres d'être heureux à sa façon.Vous cherchez le bonheurdans la bienfaisance, dansla vie de famille, dans les relations d'amitié, dansl'exercice de la pensée; j'aime mieux les plaisirs dessens et un solide bien-être qu'avez-vousà me re-procher ?

A la doctrine de l'intérêt bien entendu, on toutsimplementde l'intérêt personnel, d'autres ont subs-,titué celle de l'intérêt public ou de l'utilité générale.Bs ont pensé que les contradictions et les faiblessesqu'on reproche avec raison au premier de ces deuxsystèmes nepouvaientexisterdans le dernier,puisquel'intérêt public comprend nécessairement tous lesintérêtsparticuliers,et que, s'il y a des intérêts par-ticuliers qui refusent de se confondre avec l'intérêtgénéral, la raison exige qu'ils soient sacrifiés. Maiscette croyance reposesur une pure illusion. En effet,qu'est-ce qui me prouve, en l'absence de la notiondu bien et du devoir, que je sois obligé, si je n'y suispas contraintpar la force, de sacri&er mes avantagespersonnels à ceux de la société tout entière? Vousme direz que ces deuxsortes d'avantagessontsi étroi-tement unis ensemble qu'ils ne peuvent se séparer.Jen'en crois rien, puisque vous-mêmevous établissezentre eux une lignede démarcation en me prescrivantde rechercher les uns et d'abandonner les autres.

L'histoirenous apprend, d'ailleurs,qae dans tous lestempsil a existe des hommes, et à unecertaine époquedes classes entières de la société, qui vivaient auxdépens d'autrui.

Mais voici une dimculté encore plus grave, s'il estpossible. Que faut-il entendrepar cet intérêt public,cette utilité générale sur laquelle on veut faire reposer

toute la morale et par suite la législation? A quelsigne puis-je discerner l'intérêt public d'avec l'in-térêt particulierd'une classe, d'une caste, d'un parti?TJe distingue facilement l'usurpationdu droit, le droitdu privilège, la justice de l'arbitraire, parce que lajustice et le droit ont un caractère universelet im-muable. Mais l'intérêt public ne se révèle à moi paraucun signe déterminé, parce que l'intérêt, ce n'estpas autre chose, après tout, que la satisfaction de nospassions et de nos désirs, et que les passions, les dé-sirs de chacunde nous, s'accordentrarement, commenous l'avons démontré, avec ceux de tous les autres.il y a même des temps de violenceet d'emportementoù les passions et les désirs du plus grand nombresont en opposition directe avec les conditions perma-nentes de l'ordre social; aussi l'intérêt public a-t-ilservi de prétexte à la plupart des vices et des crimesque nous raconte l'histoire. C'est au nom de l'intérêtpublic qu'on a essayé de justifier la Saint-Barthé-lemy, la révocation de l'édit de Nantes, les massacresde septembre, le tribunal révolutionnaire,et d'autresmesures non moins funestes ni moins sanglantes.C'est au nom de l'intérêt public que la constitutionaméricaine, & l'exemple des constitutions de l'anti-quité, avait consacré l'institution de l'esclavage,devenue, il y a quelques années, par un justech&timent, une cause de guerre civile, et main-tenant abolie pour toujours. L'intérêt public1 il n'y a

pas une mesure si oppressive, une loi si inique,une tyrannie si odieuse, qui n'ait invoquéce nomfatal.

L'utile ne peut donc, à aucun titre, ni dans aucuncas, se substituer au bien, quoiqu'il en soit souventla conséquence. L'intérêt, soit particulier, soit géné-ra!, soit bien ou mal entendu, est absolument diSë-rent du devoir. Ce que nous qualifions d'utile, ce quenous appelonsnotre intérêt, c'est ce qui répondà nosdésirs ou à nos besoins, et n'offre, par conséquent,qu'une valeur plus ou moins limitée, plus ou moinsdurable, mais toujours relative. Le bien, le devoir,c'est ce qu'exige la raison d'un être raisonnable etlibre, c'est la raison même, reconnue comme la loiuniverselle,absolue, immuable,de toutes nos actions,la règle suprême de toutes les volontés aussi bien quede toutes les intelligences.

Cette distinction, c'est le fond éternel de la cons-cience humaine, car, depuis que l'humanité existe,c'est-à-dire depuis qu'on a commencé à écrite sonhistoire, en prenant acte de ce qu'elle pense et de cequ'elle sent, on voit que les mots devoir, droit, jus-tice, chanté, dévouement, tous ceux qui désignentdans une de ses applications l'idée du bien, ont pourelle un sens. On en trouve les équivalentsdans toutesles langues et chez tous les peuples arrivés à un cer-tain degré de culture, et partout ils exprimentce queles hommes connaissent de plus sacré, ce qu'ils sonttenus d'honorer à l'égal de Dieu même, comme uneémanationde sa volonté et de sa sagesse, ce qui de-vraitêtre le but de leurs pensées et la règle de leursactions. Or, comment auraient-ils le signe s'ils n'a-vaient pas l'idée, et d'où leur viendrait l'idée, sinondu fond de leur conscience? L'humanité connaitaussi l'intérêt, la passion, l'amour dtt bien-être,

l'égoïsme sous toutes ses formes; mais elle se gardebien de les honoreret de les ériger en loi; elle n'hé-site pas même à les flétrirquand ils sont manifeste-ment en opposition avec les principesde la morale.Si cette diBërence n'existait pas dans la raison hu-maine, il seraitimpossible de comprendre les parolesqu'Aristideadressaità ses concitoyens <: Athénioms,

ce que Thémistocle vous conseille est conforme àvos intérêts,mais contraireàla justice. Qu'on passeen revue les siècles écoulés pour savoir quels sontles hommes qui ont excité par leurs actions et con-servé jusqu'à nos jours le respect et l'admiration dugenre humain, on verra que ce ne sont pas les plushabiles et les plus heureux, mais les plus généreuxet les plus justes, ceux qui ont sacrifié leurs passionsà leurs devoirs, leurs intérêts les plus ohers et leurvie même à une idée, à un principe accepté par leurconscience comme l'expression du vrai ou du bien.Avec l'idée de l'utilité prise pour fondement de lamorale, Socrate aimant mieux boire la ciguë quede trahir la vérité, les martyrs chrétiens se laissantdévorer par les bêtes féroces plutôt que de renierleur foi, seraientdes insensés, et l'humanité,qui glo-rifie leurmémoire,partagerait leur délire avec l'idéedu bien, tout s'explique, et nous avons sous les yeuxun spectable sublime. Aux martyrs de la philosophieet de la religion, il faut joindre ceux plus nombreuxencore qu'ont trouvés dans tous les temps et cheztous les peuples le patriotisme, la liberté, le respectdu serment, l'amourde la justice, l'honneur militaire,l'amitié, la piété Rliale, la charité. Comment la mo-rale de l'intérêt nous rendra-t-elle compte de la puis-sanoe qui a poussé au-devant du sacrifice tant devictimesvolontaires, et de l'admirationqui environneencore leurs noms. malgré la distance et les siècles

écoules? La morale de l'intérêt n'est donc pas seule-ment répudiée par la conscience individuelle, elle estcondamnéeaussi formellementpar la conscience dugenre humainmanifestée dans l'histoire.

VISanctions de la loi morale. Première sanction sanction mo-

rale, remords et satisfaction de conscience. Deuxièmesanction sanction physique, bien-être et souffrance maté-riels qui résultent de nos bonneset de nos mauvaises actions.

La loi morale étant la condition suprême, la condi-tion absolue de notre existence comme êtres raison-nables, comme êtres libres, commeêtres intelligents,on comprend qu'en refusant de lui obéir ou en laviolantdirectement,nous nous mettons véritablementen contradiction avec notrenature, nous allons contrele but qu'elle nous propose,et nous poursuivons celuidont elle s'eRbrcede nous détourner; nous lui faisonsviolence. Cette situation est nécessairement un malqui ne manquepas de se révéler par de vives souf-frances.Si, au contraire, la règle du devoir, les pres-criptions de la raisonet de la consciencesont ildèle-ment observées, alors, étant tels que notre natureveut que nous soyons, nous trouvant d'accordavecelle et avec nous-mêmes, rien ne peut troubler l'har-monie intérieure de nos facultés, et il en résultepournous un sentiment de satisfaction, de sérénité, debien-être. Ces souffrances, conséquence nécessaired'undésordreintérieur;cebien-être,accompagnementinséparable de l'ordre réalisé dans notre vie par lapuissancede notre volonté, voilà ce qu'on appelle lasanction de la loi morale. Lasanction de la loi moralene consiste dono point en un châtiment ou une ré-compense arbitraue comme ceux qu'imaginent les

législateuts de la terre pour faire respecter leursœuvres; elle résulte des actes mêmes par lesquelsnos obligations morales ont été remplies ou mé-connues, et c'est ainsi qu'elle est infaillible. Maiselle peutêtre plus ou moins complète et se manifes-ter par des effets plus ou moins sensibles, plus oumoins durables, plus ou moins profonds, selon lagravite de nos fautes ou l'importancede nos bonnesœuvres! De laies distinctions auxquelles elle a donnélieu etles différents noms qu'on lui a donnés.

Au premier rang vient se placer ce qu'on appelle,ou du moins ce qu'on devrait appeler, la sanctionmorale, parce qu'elle est renfermée entièrementdansles limites de la conscience. Elle consiste dans le re-mords qui suit immédiatementune mauvaise actionou seulement l'intention, la tentationqu'on a eue dela commettre,et dans lasatisfaction, la joie intérieurequ'on éprouveà la pensée qu'on a rempli son devoir,qu'on a fait le bien. Le remords et la satisfaction deconscienceont, comme la loi moraleelle-même,commele bien et le mal, un nom dans toutes les langues.Ce sont des faits reconnuspar tous les hommes aussinécessairement que leur existence, dans laquelle ilstiennent une place si considérable. Il serait impos-sible d'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit de lasanction de la loi morale prise en général, de con-cevoir la nature humainesans eux. Il est dans l'es-sence d'un être raisonnable de ne pouvoir s'écartersans souffrir des conditions que la raison lui impose,et de ne pouvoiry rester sans être heureux. Le re-mords, c'est le trouble qui descend au fond de notreâme, o'est l'inquiétudeet la honte qui nous poursui-vent quand nous avonsquitté notre voie, quand noussommes déchus de notre rang dans la création lasatisfaction de conscience, c'est la ~~ix et le respect

que nous trouvonsennous-mêmes quandnoussommessûrs d'être restésdignes de nous.

A la sanction morale, surtout dans les devoirs quenous avons à remplir envers nous-mêmes,vient sejoindrehabituellementla sanction physique, o'est-a-dire les souffranceset le bien-être matérielque nousattire notre conduite, selon que nous avons vécud'une manière conforme ou contraire aux lois de laraison, aux règles de l'ordreuniversel représenté parl'idée du bien. Ainsi, par exemple, un homme qui nasait pas défendre sa liberté contre les séductions dessens, ou qui, dans l'intérêt de ses facultés les plusnobles, n'a pas pris l'habitude de commander à sespassions et de conteniren lui les instincts de la bête,manquera rarement d'expier cette faute, non-seule-mentpar sa déchéance morale et intellectuelle,maispar la ruine de sa santé, par la destructionde sesforces, parune vieillesse et souventpar une mortpré-maturée. Les vices qu'il a nourrisavec complaisancese retournerontcontre lui comme des ennemis achar-nés à sa perte. Une conduite différente produit pournous des effets opposés. Le calme et la paix de l'âmeamènentà leursuitel'harmoniedu corps. Comment enserait-ilautrement? Aux lois qui sont pour nous l'ex-pression de l'ordre universelsont nécessairementsu-bordonnées toutes les autres lois, particulièrementcelles qui s'appliquent à notre existence, et il n'estpas en notre pouvoir de nous écarter des unes sansporter le trouble dans les autres. L'unionde l'âme etdu corps ne subsistequ'à cette condition.

HOMM POUR TOCS_&t~

VII

Troisième sanction sanction aoeiaje. Double mm!tmtt~ende la sanction sociale la consciencepublique,on l*e<t)meetle mép~t de nos semblables; la loi pénale. But et limitesde ta loi pénale.

L'homme n'est pas un être isolé dans la nature; ilnatt et il vit au milieu de ses semblables, dont il ne

peut se passer un instant. La société n'estpas moinsnécessaireau développement du cœuret de son intel-ligence qu'à la conservation de sa vieet à la satisfac-tion des besoins d'où dépend son bien-être. Or, lasociétén'est possible que par le respect de la loi mo-rale, source de tous les devoirs que nous avons àremplir les uns envers les autres, de toutes les loisqui nous pMtégent contre de mutuellesagressions etqui maintiennent dans les relations humaines l'har-monie et la paix. Aussi, quand l'un de ses membresfaillità cetteloi,la société toutentièrene manquepasde protester contre lui et de lui témoigner, selon lagravité de la faute commise,sa désapprobation, sonéloignement, son mépris ou son horreur. Au con-traire, sa bienveillance et sonestime, quelquefois sonadmiration,sont assurées à celui qui, luttant aveccourage contre les difncultés de la vie et surmontanttoutesles tentations, n'est jamais sorti des voies dé lajustice et de l'honneur. De là, pour la loi morale,une troisième sanction,qui, en raison de sa nature,sera justement appelée la sanctionsociale.

Mais la sanction sociale s'exerce de deux manières.Tantôt elle se renferme dans les témoignages d'es-time et do mépris que nos bonneset nos mauvaisesactionsnous attirentpresque toujoursdelapart denossemblables et auxquels nous sommes presqueausafsensiblesqu*à l'approbationet aux reprochesdenotre

propre conscience.Tantôt elle a pour organeun en-semble de lois écrites, une législation positive quigarantit à certaines actions des honneursou des ré-compenses,et qui exige que d'autres soient répriméespar des châtiments. Dans le premier cas, la sanc-tion sociale est en quelque sorte un complément dela sanction morale,car elle émanede la même source,c'est-à-dire de la conscience, qui ne peut offrir à nossemblables une autre règle d'appréciation que celleque nous trouvons en nous. Elle nous apporte lesmêmes souffrances et les mêmes joies, augmentéesseulement de la force que leur donne le sentimentdel'honneur. Il ne nous suffit pas, en effet, nés commenous le sommes pour vivre en société, d'avoirnotrepropre considération, il nous faut encorecelle desautres, et, lorsqu'elle nous fait défaut ou que noustrouvonsà sa place le sentimentcontraire, l'existencen'est pluspour nous qu'un fardeau. Dans le secondcas, quand la sanctionsociale a pour organe, non pasl'opinion,mais la loi, son caractèreest essentiellementpénal, car son objet propre, et il faut ajouter sonpouvoir, est plutôt de réprimer le mal que d'exciterau bien. Le bien ne se fait point par l'attrait des ré-compenses il n'existe pas quand il n'est pas désinté-ressé. Les châtiments, au contraire, si impuissantsqu'on les suppose contre l'intention du mal, demeu-rent toujours nécessaires pouren contenir les effets etmettre la sociétéà l'abri de la violence et du crime.

Lasanction pénale ne doit donc pas s'exercer indis-tinctementcontre toutes les actionsque la conscienceréprouve; elle n'est légitime que lorsqu'elle est né-cessaire, c'est-à-dire lorsqu'elle sert à la défense dela société et qu'elle empêche les individus d'êtrelésés dans leurs droits; car un droit, c'est une chosesacrée, inviolable,et toutce quiy porteatteinteappelle

cnerépresshmsëvère;lasooiété, en se chargeant de cesoin, ne faitqu'userdu droit de légitime défense,et seborne à pourvoirà sa propre conservation. Ho!S de là,la sanction pénale est arbitraireetabusive. Au premierrang des actions qui lui échappent, il faut placertoutes les transgressionsreligieuses qui ne sont pasenmême temps un attentat contre la société. Il n'ap-partient pas a l'homme de se constituer le vengeurde Dieu; aucun pouvoir sur la terre n'a reçu unetelle missionet n'est en état de l'aocomplir. Les obli..gations que nous avons à remplir envers la divinitéétant comprises d'autant de manières diBërentesqu'ily a de cultes différents, il en résulterait, si la sociétédevaitles placer sous laprotection de la loi pénale, unsystème de persécution et d'intolérance qui rendraitimpossible toute liberté, et anéantirait le droit dansson principe.

Ausecondrang des actionsblâmables qui échappentà la sanction pénale, se trouvela violation des devoirsque nous avons à remplir envers nous-mêmes. Quenous manquions de respectet desollicitude pournotrepropre dignité; que nous négligions les facultés queDieu nous a accordées; que nous croupissions dansl'ignorance, dans l'oisiveté, dans la débauche, danstous les genres d'abaissements, nous sommes coupa-bles, sans doute; nous sommes coupables enversDieu, dontnous méprisons les dons les plusprécieux;nous sommescoupablesenversnous-mêmes,dontnouséteignons ou amoindrissonslaviepar un lent suicide;nous sommes coupables même envers la société, qui,étant fondéesur l'ordre moral, est autorisée à comptersur notre concours; mais nous ne sommes coupablesenvers la société que d'une manière indirecte ounégative;elle n'a pas le droit de nous demandercompte de ce que nous ne faisons pas pour elle, ou

de ce que nous faisons contre nous. Si, d'une part, hsociété pouvait rechercher pour les punir, tous les

actes contraires à la morale individuelle; si, d'uneautre part, elle pouvaitexiger, par voie de contrainte,tous les services dont elle suppose que nous sommescapables, il n'y aurait plus de place pour la respon-sabilité personnelle, condition nécessaire de toutemoralité.

VIIISanction MHgieaee, oa immortalité de l'âme. Neceasité de

cette sanction pour suppléerà ce que les eati'es ont d'tnsafS*mot et d'incomplet.

Tout ce que nous venons de dire se réduit à cetteproposition sur laquelle, désormais, il n'est guèrepossible de conserver un doute l'ordre moral est siétroitement uni à l'ordre physique, à l'ordre socialet à l'harmonieintérieuredenos facultés, ou à l'accordde notre âme avec elle-même, qu'en sortant du pre-mier, nous sortons des trois autres, et noùs plaçons endehors des diverses conditions de notrebonheur. Maisce n'est point là une vérité absolue, commecelle quenous représentele principedu devoir, et il faut bien segarder d'en conclure que la vertu trouve toujoursici-bas sa récompense en elle-même, et que le vice etle crime ont un châtiment toujours prêt dans les loisquigouvernent,ou la nature, ou la société,ou la oons-cience. Ainsi, pour commencer par les premières deces lois, la nature, la nature physique, a-t-elle desrécompensespour celui qui donne sa vie à la patrie,son repos et ses veilles à la science,son êtretoutentierà un pieux dévouementdontil ne peut attendreaucunretardA-t-elle des châtiments pour l'hypocrisie, labassesse, l'égoïsme, la lâcheté, et en général pour lesvices qui ne nétrissent que l'âme, sans atteindre le

corps? Môme quand les lois de la nature paraissentd'accord avec celles de la morale, ce n'est pas le dé-sordre tout seul qu'elles frappent, mais aussi lafaiblesse; la force est toujours sûre de leur indulgenceet bien souvent de l'impunité. La société n'est quel-quefois pas plus juste ni plus clairvoyante que lanature. Sans remonter jusqu'à ces époques de bar-barie et de confusion où le droit du plus fort était laseule règle, on peut remarquer que, dans tous lestemps, elle n'encourageque ce qui lui est utile, ellene réprime, et même ne doit réprimerque ce qui luiest nuisible, dans la mesure de son intelligence et deson pouvoir, nécessairement bornés l'un et l'autre.Tout le reste, les dévouements les plus touchants,quand ils ne s'adressent point directement à elle,les iniquités et les infamies qui ne troublent pas sonrepos on n'entravent pas sa marche,n'exciteque sonindifférence. L'opinionpublique n'est pas un remèdeà l'impuissance des lois, car elle aussi est renferméedansdes limites infranchissables et ne peutencouragerparses éloges ou flétrir deson blâmeque lesactionsquiarrivent au grand jour. Est-ce donc en nous-mêmesque nous trouverons cettesanctionréelle, cette justicecomplèteet infaillible quenous attendrionsvainementde lanature et de nos semblables? Oui, sans doute, laconscience a ses tourments et ses joies; mais ils netiennent les uns et les autres qu'une place assez res-treintedans notreexistence.Les premiers s'affaiblissentet peu à peu disparaissent par l'habitude, de sorteque, plus on s'enfonce dans le mal, moins on en estpuni. Il y a desâmes délicates qui souffrentbeaucoupplus d'un scrupule,d'une faute involontaire, que descœurs endurcis de toute une vie de désordres et decrimes. Quant à la satisfaction que la consciencenous donne, elle est le signe et non la récompense

du bien. Elle n'empêcheni les angoisses de la lutte;ni la douleur du sacrince, et n'a rien à nous onriren retour du sacrifice de la vie, ni en général desdommages et des injures que nous souffrons de lapart des autres. Aux diversesespèces de sanctionsdont nous avons parlé jusqu'à présent il faut doncajouter une sanction dernière, suprême, infaillible,celle qui suppose une autre vie destinée à réparerles injustices inévitablesde la vie présente,celle quia pour conditionnécessaire l'immortalitéde l'âme etqui, reposantsur la foi aussi bien que sur la raison,areçu le nom de sanctionreligieuse.

Sans lasanction religieuse, l'idée dubien cessed'êtreabsolue, car l'idée du bien, l'idée de l'ordre univer-sel et nécessaire, comprend évidemmentla justice, etil n'ya pas de justice sans la rémunérationinfaillibledu bien et du mal, sans l'harmoniedu bonheuret dela vertu. Or, cette harmonieétant irréalisable aussilongtemps que notre âme est enchaînée aux vicissi-tudes de notre corps, nous sommes forcés d'admettrequ'après la dissolution du corps, l'âme continuerad'existeravec le don de lamémoire et de la consciencepour recueillir le fruit de ses œuvres passées. Lemême principe, d'après lequel nous sommes obligésdeconduire notrevie, nous ordonne d'enattendreuneautre où les contradictions apparentes d'ici-bas trou-verontleur solution.

IXAntKB preuves de l'immortalitéde l<nne.

L'immortalité de l'âme se démontre encore pard'autrespreuves. D'abord, puisque l'&me et le corps,ainsi que nousl'avons établi en commençant (i), sont

(1) f~M, pim haut n* I, pttge &

deux natures complètement distinctes, l'onîtëem-dentité de la première ne pouvant se concilieravecla composition et le renouvellement périodique dusecond, on est forcé d'en conclure que la dissolutiondu corps, conséquence inévitablede la divisibilité de

=la matière,n'est pas un accident à craindre ni mêmeune nn possible poux l'âme. Pourquoi la mort, phé-nomène purement matériel, qui, selon les enseigne- =

mentsde l'expérience aussi bien que selon les indue-tions de la raison, n'a de prise que sur les organes,atteindrait-elle également l'âme, qui se montre ànous, c'est-à-direà elle-même, avec des caractères siopposés?C'est ce que Platon a expriméavec beau-coup de force lorsqu'il faitdireà Socrate dans le beaudialogue qui-porte le nom de Phédon: <: Notre âmeest semblable à ce qui est divin,- immortel, intelli-gible, simple, indissoluble, toujoursle mêmeet tou-jours semblable à lai, et notre corps ressembleparfaitementà ce qui est humain, mortel, sensible,composé, dissoluble, toujours changeant et jamaissemblable à lui-même. Cela étant, ne convient-ilpasau corps d'êtrebientôtdissous et à l'âme de demeurertoujours indissoluble ou quelque autre chose de peudifférent. »

Ajouté à la preuve morale que nous avons déve-loppée tout à l'heure, cet argumentparaît déjà d'untrès-grand poids; mais il se complète par l'examenattentif de nos principales facultés.

L'hommeest un êtrenui sans doute; mais toutes lesforcesde son âme, toutes les lois de sa nature et tousles principes de son intelligence le poussent sans re-lâche à la recherche de l'infini. Otez-lui ce qu'il a decommun avec la brute, c'est-à-dire le corps et lesappétits matériels, il reste un être qui pense, quiaime et qui traduit en action cette double disposi-

tionde sa naturepar unepuissance entièrementà lui,par sa libre volonté. Or, quel est le but de la penséeou de l'intelligence?C'est la venté. Eh Ment il nefaut pas beaucoup d'efforts pour se convaincre que,de ce côté, l'âme humaine ne sera jamais satisfaite.Quand nous comparons notre ignorance à notre sa-voir et les faibles lueurs que nous avons pu recueilliraux immenses ténèbres qui nous enveloppent de toutepart, notre premiersentimentest celui du doute et dudésespoir. Mais bientôt une force irrésistible nouspousseen avant et, sur la foi de notre immortelle des-tinée, nous précipite dans une carrière sans limites.Sommes-nousdonc plus facilesà contenterdu côtédel'amour?Nousaimons le beauet le bien, deux aspectsdinërents d'une seule et même chose, l'idéal, la per-fection. Quelle est donc la créature qui nous offre cecaractère et qui, même avec tous les avantages de lanature humaine,suffiseà remplirnotre imaginationetnotre cœur? Enfin, si l'on veut bien rénéchir a lanature etauxconditions de la liberté, on verraque lebut qu'ellepoursuit n'est pas moins reculéque celuide l'intelligence et de l'amour. La condition de la li-berté n'estpas autre choseque cette sévère et univer-selle loi dudevoirdont nous avons parlé. Enl'absencedu devoir, il ne reste, pour nous diriger, que l'instinctet la passion, puissances aveugles et fatales l'une etl'autre, car l'intérêt ne doit pas compter pour unmobile distinct, il n'est, pour ainsi dire, que la pré-vision d'une passion à venir, ou la passion devenue

F prévoyante. Le caractère et par conséquentla desti-nationde la libertéest donc, en nous élevant au-des-sus de ces basses régions, de traduire en œuvres lesconceptions les plus pures de notre intelligence et lessentiments les plus généreux de notrecœur, de pour-suivre sans relâche V. Donquêtedu vrai et la réalisa-

tion du beau et du bien. Il est évidentqu'aucunevielimitée ne peut sumre à une pareille tâche. A cetteconsidération uniquementfondée sur la raison,vientse joindreun fait d'expérience, o'est qu'ily a en nousun besoin d'activité et de mouvement, un besoind'étendre, et, s'il est permis de parler de la sorte,d'exprimernotre être, qu'aucune occupation présentene peut assouvir. De là ces projets sans nombre quiremplissentnotre vie beaucoup plus, beaucoup mieuxque nos œuvres, et au milieu desquels la mort vientnous surprendre.'Ainsi, dans quelque sphère qu'ellesoit placée et de quelque point de vue qu'on laconsi-dère, notre âme porte toujours avec élle sa raisond'être;ses droits à l'existence n'ont rien à craindre dela prescription, car il est impossible de douter quesa nn générale ne soit la même que celle de chacunede ses facultés, et oelle-cino peut seconcevoirqu'avecune durée immortelle.

Enfin, toutes ces facultés qui aspirent à l'immorta-lité et ne peuvent se satisfaire ni se comprendre sanselle, ont leur principe en Dieu. Dieu n'est pas seu-lement la cause et le sage ordonnateur des phéno-mènes de la nature, il est aussi l'auteurdes facultésqui me font connattre à moi-même, et m'élëventjus-qu'à lui; il est le père, la providence et le juge deFamé humaine. Cette libertéabsolue, cette connais-sance in&nie, cette justice infaillible que je poursuisvainement, elles existent en lui; il serait impossibleautrementqu'il m'en eût donné l'idée. Mais commentl'être infiniment bon, innniment juste, infiniment

sage, nous aurait-il laissés voir le vide et les imper-fections de cette vie, si nous ne devions pas en trou-verune autre ? Comment nous aurait-il demandé dessacrifices qu'il doit laisser sans récompense, nousaurait-il donné des forces qui doivent rester sans

usage, aurait-il allumé dans nos cœms l'amourderinfini et l'espérance de l'immortalité pour nouslaisser, après quelques jours pleins d'angoisses et demisères, retomber tout entiersdans le néant ? Quoi 1

dans l'ordre physique, il n'y a pas une si humblecréature qui ne soit organisée en vue de safin, etcetteloi serait méconnue dans l'ordre moral! Les facultéset les instinctsqui nous appartiennent en propre neseraient pas seulement inutiles, mais contraires aucours paisible de notre existence! Cela ne peut se jus-tifier ni se comprendre, et il faut, pour admettre unetelle supposition, avoir abdiquésa raison auprofitdudésespoir.

Le dogme de l'immortalité de l'âme est aussi an-cien que celui de l'existence de Dieu. Toutes les foisqu'on aperçoit l'un, on est sûr de rencontrerl'autre;partoutoù s'élève un temple et un autel, symboles del'éternité, on peut être certain que la cendre desmorts repose dans leur ombre. Quelques esprits iso-lés ont pu séparer ces deux croyances ou les rejeterensemble; mais la foi du genre humain les a toujoursréunies. Elles constituentle fond commun et, si l'onpeutparler ainsi, la substance invariablede toutes lesreligions. C'est qu'en enë~ la raisonne permetpas deles diviser et ne saurait, sans se mutiler elle-même,les accepter l'une sans l'autre. Si ce monde n'est pasl'ouvre d'une cause intelligente qui a fait touteschoses avec poidsetmesure,et marqué à chaque êtreune destination proportionnée à ses facultés, il estévidentquenousn'avonsrien à attendreaprès la mort;que les contradictions, les iniquités et les souffrancesdont cette vie est remplie, sont un mal sans but etsans réparation; et réciproquement,si nous n'aper-cevons en nous aucun principe qui puisse survivre al'extinction des sens, aucuneidée, aucun sentiment,

anombesoin qui dépasse notre existence physiqueou même les conditions de l'ordre social, commentnotre intoHigenoes'élëvera-t-elle & la conception del'infini, à la connaissance de Dieu ? Mais ce lien in-destructible entre la foi à l'existence de Dieu et la foià l'immortalitéest précisément ce qui fait leur salutcommun, car le matérialisme et l'athéisme sont con-damnés par tous les instinctset partoutes les idée)! det'&me humaine.

DEUXIÈME PARTIE

MOHAM fROPMMBN' CtTB

X

Division de la morale proprementdite. DtTMMnetdtMiBctt-tion des devoira. Pourquoila division des devoirsa remplaoél'ancienne division de la vertu en quatre vertus CMdiMtet.

Après avoir prouvé l'existence de la loi morale etmontré ce qu'elle est dans son unité et son universa-lité, il faut la suivre dans ses différentesapplications,et rechercherquels sont les devoirs qu'elle nous im-pose dans toutes les situations de notre vie, danstoutes les relations que comporte notre nature. Or,nous avons des relations avec tous les êtres ca-pables d'exercer une actionsur nous et sur lesquels,à notre tour, il nous est permis d'exercer notre li-berté et notre intelligence avec nous-mêmes d'abord,avec les huîtres hommes, avec les êtres intérieurs àla nature humaine, avec la nature divine. De làquatre sortes de devoirs, qui donnent naissance àautant de parties distinctes de la morale des devoirsenvers nous-mêmes, qui sont l'objet de la MtOfa~eindividuelle;des devoirs envers nos semblables, quiforment dans leur réunion la morale 8ociale; des de-voirs dont les êtres inférieurs sont moins le but quel'occasion et qui rentrent dans ceux qui nous sont

prescrits enversnous ou envers la société; enfin desdevoirs envers Dieu, embrassés sous le nom de tHO-fab M~eMse.

Les devoirs que la conscience nous prescrit, lesactions que la raisonnous.commande,quand nous lesaccomplissons régulièrement et avec persévérance,apportentà notre âme une puissance, une perfectionintérieure qui nous rend jusqu'à un certain pointinaccessibles aux tentations et aux défaillances àvenir. C'est cet état, précieux résultat des victoiresque nous avons successivement remportées sur nous-mêmes, qui a reçu le nom de vertu. Les anciens,plus occupésde la vertu que des devoirs, ont été con-duitsà une division de la morale quidiSërë, au moinsen apparence, de celle qui est aujourd'hui univer-sellement consacrée. Considérantla vertu comme unedans son principe,mais comme revêtue d'un certainnombre d'attributionsessentielles, dont chacune lareprésente sous un aspect et sous un nom particu-lier, ils distinguaientquatre vertus e<H'dMM~, c'est-à-direquatrevertus principalesd'où dérivent et aux-quelles se subordonnent toutes les autres ce sontla prudence, la force, la tempérance et la justice.Quand on examine de près la signification que lesanciens attachaient à ces mots, on s'aperçoit queleur opinionsur les diverses parties de la morale nes'éloigne pas autant qu'on pourrait le croire de cellequi a prévalu chez les modernes. En effet, la pru-dence, entendue dans le sens de son étymologie an-tique, ce n'est point cet esprit de réâexion et de ré-serve qui peut servir égalementau bien et au mal, àl'égoïsme et à la vertu, c'est la connaissance de lavérité dans son caractère le plus élevé, à ce degré oùelle embrasse la connaissance de Dieu et celle denous-mêmes et où elle suppose nécessairement de

longs efforts d'intelligence. Mais la prudence ainsicomprise, c'est tout à la fois un devoir envers nous-mêmes et envers notre Créateur. Ce sont encore desdevoirs envers nous-mêmes que nous rencontronsdans la force et dans la tempérance, car la pre-mière de ces deux vertus, d'après la définition quenous en trouvons dans Cicéron, eest cette énergie dela volonté, cette liberté de l'âme qui consiste à semettre au-dessusde la bonne et de la mauvaisefor-tune et à ne reculer devant aucun sacrificepour fairele bien. La seconde, c'est ce même empire de la li-berté morale exercé sur les appétits du corps et lespassions qui prennent leur origine dans les sens.Enfin la justice, que les grands moralistes de l'anti-quité ne comprenaient pas sans la bienfaisance etsans l'amour du genre humain, comprend tous lesdevoirs que nous avons à remplir envers nossem-blables.

Il n'en est pas moins vrai que la distinction desvertus cardinalesoffre une division moins logique etmoins facile à saisir que celle de nos devoirs.

Quantà l'ordre qu'il faut suivre dans l'expositionde ces devoirs, il est évident qu'il faut commencerpar ceux qui nous concernent nous-mêmes, car sil'homme n'avait pas de devoirs envers lui-même,c'est-à-dire envers chacune des facultés qui existenten lui, les mêmes facultés n'auraient pas plus detitres à son respect chez les autres, et la nature hu-maine tout entière serait placée en dehors des règlesde la morale. C'est encore par respect pour la naturehumaineque nous pouvons nous croire obligés à desménagementset à un sentimentde pitié envers toutesles créatures vivantes.Enfin, ce n'est qu'après avoir,autant que cela est en notre pouvoir, élevé notreâme, développé notre intelligence, compris ce qu'at-

tacd de nous de charité, d'abnégation, de MCMHMds-.

aance, la société de nos semblables,que nous seronscapables de nous faire une idée de ce que nous devonsau Créateur.

CHAPITRE PREMIER

MOB&U! UtNVIDUNLU!

XI

JtfMwb<tMt<B<t!<M!!e,on devoirs envers noas-memes. DevotMde la morale individuelle qui regardent le corps. Do l'hy-giène. De h gymnastique. De la tempérance. Lesuicidecondamné par les lois de la morale.

Quelques philosophes ont dé8ni l'homme Une in-ieH~ence se~Mpar des organes. Rien de plus juste,si par intelligence on entend l'âme tout entière, car,une fois que l'on admet la distinctionde l'âme et ducorps, il est évidentque le second n'est qu'un instru-ment au service de la première. Mais cet instrument,si vil qu'il soit, lorsqu'onle compare à l'ouvrierinvi-sible qui a été appelé à s'en servir, ne saurait êtrenégligé,ni détruit, ni exposé volontairement à descauses d'altérationet d'affaiblissementsans dommagepour l'âme elle-même. Les devoirs que nous avons aremplir pendant la vie sont évidemment méconnus,si la vie elle-même, qui consiste dans l'union del'âmeet du corps, est compromise par la violation oula négligence des lois protectrices de notre organi-sation physique. C'estd'ailleurs un fait constaté parl'expérience,que les inSrmités, les maladies et l'al-tération de nos organes apportent souvent les plusgrands obstacles à l'exercice de notre volonté et de

notreintelligence.Voilà ce qui faisait penser aux an-ciens que rien n'est plus désirable qu'une âme sainedans un corps sain.

Mais il ne faut pas que ces deux biens, si étroite-ment unis ensemble, la santé du corps et la santé del'âme, soientplacés sur la même ligne. C'est à causede l'âme qu'il faut s'occuper du corps; c'està causede l'âme que nous sommesobligés de veillernon-seu-lement à la conservation, mais encore au dévelop-pementet à l'accroissement de ses forées, puisqu'ellesconcourent de toute nécessité au perfectionnement denos facultés et à l'accomplissement de nos devoirs.Les forces du corps se conservent par une vertuparticulière,que l'intérêt nous commande aussi bienque le sentiment moral, et par une science qu'heu-reusement la nature et l'expérience ont mise à laportée de tous. Cette vertu, c'est la tempérance, etcettescience, l'hygiène.

La tempérance consisteà ne donnerau corps quece qui lui est utile ou nécessaire. L'intempérance,aucontraire, franchit cette limite et n'en admet pasd'autre que la satiété; encore la satiété ne suffit-ellepas toujourspour l'arrêter. Elle consulte non les be-soins que la nature nous a donnés, mais l'amour duplaisir et les appétits factices qu'il a créés en nous.Or, comme il est impossible d'excéder les besoins dela nature sans violer ses lois et sans troubler sonéconomie, il en résulte que l'intempérantestl'ennemide lui-même, le bourreau encore plus que l'esclavede ses sens. Il croit les flatter, lorsqu'il travaille detoute son énergie à leur dissolution et à leur ruine.Sourd à la voix de la raison et ne connaissant pluscelle de la nature, pervertie en lui par des passionsfunestes, il tombe réellement au-dessous de la brute,puisqu'il ne lui reste pas même laprotectionaveugle

de l'instinot.An reste, il sumt de regarderun hommeau moment où il ûéchit sous le poids de ses propresexcès pour être certain qu'il n'appartient plus à l'es-pèce humaine.

L'hygiène,c'est à proprementparler la science dela santé. Elle suppose la connaissance des agents etdes phénomènesphysiquesqui lui sont favorablesoudéfavorables, par conséquent celle des conditionsqu'il faut remplir pour la conserver. Cette connais-sance ne s'élève au rang d'une science qu'à force detempset de patientes observations; mais il y a aussi,si l'on peut ainsi parler, une hygiène naturellequi sefait d'elle-même,dans l'esprit de chacun,par l'expé-rience de chaque jour. C'estcelle-làqu'il faut surtouts'appliquerà mettre en pratique et que la morale faitrentrer dans nos devoirs envers nous-mêmes, sansexclure l'autre lorsqu'il est en notre pouvoirde l'ap-prendre. Le jour n'est pas loin, peut-être, où lessaines notions d'hygièneseront répandues par l'ins-tructionprimairedans toutes les classes de la société.Alors elles pourrontêtre considéréescommeun utilecomplément de la morale individuelle.

Si la tempérance et l'observation des règles del'hygiène sont des moyens de conserver nos forcesphysiques, l'exercice, le travail du corps, est unmoyen de les accroître. Or, l'exercice soumis à cer-taines règles et élevé à la dignité d'un art, o'est cequ'on appelle lagymnastique. L'exercice et le travail,dirigés par le bon sens naturel, contenus dans leslimitesque l'expérience leur impose, suffisent assu-rément mais les anciens,c'est-à-dire les Grecs et lesRomains, ne s'en contentaient pas; la gymnastiqueleur paraissait nécessaire pour faire des hommes, descitoyens et des soldats. Aussi lui ont-ils donné undéveloppementexagéré.Les nationsmodernesdoivent

éviter cette faute. C'est assez pour elles que, dansl'éducation publique, les exercices de l'espnt ne fas-sent pointoublier ceux du corps.

Le devoir qui nous commande de veillerà la con-servation de notre santé et de nos forces exige encoreplus impérieusement la conservation de notre vie;par conséquent, le suicide est une violation des loisde la morale, le suicide est un crime aussibien enversla société qu'enversnous-mêmes.

Le suicide est coupable pour la même raison et aumême degré que l'homicide,car, pourquoi est-ce uncrime d'ôter la vie à son semblablequand il y a pro-fit à le faire, non-seulement pour soi, mais pourd'autres? Pourquoi, lorsque nous n'y voyons aucundanger ou que nous sommes résolus à le braver, etque, de plus, lapitié a abandonnénotre cœur, ne dis-poserions-nous pas, pour nos intérêts, de la vie deshommes, commenousdisposonsde celle des animaux,comme nous disposonsdes choses inanimées? Parceque la vie humaine a un but moral, c'est-à-dire unbut vers lequel il nous est absolumentcommandé dediriger toutes nos facultés,et auquel, parconséquent,doiventêtre subordonnés nos intérêtset nos passions;en d'autres termes, parce que tout homme a des de-voirs à remplir envers lui-même, et que tant qu'ilreste dans la limite de ces devoirs, qui se résumentdans le perfectionnementde son être, savie est invio-lable et sacrée pour nous. Retranchez cette idée su-prême du but moral de la vie, des devoirs qui noussont imposés envers nous-mêmes, indépendammentde toute condition extérieure, vous supprimez par làmême toute idéededroit et, par conséquent, de devoirenvers nos semblables. Mais, s'il en est ainsi, mapropre vie m'est aussi sacrée que celle des autres, etsoitque j'attente à celle-ciou à celle-là, je sais égale-

ment coupable. On a donc eu raison de dire que lacondamnation du suicide est comprise dans ce pré-cepte général: c Tu ne tueraspoint.»

Tous les sophismes qui ont été imaginés pour dé-fendre le suicide s'évanouissentdevant cette vérité,qu'on ne peut se donner la mort sansvioler à la foistous les devoirsauxquels appartientnotre vie. Exami-nons rapidementles plus spécieux de ces sophismes.

Vous souffrez, dites-vous,et vous ne prévoyez pasla fin de vos peines. Dès lors la vie n'est pour vousqu'un fardeau, et vous ne comprenez pas pourquoivous ne pourriezpas l'abandonner.-Mais vousn'êtespoint ici-bas pour être heureux au gré de vos pas-sions vous devez, au contraire, vous éleverau-dessusd'elles et être plus fort que la douleur.

Vous désespérez d'être utile à vos semblables, etvous pensezque votre existence,loin de lesservir, leurest à charge. D'abordon conçoitdinicilementqu'unhomme capable de se tuer pour un pareil motif netienne absolument à rien dans ce monde et ne soitcherà personne, n'ait personne à aimer, à consoler, àconseiller, à édinerpar ses exemples.Mais quandcelaserait la loi du devoir ne consiste pas uniquementàêtre utile aux autres vous avez votre âme à purifier,à développer, à agrandir, et les bienfaits qu'on estobligé de recevoir ne serventpas moins à ce but queceux qu'on répand soi-même.

Vous êtes Caton ou Brutus, et vous ne voulez passurvivreà la libertéde votre pays. Vous vous appelezLucrèce, et vous ne pouvez supporter votre proprehonte.-Mais quandla carrièreducitoyenestfermée,en supposant qu'elle le soit jamais, ne reste-t-il pascelle de l'homme ? Quandnous avons perdu toute es-pérance pour la patrie, la conscience n'a-t-elle plusde droits sur nous? Quantà la honte, elle est méritée

ou non. Si elleestméritée, il faut la supportercommeun mal salutaire et améliorerson âme par l'expiation.Si elle n'est pas méritée, il &ut mettre sa conscienceau-dessus de l'opinion et éviter d'être injuste parcequ'onest victime de l'injustice.

XIItteveiM de la morde MMdaeNequi regardent l'&me: ih se

apportent aux dMMtentes &oaltéa, aeMibilitë, intelligence,volonté, qa'il faut développeret disoipHnefen vue de l'aocom-plissementdu bien.

Tous les devoirsque nous avons à remplir à l'égardde notre corps sont une conséquence nécessaire deceux qui nous sont prescrits à l'égard de notreâme.Tous les devoirsque nous avons à remplirà l'égarddenotre âme dérivent à leur tour, d'une manière nonmoins évidente, de la fin générale que la loi moralenous commande de poursuivre sans interruption etsans relâche, ou de l'ordre que nous sommes obligésd'introduiredans notre existence, de la perfection àlaquelle nous sommes tenus de nous élever de plus enplus.

Cette nn générale, cet ordre, cette perfection, napouvantse réaliser ni même se concevoir sans l'exer-cice de la volonté, c'est-à-diredecette force intérieurequi n'existe pas si elle n'est libre et qui se confondavec la liberté, il en résulte que la conservation etle développement de notre volonté sont le premierdevoir que la morale nous prescrive par rapport anotre âme.

La volonté ne pouvant pas exister en nous sans laraison, puisque sans la raison nous tombons au pou-voir de nos appétitsou de nospassions, laraison étantnécessaire, d'ailleurs, pour nous donner connaissance

de la loi qui doit régler notre vie et nous laisser lechoix entre le bien et le mal, la conservation et le dé-veloppement de notre raison sont, à l'égard de notreâme, an devoir aussi impérieuxque laconservationetle développement de notrevolonté.

Laraisonet lavolonté toutensemblenesuffisentpasà la réalisation de l'ordre moral, parce que l'hommen'est pas seulement un être intelligentet libre, il estaussi un être sensible. Le bien qui se propose à luicomme le but suprême de son existence et auquel ilest tenu de sacrifier ses intérêts,ses plaisirs, quelque-fois ses plus tendres et ses plus douces affections, ilfaut qu'il puisse l'aimer pour que tous les sacrificesqu'il commande soient moinsdouloureux; il faut qu'ilen comprenne, non-seulement les austères exigences,mais aussi la grandeuret la beauté. Or, ces dernièresqualitéss'adressentmoins à l'intelligencequ'au senti-ment, et c'est aussi parmi les sentiments qu'il fautcomprendre l'amour qu'ils nous inspirent. La sensi-bilité est donc, dans l'ouvre de notreperfectionne-ment, un auxiliaire nécessaire de la raison et de lavolonté, etc'est pournous un devoir dè ledéveloppersans cesse en l'exerçantsur les objets les plus dignesde l'émouvoir.

Mais ce n'est pas assezde connaître les devoirs quinous sont prescritsà l'égard de nos diverses facultés,il faut encore que nous sachions de quelle manière,par quelsmoyens, nous parviendrons à les remplir.Le développementde la volontéest toutentierl'œavrede la volonté même. Il consisteà la rendre indépen-dante, soit de l'intérêt, soit de la passion, soit desconseils de la peur, soit des séductions de l'amour-propre, souvent plus dangereusesque celles de lacupidité ou de la volupté, et à ne voir au-dessusd'elle que les lois de la raison, que les ordres absolus

de la conscience. Cet empire de la volonté sur lesmouvementsirrénéchisdu cœuret des sensou sur lescalculs intéresses de l'égoïsme, voilà ce qu'on appellele caractère, et l'homme vaut plus par le caractèreque par les dons les plus brillants de l'esprit, carceux-ci nous les tenons d'une libéralité de la nature,tandisque le caractère,c'est nous-mêmes, ce qu'ily aen nous de plus substantiel et de plus personnel.Mais ce n'est pas en un jour que l'on acquiert cedegré de liberté et de sécurité intérieure; on n'yarrivequ'avec le temps, à force desurveillance exercéesur nos actions et sur nos plus secrètes pensées, parl'enet d'une discipline inflexible qui ne nous faitgrâce sur aucune défaillance;toutefois, on y arrivequand on le vent,et il n'y a que les lâches qui restentà moitié chemin.

Le développement de l'intelligence ne dépend pasmoins de nous que celui du caractère; car l'intelli-gence se développe par l'étude, la réflexion, l'obser-vation, le raisonnement, la conversation avec nossemblables, oula lecturede leurs ouvrages, et tous cesmoyenssontentièrementen notre pouvoir; cesontdesactes,que,dansdes proportions diverses,noussommestoujours libres d'accomplir,et sans lesquels les fa-cultés les plus heureusesrestent frappéesde stérilitéou même sont en danger dese perdre comme on perdl'usage d'unmembrequ'on n'exerce pas. Resterdansl'ignorance lorsque, pour en sortir, il n'en coûteraitpas plus qu'un effort soutenu de la volonté, c'estdonc véritablement un suicide intellectuel, qui sechangebien vite en un suicide moral,puisquela pra-tique du bien en suppose nécessairement la connais-sance. Ce n'est pas assez de se faire instruire, il fautchercher surtout à s'instruiresoi-même. L'instructionque nous avons reçue des autres, comme les dons

que nous avons reçus de la nature, est un bienfaitdigne de notre reconnaissance ce n'est pas l'accom-plissement d'un devoir. Notre devoir ne peut être ac-compli que par nous; par conséquent, c'est à nousde compléter, ou du moins de continuer l'œuvrocommencéepar la libéralité de nos semblables.

Enfin nous exerçons également un empire tres-étendu sur notre sensibilité.Selon la nature des ob-jets sur lesquels nous arrêtons notre imaginationetnotre pensée, selon le caractère des personnes aveclesquelles nous sommes habituellement en relation,nous développons en nous de bons ou de mauvaissentiments, des passions viles ou généreuses. Lesunes et les autres, nous pouvons à notre gré les fairenaître, les entretenir et les exciter en nous au pointde les rendre mattresses de notre vie, ou les étoufferdans leur germe, lorsqu'elles n'existent encore qu'àl'état d'nne vague agitation à peine aperçue .par laconscience.Iln'ya que les passions viles, sensuelles,égoïstes, envieuses, dont il soit utile de poursuivrel'entière destruction. Mais les sentiments nobles etélevés, ceux qui ont pour effet tout à la fois de nousrendre meilleurs, et plus heureux, les attachementsdésintéressés, l'admiration du beau et du bien, l'a-mour de la vérité et de la science, le culte de l'art, lessaintes émotions de la foi, il faut les provoquerdansnos âmes quand ils n'y sont pas spontanément, il fautles nourrir en quelque sorte par la contemplationdes actions et des œuvres les plus propres à les ins-pirer le commercedes hommes, les enseignementsetles exemplespeuventexercer sur nous la plus salu-taire influence.

XIII

Da travail. La loi du travail obligatoire pour tous. Datravail imposé à ohaqae homme selon son état et sa profession.

Chaque condition,dans la société, a son importance et peutavoir sa dignité, quandon s'acquittefidèlement des obligationsqu'elle impose. Influencesalutaire du travail sur la mora-lité humaine. De l'épargne aecamuléeon du capital.

Tous les devoirs que nous avons à remplir enversnous-mêmes ne tentrent pas nécessairement dansl'une ou dans l'autre des deux classes d'obligationsque nous venons d'exposer, celles qui ne regardentque l'âme et celles qui se rapportent uniquement aucorps. Parmi ces devoirs, il y en a un qui tient, enquelque sorte, des deux natures, qui intéresse l'âmeet le corps en mémo temps et à un égal degré nousvoulons parler du travail.

On ne saurait contester la nécessité du travail pourla conservation du corps, puisque o'est à lui que nousdevons d'une manière générale nos aliments, nosvêtements, nos maisons, nos armes, tout ce qui sertà nous nourrir, à nous protéger, à nous défendre, àassurer notre subsistance et noire bien-être, sanscompter que le travail est par lui-même un exerciceutile à l'entretienet au développement de nos forces.Le travail n'est pas moinsnécessaire au perfectionne-ment de notre âme, puisquesans lui il nous est im-possible de nous instruire, ni de nous procurer lesloisirs, la sécurité, le repos de l'esprit dont nous avonsbesoin pour cultiver notre cœur et notre raison.La faim, la soif, le froid, les privations du jour et lessoucis du lendemain nous ôtent jusqu'au sentimentdenotre dignité morale et de nos besoins immatériels.

Le travailétant indispensable a l'accomplissement denos plus impérieux devons, de ceux qui peuventêtre considérés comme le fondement et la conditionde tous les autres, est lai-môme un devoir absolu,universel, qui s'adressesans exception et sans condi-tion à tous les hommes. La loi du travail nous appa-raît ainsicommeune des premières lois de l'humanité

1etJustine ces paroles du livre de Job < L'homme estné pour travailler comme l'oiseaupour voler. »

Mais si le travail est également obligatoire pourtous, il n'en résulte pas qu'il doive chez tous se ma-nifester de la même manièreou produire exactementles mêmes œuvres. Ce n'est que dans l'enfance de lasociété humaine que chacun est dans la nécessité depourvoirdirectement, par sa propre industrie, à tousses besoins, de se construire sa demeure, de se pro-curer ses aliments et de les préparer, de fabriquerses vêtements, et, s'il lui reste encore le temps depenser, de se faire, par ses réuexions personnelles,quelques grossières idées sur l'homme et sur la na-ture. Peu à peu se révèle la loi de la division du tra-vail. Les arts se perfectionnenten se multipliant.Auxœuvres mécaniques viennent se joindre les lettres,les sciences, l'administrationpublique,les beaux-arts.La société ressemble à un immense atelieroù chacunchoisitla tâche qui se trouve le plus près de lui, quilui paraît la plus accessible ou la plus conformeà sesgoûts et à ses aptitudes. Quelle qu'elle soit, pourvuqu'ellesoit utile et honnête, on est tenu de la iempliravec conscience; car les mêmes raisons qui rendentobligatoire le travail en général, s'appliquentà cha-que profession, à chaque état, à chaque industrie enparticulier. Pour rendre possible ce travail généraldans lequel nous avons reconnu une condition sanalaquelle nul autre devoir ne saurait être rempli, il

faut que chacun en prenne une part proportionnée àson intelligence et à ses forces.

Il existe sansdoute une très-grande différence entrelesdiversesprofessionsque crée ladivision du travail.Toutes n'exigent pas les mêmes facultés de l'espritou la même adresse du corps, ou la même énergie dela volonté. Toutes, par conséquent, ne peuvent at-teindre aux mêmes résultats. Aux unes les honneurs,la fortune, la puissance, aux autres l'obscurité,la dé-pendance et trop souvent la pauvreté. De là l'inéga-lité profonde qui existe entre les différentes condi-tions de la société, inégalitéqui doit diminuerde plusen plus par le progrès des lumières, de la moralitéet de la prévoyance publique, sans qu'on puisse ja-mais espérer qu'elle disparaîtra, car elle est dans lanature même des choses. Mais il n'y a pas de condi-tion si humble, ni de profession si modeste qui nese relève par les sentiments qu'on y apporte, et il n'yen a pas de si brillante et de si honorée qui ne puisses'abaisser de la même manière. C'est que l'hommetient de ses dovoirs et de sa fidélité à les remplirune valeurque les circonstances extérieures ne sau-raient lui enlever et qu'elles sont impuissantes à luirendre lorsqu'il l'a perdue. Autant vaut l'homme, au-tant vaut la place qu'il occupe dans ce monde, il faitrejaillir sur elle le respect qui s'attache à lui. D'ail-leurs chaque profession, si elle est honnête et utile, apar elle-même sa dignité et son principe d'honneur.Ils consistent dans les services qu'elle rend à la so-ciété et dans la loyauté avec laquelle elle tient ses en-gagementsenvers le publicqui compte sur elle. Puis-que la société, comme nous l'avons dit, peut êtrecomparéeà un immense atelierou tous les travaux setiennent, où tous les ouvriers se prêtent un mutuelconcours, on comprend qu'un seul de ces ouvriers,

un seul de ces travauxvenantà manquer ou à dévierdu but qui lui a été assigné, il en résulte un troubleprofond pour tous les autres. Nous nous en aperce-vons faoilement lorsqu'arriveunede ces crises partiel-les qu'on appelle des grèves.

Le travail n'est pa~ seulement un de nos plus im-périeux devoirs, il peut être considéré comme unmoyen assuré de les remplir tous; par tes habitudesd'ordre, de régularité, d'activité qu'il apporte aveclui et la paix intérieure qui en est la conséquence, ildevient un des plus solides fondements de la mora-lité humaine. La moralité humaine n'est pas autrechose, en effet, que l'amour de l'ordre, que le respectde la règle et de la loi porté à sa plus haute puis-sance. L'immoralité, au contraire, c'est le désordrené de l'ennui, quilui-mêmea sa principalecause dansl'oisiveté. Or, on l'a dit avec raison, l'oisiveté est lamère de tous les vices. Quand notre pensée n'est Sxéeà rien, quand nos facultés restent sans emploi, toutles tente et les entraîne elles sont livrées à la mercide tous les caprices de l'imagination et des sens. Letravail, même quand il ne s'applique qu'à des œu-vres matérielles, est, par la volonté soutenue qu'ilexige,une sorte degymnastique de l'âme qui entretientle cours régulier des idées et des sentiments, commela gymnastique du corps entretient le cours régulierdu sang.

Une des sauvegardes de la moralitéde l'homme, letravail est aussi la plus sûregarantiede son indépen-dance, par conséquent de sa dignité, lorsqu'il joint àl'activité qui orée la prévoyance qui conserve. Con-sommer au jour le jour tout ce que l'on produit lors-que d'ailleurs on aurait assez pour préserver le len-demain, c'est s'expjsor à rencontrer des jours dedétresse où les forces nous manquent, où la matière

même nous fait défaut, et pendant lesquels nous som-mes entièrement & la discrétion de nos semblables, àla mercide leur pitié. Si, au contraire,au prix de quel-ques sacrifices imposés au présent, nous avons eu lecourage d'épargner pour l'avenir, si cette part del'avenir n'est pas seulement faite une fois, mais s'ac-'croît entre nos mains de jour en jour, de mois enmois, d'année en année, alors elie devientce que dansle langage de l'économie politique on appelle un ca-pital. Le capital ou l'épargne accumulée, c'est uneforce ajoutée a celles que nous tenons de la nature etqui lesremplace lorsqu'elles sont paralysées ou qu'ellescommencent à décroître, qui les multiplie en leurdonnant pour auxiliaires des instruments plus oumoins ingénieux, et enfin qui nous permet de tra-verser la tôte haute, l'esprit en paix, les époques dede stérilité ou d'impuissance.

CHAPITRE II

MORALE SOCIALE

XIVDevoirsde l'homme envers ses semblables ou envers la société.

Division et classification de ces devoirs.' La famille, pre-mier fondement de la société et condition nécessaire desmoMTa pnbKoues.-Commentla félicité des peuples augmenteou diminue selon que tes liens de la famille ee resserrent ouse relâchent. Du mariage et des devoira qui en découlent.

Nous venons d'exposer les lois qui règlent la con-duite de l'homme envers lui-même ou les devoirsde l'individu. Mais il ne faut pas confondre l'indi-vidu avec l'homme isolé. L'homme isolé, ou comme

on l'appelait dans la langue philosophique du xvm*siècle, l'homme de la nature n'a jamais existe. Leseul état dans lequel nous puissions naître et vivre,développer nos facultés, acquérir le sentiment denotre dignité morale, c'est la société. Il en résulteque nous avons envers la société ou envers nos sem-blables des devoirs non moins impérieux que ceuxqui nous sont prescrits envers nous-mêmes,puisqueles derniers ne sauraient subsister sans les premiers.

Nos devoirsenvers la société se divisent de la mêmemanière que la société elle-même. Or, on distinguequatre sortes de sociétés qui se pénètrent et se tou-chent par tous les points, qui se supposent et se sou-tiennent mutuellement et dont aucune ne peut sepasser des trois autres. Au premier degré nous trou-vons la famille. Puis en dehorsde la famille nous ren-controns la société humaine en général ou celle quiexistenaturellement,en raison de la similitudede leursfacultés et de leurs besoins, entre un homme et tousles autres considérés individuellement, entre unhomme et son semblable, abstraction faite de toutautre rapport. A. cette société générale, régie seule-ment par des lois naturelles,vient se joindre la sociétécivile, gouvernée par des lois positives, on cette exis-tence collective qu'on appelle un peuple, une nationou un Etat. Enfin les peuples, les nationsou les Etatsne sauraient rester isolés les uns des autres. Ils ontentre eux, comme les individus, des rapportsnéces-saires ils sont forcés comme les individus de recon-naître des lois communes, de communes obligationssans lesquellesils ne pourraientvivre en paix un seulinstant. Grâce à ces rapports et aux lois qui les ré-gissent, ils forment une quatrième espèce de société,plus générale que les trois premières,et qui, tendantchaque jour à s'accroître, peut être appelée la société

universelle du genre humain. De là quatre espècesde devoirs envers nos semblables ceux qui nous sontprescrits sans exception envers tous les hommes, parcela seul qu'ils participent avec nous à toutes les fa-cultés, à toutes les obligations, à tous les droits de lanature humaine; ceux qui s'adressent particulière-ment à la famille, ou que nous avons à remplir, nonplus seulement en qualité d'hommes, mais en qualitéde père, d'époux, de fils et de frètes; ceux qui trou-vent leur place dans la société civile ou qui obligentles citoyensenvers l'Etat et l'Etat envers les citoyens;enfin ceux que les peuples, les Etats ou les gouver-nements qui les représententsont tenus d'observerles uns envers les autres et qu'on désigne dans leurensemble sous le nom de droit international ou dedroit des gens.

Pour se conformerà l'ordre que la logique lui im-pose, la morale sociale devraits'occuper d'abord denos devoirs envers les hommes en général; car lesdevoirs qui appartiennentà cette classe sont le fon-dement nécessaire de tous les autres. Avant d'êtrepère ou époux, frère ou Sis, simple citoyen ou hommepublic dans un Etat, représentantet fondé de pouvoird'une nation auprès des nations voisines, on esthomme,et ce titreque nous sommes obligésde garderintast en nous-mêmes, il nous est commandé de lerespecterchez nos semblables, quels qu'ils soient. Cen'est qu'à la suite des devoirs qui découlent immé-diatementde notre nature, que nous aurionsà traiterdes différentessociétésque les hommes forment entreeux d'abordde la famille, parce qu'elle se trouve leplus près de l'individu; ensuite de l'Etat et enfin dela société universelle; mais il faut remarquer quel'ordre logique n'est pas celui que nous présententlesfaits ou la réalité. Dans la réalité; c'est la famille qui

occupe te premierrang. Eiie est la condition de touteéducation morale, par conséquent de toute relationsociale, de tout commerce d'humanité et de justiceentre l'homme et son semblable. C'est donc à la fa-mille qu'il convient de s'arrêter d'abord.

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La famille, \x)mme nous venons de le dire, est lapremière condition et par conséquent la premièreforme de la société, le premier pas que fait l'hommedans la vie morale et sans lequel il lui est impossibled'en faire ancun autre. Tant que la famille n'existepas encore, comme chez les sauvages, ou qu'ellen'existe que d'une manière incomplète, comme chezles barbares, les mœurs restent brutaleset grossièreset il n'y a de place que pour la barbarie et la servi-tude. Les femmes sont l'objet d'un honteux trano, onles entasse commeun bétail humain dansles marchéset dans les harems,on on les charge des plus rudestravaux, tandis que les hommes,quand ils ne sontpoint occupéspar la chasse et par la guerre, passentleur vie dans l'oisiveté.Les enfants, encore plus mal-traités que les femmes,ou sont abandonnésau hasard,ou sont réduits à l'étatd'esclaves et vendus en cettequalitéà qui veut les payer. Dès l'instant, au con-traire, que la famille est constituée sur sa véritablebase, elle apporte avec elle non-seulement les senti-ments et les mœurs, la tendresse et le respect quifont la dignité et le bonheurde lavieprivée,mais lesvertus civiles et religieuses qui sont la force et lagrandeur des Etats.

La famille est comme un foyer dont la chaleur et

hhnnière se répandent de proohe en proche. C'estainsi que la patrie n'est pour nous qu'une familleplus vaste, que nos concitoyens, qui partagent avecnous les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmesespérances, les mêmes craintes, et qui vivent sous lecharme des mêmes souvenirs, sont véritablementpour nous des frères, et qu'enBn la terre qui nousnourrit, qui porte dans son sein les cendres de nosaïeux, devient pour nous l'objet d'une piété toutefiliale. C'est ainsi encore que Dieu nous apparatcomme le père commun de tous les hommes, la terrecomme leur commun patrimoineet que, par suite dela même idée, nous sommes amenés à croire à lafraternité universelle du genre .humain. Mais com-ment ces assimilations seraient-ellespossibles si l'undes termes qu'elles supposent se trouvait supprimé,ou si les noms de père et de frère n'avaient plus pournous leursignification propre et cessaientde répondreaux premiers souvenirs de notre enfance, aux pre-miers battements de notre coaur. Pour aimer la patriecomme une mëre, il faut avoirune autre mère qui aété la tutrice et la providence de nos jeunesannées

pour aimer tous leshommescomme des frères, il fautavoir senti véritablementl'amour fraternel. Dieu lui-même se déroberait à notre esprit, nous ne pourrionsplus l'invoquer sous le nom de Père si nous étionscondamnés à ne pas connaître celui qui est ici-bassa terrestre image.

L'institution de la famille n'est pas moins nécea"saire au bien-être matériel de la société qu'à son exis-tence morale; car n'est-ce pas sur le travail que re-pose le bien-être des hommes ? Or, le travail n'a pasd'aiguillon plus puissant, plus opiniâtre et plus nobleen même temps que le désir d'assurer le bonheur deceux que nous aimons et dont nous sommes, en quel-

que sorte, la providence ici-bas. Que l'amour de lagloire, de la patrie, de l'humanité, ou quelque sen-timent plus élevé encore, suffise aux âmes d'élite,qu'il soit le mobile ordinaire des grands travaux dela pensée ou des sacrifices de l'héroïsme, on le conçoitsans peine; mais livrés aux plus vulgaires occupationsla plupart des hommes ont besoin d'être soutenus,excités par des affectionsplus positives. Il leur fautl'espérance de laisser à leurs enfants, à leurs compa-gnes, à leurs proches, les fruits de leurs sueurset lessignes matérielsde leur dévouement; il faut que leurambition puisse s'étendre au-delàdes limites de leursbesoins et de leur existence sans cesser, en quelquefaçon, d'être personnelle car nos enfans, c'est nous-mêmes revenus aux jours de notrejeunesseet mis enpossession de l'avenir.

La famille, quand elle est complète, se compose detrois sociétés faciles à distinguer,bien qu'elles soientinséparablesl'une de l'autre la société qui résultedumariage,autrementdite la société conjugale, celle dumari et de la femme; la société qui unit les parentsavec les enfants; enfin la société qui unit les enfantsentre eux. Chacune de ces sociétés apporte avec elledes devoirs particuliers,est soumise à des règles et àdes conditions particulières.

Quand môme le mariagene serait qu'un moyenoffert aux parents pour reconnaîtreleurs enfants etaux enfants pourreconnaitre leursparents,cela suffi-rait pour le rendredigne de notrerespect, car l'hommen'a pas le droit d'abandonnerses enfants, comme l'au-truche abandonne ses œufs sur le sable du désert.Mais il y a d'autres raisons qui font du mariage laplus sainte des institutionset le fondementnécessairedo la famille, comme la famille elle-même est le fon-dement de l'ordre social.

Il est défendu à la personne humaine, quelles quesoient d'ailleurs sa misère et sa faiblesse, de se dé-grader an rang d'une chose, d'abdiquer en quelquesorte son existence propre, de se dépouiller de sonêtre moral pour servir uniquement aux plaisirs etaux passions d'autrui. Par une conséquence né-cessaire de la même loi, il n'est pas moins coupa-ble de réduire les autres, soit par la séduction, soitpar la force, à cet état d'avilissement,ou, quand ils ysont déjà, de contribuerà les y maintenir. Or, le ma-riage est le seul moyen d'éviter cette double infrac-tion à la loi morale, car le mariage, c'est un engage-ment par lequel deux êtres de sexe différent mettenten commun, pour toute laduréede leurvie, leursâmeset leurs corps, leurs volontés et leurs personnes, enun mot toute leur existence. Dans cette communautéd'existence, résultat d'une donation réciproque desoi-même,aucundes deux n'estsacrifiéà l'autre, maisils restent étroitement unis par les mêmes droits etles mêmes devoirs. Le mariage, tel qu'il existe dansles desseins de Dieu et tel que le réclame le cœur del'homme, c'est l'amouret le devoir confondus de tellesorte qu'on ne puisse plus les distinguer l'un de l'au-tre. C'est l'amour sancti&é, purinépar le devoir;c'estle devoir armé de toutes les forces et paré de toutesles grâces de l'amour.Tous les devoirs du mariagese ramènentà un seul: dévouement réciproque et, parconséquente égale ndélité des deux époux. Mais cedévouement, en raison de la diversité des facultés,ne s'exerce pas de la même manière. Chez le mari, ilse manifeste par la protection, l'activité, le courage,l'esprit de décision chez la femme,par la douceur,la résignation et la patience. Cette diBérencen'en as-surera que mieux l'accorddes volontés et des intel-ligences.

XV

Devoirs des parents envers les enfants. Subsistance, entre-tien, instruction, éducation. Éducation par les bonsexemples. Les devoirs des parents envers les enfants sontla source des droits qu'ils exercent sur eux oa le fondemèntde l'autorité paternelle. Des limites de l'autorité paiet~nelle selon la raison on la loi naturelle et selon le Code.'Comment cette autorité a ~tar~é chez les diSérents peuples etaux dinrentes époques de l'histoire.

Au devoir du mari et do la. femme se joignentbientôt, selon le cours ordinaire de la nature, ceuxdu père et de la mère, ceux des parents envers lesenfants. Les devoirs que nous avons à remplir enversnos enfants ne datentpasdu moment où ils ont vu lejour, ils commencentmême avant leur naissance. Lavie humaine, en effet, est une chose si sainte, ellenous représente une tâche si élevée et sidinioile,qu'ilm'est presque pas plus coupable de l'ûter sans justiceet sans droit à celui qui la possède, que de la donnerdans des conditions où il est impossible qu'elle at-teigne son but, où elle n'a aucun moyen de se con-server,pu elle est fatalement condamnée à être untissu d'aSIiotions, de hontes et de misères. Il y a uneloi .qui punit les parents dénaturés qui abandonnentleurs enfants; mais n'est-ce pas aussi une espèce d'a-bandonque de leur donner la vie sans être en état desatisfaire leurs besoins et de pourvoir à leur subsis-tance ? Appeler à l'existence un et*e humain, c'estprendre l'engagement de veiller sur sa conservation,de fournir tout ce qui est nécessaire à son développe-ment et à son entretien, de cultiverses facultés, de lepréparer à supporter toutes les épreuves et à remplirtous les devoirs de la vie, jusqu'à, l'heure où, devenucapable de se suffire et prenant, pour ainsi dire,

possession de lui-même, il ne dépend plus de nousque par les liens du respect et de la reconnaissance.En d'autres termes, par les lois de la morale, le ma-riage n'est pas permis à ceux qui ne sont pas en étatde nourrir leursenfants, de les élever, de leur donnerun certain degré d'instruction et d'éducationet uneprofession capable d'en faire des membres utiles ethonnêtes de la société.

Il faut que la prévoyance des devoirs qui nous at-tendent précède la naissance de nos enfants;mais ellene doit pas dégénérer en une pensée d'orgueil, en uncalcul d'ambition capable de noua détournerde cesdevoirseux-mêmes et du mariage, qui en est l'origine.Nous ne sommes pas tonus de donner à nos enfantsune fortune et une position supérieuresà celles dontnous nouscontentonspournous. Il suffit, par exemple,qu'un ouvrier laborieux et honnête,aprèsavoir élevéson fils de manière à ne pas le laisser manquer dunécessaire, lui enseigne le métierqui le fait vivre etqui soutient sa famille: Montesquieu a dit s Le pèreest obligé de nourrir et d'élever son enfant; il n'estpas obligéde le faire héritier, » Rien n'est plus vrai.On peut ajouter que l'honnête ouvrier dont nousparlons a mieux reiapli ses devoirs que certainsriches, plus occupés des héritagesque des héritiersqu'ils laissent après eux.

Nourrir son enfant, l'élever jusqu'à l'âge où il peutse suffire à lui-même et lui enseigner uneprofession,cen'est encore que la vie matérielle ou le pain du corps;mais au pain du corps il faut joindre celui de l'âmeet de l'intelligence, à l'éducation physique et indus-trielle l'éducation morale et l'instruction. L'instruc-tion, tous les parents ne sont pas aptes à la donner pareux-mêmes;voilà pourquoi les sociétésbienorganiséesy pourvoientpar des écoles publiques où l'enfant du

pauvre, aux frais de la communauté,et l'enfant duriche, aux frais de sa famille, reçoivent le degré deculture qui convient à chacun d'eux, qui s'accorde lemieuxavec leurs facultés et leur position respective.Mais aucune puissance humaine ne peut nous dis-penser de donnerà nosenfants l'éducationmorale. Iciles livres et les maîtres sont insuffisants.Aucunlivre,aucun maitre ne pourra remplacer les exemples deprobité, de piété et de sagesseque doit offrir notre vie.L'éducation morale n'est complète que si elle estl'œuvre simultanée du père et de la mère, sévère etgrave de la part de l'un, indulgenteet tendre de lapart de l'autre. Ce n'est pas trop de faire concourirà cette tâche diflicile l'autorité qui commande et lapersuasion qui charme, la fermeté qui exige et lapatience qui doit attendre, la raison qui éclaire etl'amour qui soutient et console. Ce n'est qu'à cettecondition que les parents se retrouveront tous deuxet resteront unis dans leurs enfants et que la femmeconservera dans la famillecette égalité morale qui faitla saintetédu mariage.

L'ohiigationquelaraison imposeauxparentsde nour-riret d'élever leursenfants est l'uniquesource de leursdroits, droits communs aupèreetalamëre,bienqu'onait l'habitude de les désigner sous le nom d'autoritépa-ternelle. A ne consulter que la loi naturelle, qui n'estque la raison elle-même ou la loi morale, dégagée detoutes les conventions humaines,il est impossible dedonner un autre fondementà cette autorité, si terribledans l'antiquité, si absolue dans les lois romaines etpar laquelle on a quelquefoisessayé de justifier l'es-clavage. On ne conçoitpas, eneffet, que le seul faitd'a-voir écouté un aveugle instinct me donne sur unecréaturehumaine un pouvoir sans bornes et fasse tairecette règle absolue de la morale, selon laquelle il n'y

a point de droits sans devoirs. Ce que je dois à celuiqui m'a donné le jour na va pas jusqu'à détruire enmoi le caractère de la personne humaine, jusqu'àm'ôter l'usage de ma liberté et de mon intelligence,jusqu'à faire de moi une vile propriété. Que devien-drait, avec une pareille doctrine, l'idée même de lajustice et du droit? L'autoritépaternelle est donc entiè-rementsubordonnée aux devoirs du pèr6 envers l'en-fant. Elle est la condition et, si l'on peut ainsi parler,l'instrument de l'éducation; par conséquent, la tâchede l'éducation une fois remplie, elle doit cesser avecelle. L'enfant devenu homme demeure toujours unià son père et à samère par toutes sortes d'obligations;il ne leur doit plus l'obéissance. C'est pour celaque notre Code a désigné un âge, celui de vingt-un ans, où cette émancipation est légalement re-connue; pour un seul acte, celui du mariage, la mi-norité est prolongée jusqu'à vingt-cinq ans.

Ce n'est pas encore tout même dans les limitesoù nous venonsde la circonscrire, l'autoritépaternellene peut pas être absolue,mais il faut qu'elle s'accordeavec les intérêts et les lois les plus essentiels de lasociété. La société est obligée d'intervenir entre lefort et le faible, entre l'enfant et l'homme fait; elle apour tâche de faire triompher partout l'ordre et lajustice; à ce titre, elle a le droit de régler dans unecertainemesure les rapports des pères et des enfantsC'est même une nécessité pour elle d'user de ce droit,sous peine de compromettre sa propre existence cartelle est la constitution de la famille, telle est cellede la société tout entière; telle est l'éducationqu'ondonne à l'enfance et à la jeunesse, tel sera dans l'a-venir l'esprit public, telles seront les institutions etles mœurs. 11 est évident, par exemple, que le droitd'aînesse établi dans les famillesa pour conséquence

nécessaire l'aristocratie dans l'État. Au contraire,l'égalité entre les enfants d'un même père, quandelle est consacrée par les mœurs, amènera bientôt àsa suite l'égalité civile et politique. Voilà pourquoile Code Napoléon a nxé une limite au droit de tester.Les mêmes rénexions s'appliquentà l'éducation. Des

générations élevées dans le mépris des lois qui devrontles gouverner un jour, dans la haine des institutionssur lesquellesrepose l'ordre actuelde la société, ne seferont pas scrupulede les changeret ne reculeront pasdevant les révolutions.

Ainsi que tout ce qui appartient à la vie morale del'homme, ainsi que l'homme lui-même et la société,l'autorité paternelle a son histoire. D'abord les en-fants ne sont que la propriété, c'est-à-dire les esclavesde leurs pères. De là, le nom même de famille (/<M?M-

K<t, primitivementfamulia, de famulus, esclave); un

nom qui exprime parfaitementce qu'était cette insti-tution dans la vieille société romaine. Le père avaitdroit de vie et de mort sur ses enfants, comme lemari sur sa femme. Son terrible pouvoir s'étendaità la fois sur son nia, sur la femme en puissance de cefils, sur les enfants de ce dernier et sur tous ses biens.L'autorité paternelle, chez les peuples de l'Orient,chez les Indiens, les Perses et même les patriarcheshébreux, avait la. même étendue et se revêtaitenoutred'un caractère religieux qui donnaità tous ses actesune consécration divine. Dans d'autres contrées, parexemple à Sparte, on l'autorité paternelle était rem-placée par celle de l'Etat, la situation des enfantsétait la même. On les conservait, on les élevait, onles instruisait,non pour eux, maispour la république,pour en faire, non des hommes, mais des guerriers etdes citoyens. Aussi n'éprouvait-onaucun acrupule àles détruire quand, dès leur naissc'~oe, leurs forces

ne répondaient pas à ce qu'on attendait d'eux. Plustard, sous le rë~ae de la féodalité, les intérêts géné-raux de l'homme et ce qu'on peut appeler la justicedomestique, l'égalité qui doit exister entre les enfantsd'un même père, se trouva sacrinéo à l'intérêt decaste. Au fils aîné passaient le nom, les dignités, lafortune du père; le reste devenait ce qu'il pouvaitle père s'oSacait devant le seigneur et les enfantsdisparaissaient devant l'héritier. Seule, la législationmoderne, et particulièrementla législation française,a réglé avec justice les rapportsde la famille, en ren-fermant dans sa véritabledestinationl'autorité pater-nelle, et en consacrant pour les enfants ce principed'égalité qui, sauf quelques exceptions d'ailleurs ad-mises par le Code, est tout à la fois dans les devoirset dans les sentiments naturels des parents.

XVIDevoimdes en&nis envers les parents. Devoirs des enfants,

tant qu'ils sont mineurs obéiManee, amour et respect.Devoirs des enfanta après leur émancipation reconnaissanceet piéténliale.

Si lesparents ontdes devoirsà remplirenvers leursenfants, les enfants en ont aussi envers l€.urs parents.Le premier de ces devoirs, pour les enfants encorepla-cés sous l'autorité paternelle,c'est l'obéissance carcomment les parents pourraient-ils remplir la tâclioque la société et la natureleur imposent; comment se-raient-ils capables d'élever leurs enfants, de les for-mer, de les instruire, de les guider vers le but de lavie, si leurs ordres étaient méprisés, leurs conseilsimpuissants, leur autorité méconnue? Mais l'obéis-sance acceptéecomme un devoir, ce n'est pas simple-ment l'exécution matérielle de la loi qu'on a reçue et

qu'on est obligé de subir, c'est la soumission inté-rieure du coaur et de la volonté, c'est la résolutionlibre et réfléchie de faite ce qui nous est commando,dans la persuasion que ce qui nous est commandé apour unique but notre bien. En d'autres termes, l'en-fant docile à la voix de ses parents, doit se confiertout entier a leur raison, à leur tendresse, à leur pré-voyance, et se dire & lui-même qu'il n'a point sur laterre de guides plus dévoués et plus sûrs. S'ils setrompent, il saura que ce n'est pas à lui qu'il appar-tient de les redresser; il attendrâque le temps, l'expé-rience et la tendre sollicitude dont il est pour euxl'objet,leur apportentde nouvelles lumières.

Mais comprendre ainsi l'obéissance filiale, c'est larendreinséparable du respectetde l'amour.Comment,en effet, ne pas respecter ceux qui sont au-dessusdenous par leurs vertus, leursagesse, le nombre de leursannées, les devoirs même qu'ils ont à remplir à notreégard et l'autorité morale qui en est la conséquence!D'un autre côté, comment n'être point pénétré d'a-mour et de reconnaissance pour ceux à qui nousdevons tout, non-seulement la nourriture du corps,mais celle de l'âme et de l'intelligence, non-seulementune place dans la vie, mais un rang dans la société,un nom honoré qui tout à la fois nous encourage etnous protège, et qui, pour nous procurer ou nousconserver tous ces biens, n'ont reculé devant aucunsacrifice, ne se sont épargné aucuneprivation, et ontsoutenu vaillamment les épreuves inséparables del'existencehumaine?

L'obéissance, l'amour, le respect, quand ils sontainsi réunis en un même sentiment, ont un carac-tère presque religieux, et ressemblent au culte quenous rendons au Père commun de tous les êtres,comme l'autorité paternelle a quelque chose de la

majesté de l'autorité divine. Ce n'est donc pas sansraison que les obligations des enfants envers les au-teurs de leurs jours ont été toutes comprises sous lenom de piété filiale.

Cependant, des trois élémentsqui se rencontrentetse confondent dans la piété filiale, il y en a un quine peut durer toute la vie. L'obéissance,comme nousl'avons déjà remarqué,ne doit pas se prolonger au-detà de l'oeuvre de l'éducation,dont elle est la condi-tion indispensable. Elle cesse de plein droit quandcette œuvre a été acoomplie,quand le but.dans lequelelle nous est prescrite a été atteint, quand l'enfant,devenu homme, entre en jouissance de toutes sesfacultés. L'autorité du père sur son enfantest commeune délégation d'en haut, mais une délégationtempo-raire, une missionmorale et religieuse dont le termeest marqué par la loi humaineaussi bien que par laloi divine, c'est-à-dire celle que Dieu a inscrite dansnotre conscience.Mais entre ce père qui n'a plus ledroit de commander et ce fils qui n'est plus obligéd'obéir doivent subsisterjusqu'à la mort les liens durespect, de l'amour et de la reconnaissance, ce que lapiété filiale a de plus inaltérableet de plus spirituel,ce que le dévouement a de plus désintéressé, parcequ'il prend sa source dans le souvenir des bienfaitspassés, et non dans l'espérance des bienfaits à venir.

Ces sentiments,comme nous venons de le dire, nesauraient admettre un autre terme que celui de notreexistence, ni sounrir d'autres interruptionsque cellesqui atteignentla conscienceelle-même. Mais il y adans notre vie une circonstance solennelle ou ils doi-vent surtout se manifester c'est à l'occasion de notremariage. Ce n'est pas sans raison que la loi a reculépour le mariage la minorité des enfants jusqu'à l'âgede vingt-cinq ans. Le choix d'une femme ou d'un

manpar nn des jeunes membres de la famille m'estpas un acte parementpersonnel, il apporteun chan-gementconsidérableà la &miIIa entière. Il n'est paajuste que ce changementpuisse être accompli par lesuns sans étre accepté par les autres. Encore bienmoins est-il permisd'introduireau foyer domestique.sous les noms et avec les droits les plus saorés, desêtres indignesde s'y asseoir, capables de le déshono-

rer ou seulement d'en troubler la paix et l'harmonie.Il faut donc, lorsque cette grave circonstance se pré-sente, courbervolontairementnotre tête sous l'auto-rité vénérée d'un père ou d'une mère, les consulteravecdéférenceet avec tendresse,et, si nous les voyonsen proie à d'aveuglespréventions,essayer de les con-vaincre. La résistance ne devient légitime qu'aprèsque nous avons épuisé tous les moyens de persuasionet lorsque nous sommes en face d'un préjugé opi-niâtre, d'une prétention injuste, orgueilleuse, tyran-nique, qui, sans profit pour le respect dû à notrenom, tendrait à ruiner notre bonheur.

XVII

Devoirs des enfants entreeux. UensMtnrelsque crée entreeux la cmMMtumté d'origine et d'édaottion. Sentimentsmtoreb qui en sontla anite. Devoirs qui répôndantà cessentiments. DeveiM mctnels des &erM et des MMrs.Devoirsdes &eres et des soeurs ainea eRTere les plus jeunes.

Amitié et soNdante de h famille.

Enfin, pour en avoir fini avec la morale de la fa-mille, il nous reste une dernière question à traiter,celle des devoirsque les enfants, à quelque âge qu'ilssoient parvenus,ont à remplir les uns envers lesautres.

On peutconsidérer d'abord oommeune proposition

inadmissible que ceux qui portent dam leoN veheale même sang, qui ont été nourris et qui ont grandiensemble près du même foyer, qui ont participa auxmêmes joies et auxmêmesdouleurs,qui ont été façon-nésde la même main etsoumis a~ la même règle,dontl'Ame aussi bien que le corps est formée, en quelquesorte, de la même substance, ne sont pas liés entreeux par des obligations plus étroites que le reste deshommes. Une telle opinion, si l'esprit pouvait l'ac-cepter un seul instant, soulèverait d'abord contre elleles sentiments lesplus naturels et les plus énergiquesdu cœur humain. La communauté d'origine et d'édu-cation, la plus complète communauté d'existence,prolongée pendantde longuesannées,développedansles âmes une mutuelle tendresse, un réciproque dé-vouement, une oonfiancesans bornes qui font qu'onse retrouve soi-même dans celui à qui l'on est atta-ohé par tous ces liens et que nous comptons sur luicomme il peut comptersur nous. C'estpour cela qu'àun amivéritablenousdonnons le nom de frère, parcequ'un frère, comme on l'a très-bien dit, est on amidonné par la nature. C'est pour cela aussi que la fra-ternité humaine est l'expressiondu plus haut degréd'union et de bienveillance qui puisse exister antreles hommes.

Mais comment la fraternité,qui n'estque la chantésous unautrenom, pourrait-elles'étendredeprooheamproohoatousioshommes.sielleneoom.mencaitpasparrégner dans la famille? Comment la familleelle-mêmepourrait-eue subsister sans elle,puisqu'elleest le résul-tat nécessaire de son organisationet une des forces quicontribuentle plus eScacementà sa durée. Or, il estimpossibled'admettrequ'unevertusur laquellerepose,non-seulement la famille, mais la société humaineengénéral,puisse se dispenser d'agir et rester à l'état de

sentiment. Il m'y a donc de fraternité véritable quecelle qui se manifeste par des ceuvres ou par de mu-tuels sacrifices. Celui-Ht n'aimepas son frère qui n'estpas prêt en toute circonstance à se confierà loi on àrecevoir de lui la communication de ses soucis et deses peines, à le secourir de ses conseils, de son crédit,de sa fortune, de ses bras, de saprésence, et à lui de-<mander le môme appui le jour où il en aura besoin.Il en est de la fraternité comme de la foi celle quin'agitpas est morte. Comment, d'ailleurs, se refuserà pratiquerun vertu si douce?Il n'en est pas qui ap-porte plus sûrement avec elle sa récompense, s'il estvrai que le cœur humain a besoin d'affection,et si detontes les affeotionsque nous pouvons ressentir, lesplus durables et les plus vives sont celles qui sontnées et qui ont grandi avec nous. Mais jamais le sen-timent fraternel n'a autant de puissanceet de grâceque dans les rapportsqu'il établit entre un frère etune sœur. Il semble qu'onne puisse trouver que dansle ciel quelque chose de comparable à ce commerce,plus tendreque l'amitié,pur des orages et des convoi.tises de l'amour.

L'amour fraternel n'est pas renfermé tout entierdanscette réciprocité d'assistance et de pieuxattache-ment. Il est parfois obligé, pour remplirtous ses de-voirs, de s'éleverà une abnégation plus complète etd'accepterpourunesœur la tâched'unemère, pourunfrère celui d'un père. C'est lorsqueles deuxchefs de lafamilleont disparuetqu'aucun de leurs proches n'a lafaculté ou la volonté de les remplacer. Dans cettecruelle situation,c'est aux aînés des enfants de conti-nuer leur œuvreà l'égard des plusjeunes; c'est aceuxqui ont déjà recueilli les fruits de la tutelle pater-nelle, qui ont déjàreçu les précieux bienfaits de l'é-ducation, de les transmettreaux orphelins que le sort

en a privés. Le patrimoine d'une famille n'est pasreprésenté uniquementpar les biens matériels qu'elleest appelée à se partager; il consiste avant tout danscette communauté de vie, de pensée, de sentiments,d'affectionset d'honneurqui estl'oeuvrede l'éducationdomestique et qui suit l'accomplissementdes devoirsparternels. Or, comme il serait injuste que l'héritageréservé à tous ne fut recueilli que par quelques-unsetmême par un seul, il faut bien que les premiers nés,s'ils ne veulent se rendre coupables d'usurpation,yfassent participer les derniers. Ce serait manquer àune des plus saintes obligations de l'amour paternelque de leur appliquer ce mot d'un célèbre écono-miste <t Tantpiss'ils sont venus troptard; il n'yapasde couvert pour eux au banquet de la vie. »

A défaut d'amour, le sentimentde l'honneur snfâ-rait à lui seul pour consacrer ce devoir; car nul nepeut rester insensible à l'infamie qui couvre son nom.Or, le nom d'une famille est exposé à d'inévitablessouillures si elle permet que quelques-uns de sesmembres restent livrés sans défense à l'action dou-blementfatale de l'ignorance et de la misère. Cettesolidarité est quelquefois un fardeau; mais elle estplus souventune protection et une sauvegarde; ellefait la force et la darée de la famille, qui fait à son,tour la force de l'Etat. C'est en vain qu'on essayerait'de l'y soustraire;l'opinion nousl'imposemalgrénous,et l'opinion n'est ici que l'interprète de la nature.

DEUXIEME SECTION

M SOO~TÉ SN &<NËNAt. BBVOtM BB Ï.'BONN<!BNVMS sas SBttBMBt.za Boas ça LA ?&Mtï.t.B

AVIIILa &MniNe suppose la aooieM humaineen général. La vie

sociale est la condition et le complément nécessaire de la viedémarque. Par nôeeBSiM et par instinct, par toutes ses&oaltea, l'homme est un Mta eMen~ellement aooiaMe.L'état de nature, tel que l'ont eomptia eertainB philosophes,n'a jamaisMiaté.

La socié~, comme nous l'avons remarqué, com-mence par la famille; maiselle nepeut pas s'y arrêter.La famille ne snbsistetait pas un instant si hors deson sein l'homme n'avait avec ses semblables anoanerelation, aucune communauté d'intetêt, de besoins,de sentiments, de pensée et ~par conséquent aucunménagement à garder, aucune obligation à remplir.Incapable de se sumre à elle-même, dans. roj-arephysique comme dans l'oïdte moral, et ne rencon-trantautour d'elle que des ennemis, elle serait vouéeà unedestructioncertaine ou s'éteindrait,si elle avaitpu commencer, dans une incurablemisère.

Il y a plus, la famille ne se formerait pas sans uninstinctgénéral desociabilité, sans un respectprofondde la nature humaine, sans la conviction plus oumoins réuéohie que les hommes se doivent les unsaux autres, et ont été créés pour se servir mutuelle-ment. Si cette conviction n'existaitpas en nous et sila société de nos semblables n'était pas le premier denos besoins, comment s'expliquerait-onque l'hommeet la femme, après avoir obéi à la loi de la nature quiles rapproche accidentellement, paissent rester unis

pendanttouteleurvie et soient encorenécessairesl'unà l'autre après que l'âge a calmé leur imagination etleurs sens ? N'est-ce pas la société qui, dans l'intérêtde sapropre conservation et par respect pourla dignitéhumaine, dont elle est la sauvegarde, a consacré lemariage et a imposé aux parents l'obligationd'éleverleurs enfants? Or, lorsqu'on cherche quel est le butde l'éducation, on s'aperçoitqu'il n'y en a pas d'autreque de former des hommes capables de tenir leurplace avec honneur et de remplir une tâche utile aumilieu de leurs semblables. Ajoutez à cela que lesdevoirsde la famille, tels que les conçoit la raison,sont complétement d'accord avec ce que la sociétéexige par ses lois. Donc, les principes sur lesquels lasociété repose sont le fondement véritable, la con-dition suprême de la- famille, et la famille n'auraiaucuneraisond'êtresi elle ne préparaitl'homme pourla société, dont chacune de ses lois particulières,dont chacunede ses obligations suppose déjà l'exis-tence.

La société, à son tour, serait un fait inexplicablesi elle n'avait ses racines dans la nature humaine, sil'homme n'était pas constitué de telle sorte qu'il luisoit impossible de vivre hors de son sein, ou s'il n'é-tait pas un être éminemment sociable. Or, la socia-bilité humaineest chose tellement évidente que c'està peine si elle a besoin d'être démontrée. Elle résultede toutes nosfacultés, de nos facultésphysiques aussibien que de nos facultés morales elle est attestéepar tous nos besoins, par tous nos sentiments et parles lois de notre intelligence. Physiquement, il estimpossible & l'homme de vivre, de se conserver, dese défendrecontre les rigueursde la nature et les atta-ques des bêtesférocessans le concours de la société.Moralement, la solitude lui est aussi odieuse que la

mort et non ne lui est plus nécessaire que d'entendrela voix, que de contempler les traits de ses sembla-bles. Son cœur est plein de sentiments et d'affectionsnaturelles qui ne peuvent trouver satisfaction quelorsqu'ilssont partagés. S'il est obligé de les refouleren lui-même, ils se changentpour lui on supplice eten folie. On a vu des criminels, condamnés à la pri-son cellulaire,perdre la raison et l'usage de la parole'par cela seul qu'ils cessaient d'entendre la voix hu-maine. Ennn, l'hommeest tout à la fois un être pen-sant et un être parlant. La pensée, chez lui, pour at-teindre à un certain degré de développement et en-suite pour se conserver dans cet état, a besoin dusecours de la parole. Or, la parolesuppose nécessai-rement les relations sociales. Aussi la célèbre pro-position de J.-J. Rousseau < L'homme qui méditeest un animal dépravé, z n'est-elle qu'on simplecorollaire du paradoxe que la société est un étatcontre nature.

Si l'homme est un être essentiellement sociable,on ne risque rien d'affirmer que la société est aussiancienne que lui, ou qu'il a toujours vécu et vivratoujoursen société comme le poisson dans l'eau. Eneffet, l'expérience nous atteste qu'on ne l'a jamaisrencontré dans une autre condition. Les sauvagesmêmenous offrent un commencement d'ordre social,puisqu'ilsvivent réunispar tribus, dont chacunea sonchef, dont chacune a ses usages et ses traditionsquilui tiennent lieu de lois. Les rares créatures humainesqu'on a trouvées isolées au milieu des bois, dans unétat complet de mutisme et d'abrutissement,étaientdes enfants abandonnés par desparentssans entrailles.

La société n'est donc point une œuvre artificielle,résultat d'une pure convention, ainsi que l'ont sou-tenu quelques philosophes, particulièrementHobbes

et J.-J. Rousseau. On peut dire qu'elle est d'institu-tion divine, puisque c'est Dieu qui l'a fondée encréant le genre humain eUe est le seul état naturelde l'homme, et ce que les philosophes dont nousvenons de parler ont appelé l'état de nature, pour ledistinguer de l'ordre social qu'il aurait précédé,non-seulementn'a pas existé, puisqu'iln'a laissé aucunetrace dans les plus lointains souvenirs de l'humanité,mais est absolument impossible à concevoir. Com-ment s'expliquer, en effet, que l'homme, étant nésociable, ait vécu pendant des siècles dans uneautre condition, on qu'ayant été destiné à une autrecondition,il ait conçu l'idée et se soit trouvé capablede fonder la société ? Admettonspour un instant cettedernière hypothèse. Si la société n'est pas naturelle,on a eu sans doute raison d'affirmer qu'elle est lerésultat d'une convention. Mais qui est-cequi com-prendra qu'une conventionait pu se former entre desêtres isolés, privés de la parole et de tout autre lan-gage, répandussur toute la surface de la terre et queleurs instinctssolitaires, une dénance farouche, ontnécessairement portés à se haïr mutuellement?Tonteconventionentre les hommes suppose donc la sociétédéjà formée, d'où il résulte que la société est anté-rieure à toute convention.

XIXLes relations de la société sont, comme les actions individuelles,

soumises à la loi du devoir. Fondementdes devoirs del'homme envers ses semblables eomnmnMtë de naturecommonMte de destinée, fraternité humaine. Le rôle dechaquehomme à l'egturd de ses semblables est de favoriser detout son pouvoir l'accomplissement de leurs devoire et de leurdestinée.

Une société composée d'êtres libres et intelligents,

qui sont obligés d'obéiraux lois de la raison, a évi-demment ces mêmes lois pour fondement et ne sub-siste qu'à la condition de les observer ce qui revientà dire que la société tout entière, comme chacun desindividusdont elle est formée, est soumise aux pres-criptions absolues de la loi morale, à la règle im-muable du devoir. Par conséquent, nous avons desdevoirs envers les autres comme envers nous-mêmes;les premiers sont implicitement renfermés dans lesderniers; ils découlent du même principe et tendentà une même nn.

En effet, pourquoi appelons-nous tous les hommesnos semblables ? Parce que, sous les dinérenooaexté-rieures qui les distinguent les uns des autres et quiles partagent en plusieurs races, nous reconnaissonschezeux une commune nature, des facultés identiquespar leur essence, quoique très-inégalespar leur déve-loppement et leur puissancenative. De l'identité deleurs facultés résulte nécessairement l'identité deleurs devoirs. C'est la mêmeraisonqui les éclaire desqu'ils ouvrent les yeux à sa lumière. C'est la mêmeconsciencequi leur commande le bien et qui leur dé-fend le mal aussitôt qu'ils prêtent l'oreille à sa voix.C'est la même libertéqui les rend responsables deleurs actions et leurdonne le pouvoirde choisir entreles lois de la raison et les conseils de l'intérêt, oules séductions de la passion. Ce serait déjà un motifsuffisant de nous respecter, de nous aimer les unsles autres, puisque nous portons tous en nous lestitres qui nous commandent ces deux sentiments àl'égardde la naturehumaine. Mais ce motifn'est pasle seul.

Les devoirs que la raisonprescrit à chacun de nousenvers lui-même peuvent se résumer, comme nousl'avons vu, dans un seul, qui en est l'expression la

plus complète et h fin la plus élevée porter la na-ture humaine, considérée dans l'ensemble de ses&oulté% au plus haut degré de perfeotion dont elleest susceptible; la rapprocher do plus en plus del'idéal immortel quelle porte dans son sein. Or,comment supposer que, sans le secours de nos sem-blables, livrésà nos seules forces, a notre seule intel-ligence, nous puissions suaire à une pareille tâche ?'lCe n'est pas trop, pour l'accomplir,des efforts réunisde tous les hommes et de leur mutuel concours prêtesans interruptionet sans relâche. A ce but commun,qui n'est pas autre chose que la commune destinéedu genre humain, nous ne pourrons atteindre qu'ennous appuyant les uns sur les autres, qu'en nous en-tr'aidant de toute notre énergie et de toutesnos forces.

Nous voilà donc, sur toute la terre, à l'égard dechacun de nos semblables, dans la même situationque le frère à l'égard de son fK"-a au sein de la mêmefamille. Issusd'unemême origine,puisquenousavonsdans le ciel un seul père; unis par la communautéde nos sentiments, de nos affections, de nos idées,de nos besoins, de nos devoirs, puisquenous avontété créés avec les mêmes facultés enfin, appelés àl'accomplissement d'une seule et même destinée etsoutenus dans notre commun labeur par les mômesespérances, comment ne formerions-nous pas uneseule et même famille, à plus forte raisonun seul etmême peuple de frères? La fraternité du genre nu"main, attestée par une tradition religieuse, peut donoêtre considérée aussi comme une vérité évidente dela conscience.Enseignée dans l'Ancienet le NouveauTestament, elle a été proclamée également par lesphilosophes Stoïciens de Rome et de la Grèce, et parCioéron,qui leur a emprunté les principes les plusélevés de leur morale.

Mais ce n'est pas assez que la fraternité humainesoit acceptée par notre raison comme un principe,ou qu'elte existe -au fond de nos cœurs à l'état desentiment, il faut qu'elle se manifeste dans nos acteset devienne la règle suprême de nos relations avecnos semblables, soit dans la vie publique, soit dansla vie privée. Tous les hommes, sans distinctionde rang, d'origine, de nationalité, de croyance,sont donc obligés de s'entr'aider de toute l'énergie deleur volonté, de toutes les lumières de leur intelli-gence, dans l'accomplissement des devoirs qui lesunissententre eux et qui leur imposent, commenousvenons de le montrer, les mêmes conditions d'exis-tence, la même tâche a remplir, la même destinée.Cela même ne suffit pas; car l'inégalité qu'on re-marque dans la famille entre les aînés et les plusjeunes des enfants, existe aussi dans l'humanité entreles individus, les races, les peuples les plus intelli-gents, les plus instruits, les plus forts, les plusheureux, et ceux qui sont restés les jouets de l'igno-rance, de la misère et de leurs propres faiblesses.N'est-il donc pas juste que les premiers nés de lascience, de la civilisation,de la puissance, de la for-tune, accordent à leurs frères moins avancés la mêmeprotection qu'on exige de ceux qui n'ont que la supé-riorité de l'âge Non-seulement cela est juste, maiscela est nécessaire.Si nous ne partageonspasavec nossemblables restés en arrière de nous, nos vertus, noslumières, notre bien-être, ils partagerontavec nous,leurs vices, leurs erreurs et leurs innrmités. Soli-daires les uns des autres dans la mesure que com-porte notre responsabilité personnelle, nous expionsà la fois le mal que nous avons fait et le bien quenous avons négligé de faire.

XXDistinctiondes devotMde jntSce et des devoirs de caMite.

Les devoirs de ~Miice reposent sur cette maxime fondamen-tale: < Ne faites pas antnti ce que vous ne voudriez pasqa'on vous Bt. & Ih consistentà rendre & chacun ce qui luiappartient et à respecter le droit d'antrni. Cerréiaiion né-cessaire des idées de droit et de devoir. ~numérationdesprinoipaux droits de la personnehumaine et des devoirs quien sont la coMéqnence.

Toutes nos obligations envers nos semblablespeuventse résumeren deux mots justice et charité.La justice consiste à nous abstenir de leur faire dumal, la charité à leur faire tout le bien qui est ennotre pouvoir. Il n'est pas un seul de nos devoirs en-vers la société qui ne rentre dans l'une ou dans l'autrede ces deux vertus. Elles sont, par conséquent, éga-lement nécessaires car il n'y a pas un devoir qui nele soit; elles sont inséparables, puisque la loi morale,dont elles sont la plus haute expression, est indivi-sible. Mais on comprend qu'il soit impossiblede fairele bien si l'on ne commence par fuir le mal et quelogiquement la charité suppose la justice.

Tous les devoirs que la justice nous impose ont étéréunis dans ce seul précepte < Ne faites pas à autruice que vous ne voudriez pas qu'onvous fit. La jus-tice ayant pour première condition la réciprocité,dont la conséquence est de placer les autres sous laprotectiondes mêmeslois que nous revendiquonspournous-mêmes, il était impossible de l'enseigner sousune formeplus vive et pluspopulaire. Aussila maximeque nous venons de citer, consacrée égalementparla religionet par la philosophie,puisqu'on la trouvedans les livres de Confuoius comme dans ceux del'AncienTestament, a-t-ellepasséà l'état d'un axiomeincontesté.

Cependant il est dimoile de se persoaaef que ceque nous estimons un mal pour nous soit ta seulemesurede ce que nous devons regarder comme cri-minel à l'égard des autres. N'y a-t-il pas des hommesqui souffrent plus d'un dommage matériel que desplus oruelles atteintes portées à leur honneur, a leurdignité, a leur liberté? Pour ceux-là, la justice seréduirait donc à respecter la vie, la propriété~ le Mon'être de leurs semblables; mais il leur serait permisde les tenir dans l'abaissement et dans la servitude,parce qu'eux-mêmesne sont point sensibles a cettesorte d'outrages? Si cette proposition est inadmis-sible, si le juste et l'injuste ne sont point susceptiblesde varier suivant nos dispositions et nos sentimentspersonnels, ce que nous ne voulons pas qu'on nousfasse n'est pas l'expression dernière de ce que nousnedevons pas faire aux autres, et nous sommes obligésde donner à la justice une base plus ferme et plusprécise. Cette base, nous la trouvons dans la notionde droit.

Dès qu'on reconnaîtque l'homme a des devoirs, ilest impossible de ne pas reconnaître en même tempsqu'il a des droits. Droit et devoir sont deux notionscorrélativesqui se supposent et s'appellent récipro-quement de sorte que notre esprit est dans la né-cessité ou de les accepter ou de les repousser en-semble. Ils nous représentent le même principe, laméme loi, la loi morale, sous deux aspects différents.En effet, ce que la loi moralem'ordonnede faire, cequ'elleme prescritcomme un devoir, elle défend auxautres de l'empêcher, d'y mettre obstacle par quelquemoyen que ce soit; elle me déclare inviolable dansl'usage que je fais de mes facultés pour lui obéir; etcette inviolabilité empruntée à mes obligations et,limitée par elles, voilà précisément ce qui constitue

mon <&*ot<. Supprimez la notion de droit, mes devoirsn'ont plus rien d'absolu ni de nécessaire,puisqu'onpourra sans injustice, si l'on est plus fort que moi,m'empêcher de les remplir. Supprimez le devoir, lanotion de droitsera complétement incompréhensible,car d'où me pourrait venir une telle consécration,si-non d'une loi absolument obligatoire, et par consé-quentuniverselle,à l'accomplissement de laquelle jedois employertoutes mes facultés et toute mon exis-tence ? Commentmes facultés, commentma vie et mapersonne même seraient-elles pour les autresun objetde respect, si elles n'avaient pas une destinationmarquée d'avancepar cette loi supérieurequi com-mande à tous les intérêts, à toutes les passions, et quioblige indistinctementtous les hommes ?t

11 résulte de là que chacun des devoirs que nousavons à remplir envers nous-même et que la cons-cience nous impose commeune conséquence rigou-reuse de notre nature, comme une conditionabsoluede l'ordre moral, apporteavec lui un droit de mêmeespèce, un droit imprescriptibleet inaliénable, c'est-à-dire que rien ne peut nous faire perdre, tant quenousn'en faisons pas un usage contraire à son prin-cipe, et auquel il ne nous est jamais permis de re-noncer, puisquece serait renoncerà nos obligations.

Du devoir qui nous commande de veiller notreconservation, de consacrer notre existence et nosforces à l'accomplissement de notre destinée, natt ledroit qui nous protége contre le meurtre et la vio-lence ou l'inviolabilitéde la vie humaine.

Du devoir qui nous commande de conserver et dedévelopper notre libre arbitre, résulte pour nous ledroit d'agir en toute occasion comme une personnemorale etresponsable, o'est-a-diresuivant notre cons.oience.

Du devoir qui nous commande de oaMver et de de'velopper notre raison, et subsidiairementlés autres&cultés de notre esprit, résulte pour nous le droit defaire ce qui est en notre pouvoir pour nous instruire,pour arriver à la connaissance de la vérité. C'est cedroit qu'on appelle généralement la liberté de lapensée, une liberté qui ne peut se concevoir sanscelle de la discussion et de la parole, puisque la pa-role est l'instrumentnéoessatrede l'intelligence.

Tels sont les droits les plus essentiels, mais nontous les droits de la personne humaine. Dans la li-berté de conscience, ou la possession de ma personnemorale, se trouve nécessairement comprise la libertéindividuelleou la possession de mes mouvements etde mes forces physiques, ce que la loi anglaise appellesi justement l'habeas corpm. Car ce n'est pas assezde n'être pas contraint de faire ce que la consciencenous défend, il faut encore que j'aie la faculté d'exé-cuter tout ce qu'elleme commande, ou que je m'ap-partienne sans restrio~

La liberté individuelle apporte avec elle, d'unemanière non moins nécessaire, le droit de propriétécar qu'est-ce qu'un esclave, sinon celui qui ne peutnon posséder en propre ? Comment me figurer que jesois libre quand je ne puis disposer des choses que jeme suis assimilées par le travail, que j'ai créées parmavolontéetqui sont en quelque sorte une extensionde ma personne; ou quand je n'ai en mon pouvoiraucun des moyens r~oessaires pour pourvoir à monentretien et pourdévelopper mes facultés?

Tous ces droits étant universels comme les devoirsdont ils découlent, et appartenant indistinctement àtous les hommes, nous sommes nécessairement obli-gés de les respecter les uns chez les autres. De là au-ant d'obligations envers les autres qu'il y a de droits

NMNOK. MMtAMMCa M!B. 7

ten~Rnés dans nos devoirs envers nous-mêmes. Cesobligations sont la limite naturelle do nos droits etles empêchent d'empiéter sur les droits de nos sem-blables. Par conséquent, aucune des libertés, aucundes droits qui nous sont reconnus par la consciencene peutêtre illimité,puisque nos semblables ont exac-tement le même droit devant lequel le nôtre est forcede s'arrêter, parrespeot pour lui-même. C'est précisé-ment ce qui fait le caractèrenégatifdes devoirsde justice, que nous allons exposer successivement.

XXI

De l'obligation de respecter la vie de nos semblables. t/he*micide volontaire, hors le ces de légitime défense, est uncrime contraire a~ toutes les lois divines et humaines. Duduel. Origine do duel. Ce qui a pu rexoMertutrefois.

Pourquoiil est criminel dans l'état actuelde ht société.Du droit qu'à la société d'infliger des peines aux coupables.

Fondement du droit penat–Comment les lois pénates s't-doucissent par les progrèsde la civilisation.

Ma vie étantinviolable à cause des devoirs que j'aià remplir, à cause de la loi morale,a l'accomplisse-ment de laquelle elle doit être consacrée tout entière,il est évident, puisquemes semblables ont les mêmesdevoirs et sont soumis à la même loi, que leur vien'estpasmoins sacrée que la mienne et que je lui doisle même respect que je revendique pour moi. Lemeurtre ou l'homicide volontaire est donc non-seule-ment un crime, mais il est le plus grand de tous lescrimes, car il viole d'un seul coup tous les droits dela nature humaine, et par conséquent toutes ses obli-gations il est en opposition avec l'ordrequi préside ànotre existence et qui est le fondement de la société.Delàvient qu'il est égalementpuni chez tous les peu-ples, qu'il est également réprouve~pat4ous les légis-

lateurs, par ceux qui parlent au nom de la Divinitécomme par ceux qui ne s'occupent que des intérêts del'ordre social. Le précepte du Décalogue Tu netueras point, a peut êtreconsidérécommeune toi uni-verselle du genre humain.

Mais le même principe qui nous défend de tueïnous autorise à nous défendre, même au prix de lavie de celui qui nous attaque injustement. Le droitde légitime défense, loin d'être opposé à la loi qui a

condamne lemeurtre,en est, au contraire,unelégitimeconséquence, car, horsdudroit, horsde l'ordremoral,qui seul rend notre vie inviolable et sacrée, cette in-violabilité cesse. Elle n'existe donc point pour l'as-sassinqui tombe sur moi à l'improviste,ou pour l'a-gresseur violent auquelje ne puis me soustraire quepar la force ouverte; tandis qu'elle existe pour moiqui suis simplementsur la défensive et ne songequ'a remplirun de mes devoirs les plus essentiels,ce-lui de ma propre conservation.

Au droit de légitime défensevient naturellementserattacher la question du duel, car le duel, pour ceuxqui ont essayé de le justiner, est un moyen de dé-fendre notrehonneur, plus cher à une âme généreuseque la vie elle-même. C'est le seul argument qu'onait jamais pu produire en faveur de cette coutumeempruntée a des temps barbares, et cet argumentlacondamne. En effet, s'il nous est incontestablementpermisde donnerla mort à un agresseurinjuste lors-qu'il nous est impossible de sauver notre vie d'uneautre manière,iln'en est pasde même quand il s'agitde notre honneur. Malgré le préjugérépandu qu'il ya des outrages qui ne peuvent être lavés que dans lesang de. celui qui les a subis ou qui les a faits, iln'estpas en notre pouvoir, quand nous avons réelle-ment perdu l'honneur, de le recouvrer par la mort de

notre ennemiouparle courageque nousavonsmontréen périssant nous-mêmes sous ses coups. Puis il estdioloilede comprendre que notre honneurperdunousdonne le droit de disposer de notre vie et de la viede celui que nous accusons de nous l'avoir été. Dis-poser de la vie d'autrui, c'est exercer une vengeanceon se faire justice soi-même,ce qui n'est jamais per-mis disposer de sa propre vie, c'est se dérober à sesdevoirs. Ainsi, le duel n'est pas moins contraire à laloi morale qu'à la saine raison.

Cependant, comme il a été consacré pendant dessiècles, sinon par les lois, au moinspar les moeurs, etqu'aujourd'huiencore l'opinionpubliquelui est restéefavorable, il faut bien qu'il ait eu, dans un certaintemps, sa raison d'être. Or, lorsqu'une coutume, siblâmablequ'elle soit, a longtemps régné, ce n'estpasassez de la condamner, il faut encore l'expliquer.

Le duel, c'est l'état de guerre conservé au seinmême de la société; c'est la guerre privée qui sesubstitue à la répression publique pour venger uneinjure enprésence de laquelle la sociétéparaîtimpuis-sante ou indiH'érente et les lois désarmées. Or, cequ'on cherche à la guerre,c'est la victoire ou unemort honorable; on veutvaincreou mourir, et cela enobéissant à des règles d'honneur qui tiennent ici lamême placeque le droitinternationaldans les guerrespubliques. Les guerresprivéesont été nécessairesdanslemoyenâge, quandle gouvernement étaitimpuissantà protéger la société elles finirentpar entrer danstdroit publique des nationschrétiennes et elles se pour,suivaient avec l'autorisation du roi, pourvu que lesparties belligérantes appartinssent à la classe privi-légiée.

Le duel est le derniervestige decesguerresprivées.Mais il est devenu aussi impossible aujourd'hui de

l'excuser par Fêtât social, qu'il l'a été dans tons lestemps de le justifier par la raison morale et par ledroit. La sociétémoderne est constituée de telle sorte,qu'aucun desesmembres et, à plusforteraison,qu'au-cune classe de citoyens ne reste en dehors de sa pro-tection. Les lois pénales ont des châtiments pour tousles outrages; elles suffisentà la défense de notre hon-neur commeà cellesde nos personnes et de nos biens.,Il n'est donc permis à personne de substituer à sonaction ou a la répression régulière de la justicece jeude la force et du hasard qu'on appelle la guerre; untel désordre, la société ne doit pas le souffrir,puisquec'est, dans une limite déterminée, la destruction de lasociété.

La société ne protége et ne défend l'individu qu'au-tant qu'elle a le droit de se défendre elle-même. Cedroit lui appartient d'une manière d'autant plus in-contestable que, hors de son sein, l'individu ne peutsubsisterni accomplir un seul doses devoirs. Ce n'estdonc pas moins que l'ordre moral tout entier qui estintéressé à sa conservation. Mais le droit de légitimedéfense, tel que la sociétépeut l'exercer, soit poursonpropre compte, soit pour le compte de chacunde sesmembres, ne ressemble pas à la défense individuelle.Celle-ci, comme les philosophes et les jurisconsultesle soutiennentavec raison, cesse d'être légitimeaus-sitôt que l'agression a cessé. L'étendre plusloin, c'estla faire dégénérer en vengeance et mettre à sa placel'intérêt ou la passion. Mais la société, avant commeaprès la répression, représente toujours le droit. Celuiqui attente à ses lois, nous voulons parler des lois vé-ritablement nécessaires à sa conservation, celui-là,quand même il ne ferait tort qu'à un seul individu,s'est rendu coupable envers tout le corps social ils'est attaqué aux droits de tous, ou plutôtau droitlui-

ïnême; il est resté en face de lui armé et menaçant.Car les lois qu'il a attaquées, it les méconnaît, il lesnie; les méconnaissant et les niant, il est prêt à lesattaquer encore. Or, par cela seul qu'il s'est déclarél'ennemi des lois protectricesde l'ordresocial, il cessed'être protégé par ces mêmes lois, par ce même droitcommun sur lequel se fondaient auparavant sa li-berté, sa sécurité, la paisible jouissance de ses biens.Tous ces avantages, il les a perdus dans une mesureégale à l'étenduede son délit ou de son crime. Ainsi,par exemple, celui qui a attenté à la vie d'un de sessemblables, celui-làa déclaré d'une manière plus si-gnificative que par des paroles, il a déclaré par sesactes, que la vie de l'homme innocent n'est pas unechose inviolable à ses yeux; il sera donc prêt a recom-mencersi l'ocoasions'en présente; partant, il ne peutpas espérer de la loi et de la sociétéqu'ellesrespectentune vie devenue un danger pour celle des autres. Delà, la légitimité de la peine de mort, tant que lapeinede mort ne peut pas être remplacée efficacementparune peine plus douce. Celui qui a attentéà la libertéou à la propriétéde sessemblabless'est placé dansunesituationanalogue. Sa libertéest devenueunemenacepublique,un dangerpour la liberté des autres, et à cetitre lasociéién'a aucunmotifde la respecter. Au con-traire, c'est son devoir de prendre contre elle les pré-cautions qui lui semblent nécessaires à la sécuritécommune. Au lieu d'un être libre, d'une personnemorale, qui respectedans le droit desantressonpropredroit, elle ne voit plus devantelle qu'une force brutequ'il fautconteniret rendreinoffensive. De là, la légi-timité de l'emprisonnement et de tontes les peinesdites afflictives,naturellementinséparables despeinesinfamantes.

Le droit de légitime défense exercé par la société,

tel est dono le fondement commun,le seul fondementéquitablede toutes les lois pénales. La société ne doitpas se proposer uniquementde punir pour punir oud'infliger une expiation en rapport avec le crime, eatce rôle n'appartientqu'à la justice de Dieu; lui seul,parce qu'il lit dans les âmes, parce qu'il sonde,comme dit l'Écriture, les cœurs et les reins lui seulconnatt le degré deperversitédu coupable et le degré

tde sou&anoeainsi que le genre de châtimentqui luiconviennent. La société n'a que le pouvoiret le droitde se défendre, et la peine qu'elle prononce ne peutpas aller au-delà de ce qu'exige l'exercice efficace dece droit.

Il résultede là que la loi pénalen'a rien d'immua-ble, mais qu'ellechange nécessairement etse modISeavec lesprogrès de lacivilisation, qu'elledevientplushumaine et plus douce à mesure que la société elle-même entredans les voies de l'humanitéet de la dou-ceur. C'est ainsi que nous avons déjà vu disparaître,après les odieux supplices d'un autre temps, l'expo-sition, la marque et la mort civile. C'est ainsi quenous voyons aujourd'hui le bagneremplacé peu apeupar les coloniespénitentiaires où l'homme déchu peutse réhabiliterpar le travail. Peut-êtreviendra-t-ilunjour où la société pourra sans danger abolir la peinede mort.

XXII

De l'obligation de respecter noe semblables dans lent !ibmt&Uberte deeoMoienee. Liberié individuelle. L'esdar:

vage est une institutionotinuneHe. Le servage est un et*étalageadouci, mais égalementcondamné par toutes les Memorales.

Le même principe qui nous oblige & respecter la

vie de nos semblables nous ordonne de respecter leutliberté, car à quoi nous sert la vie, si nous n'avonspas la faculté de l'employer à la nn pour laquellenous l'avons reçue, à la pratique de nos devoirs et àl'exercice de nos droits, à l'accomplissement de notredestinée? A quoi nous sert la vie si nous avons cesséde nous appartenir pour n'être plus qu'un instru-ment auservice de l'intérêt ou de la passion d'autrui?La vie sans la liberté a perdu tout son prix, toutesa valeurmorale; d'où il résulte que la dernière doittêtre pour nous aussi sacrée que la première.

Mais a quelle condition l'homme est-il un êtrelibre? A la condition d'être une personne, un êtremoral et responsable.Onn'est une personneque si l'onagit et si l'on parle suivant sa conscience. Agir sui-vant sa conscience, c'est agirsuivant les principes etles lois que l'on considère commel'expressiondu vraiet du bien, soit que nous les ayons trouvés par lesefforts de notre propre intelligence ou que nous lesayons acceptés comme un don de la foi. Donc, la li-berté de conscienceest la première et la plus indis-pensablede toutes les libertés, le premier et le plusinviolable de tous les droits, et le respectde ce droitest une de nos premières obligations envers nos sem-blables,une despremières prescriptionsde la justice.

La conséquence la plus directe et la plus généraledela liberté de conscience, c'est le devoir de respecternossemblablesdansleurs croyancesreligieuses,quandla profession extérieure de ces croyances et les prati*quesqui s'y rattachentn'ontd'ailleursriendecontraireà la morale universelle etaux fondements nécessairesde l'ordre social. Des actions contrairesà la justiceetaux bonnes mœurs ne peuvent pas plus être toléréespar la sociétélorsqu'elles émanentd'une piétéégaréeque lorsqu'elles prennentleursocroe dansla violence

tt dans la passion. Mais toute religion à laquelle onne peut rien reprocher de pareil doit être professéelibrement. C'est ce droit que reconnaîtaujourd'huilalégislation de tous les peuplescivilisés sous le nomdeliberté des cultes, car le culte est à la foi ce que l'ex-pressionest à lapensée il en est lamanifestationsen-sible. Violerla liberté de conscienceou la liberté descultes, soit par un abus de la force individuelle,soit jpar un acte de l'autoritépublique, ce n'est pas seule-ment un acte d'iniquité envers les hommes,c'est unblasphème envers la Divinité, car c'est montrerquel'on n'a pas foi dans la supériorité de la vérité surl'erreur et dans l'action continue de la Providencepour éclairer et améliorer les hommes.

Du devoir qui nous oblige à respecter nos sem-blables dans leur conscience se déduit évidemmentcelui de les respecter dans leur liberté individuelle,c'est-à-dire dans la liberté de leurs mouvements et deleurs actions,dans le droit qui leur appartientd'usercomme il leur convientde leurs facultés et de leursforces sous la seule conditionde ne point s'en servircontrôledroit d'autrui. Comment,en effet, notre cons-cience serait-elle libre si nosmouvementset nosactionsne lesontpas, ou si quelqu'un peutexiger de nous quenous fassionsce qu'elle nous défend et que nous nefassionspas ce qu'elle nous commande? Etre privéde sa liberté individuelle, c'est être esclave. L'escla-vage est donc une institution contraire aux règlesles plus essentielles de la morale; l'esclavage est uneinstitutioncriminelle que la férocité des mœurs, quela barbarieet l'ignorance ont pu seules rendre pos-sible, mais qu'aucun peuple vraiment civilisé etjaloux de la dignité humainene doit tolérer dans sousein.

On a essayé de justifier l'esclavage par le droit de

la guerre. On a dit que, mattres de 1a personne denotre ennemi quand la victoire, sur le champ debataille, l'a livré entre nos mains, nous pouvions luifaire présent de la vie, sous la condition qu'il nousabandonneraitsa liberté. Mais un pareil contrat, s'ilavait jamais existé, serait nul de soi, car, d'une partnous n'avons aucun droit sur la vie de notre ennemidu moment qu'il est vaincu et désarmé. D'une autrepart, la liberté n'est pas un bien qui puisse se vendreou s'acheter. La conservation de notre libertéest undevoir nécessaire à l'accomplissement de tous lesautres, et un devoir n'est pas susceptible d'aliénationou d'échange. D'ailleurs,la plupart des esclaves sontnés dans cette condition. Or, en admettant qu'unhomme pût aliéner sa propre liberté, comment pour-rait-il disposerde celle de ses enfants et petits-en-fants à perpétuité?

D'autres ont invoqué, en faveur de l'esclavage,l'inégalité desraceshumaines.Le nègre, parexemple,à cause de l'inférioritéde ses facultés intellectuelles,leur paraît être l'esclave né du blanc. Mais en admet-tantle fait, il est impossibled'accepterla conséquencequ'on en tire. Le nègre est un homme, il a uneconscience, il sait faire la distinctiondu bien et dumal; donc il a des devoirs, et, s'il a des devoirs, il ades droits. La supériorité que nous avons sur lui,nous devons l'employer à le tirer de son ignoranceet de sa barbarie, non à l'abrutir car la servitude.Le nègre est perfectible, puisqu'il a passé de l'étatsauvage à un certain degré de civilisation, et qu'ona pu lui enseigner, au sein môme de son abjection,la loi de l'Evangile. Ainsi, aucun des arguments parlesquels on a essayé de justifier l'esclavage ne sou-tient l'examen de la raison.

La servitude, telle qu'onla rencontredansl'histoire,

n'a pas toujours été complète. A l'esclavage propre-ment dit, qui livre l'hommetout entierà la merci deson semblable et l'assimile à la brute, à unevéritablebote de somme, a succédé pendantl'époque de la féo-dalité le servage. Le serf était attaché à la glèbe,c'est-à-dire à la terre et non plus à la personne de sonmaître. Il était vendu, acheté et transmisen héritageavec la terre qu'il devait cultiver, et qu'il lui était;défendu de quitter sans la permission du seigneur,c'est-à-dire du propriétaire. C'était assurément unecondition meilleure que l'esclavage personnel; maisc'était toujours l'esclavage, c'était toujours l'hommedépouillé de ses droits les plus ohers et ravalé aurangd'une chose. Il est doncpermis en fait de le con-sidérer comme un progrès ou comme un moindremal, sans cesser de le réprouveren droit.

XXIII

De l'oMigathm de respeoter nos semblables dana teftt intelli-gence et dans les eCortaqu'ils font pour s'instruire et con-nattre lavérité. Du mensonge.– De la calomnie. –De ladUBunation. De la médisance.

Il n'y a ni liberté de conscience,ni liberté indivi-duelle,si nousnesommespas libres dans notre penséecomme nous devons l'être dans nos actions et dansnos croyances, car agir librement, c'est agir d'aprèssa pensée et non d'après celle d'un autre, à moinsqu'onne se soit approprié la pensée d'autrui par lapersuasion;la foi elle-même est inséparable de l'in-telligence. Le respect que nous devonsà l'intelligencede nos semblables est donc une conséquence néces-saire de celui que nous devons a leur liberté.

Il y a deux manières de porter atteinte à l'intGlli-

gence de ses semblables. L'une consiste à les empo-cher de s'instruire, et l'autre à les tromper. L'une apour but de les éloigner de la vérité, et l'autre de lesprécipiterdans l'erreur. Elles sont toutes deux égale-ment coupables.

On éloigne ses semblables de la vérité, ou, ce quiest la même chose, on les contraintà rester dans l'i-gnorance lorsqu'on les empoche de développer leursfacultés intellectuelles, et que, par une conduite pa-reille à celle des planteurs d'Amérique à l'égard deleurs nègres, on leur défend d'acquérir les connais-sances qui leur manquent. ll n'existe guère d'actionplus criminelle que celle-là, car elle aboutit fatale-mentà l'esclavage, dont elle estle complémentnéces-saire si elle laisse vivre le corps, elle apoureffet, au-tant que cela est ennotrepouvoir, detuerl'&me.C'estaussi un moyen d'arrêter l'intelligencedans ses déve-loppements, que d'interdire la communication de lapensée par la parole, car la parole, commenous l'a-vons déjàremarqué,n'estpas seulementl'expression,elle est l'instrumentde la pensée. Pour avancerdansle chemin de la vérité et de la science, l'homme abesoin de communiqueravec ses semblables; il n'estsûr des conquêtes de son esprit qu'autant qu'il les alivréesà l'éprouve de la discussion; de la discussion,quand elle ne dégénère pas en dispute,jaillit la lu-mière.

On trompe ses semblables et on les pousse sciem-mentà l'erreur par le mensonge. Aussi le mensonge,alors même que les lois le laissent impuni., est-il con-damnéélémentparla religion,par la morale et parl'opinionpublique. C'estqu'ilest, non-seulementunemauvaise action,mais une action lâche et vile. Celuiqui mentabuse de la connanoedeson prochain et perdle respectde lui-même, car commentse respecter soi-

mêmelorsqu'on ae peutpas croireàsespropresparoles?Cependant ily a des mensongesinnocent; ce sont lesfictions des romanciers et despoètes qui ont pourbut,non d'égarer l'intelligence, mais de recréer l'imagi-nation. II y a aussi des mensongesautorisés ou plutôtcommandés par l'humanité. Ainsi, à un malade dontune émotion un peu forte mettrait la vie en danger,on ne se fera pas scrupule de dissimuler la mort de

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son fils ou de sa mère. Il y a môme des mensongeshéroïques, comme celui que commettrait, dans untemps de proscription, un père qui se dénonceraitpour sauver son fils et un fils pour sauver son père.Mais en dehors de ces cas exceptionnels, et d'ailleursfaciles à définir, on n'est jamais excusable de parlercontre la vérité ou contre sa conscience. Il n'y a pasjusqu'à ces compliments exagérés ou sans fondementdont le mondeest si prodigue, qui ne soient difficiles àjustifier devant la saine morale. L'honnêtehommen'est pas obligé de dire tout ce qu'il pense, mais ildoitpenser tout ce .qu'ildit.

Si le mensonge esttoujourscoupable lorsqu'ilcauseun préjudiceà l'intelligencede notre prochain,il de-vient criminel dès l'instant qu'il nuit à sa réputationet à son honneur. Mentir dans le dessein de ternirl'honneur onde détruirelaréputationd'autrui, c'est cequ'on appelle calomnier. Le calomniateurn'est patmoins digne de réprobation et de mépris que le vo-leur, car celui-ci ne nous dérobequ'unepartie de notrebien; tandis que celui-là nous enlève l'estime de nossemblables, sans laquelle tous les biens de cette vieet la vie elle-mêmesont dépourvus de prix. L'estimedont nous jouissons auprès des autres hommes, ou,comme on l'appelle encore, notre honneur, notre ré-putation, ce n'est pas autre chose, en effet, que ladignité de notre personne de notre être moral, re-

rconnue et consacrée par la société, comme elle l'estpar notre propre conscience, et, commenous ne pou-vons pas nous passer de la société, nous ne pouvonspas non plus nous passer de son estime. Déchoir à sesyeux, c'est le plus grand malheur qui puisse nousarriver après celui d'avoirmérité une pareille dé-chéance.

L'honneur fait tellement partie de notre être, il estsi nécessaire à notre existence sociale, qu'il n'estpas permis de l'ôter à son prochain, même si l'onreste dans la vérité ou si l'on n'allègue contre lui quedes faitsparfaitementexacts. C'est ce que nos lois ontreconnu en punissant, non-seulementla calomnie,mais la diffamation, car la diffamation comporte lavérité des faits allégués, tandis que la calomnie esttoujours mensongère. On comprend que l'intérêt gé-néral, non-seulementnous autorise, maisnous obligeà dénoncer un crime qui n'a pas encore été atteintpar lajustice, ou àsignalerdes abus d'autoritéqui, enpersistant ou en se multipliant, peuvent devenir undanger public; mais qu'est-ce qui nous donne ledroit de fouiller dans la vie privée d'un homme pouren exhumer, sans profit pour l'ordre social, tout cequi peut la déshonorer? L'honneurest une propriétémorale à laquelle, encore unefois, il est aussi crimi-nel de porter atteinte qu'à la propriété matérielle.Que cette propriété ait été acquise d'une manièreplusou moins légitime, ce n'est pas à nous d'en véri-fier les titres. Si même les faits que vous publie? à lahonte de votre prochain ont été constatés parun juge-ment, il ne vous appartientpas de lui faire perdre lefruit de son repentir et des efforts qui l'ont ramenédans les voies régulières de la société;, il ne vous estpas permis de détruireen un jour son cauvre si labo-rieusement construite, pour le replonger dan~l'abîme.

Ce que nous disons de la diffamation s'appliqueengrande partie a la médisance, qui n'est, pour ainsidire, qu'une diffamation huis clos, renfermée dansles murs d'un salon.

XXIV

De t'obMgation de respecter nos semblables dans leurs biens oaleurs propriétés. Origine et fondement de la propriété.Du droit de successiond'après la loi naturelle et d'après leCode. Devoirs de restituerle bien mal acquis et de réparerles dommages causes à autrui.

Le respect que nous devons à la libertéet à l'intel-ligence de nos semblables s'étendnécessairementàleurs biens, c'est-à-dire aux œuvres de leur activitéet de leur pensée, aux fruits de leur travail, de leurindustrie ou de leur génie, car il est évident que siles chosesqu'ils ont produites ne leur appartenaientpas, leurs personnes mêmes cesseraient de leurappartenir; ils ne seraient que des instruments, ou,comme l'a si bien dit un ancien, des outils vivantsau service d'autrui; ils descendraientau rang d'es-claves, puisque le propre de l'esclave est de n'avoirrien à lui et d'être contraint à travailler pour nnmaître. C'est ainsi que le droit de propriété se pré-sente tout d'abordà notre esprit comme une consé-quence rigoureuse de la liberté individuelle et de~'inviolabilité de la vie elle-même. En effet, celui'iqui ne peut rienposséderen propre étant un esclave,~et l'esclave, comme nous venons de le dire, étant uminstrument qu'on peutbriser dès qu'il nous~sert malou qu'il ne nous sertplus, la vie, dès que la propriétéest supprimée,se trouve dépourvuede toute garantie.

Aussi la maxime: « Tu ne voleras point, s se trouve-t-elle dans les codes religieux de toutes les nations, etnotammentdans le Dëeatogao,inscriteà côté de cellequi défend de tuer.

Cependant le droit de propriété existe aussi parlai-môme et peut se démontrer directement par cer-tains principes incontestables et incontestés. Cesprincipes sont au nombre de deux le droit du pre-mier occupant et le droit du travail.

Lorsqu'au homme trouve devantlui un objet quel-conque, soit une portion du sol, soit une matièreinanimée, soit un animal ou une plante qui n'ap-partient à personne, dont personne jusqu'ici n'arevendiqué l'usage, et dont lui-même croit pouvoirse servir utilement, il s'en empare à juste titre, car ilne prend rien à autrui, et la chose dont il s'est ainsiemparé lui appartientaussi longtemps qu'il lui plaitde la garder. Voilà ce qu'on appelle le droit du pre-mier occupant. Le droit du premier occupant n'estpas seulement un des principeson un des fondementsde lapropriété,il en estaussi l'origine; il nous montrecomment elle a commencé, comment elle s'est éta-blie chez les hommes. Les premiers propriétairesfurent ceux qui les premiers eurent la pensée de sechoisir une demeure fixe sur l'immense étendae de laterre et de retenir auprès d'eux, pour employerleur,chair à leur nourriture et leurs peaux à leurs vête-'monts, quelques-uns des animaux innombrablesqui'erraient libres dans les forêts. On a prétendu qa'ilsont porté atteinte à la communauté naturelle quiexistait d'abord. Mais cette commanaaté naturelleest un état purementimaginaire.Rien n'est en com-mun alors que tout est délaissé et sans usage. Lajouissance des biens de la nature n'a jamais été com-mune. car elle a commencéavec la propriété.

Au droit du premier occupant vient se joindre ledroit do travail. Cette portion du sol à. laquelle je mesois attaché, je la défriche, je la caltive, je l'ense-menoe, je la féconde par mes sueurs,je lui donne unevaleur qu'elle n'avait point d'abord, comment neserait-elle point & moi, puisqu'elle est devenue, enquelque façon, mon œuvre? Il en estde même de cesmorceaux de fer, d'airain, de bois qui gisaient inu-.tiles, abandonnés, dansles entraillesou sur la face dela terre et dont j'ai fait des instruments de chasse, depêche ou d'agriculture, engins précieux qui multi-plientmes forces et assurent masubsistance.Il en estde même de ces pierres, de ce sable, de ces troncsd'arbres dont je me suis construit une cabane et dece bloc de marbredont j'ai tiré un meuble ou un objetd'art. Les droits du travail sont donc, sinon plus cer-tains, au moins d'un ordre plus élevé que ceux de lapremière prise de possession. Celle-ci n'est qu'unesimple conquête, une conquête sur la nature brute,non sur les hommes; le travail, surtout celui de l'in-telligence, a pour résultat une véritablecréation. Lapremière prisede possession, ou, comme on l'appellegénéralement, la première occupation n'est qu'unacte de ma liberté, un acte légitime, puisqu'il n'em-piète sur aucun droit préexistant. L'œnvre que j'aicréée par mon travail est comme une émanation dema personne; c'est mon intelligence et ma volontédevenues visibles, enquelque sorte,et fixées pour tou-jours dans un objet extérieur. Or, qui pourrait mecontester la propriété de moi-même et de mes facul-tés ? Seulement, il faut remarquer que l'industrie del'homme ne pouvant s'exercer que sur une matièredéjà livrée à sa discrétion, le droit du travailsupposecelui du premieroccupant.

Voilà donc la propriété reconnue légitime dansson

origine, c'est-à-diredans les mains de celui qui l'afondée ou créée. Maintenant, il s'agit de savoir àquelles conditions elle se transmet, à quel titre elledevient héréditaire, ou quels sont les principessurlesquels reposele droit de succession.

Le droitdesuccession repose avanttout sur le droitde transmission,o'est-a-direle droit de disposerde sesbienspar testament ou par un acte de donation, et ledroit de transmission ne saurait être douteux, car iln'est qu'une application,une manière de jouir et defaire usage du droit de propriété lui-même. Si leschoses que j'ai créées par mon travail ou que j'aiacquises en qualité de premier occupantsont réelle-mentà moi, il m'est permis de les donner de monvivant à ceux que j'aime, sous la condition de ne&ire tort à aucun de mes engagements et de mes de-voirs envers les autres. Pouvant les leur donner demon vivant, pourquoi me serait-il refusé de les leurtransmettre après ma mort? Cette transmission estd'autant plus légitime qu'elle peut être considéréehabituellement comme la cause morale de la pro-priété, comme le but pour lequel elle a été fondée.Si je n'avais pas la faculté de laisser après moi & unfils, à une fille, à un frère, à une sœur, à une vieillemère, à un père infirme, le fruitde mes labeurs et demes veilles, je ne me serais pas donné tant depeine.jemeserais contentéde ce qui pouvait suffire à mes be-soins,je ne me seraisépargné,ni lesheuresd'oisiveté,ni les plaisirs? Or, il serait souverainementinjusteque ceque j'ai amassé pour les miens, d'autres vms-sent le prendre. C'est moi-même qui me trouveraisdépouillé dans la personne de ceuxquime sontchers.C'est ainsi que le droit de propriété se transforme endroit de successionet la propriété elle-mêmeen héri-tage. C'est ainsi que nos biens passent après nous de

plein dMtt <t noa an&a~et, à défaut d'enfants, a nospMohes.

D n'est pas nécesaMto,pourqu'il en soit ainsi, quele propriétaire, avant de mourir,en ait exprimé lavolonté. Sa volonté est présumée pat la société d'a-près les sentiments habituels du ooaurhumain et d'a-près les devoirs que nous avons à remplir envers nosenfants et envers nos proches. C'est précisément çaque fait notre Code quand il reconnaît d'aborddessuccessions ab intestat, o'est-a-dire des successionslégitimes en l'absence d'un testament, et quand ildistribueces successions dansun ordre conforme auxliens et aux obligations de la famille, reconnaissantd'abordpour héritiers légitimes les enfants, puis lesparents,puis les collatéraux.

L'acte en vertu duquel la propriété du père passeaux enfants n'est pas seulement un acte légitime,c'estun acte obligatoire envers les enfants, tant queleur conduite ne les en a pas rendus manifestementindignes. Il est impossible, en effet, de les dépouillersans injusticede ces biens dont ils ont joui, dès leursplus tendres années, avec une doucesécurité, danslesquels, par leur présence seule, ils ont mis, pourleurs parents, un prix inestimable, et qu'ils ont peut-êtrecontribuéaaocroîtrepar leur travail,parleurcon-cours,par la tendressemême dontils étaientl'objet.Dsont acquissur ces biens un droit de copropriété qu'iln'est pas permis de leur enlever ou d'attribuer seule-ment à l'un d'entre eux au préjudice de tous les au-itres. Il résulte de là que le droit de disposer de sesbienspar testament ne peutpas être illimitéouabsolu.C'est une vérité que le Code français a eu égalementla sagessede reconnattreet de consacrer.

H-~tage, donation ou fruit du travail, la propriété,sons quelque forme et à quelque dire qu'ette existe,

pourvu que ce soit à un titre légitime,est égalementinviolable, et nous sommes obligés de la respecterchez les autres, comme nous désirons qu'ils la res-pectent chez nous. Ce n'est pas assez de ne pas l'atta-quer directement, il faut, lorsqu'elle est tombée dansnos mains par des moyens indirects que la justiceet la bonne foi réprouvent,se refuser à la recevoir ouse hâter de la restituer. Notre devoir envers la pro-priété d'autrui s'étend plus loin encore. Si même,sans en recueillir aucun profit, et sans intentioncou-pable, nous lui avons par notre faute, par suite denotre négligence ou de notre imprévoyance, occa-sionné quelque dommage, la stricte probité exige quece dommage soit promptement et spontanément ré-paré.

XXV

De l'obligation résultant des contrats on conventions conclusentreparticuliers. Pourquoila loi intervient entreles deuxparties pour les forcer à tenir leurs engagements. Com-ment la conscienceest d'accord avecla loi.

En se respectantles uns les autres dans leur vie,dans leur liberté et dans leurs propriétés, les hommespeuvent, sans doute, vivre ensemble sans se faire ré-ciproquement aucun tort; mais s'ils voulaientse ren-fermer dans cette étroite limite, la société n'existeraitjamais car la société est autre chose qu'un assem-blage d'individus isolés, dont chacun reste réduit àses propres forces; elle ne subsiste, dans l'ordre ma-tériel comme dans l'ordre moral, que par un échangede services. Parmi les services que nous sommesappelés à nous rendre mutuellementet que réclameimpérieusement notre commune faiblesse, les unsémanentde la charité, les autres n'ont pour principe

que Fintérêt. Les premiers sont essentiellement libreset volontaires; les seconds forment la matière descontrats, traités ou conventions, en un mot des enga-gements réciproques qui lient entre eux les particu-liers. Telles sont les relations dont se composeprinci-palement la vie économique des peuples, celles duvendeur et de l'acheteur,du patron et de l'ouvrier,du maître et du serviteur a gages, du propriétaire etdu locataire, du propriétaire et du fermier, du prê-teur et de l'emprunteur.Telles sont aussi les diSe-rentes espèces d'associations commerciales, indus-trielles ou de prévoyance.

On comprendsur-le-champa quel point il est né-cessaire que les engagements de cette nature soientfidèlementremplis des deuxcôtés, car, s'ils pouvaientêtre violés impunément,les travaux, les entreprises,les transactions dont ils sont la garanties'arrêteraientimmédiatement,et la vie économique de la société,par conséquentson existencemême serait suspendue.Voilà pourquoi, dans tous les pays civilisés et mêmechez les nations barbares, il y a des lois qui en pro-tégent,qui en exigent l'exécution. Des punitionsplusou moins sévères, des mesures de coercition plus oumoins énergiques sont réservées à ceux qui se jouentde leur parole et qui, après avoir recueilli les avan-tages des obligations qu'ils ont contractées, refusentd'en porter les charges.

Mais quand même les lois dont nous venons deparler n'auraientjamaisété promulguéesou seraienttombées en désuétude, elles n'en existeraient pasmoins dans notre conscience. Elles font partie desrègles les plus absoluesde la probitéet de la justice,car la justice comprend la bonne foi; elles sont aunombre de nos devoirs les plus impérieux envers leprochain. Quand nous avons manqué aux engage-

ments que nous avons pris, n'importe sous quelleforme, par écrit, de vive voix, ou même tacitement,non-seulement nous avons trompé notre semblableet abusé son intelligence par un mensonge, nous luiavons causé un dommageà la fois matériel et moral.En effet, pendantqu'il s'est cru lié envers nous parun contrat que notre déloyauté a rendu illusoire, iln'a pu disposer d'une autre manière, ou de son acti-vité, ou de sa fortune, ou de l'une et l'autre à la foisil a renoncé à chercher ailleurs les avantages surlesquels il comptait de notre part, et nous l'avonsréellementfrustré dans sa liberté et dans ses biens.Il y a d'ailleurs des conventions qui ont pour effetimmédiat d'engager nos capitaux, notre temps, notreintelligence, notre crédit et jusqu'à un certain pointnotre honneur; autant de préjudices souvent irré-parables que nous cause volontairementcelui qui,après nous avoir ainsi compromis, se refuse à l'exé-cution du traité autant d'actes d'inj ustice dont il setend coupable envers nous.

XXVI

Le caractère commun des devoirs de justice et des droitsqui y correspondent, c'est qu'on peut recourir à la contraintepour faire observerles uns et respecter les autres. Exem-ptes tirés dn Code. Comment les devoirs de justice, étantnégati& et d'abstention, ne sont que la moitié de la vertu,et comment il faut y joindre les devoirs d'achon et decharité qui se résumentdans cette maxime < Aimez votreprochain comme vous-même, et faites à autrui ce qM vousvoudriezqu'on vons St. » Les devoirs de charité, quoiquene constituantaucun droit pour celui qui en est l'objet,n'ensont pas moins obligatoires pour chacunde noua dans la me-sure de nos forces.

Le respect de la vie, de la liberté, de la propriété,

<te l'honneur et de la. conscience do nos semblables,l'obligationd'être Rdele aux engagements que nousavons oontractésavec eux tous ces devoirs,ainsiqueles droits qu'ils supposent et dont ils sont la oonsé-quenoe rigoureuse, sont compris dans l'idée de justiceet se résument dans ce précepte « Ne faites pointaux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vousfissent. Or, les lois de la justice étant la conditionde notre existencemorale, la condition sans laquelle ¡

il nous est impossible de remplir aucun de nos de-voirs envers nous-mêmes, il en résulte que nouspouvons exiger, même par la contrainte, qu'ellessoient respectéesà notreégard,saufaux autres à fairevaloir contre nous la même exigence.Toutes, en effet,reposentsur ce principeque nous avons eu déjà l'oc-casion de citer (1) « Ce que la loi morale m'ordonnede faire, elle défend aux autres de l'empêcher. Quandnous sou&ons la violation de nos droits, quand noussupportons une injustice à laquelle il est en notrepouvoir de nous soustraire, c'est donc comme sinous renoncions a une partie de nos devoirs etcomme si nous nous rendions complices de l'outrageque reçoit la morale considérée en elle-même.C'estce qui nous explique le droit de légitime défense,quand on attente à notre vie ou à notre liberté,et celui de reprendre par la force le bien qu'on nous aenlevé de la même manière, dans les circonstancesoù il est impossible que la société nous protége.

Le même principe, en passant de la consciencedans nos lois, s'est étendu à tous les devoirs que lajustice nous impose les uns à l'égard des antres.Celui qui refuse de payer ses dettes, de rendre undépôt qui lui a été conné ou d'exécuter un contratquil a librement signé, est soumis à des voies de

(1) fi~M chapitres

contrainteou à des punitions dont la gravité est enrapport avec celle de sa faute ou du tort qu'il fait &

son prochain. Aujourd'hui, la loi se contente de lasaisie de ses Mens; elle autorisait, il n'y a pas long-temps, celle de sa personne. Le Code a des répara-tions et des châtiments pour les blessures faites ànotre honneur,comme pour les préjudices causés ànotre fortune. Il nous protègedans la liberté de notreconscience commedans celle de nos actionset de nosmouvements, comme dans notre vie même.

Les devoirs que la justice nous prescrit ne sontdonc pas entièrementabandonnésà notre conscienceet à notre libre arbitraire ils uni pour l'homme quivit en société une nécessité véritable, puisquela so-ciété ne souffre pas qu'on les viole impunément.Par conséquent, ils ne sauraient nous présenter ledegré le plus élevé de la moralitéhumaineetla limiteoù doivent s'arrêter les vertus sociales. On n'est pasunhomme de bien ou unhomme vertueuxparce qu'onn'a jamais fait tort à son prochain; cela suffit seule-ment pour mériter le nom d'honnête homme, et cenom même doitêtre refusé à celui qui borne tous seseffortsà n'être pas en opposition avec la loi.

Non-seulement la justice est, dans la plupart descas, une pure nécessité, mais alors même qu'elle,reste absolument libre, alors même qu'elle n'estque l'accomplissement désintéressé des lois de laconscience, elle est une vertu insuffisante, parcequ'elle est une vertu négative. Elle consiste à ne pasfaire le mal; elle ne prescritpas de faire le bien.Laissantchacun remplir comme il peut sa destinéeou la fin qui résultepour lui de la somme de ses de-voirs et de la nature de ses facultés, elle se borne &

ne lui imposer aucune entrave, à ne lui susciter au-cun obstacle. Mais la destinée d'un homme, la Bn à

laquelle il est obligé de tendre sanscesse et de toussesefforts, na peut être isolée de celle de ses semblables.Il nous est impossible, par exemple, de développerbeaucoup notre intelligence au milieu de l'ignoranceuniverselle et de faire de rapides progrès vers notreperfection morale quand nous n'apercevonsautour denocs qu'abrutissement et corruption. Il en est demême de notre conservation et de notre bien-être ma-,tériel. Commentserions-nousdans l'abondancequandtous les autres sont dans la misère? Comment lesdangers qui menacent leur vie seraient-ils écartés dela nôtre? Ainsi donc, nous ne devons pas moinsfaire pour les autres que pour nous; tout ce qui nousest prescrit envers nous, nous est également prescrità l'égard des autres; la justice ne suffit pas pour nousacquitter envers eux; la charité, dans l'ordre univer-sel, est aussi nécessaire, par conséquent aussi obliga-toire que la justice; nous devons faire pour notreprochain tout ce que nous voudrions qu'il fit pournous. Ce n'est pas seulementpar un effort de senti-ment, c'est en action et en réalité qu'il faut aimerson prochain comme soi-même.

La justiceelle-même est impraticablesans la cha-rité, car il est impossible de respecter véritablementla nature humaine dans toutes ses facultés et danstous ses droits sans la connaître, et il est impossiblede la connaître sans l'aimer. Aussi, la charité et lajustice se sont-elles développées en même temps etdans les mêmes proportions;elles sont unies dansl'histoire comme dans la conscience. Un philosophede l'antiquité, qui était en même temps un hommed'Ëtat et un grand jurisconsulte, a eu raison de direque la justice n'est pas autre chose que l'amourmême du genre humain rendant à chacun ce quilai est d& et unissant entre eux tous les hommes

par le double lien de la libéraHté et de l'équité (1).La charité est donc un devoir aussi bien que la

justice, puisque l'ordremoral, dans la société et ennous-mêmes, est irréalisable sans elle; mais c'est undevoir d'un autre ordre et qui a son caractère propre.Tandis que la justice reconnaîtdes droits rigoureuse-ment égaux et semblables, des droits définis, absolus,inhérentsà chaque personne humaine,la charitén'ad-met qu'un droit indéfini et collectif,qui, appartenantau genre humain, à tous les hommes pris en masse, àcause de leur commune nature et de leur com-mune destinée, peut être réparti entre les individusdans des proportions diverses en raison de la diversitéde leurs qualités. Il nous est permis d'aimer inégale-ment des êtres qui présentent des titres inégaux a notreamour, et de faire passer cette inégalitéde nos senti-ments dans nos actions. Tel est le caractère de lacharité. La justice, au contraire, ne fait point accep-tion de personne, parce que tous ont a ses yeux lesmêmes droits, conséquencerigoureuse des mêmes de-voirs. Qu'il soit mon ami ou mon ennemi, moncompatriote ou un étranger, un homme de bien ouun malhonnête homme, tout homme sans excep-tion, à moins que je ne sois forcé d'user contre luidu droit do légitime défense, est inviolable pour moidans sa personne, dans ses biens, dans son honneur.La justice ne se borne pas à prescrire, elle exige; ilfaut que je lui obéisse même au prix de ma vie,parce que tout acte de désobéissance envers elle merend coupable. La charité n'exige pas; elle prescritseulement; elle nous laisse, dans la plus haute etla plus noble acception du mot, l'usage de notreliberté! Ne rien faire qui soit contraire aux règles et

(1) Cicéron, & fttt&Mtettet~m~ mahwtM, lib. V, c. xxm.¡

à Injustice, o'est s'acquitterd'unedette. Se conformerau principe de la charité, c'est accomplir un acte dedévouementou un sacrifice.

XXVIIGrandeur et beauté morale du dévouement. Dans an État

bien organisé,la toi du sacrifice s'accomplit Mous les degrésde l'éohelle sociale; nous sommes tous obligés de nous dé-

1vouer les uns pour les autres,chacunsuivant ses moyens.La nature du dévouement nous en fait comprendre

la grandeur et la beauté! Rien ne peut donner al'homme une plus haute idée de lui-même que cebesoin qu'il éprouve et cette loi qui lui commande dechercher son bien dans celui des autres, de consacrerses forces, son intelligence,son repos, sa vie même aubonheur de ses semblables ou à leur perfectionne-ment moral, et de ne se considérer que comme uninstrument, un instrument libre et responsable del'ordre universel.N'est-ce pointparticiper, dans uneproportioncompatible avec notre faiblesse, & l'amourdu Créateurpour l'ordre qu'il aétabli dans lacréationet pour la créatureelle-même ? Si les actes d'abnéga-tion qui prennent leur source dans la piété nliale,dans la tendresse paternelle, dans l'amitié, dansl'amour proprementdit,sontcités à juste titre commeune preuve éclatante de la noblesse de notre nature,combien ne trouverons-nous pas encore plus dignesd'admiration les sacrifices qui nous sont demandéspar notre cœur et par notre raison et qui ont été ac-oomplis en tout temps pour des êtres à qui nous nedevons rien, dans le sens rigoureuxde la justice, aux-quels nous ne sommes attachéspar aucune affectionpersonnelle, quenous ne connaissonspas, que nous neconnattrons jamais? Il nous sumt de savoir qu'ilsexistent et qu'ils partagent avec nous les facultés

d'aimer, de penser et de souffrir, qu'ils ont eommi)nous une âme immortelle à affranchir de la servitude)derigmoranoe, de la misère et des brutales passions.

Cette loi du dévouement si sublime qu'elle nousparaisse et qu'elle le soit en effet, malgré le rôle su-périeur qu'elle donne à la liberté, est cependantuneloi nécessaire dont ni la société ni l'individu nepeuvent se passer. Nous avons dit (1) que la so-ciété pouvait être comparée à un immense atelieroù tous les travaux se tiennent et où tous les ouvriersse prêtent un mutuel concours. Mais cette harmoniene peut exister qu'à une condition c'est que chacundes membres de la société soit étroitement uni à tousles autres et, en accomplissant la tâche que sa destinéelui a confiée, ne se propose pas pour unique fin sonintérêt personnel,mais le bien, nous ne disons passeulement le bien-être, le bien général de la commu-nauté. D est dans la nature de ce bien d'être indivi-sible par conséquent,~il ne se réaliserapas s'il n'estégalement désiré par tous les coeurs et égalementpoursuivi par toutes les volontés.Il faut que, descen-dant du sommet à la base et remontant de la basejusqu'au sommet, le sentimentde la charité, l'émula-tion du dévouement, l'idée du sacrifice, se répandecomme un esprit vivifiant dans tous les organes ducorps social et en dirige tous les mouvements.

Ceux à qui les peuples ont donné la mission difficilede les gouverner, ceux qui ont été appelés à faire leslois, le magistratqui est chargé de les appliquer oud'en assurer l'exécution, sont rigoureusement tenusd'oublier, et, quand les circonstancesl'exigent, de sa-crifier leurs intérêts particuliers pour l'intérêt pu-blic. Il faut qu'ils sachent que ce n'est point pour lasatisfaction de leur orgueil, et moins encore pour l'a-

(1) Cbapttte xm.

grandissementde leur fortune, qu'ils ont été élevéspar la confiancede leurs concitoyensaux diverses po-sitions qu'ils occupent, mais pour défendre l'honneur,l'indépendance, la liberté intérieure,la prospérité deleur payset l'ordre sans lequel l'existence même dela société est impossible.Leur vie, si enviable qu'ellepuisse parattre, si elle est conforme à leurs devoirs,est donc une vie de soucis, d'abnégation et de dé- 1

vouement.Ceux qui appartiennentà des sphères plus humbles

sont-ils donc anranchis de ces conditions, et n'y a-t-ilque leshommespublics qui se doiventà lasociété toutentière?Non, il n'y pas une seule profession,pas uneseule situation dans laquelle le dévouement ne trouvepas sa place et on il ne soit nécessaire, pours'acquitterseulementde ses dettes, de s'é!ever jusqu'au sacri-&ce. Le sacrifice est dans l'obéissance aussi bien quedans le commandementet si l'onveut le trouverdanscelui-ci, comment serait-il absent de ceIle-IaP'L'au-torité, nous voulonsparler des pouvoirs consacrés parla loi, ne saurait être exercée au profit de tous, sitous ne s'y soumettent, non-seulementavec docilité,mais de cette soumission du cœar qui associe lesimple citoyen à l'oeuvre des magistrats,du souverainou du législateur.Le sacrificeest dans la famille, sansdistinctionde rang ni de condition; il est l'âme et lavie de la famille, qui, à son tour, est le plus solidefondement de l'État et de la société en général. Lesacrifice est dans les recherches de la science et dansles créations de l'art qui ont pour uniquebut le vrai etle beau, l'accroissementdes forces de l'intelligenceetdes jouissancesde l'âme. Le sacrificeest dans les dan-gers et les fatigues de la guerre, car, chez les peuplesvraimentcivilisés, la guerre n'est pas une professionou un instrument de conquête, mais la défense de la

justice et du droit contre la force. Le saorifice est dansles travaux de l'industrie,dans lesentreprises ducom-merce et jusque dans l'exercice des plus humbles mé-tiers quand ceux qui s'y consacrent ont la consciencequ'ils remplissentdans la sociétéune tâchenécessaire,etqu'ilss'eNbrcent de larendreà leurssemblablesaussiprofitable qu'a eux-mêmes.

Mais ce n'est pas seulement par rapport à la so-ciété tout entière, à la société considérée comme unêtre collectif que le sacrifice est une loi générale iln'intervient pas moins dans les relations purementindividuelles pauvres ou riches, grands ou petits,savants ou ignorants, nous avons tous besoin les unsdes autres. Nos richesses, notre grandeur, notrescience,n'ont pas le pouvoir de nous affranchir desmisères, des infirmités, des chagrinsde la vie, et, quique nous soyons, nous avons souvent besoin d'unemain tendue vers nous. La charité n'est pas l'aumône.Tout le monde peut pratiquerla charité. Ses moyenssont aussi variés que les souffrances et les besoins dela naturehumaine.Or, tout le bien dont nous sommescapables, nous sommes obligés de la faire. La cha-rité, et par conséquent le sacrifice, est donc une loiaussi universelle que la justice elle-même. Immuableet absolue dans son principe,elle n'admetla diversitéque dans ses applications.

XXVIIILa loi de charité ne permet ni de désirer le mal du prochain,

ni de se réjonir du mal qui lui arrive, ni de s'aCiger de sessuccès ou de sa prospérité. Du pouvoir que nous avonssur nos passions. De la haine. De l'envie. De lavengeance.- De l'orgueil.-De l'intolérance.–InBaence dela passion sur l'individu et sur la société.

Ni la chariténi la justicenepeuventrégnersur nos

actions si elles ne reposentsur nos sentiments. H estmême nécessaire que nos sentiments leur soient sou-mis d'abord,car la volontésuit habituellement les ins-pirationsdu cœur. Il est dimoilo, quand nous haïs-sons nos semblables, quand nous leur portons envie,quand nous sommes animés contre eux d'un senti-ment de vengeance, que nous ne souhaitions pasqu'ils soient malheureux, que notre cœur ne se ré-1

jouissepas du mal qui leur arrive et ne s'amigo pasde leur bonheur. Du désir au fait la distance n'estpas grande, et quand nous sommes entrés dans cetriste état, loin que nous songions à nous dévouer&

notre prochain, nous pouvons à peine nous empêcherde lui nuire. Notre premier devoir, si nous voulonsnous conduire en gens de bien, est donc de régler nosmouvements intérieurset de ne laisser pénétrer dansnos âmes que des pensées et des affectionsgénéreuses.Efforçons-nous d'être purs et irréprochables, non-seulement aux yeux des hommes, mais aux yeux deCelui qui, selon l'expression de l'Écriture, sonde lesreins et les cœurs.

Mais ce que la consciencenous commande, notrevolonté est-elle capable de l'exécuter?Sommes-nousmaîtres d'aimer ou de haïr, de nous réjouir ou denous afffiger des événements dont nous sommes té-moins ? Oui, nous avons tout empire sur nos pas-sions, de quelque naturequ'ellespuissentêtre, sur nospassions haineuses comme sur les autres, parce queles passions sont notre ouvrage. C'est nous qui lesavons créées en nourrissantavec complaisance et enexaltant outre mesure certaines pensées et certainsdésirs, d'abord faciles a discipliner il est en notrepouvoir de les détruireet bien plus encore de les em-pêcher de naître. L'homme a la puissance d'exalter etde corrompre tous ses penchantset de se faire une

autre nature que celle qu'il apporte en naissant;mais il est libre de ne point user de cette puissance,et, quand il a déjàcommencéà en éprouverles effets,de les arrêter ou de les supprimerpar un retour éner-gique aux lois de la raison.

Pour étouaer dès leur origine les passions malveil-lantes, il sumt de considérer à quel point elles nousrabaissentet nous font souffrir, à quel point elles sontviles dans leur principe et funestes dans leurs consé-quences, enfin quelle part leur revient dans les souf-frances et les désordres qui affligent la société.

On distingue plusieurspassionsqui ne sont que desmanières différentes de haïr la haine proprementdite, la vengeance, l'envie, l'orgueil, l'intolérance.Lahaine, c'est une colèreméditéeet, pour ainsi dire,de longue haleine, qui ne reconnaîtbientôtni limite,ni mesure et survit quelquefois à la destruction deson objet. Mais si la colère elle-même, comme il estimpossible d'en douter, est un mouvement aveuglequi nous ôte momentanément l'usage de la raison etnous assimile a la brute, combien ne sommes-nouspas coupables de rendre cet état permanent sansrien lui enlever de sa violence ? En effet, la réuexionqui se mêle à la haine ne la calme pas, mais a seu-lement pour but de la faire durer et de la satisfaireplus sûrement.

La vengeance, c'est la haine qui se fait illusiontpar une apparence de justice, la haine qui s'apaiseen rendantle mal pour le mal. C'est pour cette raisonque les idées de vengeance et de justicesontsouvent.

i confonduesdans le langage et dans lapensée des hom-mes. Mais à qui donc est-il permis de se faire justice

lui-même? Comment se persuader qu'il soit justede rendre le mal pour le mal? La vengeance, commel'a dit un ancien, ne diSëre de l'injure que ~aM9

qu'elle vient après elle. La loi monde, c'est-à-direlaraison elle-même prise pour règle de nos actions,nous commande de faire tout le bien qui est en notrepouvoirsans tenir compte du mal qu'on nous a fait.

L'envie, c'est la haine qui anime l'égoïsme impuis-sant contre tout ce qui est heureux. C'est l'irritationque nous inspirent, nontel acte qui nousa blessés, outelle personne qui est sur notre chemin, mais les,avantages dont nous sommes privés, même par notrefaute, et tousles hommes, si inoffensifset quelquefoissi bienveillants qu'ils puissent être à notre égard,que nous voyons mieux partages que nous. Le désird'augmenter son propre bonheur tient beaucoupmoins de place dans le coeur de l'envieux, que lasouffrance que lui cause le bonheur d'autrui. Aussi,de toutes les manièresde haïr, celle-làest-elle la plusdéraisonnable, la plus honteuse et la plus digne depitié. La haine, la vengeance, la colère poursuiventun but qui leur est propre; elles peuvent espérerunesatisfaction qui est le fruit de leurs œuvres. Considé-rant les divinités du paganisme commeune personni-fication des passions humaines, n'a-t-on pas dit quela vengeance est le plaisir des dieux? L'envie, aucontraire, ne porte avecelle que le témoignage de sonimpuissance. Elle ne peut jamais s'avouer, et c'estcontre elle-mêmeque se tourne sa fureur.

L'envie et la haine dériventhabituellementde l'or-gueil. L'orgueilleux, ne voyant dans le monde quelui-même et rapportanttout à lui, est exposé à ren..contrer à chaque instant d'humiliantes résistances,des froissements d'amour-propre,qui finissent par setraduire en haine. D'un autre côté, lorsqu'on trouveen soi tous les talents et toutes les vertus, commentne pas se persuaderqu'on a droit à tout; par consé-quent, que tout ce qui ne nous appartientpas nous

a été dérobé, qu'il n'y a pas un avantage accordé auxautres par la fortune ou par les hommes qui ne lesoit à notrepréjudice?D'ailleurs, l'orgueil, à le consi.dérer en lui-même, indépendammentde ses fruits,est essentiellement contraire à l'amour du prochainetau respect du droit. Le droit suppose l'égalité, quel'orgueil repousseavec horreur. L'amour du prochainexclut l'égoîsme dont l'orgueil est, en quelque sorte,la plus haute expression.

A l'orgueil vient se rattacher naturellement l'into-lérance. Le fanatique ne peut souffrir que l'on parleni qu'on pense autrementque lui, et la cause de Dieuà défendre lui offre un trop beau prétexte pour qu'ilnéglige de s'en couvrir. S'il était pénétré véritable-ment, non par l'orgueil, mais par le sentiment d'unefoi vive et désintéressée, ne se dirait-il pas que celuiqui est privé d'un tel bien a tout perdu, et, par con-séquent, au lieu de le persécuter, ne chercherait-ilpoint à le ramenerpar toutes les voies de persuasion?

Intolérance, orgueil, haine, envie, soif de ven-geance, est-ce que ce ne sont point là les causes lesplus actives ellesplusfécondes de nos misèreset denoscrimes? Introduis jz ces passions on laissez-les sedévelopper dans le sein de la famille, vous verrez sedéchirerausssitôt tons les liens qui unissent le mari àla femme, le frère à son frère, le père à ses enfants.C'est l'orgueilqui, faisant croire à l'homme que lafemmen'était créée que pour ses plaisirs, a autrefoisinstitué et conserve encore aujourd'hui, chez plu-sieurs peuples, à la place du mariage, le honteux ré-gime de la polygamie. C'est l'orgueil qui a pendantlongtemps persuadé au père que l'enfant, fruit de sesentrailles, qu'il devait réchaufferdans son sein et cou-vrir de sa tendresse, n'était que sa propriété, et qu'ilavait le droit de disposer de sa liberté et de sa vie,

C'est aussi l'orgueilqui a créé le droit d'aînesse et faitentrer à sa suite, au foyer domestique, l'envie et lahaine. C'est l'envie qui, selon le récit de l'Ecriture,a armé la main du premiermeurtrieret suscité le pre-mier fratricide.

~Les mêmes passions troublentla paix de la sociététout entière et arment les uns contre les autres, non-seulement les individus,mais les peuples. Les guerresaussi bienque les meurtres privés,les guerres civilescomme les guerres étrangères, découlent principale-ment de cette source. On en peut dire autant des ré-volutions et des institutions vicieuses, des lois vexa-toires et tyranniquesqui les ont provoquées. Toutesles fois que, dans l'organisation et le gouvernementde la chose publique, le droit est méconnu, on peutêtre sûr que l'orgueil, l'envie ou la haine ont pris saplace. Mais il faut ajouter, pour l'honneur de l'huma-nité, que la haine, surtout celle qui existe entre lesnations et les diverses classes de la société, prend leplus souventson origine dans l'ignorance.

TROISIÈME SECTION

t.'ÉTAT OU LA SOCIÉTÉ CIVILS DEVOIRS RËOt-PROQUES DE L'ÉTAT ET DU CITOYEN

XXIXLa société dans ses rapportsavec l'État. Qu'est-ce que l'Etat

et quelles sontles conditions de son existence? Deslois del'ttat. Du gouvernement on des pouvoirs chargés de lesexécuter. De la nation.et de l'amourqu'elle inspire à oha-eun de ses membres sous le nom de patriotisme ou d'amourde b patrie. Quelles sont les sources d'où dérive l'amourde la patrie. De la force qu'il prête à chaquecitoyenet à lanation tout entière. Ce qu'il a produitde grand et de ië-emd aux diBerenteBepoquea de l'hiatoiM.

Nous avons montré quels sont les principes sur

lesquels repose l'ordre social considérédanssoimmteet sa généralité, car partout ou il y a plusieurshommes réunis, la conscience leur impose les unsenvers les autres les mômes devoirs et revendiquepour eux les mêmes droits. Mais l'ordre social ne seréalise et la société ne devient un fait que dans deslimites et sous des conditions déterminées qui for-ment ce qu'on appelleun État ou une société civileet politique. Hors de l'État, hors de la société civile,la société est une abstraction qui n'existe que dansl'esprit.

Un .Étatn'est pas une simple agglomération de fa-milles ou d'individusmomentanémentrapprochéspardes circonstances fortuites, ou liés entre eux d'unemanière permanente par la communauté d'origine,par la similitudedes occupations et des besoins; c'estun corps organisé dans lequel circule une même vieet qui se meut par une seule volonté; c'est une so-ciété réunie sous des lois et sous le pouvoir d'uneautorité publique, d'un gouvernement chargé de lesexécuter et de représenter par cela même, aux yeuxde chacun de ses membres, la société tout entière.Que l'une ou l'autre de ces deux conditions vienne àluimanquer, l'idée qu'onse fait d'un État, c'est-à-dired'une société capable d'assurerà ses membres la sé-curité nécessaire à leur conservation et la liberté queréclame l'accomplissementde leurs devoirs, se trouveaussitôt anéantie. En l'absence des lois, celui quicommande n'est plus qu'un maftre et ceux qui obéis-sent ne sont plus que des esclaves, quelle que soitd'ailleurs la modération du premier et la résignationdes derniers. En l'absence d'un pouvoir assez fortpour les faire respecter de tous, les lois sont unelettre morte, chacun fait ce qui plaît à ses passions,et la société est bienprès de se dissoudre.

A ces deux conditions purement extérieures vientnécessairement s'en joindre une troisième qui tientau fond môme du corps social, qui en fait l'unité etla vie. Ni le pouvoirni les lois ne peuventcomptersur une longue durée ou sur une action féconde, s'ilsne sont pas en rapport avec les mœurs,avec lesidées,avec les sentiments, avec les intérêts généraux deshommesà qui ils s'adressent, et si ces hommes, à leur

itour, ne se trouventpas naturellementunis entre euxparcette communauté de pensée, d'affections, d'habi-tudes, de besoins, qui fait ce qu'on appelle l'espritd'une nation, c'est-à-dire la nationelle-même.Aupre-mier rang des sentiments qui constituent une nationest l'amour qui l'attache à elle-même et par consé-quent au pays, au sol qu'ellehabite, qui est la condi-tion matérielle de son existence et de son indépen-dance. Cetamour d'unenationpourelle-mêmeet qu'é-prouve également pour elle chacun de ses membres,c'est ce qu'on appelle le patriotismeon l'amour de lapatrie, car la patrie, c'est a la fois la terre qui nous adonné naissance et l'universalité de nos concitoyens.

L'amour de la patrie est aussi énergique et aussivivace dans le cœur de l'homme que l'amour de lafamille dont il parait être une conséquence et commeune extension naturelle. Nous aimons la terre surlaquelle nous sommes nés, à laquelle se rattachentnos premières aSëotions et nos premiers souvenirs,où nous avons été élevés, soutenus, protégés pendantnotre enfance, comme nous aimons notre mère etnotre nourrice. Ce n'est pas seulement à cause denous que nous l'aimons, mais aussi à cause de nosfrères et de nos ancêtres à cause de nos frères, parceque, à l'origine des nations, ce sont les descendantsd'une même famille, les rejetonsd'une même souche,qui forment la population d'un même pays; à cause

de nos ancêtres, parce que le nom de la patriese con-fond avec leurs noms, parce que la patrie, o'est laterre où ils sont nés, où ils ont vécu, où ils ont souf-fert commenous, qu'ils ont arrosée de leurs sueurs,défendue au prix de leur sang, et dans le sein de la-quelle reposent leurs cendres. Héritiers de leurs idées,de leurs traditions, de leurs moeurs, de leurs lois, deleurssouvenirs et de leursespérances, nous le sommesaussi des biens qu'ils nous ont légués, de lapuissancematérielle qu'ils ont créée par un labeur séculaire, età laquelle nous ne pouvons pas renoncer sans noustrouver en quelque sorte nus et désarmés. Voilàpourquoi, quand le sol de la patrie se dérobe sousnos pieds, quand nous en avons été arrachés, sansespérance de retour,par quelque force supérieureànotre volonté, il nous semble que c'est la vie elle-même qui nous abandonne, la vie physique aussibien que la vie morale. Nulle part l'amour de lapatrie n'aété mieuxpeint que dans le fameuxpsaumeSuper fluminaBa~~OM~

<! Sur les neuves de Babylone nous étions assis etnous pleurionsen pensant à Sion. S'il m'arrive ja-mais de t'oublier, ô Jérusalem, que ma main droitese dessèche; que ma langue reste attachée à mon;palais dès l'instant que je cesseraide me souvenir detoi (1).

Cependant l'amour de la patrie suppose quelquechose de plus encore que les liens, d'ailleurssi puis-sants, que nous venons d'énumérer. Il suppose laliberté. Le citoyen seul a une patrie; l'esclave, leserf, le sujet d'un roi absolu n'a qu'un pays natal.Pour la même raison on ne doit regarder comme

(1) PoMme c~OMt selon1~ Vuigate, et cxxxvH selon le CMoahébreu.

des compatriotes que ceux qui jouissent des mêmesdroits et qui sont soumis enversleur pays aux mômesdevoirs, en un mot ceux qui peuvent se dire conci-toyens.

La communauté des devoirs et des droits forme àelle seule comme une patrie invisible, source des plusnobles et des plus généreuses inspirations. Aussi,nulle part, le patriotismen'a-t-il atteintun plushaut

1degré de puissance que chez les nations libres del'antiquité et des tempsmodernes. Quelques milliersde Grecs sumsent pour repousser l'invasiond'unmil-lion de barbares. Une seule ville, animée par la pas-sion de la liberté et de la gloire, étend de proche enproche sa dominationsur les peuples voisins et nnitpar devenirla maîtresse du monde. Mais voici dansnotreproprepays, à une distance de quatresiècles, unmiracle de patriotisme non moins étonnant. Unesimple paysanne, une gardeuse de moutons, unissantdans son cœur le culte de son pays à la plus ferventeet laplus naïve piété,délivralaFrance des arméesetdela domination de l'étranger.C'est le désir d'affranchirà la fois leur patrie et leur consciencequi a donné àla petite nation des Pays-Bas le courage et la forcenécessairespour secouer le joug d'unepuissance aussiformidable que celle de l'Espagne du xvr* siècle.Après la révolutionde 1789, quand toutes lesnationsde l'Europe se sont coalisées contre la France pourlui faire expier le crime d'avoir voulu être libre, c'estavec des armées de volontaires affamés et à demi~us qu'elle défend son territoire et sa liberté nais-sante.

L'amourde la. patrie, ennobli par l'amour de la li-berté tel que le comporte un État bien organisé et biengouverné, est seul capable d'accomplir ces merveilles.Il donne à Ont un peuple l'unité de conscienceet de

volonté qui semblerait n'appartenir qu'a l'individu;il donne à l'individu la force, la résistance, souventla grandeur héroïque de tout un peuple, parce quechaquecitoyen, s'il est vraimentdigne do ce nom, s'i-dentifie avec son pays.

i XXX

Devoirs da citoyen envers l'État Obéissanceet respect qnele citoyen doit à la constitution et aux lois de l'État. Obéis-sance et respect qu'il doit aux dépositaires de l'autorité.

Moti& sur lesquels repose chacun de ces devoirs.

Sachant quelles sont les conditions générales surlesquelles repose l'existence de l'État, nous avonsmaintenant à rechercher quelles sont les règles deconduite qui découlent de ces conditions, ou quelssont les devoirs réciproques de l'Etat et des citoyens.

Nous avons montré (chap. xxix) comment l'Etatne peut se passer de lois. Or, les lois qui appartien-nent à un Etat régulier se divisent nécessairementendeux grandes classes. Les unes déterminent la formede son gouvernement et les rapportsdu gouvernementavec la nation ce sont les lois politiques. Les autresrèglent les rapports des citoyens entre eux ce sontles lois civiles. Ainsi, dans notre pays, les lois qui dé-finissent lesconditions qu'il fautréunir pour être élec-teur et éligible, celles qui fixent les attributionsdes conseils généraux, des conseils d'arrondissementet des conseils municipaux, sont des lois politiques.Parmi los lois civiles, il faut comprendre celles qui serapportent au mariage, aux successions, aux dona-tions, à l'exercicedu droitde tutelle, aux contrats, etc.A ces deux espècesde lois se rattachent toutes les au.tres à titre de sanction ou de simple complément.

Telles sont les lois pénales, les lois administratives,les lois de procédure, etc.

Les lois civiles proprementdites ont un égal degréd'autorité ou reçoivent de la part du législateur lamême consécration. Il n'en est pas ainsi des lois po-litiques. Celles qui déterminent,comme nous disionstout à l'heure, la forme du gouvernement, le nombreet les attributions des pouvoirs dont il se compose et;les rapportsque ces pouvoirs sont tenus de conserverentre eux, celles-là sont les lois fondamentaleset for-ment ce qu'on appelle la constitution de l'Ëtdt. Leséléments de la vie politique qui n'ont point sur lecorps social cette influence suprême, sont ïegis parde simples lois, accessibles à tous les changementsque sollicitent les circonstances ou l'état de l'opinionpublique.

Il est clair que le premier devoir du citoyen estde respecter scrupuleusementet, autant que cela esten son pouvoiret rentre dans son droit, de faire res-pecter la constitution de son pays. La constitution,c'est le contratsur lequel reposentla liberté, la sécu-rité, l'existence môme de la société dans les limitesde l'État sur lequel elle règne. Lui refuser son obéis~-

sance, conspirer contre elle, s'eSorcer de l'altérer oude la détruire, c'est donc un acte de rébellion et, sil'on peut parlerainsi, une tentativede meurtre contrel'ordre social. La constitution détruite, toutes leslois sont virtuellement abrogées, puisqu'elle en estle fondement et que les pouvoirs qui ont reçu d'ellela mission de les exécuter ou de les interpréter setrouvent ensevelis sous ses ruines. La constitutiondétruite, c'est la force substituée au droit, c'est lalégalité remplacée par l'arbitraire et trop souventtordre par l'anarchie. Que ces effets se produisentounon, l'action dont ils sont la conséquence logique

n'en est pas moins crinuneMe, et ce n'est pas assez dedire qu'elle est un crime envers l'Etat;puisque l'Etatest nécessaire à la réalisationde l'ordre social, et quehors de la société l'homme s'élève difficilement à laconscience de ses devoirs, on peut les considérercomme un attentat contre les lois de la morale.

Les lois ordinaires, soit qu'elles appartiennent àl'ordre civil ou à l'ordre politique, intéressent moinsdirectement, sans doute, l'existence de l'Etat, et parsuite celle de la société mais elles sont nécessairesou à sa dignité, ou à sa justice, ou à sa prospérité,ou à la moralitédes individus, à la conservation, à lapaix intérieure des familles, et celui qui les violesciemment, dût-il échapper à la répression pénalequ'il a méritée,n'en est pas moins coupable devant letribunal de la conscience.C'est une obligation moraled'observer les lois de la société dans laquelle on vit,puisqu'ilfaut, par nécessité et par devoir, appartenirà une société et qu'il n'y en a aucunequi puisse sub-sister si l'obéissancen'estassuréeà ses lois.D'ailleurs,celui qui vit dans une société et qui accepte ses bien-faits, ne fût-ce que la protection dont elle couvre sapersonne et ses biens, s'engage implicitement à rem-plir les conditions sous lesquelles cette protection luiest assurée. Comment admettre qu'un engagementcontracté enverslasociététout entière estmoins sacréque celui qui nous lie envers un individu?

La même soumission, le même respect qui sontdus par les citoyensà la constitution et aux lois, s'é-tendent nécessairement aux pouvoirs individuelsoucollectifs,aux corps constitués ou aux magistrats qui,aux termes de la loi fondamentale, sont chargés dugouvernement et de la défensede l'Etat, et par quiles lois doivent être interprétéesou misesà exécution.Sous une forme de gouvernement ou sous une autre,

sousunemonarchie ou sous une république,cedevoirexiste également et s'impose à toutes les consciences,avec uneégaleautorité,parce qu'il résultede l'essencemême de l'ordre social. L'Ëtat ne pourrait subsisterun instant sans un pouvoirdont le rôle consiste, sousdes conditionset dans des limites nxées par la consti-tution, à agir, à parler, à traiter en son nom, à pour-voir, au dehors, à la défense de son indépendance,de son honneur, de sa légitime influence dans lemonde, et au dedans à sa conservation, à sa sécurité,à l'exécutionde ses lois, à la répression des désordrespublics ou privés. Rendreà ce pouvoir l'obéissancequ'il a le droit d'exiger de nous, ce n'est pas assez;il faut à la soumission matérielle joindre celle de lavolonté en les relevant l'une et l'autre par le respectet le sentiment du devoir. Honorer ainsi l'autorité,c'est honorer la nation à laquelle on appartientet lasociété en généra!, c'est s'honorer soi-même, puisquela dignité du citoyenest inséparable de celle de l'État;ce n'est point s'abaisserdevantun homme, c'est s'in-cliner devant la majesté de la loi.

Ce que nous disons du pouvoir suprêmes'appliqueà tous les autres pouvoirs légalementconstitués,auxmagistrats de toutes les classes et de tous les rangs,dansune étendueproportionnée à la nature et à l'im-portance de leurs fonctions. Partout où nous aperce-vons un représentantde l'autoritépubliqueremplis-sant avec conscience les devoirs de sa charge etexécutant la loi dans la mesure de ses attributions,c'est la loi elle-même que nous voyons devant nouset c'est elle que nous devons respecter dans la per-sonne de son ministre, sans qu'il nous soit interditd'accorder aussi à l'homme la considération dont ilnous paratt digne par lui-même. Accepter en toutecirconstance et sous toutes les formes le joug de la

loi, c'est, dans l'ordre civil et politique comme dansl'ordremoral, le seul moyen d'être libre et de mériterla liberté. Rien n'est plus près de la servilité quel'esprit de révolte, et réciproquement.

XXXI

Antres devoirs du citoyenenvers l'État il est obligé de prêtermain-forte t l'exécution des lois, s'il en est requis par l'auto-rité compétente. –IIest obligé, quand la patrie est en pén),quand scn indépendance est menacée, de contribuerà sa dé-fense et de lui faire le sacrifice, non-seulementde ses inté-rêts, mais de sa vie.

Le respect des lois étan~ comme nous l'avons dit(chap. xxx), le premier besoin de l'Etat et le premierdes citoyens, il ne samt pas que nous-mêmesnous lesobservions scrupuleusement, il faut encore, quandles circonstances le réclament, nous tenir prêtsà em-pêcher qu'elles soient violées par les autres. Sansdoute ce soin regarde avant tout le pouvoir, ou, pourl'appeler de son nom le plus populaire, le gouverne-ment et ses différents délégués. Mais lorsque,n'ayantpas la force nécessaire l'accomplissement de leurtâche, les représentantsde l'autorité appellentà leuraide les simples citoyens, ceux-ci sont rigoureuse-ment obligés de leur prêter leur concours. C'est la loielle-même, la loi en détresse qui les invite par leurorgane àlasecourir, ou, pourmieuxdire,qui lesinviteà pourvoirà leur propre défense, car la loi, c'est laprotection de tous, c'est la sauvegarde de la société.Que la loi soit violée impunémentau préjudice d'unseul, c'est la société toutentière qui souffre et qui estmenacée. Aussi il n'existe point de préjugé plusaveugle, plus dangereux, que celui qui porte la fouleà regarder comme des ennemis les nunistres subal-

ternes du pouvoir et comme un innocentpersécuté leperturbateurde la paix ~publique,même le malfaiteurvulgairequ'ils conduisent en présence de la justice.Qu'un tel sentiment ait pu exister dans un temps oùle pouvoirse confondaitavec l'arbitraire, on le con-çoit mais à une époque de légalité et de publicité, ilest aussi illibératque déraisonnable il associe ceuxqui l'éprouventà la révolte et au crime par une sortede complicité morale.

Prêter main-forte à l'exéouti.mde la loi quandl'au-torité réclame notre concours, c'est servir l'Etat d'unemanièreindirecte et à de rares intervalles. La patriea droit de compter sur nous d'une manièreplus effec-tive et plus régulière. Nous sommes obligés de lafaire vivre de notre bien et de la soutenir de notrebras; en d'autres termes, de lui payer l'impôt et delui prêter le servicemilitaire.

L'impôt, considéré d'une manièregénérale, c'est laportion de son revenu que la nation, par l'organe deses mandataires,consacre annuellementaux besoinsde l'Etat.L'Etat, pas plus que la famille,pas plusquel'individu, ne peut se passer d'un revenu, ne peutsubsister sans ressources.Une armée, une marinesontnécessairesà sa défense; il faut qu'il les entretienne,qu'il fournisse les engins, l'équipement,lesmunitionsdont elles ont besoin. Des magistrats,des fonction-naires de toute espècesont chargés par lui, les uns del'administrationde la justice, les autres de celle desdeniers publics, d'autres de l'exécution des lois et desdécrets émanésdu gouvernement; il fautqu'il lespaye,puisqu'ils se consacrent entièrement à son service;il faut qu'il leur assure une existence conforme à ladignitéde leur tâche. Il est dans l'obligationde faireconstruire et de conserver en bon état des routes, descanaux,des ports de mer, des digues, des édinces, des

monuments, des travaux de différents genres com-ment le pourrait-il s'il n'avait à sa disposition dessommes proportionnées à ces dépenses? La nationseule peut les lui fournir, et la nation, c'est la tota-lité des citoyens.

Il n'y a que les mandataires,ou comme on les ap-pelle dans le langage constitutionnel de notre temps,il n'y a que les députés de la nation, revêtus de cecaractère parun libre suffrage,qui aient qualité pourvoter l'impôt; car la propriétéest inviolable dans l'or-dre politique comme dans la vie privée, et si la na-tion n'avait pas le droit de disposer elle-même de sesrichesses, elle serait livrée à la merci d'un maître quiaurait la faculté de l'exploiter à son gré, elle cesse-rait de s'appartenir.Mais l'impôtune fois voté par lesfondés de pouvoir du pays, tous sont tenus d'y contri-buer en raison de leurs moyens, parce que tous par-ticipent aux bienfaits des diverses institutions qu'ilest destiné à soutenir et dont l'ensemble représente,sous une forme déterminée, l'ordre social. Payerl'impôt n'est donc pas seulement une obligation im-posée par la loi, c'est un devoir de conscience, c'estune dette à laquelle on ne peut se soustraire en tota-lité ou en partie, par la fraude ou par le mensonge,sans manquerà la probité aussi bien qu'à la vérité.Celui qui dissimuleauxyeux du fisc une matière, unetransaction,un avantage, l'exercice d'une professionque la loi a déclarés imposables, celui-là est coupableà un double point de vue il trahit ses obligationsenvers l'État; il se décharge de sa part contributivesur ses concitoyens,ou, pournous servir d'une expres-sion familière, il fait payer les autres à sa place.Qu'une telle conduite ne soit pas celle d'un boncitoyen, cela est évident; mais ce n'est pas non pluscelle d'un honnête homme.

Le service militaireest une dette comme l'impôt ets'appelle, non sans raison, l'impôt du sang; mais,grâceà l'adoucissement desmœurset aux progrès de lacivilisation, il est devenu une dette moins générale.Autrefois, dans les républiques de l'antiquité et dansplusieurs villes libres du moyen âge, tous les citoyensétaient soldats, et restaient soldats jusqu'à leur vieil-lesse. La guerre était l'état habituel du monde et laseule occupation permiseà deshommeslibres. Chezlespeuplesmodernes,la guerreest devenue une exception;l'industrie, le commerceet les arts, loin d'être incom-patibles avec la liberté, étant regardés, au contraire,comme le fruit de la liberté même et comme la con-dition indispensable de la prospérité des Etats, lefardeau du service militaire ne pèse plus.quesur uncertain nombre de têtes désignées par le sort. Tousceux que le sort a épargnés restent étrangersà Par-mée, à moins qu'ils n'y soient entrésvolontairementcomme dans une carrière. Il y a même des Etatsassezbénis du ciel, pour pouvoir se contenter d'enrôle-ments volontaires et où, par conséquent, le servicemilitaire n'est ni un impôt, ni une dette, mais unesimple profession.

La, au contraire,où le recrutementde l'arméea lieupar le sort, il est clair que les citoyensne s'appartien-nent pas, ne peuvent disposer d'eux-mêmes, tant quele sort n'a pas prononcésur leur compte. Ils se trou-vent alors sous l'empire d'une obligation solidaire,d'une dette contractée en commun, dont une libéra-lité de la fortune peut seule les anranchir. Ceux quiobtiennentcette grâce, très-dinBrente d'un privilègeou d'une faveur, ont sans doute lieu de se féliciter;mais ceux qui ne l'obtiennentpas ne sont pas admisà seplaindre; car, aussi longtempsque subsisteralaguerre, aussi longtemps que les nations modernes

eroiront nécessaires de rester en armes les unes enface des autres, ils ne feront que remphr un devoirstrictement prescrit par la justice. L'État a besoin debras pour se défendre, comme il a besoin d'argentpour vivre, et qui le défendrait, sinon ceux~u'it dé-fend lui-même et qui par leur âgeet leurs forces sontparticulièrementpropres a lui rendre ce service?q

Il y a dans la vie des États les mieux constituésdesmoments critiques où leurs forces habituelles, soitqu'ils les demandent aux engagements volontaires ouau recrutementpar le sort, à la conscription, commeon l'appelle habituellement,ne sont plus sufâsantespour les protéger. C'est lorsqu'unecoalition de!: puis-sances étrangèresvient les menacer dans leur indé-pendance, dans leur existence même, et se prépareàenvahir leur territoire. Alors, par un libre élan descœurs, sans attendrel'injonction de la loi, toute dis-tinction doitdisparaîtreentre ceux que le sort a appe-lés et ceux qu'il a laissés dans leursfoyers, entre ceuxqui ont déjà payé leur dette et ceux qui attendenten-core le jour de l'échéance, entre ceux qui ont passél'âge et c3ux qui ne l'ont pas atteint. Les uns offri-rontleursbiens,si, parmalheur, ils n'ontque des biensà offrir; les autres offriront leur vie. Même les fem-mes et les enfants, les infirmes et les malades pour-ront se rendre utiles quandles souffrancesde la guerreauront commencé. La patrie est une mère quandsavie est en péril, tous ses enfants doivent se presserautour d'elle et lui faire un rempart de leurs corps.Leurs corps et leurs cœurs lui appartiennent;elle nepeut subsister sans eux.

XXXIIDu devoirqu'à le citoyen d'exercer avec justice et loyMte les

droits qne lui confère )a Constitution et les lois. -Dans l'ao-complissemeni des actes de la vie civile, il doit avoir en ~uele bien général et s'inspirer des motifs que la conscienceluidicte.- Du couragecivil.

Le citoyen n'a pas seulement des devoirs, il a aussi1des droits, et l'exercicede ces droits dans la mesure onil dépend de sa seule volonté,est pour lui la sourcede nouvellesobligations. Lesdroits ducitoyen, commeles lois sous la protection et l'autorité desquelles ilest admis à en faire usage, appartiennent à l'ordrecivil ou à l'ordre politique. Les droits civils trouventleur applicationdans la vie privée, dans les relationsindividuellesque nous avons, soit avec les membresde notrefamille, soitavec nos concitoyensen général.Tels sont, par exemple, les droits réciproques desépoux, ceux des parents sur leurs enfants et des tu-teurs sur leurs pupilles. Tels sont, avant tout, lesdroits qui résultent de la liberté individuelleet de lapropriété, le droit de contracter,d'exercer une actionen justice, de disposer de son bien par échange, alié-nation, donation ou testament,etc. Les droits politi-ques sont ceux qui entrent dans la vie publique, dansles rapports du gouvernement avec les gouvernés, etdont l'exercice se fait sentir, directement ou indirec-tement, sur le corps social tout entier. Le droit dechoisir les mandataires de la nation chargés par laConstitution de faire les lois, de voter l'impôt et decontr8ler les actes du gouvernement; le droit d'êtreéligible à ces fonctionssupérieures, celui de dire pu-bliquement son avis sur les actes du pouvoir,celui defaire partieou de nommerles membresde toute assem-blée investie d'une autoritépublique, voilà ce qu'on

appelle les droits politiques, parce qu'ils intéressentl'Etat tout entier. Les uns et les autres, les droits ci-vils et les droits politiques, quelque soin qu'ait misle législateur à les circonscrire dans des limites les1plus précises, laissent toujours une grande place a t

notre libre arbitreet, par conséquent, ont besoind'êtreréglés par la loi morale encore plus que par la loiécrite.

La règle commune que ia loi morale impose àl'exercice de nos droits civils, c'est de les ramener,autant qu'il est ennotre pouvoir, a nos drois naturels;car, après tout, nous n'en avons pas d'autres, et cesont les seuls que le législateurait pu avoir l'inten-tion de placer sous lagarantiede la loi positive. Com-prendre nos droits civils de telle façon qu'ils se con-fondent avec nos droits naturels, c'est les subordon-ner, comme le doit être notre vie toutentière, à l'idéeabsolue de l'honnête et du juste, aux devoirs que laconsciencenous prescrit à l'égard de nos semblableset à l'égard de nous-mêmes. Ainsi, que nous vivionsdans un pays où le droit de tester ne connaît pas delimites, où le divorce est autorisé et peut être obtenupour les motifs les plus frivoles, nous n'oublieronspas les obligations que nous avons à remplirenversnos enfants, nos parents et nos proches, envers tousnos enfants au T"rême degré, à moins qu'ilsnese soientrendus indignes de notre sollicitude et de notre ten-dresse.Nous nous souviendrons aussi que le mariage,s'il n'est un lien sacré qui embrasse toute la durée ettoutes les facultés de notre existence, se confondavecle libertinageet rendla familleimpossible enun mot,nous n'userons pas du pouvoir qui nous est donnéd'être iniques. Que la loi nous reconnaisse, contre undébiteur insolvable, le droit de le mettre à nu et delui 6ter jusqu'à sa liberté, par conséquent de l'enle-

ver à sa profession, à sa famille, à l'espérance mêmede réparer le dommage qu'il nous a causé, l'huma-nité, sinon la justice, nous défendrad'aller aussi loin.N'y a-t-il pas des traités, des contrats, des conven-tions particulières, dont l'humanité et l'équité natu-relle nous défendent de nous prévaloir contre unfaible, un imprudent ou un malheureux, tandis quela loi nous permet d'en poursuivre l'exécution litté-rale ? Dans toutes les circonstances où nous sommesarmés par la loi civile de pouvoirs excessifs, ne man-quons pas de nous dire à nous-mêmes qu'il n'y a pasde droit contre le droit et que le code le plus parfaitne vaut pas encore celui que Dieu a écrit dans notreconscience.

La même règle, la même idée de l'honnête et dujuste s'applique à l'exercice de nos droits politiques;mais elle reçoit alors une autre expression. L'exercicedes droits politiques doit toujours avoir pour but, nonl'intérêt et le bien particulier de chaque citoyen, nonl'intérêtet le bienparticulierd'uneclasse, d'une caste,s'il y ena encore, d'un parti plusou moins nombreux,mais l'intérêt et le bien général de l'État. C'est laconséquence évidente de la définition que nous avonsdonnée dos droits politiques, c'est-à-dire de leur na-ture, de leur essence même. Il est facile de se repré-senter les circonstances dans lesquelles cette règle.doit être suivie. Sommes-nous appelés, par exemple,à être un député, un conseiller général, ou mêmeun modeste conseiller municipal, demandons-nous sile nom que nous allons déposer dans l'urne est bien!celui de l'homme que nous jugeons le plus capablede faire les aSaires du pays, du départementou de lacommune et non celui d'un ami, d'un parent, d'unprotecteur,d'un protégé de nos protecteurs. Tenons-nous dans notre main une plume de journaliste, in-

tenrogeons-nouasévèrement, avant d'éorue, sur lesmotifs qui nous portentà blâmer ou à louer les actesdu gouvernement et de ses délègues. Ayons le cou-rage, avant de juger les autres, de nous faire notreprocès à nous-mêmes et de nous assurer qu'il n'y. a

au fond de notre coeur ni haine, ni vengeance, niregrets personnels, ni ambition,ni vil intérêt, maisuniquement le désir de servir notre pays en rendanthommage au bien et en dénonçant le mal.

L'impartialiténe suffit pas toujours, il faut souventdu courage pour exerceren honnêtehomme et dans leseul intérêt de la société ses droits de citoyen. C'estlorsque autour de nous se déchaînent des passionsaveugles qui ne souffrent ni résistance ni contra-dictionet menacent de renverser celui qui ne les par-tage pas, ou lorsqu'une pression puissanteest exercéesur nous qui veut nous empêcher, par la corruptionoupar la peur, d'écouter la voix de notre conscienceetnous place entre notre devoiret nos intérêts, mêmenosaffectionsles plus légitimes. Le courage que réclamecette situation,heureusement devenue exceptionnelle,ce n'est pas celui du soldat, mais celui du citoyen etde l'homme de bien; ce n'est pas le courage mili-litaire, qui s'exalte par le tumulte du champ de ba-taille, c'est le courage civil, toujours calme et réNéoaiau milieu de l'orage, toujours fidèle à la raison et àla loi. L'un est aussi nécessaire et aussi méritoire,il faut ajouteraussi obligatoire, que l'autre. L'un estla condition de l'indépendanceet de l'honneur exté-rieur d'une nation, l'autre de sa liberté intérieure.

XXXIIIDevoirs de l'État envers le citoyen. En retour des sacrifices

qu'il lui demande, l'État doit respecter et protéger le citoyendans ses droits et dans ses intérêts légitimes Il doit veniren aide à l'individu et a la famille et suppléerà leur insum-sance pour assurer le développementintellectuelet moral dela société.

Les devoirs du citoyen envers l'État ne peuvent secomprendre ni se réaliser sans les devoirs de l'Étatenvers le citoyen ils sont inséparables les uns desautres, ou la société ne peut pas plus se passer desindividus, que les individus de la société.

Le premierdevoir de l'État envers le citoyen, c'estde le protéger dans sa personne et dans ses biens,danssa vie et dans sa propriété, tout à la fois contreles agressions du dehors et contre les violenceset.lesruses du dedans. Son gouvernement, ses lois, sapolice, sa justice, n'ont aucune puissance ni aucunevaleur et peuventêtre considérés comme n'existantpass'ils ne produisentce premier résultat.

Mais la sécurité n'est que le moindredes avantagesque le citoyen doit attendre de l'État. La société et,par conséquent, l'État, qui en est la plus haute ex-pression, doit veiller a ce que chacun de ses mem-bres puisse développer les facultés dont Dieu l'adoué, ou, ce qui revientau même, puisse accomplirtous ses devoirs et jouir de tous ses droits. La jouis-sance de tous nos droits sous la garantie commune dela loi, le pouvoir de faire usage de nos facultéset denos forces sans nuire au développement des facultésd'autrui, voilà ce que l'on comprend, dans l'ordrecivil, sous le nom de liberté.Outre ta sécurité, l'Étatest donc obligé de garantir aux citoyens la liberté,dans lamesure ou cellede chacunest compatible avec

celle de tous, dans les limites où il est indispensablede la circonscrire pour qu'elle ne soit ni oppressivepourles individus,ni menaçantopourlacommunauté.C'est pour cela même que l'Ëtat est nécessaire; c'estsur ce fondement que repose son autorité, o'est-a-dire celle de ses lois, de son gouvernement et de sesmagistrats; c'est de ce principe que découlent tousles devoirs des citoyens envers lui; il justifie enmême temps qu'il limite les sacrifices qu'on peutexiger d'eux au nom de l'intérêt commun. Remar-quons en outre que ces deux choses, la liberté et lasécurité, se supposent réciproquement. Sans la sé-curité la liberté n'est qu'un mot, car évidemmentnous ne sommes pas libres quand nos personneset nos biens sont à la merci du premier venu. Lasécuritésans la libertén'est pas plus réelle. Qui est-cequi peut compter sur sa vie et sa propriété en pré-sence d'une autorité à peu près sans limites qui peutdéfendre, sous peine de mort ou de confiscation,tout ce qu'il lui platt, même les chosés les plus impé-rieusement exigées par l'honneur ou par la cons-cience Est-ce que les chrétiens, sous le règne deNéron et de Dioctétien, n'aimaient pas mieux mourirque de renier leur foi? Est-ce que, dans tous lestemps, les victimes de l'intolérancen'ont pas fait demême, quelle que fût la religiondes persécuteurs oucelle des persécutés?f

Nous ne parlerons pas de la garantiequiest duepaïl'État à l'honneur des citoyens; car elle est une con-séquence nécessaire de la double obligation que nousvenons de lui reconnaître. Celui-là n'est pas en sù-reté, celui-là n'est pas libre qui peut être outragéimpunément, qui peut être calomnié et diSamé, soitdans sa personne, soit dans les êtres qui le touchentde près. L'insulte et la violence, l'insulteet l'oppres-

consent étroitement Mes l'une à l'autre et se répon-dent l'une à l'autre dans le silence ou l'impuissancedes lois. La seule craintede l'insulte,quandiln'existeaucun moyen de se défendre contre elle, est déjà uneforme de la servitude.

Empêcher la violence, l'oppression et l'outrage,protéger les citoyens dans leur vie, dans leurs biens,dans leur honneur, dans le légitime exercicede tous1leurs droits, o'est réprimer le mal. Mais l'État nedoit pas se borner à réprimer le mal cette tâche estau-dessus de ses forces, s'il ne concourt en mêmetemps, de tout son pouvoir, à la réalisation du bien,ou s'il ne vient en aide au citoyen dans l'accom-plissement de ses devoirs, s'il ne met a sa portéeles moyens de développer ses facultés et d'attein-dre le but de son existence. Ils sont vains, en effet,tous les efforts qu'on peut faire pour empêcher ouétouffer le mal, quand le mal a sa racine, sa causepermanente dans le cœur de la société. C'est ce quiarrive quand la majorité de la nation reste plongéedans l'ignorance, par l'absence des moyens des'instruire; dans l'abrutissement, par l'absence detoute éducationet de toute influence morale dans lamisère, par l'ignorance des ressources et des intérêtsmatériels du pays, par la négligence des arts quinourrissent, qui enrichissent un peupleen l'ennoblissant par le travail.

Il faut donc que l'Ëtat, même s'il ne veut assurerque le triomphe de l'ordre et de la justice, exerce, enévitant tout ce qui ressemble à la contrainte, uneactioninitiatricesur les idées, lessentiments,le bien-être des individus, et supplée par saprévoyanceet parsa libéralité à leur insuffisance.

Il faut qu'il distribue à toutes les classes de lasociété, à chacune selon ses occupations et ses be-

soins, la nourriture de l'intelligence.Il fautqu'il leurassure une éducation propre à leur inculquer non-seulement l'amour, mais l'habitude du bien, le res-pect des lois et des institutionspubliques, le culte dela patrie et de la famille, et, avant tout, ces saintescroyances en une providence et une justice divinesqui, sous des formes diverses réclamées par la libertéde conscience, sont à la fois l'honneur, la force et laconsolation du genre humain. En vain a-t-onamon-celé dessophismespourdémontrerle contraire quandles particuliers, sous certaines conditions nécessairesà l'ordre général, ont de leur côté la liberté d'ensei-gner, ce n'est pas seulement le droit de l'Etat de dis-tribuer généreusement toutes les connaissances et demettre l'éducationpubliqueenharmonie avecles loisc'est une des conditions de son existence et un de sesplus impérieux devoirs.

Il faut aussi que, par une vigoureuse impulsionim-primée à l'industrie et aux arts, par de sages négocia-tions qui ouvrent des marchés au commerce, par unemploi utile de toutes les espèces de talents et deforces, par des institutionsdiverses destinées à préve-nir ou à soulager les situations les plus malheureusesde la vie, il ménage aux besoins matérielsune satis-faction légitime, il fasse de-la place pour toutes lesaptitudes, pour tous les genres d'activité, et en laissele moins possible à lamisère, cette conseillèredu mal,comme l'ont appelé les anciens.

Dans cette question de l'assistance que l'Etat doitprêter à l'individu, il y a deux erreurs à éviter aussidangereuses l'une que l'autre. Il faut se mettre engarde contre ce faux libéralisme qui, ne voyant pasdans la société de plus dangereuxennemique le pou-voir, s'occupe uniquementà l'énerver, à lui ôter toutein&uence, et voudrait réduire le gouvemementd'un

Etat aux attributions d'une simple police. n faut re-pousser également les utopies qui dépouillent, ei,pour ainsi dite, anéantissent l'individu au profit del'Etat; qui, pour ôter au premier tous les soucis de lavie, lui ôtent aussi l'usagede sa liberté, et font du se-cond un atelier,un comptoir, une église, tout, exceptéune société composée d'êtres raisonnables et libres.La société, à l'exemple de la divine providence, doitvenir en aide à l'individu sans porter atteinteà sa res-ponsabilitéet en lui laissant les obligations qui sontla source de sa dignité et de ses droits.

QUATRIEME SECTION

DBVOIRS DES ETATS ENTttE MX, DM NATtONSENTHE EUES, OU DROIT DES GENS

XXXIVObligations de l'hommeà l'égard de ses semblables transportées

de l'individu à une nation tout entière. Obligation derespecter une nationdans sa vie propre, c'est-à-dire danssa liberté et dans son indépendance. Obligation de res-pecter une nation dans son honneur et dans sa dignité.Obligation de respecter une nation dans ses biens ou dansson territoire.

Après les devoirs réciproques de l'individu et del'Etat,onestnaturellementamenéà rechercherquellessont lesobligations d'un Etat ou d'unenation à l'égarddes autres, ou quels doivent être, selon les règles dela justice, selon les lois éternelles de la morale, lesrapports mutuels des nations. On considère habi-tuellementla solutionde cette question commel'objetd'une science distincte,à laquelle on a donné le nomde droit des gens ou de droit international. Mais ledroit des gens, par ses principesessentiels, ne peut

être autre chose qu'une partie de la morale sociale

car, ainsi que les trois précédentes, il repose nécessai-rementsur les idées de droit et de devoir.

Lorsqu'ontraite du droit des gens, on se sert indif-féremment des mots Etat et nation. Cependant cesdeux expressionsne sont pas complétement équiva-lentes. Unenation, tantqu'elle conservesonindépen-dance, forme sans doute un Etat, c'est-à-direune so-ciété organisée, qui obéit à desloiset qui a son propregouvernement;mais un Etat n'est pas nécessairementune nation; car il peut être le résultat passager d'unevolonté souveraine ou d'une simple convention. Telsétaient, au commencement de ce siècle, la républiquecisalpine, le royaume d'Etrurie et celui des Pays-Bas. Qu'est-ce donc qu'une nation?

Il ne faut pas confondre les nations avec les races.Une race est composéed'hommes issus du mêmesanget qui appartiennent au même type sans appartenirnécessairement au même peuple et au même pays.Elle peutêtre dispersée sur toute la surface de la terresans perdre aucun de ses caractères, pourvu qu'ellereste pure de tout mélange. Une nation, c'est une association d'hommes et une suite de générations quiont joué un rôle commun dans l'histoirede la civilisa-tion, qui parlent la mêmelangue, qui ont concouruauxmêmeschefs-d'œuvre etexercélamême influence,quireconnaissentlesmêmeslois, lesmêmes traditions,lesmêmes intérêts, danslesquelscirculent,en quelquefaçon, la même vie, le même esprit, la même force,et à qui il est impossible de n'avoir pas conscience d~cette union. « Quand des millions d'hommes, dit ueillustre historien de nos jours (1), ont porté pendantdes siècles le même nom, parlé le même langage, re-

(1) M. Guizot, i'~ÏMe << la SecteftctfetMMM en «M, p. 168.

gardé les mômes grandshommes comme leurs pères,et les mêmes chefs-d'œuvre de l'esprit comme leurgloire commune, on est mal venu à leur refuser leurparenté intime et leur titre de nation. & Une nationpeut donc être considérée comme un être spirituel,comme une personne collective, qui a dans l'ordremoral le même ranget le même caractère que la per-sonne individuelle. De là le premierde ses droits le 1

droit d'être respectée dans son existence, ou ce qui,pour une nation, est exactement la même chose,dans son indépendance,dans sa liberté. De là aussile premierde ses devoirs le devoir de respecter l'in-dépendance et la liberté des autres nations.

L'indépendance des nations repose sur le mêmeprincipeet se justifie par les mêmes titres que la li-berté des individus.L'hommea des devoirs; donc, il ades droits,et tous ces droitsse résumentdans un seulla liberté, c'est-à-dire la propriété de soi-même, lepouvoirde disposer de ses forces, de son intelligence,de toutes ses facultés, d'une manière conforme auxlumièresde sa raison, aux inspirations de sa cons-cience, aux conseils de son intérêt, sous la seule con-dition de ne pas porter atteinte à la liberté de sessemblables et aux lois qui en assurent la jouissanceà la société tout entière. Une nation a son intelli-gence, c'est-à-dire son génie particulier, ses facultés,ses forces, dont elle a conscience comme l'individu,et dont elle ne doit compte qu'à elle-même, sous laconditionde respecterle même pouvoirdans les autresEtats. Une nation, comme nous l'avons dit, est unepersonne collective qui a les mêmes obligationset lesmêmes droitsque la personne individuelle. Il est donccriminel, quand elle n'a point mérité ce sort par uneinjuste agression, de l'opprimer, de l'asservir et plusencore de la détruire, même si cette œuvre de des-

traction ne devait atteindre que son existence poli-tique, c'est-à-dire son indépendance. Les actionsqu'on regarde comme un odieux attentat contre lesdroits de l'humanité,quandils'agit d'unhomme isolé,par quel miracle seraient-elles permises contre desmillions d'hommes réunis en un seul corps? L'espritde conquête a fait son temps iln'appartient plusqu'àune foule ignorante etbrutaled'applaudirauxexploitsde la force; la force doit être désormais au service dudroit. Or, encoreune fois, lepremierde tousles droits,dans l'ordreinternational,c'est qu'unenationn'appar-tiennequ'à elle-même, n'obéisse qu'à elle-mêmeou àunpouvoirde son choix.

Pour les nations comme pourlesindividus, l'invio-labilité de la propriétéestune conséquencenécessairede celle de la liberté et de la vie. Cette conséquenceest plusévidente encore, s'ilestpossible, dans le droitinternationalque dansles relationsd'hommeà homme*Une nation à laquelle on prend son territoire, mêmesi on lui permet de l'habiter, de le cultiver, de l'ex-ploiter commeauparavant, sous la seule condition depayer tribut, a cessé politiquement d'exister; elle aperdu son indépendance; elle est devenue sujetted'une nation étrangère. Il n'y a même pas d'autremoyen d'assujettir une nation que de s'emparer dupays qu'elle possède. Une telle action, quand ellen'est point expliquée par le droit de légitime défense,est tout simplement, comme l'appelle saint Augustin,un brigandageen grand (1). Pour comprendre à quelpoint elle est coupable, il fautse rappelerque le terri-toire d'une nation est autre chosequ'une propriété or-dinaire c'est le sol sacré de la patrie, la tombe desaïeux, le berceau des enfants, le foyer d'une vaste fa-

pL) QM)t<b !e<fM!<ttt<Mt.

mille. Lui imprimer le sceau de la domination étran-gère, ce n'est pas seulement une œuvre de spoliationinique, c'est un acte de profanation.

Il y a des Etats qui ne possèdent rien au-delà deleurs frontières. Mais il y en a d'autresqui entretien-nent à grands frais, sur les points les plus éloignés,des colonies, des comptoirs, des stations maritimes,des vaisseaux d'exploration, des escadres chargées de 1

protéger leur commerce et leurs intérêts extérieurs.Toutes cespossessions,sans inspirer le même degré derespect que le sol de la mère patrie, sont placées sousla garantie générale du droit de propriété. Ce n'estqu'aumoment où ellesperdentleurcaractèreinonensifpour devenir des instruments d'agression, que cettegarantiecesse de les couvrir.

Enfin, pour les Etats comme pour les individus, lepremier et le plus indispensable de tous les biens,c'est l'honneur. L'honneurn'est pas seulement néces-saire à l'indépendanceet à la vie d'une nation, c'estsa vie même dans ses rapports avec les autres Etats,c'est son indépendanc publiquementreconnue et ac-ceptée de tous. Unenationqui n'estpas respectée dansle libre usage de ses droits, qu'on peut outrager im-punément, dont la voix n'est ni consultée ni écoutéedans les discussions d'un intérêt commun, une tellenation n'existe pas pour les autres, en supposant quedans de pareilles conditions elle puisse exister pourelle-même. On se croira tout permis envers elle, et saruine suivra de près sa déchéance morale. L'insulte,la calomnie ne sont donc pas plus permises enversles Etats et les gouvernements qui les représentent,qu'envers les particuliers; on attente à leur indépen-dance par cela même qu'on les blesse dans leur hon-neur, et quand l'outrages'adresse à une nation faible,incapable de se détendre~ c'est joindre la lâcheté au

crime, c'est se déshonorer soi-même. Qu'est-ce quipeut d'ailleursporter les nationsà se haïr et à se mé-priser les unes les autres ? Ne sont-ellespoint sœurs ?tn'ont-elles pas à remplir les mêmes destinées, à ac-complir les mômes tâches, l'œnvretoujours inachevéeet indéfiniment perfectible de la civilisation? n'ont-elles pas plus à gagner à échangerles fruits de leurintelligence et de leur industrie qu'à s'opprimer et às'abaisser mutuellement?D'ailleurs, la plus avancée,la plus puissante par le génie et par la volonté, attiretout naturellementdans son orbiteet assujettitsansviolence à son action celles qui lui sont restées infé-rieures.

XXXV

Da droit de guerre. Quelles sont les conditions auxquellesla guerre devient légitime. Tonte nation a le droit de sedéfendre contre une agression injuste om de renverser lesobstacles qui s'opposentà l'exercice de ses droits. La rai-son moderne tend à modifier les notions anciennement re-çues sur le droit de guerre et de conquête.

Les devoirs qui obligent les nations à se respectermutuellement dans leur indépendance, dans leurhonneur et dans leurs propriétés emportent évidem-ment un droit de contrainte qui n'est lui-même quele droit de légitime défense,couronnement nécessairede tous les autres droits. C'est ce que nous avons re-marqué déjà pour les devoirs de justice qui obligenttout homme à respecterla vie, la liberté, l'honneur,les biens de ses semblables, et qui découlent immé-diatement des droits inhérents à notre nature. A quoinous servirait-il que ces droits fussent déclarés invio-lables par la conscience et par la loi s'ils pouvaientnéanmoinsêtre violés impunémentou s'il n'étaitpointpermis de les défendre par la force ?

Mais il y a ici une différencecapitale entre les individus et les nations. A l'exception doquelques rarescirconstances où il se trouve en présence de la forcebrutale sans pouvoirinvoquerla protection de lapuis-sance publique, l'individu n'exerce point par lui-même le droit de contraintequ'il possède sur un in-juste agresseur; il l'exerce par les mainsdo la société.

<C'est la société qui le défend toutes les fois qu'il estattaque. C'est la société qui se charge de punir le malqu'on lui a fait, et même c'est une des conditionsdel'ordre social qu'on ne se fasse pas justicesoi-même.Les nations, au contraire, sont les unes à l'égard desautres dans cette situationqu'on a appelée l'état denature, c'est-à-dire qu'elles ne reconnaissent pointdelois communes, au moins de lois écrites, ni de tribu-naux communs, et moins encore une puissance auto-risée à les faire néohir devant ses décisions, et ca-pable, au besoin, d'obtenir leur obéissance par laforce. S'il en était ainsi', elles cesseraient d'ôtre indé-pendantes, car elles auraient perdu la souveraineté.

Que faut-il donc qu'elles fassent lorsqu'elles sontinsultéesdansleur honneur,attaquées dans leurs pos-sessions et menacées dans leur existence, c'est-à-diredans leur iberté ? Il faut qu'elles se défendent elles-mêmes, et, quand le mal est consommé, qu'elles enexigent elles-mêmes la réparation, qu'elles se fas-sent justice elles-mêmes, qu'à la force qui les attaque,qui les blesse ou les dépouille, elles opposent laforce qui défendet qui répare. Ce droit daropousserla~force par la force s'appelle, quand il s'agit des Etats,le droit de guerre. Rien donc de plus incontestableque le droit de guerre, puisqu'il répond à celui de lé-gitime défense dont l'individu est autorisé à faireusageloin des secours de la société,et au droitde con-trainte que la société exerce à sa place et dans son

propre intérêt. Onpeutsouhaiterque le droit de guerredevienne un jour inutile; mais il est impossible de lerévoquer en doute. On peut espérer qu'il sera d'uneapplicationde plus en plus restreinte chez les peuplescivilisés mais se flatterqu'il disparaîtracomplétementà une époqueplusou moins prochaine, c'est se bercerde l'illusionque les passions humaines seront un jourentièrementdomptées par la raison. « La guerreseranécessaire, a dit un célèbre publiciste (1), tant qu'il yaura des hommes disposés à la violence et qui nevoudront point permettre aux autres de vivre enpaix,

Les mêmes raisons qui nous obligent à admettre ledroit de guerre déterminent les limites dans lesquellesil doit être circonscrit, ou nous apprennent dansquelles circonstances, sous quelles conditions laguerre est légitime. Puisque la guerre, considéréedans son principe, n'est que le droit de légitime dé-fense transporté de l'individu à l'Etat, ou le droit decontrainte qui au sein de l'ordresocial est exercé auprofit des devoirs de justice, il est évidentqu'il n'y ade guerres permises ou de ~tM~es guerres, comme di-saient les Latins, que les guerres défensivesourépara-trices, celles qui ont pour but de repousser une agres-sion inique ou d'obtenir la réparationd'un dommage.d'un préjudice matériel ou moral.

Quand on Justine au nom de la morale les guerresdéfensives, il ne faut pas prendre cette qualificationdans un sens trop restreint. Les guerres défensivesne sont pas seulement cellesqui repoussent l'invasionétrangère quand elle est déjà commencée ou lors-qu'elle est imminente; ce sont aussi celles qui lapréviennentet l'empêchent d'être jamais tentéecontre

(1) Grotius, DM« <h ta guerre et de ta f<t<<B,liv. 1, oh. H, S 8.

nous. Un Etat commerçant et maritime réclamequelque chose de plus que le respectde son territoireet de son indépendance intérieure; il lui faut la libertéd'échangerses produits avec les Etats étrangerset dese servir de l'Océan comme d'une grande route inter-nationalepour les transporteroù il lui plaît. Par con-séquent, quand cette libertélui est disputée, la guerrelui est permise, car la guerre n'est alors, comme dansle cas précédent, que l'exercice du droit de légitimedéfense. C'est le propriétaire défendant son biencontre celui qui veutl'empêcherd'entirer profit c'estl'industriel détendant sa liberté contre celui qui vou-drait paralyser son bras c'est le voyageur résistantà la force brutale, qui prétend l'arrêtersur un cheminpublic. L'Océanest, en effet, la propriété du genre hu-main. Personnene peut, sans usurpationet sans vio-lence, en réserver l'usage pour lui seul.

Le caractère défensifn'appartientpas moins claire-ment aux guerres que soutient une nation pourconserver l'influence qui lui est due dans les affairesdu monde, en raison de son rang et de sa situation.Ily a des questions internationalesqui sont, ou qui doi-vent être réglées en commun par tous les Etats inté-ressés,et lorsque,par lahaineou la jalousie des autres,l'un de ces Etats se trouve exclu de sa légitime partd'intervention,il n'excède pas son droit en la reven-diquant, s'il le faut, les armes à la main. Souscrire àsa propre déchéance,ce serait s'en rendre complice etcommettre, en quelque sorte, un suicidemoral.

Les guerres réparatrices ontordinairementpourbut,ou de nous faire restituerun bien qu'on nous a pris,un avantage matériel ou moral dont on nous a injus-tement privés, ou d'exiger la réparationd'un outragefait à notre honneur, d'un manque de respect enversle caractère public qui protège et fait reconnattre les

nations dans leurs mutuels rapports. Toute guerreprovoquéepar l'un ou par l'autre de ces motifsest légi-time, mais à la condition expresse de ne jamais dé-généreren une guerre de vengeance ou de s'arrêterdevant une satisfaction proportionnée au dommagesouffert. La vengeance est encore moins digne d'unEtat que d'un particulier,parce que le gouvernementqui le représente doit être au-dessus des passionsaveugleset étroites de la vie privée.

Enfin,il fautregarderaussicomme une juste guerrecelle qui a son principe dans un sentimentd'huma-nité, pur de toute pensée d'intérêt ou d'ambition;celle qui, respectant l'indépendance intérieure desnations, interviententre le fort et le faible, pour em-pêchercelui-ci d'être écrasé ou opprimé par celui-là,pour empêcher le premier d'abuser de sa force, et lesecond de succomberparsa iaiblesse. C'est une guerrede cette espèce que les grandespuissances de l'Eu-rope ont soutenue, en 1827, contre l'empireottomandans l'intérêtde la Grèce. On peut attribuer le mêmecaractère à l'expédition de Syrie, faite en 1861, parles armes de la France et avec le consentement de laPorte ottomane, pour protéger les chrétiens d'Orientcontre la férocité musulmane. Quand nous trouvonssur notre chemin un homme adulte qui maltraite unenfant, ou un homme valide qui abuse de sa forcecontre un malade, nous croyons qu'il est, non-seule-ment de notre droit, mais de notre devoir de voler ausecours de la victime. Pourquoi en serait-il autrement des nations ? Seulement, un Etat n'estpas auto-risé comme un individu à compromettre et même asacrifier son existence pour le salut d'autrui. Un Etat,quand il ne s'agit pas de ses intérêtspropres ou de sapropre dignité,est obligéde tenircompte de l'indépendance et de la dignité des autres Etats.

TI ne suffit pas que la guerre ait un but légitime,il faut qu'elle le poursuive selon certaines règles,hors desquelles il n'y a pour les nations ni sécuriténi honneur. La première, et la plus importantedeces règles, c'est que toute guerre doit être précédéed'une déclaration de guerre, et la déclaration elle-même ne doit venir qu'après des négociations re-connues infructueuses. Avant d'attaquerson ennemi,la justice exige qu'on soit autorisé à le tenir pourtel et, par conséquent, qu'il soit mis en demeurede nous donner satisfaction ou de réparerses torts.La justice et l'honneur tout ensemble exigent qu'onlui laisse le temps de se mettre en état de défense.Tomber à l'improviste avec toutes ses forces sur unennemi désarmé, ce n'est plus exercerun droit, c'estcommettre un acte de lâcheté et de per&die, qui nepermet plus à aucun Etat de se croire en paix avecses voisins, et fait de la guerre l'état permanent dela société. Un Etat représente une autorité pu-bliquequi, pour se faire reconnaître et respecterhorsdes limites de son territoire, est obligé de se con-former, dans la guerre commedans la paix, aux loisreconnues de toutes les puissances.La guerre, ennn,n'étant légitime qu'autant qu'elle est au service dela justice, est tenue, comme la justice, d'avoir sesformeset ses lois.

La guerre, à l'origine des sociétés humaines, n'apas été aussi malfaisante qu'elle l'est devenue dansdes temps plus civilisés. A une époque et chez desraces qui ne reconnaissaient d'autre ascendant quecelui de la force, elle a été un principe d'organisationet de discipline; elle a posé les premiers fondementslde la hiérarchie sociale et de la puissance politique;avec des races dispersées, elle a fait des peuples, etelle a mis les peupled les plus ignorants en commu-

nication avec les plus avancés, ceux de l'Asie avecles Grecs,les Grecs avec les Romains, et les Romainsavec le reste du monde. La guerre, en réduisant lesvaincus en esclavage, et en chargeant les esclavesdes travaux les plus rudes et les plus grossiers, a faitaux hommes libres le loisir nécessaire pour créer etperfectionner les arts, les lettres, les sciences, la phi-losophie, la législation. C'est ce qui nous explique leprestige extraordinaire qui s'est attaché pendantlong-temps à la guerre et aux guerriers,comment la pro-fession des armesétait réputéelaplus noble do toutes,et même la seule noble, comment le droit de conquêteavait fini par devenir la source de toute autoritéet lefondement de tout autre droit.

Mais avec le temps, les conditions morales et éco-nomiques de la société se sont modifiées; les idéesde justice, de charitéetde fraternitéhumaine,quoiquereléguées encoredans le domaine de la théorie, se sontrépanduesdans tous les esprits; le travail est devenuune nécessité plus générale, et a créé l'industriequi, à son tour, a donné l'essor au commerce. L'in-dustrie, appelant à son aide l'art et la science, a ac-quis une dignité que les générations antérieures nesoupçonnaient point et qui s'est communiquée deproche en proche à toutes les classes laborieuses; lesentimentde la liberté et l'amour de la paix se sontdéveloppés dans les mêmes proportions; et l'opinionpubliqueen est venue aujourd'huià regarderla guerrecomme un héritage des temps barbares, comme uninstrument de servitude, comme un fléau pour levainqueuraussi bien que pour le vaincu. Le droit deconquête n'est plus que 1 abus de la force brutale,auquel on cherche a substituer partout le libre sut"frage des nations.

XXXVI

Différence entre le droit des gens naturel et ie droit des genspositif. -Les relations internationales, soit qu'on les ocnsi-jere au point de vue des principes essentiel de la justice,ou au point de vue des conventions positives et des usagesqui les règlent, ont varié selon les différentes époques del'histoire. Exemples.

Fondés &<~ la seule autoritéde la raison, dépourvusde toute autre sanction que l'estime et le mépris dela partie la plus éclairée du genre humain, ou l'ap-probation et le blâme de l'opinionpublique,les prin-cipes que nous venons d'exposerconstituent,dans seséléments les plus généraux, ce qu'on est convenud'appeler le droit des gens naturel. Mais 'indépen-damment de ces règles inhérentes à la nature del'homme, et quoique l'homme n'en ait pas toujoursconscience, les nations, dans leurs mutuels rapports,en reconnaissentd'antres qui sont consacréespar l'u-sage, par la tradition, par des conventions tacites ouécrites. Celles-ci formentdans leur ensemble le droitdes gens positif.

Le droitdes genspositif remonteaux premiersjoursde l'histoire; on peut dire qu'il est aussi ancien quela société. Dès que deux peuples, deux Etats se sonttrouvés en présence l'un de l'autre, ils ont été obligésde convenir de certains usages sans lesquels il leurétait impossible de s'entendre, de se faire connaîtreleurs dispositions réciproques et, par conséquent,d'a-voir un instant de paix et de sécurité. C'est ainsi quetoute guerrefaiteà l'improviste,sansavoir été déclaréed'unecertaine façon, fut réputée injuste; que la per-sonne des parleme Jtaires et des ambassadeurs fut re-connue inviolable; que le respect des traités et desserments fut reconnu la plus sainte des obligations.

Outre ces conventions générales, reçues de tontes lesnations, on compte une foule de traités particnliersdont plusieurs appartiennentà l'âge biblique et sontcontemporains de Moïse.

Aux différentes règles internationales qui pren-nent leur source dans la nécessité, dans l'intétét et leconsentement communs, sont venues se jo:ndre, sousl'inspirationde la philosophie et de la religion, desmaximes plus généreuses et plus élevées. Platon neveut pas que les Grecs se réduisentmutuellement enesclavage.Les stoïciens, considérant le mondecommeune seule cité, le genre humain comme une seuh;famille, étendent à tous les peuples sans exception lesloisde l'humanitéet de la justice. Aristotepropose derégler et de discipliner jusqu'au droit de conquête.Les théologiens du moyen âge et de la Renaissanceessayent de limiter le droit de la guerre aux guerresdéfensives. Les philosophes et les jurisconsultes decette époque souti nnent la même cause et s'efforcentde faire prévaloir dans les relations internationalesles principes d'équité que leur avait enseignés l'étudedu droit civil des Romains. Quelques-uns d'entreeux défendent particulièrement l'inviolabilité desambassadeurs, d'autres le droit des neutres et d'autresle droit de libre navigation.Toutes ces idées, recueil-lies, développées et présentées dans un ordre systé-matique, ont donnénaissance à une science distincte,la science du droit des gens, dont Grotius peut êtreconsidéré comme le créateuret qui a eu pour princi-paux interprètes, au xvu" et au xvm" siècle, Puf-fendorf, Leibnitz, Wolf, Burlamaquiet Vattel.

La science du droit des gens, comme toutes lesautres branches des connaissances humaines,commela morale elle-même, dont etie n'est qu'une des appli-cations les plus importantes, s'est développée et per-

fectionnée avec le temps, à mesure que la consciences'est dégagée de la passion et des grossiers instincts,à mesureque la raison,éclairée par l'expérience,a puse convaincre que rien n'est plus avantageux auxnations comme aux individusque la pratique de 1&justice. Naturellementles progrès accomplis dans lascience du droit des gens sont entrés peu à peu dansla pratique des gouvernements et ont établi entre lespeuples de meilleurs rapports;mais il est aussi arrivéquelquefoisque les faits ont devancé la science et quele progrès moral, sollicite par l'intérêt, par la néces-sité ou par la conscience publique, a passé de la pra-tique dans la théorie.

Voici quelques exemples de ces changements heu-reux que le temps a amènes dans les relations inter-nationales.

Pendant longtemps, l'état de guerre était l'état per-manent des nations. Tout peuple étranger était re-gardé comme un peuple ennemi. On connaît lahaine et le mépris des Grecs et des Romains pour lesBarbares,qui leur rendaient cessentiments avecusure.Plus tard, quand, sur la foi de l'Evangile et du Pen-tateuque, fut proclamé le dogme de la fraternitéhu-maine, les haines de religion prirent la place deshaines nationales; on regarda comme un devoir l'ex-termination des hérétiques~t les expéditions arméescontre les im&dèles. Ces idées ont trouvé des défen-seurs, même parmi les jurisconsultes, jusqu'au mi-lieu du xvr* siècle. Encore ne peut-on pas dire queles hainesnationales aiententièrementdisparu devantles haines religieuses; la guerre de Cent-Ans suffiraità elle seule pour démontterle contraire. Quanta lamanière dont se faisait la guerre, on n'imagine riende plus violent ni de plus cruel. Des populationsentières,y compris les femmes, les enfants et les

vieillaras,étaientmassacrées,outransportéeseama&Mdans d'autres contrées, ou vendues comme esclavessur les marchés. Le vaincuétait la propriétédu vain-queur ceux qui avaient fait leur devoir en défendantleurpays mouraient, comme Vercingétorix,de la maindu boureau, heureux encore lorsqu'avantde subir ledernier supplice ils n'avaientpas été, à la suite d'unchar triomphant,livrésà la risée d'une vile populace.

Aujourd'hui,la guerreest devenue l'exception l'opi-nion publiquene la reconnaît pour légitime que lors-qu'elle a pour but la défense des droits qui sontl'honneur, l'indépendance et la vie d'une nation.Toutes les rigueursinutilesà l'accomplissement de cedevoir lui sont expressément interdites. La vie desprisonniers recueillis sur le champ de bataille est de-venue inviolable,à plus forte raison celle des popu-lations désarmées. On croit s'honorer soi-même enrendanthommage au courage malheureux,et chacunedes deux partiesen présence ne traite pas avec moinsd'humanité les blessés de l'ennemique les siens.

La guerre, autrefois, était tellement la loi généraledu monde, que la neutralité était impossible auprèsde deux nationsarmées l'une contre l'autre. Dansau-cune langue de l'antiquité on ne trouve un mot quis'appliqueà cette situationet qui traduiseexactementce que nous entendons par un peuple neutre. C'estque les anciens n'admettaient pas le droit de resteren paixquand on avait la guerre auprès de so:. Ceuxqui n'étaient pas des alliés étaient réputés des enne-mis. Il en était de même au moyen Age et au com-mencement de l'ère moderne. Même au milieu.du xvn" siècle, après que Grotius eut publié son~cMM~e ï<tgwM'e e< de la paix, après tant d'autrestraités du droit des gens qui ont succédé à celui-là,les neutres étaient sacrifiés aux belligérants. An

nom du prétendu droit de la nécessité, les dernierss'arrogeaientsur lespremiers un pouvoirpresque illi-mité ils se croyaient permis de traverser le territoireneutre avec leurs armées,de s'emparerdes forteressesneutres et de les démolir, de prendre sur mer desbâtimentsneutres chargés de marchandisesdestinéesà l'ennemi ou utiles à eux-mêmes, de paralyserleurcommerce en proclamantdes blocus purementactifs.Ce pouvoirn'était pas seulementrevendiquéen théo-rie, il était exercé en fait jusqu'au commencement denotre siècle. En 1801, la flotte danoise, à laquelle onn'a pas d'autre crime à reprocherque sa neutralité,est détruite par les Anglais. En 1807, c'est la capitaledu Danemarkqui est bombardée par la même puis-sance et pour lamême cause.

De nos jours, ces barbariessont flétriespar le droitdes gens, comme elles le furentautrefois par la cons-cience publique.Aujourd'hui,lapropriétéet la libertédes neutressont également respectées. On ne leur in-terdit que la contrebande de guerre, c'est-à-dire lecommerce des moyens de destruction qui pourraientservir à une des partiesbelligérantes contre l'autre.Le traité de Paris du 16 avril 1856 abolit cette pira-terie légale qu'on appelle la course, déclare que lepavillon neutre couvre la marchandiseennemie, etque la marchandiseennemie, à l'exception de la con-trebandede guerre, n'est pas saisissable sous pavil-lon neutre; enfin, qu'il n'y a de blocws obligatoiresque les blocus effectifs. Jamais le droit des neutres,c'est-à-dire, pour l'appeler de son vrai nom, la libertéinternationale,n'avait fait d'un seul coup de plus im-portantesconquêtes.

L'institution des ambassades et des délégationsdiplomatiques, si nécessaires au bon accord despuissances,nous offre une autre preuve des progrès

amenés par le temps dans Jes relations des peuptescivilisés. Les nations de l'antiquité ne connaissaientque desmissionsdiplomatiquespurementtemporaires.Lorsqu'elles pensaientqu'il y avait lieu de conférerensemble, soit pour régler un différend,soit pourcon-clure un traité, elles envoyaient les unes chez lesautres, avec les qualités d'ambassadeurs, leurs ora-teurs ou leurs hommes d'Etat, qui, leur mission unefois remplie, retournaientprès de leurs concitoyens.Il s'en fallait de beaucoup que l'inviolabilité qui leurétait attribuéepar l'usage fut toujours respectée. Cetétat de chosesse reproduitet se prolongependanttoutela durée du moyen âge. Ce n'est qu'au milieu duxvn" siècle, après lapaixde Westphalie,que les droitsdes ambassadeurs sont formellementreconnus et queles légations diplomatiques revêtent, dans tous lesEtats de l'Europe, le caractère d'une institution per-manente. Ce changement, devenu nécessaire parsuite de l'extension des relationscommerciales,l'étaitsurtoutaupointdevuepolitique.Il oftraitauxgrandespuissances lemoyen de se surveillerréciproquement etde conserver l'équilibre établi entre elles par les trai-tés. C'était un gage donné à la paix et à la sécuritégénérales.

Depuisenviron un demi-siècle,les relations entreles puissances européennes sont devenues encoreplusfréquentes, et, si l'on peut parlerainsi, plus intimes,plus profitables à la cause de la justice et de l'hu-manité. C'est dans ce laps de temps, relativement sicourt, que sont intervenuessuccessivement les con-ventions qui ont aboli la traite des noirs et la coursemaritime, assuré la répression des crimes par l'extra-ditionréciproque des malfaiteurs/garantiles droits dela propriété littéraire et artistique, affranchi la navi-gation de ses anciennes entraves et préparé les voies

à la liberté du commerce. Quand on considère queles chemins de fer et le télégraphe électrique, en met-tant les peuples en contact perpétuel les uns avec lesautres, ont pour effet nécessaire de diminuer leursdénances et d'accroîtreleurs sympathies réciproques,il est permis d'espérer que le droit des gens n'a pasdit son derniermot; mais que de nombreux et impor-tants perfectionnements lui sont réservés dans l'ave-nir

CHAPITRE III

DEVOIRS DE L'HOMME ENVEBS LES ÉTBES KfFÊNEONS

A LUI

XXXVIIL'homme a des devoirs & remplir dans ses rapports avec la

nature on avec les êtres inférions. Soit qu'on les fasserentrer dans la morale individuelle, ou dans la morale so-ciale, on dans la morale religieuse, soit qu'on leur assigneune place à part dans la division de la morale, ces devoirsne doivent pas être négliges. Comment nous devonstraiter les animaux. Loi Grammont. Usage que nousdevonsfaire des chosesinanimées.

Nous venons de passeren revue les devoirs quiunissent les hommes entre eux à tous les degrés del'ordre social, depuis les relations purement indivi-duelles jusqu'à celles qui font la base du commerceréciproque des nations. Mais l'homme n'a-t-il de de-voirs qu'envers lui-même et enversses semblables?yN'est-il obligé à rien à l'égard des êtres inférieursàlui, et cependant capables comme lui, quoiqn'a unmoindre degré, de jouissance et de peine, de haine etd'amour, de souvenir et de prévoyance?N'est-il tenua aucun ménagement à l'égard de la nature animale,

quelque degré dedéveloppementquepuissentatteindreen elle la sensibilité et l'intelligence ? Est-il dans sondroit d'oser comme il lui plaît et, par conséquent,d'abuser, même de la nature brute et des objets ina-nimés ?

De devoirs dans le sens propre, dans le sens rigou-reux du mot, il n'y en a pas envers les êtres, quelsqu'ils soient, qui sont placés au-dessous de l'huma-nité car un devoir supposenécessairementun droit,et un droit suppose un agent moral, une force libreet intelligente,une personne faite à l'image de la per-sonne humaine. Or, il n'existe rien de semblable,même chez les animaux de l'ordre le plus élevé. Lalibertéleurmanqueentièrement,et lorsqu'ilssemblentfaire un choix, c'est toujours sous l'influence d'unesensation présente ou à venir. Leurs accotions, quandils sont capables d'en éprouver, sont individuellesetinstinctives comme celle de la mère pour ses petits,comme celle du chien pour son maître. Leur intelli-gence ne s'élève pas au-dessusde la perception ou dela comparaison des faits sensibles. Les traits de saga-cité, de prévoyance ou de mémoire qui sont attribuésà quelques-unsd'entre eux ne dépassent jamais cettelimite et ne laissentpas soupçonner la présence d'uneidée générale, ou simplement d'une idée. Tout seréduit à des perceptions isolées et à de pures images.

S'il en est ainsi des animaux supérieurs,que pen.ser de ceux qui ont encore une moindre part aux libé-ralités de la nature? Comment nous figurer une obli-gation à remplir à l'égard d'un poisson ou d'unreptile? un droit à respecter dans un mollusque oudans un insecte? D'ailleurs, nous n'aurions aucuneraison, en descendant aussi bas, de nous arrêter de-vant la plante qui, elle aussi, participe aux dons dela vie, et, dans quelques espèces, à ceux de la sensi-

MIité. Entie la plante et le minéral, le passage est biendifficile, la limite bien indécise. Nous serions doncdans la nécessité de faire un pas de pluset d'attribuerdes droits, c'est-à-dire une capacité morale, à toutl'univers. Une telle propositionest absolument insou-tenable et ne peut se défendre qu'avec la doctrine dela métempsychose ou celle qui divinise le monde.C'est nier le droit et le devoir que de les profanerainsi; c'est effacer toute différence entre l'homme etles œuvres les plus infimes de la créationque d'ima-giner qu'il puisse être, (~s une mesure quelconque,en communauté morale avec elles. Oui, on l'a dit avecraison, l'homme est le Mi de la nature il n'y trouveque des sujets, et pas un concitoyen, c'est-à-dire pasun être qui approchede son rang. S'il lui est impos-sible de croire que tout s'est fait pour lui, du moinsa-t-il le droit de se servir de tout dans les limitesdeson pouvoir. Il n'a d'obligationqu'envers lui-même,nous voulons dire envers la naturehumaineprisedansson unité, et envers l'auteur de son existence.

Ainsi, il n'existe rien dans la nature des êtres in-férieurs à l'homme d'où l'on puisse conclure qu'ilsont des droits et que nous avons envers eux des de-voirs comme la conscience nous en prescrit les unsenvers tes autres. Mais à l'occasion des actes quenous pouvons faire subir à ces êtres, à l'occasion dela puissance que nous exerçons sur eux et des diffé-rents usages auxquels nous les faisons servir, nousavons des devoirs à remplir envers nous et envers lasociété. En effet, nous sommes obligés en tout temps,quelsque soient les objets en présence desquels noussommes placés, de respecter notre raison et notreliberté, de ne rien faire qui soit capable de nousavilir, de nous dégrader, de nous abaisser au rangde ces créaturessubalternessur lesquelles nous nous

arrogeons avec justice un pouvoir illimité. Dèslors, comment nous serait-il permis de les détruirefollement, de les faire souffrir quand ce sont desêtres animés,pour nous repaître de leurs souffrancesou pour assouvir noire colère? S'emporter contreun animal sans raison, qui ne peut comprendre ousatisfaire nos exigences, n'est-ce point se p!aeer àson niveauet se conduire comme un être souveraine-ment déraisonnable ? Maltraiter une pauvre créaturesans défense, c'est se montrer à la fois cruel et lâche,c'est manquer à soi-même de deux manières, c'estencourirune double déchéance.

Les actes de cruautéenvers les animauxne sont pasmoins nuisibles à ceux qui en sont témoins et à lasociété qui les supporte dans son sein, qu'à ceux quiles accomplissent. Ou ils blessent le sentiment de lapitié, ou ils ont pour effet de l'affaiblir et même del'éteindre en accoutumant les hommes au spectaclede la souffrance. Dans l'un et l'autre cas, ils sontmalfaisants, et la société a le droit de les réprimer.La société fait bien do ne pas souffrir qu'on expose àses regards des faits qui l'aflligent sans nécessité etqui menacent de la corrompre, des exemples debrutalitéet do violence qui, en commençant par lesanimaux, pourront bien finir par l'homme.

C'est par ce principe que se justifie la loi françaisedu 9 juillet 1850, autrement appelée la loi Grammont,qui prononce la peine de l'amende et de la prisoncontre ceux (ce sont les termes de la loi) qui aurontexercé publiquement et abusivement des mauvaistraitements enver& les animaux domestiques. & H nefaut rien moins en effet que les trois circonstancesenumérées dans ce texte pour que la société ait !edroit d'intervenir il faut qu'il y ait abus, c'est-à-diremauvais traitements inutiles et excessifs; il faut

qu'il y ait publicité, autrement l'intérêt social a'estpas en question; il faut enfin qu'il s'agisse, non desanimauxqui sont nuisibles à l'homme et contre les-quels la guerre est permise,mais de ceux qui le nour-rissent et qui l'aident dans ses travaux.

Ce n'est pas la première fois que la loi, que la reli-gionmême a pris sous sa protection les animauxutilesou inoffensifs. Nousne parlerons pas de la loi indienne,de la législation de Manou, qui interdit la destruc-tion de tout être vivant, parce que dans tout êtrevivant elle aperçoit une âme qui a pu appartenirau-trefois à une créature humaine. Poussée à cet excès,la pitié envers les bêtes est l'oubli des droits et de ladignitéde l'homme. Mais le Pentateuque revient àplusieurs reprises sur ce sujet avec une sollicitudequi n'a été égalée par aucune législationmoderne.Il défend de mutiler les animauxet de les faire souf-frir, d'égorger le même jour la mère et son petit,de museler le bœuf qui triture le blé et d'attelerensemble l'âne et le bœuf, sans doute dans la crainteque le plus faible des deux ne soit surmené s'il resteen arrière du plus fort. Quand on rencontre sur soncheminl'âne ou le bœuf de son ennemi succombantsous sa charge, il veut qu'on l'aide à se relever, en-seignantainsi dans un même précepte le pardon desinjures à l'égard des hommes et la pitié envers lesanimaux.

Si l'on connaissait mieux la sagesse qui a présidéaux œuvres de la nature, si l'on savait ce que con-tient de merveilles la structure du plus humbleinsecte, on ne se borneraitpas à ménagerles animauxqui peuvent nous servir, mais toutes les fois qu'onn'y verrait aucun dommage pour soi-même, onépargneraittout être vivant par respectpour l'art, neoraignons pas de due pat respect pour l'artiste ia"

comparable qui l'a produit. Une fleur même qui nenous gêne pas et que nous n'avons aucun motif dedésirer, serait sacrée pour nous. Ainsi comprise, lapitié que nous témoignons à la créature est un hom-mage rendu au Créateur.

Les règles de conduite que ta saine morale nousprescrit envers les animaux nous indiquentcelle qu'ilnous convient d'observer à l'égard des choses inani-mées. Dans ce dernier cas comme dans le premier,nous sommes obligés de tenir compte de ce que nousdevons à nous-mêmes et de ce que nous devons ànos semblables. Nous nous devons à nous-mêmes den'user des choses, que d'une manière raisonnable.Or, ce n'est pas ainsi qu'en use l'avare, ou le pro-digue, ou l'homme violent, qui s'emporte contre lamatière, comme le chien qui mord la pierre dont ila été frappé qui se laisse dominer par ses capricesou ses aveugles colères jusqu'à n'être plus qu'uneforce inintelligente, un agent de destruction. Si fu-gitifs que soient ces mouvements, ils n'en sont pasmoins une humiliationet une chute, une infractionà la loi qui nous commande de nous respecter, doveiller à notre conservation morale avec autant etencoreplusdesollicitude qu'à notre conservationphy-sique.

Nous davons à nos semblables de ne rien détruirequi puisse servir à leur usage, de ne point profanerpar un emploi indigne les œuvres de la nature oudol'industiiequi sont propres à une destinationplusélevée, de ne point jeter aux bêtes ce qui peut êtreutile ou agréable aux hommes. Mais les objets ma-ibtiels que nous devons épargner avec le plus desoin, ce sont ceux que le génie a transformés à sonimage et rendus dépositaires de sa pensée, ceux quele temps recommande à notre vénération comme

les témoins muets de la vie de nos ancêtres; ce sont,en un mot, les œuvres de l'art et les monuments del'histoire. Parce que les idées qu'ils expriment nesont plus les nôtres, ce n'est pas une raison et celane nous donne pas le droit de les anéantir; ce sontdes anneaux précieux de la chaîne mystérieuse quirelie entre elles les générationshumaines.

CHAPITRE IV

DEVOIRS ENVERS DIEU OU MORAL)! RELIGIEUSE

XXXVIIILa motale religieuseest le couronnementnécessaire de la mo-

ralo. La morale religieuse a pour fondement la croyanceà l'existencede Dieu. Principales preuves de l'existencede Dieu preuves tirées de la nature inorganique, de la na-ture organisée, de t'oneemMe deafacuMsde l'Ame humaine,de la raison, du sentiment.

L'homme n'est pas seulement en rapport avec lanature,avec la société et avec lui-même; au-dessus deces trois sortesd'existences,il en conçoitune autre aveclaquelle il n'a jamais cessé de se croire en communi-cation par ses actions, par ses pensées et par ses sen-timents. Dieu a de tout tempsoccupé son coaur et sonesprit. Dieu a un nom dans toutes les langues, siincultes et si barbaresqu'ellespuissent être; il a uneplace dans l'histoirede tous les peuples; il est invo-qué en téte de tous les codes; il a inspiré à la poésieses plus beaux chants et à l'art ses œuvres les plusaccomplies; il est l'objet des méditationsde la phi-losor hie aussi bien que des enseignements de la reli-gior à lui s'adresse toute prière; à lui remonte tout

sacrifice; à lui s'attachent les dernières espérances dece monde. La morale serait donc inachevée si p!)c

ne s'élevait pas jusqu'à lui, si elle ne cherchait pasquels sont les liens qui nous unissent à lui, quelssont les devoirs que nous imposent notre nature et lasienne.

Notre premierdevoir envers Dieu, c'est de le con-naître, et, pour le connaître, il faut que nous commen-cions par être convaincus de son existence. Quelleautre obligation nous pourrions-nous reconnaîtreenvers lui si nous n'avionspas d'abord rempli celle-!à?D'ailleurs,le plus bel hommageque nous puissionsrendre à l'auteur des choses, c'est de faire remonterjusqu'à lui l'intelligence dont il nous a doués et de =chercher partout les traces de sa présence et les mar-ques de sa perfection.

L'existence de Dieu nous est attestée à la fois parla nature, par la conscience de l'homme et par les

=lois mêmes de l'intelligence, par les conditions es-sentielles de la pensée. De là l'usage de diviser lespreuves de l'existence de Dieu en trois classes lespreuves physiques, les preuves morales, les preuvesmétaphysiques.

Pourêtre assuréque la naturene peutêtreque l'œuvred'unecause intelligente, infinie en puissance commeensagesse, il suffit d'ouvrir les yeux. Soit qu'on les lèvevers la voûtecéleste, soit qu'on les abaisse sur la terre,soit qu'on se plaise à contempler par une belle nuitles sphères enflammées qui peuplent l'espace, soitqu'on étudie avec patience la structure d'un animal,d'un insecte,d'une plante, on restefrappéd'admirationet d'étonnement. Quelle magnificence, quelle harmo-nie, quelle sublime majesté dans l'ensemble1 Quelartconsommé,quelle scienceprofonde, quelletendrepré-voyance et généralement quelle grâce exquise dans

les détails! Il fautque le témoignage rendupar l'uni-vers à son auteur soitbien éloquentpourqu'on ait pudue il y a trois mille ans « Les deux racontentlagloire de Dieu, et le firmamentnous dit les œuvres deses mains (1). Que devons-nousdonc penser aujour-d'hui que l'astronomiea, pour ainsi dire, reoulé lesbornes de l'immensitéetque dans chacunedes étoilesqui brillentetae pressentdansson soinelle nous faitapercevoir un monde? Ces mondes innombrablesnesontpointsemés au hasard;ils se divisent par groupesqui ont leurs centres et leurs circonférences;ils obéis-sent à des lois immuables; ils sont poussés et retenuspar des forcesqui se balancententre elles et justifientla légende de Pythagoresur l'harmonie des sphères.

Est-oe le hasard qui a produit cesmerveilles P TEst-

ce la matière qui s'est ainsi coordonnée d'elle-mamepar sa propre énergieet suivant des lois qui lui ap-partiennent ? Le hasard est une idée purementnéga-tive. Il signifie l'absence de toute cause ou une causeinintelligente.L'absence de toute cause est inadmis-sible pourexpliquer un effet quelconque, à plus forteraison un effet comme celuiqui se déroule sans inter-ruption dans l'espace infini. Une cause inintelligentene peut pas nous rendrecompte de l'ordreet de l'har-moniede l'univers.Si cette raisonsumtpourrepousserle hasard, elle sumt aussi pour repousser la matière,car une des propriétésles plus essentiellesde la ma-tière, la divisibilité, exclut formellement l'intelli-gence. A parler exactement, la matière, composéed'atomes, n'est pas un seul être, une seule existence,mais unnombreinfini d'existences, d'éléments brutssusceptibles de combinaisons également infinies.Comment cette vile multitude, privée de vie et de

(t) Pammeade Da~H, psMmexn.

pensée, comment ce chaos abandonne à lui-mêmeaurait-il produit ce monde admirable, dont le nomsignifiel'ordre et labeauté ? Ce n'est pas tout. Quandon veut se passer de Dieu et mettre la matière à saplace, on est forcéde croire que la matière a toujoursexisté, qu'elle est éternelle et nécessaire. Pourquoidonc la matière aurait-elle toujours existé et Dieun'existerait-il pas? Pourquoi, pour nous servir destermes de Bossuet, l'imparfait serait-il et le parfaitne serait-ilpas? Vous refusez de croire à l'existencede Dieuqui sumtà tout, qui est la raisonde tout, quiest la solution de toutes les énigmes de la nature, etvous croyez à l'éternité de la matière qui ne suffit àrien, qui ne peut rien nous expliquerpar elle-mêmeet par elle seule, qui nous laisse aussi embarrassésdevant le spectacle de l'univers que si l'universavait commencé sans cause. On ne conçoit pas uneplus choquante contradiction.

Nous venons de parler des merveilles du ciel ou dela nature inorganiqueconsidéréedans samajestueuseunité; celles de l'organisation et de la vie ne sontpas moins belles à contempleret ne nous offrent pasune preuve moins irrécusablede l'existence deDieu.Danstout être vivant, qu'il appartienneau règne ani-mal ou au règne végétal, nous apercevons clairementun dessin,un plan, une idéepréconçue. Les élémentsmatérieb ou chimiques dont ce corps vivant est com-posé se combinent de manièreà former plusieurs or-ganes. Tous ces organes, dessinés d'après un modèleinvariable que les lois de la chimie et de la physiquesont incapables de nous expliquer, ont la compositionet la forme les mieux appropriées a leurs fonctionsrespectives. Par exemple, l'œil est faitpour voir, l'o-reille pourentendre, les pieds pourmarcher, les ailesde l'oiseaupourvoler,lesmains de l'hommepourexo-

outertes ordres d'une volonté intelligente, et il fautpousser bien loin l'esprit de système ou de paradoxepour contestercette proposition. Toutes les fonctions,exécutées sous l'empire d'un instinct inné et infail-lible, se coordonnent de telle sorte qu'elles conspirentà un but commun la conservation temporaire del'individu et laduréeperpétuelle de l'espèce. L'espècenous présente dans son ensemble l'idée généraledont l'individun'est qu'une réalisation plus on moinscomplète. Aussi les espèces n'aoceptent-elles jamaisdes mains de l'homme que des altérations superfi-oiellesou fugitives. Les produits de deux espècesdif-férentes n'ont pas le don de la féconditéou ne l'ontquepour un nombrelimitéde générations. Enprésencedecesdessinssi nettementaccusés,de oesplanssi savam-ment conçus, si admirablementexécutés et coordon-nés dans leur variété prodigieuse,comment se refu-ser à les faire remonterà une suprême intelligence?L'intelligence que nous révèle la nature vivantenous offre un caractère plus élevé que celle qui pré-side à la nature inanimée c'est l'intelligenceunieà]a bonté, l'intelligenoe qui prévoit les besoins de lavie et y pourvoit avant même que la créaturene soitnée ce n'est plus simplement, selon les expressionsde Leibnitz, l'étemel géomètreou l'architectede l'u-nivers eest la divine providence.

Les espèces vivantes ne reçoivent pas seulementde lanature les organes nécessaires aux fonctions dela vie; la plupart d'entre elles, animaux et plantes,ont reçu, en outre, l'attribut de la beauté. Leurs for-mes élégantes, leurs brillantescouleurs, la grâce oula majesté de leurs mouvements en font la parure dela terre et l'orgueil de la création. L'homme,plusrichement pourvu de ce don précieux que tous lesautresêtres réunis,estpour lui-même un objet d'imi"

tations intarissableset de nobles contemplations. Cecaractère étant également répandu dans la structuregénérale du monde, telle qu'elleapparaît, dans cer-tains moments, ànos yeux éblouis, on peut dire quel'auteur des choses se révèle aussi à nous comme unartiste divin dont les oeuvres répondent à un idéaléternel, modèle invisible de toute beauté terrestre.Commentse persuaderque l'existence de l'artiste quia fait les fleurs, les animauxet les hommes, qui adonné au soleil son éclatante lumière, qui a déchaînéles vagaes de l'Océan et fait jaillir de la terre leschaînes de montagnes, soit moins bien démontréeque celle du sculpteurinconnu à qui nous devons laVénusde Milo ou l'Apollondu Belvédère?t

En passant du règne organique et de la nature engénéral à la nature humaine, nous faisons un nou-veau pas dans la connaissance de Dieu et nous trou-vons, pouraffirmerson existence,des raisonsd'autantplus persuasives qu'elles sont prises en nous-mêmes,qu'elles nous sont fournies par notre conscience.Nous sommes des êtres pensants, nous sommes desêtres libres, nous savons discerner entre le bien et lemal. Cette pensée qui est en nous ne saurait venir dela matière qui ne pense pas. Cette liberté qui est ennous ne saurait venir d'une substance qui obéit àdes forces aveugles et ne reconnaît que l'empire dela nécessité. Enfin, l'empirede la nécessité supprimetoute différence entre le bien et le mal et rend im-possible la notion du devoir. Donc, il y a au-dessusde l'homme et au-dessus de la nature un être pen-sant, un être libre, un suprême législateur,qui estle principe de la pensée et de la liberté, qui est leprincipe de la loi régulatrice des actions humaines.Dieu alors apparaît à notre esprit non plus seule-ment comme l'auteur et la providence du monde,

mais oomme le Dieu de la conscience, comme lePère du genre humain comme le législateur dumonde moral.

La croyance en Dieu est tellement essentielle ànotre nature, qu'on la trouve,comme nous l'avonsditen commençant, chez tous les peuples, à toutes lesépoques de leur histoire.Des qu'on aperçoit un cer-tain nombre d'hommesréunis en société, on peut êtresur que, sous une forme ou sous une autre, ils recon-naissent et invoquent une puissanceinvisible,mat-tresse de la nature et d'eux-mêmes, arbitre suprêmede leurs destinées. Ce fait, qu'on a vainement cher-ché à obscurcir par quelques rares et douteuses ex-ceptions, ce consentement unanime des nations àregarderle monde comme l'eSet d'une volonté in-telligente, c'est ce qu'on appelle habituellement lapreuve morale de l'existence de Dieu. Mais cettepreuve n'ajoute rien aux précédentes; elle n'en estque la manifestation historique.

La nature de quelques-unesde nos idées, de cellesqui constituenten quelque sorte le fond invariable denotre raison, nous démontre l'existence de Dieu avecnon moins decertitudeque l'ensemble de nos facultés.Comment, par exemple, finis et imparfaits commenous le sommes, n'apercevanthors de nous que desêtres imparfaitset finis, aurions-nous l'idée de l'in&niet de la perfection, si cette idée ne nous venait pasd'unôtrequi possèderéellementces attributs? Deplus,la raison nous oblige à croire d'une foi invincibleque toutce qui a commencé a une cause. Or, tous lesêtres et tous les objets que nousconnaissonsont com-mencé l'astronomie et la mécanique céleste nousapprennentque le soleilet les planètesrépandusdansl'espace ont commencé; nous-mêmes, individuelle-ment, et notre espèce tout entière, nous avons com-

mencé; donc,il y a une cause suprême sansoommen-cementet sans Sn, éternelleet infinie, par conséquenttoute-puissante, puisqu'elle ne rencontre de bornesnulle part;, la seule cause vraimentdigne de ce nom,l'univers tout entier n'étant qu'un effet de sa puis-sance.

A la voixde la raison vient se joindre celle du sen-timent.Quand despassionsbasses ou desbesoinsgros-siersn'arrêtentpas l'essor de nos facultés, nous éprou-vonsnaturellementun besoind'aimeret d'admirer,unamour du bien et du beau que rien d'imparfaitni defiriinepeutsatisfaire .D'oùnousviendraituntelbesoin,sinondeCelui qui est lui-mêmele beau et le bien dansleuressence, ou la sourceinépuisablede l'admirationet de l'amour? Donc, Dieuexiste.Nous remarqueronsseulementque, lorsqu'il s'agit d'une vérité aussi im-portante que cellequi nous occupe en ce moment, lesentiment ne doit être invoqué que pour compléterl'oeuvre de la raison; par luiseul, il est insuffisant,cartous ne l'éprouvant pas au même degré, il n'a pas laclarté et l'autorité des idées nécessaires et de loisfon-damentales de l'intelligence. Il n'en est pas moinsvrai que toutes les facultés de l'âme humaine,commetousles phénomènesde lanature, seréunissentcommedans un harmonieux concert pour proclamerl'exis-tence et célébrer la gloire du Créateur.

XXXIXDe la nature de Dieu et de ses rapporta avecl'homme. Des

sentiments quenous inspire la nature de Dieu et des devoirsqu'elle nous impose: otKe interieor; calte extérieur; cultepnNio.

Les raisons par lesquelles nous amrmons l'exis-tence de Dieu nous donnentune idée de sesattributson de sa nature. Il estd'abord l'être nécessaire, puis-

que sans lui non n'existeraitni ne pourrait se conce-voir. Il est l'être infini, car ce qui est fini ou borné nepeut se sumro lui-même et passer pour nécessaire.D'ailleurs,iln'yaqu'anêtMinnniquipuissonousavoirdonné l'idée de l'infini.L'êtreinnnine peut être limiténi dansle tempsni dans l'espace; il est doncéternel,etaucun pointde l'immensitén'estprivé de saprésence.L'être infini, nécessaire, étemel, ne peut subir aucunchangement; il est immuable.Il n'y a qu'un seul êtreinfini et nécessaire, un seul être qui puisse remplirdeson existence l'immensitéet l'éternité. Plusieurs infi-nis, plusieurs êtres nécessaires, onrent à l'esprit unechoquante contradiction. Dans l'idéeque notre raisonest capable de se former de la nature divine, noussommesdonc obligés de comprendre l'unité.

Les attributs que nous venons d'énuméreront tousun même caractère ils nous montrenten quoi DieudiSere de tous lesautres êtres; ils ne nous apprennentrien de ses rapports avec eux et surtout avec nous.Dire que Dieu est nécessaire, ianni, éternel, un,immuable,c'est simplement le distinguer du fini, duvariable, du multiple, en un mot de tout ce qui n'estpas lui; c'est affirmer qu'il est, sans dire de quellenature il est. Or, s'il était vrai, comme on l'a soutenupar un sentiment de fausse humilité, que nous fus-sions dans l'impuissance d'aller plus loin, nous neserionspas plus avancés dans notre perfectionnementmoral de savoir que Dieu existe, que de l'ignorerabsolument; car Dieu ne serait pour nous que l'in-connu. L'inconnu ne peut être l'objet ni de notreamour, ni de notre respect,ni de notre espérance.Une idée aussi vague, aussi abstraite, aussi stérile,ne peut exercer aucune influence sur nos sentimentset sur nos actions, ne peut servirà diriger la vie desindividuset des nations.

Heureusement, les bornes de la raison humaine nesont point aussi étroites qu'on les représente. Dieuse révèle à nousdans la nature et dans nous-mêmes~veo une multitude de perfections qui, sans comblerla distance du fini à l'infini ou du temps à l'éternité,le montrent toujours présent par l'action et par lapensée dans chacune de ses œuvres, particulièrementdans l'homme, et nous font une nécessité ae recon-naître en lui le Dieu vivant, le Dieu créateur de l'É-criture. Quandil se manifeste à travers le voile de lanature (1) comme l'éternel géomètre, comme l'archi-tecte et la providence de l'univers, comme l'artistedivin à qui l'homme empruntetous ses modèles, est-ce qu'il est possible de lui refuser l'intelligence, lapuissance, la bonté, l'idée et l'amour du beau? L'in-telligence, la puissance, labonté ou l'amour, tels sontaussi les attributs avec lesquels Dieu se révèleànotreconscience; mais réfléchis dans les facultés de notreâme, ils brillentd'une lumièrepluspure et plus écla-tanteque dans lesmerveilles du monde extérieur.

Ainsi l'intelligencedivine n'est plus pour nous unmystèreimpénétrableet étrangerànotre nature c'estla source d'ou émane notre propreraison; c'est notreraisonmême affranchie de toute entrave, élevée à lamesure de l'infini.Or, si Dieu est la source de la rai-son, s'il est la raison éternelledanssonessence indivi-sib!e,ilfautnécessairementlui accorder laconscience;caron nepense pas sans savoir que l'onpense.Dieurconnaîtdonc lui-même en même temps qu'il connaîtl'universalitédes choses; il est une personna divine.

La puissance divine, quand nous la considéronscomme la cause de nos facultés, n'est plus simple-ment la cause infinie et toute-puissante dontl'activité

(t) t~M le chtpttM XXXVin. t

ne rencontre pointde bornes dans l'immensitéetdansl'éternité; c'est une cause libre et personnelle, quiveut ce qu'elle fait, comme elle fait ce qu'elle veut,mais dont la volonté et l'action, dont la liberté et lapuissance sont toujours d'accord avec les lois del'éternelleraison..

Enfin, tandis que dans la naturenous n'apercevonsque l'ordre et la beauté, la consciencenous parle dela loi du devoir, nous enseigne l'existence d'un bienabsolu, d'une perfection souveraine et lorsque nousvoulons remonterau principe de cette loi, à lasourcede ces idées et de l'amour qu'elles nous inspirent,alors seulement nous apparaît l'amour divin, c'est-à-dire l'amour infini dansses rapports avec le mondemoral, avec le monde des âmes et des intelligences.Dans l'amour divin sont comprises, avec la bonté etla félicité suprêmes, la sainteté et la justice car lasainteté, c'est l'absence de tout ce qui est contraire àl'amour; la justice, qu'il ne faut pas confondre avecla vengeance, c'est l'amourveillantà l'harmonie uni-verselle, unissantpar un lien indissoluble le bien etle bonheur, et effaçant le mal par l'expiation.

La toute-puissance, la sagesseétemelle et l'amourinfini, unis ensemble dans notre pensée comme ils lesontdans la nature divine, nous forcent à concevoirDieu comme la cause créatrice de tout ce qui existe;car le pouvoircréateur, ce n'est pas autre chose que latoute-puissanceayant en elle-même sa raison d'êtreet la forme idéale de ses œuvres, la toute-puissanceéclairée par la sagesseet inspirée par l'amour,

De la nature divine ainsi comprise dérivent tousles devoirs que nous tfvons à remplirenvers elle et les~

sentiments qui font pournous de ces devoirs un véri-table besoin, une nécessité inhérente à notreâme.

Ainsi que nous l'avons dit (1), notre première obli-gation à l'égard de la Divinité,et aussi notre premierbesoin quand nous commençons à réfléchir, c'est dela connattre, c'est de nous convaincre de sonexistencepar l'étude attentive de l'homme et de l'univers, c'estde nous pénétrerde sa grandeur,de sa bonté et de sasagesse. Il n'y a pas une science qui, bien dirigée, nepuisse contribuerà nous faire connaître Dieu.

Dieu une fois présent à notre pensée, comment neserait-ilpas présentà notre cœur?Dieuune fois connude notre raison, comment nous défendre de l'aimer etde l'admirer? Comment n'être point saisi d'un saintrespect devant les marques de sa puissance, d'unpieux transport devant les Merveilles de sa sagesse,d'une reconnaissanceinRnie pour les dons innombra-bles de son amour? Ces divers sentiments ne peuventpoint se séparer les uns des autres; i'<t se réunissentdansun sentimentunique qui s'appelle l'adoration,et l'adoration, tant qu'elle ne s'est point manifestéepar des paroles et par des actes, constituele culte in-térieur.

Mais il est dans la nature et, par conséquent,dansles besoins de l'homme d'exprimer ce qu'il éprouve,en donnantà ses expressions la vivacitéqui est dansses sentiments. Il se gardera donc de renfermer enlui-même l'idée qu'il s'est faite de l'auteur des choses,la foi qu'il a mise en lui, les émotions dont il est pé-nétré en contemplantses œuvres et en méditant surses perfections mais il voudra les communiquer àceux qui l'entourent, il voudra les répandre tout à lafois pour rendre hommage à Dieu et pour concourirau bonheurde ses semblables. Il se persuadera avecraison que de tels biens sont faits pour être partagés.

/(l)Vb);M le commencement du chapitre XXXvTU.

C'est ainsi qu'au culte intérieur viendra se joindrenaturellementle culte extérieur.

Le culteextérieur conserve un caractère privé aussilongtempsqu'il se renferme dans les relations indi-viduelles ou dans la cercle de la vie de famille. Maisle sentiment religieux, le plus expansif et le plusénergique de tous ceux que notre âme est capabled'éprouver, ne souffre pas qu'on l'emprisonne dansces étroites limites. Il rend les hommes plus exi-geants.Il leur faut une confessionpubliquede leurscroyances, des affirmations qu'ils puissentrépéter enchoeuravec une foule innombrable,avec une longuesuite de générations nourries des mêmes dogmes etsoumises à la même règle. Il leur faut des symbolesautour desquels ils se puissent reconnattre et s'ap-puyer les uns sur les.autres. Il leur fautdes réunionssolennelles où ils sentent leur âme remonter à sasource, parmi des nuages d'encenset des flots d'har-monie, avec les prières et les actions de grâce d'unefoule unie dans une même pensée, prosternée devantle même autel. Il leur faut, à chacuue des circons-tances importantes de leur vie, une voix grave etrespectée qui leur rappelle le secret sublime de leurdestinée, pourquoi ils sont venus dans ce monde,comment ils doivent s'y conduire, avec quellesespé-rances ils doiventle quitter1 C'est ainsi que le culteextérieur, émanation nécessaire du culte intérieur,n'existe réellement, ne satisfait complètement notreâme que lorsqu'il est revêtu d'un caractère public.On n'estpas vraiment religieux si l'on ne comprendpas, si l'on refuse de reconnaître cette grande loi dela nature humaine et celui dont le cœur ne s'estpoint ouvert au sentiment religieux ne comprendrajamais qu'imparfaitement la sublime autorité et lecaractère divin de la loi morale.

XLMtpeomptiMentent de la loi morale tait partie de nos devoirs

envers Dieu. Le devoir envisagé comme obêMsance lavolonté divine. Ce que le sentiment moral empruntedeforce à l'idée d'Mt Mpatateur suprême qui ordonnele bienet défendle mal

Le culte que nous devons à Dieu et les devoirs quenous avons à remplirenvers les hommes,c'est-à-direenversnossemblables et envers nous-mêmes, le sen-timent religieux et le respect de la loi morale sontdes choses absolument inséparables, comme l'idéede Dieu et l'idée de devoir. Ainsi que nous l'avonsdéjà remarqué (1), l'existence du devoir, si énergi-quement proclamée par la conscience du genre hu-main, est une des preuves les plus irrécusables surlesquelles on puisse appuyer l'existence de Dieu; carcomment concevoir une loi sans un législateur? Com-ment comprendre qu'une loi éternelleet absolue, telleque nous concevons nécessairement la loi morale,puisse sortir spontanément de l'intelligence d'un êtrepérissable et fini comme nous ou de la matière inin-telligente ? Une loi étemelleet absolue, une loi quinous commande de tendre sans cesse et de l'effort detoutesnos facultés à la perfection, ne peut émanerqued'un être éternel et parfait. La loi morale en moi, leciel étoilé au-dessus de moi, voilà, pour nous servirdes expressionsd'unphilosophe moderne, ce qui nousrévèle le plus clairement l'existence de Dieu et lagrandeur de l'homme.

Maissi ledevoir, en mômetemps qu'ilnous est pres-crit parnotre raisoncomme la règle et le but de notre

(1) Voir le chapitre XXVÏÏI, fMMXMde !'«eM«t~ de JMMtréel des &<Mttea de t'ame humaine.

existence, revêtpournousle caractère d'une loi divine,il en résulte que l'accomplissement de cette loi faitnécessairement partie du culte que nous devonsà laDivinité et même qu'il est le premier,le plus sacré detous les devoirs que nous avonsà remplirenvers elle.Quelhommageplussincèreet plus éclatantpourrions-'nous rendreà Dieu que de nous pénétrerdeson espritet de l'imiter dans ses œuvres autant que le permetnotre faiblesse?L'espritde Dieu, les œuvres de Dieu,c'est toutce que nous prescrit la loi morale, c'est la re-cherche de la perfection pour nous-mêmes, c'est lajustice et la charité pour les autres, c'est la sagesseet la bonté même envers les êtres qui sont au-dessousde l'humanité. L'Écriture sainte est ici parfaitementd'accord avec la raison, car elle nous dit « Soyezparfaits commevotre Père qui est dans le ciel. z Ellenous enseigne aussi que la foi est stérile sans les œu-vres et qu'il n'y a pas de piété véritable sans la cha-rité. A plus forte raison n'y a-t-il pas de piété sansla justice. Comment nous persuaderque nousaimonsDieu et que nous l'adorons quand nous méprisonsses lois, quand nous foulons aux pieds les devoirsqu'il nous a prescritset qu'il ne cesse de nousrévélerlui-même par la voix de la conscience, quand nousaccablons d'outrages et de violences sa créature bien-aimée, l'homme forméà son image, puisqu'il est libreet intelligent comme lui? Aimer, honorer et servir lanature humaine, la soustraire au vice, à l'ignorance,à la servitude, à l'abaissement qui vient de la misèrecomme a celui qui vient do l'égoismo et des passionsbrutales, c'est aimer, honorer et servir Dieu. La haïr,

~a mépriser, l'opprimer, ou même rester indifférent à'ses souffranoes et à ses misères, à ses infirmités ma-tériellesou morales, c'est blasphémer et vivre dansl'impiété, quand même on aurait sur les lèvres les

plus ardentes prières et les plus belles professions defoi.

Lorsqu'on dit que la loi morale est une loi divine,il faut d'abord entendre par là qu'elle a son principedans la raison divine,qu'elle est conforme à la divineesagesse, qu'elle est l'expression de l'ordre éternel quia présidé à toutes ses œuvreset s'est réûéchi particu-lièrement dans la conscience humaine. Mais il n'enest pas de la nature divine comme de la nature del'homme. Dans l'homme, sollicitée en sens contrairepar la passion et le devoir, la volonté est souvent endésaccordavec la raison et l'on a pu avec justesse luifaire dire c Je fais le mal que je hais, je fuis le Mecque j'aime (J). En Dieu, la raison et la volonté sontinséparables.L'êtreparfait neconnaît point la passionni la tentation du mal. Tout ce qui est bon, tout cequi est juste, tout ce qui est sage, il l'aime, il le veutd'unevolonté éternelle comme lui-même. Par consé-quent, la loi morale peut et doit être considérée aussicomme l'expressionde la volonté divine. En l'accom-plissant, nous avons le droit de nous dire que nousn'observons pas seulement les conditions de notreexistence et de notre perfectionnement, que nous nesuivons pas seulement la plus noble et laplusuniver-selle impulsionde notre nature, que nous ne remplis-sonspas seulement nos obligationsenvers nous-mêmeset envers nos semblables, mais que nous obéissonsàlavolontédeDieu, que nous exécutonsles ordres qu'ilnous a donnés par la voix de notre conscience.

Comprendre ainsi la loi morale, c'est reconnaîtraun lien de plus entre l'homme et son Créateur et luiprêter de nouvelles forces dans l'accomplissement desa destinée. Ce qui n'était d'abordqu'une idée, unf

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pure conception de notre raison et un sentimentinnésouvent obscurci et combattu par des sentiments con-traires, devientmaintenant un fait, un texte vivant,si l'on peut ainsi parler, qa'ane main toute-puissantea inscrit dans nos âmes, un commandement formelreça d'en haut et renouvelé chaque fois qae noassommes mis en demeure de choisir entre le bien et lemal. En remontantde la loi au législatear,nous avonsla certitude de ne pas nous abuser par une vainemétaphore ou de ne pas tomber dans cette illusionqa'on appelle une abstraction réalisée; mais ce légis-lateur,qui,non content de m'éolairerd'un rayonde sasagesse, me signifie les décrets de sa volonté, est unêtre réel, une personne divine chez qui les attributsinnnis ne supprimentpas la conscience et la liberté,un souverain qui vent être obéi autant qu'il veut êtreaimé. Enfin, la sanction de la loi morale, au lien dese présenterà notre esprit comme la conséquence pu-rement logique d'an principe, nous apparaît, elleaussi, comme un fait inévitable, comme l'oeuvrepré-vue de la justice armée de la toute-puissance, ou dela toute-puissancedirigée par la justice étemelle.

Ce serait méconnaître assurément le caractère dé-sintéressé du bien, c'est-à-dire la condition la plusessentielle de son existence, que de donner pour motifà nos actions la rémunération qui leur est réservéepar la justice divine. L'idée même de Dieu n'estcomplète dans notre esprit et ne satisfait notre âmeque lorsqu'elle comprend l'idée du bien et s'appuieen grandepartie sur elle. Mais dans l'idée du bien,anranchie comme elle doit l'être de toute conditionlastnctive, conçue par la raison,ainsi que son carac-tère absolu l'exige, comme l'expression de l'ordreuniversel,comment ne pas faire entrer l'harmoniedumérite et de la récompense, l'harmonie de la vertu et

du bonheur, c'est-à-direla rémunérationdivine?C'estainsi, comme nous t'avons dit (1), que le sentimentreligieux, que respéKmce religieuse d'une &atM vieest le couronnement nécessaire, la conclusion logiquede la morale. JAsaine Ndson,aussi bien que le senti-ment et la foi universelle du genre humain, répudieee qu'ona appelé récemment lamorale indépendante,c'est-à-due une morale absolument étrangère à ?avance en Dieu.

(1) VMr le commencement du chapitre XXXVkB. t

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