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Communication La motivation pour les jeux de hasard et d’argent dans un groupe de joueurs franc ¸ais Motivation in gambling activities among French gamblers Simona Burlacu a , Lucia Romo a, *, Ce ´ line Lucas a , Cindy Legauffre b a Laboratoire Evaclipsy et Laboratoire ModelX, universite ´ Paris Ouest Nanterre La De ´fense, 200, avenue de la Re ´publique, 92001 Nanterre cedex, France b Service psychiatrie, addictologie, hoˆpitaux universitaires Paris Nord Val-de-Seine, AP–HP, Louis-Mourier, 92700 Colombes, France 1. Le jeu et les joueurs Les e ´ tudes de pre ´ valence du jeu en France montrent que pre ` s de la moitie ´ des adultes (47,8 %) jouent au moins une fois durant l’anne ´ e. Les joueurs actifs, c’est-a ` -dire qui jouent au moins 52 fois dans l’anne ´ e ou de ´ pensent 500 euros ou plus, repre ´ sentent 12,2 % de la population. Avec la loi du 12 mai 2010 qui ouvre les jeux en ligne en France, nous pouvons nous attendre a ` un changement de la pratique des jeux de hasard et d’argent, du fait de leur disponibilite ´ [5]. Pour certains auteurs, les comportements de jeu peuvent e ˆtre compris comme un continuum, allant des jeux de hasard et d’argent sans proble ` me au jeu pathologique [14], et d’autres [10] sugge ` rent que les joueurs peuvent e ˆtre classe ´ s en deux groupes : les joueurs sans proble ` me ou re ´ cre ´ ationnels, et les joueurs proble ´ matiques ou pathologiques. Alors que la pratique des jeux de hasard et d’argent peut e ˆtre conside ´re ´e comme un choix, une contrainte individuelle, cette activite ´ est influence ´e par des facteurs favorisant ou non la probabilite ´ de la pratiquer mais aussi la fac ¸on et le degre ´ de cette pratique. Un des facteurs qui influencent et de ´ terminent l’implication dans les comportements des joueurs est la motiva- tion. Les chercheurs ont montre ´ que le comportement de jeu est le re ´sultat de motivations diverses conduisant les individus a `y participer [23,24]. Il est commune ´ ment accepte ´ que l’argent semble e ˆtre l’un des facteurs les plus importants qui motive une personne a ` jouer [11] alors que les chances de gagner sont faibles. Mais d’autres motivations ont e ´te ´ mises en e ´ vidence et donnent un aperc ¸u des raisons pour lesquelles les individus jouent. Ainsi, les individus jouent pour le plaisir, contre l’ennui [12,18], pour Annales Me ´ dico-Psychologiques 171 (2013) 410–414 INFO ARTICLE Mots cle ´s : Jeux Joueurs proble ´ matiques Joueurs re ´ cre ´ ationnels Motivation Keywords: At-risk gambling Gambling Gambling motivation Recreational gambling RE ´ SUME ´ La motivation est une variable qui influence et de ´ termine l’implication dans les jeux de hasard et d’argent. L’objectif de cette e ´ tude est de mettre en e ´ vidence les motivations chez les joueurs d’I ˆ le-de-France et de faire une comparaison de la motivation chez les joueurs re ´ cre ´ ationnels et les joueurs proble ´ matiques. Notre recueil de donne ´ es s’est effectue ´ aupre ` s de 283 joueurs recrute ´ s dans les points jeux (Franc ¸aise des Jeux et le Pari Mutuel Urbain) et dans les gares de Paris et de la re ´ gion parisienne. Les re ´ sultats montrent que la pratique de jeux de hasard et d’argent est motive ´ e par : gagner de l’argent, se changer les ide ´ es, se de ´ tendre, les amis/colle `gues font la me ˆme chose, par ennui, pour se de ´ fouler, avec des diffe ´ rences significatives entre les joueurs re ´ cre ´ ationnels et les joueurs proble ´ matiques. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´ s. ABSTRACT Gambling motivation is a variable that influences and determines the involvement in gambling activities. The aim of this research is to highlight the motivations among gamblers and a comparison of motivation among recreational and at-risk gamblers. Our data collection was conducted among 283 gamblers recruited in the French gambling operators (Franc ¸aise des Jeux and Pari Mutuel Urbain) and in stations of the Paris region. The results show that the participants gamble for winning money, get your mind off, relax, because the friends/colleagues do the same thing, out of boredom, to unwind, with significant differences between recreational and at-risk gamblers. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Romo). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0003-4487/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.04.008

La motivation pour les jeux de hasard et d’argent dans un groupe de joueurs français

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Page 1: La motivation pour les jeux de hasard et d’argent dans un groupe de joueurs français

Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 410–414

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Communication

La motivation pour les jeux de hasard et d’argent dans un groupede joueurs francais

Motivation in gambling activities among French gamblers

Simona Burlacu a, Lucia Romo a,*, Celine Lucas a, Cindy Legauffre b

a Laboratoire Evaclipsy et Laboratoire ModelX, universite Paris Ouest Nanterre La Defense, 200, avenue de la Republique, 92001 Nanterre cedex, Franceb Service psychiatrie, addictologie, hopitaux universitaires Paris Nord Val-de-Seine, AP–HP, Louis-Mourier, 92700 Colombes, France

I N F O A R T I C L E

Mots cles :

Jeux

Joueurs problematiques

Joueurs recreationnels

Motivation

Keywords:

At-risk gambling

Gambling

Gambling motivation

Recreational gambling

R E S U M E

La motivation est une variable qui influence et determine l’implication dans les jeux de hasard et d’argent.

L’objectif de cette etude est de mettre en evidence les motivations chez les joueurs d’Ile-de-France et de

faire une comparaison de la motivation chez les joueurs recreationnels et les joueurs problematiques.

Notre recueil de donnees s’est effectue aupres de 283 joueurs recrutes dans les points jeux (Francaise des

Jeux et le Pari Mutuel Urbain) et dans les gares de Paris et de la region parisienne. Les resultats montrent

que la pratique de jeux de hasard et d’argent est motivee par : gagner de l’argent, se changer les idees, se

detendre, les amis/collegues font la meme chose, par ennui, pour se defouler, avec des differences

significatives entre les joueurs recreationnels et les joueurs problematiques.

� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

Gambling motivation is a variable that influences and determines the involvement in gambling activities.

The aim of this research is to highlight the motivations among gamblers and a comparison of motivation

among recreational and at-risk gamblers. Our data collection was conducted among 283 gamblers

recruited in the French gambling operators (Francaise des Jeux and Pari Mutuel Urbain) and in stations of

the Paris region. The results show that the participants gamble for winning money, get your mind off,

relax, because the friends/colleagues do the same thing, out of boredom, to unwind, with significant

differences between recreational and at-risk gamblers.

� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Le jeu et les joueurs

Les etudes de prevalence du jeu en France montrent que pres dela moitie des adultes (47,8 %) jouent au moins une fois durantl’annee. Les joueurs actifs, c’est-a-dire qui jouent au moins 52 foisdans l’annee ou depensent 500 euros ou plus, representent 12,2 %de la population. Avec la loi du 12 mai 2010 qui ouvre les jeux enligne en France, nous pouvons nous attendre a un changement de lapratique des jeux de hasard et d’argent, du fait de leur disponibilite[5].

Pour certains auteurs, les comportements de jeu peuvent etrecompris comme un continuum, allant des jeux de hasard et d’argentsans probleme au jeu pathologique [14], et d’autres [10] suggerent

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (L. Romo).

0003-4487/$ – see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.04.008

que les joueurs peuvent etre classes en deux groupes : les joueurssans probleme ou recreationnels, et les joueurs problematiques oupathologiques.

Alors que la pratique des jeux de hasard et d’argent peut etreconsideree comme un choix, une contrainte individuelle, cetteactivite est influencee par des facteurs favorisant ou non laprobabilite de la pratiquer mais aussi la facon et le degre de cettepratique. Un des facteurs qui influencent et determinentl’implication dans les comportements des joueurs est la motiva-tion. Les chercheurs ont montre que le comportement de jeu est leresultat de motivations diverses conduisant les individus a yparticiper [23,24]. Il est communement accepte que l’argentsemble etre l’un des facteurs les plus importants qui motive unepersonne a jouer [11] alors que les chances de gagner sont faibles.Mais d’autres motivations ont ete mises en evidence et donnentun apercu des raisons pour lesquelles les individus jouent. Ainsi,les individus jouent pour le plaisir, contre l’ennui [12,18], pour

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S. Burlacu et al. / Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 410–414 411

echapper a la routine [15], pour se socialiser [13] ou pourl’excitation [19].

La litterature a montre que les differents types de joueurs(recreationnels, a risques et pathologiques) ont des profils demotivations specifiques [19]. Dans une etude [14] qui vise aexplorer la motivation chez les trois types de joueurs (« sansproblemes », « quelques problemes » et « joueurs pathologiques »),les auteurs ont trouve des facteurs de motivation qui sontsignificativement differents entre les trois groupes : les joueurspathologiques jouent pour gagner de l’argent, les joueurs a risquecherchent l’evasion et les joueurs sans probleme semblentfrequenter le casino pour visiter le cadre. D’autres recherchesse sont focalisees sur les motivations des joueurs sans prendre encompte le niveau de la pathologie. Dans une etude menee sur unepopulation d’etudiants [18], les auteurs ont montre que lesjoueurs etaient le plus souvent motives pour : gagner de l’argent,s’amuser, se sociabiliser, pour l’excitation, passer le temps,gagner, se conformer, pour la concurrence, prendre des risques,par interet, pour les competences, pour s’echapper, chasser, boireet enfin pour le defi. Une etude dans une population de femmesagees [21] a montre qu’elles jouaient pour se divertir, pourl’excitation, pour le regard des autres et pour echapper a laroutine. Une recherche recente [22] a montre une correlationpositive entre l’age et le jeu motive par l’evitement, l’accessibilite,et pour la socialisation : l’age serait negativement lie a la gravitedes problemes de jeu. Pour les auteurs, les sujets ages jouent pourpasser le temps ou quand ils s’ennuient, pour l’evasion emotion-nelle et pour se socialiser [2,22].

La theorie de l’autodetermination de Deci et Ryan [6,7] metl’accent sur les motivations qui sous-tendent le comportementhumain en interaction avec son environnement et qui supposentque les individus ont des besoins psychologiques fondamentauxd’autodetermination et de competence. L’autodetermination est lacapacite d’autonomie, qui permet a la personne de choisir de faconlibre les comportements les plus susceptibles a aboutir sur desconsequences positives. La competence est la capacite de l’individua agir a travers ses comportements sur son environnement. Seloncette theorie, la realisation de ces besoins assure un fonctionne-ment optimal et le bien-etre psychologique lie a la satisfaction devie [8,17]. Ce modele peut donc expliquer les mecanismes mis enplace par les joueurs : les comportements a risques, comme le jeu,pourraient etre consideres comme des strategies inadaptees poursatisfaire ces besoins fondamentaux [17].

La theorie de l’autodetermination identifie differentes con-structions de la motivation qui sont la motivation intrinseque, lamotivation extrinseque et l’amotivation, vues comme un con-

tinuum d’autodetermination qui va de l’amotivation (absence dechoix) a la motivation intrinseque (qui implique l’autodetermina-tion). Appliquees aux comportements de jeu, ces constructions ontete confirmees et affinees dans une etude du developpement del’echelle de motivation de jeu [3]. La motivation intrinseque est deplusieurs types : pour la stimulation (amusement et l’excitation),pour le savoir (les joueurs qui aiment apprendre, explorer, ouessayer de comprendre quelque chose de nouveau, par exemple lacollecte de donnees sur les courses de chevaux precedentes), pourl’accomplissement.

La motivation extrinseque est definie par les facteurs externes al’individu. Il existe trois types de motivation extrinseque : laregulation externe qui n’implique pas l’autodetermination, parexemple les personnes qui jouent pour gagner de l’argent etdevenir riches ; la regulation introjectee est une forme controlee dela motivation extrinseque car elle est partiellement internaliseepar l’individu. Les comportements resultants ne sont pas auto-determines car l’individu interiorise les contraintes exterieures(par exemple, les personnes qui jouent les memes numeros pour nepas se sentir coupables) [6] ; et la regulation identifiee implique

pour l’individu d’agir de facon intentionnelle sans qu’il soitautodetermine (par exemple, les personnes qui jouent pour sesocialiser avec les autres). L’amotivation existe quand les individusne percoivent pas les liens entre leur comportement et lesconsequences. Les personnes ont perdu leur sens du choix et lecontrole sur leurs habitudes de jeux. Selon Chantal et Vallerand [3],il s’agit des joueurs qui jouent quand ils sont submerges par lesemotions.

Vallerand et al. [23] proposent un modele theorique de lapassion, definie comme une forte inclination pour une activite queles individus aiment, a laquelle ils accordent de l’importance etdans laquelle ils investissent temps et energie. Ce modele de lapassion implique une interiorisation dans l’identite de l’individu decette activite par l’interiorisation d’elements de l’environnement.Pour les auteurs, il existe deux types de passions developpees enrapport avec le type de processus d’interiorisation qui s’effectue : lapassion harmonieuse et la passion obsedante. Appliquee a lapratique des jeux, cette theorie met en evidence la perceptionnegative et positive des jeux. La passion harmonieuse est une forceinterne qui motive l’individu a s’engager librement dans uneactivite, en harmonie avec ses valeurs et ses autres activites. Cetype de passion est associe a des consequences positives commedes affects positifs, ou l’absence d’anxiete [23]. Un individu quiarrive a integrer avec succes sa pratique de jeux a ses autresactivites a une passion harmonieuse envers les jeux d’argent, parexemple quand une personne choisit librement de jouer parcequ’elle aime apprendre et joue pour repondre a cet interet.

La passion obsedante est liee a une pression interne qui obligel’individu a s’engager dans une activite opposee a ses valeurs, cequi l’amene a des conflits internes. Ce type de passion conduit lesujet a jouer meme lorsqu’il ne devrait pas et entraıne desemotions negatives par la suite (par exemple la culpabilited’avoir joue alors qu’il devait passer du temps avec sa famille,d’avoir perdu de l’argent) [16,23]. Cette pulsion interne a jouerempeche l’individu de se liberer completement de ses pensees apropos du jeu.

2. Methode et mesures

Les participants ont ete sollicites dans les points de jeu (PariMutuel Urbain et Francaise des Jeux) ou dans les gares de la regionIle-de-France. Ils etaient informes que nous menions une etude surla pratique des jeux en general.

Les instruments d’evaluation utilises sont les suivants : une listede 22 questions en lien avec les motivations pour le jeu a etedeveloppee sur la base de la revue de la litterature et del’experience clinique. Les items sont cotes sur une echelle en cinqpoints : « jamais », « rarement », « quelque fois », « souvent » et« toujours », en fonction de la frequence a laquelle le sujet joue pourune raison citee (par exemple, « Je joue pour me changer les idees »,« Je joue pour gagner de l’argent »).

L’Indice Canadien du Jeu Excessif (ICJE) est un auto-ques-tionnaire largement utilise dans les etudes [9]. Les neuf items sontcotes sur une echelle allant de zero a trois en fonction de lafrequence. Le score total peut aller de zero a 23 et permet dedifferencier quatre groupes de joueurs : « sans probleme »(score = 0), « a faible risque » (score = 1/2), « a risque modere »(score = 3/7), « excessif » (score = 8 et plus).

L’anxiete et la depression sont mesurees avec l’echelle HAD(Hospital Anxiety and Depression Scale) developpee par Zigmond etSnait [25]. Cette echelle est composee de deux sous-echelles desept items chacune. Les items sont cotes de zero a trois et les scoresles plus eleves correspondent a la presence d’une symptomatologieplus severe.

La GRCS [20] est un questionnaire qui evalue les processuscognitifs lies au jeu comprenant 23 questions et reposant sur un

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Tableau 1Caracteristiques sociodemographiques.

Variable n %

Genre

Hommes 177 62,54

Femmes 106 37,45

Etat civil

Celibataire 143 50,53

En couple 105 37,10

Separe/Divorce 28 9,89

Veuf 7 2,47

Emploi

Plein temps 171 60,42

Etudiant 47 16,60

Temps partiel 15 5,30

Retraite 23 8,12

Sans emploi 18 6,36

Autre/NA 9 3,18

Niveau d’etudes

Bac +5 63 22,26

Bac +2 74 26,14

Bac 65 22,96

CAP/BEP 24 8,48

Aucun 25 8,83

Autre/NA 32 11,30

Niveau des revenus (en euros)

Moins 15 000 113 46,99

15 000/25 000 76 26,85

25 000/35 000 45 15,90

35 000/50 000 21 7,42

50 000/75 000 11 3,88

Autre/NA 17 6,00

n = 283

Tableau 2Comparaison de l’anxiete, de la depression, l’impulsivite et distorsions cognitives

chez les joueurs recreationnels et les joueurs problematiques.

Joueurs recreationnels Joueurs problematiques

n 225 58

Age 39,23 (12,79) 38,42 (13,94)

HAD A 6,99 (6,87) 8,03 (3,05)

HAD D 4,14 (6,90) 5,67 (3,12)

BIS-10 anticipation 20,70 (6,37) 22,12 (12,01)

BIS-10 motrice 16,00 (6,33) 17,17 (12,98)

BIS-10 cognitive* 19,40 (5,42)* 22,31 (11,87)*

BIS-10 total 56,15 (13,43) 58,12 (13,00)

GRCS biais interpretation* 7,25 (7,78) 10,43 (6,79)

GRCS illusion controle* 6,64 (7,57) 8,51 (5,98)

GRCS controle predictif 11,16 (8,97) 15,50 (9,12)

GRCS Espoirs* 7,60 (7,64) 11,51 (6,74)

GRCS incapacite a arreter* 7,93 (7,80) 12,84 (8,24)

GRCS total* 38,70 (22,11) 58,81 (33,84)

*p inferieur a 0,006.

Les valeurs sont les moyennes et les ecart-type.

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modele a cinq facteurs : controle interpretatif, illusion de controle,controle predictif, attentes liees au jeu et incapacite percue as’arreter de jouer.

La version francaise de la Barratt Impulsivity Scale-10 (BIS-10)qui a ete utilisee [1] est une echelle d’auto-evaluation comportant34 items. Elle evalue trois dimensions de l’impulsivite qui sont« l’Impulsivite motrice », « l’Impulsivite cognitive » et « la Difficultede planification ». Plus le score total est eleve, plus le niveaud’impulsivite l’est egalement.

3. Resultats

L’analyse statistique a ete effectuee avec le logicielStatistica� v.10. L’echantillon est compose de 283 sujets(177 hommes et 106 femmes), la moyenne d’age est de39,13 ans (13,70). Tous les participants sont ages de 18 ans etplus. La moitie des repondants ont declare etre celibataires(50,53 %) ; 37 % etaient maries ou vivaient en couple et 12,36 %etaient divorces/separes ou veufs. La plupart des participantsetaient employes a temps complet ou partiel (65,72 %), les autresetaient etudiants (16,60 %), retraites (8,12 %) ou sans emploi(6,36 %) (Tableau 1).

Le score moyen obtenu a l’ICJE [9] montre que 181 desparticipants (63,95 %) ne presentent pas de problemes de jeu (i.e.,ICJE = 0), 44 participants (15,54 %) ont des problemes minimes dejeu (i.e., ICJE = 1/2), 40 participants (14,13 %) ont des problemesmoderes (i.e., ICJE = 3/7) et 18 participants (6,36 %) presentent descriteres de jeu excessif (i.e., ICJE = 8 ou plus).

Afin d’avoir une comparaison de la motivation chez les joueursrecreationnels et les joueurs a risques, nous avons cree deuxgroupes selon l’intensite du score de la ICJE. Le premier groupe estcompose des 225 joueurs ne presentant pas de problemes de jeu(score ICJE = 0) et des joueurs avec des problemes minimes (scoreICJE = 1/2). Le second groupe de 58 sujets est compose de joueursayant des problemes moderes de jeu (score ICJE = 3/7) et de joueurspresentant des criteres de jeu excessif (score ICJE = +8) (Tableau 2).

La depression ainsi que l’anxiete ne sont pas significativementdifferentes dans les deux groupes. En ce qui concerne l’impulsivitecognitive, les joueurs pathologiques presentent des scoressignificativement superieurs que les joueurs recreationnels(t = 2,73 ; p < 0,01). Les deux groupes se differencient aussi pourles distorsions cognitives : biais d’interpretation (t = 2,84 ;p < 0,01), controle predictif (t = 3,27 ; p < 0,01), espoirs lies au jeu(t = 3,55 ; p < 0,01), incapacite a arreter (t = 4,22 ; p < 0,01) et pourle score total (t = 5,47 ; p < 0,01).

Le Tableau 3 illustre les differentes motivations des joueurs.Parmi les 283 participants, 114 jouent pour gagner de l’argent dont45 (39,47 %) sont des joueurs problematiques (ICJE superieur ouegal a trois) et 69 (60,52 %) sont des joueurs recreationnels (ICJEinferieur ou egal a deux). Quarante et un sujets jouent pour sechanger les idees. Parmi eux, 26 (63,41 %) sont des joueursproblematiques et 15 (36,58 %) sont des joueurs recreationnels.Trente-sept participants jouent pour se detendre, parmi lesquels23 (62,16 %) sont des joueurs problematiques et 14 (37,83 %) sont

Tableau 3Pourcentages des motivations pour le jeu.

Motivation Joueurs recreationnels, n (%)

Gagner de l’argent 69 (60,52)

Se changer les idees 15 (36,58)

Se detendre 14 (37,83)

Amis/collegues font la meme chose 13 (38,23)

Je ne sais pas pourquoi 9 (39,13)

Par ennui 4 (18,18)

Pour se defouler 13 (61,90)

n = 283

des joueurs recreationnels. Trente-quatre sujets de notre popula-tion jouent car les amis/collegues font la meme chose. Parmi eux,21 (61,76 %) sont des joueurs problematiques et 13 (38,23 %) sontdes joueurs recreationnels.

Joueurs problematiques, n (%) Total Total pourcentage

45 (39,47) 114 40,28

26 (63,41) 41 14,49

23 (62,16) 37 13,7

21 (61,76) 34 12,01

14 (60,86) 23 8,12

18 (81,81) 22 7,77

8 (38,09) 21 7,42

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S. Burlacu et al. / Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 410–414 413

Vingt-trois joueurs declarent ne pas savoir pourquoi ils jouent,parmi lesquels 14 (60,86 %) sont des joueurs problematiques etneuf (39,13 %) sont des joueurs recreationnels. Vingt-deuxparticipants jouent par ennui. Parmi eux, 18 (81,81 %) sont desjoueurs problematiques et quatre (18,18 %) sont des joueursrecreationnels. Et enfin, 21 sujets, dont 13 (61,90 %) joueursrecreationnels et huit (38,09 %) joueurs problematiques, jouentpour se defouler.

Il y a des differences significatives entre la motivation desjoueurs recreationnels et les joueurs problematiques. Ces derniersont plus tendance a jouer pour gagner de l’argent (p = 0,0000), sechanger les idees (p = 0,0057), se detendre (p = 0,0131) et parce queles amis/collegues font la meme chose (p = 0,0226). En ce quiconcerne les autres motivations, il n’y a pas de differencesignificative entre les deux groupes. Comme dans l’etude de Platz[19], dans notre echantillon les joueurs problematiques ont desscores significativement plus eleves pour la motivation que lesjoueurs avec peu de problemes. En effet, les joueurs sans problemesemblent plus motives intrinsequement ou extrinsequement pourle jeu.

L’objectif principal de cette recherche etait de mettre enevidence les motivations chez les joueurs francais. Un autreobjectif etait de faire une comparaison de la motivation chez lesjoueurs recreationnels et les joueurs problematiques. Les resultatsmontrent que les participants jouent pour gagner de l’argent, sechanger les idees, se detendre, car les amis/collegues font la memechose, par ennui, pour se defouler, mais aussi qu’une partie nesavent pas pourquoi ils jouent.

Si nous nous referons a la theorie de l’autodetermination, nousconstatons que la motivation extrinseque, pour gagner de l’argent,est la plus frequente parmi les participants de cette etude. Lesauteurs ont mis en evidence que les joueurs problematiquescompares aux joueurs recreationnels jouent plus pour echapperaux problemes, pour faire baisser la tension ou contre l’ennui oul’apathie, pour gagner de l’argent ou pour les interactions sociales[4,19]. Ces resultats ont ete retrouves dans notre population, avecdes scores significativement plus eleves pour les joueurs pro-blematiques en ce qui concerne la motivation pour le jeu.

Un lien pourrait egalement etre fait avec les distorsionscognitives, car gagner de l’argent est un comportement quientraıne surtout des pertes et qui peut etre alimente par desmecanismes de « croyances erronees » presentes dans le jeupathologique. En effet, les distorsions cognitives semblent jouer unrole important dans la pratique des jeux, mettant en evidence desdifferences entre les joueurs recreationnels et les joueursproblematiques. Les joueurs problematiques se distinguent doncdes joueurs recreationnels par l’intensite de certaines distorsionscognitives : ils presentent significativement plus de distorsionscognitives que les joueurs recreationnels.

Notre etude presente des limites : nous pouvons noter unedifference importante entre le nombre de joueurs problema-tiques et de joueurs recreationnels qui peut representer un biaisdans la comparaison des motivations entre les deux groupes. Ilserait donc interessant pour une etude future d’avoir unechantillon plus important dans le groupe des joueurs proble-matiques. Aussi, notre etude ne differencie pas la motivationpour des populations specifiques, comme les femmes, les jeunes,ou encore selon le type de jeux, alors que les differentes etudesont montre l’interet pour une telle differenciation. En effet, lesauteurs ont mis en evidence des motivations specifiques pour lesjeunes [18], pour les femmes agees [21]. Selon Thomas et al. [22],en fonction du jeu, on a plus ou moins des comportements de jeupathologiques.

La mise en evidence de differences dans le fonctionnementpsychique entre les joueurs recreationnels et les joueurs proble-matiques peut avoir un interet dans la prevention et la prise encharge des joueurs en France. Mieux comprendre donc ces facteursimpliques dans les comportements des joueurs est essentiel pourla prevention ainsi que pour l’adaptation des problemes de jeu dehasard et d’argent.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

References

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Page 5: La motivation pour les jeux de hasard et d’argent dans un groupe de joueurs français

S. Burlacu et al. / Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 410–414414

Discussion

Pr A. Charles Nicolas.– Votre titre precise « la motivation pourjouer » ; or vous avez integre dans vos modeles de motivation celui deProchaska et Di Clemente qui concerne la motivation a arreter. Apropos de la motivation extrinseque de Decy et Ryan, rappelons queles joueurs de casino se font interdire, qu’ils signent eux-memes uncahier d’interdits. A propos de la frequence et de la pregnance desdistorsions cognitives, pourriez-vous nous dire quelques mots surleur interet dans les therapies cognitives et comportementales ?

Reponse du Rapporteur.– Les distorsions cognitives represententun point essentiel dans la therapie cognitivocomportementaledu jeu pathologique. On aide le patient a reperer lespensees automatiques liees au jeu, au hasard, etc. On met enplace des registres, avec la recherche de pensees alternatives etla restructuration cognitive, tout ceci accompagne le travail

DOI de l’article original :http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.04.008

0003-4487/$ – see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.04.009

d’information sur la chance et les jeux de hasard et d’argent,l’exposition aux situations a risque et un travail sur le craving.

Dr D. Tesu-Rollier.– Est-ce que les joueurs pathologiques passentsouvent a l’acte suicidaire par detresse lors d’une deception ouperte d’argent ?

Reponse du Rapporteur.– Le risque suicidaire est une problema-tique majeure dans le jeu pathologique. Les personnes souffrant dece trouble presentent tres souvent des idees suicidaires et lespassages a l’acte sont frequents, non seulement en periode de pertemais aussi a d’autres moments car les ruptures familiales, dutravail, des amis ou proches sont frequentes. L’ideation suicidairedoit toujours etre exploree en consultation, surtout s’il y a uneco-morbidite avec des troubles de l’humeur et des consommationsde substances comme l’alcool.