34
Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat avec le Nouveau Théâtre d’Angers. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris. 153 novembre 2012 La Mouette Texte d’Anton Tchekhov Mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia Au Nouveau Théâtre d’Angers du 14 au 24 novembre 2012  Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Édito Après  un  échec  à  Saint-Pétersbourg  en  1896,  La Mouette de  Tchekhov  connaît  un  immense  succès  lorsque  Stanislavski  la  met  en  scène  au  théâtre  d’Art  de  Moscou.  Lors  de  la  première,  le  17  décembre  1898,  le  public  est  tellement  ému  qu’à  la  fin  de  la  représentation  un  long  silence  précède  un  tonnerre  d’applaudissements.  Les  spectateurs ont l’impression d’assister à une nouvelle forme de théâtre qui les touche  profondément. Cette révolution tient à l’écriture de Tchekhov qui, sous l’apparente  banalité des répliques, raconte si bien l’âme humaine mais aussi à Stanislavski qui  est en train d’inventer l’art de la mise en scène.  Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau Théâtre d’Angers depuis 2007, a mis en  scène beaucoup de textes contemporains, entre autres les comédies grinçantes d’Ha- nokh Levin, mais peu de pièces classiques. Avec La Mouette, il aborde Tchekhov pour  la première fois (annexe 1). Quand on essaie de comprendre quel parti pris sera le  sien, on entend dire que « ce ne sera pas russe » ou « peu dix-neuvième ».  Il souhaite  surtout que le spectateur d’aujourd’hui puisse se reconnaître dans des personnages  que « le rêve est prêt à emporter vers le meilleur mais qui, comme de grands oiseaux  incapables de voler, demeurent dans ce décor, dans ce théâtre qui flétrit en eux au  fil des actes et des années ». Le parcours suivant permet aux élèves de pénétrer dans  les coulisses de la création par des recherches proposées au fil des rencontres avec  les artistes de La Mouette. À noter que deux visions de La Mouette s’offrent cette année dans la collection Pièce  (Dé)montée,  celle  de  Frédéric  Bélier-Garcia  et  celle  d’Arthur  Nauzyciel,  consultable  en ligne à l’adresse : http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=la-mouette Retrouvez sur 4 http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée » Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit ! Le choix de la traduction [page 2] Les personnages ou la confrontation… [page 3] Les costumes de La Mouette [page 5] L’espace de La Mouette, une scénographie… [page 6] Le sous-texte ou le courant souterrain [page 7] L’affiche, premier regard sur la représentation [page 8] Après la représentation : pistes de travail Les souvenirs de la représentation… [page 10] Le jeu amoureux [page 11] Le jeu choral [page 11] La bande sonore [page 13] La fonction des objets [page 14] La scénographie : une mise en abîme du théâtre [page 15] L’évolution du personnage à travers le costume [page 16] La construction du personnage par l’acteur [page 17] Annexes [page 19]

La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat avec le Nouveau Théâtre d’Angers. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris.

n° 153 novembre 2012

La MouetteTexte d’Anton TchekhovMise en scène de Frédéric Bélier-Garcia

Au Nouveau Théâtre d’Angers du 14 au 24 novembre 2012 Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

ÉditoAprès  un  échec  à  Saint-Pétersbourg  en  1896,  La Mouette  de  Tchekhov  connaît  un immense  succès  lorsque  Stanislavski  la met  en  scène  au  théâtre  d’Art  de Moscou. Lors de  la première,  le 17 décembre 1898,  le public est  tellement ému qu’à  la  fin de  la  représentation  un  long  silence  précède  un  tonnerre  d’applaudissements.  Les spectateurs ont l’impression d’assister à une nouvelle forme de théâtre qui les touche profondément. Cette  révolution tient à  l’écriture de Tchekhov qui, sous  l’apparente banalité des répliques, raconte si bien l’âme humaine mais aussi à Stanislavski qui est en train d’inventer l’art de la mise en scène. Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau Théâtre d’Angers depuis 2007, a mis en scène beaucoup de textes contemporains, entre autres les comédies grinçantes d’Ha-nokh Levin, mais peu de pièces classiques. Avec La Mouette, il aborde Tchekhov pour la première fois (annexe 1). Quand on essaie de comprendre quel parti pris sera le sien, on entend dire que « ce ne sera pas russe » ou « peu dix-neuvième ».  Il souhaite surtout que le spectateur d’aujourd’hui puisse se reconnaître dans des personnages que « le rêve est prêt à emporter vers le meilleur mais qui, comme de grands oiseaux incapables de voler, demeurent dans ce décor, dans ce théâtre qui flétrit en eux au fil des actes et des années ». Le parcours suivant permet aux élèves de pénétrer dans les coulisses de la création par des recherches proposées au fil des rencontres avec les artistes de La Mouette.À noter que deux visions de La Mouette s’offrent cette année dans la collection Pièce (Dé)montée,  celle de  Frédéric Bélier-Garcia  et  celle d’Arthur Nauzyciel,  consultable en ligne à l’adresse :http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=la-mouette

Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »

Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit !

Le choix de la traduction [page 2]

Les personnages ou la confrontation… [page 3]

Les costumes de La Mouette [page 5]

L’espace de La Mouette, une scénographie… [page 6]

Le sous-texte ou le courant souterrain [page 7]

L’affiche, premier regard sur la représentation [page 8]

Après la représentation : pistes de travail

Les souvenirs de la représentation… [page 10]

Le jeu amoureux [page 11]

Le jeu choral [page 11]

La bande sonore [page 13]

La fonction des objets [page 14]

La scénographie : une mise en abîme du théâtre [page 15]

L’évolution du personnage à travers le costume [page 16]

La construction du personnage par l’acteur [page 17]

Annexes [page 19]

Page 2: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

2

n°  153 novembre 2012

Avant de voir le spectacle

La représentation en appétit !

Frédéric  Bélier-Garcia,  metteur  en  scène  de  La Mouette,  opte  pour  la  traduction d’Antoine  Vitez 1  plutôt  que  pour  celle  d’André  Markowicz  qu’a  choisie  Arthur Nauzyciel  dans  sa  mise  en  scène  pour  la  cour  d’honneur  du  festival   d’Avignon (2012). Pourquoi ?Frédéric Bélier-Garcia : « La traduction de Vitez est plus simple. Tchekhov a un grand souci  de  la  simplicité  de  la  langue.  La magie  de  son  théâtre  ne  vient  pas  d’une complexité  de  la  langue  comme  chez  Shakespeare,  Claudel  ou  Racine  mais  elle 

est dans l’aller-retour entre texte et sous-texte, elle vient d’une sorte de quotidienneté qui est toujours un peu symbolique. Et Vitez retranscrit bien cette simplicité de la langue présente dans le théâtre comme dans les nouvelles de Tchekhov ».

1. Toutes les citations du texte, sauf mention contraire, sont issues de la 

traduction d’Antoine Vitez : La Mouette, Anton Tchekhov, et sont © Actes Sud, 

1984. La pagination se réfère à l’édition au Livre de poche de ce texte.  

Les disdascalies sont en italique.

Le choix de la traduction

ActivitéComparer les deux traductions de La Mouette

Objectif : faire prendre conscience de la singularité de la traduction choisie.

b À la lumière de cette réflexion sur la langue de Tchekhov et sur la traduction de Vitez, l’enseignant demande aux élèves d’observer les deux traductions d’un passage de l’acte III (annexe 2) où Arkadina essaie de convaincre Trigorine de rester avec elle alors qu’elle sent qu’il lui échappe. Sans préciser

quelle version est de Markowicz ou de Vitez, le professeur demande à deux élèves de se mettre debout, chacun ayant en main une traduction différente et de l’adresser à un camarade de la classe : à chaque signe de ponctuation, l’élève lecteur s’arrête puis écoute l’autre élève dire le même texte dans la deuxième traduction. Ils ne doivent pas spécialement mettre d’intention mais faire simplement entendre les mots et laisser du silence entre chaque signe de ponctuation. À la fin, la classe entière se prononce sur le vocabulaire, la construction des phrases qui ont semblé « plus simples ».

« Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, tête folle, tu veux faire des bêtises, mais je ne veux pas,  je ne te  laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et ces  yeux  à moi,  et  ces  beaux  cheveux de  soie 

sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant de  talent,  d’intelligence,  tu  es  le  meilleur  de tous  les  écrivains  d’aujourd’hui,  tu  es  l’unique espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour sain… »

Traduction d’Antoine Vitez

« Tant  mieux  je  n’ai  pas  honte  de  mon  amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, ma  tête  brûlée,  tu  veux  faire  des  folies,  mais moi,  je  ne  veux  pas,  je  ne  te  laisserai  pas… (Elle rit).  Tu  es  à moi…  à moi…  Et  ce  front, il est à moi, et ces yeux, ils sont à moi, et ces 

cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si intelligent, le plus grand des écrivains de notre temps,  tu es  le  seul espoir de  la Russie. Tu as tant  de  sincérité,  de  simplicité,  de  fraîcheur, d’humour salubre… »

Traduction d’André Markowicz

© Photo d’équipe NTA Maquette

Page 3: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

3

n°  153 novembre 2012

On  peut  remarquer  par  exemple  que  l’adjectif  « sain »  qui  définit  l’humour  dans  la  traduction  de Vitez est moins recherché que « salubre », étonnant adjectif accolé à « humour » dans la traduction de Markowicz. La mise en valeur emphatique du sujet, systématique chez Markowicz, crée aussi une insistance sur les différentes parties du corps de Trigorine absente de la traduction de Vitez.

Les personnages ou la confrontation de deux générations

Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

Comment  Frédéric  Bélier-Garcia  choisit-il  des acteurs pour jouer des personnages appartenant à deux générations différentes ? 

À  la  question  du  choix  d’une  actrice  comme Nicole  Garcia  pour  jouer  Arkadina,  Frédéric Bélier-Garcia répond : « Je ne veux pas jouer sur la  notoriété,  plutôt  sur  l’âge  et  l’appartenance à  des  générations  différentes.  La  génération « du dessus », celle des acteurs que  j’ai  choisis pour  jouer Arkadina, Paulina et Sorine est une génération qui a commencé au théâtre, et dans 

un  théâtre  d’avant-garde,  il  y  a  quarante  ans dans les années 1970 et qui progressivement a eu une notoriété au cinéma. La génération « du dessous », celle des acteurs jouant Medvedenko, Macha,  Nina,  Treplev  est  composée  d’acteurs sortis en même temps des conservatoires et qui font  des  recherches  dans  le  domaine  théâtral surtout.  Or  l’histoire  de  La Mouette  est  une histoire de générations : le triomphe des parents sur  les  enfants,  des  parents  qui  refusent  de passer  la  main,  la  victoire  d’une  génération passée sur la génération présente ».

ActivitéLire à haute voix la liste des personnages

Objectif : se familiariser avec les noms russes  des  personnages  et  comprendre  leurs  rela-tions (générations différentes).

b Lire à voix haute avec onze voix (nombre de personnages) la didascalie initiale en

faisant sonner les noms russes, à la manière d’un majordome, pour se familiariser avec le nom des personnages (annexe 3).

b En s’appuyant sur la définition qu’en fait Tchekhov, demander aux élèves quels personnages seront joués par les acteurs plus âgés et par les acteurs plus jeunes.

Page 4: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

4

n°  153 novembre 2012

2. Vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993.

ActivitéJouer une scène de conflit entre deux générations

Objectif : comprendre que la parole au théâtre est action et pas simple conversation.

À  propos  du  fonctionnement  de  la  parole  au théâtre,  le  dramaturge  Michel  Vinaver 2  parle d’un  « duel »  quand  les  personnages  entrent dans  un  conflit  et  précise  que  quatre  figures sont  alors  utilisées :  l’attaque,  la  défense,  la riposte  et  l’esquive.  Il  parle  en  revanche  d’un « duo »  quand  domine  dans  la  parole  la  figure du « mouvement vers » l’autre. 

b Après avoir défini ces mots avec les élèves (attaque, défense…), l’enseignant peut demander de repérer ces figures dans l’extrait entre Arkadina et Treplev (annexe 4) et de voir comment le duo initial entre mère et fils se transforme en duel pour s’achever à nouveau en duo.

b Une fois les figures repérées, l’enseignant peut demander à sept élèves de dire chacun une réplique de Treplev à tour de rôle (idem pour Arkadina) en traduisant les figures repérées par la manière de dire. 

Par  exemple,  dire  avec  beaucoup  de  douceur les  « mouvements  vers »,  avec  violence  les « attaques » et avec fermeté les « défenses ». Il faut veiller à ne  jamais précipiter  la parole et respecter vraiment les silences marqués par les signes de ponctuation.

On peut  rappeler à  l’occasion de  la  lecture de cette  scène  que  « La Mouette  est  une  vaste paraphrase  d’Hamlet »,  comme  le  dit  Antoine Vitez. Dans cet extrait, la jalousie incestueuse de  Treplev  à  propos  de  Trigorine,  amant  de sa  mère  Arkadina,  rappelle  des  scènes  entre Hamlet et sa mère Gertrude. 

b On demande aux élèves d’analyser dans cet extrait les deux causes du conflit entre la mère et son fils : la jalousie de Treplev envers Trigorine, mais aussi une conception différente du théâtre.

Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

Page 5: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

5

n°  153 novembre 2012

Les costumes de La Mouette

Frédéric Bélier-Garcia  s’est entouré de deux costumières  (Catherine et Sarah Leterrier, mère et fille) pour créer les costumes de La Mouette (entretien avec Catherine Leterrier, annexe 5).Pour  cette  création,  les  costumières  ont  créé  plus  d’une  vingtaine  de  costumes  car  certains  personnages changent plusieurs fois de tenue durant les quatre actes.

Catherine  Leterrier  révèle une  source d’inspira-tion importante pour la création des costumes, le  peintre  Vuillard :  « Dans  La Mouette,  les personnages  sont  au  début  pleins  d’espoir,  ils seront  dans  les  couleurs  et  tissus  unis.  Puis petit à petit, comme la vie ne leur permet pas de 

réaliser  leurs  rêves,  les  imprimés des costumes deviendront de plus en plus présents voire sur-dimensionnés et donneront l’impression de faire rentrer  les  personnages  dans  le  décor  comme s’ils étaient enserrés dans leur espace ».

Le costumier et le peintre

ActivitéObserver un tableau

Objectif : prendre conscience des sources d’inspiration des costumiers.

b L’enseignant peut proposer l’étude d’un tableau d’Édouard Vuillard  (Intérieur à la table à ouvrage, 1893) qui a inspiré les cos-tumières et demander aux élèves d’analyser la manière dont le peintre crée cette confu-sion entre personnages et décor.

Costume et personnage

ActivitéObserver des maquettes de costume

Objectif : découvrir comment un costume révèle un personnage.

b L’enseignant interroge les élèves sur les codes vestimentaires en général et sur la façon dont tel ou tel vêtement traduit à la fois l’appartenance sociale d’un individu et sa psychologie.

À partir de maquettes de costumes dessinées par Sarah Leterrier (annexe 6), les élèves réfléchis-sent  à  la manière  dont  ces  costumes  révèlent socialement  et  psychologiquement  un  person-nage. Dans un premier temps, les élèves mènent cette réflexion sans référence aux personnages de  La Mouette.  Puis  ils  essaient  d’imaginer,  à partir des maquettes et de quelques répliques, à quel personnage de La Mouette correspond tel ou  tel  costume.  Dix  élèves  lisent  chacun  une réplique  caractérisant  un  personnage  (annexe 7). Chacun des dix élèves choisit auparavant sa place dans la classe (debout ou assis), lit silen-cieusement sa réplique, fixe son regard sur une personne (proche ou lointaine dans l’espace de la classe) et adresse sa réplique. Les répliques sont  dites  dans  l’ordre,  avec  le  plus  de  sincé-rité  possible  et  en  respectant  la  ponctuation par  un  vrai  silence  de  quelques  secondes.  On rappelle aux élèves qu’ils ont à leur disposition quatre  émotions  majeures :  la  peur,  la  colère, la tristesse et la joie. Ils choisissent l’émotion qu’ils veulent pour dire leur réplique après avoir annoncé le nom de leur personnage.

© DANY PORCHÉ© DANY PORCHÉ

Page 6: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

6

n°  153 novembre 2012

L’espace de La Mouette, une scénographie entre intérieur et extérieur

Interrogée sur ses choix scénographiques, Sophie  Perez  répond  (annexe  8) :  « La Mouette  parle  de  la  mise  en  abîme  du théâtre.  À  partir  de  là,  la  scénographie est réversible : la maison, dont l’intérieur est très réaliste, est représentée par des châssis qui, une  fois  retournés, évoque-ront  des  châssis  de  théâtre.  Tout  peut se  moduler.  Une  pièce  de  maison  peut devenir un bout d’île, l’île un intérieur. Il faut  que  la  scénographie  soit  envisagée comme un objet de théâtre ».

Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

ActivitéLire les quatre didascalies initiales des quatre actes

Objectif : repérer les espaces intérieurs et extérieurs.

Les  didascalies  initiales  des  quatre  actes  sont écrites à la manière d’un romancier naturaliste (Tchekhov  a  lu  Maupassant  et  Flaubert : Arkadina  lit  d’ailleurs  un  texte de Maupassant au début de l’acte II, Sur l’eau). Elles décrivent 

l’espace  où  évoluent  les  personnages  mais sont  aussi  à  interpréter  de  façon  symbolique. Ainsi  de  l’acte   I  à  l’acte  IV un  espace  semble triompher  de  l’autre :  l’espace  intérieur  ou l’espace extérieur ? (annexe 9)

b On invite les élèves à se demander ce que cette évolution de l’espace révèle du destin des personnages.

L’enseignant  peut  trouver  des  éléments  de réponses chez Georges Banu 3, auteur de nom-

breuses  recherches  sur  le théâtre de Tchekhov. Il dit à  propos  de  l’espace  de La Mouette :  « une  action extérieure  s’enferme  pro-gressivement  dans  une maison,  jusqu’à  aboutir  à une chambre barricadée ».

3. Banu Georges, « Rupture dans  l’espace de La Mouette », 

Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978.

ActivitéDessiner la première image de La Mouette (comment représenter le théâtre dans le théâtre)

Objectif : s’initier à la scénographie

b L’enseignant demande aux élèves (par groupe de quatre) d’imaginer, à partir de la didascalie initiale de l’acte I et des deux premières répliques de la pièce, quelle serait, selon eux, la première image du spectacle.

L’enseignant rappelle que dans ce premier acte Treplev  va  jouer  sa  nouvelle  pièce  devant  sa mère et les autres personnages, ce qui explique la présence de l’estrade et du rideau. Il précise aussi que le théâtre n’est pas le cinéma, qu’il ne peut tout montrer et fait appel à l’imagination du spectateur  (un arbre  suggère une  forêt…). Les  élèves dessinent  sur  une  feuille  de dessin avec  des  crayons  de  couleurs  cette  première image à partir de leurs réponses aux questions suivantes :

© Photo d’équipe NTA

Page 7: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

7

n°  153 novembre 2012

Quel cadre de scène choisir parmi les  six  proposés  (annexe  10) ? carrés  ou  rectangles  aux  formes plus  ou  moins  allongées  et  aux points  de  fuite  plus  ou  moins centrés ? Ces six cadres sont pro-posés par le scénographe Yannis Kokkos  pour  une  initiation  à  la scénographie 4.  Ils  permettent de  préciser  les  différents  choix de  dimensions  et  de  perspec-tives  scéniques  (scène  réduite ou profonde, cadre de scène bas ou élevé…) Quels  éléments  semblent  essentiels  parmi tous ceux évoqués par Tchekhov (parc ? allée ? estrade ? buissons ? rideau ?). Qu’est-ce qui est au premier ou au second plan ?Enfin, où se trouvent dans cette scénographie les  deux  personnages  qui  parlent  au  début ? (Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? » Macha : « C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse. ») Sont-ils au centre ? sur le côté cour  ou  côté  jardin ?  au  lointain ?  en  avant-scène ? et pourquoi les rêver là ?

b L’enseignant propose de dessiner les deux personnages à l’endroit souhaité sous formes de simples silhouettes pour figurer l’échelle humaine. Puis chaque groupe présente sa proposition argumentée et ses choix.

b Pour aller plus loin, on peut demander à certains élèves (seuls ou en groupes) de choisir quatre cadres identiques ou diffé-rents pour les quatre actes et de voir com-ment la scénographie évolue de l’acte I à IV et comment l’intérieur envahit petit à petit l’extérieur.

4. Cités et présentés par D. Porché dans 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos,

Actes Sud/ANRAT, 2005, p. 81.

Le sous-texte ou le courant souterrain

« Cette dramaturgie sans action [celle de Tchekhov] repose, souligne Peter Stein, non sur ce qui est  dit mais  sur  la manière de  le dire.  Ce qui  change,  ce ne  sont pas  les mots, mais  le moyen ou la manière de les dire, de les prononcer. Tel est le fameux sous-texte ou “courant souterrain”. Les acteurs du théâtre de Tchekhov, grâce au sous-texte, ont reçu des rôles tout à fait nouveaux. Puisque ce qui  importait n’était plus  le contenu du texte mais bien davantage  la manière de  le dire — l’interprétation, le jeu ont pris une telle importance que l’acteur est devenu un coauteur. Tchekhov a laissé tellement d’espace, de liberté entre les propositions, les bouts de propositions et même entre  les mots,  que  l’acteur peut  remplir  ces  vides de  son état psychologique, de  son moi. C’est le plus grand cadeau que Tchekhov a fait aux acteurs. Mais cela ne signifie pas qu’il soit facile de le jouer. »

ActivitéJouer une scène selon deux hypothèses de lecture en imaginant un sous-texte différent

Objectif : mesurer l’importance des choix du metteur en scène et de l’acteur.

Frédéric  Bélier-Garcia  présente  la  difficulté d’interpréter cette scène : « On ne sait, dit-il, si Trigorine revient dans la maison vraiment pour voir  Nina  et  donne  le  prétexte  de  la  canne  à pêche ou s’il vient effectivement rechercher sa canne à pêche et a déjà oublié le rendez-vous avec Nina ». 

b L’enseignant propose de lire cet extrait (annexe 11) selon deux hypothèses de lec-ture :– ou Trigorine revient pour voir Nina sous le prétexte de la canne à pêche.– ou Trigorine revient pour chercher la canne à pêche et a déjà oublié Nina.

Dans  les  deux  hypothèses,  le  sous-texte  est bien différent : les points de suspension, ponc-tuation  très  fréquente  chez  Tchekhov,  sont  à lire différemment. Quatre élèves (deux garçons et  deux  filles  si  possible)  joueront  les  deux versions de ce duo selon  les deux hypothèses. Pendant  que  les  élèves  joueurs  apprennent  le texte, le reste de la classe imagine et écrit ce 

© Photo d’équipe NTA

Page 8: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

8

n°  153 novembre 2012

5. La diagonale est une ligne dont le metteur en scène Antoine Vitez dit 

qu’elle est « dramatique », c’est-à-dire qu’elle crée une tension : « Une ligne est 

dramatique dans la mesure où elle est biaise. Les dialogues peuvent être  diagonaux mais jamais latéraux »,  

cité par Dany Porché, op. cit., p. 75.

L’affiche, premier regard sur la représentation

ActivitéAnalyser l’affiche de La Mouette

Objectif : découvrir la portée symbolique de l’affiche.

b L’enseignant demande aux élèves d’ob-server l’affiche du spectacle de  La Mouette (annexe 12). Relever les informations tex-tuelles (titre, auteur, équipe artistique, producteurs, tournée), le choix des polices et des couleurs. Analyser la photo (Nicole Garcia jouant Arkadina) et la position du corps.

Que peut raconter à un spectateur qui n’a pas lu la pièce cette photo de l’actrice Nicole Garcia ? Analyser  le  mouvement  des  bras,  le  corsage porté,  les  franges plumetées au poignet et au col. L’enseignant aide les élèves à découvrir la portée symbolique de la photo à partir de leur interprétation  des  différentes  occurrences  du mot « mouette » dans  les  répliques de  la pièce 

(annexe 12). N’y a-t-il pas ressemblance entre une  mouette  et  le  cliché  de  l’actrice ?  Quels sont les éléments de cette analogie ? Mais alors que dans le texte de Tchekhov, c’est Nina (jouée par Ophélia Kolb) qui est continuellement asso-ciée  à  une  mouette,  sur  l’affiche  c’est  Nicole Garcia  jouant  Arkadina  qui  apparaît  de  profil. Que peut nous révéler ce choix : simple volonté de  mettre  sur  l’affiche  une  actrice  connue  du public ?  Ou  plus  profondément  désir  de  repré-senter  les  rêves  de  Nina,  devenir  une  actrice connue comme Arkadina, quitte à se brûler les ailes ?  Ou  intention  de  montrer  le  pouvoir  de l’ancienne génération qui occupe l’espace visuel et empêche la jeune génération d’être visible ? Ou  encore  souhait  de  Frédéric  Bélier-Garcia de montrer qu’il met en scène sa mère, Nicole Garcia,  dans  une  pièce  qui  traite  d’un  conflit violent entre une mère actrice et son fils auteur de  pièces  d’avant-garde ?  Autant  d’interpréta-tions qui ouvrent  les portes de  l’imaginaire et rendent sensible au choix de mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia (annexes 13 et 14).

qui n’est pas dit dans les points de suspension.Si on écoutait  le monologue  inté-rieur de Nina et de Trigorine dans la  première  et  dans  la  deuxième hypothèse, qu’entendrions-nous ?L’enseignant  crée  un  espace  scé-nique  en  dégageant  une  diago-nale 5  qui  va  d’une  porte  de  la classe  au  coin  opposé.  Un  bâton censé représenter la canne à pêche est placé près de la porte. Celui qui joue Trigorine entre par cette porte et l’actrice qui joue Nina est assise à l’opposé de cette entrée.

Les  deux  interprétations  de  la  scène  sont jouées  successivement :  les  élèves  proposent des  mouvements  sur  cette  diagonale  qui  tra-duisent  leurs  émotions.  Au  début,  ils  doivent être aux extrémités de la diagonale et à la fin, très  proches  mais  ils  ne  se  déplacent  que  sur cette  diagonale :  qui  avance  vers  l’autre ?  Le font-ils  ensemble  ou  non ?  Éviter  le  piétine-ment :  ils  se  déplacent  ou  ils  sont  immobiles. Les  regards  doivent  aussi  être  précis :  que fixent-ils ? l’autre ? ou un ailleurs qui peut être 

menaçant,  l’arrivée  d’Arkadina  par  exemple ou  de  quelqu’un  d’autre ?  Les  silences  doivent être longs et révéler ce qui se passe en eux, le fameux sous-texte.Puis  la  classe  se  prononce  sur  l’interprétation qui lui semble la plus juste et pourquoi.Pour  finir,  quelques  élèves  peuvent  faire entendre  les  pensées  intérieures  qu’ils  ont imaginées  sous  les  points  de  suspension,  en précisant quelle hypothèse ils ont retenue.

Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE

Page 9: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

9

n°  153 novembre 2012

renseignements / réservations 02 41 22 20 20www.lequai-angers.eu

de Anton Tchekhovmise en scène Frédéric Bélier-Garcia

avecNicole GarciaOphelia KolbAgnès PontierBrigitte RoüanEric BergerMagne-Håvard BrekkeJan HammeneckerMichel HermonManuel Le LièvreStéphane Roger

production Nouveau Théâtre d’Angers Centre Dramatique National Pays de la Loire

LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTSdu mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012

GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENTdu jeudi 14 au lundi 18 février 2013

ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVERNANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE…

TOURS… LA ROCHELLE… MARSEILLE… LYON

Con

cep

tion

et

imp

ress

ion

: S

etig

Pal

uss

ière

, An

ger

s. 1

0/20

12. P

hot

ogra

ph

ie ©

Vin

cen

t F

lou

ret.

Productio

n

affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1

© VINCENT FLOURET

Page 10: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

10

n°  153 novembre 2012

Après la représentation

Pistes de travail

Les souvenirs de la représentation de La Mouette

Yannick  Mancel,  dramaturge  du  théâtre  du  Nord,  dit  à  propos  du  partage  des  regards  entre spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes.1 »

Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de reconstituer au plus près le souvenir de la représentation.

1. Mancel Yannick, « L’apprenti specta-teur : portrait historique, subjectif et utopique » dans Le théâtre et l’école :

histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189. 

Yannick Mancel revient sur ces éléments dans Théâtre Aujourd’hui n°13 : la scénographie, SCÉRÉN, 2012.

ActivitéÉcrire le souvenir d’une image de la représentation

Objectif : mener une description scrupuleuse du spectacle avant toute appréciation.

b Pour que la description « clinique » devienne ludique, chaque élève prend un papier et, à la manière de Georges Perec, écrit une phrase qui commence par « je me souviens » en décrivant très précisément un souvenir visuel (lié à l’espace, au mouvement des corps, aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux bruits, aux chants, à la musique enregistrée) de la représentation de La Mouette.Par  exemple :  « Je  me  souviens  des  sons  d’oi-seaux  au  début  quand  Macha  et  Medvedenko se parlent sous les arbres et que la lumière les éclaire à peine ».

b Puis chacun lit à haute voix son souvenir, ou celui d’un autre élève, et la classe écoute l’ensemble des souvenirs sans commentaire.

Pour mesurer  la portée symbolique des  images construites  par  le  metteur  en  scène  et  son équipe, on peut questionner ensuite les élèves sur  leur  souvenir  de  la  première  et  dernière image  de  la  représentation.  C’est  une  façon concrète  de  raconter  l’histoire  qu’ils  ont  com-prise.  L’enseignant  leur  demande  d’être  sen-sibles aux points communs et aux variations de ces  deux  images  et  de  les  interpréter.  Chacun contribue  à  les  reconstruire  par  un  échange oral.

La  représentation  commence  par  l’expression de la douleur de Macha adressée à Medvedenko sous  les  arbres  par  une  nuit  sombre.  Elle  se termine  par  une  image  chorale  à  l’intérieur d’une maison obscure. Seules quelques lumières venant de  lampes rouges sont disséminées sur le  plateau,  quatre  bougies  sont  allumées  par Paulina, éclairage pour une catastrophe annon-cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale, le rideau de scène presque invisible tombe très lentement au-dessus de Macha et Medvedenko qui  se  trouvent  dans  le  décor  du  feuillage  et du  rocher  factice.  Ce  rideau  immense annonce la  pièce  de  Treplev.  À  la  fin  il  réapparaît  en descendant  à  chaque  extrémité  du  plateau côté jardin sur  le bureau vide de Treplev, côté cour  sur  le  canapé  méridienne,  comme  une dernière  apparition  fantomatique  de  Treplev. C’est  Frédéric  Bélier-Garcia  et  non  Tchekhov qui propose ce  retour du  rideau de  théâtre de Treplev à la fin de la représentation. À partir de ces images (initiale et finale), on comprend que Tchekhov  nous  raconte  le  destin  d’hommes  et de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient leurs  idéaux  se  briser.  Mais  si  les  hommes  se tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au bout.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Page 11: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

11

n°  153 novembre 2012

Le jeu amoureux

ActivitéRejouer un instant de duo amoureux

Objectif : développer le regard du spectateur sur le jeu physique des acteurs dirigés par Frédéric Bélier-Garcia.

b Dans un premier temps, l’enseignant demande aux élèves d’écrire, sous forme d’un schéma, la chaîne des amours : Medvedenko aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine qui aime… ? Paulina aime Dorn qui aime… ? Comme pour l’Andromaque de Racine, tous aiment sans être aimés en retour. Puis en s’appuyant sur la mémoire du spectacle, les élèves préparent par deux la reconstitution d’un duo amoureux sous forme d’images fixes. L’enseignant rappelle que le dessin des corps, la gestuelle, les attitudes, la physionomie, les regards doivent être précis : – Arkadina allongée au pied de Trigorine lorsque ce dernier lui avoue son attirance pour Nina (acte III) ;– Macha qui frappe avec violence le dos de Medvedenko quand ce dernier veut la ramener dans leur maison (acte IV) ;– Nina qui serre dans ses bras Treplev tout en lui avouant son amour pour Trigorine (acte IV) ;– Macha qui se refuse à Medvedenko et se débat dans ses bras (acte IV) ;

– Paulina qui dégrafe son corsage pour attirer Dorn… (acte II).

b L’enseignant, pendant ce bref temps de préparation, dessine au sol une aire de jeu de 3 x 3 m à l’aide d’un scotch blanc et demande aux duos à tour de rôle de se placer à l’endroit du plateau où se tenait l’image dans leur souvenir. Ils tiennent ce tableau vivant puis l’animent brièvement. Ils peuvent alors émettre un son ou une parole.

b Après chaque reconstitution sans parole, les élèves spectateurs disent de quels personnages il s’agit et par quel traitement du corps le metteur en scène a montré le désir ou la douleur des personnages. L’enseignant aide les élèves joueurs à être précis dans la reconstitution de la relation amoureuse et les élèves spectateurs à analyser toutes les variétés physiques de l’expression de la douleur d’aimer.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Le jeu choral

ActivitéReconstituer un tableau collectif par le jeu et analyser deux photos de groupe

Objectif : être sensible à ce qui les rend vivantes.

b L’enseignant peut proposer aux élèves de se souvenir d’une scène chorale et de la reconstituer devant les autres. Par groupe de dix, ils préparent ce tableau après avoir choisi une scène collective où chacun s’attribue un rôle. Chaque groupe présente son image dans l’aire de jeu. L’enseignant demande

« La difficulté des scènes chorales, dit Frédéric Bélier-Garcia, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur scène. Il faut absolument veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice dans le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains pour que la scène ne relève pas de la simple conversation » (annexe 14).

« Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de  l’existence, dit Frédéric Bélier-Garcia. Chaque personnage est introduit dans un duo (Macha/Medvedenko, Paulina/Dorn…) puis y va de son numéro. Chacun essaie d’être aimable… tandis qu’au plus profond de  lui  ahane  la panique d’exister » (annexe 14).

Page 12: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

12

n°  153 novembre 2012

aux élèves d’être précis dans l’attitude, les regards, la place de chacun dans l’espace et de tenir l’image muette quelques secondes. Les spectateurs disent ensuite de quelle scène il s’agit et comment « les enjeux humains » sont visibles.

b Deux photos de la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia peuvent être observées

afin de voir comment le metteur en scène réussit à rendre vivant ce grand groupe (annexe 15). Les élèves observent avec précision les regards et attitudes qui rendent vivant l’individu au milieu du groupe. Les expressions des visages et des corps permettent de comprendre les enjeux de la scène pour chaque personnage.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Acte I : scène du début, le groupe assiste à la pièce de Treplev mais quelques uns n’ont pas les yeux rivés sur le spectacle. Chamraiev (côté jar-din) regarde vers la salle, signe d’ennui face à cette pièce d’avant-garde, lui qui aime le vieux théâtre  et  les  acteurs  d’« avant  le  déluge », 

comme le lui dit Arkadina. Sorine s’inquiète des réactions de sa sœur qu’il voit lever les bras en signe de désapprobation, Paulina n’a d’yeux que pour  Dorn  côté  cour.  Quant  aux  autres,  leurs yeux convergent vers Nina et le spectacle.

Fin de l’acte IV : tous sont regroupés autour du jeu  de  loto  mais  seuls  Trigorine  et  Chamraiev regardent  le  jeu. Arkadina,  la mère, et Macha, l’amoureuse, regardent Treplev. Paulina adresse 

un regard noir de jalousie à Arkadina. Quant à Dorn,  il semble regarder de façon nonchalante le  duo  Treplev-Arkadina  ou…  dormir  comme Sorine qui se trouve sur le canapé à l’arrière.

L’enseignant peut aussi rendre les élèves sensibles à l’équilibre du plateau visible dans ces deux photos, équilibre dont tout metteur en scène connaît les lois et qu’il doit particulièrement recher-cher dans les scènes collectives.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Page 13: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

13

n°  153 novembre 2012

La bande sonore

André Serré est  le  concepteur  son de La Mouette  et a  commencé avec Patrice Chéreau dans  les années 1970. Ils ont été les premiers à proposer des sons venant du décor : « Avant La Dispute mise en scène par Chéreau, le son venait exclusivement de la salle. Avec Chéreau on a inventé le son du décor. Dans La Dispute, le rideau s’ouvrait sur une forêt et on a mis le bruit de la forêt. Cela a été une révolution. Au théâtre l’œil guide l’oreille. Si l’image est sur scène, le son est sur scène. Ce sera aussi le cas dans la mise en scène de La Mouette.2 »

À la question du choix des bruits réalistes et des musiques suggérés par Tchekhov dans les didas-calies, André Serré répond : « Il y a des sons inscrits dans le texte : les musiques de l’autre côté du lac, des gens qui jouent du piano… la tempête sur le lac… Mais le son est subjectif et je ne vais pas tout faire entendre : je sais par exemple qu’il y aura des aboiements des chiens car ils éner-vent Sorine et doivent aussi énerver le spectateur. Quant aux musiques, elles viendront de toutes les époques, antérieures ou postérieures à Tchekhov mais rien de russe… Ce que j’aime dans une bande-son c’est que, même si elle est faite de plein de petits bouts, elle ait une cohérence et que le public ait l’impression qu’elle a été écrite pour le spectacle. »

2. Propos recueillis par l’auteur.

ActivitéÉcrire une liste de souvenirs sonores

Objectif : comprendre la fonction du son.

b L’enseignant demande aux élèves de faire une liste de tous les sons dont ils se sou-viennent et de préciser leur intensité (fort au 1er plan ou plus lointain au 2e plan). Il peut ensuite relire avec eux les didascalies initiales de Tchekhov (annexe 9 et repérer les sons qui relèvent de l’auteur et ceux qui ont été choisis par l’équipe artistique. Enfin il leur demande de se questionner sur la fonction des sons entendus et d’en choisir un pour chacune des trois fonctions ci-dessous, en sachant bien que le bruit réa-liste a souvent une portée symbolique pour Tchekhov.

– Créer un effet de réelAinsi  les  bruits  d’oiseaux  du  début  créent  un effet  de  réel  et,  comme  le  dit  André  Serré, correspondent  à  ce  que  le  spectateur  a  sous les  yeux :  deux  êtres  sous  les  arbres,  près  de rochers, un soir.

– Accroître la tension dramatiqueLa  musique  enregistrée  (Variations Enigma d’Elgar)   accompagne  à  chaque  fois  le  dépla-cement du décor mais aussi  la grande tension 

dramatique  à  la  fin  de  chaque  acte.  Tchekhov le  disait  lui-même :  « Je  termine  chaque  acte comme  mes  récits :  je  le  conduis  doucement, paisiblement  et,  à  la  fin,  pan !  sur  la  gueule du spectateur. » Ainsi Macha avoue à Dorn son amour pour Treplev à la fin de l’acte I. L’acte  III se clôt sur le premier baiser entre Trigorine et Nina.  Le  choix  d’Elgar,  musique  très  lyrique et  quasi  cinématographique,  est  une  traduc-tion sonore puissante de  l’émotion voulue par Tchekhov  à  ces  moments-là  et  rappelle  les formes opératiques et cinématographiques que connaît bien Frédéric Bélier-Garcia.

– Apporter une lecture symbolique de la pièceLe bruit du vent (voulu par Tchekhov au début de l’acte IV) crée évidemment un effet de réel mais a surtout une portée symbolique. C’est à une violente et dernière tempête dans les cœurs que nous assistons. Le drame s ‘achève. Macha essaie  d’échapper  à  l’étreinte  brutale  de  son mari et, dans une valse de plus en plus rapide avec sa mère, dit son souhait d’« arracher » de son  « cœur »  l’amour  pour  Treplev. Nina,  entre rire  et  larmes,  serre  une  dernière  fois  Treplev tout  en  lui  disant  son  amour  pour  Trigorine. Sorine attend la mort allongé sur la méridienne et,  à  l’image  de  Firs  dans  La Cerisaie,  semble déjà oublié de tous. Quant à Treplev, il se sui-cide. Finie la tempête. Silence sur le plateau.

Page 14: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

14

n°  153 novembre 2012

ActivitéSuivre la vie d’un objet sur scène

Objectif : apprécier la fonction des objets au théâtre.

b L’enseignant rappelle que, dans les didas-calies de Tchekhov (annexe 6), un certain nombre d’objets sont présents, objets dont ne tient pas toujours compte le metteur en scène. Ainsi des objets datés : le croquet (jeu de l’époque de Tchekhov) disparaît, la tabatière de Macha est remplacée par la cigarette… Les élèves écrivent sur un papier le nom d’un objet dont ils se souviennent. L’enseignant rappelle au préalable le sens de l’objet : devient objet au théâtre tout élément manipulé par l’acteur (objet certes, mais aussi accessoire du personnage, élé-ment de décor ou morceau de costume). Chacun place dans un chapeau le nom de son objet puis les élèves à tour de rôle sortent un papier, lisent le nom de l’objet, le décri-vent rapidement disent par qui et de quelle manière il est manipulé. Enfin, ils émettent une hypothèse sur sa fonction. Les élèves peuvent aussi découvrir combien la mise en scène de Frédéric Bélier Garcia est proche de l’esprit tchekhovien avec une forte présence d’objets réalistes qui ont une fonction sym-bolique. Très souvent l’élément le plus banal révèle, par l’usage qu’en font les acteurs, désir et souffrance des personnages.

Quelques exemples :– la  corde  au  milieu  du  plateau  avec  laquelle joue  Macha  et  qui  est  aussi  manipulée  par Paulina dans une sorte d’autoflagellation ;– le  verre  d’alcool  partagé  par  Macha  avec Trigorine, signe de sa souffrance de ne pas être aimée par Treplev ;– les feuilles mortes cueillies puis jetées une à une par Treplev quand il parle de l’amour filial de sa mère dont il doute ;– la mouette jetée au pied de Nina par Treplev comme  symbole  de  sa  douleur  et  qui  reparaît empaillée à la fin comme une image de la mort symbolique de Nina ;– le col du costume de Paulina qu’elle dégrafe violemment pour séduire Dorn ;– la fleur donnée par Nina à Dorn et détruite par la jalouse Paulina.

Pour  prolonger  cette  recherche,  on  peut,  à titre de comparaison, regarder quelques photos de  la mise  en  scène  d’Arthur Nauzyciel  (Pièce (dé)  montée  n° 148)  d’où  toute  trace  d’objet a  disparu.  L’enseignant  questionne  les  élèves sur  cette  opposition  entre  les  deux  mises  en scène :  d’un  côté  chez  Frédéric  Bélier-Garcia une pléthore d’objets réalistes, de l’autre chez Arthur  Nauzyciel  une  disparition  totale  des objets  qui  évoque  plutôt  un  monde  de  morts que de vivants.

La fonction des objets

« Il ne faut pas mettre sur scène un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir », dit Tchekhov. Dans la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, il y a un nombre considérable d’objets qui servent le jeu et contribuent à recréer de façon authentique une époque révolue. Mais l’abondance d’objets sur scène est peut-être aussi un signe d’ironie face à l’esthétique réaliste.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Page 15: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

15

n°  153 novembre 2012

La scénographie : une mise en abîme du théÂtre

« La Mouette parle d’une mise en abîme du théâtre, dit Sophie Perez. Entre l’histoire de la mère et du fils, ça ne parle que de réinventer le théâtre. Il faut que la scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité » (annexe 8). Certes les meubles, les objets sont authentiques et relèvent d’une esthétique réaliste que le travail de l’éclairagiste accentue. Ainsi le clair-obscur du dernier acte semble vraiment venir des objets lumineux du décor, appliques, lampes, bougies. Mais la scénographie, elle, est bien une machine de théâtre qui éloigne le spectateur de toute illusion.

ActivitéReconstruire les éléments et mouvements du décor

Objectif : comprendre l’évolution et le fonc-tionnement de la scénographie.

b Par groupe de cinq, l’enseignant demande aux élèves de reconstituer avec des croquis l’évolution de la scénographie au cours des quatre actes. Quelques groupes présentent l’évolution du décor.

Un sol noir suggère la brillance d’un lac ou d’un parquet,  délimite  l’aire  de  jeu  et  est  entouré de  feuilles mortes  rougeoyantes.  Le  décor  est composé  d’un  immense  rideau  de  scène  et de  cinq  éléments  mobiles  qui  sont  déplacés pour se joindre ou se disjoindre dans l’espace. Trois  d’entre  eux  glissent  sur  le  sol  :  le  décor de  feuillages  et  rochers  et  les  deux  éléments qui  ressemblent  à  des parties de pièces  (salon et  bureau).  Deux  autres éléments  descendent des  cintres  :  une  porte (avec  des  dorures  et deux  appliques  rouges) et  un  élément  composé de  trois  cadres-fenêtres en bois brut. Les acteurs se  déplacent  de  façon 

très libre et non réaliste d’un élément à l’autre.L’espace  change  quatre  fois.  Le  décor  de feuillages  et  rochers  de  la  pièce  de  Treplev, fermé  par  un  rideau  qui  disparaît  dans  les cintres, est retourné à la fin de l’acte et placé côté  jardin  (acte  I).  Le  spectateur  voit  alors une  sorte  de  déjeuner  sur  l’herbe  avec  corde, balançoire,  nappe  recouverte  de  coussins  et de  bouteilles,  fermé  au  lointain  par  les  trois cadres-fenêtres (acte II). Puis les deux parties de  pièces  de  la maison  avancent  ainsi  que  la porte et viennent créer un angle côté cour. Une table  et  des  chaises  occupent  le  côté  jardin. Avant la rencontre entre Treplev et sa mère, le décor change à nouveau et les deux pièces de la maison se disjoignent :  le  salon côté  jardin légèrement en arrière et le bureau côté cour plus proche de l’avant-scène. La porte aux appliques disparaît au  lointain  (acte  III). Enfin  l’espace est  totalement  fermé  sous  forme  rectangu-laire : le salon glisse côté cour, le bureau côté 

jardin (parallèles aux coulisses),  la  porte aux  appliques  rouges au centre et les trois cadres-fenêtres  légè-rement  au  lointain. Le rideau de la pièce de  Treplev  tombe. Les personnages sont totalement enfermés, la  maison  a  avancé © STÉPHANE TASSE

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Page 16: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

16

n°  153 novembre 2012

L’évolution du personnage à travers le costume

« Nina a quatre costumes, dit Catherine Leterrier. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe : elle est devenue une femme marquée par la vie. »

Si l’espace évolue, les costumes aussi, signe du temps qui passe. Nina passe de « l’amour sororal » pour  Treplev  à un « amour  événement » pour  Trigorine,  selon une distinction de Roland Barthes citée par Georges Banu 3. De l’espace de son enfance (les bords du lac) Nina part dans les grandes villes, prend le train…

Nina est  le  seul  personnage dont on peut dire  qu’elle  change  vraiment :  la  toute  jeune  fille  du début, rêvant d’amour et de théâtre, devient une femme qui part tenter sa chance sur les scènes de théâtre, a un enfant de Trigorine, enfant qui meurt, puis est abandonnée par son amant.

3. Banu Georges, op.cit.

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

progressivement  et  emprisonné  ceux  qui  vou-laient partir (acte IV).

b L’enseignant demande ensuite aux élèves de chercher un argument qui révèle que toute la scénographie est une mise en abîme du théâtre (et pas seulement quand il est question de jouer la pièce de Treplev). Au préalable l’enseignant peut lire et commenter avec les élèves l’extrait de l’entretien de Sophie Perez. Voici quelques arguments :– l’importance du rideau qui est inspiré de l’histoire du théâtre russe et de la mise en scène de Stanislavski ;– le décor factice de la pièce de Treplev (arbres et rochers) ;– les murs de la maison qui évoquent aussi des châssis de théâtre ;– le jeu avec les nombreux cadres vides qui trouent les cinq éléments mobiles et qui peuvent être des portes, des fenêtres mais aussi des cadres de scène. À travers eux,

les personnages espionnent, regardent des scènes qu’ils ne devraient pas voir ;– le déplacement à vue des meubles et des objets par des machinistes qui sont aussi ponctuellement acteurs (ils viennent d’ailleurs saluer) et des acteurs qui sont machinistes ;– le décor qui s’avoue décor de théâtre puisqu’il est déplacé, déconstruit et recons-truit à vue et que le spectateur ne voit que des murs coupés ou des pièces tronquées.

Si les objets, les beaux meubles d’époque mis en lumière par Roberto Venturi entraînent le spec-tacle  vers  ce  que  Vitez  appelait  « un  réalisme enchanté », la scénographie en revanche repose sur un jeu de construction et de déconstruction qui  éloigne  du  réalisme  et  affirme  la  moder-nité. Ce mélange radical d’esthétiques fait bien résonner le propos de Tchekhov sur l’opposition entre formes anciennes et formes nouvelles.

Page 17: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

17

n°  153 novembre 2012

ActivitéÉcrire la lettre de l’acteur à son person-nage

Objectif : comprendre le lien entre l’écriture de Tchekhov, la psychanalyse et la direction d’acteurs de Frédéric Bélier-Garcia.

b L’enseignant demande aux élèves d’écrire la lettre de l’acteur à son personnage et de choisir l’un des quatre jeunes : Éric Berger écrivant à Medvedenko, Agnès Pontier à Macha, Manuel Le Lièvre à Treplev, Ophélia Kolb à Nina.

La lettre doit révéler les choix de l’acteur dirigé par Frédéric Bélier-Garcia pour incarner son per-sonnage  et  s’appuyer  sur  des  souvenirs  précis du jeu de l’acteur. Comme s’il était son double conscient,  l’acteur  écrit  au  personnage  peu conscient de ses actes et paroles et  lui  révèle pour quelles raisons  il  l’incarne ainsi (actions, manières de parler, pensées intérieures, passage d’une émotion à l’autre sans transition, évolu-tion, mouvements dans l’espace).

L’enseignant  précise  que  la  psychanalyse  est née à  la même époque que La Mouette et que 

Tchekhov  se  tient  constamment  informé  des travaux de Freud. Il n’est pas surprenant alors qu’il crée des personnages aussi peu maîtres de leurs  paroles  et  de  leurs  gestes  et  dont  nous nous sentons si proches aujourd’hui. Pour ana-lyser cette écriture du non-dit et voir comment Frédéric Bélier-Garcia traduit cette inconscience du  personnage,  l’enseignant  demande  aux élèves de  se  souvenir de moments où un per-sonnage agit sans savoir ce qu’il fait (Arkadina dit  « Pourquoi  ai-je  blessé  mon  pauvre  petit garçon ? »)  ou  parle  à  une  personne  et  pense complètement  à  quelqu’un  d’autre  (l’actrice Ophélia Kolb — Nina — se jette dans les bras de Manuel  Le  Lièvre —  Treplev —  à  l’instant même  où  elle  dit  aimer  toujours  Trigorine). Tchekhov,  lui,  proposait  cette  étreinte  seu-lement  à  la  fin  de  leur  échange.  La  cruauté inconsciente de Nina est mise en valeur par la mise  en  scène  de  Frédéric  Bélier-Garcia :  Nina ne voit pas que ses mots et gestes sont en train de précipiter le suicide de Treplev.

b Les élèves font entendre au reste de la classe un extrait de leur lettre. Celles-ci circulent enfin dans la classe pour être lues par tous.

La construction du personnage par l’acteur

À la question : « Comment avez-vous construit le personnage de Macha ? » Agnès Pontier répond : « Je pense toujours à Macha comme si  j’étais elle. Je  regarde dans  la  rue  les  filles habillées en noir et qui cultivent cette façon de se vêtir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’évolution de Macha qui apparaît toujours en début et fin d’acte et ponctue la pièce. Sous son costume noir je cherche la vie, le pétillement, la ferveur. Certes elle se morfond mais, si je vais dans le sens du texte, cela peut devenir linéaire. Je l’imagine au contraire exaltée, lisant la poésie amoureuse de Louise Labbé. Sous le costume noir, serré et couvrant tout le corps brûle un feu intérieur. Je joue contre le costume qui pourrait évoquer une femme asexuée. »

ActivitéObserver deux costumes de Nina (annexe 16)

Objectif : être sensible à l’évolution d’un personnage à travers ses costumes.

b L’enseignant demande aux élèves d’ana-lyser l’évolution de Nina à travers deux de ses costumes : costumes de l’acte I et de l’acte IV pour qu’ils mesurent l’évolution du personnage en l’espace de deux ans.

Si  à  l’acte  I  elle  est  encore  une  toute  jeune fille (costume aux couleurs claires, robe courte, 

sans manche et légère qui laisse voir beaucoup de  chair),  le  costume  de  l’acte  IV  est  long, plus sombre, recouvre le corps, sauf la poitrine et le cou entouré d’un foulard rouge, signe de  sensualité. La robe a des rayures qui rappellent celles  des  costumes  de  l’actrice  admirée  de Nina,  Arkadina.  Un  corset  invisible  soutient et  enferme  le  corps  moins  libre  qu’à  l’acte  I. Le manteau semi-long est  recouvert de taches blanches  qui  peuvent  évoquer  la  mouette  à laquelle  Nina  s’identifie.  La  chevelure  et  le maquillage  viennent  accentuer  cette  transfor-mation : les cheveux assez libres du début sont tirés et tenus par un chignon à la fin et les yeux non maquillés finissent charbonneux.

Page 18: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

18

n°  153 novembre 2012

Comité de pilotageJean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts  et Culture, CNDP  Patrick LAUDET, IGEN Lettres-ThéâtreCécile MAURIN, chargée de mission Lettres, CNDPMarie-Lucile MILHAUD, IA-IPR honoraire Lettres-Théâtre

Responsable de la collection Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts  et Culture, CNDP

Auteur de ce dossierDany PORCHÉ, professeure de Lettres, formatrice

Directeur de la publicationFlorence CABRESIN, directrice du CRDP  de l’académie de Nantes

Responsabilité éditorialeCyril ROY

Secrétariat d’éditionSandrine BERCIER

Maquette et mise en pageLydia BOILEAU, d’après une création d’Éric GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris© CRDP académie de Nantes, novembre 2012

ISSN : 2102-6556ISBN : 978-2-86628-461-1

Ce dossier a été élaboré dans le cadre du PRÉAC (Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle Théâtre Angers-Nantes)

Nos chaleureux remerciements à Frédéric Bélier-Garcia, directeur du NTA et metteur en scène, ainsi qu’à ses collaborateurs, qui ont permis la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions.

Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.

La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.

Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »

Bibliographie

Filmographie

Banu Georges, « Ruptures dans l’espace de La Mouette », dans Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978.La scénographie, Théâtre Aujourd’hui n° 13, SCÉRÉN, 2012.Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique », dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002.naBokov Vladimir, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Stock, 1999.neMirovski Irène, La vie de Tchekhov, Albin Michel, 1989.Pastoureau Michel, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Éd. du Seuil, 2003.Porché Dany, 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005stanislavski Constantin, Ma vie dans l’art, Éditions l’Âge d’Homme, 1980.stein Peter, Mon Tchekhov, Actes Sud, 2002.tchekhov Anton, La Mouette, préface de Patrice Pavis, traduction de Antoine vitez, Actes Sud/Librairie Générale Française, 1999.—, La Mouette, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud/Labor/Lemeac, 1996.« Stanislavski/Tchekhov », Alternatives théâtrales, numéro 87, octobre 2005.vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993.

La petite Lili, Claude Miller, adaptation de La Mouette avec Nicole Garcia et Bernard Giraudeau, 2002.Partition inachevée pour piano mécanique, Nikita Mikhalkov, adaptation à l’écran de Platonov, 1977.La Mouette, Youli karassik, Russie, Potemkine K, 1972.

Page 19: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

19

n°  153 novembre 2012

Annexe 1 : fiche technique

Annexes

ANGERS : Le Quai du 14 au 24 novembre 2012 et au Grand Théâtre du 14 au 18 février 2013

NANTES : Le Grand T du 27 novembre au 5 décembre 2012

LA ROCHE-SUR-YON : Le Grand R les 10 et 11 décembre 2012

SAINT-NAZAIRE : Le Théâtre les 13 et 14 décembre 2012

TOURS : Le Nouvel Olympia du 17 au 21 décembre 2012

LA ROCHELLE : La Coursive les 15 et 16 janvier 2013

MARSEILLE : Le Théâtre du Gymnase du 22 au 26 janvier 2013

LYON : Théâtre des Célestins du 30 janvier au 10 février 2013

durée estiMée : 2 h 30

Avec : Nicole Garcia, Ophélia Kolb, Agnès Pontier, Brigitte Roüan, Éric Berger, Magne-Hävard Brekke, Jan Hammenecker, Michel Hermon, Manuel Le Lièvre, Stéphane Roger.

Scénographie : Sophie Perez et Xavier Boussiron

Costumes : Catherine Leterrier et Sarah Leterrier

Lumières : Roberto Venturi

Son : André Serré

Collaboratrice du metteur en scène : Valérie Nègre

Traduction : Antoine Vitez (Éditions Actes Sud/Le livre de Poche)

Affiche : Vincent Flouret

Dates des représentations de La Mouette

Distribution

Page 20: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

20

n°  153 novembre 2012

Annexe 2 : Acte III (extraits)

Annexe 3 : Les personnages

« Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon  trésor,  tête  folle,  tu  veux  faire  des  bêtises,  mais  je  ne  veux  pas,  je  ne  te   laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et ces yeux à moi, et ces beaux cheveux de soie sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant de talent, d’intelligence, tu es le meilleur de tous les écrivains d’aujourd’hui, tu es l’unique espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour sain… »

« Tant mieux je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, ma tête brûlée, tu veux faire des folies, mais moi, je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… À moi… Et ce front, il est à moi, et ces yeux, ils sont à moi, et ces cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si intelligent, le plus grand des écrivains de notre temps, tu es le seul espoir de la Russie. Tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour salubre… »

La Mouette© Actes Sud, 1984, p. 86.

La Mouette© Actes Sud / Labor / Lemeac, 1996, p. 90.

Irina Nikolaievna Arkadina,  Mme Treplev par mariage actrice

Constantin Gavrilovitch Treplev  son fils, jeune homme

Piotr Nikolaievitch Sorine son frère

Nina Mikhailovna Zaretchnaia jeune fille, fille d’un riche propriétaire terrien

Ilia Afanassievitch Chamraiev lieutenant à la retraite, intendant chez Sorine

Paulina Andreievna sa femme

Macha sa fille

Boris Alexeievitch Trigorine homme de lettres

Evgueni Sergueievitch Dorn médecin

Semion Semionovitch Medvedenko instituteur

Iakov homme de peine

Page 21: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

21

n°  153 novembre 2012

Annexe 4 : Acte III (extraits)

Treplev : Ces derniers temps, ces jours-ci, je t’aime aussi tendrement et totalement que dans mon enfance. À part toi, il ne me reste personne. Mais pourquoi cet homme s’est-il mis entre toi et moi ? [ndlr : il parle de Trigorine]

Arkadina : Tu ne le comprends pas, Constantin. C’est une personnalité très noble…

Treplev : Pourtant, quand on lui a fait savoir que j’avais l’intention de le provoquer en duel, sa noblesse ne l’a pas empêché d’être un lâche. Il s’en va. Il fuit honteusement.

Arkadina : Quelle absurdité ! C’est moi qui lui demande de partir. Notre relation, évidemment, ne peut pas te faire plaisir, mais tu es intelligent et cultivé, j’ai le droit d’attendre de toi que tu respectes ma liberté.

Treplev : Je respecte ta liberté, mais permets-moi aussi d’être libre et de me comporter envers cet homme comme je veux. Une personnalité très noble ! Nous voilà presque à nous disputer tous les deux à cause de lui, et pendant ce temps-là il est quelque part au salon ou dans le jardin en train de se moquer de nous… il fait l’éducation de Nina, il essaie de la persuader définitivement qu’il est un génie.

Arkadina : Tu te délectes à me dire des choses désagréables. J’estime cet homme et je te prie de ne pas dire du mal de lui en ma présence.

Treplev : Moi, je ne l’estime pas. Tu veux que je le considère moi aussi comme un génie, mais pardonne-moi, je ne sais pas mentir, ses œuvres me donnent la nausée.

Arkadina : C’est de la jalousie. Les gens sans talent mais prétentieux n’ont pas d’autre ressource que de nier les talents véritables. Rien à dire, c’est une consolation !

Treplev ironique : Les talents véritables ! (Avec colère). Si on en est là, alors j’ai plus de talentque vous tous ! (Il arrache son bandeau). C’est vous, les routiniers, qui avez accaparé la pre-mière place dans l’art, et vous ne tenez pour légitime et véritable que ce que vous faites vous-mêmes, le reste vous l’opprimez, vous l’étouffez. Je ne vous reconnais pas. Je ne recon-nais ni toi ni lui.

Arkadina : Décadent !...

Treplev :  Retourne à ton théâtre bien-aimé, va-t’en jouer tes pièces misérables, dérisoires.

Arkadina : Je n’ai jamais joué de pièces comme ça. Laisse-moi ! Toi, le moindre vaudeville tu n’es pas capable de l’écrire. Bourgeois de Kiev ! Parasite !

Treplev : Avare !

Arkadina : Loqueteux ! (Treplev s’assied et pleure doucement). Nullité. (Allant et venant avec agitation). Ne pleure pas. Il ne faut pas pleurer… (Elle pleure). Il ne faut pas… (Elle lui baise le front, les joues, la tête) Mon enfant chéri, pardon… Pardonne à ta mère coupable. Pardonne-moi, je suis malheureuse.

La Mouette, traduction d’Antoine Vitez© Actes Sud, 1984, p. 82-83

Page 22: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

22

n°  153 novembre 2012

Annexe 5 : Entretien avec Catherine Leterrier, costumière

Est-ce que Frédéric Bélier-Garcia vous a proposé une époque pour les costumes de La Mouette ?Catherine Leterrier :  Frédéric  n’aime  pas  les faux  culs,  les  tournures,  les  cols  durs,  les manches gonflées car  il ne veut pas gêner  les acteurs dans leur jeu physique et souhaite que le  public  s’identifie  facilement  aux  person-nages. Donc on ne respecte pas l’époque. On est plutôt dans un mélange d’époques. Frédéric ne voulait pas non plus que ces costumes évoquent la Russie.

Apparemment vous vous êtes inspirée du peintre Vuillard ?C. L. – Oui,  Frédéric  a  été  très  intéressé  par Vuillard. Dans La Mouette les personnages sont au  début  pleins  d’espoir,  ils  sont  plutôt  dans des couleurs et tissus unis. Puis petit à petit, comme  la  vie  ne  leur  permet  pas  de  réaliser leurs  rêves,  on  a  trouvé  intéressant  que  les imprimés des  costumes deviennent de plus en plus présents et donnent l’illusion d’entrer dans les imprimés du décor.

Comme si  les personnages  s’effaçaient dans  le décor ?C. L. – Oui,  comme  chez  Vuillard  où  l’on  voit émerger  des  gens  qui  sont  enserrés  dans  un décor aux impressions fortes. Il fallait qu’entre le  décor  et  les  imprimés  des  costumes  ça coince, ça s’agresse : les personnages semblent coincés entre les impressions du décor et ceux de leurs costumes.

Dans La Mouette  il  y  a  des personnages de  la campagne  comme  Chamraiev,  Medvedenko  et ceux  de  la  ville  comme  Arkadina  et  Trigorine. À  quoi  le  voit-on  dans  votre  création  de  cos-tumes ?C. L. – Pour Arkadina et Trigorine, Frédéric nous a  dit  de  « faire  nouveaux  riches »  surtout  à l’acte  IV.  Les  costumes  de  Chamraiev  et  de Medvedenko seront en revanche assez ravaudés. Mais même avec Arkadina on est resté dans la simplicité car Frédéric n’aime pas les détails. On a  cherché plutôt  une  ligne.  Pas  de bouillonné ni  de  nœuds.  On  a  aussi  fait  des  liens  entre des  personnages  comme  Arkadina  et  Nina  qui l’admire et voudrait lui ressembler : on a créé un costume avec de grosses rayures pour Arkadina (les  rayures  étant  la  marque  des  personnages hors  de  la  société,  bagnards  comme  acteurs) et à l’acte IV Nina, devenue une petite actrice ratée, porte aussi des rayures.

Certains  personnages  ont  plusieurs  costumes : par  exemple  Nina  qui  change  beaucoup  entre le I et le IV.C. L. – Nina a quatre costumes. On a marqué  le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe, elle est devenue une femme marquée par la vie.

Vous vous occupez aussi des dessous ?C. L. – Oui, les silhouettes avec corsets semblent plus anciennes et coincées que les silhouettes avec soutien-gorge.

Et les accessoires ?C. L. – Quelques  réticules,  le  panama  de  Dorn mais pas de  chapeaux de  femmes.  Frédéric ne veut pas trop marquer l’époque.

Page 23: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

23

n°  153 novembre 2012

Annexe 6 : PHOTOS DE quelques COSTUMES

Photos des costumes de La Mouette © dany Porché

  

  

  

1

4

7

10

2

5

8

3

6

9

Page 24: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

24

n°  153 novembre 2012

Suite de l’annexe 6 noms des personnages associés aux costumes

Chamraïev

Macha

Sorine

Dorn

Nina

Medvedenko

Trigorine

 Treplev

Paulina

Arkadina

1

4

7

10

2

5

8

3

6

9

Page 25: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

25

n°  153 novembre 2012

Annexe 7 : Les personnages et leurs costumes

Macha [qui répond à la question de Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? »] « C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse… Ce n’est pas une question d’argent. Un pauvre peut être heureux. » 

Medvedenko à Macha« Je ne gagne que vingt-trois roubles par mois, et on me retient encore là-dessus pour la Caisse  de retraite, pourtant je ne porte pas le deuil. »

Sorine à Arkadina« Ce serait si bien de s’arracher, ne fût-ce qu’une heure ou deux, à cette existence de goujon. »

Arkadina à son frère Sorine « Si, j’ai de l’argent, mais je suis actrice ; rien que les toilettes, c’est une ruine. »

Paulina à Dorn« Evgueni, mon très cher, mon chéri, prenez-moi avec vous… Notre temps passe, nous ne sommes plus jeunes, et au moins à la fin de notre vie ne plus nous cacher, ne plus mentir… »

Dorn à Paulina« J’ai cinquante-cinq ans, c’est trop tard pour changer de vie. »

Treplev à Nina « Je suis solitaire, je n’ai pour me réchauffer aucune affection, j’ai froid comme dans un sou-terrain. »

Trigorine à Nina« Quand je serai mort, mes amis, en passant devant ma tombe, diront :- Ici repose Trigorine. C’était un bon écrivain, mais il écrivait moins bien que Tourgueniev. »

Nina à Trigorine « J’ai pris une décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. »

Chamraïev à Arkadina  « Chère madame, vous ne savez pas ce que c’est qu’une exploitation agricole. »

Page 26: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

26

n°  153 novembre 2012

Annexe 8 : Entretien avec Sophie Perez scénographe

Vous  avez  conçu  une  scénographie  qui  fait cohabiter  intérieur  et  extérieur,  un  intérieur qui phagocyte petit à petit  l’extérieur : un  lac idéalisé, lieu d’une enfance merveilleuse, exté-rieur  qui  va  être  progressivement  avalé  par  la maison…Sophie Perez : La Mouette parle de la mise en abîme  du  théâtre.  Entre  l’histoire  de  la  mère, l’actrice Arkadina, du fils, Treplev, jeune auteur de  théâtre  qui  a  l’idée  d’un  théâtre  moderne, ça ne  fait que parler de  réinventer  le  théâtre. À  partir  de  là,  la  scénographie  proposée  est réversible :  la  maison  est  représentée  par  des châssis mais les châssis seront aussi des châssis de  théâtre quand  ils  seront  retournés.  Il n’y a pas  le  lac mais  il  y  a  l’île.  Tout  est  induit  et tout est réversible. On a vraiment travaillé sur ce  qui  constitue  le  théâtre  d’un  point  de  vue archaïque,  d’un  point  de  vue  scénographique aussi.  Il  y  a  un  intérieur  qui  est  très  réaliste mais  en  même  temps  on  voit  les  châssis  qui sont  apparents.  Tout  peut  se moduler :  ce  qui est  une  pièce  de  la  maison  peut  devenir  un bout d’île.  L’île peut devenir  la moquette d’un intérieur.  Il  faut  que  cette  scénographie  soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire  des  codes  théâtraux  et  l’idée  de  la modernité…

Aucune époque précise ne  se dégage de  cette scénographie ?S. P. – Non, mais il y a des notions esthétiques, il y a l’histoire de la Russie et du théâtre russe de  l’époque.  Par  exemple,  je me  suis  inspirée, pour  le grand  rideau de  scène, de  la première mise  de  scène  de  La Mouette  où  Stanislavski utilisait  des  toiles  peintes  avec  des  arbres et,  dans  notre  scénographie,  il  y  a  un  rideau avec de la marqueterie de tissus. En fait notre scénographie  s’inspire  de  l’histoire  du  théâtre et  de  l’histoire  de  La Mouette  et  de  toutes ses  représentations  dont  la  première,  celle  de Stanislavski.

Comment avez-vous traité le sol ?S. P. – Les  îlots  sont  recouverts  de  moquette mais  ils  vont  être  jonchés  de  feuilles  mortes (toujours  la  confusion entre  intérieur et exté-rieur et la réversibilité possible). Il y a comme une  histoire  des  saisons  complètement  inver-sée,  renversée puisque  la végétation est assez luxuriante, mais  il  y  a  des  feuilles mortes  qui jonchent  le  sol,  et  le  sol  qui  pourrait  être  de la moquette d’intérieur. Tous les thèmes esthé-tiques sont comme chamboulés ou inversés.

Le sol est composé d’îlots qui peuvent changer de place comme dans un puzzle ?S. P. – Oui,  ces  changements  rendent  compte des époques où  les personnages  se  retrouvent (deux  ans  s’écoulent  entre  l’acte  III  et  l’acte IV),  de  la  manière  dont  les  choses  changent sans vraiment changer d’ailleurs. On sent dans La Mouette un héritage, un poids : un héritage terrible  et  magnifique,  qu’on  porte  tous.  La Mouette parle de la manière dont les choses se modulent tout en restant malheureusement ou heureusement identiques.

Est-ce vous qui pensez les costumes ?S. P. – Quand  je  travaille  avec  Frédéric,  je  fais les  costumes  car  j’aime  penser  à  tout mais  là c’est  quelqu’un  d’autre  qui  s’est  occupé  des costumes,  quelqu’un  de  plus  traditionnel.  Les costumes  évoqueront  probablement  la  fin  du xixe,  le  début  du  xxe.  Et  comme  ce  parti  pris daté  était  là  pour  les  costumes  c’était  bien d’être  plutôt  sur  une  évocation  générale  du théâtre dans la scénographie.

Quelles  seront  les  couleurs  dominantes  de  la scénographie ?S. P. – L’intérieur  de  la maison  ressemble  à  des casemates avec du papier peint. C’est vraiment la Russie,  la datcha avec une accumulation de rideaux, de peintures, de tapisseries, de guéri-dons. L’intérieur est très chargé, très réaliste. Je voulais que l’intérieur des maisons soit réaliste comme au cinéma puisqu’on a une abstraction de l’espace.

Page 27: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

27

n°  153 novembre 2012

Annexe 9 : Didascalies initiales des quatre actes

Didascalie initiale de l’acte ICoin de parc dans la propriété de Sorine.Une large allée partant du public et traversant le parc jusqu’à un lac est barrée par une estrade hâti-vement dressée pour un spectacle d’amateurs, si bien que le lac est entièrement invisible. À droite et à gauche de l’estrade, des buissons. Quelques chaises, une petite table. Le soleil vient de se coucher. Sur l’estrade, derrière le rideau baissé, Iakov, avec d’autres ouvriers ; on entend tousser, frapper des coups de marteau. Macha et Medvedenko arrivent sur la gauche, revenant de promenade.

Medvedeno : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? Macha : C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse »

Didascalie initiale de l’acte IIUn terrain de croquet. Au fond, à droite, la maison, avec une grande terrasse ; à gauche on voit le lac, dans lequel un soleil étincelant se reflète. Parterres de fleurs. Midi. Il fait chaud. A côté du terrain, dans l’ombre d’un vieux tilleul, Arkadina, Dorn et Macha sont assis sur un banc. Dorn tient sur ses genoux un livre ouvert.

Didascalie initiale l’acte IIILa salle à manger dans la maison de Sorine.Portes à droite et à gauche. Un buffet. Une armoire à pharmacie. Au milieu de la pièce, une table. Une valise et des cartons ; préparatifs de départ. Trigorine déjeune. Macha est debout à la table.

Didascalie initiale l’acte IVUn salon dans la maison de Sorine, transformé par Constantin Treplev en cabinet de travail.À droite et à gauche, des portes donnant sur les pièces intérieures. En face, une porte vitrée don-nant sur la terrasse. Outre le mobilier habituel d’un salon, il y a un bureau dans le coin à droite, un divan turc près de la porte de gauche, une bibliothèque, des livres sur les rebords de fenêtres, sur les chaises. C’est le soir. Le salon n’est éclairé que par une lampe à abat-jour. Pénombre. On entend le bruit des arbres et le hurlement du vent dans la cheminée. Le gardien de nuit frappe ses palettes de bois. Entrent Medvedenko et Macha.

Annexe 10 : CADRES de scènes

Page 28: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

28

n°  153 novembre 2012

Annexe 11 : Acte III (extraits)

« Trigorine (rentrant) : J’ai oublié ma canne. Elle doit être  là-bas, sur  la  terrasse. (Il se dirige vers la porte de gauche et rencontre Nina qui entre). C’est vous ? Nous partons.Nina : Je sentais que nous nous reverrions (Émue). Boris Alexéiévitch, j’ai pris une décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. Demain, je ne serai plus ici, je quitte mon père, j’abandonne tout, je commence une nouvelle vie… Je m’en vais, comme vous… à Moscou. Nous nous verrons là-bas.Trigorine, (après un regard autour de lui). Descendez « au bazar slave »… Prévenez-moi tout de suite… Rue Moltchanovka, maison Grokholski… Je me dépêche…Un tempsNina : Non, encore une minute…Trigorine : à mi-voix.  Vous  êtes  si  belle… Oh !  quel  bonheur  de  penser  que nous nous verrons bientôt ! (elle se penche sur sa poitrine).  Je  verrai  encore  ces  yeux merveilleux,  ce  sourire  inexprimablement  beau  et  tendre…  ces  traits  si  doux,   l’expression de la pureté angélique… Ma chérie… »Baiser prolongé

La Mouette, traduction d’Antoine Vitez © Actes Sud, 1984, p. 88-89.

Page 29: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

29

n°  153 novembre 2012

Annexe 12 : L’Affiche du spectacle

renseignements / réservations 02 41 22 20 20www.lequai-angers.eu

de Anton Tchekhovmise en scène Frédéric Bélier-Garcia

avecNicole GarciaOphelia KolbAgnès PontierBrigitte RoüanEric BergerMagne-Håvard BrekkeJan HammeneckerMichel HermonManuel Le LièvreStéphane Roger

production Nouveau Théâtre d’Angers Centre Dramatique National Pays de la Loire

LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTSdu mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012

GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENTdu jeudi 14 au lundi 18 février 2013

ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVERNANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE…

TOURS… LA ROCHELLE… MARSEILLE… LYON

Con

cep

tion

et

imp

ress

ion

: S

etig

Pal

uss

ière

, An

ger

s. 1

0/20

12. P

hot

ogra

ph

ie ©

Vin

cen

t F

lou

ret.

Productio

n

affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1

© VINCENT FLOURET

Page 30: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

30

n°  153 novembre 2012 Répliques dans lesquelles figure le mot « mouette »

Nina à Treplev (acte I) « Mon père et ma mère ne veulent pas que je vienne ici. Ils disent que c’est la bohème ici… ils ont peur que je devienne actrice… Mais je suis attirée par ce lac comme une mouette… Mon cœur est plein de vous. »

Treplev à Nina (acte II)« J’ai eu la bassesse de tuer cette mouette aujourd’hui. Je la dépose à vos pieds… C’est comme ça bientôt que je me tuerai moi-même. »

Trigorine à Nina (acte II)« Un sujet m’est venu à l’esprit… : au bord d’un lac, depuis son enfance vit une jeune fille, comme vous ; elle aime le lac comme une mouette, elle est heureuse et libre comme une mouette. Mais par hasard un homme est passé, l’a vue et, par désœuvrement, il la fait périr comme une mouette. »

Trigorine à Nina (acte III)« Il y a huit jours, vous portiez une robe claire… Nous avions parlé… il y avait une mouette blanche sur le banc. »

Treplev à Dorn (acte IV)« Elle (Nina) signait la Mouette… dans ses lettres, elle répétait sans cesse qu’elle était une mouette. »

Chamraïev à Trigorine (acte IV)« Un jour, Constantin Gavrilovitch avait tué une mouette et vous m’aviez chargé de la faire empailler. »

Nina à Treplev (acte IV)« Je suis une mouette… Non ce n’est pas ce que je veux dire. »

Page 31: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

31

n°  153 novembre 2012

Annexe 13 : Note d’intention de Frédéric Bélier-Garcia

Tchekhov  compose  avec  La Mouette  un  grand cabaret  de  l’existence,  chaque  personnage  est introduit  dans  un  duo  (Macha-Medvedenko, Treplev-Sorine,  Dorn-Paulina…)  puis  y  va  de son  numéro.  Chacun  essaie  d’être  aimable,  de faire l’aimable tandis qu’au plus profond de lui ahane la panique d’exister, qu’on essaie de faire taire  en  babillant,  braillant,  chantant.  Comme cet  enfant qui,  obligé d’aller  chercher  quelque chose à la cave, chante de plus en plus fort pour disperser les fantômes et les peurs. Qu’as-tu fait de ta vie ? Et des promesses premières ? La ques-tion  est  toujours  effroyable,  aussi  imparable qu’un matin blême. Ici chacun y est convoqué, la fuit, la contourne, s’y fracture, s’étouffe dans l’anorexie  progressive  du  présent,  s’exaspère  à attendre alors qu’il sait qu’il n’y a rien à patien-ter, et sort de scène en espérant que les autres « ne garderont pas un mauvais souvenir ».

Raconter La Mouette, c’est mettre en acte cette grande bataille immobile qu’est  la vie, où tout est  déjà  «  trop  tard  ».  Chacun  poursuit  un amour, une ambition, une chimère qui se dérobe quand il croit la tenir. Dans La Mouette, le rêve 

est  toujours  au  plus  proche,  prêt  à  emporter chaque  être  vers  le  meilleur,  mais  les  person-nages,  comme  de  grands  oiseaux  incapables de  voler,  demeurent  dans  ce  décor,  dans  ce théâtre, qui se flétrit sur eux, en eux au fil des actes  et  des  années.  Et  en  bout  de  piste,  les personnages semblent attendre une fête qui n’a pas  eu  lieu.  Pour  finir  comme  les  silhouettes de  Vuillard  par  s’effacer  dans  le  motif  mural. Mettre  en  scène  Tchekhov,  c’est  s’éprouver  à l’humilité de Tchekhov, comme un pianiste joue les  variations  Goldberg.  Une  humilité  foison-nante  de  ressources,  de  détails,  de  couleurs. La  vérité  y  est  tant  dans  les  mots  que  dans l’infime variation météorologique, le reflet d’un lac,  un  courant  d’air,  la  couleur  d’un  tissu.  La modestie de Tchekhov tient dans son inquiétude de  l’entre-deux :  tenir  en  même  temps  la  voie symbolique  (le  lac,  le  théâtre,  la  mouette,  le noir de Macha…) et la veine naturaliste, comme si l’affaire humaine se tenait dans cette gravité subtile  des  choses  et  des  êtres  pris  entre  leur poids  matériel  et  leur  destination  poétique. La Mouette, plus que  toutes ses autres pièces, porte cette ambiguïté à sa quintessence.

Page 32: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

32

n°  153 novembre 2012

Annexe 14 : Entretien avec Frédéric Bélier-Garcia metteur en scène

Tchekhov  est  un  des  rares  auteurs  qui  a  su rendre vivante une communauté de personnages (une dizaine en l’occurrence pour La Mouette), communauté familiale où chaque personnage a sa place très définie. Mais ces scènes chorales sont particulièrement délicates à mettre en jeu.Frédéric Bélier-Garcia :  La  difficulté  de  ces scènes chorales, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur le plateau. Il faut alors veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice, que  chacun  se  trouve une  implication dans  le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains dans le dialogue, que ce ne soit pas de l’ordre de la conversation. Ainsi au début de  l’acte II,  il y a  les deux êtres  faibles de  la pièce, Medvedenko et Macha, qui sont rabroués dans le dialogue et, pour que leur vexation soit plus forte, il faut qu’elle ait lieu en public. Mais chaque personnage du chœur doit réagir à cette humiliation de manière vivante.

L’autre question posée par l’écriture de Tchekhov, c’est ce qu’on appelle le sous-texte, ce qui n’est pas dit mais que doivent imaginer l’acteur et le metteur en scène pour faire comprendre ce qui est  dit.  Dans  la  scène  entre  Trigorine  et  Nina (fin de l’acte III) par exemple où les points de suspension sont nombreux, comme très souvent chez Tchekhov, vous semblez imaginer que, der-rière  cette hésitation de Trigorine,  il  faut voir une gêne de retrouver Nina à la fin de l’acte III qu’il a finalement assez vite oubliée.F. B.-G. – Dans  la  pièce,  tout  n’est  pas  écrit. L’histoire de Trigorine et de Nina se décompose en  trois  scènes.  La  nature  de  leur  amour  est en  grande  partie  laissée  à  l’interprétation  des acteurs  et  du  metteur  en  scène.  On  sait  que ces trois scènes se terminent par un baiser (fin de l’acte III) et on sait ce qu’il advient à Nina (par Treplev à l’acte IV). Mais qu’aime Nina en Trigorine ?  Est-ce  lui  qu’elle  aime  ou  la  gloire qu’il représente ou ce mode de vie mondain et moscovite. Du point de vue de Trigorine aussi 

il y a des doutes sur l’importance qu’il accorde à  cet  amour  pour  Nina.  Tchekhov  n’appréciait pas l’interprétation de Trigorine par Stanislavski qu’il  trouvait  trop  élégant,  trop « dragueur  ». Il  ne  voulait  pas  d’un  Trigorine  «  homme  à femmes » mais plutôt pris dans ses problèmes littéraires.  Tchekhov  proposait  que  Trigorine ait  des  chaussures  trouées  et  un  pantalon  à carreaux. Trigorine est effectivement un terrien, qui  aime  manger  (début  acte  III),  pêcher… Pour  revenir  au  passage  que  vous  évoquez, on ne  sait  si  Trigorine  revient dans  la maison vraiment pour voir Nina et donne le prétexte de la canne à pêche oubliée ou s’il  vient effecti-vement rechercher sa canne à pêche et a déjà oublié le rendez-vous avec Nina. 

La  deuxième  hypothèse  est  sans  doute  plus intéressante  car  elle  crée  une  grande  tension entre  Nina  qui  ne  rêve  que  de  Trigorine  et Trigorine qui l’a déjà oubliée. Revenons à votre distribution :  vous  choisissez,  pour  jouer  l’ac-trice  Arkadina,  votre  mère  Nicole  Garcia  très connue  aussi  dans  le  monde  du  cinéma.  La notoriété de l’actrice Nicole Garcia vous permet-elle de suggérer la célébrité dont le personnage Arkadina dit connaître ?F. B.-G. – Je ne veux pas  jouer  sur  la notoriété mais plutôt  sur des générations d’acteurs.  J’ai choisi  deux  générations  d’acteurs :  l’une  qui  a commencé dans un théâtre d’avant-garde dans les  années  1970  et  a  eu  progressivement  une notoriété au cinéma (ceux qui jouent Arkadina, Sorine,  Paulina)  et  la  génération  plus  jeune (ceux qui jouent Medvedenko, Treplev, Nina et Macha) composée d’acteurs sortis des conserva-toires en même temps et qui font des recherches surtout dans  le domaine théâtral. L’histoire de la Mouette est une histoire de générations :  le triomphe des parents qui refusent de passer la main, la victoire d’une génération passée sur la génération présente.

Page 33: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

33

n°  153 novembre 2012

Annexe 15 : Le jeu choral

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS

Page 34: La Mouette Mise en scène de Frédéric Bélier-Garciablog.ac-versailles.fr/optiontheatremontgeron/public/mouette_belier_garcia.pdf · Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau

34

n°  153 novembre 2012

Annexe 16 : L’évolution du costume de Nina

© DANY PORCHÉ © DANY PORCHÉ

© STÉPHANE TASSE

© STÉPHANE TASSE

© STÉPHANE TASSE