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Document préparé en 2008 et mis en ligne en 2014 par le Collectif pour un Québec sans pauvreté pour le rendre disponible Page 1 sur 24 La MPC et les situations de pauvreté Vivian Labrie, chercheure autonome, Québec 1 Résumé : La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale engage à tendre vers un Québec sans pauvreté. Comment caractériser la Mesure du panier de consommation (MPC) calculée par Statistique Canada par rapport au suivi des situations de pauvreté requis par la Loi ? Il est proposé ici de remplacer la notion de seuil de pauvreté, impraticable, par celle de zone de transition entre la pauvreté et son absence. La limite supérieure de cette zone indiquera la sortie de la pauvreté et sa limite inférieure indiquera une démarcation sous laquelle les besoins essentiels ne sont pas couverts. La définition de la pauvreté donnée à l’article 2 de la Loi est utilisée comme critère de sortie de pauvreté et la référence à la couverture des besoins essentiels faite à l’article 9 de la Loi est considérée comme une dimension de cette définition qui pourrait équivaloir à un critère pour la limite inférieure de la zone de transition. Chacune des cinq composantes du panier élaboré aux fins de la MPC (nourriture, vêtements, logement, transport, autres) est examinée sur la base de ces deux critères. Cet examen est croisé à une analyse similaire réalisée avec un groupe de personnes en situation de pauvreté. Il en ressort que la MPC répond avec certaines restrictions à un critère de couverture des besoins essentiels, mais non à un critère de sortie de la pauvreté. Si on l’utilise comme mesure de référence pour suivre les situations de pauvreté, il faudra considérer qu’elle permet de déterminer où se situe la population par rapport à la possibilité de se procurer le dit panier et de couvrir ses besoins essentiels par un revenu. Lorsque cette possibilité n’est pas là, les personnes et les familles sont en déficit de revenu pour couvrir leurs besoins et doivent recourir à des stratégies hors de l’économie formelle pour contrer le déficit humain qui s’installe. Lorsqu’elles accèdent au niveau de revenu associable à la MPC, les personnes, encore pauvres, «deviennent invisibles», pour reprendre l’expression d’un participant. Cette allusion fournit une piste pour l’exploration des dynamiques à l’œuvre entre la couverture des besoins et la sortie de la pauvreté. L’exercice met par ailleurs en évidence la pertinence d’un indicateur à construire, un peu plus haut dans l’échelle des revenus, pour signifier le passage entre cette «zone d’invisibilité» et l’absence de pauvreté. Un tel indicateur aurait avantage à prendre en compte plusieurs dimensions, qualitatives et quantitatives, du niveau de vie, outre le revenu, de manière à répondre pleinement à la définition donnée dans la Loi. Il aurait avantage à être construit en interaction avec des personnes ayant l’expérience du continuum entre la pauvreté et son absence. La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale engage les institutions politiques et la société québécoise à «tendre vers un Québec sans pauvreté». Cela suppose de suivre les situations de pauvreté dans la société. Tout en se rappelant le caractère composite, à plusieurs niveaux et plusieurs valeurs, de l’expérience de la pauvreté, on peut considérer que le revenu fournit une indication importante et incontournable des situations de pauvreté. À cet égard, une des options qui se présente est d’utiliser la Mesure du panier de consommation (MPC) telle que développée par Statistique Canada comme mesure de référence pour «lire» la situation des ménages par leurs revenus 2 . 1 Les commentaires sont bienvenus : [email protected] . 2 Pour différentes raisons, en partie liées à des problèmes de méthode présentés par les autres mesures, la Mesure du panier de consommation (MPC) pourrait s’avérer la meilleure candidate disponible parmi les mesures dites de faible revenu pour suivre les situations de pauvreté dans la société québécoise, ainsi qu’au Canada. Ces arguments sont documentés ailleurs, y compris par les auteurs de la mesure : Ressources humaines et Développement social Canada, Le faible revenu au Canada de 2000 à 2002 selon la mesure du panier de consommation, 2006, SP-628-05- 06-F, (http://www.hrsdc.gc.ca/fr/sm/ps/dsc/fpcr/publications/recherche/2002-000662/SP-628-05-06F.pdf). Ils ne sont pas repris ici. Précisons simplement que deux autres mesures pourraient aussi être utilisées. La mesure du Seuil de

La MPC et les situations de pauvreté · services jugés essentiels et vitaux. Établir le coût d’un panier donné de biens et services fournit ainsi une ligne de référence

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La MPC et les situations de pauvreté

Vivian Labrie, chercheure autonome, Québec1

Résumé : La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale engage à tendre vers un Québec sans pauvreté. Comment caractériser la Mesure du panier de consommation (MPC) calculée par Statistique Canada par rapport au suivi des situations de pauvreté requis par la Loi ? Il est proposé ici de remplacer la notion de seuil de pauvreté, impraticable, par celle de zone de transition entre la pauvreté et son absence. La limite supérieure de cette zone indiquera la sortie de la pauvreté et sa limite inférieure indiquera une démarcation sous laquelle les besoins essentiels ne sont pas couverts. La définition de la pauvreté donnée à l’article 2 de la Loi est utilisée comme critère de sortie de pauvreté et la référence à la couverture des besoins essentiels faite à l’article 9 de la Loi est considérée comme une dimension de cette définition qui pourrait équivaloir à un critère pour la limite inférieure de la zone de transition. Chacune des cinq composantes du panier élaboré aux fins de la MPC (nourriture, vêtements, logement, transport, autres) est examinée sur la base de ces deux critères. Cet examen est croisé à une analyse similaire réalisée avec un groupe de personnes en situation de pauvreté. Il en ressort que la MPC répond avec certaines restrictions à un critère de couverture des besoins essentiels, mais non à un critère de sortie de la pauvreté. Si on l’utilise comme mesure de référence pour suivre les situations de pauvreté, il faudra considérer qu’elle permet de déterminer où se situe la population par rapport à la possibilité de se procurer le dit panier et de couvrir ses besoins essentiels par un revenu. Lorsque cette possibilité n’est pas là, les personnes et les familles sont en déficit de revenu pour couvrir leurs besoins et doivent recourir à des stratégies hors de l’économie formelle pour contrer le déficit humain qui s’installe. Lorsqu’elles accèdent au niveau de revenu associable à la MPC, les personnes, encore pauvres, «deviennent invisibles», pour reprendre l’expression d’un participant. Cette allusion fournit une piste pour l’exploration des dynamiques à l’œuvre entre la couverture des besoins et la sortie de la pauvreté. L’exercice met par ailleurs en évidence la pertinence d’un indicateur à construire, un peu plus haut dans l’échelle des revenus, pour signifier le passage entre cette «zone d’invisibilité» et l’absence de pauvreté. Un tel indicateur aurait avantage à prendre en compte plusieurs dimensions, qualitatives et quantitatives, du niveau de vie, outre le revenu, de manière à répondre pleinement à la définition donnée dans la Loi. Il aurait avantage à être construit en interaction avec des personnes ayant l’expérience du continuum entre la pauvreté et son absence.

La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale engage les institutions politiques et la société québécoise à «tendre vers un Québec sans pauvreté». Cela suppose de suivre les situations de pauvreté dans la société. Tout en se rappelant le caractère composite, à plusieurs niveaux et plusieurs valeurs, de l’expérience de la pauvreté, on peut considérer que le revenu fournit une indication importante et incontournable des situations de pauvreté. À cet égard, une des options qui se présente est d’utiliser la Mesure du panier de consommation (MPC) telle que développée par Statistique Canada comme mesure de référence pour «lire» la situation des ménages par leurs revenus2.

1 Les commentaires sont bienvenus : [email protected] .

2 Pour différentes raisons, en partie liées à des problèmes de méthode présentés par les autres mesures, la Mesure

du panier de consommation (MPC) pourrait s’avérer la meilleure candidate disponible parmi les mesures dites de faible revenu pour suivre les situations de pauvreté dans la société québécoise, ainsi qu’au Canada. Ces arguments sont documentés ailleurs, y compris par les auteurs de la mesure : Ressources humaines et Développement social Canada, Le faible revenu au Canada de 2000 à 2002 selon la mesure du panier de consommation, 2006, SP-628-05-

06-F, (http://www.hrsdc.gc.ca/fr/sm/ps/dsc/fpcr/publications/recherche/2002-000662/SP-628-05-06F.pdf). Ils ne sont pas repris ici. Précisons simplement que deux autres mesures pourraient aussi être utilisées. La mesure du Seuil de

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Une question se pose alors : comment situer la MPC en tant qu’indicateur potentiel par rapport aux situations de pauvreté ?

Pour répondre à la question, il faut d’abord clarifier trois points :

la nature de la transition entre la pauvreté et son absence;

la définition de la pauvreté à laquelle on se réfère;

ce que mesure la MPC.

Ensuite on peut mettre ces trois éléments en rapport et voir si une conclusion peut être tirée.

1. Clarifications sur le problème de la mesure de la transition entre la pauvreté et son absence

Voici d’abord les clarifications.

La transition entre la pauvreté et son absence : le problème de la mesure relativement à une réalité continue

Le premier point à clarifier touche à ce qu’on peut attendre d’une mesure. Au plus simple, on voudrait bien établir une ligne faisant la démarcation entre la pauvreté et son absence, ce qu’on trouve implicitement dans la notion de seuil de pauvreté. Ce désir de simplicité se heurte toutefois au test de la réalité. Ce problème est bien reconnu dans la littérature scientifique sur la question. Le statisticien en chef de Statistique Canada a même tenu à le signifier clairement dans un avertissement publié en 1997 en mettant en garde de considérer les seuils de faible revenu en usage au Canada comme des seuils de pauvreté3.

L’entrée dans la pauvreté ou la sortie d’une situation de pauvreté n’est pas un passage discret, discontinu, où un dollar de plus dans un revenu peut faire la différence. C’est un passage continu. Il faut plutôt parler d’une zone de transition entre la pauvreté et son absence qui peut couvrir quelques milliers de dollars dans un revenu. La notion de seuil de pauvreté en tant que ligne de revenu sous laquelle on serait pauvre et au-dessus de laquelle on ne le serait plus ne tient pas. Elle ne fait pas sens.

faible revenu (SFR) beaucoup utilisée dans les dernières décennies présente des problèmes méthodologiques et ne prend pas en compte le transport parmi les besoins considérés (se nourrir, se loger, se vêtir). La Mesure de faible revenu (MFR), calculée par une proportion du revenu médian n’indique en rien ce qu’il faut pour vivre. La MPC, aussi fiable statistiquement que les deux autres mesures, a l’avantage de fournir des indications calibrées sur ce qu’il en coûte pour couvrir un certain éventail de besoins à un niveau spécifié. 3 Ivan P. Fellegi, À propos de la pauvreté et du faible revenu, Statistique Canada, 1997,

http://www.statcan.ca/francais/research/13F0027XIF/13F0027XIF1999001.htm .

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Parler de zone de transition entre la pauvreté et son absence ne résout pas pour autant le problème des seuils puisqu’on introduit forcément ainsi le concept d’une limite inférieure et d’une limite supérieure à cette zone. Sous la limite inférieure on serait nettement en situation de pauvreté «mur à mur», autrement de déficit humain, et au-dessus, dans une situation de pauvreté qui amorce peu à peu une transition vers la sortie de la pauvreté. Juste sous la limite supérieure, on approcherait la sortie de la pauvreté, tout en conservant des caractéristiques d’une situation de pauvreté, donc encore en situation de pauvreté, et au-dessus de la limite supérieure, on ne serait plus en situation de pauvreté, mais pas nécessairement à l’abri pour autant de la précarité et de diverses conditions qui peuvent précipiter dans la pauvreté4.

La notion de zone installe ainsi deux limites implicites là où la notion habituelle de seuil en établirait une. Par ailleurs, la nature continue du phénomène en cause interdit de considérer ces limites de démarcation comme des lignes puisqu’elles seront à leur tour des zones.

Est-ce se compliquer la vie ? Est-ce dire que toute mesure soit impossible ? Pas nécessairement5.

Comme dans le cas de tout phénomène humain multidimensionnel comportant des aspects à la fois quantitatifs et qualitatifs, il n’est pas interdit de se donner une mesure si on en limite la définition à ce que sa méthode permet d’affirmer. Il n’est pas interdit non plus de chercher des repères permettant de situer cette mesure par rapport à la réalité continue qu’on veut mieux connaître. Il faut alors convenir de critères acceptables pour effectuer le saut de registre entre le réel et le mesuré. Autrement dit, une question de jugement entre en jeu sur ce qui serait acceptable. Ensuite il faut opérationnaliser les critères et rester dans les limites de ce qu’ils permettent d’affirmer.

Comment approcher la question ?

Pauvreté absolue et relative

Dans la littérature sur la pauvreté, on trouve souvent la distinction entre pauvreté absolue et pauvreté relative. Y a-t-il là une base méthodologique pour tenter de tirer des lignes ?

La pauvreté absolue s’évaluerait à partir de la capacité ou non de se procurer un ensemble de biens et de services jugés essentiels et vitaux. Établir le coût d’un panier donné de biens et services fournit ainsi une ligne de référence. On peut évaluer où se situe la population par rapport à cette ligne de référence, ou plus précisément par rapport à sa capacité d’acheter le panier de référence. Cette approche ne règle pas pour autant le problème de la situation du panier par rapport à la zone de transition mentionnée plus haut. Il faut pour cela caractériser le panier : une personne ou une famille qui dispose de ce panier peut-elle survivre ? peut-elle couvrir l’indispensable ? peut-elle se sentir partie prenante de la culture ambiante ? peut-elle se trouver à l’aise ? Ce n’est pas l’approche, mais l’examen du contenu du panier qui permettra de le dire.

4 Il faudrait réfléchir ici à la différence sémantique entre pauvreté et faible revenu. La notion de faible revenu inclut à

priori les situations de pauvreté, mais si elles ne sont pas équivalentes, la notion de pauvreté n’inclut pas nécessairement toutes les situations de faible revenu. En ce sens, on pourrait supposer aussi que des situations de faible revenu peuvent continuer après la sortie de la pauvreté ? Ce que pourraient indiquer implicitement certaines politiques fiscales, par exemple les remboursements de taxe, qui couvrent plus large que la portion de contribuables généralement considérés pauvres. 5 On retrouve souvent ce problème dans la mesure des seuils en science. Il conduit à des approches par

approximations où on vérifie à partir de quel position sur un ambitus apparaît un phénomène et à partir de quelle position il disparaît. Par exemple, on peut vérifier à partir de quelle fréquence on peut entendre un son grave et, dans l’autre sens, à partir de quand on cesse de l’entendre. La mesure du grave combinée à celle de l’aigu indique une bande audible.

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La pauvreté relative s’évaluerait en fonction de la distance relative d’un ensemble de standards dans la société, autrement dit, de la capacité ou non de se trouver inclus dans ces standards. Elle déterminerait en un sens une capacité de participer au niveau de richesse ambiant. On peut par exemple déterminer où se situe la médiane des revenus, déterminer qu’elle indique un standard, tirer une ligne à 50 % ou 60 % de la médiane et voir comment se situe la population par rapport à cette ligne. Il reste encore à caractériser cette ligne : quel est le critère qui peut faire dire que la ligne se situe dans une zone de faible revenu ? Puisqu’on peut tirer toutes les lignes qu’on veut, comment sait-on si le revenu ainsi déterminé indique un bon, faible, très faible niveau de vie ?

Les mesures statistiques dites de «faible revenu» en usage se sont variablement appuyées sur l’une ou l’autre de ces approches et parfois sur les deux. Par ailleurs dans les deux cas, le niveau de vie correspondant n’est pas donné d’emblée par le type de mesure.

On voit qu’il y aura toujours un jugement à poser sur le contenu, apparemment plus absolu, d’un panier de biens et services ou sur un choix de positionnement relatif. Il faut d’autres critères. C’est un des problèmes d’opérationnalisation à résoudre : la traduction «paramètres choisis»/«niveau de vie mesuré» conservera une dimension intuitive faisant appel à une connaissance expérientielle de la réalité. Il sera donc logique de faire appel à une variété de points de vue pour motiver et caractériser les choix, dont les points de vue de personnes en situation de pauvreté de même que ceux de personnes qui les côtoient sans vivre des situations de pauvreté et peuvent ainsi toiser les différences.

Ce que dit la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale

Si on veut se situer dans le cadre de l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, on peut partir de ce que dit la loi à propos de la pauvreté et voir si elle peut fournir des critères utiles pour situer une mesure donnée par rapport à une zone de transition entre la pauvreté et son absence.

La définition donnée de la pauvreté à l’article 2 de la Loi est la suivante :

«Pour l’application de la présente loi, on entend par « pauvreté » la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société.»

La première partie de la définition se coule partiellement dans la définition du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui, elle, s’énonce comme suit :

« Dans la perspective de la Charte internationale des droits de l'homme, la pauvreté peut être définie comme étant la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir nécessaires pour jouir d'un niveau de vie suffisant et d'autres droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux ».6

Les deux définitions identifient un ensemble similaire de privations en cause : il s’agit des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir. La définition onusienne inclut aussi la sécurité, échappée dans la définition de la Loi québécoise

6 La pauvreté et les droits économiques, sociaux et culturels, Doc. N.U., E/C.12/2001/10, p. 3.

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La définition onusienne fournit de son côté deux critères pour vérifier comment on peut reconnaître que la pauvreté est résolue au plan des conditions de vie comme telles : l’existence d’un niveau de vie suffisant et la capacité d’exercice effectif d’un ensemble de droits reconnus. Elle apporte une concordance utile, correspondant à un consensus international large et au fondement sur les droits affirmé dans le préambule de la loi québécoise, de ce par quoi on pourra reconnaître l’absence de pauvreté et les progrès réalisés dans cette direction.

En combinant les deux définitions, on obtient un critère composite qui pourrait déterminer assez bien, ce critère étant atteint, un niveau de conditions de vie correspondant à la sortie de la pauvreté, autrement dit à la limite supérieure de notre zone de transition. On pourrait alors vérifier : l’existence de ressources, de moyens, de choix, de sécurité et de pouvoir permettant l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, un niveau de vie suffisant et la réalisation d’un ensemble de droits fondamentaux.

Bien qu’il y aurait à explorer comment une ligne de revenu donnée pourrait en être indicatrice, il resterait quand même à déterminer quelles sont les dimensions autres que le revenu à prendre en compte pour vérifier ce critère. On voit qu’un tel indicateur d’absence ou de présence de pauvreté gagnerait à être multidimensionnel.

La loi québécoise ne précise pas dans la définition qu’elle donne en quoi consistent les «ressources», les «moyens», les «choix» et le «pouvoir» qui manquent quand il y a situation de pauvreté. Néanmoins, certains éléments de l’article 9 de la Loi permettent d’entrevoir que ces manques empêchent entre autres de satisfaire les besoins essentiels. Cet article mentionne en effet que «les actions liées au renforcement du filet de sécurité sociale et économique» doivent entre autres viser à «rehausser le revenu accordé aux personnes et aux familles en situation de pauvreté, en tenant compte notamment de leur situation particulière et des ressources dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels».

Une manière d’opérationnaliser ce que dit la loi par rapport au concept de zone de transition entre la pauvreté et son absence pourrait consister à proposer d’associer la limite inférieure de la zone à cette partie plus vitale et plus restreinte de la définition, soit la couverture des besoins essentiels, plus facilement mesurable par une mesure de type «panier de biens et services», et d’associer la limite supérieure de la zone à l’ensemble plus multidimensionnel de conditions à remplir par-dessus la couverture des besoins essentiels pour pouvoir parler d’absence de pauvreté : l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits, avec une certaine démonstration qu’il y a des moyens, des ressources, des choix, de la sécurité, du pouvoir pour y arriver.

Il reste à nommer ce que sont des besoins essentiels. On pourra discuter de ce en quoi ils consistent en tant qu’ensemble. Il est toutefois maintenant admis qu’ils comprennent au moins : se nourrir, se vêtir, se loger, se transporter7, se soigner, ainsi qu’un ensemble d’aspects concrets qui sont associables à la vie quotidienne et indispensables à l’activité humaine dans une société comme la société québécoise. Ces derniers aspects sont réalisés par le fait de pouvoir, par exemple, disposer de meubles, d’une liaison téléphonique, des outils de base pour l’éducation, la formation, l’information, l’emploi, la culture et le repos.

7 Voir notamment les débats relatifs à cette question lors d’une journée sur les tarifications organisée par le Comité

consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le 22 novembre 2007 à Montréal. L’absence du transport est aussi une raison invoquée par plusieurs en défaveur de la SFR comme mesure de référence du faible revenu.

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Ce que mesure la MPC

Pour utiliser la MPC comme mesure de référence pour suivre les situations de pauvreté, il importe de comprendre ce qu’elle mesure et d’évaluer comment on peut la situer par rapport aux questions précédentes.

D’après ses auteurs, «la mesure du panier de consommation (MPC) est une nouvelle mesure du faible revenu»8.

En fait, cette mesure détermine le revenu nécessaire dans divers types de localités canadiennes pour acheter un panier de biens et services dont la composition est décrite précisément. Ce faisant elle définit une nouvelle forme de revenu, le revenu disponible à la consommation, différent du revenu net après impôts, en ce qu’il exclut diverses dépenses non discrétionnaires, dont les frais professionnels, les cotisations syndicales, les frais de garde, les frais médicaux non assurés. Autrement dit, on développe ici un indicateur de capacité de consommation qui permet de mesurer qui a assez d'argent pour se payer le dit panier, une fois qu’on a retiré certains montants relatifs à d’autres dépenses nécessaires. Sur cette base, on pourrait dire que la MPC fournit une référence relativement fiable pour suivre des situations de revenu du point de vue d’une capacité de consommer un ensemble prédéfini de biens et services.

Si on veut essayer d’évaluer à partir d’elle qui serait ou non en situation de pauvreté, la question qui nous intéresse arrive ensuite : comment se situe le panier de biens et services en question par rapport à la transition entre la pauvreté et son absence ?

8 DRHC, op.cit., p. 3.

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La documentation qui décrit la mesure reste ambiguë à ce sujet. La MPC y est présentée d’une part comme une mesure du faible revenu et comparée abondamment à d’autres mesures de faible revenu comme les SFR et la MFR9. Ailleurs on peut lire aussi que «les éléments du panier de la MPC visent à représenter un niveau de consommation se rapprochant davantage du niveau de dépenses médian pour la nourriture, les vêtements, les chaussures et le logement que pour les autres catégories de dépense10». Allier «faible revenu» et «niveau de dépenses médian pour certains biens et services» nourrit l’ambiguïté.

Une fois la méthode établie, les auteurs opérationnalisent effectivement les situations de faible revenu, sans pour autant définir un seuil de pauvreté, en fonction de la capacité de se procurer le panier tel que déterminé : «La MPC définit une personne à faible revenu comme une personne dont le revenu disponible familial est inférieur au coût des biens et services inclus dans le panier de consommation de sa collectivité ou d'une collectivité de même taille que la sienne11». Implicitement on suppose alors qu’une personne dont le revenu disponible à la consommation est égal ou supérieur à la MPC n’est pas à faible revenu. Cette précision ainsi apportée par les auteurs de la MPC les conduit donc à déterminer une ligne et non une zone de démarcation du faible revenu.

À la lumière de ce qu’avancent les auteurs, des questions s’imposent :

les notions de faible revenu ou de pauvreté s’équivalent-elles ? Il n’est pas nécessaire d’entrer dans ce débat sémantique pour tenter de caractériser la mesure par rapport à la Loi québécoise. La question aura néanmoins avantage à être posée en raison de l’utilisation possible de la mesure aux deux fins.

9 La notion de faible revenu n’est pas précisée dans le document, sinon par référence à d’autres mesures dites de

faible revenu. La notion de pauvreté n’est pas définie non plus. 10

DRHC, op.cit., p. 5. 11

Idem, p. 6.

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Si on veut utiliser la MPC comme mesure de référence pour suivre les situations de pauvreté au Québec, il devient important de bien évaluer quel niveau de revenu disponible à la consommation est approximé par cette mesure dans le continuum de la transition entre la pauvreté et son absence. Traduit-elle un revenu situé à la limite supérieure de ce continuum, comme semblent le supposer ses auteurs, un point milieu, voire une limite inférieure ?

En toute rigueur, il faut aller voir ce que contient le panier, comment il est construit et comment sa méthode répond aux critères qu’on peut se donner relativement à la définition de la pauvreté qu’on utilise.

C’est ce qui sera fait dans la section suivante.

2. La MPC dans la zone de transition entre la pauvreté et son absence

Nous allons examiner la composition du panier en fonction des deux critères que nous avons tirés de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Convenons que :

la couverture des besoins essentiels (article 9 de la Loi) est un critère pour la limite inférieure de la zone de transition entre la pauvreté et son absence ;

la réalisation, en plus de la couverture des besoins essentiels, de l’autonomie économique, de l’intégration et de la participation à la société (article de 2 de la Loi), du niveau de vie suffisant et de l’effectivité d’un ensemble de droits (définition des Nations Unies dont cet article s’inspire), est un critère de sortie de la pauvreté qui indique le passage de la limite supérieure de la zone.

Nous allons considérer d’emblée que les familles et les personnes seules en cause sont dans la population active, avec ou sans emploi, et qu’elles doivent pouvoir tirer d’un revenu la capacité d’acheter le panier de biens et services mentionné. Autrement dit, ces ménages doivent pouvoir étudier, travailler, se chercher un emploi et avoir un mode de vie où un revenu monétaire dans l’économie formelle représente le seul moyen pour se procurer les biens et services en question. Ce qui correspond à l’approche préconisée par les auteurs de la MPC.

Si on peut démontrer à la suite de cette analyse qu’un panier légèrement moindre que celui défini aux fins de la MPC met la personne en situation de manque vital, de survie, de déficit humain12, de dépense intérieure dure13, alors la MPC indique un revenu disponible à la consommation qui avoisine la limite inférieure de la zone de transition. Bien sûr, si le contenu du panier met en manque vital, c’est que cette capacité de payer est située sous cette limite.

Si on arrive au constat que le contenu du panier permet de répondre aux besoins vitaux, mais ne permet pas l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant ainsi que la réalisation effective des droits, on peut supposer que la MPC est associable à un revenu disponible à la consommation sous la limite supérieure de la zone, où on est encore pauvre. Si on peut dire que le contenu du panier permet de répondre à l’ensemble des conditions, on peut associer la MPC à un niveau de revenu au-delà duquel on ne serait plus en situation de pauvreté, du point de vue du revenu s’entend.

12

Centraide Québec, Une société en déficit humain : les conséquences sociales de l’appauvrissement, Québec, 1998, http://www.centraide-quebec.com/publications/Centraide_Broch_Societe_2.pdf . 13

Notion introduite par le Carrefour de savoirs sur les finances publiques en 1998 et reprise depuis dans ses travaux par Patrick Viveret, philosophe de l’économie, autour de la thématique « Reconsidérer la richesse ». La dépense intérieure dure réfère à ce qui est pris dans la vitalité, l’espérance de vie, l’espérance de vie en santé, d’une personne ou d’un groupe de personnes, parce qu’une dépense monétaire n’a pas pu être effectuée. Elle rencontre la notion de déficit humain, dans la mesure où le corps prend dans ses réserves vitales, physiques ou mentales.

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Si on regarde les besoins couverts par le panier, on trouve : se nourrir, se vêtir, se loger, se transporter et un ensemble d’autres dépenses adjacentes.

Il faut tout d’abord noter que certains besoins essentiels sont exclus d’emblée de la composition du panier, notamment se soigner et assurer la garde des enfants, puisque les frais médicaux non assurés et les frais de garde ne sont pas comptés. Il ne faut pas perdre de vue non plus d’autres besoins exclus qui peuvent constituer des incontournables comme payer ses cotisations syndicales et professionnelles, ou contribuer à des régimes de retraite ou à des assurances faisant partie des conditions de travail.

Il faut donc servir un avertissement : le panier ne suffit pas à la couverture de tous les besoins essentiels et le revenu disponible total après impôts et transferts doit être plus élevé que le coût du panier pour que le revenu dévolu à celui-ci puisse remplir sa fonction. Par exemple, le fait de devoir payer pour des frais dentaires, non inclus, peut «dans la vraie vie», venir prendre la place d’éléments inclus dans le panier.

Le contenu et le coût du panier pour ses cinq composantes est calculé en fonction d’une famille de deux adultes et deux enfants, en l’occurrence une fille de 9 ans et un garçon de 13 ans. Il conduisait à un total annuel de 23 522 $ en 2002 pour une telle famille vivant à Montréal. Il est considéré que l’équivalence pour une personne seule est de 50 %. Il fallait donc à une personne seule en 2002 un revenu disponible à la consommation de 11 761 $ pour se procurer un panier de même ordre14.

Nous allons maintenant appliquer nos deux critères à chaque composante. Nous allons nous demander si des faits ou des considérations peuvent être apportés pour évaluer de façon satisfaisante si ces critères sont ou non rencontrés.

Cet examen suppose une bonne connaissance de ce qu’il faut pour vivre et de ce qu’il en coûte. Il a donc été validé avec un groupe de 13 personnes, hommes et femmes, pour la plupart en situation de faible ou très faible revenu15. Plusieurs situations de vie se sont trouvées représentées parmi les personnes présentes : personnes seules, famille monoparentale avec deux enfants, famille biparentale avec deux enfants. Diverses situations de revenu étaient également représentées : aide sociale, solidarité sociale, aide financière aux études, travail autonome, emploi subventionné, emploi régulier, sécurité de la vieillesse.

L’analyse qui suit tient compte des commentaires recueillis.

14

L’équivalent en 2008 selon l’Indice des prix à la consommation (IPC) de la Banque du Canada est respectivement de 26 9444$, soit 13 472 $ pour une personne seule, soit 1 123 $ par mois. En 2002, pour le Québec, le coût du panier variait de 22 167 $ à 24 193 $, selon la taille de la municipalité. Il était à son maximum pour les localités de moins de 30 000 personnes et à son minimum pour les localités de 30 000 à 100 000 personnes. À Québec, le coût du panier était sensiblement le même qu’à Montréal, soit 23 278 $ pour la famille de référence et 11 639 $ pour une personne seule, soit 26 665 $ et 13 333 $ pour l’équivalent en 2008. L’évaluation à partir de l’IPC québécois pourrait varier légèrement, mais non substantiellement aux fins du présent examen. 15

Rencontre de trois heures à la Courtepointe, Québec, en mars 2008. La mesure du panier a été brièvement expliquée. Pour chaque section, la méthode, le contenu et le coût de la composante pour la région métropolitaine de Québec, avec son équivalent en 2008 selon l’IPC de la Banque du Canada, ont été présentés. Les personnes présentes étaient invitées à évaluer le contenu en fonction des deux critères et à présenter des arguments pour expliquer en quoi les critères étaient ou non rencontrés. Il a été demandé aussi ce qui ferait que, pour tel type de besoin, on saurait qu’on est juste de l’autre côté de la ligne de sortie de la pauvreté.

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a. La nourriture

La référence pour construire cette composante

C’est le panier qui figure «dans une publication de Santé Canada intitulée Panier de provisions nutritif — Canada 1998, dont l’auteur est Judith Lawn. Le panier représente les dépenses types consacrées à la nourriture dans les différentes collectivités du Canada, tirées de l’enquête intitulée Dépenses alimentaires des familles au Canada 1996 et adaptées d’après les Recommandations sur la nutrition de Santé Canada et les directives actuelles concernant l’apport en gras et en gras saturés pour les adultes» (p. 57)16. Autrement dit, on a calculé un régime alimentaire de base, théoriquement suffisant au plan nutritif pour deux adultes et deux enfants qui correspond à ce que les gens mangent au Canada.

Le contenu de cette composante Annexe B, p. 65.

Chaque item est présenté avec sa quantité hebdomadaire et le format d’achat recommandé.

Le critère de limite inférieure :

un contenu moindre créerait-il un déficit vital par rapport à l’essentiel ?

L’apport calorique et nutritif est diététiquement balancé sans excédent : il y a des produits laitiers, des œufs, des viandes, poissons et substituts, des céréales, des fruits et des légumes, des féculents, des matières grasses. On peut donc supposer que tout aliment retranché à ce panier produit un manque par rapport au critère de nutrition utilisé.

C’est donc un apport correct, mais limite, quant à la couverture du besoin de se nourrir.

Plusieurs parents ont fait état de quantités insuffisantes par rapport à ce que consomment leurs jeunes, notamment les adolescents. Dans plusieurs cas, «il n’y en a pas pour une semaine.» C’est le cas du lait. Par ailleurs le fromage a été perçu comme un choix non réaliste parce que c’est trop cher. On choisira plutôt autre chose.

Le critère de limite supérieure :

le contenu permet-il l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits ?

Les aliments retenus sont très peu transformés et ils sont choisis parmi les aliments les moins coûteux de leur catégorie, comme le fait comprendre cette précision : «Certains produits alimentaires transformés de base, comme le yogourt et le pain, plus coûteux, y sont inclus, car normalement une famille ne prépare pas ces produits à partir d’ingrédients à l’état brut.» Il n’y a par exemple aucun dessert préparé dans la liste sauf une boîte de biscuits à thé et un litre de crème glacée. Autrement dit, il faut avec la livre et demie de farine et de sucre, le lait, une partie de la douzaine d’œufs, le quart de livre de beurre, les fruits, cuisiner soi-même les desserts. Le panier suppose beaucoup d’activité de production pour partir à chaque fois des aliments bruts, ce qui augmente la tâche par-dessus une activité professionnelle. Il ne permet pas de recevoir. Il n’y a pas de thé, de café ou d’autres boissons chaudes. Il n’y a aucun aliment «confort». On mange des «patates». Des sandwiches. Une fois de steak haché à moins qu’on fasse une sauce à spaghetti, une fois de poulet, une casserole avec un peu de poisson, une fois de ragoût, une repas avec une côtelette de porc de trois onces par personne. C’est un défi de faire des lunchs.

Les portions de plusieurs aliments sont très minimes :

230 g de yogourt pour une semaine pour 4 personnes, ce qui fait à peine deux

16

La pagination réfère ici, de même que dans les tableaux qui suivent, au document précité de la DRHC qui expose la méthodologie de la mesure.

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portions de 100 g, soit même pas une portion pour chacune des quatre personnes de la famille

275 g de fromage fondu en tranche, soit un peu plus d’une demi-livre pour quatre, soit environ deux tranches par personne

Que peut faire une famille de quatre avec un litre de jus de pomme et une boîte de jus d’orange congelé par semaine ? Avec un petit contenant de margarine et un quart de livre de beurre ? Avec une demi-tasse de confiture et une tasse et demie de beurre d’arachides ? Avec une poignée de raisins secs ?

La nourriture ici est rationnée. «On ne beurre pas deux fois». C’est de la nourriture comme tout le monde achète. Mais «tout le monde» n’achète pas que ça. Le panier ainsi déterminé ne suffit pas à lever l’impression de manque, de différence, d’insécurité. Il ne suffit pas à lever le sentiment de gêne et de différence. Il suppose une gestion vertueuse de la nourriture hors du commun. Les enfants sont embarrassés devant leurs amis, qui viennent peu à la maison. Il n’y a pas de disponibilité pour un pour la fête et la célébration.

Il faut remarquer que des contraintes supplémentaires sont ajoutées aujourd’hui par les directives des établissements scolaires. Il faut souvent éviter certains aliments potentiellement plus économiques (comme le beurre d’arachide) dans les lunchs des enfants, en raison des alertes aux allergies.

En fait, on cherche à fréquenter une banque alimentaire. On court les spéciaux. Si on peut, on essaie des stratégies comme les groupes d’achat, l’achat d’une pièce de viande débitée et mise à congeler. Mais il faut pour cela des liquidités.

Devant le manque, plusieurs parents choisiront de donner ce qu’ils jugent nécessaire à leurs enfants et de se priver au besoin d’un repas.

Le coût de 144 $ par semaine évalué pour 2008 pour une famille de quatre personnes reste sous la barre de la sortie de la pauvreté. Il faudrait plutôt 200 $ par semaine selon les parents présents pour passer «de l’autre côté de la ligne».

Des indicateurs qu’on n’est plus dans une situation de pauvreté, mais juste de l’autre côté ? «Pouvoir m’acheter une bonne poire asiatique à 0,99 $ chacune», autrement dit, se permettre un peu de choix sans que cela conduise à se priver d’un item nécessaire. Pouvoir offrir aux enfants des aliments qu’ils aiment. Pouvoir faire des réserves.

Conclusion Le panier pour cette composante se situe à la limite inférieure de la zone. S’il couvre les besoins, il ne suffit pas à ce qu’une famille puisse répondre aux obligations courantes de la vie sociale et donner à ses membres un sentiment de satiété : l’expérience de manque reste présente, il y a de l’insécurité alimentaire.

b. Le vêtement

La référence pour construire cette composante

«… le Winnipeg Harvest et le Conseil de planification sociale de Winnipeg ont mis au point une norme pour le budget des familles établies dans la région métropolitaine de recensement de Winnipeg, qu’ils appellent la mesure du niveau de vie acceptable (NVA)» (p. 58). Cette dernière méthode a été choisie sur la base que c’était le panier de vêtements et chaussures le plus récemment conçu au Canada. «il découlait d’un effort visant à déterminer les vêtements et chaussures requis pour les situations les plus courantes au travail, à l’école et dans la vie sociale, soit une norme semblable à celle visée par la MPC» (p. 58). Il a été établi, dit-on, en tenant compte du commentaire de personnes à faible

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revenu, mais la méthode n’est pas précisée. On a établi un coût pour chaque article. Le document mentionne qu’une autre méthode a été calculée à partir de 2004 parce que le niveau de dépense ainsi calculé correspondait à entre 85,8 % et 91,5 % du niveau médian de dépenses des ménages de deux adultes deux enfants pour cet élément du panier, ce qui représente «un niveau un peu plus élevé que le niveau visé par la MPC». La nouvelle méthode serait donc moins généreuse. C’est toutefois la méthode du Winnipeg Harvest qui construit les calculs présentés aux fins de la mesure dans le document analysé ici.

Le contenu de cette composante Annexe C, p. 67.

Voici pour les fins de la démonstration ce qui est prévu pour l’adulte femme du ménage aux coûts de 2002

1 paire de chaussures sport @ 40 $ 1 paire de chaussures de ville @ 60 $ 1 paire de sandales @ 20 $ 1 paire de bottes d’hiver @ 90 $ répartie sur 3 ans ( 30 $ par année) 1 paire de bottes de caoutchouc @ 25 $ répartie sur 4 ans (6,25 $ par année) 5 paires de bas @ 2,20 $ (11 $) 4 petites culottes @ 9 $ (36 $) 3 soutien-gorges @ 26 $ (78 $) 1 sous-vêtement long @ 40 $ réparti sur 2 ans (20 $) 2 pantalons @ 40 $ (80 $) 1 short @ 20 $ 3 t-shirt @ 15 $ (45 $) 2 pull @ 30 $ (60 $) 1 pyjama @ 40 $ 1 maillot de bain @ 40 $ réparti sur 2 ans (20 $) 1 veste @ 150 $ répartie sur 2 ans (75 $) 1 imperméable @ 40 $ réparti sur deux ans (20 $) Divers pour 15 $

Le critère de limite inférieure :

un contenu moindre créerait-il un déficit vital par rapport à l’essentiel ?

Si un de ces vêtements manque, une partie du corps est nue ou mal couverte. La trousse de vêtements est si limitée et à coût si bas (par exemple les chaussures) qu’il est assuré qu’on l’use ou la défraîchisse dans la période indiquée. Par ailleurs, les quantités sont plus qu’à la limite pour l’hygiène. Si un vêtement est sali, il doit être lavé rapidement parce qu’il n’est pas remplacé. Il n’y a pas assez de rechanges pour toute une semaine. On ne fait pas l’année avec les bas. Il n’est pas sûr en fait d’en avoir assez pour toute l’année. Il n’y a pas assez pour couvrir les diverses saisons.

C’est donc une couverture vestimentaire à peine suffisante, en fait plutôt insuffisante, pour la stricte couverture du besoin de se vêtir.

Le groupe de personnes en situation de pauvreté a évalué que les quantités et le montant prévu pouvaient aller «s’il y a une base et que tu remplaces au fur et à mesure de l’usure». Une personne à pied va user deux paires de chaussures sport au prix indiqué dans une année.

Le critère de limite supérieure :

le contenu permet-il l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits ?

La quantité de vêtement est si limitée qu’elle tiendrait dans une valise. C’est une liste de stricte survie.

La gêne est totale pour toute la vie sociale. La liste ne prend aucunement en compte les standards implicites sur l’apparence qui sont si importants et si utilisés dans la vie courante pour classer les gens selon leur statut social.

Avec cette garde-robe, on ne va pas à un mariage.

On se demande ce qu’on va porter au travail. Il n’y en a pas assez pour faire

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bonne figure au travail.

La veste/manteau doit faire pour toute l’année et toutes les saisons. Il n’y a ni chapeau, ni gants.

Il n’y a ni robe, ni jupe, ni chemisier, ni collants dans la description.

On ne trouve pas de pyjama de rechange pour les adultes, pas de pantoufles pour les enfants comme les parents.

On passe l’été avec un seul short.

À part les sous-vêtements, les coûts prévus sont très bas, éventuellement possibles, mais ils supposent de courir les ventes ou d’acheter à faible qualité.

Les enfants se sentent terriblement à part. Tout le monde sent la tension sur les vêtements et leur maintien en état.

Pour les chaussures, la mauvaise qualité peut conduire à des blessures et à des problèmes de santé.

Il faut aussi se rappeler des exigences de l’école où il faut «une paire d’espadrilles pour l’intérieur, une pour l’extérieur», parfois aussi pour le service de garde et le gymnase, et des souliers «qui ne laissent pas de marques sur le plancher».

En fait, on cherche à fréquenter les comptoirs vestimentaires. Pour en avoir plus pour son argent et pour masquer la différence. On compense beaucoup avec des vêtements donnés.

Un critère de sortie de la pauvreté ? Pouvoir acheter un vêtement neuf par-dessus le strict nécessaire sans avoir à couper sur l’épicerie. «Porter un vêtement neuf, c’est incroyable l’effet que ça a : je me sens en pleine possession de mes moyens, j’ai la tête haute.»

Conclusion Tel que décrit, le contenu de cette composante se situe presque sous la limite inférieure de la zone. On pourrait le dire insuffisant à couvrir les besoins, alors il suffit encore moins à ce qu’une famille ait le sentiment de participer aux standards de sa société.

On peut se demander comment il se fait qu’un tel panier de vêtements semble très près du niveau médian des dépenses en vêtements. C’est toute la difficulté d’utiliser à la fois un critère absolu et un critère relatif. La démonstration absolue est assez incontournable : le panier tel que décrit est trop minimal pour pouvoir être étalé sur plus de temps en raison de l’usure liée à la fréquence d’usage. Un dans l’autre, ou bien on groupe sur plus de temps et use moins vite. Ou bien on use plus vite et recommence plus vite. La valeur d’achat n’est donc pas surestimée. Pour estimer l’argument d’un choix généreux parce que près du niveau médian, il faudrait voir la distribution des dépenses au-dessus et au-dessous de la médiane et savoir combien de ménages se situent sous 85% de la dépense médiane pour les vêtements. Il faudrait connaître les stratégies de priorisation budgétaire : quand on a un revenu sous la médiane et des dépenses fixes, que priorise-t-on ? Il faut évoquer des stratégies compensatoires reliées à l’économie informelle, comme les transmissions de vêtements interfamiliales, mais ce n’est pas ce qui est mesuré ici. Enfin il faut questionner la méthodologie des enquêtes de consommation : quels moyens a-t-on de distinguer entre les déclarations des personnes et les comportements effectifs ? Il est plus facile d’évaluer le loyer qu’on paie que le montant qu’on dépense pour les vêtements, ces items étant associés à diverses valorisations et dévalorisations. Par ailleurs qu’elle est la pertinence de telles enquêtes pour juger des besoins de personnes n’ayant pas les revenus nécessaires pour consommer au-delà des incompressibles ?

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c. Le logement

La référence pour construire cette composante

«L’élément « logement » de la MPC représente le coût moyen du loyer médian des logements locatifs de deux et de trois chambres à coucher dans chaque collectivité et taille de collectivité de chaque province où le nombre d’observations permet un calcul statistiquement fiable de ce coût. Les ménages dont le logement est subventionné sont inclus dans l’échantillon, mais ceux qui ne paient pas de loyer sont exclus, tout comme les logements locatifs nécessitant d’importantes réparations. Si le choix s’est porté sur la moyenne des loyers médians des logements locatifs de deux et de trois chambres à coucher, c’est qu’environ une moitié des familles de deux adultes et deux enfants habitent dans chacun de ces deux types de logement respectivement. On a choisi le loyer médian pour assurer une qualité de logement acceptable même dans les régions où l’offre de logements à prix modique est limitée» ( p. 60).

Le loyer de référence est chauffé, éclairé, alimenté en eau et inclut cuisinière, poêle, et l’accès à une laveuse et une sécheuse.

Le contenu de cette composante Annexe D et E, p. 69-73.

À Montréal pour 2002, le calcul conduit à un montant de 7 384 $, soit environ 615 $ par mois chauffé, éclairé, avec poêle, frigo, laveuse et sécheuse.

Le critère de limite inférieure :

un contenu moindre créerait-il un déficit vital par rapport à l’essentiel ?

Il y a lieu de croire que le besoin est couvert pour une famille de quatre avec l’utilisation d’un logement à deux ou trois chambres à coucher.

Le problème ici est la capacité de trouver un logement dans le marché locatif. Si la couverture était moindre, la capacité de trouver un logement serait diminuée, mais pas nécessairement empêchée. Il suffirait toutefois de quelques dizaines de dollars de moins par mois pour qu’il devienne impossible de trouver au coût indiqué. On doit donc compter avec le problème de la rareté.

Le critère de limite supérieure :

le contenu permet-il l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits ?

Le critère du loyer médian est intéressant. À première vue, il est assez élevé, mais il faut considérer que la distribution des loyers est plus rapprochée sous la médiane et plus étendue au-dessus. C’est tout de même une condition de vie que les ménages à plus faible revenu partagent peut-être davantage avec les ménages immédiatement au-dessus.

Ici, ce qu’il faut estimer en plus, c’est la capacité de faire face aux imprévus relatifs à la vie dans un logement.

Et il faut estimer la qualité des logements et des services fournis. Le type de voisinage. Le niveau de sécurité et de salubrité. Et la qualité de vie qu’on peut s’offrir dans le logement avec les meubles et l’entretien. Une partie de la question renvoie donc à «autres dépenses».

Il faut estimer aussi la possibilité de devoir assumer un loyer plus élevé que le prix médian s’il y a rareté de logements disponibles.

Le problème avec le logement réside dans le fait que c’est une dépense fixe, incompressible. Il faut pouvoir rencontrer le paiement.

Mal pris, on abandonnera de l’espace ou de l’intimité, quitte à habiter avec d’autres. Très mal pris, on vivra la pression vers l’itinérance.

Par ailleurs, il faut considérer que les obligations des personnes seules peuvent être presque équivalentes. En 2006, à Montréal, le loyer médian pour un studio et un 1 chambre était respectivement de 465 $ et 570 $, alors qu’il était de 650 $ et de 765 $ pour un 2 chambres ou un 3 chambres. C’est donc plus du 2/3 du loyer d’une famille de quatre qu’il faut prévoir pour une personne seule.

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Il faut aussi prendre en compte le facteur des logements subventionnés, qui font une grosse différence et ne sont pas nécessairement disponibles. Si on les considère, ces logements tirent la médiane vers le bas, comparativement à ce qu’elle serait si on ne considérait que les logements non subventionnés.

Dans le groupe de personnes en situation de pauvreté évaluant la mesure, n’ayant pas trouvé à meilleur prix, des personnes devaient payer un loyer plus élevé que le montant prévu pour Québec, ajusté pour 2008, soit 654 $. Le groupe a évalué que le montant prévu est possible, mais qu’il faut chercher pour trouver à ce prix et qu’ensuite il faut savoir contester les hausses de loyer pour le garder le prix le plus bas possible.

Disposer de 1000 $ dans le budget d’une famille de quatre pour le logement et les obligations attenantes a été considéré comme un indice qu’on n’est plus dans la pauvreté.

Conclusion Cette composante du panier se situe dans la zone de transition sans qu’il soit possible d’évaluer un critère large ou restreint. Ce sont les situations individuelles, alliées à la qualité du logement qui font la différence. Cette dépense étant fixe, la différence vient plus dans la part que vient prendre le logement dans le revenu, un argument pour ne pas perdre de vue ce que mesurent les Seuils de faible revenu (SFR), qui eux, considèrent le pourcentage des revenus consacré à cette dépense, ainsi qu’à la nourriture et au vêtement. Autrement dit, dans le cas du logement, la pauvreté réfère beaucoup à ce qui manque autour du logement quand celui prend trop de place dans le revenu.

d. Le transport

La référence pour construire cette composante

On retient l’accès au transport en commun dans les grands centres urbains et la capacité ailleurs de se procurer un véhicule usagé et de l’entretien, comme le recommande le Conseil national du bien-être social (p. 61-62).

Le transport est considéré comme un essentiel compte-tenu de sa nécessité plus grande aujourd’hui pour le travail, l’éducation, l’approvisionnement.

Le contenu de cette composante Dans les centres urbains avec transport en commun : un abonnement mensuel par adulte plus un taxi mensuel.

Ailleurs, l’achat et l’entretien d’une Chevrolet Cavalier quatre cylindres usagée, de cinq ans d’âge, incluant les intérêts d’un prêt de 36 mois, le coût annuel d’un permis de conduire, de l’immatriculation, de l’assurance obligatoire, de 1 500 litres d’essence sans plomb ordinaire, plus le coût de deux vidanges d’huile et d’une mise au point par année.

En 2002, un montant de 1401 $ est prévu pour Montréal et de 1607 $ pour Québec, deux villes où on peut se procurer un abonnement pour le transport en commun. Dans une région où il faut une automobile, un montant de 3 666 $ est prévu.

Le critère de limite inférieure :

un contenu moindre créerait-il un déficit vital par rapport à l’essentiel ?

Le besoin est couvert pour l’essentiel.

Sans abonnement ou automobile, il n’est pas couvert. La débrouille reste possible, mais elle coûte quand même quelque chose et s’il y a un emploi nécessitant un transport, le transport quotidien à la pièce équivaut au moins au montant prévu pour le laisser passer. La capacité d’emploi, de formation ou d’approvisionnement est donc mise en péril si les provisions pour les déplacements sont restreintes.

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Les parents du groupe évaluant la mesure ont fait remarquer qu’il faut disposer d’un budget de transport en commun pour les enfants qui ont inévitablement, soit des obligations reliées à l’école, soit un certain nombre de sorties, ne serait-ce que pour accompagner les parents dans des déplacements nécessaires. Certains adolescents doivent disposer d’un abonnement pour se rendre à l’école. Il faut également pouvoir disposer d’un budget d’urgence pour des déplacements imprévus comme amener à l’urgence un enfant qui se trouve malade en pleine nuit.

Le critère de limite supérieure :

le contenu permet-il l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits ?

Le critère du laisser-passer mensuel et d’un taxi par mois suffit à assurer l’emploi, l’éducation, la formation pour les adultes. Toutefois, les enfants ne se déplacent pas. Et aucun montant n’est prévu pour les déplacements entre villes, pour des voyages ou des vacances. On ne visite pas les parents à l’extérieur.

Dans le cas d’une auto, aucun montant n’est prévu, au-delà de l’entretien minimal, pour les bris et les réparations, les changements de pneus, inévitables avec une auto de cet âge. Loin de correspondre à un luxe, le critère envisagé ne suffit pas à assurer correctement l’entretien et il garantit la détérioration de l’équipement.

À défaut de pouvoir assumer les dépenses, on ne roulera pas ou on laissera le véhicule se détériorer. On ne saisira pas les opportunités. On perdra de l’autonomie.

Des signes de sortie de la pauvreté ? Selon le groupe consulté : pouvoir payer les laisser-passer nécessaires plus cinq taxis. Pouvoir payer le transport communautaire de type Commun’auto. Être en mesure d’arriver à temps, ni trop tôt, ni trop tard, dans la vie courante. La ponctualité est difficile avec de petits moyens. Il faut planifier davantage les déplacements. Pouvoir accepter un emploi sans que le transport soit une contrainte.

Conclusion Cet item du panier n’atteint pas la limite supérieure de la zone. Selon les situations, il se situe à la limite inférieure ou un peu plus haut.

e. Les autres dépenses

.

La référence pour construire cette composante

«Il a donc été décidé d’établir un coût approximatif de ces biens et services à l’aide d’un multiplicateur représentant les dépenses de cette catégorie comme une proportion des dépenses moyennes en nourriture, en vêtements et chaussures de la famille de référence du deuxième décile. Ce multiplicateur sera calculé pour chaque année à l’aide de micro données détaillées tirées du fichier principal de l’Enquête sur les dépenses des ménages » p. 63-64.

Autrement dit on examine un certain nombre d’«autres dépenses» de la deuxième moitié du cinquième le plus pauvre de la population, on en tire un coefficient en la mettant en rapport avec les dépenses de nourriture et de logement du même groupe et on applique ensuite ce coefficient aux montants établis pour la nourriture et les vêtements dans le panier de consommation.

Le contenu de cette composante Annexe F, p. 75.

Le coefficient calculé pour la famille de référence pour 2002 est de 0,655 de la partie nourriture et vêtements du panier.

Soit 5939 $ pour une famille de quatre à Montréal en 2002.

Les items inclus dans le calcul du coefficient des dépenses peuvent figurer dans

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les catégories suivantes. 2200 Achats de téléphones et matériel 2202-2204 Services téléphoniques 2230 Postes et autres services postaux et de communication 2310 Produits de nettoyage ménagers 2320-2330 Articles en papier, emballages pour aliments 2380 Autres fournitures ménagères 2500 Meubles 2510 Carpettes, tapis et sous tapis 2520 Couvre fenêtres et équipement ménager en matière textile 2540 Climatiseurs d’appartement, humidificateurs et déshumidificateurs portatifs 2552 Fours à micro-ondes et fours à convection 2560 Petits appareils électriques pour la préparation des aliments 2580 Aspirateurs et autres appareils de nettoyage de tapis 2584 Machines à coudre 2586 Autres appareils et articles électriques 2590 Accessoires et pièces pour gros appareils 2640 Lampes et abat-jour 2650 Ustensiles de cuisine et de cuisson non électriques 2660 Articles de table, couverts et couteaux 2670 Matériel de nettoyage non électrique 2672 Bagage 2674 Matériel de sécurité au foyer 2680 Autres équipements, pièces et accessoires ménagers 2690-2710 Entretien et réparations de meubles et d’équipement 2720-2730 Services liés à l’ameublement et à l’équipement 3312 Autres médicaments et produits pharmaceutiques 3500-3580 Soins personnels 3700 Matériel de sport et d’athlétisme 3720 Jouets et véhicules pour enfants 3730 Jeux électroniques et pièces connexes 3830 Location de jeux vidéo 3770-3774 Matériel et service photographiques 3900 Bicyclettes, pièces et accessoires 3950 Entretien et réparations de bicyclettes 4000-4070 Matériel et services de divertissement au foyer 4100 Cinémas 4110 Événements sportifs (comme spectateur) 4120 Spectacles en salle 4130 Admission aux musées et autres activités 4140 Frais de location pour télédistribution (câble) et pour la diffusion par satellite 4150 Cotisations et droits pour établissements sportifs et récréatifs 4160 Cotisations pour usage unique d’établissements sportifs et récréatifs 4170 Camps pour enfants 4300-4340 Matériel de lecture et autres imprimés 4400-4410 Fournitures pour l’éducation 4420-4430 Manuels 4630 Frais de services bancaires 5220-5230 Contributions aux oeuvres de bienfaisance

Le critère de limite inférieure :

un contenu moindre créerait-il un déficit vital par rapport à l’essentiel ?

Il faut voir ce qui est calculé par le coefficient. Il est lui-même établi à partir de ce que dépensent des ménages à très faible revenu (deuxième moitié du quintile le plus pauvre) qui ne dépensent pas nécessairement pour tout le nécessaire, mais seulement pour le possible parmi le nécessaire. Compte tenu

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que ce coefficient est appliqué ensuite à une portion du panier, la nourriture et les vêtements, qui se situe elle-même à un niveau très minimal, à la limite de la couverture des besoins, on peut considérer que son résultat est de même ordre.

Le critère de limite supérieure :

le contenu permet-il l’autonomie économique, l’intégration et la participation à la société, le niveau de vie suffisant, la réalisation effective des droits ?

Il faudrait pouvoir évaluer le coût de besoins inévitables pour fonctionner dans la société de 2008. Par exemple les services téléphoniques, le mobilier de base, son amortissement et son remplacement, une petite assurance, l’accès à au moins un moyen d’information (journal, télévision, radio).

L’accès à un ordinateur et à un abonnement Internet (non prévu spécifiquement dans la liste) devient une nécessité pour la participation sociale. Dans le cas des enfants, c’est de plus en plus une obligation scolaire à partir du niveau secondaire et l’accès à cet équipement pour les travaux scolaires établit une démarcation perceptible entre les enfants dès la fin du primaire.

Supposons, pour tester le montant alloué dans le calcul de la MPC, un budget d’items indispensables prévus dans cette section. Le montant alloué pour le Québec (entre 5939 $ et 5971 $), indexé pour 2008 (entre 6785 $ et 6826 $) est légèrement dépassé (6846 $) avec la répartition suivante :

Téléphonie @ 35$ par mois = 420 $ Assurance = 360 $ Fournitures et frais scolaires pour les enfants @ 300 $ par enfant = 600 $ Frais d’emploi et de vie active pour les adultes @ 50 $ par mois par adulte = 1200 $ Produits d’entretien personnel et ménager pour la famille @ 25 $ par semaine (papier de toilette, produits sanitaires, shampoing, savon, fournitures de cuisine courantes, entretien des chaussures, etc.) = 1300 $ Produits courants de pharmacie @ 25 $ par mois = 300 $ Ameublement, entretien et réparations @ 60 $ par mois = 720 $ Un abonnement à un journal @ 25 $ par mois = 300 $ Internet @ 30 $ par mois = 360 $ Ordinateur et frais amortis sur plusieurs années = 250 $ Sports et divertissements @ 40 $ par mois, soit moins de 2,50 $ par semaine par personne = 480 $ Argent de poche @ 5 $ par semaine pour les deux adultes = 520 $ Frais bancaires @ 3 $ par mois = 36 $ Ce «budget test» est volontairement minimal pour tenir dans les cadres prévus. Il est centré sur l’indispensable. Il donne peu de choix. Par exemple, avec les frais de vie active alloués, on peut préparer au maximum dix demandes d’emploi par mois, ou dépenser 2,50 $ par journée travaillée pour des frais reliés, ou prendre plutôt dans ce poste pour rencontrer d’autres engagements sociaux et communautaires. Les enfants et les adultes ne font aucun sport organisé demandant un équipement comportant des coûts ou des frais d’inscription le moindrement substantiels. Alors on utilise peut-être ce poste budgétaire pour s’abonner plutôt au câble parce qu’alors au moins tout le monde peut en profiter et que ça n’occasionne pas d’autres dépenses. Personne ne suit de cours. Il n’y a pas de vacances. Il n’y a pas de restaurant. On n’achète pas de livres. On ne fait pas de cadeaux à moins de les prendre dans d’autres postes budgétaires. Beaucoup d’équipements brisés ne sont pas réparés. On remarquera aussi que c’est un budget vertueux, sans tabac, alcool ou restaurant, loin des standards de la classe moyenne, des annonces vues à la télé, des conversations entendues au bureau. Le groupe de personnes en situation de pauvreté a confirmé ce caractère minimal. Les frais scolaires sont sous-évalués, les parents indiquant qu’il faut au minimum 450 $ par enfant et beaucoup plus au niveau collégial. À partir du

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moment où un enfant a des horaires variables et étendus à l’école, ce qui se produit à partir du cegep, il devient difficile de ne prévoir que des lunchs, il faut aussi un peu d’argent pour un second repas acheté à un casse-croûte ou à la cafétéria de l’établissement scolaire. Autrement dit, il faut prévoir un peu d’argent de poche pour les enfants aussi. Dans sa vie sociale, on ne peut pas suivre. On se sent constamment à part. On se prive. On «ne peut pas». Si on emprunte, on accumule des frais d’intérêt. Il pourrait devenir tentant de prendre un billet de loto.

Conclusion Cette composante du panier est plus proche de la limite inférieure de la zone.

f. Résumé pour l’ensemble des composantes

Si on résume les conclusions de cet examen composante par composante, on obtient le portrait d’ensemble suivant :

la composante nourriture est à peine suffisante à couvrir les besoins essentiels, elle laisse dans l’insécurité alimentaire ; la privation matérielle et sociale reste ;

la composante vêtements est plutôt insuffisante à couvrir les besoins essentiels et la privation matérielle et sociale reste ;

la composante logement est correcte et dépendante de la disponibilité des logements ; elle peut co-exister avec des manques si le logement n’est pas de qualité, avec une couverture adéquate et même des situations où il n’y a par ailleurs plus de pauvreté au même niveau de loyer ;

la composante transport couvre les besoins sauf pour les enfants ou à la condition que l’automobile ne nécessite pas de réparation ; elle maintient un certain niveau de privation matérielle et sociale ;

la composante «autres» ne permet pas de concilier tous les autres besoins non considérés dans les quatre premières composantes et prévus à ce poste, ce qui fait que la privation matérielle et sociale reste.

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3. Conclusion : la MPC est associable à un niveau de couverture de base des besoins essentiels et non à la sortie de la pauvreté

Quel niveau de vie permet ce panier de consommation ?

«Ça permet d’être invisible. On n’a plus l’air d’un pauvre, mais ça finit là. C’est pas assez.»

Un participant à l’évaluation de la mesure faite avec un groupe de la Courtepointe, Québec. Après avoir longtemps vécu l’aide sociale, ce participant a obtenu un doctorat et s’est trouvé à chevaucher plusieurs niveaux de vie différents. Il a expliqué qu’à son expérience, le niveau de vie décrit par la mesure conduit à ne plus être remarqué par les signes extérieurs de sa pauvreté sans pour autant fournir les leviers nécessaires à la sortie de la pauvreté. Québec, le 19 mars 2008.

Que peut-on conclure de cet examen ?

a. Éclairages et confirmations apportés par les personnes en situation de pauvreté

La consultation d’un groupe de personnes en situation de pauvreté a été à cet égard assez instructive. Avant l’exercice, il a été demandé au groupe d’évaluer, sans connaître le contenu et le coût du panier à examiner, ce que serait un revenu couvrant les besoins essentiels. Les réponses pour une personne seule ont été : l’aide sociale au barème prévu pour les personnes avec contraintes sévères à l’emploi plus un tiers, environ 1000 $ par mois sans les loisirs, de 13 000 $ à 14 000 $ par année. Pour une famille de deux adultes et deux enfants : 30 000 $. Pour une famille monoparentale avec deux enfants : 25 000 $. Un revenu permettant la sortie de la pauvreté pour une personne seule a été situé entre 17 000 $ et 20 000 $, le groupe optant plutôt pour 20 000 $. Il a été plus difficile d’évaluer un montant équivalent à la sortie de la pauvreté pour les familles.

Cette évaluation intuitive initiale a été corroborée à la fin de l’exercice, quand le coût approximatif du panier pour 2008 a été indiqué. Le groupe s’est trouvé satisfait de son évaluation : à Québec, en 2008, on commence à parler de couverture des besoins essentiels pour une personne seule si celle-ci dispose d’un revenu disponible à la consommation situé entre 13 000 $ et 14 000 $. Par ailleurs pour une famille, compte tenu des obligations scolaires, incontournables à défaut de constituer des besoins définis par les personnes, et compte tenu de la connaissance pratique des besoins des enfants et des jeunes, le panier évalué semble un peu trop serré. Un revenu disponible à la consommation de 26 665 $ à Québec en 2008, laisserait des incontournables à découvert. L’évaluation initiale de 30 000 $ se trouve elle aussi confirmée par l’examen détaillé : un revenu disponible à la consommation un peu mieux évalué plus les dépenses nécessaires aux besoins non couverts dans le panier conduirait grosso modo au même montant.

L’expertise du groupe s’est également avérée très utile pour circonstancier les dimensions qualitatives associables à la fréquentation des limites d’une zone de transition entre la pauvreté et son absence.

Plusieurs des personnes présentes devaient composer avec moins encore que le panier examiné, leurs prestations d’aide sociale ou leur situation d’emploi ne leur assurant pas le revenu nécessaire. Il a donc été possible de vérifier ce qui se passe sous ce niveau de couverture assuré par la MPC et au-dessus.

Sous le niveau de couverture assuré par la MPC, il n’y a pas assez de liquidités pour assurer le nécessaire : ou bien il faut une aide extérieure, ou bien on entre dans d’autres modalités de l’économie informelle, ou bien on se prive sévèrement.

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À cet égard, la nourriture ressort comme le poste budgétaire dans lequel on prend les liquidités manquantes. Ce qui conduit à des expériences d’alimentation insuffisante. La remarque a été apportée plusieurs fois. «Au BS, tu sautes des repas.» «Je me prive de déjeuner et de dîner pour mes enfants» «S’il y a trois oranges dans le panier du comptoir alimentaire et qu’on est cinq, on donne les trois oranges aux enfants.»

Plus l’argent manque, moins les vêtements font partie du budget. «J’achète les sous-vêtements, les bas, les chaussettes, les souliers, les jeans» dit une participante prestataire du programme de solidarité sociale, «sinon, le reste, je le prends à la St-Vincent-de-Paul». Le manque au niveau des vêtements est associé à des expériences humiliantes : faire semblant qu’on suit une mode cool de vêtements usés, jusqu’au jour où quelqu’un passe une remarque sur les souliers troués ; avoir fait l’effort d’acheter une robe pour une noce estivale et s’être sentie dépareillée et frigorifiée toute la journée dans sa tenue légère parce qu’il a fait froid ce jour-là et qu’on n’avait pas de remplacement ; les remarques désobligeantes rapportées par les enfants. Les stratégies pour compenser : les dons, les vestiaires, les friperies et un travail sur ses propres perceptions.

Le logement est un incontournable de l’ordre de la fatalité. Il prend souvent presque toute la place.

Le transport est relié à l’habillement parce qu’on vit beaucoup à pied.

Les pratiques de solidarité, les logements subventionnés aident à s’en sortir.

Une fois passé le niveau de couverture assuré par la MPC, assimilé par des participantes à un niveau de «survie», on «devient invisible» tout en restant pauvre, a rapporté un participant qui, tout en ayant connu l’aide sociale pendant plusieurs années, a une bonne expérience de fréquentation de personnes ayant divers niveaux de vie. Ce constat d’expérience a été corroboré de diverses façons par le groupe. La base est couverte, la pauvreté est moins visible, les personnes aussi. Elles continuent de vivre à l’écart. Plusieurs personnes ont fait état d’une expérience de vide et d’isolement : la société autour semble en retrait. Les amis des adultes et des enfants ne viennent pas à la maison, à moins qu’il y ait des ententes de partage pour la nourriture et les repas. On ne va pas soi-même là où vont les autres. La privation matérielle reste tout en étant atténuée par rapport aux découverts qu’on a connus. La privation sociale, elle, est grande. On est dans l’excuse. «Je ne peux pas»17.

Entre la couverture des besoins essentiels et la sortie de la pauvreté, il y aurait en somme une zone d’invisibilité, un espace de marge où les personnes échappent à l’attention publique, «ça dérange moins» a dit une participante, tout en n’étant pas en mesure de vivre aux standards reconnus18.

À quel niveau de couverture passerait-on la sortie de la pauvreté ? Quels signes pourraient indiquer qu’on n’est plus pauvre ? «Quand tu peux faire au moins une semaine ou deux dans être obligée de checker ton budget, déjà c’est signe que tu commences à t’en sortir», a dit une participante, qui a précisé que «sortir de la pauvreté, ça serait de ne pas être obligée de recalculer le budget à chaque mois pour la moindre petite dépense». Voici d’autres repères mentionnés par le groupe. «Tu n’es plus obligée d’aller au comptoir alimentaire», «une sortie au ciné ou au restaurant» sans stresser et devoir compter, plus de variété dans les aliments, le sentiment de ne plus être dans la privation. «Quand tu peux te permettre

17

On trouve ici un nouvel éclairage du mot «gêne», comme dans «être dans la gêne». 18

Cette notion est d’autant à souligner que beaucoup d’efforts dits de lutte contre la pauvreté pourraient venir renforcer un stationnement dans cette zone. Une formule comme la Prime au travail est à son maximum juste au-dessus du niveau de revenu défini par la MPC. Ce pourrait être un effet pervers de l’incitation à l’emploi… mal payé. Elles pose aussi la question des conditions favorables à la sortie de la pauvreté : il ne suffit pas de pouvoir couvrir l’essentiel, encore faut-il pouvoir sortir de la pauvreté.

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d’arrêter de mentir et de suivre les autres parce que tu as les moyens.» «Quand tu n’es plus dans la marge, tu te sens quelqu’un.» Ne pas devoir compter sa monnaie au dépanneur ou devoir faire enlever des items à la caisse. Pouvoir faire des cadeaux.

Intéressé par ces questions d’évaluation, à la fin de l’activité, le groupe a émis le souhait, pertinent, que l’exercice soit repris avec des «des gens aisés qui n’ont pas peur du lendemain». Ceci ouvre indirectement une autre question, plus loin dans le continuum : à partir de quel niveau de revenu est-on riche ?

b. La MPC : un indicateur de capacité de couverture des besoins essentiels dans l’économie formelle

La conclusion de cet examen détaillé est simple : malgré ce qu’on pourrait en penser quand on en parcourt rapidement la description, le contenu du panier par la Mesure du panier de consommation est associable, avec certaines restrictions, à un niveau de couverture de base des besoins essentiels, incluant ce qu’on pourrait appeler des «obligations sociales non discrétionnaires» de la vie active au Québec qui deviennent alors assimilables à des besoins essentiels. Parmi ces obligations sociales non discrétionnaires reliées aux composantes du panier, on trouve les règles des établissements scolaires et de formation, les règles du milieu de travail, la nécessité de se déplacer et de pouvoir communiquer19.

Le contenu du panier ne permet toutefois pas de répondre à l’ensemble de ce que la loi québécoise peut entendre par une situation de pauvreté. Sauf pour la composante logement, où d’autres variables sociétales jouent dans la possibilité de couvrir le besoin, par exemple la disponibilité de logements à prix abordable, on peut voir que

si le contenu du panier était moindre, quelque chose d’essentiel manquerait,

le contenu du panier ne fournit pas encore les «ressources», les «moyens», les «choix», la «sécurité» et le «pouvoir» «nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société». Le niveau de vie n’est pas encore suffisant et l’exercice des droits reconnus reste limité.

En conséquence, si on utilise la MPC comme mesure de référence pour suivre les situations de pauvreté, elle ne doit pas être considérée comme un seuil de pauvreté, mais plutôt comme une mesure fiable d’une capacité de consommation dans l’économie formelle située à la limite inférieure d’une zone amorçant la transition entre la pauvreté et son absence. Elle peut servir à situer la population par rapport au revenu dont elle dispose pour se payer le dit panier. Ce faisant elle donnera une bonne indication du degré de

19

Cette distinction résout une partie de la contradiction présente dans les propos des auteurs de la mesure : la mesure considère effectivement une forme de participation sociale, mais comme celle-ci reste de l’ordre des obligations non discrétionnaires associables à la vie active attendue des adultes comme des enfants (l’école, l’emploi), elle ne conduit pas à la diminution des privations et au constat d’une plus grande intégration, mais plutôt à l’augmentation de ce qui doit être pris en compte avec les liquidités disponibles. L’ambiguïté sur la potentielle générosité de la mesure compte tenu du niveau de dépenses comparables dans les enquêtes de consommation, démontre probablement aussi ici une limite inhérente à l’usage concomitant de dimensions absolues et relatives dans une même mesure. L’examen tenté ici est d’ordre absolu : que peut-on couvrir avec le panier indiqué ? Et sa conclusion est assez claire : un niveau de couverture des besoins assez limité. Pour concilier ce constat avec ce qui est aperçu par les enquêtes de consommation, il faut ouvrir un champ d’investigation de l’ordre du «relatif», qui se trouve non couvert par une mesure de type «panier de biens et services», soit celui des habitudes économiques, dont le recours à l’économie informelle et les choix de dépenses des ménages disposant ou non d’une capacité de choix relativement aux standards de vie ambiants. Et il faut poser des questions de méthode relativement à ce qui est mesuré par les enquêtes de consommation.

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couverture des besoins essentiels dans la société. Elle n’indique pas la sortie de la pauvreté. Elle constitue plus une mesure de très faible revenu qu’une mesure de faible revenu.

Par ailleurs, compte tenu des impacts qu’il y a à inférer un revenu de référence qui servira ensuite à la décision publique pour calibrer des dispositifs de protection sociale relatifs à la fiscalité et à des minima sociaux, il faut aborder avec beaucoup de précautions ce qui peut être dit relativement à la MPC.

On peut dire que c’est une mesure de référence intéressante pour suivre les situations de pauvreté par le revenu et la capacité d’acheter un panier fourni à titre indicatif. Cette mesure est adaptée aux différences de coût selon le type de région. En précisant les définitions et les comparables au plan du revenu, de même que les échelles d’équivalence entre les divers types de ménage, on peut choisir de constamment partir d’elle pour en tirer des taux, des mesures d’écart, de gravité. On peut chercher à comprendre où se situe la population par rapport à cette mesure.

Si on l’utilise, on peut montrer et on doit dire que cette mesure est davantage proche d’une limite de couverture des besoins essentiels que d’une limite de sortie de la pauvreté20.

Si la notion de faible revenu comprend au moins celle de pauvreté, on ne peut pas dire et ne doit pas dire, comme le font les auteurs de la mesure, qu’elle détermine un seuil de faible revenu séparant les individus et familles à faible revenu de ceux et celles qui ne le sont pas.

Pour les mêmes raisons, il devient important de calibrer avec attention et justesse ce qui a été calculé ici pour la famille de référence de deux adultes/deux enfants en fonction de ce que serait la réalité pour unE adulte seulE, un couple ou une famille monoparentale. On doit déjà comprendre qu’il peut y avoir des différences de plusieurs centaines de dollars pour ajuster les besoins nécessaires entre deux familles de même taille selon l’âge et la situation scolaire des enfants, autant peut-être que ce qui peut différencier deux régions quant au coût du panier actuel. De mêmes certaines composantes du panier seront proportionnellement plus pesantes dans le budget d’une unité familiale plus petite : par exemple, le loyer et les dépenses relatives à l’habitation, comme le téléphone, le transport si une automobile est requise. Peut-être la meilleure façon de procéder serait-elle de refaire entièrement l’étude pour chaque catégorie et à tout le moins pour les personnes seules, ce qui donnerait un comparable. En attendant, il faudra comprendre un facteur d’équivalence de 50 % comme un facteur estimé.

c. Perspectives ouvertes par l’exercice

En vue de baliser la route en direction d’une société sans pauvreté, bien des recherches restent à développer pour prendre en compte les autres aspects, qualitatifs et quantitatifs, de l’expérience de la pauvreté. Il reste beaucoup à comprendre sur ce qui indique qu’on entre dans une situation de pauvreté et qu’on en sort et sur ce qui participe aux causes, à l’expérience et aux conséquences de la pauvreté, de même qu’à la dynamique du passage entre la pauvreté et son absence. Les recherches y contribueront encore mieux si elles sont réalisées en recourant à des démarches croisées où l’expertise des personnes et des milieux concernés pourra interpeller, confronter, proposer les modèles en discussion.

Un simple exercice systématique avec un groupe de personnes en situation de pauvreté a permis ici de suggérer les pistes d’exploration suivantes sur le continuum entre la pauvreté et l’aisance :

20

Cela ne renvoie pas pour autant la limite qui indiquerait la sortie de la pauvreté à des hauteurs illogiques ou déraisonnables dans l’échelle des revenus. Cela signifie qu’il faudra faire les travaux nécessaires pour en venir à évaluer plus systématiquement ce qu’il faut en plus et pour s’assurer de critères permettant de convenir que l’évaluation est conforme à la réalité.

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l’expérience de la pauvreté sous le niveau de revenu disponible à la consommation défini par la MPC, incluant les stratégies opérant pour compenser le déficit d’argent et pour lutter contre le déficit humain,

l’expérience de la pauvreté «invisible» entre le niveau de revenu disponible à la consommation défini par la MPC et la sortie de la pauvreté,

les mises en commun nécessaires à la construction d’un indicateur multidimensionnel de la transition entre la pauvreté «invisible» et l’absence de pauvreté,

puis, au-delà, les diverses caractéristiques de la vie libérée de la pauvreté à divers points du continuum,

dont ce qui fait la transition vers la richesse matérielle.

Nous n’avons pas non plus abordé les aspects systémiques, externes au revenu des personnes, mais reliés à leurs conditions de vie, comme les politiques publiques, les choix de société, l’environnement économique, qui jouent dans l’entrée et la sortie de la pauvreté et dans ce qui détermine ses dimensions plus absolues ou relatives.

Ceci dit, on peut espérer que de clarifier la MPC pour ce qu’elle mesure et ne mesure pas l’aura au moins positionnée dès maintenant comme une manière de suivre de plus près la couverture des besoins essentiels et non comme une mesure de sortie de la pauvreté.

L’intention se limitait ici à situer une mesure de référence, du point de vue des connaissances et instruments disponibles. Quant aux questions de pacte social et fiscal qui supposeront de s’y référer, elles restent entières. Tendre vers un Québec sans pauvreté, comme la loi québécoise y engage, suppose que les institutions politiques et la société civile fassent les débats et arbitrages nécessaires en fonction des visions, moyens et options à considérer. Et cela, c’est une autre histoire.

Québec, 3 avril 2008