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La musique de l âge baroque Contexte historique et social Le terme baroque vient probablement du portugais "barocco" qui signifie "perle irrégulière". Appliqué à l’origine aux arts décoratifs et à l’architecture, il désigne un style exubérant né à la fin du xvi e siècle en Italie qui va connaître une progressive extension au cours du xvii e siècle sur la plus grande partie de l’Europe (c’est ce que l’on nomme "le croissant baroque") et même au-delà. La notion de "musique baroque" est une classification récente : mieux vaudrait-on lui préférer l’épithète "musique de l’âge baroque". Cette notion fait référence au formidable bouleversement qui agite la vision et la place de l’art dans la société durant tout le xvii e siècle et la première moitié du xviii e siècle. Une période opulente et dynamique Les compositeurs de la période baroque vivent à une époque de forte expansion culturelle et leurs œuvres traduisent l’optimisme et l’énergie d’une Europe confiante en son avenir. L’ère baroque est en effet, du point de vue historique, une période relativement opulente et dynamique : l’Europe sort des guerres de Religion qui ont suivi la Réforme, affirme partout son hégémonie et lançait de nombreux navigateurs à la conquête d’autres nouveau mondes encore inexplorés. Le développement commercial qui s’ensuit favorise l’émergence d’une riche classe de marchands, augmentant d’autant le nombre de personnes instruites et fortunées, dotées d’une sensibilité cosmopolite, et enclines au mécénat. Le contexte est donc extrêmement favorable au développement des arts, de l’artisanat et de la musique. La musique, partie intégrante d’un tout culturel et sociologique Musicalement parlant, la période revêt une unité plus profonde qui ne relève pas seulement de facteurs strictement techniques ou artistiques. Une partie importante des œuvres créées à cette époque possède toute une série de caractéristiques musicales com- munes qui provient à la fois de la société et de la mentalité. Regarder la musique du temps comme partie intégrante d’un tout culturel et sociologique se justifie d’autant plus que, dans les conceptions des contemporains et dans la pratique quotidienne, elle ne jouit pas d’une indépendance prononcée par rapport à d’autres domaines de la culture et par rap- port à la vie sociale, mais qu’au contraire elle y était fortement insérée. En effet, pour les contemporains, la musique est intégrée dans le monde cosmique, dans l’univers tout entier. Epoque d’unification et d’absolutisme monarchique, l’âge ba- roque conçoit la musique comme au service de celui qui se tient au sommet de la hiérarchie sociale, qu’il s’agisse du monarque (musique de cour) ou de Dieu (musique d’église). Profondément insérée dans la société et dans les conceptions de l’époque, la musique savante de l’âge baroque se tourne d’abord et surtout vers les milieux de cour où elle exerce des fonctions sociales et atteint un caractère artistique particulier. Bien qu’une partie de la vie musicale puisse s’exercer ailleurs, elle quitte la vie de tous les jours. On voit donc se constituer un public restreint de privilégiés et se rétrécir considérablement le champ de la musique.

La musique de l âge baroque - patrimoines.musicaux.free.frpatrimoines.musicaux.free.fr/Data/Notes/Baroque.pdf · A l’image de Music for the Royal Fireworks de Haendel, les compositeurs

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La musique de l’âge baroque

Contexte historique et social

Le terme baroque vient probablement du portugais "barocco" qui signifie "perleirrégulière". Appliqué à l’origine aux arts décoratifs et à l’architecture, il désigne un styleexubérant né à la fin du xvi

e siècle en Italie qui va connaître une progressive extension aucours du xvii

e siècle sur la plus grande partie de l’Europe (c’est ce que l’on nomme "lecroissant baroque") et même au-delà.

La notion de "musique baroque" est une classification récente : mieux vaudrait-onlui préférer l’épithète "musique de l’âge baroque". Cette notion fait référence au formidablebouleversement qui agite la vision et la place de l’art dans la société durant tout le xvii

e

siècle et la première moitié du xviiie siècle.

Une période opulente et dynamique

Les compositeurs de la période baroque vivent à une époque de forte expansionculturelle et leurs œuvres traduisent l’optimisme et l’énergie d’une Europe confiante enson avenir. L’ère baroque est en effet, du point de vue historique, une période relativementopulente et dynamique : l’Europe sort des guerres de Religion qui ont suivi la Réforme,affirme partout son hégémonie et lançait de nombreux navigateurs à la conquête d’autresnouveau mondes encore inexplorés. Le développement commercial qui s’ensuit favorisel’émergence d’une riche classe de marchands, augmentant d’autant le nombre de personnesinstruites et fortunées, dotées d’une sensibilité cosmopolite, et enclines au mécénat. Lecontexte est donc extrêmement favorable au développement des arts, de l’artisanat et de lamusique.

La musique, partie intégrante d’un tout culturel et sociologique

Musicalement parlant, la période revêt une unité plus profonde qui ne relève passeulement de facteurs strictement techniques ou artistiques. Une partie importante desœuvres créées à cette époque possède toute une série de caractéristiques musicales com-munes qui provient à la fois de la société et de la mentalité. Regarder la musique du tempscomme partie intégrante d’un tout culturel et sociologique se justifie d’autant plus que,dans les conceptions des contemporains et dans la pratique quotidienne, elle ne jouit pasd’une indépendance prononcée par rapport à d’autres domaines de la culture et par rap-port à la vie sociale, mais qu’au contraire elle y était fortement insérée.

En effet, pour les contemporains, la musique est intégrée dans le monde cosmique,dans l’univers tout entier. Epoque d’unification et d’absolutisme monarchique, l’âge ba-roque conçoit la musique comme au service de celui qui se tient au sommet de la hiérarchiesociale, qu’il s’agisse du monarque (musique de cour) ou de Dieu (musique d’église).

Profondément insérée dans la société et dans les conceptions de l’époque, la musiquesavante de l’âge baroque se tourne d’abord et surtout vers les milieux de cour où elle exercedes fonctions sociales et atteint un caractère artistique particulier. Bien qu’une partie de lavie musicale puisse s’exercer ailleurs, elle quitte la vie de tous les jours. On voit donc seconstituer un public restreint de privilégiés et se rétrécir considérablement le champ de lamusique.

Une musique élitiste

Le xviie siècle est le siècle le plus élitiste de toute la musique européenne. Il n’y

a pas de marché de la musique, surtout pas un marché libre. Le patronage ou le mécé-nat est l’institution sociale principale assurant un rapport stable et sûr entre le musicienet son employeur ou protecteur. Le musicien compose et joue pour un auditoire bien dé-fini qu’il connaît bien, pour des occasions familières et pour des lieux et ensembles qu’ilconnaît bien. Dans ces conditions, la majorité des œuvres sont des œuvres de circonstance.Presque toutes les compositions de l’époque portent dédicace à un patron, un mécène, unepersonnalité de qui le musicien peut s’attendre à une faveur ou à une récompense.

A l’image de Music for the Royal Fireworks de Haendel, les compositeurs baroquestravaillent principalement sur commande, passées par l’Eglise, les puissants et les rois, afinde célébrer un événement ou un public particuliers. [Haendel : Music for the Royal Fireworks]

Les caractéristiques de la musique de l’âge baroque

La musique baroque peut être définie comme celle de la basse continue et de la re-présentation des passions. On peut également la classifier en trois catégories principales :la musique d’église, la musique de chambre et la musique de théâtre. Toutes trois corres-pondent à des lieux bien spécifiques, à des styles particuliers et à des fonctions socialesprécises.

Musique et arts platiques

C’est dans les arts plastiques, et notamment l’architecture, que se définissent lemieux les caractéristiques du style baroque, caractérisés par la complexité et l’harmonie.Il paraît donc intéressant de mettre en regard le monde de la musique avec celui des artsplatiques.

Quelques principes de base :

– L’art de la construction se fonde sur l’impression de mouvement dont l’expres-sion principale réside dans le contour. La ligne disparaît dans le mouvement desmasses de lumière et d’ombre.

– La force du contraste illustrée par la technique spécifique du clair-obscur, que cesoit en architecture ou a fortiori en peinture, rehausse l’impression de mouvement.

– C’est donc la notion de perspective qui va occuper une place prépondérante dansdes effets de trompe-l’œil. Les arts baroques se placent dans la dialectique del’Etre et du Paraître. Les jeux de l’illusion vont donc s’emparer des sens pour fairesens. Le détail prend alors toute son importance puisqu’il participe, par définition,à la perception du Tout.

– Dans l’architecture, la sculpture ou la peinture baroques, c’est le détail ornementalqui accapare le regard en premier lieu, en l’impressionnant par son raffinement.

Dans le domaine de la musique à présent, la période 1600–1750 est une périoded’expérimentation dans les domaines de la composition. La nouvelle architecture sonores’élabore à partir d’un socle, dont le principe de fondation est la basse continue, les puis-sants piliers les accords de l’harmonie, tout ceci afin de mettre la perspective sonore enmouvement, voire en fuite, au moyen de l’attraction tonale, le tout étant animé avec déco-ration par l’ornementation mélodique.

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L’art du mouvement

Pour se faire, la musique baroque préconise l’art du mouvement, la mobilité har-monique, instaure la nouvelle fonction expressive de la dissonance, excite les lignes mélo-diques par la magie ornementale ou bien encore irise le dialogue des timbres.

[Monteverdi : Cruda Amarilli].

Le goût du contraste

Le goût du contraste prévaut dans l’agencement de l’alternance des différents mou-vements (vif-lent-vif) du concerto ou de la sonate, dans le développement de la palettemusicale des nuances et des timbres, ou dans le geste de la variation.

[Bach : Art de la fugue].

L’ornement

L’ornement est au centre du discours musical baroque en lui assignant une véri-table fonction expressive et structurante. Il n’est pas une phrase dont il ne sache ponctuerles cadences par la richesse d’un "embellissement", légitimant ainsi une réelle science del’ornementation. Dès lors, les interprètes sont appelés à participer au luxe de la décora-tion, en associant dans le meilleur goût cet art de "l’agrément" à leur savante virtuosité.[Monteverdi : Duo Seraphim]

La puissance expressive

L’art baroque cherche à saisir l’auditeur dans son émotion. Face aux arts de la vue,la musique s’impose ici avec une supériorité manifeste car, avec son pouvoir de s’adresseren même temps au corps et à l’esprit, avec sa capacité donc de toucher le physique et lemétaphysique, elle entraîne tout entier l’homme de l’intérieur vers l’extérieur de lui-même.

On peut certes objecter que cette faculté expressive de la musique n’est pas l’apa-nage du baroque, mais force est de constater que jamais jusqu’à ce moment de l’histoire,la musique ne s’était avisée de tendre tous ses moyens vers cette seule finalité. Dans lamusique baroque, le mouvement, le contraste, l’ornement et l’illusion s’unissent dans unmême but : placer l’homme, en tant que sujet de perception, au centre même de l’universmusical.

[Bach : Es ist vollbracht].Conséquence de cette esthétique, la représentation des passions et des états d’âme

demeure l’épicentre de toute création baroque. L’œuvre est conçue dans un principe àla fois dynamique et architectonique, et ce principe relie dans une même pensée plusd’ailleurs que dans un même style Monteverdi, Purcell, Rameau, Haendel ou Bach.

Le croissant baroque

Alors qu’au xve et xvi

e siècle l’influence essentielle sur la musique européenne étaitcelle des anciens Pays Bas, au xvii

e c’est l’influence italienne qui domine. La grande évo-lution de la musique instrumentale est en partie rendue possible par le développement del’artisanat auquel étaient liées des nouvelles techniques de production, plus perfectionnées,dont dépendaient la facture de certains instruments. Jusqu’alors la musique vocale prédo-minait sur la musique instrumentale. Les instruments, peu perfectionnés, ne conservaientqu’une importance artistique secondaire et restreinte. La facture des instruments à corde apermis que ces instruments parviennent plus rapidement à la perfection et à l’individua-lisation. Parfois même, les possibilités d’exécution musicale offertes par les constructeurs

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dépassent largement ce que les instrumentistes attendaient et demandaient d’eux.

L’Italie

Le berceau Sur le plan musical, l’Italie s’impose comme terre d’accueil de la nouvellemusique. Ce sont d’abord les monodistes qui, dans les Académies, vont tracer la nouvellevoie d’un style moderne en poursuivant le rêve humaniste d’une réactualisation musicaledes principes de la Tragédie antique. Le rêve devient réalité devint sous la forme de fablesmusicales, "favola in musica", le plus souvent fascinées par le mythe d’Orphée et de sonpouvoir. Monteverdi ne faillira d’ailleurs pas à la règle en faisant représenter son Orfeo en1607. La mélodie accompagnée va rapidement sortir de son cadre d’origine pour devenirun procédé d’écriture à part entière avec élaboration progressive du système tonal et à unelibération expressive des contours mélodiques, avec adoption des techniques d’ornementa-tion.

La musique instrumentale L’un des aspects les plus révolutionnaires de l’Italie baroqueest de permettre à la musique instrumentale de se développer de manière autonome etfulgurante. Cette explosion passe manifestement par un essor considérable de la lutherieet de la facture mais aussi par un souci de divulgation qui encourage l’expansion de l’im-primerie musicale. De la musique pour clavier au répertoire pour cordes ou pour vents, iln’est pas un domaine qui soit laissé pour compte.

Cependant, une question esthétique se pose et devient centrale dans la probléma-tique des compositeurs : celle d’inventer des formes cohérentes qui répondent à l’idéologiestylistique et constituent en toute spécificité les racines d’une éloquence émotionnelle. Il nesera donc plus question de demander son chemin à la musique vocale même si l’on saura,ici ou là, lui emprunter des tournures, des accents ou des formules ornementales (d’ailleursla voix demeurera, durant toute cette période, le modèle de tous les instruments). La ré-ponse italienne sera apportée dans des formes telles que la sonate ou le concerto, d’aborden préservant une mémoire polyphonique (sonate à trois, concerto grosso), puis en indi-vidualisant davantage les échanges (sonate ou concerto pour soliste). [Vivaldi : Concertogrosso en la mineur]

Représenter les passions C’est sans doute dans la théorie des passions qu’il faut recher-cher le principe moteur et unificateur de la spécificité du Baroque. En effet, dans cetteperspective du mouvoir et de l’émouvoir, la musique va se délecter dans l’invention decodes pour traduire littéralement le mouvement intérieur de l’âme, dénominateur commundes passions humaines. Toute la palette des sentiments est explorée : l’amour, la haine, lacrainte, l’effroi, la jalousie vont tour à tour trouver leur correspondance musicale. Les cli-mats sonores entraînent l’auditeur dans une reconnaissance "instinctive" et "introspective"de ses propres passions. La musique devient ainsi le miroir intérieur de l’homme qui seperçoit dans toute sa dimension, physique (le corps exprime la passion) et métaphysique(l’esprit subit et provoque la passion). L’art des sons se réinvente comme art d’imitation.

C’est ce qui prévaut dans le récit chanté des monodistes, c’est encore ce qui animele madrigal, ce qui va développer les multiples nuances du bel canto ou enfin ce qui vainspirer également l’évolution des formes instrumentales. [Monteverdi : Zefiro torna]

Le sens de la représentation L’exemple italien démontrera que toute passion peut sedoter d’un vocabulaire de représentation, au sens propre comme au figuré. C’est surtout lemonde de l’opéra qui s’inscrit dans cette dimension en prenant bien soin qu’à chaque aria

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– lors duquel l’action est mis en suspens – corresponde l’expression d’un affect unique etcentrifuge. La structure même de l’aria da capo A-B-A en découle. [Vivaldi, Tito Manlio]

Au-delà même du genre de l’opéra qui puise son essence dans l’acte de représenta-tion, c’est l’ensemble du langage musical qui va s’efforcer de simuler autant que de stimulerce théâtre des passions. Ainsi, les tonalités se voient attribuer des caractères (ré mineur :plaintif, do majeur : fastueux ou conquérant), les timbres instrumentaux (flûtes pastorales,régale des enfers) sont associés à des états d’âme ou à des situations dramatiques et lesrythmes de danse auront la charge d’induire des affections (la passacaille est par exempleassimilée à la plainte).

Tout est en somme focalisé sur cet axe de la représentation et sur sa force motrice.Cette nouvelle conception, qui transmue la musique d’un art de se mouvoir en art d’émou-voir, représente un glissement fondamental dans les objectifs des compositeurs, eux-mêmesparfaitement conscients des secousses novatrices qu’ils imposent.

Monteverdi ou l’apogée du style représentatif Si la musique n’exprimait jusqu’alors quedeux sentiments, la douleur ou l’apaisement, c’est-à-dire des états d’âme passifs, Monte-verdi, lui, reconnaît la Colère, la Modération et l’Humilité comme principales émotionsde l’âme humaine. Le compositeur moderne se doit donc de traduire ces gradations parune écriture à la fois violente, retenue et souple. Ne trouvant dans le style ancien aucunexemple qui puisse évoquer l’agitation, Monteverdi invente un nouveau genre expressif :le genre concitato. [Monteverdi : Orfeo]

La France

Foyer de résistance A l’inverse de ce qui s’était passé pour la Renaissance, l’influenceitalienne est fortement freinée en France. Celle-ci va se distinguer comme foyer de résis-tance contre la musique italienne et lutte de toutes ses forces contre un dessaisissement deson rayonnement. Le règne de Louis XIV, qui entendait étendre la suprématie politique etéconomique aux domaines artistiques,y contribue sûrement beaucoup.

Cette différence entre Français et Italiens est bien illustrée par une métaphore cu-linaire de l’écrivain Lecerf de la Vieville : les Français sont censés se nourrir "de tout ceque la nature nous donne de plus délicieux et de plus exquis", "d’un ordinaire simple etexcellent qui ne fatigue pas, qui ne rebute jamais, tandis que les Italiens, dit encore Lecerfde la Vieville, "sont gens à pâtisseries, à ragoûts et à confitures ambrées et ne mangentque cela". Le malentendu vient de là : pour l’Italien, le naturel c’est l’univers de la passion,alors que pour le Français – et depuis Descartes – l’univers doit se rendre à la raison, lepsychique se réduite au conscient et le naturel au raisonnable.

La querelle du Baroque fait donc rage en France plus qu’ailleurs et n’acceptera àlaisser pénétrer le courant moderniste venu d’Italie qu’au moyen d’un travestissement à lafrançaise. L’idéal des compositeurs français sera donc de faire vibrer les sens par le sens,asservissant les perceptions sensorielles à la suprématie de l’entendement .

Sous cet éclairage, on peut alors comprendre qu’un Rameau se voulût d’abord phi-losophe et théoricien avant d’être musicien et s’il le devint, magistralement, c’est pourl’application de ses principes. [Rameau : La Poule]

La grâce de l’élégance La recherche permanente de la grâce et de l’élégance est unespécificité française. La France va proposer sa science des accords et des timbres ainsi queson art d’adapter la musique aux suggestions du texte ou de l’argument, son souci d’unejuste déclamation des paroles, son sens unique de la valeur de l’expression ou de l’allusion,qu’il s’agisse d’imiter la nature ou de figurer le sentiment.

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Qu’ils soient clavecinistes, musiciens d’église et de cour, dramaturges, tous les com-positeurs contribuent à cette grandeur française toute marquée par le raffinement du traitqui porte l’accent sur l’image représentative. Les luthistes, clavecinistes, gambistes, maîtresde chapelle ou autres adeptes du ballet de cour ou de la tragédie lyrique s’associent d’unmême élan dans la peinture et dans le conte de la tendre émotion. La musique françaiseveut gommer les excès de mouvement, de contraste ou d’ornement en lui préférant le gestedélicat, le fondu enchaîné et la subtilité de "l’agrément".

On retrouve ces idées en peinture avec des peintres comme Le Nain ou de la Tour.

L’opéra Grâce à Lully, la France sera la seule en Europe à posséder un opéra parfaitementindépendant de l’Italie. Lully, nourri dans le sérail de la danse, reprend à son compte leballet de cour, en y adjoignant chant et symphonie. Ses comédie ballet et tragédie lyriquevont fonder l’ordonnance d’un spectacle sur l’équilibre entre lyrisme et plastique. L’édificeconstruit par Lully va s’avérer vaste et solide : l’Opéra de Paris, né en 1671 (il porte alors lenom d’Académie royale de musique), perdure jusqu’à nos jours (l’Opéra national de Paris).

[Rameau, Les Indes galantes]

La musique instrumentale La musique instrumentale française se distingue de sa voisineitalienne en empruntant les accents du chant déclamé, les contours ornés de ses mélodiesainsi que la retenue de son expression.Les pièces vont se faire évocation de caractèresplutôt que traduction directe, peinture des attitudes plutôt que des passions. Couperinnous convie, par exemple, à un véritable carnaval français, en nous faisant défiler, chacunsous un « domino » de couleur différente, un jeu de masques des émotions profondes sousle reflet discrètement allusif d’un sentiment ou d’une vertu.

Allemagne/Autriche : la profession de foi

A la différence de la rivalité entre la France et l’Italie, les autres nations, spectatricesde ces joutes, s’efforceront de n’y prendre aucune part et essaieront de tirer le meilleurparti des influences spécifiques. Les pays germaniques, en particulier, s’enrichiront de cetteattitude par une juste synthèse de styles et c’est, sans doute, ce qui leur assurera une toutenouvelle et surprenante suprématie à la fin du xviii

e siècle (vers le classicisme).

L’impact de la réforme luthérienne

La musique allemande est le fruit d’une longue maturation, d’un recueillement,d’un repliement religieux du pays sur lui-même. Elle est née de la Réforme luthérienne,qui institue l’usage du chant dans les cérémonies du culte. Avec des compositeurs commeBach, la mélodie sans individualité du choral luthérien prend soudain forme et couleuren se pliant à la mesure et à l’harmonisation selon les lois de la tonalité nouvelle et ens’imprégnant de l’esprit même de la prière qu’elle a mission d’accompagner.

La musique baroque, tout en accueillant à bras ouverts le baroque venu d’Italie oude France, va également souder un peuple autour de ses musiciens.

La synthèse des styles Si au xviie siècle la prégnance de la musique italienne est première

en territoire germanique, les compositeurs allemands vont très vite étouffer le conflit cultu-rel franco-italien par la systématique cohabitation, puis par la fusion stylistique des deuxstyles, ce qui va avoir pour conséquence de mener l’histoire de la musique européenne duBaroque au Classique.

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Le ciment identitaire Lorsque Bach naît en 1685 dans famille de musiciens modestes etconsciencieux, l’Allemagne ne tient pas encore sa partie dans le concert européen. C’estavec Bach que la musique allemande va prendre véritablement corps.

L’Allemagne de cette époque, engagée dans son aventure spirituelle, est à la quêtede son identité. C’est la langue sacrée de Luther, relayée par celle des poètes spirituelsdont on chante les cantiques, qui va cimenter cette identité, sous le regard de l’Église, toutcomme la place primordiale que la religions nouvelle réserve à la musique. .

La mémoire collective Si le choral constitue pour l’Allemagne un véritable socle de la mé-moire collective, c’est en majeure partie parce que les compositeurs ont fait leur le précepteluthérien selon lequel "la Musique est le langage de l’âme". L’âme allemande s’est ainsi for-gée à l’ombre de la musique, ce qui va bientôt faire d’elle la première nation musicienne,supplantant du même coup l’hégémonie longtemps partagée par la France et l’Italie. Unefiliation naturelle s’instaure, dans le partage jamais discuté d’une profondeur spirituelleoù la musique devient prière. Au-delà de la simple harmonisation du choral, c’est tout unstyle qui se développe, magnifié par Bach, en préludant au cantique, en le paraphrasant,en l’ornant ou bien encore en lui faisant subir les mille contorsions de la variation.

Au final, une métaphysique de la musique instrumentale va s’insinuer dans l’in-conscient collectif car, même en l’absence de paroles, le choral, perçu ou aperçu, donne dusens. L’immense œuvre de Bach entretiendra cette mémoire : c’est sans doute pour cela queBach est considéré comme le père nourricier de la musique moderne.

[Bach, Concerto brandebourgeois]

Angleterre : le soleil noir

Le poids de l’âge d’or

La position de l’Angleterre est tout à fait particulière quant à la pénétration dumouvement baroque. On sait qu’à la faveur de leur situation insulaire, les Anglais onttoujours pu s’isoler, dans une large mesure, des courants européens et qu’ils mirent aupoint leur propre manière de produire et de consommer l’art. Les évènements politiquesont eu une influence considérable sur la production de l’époque et que la Révolution atotalement bouleversé l’activité musicale.

Alors qu’en Italie on s’intéresse à l’apparat et l’effet, en Angleterre on s’intéresseplus au contenu, à la profondeur de l’expression en puisant aux sources de la subtilitépolyphonique.

L’ombre et la lumière

En 1642, l’Angleterre est ravagée par la guerre civile. Le puritanisme ne se contenteplus seulement d’attaquer dans des pamphlets la musique comme maîtresse de corruption(surtout lorsqu’elle s’associe à la danse et aux chansons profanes). Les émeutiers irontjusqu’à fermer les théâtres, à saccager les églises, les orgues, à disperser les chœurs, bref àprendre toute mesure propre à décourager l’exercice de la vie et de la production musicale.C’est donc la musique d’église qui va le plus souffrir de ces intolérances.

Paradoxalement, c’est tout un mouvement de musique amateur qui va se dévelop-per, maintenant une pratique du clavier et du consort, au plus grand profit de l’édition.C’est ce qui explique que la plus grande partie de la musique anglaise du xvii

e siècle serésume à la musique de chambre.

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Le langage du double

La restauration de Charles II va avoir pour effet immédiat un regain de l’activitémusicale à Londres et en Angleterre. Dès son retour de France, le roi veut donner à sacour l’éclat dont brillait celle de Louis XIV, son cousin. Il réorganise donc la Chapelleroyale, fonde la troupe des "vingt-quatre violons du Roy" et favorise tout un climat decosmopolitisme musical qui permettra à une nouvelle génération de musiciens anglais des’épanouir brillamment et d’appartenir au monde baroque.

Purcell va devenir le chantre anglais des goûts réunis en absorbant avec grand talentles influences de Lully et celle des Italiens mais lui aussi revendiquera son appartenancenationale en cultivant la mémoire d’une tradition proprement anglaise que les évènementsdramatiques de l’histoire n’ont pas réussi à meurtrir.

[Purcell : Didon et Enée]Suivant les traces de Purcell, Haendel, fait également la synthèse de l’art européen.

L’Allemagne lui enseigna la solidité des proportions, l’Italie le don mélodique, la Francela clarté et l’équilibre mais c’est l’Angleterre, sans doute à travers Purcell, qui lui transmitpoésie et spontanéité.

Espagne : l’import exportLe deuxième âge

L’italianisme envahit la péninsule espagnole dès la seconde moitié du xviie siècle, à

l’exception de la musique sacrée, où les innovations du style baroque n’auront pas d’accèsimmédiat.

Cela dit, la musique espagnole conserve, tout au long de la période baroque, unecouleur locale bien marquée. En Espagne, c’est la musique profane qui développe le ca-ractère national à partir de formes populaires comme les villancicos. On assiste à une vé-ritable interaction entre musique savante et musique populaire à laquelle l’église se verracontrainte d’ouvrir ses portes.

En Espagne, il est également un genre spécifique de divertissement scénique : lazarzuela, équivalent espagnol du ballet de cour français ou du mask anglais. On y retrouved’ailleurs une alternance de sections parlées et chantées ainsi qu’une importance considé-rable accordée aux dispositifs scéniques, aux costumes et aux ballets.

Le règne des mélomanes Le milieu du xviiie siècle, à la cour de Ferdinand VI et de sa

femme Maria Barbara, est marqué par la domination de Farinelli et de Scarlatti.Le premier devient le ministre de divertissement du couple royal, s’occupent des

opéras de la cour, engageant les meilleurs chanteurs d’Europe et commandant mille nou-veaux ouvrages et ne reculant devant aucune dépense.

Quant à Scarlatti, c’est en Espagne qu’il trouve sa vraie nature musicale et met sonétonnant dynamisme au service de la plus pure expression personnelle. Lorsque Maria Bar-bara arriva en Espagne, Scarlatti faisait partie de sa "dot musicale" puisqu’il l’avait suiviecomme maître de musique depuis le Portugal. Paradoxalement, Scarlatti est parfaitementparvenu à rendre l’essence de l’Espagne alors qu’il y était arrivé en étranger. Avec lui, on aaffaire à un vrai baroque excentrique, nourri de l’effusion du folklore ibérique, des effets deguitare et des tournures modales du flamenco andalou. Scarlatti est parvenu à su capter lerythme des castagnettes, la nostalgie des complaintes gitanes, la liesse festive d’un groupevillageois et surtout il a su s’approprier la cambrure des danses espagnoles.

[Scarlatti, Sonate]

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Ecoute commentée n˚1. Haendel – Music for the Royal FireworksGeorges Frédéric Haendel (1685–1759) est né la même année que Bach, à Halle,

en Allemagne. Son père un chirurgien barbier respecté, détestait la musique et voulaitqu’il devienne avocat. Haendel commence donc la musique en cachette, dans son grenier.Il étudie le droit, mais son talent musical extraordinaire finit par le rattraper : il est enmême temps admis à l’Université de Halle, et organiste suppléant de la ville. Là, il se lieau compositeur Telleman. En 1703, il quitte Halle pour Hambourg, attiré par son Opéra.Son premier opéra, Almira, y est accueilli avec enthousiasme. Haendel étend rapidementson succès en Italie. Il arrive à Londres en 1710, où il est reçu chaleureusement à la courde la reine Anne. Il finit par s’installer définitivement en Angleterre en 1712. Ses œuvresmajeures sont des opéras, l’oratorio Le Messie, 12 concerti grossi pour cordes, le Water Musicet la Music for the Royal Fireworks.

La Music for the Royal Fireworks (1749) a été commandée à Haendel, alors composi-teur officiel de la cour, par Georges II, pour commémorer la paix d’Aix la Chapelle, signéeen 1748. Les combats avaient duré dix ans et Georges II, qui souhaitait tant cette victoire,avait personnellement mené ses troupes en 1743. Il espérait qu’une explosion d’enthou-siasme accueillerait ce qu’il considérait comme l’un des grands triomphes de son règne etne se priva pas d’exploiter à des fins de propagande l’issue des hostilités.

Les projets de festivités furent établis longtemps à l’avance. On décidé de tirer demagnifiques feux d’artifice et Haendel fut choisi pour composer un grand concerto enplein air. Une énorme toile de fond fut également commandée à Servandoni, spécialistedes décors de théâtre. Tout comme George II, le compositeur avait des idées bien arrêtéessur ces réjouissances, ce qui ne va pas faciliter leur organisation. Avec un orchestre de plusde 100 musiciens et près de 12 000 spectateurs, la répétition générale fut un événement etprovoqua un embouteillage magistral.

La partition de l’orchestration s’organise autour de 24 hautbois, 12 bassons, 9 contre-basses, 9 cors et 3 paires de timbales. Même si l’on ajoute des tambours plats, nous sommesloin de reconstituer l’orchestre qui créa ce morceau. Heandel a dû très probablement inté-grer des violons dans l’orchestre pour parvenir au compte. La pièce utilise des élémentsbaroques traditionnels tels que des airs de sonnerie de chasse, auxquels répondent descuivres ou des motifs de bois et de cordes en imitation. Heandel reprend aussi avec bon-heur certaines constructions baroques courantes, par exemple le contraste entre des petitsgroupes d’instruments (concertino) et d’autres sections exposées par l’orchestre dans sonentier (tutti). Il met ainsi en valeur toutes les composantes de l’ensemble musical. De plus,le génie du compositeur pour travailler la complexité du contrepoint ou la richesse desharmonies se traduit ici par une grande clarté dans la texture des parties de cuivre. Cetteécriture soignée évite les tons confus qu’aurait pu provoquer l’acoustique d’un concert enplein air.

La pièce est une somptueuse suite répondant au genre de la symphonie de caractère.L’ouverture de style français combine une lente et majestueuse introduction avec un alle-gro fugué. Le caractère grandiose de ce début s’exprime en de solennelles notes soutenues,jouées par tout l’orchestre. La musique se divise ensuite en une série d’appels et de réponseentre les diverses sections de l’orchestre. On retrouve ici le rythme impérieux des musiquesbaroques destinées à accompagner les parades équestres ou les exercices militaires. L’hu-meur change sensiblement avec l’arrivée d’une danse enlevée, la Bourrée, qui contraste avecl’esprit militaire de la suite. Les haubois se manifestent avec enthousiasme et le ton jovialde la danse folklorique colore le reste du morceaux. La Paix, une fluide pièce d’ambiance,constitue le centre symbolique de la suite et rappelle l’événement qu’elle commémore. La

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voix solennelle des hautbois trouve écho dans les cors, ensemble ils font naître une imagepastorale évocatrice de sérénité. Après la Paix vient la Réjouissance. A un exubérant allégrojoué par des trompettes, certains bois et cordes, répond la joie des cors et de la section desbois. Les tambours plats enrichissent la texture et semblent annoncer le vacarme et les cou-leurs du feu d’artifice. Les deux menuets sont beaucoup plus majestueux. les percussionsse mettent en avant pour annoncer le caractère militaire de la suite. Le premier menuetest alors interrompu par un autre thème, dans lequel les cordes succèdent aux bois. Lapremière mélodie, reprise par tout l’orchestre avec fermeté, nous mène vers une conclusionjoyeuse et épanouie avant que ne débute le feu d’artifice.

Ecoute commentée n˚2. Vivaldi – Concerto grosso en la mineur

Antonio Vivaldi (1678-1741) naît à Venise. Son père, fils d’un boulanger, fut engagécomme violoniste à la basilique Saint-Marc en 1665, sous le nom de "Rossi" (le Roux). Vi-valdi, du jour de sa tonsure à celui de son ordination, étudie chez les pères de Saint Jean.Il aprend en même temps le violon avec son père et le remplace parfois à la basilique.Vivaldi souffrait d’asthme, ce qui le dispense de dire la messe, et devient simple abbé,sans obligations pastorales et par conséquent entièrement libre de se consacrer à sa mu-sique. En 1703, Vivaldi est engagé comme maître de violon dans une vénérable institutionvénitienne, le conservatoire de l’Ospedale della Pieta, un hospice qui recueille des jeunesfilles orphelines, illégitimes ou abandonnées. Ce fut pour elles que Vivaldi écrivit ses plusbelles œuvres en cherchant à innover dans le domaine de la forme et de l’instrumentation.Peu à peu sa popularité s’étend au-delà des frontières de son pays. Bach retranscrit parexemple une grande partie des concertos de l’opus 3, l’Estro armonico pour des instrumentsà clavier. En 1718, Vivaldi entame une longue période de voyages, pour répondre à descommandes qu’il a reçues : il se rend à Mantoue et à Rome, ou à Amsterdam. En 1739,Vivaldi revient à Venise, mais sa musique ne suscitait plus le même enthousiasme. Vivaldipart alors pour l’Autriche, où il meurt d’une inflammation interne. L’œuvre instrumentalede Vivaldi est considérable et comporte 456 concertos dont 223 concertos pour violon etorchestre, 22 pour deux violons, 27 pour violoncelle, 39 pour basson, 13 pour hautbois etd’autres concertos pour la viole d’amour, le luth, le théorbe, la mandoline, la flûte piccolo,ainsi que 73 sonates. Vivaldi composa de nombreuses œuvres chorales, 16 grands motetspour solistes, chœur et orchestre, 28 motets à une ou deux voix, et 3 oratorios. Ses œuvresreligieuses les plus connues sont le Gloria en ré majeur (1708), le Stabat Mater et l’oratorioJuditha Triumphans (1716). Il est également auteur d’œuvres profanes, de 30 cantates pro-fanes, de centaines d’airs et de sérénades, et de 47 opéras, dont 21 ont été conservés, parmilesquels l’Olimpiade (1734) et Foraspe (1739).

Le Concerto grosso en la mineur pour deux violons et orchestres, composé en1715, appartient à l’Estro Armonico. L’œuvres partage nombre de points communs avecle Concerto brandebourgeois de Bach, la ritournelle orchestrale dans le mouvement d’ouver-ture par exemple, ou encore les parties solistes, qui usent de séquences. Comme dans Bach,Vivaldi introduit un deuxième mouvement calme pour un orchestre réduit et un derniermouvement plus rapide. L’œuvre est cependant plus simple que celle de Bach : mélodiemoins subtile, notamment dans les passages solo, la gamme d’expression est relativementlimitée et manque de profondeur.

Le premier mouvement du concerto possède la structure rigoureuse typique d’unmouvement de concerto grosso du baroque tardif. La ritournelle assez longue d’ouverturese transforme en quatre séquences séparées : thème principal, séquence, cadence 1 et ca-

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dence 2. Après que le violon soliste est entré, l’orchestre s’interrompt avec l’une ou l’autrede ces séquences, ou plusieurs à la fois, jusqu’à ce qu’elles soient toutes représentées à la findu mouvement. Les sections solistes ont des similarités entre elles. Cependant, plusieursdes ritournelles et des sections solistes arrivent dans des tonalités différentes, ce qui donneà la pièce son intérêt.

Le deuxième mouvement commence par une passacaille. D’abord présenté seul parl’orchestre, comme une ritournelle, le thème sert par la suite à conclure le mouvement. Lesviolons solos usent de lignes de contrepoint. Pendant ce temps, l’orchestre joue le thèmede la passacaille tranquillement ou font de nouvelles phrases sur les motifs.

Le troisième mouvement est une pièce fière, brillante, qui ressemble au premiermouvement. La ritournelle est plus courte et revient moins souvent que dans le premiermouvement. De manière surprenante, un thème de soliste qui ressemble à un chant appa-raît parmi les deux figures rapides des deux violons. Moins rapide que dans le reste dumouvement et plus expressif, il rappelle le mouvement lent.

Ecoute commentée n˚3. Monteverdi–Zefiro Torna

Claudio Monteverdi (1567–1643) est né à Crémone dans la patrie des luthiers. Ilacquiert une formation humaniste et musicale, apprenant l’orgue, la viole, le chant et lecontrepoint. En 1587, âgé de 20 ans à peine, il public à Venise son premier libre de madri-gaux à cinq voix. En 1590, Monteverdi commença à travailler comme maître de musique dela chambre, puis comme maître de chapelle, à la cour de l’exubérant Vincent I de Mantoue.Malgré de nombreuses difficultés, il y reste jusqu’en 1613, ne quittant la ville qu’après lamort du prince, et se consacre aussi bien à l’écriture de madrigaux qu’à la musique reli-gieuse ou au tout nouveau genre de l’opéra. Sa première œuvre lyrique, l’Orfeo, composéeen 1607, connaît un immense succès. Son oeuvre sacrée la plus importante au cours deses années mantouannes. En 1613 Monteverdi, dont la situation s’était dégradée à Man-toue, obtient le poste convoité de maître de chapelle à la basilique San Marco de Venise.Éloigné dans un premier temps de la musique théâtrale, il réalise de nombreuses œuvresreligieuses. A la mort de son fils, Monteverdi entre dans les ordres et est ordonné prêtreen 1632. Il continue à écrire, tant dans la veine amoureuse et poétique du madrigal, quepour l’opéra, dont le développement prend une ampleur considérable à Venise, dans lesannées 1630, avec l’ouverture des premiers théâtres lyriques publics. Il meurt à Venise en1643 célébré dans l’Europe entière.

La basse continue du Zefiro Torna rappelle celle du canon de Pachelbel. Au-dessusde la basse, deux voix récitent le texte, seules ou en duo. Le poème commence par la phrase"le printemps revient", en italien "tourne", ce qui a donné à Monteverdi l’idée géniale defaire jouer les deux ténors ensemble, de leur faire tourner et retourner les mélodies en-semble, tandis que la basse continue répète indéfiniment la même chose. Si l’on suit lesparoles attentivement, on s’aperçoit qu’il n’y a pas seulement un sentiment de printempsqui bourgeonne, mais que des mots individuels sont illustrés. Il y a un mouvement rapidepour "discoglie a l’onde", un doux mouvement pour "mormorando", des notes qui monteset descendent pour "da monti e da valle". Après 45 apparitions de la basse continue seproduit un changement abrupt dans l’harmonie, le rythme, le tempo, le style mélodique.Le poète nous dit qu’en dépit de la joie du printemps, il est misérable, et ce changementd’humeur imprévu est reflété par la musique. Le style classique du madrigal est ici mal-mené : la manière exagérée avec laquelle les lignes 12, 13 et 14 sont récitées (certains motssur des notes très longues et d’autres sur des plus rapides) traduit l’influence du type de

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récitation dramatique développée par les Florentins et préfigure l’opéra.

Ecoute commentée n˚4. Monteverdi–Orfeo

Les premiers opéras florentins étaient des divertissements de cour, composés pourcélébrer des mariages royaux. Un pas important est franchi en 1637 avec l’ouverture de lapremière maison d’opéra à Venise. L’opéra devient bientôt une forme majeure de divertis-sement en Italie. A la fin du siècle, il y a sept maisons d’opéra à Venise.

Le sujet de Monteverdi est une magnifique légende grecque qui touche à la musique,puisqu’elle concerne un grand chanteur qui, avec se lyre et sa voix, adoucit les pierres etles bêtes sauvages. Lorsque sa femme Euridice meurt, Orphée arrive à charmer Hades etpersuade Pluton de la ramener sur terre. Mais il manque de patience et ne remplit pasl’unique condition de Pluton : ne pas se retourner et regarder sa femme en traversant lesenfers. Submergé par l’émotion, il la regarde et elle meurt. Orphée renonce aux femmes etest mis en pièces par des nymphes qui célèbrent les rites de Dionysys (la fin sordide de sonhistoire n’est pas racontée dans l’opéra de Monteverdi).

L’opéra est caractérisé par une grande intensité dramatique et par une instrumen-tation vivante, transmises grâce à deux éditions luxueuses successives, fait rarissime àl’époque, et dont ne bénéficièrent aucun des ouvrages dramatiques suivants de Monte-verdi. Pour la première fois, un compositeur indique précisément la place de chaque ins-trument, et dans certains cas la réalisation instrumentale de chaque partie. Il s’agit de lapremière composition de grande ampleur dont l’instrumentation requise pour la créationnous soit parvenue. L’intrigue y est dépeinte au moyen de tableaux musicaux contrastés.Avec cet opéra, Monteverdi a, sinon créé, du moins donné ses lettres de noblesse à un stylede musique entièrement nouveau qui fut appelé le dramma per musica.

Orfeo consiste en un prologue musical et cinq actes courts. Il ne dure qu’une petiteheure et demi. L’acte 1 montre Euridice et ses amis qui célèbrent ses fiançailles (rappeldu mariage ducal à Mantoue). A l’acte II, Orphée apprend d’un messager qu’Euridice estmorte, mordue par un serpent, et il se résout à aller voir Hades pour la ramener. A l’acteIII, sur les rives de l’Acheron, il chante un air très élaboré qui endort Charon, le passeur.Ca lui permet de passer alors qu’il n’est pas mort. Orphée n’apparaît pas au début del’acte IV, mais on sait sa présence car Proserpine, la reine des Enfers, convainc Pluton derelâcher Euridice. Pluton acquiesce, à une seule condition : qu’Orphée ne se retourne pasen traversant les enfers.

A la scène 2 de l’acte IV, un bref chœur des Esprits de la Mort hèle l’action de Pluton.Les esprits sont accompagnés par les trombones, qui caractérisent les régions infernalestout le long de l’opéra. Le monde d’en bas est illustré par des violons et des recorders. Lesdifférents personnages sont caractérisés par des instruments de musique : Orphée l’orgue,Euridice une harpe ou un luth. La première réaction d’Orphée à l’annonce du chœur estde chanter un air joyeux en l’honneur de son art qui lui a permis de récupérer Euridice.C’est un chant simple et vivant avec des interludes de violon et une basse continue. Aprèsavoir exprimé sa joie, Orphée s’arrête de penser et commence à décrire ses pensés sous laforme d’un récitatif. Le récitatif dépend étroitement des paroles. Il dépeint son excitationet ses inquiétudes (Ohime signifie "oh moi", prononcé "oy may", c’est un mot essentiel del’opéra baroque). Puis son imagination commence à s’emballer : le rythme s’accélère. Dansla troisième partie, le rythme devient plus ferme alors qu’il proclame sa décision d’obéir àla dictature de l’amour. Au moment fatal. Il se retourne vers son Euridice adorée, mais ilne voit personne et entend le continuo au clavecin. Succède le poignant récitatif d’Euridicequi meurt définitivement.

A l’acte V, de retour sur terre, Orphée se lamente, jusqu’à ce qu’il soit arrêté par

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Apollon, le dieu de la musique, qui est aussi son père. Apollon le conduit au ciel, tel undemi dieu, afin qu’il puisse contempler Euridice qui repose tranquille. Puis il y a une dansefinale, à laquelle se joignaient traditionnellement les spectateurs.

Ecoute commentée n˚5. Rameau, Les Indes galantes

Jean-Philippe Rameau (1683–1764) est né à Dijon. A l’âge de 18 ans, suivant l’exemplede son père, Rameau, décide de devenir musicien et part pour l’Italie. Mais il n’y reste quequelques mois et, à partir de 1702, tient l’orgue successivement aux cathédrales d’Avignon,de Clermont, à Notre-Dame de Dijon, à l’église des Jacobine de Lyon, au Noviciat des Jé-suites et à Sainte-Croix de la Bretonnerie à Paris, où il finit par s’établir en 1722. C’est làqu’il fait la connaissance du fermier général Le Riche de la Pouplinière, qui devient sonmécène pour un quart de siècle, le loge et lui confie l’orchestre qu’il a créé et qu’il entre-tient. Et c’est chez celui-ci qu’il rencontre ses premiers librettistes. A partir de ce momentet jusqu’en 1757, tragédies lyriques, opéras-ballets et pastorales se succèdent, parfois aurythme de deux ou trois par an (Les Indes galantes, Platée, Zoroastre). Rameau est aussi l’au-teur de nombreuses pièces pour clavecin et d’une importante œuvre théorique qui le verras’engager à la fin de sa vie, dans une polémique de plus en plue âpre avec Rousseau etd’Alembert.

Les Indes galantes ont été créées à l’Académie royale de musique le 23 août 1735

dans une version comprenant 3 entrées. une quatrième fut rajoutée l’année suivante. C’estun immense succès durant tout le xviii

e siècle.

Le genre avait été inventé par André Campra (L’Europe galante) et Rameau, malgréla pauvreté et les invraisemblances du livret, le porte à son apogée grâce à une musiqueadmirable. Alors que Campra racontait des histoires galantes dans différents pays euro-péens, Rameau exploite la même veine à succès mais recherche un peu plus d’exotismedans des Indes très approximatives qui se trouvent en fait en Turquie, en Perse, au Pérouou chez les Indiens d’Amérique du Nord. L’intrigue ténue de ces petits drames sert surtoutà introduire un "grand spectacle" où les costumes somptueux, les décors, les machineries,et surtout la danse tiennent un rôle essentiel. Les Indes Galantes symbolisent l’époque in-souciante, raffinée, vouée aux plaisirs et à la galanterie de Louis XV et de sa cour.

L’entrée des Sauvages se passe dans une forêt d’Amérique, après une bataille per-due par les Indiens face aux troupes franco-espagnoles, menées par le Français Damon etl’Espagnol Don Alvaro. L’entrée débute par un monologue d’Adario, le chef des guerriersindiens, qui se réjouit de la paix retrouvée mais s’inquiète de ne parvenir à conquérir lec ?ur de Zima, la fille d’un chef indien, courtisée par les deux officiers européens. Adariose cache afin d’observer ses rivaux. Alvar et Damon font alors la cour à Zima ; l’Espagnoltente de la séduire en lui promettant la fidélité alors que le Français prône l’inconstanceamoureuse. Zima rejette cependant les avances des deux militaires et s’offre à Adario quisort à ce moment de sa cache. La scène finale montre la danse du Grand Calumet de la Paixqui marque la paix retrouvée entre les Sauvages et les armées colonisatrices. Cette dernièrescène est également l’occasion de sceller l’union entre Zima et Adario.

Danse du Grand Calumet de la Paix, exécutée par les Sauvages.

Rondeau (forme AB/AC/AD, etc.)

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ZIMA, ADARIO.Forêts paisibles,Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.S’ils sont sensibles, Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.

CHOEUR DES SAUVAGES.Forêts paisibles,Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.S’ils sont sensibles,Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.

ZIMA, ADARIO.Dans nos retraites,Grandeur, ne viens jamaisOffrir tes faux attraits !Ciel, tu les as faitesPour l’innocence et pour la paix.

CHOEUR DES SAUVAGES.Dans nos retraites,Grandeur, ne viens jamaisOffrir tes faux attraits !Ciel, tu les as faitesPour l’innocence et pour la paix.

ZIMA, ADARIO.Jouissons dans nos asiles,Jouissons des biens tranquilles !Ah ! peut-on être heureux,Quand on forme d’autres voeux ?

CHOEUR DES SAUVAGES.Forêts paisibles,Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.S’ils sont sensibles,Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.

Ecoute commentée n˚5. Bach–Concerto brandebourgeoisJean-Sébastien Bach (1685–1750) est né à Eisenach, dans une famille de musiciens

dont il est le huitième enfant. Il reçoit sa première éducation musicale de son père, violo-niste de talent et apprend l’orgue avec un cousin de son père. Johann Sebastian se montretrès doué pour la musique. En 1703, Bach devient organiste dans une église de la ville, puis,en 1707, à Mühlhausen. Il y écrit sa première cantate. En 1708 il est organiste et violon soloà la chapelle du duc de Weimar. Il y compose ses plus grandes œuvres pour luth, flûte,violon , clavecin, violoncelle. Il se rend ensuite à Leipzig, où il compose la Passion selonSaint Jean. Il mène une vie riche en connaissances, constituant une bibliothèque spécialiséeen bibliologie, théologie et mystique. C’est à Leipzig qu’il compose ses œuvres les plusabouties. Il commence à perdre la vue en 1745 et meurt en 1750, affaibli par des opérationsde la cataracte.

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Les concertos brandebourgeois sont une œuvre de commande. Au début de 1719,Bach se rend à Berlin afin d’acquérir, au nom de l’orchestre un grand clavecin auprèsdu facteur Mietke. À cette occasion, il rencontre l’oncle du roi de Prusse et margrave deBrandebourg, devant lequel, si nous en croyons l’épître dédicatoire, il se produit.

Les six concertos sont d’une diversité étonnante, tant du point de vue de la structureformelle que de l’appareil instrumental. Aucun ne se rattache strictement à aucun stylealors en vigueur : concerto grosso ou soliste, style français ou italien, contrepoint austèreou virtuosité pure. Au contraire, les six concertos semblent faire une synthèse de l’artmusical de leur temps.

Sans doute serait-il excessif de faire de ce recueil le pendant "concertant" d’autresœuvres théoriques ("l’art de la fugue" du même Bach, par exemple). Toutefois, il n’est pasimprobable que la motivation de Bach ait été de présenter "son art du concerto", d’autantque le dédicataire n’est pas peu puissant (le margrave de Brandebourg est Prince-Électeur,l’un des sept princes allemands qui élisaient l’Empereur romain germanique). Une inten-tion didactique du maître du genre ne saurait être écartée. Cette impression est renforcéepar le fait que le margrave ne disposait pas de l’orchestre adéquat (tout juste ses six musi-ciens auraient-ils pu interpréter les concertos 5 et 6, à condition bien sûr qu’il en eussentété capables), et le manuscrit ne porte aucune trace d’utilisation.

1721 est également l’année du second mariage du prince Léopold d’Anhalt-Cöthen,ami et protecteur du compositeur, avec une nouvelle princesse que Bach nomma "eineAmusa" (sous-entendant par là qu’elle aurait été insensible aux arts en général). Peut-êtreBach, alors en quête d’un nouvel emploi, s’est-il souvenu avec une pointe d’opportunismede l’intérêt que le puissant margrave lui avait porté deux ans auparavant, et se rappelle-t-ildonc à ses bons souvenirs en lui dédiant le meilleur de son art concertant dans l’espoird’un poste.

En dépit de la variété de la forme, de l’ensemble instrumental et du style qui sont àchaque fois différents, ces œuvres constituent un groupe unitaire. Elles forment une sortede petite encyclopédie, qui démontre les possibilités ouverts au genre du concerto, dansson acception pour ainsi dire globale et universelle . des styles et des modes s’y côtoientqui, souvent, contrastent les uns avec les autres et tirent leur origine tantôt du style italien,tantôt du style français, tantôt du style allemand. Ainsi, les concerti 2 à 6 respectent-ilsle schéma typique du concerto italien vif-lent-vif ; les instruments à archet tiennent uneplace prépondérante, autant dans le ripieno que dans le concertino ; l’écriture est toujoursvirtuose (redoutable partie de clavecin du cinquième).

Le concerto commence par une ritournelle forte et rigoureuse. La mélodie est faci-lement reconnaissable, mais, comme pour beaucoup d’autres mélodies baroques, se com-plique au fur et à mesure. Il n’y a pas de rupture claire entre b et c et la mélodie commenceà tourner autour d’elle de manière intriquée et décorative. Une fois la ritournelle terminée,par une cadence très solide, les trois instruments solistes font leur entrée par un contre-point rapide. Ils dominent le reste du mouvement, introduisant de nouveaux thèmes etéchangeant des fragments. Occasionnellement l’orchestre s’interrompt avec des parties deritournelle (a, b, ou a et b). Pour le reste, l’orchestre accompagne les solistes dans le contre-point. Progressivement le clavecin surpasse les autres solistes jusqu’à aboutir à un passageextrêmement virtuose (inusuel dans ce type de concerto).

Après le premier mouvement haut en couleur, le deuxième mouvement plus calme,plus apaisant. L’effet est renforcé par le fait que la moitié des instruments de l’orchestre nejouent pas : sont utilisés uniquement la flûte, le violon, le clavecin, et un violoncelle pourrenforcer le clavecin, qui joue la basse continue. Ce mouvement fait penser à une morceaude musique de chambre, à une sonate en trio.

Dans le troisième mouvement, qui est le plus réussi, l’orchestre au complet revient.

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Le rythme ternaire (6/8) apporte un changement bienvenu après le binaire des deux autresmouvements. Les manières que Bach a trouvées de mettre en relief les solistes du restede l’orchestre sont variées et intéressantes. Tout le mouvement s’épanouit autour d’unthème simple, qui est introduit dès le tout début par les solistes, traité parfois comme unefugue ou développé de manière plus libre. Une mélodie émerge du thème. La structure dece mouvement est complexe. Une grande partie de la musique du début du mouvementrevient à la fin, comme une ritournelle.

Ecoute commentée n˚6. Purcell – Didon et Enée

Henry Purcell (1659–1695) avait un père gentilhomme de la Chapelle Royale, quiavait chanté à l’occasion du couronnement du roi Charles II d’Angleterre. A la mort decelui-ci, le jeune Henry Purcell fut placé sous la garde de son oncle Thomas Purcell, quilui montra une grande affection. Thomas était aussi un gentilhomme de la chapelle de SaMajesté, et s’arrangea pour qu’Henry soit reçu comme choriste. On dit que Purcell composadès l’âge de 9 ans ; mais l’œuvre la plus précoce qui peut lui être attribuée est une ode pourl’anniversaire du Roi, écrite en 1670. Purcell fréquenta la prestigieuse école WestminsterSchool et fut nommé organiste à l’Abbaye de Westminster en 1676. Purcell se consacra alorsentièrement à la composition de musique sacrée et pendant six ans, rompit ses liens avecle théâtre. Aussitôt après son mariage, en 1682, Purcell fut nommé organiste de la ChapelleRoyale, un office qu’il lui fut possible de tenir simultanément avec celui qu’il occupaitdéjà à l’Abbaye de Westminster. Pendant plusieurs années après cela, il fut occupé par lacomposition de musique sacrée, d’odes adressées au roi et à la famille royale. En 1687, ilrenoua avec le théâtre. Ce compositeur prolixe mourut à Londres en 1695 (empoisonnementau chocolat ou coup de froid en rentrant du théâtre ?).

La partition a été écrite pour quatuor à cordes (violon I, violon II, alto et bassecontinue) et clavecin. L’accent est plutôt mis sur les parties vocales, doublées la plupart dutemps par les instruments.

L’opéra de Purcell est tiré de l’Enéide de Virgile, le plus noble de tous les poèmeslatins, bien connu dans toutes les écoles de filles du xvii

e siècle. Ecrit pour célébrer la gloirede Rome et de son Empire, l’Enéide raconte l’histoire de la fondation de la cille par le troyenEnée, qui s’est échappé de Troyes assiégée par les Grecs au moyen du cheval en bois. Aprèsnombre de péripéties et de voyages (incluant une visite aux Enfers où il voit Orphée etEuridice et a des petits soucis avec Charon), il atteint finalement l’Italie, guidé par la maindu roi des Dieux Jupiter.

Au port de Carthage, sur la côte nord africaine, Enée et Didon tombent profondé-ment amoureux. Mais Jupiter apparaît dans une vision et ordonne au prince de poursuivreson voyage. Avec regret, Enee s’en va et Didon meurt de chagrin.

L’acte I se passe à Carthage, au palais de la reine Didon. Belinda, la confidente dela reine Didon, l’exhorte à retrouver le sourire. En effet, cette dernière est accablée carelle aime en secret Énée, prince de Troie et ne peut avouer son tourment sous crainte dedécevoir son peuple. Belinda suggère alors à Didon d’épouser Énée, ce dernier n’étant pasinsensible à ses charmes, d’autant plus qu’une telle alliance assurerait la prospérité et lapaix pour l’empire. Les courtisans reprennent en chœ les propos de Belinda, et Didon,comblée, accepte la proposition d’Énée et succombe à l’amour.

A l’acte II, la Magicienne, reine des sorcières (influence de Shakespeare), lance unappel à ses sujets, êtres malfaisants, afin d’élaborer un plan pour faire tomber Didon. Elledécide de faire passer un de ses sujets pour Mercure, l’envoyé des Dieux, afin qu’Énée

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quitte Didon pour aller accomplir sa destinée, bâtir une nouvelle cité en Italie. Les sorcièresse réjouissent de ce plan machiavélique. Didon, Énée et leur cour se promènent et vantentles beautés de la nature environnante jusqu’au moment où un orage éclate, créé par lesmaléfiques sorcières. Tous se dépêchent de rentrer au château. Énée, resté seul, voit appa-raître le leurre de la Magicienne qui le presse de quitter Carthage. Il est alors tiraillé entreson amour pour Didon et l’ordre divin.

A l’acte III, dans le port de Carthage, Les marins préparent le départ. Énée annonceà Didon qu’il doit la quitter par devoir. Elle le rejette, il décide alors de braver la colère desdieux pour rester avec elle. Outrée qu’il ait songé à la quitter, elle le repousse à nouveauet lui ordonne de s’en aller. Une fois Enée parti, elle se donne la mort dans le poignantlamento "When I am laid", où elle demande à Belinda de se souvenir d’elle mais d’oublierson destin.

La tragédie finale commence par un récitatif furieux de Didon et d’Enee, qui vientlui faire des excuses. Dans la première partie du récitatif, Enee est totalement abattu : onle voit au moyen des notes lentes et qui s’effondrent. Didon s’adresse à lui avec des notesaigues et des rythmes rapides. Dans sa colère elle mange des mots, s’arrête, sa voix monte,comme lorsqu’elle l’accuse de verser des larmes de crocodile.

Dans la deuxième partie du récitatif, Enée tente de parler, mais Didon lui enlève lesmots de la bouche, un octave au-dessus, tout en restant très emphatique. e.

Toujours plus faible, Enee dit qu’il va rester dans la troisième partie, mais cela exas-père Didon encore plus. Lorsqu’il réessaye, elle l’en empêche. Ils chantent en duo, en styled’arioso, style entre le récitatif et l’air. Le calme majestueux après la tempête est aussibaroque que la fureur de l’altercation.

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