La Naissance Du Concept de « Génération Spontanée »-Charbonnat

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  • Le concept de gnration spontane est apparu en France la fin du 18esicle1. Il prsente lintrt de reprsenter non seulement une rupture dans lideque se font les savants de la nature, mais aussi dans leurs conceptionsmtaphysiques implicites. En effet, ltanchit entre les sciences de la nature et lesspculations mtaphysiques, aujourdhui solidement tablie dans toutemthodologie de la connaissance, nexiste pas dans lhistoire naturelle du 18e sicle.Le caractre fluctuant de la limite entre physique et mtaphysique apparatnotamment dans la question de lorigine des corps organiss, qui recoupent enpartie ce que nous appelons les vivants. Pour formuler des thories dcrivant lasource de lorganisation des corps, les naturalistes ont d entretenir des rapportstroits avec des notions et des arguments employs aussi bien par les apologtesque par les irrligieux. Cette situation sexplique en partie par la contrainte exercepar les institutions susceptibles de provoquer une censure (les thologiens et lescenseurs du monarque), qui obligent les naturalistes prciser comment leurdiscours sarticule avec le rcit biblique de la gense.

    Deux attitudes se manifestent au milieu du sicle. Dun ct, certainsnaturalistes recherchent une conciliation entre leurs thories physiques de lagnration des corps et les textes religieux. Ils sinscrivent dans le sillage de Leibnizet de sa Protoge, ou du savant anglais Thomas Burnet, auteur dune thorie dela Terre qui tente de trouver dans les phnomnes naturels la confirmation descritures sacres. cette poque en France, les principaux conciliateurs sont despartisans de la doctrine de la prexistence des germes, comme Raumur ouLelarge de Lignac. De lautre ct, quelques naturalistes choisissent de sparerstrictement leurs noncs physiques des impratifs des textes religieux. Le premier sengager dans cette voie est Montesquieu, qui critique la prexistence des

    La naissance du concept de gnration spontane Pascal Charbonnat

    Docteur en pistmologie, Universit Paris Ouest Nanterre La Dfense

    1. Cette thse signifie que le prsuppos dominant de lhistoriographie est erron : il ny a pas dethorie de la gnration spontane qui commencerait dans lantiquit et irait jusquau XIXe sicle.Avant lapparition du terme gnration spontane autour de 1750, les naturalistes parlent degnration par corruption, par putrfaction de mme quivoque.

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    germes, en distinguant ce quil appelle les cartsiens mitigs , cest--dire ceuxqui admettent une providence particulire de Dieu dans la production desplantes, diffrente du mouvement gnral de la matire et qui ont abandonnla rgle de leur matre 1, des cartsiens rigides dont se rclame Montesquieu,qui soulagent la providence par des lois simples et uniformes. La ligne de partageentre les savants de cette poque ne se situe pas entre ceux qui seraient encorecompltement soumis laristotlisme scolastique et les mcanistes-physiciens,hritiers de Descartes. Elle oppose plutt ceux qui veulent concilier la thologieet la physique, et ceux qui entreprennent de les sparer.

    Pour comprendre ce partage, il convient dexaminer les justifications des uns etdes autres. Elles font apparatre des motifs trangers la dmarche empirique, quirelvent de conceptions mtaphysiques de lacte de cration. Aucun naturaliste nenie lexistence dun Crateur, mais ils nont pas tous la mme reprsentation de sespouvoirs et de son rapport la nature. Il est vraisemblable que ces divergencesmtaphysiques sont le rsultat dinfluences extrieures au discours physique, enparticulier le conflit profond de la socit dAncien Rgime existant entre lesautorits thologiques et le mouvement irrligieux. Je fais lhypothse que lesnaturalistes du 18e sicle, en raison de leurs recherches sur lorigine des corpsorganiss et de la Terre, ont t exposs ce conflit et ont t sensibles la maniredont leurs thories pouvaient tre interprtes et utilises par chaque partie enprsence. Ils ont d anticiper les effets que leur discours physique pourraient avoirsur les gardiens de lorthodoxie comme sur les plus radicaux des irrligieux, cest--dire les matrialistes. Et ils ont probablement t sous linfluence des thses et desconcepts mtaphysiques de ces acteurs, et rciproquement.

    Le problme consiste ainsi savoir ce que les uns ont pris aux autres : quelsprsupposs et quels concepts ont t changs entre les discours physiques et lesdiscours mtaphysiques afin de reprsenter lorigine des tres ? Comment lesdiffrentes reprsentations de lacte de cration, ou de ltendue du pouvoir descauses naturelles, ont-elles conduit des thories divergentes sur la formation descorps ?

    La notion de gnration spontane constitue la meilleure perspective pourapprcier ces rapports, car elle est dabord formule par un matrialiste, Diderot,avant dtre reprise par un grand naturaliste, Buffon, pour devenir lobjet de saquerelle avec les partisans dune apologtique savante, Spallanzani et Bonnet. Ilfaut dabord examiner les thories des naturalistes sur la gnration avant que desmatrialistes comme Diderot ne se fassent entendre, ou comment Buffon sopposeaux partisans de la prexistence au milieu du sicle. Puis, dans un second temps, ilsagit dobserver o et quand est apparu le concept de gnration spontane chez Diderot. Enfin, il est alors possible de reprer une inflexion chez Buffon cepropos, aprs la diffusion du matrialisme diderotien, permettant de conclure surles influences rciproques des naturalistes et leurs choix mtaphysiques.

    1. MONTESQUIEU, Observations sur lhistoire naturelle de 1721, uvres compltes, par RogerCaillois, Gallimard, t. I, p. 39.

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  • De la doctrine de la prexistence des germes la thorie dumoule intrieur de BuffonDurant la premire moiti du 18e sicle, le terrain sur lequel sinstalle la

    thorie de la prexistence des germes est celui laiss vacant par une ideconcurrente, hrite dAristote : la gnration par corruption, ou la suppositionque certains tres sont engendrs par un pourrissement de matires inertes. Cetteide ne doit bien sr pas tre confondue avec la gnration spontane, comme leferont dessein les adversaires de cette denire au XVIIIe sicle. La victoireapparente des partisans de la prexistence est davoir ruin la gnration parcorruption. Ils sappuient notamment sur une exprience clbre de FrancescoRedi, de la fin du XVIIe sicle, pour rfuter la possibilit quune vie surgisse departicules informes et vulgaires. Le naturaliste italien a plac deux bocaux lundans lautre. Le plus petit contient de la viande et est recouvert par une gaze trsfine, tandis que le plus grand est simplement ferm par une gaze moins fine.Lorsque des mouches viennent pondre leurs ufs sur la gaze du grand bocal, deslarves parviennent pntrer lintrieur du rcipient et sy dvelopper. Enrevanche, le savant italien nobserve aucune larve, ni aucun uf, dans le petitbocal. La putrfaction de la viande nengendre donc pas dinsectes. Cetteexprience constitue une preuve dcisive pour les partisans de la prexistence.Pluche en rapporte dailleurs une variante pour montrer que la corruption nestpas lie la gnration :

    Prenez du buf tout nouvellement tu, mettez-en un morceau dans un pot dcouvert, etun autre morceau dans un pot bien net que vous couvrirez sur le champ avec une picedtoffe de soie, afin que lair y passe sans que la Mouche y puisse glisser ses ufs : il arriveraau premier morceau ce qui est ordinaire, parce que la Mouche y pose ses ufs en libert.Lautre morceau saltrera par le passage de lair, se fltrira, se rduira en poudre parlvaporation. Mais on ny trouvera ni ufs, ni Vers, ni Mouches.1

    Comment se fait-il que cette exprience ne devienne dcisive, pour la majoritdu corps savant, que plusieurs dcennies aprs sa ralisation ? Il ne suffit pas dequelque preuve empirique pour que la conception dominante dune science serenverse immdiatement. Il est tout autant indispensable que les prsuppossmtaphysiques, sous-jacents une nouvelle thorie, soient assimils par lessavants. De plus, il est galement ncessaire que le terreau social de la nouvellethorie soit favorable son panouissement. En loccurrence, la doctrine de laprexistence est devenue dominante lorsque deux conditions ont t remplies : ladmonstration aux yeux de la communaut savante de lavance et du dynamismedes institutions de savoirs monarchiques sur les autres ; ladoption par cette mmecommunaut dune exigence mtaphysique, qui est de sparer linfini Crateurdes mcanismes du monde fini, tout en prservant sa puissance ordonnatrice.Quand ces deux conditions ont atteint des seuils suffisants, la thorie de laprexistence sest substitue sa rivale aristotlicienne.

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    1. Antoine PLUCHE, Le Spectacle de la Nature, Estienne et Desaint, Paris, 1732, p. 26.

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    cet gard, la compilation du jsuite Guillaume-Hyacinthe Bougeant (1690-1743), intitule Observations curieuses sur toutes les parties de la physique (1719),exprime bien ce basculement. Soucieux de diffuser les rsultats de diffrentsmmoires, de savants issus des institutions monarchiques, Bougeant prend partipour la prexistence des germes. Lexplication de limmutabilit de lordre natureldoit satisfaire deux termes. Dune part, la gnration doit avoir une loi communepour tous les tres, cest--dire correspondre louvrage dune sagesse infinie ettout-puissante 1, ce qui exclut le mode particulier de la corruption. Dautre part,un mcanisme intgral, dans lequel seul le mouvement produit les tres, est proscrire car il est inconcevable quelle [une plante] rsulte du concours fortuitde quelques sucs diversement agits, ou que ce concours fortuit produisergulirement dans chaque espce, une infinit de plantes parfaitementsemblables, et soit cependant si limit, quil ne produise jamais aucune espce quiait t jusque l inconnue 2.

    Bougeant exprime clairement la conception mtaphysique qui sous-tend laprexistence des germes. Il sagit de loger linfini dans le fini, tout encirconscrivant la dure durant laquelle linfini a t effectivement en situation detransmettre une part de lui au fini. Par rapport aux dcennies prcdentes, lanouveaut rside surtout dans le fait quun membre dune institution de savoirecclsiastique contredit explicitement le crationnisme thomiste. Cest un indicepatent que la thorie de la prexistence des germes a conquis la majorit dumonde savant.

    Voil donc dans une tige une infinit de bourgeons, qui sont autant de branches ; chacunede ces branches est elle-mme une plante garnie de ses fruits et de ses graines. Chaquegraine est encore une autre plante actuellement existante ; et en un mot, voil des infinisdinfinis, qui nat de la supposition que les plantes aussi bien que les animaux, sont toutesformes de la premire cration, et ne font que se dvelopper. Cette consquence peuteffrayer les esprits qui ne sont pas accoutums creuser, soit dans la Physique, soit enMathmatique, o lon navance pas bien loin sans trouver quelque infini ; comme silAuteur de la Nature avait pris plaisir rpandre partout son principal caractre.3

    La thorie de la prexistence des germes domine le monde savant jusquaumilieu du XVIIIe sicle. Jusqu cette date, origine mtaphysique etcommencement physique des tres ne font quun. La dcouverte desspermatozodes, lusage rpandue des microscopes, la meilleure connaissance desanimaux et de leur appareil reproducteur grce aux dissections, et lobservationpousse des stades de dveloppement de luf, ne nuisent pas au prsupposcrationniste. Pour la grande majorit des savants, les vivants ont rellementcommenc exister sous la forme de germes avec Dieu. Une substitution sestopre au sein de la communaut savante en rconciliant limpratif thologiqueavec le modle mcaniste.

    1. Guillaume-Hyacinthe BOUGEANT, Observations curieuses sur toutes les parties de la physique,Joseph Monge, Paris, 1719, p. 457.

    2. Ibid., p. 351.3. Ibid., p. 363.

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  • Il serait erron de voir dans ce changement une victoire sur les partisans de la gnration spontane . Lenjeu de ces discussions, au sein des institutions desavoirs, est dabord de statuer sur la faon dont une cause infinie et parfaite peutproduire quelque chose au dehors delle. La spontanit nest nullement en causecar ni les scolastiques, ni les mcanistes radicaux ne prtendent que les tresdeviennent vivants par eux-mmes. La critique sadresse la gnration parcorruption , cest--dire ce prsuppos thomiste qui conoit les tres selon unehirarchie de perfections absolues. Si une partie des tres se reproduit suivant unmode imparfait, alors la perfection mme du plan du Crateur ne tient plus. Lespartisans de la prexistence des germes cherchent protger lentendement divinde la dfaillance et de limprcision. Aucun savant ne songe renverser le rapporttransitif qui lie la nature une cause transcendante. Dans ces querelles autour dela gnration, ce nest jamais labsence ou la prsence dun Crateur qui estdbattue, mais plutt lexpression de la toute-puissance divine dans le monde fini.Si celle-ci a produit des tres qualitativement diffrents, rgis par des mcanismesdistincts, alors laction de Dieu est imparfaite parce que trop dispendieuse. Lagnration par corruption et les autres voies doivent donc tre remplaces par unmode unique et simple. Ainsi, il est impropre de parler de lide de gnrationspontane tant que le Crateur, pour les savants, peut agir dans le coursordinaire de la nature. Ce nest qu partir de la moiti du XVIIIe sicle quelle peutavoir un sens, lorsque des philosophes matrialistes placent lautonomie desmcanismes naturels au centre de leurs noncs.

    En proposant sa thorie du moule intrieur en 1749, Buffon sopposemanifestement la doctrine de la prexistence des germes. Cette divergence rvledavantage quun dsaccord thorique ; elle est fonde sur une conceptionmtaphysique concurrente de la nature et de lacte de cration. Lenjeu estdtendre encore un peu plus lautonomie du discours physique et donc derduire le recours la cause premire dans les explications.

    Buffon soutient dabord que lorganisation des tres repose sur lassemblagedlments organiques indivisibles, des parties organiques primitives etincorruptibles 1, dont laddition soutient la vie et dont la division provoque la mort. Il sagit de fonder lorganisation des corps sur un rapportdunion et de dsunion de leurs constituants, au lieu de la renvoyer la volontou la sagesse de Dieu. La difficult consiste alors, pour Buffon, expliquercomment les agencements de ces parties organiques se rptent lidentique danschaque espce, des parents aux enfants. Il lui faut un cadre physique pour rendrecompte de la rgularit de ces combinaisons :

    [] supposons que la Nature puisse faire des moules par lesquels elle donne non seulementla figure extrieure, mais aussi la forme intrieure [].2

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    1. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, ImprimerieRoyale, Paris, 1749, 2nd vol., p. 24.

    2. Ibid., p. 34.

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    Lide du moule apparat lorsquil faut intgrer, dans lensemble des rapportsphysiques, ce que nous applerions aujourdhui lhrdit, ou, comme lcritFranois Jacob, une structure cache, une mmoire qui organise la matire defaon produire lenfant limage des parents 1. Buffon ne cherche pas remplacer le germe par le moule, car ce dernier na pas le mme statut. Alors quele germe constitue demble lorganisation acheve des corps, le moule reprsentela condition des rapports dchanges au sein de la matire, cest--dire lapossibilit pour les tres dun commencement purement physique. Buffon justifieson hypothse par la ncessit daccorder la thorie de la gnration avec lesrapports matire organique/matire inerte observs dans la nature. En cela, lemoule contient tout de mme une justification empirique, mais qui est indirecteet qui ne peut se comprendre quen la replaant dans lconomie globale de lanature. Largumentation empirique tient dans la diffrence de quantit de matireobserve en comparant une graine et un individu adulte ; la quantit de matireorganique produite est si importante que la seule raison qui empche quune seuleespce saccapare toute la matire disponible, est lexistence de rapports deformation, dchanges et de destruction entre les espces.

    [] en cent cinquante ans le globe terrestre tout entier pourrait tre converti en matireorganique dune seule espce. La puissance active de la Nature ne serait arrte que par larsistance des matires, qui ntant pas toutes de lespce quil faudrait quelles fussent pourtre susceptibles de cette organisation, ne se convertiraient pas en substance organique, etcela mme nous prouve que la Nature ne tend pas faire du brut, mais de lorganique, etque quand elle narrive pas ce but, ce nest que parce quil y a des inconvnients qui syopposent.2

    Ainsi, Buffon met en place une thorie gnrale des changes dans la nature,avec les parties organiques pour units fondamentales, et des rapports dadditionet de division pour en expliquer les mouvements. En se nourrissant, les tresassimilent la matire organique des autres, ce qui empche lexpansion sans limitede telle ou telle espce, et surtout, ils incorporent cette matire dans les diffrentesparties de leur corps, qui fonctionnent alors comme des moules reproduisantleurs formes sur elle. Ainsi, lhypothse du moule reprsente ltablissement dunrapport central entre la nutrition et la gnration, par consquent le pivot dunephysique des changes entre les tres. De plus, elle saccorde avec lide dunecration dun nombre fini despces et dindividus, vitant dintroduire unenotion mtaphysique de linfini dans lhistoire naturelle.

    Il ny a donc point de germes contenus linfini les uns dans les autres, mais il y a unematire organique toujours active, toujours prte se mouler, sassimiler et produire destres semblables ceux qui la reoivent : [] tant quil subsistera des individus lespce seratoujours toute neuve, elle lest autant aujourdhui quelle ltait il y a trois mille ans ; toutessubsisteront delles-mmes, tant quelles ne seront pas ananties par la volont du Crateur.3

    1. Franois JACOB, La logique du vivant, Gallimard, Paris, 1970, p. 94.2. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, Imprimerie

    Royale, Paris, 1749, 2nd vol., p. 38-39.3. Ibid., p. 426.

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  • Lhypothse du moule, dans luvre de Buffon, na de sens que du point devue de cet effort pour laborer une physique de la matire organique.Mconnatre cette ambition conduirait des contre-sens, notamment celuicommis par Jean Piveteau qui identifie la molcule organique un germe1. Cetteinterprtation correspond exactement la critique des cartsiens mitigs , telLelarge de Lignac qui considre que Buffon a donn une intelligence presquedivine aux molcules vivantes 2. Cela revient dire que Buffon mlangerait lecommencement physique et lorigine mtaphysique, alors que sa thorie estfonde justement sur lunit et lindpendance relative du monde matriel. De cefait, la distinction entre la matire organise et la matire brute nest plus oprantepour lui ; il la remplace par celle de la matire vivante et de la matire morte. Tousles corps changent entre eux une matire commune 3, ce qui conduit penserun nouveau type de rapport physique, diffrent du choc cartsien ou de la forcenewtonienne. Il sagit dun mcanisme dchanges entre lintrieur et lextrieurdes corps, que Buffon rsume par la notion dassimilation :

    [] lassimilation qui est une cause de mort, est en mme temps un moyen ncessaire pourproduire le vivant.4

    La rupture mthodologique induite par la thorie de la gnration de Buffondonne ainsi lnonc dhistoire naturelle une double contrainte respecter,avant mme la collecte empirique : concevoir la formation des tres selon desrapports entre la matire organique et la matire inorganique, et ne pas utiliser lescauses premires dans llaboration du savoir physique. Lopposition avec lespartisans de la prexistence implique donc un cart important dans lesconceptions mtaphysiques : le Crateur de Buffon laisse les rapports physiqueseux-mmes rgler la succession des tres et leur mode de gnration. Mais il ny aencore rien qui indique lide de spontanit ou de gnration spontane dans lathorie de 1749, comme dailleurs Buffon lindique dans une lettre au prsidentRuffey le 14 fvrier 1750, dans laquelle il dit avoir rtablit lide de gnrationpar corruption des anciens, contre les dissqueurs dinsectes 5. Pour quil serclame dun certain spontanisme, Buffon va attendre plusieurs annes et devramodifier quelques points de sa thorie. Ces changements sont concomitants delexpression des thses matrialistes sur la gnration de Diderot.

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    1. Dans son introduction aux uvres philosophiques de Buffon, PUF, Paris, 1954, p. XXIII.2. Joseph-Adrien LELARGE DE LIGNAC, Lettres un amricain sur lhistoire naturelle, gnrale et

    particulire de M. Buffon, s. d., Hambourg, 1751, 2nd vol., p. 57.3. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, Imprimerie

    Royale, Paris, 1749, 2nd vol., p. 420.4. Ibid., p. 41.5. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Correspondance gnrale, Slatkine Reprints, Genve, 1971,

    1er vol., p. 63.

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  • Le scandale matrialiste et le concept de gnration spontane Durant les annes 1760-1770, les matrialistes comme Diderot et dHolbach

    causent dautant plus de scandales quils ne sont plus rduits la posturemarginale des prcdents tels que La Mettrie. Ils sont immergs dans lliteurbaine et savante de leur temps, dans laquelle ils diffusent leurs ides et prennentpart de grands projets comme lEncyclopdie. Diderot a t tout particulirementinfluenc par Buffon et les naturalistes proches de sa dmarche. Mais il pousseencore plus loin lindpendance du discours physique, jusquau rejet pur et simplede toute ide de cause premire dans la nature.

    Or, il semble que ce choix rsulte dun questionnement de Diderot surlorigine de lorganisation des tres et sur la gnration. En 1753, dans Delinterprtation de la nature, Diderot ajoute un lment dcisif en allant sur leterrain mtaphysique auquel se refuse par prudence un savant comme Buffon. Enquinze points, Diderot se demande la fin de son texte jusquo peut aller lacomprhension de la formation physique des tres vivants et sensibles. Il poussele questionnement plus loin que les naturalistes des institutions savantes car ilendosse lhabit du sceptique, du diste, de lirrligieux. Assumant autant cettefiliation que celle de lhistoire naturelle, il nonce alors une thse indite sousforme interrogative qui bouleverse la conception du savoir empirique :

    Mais si ltat des tres est dans une vicissitude perptuelle ; si la nature est encore louvrage, malgr la chane qui lie les phnomnes, il ny a point de philosophie. Toutenotre science naturelle devient aussi transitoire que les mots. Ce que nous prenons pourlhistoire de la nature nest que lhistoire trs incomplte dun instant. Je demande donc siles mtaux ont toujours t et seront toujours tels quils sont ; si les plantes ont toujours tet seront toujours telles quelles sont ; si les animaux ont toujours t et seront toujours telsquils sont, etc. ? Aprs avoir mdit profondment sur certains phnomnes, un doutequon vous pardonnerait peut-tre, sceptiques, ce nest pas que le monde ait t cr, maisquil soit tel quil a t et quil sera.1

    Cette thse consiste, insrer lide de succession 2 dans la dfinition de lanature. Autrement dit, il sagit de penser lorigine des tres dans les termes dunetemporalit physique ordinaire, avec les notions de pass, de prsent et davenir.Diderot transgresse le partage entre linstant originel irrductible, moment de lacration des lois de la nature et de leur substrat, et la chronologie effective qui enrsulte, susceptible dun savoir empirique. travers une srie de questions, ilaffirme quil est possible pour lhistoire naturelle de supprimer cette frontire etdimporter dans le moment des principes la dmarche immanente et empiriquedu discours physique. Lenjeu nest donc plus de caractriser le rapport de la loi,cre par lintelligence divine, la matire, mais de comprendre comment lamatire produit ses lois avec le temps. Le couple matire morte/matire vivante,que Diderot reprend de Buffon, revt alors une importance particulire, car ilpermet de situer lorigine et le commencement, le principe et la naissance

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    1. Denis DIDEROT, De linterprtation de la nature, Garnier, 1998 [1753], p. 241.2. Ibid., p. 240.

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    effective, dans la mme temporalit. Les changes entre linerte et le vivantpeuvent contenir la fois la loi de lorganisation des tres et les tapes successivesde leur existence, car ils ne sont plus spars pour les besoins de lide de cration.Diderot exprime ce changement par une question en apparence anodine, quirvle sa diffrence avec les naturalistes du mcanisme fort : La matire vivantene meurt-elle point ? La matire morte ne commence-t-elle jamais vivre ? 1.

    Mme sil doit Buffon cette distinction entre les deux tats de la matire, ilne lutilise pas de la mme manire. Chez Buffon, dans les premiers tomes delHistoire naturelle, ce couple reprsente un rapport fondamental dans la naturequi a t mis en place par le Crateur en mme temps quil a cr les diffrentesespces ; chez Diderot, le rapport de la matire morte la matire vivante ouvrela possibilit de formations et dextinctions despces, de cycles ternelspermettant le passage de linorganis lorganis, sans modle prconu, par leseul jeu des lments de la matire entre eux. La diffrence est capitale car ellelamne ainsi remettre en cause lide de cration et sa propre conception distede 1753 dans ses textes ultrieurs.

    Les conceptions de Diderot sur la gnration vacuent ainsi nettement toutrecours un Crateur. La formation de la matire vivante se produit grce unmlange, du fait des proprits des lments interagissant de manirediachronique et synchronique, et non en vertu dun principe unitaire prexistant.Luniversalit de la sensibilit et du mouvement ne peut donc pas tre assimile une forme de vitalisme de la part de Diderot2, car ce ne sont pas ces proprits dela matire qui gnrent lorganisation des corps, mais leur runion et leuralternance au sein dentits matrielles au dpart inorganises. Lide dunprincipe vital, dailleurs postrieure la plupart des textes de Diderot3, suppose deramener une proprit ou une facult unique lorigine des corps organiss.Pour Diderot, le passage de la matire inerte la matire sensible, puis des corpsplus ou moins organiss, se fait selon un processus de mlange continu, sansbarrire irrductible, autorisant toutes les productions et toutes les destructions.

    La question de la gnration pourrait constituer un obstacle majeur auxconceptions de Diderot. En effet, comment se fait-il que les tres reproduisentfidlement leur organisation dans leur descendance ? Si la gnration correspond un mlange de matires issues des deux parents, comment expliquer la rgularitobserve chez les enfants et au sein des espces ? Pour Diderot, cette invariabilitne reprsente quune rgle passagre qui doit elle-mme changer avec le temps. Siles naturalistes cessent de prendre un tat momentan pour une loi immuable, ilscomprendront que les modes de gnration actuels ne seront pas les mmes dansle futur. Ainsi, les rgularits du moment sont voues disparatre pour en laisser

    1. Ibid., p. 242.2. Ou mme un mixte de mcanisme physique et de vitalisme, un vitalo-chimisme ou un

    chimio-vitalisme selon Yvon BELAVAL (tudes sur Diderot, PUF, Paris, 2003, p. 367).3. Lune des premires formulations vritables du vitalisme revient Paul-Joseph BARTHEZ (1734-

    1806), en 1778, dans les Nouveaux lments de la science de lhomme.

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    de nouvelles sexprimer. Diderot rpond cette question par une position deprincipe : seule la capacit intrinsque de la matire produire dphmres corpsorganiss perdure, par-del des modes varis adquats la diversit existante. Ilaffirme alors le primat dune thse immanentiste qui doit orienter les recherchesempiriques :

    Vous avez deux grands phnomnes, le passage de ltat dinertie ltat de sensibilit, etles gnrations spontanes ; quils vous suffisent : tirez-en de justes consquences, et dansun ordre de choses o il ny a ni grand ni petit, ni durable, ni passager absolus, garantissez-vous du sophisme de lphmre1

    Dans cet extrait du Rve de dAlembert, lexpression gnrations spontanes est nouvelle et ne doit pas tre confondue avec la gnration par corruption des aristotliciens. Elle signifie seulement que le philosophe renonce toutenotion dimmutabilit pour comprendre la nature, et que par consquent laformation dtres vivants provient toujours des conjugaisons de la matire etjamais de formes prexistantes. En ce sens, Diderot achve la critique de ladoctrine des germes par une affirmation matrialiste de principe plutt quenproposant une thorie particulire de la gnration. Lide de gnrationsspontanes exprime ce besoin de ne plus concevoir la gnration selon une loidcrte par un Crateur mais travers les rapports de la matire avec elle-mme.

    Ce texte de Diderot, datant de 1769, contient lun des premiers usages delexpression gnrations spontanes , avant lemploi de lexpression au singuliervers 17752. Stphane Tirard, comme la plupart des historiens, affirme que lespremiers partisans de la gnration spontane seraient Buffon et Needham3.Pourtant, les deux naturalistes demeurent crationnistes sur le planmtaphysique, tout en soutenant dans lordre du discours physique la thorie dumoule intrieur pour lun et lide dune vitalit purement matrielle pour lautre.Cette juxtaposition les empche de concevoir la formation des tres et leurorganisation sans un pralable divin. Lide de spontanit de la gnration nedevient possible quavec des penseurs immanentistes comme Diderot oudHolbach. Ce nest donc pas un hasard si lexpression apparat dabord chezDiderot et non chez les deux naturalistes4.

    Les apologtes ne sy trompent dailleurs pas, car leurs critiques visentexplicitement lide que des corps acquirent une organisation par des processus

    1. Denis DIDEROT, Le rve de dAlembert, dans uvres philosophiques, tablies par Paul Vernire,Garnier, Paris, 1998, p. 303.

    2. Selon le Dictionnaire historique de la langue franaise, Alain REY (dir.), Dictionnaires Le Robert,Paris, 1998, 3e vol., p. 3623. Le premier usage est sans doute d Henry Baker, en 1742, dansThe Microscope Made Easy.

    3. Stphane TIRARD, Gnrations spontanes , dans Lamarck, philosophe de la nature, PietroCorsi, Jean Gayon, Gabriel Gohau et Stphane Tirard, PUF, Paris, 2006, p. 65-104.

    4. On trouve pour la premire fois lexpression chez Buffon dans le 4e tome des supplments delHistoire naturelle de 1777 (p. 335). Quant Needham, il ny a pas chez lui doccurence de cetteexpression, car il utilise le terme spontanit pour dfinir le mouvement des animaux, et nonleur gnration.

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  • physiques. Le travail de Needham en est une bonne illustration. Il est proche duncertain pignisme dans les questions de gnration. Il distingue ce qui relvedun mode purement matriel et ce qui est relatif un principe intelligent. Pourlui par exemple, les polypes sont des tres dont la gnration ne sexplique que pardes mouvements de matire, ce quil appelle la vitalit . Leur mode degnration nest pas identique celui des animaux parfaits, les hommes, quibnficient en outre dun principe suprieur la matire leur offrant la sensation . Les polypes constituent ainsi une preuve de lpignse en montrantle principe vital (matriel) ltat pur, et la ncessit de faire intervenir unprincipe sensitif (intelligent) pour lhomme. La comprhension de la gnrationdu polype devient donc un enjeu important pour les naturalistes dans les annes1740, car elle est un moyen dinfirmer ou de confirmer lide de prexistence.Mais Needham nemprunte pas la voie de la spontanit et du matrialismephilosophique, comme il sen dfend : [] je ne donne aucune autre puissance la matire, que celle qui produit la pure vitalit dnue de toute sensation, etqui drive, comme son existence primitive, de la seule Divinit 1. On est alors endroit de se demander si qualifier Needham de partisan de la gnrationspontane a un sens, sachant que cela induit une confusion avec ceux qui ontrellement employ ce terme, comme Diderot ou Buffon tardivement, et que celamasque la spcificit apologtique de Needham. Utilise ainsi, cette expression nefait que reproduire lamalgame discursif des naturalistes conservateurs, qui, tropoccups justifier la doctrine de la prexistence des germes, nont pas discern lesdiffrents ressorts de lpignisme .

    En ralit, Needham est bien plus proche de Charles Bonnet, un naturalistegnvois, que de Buffon au regard de lentreprise de rfutation des thsesmatrialistes. Needham et Bonnet ont ce souci commun de vouloir proposer uneapologtique suprieure aux prcdentes, celle des thologiens comme Lelarge deLignac. Il ne suffit plus de crer le scandale en rcusant en bloc les ides desphilosophes apparents au matrialisme. Il faut montrer les dfaillances de leursystme du point de vue de la raison, et limiter lindpendance du discoursphysique au nom dun intrt partag. Si le discours mtaphysique retrouve unecertaine prminence, alors le discours physique gagnera en vrit.

    Les matrialistes interviennent donc dans le champ de lhistoire naturelle enobligeant les naturalistes se prononcer sur le caractre spontan de la gnrationdes tres. Aucun nadopte entirement leurs positions, car anantir lide decration mne ncessairement un engagement irrligieux qui signifie lexclusiondes institutions de savoir. Mais les naturalistes prsentent deux attitudesdiffrentes : les uns comme Needham et Bonnet cherchent tablir une nouvelleapologtique qui rconciliera physique et mtaphysique, et apportera une rponsethorique et empirique aux audaces de Diderot ; les autres comme Buffon suivent

    Pascal Charbonnat 41

    1. John TURBERVILLE NEEDHAM, Nouvelles recherches physiques et mtaphysiques sur la nature et lareligion, dans Lazzaro SPALLANZANI, Nouvelles recherches sur les dcouvertes microscopiques et lagnration des corps organiss, trad. Regley, Lacombe, Paris, 1769, 1er vol., p. 142.

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  • le chemin dune plus grande autonomie du discours physique, et rduisent encoreun peu plus le degr dimplication du Crateur dans la nature.

    Le spontanisme dominant face au repli des apologtiquessavantesDurant le dernier tiers du XVIIIe sicle, Buffon fait varier sensiblement

    certaines de ses positions et se rfre explicitement la gnration spontane. Enquoi les thses matrialistes de Diderot sur la gnration ont-elles pu linfluencer,mme sil ne les a jamais partages compltement ?

    En 1777, quelques annes aprs Diderot, le naturaliste emploie lexpression gnration spontane dans le titre dune addition du 4e tome des supplments1.Il veut dsigner avec elle un des modes de la gnration quil pense avoir observpour des tres microscopiques dans la farine. Lagitation tient l aussi du modlede la fermentation, en tant que force interne qui a sa source dans les lments eux-mmes. Lemploi de cette expression, dans ce cadre conceptuel particulier,indique une proximit entre Buffon et le matrialisme de lhtrogense. Mais ilsen distingue au sujet de lorigine de la matire vivante. Quels changements ontt oprs par Buffon pour que ce rapprochement partiel soit possible ?

    Dans le supplment de 1777, le naturaliste revient sur le problme de lagnration, non pas pour modifier sa thorie ou ses concepts, mais poursintresser aux enjeux mtaphysiques de la thse dune quivocit de la gnration.Rpondant Spallanzani, il affirme lexistence de deux voies pour la gnration :pour certains tres lassemblage fortuit de molcules organiques, reprsentant la gnration spontane 2, et pour dautres la succession gnalogique avec lesmoules intrieurs, relevant de la gnration ordinaire 3. Il choisit de justifier cettethse en relativisant la preuve empirique et le tmoignage des sens, afin de prciserle statut des molcules organiques, qui ne sont pas des entits tablies parlobservation. deux reprises, il dvalue le critre de lexprience :

    [] il ne suffit pas davoir un bon microscope pour faire des observations qui mritent lenom de dcouvertes [].[] on voit de lil de lesprit et sans microscope, lexistence relle de tous ces petits tres[les molcules organiques] dont il est inutile de soccuper sparment ; [].4

    Buffon vise ici les observations des partisans de la prexistence des germes,comme Spallanzani ou Bonnet, qui cherchent retrouver dans tous les objets deleur collecte empirique la trace dune organisation primordiale et irrductible.Buffon conteste moins le contenu de leurs observations que le prsupposmtaphysique qui les accompagne systmatiquement. Pour lui, les molcules

    1. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, ImprimerieRoyale, Paris, 1777, Supplment 4e vol., p. 335.

    2. Ibid., p. 340.3. Ibid., p. 342.4. Ibid., p. 338.

    42 La naissance du concept

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  • organiques reprsentent la vritable base au tissu de lorganisation 1 car elles sedispensent de la main de Dieu pour agir ; contrairement aux germes, elles sonttoujours en mouvement et remuent la matire inerte delles-mmes. Sil ne disaitque cela, le Buffon de 1777 ne serait pas diffrent de celui de 1749. Mais il ajoutelide que les molcules organiques sorganisent au sein des tres de diversesmanires, combinant la gnration spontane et la gnration ordinaire. Lorsqueles corps de certains animaux se dcomposent ou contiennent trop de matireorganique, ils sont le sige de formations dtres varis, gnration spontane.Rciproquement, lorsque Buffon observe les anguilles de la farine enfermentation, il note que ces tres gnration spontane semblent capablesdavoir une descendance. Une interaction entre les deux modes de la gnrationest dsormais possible et elle ouvre la possibilit dune modification des tres sanslintervention de Dieu.

    Buffon adopte une dmarche qui se fonde ouvertement sur le prsuppos quela source de lorganisation des tres se situe dans la matire vivante. Il propose unraisonnement qui tranche avec la thorie de la gnration de 1749. Il suppose queltre suprme ait anantit toutes les espces, ou toutes les formes organises decorps. Les molcules organiques seraient alors les seules survivantes cette mortuniverselle , en raison de leur essence indestructible aussi permanente que cellede la matire brute 2. Buffon considre ainsi que lintervention divine ne pourraitpas renverser les proprits fondamentales de la matire vivante, et que celles-cisimposeraient au Crateur en vertu dune ncessit intrinsque. Compar laposture de juxtaposition de 1749, le changement de perspective est vident. Lesmolcules organiques ont acquis une plus grande autonomie vis--vis du Crateur,jusqu la facult de produire des formes organises, par le seul rapport de lactivitde la matire organique avec la passivit de la matire brute. Le foss entre lactede cration et la formation des espces est agrandi par lamoindrissement de lapuissance divine, dans lhypothse dune intervention sur le cours ordinaire de lanature. Mme si Dieu dtruisait toute organisation dans les corps :

    [] la Nature possderait toujours la mme quantit de vie, et lon verrait bientt paratredes espces nouvelles qui remplaceraient les anciennes ; car les molcules organiquesvivantes se trouvant toutes en libert, et ntant ni pompes ni absorbes par aucun moulesubsistant, elles pourraient travailler la matire brute en grand ; produire dabord uneinfinit dtres organiss, dont les uns nauraient que la facult de crotre et de se nourrir,et dautres plus parfaits qui seraient dous de celle de se reproduire ; [].3

    En explicitant le degr dautonomie de la matire vivante, Buffon rvle quela force de certaines lois surpasse les possibilits de laction divine. Concernant lestres organiss, la facult de mouvement ou dagitation de leurs molculesorganiques suffit expliquer la diversit de leurs formes. Les modalits de lagnration drivent elles aussi de cette proprit, ce qui amne Buffon formuler

    1. Ibid., p. 338.2. Ibid., p. 360.3. Ibid., p. 361-362.

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  • lhypothse de lantriorit de la gnration spontane sur lordinaire. Elle a t lavoie de gnration la plus frquente et la plus gnrale, la premire et la plusuniverselle 1, parce quelle est le mode de mise en relation le plus simple entre lesmolcules organiques. La gnration gnalogique provient dune dispositionultrieure de certains tres qui sest perfectionne avec le temps. Dieu nest pourrien dans cette quivocit des voies de la gnration, quil ne peut de toute faonpas changer. Cela explique lcart conceptuel fondamental avec Needham, pourqui lquivocit obit lingale distribution, voulue par Dieu, des facultssensibles et intellectuelles entre les espces.

    Cette rduction explicite du champ daction de la cause premiresaccompagne de lapparition de lexpression gnration spontane . Sans savoirsi elle rsulte dun emprunt fait Diderot, elle traduit en tout cas une tension deBuffon vers un dsengagement de la cause premire dans les discours physiques.Les molcules organiques sont doues dune force dagitation interne, dont lasource semble distincte de Dieu. La spontanit rside justement dans labsencede rapport transitif lintrieur de ces corps. Buffon et les matrialistes serejoignent lorsquils justifient lide de ce mouvement interne par la rfrencecommune lexprience sur la farine de bl. Adanson, qui est trs proche despositions de Buffon, en donne une description prcise dans son Cours dhistoirenaturelle (1772). Lobservation au microscope sert alors montrer la ralit dunmouvement spontane dans la matire vivante :

    La farine de bl broye et mise dans leau produit de petits filets rayonnants qui ont unmouvement oscillatoire, et dautres filets en massue, ou semblables des massues, quirendent par leur extrmit quantit de petites molcules animes. Il sort des molculespareilles dentre les filets. Ces molcules ne changent pas de forme et ne deviennent pas desanguilles. Voil donc deux ou trois sortes danimaux ou de corps mouvants organiss quisortent de la farine fermentante. [] Tous ces animalcules quelconques des infusions ontun mouvement assez vif et trs vari, suivant les espces, oscillatoire dans les uns, en avantdans dautres, circulaire ou spiral dans dautres, mais toujours spontan, car on en voitplusieurs qui semblent chercher viter de passer dans un endroit plutt que dans unautre.2

    Ce texte montre quun naturaliste comme Adanson et un philosophematrialiste comme Diderot ont commenc utiliser le terme spontan , pourqualifier lactivit de la matire organique, durant la mme priode, entre la findes annes 1760 et le dbut des annes 1770. Ils sont passs de lancienne ide de gnration par corruption , expression reprise par Buffon en 1750, celle de gnration spontane , non pas en raison de lexprience de la farine enfermentation qui aurait t dcisive, mais parce quils ont vu dans cette expriencela confirmation dun modle immanent dorganisation des corps. Lusageconcomitant de ce terme indique une reprsentation commune des processus deformations naturelles. Adanson et Buffon partagent avec les matrialistes le souci

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    1. Ibid., p. 359.2. Michel ADANSON, Cours dhistoire naturelle fait en 1772, Fortin et Masson, Paris, 1845, 2nd vol.,

    p. 553-554.

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  • dexclure totalement la cause premire du discours physique ; les productionsintellectuelles des uns et des autres se sont donc certainement confortes entreelles en relayant la reprsentation dune matire vivante pourvue dunmouvement essentiel.

    La diffrence avec les matrialistes survient lorsque se pose la question delorigine de cette spontanit. Adanson comme Buffon demeurent des partisansdun certain crationnisme, et rien dans leurs textes ne permettrait den faire desmatrialistes sur le plan mtaphysique. Pour Diderot, le mouvement inhrent lamatire vivante vient dun mouvement essentiel, situ au cur de la moindreparticule, et ayant pour origine les interactions avec les autres particules,innombrables et htrognes. En 1777, Buffon ne situe la raison du mouvementdes molcules organiques ni dans la matire elle-mme comme Diderot, ni danslunit de lacte de cration comme en 1749. Il fait intervenir une nouvellemdiation entre le Crateur et la matire vivante doue dune agitation interne :les atomes de lumire. Ils sont les seuls disposer de ce mouvement spontan quipeut tre transmis aux autres lments (lair, la terre et leau) et produit, en lescombinant entre eux diversement, une matire organique. Il suffit donc que Dieuait donn un lment la facult de mouvement, pour que toutes les formesnaturelles ne soient plus que le rsultat des rencontres de cet lment avec le restede la matire. En bon newtonien, Buffon conoit le mouvement des atomes delumire selon une force dattraction et de rpulsion, permettant que lescorpuscules sattirent et se repoussent. L encore, la porte de lacte de crationest ncessairement rduite, et le sens littral du texte biblique ne peut plus sejuxtaposer avec le discours physique. Au contraire, la physique des rapports entrelments matriels commande la mtaphysique crationniste :

    Car do peuvent venir primitivement ces molcules organiques vivantes ! Nous neconnaissons dans la Nature quun seul lment actif, les trois autres sont purement passifs,et ne prennent de mouvement quautant que le premier leur en donne. Chaque atome delumire ou de feu, suffit pour agiter et pntrer un ou plusieurs autres atomes dair, de terreou deau ; et comme il se joint la force impulsive de ces atomes de chaleur une forceattractive, rciproque et commune toutes les parties de la matire ; il est ais de concevoirque chaque atome brut et passif devient actif et vivant au moment quil est pntr danstoutes ses dimensions par llment vivifiant, le nombre des molcules vivantes est donc enmme raison que celui des manations de cette chaleur douce, quon doit regarder commellment primitif de la vie.1

    Les molcules organiques ont donc pour origine un arrangement matrieldans le cours ordinaire de la nature. Buffon a rompu avec sa position de 1749,selon laquelle la matire vivante a t cre en mme temps que les espces danslacte de cration. Il a relgu le rapport transitif primordial la crationdlments matriels, dont lun deux est porteur dune agitation interne deuxfaces (attraction/rpulsion). Les lois de la nature sont contenues dans cettecration dlments, car elles ne consistent que dans les rapports quantitatifs de

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    1. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, ImprimerieRoyale, Paris, 1777, Supplment 4e vol., p. 365-366.

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    leurs diffrentes combinaisons. Le rapport entre la quantit de matire inerte etla quantit de matire vivante tend augmenter avec le temps, car la Terre serefroidit peu peu en perdant ses atomes de lumire, ce qui cause la disparitionprogressive des molcules organiques. Le discours physique oriente ainsifortement la mtaphysique puisque la rgle et le substrat sont devenusinterdpendants.

    Ce passage sur lorigine des molcules organiques est fondamental, car il est leseul dans lequel Buffon livre sa conception de lacte de cration. Dans tous sesautres textes, notamment postrieurs, lorsquil est question de lorigine de lamatire vivante, le naturaliste entretient une certaine ambigut : est-elle lersultat dun processus dorganisation au sein de la matire, ou provient-elledirectement de la main de Dieu ? Autrement dit, la matire organique a-t-elle tcre au cours de lacte de cration ou aprs ? Dans le premier volume delHistoire naturelle des minraux (1782), il revient sur la nature du mouvement quiprside la formation des tres organiss. Il sagit dune force universelle 1attractive, permettant le rapprochement des corpuscules entre eux. Ellesaccompagne dune force rpulsive, se manifestant sous forme de chaleur ettendant sparer les corpuscules. Buffon soutient que ces deux forces, qui neforment en fait quune seule proprit active de la matire, produisent des tresorganiss lorsquelles rencontrent des substances molles et ductiles 2, danslesquelles se trouvent des molcules organiques ; elles les pntrent dans les troisdimensions et leur donnent une organisation animale ou vgtale. En revanche,si les deux forces ne trouvent que des matires sches et dures , opposant uneforte rsistance, alors elles ne peuvent rester quen surface et ne gnrer quuneforme organise superficielle. Ainsi, le minral se caractrise par une organisation deux dimensions, tandis que le vgtal et lanimal sont le fruit dunedistribution des molcules organiques dans les trois dimensions.

    ce moment de son raisonnement, Buffon ne prcise pas do viennent lesmolcules organiques prsentes dans la matire ductile. Elles sont dj l lorsqueles forces les organisent en tres. Une phrase allusive permet tout de mme desavoir quil maintient son explication de 1777, sans la dvelopper :

    [] la force pntrante de lattraction jointe celle de la chaleur produisent les molculesorganiques [].3

    Mais il ne sattarde pas sur lorigine des molcules organiques. Quelle en est laraison ? Il semble quil ait choisi de garder le silence sur ce point, juste aprs avoirlivr sa conception dans le supplment de 1777. En effet, il ajoute la fin de cedernier quil ne reviendra plus sur la question de lorigine des molculesorganiques, parce que ces considrations ncessitent, pour tre comprises, une

    1. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle des minraux, Imprimerie Royale, Paris,1782, 1er vol., p. 5.

    2. Ibid., p. 6.3. Ibid., p. 9.

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    solide connaissance et un dpouillement entier de tout prjug 1. De plus longsdveloppements seraient toujours insuffisants pour les uns et trop longs pour lesautres. Buffon redoute donc bien de heurter les thologiens ou mmelapologtique savante avec sa conception dune transitivit minimale. Affirmerque la matire vivante est produite par des combinaisons matrielles revient soutenir une part importante des thses matrialistes. la diffrence de 1749, ildfend cette ide et ose mme lnoncer dans son uvre majeure. Certes, il ne lefait quune seule fois, mais, travers cette explicitation, une communaut sedessine avec le courant matrialiste.

    Les expressions nouvelles de sa conception du rapport transitif entre Dieu etla nature, incitent ranger Buffon du ct de la mouvance irrligieuse, dans sapartie diste. Il adopte une posture radicalement diffrente de celle de Needhamou de Bonnet. Il se rapproche beaucoup plus de la pense dAdanson, pour quiles lois de la nature sont constantes, invariables, et mues par une force universelle,ou lme du monde qui chaque espce dexistence doit son mouvement 2. Dece point de vue, il est possible de reprer dans les uvres et la pense de Buffon, partir de 1765, une accentuation manifeste de lcart avec les crationnismestraditionnels, cest--dire laffirmation dune transitivit de plus en plus mdiate,o la discontinuit entre le crant et le cr ne cesse de se creuser. En effet, lapremire allusion une origine matrielle des molcules organiques se trouvedans les considrations prliminaires du 13e tome intitules De la Nature,seconde vue :

    [] une seule force est la cause de tous les phnomnes de la matire brute, et cette forcerunie avec celle de la chaleur, produit les molcules vivantes desquelles dpendent tous leseffets des substances organises.3

    Mais dans ce mme texte, Buffon continue de penser que lacte de crationcorrespond au moment de la formation des premires espces :

    Chaque espce et des uns et des autres ayant t cre, les premiers individus ont servi demodle tous leurs descendants.4

    Par consquent, la variation de lide de cration chez Buffon ne sest paseffectue dun seul coup, mais sest tale sur une dizaine dannes, entre le 13etome et le 4e supplment. Ce temps a t ncessaire pour que se formule unethorie complte de la formation physique de la matire vivante, qui prenne ledessus sur les impratifs du rcit biblique, en osant expliquer lapparition desespces et de leurs modes de gnration. Buffon ne se serait jamais engag dans

    1. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, ImprimerieRoyale, Paris, 1777, Supplment 4e vol., p. 366.

    2. Michel ADANSON, Cours dhistoire naturelle fait en 1772, Fortin et Masson, Paris, 1845, 1er vol.,p. 581.

    3. Georges-Louis LECLERC DE BUFFON, Histoire naturelle gnrale et particulire, ImprimerieRoyale, Paris, 1765, 13e vol., p. XX.

    4. Ibid., p. VII.

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    une telle voie sil navait pas t sensible aux critiques irrligieuses de cette priode,en particulier aux extensions du discours physique opres par les matrialistes.En faisant de lacte de cration une production dlments matriels auxproprits divergentes, Buffon est trs proche de la matire htrogne deDiderot. Mais il sen loigne en situant lorigine du mouvement dans latome delumire, qui nest pas un lment anodin rapport au rcit de la Gense.

    ConclusionSelon ltendue du pouvoir attribu au Crateur, et par consquent aux causes

    naturelles, une varit de thories sur lorigine et la gnration des tres voit lejour. Physique et mtaphysique sont indissociables dans lhistoire naturelle du 18esicle et la conception de la nature des savants. Une partie dentre eux (Bonnet etNeedham), selon des modalits distinctes, cherchent un fondement physique lexigence dune soumission de la matire lentit cratrice. Les autres (Buffonet Adanson) soumettent lorigine mtaphysique du monde aux ncessit duneorganisation autonome de la matire. Dans les deux cas, la conceptiontraditionnelle de la cration, o Dieu est la fois concepteur et producteur deschoses, est malmene au point dtre rcuse de manire implicite. En cherchant tablir lunion de Dieu avec la nature par les sciences, lapologtique savanteavoue que cette identit na rien dvident, quelle est menace dans lesprit deshommes et quil faut la repenser. En largissant le domaine de la formation audtriment de celui de la cration, Buffon enlve Dieu le pouvoir dorganiser lescorps au premier instant, cest--dire restreint son pouvoir de production lamatire brute et son pouvoir de conception une force unique. Linterprtationde lacte de cration par ces diffrents naturalistes aboutit ainsi diffrentesformes de crationnismes, tous suspects par les thologiens dirrligion. Cettevolont de revenir au discours mtaphysique pour mieux augmenter ltendue dudiscours physique traduit une plus grande libert de ton, en mme temps quelincapacit concevoir lindpendance complte des noncs dhistoire naturelle.

    Dans ces conditions, le matrialisme de Diderot et des autres pse sur lapense de ces naturalistes comme un poids oppos celui de la pressionthologique et parlementaire. Il les incite la fois se distinguer de la postureirrligieuse, intenable au sein des institutions de savoirs sous lAncien Rgime, et remettre en cause le crationnisme traditionnel, qui limite le pouvoir des causessecondes et les possibilits du discours physique. Cette dtermination extrieureaux noncs a pour consquence de mettre ces savants devant lobligation deconsidrer les modles des auteurs matrialistes, tel que celui de spontanit. Illeur faut les rcuser ou les intgrer, ce quils font de diverses faons dans leursthories physiques et dans leurs conceptions mtaphysiques. Bonnet rejette laspontanit pour comprendre lorganisation des corps travers une successionuniverselle prescrite davance par Dieu. Needham soutient quune partieseulement des corps obit un processus aveugle de fermentation. Enfin, Buffon,dans ses dernires uvres, tend la spontanit lorganisation de tous les corps,

    p. 31 98:Nature sciences 06/12/10 11:17 Page 48

  • en lintgrant dans une succession universelle, des temps les plus anciens jusquauprsent.

    Lirrligion matrialiste de la seconde moiti du XVIIIe sicle a ainsi amen lesnaturalistes prciser leur conception de la source de lorganisation des corps. Cefaisant, elle les a contraints dire jusquo limmanence des formations physiquespouvait tre comprise. Buffon a t le moins inquiet de ce rapport et a accru lapart des processus immanents dans ses thories, en expliquant la formation de laTerre, des molcules organiques et des espces par des causes physiques ; mmesil a toujours t hostile une mtaphysique matrialiste de lorigine, il aconstamment amplifi sa dmarche matrialiste pour ltude descommencements. Ce choix en faveur dun immanentisme radical, au sein dudiscours physique, na pas pu se faire sans tenir compte des tensions externes entreles thologiens et les irrligieux. Pour sengager dans cette direction, Buffon acertainement soutenu une part des critiques irrligieuses, tout comme Bonnet etNeedham ont labor de nouvelles thories en partie pour satisfaire leur souciapologtique. Le matrialisme de Diderot et de dHolbach a donc surtoutdtermin lapparition dun clivage, au sein du monde savant, entre les partisansdun acte de cration organisant immdiatement la nature et ceux pour qui desmdiations physiques sont indispensables.

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