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UNIVERSITE DE MONTPELLIER I CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE (UMR 5815 CNRS Dynamiques du Droit) Master II Consommation et Concurrence LA NOUVELLE REGLEMENTATION DE LA LUTTE CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES Par : Marine TERREYGEOL Directeur de recherche : Mme Hélène DAVO, Maître de conférences Année universitaire 2008-2009

LA NOUVELLE REGLEMENTATION DE LA LUTTE … · Les objectifs : La finalité de cette réforme est de rendre le dispositif de lutte contre les clauses abusives plus efficace. Le dispositif

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UNIVERSITE DE MONTPELLIER I CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU

MARCHE (UMR 5815 CNRS Dynamiques du Droit) Master II Consommation et Concurrence

LA NOUVELLE REGLEMENTATION DE LA LUTTE CONTRE LES CLAUSES

ABUSIVES

Par : Marine TERREYGEOL

Directeur de recherche :

Mme Hélène DAVO, Maître de conférences

Année universitaire 2008-2009

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SOMMAIRE

PARTIE 1 : LA REFORME DU 4 AOUT 2008 : UNE CONCEPTION DE LA NOTION DE CLAUSE ABUSIVE INCHANGEE .............................................................9

Titre 1 : Le maintien des caractéristiques des clauses abusives .............. 10 Chapitre 1 : Le déséquilibre significatif...................................................................................10 Chapitre 2 : La prise en considération des éléments entourant la clause..........................37

Titre 2 : L’environnement des clauses abusives conservé.......................60

Chapitre 1 : Un champ d’application large.............................................................................60 Chapitre 2 : Une interprétation tripartite de la notion de clause abusive........................100

PARTIE 2 : LE DECRET D’APPLICATION DU 18 MARS 2009 : UNE NOUVELLE PROCEDURE DE DETERMINATION DES CLAUSES ABUSIVES........................ 132

Titre 1 : L’établissement de deux listes de clauses abusives...................133 Chapitre 1 : Des décrets limitatifs à la liste noire : des clauses présumées abusives de manière irréfragable..................................................................................................................134 Chapitre 2 : De l’annexe législative à la liste grise : des clauses présumées abusives ....161

Titre 2 : Le développement de la lutte contre les clauses abusives modéré par de nouvelles réglementations :...................................................... 182

Chapitre 1 : L'articulation des évolutions consuméristes avec les nouveautés de la LME quant au droit de la concurrence ...........................................................................................183 Chapitre 2 : La nouvelle méthode de lutte contre les clauses abusives à l’épreuve du pouvoir européen .....................................................................................................................212

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Remerciements : Tout d’abord, je souhaite remercier Monsieur Henri Temple ainsi que l’ensemble du corps enseignant du Master II Consommation et Concurrence qui m’ont permis d’approfondir mes connaissances et de faire de ce troisième cycle une année intéressante et enrichissante. Je tiens, plus particulièrement, à remercier ma directrice de mémoire, Madame Hélène DAVO, pour ses conseils et sa disponibilité tout au long de la rédaction du présent mémoire. J’adresse également mes remerciements à Monsieur Jean-Michel ROTHMANN, directeur du service économique et juridique de l’Institut National de la Consommation, ainsi qu’à Marie-Odile THIRY, juriste, pour les précieuses informations qu’ils m’ont fournis dans le cadre de mon stage et qui m’ont été des plus utiles. Enfin, je remercie mon entourage, dont le soutien au quotidien m’a permis de garder confiance en moi à chaque étape de cette année universitaire.

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Introduction

L’abus se définit comme l’usage excessif d’une prérogative juridique. C’est « une action consistant pour le titulaire d’un droit, d’un pouvoir, d’une fonction, à sortir, dans l’exercice qu’il en fait, des normes qui en gouvernent l’usage licite »1 et de ce fait créer un déséquilibre contractuel. L'exigence d'équilibre concerne principalement les contrats de consommation, étant donné qu’ils sont, en grande majorité, des documents standardisés, unilatéralement formulés par les professionnels et soumis à l'adhésion des consommateurs sans qu'aucune modification ne leur soit permise. Or, les professionnels rédigent souvent de longs contrats, au contenu parfois complexe, que les consommateurs doivent accepter globalement sans toujours bien saisir la portée de toutes les clauses, dont certaines restreignent significativement leurs droits ou accroissent ceux des professionnels. Pendant longtemps, la protection du consommateur était assurée uniquement par les règles générales du droit des obligations et du droit des contrats, ponctuellement renforcées par des textes spécifiques. Toutefois, la protection manquait d’efficacité. Pour rétablir un certain équilibre dans la relation contractuelle, la loi a prévu un dispositif de protection des consommateurs contre les clauses abusives par la création d’un droit spécialisé – le droit de la consommation – et un système de lutte contre les clauses abusives avec la loi du 10 janvier 1978, dite loi Scrivener. Ce dispositif reste toutefois complété par le droit commun, qui comporte différents outils permettant de lutter contre les clauses abusives. La réglementation sur les clauses abusives est au cœur des relations contractuelles entre professionnels et consommateurs. Dans un contrat, une clause est dite abusive, si elle engendre, au détriment du consommateur ou du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Néanmoins, ce système de lutte s'est retrouvé privé d'efficacité. En effet, le juge n'avait pas le pouvoir de déclarer une clause abusive. Seul le pouvoir réglementaire avait le moyen de le faire par voie de décret. Or, un seul décret a été adopté en 1978 puis un autre en 2005, repris aux articles R.132-1 et suivants du Code de la Consommation et interdisant trois types de clauses. Autant dire que le pouvoir réglementaire 1 G. CORNU , Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant.

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ne profitait pas pleinement des prérogatives qui lui étaient délivrées. Une directive 93/13/CE du 5 avril 1993 a alors tenté d'harmoniser la réglementation des clauses abusives au sein de l'Union européenne. Transposée en droit français par la loi du 1er février 1995, cette directive mettait en place une liste indicative, annexée à l’article L.132-1 du Code de la Consommation, de clauses pouvant être regardées comme abusives, le consommateur étant tenu de rapporter la preuve de l’abus qu’il pensait subir. La réforme : La loi de Modernisation de l'Economie (LME) du 4 août 20081, dont le domaine d'intervention est des plus variés, a notamment réformé le Code de la Consommation et plus particulièrement la réglementation des clauses abusives. Elle a en effet modifié les dispositions de l’article L.132-1 qui pose le principe de l’interdiction dans les contrats de consommation des clauses « qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », et supprimé la liste de clauses susceptibles d’être déclarées abusives, annexée à cet article. Modifiant la répartition entre les compétences du législateur et celles du pouvoir réglementaire, la LME a prévu que des décrets en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission des clauses abusives, viendraient déterminer des listes de clauses présumées abusives pour les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non-professionnel. C’est le décret du 18 mars 20092 qui est venu mettre en application cette réforme et ses dispositions remplacent les articles R.132-1 et suivants du Code de la Consommation. Son article 1 établit une liste, dite « liste des clauses noires », de clauses présumées abusives de manière irréfragable car portant gravement atteinte aux intérêts des consommateurs, et interdites à ce titre. Ces douze clauses interdites sont pour certaines issues de l'annexe à la directive communautaire de 1993 et pour d’autres ajoutées par le nouveau dispositif3. Son article 2 établit une deuxième liste, dite « liste des clauses grises », énumérant les clauses qualifiées d’abusives au titre d’une présomption simple. Contrairement aux clauses de la liste noire, la présomption de caractère abusif attachée à ces clauses peut être combattue si le professionnel rapporte la preuve contraire. Ce point est très important pour la protection 1 Loi 2008-776 du 4 août 2008, Art. 86 2 Décret 2009-302 du 18 mars 2009. 3 Article 1er du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009, points 10 et 11.

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des consommateurs car il simplifie son action devant le juge. Ces dix clauses présumées abusives sont pour certaines tirées de l'annexe à la directive communautaire de 1993. Enfin, son article 3 pose des exceptions à l’application de certaines dispositions, notamment pour ce qui concerne les transactions portant sur des services financiers ou autres produits dont le prix est lié aux fluctuations d’un cours ou d’un taux que le professionnel ne contrôle pas. Il est utile de préciser que l'article 86 de la LME, à l’origine, ne visait à lutter contre les abus qu’entre « partenaires commerciaux » uniquement. Le projet de loi ne prévoyait donc aucune modification du droit de la consommation. Cette réforme du droit des clauses abusives trouve son origine dans des amendements présentés devant l‘Assemblée nationale pour « renforcer la lutte contre les clauses abusives » et permettre au gouvernement de déclarer automatiquement abusive une clause figurant sur la liste blanche de valeur législative. Au Sénat, il avait même été question de rendre inopposables aux autres consommateurs ayant conclu des contrats identiques avec le même professionnel, les clauses qui auraient été jugées abusives à l‘occasion d‘une instance déterminée. Mais cette proposition fut rejetée à l‘initiative du Gouvernement, au motif qu‘elle méritait « un examen approfondi, notamment au regard du principe de l‘autorité de la chose jugée ». Il avait également été proposé, à l‘instar des autres législations européennes, de conférer une valeur législative à la liste noire. Mais, ici encore, le Gouvernement s‘y est opposé, préférant maintenir la voie réglementaire « pour des raisons de souplesse et d‘efficacité » ; sans doute aussi pour un meilleur contrôle de la liste des clauses dénoncées. Ainsi en reconnaissant désormais au seul pouvoir réglementaire le soin de déterminer des listes de clauses, l'article 86 de la loi de Modernisation de l’Economie a donné une meilleure cohérence juridique, et donc plus d'efficacité au dispositif de lutte contre les clauses abusives. Conformément aux exigences de la loi, le décret1 a été pris en application du nouvel l’article L.132-1 du Code de la Consommation après avis de la Commission des clauses abusives. Cet avis n‘a eu que peu d‘impact sur les choix finaux du pouvoir réglementaire. L‘influence de la Commission s‘est surtout exercée en amont, à l‘occasion de la proposition d‘une liste noire de clauses abusives au cours de l‘année 2001. Sur les douze stipulations dont elle préconisait alors l‘interdiction, à quelques nuances de rédaction près, neuf se retrouvent dans l‘actuelle liste noire, tandis que deux autres ont été intégrées dans la liste grise. Une seule clause a été 1 Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009, Journal officiel du 20 mars 2009 p. 5030.

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laissée pour compte, celle tendant à imposer au consommateur un mode unique de paiement. Ce sont donc les influences croisées de l‘annexe à la directive et des travaux de la Commission qui ont présidé à l‘adoption tant de la liste noire que de la liste grise du nouveau décret, qui est un texte d‘ordre public et d‘application immédiate. Le particularisme du droit de la consommation se manifeste donc également par la méthode de son intervention sur le comportement des parties. Alors que le droit civil des obligations intervient a posteriori pour protéger le débiteur, le droit de la consommation utilise tantôt des techniques préventives, tantôt des techniques curatives. Ainsi, la suppression des clauses abusives dans les modèles de contrat témoigne de l’originalité d’un droit qui cherche à prévenir les vices du consentement plutôt qu’à les réparer. La méthode préventive n’exclut toutefois pas une démarche curative lorsque la prévention s’est avérée inopérante. Ainsi, pour reconnaître une clause abusive, il est désormais possible de s’appuyer sur ces deux listes mais la jurisprudence et les recommandations de la Commission des clauses abusives conservent un rôle essentiel, notamment pour les clauses ne figurant ni sur la liste grise, ni sur la liste noire. Les objectifs : La finalité de cette réforme est de rendre le dispositif de lutte contre les clauses abusives plus efficace. Le dispositif reposait essentiellement sur les procédures engagées par les consommateurs à titre individuel, ou par les associations de défense de ces consommateurs, spécialement habilitées par la loi pour le faire. Ainsi, par l’établissement de ces listes de clauses, les consommateurs devraient retrouver plus de liberté. A l'occasion d'une réponse ministérielle1, l’ancien secrétaire d'Etat chargé de l'Industrie et de la Consommation est d’ailleurs revenu sur la réforme des clauses abusives. Pour Luc Chatel, « l'article 86 de la loi de Modernisation de l’Economie donne une meilleure cohérence juridique, et donc plus d'efficacité au dispositif de lutte contre les clauses abusives, dès lors qu'il appartient désormais au seul pouvoir réglementaire de déterminer, par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission des clauses abusives, une liste de clauses « noires », regardées de manière irréfragable comme abusives et interdites, et une liste de clauses « grises », simplement présumées abusives pour lesquelles il appartiendra au professionnel d'apporter la preuve contraire, ce qui simplifie l'action des consommateurs devant le juge ». Les deux nouvelles listes constituent un progrès juridique incontestable en matière de protection des 1 Réponse ministérielle n° 45367, JOAN Q 2 juin 2009.

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consommateurs. Ceux-ci disposent ainsi, avec les associations, les juges et les professionnels, de deux outils efficaces pour identifier et supprimer les clauses abusives des contrats. L’influence européenne : Ce système de la double liste ainsi mis en place n‘est pas nouveau dans l’Union Européenne. Il était déjà en vigueur en Allemagne, au Portugal ou aux Pays-Bas. D’une manière générale, les législations se contentent d‘une liste noire dépassant parfois la vingtaine de clauses (Autriche, Belgique, Luxembourg, Espagne, Grèce), tout en maintenant une définition générale de la clause abusive inspirée de la directive communautaire et jouant comme une sorte de filet de sécurité. Ces listes sont usuellement établies par la loi. Les avancées du droit français de la consommation sont reprises par la Commission européenne qui a présenté, le 8 octobre dernier, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, un projet de directive sur les droits des consommateurs. Ce texte prévoit en effet de créer deux listes et d’interdire aux Etats de conserver leurs dispositions plus contraignantes, en vertu du principe de l’harmonisation maximale. Toutefois, cette harmonisation prohiberait l'éradication par les autorités nationales de clauses abusives non prévues par l'Union et pourrait dès lors aboutir à un recul du niveau de protection dont jouit le consommateur français. Le nouveau dispositif risque donc d'être remis en cause si la proposition de directive venait à être adoptée en l‘état puisque les deux listes qu’elle envisage sont plus restreintes que celles qui viennent d’être mise en place en France. Ces dernières seront d’ailleurs, purement et simplement, abrogées. Certes il ne s’agit que d’un projet mais il est d’ores et déjà permis de s’interroger sur la pérennité du décret français. Problématique : Nous sommes donc amenés aujourd’hui à nous demander si l’évolution dans l’appréciation et la détermination des clauses abusives, par l’établissement de listes, va dans le sens d’une protection accrue du consommateur. Plan : Nous allons tenter de répondre à cette préoccupation selon deux axes. Une première partie sera consacrée à l’évolution de la notion de clause abusive, et plus particulièrement, aux maintient des modifications antérieures par la réforme de 2008. Puis une seconde partie qui sera, quant à elle, dédier à une étude de la nouvelle méthode d’interprétation des clauses abusives et des limites qui risquent déjà de freiner cette évolution.

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Partie 1 : La réforme du 4 août 2008 :

Une conception de la notion de clause abusive inchangée

L'exigence d'équilibre concerne principalement le contrat de consommation, , étant donné qu’il met en présence des parties en situation fondamentalement inégalitaire : une partie qui détient le savoir et le pouvoir rédactionnel, et une autre qui adhère au contrat. Alors que le droit commun des contrats repose sur un postulat d'équilibre découlant d'une égalité entre les parties, le droit de la consommation repose sur une approche pragmatique partant du principe que le consommateur n'est pas en position de négocier le contenu contractuel, à la différence du professionnel qui dispose de tous les moyens pour l'établir à sa convenance. Dans les rapports entre professionnels et consommateurs, la loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008 renforce encore le dispositif de lutte contre les clauses abusives en modifiant de manière substantielle l’article L.132-1 du Code de la Consommation pour renforcer la protection des consommateurs contre la présence de clauses abusives dans les contrats qu'ils signent avec les professionnels. Toutefois, l’ensemble des caractéristiques attachées à la notion de clause abusive (Titre 1) ainsi que l’environnement qui l’entoure ont été maintenus (Titre 2). Seule la méthode d’appréciation a évolué avec le décret d’application de mars 2009.

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Titre 1 : Le maintien des caractéristiques des clauses abusives

Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs,

sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Après avoir retenu plusieurs critères de détermination des clauses abusives, le déséquilibre significatif a été retenu et maintenu par la réforme d’août 2008 comme unique élément d’appréciation de l’abus (Chapitre 1). Néanmoins, l’environnement dans lequel est inséré la clause est intéressant à prendre en considération dans l’analyse de la clause litigieuse (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le déséquilibre significatif

Toutes les irrégularités n’étant pas signes d’abus, il convient d’analyser et de définir les critères qui peuvent rendre la clause litigieuse abusive comme aboutissant à un mauvais usage contractuel. Petit à petit, cette notion a été précisée par notre droit positif. En effet, dès 1978, le législateur français est intervenu pour lutter contre ce déséquilibre en mettant en place un dispositif de lutte contre ces clauses abusives. Ainsi toute une réglementation a été fixée visant à éliminer les clauses abusives (Section 1). Bien qu’elles soient largement combattues, elles se renouvellent en permanence. Par la suite, une harmonisation européenne, avec la directive du 5 avril 1993, est venue préciser les caractéristiques d’appréciation des clauses abusives (Section 2).

Section 1 : L’appréciation initiale du déséquilibre contractuel : C’est en 1978 que la notion même de clause abusive est apparue en droit français. La tardiveté de règles relatives à ce types de clauses préjudiciables ne signifie pas qu’auparavant les professionnels ne cherchaient pas obtenir les meilleurs avantages au détriment de leur contractant. Alors qu’à l’origine seul le droit commun des contrats pouvait rééquilibrer la

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relation contractuelle, petit à petit un droit spécifique des clauses abusives s’est organisé(I). Par la suite des critères d’identification de ces clauses se sont mis en place (II). I. La naissance de la notion même de clause abusive La société de consommation a développé un système où les contrats sont de plus en plus pré-rédigés par une partie, le professionnel, et soumis en bloc à l’adhésion d’une autre, le consommateur. Bien souvent, la partie rédactrice insère des clauses qui déséquilibrent le contrat à son avantage mais au détriment du consommateur. Pour lutter contre ce déséquilibre contractuel, le législateur français est intervenu dès 1978 en mettant en place un dispositif de lutte contre les clauses abusives. Une première approche consiste à dire qu’étant donné la nature du support des actes de consommations – conclusion de contrats – le droit commun est susceptible de s’appliquer (A). Toutefois, eu égard aux conditions d’application de chaque notion et de leur portée générale, ces règles sont inadaptées au droit des clauses abusives qui nécessite le développement d’un droit spécialisé (B).

A. La non-application du droit commun : Le contrat de consommation est un contrat particulier par son objet et ses contractants mais c’est avant tout un contrat. Par conséquent, les règles générales du droit commun des contrats semblent pouvoir s’appliquer pour protéger le consommateur en tant que contractant. En effet, l’observation du droit commun des contrats1 fait ressortir quatre notions qui semblent utilisables pour contrôler l’équilibre des relations contractuelles : l’enrichissement sans cause, la lésion, l’abus de droit et la cause. Les dispositions du droit commun des contrats peuvent ainsi apparaître comme une base d’équilibre. Pour apprécier cet équilibre contractuel, il est nécessaire de dégager un critère d’appréciation réel de l’abus en se référant à ce que le consommateur est en droit d’attendre du contrat, c'est-à-dire les normes habituelles. Ainsi la Cour de Cassation, dans un arrêt du 14 mai 1991, a rappelé l’obligation de restitution du dépositaire de l’article 1789 du Code Civil avant de 1 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982 ; Hélène DAVO et Yves PICOT Droit de la Consommation éd. Armand Colin, 2005.

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retenir que la clause qui dispensait le professionnel de cette obligation, même pour raison inconnue, était une clause abusive. Elle considère également que l’interdiction de la clause prévoyant que le délai de livraison contractuel n’est qu’indicatif, est fondée sur l’obligation de délivrance du professionnel de l’article 1610 du Code Civil. Comme nous l’avons dit certaines dispositions du droit commun des contrats semblent pouvoir s’appliquer aux contrats de consommation. Toutefois, il s’avère que l’approfondissement de ces notions, pourtant créées pour remédier à un déséquilibre entre les parties, révèle leur inadaptation aux contrats de consommation. Alors que l’enrichissement sans cause et la lésion sont soumis à des conditions trop strictes, l’abus de droit et la cause sont trop généraux pour convenir à ce type de contrat. � La notion d’enrichissement sans cause, ou l’action in rem verso1, a pour objet de

remédier à un déséquilibre entre les patrimoines des parties au contrat2. Il s’agit de l’hypothèse où un cocontractant s’est enrichi au détriment de l’autre sans que cet avantage ne soit la conséquence d’un contrat ou d’une obligation juridique. Dans une telle situation, l’appauvri va pouvoir agir contre son cocontractant enrichi sur le fondement de l’enrichissement sans cause, à condition qu’aucune autre voie de droit ne soit possible et qu’aucune cause du contrat ne soit établie. C’est là toute la difficulté de cette action puisqu’elle ne peut être exercée qu’à titre subsidiaire, c'est-à-dire lorsque toutes les autres voies de droit ont été épuisées ou sont inadaptées à la résolution de l’espèce. En outre l’action ne peut être engagée que si la cause du contrat fait défaut. En effet, la Cour de Cassation a considéré que « l’enrichissement a une juste cause quand il est obtenu en exécution du contrat »3. De plus, « il n’appartient pas au juge de modifier le contrat initial conclu par les parties, ni de retirer au vendeur le bénéfice qui trouve sa juste cause dans une convention reconnue licite et obligatoire pour ceux qui l’ont volontairement souscrite »4. Or, il est de principe que lorsqu’un droit naît d’une convention, celle-ci comporte nécessairement une cause. Autant dire que l’action d’enrichissement sans cause n’est admise que très rarement et ce d’autant plus dans les contrats de consommation. En effet, l’absence de cause est le 1 Articles 1371 et suivants du Code Civil. 2 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982, n° 29. 3 Cass. Civ. 1ère 13 octobre 1898, D. I 105. 4 Cass. Civ. 1ère 17 mai 1944.

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corrélatif de l’absence de contrat. Or pour qu’il y ait clause abusive, il faut un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur et de ce fait, une action contractuelle est ouverte à chaque partie, ce qui exclue l’action subsidiaire in rem verso. Ces conditions aussi strictes sont en contradiction totale avec l’objectif de rétablir l’équilibre des prestations. Lorsqu’un professionnel stipule dans ses contrats des clauses à son seul avantage, l’enrichissement qu’il en tire créé nécessairement un déséquilibre dans ses relations avec le consommateur et ne peut se justifier du seul fait que le contrat ait été signé par les deux parties. Néanmoins, cette action ne saurait remédier au déséquilibre des relations contractuelles causé par la présence de clauses abusives. � La notion de lésion correspond au préjudice né de la disproportion entre la valeur des

prestations reçues par l’une des parties à un contrat et la valeur de celles fournies à l’autre1. Le principe est énoncé à l’article 1108 du Code Civil selon lequel : « la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes ». Là aussi l’action est enfermée dans des conditions trop strictes limitant son champ d’application. En effet, la lésion ne peut être sanctionnée que « dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes » ; en dehors de ces cas bien précis, elle est donc admise. Ainsi, indépendamment de la nature du contrat, seuls les incapables sont protégés par le dispositif de la lésion. Lorsqu’un contrat conclu par un mineur ou un majeur incapable est valable, compte tenu de leur incapacité, il pourra être remis en cause par une action en lésion. Pour les autres personnes, seuls certains contrats sont concernés par le dispositif de la lésion, à savoir : le partage ou la vente d’immeuble, pour la quelle s’ajoute un taux minimum de déséquilibre qui est de sept douzième2. En outre en matière immobilière, l’action appartient au vendeur et non à l’acheteur potentiel, elle est donc à exclure des contrats de consommation car dépourvue de tout intérêt pour le consommateur. Ce champ d’application est beaucoup trop restrictif pour les contrats de consommation qui recouvre des domaines très diverses.

1 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982, n°39. 2 Articles 1674 à 1685 du Code Civil.

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� La notion d’abus de droit consiste à insérer dans un contrat des clauses trop avantageuses pour l’une des parties. L’insertion de clauses dans un contrat est un droit mais si elles ont pour objet de favoriser la situation d’une partie au détriment de l’autre, cela correspond à un abus de droit du rédacteur du contrat. Ainsi, comme le remarque H. BRICKS1, la notion d’abus de droit pourrait être utilisée pour remédier au déséquilibre contractuel, étant donné que « celui qui tire profit excessif et injuste de la convention abuse de son droit de contracter ». Selon certains auteurs, comme A. KARIMI, la théorie de l’abus de droit sert de base juridique en droit commun pour lutter contre les clauses abusives. La Cour de cassation dans un arrêt de 19892 a d’ailleurs considéré « qu'en refusant de faire application d'une clause contractuelle claire et précise, qui dérogeait à l'usage invoqué, sans caractériser en quoi elle serait constitutive d'un abus de nature à la priver d'effet, le Tribunal a violé l’article 1134 du Code Civil ». Tout en rappelant la force obligatoire des contrats, la Cour, en se fondant sur le principe général de l’abus de droit, reproche au juge de ne pas avoir caractérisé en quoi la clause était « constitutive d’un abus ». Certains en ont ainsi déduit que « cette théorie pouvait constituer le fondement juridique de l’annulation des clauses abusives par le juge. Et cela aussi bien sur le terrain de la formation du contrat que sur celui de son exécution ». En effet, « celui qui, en contractant cherche à profiter excessivement de sa situation, abuse de son droit subjectif de contracter. En exerçant ce droit, les contractants doivent pouvoir négocier librement les droits et obligations qui découlent du contrat. Chercher à utiliser le droit de contracter pour imposer sa volonté à son partenaire, c’est détourner ce droit de sa propre finalité. La sanction de cet abus est de priver d’effet le contrat ou les clauses du contrat qui sont le résultat de cet abus donc la nullité totale ou partielle du contrat selon le cas »3. Néanmoins, du point de vue de la sécurité juridique, l’interprétation du juge des stipulations contractuelles litigieuses semble trop dangereuse sans un encadrement particulier1. � La notion de cause fait partie des quatre conditions essentielles de validité d’une

convention. L’article 1108 du Code Civil parle en effet de « cause licite dans l’obligation ». Dans les contrats synallagmatiques, la cause de l’obligation d’une partie correspond à 1 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982, n° 30. 2 Cass. Civ. 1ère 6 décembre 1989, JCP G 1990, II, 21534, note PH. Delebecque ; D. 1990, p. 289, note Ghestin. 3 Abbas Karimi, L’application du droit commun en matière de clauses abusives après la loi n° 95-96 du 1er février 1995, JCP G n°13, 27 mars 1996, I 3918, n°14.

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l’obligation de l’autre partie. Le fondement de notre propre obligation correspond à l’obtention de l’exécution promise de son cocontractant1. Dans la célèbre affaire Chronopost2, la Cour de cassation s’est fondée sur cette notion de cause pour casser l’arrêt de la Cour d’appel qui avait jugé que, « même si la société Chronopost n'avait pas respecté son obligation de livrer au délai convenu, elle n'avait pas pour autant commis une faute lourde, exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ». Or, Chronopost s'était engagée à livrer les plis de la société dans un délai déterminé. Ainsi, en raison du manquement à cette obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l'engagement pris, devait être réputée non écrite. La Cour a alors considéré que « l’obligation essentielle du cocontractant était de livrer les colis à une heure précise, que la stipulation litigieuse avait pour conséquence de décharger le débiteur de son obligation principale et non plus seulement de réduire sa responsabilité ». Dès lors, l’obligation n’avait plus de contrepartie sérieuse et n’était donc pas causée. Ainsi la Haute juridiction demande l’élimination de la clause ayant pour effet ou pour objet de rendre non effectif l’équilibre voulu par les parties. A défaut d’annulation de l’entier contrat, les juges ont préféré rétablir l’équilibre contractuel en éliminant la clause litigieuse. Cette notion n’est pas pour autant satisfaisante pour les contrats de consommation étant donné son caractère trop général. Dès lors, tant par leur champ d’application restrictif que par leur généralité, ces notions de droit commun ne permettent pas de rétablir l’équilibre contractuel dans les contrats de consommation. Elles restent toutefois utiles pour les situations où le droit spécial de la consommation ne trouve pas à s’appliquer, c'est-à-dire dans les relations entre professionnels. Néanmoins, avec l’introduction de la notion de clause abusive dans la relation commerciale par la loi du 4 août 2008 dite de modernisation de l’économie, l’utilité de ces notions peut être remise en cause. En effet, l’article L.442-6 alinéa 2 du Code de Commerce dispose désormais qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations 1 H. Capitant, De la cause dans les obligations, 2ème éditions, p. 43. 2 Cass. Com. 22 octobre 1996, SA Banchereau c/ Sté Chronopost, Juris-Data n° 1996-003942, J-P. Chazal, JCP G, n° 29, 15 juillet 1998, I 152.

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créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Cette nouvelle disposition étant beaucoup moins restrictive que les précédentes, on peut se demander si les notions de droit commun vont toujours trouver à s’appliquer pour remédier aux clauses abusives dans ces contrats entre professionnels.

B. L’instauration du droit de la consommation : Etant donné l’inefficacité des règles de droit commun face aux phénomènes des clauses abusives dans les contrats entre professionnel, d’une part, et non-professionnel ou consommateur, d’autre part, l’instauration de dispositions spéciales s’avèrent nécessaire pour lutter contre ce déséquilibre contractuel. Ainsi les non-professionnels ou consommateurs vont être protégés par le droit de la consommation (1) qui prévoit des sanctions spéciales pour les clauses abusives insérées dans les contrats de consommation (2).

1. La protection du consommateur par le droit de la consommation : Le droit de la consommation n’étant apparu que dans les années 70-80, seul le droit général des contrats était, pendant longtemps, en mesure de prendre en considération le problème des clauses abusives. Or bien avant l’élaboration de la loi Scrivener du 10 janvier 1978, les clauses abusives avaient déjà fait leur apparition dans un bon nombre de contrat et se voyaient appliquer le droit commun. Néanmoins, les civilistes n’ont pas su bien la définir et ce n’est qu’après 1978, que cette notion de clause abusive a trouvé une place importante en droit de la consommation. Les clauses abusives sont définies comme des stipulations contractuelles, et donc écrites, qui aménagent les obligations des parties à un contrat en faveur de l’un mais au détriment de l’autre. C’est dans les contrats de consommation que les clauses abusives sont le plus représentées car il y a de fortes inégalités entre les contractants au contrat. Alors que les auteurs considèrent qu’il s’agit d’une inégalité économique, il s’avère que cette inégalité soit plus technique : une partie au contrat, connaissant des choses que l’autre ignore, va donc pouvoir aménager sa position dans un sens qui lui est favorable. En effet, le professionnel a connaissance du produit ou du service qu’il propose alors que le consommateur ignore ce qui fait éventuellement défaut. Puis l’inégalité se retrouve dans l’exécution de l’obligation,

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puisque le professionnel sait comment il va pouvoir tenir ses engagements à la différence du consommateur qui ne mesure pas dans quelles conditions il va pouvoir remplir son obligation. Enfin, la relation est fréquemment dominée par une inégalité dans les connaissances des conséquences légales de la conclusion d’un tel contrat. A la différence du consommateur, le professionnel est au courant des risques qu’il encourt s’il ne respecte pas son obligation et sait comment contrebalancer cette difficulté. C’est donc en 1978, que la première grande vague consumériste s’est propagée sur le droit français des contrats. Le principe de la protection des clauses abusives a donc été posé à cette époque mais sa portée était limitée puisqu’il était confié au seul pouvoir réglementaire. En effet, l’article 35 de la loi prévoyait que « dans les contrats conclus entre les professionnels et les consommateurs, et pour protéger ces derniers, des décrets en Conseil d’Etat peuvent, après avis d’une commission spécialisée interdire, limiter, réglementer les clauses relatives au prix, à la prestation matérielle, aux responsabilités, à l’exécution, à la rupture ou à la reconduction de la convention, lorsqu’elles paraissent imposées au consommateur par un abus de puissance économique du professionnel et lui confèrent un avantage excessif. De telles clauses abusives, stipulées en contradiction avec les dispositions qui précèdent, sont réputées non écrites. (…) »1. Cet article mettait en avant, à propos des contrats conclus entre professionnels et consommateurs, un principe général de prohibition de clauses apparaissant imposées au second par un abus de puissance économique du premier et conférant à celui-ci un avantage excessif. La délicate mission d’éliminer les clauses abusives de la vie contractuelle fut abandonnée à l’exécutif. Le Conseil d’Etat était donc appelé à jouer un rôle indirect mais essentiel dans la détermination de la notion. Il devait en effet contribuer à préciser ce qu’est « un abus de puissance économique conférant à son bénéficiaire un avantage contractuel excessif ». Le droit de la consommation part de l’idée que la puissance économique peut engendrer, dans le commerce des biens et des services, des comportements abusifs tels que la fixation unilatérale des conditions des échanges et des activités, que le droit doit combattre.

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets en Conseil d'Etat pris après avis de la commission instituée par l'article L. 132-2, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou

1 Article L.132-1 du Code de la Consommation.

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déterminable du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif. De telles clauses abusives, stipulées en contradiction avec les dispositions qui précèdent, sont réputées non écrites. (…) »

Presque vingt ans après le développement du droit des clauses abusives dans le droit de la consommation, une réforme tendant à la mise en conformité du droit français avec la directive européenne n° 93-13 du 5 avril 1993, est venue apporter quelques modifications. La loi de transposition du 1er févier 1995 a notamment consacré le pouvoir judiciaire dans l’appréciation des clauses abusives. Alors, qu’il se bornait à constater les clauses déclarées abusive par décret, le juge a, en 1991, décuplé son pouvoir d’interprétation. Désormais, il peut déclarer une clause abusive alors qu’aucun décret relatif à ladite clause n’a été pris auparavant. Le législateur consacre également la liste de clause susceptible d’être abusive prévue par la directive. Cette liste, purement indicative, aide le juge dans l’accomplissement de sa nouvelle prérogative. Enfin, la réforme a conduit à la réécriture de l’article L.132-1 du Code de la Consommation qui prévoit dorénavant que :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non- professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l'article L.132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives au sens du premier alinéa. Une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n'est pas dispensé d'apporter la preuve du caractère abusif de cette clause. (…) Les clauses abusives sont réputées non écrites. (…) Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses. Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

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En 2008, on assiste à une extension du domaine de la lutte contre les clauses abusives. La loi du 4 août 20081 abroge l’annexe de l’article L.132-1 du Code de la Consommation et la remplace par deux listes de clauses déterminées par décret pris en Conseil d’Etat. Cette modification amène une nouvelle réécriture de l’article L.132-1 du Code de la Consommation qui prévoit désormais : « (…) Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée à l’article L.132-2, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa. (…) »

Elle élargit par la même occasion, le champ d’application des clauses abusives, puisque maintenant l’article L.442-6, 2° du Code de Commerce protège les professionnels contre les clauses abusives, en engageant la responsabilité du professionnel qui « soumet ou tente de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Désormais ces clauses produisent les mêmes effets, quels que soient les contractants auxquels elles sont imposées.

2. La sanction des clauses déclarées abusives : La sanction première des clauses abusives est leur nullité. Toutefois, il existe d’autre procédure permettant de lutter contre ce type de clauses, soit à titre de sanction, soit à titre préventif. � S’agissant de l’éradication des clauses abusives existantes, le Code de la

Consommation prévoit un système de sanction relativement efficace. Dès lors qu’une clause abusive a été stipulée dans un contrat, la clause sera réputée non écrite2, c'est-à-dire qu’elle sera privée de tout efficacité. La nullité de la clause abusive ne s’étend pas à l’ensemble du contrat. Ce dernier reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées 1 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, JORF n° 0181 du 5 août 2008. 2 Article 35 de la loi du 10 janvier 1978, devenu l’article L.132-1 alinéa 6 du Code de la Consommation.

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abusives s'il peut subsister sans elles1. Toutefois il en va différemment si la clause annulée était la cause implicite et déterminante du consentement. Dans ce cas là, si le professionnel a rapporté la preuve de ce lien, c’est le contrat dans son ensemble qui disparaît. La loi ne précise pas la nature de la nullité mais s’agissant d’un ordre public de protection, la doctrine dominante y voit une nullité relative2. Ainsi les consommateurs doivent être les seuls à pouvoir l’invoquer. Souvent, c’est lors d’une procédure engagée par le professionnel en exécution du contrat, que le consommateur invoquera comme moyen de défense le caractère abusif d’une clause. Néanmoins rien ne les empêche d’agir au principal et d’engager une action contre le professionnel sur l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Toutefois, en dépit du principe d’exclusivité de l’action soulevée par les consommateurs ou les non-professionnels, le juge a la possibilité, à l’occasion d’un litige, de soulever d’office le caractère abusif d’une clause. En effet, selon la Cour de Justice des Communautés Européennes, la protection que la directive du 5 avril 1993 assure aux consommateurs, implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales3. Cette possibilité a été consacrée dans l’article L.141-4 du Code de la Consommation qui reconnaît au juge le pouvoir de relever d’office un moyen au droit de la consommation4. L’éradication de la clause apparaît comme la meilleure protection du consommateur qui n’a généralement pas intérêt à ce que le contrat disparaisse. Cette solution est tout à son avantage puisque le contrat est rééquilibré et maintenu. Par contre, cette sanction présente une limite liée au principe de l’autorité de la chose jugée en vertu duquel l’effet de la nullité sera limité aux parties à l’instance. La nullité de la clause n’est toutefois pas sa suppression matérielle et de ce fait ces clauses, bien qu’interdites, sont encore insérées dans des contrats de consommation pré-rédigés par les

1 Article L.132-1 alinéa 8 du Code de la Consommation. 2 Ghestin, Traité de droit civil, t. 2, le contrat : formation, 2ème édition 1988 n°606-1 ; Calais Auloy et Steinmetz Droit de la consommation Dalloz 5ème édition 2000 n°187. 3 CJCE 27 juin 2000, C-240/98 Oceano, Rec. CJCE I p.4941, JCP G 2001 II 10513. 4 Article 34 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

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professionnels et respectées par le consommateur qui ignore le plus souvent l’existence des décrets et leur portée. � S’agissant de l’éradication des clauses abusives à venir, l’article L.421-6 du Code de

la Consommation donne aux associations de consommateurs la possibilité d’agir, à titre préventif, en suppression de clauses illicites ou abusives1 afin de permettre une meilleure lutte contre les clauses abusives. Cette possibilité résulte du fait qu’une clause, qui a été judiciairement déclarée abusive, ne disparaît pas de l’univers des contrats de consommation. En effet, rien n’empêche le professionnel de la maintenir dans les autres contrats qu’il proposera aux consommateurs. Ainsi pour permettre une éradication plus complète de ces clauses, l’article L.421-6 du Code de la Consommation permet à certaines associations de consommateurs de demander à la juridiction civile d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur. La Cour de cassation2 a admis que les associations exerçant une telle action puissent obtenir des dommages intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif. Dans cette affaire, il était question d’une association de consommateurs agréée3 qui avait saisi les juridictions civiles afin de voir supprimer certaines clauses d’un contrat-type utilisé par une société. Pour débouter l’association de sa demande de dommages intérêts en répartition du préjudice subi par les intérêts collectifs des consommateurs, les juges du fond ont relevé que l’article L.421-6 du Code de la Consommation ne prévoyait pas, en faveur des associations habilitées, lors de l’exercice d'une action en suppression de clauses abusives, un droit à réparation et donc l’octroi de dommages intérêts. Néanmoins, « considérant qu’une association agrée de défense des consommateurs est en droit de demander devant les juridictions civiles la réparation, notamment par l’octroi de dommages intérêts, de tout préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs », la Cour de cassation a jugé que la Cour d’appel avait violé les articles L.421-1 et L.421-6 du Code de la Consommation.

1 Loi du 5 janvier 1988. 2 Cass. Civ. 1ère, 5 octobre 1999, Bull. civ. I n° 260, D. 2000, 110, note Paisant. 3 Article L.411-1 du Code de la Consommation.

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Par ailleurs, la Cour de Justice des Communautés Européenne a considéré que l’action d’une association de consommateurs tendant à faire retirer préventivement des clauses abusives d’un contrat était de nature extra-contractuelle1. Cette action est exercée de manière autonome devant la juridiction civile et peut être menée en l’absence de tout dommage individuel subi par un consommateur et sans que le texte ne requiert un préjudice collectif à l’intérêt des consommateurs. La jurisprudence n’exige pas que cette faculté soit exercée par voie de demande initiale au sens de l’article 53 du Code de procédure civile2. L’idée générale est que l‘on recherche avant tout l’éradication de la clause litigieuse. Cela explique que l’action ne puisse prospérer faute d’objet si les contrats ou les clauses litigieuses ont disparu3 ou si l’acte litigieux n’a pas été conclu entre un professionnel et un consommateur. Néanmoins cette action en suppression des associations de consommateurs agréées leur permettant d’agir préventivement dans un contrat type n’a pas permis d’éradiquer efficacement ces clauses. En effet, l’action de l’article L.421-6 du Code de la Consommation ne permet pas de les éliminer efficacement des contrats malgré sa dimension préventive. Etant donné l’inefficacité des sanctions afférentes à l’élimination des clauses abusives, ne faudrait-il pas assortir la nullité de la clause d’une sanction pénale à l’encontre des contrevenants ? La Commission des clauses abusives a même formulé de nombreuses propositions de réforme en ce sens. Dès 1978, dans son rapport d’activité4, elle considère que « pour que les clauses abusives disparaissent il faut une sanction plus dissuasive : une sanction pénale ». La Commission propose donc qu’un texte législatif prévoie une peine correctionnelle à l‘encontre des professionnels qui inséreraient dans les contrats qu’ils proposent aux non-professionnels ou consommateurs une clause interdite par décret en application de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978. Toutefois, le législateur et le gouvernement ne semblent pas du même avis que la Commission, et cette proposition mainte fois formulée et reprise par la doctrine5 et les associations de consommateurs n’a pas été

1 CJCE 1er octobre 2002, D. 2002, somm. 2930, obs Pizzio. 2 Cass. Civ. 1ère, 6 janvier 1994, Bull. civ, I n° 8 ; D. 1994 somm. 209. 3 Cass. Civ. 1ère, 13 mars 1996, Bull. civ. I n° 134 ; Cass. Civ. 1ère, 1er février 2005, Bull. civ. I n°89, 61 et 62 ; D. 2005, 487. 4 Rapport d’activité pour l’année 1978, BOSP du 13 juin 1979, site de la CCA : www.clauses-abusives.fr 5 Hélène Davo et Yves Picot , Droit de la consommation, éd. Armand Colin, 2005 n° 265.

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retenue par la loi nouvelle. Ses conséquences tant financières qu’en termes d’image à l’égard des professionnels contrevenants paraissent trop importantes. Alors pourquoi ne pas imaginer une autre sanction, comme l’amende civile, qui pourrait être infligée au professionnel continuant d’insérer dans ses contrats des clauses pourtant interdites. Cette hypothèse, de nombreuses fois évoquée par les consuméristes, n’est pas plus au goût du jour. D’autant plus que les clauses devant être en priorité supprimées sont celles présentes dans les contrats des professionnels notoires (fournisseurs d’accès Internet, de téléphonie mobile, site de e-commerce, concessionnaires automobiles, etc.). Or ces derniers ont suffisamment de ressources pour ne pas être inquiéter par ce type de peines . II. Les critères légaux d’identification de l’abus A l’origine, plusieurs conditions étaient nécessaires pour qualifier une clause d’abusive. D’une part, il fallait que la clause ait été imposée au consommateur par un abus de la puissance économique, ce qui déplaçait l’imprécision liée à la notion d’abus sur l’appréciation de l’usage de la puissance économique (B). Et d’autre part, il fallait que la clause confère au professionnel un avantage excessif (A), ce qui ajoutait la difficulté de l’appréciation de l’excès à celle de l’abus.

A. L’avantage excessif : Une clause est abusive lorsqu’elle répond aux critères de l’abus, imposés par la loi Scrivener du 10 janvier 1978, dans son quatrième chapitre « De la protection des consommateurs contre les clauses abusives »1. Insérer la notion de clauses abusives dans le droit de la consommation était une chose mais en donner une définition en était une autre. Lors de l’élaboration de cette conception, les rédacteurs du texte sont partis du principe que le consommateur était « la partie faible » au contrat. Alors que les sénateurs voulaient faire ressortir cet état de faiblesse dans le texte de 1 Article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur l’information et la protection des consommateurs de produits et de services.

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loi, l’Assemblée nationale préférait employer la notion d’ « avantage exorbitant », plus précise et révélatrice. Ainsi pour trouver un terrain d’entente, la loi du 10 janvier 1978 a retenue la notion d’ « avantage excessif ». L’article 35 de la loi définit les clauses abusives comme des clauses qui « apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ». La notion de clause abusive est donc caractérisée par l’octroi d’un avantage excessif au profit du professionnel. Pour préciser ce principe, il convient de s’intéresser aux domaines dans lesquels les clauses abusives sont représentées1. Selon H. BRICKS, le caractère abusif d’une clause peut être déterminé lorsqu’elle est relative au prix, aux conditions de versement ou à la consistance même de la chose. Dans ce cas là, l’avantage octroyé au professionnel par le jeu de la clause abusive est de nature pécuniaire. Mais s’agissant des clauses relatives aux conditions de livraison de la chose ou aux conditions d’exécution, de résiliation, de résolution ou de reconduction des conventions, il en va différemment. Certes ces clauses peuvent être déclarées abusives comme les précédentes, mais le professionnel ne réalise aucun profit. Par conséquent, ce qui caractérise l’avantage excessif ne relève pas seulement du domaine pécuniaire mais recouvre aussi un avantage plus technique, plus juridique. Bien souvent, le gain que procure la clause au professionnel correspond plus à un avantage dans l’exécution du contrat, qui lui est facilité, qu’à un enrichissement. La conséquence de ce bénéfice, dont s’accorde le professionnel, se fait bien sûr au détriment du non-professionnel ou du consommateur, cocontractant. Pour mesurer ce désavantage, il convient d’analyser le contrat dans son ensemble et de comparer les prestations réciproques afin de détecter celles qui ne font pas l’objet d’une contrepartie et qui avantagent ainsi le professionnel. Alors que le projet de loi protégeait les consommateurs ou non-professionnels contre les clauses qui entraînaient un avantage excessif au profit du professionnel, le texte final a réduit la définition en énonçant trois critères pour caractériser l’existence d’une clause abusive. Une clause ne pouvait être déclarée abusive que si elle procurait un avantage excessif imposé par un abus de puissance économique du professionnel et portant sur un des éléments décrits dans la loi, à savoir au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi que son versement, 1 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982, n°165.

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la consistance de la chose ou la livraison, la charge des risques, l'étendue des responsabilités et garanties, les conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions. La loi énumérait donc un certain nombre d’éléments sur lesquels devaient reposer la clause, et donc l’avantage excessif, pour pouvoir être qualifiée de clause abusive. Même si la liste couvrait un certain nombre d’hypothèse, cette énumération réduisait le champ d’application de la législation sur les clauses abusives. Elle restreignait également de manière significative la protection du consommateur qui ne pouvait invoquer le caractère abusif d’une clause que dans ce cadre précis. Par ailleurs, la nature de cette liste n’était pas des plus avantageuses pour le consommateur. Généralement lorsque l’on veut citer différents éléments, on utilise l’adverbe « notamment » pour faire état de la non-exhaustivité du texte. Ainsi, un élément extérieur à la liste peut quand même être invoqué pour caractériser une clause abusive. Or, dans la loi de 1978, l’emploi de cet l’adverbe faisait défaut. Dès lors, la liste semblait plus limitative qu’indicative ; toute situation non mentionnée ne pouvant être retenue. Seulement le législateur a oublié de citer l’hypothèse des clauses de renvoie par lesquelles le professionnel, pour pouvoir utiliser ces conditions générales de vente, démontre que le consommateur en a eu la connaissance. Par cette clause, il va se réserver cette preuve en faisant signer la clause au consommateur qui déclare avoir eu connaissance des conditions générales de vente dès la conclusion du contrat. Le décret d’application du 24 mars 1978 avait considéré que ce genre de clause était interdit. Toutefois, n’étant pas définie dans la liste limitative des événements rendant une clause abusive, cette situation ne pouvait pas être interdite. Ainsi dans un arrêt du 3 décembre 19801, le Conseil d’Etat a jugé que :

« L’article 35 premier alinéa de la loi du 10 janvier 1978 (…) n’autorise le gouvernement à utiliser les pouvoirs qu’il tient de ces dispositions que pour interdire, réglementer ou limiter les seules clauses relatives aux éléments contractuels limitativement énumérées audit alinéa (…). En prescrivant par l’article 1er du décret du 24 mars 1978 (…) qu’est interdite (…) la clause ayant pour effet de constater l’adhésion du non professionnel ou consommateur à des stipulations contractuelles qui ne figurent pas sur l’écrit qu’il signe, le gouvernement a interdit une clause dont l’objet peut porter sur des éléments contractuels autres que ceux limitativement énumérés dans cet alinéa, qui ne révèle pas dans tous les cas un abus de puissance économique et qui ne confère pas un avantage excessif aux professionnels. »

1 CE 3 décembre 1980, D. 1981. 228, note Larroumet.

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Autrement dit, le Conseil d’Etat a exclu les clauses ayant pour objet ou pour effet de constater l’adhésion du consommateur à des stipulations contractuelles qui ne figurent pas dans l’écrit qu’il signe, étant donné qu’il considère la liste comme limitative. Cette décision atténuait fortement la protection du consommateur qui se trouvait désarmé face à des situations, pourtant préjudiciables, mais portant sur des éléments « oubliés » par le législateur.

B. La puissance économique : Ce deuxième critère vient compléter celui relatif à l’avantage excessif que nous venons d’étudier. Dans la description de la notion de clause abusive, on parle de clauses qui « apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ». Ce second aspect du caractère abusif limite son domaine d’application étant donné que pour être caractérisé, les deux critères doivent se retrouver dans la clause litigieuse. Il aurait été préférable que la clause soit automatiquement abusive dès lors qu’elle permette au professionnel de s’octroyer un avantage dont le consommateur ne bénéficie pas. En outre, comme nous l’avons évoqué précédemment, les clauses abusives se situent principalement dans les contrats d’adhésion, c'est-à-dire les contrats rédigés unilatéralement par le professionnel et soumis en bloc à l’adhésion du consommateur. Or, à l’instar de l’ « abus de puissance économique », ce mode de conclusion des contrats fait nécessairement état d’une supériorité du professionnel vis-à-vis du contractant. Il n’était donc pas utile de rajouter ce critère ; il suffisait de qualifier le contrat pour constater l’infériorité du consommateur et ensuite analyser si la clause octroyait au professionnel un avantage excessif. Toutefois, la démonstration de cet abus étant difficile à rapporter et la Cour de cassation ayant adopté une position protectrice du consommateur, il avait été convenu de la présomption de cet abus dès lors que les autres critères étaient remplis. Dans la définition de la clause abusive de 1978, le législateur utilise la notion d’abus de puissance économique mais ne la cantonne pas uniquement au caractère financier. Au contraire, l’abus de puissance économique recouvre bien d’autre domaine que le seul ordre pécuniaire. En effet, le professionnel ne dispose pas toujours d’une supériorité financière sur le consommateur. L’abus peut très bien résulter du fait que le professionnel impose sa volonté

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au contrat. Il connaît son domaine d’activité et les règles qui le régissent, alors que le consommateur ou le non-professionnel les ignore totalement ou presque. Il a conscience des droits et obligations qui sont mis à la charge de chacune des parties et sait comment il va pouvoir exécuter la prestation qui lui est demandée. Le consommateur ou le non-professionnel n’apprécie pas forcément l’étendue de ses obligations et de ses devoirs. C’est pour cette raison que l’abus de puissance doit être caractérisé de supériorité « technique » plus qu’« économique »1. On se rend bien compte qu’indépendamment de la dénomination qui est donnée aux critères de l’abus, ce dernier peut recouvrir diverses hypothèses. Cette indétermination précise de l’abus, qui ressortait de la loi du 10 janvier 1978, répondait à la volonté du législateur de confier au pouvoir réglementaire la détermination des clauses abusives et le soin de prendre des mesures concrètes pour éliminer ce type de stipulations des contrats de consommation. Or, lorsqu’en 1991 la Cour de Cassation a reconnu au juge judiciaire le pouvoir de déclarer une clause abusive en dehors de toute référence à un texte réglementaire spécial, la jurisprudence a été amenée à préciser les critères utilisés par l’article 35 de la loi de 1978. Ainsi la Cour de Cassation a considéré que l’abus était présumé lorsque le professionnel avait usé d’un contrat pré-rédigé pour recueillir le consentement du consommateur2. Les contrats d’adhésion sont en tant que tels imposés par un abus de puissance économique. Par conséquent, les juges doivent automatiquement centrer leur analyse sur la notion d’avantage excessif, privant ainsi le critère de toute utilité. Etant donné l’utilisation massive des contrats d’adhésion en matière de consommation et à leurs conséquences pour la partie adhérente au contrat, la réglementation française de 1978 a imposé l’équilibre dans cette relation contractuelle. Le rédacteur du contrat, c'est-à-dire le professionnel, ne pouvait plus se contenter de considérer que tout ce qui n’était pas interdit expressément était autorisé et que toute clause non contraire à un texte d’ordre public était valable. Il devait adopter un comportement loyal et équitable envers son cocontractant et prendre en considération les intérêts légitimes de chacun. A défaut, il pouvait être sanctionné sur le fondement des clauses abusives et voir sa clause réputée non écrite, le contrat étant toutefois maintenu. Néanmoins, la définition qui a été donnée à la clause abusive est trop 1 Hélène BRICKS, Les clauses abusives, LGDJ 1982, n° 168. 2 Cass Civ. 1ère 6 janvier 1994, Bull. civ. I, n° 8 ; JCP G 1994, II, 22237, note Plaisant ; Contrats, conc. Consom. 1995, comm. N° 58, obs. Raymond.

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imprécise pour atteindre une protection efficace du consommateur. afin de remédier à cette insuffisance, une simplification du dispositif et une modification de ce critère d’abus s’imposaient. Réformant la rédaction de l’article 35 de la loi 1978, la loi du 1er février 1995 a d’ailleurs supprimé toute référence à cette idée d’abus de puissance économique jugée inutile et restrictive.

Section 2 : La précision du critère de l’abus : De l’avantage excessif imposé par un abus de puissance économique en 1978, au déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en 1995, la législation sur les clauses abusives n’a pas évolué dans le sens d’un éclaircissement des critères de l’abus, bien au contraire (I). Elle a récemment été complétée par des listes de clauses abusives (II). I. Une nouvelle formulation européenne Lors de la transposition de la directive du 5 avril 1993 en droit français, le législateur a mis en place un nouveau critère (A) et par conséquent une nouvelle méthode d’appréciation de cet abus (B).

A. La substitution du déséquilibre significatif à l’avantage excessif : La loi du 1er février 1995 a réformé la loi du 10 janvier 1978 qui fit la première, avec son article 35, à élaborer un arsenal juridique tendant à l’élimination des clauses contenues dans les contrats conclus entre les professionnels et non-professionnels ou consommateurs. A l’origine, pour être abusive, une clause devait nécessairement avoir été imposée par un abus de la puissance économique du professionnel et porter sur des éléments limitativement énumérés par la loi (clause relative au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions) afin de créer un avantage excessif au profit du professionnel. Ces critères ont

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disparu avec la transposition en droit français de la directive du 5 avril 19931 qui vise à assurer une protection mieux harmonisée des droits au sein de l’union européenne. Transposée en droit français par une loi de 19952, elle définit la clause abusive comme « toute clause ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat »3. Désormais une seule condition est nécessaire : le déséquilibre significatif. Le nouvel article ne reprend pas littéralement les anciens critères de l’abus pour qualifier une clause abusive mais s’en inspire fortement. En effet, il substitue notamment à l’avantage excessif procuré au professionnel, la notion de déséquilibre significatif. Néanmoins, aucune précision n’a été apportée quant à cet adjectif de « significatif ». La précision légale de ce critère risque de limiter à l’excès l’objectif de rééquilibrer les contrats, notamment si on considère qu’il renvoie à celui de « manifeste ». Bien souvent le caractère abusif d’une clause n’est pas évident. Au contraire, c’est généralement dans l’interprétation de la clause et dans le constat de ses imprécisions que le déséquilibre se caractérise. Ce dernier est significatif s’il entraîne des conséquences importantes sur le contrat, c'est-à-dire s’il porte sur les obligations respectives des parties. Autrement dit, il y a déséquilibre lorsque le consommateur n’aurait pas accepté la clause s’il avait eu le choix réel. Ainsi la clause qui impose l’exécution du contrat par le consommateur même en cas d’inexécution des obligations du professionnel est incontestablement abusive. Alors que celle, qui impose une exécution partielle au consommateur après l’arrêt de l’exécution de sa prestation par le professionnel, n’est pas déclarée abusive. C’est par rapport au poids de la clause incriminée et de sa contrepartie éventuelle que l’appréciation devra être faite. Ainsi le droit de résiliation unilatérale pour le professionnel ne sera abusif que si ce même droit n’est pas accordé au consommateur. A une approche strictement juridique de la clause, le législateur a préféré mêler une approche juridique et économique. Par cette réglementation, il tend à parvenir à restaurer une véritable liberté des consentements entre contractants. Par conséquent, une clause déclarée abusive pour un contrat ne le sera pas nécessairement pour un autre. L’appréciation d’une clause abusive devient spécifique à chaque situation donnée. Malgré tout, il convient de rappeler que 1 Directive 93-13 du 5 avril 1993 relative les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. 2 Loi 95-96 du 1er février 1995, JO 2 février 1995 p.1755. 3 Article L.132-1 du Code de la Consommation.

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les contrats proposés aux consommateurs sont souvent standardisés et par conséquent similaires. En tout état de cause, la jurisprudence considère que l’appréciation du caractère abusif d’une clause ne dépend pas du caractère principal ou accessoire de l’obligation contractuelle concernée.

B. La nouvelle appréciation du caractère de l’abus : Avec le nouveau critère de l’abus, toutes les clauses entrent dans le champ d’application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation dès lors qu’elles ont « pour objet ou pour effet de créer au détriment du non professionnel ou du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ». Néanmoins, le législateur a fixé une limite : l’appréciation du caractère abusif de la clause ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération du bien vendu ou du service offert1. La protection n’a pas pour objet de remédier à un éventuel déséquilibre économique entre un bien ou un service et le prix à payer, mais bien à éviter le déséquilibre créé par les clauses d’un contrat. Cependant, cette exception est limitée puisqu’elle n’est applicable qu’aux clauses rédigées de façon claire et compréhensible. Donc a contrario, lorsqu’une clause peut être attaquée sur sa forme, elle pourra être attaquée au fond en prouvant l’existence d’un déséquilibre entre les prestations du point vue du prix – rapport entre le prix payé par un consommateur et le service offert – ou de la définition de l’objet du contrat. Cette disposition s’inspire mais ne mentionne pas explicitement la solution prévue par l’article 3 de la directive de 1993 qui considère comme abusive la clause qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Cette règle, même si elle permet de rappeler indirectement le principe général de la liberté contractuelle, est relativement ambiguë puisqu’elle pose un principe qui peut être facilement contourné par le biais de l’interprétation. Le changement par rapport à la loi du 10 janvier 1978 est important. L’article 35 considérait comme abusives les clauses qui paraissaient imposer au consommateur ou au non- 1 Article L. 132-1 alinéa 7 du Code de la Consommation issu de l’ordonnance du 23 août 2001

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professionnel par un abus de puissance économique et qui conférait au professionnel un avantage excessif. La formule, plus précise que celle utilisée par la directive, était toutefois plus restrictive. Ces critères limitatifs ont disparu au profit d’un critère plus large sur la forme même si le fond reste le même. En supprimant l’abus de puissance économique antérieurement nécessaire pour qualifier une clause abusive, ce texte a manifestement simplifié la notion de clause abusive. Même si le but principal de la réglementation reste de palier un déséquilibre excessif ou significatif, l’appréciation de ce déséquilibre diverge. Désormais, il doit s’apprécier en se plaçant dans la situation du consommateur. Toutefois, lors de la transposition de la directive de 1993, le législateur français a repris la liste indicative de clauses qui ne sont ni interdites, ni présumées abusives mais qui peuvent cependant être considérées comme abusives. Cette liste, annexée au Code de la Consommation1, n’est pas exhaustive et n’a pas d’effet juridique ; elle est simplement là pour donner des exemples de clauses qui peuvent être caractérisés de clauses abusives. Il appartient toujours au consommateur de rapporter la preuve du caractère abusif de la clause même si elle figure dans ladite liste. En transposant en 1995 la directive communautaire de 1993, le législateur a annexé à l’article L.132-1 du Code de la Consommation, cette liste de clauses. Comme elle le faisait avec cette liste blanche, la loi du 1er février 1995 donne d’autres pistes au juge pour le guider dans son appréciation, non plus de l’avantage excessif que la clause entraîne, mais du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. L’alinéa 5 de L.132-1 du Code de la Consommation prévoit en effet que le caractère abusif doit s’apprécier en tenant compte du contexte contractuel, c'est-à-dire non seulement par rapport aux autres clauses du contrat et à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, mais aussi au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque leur conclusion ou leur exécution dépendent juridiquement l’un de l’autre. Ce n’est donc pas isolément mais au regard de l’ensemble de l’opération contractuelle qu’il faut apprécier le rôle plus ou moins prépondérant de la clause litigieuse dans le déséquilibre contractuel global. Par ailleurs, il est nécessaire que le juge se place à la date de la conclusion du contrat pour déterminer le caractère abusif de la clause2.

1 Article L. 132-1 alinéa 3 du Code de la Consommation. 2 Article L.132-1 alinéa 5 du Code de la Consommation.

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Récemment, avec la loi du 4 août 2008, la réglementation des clauses abusives a connu une nouvelle évolution même si la définition et les caractéristiques restent inchangées par rapport à ceux adoptés par la loi de 1995. Son décret d’application du 18 mars 2009 a abrogé cette liste purement indicative et l’a remplacée par deux listes de clauses abusives : une liste noire et une liste grise. II. Un critère complété par des listes de clauses abusives La loi de modernisation de l’économie d’août 2008 et son décret d’application ont renforcer la protection des consommateurs contre les clauses abusives en élaborant deux listes de clauses (B) tout en maintenant le principe même de l’abus (A).

A. Un critère unique dans la détermination des clauses abusives : Même si le nouvel article L.132-1 du Code de la Consommation, issu de la loi du 4 août 2008, met en place un nouveau mécanisme de lutte contre les clauses abusives par l’adoption de décret pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission des clauses abusives, la notion même d’abus reste inchangée :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

Dans certaines hypothèses, l’abus n’est pas immédiatement décelable et il s’avère nécessaire d’interpréter la clause pour déterminer si elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’abus dépend ici de l’interprétation de la clause. L’article L.132-1 du Code de la Consommation délègue au juge le pouvoir d’apprécier si les clauses contenues dans un contrat conclu entre des professionnels et des non-professionnels ou consommateurs ont pour objet ou pour effet de créer au détriment de ces derniers un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le juge doit interpréter la clause et déterminer la portée de la stipulation contractuelle. Il doit vérifier si elle confère un avantage significatif au professionnel. Ce travail d’analyse du juge est facilité

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par des directives d’interprétation prévues à l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Tout d’abord, il existe deux listes de clauses abusives avec un pouvoir d’interprétation variable pour le juge. Alors, qu’il a la faculté de s’appuyer sur la liste de clauses pouvant être regardées abusives de l’alinéa 21, il est contraint de déclarer les clauses de la liste noire de l’alinéa 3 abusives ; aucune preuve contraire du caractère abusif n’étant admise2. Ensuite, le juge peut s’appuyer sur les règles indicatives d’interprétation du Code Civil et de l’alinéa 5 de l’article L.132-1 ainsi que prendre en compte l’environnement contractuel de la clause3. Enfin, le juge doit tenir compte de la délimitation de l’alinéa 7 relative au champ d’application du contenu des clauses pouvant être vues comme abusives4. L’interprétation, en vue de déceler l’abus, est donc exclue à l’égard des clauses définissant l’objet du contrat par respect du principe de la liberté contractuelle et des clauses d’adéquation du prix par respect de l’interdiction d’un contrôle généralisé de la lésion. Cette appréciation du déséquilibre significatif par le juge recouvre les hypothèses où l’abus se trouve dépendant de l’interprétation de la clause. Lorsqu’il est confronté à une clause qui n’est ni interdite par décret, ni illicite, il doit apprécier la clause pour vérifier si elle crée ou non un déséquilibre significatif. Avant la loi du 4 août 2008, cette situation était fréquente puisque la liste blanche de clauses n’était présentée qu’à titre indicatif. Le juge ne pouvait pas se dispenser de caractériser le déséquilibre significatif pour déclarer une clause abusive. Désormais, avec les deux nouvelles listes de clauses abusives, il en va différemment. Lorsque le juge est face à une clause de la liste noire, la question du déséquilibre significatif ne se pose 1 Art. L.132-1 al. 2 : un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse. 2 Art. L.132-1 al. 3 : un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa. 3 Article L.132-1 al. 5 : sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l’autre. 4 Article L.132-1 al. 7 : l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

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pas, puisqu’elle est par nature abusive. Par contre, pour les clauses de la liste grise, le professionnel a la possibilité de démontrer, qu’eu égard au contexte dans lequel si situe la clause, elle n’est pas abusive, et le juge devra alors interpréter la clause. Cette interprétation de la clause qui conduit à la réputer abusive est une question de droit qui relève du contrôle de la Cour de cassation. Pour la faciliter son travail, le juge peut solliciter pour avis la Commission des clauses abusives. Indépendamment de cette saisine, l’article L.132-2 du Code de la Consommation donne à la Commission la mission de rechercher si les modèles de convention habituellement proposés par les professionnels à leur contractants non-professionnels ou consommateurs contiennent des clauses qui pourraient présenter un caractère abusif. Elle devra donc interpréter les clauses pour les qualifier d’abusives. L’appréciation du déséquilibre significatif par la Commission recouvre donc les hypothèses où l’abus se trouve dépendant de l’interprétation de la clause. Les recommandations qu’elle émet à ce titre, ne sont ni des règles contraignantes1, ni des décisions administratives2. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont susceptibles d’être prises en compte par les juges, le législateur ou les professionnels sur lesquels elle exerce une influence afin qu’ils modifient leurs modèles de contrats pour tenir compte de ses préconisations. Le juge peut valider une clause suspectée par une recommandation et inversement déclarer abusive une clause qui n’est pas contraire à une recommandation. Elles sont de nature à éclairer les intéressés sur le caractère éventuellement abusif de certaines clauses.

B. Un critère suppléé par des listes de clauses : Dans certaines hypothèses la clause est immédiatement identifiable comme étant abusive sans qu’il soit nécessaire de l’interpréter. L’abus est ici indépendant de l’interprétation de la clause. En présence de telles clauses, il n’est pas nécessaire de rechercher si elles ont pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. C’est notamment le cas des clauses issues de décret pris en conseil d’état, et plus particulièrement celles figurant dans la nouvelle liste noire du décret du 18 mars 2009. 1 Cass. Civ. 1ère , 13 novembre 1996, Bull.civ. 1996, I, n°399. 2 CE 16 janvier 2006, recueil n°274721 et 274422.

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Auparavant, il y avait aussi ce genre de clauses interdites par décrets pris en Conseil d’état mais seulement trois interdictions étaient relevées :

- les clauses limitant ou excluant le droit à réparation du consommateur en cas de manquement du professionnel à ses obligations1.

Ce texte avait un champ d’application très restreint puisqu’il se limité aux seuls contrats de vente. Ainsi dans les contrats de prestation de service, ces dispositions n’étaient pas illicites sauf à démontrer, au cas par cas, qu’elles créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

- les clauses réservant au professionnel le droit de modifier unilatéralement les caractéristiques du bien à livrer ou du service à rendre2.

Cette interdiction avait toutefois une limite puisque les modifications liées à l’évolution technique étaient admises dès lors qu’elles n’entraînaient aucune augmentation du prix, ni altération de qualité et qu’elles réservaient au consommateur la possibilité de mentionner les caractéristiques auxquelles il subordonnait son engagement.

- les clauses relatives aux services financiers dans les contrats de commercialisation à distance3.

Ainsi, une clause qui imposait au consommateur d’apporter la preuve que le fournisseur de services financiers avait satisfait à ses obligations était donc systématiquement déclarée abusive et réputée non écrite. Ces interdictions prévues par décrets ont été abrogé avec la loi du 4 août 2008, et plus particulièrement par le décret d’application du 18 mars 2009. Désormais, il y a une liste noire prévue à l’article R.132-1 du Code de la Consommation qui précise et reprend ces clauses ainsi que quelques clauses de la liste blanche. Ces clauses sont considérées de manière irréfragable comme abusive. Puis, une liste grise dont la plupart des clauses sont celles de la directive. Alors que pour cette liste, le professionnel peut rapporter la preuve du caractère non abusif de la clause, ici aucune preuve contraire n’est admise. Ces clauses sont interdites par décret et sont donc de plein droit déclarées abusives. Les critères de l’abus sont alors très simple puisque ceux sont des critères légaux. 1 Ancien article R.132-1 du Code de la Consommation. 2 Ancien article R. 132-2 du Code de la Consommation. 3 Article R. 132-2-1 du Code de la Consommation.

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Il existe d’autres clauses dont le caractère abusif est inhérent à sa nature, ce sont les clauses contraires à des règles impératives. En effet, toute clause contraire à une disposition impérative du Code de la Consommation est une clause illicite qui doit être sanctionnée. La question qui se pose alors est de savoir si en plus d’être déclarée abusive, la clause peut être illicite ? La méconnaissance d’une règle impérative peut justifier une sanction spécifique distincte de la sanction de la nullité de la clause abusive. Ainsi afin de respecter cette spécificité, une partie de la doctrine considère qu’une clause illicite ne saurait être qualifiée de clause abusive. Pour les juges, il en va différemment puisqu’ils ont considérés qu’une clause qui contrevenait à une règle impérative devait être considérée comme une clause abusive. Il s’agit des clauses qui sont contraires à une règle de forme et celles qui sont contraires à une règle de fond.

A l’instar du critère déterminant l’abus, la réforme d’août 2008 a conservé le principe selon lequel l’appréciation du caractère abusif se réalise en prenant également en compte les éléments entourant la clause.

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Chapitre 2 : La prise en considération des éléments entourant la clause

Pour caractériser l’abus, un déséquilibre entre les droits et obligations des parties doit être relever dans la relation contractuelle. Toutefois, ces critères objectifs ne sont pas les seuls à être pris en compte pour qualifier l’abus. L’ensemble du contrat (Section 1) ainsi que les éléments extérieurs à la clause (Section 2) peuvent être retenu pour apprécier le caractère abusif.

Section1 : L’appréciation du contrat dans son ensemble pour caractériser une clause abusive : Les clauses abusives sont des clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Pour apprécier ce caractère abusif, il faut distinguer deux situations afin d’adopter la procédure adéquate. En effet, l’analyse diffère selon que l’on se trouve avec des conditions générales (II), ou avec un contrat en particulier, déjà conclu (I). I. Une appréciation « in concreto » de l’abus dans les contrats déjà conclus Dans les contrats déjà conclus, la détermination des clauses abusives se fait au moyen d’une analyse concrète, en prenant en compte les éléments entourant la clause (A). Et une fois qu’elles sont déclarées abusives, le juge n’a plus qu’à prononcer leur nullité (B).

A. L’analyse matérielle du caractère abusif : l ’ambiguïté de la clause envisagée :

Le Code de la Consommation précise que le caractère abusif d’une clause ne peut être retenu qu’en tenant compte du contexte contractuel. En effet, sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du Code Civil, le caractère

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abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat1. Ainsi, dans un arrêt d’avril 2009, la Cour de cassation démontre que la caractérisation du déséquilibre significatif, certes facilitée par les présomptions des deux listes du décret du 18 mars 2009, suppose avant tout une appréciation d'ensemble du contrat au sens de l'article L.132-1, alinéa 5 du Code de la Consommation2. En effet, c'est parce qu'elle a confronté la clause litigieuse à la stipulation permettant à l'établissement d'annuler en cas d'effectif d'élèves insuffisant l'inscription, que la Cour a pu considérer « qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher s’il résultait de l'ensemble des stipulations contractuelles un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en ce que le professionnel pouvait retenir des sommes versées par le consommateur lorsque celui-ci renonçait à conclure ou à exécuter le contrat, sans que soit prévu le droit, pour le consommateur, de percevoir une indemnité d'un montant équivalent de la part du professionnel lorsque c'était celui-ci qui renonçait, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L.132-1 ». Ce défaut de réciprocité, désormais présumé abusif3, ne pouvait se révéler que par une comparaison des stipulations. C'est également cette comparaison qui permet d'en déduire que le paiement du solde du prix, pénalité ici disproportionnée, soumet la résolution du contrat à des conditions plus sévères pour le consommateur que pour le professionnel, libre d'annuler son engagement pour un motif laissé à son appréciation — l'effectif « insuffisant ». Là encore, la présomption d'abus désormais attachée à ces clauses4 ne sera efficace qu'au regard d'une appréciation d'ensemble du contrat. Cet abus s’apprécie également au regard des clauses contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre5. Ainsi, plus qu'une seule clause, c'est souvent le contrat en son ensemble, voir même un groupe de contrats, qui doit être apprécié par le juge pour caractériser l’abus. D’une approche strictement juridique de la clause, le législateur est passé à une approche plus générale, alliant juridique et économique. Ce nouveau raisonnement a pour conséquence qu’une clause

1 Article L.132-1 alinéa 5 du Code de la Consommation. 2 Cass. Civ. 1ère, 2 avril 2009, n° 08-11596. 3 Articles R.132-2, 2° du Code de la Consommation. 4 Articles R.132-2, 3° et 8° du Code de la Consommation. 5 Exemple d’un prêt lié à une vente.

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déclarée abusive pour un contrat ne le sera pas nécessairement pour un autre. Ainsi lorsque le contrat est déjà conclu entre le professionnel et le consommateur et qu’une clause paraît créer un déséquilibre, l’appréciation de ce caractère abusif doit se faire « in concreto », c'est-à-dire en considération du consommateur contractant et des circonstances de la conclusion. Le juge doit tenir compte de la situation particulière des parties. Une clause abusive dans tel contrat ne le sera peut être pas dans un autre, notamment si elle a donné lieu à négociation et à contrepartie. L’appréciation du caractère abusif d’une clause ne dépend pas du caractère principal ou accessoire de l’obligation contractuelle concernée1. Elle est liée aux circonstances qui entourent la clause. Elle nécessite de se référer à l'intention des parties pour déterminer ce qu'elles sont censées avoir voulu. C'est ainsi que l'entend la Commission des clauses abusives qui, dans son rapport d'activité pour l'année 20072, indique que si l'appréciation du caractère abusif des clauses doit s'opérer « en considération de dispositions législatives ou réglementaires », elle « implique aussi la prise en considération de la dimension psychologique et sociologique des rapports contractuels ». Cette analyse conduit donc la Commission « à s'efforcer de replacer la clause examinée dans son contexte et d'en évaluer l'effet sur le consommateur moyen », ce qu'elle qualifie de « démarche essentiellement interprétative, guidée par l'équité » afin de « stigmatiser les clauses en raison du sens ou de la portée que ce consommateur moyen pourra être amené à leur donner ». C'est d'ailleurs à une opération d'interprétation que se livre un arrêt récent de la première chambre civile3 pour juger abusive une clause de déchéance du terme, insérée dans un contrat de prêt immobilier pour une défaillance extérieure audit contrat. L'emprunteur, qui avait pourtant régulièrement acquitté ses échéances, se trouvait donc soumis à une exigibilité anticipée de l'emprunt du fait de l'inexécution d'une obligation souscrite dans une convention distincte. L'arrêt d'appel qui avait jugé qu'une telle stipulation « n'est ni interdite par un texte ni abusive », est cassé par la Cour de cassation, au motif que par cette clause, « le consommateur se trouve ainsi exposé, par une décision unilatérale de l'organisme prêteur (…) à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification majeure de l'économie du contrat de prêt ». L'identification de la clause abusive suppose une opération d'interprétation de l'intention 1 Cass. Civ. 1ère, 3 mai 2006, Bull. civ. I n° 213 ; D. 2006. 2743, note Dagorgne-Labbe. 2 BOCCRF 9 mai 2008. 3 Cass. Civ. 1ère, 27 nov. 2008, n° 07-15.226, D. 2009. AJ. 16, obs. V. Avena-Robardet.

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des parties. Cette opération, qui précède la qualification de l'abus, est une interprétation principalement objective, ce qui justifie, comme en l'espèce, un contrôle de la Cour de cassation. Par ailleurs, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, la question de la transparence des clauses est envisagée à l’article L.133-2 du Code de la Consommation. Suivant les prescriptions de la directive communautaire du 5 avril 1993, les clauses de ces contrats doivent être « rédigées de façon claire et compréhensible », et « interprétées, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ». Le Code Civil poursuit en estimant que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »1. Ainsi, la sanction de l’obscurité ou de l’ambiguïté d’une clause consiste à refuser de lui donner le sens voulu par le professionnel pour préférer une interprétation à l’avantage du consommateur. Toutefois, toutes les clauses obscures ou ambiguës ne sont pas susceptibles d’être appliquées en faveur du consommateur2. La Cour de cassation adopte le raisonnement de la Commission des clauses abusives qui tend à recommander l’élimination des clauses qui, par leur rédaction équivoque ou trompeuse, sont de nature à laisser le consommateur dans l’incertitude ou à l’induire en erreur sur l’étendue de ses droits, notamment en lui donnant à penser que ceux-ci sont plus limités que ceux auxquels il pourrait légalement prétendre. Ce raisonnement qui consiste à établir un lien entre l’absence de transparence d’une clause et la reconnaissance de son caractère abusif voit sa légitimité renforcée avec l’ordonnance du 23 août 20013. Désormais selon le nouvel article L.132-1 alinéa 7 du Code de la Consommation, l’appréciation du caractère abusif des clauses relatives à la définition de l’objet principal du contrat ou à l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert est exclue lorsque les clauses s’y référant sont « rédigées de façon claire et compréhensible ». A contrario par conséquent l’absence de transparence justifie qu’on puisse les considérer comme abusives. Cette appréciation de l’ambiguïté ou de la transparence de la stipulation peut toutefois s’avérer difficile dans certains cas étant donné la relativité et la subjectivité qui les animent. Ce qui apparaît clair à l’un, peut sembler équivoque à l’autre, et inversement. Néanmoins, dans un souci de sécurité juridique, il serait 1 Article 1162 du Code Civil. 2 Cf. développement suivant B-2°L’interprétation favorable au consommateur des clauses litigieuses. 3 Article 16 de l’ordonnance 2001 modifiant l’article L.132-1 al. 7, JO 25 août 2001, p.13647.

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souhaitable d’adopter, comme c’est le cas dans bien d’autres domaines du droit de la consommation1, un raisonnement sur un modèle abstrait de « consommateur moyen ». En effet, distinguer selon que le consommateur concerné peut être qualifié d’avisé ou de responsable, d’ignorant ou de vulnérable, de confiant ou de crédule… risquerait d’aboutir à des solutions trop au cas par cas. Par contre, toute forme d'interprétation est écartée en présence de clauses pour lesquelles l'abus est immédiatement identifiable du fait de leur interdiction par décret2, dont la liste s’est enrichi du fait de l’adoption du décret de mars 2009. Pour ces clauses, qui répondent à un nouveau type d'abus caractérisé par la gravité des atteintes portées à l'équilibre du contrat3, la présomption de caractère abusif est irréfragable. En revanche, pour les clauses présumées abusives par décret4, et pour les clauses hors liste, soumises au contrôle du juge, l'interprétation retrouve une place. L’identification de la clause abusive se fait par voie réglementaire lorsque le caractère abusif dispense le juge d'une appréciation « in concreto ». Alors que pour d’autres clauses une individualisation au cas par cas, par le juge, du déséquilibre significatif.

B. La sanction des clauses abusives dans les contrats déjà conclus : Dans l'hypothèse où les clauses seraient obscures, deux types de sanctions sont envisageables : la nullité lorsque l’abus est caractérisé (1) ou l’interprétation dans un sens favorable au consommateur (2).

1 Exemple la publicité : Cass. crim. 21 mai 1984, D. 1985, p.105, note Marguery. 2 Loi n ° 2008-776, 4 août 2008, art. 86 3 Article L.132-1, alinéa 3 du Code de la Consommation. 4 Article L.132-1, alinéa 2 du Code de la Consommation.

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1. La nullité des clauses déclarées abusives : L’obscurité des clauses peut leur conférer un caractère abusif. Dans ce cas de figure, c'est bien par l'interprétation, en l'occurrence pour déceler le défaut de clarté, que s'opère la qualification de clause abusive1. Généralement lorsqu’un contrat de consommation a été conclu, la principale volonté du contractant est que cette relation aboutisse, indépendamment de la présence d’une clause abusive. Il a donc fallu trouver une sanction qui soit adaptée au souhait du consommateur pour éviter qu’il ne soit encore plus pénalisé en intentant une action pour clause abusive. Ainsi, l’article L.132-1 du Code de la Consommation prévoit qu’une clause déclarée abusive est réputée non écrite tout en maintenant le contrat dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses2. Autrement dit, sauf l’hypothèse de clause essentielle au contrat sans laquelle le contrat ne peut se maintenir, le principe est celui de l’annulation de la clause et du maintien du contrat. Cette sanction est donc tout à fait conforme à l’intérêt du consommateur qui entend maintenir le contrat sans l’application de la clause abusive. Cette nullité est prononcée par toute voie d’action, c'est-à-dire aussi bien lorsque le consommateur réclame la prestation promise mais également par voie d’exception lorsque le professionnel demande à être payé. Dans chacune de ces situations, qu’il soit demandeur ou défendeur, le consommateur va chercher à écarter les clauses qui lui sont défavorables, en soutenant qu’elles sont abusives. Quand bien même ce moyen ne serait pas invoquer, le juge peut relever d’office le caractère abusif d’une clause et la réputer non écrite. S’agissant d’un ordre public de protection3, le juge a la faculté de soulever un moyen non abordé4. Il peut également, depuis 1993, saisir pour avis la Commission des clauses abusives5. 1 Avis n° 08-01 relatif à un contrat d'assurance vol téléphone portable : une clause d'exclusion de garantie, portant sur l'objet principal du contrat, est abusive parce qu'elle n'est pas rédigée de façon claire. 2 Article L.132-1 alinéas 6 et 8 du Code de la Consommation. 3 Article L.132-1 alinéa 9 du Code de la Consommation. 4 CJCE 27 juin 2000, aff. C-240/98, Oceano Groupo, rec. CJCE I p. 4941 ; JCP 2001, II 10513 ; note Marta Carballo-Fidalgo, JCP Entreprise et affaires n° 30, 26 juillet 2001, p. 1281 ; cf. développement sur l’interprétation tripartite de la notion de clause abusives. 5 Article R.132-6 du Code de la Consommation.

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2. L’interprétation favorable au consommateur des clauses litigieuses : L’obscurité des clauses peut ensuite les soumettre à l'article L.133-2 du Code de la Consommation, selon lequel « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. Elles s'interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ». Cette sanction a d’ailleurs été prononcée dans un arrêt remarqué de la Cour de cassation1. Il s’agissait d’un emprunteur qui avait adhéré à l'assurance souscrite par l'établissement financier prêteur avec une compagnie d'assurance, et qui, déclaré inapte au travail, fut placé en retraite anticipée. Selon l'assureur, la perception de la pension de retraite empêchait l'assuré d'être couvert du risque. En effet, une clause du contrat, apparue abusive à l'emprunteur, écartait la prise en charge de l'invalidité permanente et totale « dès la fin du mois où survient l'un des trois événements suivants : liquidation de toute pension de retraite, départ ou mise en préretraite, cessation d'activité professionnelle ». Cependant, les juges du fond avaient refusé d'apprécier ce moyen parce que l'assuré était tiers audit contrat. Le principe de l'applicabilité de la législation sur les clauses abusives aux seuls contrats « conclus » entre un professionnel et un consommateur pouvait être un obstacle à l'égard d'un contrat qui, s'il contenait une stipulation au profit du tiers consommateur, avait été conclu entre deux professionnels. Néanmoins, la première chambre civile casse l'arrêt au motif que « l'adhésion au contrat d'assurance de groupe, bien que conséquence d'une stipulation pour autrui, n'en crée pas moins entre l'adhérent et l'assureur qui l'agrée un lien contractuel direct, de nature synallagmatique » dont les stipulations relèvent comme telles de la législation sur les clauses abusives. L’arrêt est intéressant sur plusieurs points, et notamment sur le fait que la Cour, en relevant d'office le moyen de pur droit tiré de la violation de l'article L.133-2, alinéa 2 du Code de la Consommation, laisse entrevoir la potentialité du relevé d'office instauré par la loi Chatel. L'arrêt apporte également des précisions sur la caractérisation de l'ambiguïté puisque la Cour censure les juges du fond au motif qu'ils ont donné à la stipulation « un sens qui n'était pas le sens le plus favorable » alors que, selon la première chambre civile, « la clause (...) pouvait aussi être interprétée en ce sens que dès lors qu'était couvert le risque invalidité permanente et totale, la liquidation de la pension de retraite ne pouvait être regardée comme exclusive de la garantie de ce risque 1 Cass. Civ. 1ère, 22 mai 2008, n° 05-21.822, D. 2008. AJ. 1547, obs. X. Delpech, Jur. 1954, note D. R. Martin, et C. Goldie-Genicon, D. 2008. Chron. 2447 ; JCP 2008. II. 10133, note A. Sériaux, et I. 218, n° 11.

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lorsque c'était la survenance de celui-ci qui était, comme en l'espèce, la cause de la décision de placer l'assuré en retraite anticipée ». Récemment, dans une affaire relative à un contrat d’assurance1, la Cour de cassation a rappelé ce principe qu’une clause déclarée abusive, eu égard à son ambiguïté, peut être interprétée dans le sens le plus favorable au consommateur2. Les juges, au visa des articles 1134 du Code Civil et L.133-2, alinéa 2 du Code de la consommation, considèrent que la clause litigieuse était ambiguë dès lors qu'elle prévoyait à la fois la nécessité de fixer un taux déterminé et sa révision trimestrielle selon l'évolution de l'état de l'assuré et qu'elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à l'assuré, ce qui excluait que la détermination de l'invalidité dépende de la consolidation de son état. Ainsi, en statuant comme elle l’a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Une fois encore, c'est un contrat d'assurance qui donne lieu à application de l’article L.133-2 du Code de la Consommation. Déjà en 2006, la première chambre civile de la Cour de cassation avait statué dans le même sens et en utilisant la même formulation3. Toutefois, toutes les clauses obscures ou ambiguës ne sont pas susceptibles d’être appliquées en faveur du consommateur, comme le démontre une affaire de la Cour de cassation en date du 19 juin 20014. Il était question d’une société à laquelle avaient été confiées des pellicules en vue de leur développement. N’étant pas en mesure de les restituer, elle a opposé à son client la clause limitant sa garantie à la remise d’une pellicule vierge et à son tirage gratuit, ou à leur contre-valeur, à défaut d’avoir déclaré que les travaux avaient une importance exceptionnelle. La Cour de cassation approuve le juge d’instance d’avoir déclaré abusive la clause litigieuse au motif que, « rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation », elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties « en affranchissant le professionnel des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique ». En l’espèce, comment la clause limitative de responsabilité aurait-elle pu être interpréter dans un sens favorable au consommateur ? En considérant que selon cette 1 Cass. Civ. 2ème, 9 avril 2009, n° 08-15714, CCC juillet 2009, p.31. 2 Article L.133-2 du Code de la Consommation. 3 Cass. Civ. 1ère 13 juill. 2006, JurisData n° 2006-034572 ; Bull. civ. 2006, II, n° 214 ; CCC 2006, comm.209 ; Cass. Civ. 1ère 31 janv. 2003, Bull. civ. 2003, I, n° 19 ; D. 2003, p. 2600, note Claret ; RTD com. 2003, p. 559, obs. Bouloc ; RTD civ. 2003, p. 292, obs. Mestre et Fages. 4 Cass. Civ. 1ère, 19 juin 2001, Juris Data n° 010219, JCP 2001, n° 47, II 10631.

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clause il ne pouvait prétendre qu’au remplacement de ses films perdus ou à leur contre-valeur ? A défaut d’interprétation avantageuse ou du-moins moins préjudiciable pour le consommateur, les juges du fond ont procédé d’une autre manière pour sanctionner cette pratique. Par une appréciation de la clause, ils ont fait apparaître un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, révélant ainsi le caractère abusif de la disposition. La Cour de cassation a suivi cette analyse en jugeant que la clause litigieuse était susceptible de « laisser croire au consommateur » qu’elle affranchissait le professionnel « des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique ». La Cour admet ainsi, pour la première fois, que l’ambiguïté d’une clause peut lui conférer un caractère abusif. Dès lors, l’obscurité ou l’ambiguïté des clauses des contrats de consommation peut être sanctionné de deux manières différentes selon les circonstances : soit les stipulations sont appliquées dans un sens favorable au consommateur, soit elles sont susceptibles d’être déclarées abusives et donc réputées non écrites. Mais l’ensemble de ces procédures supposent que le contrat soit, après sa conclusion, porté devant un juge pour faire valoir le caractère abusif d’une clause. Or dans les affaires de consommation, cette situation est plutôt rare, la clause pourtant abusive continuant d’être appliquée sans que le consommateur songe même à invoquer la nullité. De plus, étant donné l’appréciation concrète du caractère abusif de la clause, la sanction ne peut profiter qu’au seul consommateur partie au litige. L’annulation de la clause et le maintien du contrat ne profitent pas aux autres consommateurs, qui sont parfois débiteurs d’une même clause dans des contrats identiques ou similaires. Cette sanction ne permet de protéger que ponctuellement quelques consommateurs et non de régler globalement le problème des clauses abusives. Ainsi afin de les supprimer effectivement, d’autres sanctions ont été inventées, notamment pour les clauses abusives contenues dans des modèles de contrats à conclure. II. Une appréciation « in abstacto » de l’abus dans les modèles de contrat à conclure Alors que pour les contrats déjà conclu l’analyse des clauses abusives se fait concrètement et abouti à leur nullité, l’appréciation diffère lorsqu’il ne s’agit pas d’un contrat en particulier mais de conditions générales (B). Cette méthode va être réalisée par les associations de consommateurs disposant d’une action en suppression des clauses abusives (A).

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A. L’action en suppression des clauses abusives : Dans l’esprit du législateur de 1978, le rôle de la Commission des clauses abusives était au cœur du dispositif. Elle devait, par ses actions et notamment ses recommandations, inciter les professionnels à modifier ou à supprimer les clauses abusives contenues dans les modèles de convention, c'est-à-dire le document pré-rédigé sur lequel figuraient les clauses des contrats à conclure : les Conditions Générales de Vente. Quelques entreprises se sont soumis à ce système de « soft law » et ont modifié leurs conditions générales pour tenir compte des recommandations de la Commission. Toutefois, en l’absence de sanction, un bon nombre d’entre elles ont continué à proposer aux consommateurs des modèles de convention contenant des clauses abusives. Alors qu’une sanction pénale aurait pu faire disparaître un tel comportement, le législateur a souhaité emprunter une autre direction. D’autant plus que le principe de légalité des infractions pénales aurait été difficilement compatible avec la souplesse de la notion de clause abusive. Ainsi, le 5 janvier 1988, une loi est venue instituer une action en suppression de clauses abusives. Prévue à l’article L.421-6 du Code de la Consommation, une ordonnance du 23 août 2001 transposant la directive 98/27 du 19 mai 1998 sur les actions en cessation, a modifié cette action et l’a fait entrer dans le cadre général des actions en cessation. Les associations et certains organismes sont désormais autorisés à agir devant la juridiction civile pour faire cesser tout agissement contraire aux dispositions transposant les diverses directives, dont celle de 1993 concernant les clauses abusives1. Il s’agit des associations françaises de consommateurs agréées par les pouvoirs publics et mentionnées à l’article L.421-1 du Code de la Consommation. Pour les litiges transfrontaliers, il s’agit d’organismes justifiant de leur inscription sur une liste publiée au Journal Officiel des Communautés européennes après avoir été désignés par les divers Etats membres pour exercer des actions en cessation. C’est ce que la directive du 19 mai 1998 appelle les entités qualifiées. Chaque entité qualifiée par un Etat membre peut agir en cessation devant les tribunaux compétents des autres Etats membres. Une association allemande qualifiée peut ainsi évoquer, devant un tribunal français, la suppression de clauses abusives pouvant léser des consommateurs allemands. Et réciproquement, une association française agréée peut agir en suppression non seulement devant les tribunaux français mais encore devant ceux des autres Etats membres. 1 Article L.421-6 alinéa 1 du Code de la Consommation.

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Au titre de cette action, le juge peut ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur1. Le professionnel sera donc tenu de modifier ses modèles de conventions. En dépit du silence de la loi, la jurisprudence a considéré que l’association pouvait demander des dommages intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs2. Ensuite la juridiction saisie peut ordonner la diffusion publique du jugement rendu aux frais de la partie qui succombe3. L’article L.421-6 du Code de la Consommation instituant l’action en suppression de clauses abusives, protège les consommateurs et eux seuls. On ne retrouve pas la double formule de l’article L.132-1 « du non-professionnel ou du consommateur » ; les associations de consommateurs n’ayant pas vocation à défendre d’autres personnes que les consommateurs. Cette limitation du champ d’application quant aux contractants concernés, vise à exclure l’action en suppression de clauses abusives pour les personnes qui agissent pour les besoins de leur profession même si elles contractent en dehors de leur spécialité, ou encore pour les personnes morales. Cette action va se faire à l’encontre des professionnels qui utilisent des clauses abusives dans leurs rapports avec leurs clients et qui se trouvent donc en position de contractants. Néanmoins, comme précédemment, le jugement ne produit ses effets que sur les parties à l’instance. Dès lors, étant donné que les mêmes clauses sont généralement stipulées par plusieurs professionnels, l’association a tout intérêt à assigner le plus grand nombre de professionnels possibles pour étendre au maximum les effets bénéfiques de son action. Elles vont pouvoir également agir contre les professionnels, qui sans être eux-mêmes contractants, ont rédigé les clauses abusives et en recommandent l’utilisation. C’est notamment le cas des organisations professionnelles qui éditent des conditions générales à l’intention de leurs membres ou encore des franchiseurs qui fournissent à leurs franchisés des conditions générales préétablies. Cette possibilité a été admise par la Cour de Justice des Communautés Européennes interprétant la directive du 5 avril 1993 sur les clauses abusives4. Toutefois,

1 Article L.421-6 alinéa 2 du Code de la Consommation. 2 Cass. Civ. 1ère, 5 octobre 1999, D. aff. 2000, J.110, note Paisant ; Cass. civ. 1ère, 1er février 2005, JCP 2005, II 10057, note Paisant. 3 Article L.421-9 du Code de la Consommation. 4 CJCE 24 janvier 2002, D. aff. 2002, AJ 1065 obs. Chevrier, RTD civ. 2002.397, obs. Raynard.

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l’action n’est recevable que si les documents ainsi édités sont utilisés pour des contrats entre professionnels et consommateurs1. Enfin, le consommateur victime d’une clause abusive peut saisir une association agréée de consommateurs, qui agira dans l’intérêt collectif des consommateurs. Ces actions collectives ne sont pas rares et visent aussi bien les contrats conclus dans le domaine bancaire2 que dans ceux de l’e-commerce3 ou encore de la fourniture d’accès à internet. A ce titre, les sociétés Free et Wanadoo se sont fait condamner en février 2006 à supprimer respectivement 32 et 38 clauses de leurs contrats d’accès à Internet, notamment celles qui :

- imposaient le prélèvement automatique comme moyen unique de paiement, - imposaient une durée minimale d’abonnement sans possibilité de résilier le contrat

pour juste motif, - autorisaient le fournisseur d’accès à modifier unilatéralement ses tarifs sans informer

l’abonné de son droit à résiliation.

B. L’analyse théorique du caractère abusif : L’action des associations a une vertu préventive et collective. S’agissant d’un ensemble indéterminé de consommateurs, sans référence à un contrat particulier, l’appréciation du caractère abusif se fait nécessairement « in abstracto » en considération du consommateur moyen et de circonstances habituelles. Le tribunal, sans considérer tel ou tel consommateur en particulier, doit se demander si de façon générale la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif en faveur du professionnel. Cette action concerne les clauses non encore acceptées mais seulement proposées ou destinées aux consommateurs. A la différence de ce que nous avons vu précédemment, cette action ne tend pas à l’annulation juridique de clauses dans des contrats déjà conclus mais à la suppression matérielle de clauses dans les documents qui serviront de basse à des contrats futurs entre professionnels et consommateurs, c'est-à-dire des modèles de conventions, contrats-types, conditions générales… L’action n’est donc recevable 1 Cass. Civ. 1ère, 4 mai 1999 « l’action en suppression de clauses abusives n’est pas recevable lorsque les conditions générales, quoique éditées par un tiers professionnel, sont utilisées entre contractants non-professionnels » JCP 1999 II 10205, note Paisant, JCP E. 1999.287 note Jamin. 2 Cass. Civ. 8 janvier 2009, UFC Que-Choisir/Crédit Lyonnais. 3 TGI Bordeaux 11 mars 2009, UFC Que-Choisir/CDISCOUNT.

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que tant que le contrat est proposé aux consommateurs. Il importe peu que ces clauses n’aient pas encore été utilisées dans des contrats déterminés. En revanche, l'action des associations pour les contrats en cours n’est plus valable lorsque le professionnel a supprimé les clauses litigieuses des modèles de contrats1. Cette solution, critiquée par la doctrine en ce qu'elle laisse subsister les clauses abusives dans les contrats en cours, a récemment été confirmée2. En outre, cette action vise à obtenir la suppression matérielle des clauses abusives contenues dans des modèles de contrats susceptibles d’être proposés par des professionnels aux consommateurs. L’action est donc irrecevable lorsque la clause est insérée dans un acte passé entre un non-professionnel et un consommateur3. La portée de cette action est grande car l’association peut assigner tous les professionnels qui ont recours à ces clauses litigieuses et notamment les organisations professionnelles qui proposent des contrats types à leurs adhérents. Avec la réforme d’août 2008, les principes semblent un peu bouleversés. Le décret du 18 mars 2009 a élaboré deux listes de clauses abusives dont une liste grise, reprise au nouvel article R.132-2 du Code de la Consommation. Les dix clauses mentionnées ne sont pas interdites mais simplement présumées abusives. Il est donc possible pour le professionnel concerné de rapporter la preuve qu‘elles n‘engendrent aucun déséquilibre significatif au détriment du consommateur. Ce principe de liste de clauses présumées abusives est tout à fait concevable dans la perspective d‘un litige individuel. Les clauses sont par principe abusives sauf à rapporter la preuve du caractère non abusif et donc à apprécier in concreto la clause. Or il en va différemment à l‘occasion d‘une action en cessation diligentée par une association de consommateurs. Alors que l‘appréciation in abstracto est inhérente à cette action en cessation, comment la preuve contraire qui est fonction du cas par cas pourrait-elle être rapportée ? Les clauses grises vont-elles revêtir un caractère plus proche de celles de la liste noire à l’occasion de ces actions, laissant de côté toute appréciation in concreto ?

1 Cass. Civ. 1ère, 1er février 2005, Bull. civ. I, no 61 ; JCP 2005 II 10057, note Paisant, CCC 2005 n°95, Raymond ; D. 2005. AJ. 487, obs. Rondey.. 2 Paris 13 février 2009, Dalloz jurisprudence ; Cass. Civ. 1ère, 8 janv. 2009, n° 06-17.630, confirme que le professionnel peut supprimer en cours d'instance les clauses des nouveaux modèles et échapper à la sanction. 3 Cass. Civ. 1ère, 4 mai 1999, JCP G 1999 II 10205 note Paisant.

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Section 2 : Les éléments extérieurs à la clause pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif : Le caractère abusif d'une clause s'apprécie donc en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ainsi que celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution des deux dépend juridiquement l'un de l'autre. Le support dans lequel est insérée la clause est donc pris en compte pour caractériser l’abus mais certains éléments de la clause vont échapper à cette analyse (I). Toutefois, d’autres données extérieures aux règles du droit de la consommation ont également un rôle important à jouer (II). I. L’exclusion de certains éléments propres à la clause L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa de l’article L.132-1 du Code de la Consommation ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert (A), pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible (B).

A. Le principe des clauses principales non prises en compte dans le contrôle de l’abus :

A l’instar des réglementations relatives au droit de la consommation, la notion de clause abusive a également connu des modifications (1). D’une liste limitative à une définition plus large de la clause abusive, le champ d’application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation n’a cessé d’évoluer mais a rapidement été tempéré par le législateur qui a posé des limites à l’appréciation du caractère abusif (2).

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1. La définition générale de clause abusive : Dans sa rédaction originaire, les dispositions relatives aux clauses abusives1 étaient assez strictes puisqu’elles considéraient comme abusives les clauses qui paraissaient imposer au consommateur ou au non-professionnel par un abus de puissance économique et qui conférait au professionnel un avantage excessif. Cette formule nécessitait la réunion de deux éléments : un abus de puissance économique et un avantage excessif. Lorsque le juge judiciaire s’est vu reconnaître le pouvoir de déclarer une clause abusive en dehors de toute référence à un texte réglementaire spécial, la jurisprudence a été amenée à préciser les critères utilisés par l’article 35 de la loi de 1978. Il est ainsi apparu pour la Cour de cassation que les contrats d’adhésion étaient, en tant que tels, imposés par un abus de puissance économique. L’abus est inhérent aux contrats d’adhésion proposés aux consommateurs2. Cette condition étant présumée, les juges ont alors accès leur contrôle sur le deuxième élément, c'est-à-dire l’avantage excessif. Par ailleurs, ces règles ne s’appliquaient pas à toutes les clauses mais uniquement à celles visées par l’ancien article L.132-1 du Code de la Consommation. Réformant la rédaction de l’article 35 de la loi de 78, la loi n° 95-96 du 1er février 1995 a supprimé toute référence à cette idée d’abus de puissance économique jugée inutile et restrictive. Désormais ce texte se rapporte à toutes les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur ou du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Une seule condition est maintenant nécessaire : celle d’un déséquilibre significatif. Eu égard à cette définition générale, la Cour de cassation a ajouté que l’appréciation du caractère abusif d’une clause ne dépendait pas du caractère principal ou accessoire de l’obligation contractuelle concernée3. Toutefois, cette définition trop générale de la clause abusive risquait de compromettre les principes généraux jusque là respectés.

1 Article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978. 2 Cass. Civ. 1ère, 6 janvier 1994, n°91-19.424, Bull. civ. I n° 8, JCP G 1994 II n° 22237, CCC 1994 n° 3. 3 Cass. Civ. 1ère, 3 mai 2006, n° 04-16.698, Bull. civ. I n° 213 ; RLDA 2006/6 n° 341, obs. S. Méar.

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2. La limite des clauses essentielles au contrat : Le contrat de consommation est le modèle par excellence de contrat a priori déséquilibré en faveur de celui qui détient le savoir et le pouvoir rédactionnel, c’est-à-dire le professionnel, et au détriment du consommateur, qui n'est pas en position de négocier le contenu contractuel. La recherche d'équilibre est inhérente au droit de la consommation et pour ce faire, il use de dispositions relatives à la prohibition des clauses abusives, conformément aux prescriptions communautaires. Ainsi, selon l’article L.132-1 du Code de la Consommation, la clause est abusive lorsqu’elle créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties aux contrats. Le champ d’application de cette notion étant trop large et mal défini, le législateur a fixé une limite. Il a considéré que l’appréciation du caractère abusif de la clause ne pouvait porter ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert1. Autrement dit, l’appréciation de la prestation caractéristique du contrat ou le rapport qualité/prix ne peuvent donner lieu à l’application de la réglementation sur les clauses abusives. Certes un déséquilibre juridique peut avoir des conséquences économiques, comme par exemple une clause de non-responsabilité, mais la lutte contre les clauses abusives a pour objet de lutter contre un déséquilibre juridique créé par les clauses d'un contrat et non pour finalité d’assurer l’équilibre économique du contrat. La protection n’a pas pour objet de remédier à un éventuel déséquilibre économique entre un bien ou un service et le prix à payer. Toutefois, il convient de nuancer la portée de cette exclusion qui n’est pas si révolutionnaire qu’elle y paraît au premier abord. En effet, elle repose sur deux principes déjà établis : la liberté contractuelle et la théorie limitative de la rescision pour lésion. Selon ce principe général du droit des contrats, le juge est étranger à l’objet du contrat et ne saurait se prononcer sur ce point. Cette disposition permet également de faire respecter le principe suivant lequel, la lésion n’est admise que dans des hypothèses exceptionnelles en droit français2. La protection de l’équilibre économique du contrat est censée être assurée par le jeu de la libre concurrence qui offre aux consommateurs, avant de s’engager, la liberté de comparer les différentes offres afin de choisir celle qui est la plus adaptée à leur capacité financière. Le 1 Article L.132-1 alinéa 7 du Code de la Consommation. 2 Article 1108 du Code Civil.

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contrôle de l’abus ne saurait donc être un contrôle de la lésion. Ni le magistrat, ni la Commission des clauses abusives ne peuvent porter un jugement sur le rapport qualité/prix. En d’autres termes, une clause n’est abusive que lorsque la juridiction compétente juge que la clause litigieuse répond aux conditions posées par l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Néanmoins, si l’alinéa 7 de l’article L.132-1 du Code de la Consommation exclut du contrôle du caractère abusif les clauses principales des contrats, cela se fait sous la réserve que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

B. La limite liée à la rédaction de la clause : L'exigence d'équilibre concerne principalement le contrat de consommation qui met en présence des parties en situation fondamentalement inégalitaire, ce qui favorise naturellement une prédétermination unilatérale du contenu contractuel. L’équilibre est partiellement assuré par les dispositions relatives à la prohibition des clauses abusives, conformément aux prescriptions communautaires. Cependant l'alinéa 7 de l’article L.132-1 du Code de la Consommation fait échapper les clauses fixant le prix du bien ou la rémunération du service et celles déterminant l'objet principal du contrat, à un contrôle en termes d'abus. En effet, le Code de la Consommation cherche à éviter le déséquilibre juridique créé par les clauses d'un contrat et non pas un déséquilibre économique entre un bien ou un service et le prix à payer. Toutefois, cette limitation a été réduite par l’ordonnance du 23 août 20011, issue de la directive du 10 avril 1993, qui a complété cet alinéa par une référence au caractère clair et compréhensible de la clause. A contrario, dès lors qu’une clause relative à l’objet principal du contrat ou l’adéquation du prix au regard de la prestation fournie pourra être critiquée quant sa présentation formelle, il sera possible de l’attaquer au fond en rapportant la preuve de l’existence d’un déséquilibre entre les prestations du point de vue du prix ou de la définition de l’objet du contrat. Ainsi l’équilibre du contrat passé par un consommateur sous l’angle du rapport entre le prix payé et le service offert peut être garanti par la suppression d’une clause abusive qui aura été rédigée de façon obscure. C’est cet alinéa qui justifie également le rattachement de l'identification de l'abus à l'opération d'interprétation. 1 Ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001.

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Par ailleurs, il ressort des considérants de la directive1 de 1993 qu’en droit des assurances, le caractère abusif des clauses définissant le risque assuré et l’engagement de l’assureur, à condition que les limitations de garantie ne se répercutent pas sur le calcul de la prime, peut être contrôlé. La Commission des clauses abusives s’est saisie de cette spécificité pour contourner, par le jeu de l’interprétation des clauses, la restriction de l’alinéa 7 de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Dans un avis du 17 avril 2008, la Commission a été saisie pour avis sur le caractère abusif d’une clause d’un contrat d’assurance pour téléphone portable : « Exclusions de garantie – B) Exclusions propres aux garanties dommages accidents et vol caractérisé : Pertes, disparitions, vol commis sans violence ou sans effraction… ». Cette clause délimitait l’objet du contrat en prévoyant que l’assureur ne garantissait que le vol commis avec effraction ou violence. Dès lors, par application de l’article L.132-1 alinéa 7 du Code de la Consommation, la clause ne pouvait pas être soumise à l’examen de la Commission des clauses abusives puisqu’elle définissait clairement la prestation du contrat. Toutefois, considérant la clause comme déséquilibrée eu égard aux droits et obligations des parties, la Commission a caractérisé la clause, non pas de clause portant sur l’objet du contrat, mais de clause d’exclusion de garantie. En droit des assurances, il existe deux types de clauses relatives au contenu du contrat qui se confondent régulièrement : les clauses exclusives de garantie et les clauses délimitant l’objet du contrat. Ainsi, pour faire jouer les règles des clauses abusives, la Commission a considéré que ladite clause ne délimitait pas l’objet du contrat mais excluait la garantie dans certains cas. Par cette appréciation, la Commission retrouve sa compétence puisque la clause ne porte plus sur les éléments exclus de l’alinéa 7. Elle décide ainsi que « cette clause ambiguë, qui de surcroît n’est pas rédigée en caractères très apparents, a pour effet ou pour objet d’exclure ou de limiter de façon inappropriée les droits légaux du consommateur vis-à-vis du professionnel ; que partant elle est abusive ». Néanmoins, même si la clause avait été qualifié de clause délimitant l’objet du contrat, la Commission aurait pu exercer un contrôle, non pas sur le contenu même de la clause et de ses conséquences sur les droits et obligations des parties, mais sur la forme. Cette solution est donc surprenante car pourquoi mentionner cette exclusion des clauses principales dans l’appréciation du caractère abusif si c’est pour l’admettre par la suite par une nouvelle réglementation ? 1 Directive n° 39/13/CEE du 5 avril 1993.

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II. La lutte contre les clause abusives en dehors du code de la consommation En dehors du Code de la Consommation, il existe des règles visant à lutter contre des clauses abusives. Certes l’expression clause abusive ne figure que dans le Code de la Consommation, mais de nombreuses règles, antérieures à 1978 et extérieurs à ce code, visent à éliminer ou modifier certaines clauses contractuelles qui confèrent à l’un des contractants un avantage excessif sur l’autre. Leur champ d’application diffère également puisqu’elles ont à la fois une application plus large quant aux contractants étant donné qu’elles ne visent pas uniquement les contrats entre professionnels et consommateurs, et plus étroite quant aux clauses puisque chaque règle est réservée à une clause en particulier. Les consommateurs bénéficiant désormais d’un système de protection qui leur est propre, ces dispositions ont perdu de leur utilité mais elles peuvent toujours être invoquées en complément de celles du Code de la Consommation. Ces clauses recouvrent des domaines très diverses mais peuvent être classées selon la sanction qui leur est appliquée. On trouve ainsi les clauses dont la présence est une cause de nullité du contrat, celles qui sont réputées non écrites, celles qui sont partiellement privées d’effet et celles qui peuvent être révisées par le juge. � Les clauses dont la présence est une cause de nullité du contrat. Certaines clauses

peuvent avoir des effets très contraignants compromettant ainsi l’équilibre contractuel recherché. Eu égard aux conséquences qu’elles entraînent, les principes généraux du droit civil en ont fait une cause de nullité du contrat tout entier. C’est notamment le cas de la condition potestative, c'est-à-dire de la clause qui fait dépendre l’exécution du contrat à un évènement dont la réalisation ou l’échec dépend du pouvoir de l’un des contractants. L’article 1174 du Code Civil énonce que toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige1. Il en va de même pour la clause permettant à l’un des contractants de déterminer unilatéralement le prix de vente. L’article 1591 du Code Civil prévoit que le prix de vente doit être déterminé et désigné par les parties. 1 Vente d’un véhicule sous condition que le vendeur agrée le contrat passé par son préposé : Cass. Com. 9 décembre 1980, D. 1981 IR 441, obs. Audit. C/ la clause qui suspend l’achat d’un bien à la vente par l’acquéreur d’un autre bien n’est pas une clause potestative : Cass. Civ. 3ème, 22 novembre 1995, D. 1996 IR 330.

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Toutefois, dans les contrats entre professionnels et consommateurs, la nullité n’est pas la meilleure solution pour le consommateur puisqu’elle le prive du bien ou du service pour lequel il avait contracté. � Les clauses réputées non écrites. Dès les premières relations contractuelles,

certaines clauses étaient utilisées pour déséquilibrer de manière significative le contrat dans un sens favorable à l’un des contractants. Avant même la loi de 1978 et sa notion de clauses abusives, le législateur et la jurisprudence avaient admis que le caractère excessivement déséquilibré de certaines clauses justifiait leur nullité. Ces clauses sont réputées non écrites car elles sont contraires à l’ordre public de protection des contractants. Par contre, le contrat reste valable dans son ensemble. Ainsi certaines clauses peuvent être réputées non écrites en vertu de principes généraux, alors que d’autre le seront en fonction d’une règle ponctuelle. Il a notamment été admis que la clause qui contredisait la portée d’un engagement essentiel pris par l’un des contractants devait être réputée non écrite. Il en va de même pour les clauses qui tendent à écarter ou à réduire la responsabilité d’un contractant pour dommage corporel causé à l’autre. L’obligation de sécurité inhérente à certains contrats relevant de l’ordre public, le contrat ne peut toucher ni à l’obligation elle-même ni à la responsabilité qui en dérive. Puis certaines clauses sont réputées non écrites car elles contreviennent à des dispositions ponctuelles. C’est notamment la cas de la clause tendant à supprimer ou à réduire la garantie due par le vendeur professionnel en cas de vices cachés de la chose vendue1. Il en va de même des clauses relatives aux compétences judiciaires comme la clause compromissoire par laquelle les contractants conviennent de soumettre à des arbitres leurs litiges éventuels2 ou encore la clause attributive de compétence3, toutes deux valables seulement dans les contrats entre professionnels. Le consommateur n’a pas à prouver l’abus au sens de l’article L.132-1 du Code de la Consommation pour faire retirer ces clauses du contrat qui le lie au professionnel. Le caractère abusif est en quelque sorte présumé de façon irréfragable par la loi et il lui suffit d’invoquer le principe ou le texte qui la condamne. La nullité de la clause litigieuse est pour le consommateur un remède préférable à celle du contrat tout entier. Néanmoins, le consommateur ne sait pas forcément que la clause qui est 1 Article 1643 du Code Civil. 2 Article 2061 du Code Civil. 3 Article 48 Code de Procédure Civile.

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inscrite dans son contrat revêt un caractère abusif et peut de ce fait être réputée non écrite. Bien souvent ces clauses vont être appliquées comme si elles étaient valables. Pour que les consommateurs soient effectivement protégés, il faudrait que ces clauses n’apparaissent pas dans les contrats. D’où l’intérêt de l’action en justice des associations de consommateurs de l’article L.421-6 du Code de la Consommation qui peuvent demander la suppression de telles clauses. Le tribunal saisi par une association ordonnera la suppression des clauses litigieuses des modèles de conventions habituellement proposé par un professionnel à des consommateurs. � Les clauses partiellement privées d’effet. Il existe des clauses qui ne vont pas être

réputée non écrites mais partiellement privée d’effet. C’est le cas notamment des clauses visant à supprimer ou à réduire la responsabilité d’un contractant lorsque l’inexécution provient d’une faute intentionnelle ou d’une faute lourde. La faute intentionnelle correspond à celle du contractant qui refuse d’exécuter son obligation contractuelle. Il est donc improbable que ce genre d’acte soit couvert par une clause de non-responsabilité. La faute lourde quand à elle est d’une particulière gravité notamment lorsqu’elle traduit l’inaptitude du professionnel à accomplir la mission contractuelle qu’il avait acceptée1. Toutefois aujourd’hui, ces règles n’ont plus vraiment d’intérêt pour les consommateurs puisque la clause visant à supprimer ou à réduire le droit à réparation du consommateur est réputé non écrite en tant que clause abusive2. La clause est totalement privée d’effet sans qu’il soit nécessaire de prouver la faute intentionnelle ou lourde du vendeur professionnel. Auparavant, cette clause n’était pas de plein droit abusive pour ce type de contrat mais simplement mentionnée dans la liste indicative annexée au Code de la Consommation3. Le consommateur qui demandait réparation, devait donc à titre principal invoquer le caractère abusif de la clause et à titre subsidiaire, au cas où le caractère abusif ne serait pas retenu, prouver la faute intentionnelle ou lourde du professionnel. � Les clauses que le juge peut réviser. La principale clause qui peut faire l’objet d’une

révision judiciaire c’est la clause pénale. Elle correspond à la clause par laquelle les parties 1 Cass. Com. 3 avril 1990, D. 1990 IR 114. 2 Articles L.132-1 et R.132-1, 6° du Code de la Consommation 3 Liste blanche annexée à l’article L.132-1 du Code de la Consommation, clause (b).

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évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité qui sera due en cas d’inexécution de l’obligation contractée1. Ces clauses sont admise dès lors que la convention prévoit que celui qui manquera d’exécuter son obligation payera à l’autre une certaine somme, à titre de dommages intérêts qui ne peut être une somme plus forte ni moindre2. Certains, usant de leur puissance économique, ont alors stipulé des peines élevées dans le cas où l’autre contractant n’exécuterait pas son obligation, notamment en matière de crédit. Ainsi, pour pallier à ces excès, une loi du 9 juillet 1975 est venue conférer aux juges un pouvoir de révision des clauses pénales dans le sens d’une modération ou d’une augmentation si elle est manifestement excessive ou dérisoire3. L’appréciation s’effectue en fonction du montant de la peine convenue et du préjudice réellement subi par le créancier. Si les juges décident de modifier la peine, ils doivent préciser en quoi celle qui avait été convenue paraissait manifestement excessive ou dérisoire4. Par contre, s’ils choisissent de ne rien changer, ils n’ont aucun motifs particuliers à rapporter. Toutefois, la Cour de Cassation permet aux juges de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de l’application d’une clause pénale dès lors qu’ils estiment la somme initialement fixée est manifestement excessive, sans toutefois pouvoir allouer une somme inférieure au montant du dommage5. Une loi du 11 octobre 1985 est venue accroître de manière significative la protection en administrant aux juges la faculté d’exercer d’office le pouvoir de révision de l’article 1152 du Code Civil. Cette nouvelle disposition est liée au fait qu’auparavant, il appartenait au contractant de demander aux juges de vérifier que le montant de la clause pénale prévue au contrat n’était pas excessif. Ainsi certains ont été contraints de payer de lourdes indemnités simplement parce qu’ils avaient négligé d’en demander la réduction. Désormais la demande en révision n’est plus nécessaire : le juge peut y procéder d’office. Toutefois, en pratique, les contractants consommateurs ont tout intérêt à appuyer leur demande sur le droit des clauses abusives puisque la clause qui prévoit, au détriment du consommateur, une peine manifestement excessive est abusive au sens de l’article L.132-1 du Code de la Consommation et donc nécessairement réputée non écrite. Alors que la révision de la clause 1 Cass. Civ. 1ère, 10 octobre 1995 : une clause qui dans les conditions générales d’une école privée prévoit que les droits d’inscription restent intégralement dus en cas de rupture, D. 1996 J. 486, note Fillion-Dufouleur. 2 Article 1152 du Code Civil. 3 Article 1152 alinéa 2 du Code Civil. 4 Ch. Mixte 20 janvier 1978, D. 1978 IR 229, obs. Vasseur, RTD civ. 1978, 377, obs. Cornu. 5 Cass. Civ. 1ère, 24 juillet 1978, D. 1979 IR 151, obs. Landraud.

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pénale entraînerait éventuellement une réduction du montant de l’indemnité en cas d’inexécution du consommateur, l’action sur le fondement de l’article L.132-1 conduit à la nullité de ladite clause. Par ailleurs, les associations de consommateur peuvent demander la suppression de telles clauses dans les modèles de conventions proposés aux consommateurs1.

Tout comme les caractéristiques des clauses abusives, c’est l’ensemble de l’environnement des clauses abusives qui reste inchangé suite à la réforme de 2008. Les principes liés au champ d’application et les acteurs dans l’interprétation sont maintenus.

1 Article L.421-6 du Code de la Consommation.

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Titre 2 : L’environnement des clauses abusives conservé

Le contrôle des clauses abusives par le droit de la consommation se fait au moyen de plusieurs acteurs ayant chacun un rôle important. Ainsi, outre les clauses interdites par le pouvoir réglementaire, il existe des clauses qui sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et sont jugées abusives par le juge ; et celles qui figurent dans des recommandations de la Commission des clauses abusives et qui sont, à ce titre, considérées comme suspectes (Chapitre 2). Malgré la réforme, le champ d’application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation a conservé sa dimension (Chapitre 1), la législation profite toujours à trois catégories de personnes :

- le consommateur, c'est-à-dire celui qui contracte pour ses besoins personnels, - le non-professionnel, c'est-à-dire la personne morale n'exerçant pas d'activité

professionnelle, - le professionnel, personne physique ou morale, qui contracte dans un domaine sans

lien direct avec son activité.

Chapitre 1 : Un champ d’application large

Le droit des clauses abusives permet de priver d'effet juridique les stipulations contractuelles caractérisées par « un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat ». Définir le caractère abusif d’une clause, ce n’est pas seulement procéder à l’examen pratique de la situation du consommateur au regard des critères de l’abus posés par la loi, mais c’est avant tout se demander si l’on se trouve dans le domaine de prohibition des clauses abusives. Alors que le domaine d’application de ces dispositions semble relativement large (Section 1), les nouvelles réformes laissent apparaître quelques limites à cette extension (Section 2).

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Section 1 : La généralisation du droit des clauses abusives : Le champ d'application de la législation relative aux clauses abusives peut se définir par le biais des personnes autorisées à se prévaloir des règles de protection (II) et des contrats auxquels s'appliquent ces dispositions (I). I. Une délimitation matérielle extensive La question de l'existence de la clause conduit à s'interroger sur les contrats pouvant contenir une telle clause (A) et sur les types de clause susceptible d’être déclarés abusifs (B).

A. L’ensemble des contrats de consommation concernés par la réglementation :

Les dispositions de l’article L.132-1 du Code de la Consommation ne délimitent pas réellement le champ d’application quant aux supports utilisés (2), même si la présence d’un contrat s’avère indispensable (1).

1. La nécessité d'un contrat : Pour qu’une clause soit qualifiée d’abusive, il est notamment nécessaire qu’elle soit présente dans un contrat de consommation, c'est-à-dire une convention entre un professionnel et un consommateur ou non-professionnel. La notion de clause abusive traduit nécessairement un état de déséquilibre et les contrats de consommation, étant pour la plupart des contrats d’adhésion, cette disproportion se retrouve dans la supériorité dont dispose le professionnel sur son contractant consommateur ou non-professionnel1.

1 Jean Calais-Auloy et Frank Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 7ème édition 2006, n°1.

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Dans le cadre de la législation sur les clauses abusives, le contrat de consommation est défini en fonction de la qualité des parties. Tout contrat passé entre un non-professionnel ou un consommateur et un professionnel est un contrat de consommation indépendamment de sa forme. En visant les contrats sans autre précision et en distinguant le non-professionnel du consommateur, le législateur français a renvoyé aux juridictions le soin de déterminer les contrats concernés par la réglementation des clauses abusives et des parties intéressées par cette même réglementation. L’absence de restriction favorise une application de la réglementation des clauses abusives à tous les contrats, ou presque. La nature du contrat est indifférente (ventes, locations, dépôt…) ; l’objet sans incidence (mobilier ou immobilier). L'article L.132-1 alinéa 4 du Code de la Consommation définit de façon très large les documents contractuels auxquels s'applique la loi protectrice des consommateurs en fournissant une liste qui a seulement un caractère indicatif :

« ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies ».

L’adverbe « notamment », qui donne à cette longue liste une valeur purement indicative et non limitative, traduit la volonté du législateur de viser tous les documents contractuels. La clause litigieuse peut être présente dans n’importe quel type de contrat et son contrôle se fera indifféremment de la convention passée. Par ailleurs, l'article L.132-1 précise que ces clauses abusives sont indépendantes de la forme ou du support du contrat dès lors que figurent dans ces documents, des clauses négociées librement ou non, ou des références à des conditions générales préétablies. Sur cette question, la loi française va au-delà de la directive européenne qui ne s’appliquait qu'aux clauses standardisées n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle. En effet, le texte utilise une formule particulièrement large, puisqu'il prévoit qu'une clause abusive peut exister dans tout « contrat conclu ». On les retrouve aussi bien dans les contrats pré-rédigés que dans ceux en apparence négociés. Généralement, les clauses abusives correspondent à des clauses incluses dans les contrats d’adhésion, c’est-à-dire les contrats rédigés par la partie qui offre ses produits ou services et auxquels le consommateur adhère sans possibilité de négocier telle ou telle clause, mais les contrats librement négociés ne sont pas exclus. Tous les contrats peuvent contenir des clauses déséquilibrant la relation entre les parties. Le caractère du contrat est donc secondaire bien que l’objet essentiel du texte

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soit de limiter les abus dans les contrats pré-rédigés. D'une certaine façon, cette qualification va présumer la position dominante du professionnel et par voie de conséquence le caractère abusif de certaines clauses. Outre les contrats déjà conclus, la réglementation des clauses abusives étend son emprise aux modèles de convention qui servent de base à des contrats futurs. Ainsi les pouvoirs de la Commission des clauses abusives s’étendent « aux modèles de convention »1 et l’action en suppression de clauses abusives par les associations de consommateurs est étendue à « tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur »2. Afin de mieux protéger le consommateur et d’étendre le champ d’application de la protection à tous les consommateurs ou non-professionnels justiciables d’une juridiction française, la loi du 1er février 1995 a introduit un nouveau titre dans le Code de la Consommation, relatif au conflit des lois relatives aux clauses abusives, dont l’article L.135-1 prévoit que « nonobstant toute stipulation contraire, les dispositions de l'article L. 132-1 sont applicables lorsque la loi qui régit le contrat est celle d'un Etat n'appartenant pas à l'Union européenne, que le consommateur ou le non-professionnel a son domicile sur le territoire de l'un des Etats membres de l'Union européenne et que le contrat y est proposé, conclu ou exécuté ». En effet, l'article 2 de la directive du 5 avril 1993 énonçait que « les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordé par la présente directive du fait du choix du droit d'un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ». L’article du Code de la Consommation doit également se combiner avec les termes de la Convention de Rome.

2. La variété des contrats : Dès que l’un des contractants est un professionnel et l’autre un non-professionnel ou un consommateur les dispositions sur les clauses abusives s’appliquent quel que soit la nature et l’objet du contrat. En effet, l'article L.132-1 du Code de la Consommation définit de façon très large les documents contractuels auxquels s’appliquent la loi protectrice des consommateurs 1 Article L.132-2 du Code de la Consommation. 2 Article L.421-6 du Code de la Consommation.

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et ne précise pas la nature juridique du contrat, laissant le champ libre aux juridictions pour déclarer abusives des clauses figurant dans toutes sortes de contrat. L'étude de la jurisprudence et des différentes recommandations de la Commission des clauses abusives révèle l'extrême diversité de ces contrats susceptibles de contenir des clauses abusives. Ainsi la réglementation a été appliquée aux contrats de vente, de prestations de services, de crédit à la consommation, d’assurance, de publicité, d'accès à Internet, etc. Toutefois, ce principe général d’application de la réglementation sur les clauses abusives est à relativiser. En effet, certaines conventions ne peuvent être concernées, comme la transaction puisqu’elle résulte d’une négociation individuelle du contenu de chaque stipulation. L’article L.132-1 alinéa 5 du Code de la Consommation dispose, en outre, que le caractère abusif des clauses s’apprécie au regard de toutes les circonstances entourant la conclusion du contrat. Dès lors, eu égard au caractère négocié du contrat, il ne peut être concerné par les dispositions légales des clauses abusives. Il existe également un style de contrat particulier où la question de l’application du droit des clauses abusives peut se poser, c’est le contrat-type. Alors que le contrat se définit comme un acte juridique manifestant l’accord de volonté de personnes et ayant pour objet de créer des obligations réciproques, le contrat-type est un modèle de contrat de caractère réglementaire qui s’impose à tous ceux qui concluent une telle convention et qui comporte les conditions générales d’un contrat. Sa particularité tient au fait qu’il ne tire sa force obligatoire que dans sa reprise dans des contrats individuels. Est-il alors possible de stigmatiser des clauses présentes dans les contrats proposés par des professionnels lorsque celles-ci sont la reprise d’un contrat-type ? Répondre par la négative revient à considérer que les clauses abusives présentes dans ces contrats-types puis reprises dans des contrats individuels conclus entre professionnels et consommateurs ou non-professionnels ne sont pas susceptibles d’action car elles revêtent un caractère réglementaire. Cependant les dispositions relatives à la lutte contre les clauses abusives s’appliquent quelle que soit l’origine des clauses litigieuses. Les clauses contractuelles qui reflètent « des dispositions législatives ou réglementaires impératives » ne sont pas exclu du domaine d’application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Le juge n’est pas expressément habilité à déclarer abusives les clauses à caractère législatif ou réglementaire, mais cette possibilité n’en est pas pour autant exclue. La Commission des clauses abusives peut très bien être consultée sur les projets de contrats-types. Sa mission première est d’analyser « des modèles de convention habituellement proposés par les

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professionnels à leurs cocontractants consommateurs ou non-professionnels »1 et ce, indépendamment du caractère réglementaire des clauses contenues dans le contrat. Le juge pourra déclarer, a posteriori, abusives les clauses contenues dans les contrats-types. L’existence de règles particulières applicables à certains contrats n’exclut pas l’application des règles. Ainsi, le Conseil d'État admet que l'article L.132-1 du Code de la Consommation est applicable dans les contrats conclus avec des services publics2. D'ailleurs, la directive de 1993 envisage expressément le professionnel agissant dans le cadre d'une activité professionnelle, publique ou privée3. Pendant longtemps, la question s'est posée de savoir si la théorie des clauses abusives devait jouer pour ces types de contrats, étant donné que certaines clauses des contrats administratifs, malgré leur caractère réglementaire, présentent toutes les caractéristiques d'une clause abusive en créant un déséquilibre significatif à l'égard de l'une des parties. La nature particulière de ces contrats peut en faire douter mais l'évolution même des services publics a rendu possible cette éventualité (gestion fréquente des services publics par des personnes privées, soumission des services publics à des régimes mixtes, développement des services publics industriels et commerciaux qui s'apparentent à des entreprises privées). On sait que le lien qui lie l'usager à un service public, industriel et commercial (SPIC) ou administratif (SPA), est en général de nature contractuelle, quel que soit l'objet du service. Dès lors, la réglementation des clauses abusives a vocation à s'appliquer malgré le caractère public du service. En effet, l’article 35 de la loi devrait être applicable aux contrats proposés à la clientèle par les personnes du secteur public soumises au droit privé. Il est tout à fait logique, et la jurisprudence l’a fait3, d'appliquer les règles relatives aux clauses abusives. Par contre, les prestations fournies par les services publics administratifs aux usagers ne sont pas concernés, puisque l’usager est en relation avec la puissance publique elle même sous un statut de prescriptions légales ou réglementaires hors de tout schémas contractuel. En revanche, demeure un problème de compétence entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif pour la mise en œuvre de ce contrôle. Ainsi saisie d’un litige opposant une société chargée d’un service de distribution d’eau à un usager, la Cour de 1 Article L.132-2 du Code de la Consommation. 2 CE 11 juillet 2001, Sté des eaux du Nord, JCP G 2001, I 370, n°1 ; RTD Civ. 2001, 878 obs. J. Mestre et B. Fages. 3 Article 2 c de la Directive du 5 avril 1993.

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Cassation a considéré que « les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que des clauses figurant dans ce décret, ou reprises dans un règlement du service d'eau, ont un caractère abusif au sens de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 »4. De son côté, le juge administratif intègre le droit des clauses abusives au corps des normes soumises à son contrôle et assimile un service public industriel et commercial à un professionnel1 ; il n'hésite pas à annuler une clause d'un contrat administratif dés lors qu'elle présente un caractère abusif.

B. Tous les types de clauses visés : Les contrats comportent parfois des clauses qui restreignent de manière significative les droits des consommateurs ou accroissent injustement ceux des professionnels. Pour rétablir un certain équilibre dans la relation contractuelle, le législateur français a prévu, dès 1978, un dispositif de protection des consommateurs contre les clauses dites abusives. Cette réglementation a vu sa portée s’accroître et vise aujourd’hui toutes sortes de stipulations contractuelles, indépendamment du support et de la nature de ces clauses, du moment qu’elles sont écrites. A l’origine, la notion de clause abusive était limitée puisqu’elle ne concernait que certaines clauses. Lors de la transposition de la directive du 5 avril 1993 en droit français, le législateur a préféré, dans un souci de protection accrue du consommateur, abroger cette liste limitative afin d’élargir le champ d’application de la législation à tout type de clause. La directive limitait elle-même le domaine d’application, en visant exclusivement les contrats d’adhésion2. Toutefois, étant une directive a minima, les Etats membres n’étaient pas contraint de la transposer telle quelle dans leur législation nationale et pouvaient adopter des dispositions plus protectrices pour leurs consommateurs. Ainsi, le législateur français, avec la loi du 1er février 1995, a décidé d’étendre la réglementation non seulement aux stipulations pré-rédigées standardisées mais également à celles librement négociées3. Enfin, la réglementation s’étend aux clauses qui visent à abuser le consommateur ou le non-professionnel sans pour autant parvenir à un résultat concret. En effet, il ressort de l’article 1 CE 11 juillet 2001, Sté des eaux du Nord, n° 221458, JCP G 2001, I, n° 370. 2 Article 8 de la directive n° 93/13/CE. 3 Article L.132-1 alinéa 4 du Code de la Consommation.

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L.132-1 que sont abusives, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, « les clauses ayant pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou de consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Il n’est donc pas indispensable que la clause litigieuse ait produit son effet, à savoir déséquilibrer les relations contractuelles, pour être condamnée. Il suffit qu’elle ait eu pour objet de créer ce déséquilibre pour être susceptible d’être déclarée abusive par le juge. Cette appréciation in abstracto du caractère abusif de la clause facilite sa dénonciation tant par le consommateur que par les associations de consommateurs agréées au moyen de l’action en suppression1. Cependant un certain type de clause soulève des interrogations quant au pouvoir du juge de les déclarer abusives : ce sont les clauses contrevenant à une règle impérative du Code de la Consommation. Alors que la directive 93/13/CE du 5 avril 1993 considérait que le caractère abusif de « clauses contractuelles qui reflètent de dispositions législatives ou réglementaires impératives » ne pouvait être relevé, la loi du 1er février 1995 ne les a pas exclu du domaine d’application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Le juge n’est pas expressément habilité à déclarer abusives les clauses à caractère législatif ou réglementaire, mais cette possibilité n’en est pas pour autant écartée. Toutefois, un rapport de la Commission européenne est venu préciser l’affirmation de la directive, en considérant que l’expression « impérative » ne reflète pas la distinction habituelle entre les dispositions contraignantes et les dispositions supplétives mais couvre les règles qui s’appliquent entre les parties contractantes lorsque aucun autre arrangement n’a été convenu2. Ces clauses, qui contreviennent à une disposition légales ou réglementaire, sont qualifiées d’illicites. Pour la doctrine majoritaire, le cumul « abusif – illicite » n’est pas possible en raison de la différence du régime applicable à chacune de ces clauses et au contrôle de l’abus. Alors que pour certaines clauses abusives, le contrôle du caractère abusif est indispensable pour les sanctionner, pour les clauses illicites il en va différemment. En effet « dire d’une clause légale qu’elle est abusive revient à dire que la loi est illicite », or ce qui n’est pas concevable. De plus, dire qu’une clause réglementaire est abusive conduit à constater l’illégalité de l’acte

1 Article L.421-6 du Code de la Consommation. 2 Rapport de la Commission sur l’application de la directive 93/13/ CE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, 27 avril 2000, COM (2000) 248 final.

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administratif, ce qui échappe au pouvoir judiciaire1. Néanmoins, certaines décisions déclarent des clauses à la fois abusives, au regard de la définition de l’article L.132-1 du Code de la Consommation, et illicite car contraire à une disposition légales. Dans un jugement de 2005, les juges du fond ont estimé que la clause, en ce qu'elle permettait au professionnel, hors les cas prévus par l'ancien article R.132-2 du Code de la Consommation, de modifier et/ou de supprimer des services faisant l'objet du contrat sans information préalable et sans offrir au consommateur la faculté de résilier le contrat, revêtait un caractère abusif au sens de l'article L.132-1 du Code de la Consommation2. Ils vont même plus loin en considérant la clause est illicite car contraire à l'article L.121-84 du Code de la Consommation. Cette instance avait donné lieu à un avis de la Commission des clauses abusives qui avait été saisie par les juges sur le caractère abusif de ladite clause3. Cette double qualification d’ « abusive » et d’ « illicite » semble relativement bien admise dans les décisions jurisprudentielles. Néanmoins la différence entre ces deux notions est toujours présente notamment dans l’article L.421-6 du Code de la Consommation relatif à la compétence du juge, dans l’action en suppression d’une association de consommateur, selon lequel « le juge peut à ce titre ordonner le cas échéant sous astreint la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ». II. Une relation de base consommateur-professionnel : Lors de l’apparition de la notion de clause abusive, le législateur visait les contrats conclus entre un professionnel (A) et un consommateur (B) uniquement.

1 X. Lagarde, Qu’est ce qu’une clause abusive ?, JCP éd. G n°6, 6 février 2006. 2 Tribunal d’Instance de Vanves 28 décembre 2005. 3 Avis n° 05-05 relatifs à des contrats d’abonnement à la télévision par câble et à internet.

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A. Les professionnels : Alors que le commerçant est légalement défini comme la personne qui exerce des actes de commerce en en faisant sa profession habituelle1, il n’existe pas, dans la loi, de définition de la notion de professionnel, d’où une certaine hétérogénéité. En droit commun par exemple, la jurisprudence distingue, pour admettre ou refuser la validité de clauses supprimant la garantie des vices cachés dans les contrats de vente, les professionnels de même spécialité et ceux de spécialités différentes2. En droit de la consommation la directive relative aux clauses abusives de 1993, en son article 2 c) définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale qui (…) agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée ». On remarque que la directive précise que l’activité professionnelles en question peut être privée ou publique. Cette précision n’a pas été reprise lors de la transposition de la directive en droit français par la loi du 1er février 1995 mais est tout de même effective dans notre législation : le dispositif de protection contre les clauses abusives s’impose non seulement aux entreprises privées mais aussi aux entreprises publiques, dès lors qu’il existe une relation contractuelle entre celles-ci et le consommateur. Le professionnel, en droit de la consommation, peut donc se définir comme « la personne physique ou morale, qui agit dans le cadre d’une activité habituelle et organisée, de production, de distribution ou de prestation de service »3. C’est la personne exerçant une activité professionnelle, de droit privé ou de droit public et concluant un contrat dans le but de satisfaire un besoin professionnel s'inscrivant dans le champ d'application du droit de la consommation, à savoir une activité de production, de distribution ou de services.. Admettre ou refuser l’application de la législation sur les clauses abusives dépend doublement de la définition de la notion de professionnel. En effet, déterminer si le cocontractant qui a rédigé le contrat est bien un professionnel n’est pas suffisant. Il faut également que l’autre contractant, le plus « vulnérable » ne soit pas qualifié de professionnel. La loi considère non la nature du contrat mais la qualité des contractants et réserve son application aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs. A l’origine, les contractants dont la protection 1 Article L.121-1 du Code de Commerce. 2 Cass. Civ. 3ème 30 octobre 1978, JCP 1979, II. 19178, note J. Ghestin ; Cass. Com. 3 décembre 1986, Bull. civ. IV, n° 287. 3 Jean Calais-Auloy et Frank Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 7ème édition 2006, n° 178.

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devait être assurée par la réglementation sur les clauses abusives étaient les seuls consommateurs, c’est-à-dire toute personne qui agit pour ses besoins personnels ou familiaux. Finalement la difficulté à définir la notion de professionnel tient peut être à une autre difficulté liée à la détermination des contours de la notion de consommateur et aux différentes tentatives d’étendre la qualification à certains professionnels en situation de faiblesse. Ainsi quelques décisions de jurisprudence admettent le principe de l’application des dispositions relatives à l’élimination des clauses abusives à certains professionnels en les assimilant à des consommateurs sur la base du critère de la compétence. Cela revient à soutenir que le professionnel est aussi vulnérable que le consommateur lorsqu’il contracte en dehors de son domaine de compétence. La Cour de cassation a eu fait application de ce critère notamment en acceptant l’application des dispositions relatives aux clauses abusives à un agent immobilier qui avait fait poser un système d’alarme dans son local professionnel, au motif qu’il était « dans le même état d’ignorance que n’importe quel consommateur »1. Le professionnel se définit donc comme la personne physique ou morale qui contracte dans l’exercice d’une activité industrielle, commerciale, artisanales, libérale, agricole ou autre du moment qu’elle a un caractère professionnel. La réglementation des clauses abusives participe activement à cette définition. En principe, le professionnel a pour but de réaliser des bénéfices, mais le contraire est également admis. Ainsi, une association peut-elle agir en qualité de professionnel et se voir appliquer la réglementation des clauses abusives2. La solution peut être justifiée par le fait que les activités associatives poursuivent parfois un but patrimonial autre que la réalisation et le partage de bénéfices, comme par exemple la réalisation d'économies, le développement économique ou encore la création d'emplois.

B. Les consommateurs : L'article L.132-1 du Code de la Consommation vise les contrats dans leur généralité, quel que soit leur mode de formation (contrat d'adhésion ou contrat de gré à gré) ; leur forme (conditions générales de contrat, billet de transport, facture...) ; leur nature (vente, bail, prêt...). Le domaine d'application de la législation relative aux clauses abusives peut se 1 Cass. Civ. 1ère 28 avril 1987, Bull. civ. I, n° 134, JCP 1987, II 20893, note G. Paisant. 2 CA Paris, 22 mars 1990, RTD Civ. 1990, 474 obs. J. Mestre.

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définir par le biais des personnes autorisées à se prévaloir des règles de protection mais la notion même de consommateur est difficile à délimiter (1) tout comme la qualité des personnes visées (2).

1. L’introuvable notion de consommateur : Si le Code de la consommation est peu restrictif quant aux contrats visés par la réglementation des clauses abusives, il l'est plus quant aux contractants protégés. Pourtant toute personne peut être victime d'une clause abusive. S'agissant des personnes visées, l'article L.132-1 du Code de la Consommation prescrit l'élimination des clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qui, réputé en état de faiblesse, mérite d'être protégé. Toutefois, en l'absence d'une définition légale, tant dans les textes européens que dans la loi française, on s'interroge sur cette notion de consommateur. La question est d'importance car elle commande pour une large part le domaine d'application des dispositions du Code de la Consommation. D’autant plus que, plus la définition retenue sera étroite, plus le caractère protecteur de ces dispositions sortira renforcé ; alors que plus la définition sera large, moins le caractère protecteur de ce droit sera mis en valeur. Cette définition dépend de l’objet et de l’étendue de la protection que l’on entend assurer. Ainsi le consommateur protégé au titre de la prévention d’un risque pour sa santé ou sécurité pourra être différent du consommateur dont on protège un intérêt économique particulier. De ce fait, la plupart des directives communautaires se rapportant aux intérêts économiques, le consommateur est vu comme la personne physique agissant pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle. Ainsi, la directive du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives figurant dans les contrats conclu entre un professionnel et un consommateur, retient une définition restrictive1 :

« aux fins de la présente directive, on entend par consommateur, toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».

La Cour de justice des Communautés européennes a jugé que « la notion de consommateur telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive du 5 avril 1993 devait 1 Article 2, b) de la directive n° 93-13 CEE du Conseil du 5 avril 1993.

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être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement les personnes physiques »2. D'une certaine façon, le consommateur est une personne physique qui se procure ou est susceptible de se procurer un bien de consommation ou un service de consommation dans le but exclusif de satisfaire des besoins personnels ou familiaux et non ceux d'une entreprise ou d'une profession libérale. Cette position est relativement classique en droit communautaire de la consommation. Par exemple, l'article 2 de la directive du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales définit le consommateur comme « toute personne physique qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale »1. Une nouvelle fois toutes les personnes morales sont considérées comme des professionnels. A travers les acquis, on peut percevoir ce que l’on appelle le noyau dur du droit de la consommation, et il semble, dans certaines de ses décisions, que la Cour de cassation se soit ralliée à cette conception restrictive. Est consommateur celui qui n'agit pas dans le cadre de son activité professionnelle ou en lien direct avec celle-ci, c’est « la personne physique qui se procure ou qui utilise un bien ou un service pour un usage non professionnel, c'est-à-dire personnel ou familial »2. Le terme consommateur est généralement utilisé sans autre précision par le législateur soit dans l’intitulé de la loi, soit dans son contenu. La difficulté tient au fait que le législateur se réfère tantôt à une catégorie de personnes (toutes les personnes physiques), tantôt à une catégorie d’actes et tantôt aux deux à la fois. Toutefois, le législateur consumériste prend parfois soin d’exclure les opérations effectuées à titre professionnel. C’est le cas en matière de crédit, où restent en dehors du champ d’application du Code, les prêts destinés à financer les besoins d’une activité professionnelle3. Les dispositions sur le démarchage à domicile ne s’appliquent pas aux ventes et autres opérations présentant un rapport direct avec les activités

1 Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE et le règlement CE n° 2006/2004. 2 Jean Calais-Auloy et Frank Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 7ème édition 2006, n° 7. 3 Articles L.311-3 et L.312-3 du Code de la Consommation.

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exercées dans le cadre d’une activité professionnelle1, formule reprise par la jurisprudence en matière de clause abusives. Au regard des travaux préparatoires à la loi de 1978, on constate que la volonté initiale du législateur était de faire bénéficier les seuls consommateurs de la protection contre les clauses abusives. Cependant députés et sénateurs n’étant pas parvenus à trouver un terrain d’entente ce sont à la fois les termes de « consommateurs » et de « non-professionnels » qui ont été retenus dans le texte final de 19782. Et cette redondance a persisté malgré la directive de 1993, qui dans son article 1.1 ne visait que les professionnels et les consommateurs. En se référant également aux « non-professionnels », l'article L.132-1 du Code de la Consommation a soulevé la question de l'extension du champ d'application de ce texte à des professionnels profanes.

2. La question des personnes morales : Certains textes du droit de la consommation sont expressément réservés aux personnes physiques et ne prennent pas en compte les personnes morales. Cela se conçoit lorsqu’il est question de santé ou de sécurité des personnes. Mais l’exclusion est moins évidente lorsque sont en cause les intérêts économiques du consommateur. C’est pourtant la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes et de la proposition de directive de 2008. en effet, « la notion de consommateur, telle que définie à l’article 2, sous b) de la directive de 1993, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques »3. Cet article définit le consommateur comme étant « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle, c’est-à-dire pour des besoins personnels ou familiaux ». Dès lors une personne autre qu’une personne physique qui conclut un contrat avec un professionnel ne

1 Article L.121-22 in fine du Code de la Consommation. 2 Abbas Karimi, L’application du droit commun en matière de clauses abusives après la loi n° 95-96 du 1er février 1995, La semaine Juridique, Edition Générale n°13, 27 mars 1996, I 3918, n° 24 et suivants. 3 CJCE 22 novembre 200, aff. C-541/99 et C- 542/99 ; CCC 2002, comm. 18, obs. G. Raymond ; JCP G 2002, II, 10047, note Paisant ; D. 2002, p. 90, note C. Rondey ; RTD civ. 2002, p. 291, obs. Mestre et Fages ; RTD civ. 2002, p. 397, obs. Raynard

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saurait être regardé comme un consommateur au sens de cette disposition. Les personnes morales sont dès lors exclues de la protection. Ce n’est toutefois pas la position de notre jurisprudence dans les cas où le législateur n’exclut pas expressément les personnes morales du bénéfice de la protection due au consommateur. La loi de 1995 s'applique tant aux personnes physiques qu'à certaines personnes morales. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a reconnu implicitement la qualité de consommateur à un comité d’établissement, à une association puis à un syndicat de copropriété. Elle a confirmé que l’activité d’un syndicat de copropriétaires ne saurait constituer une activité professionnelle à proprement parler et qu’ « un contrat de syndic était donc susceptible de contenir des clauses abusives »1. Le bénéfice de la loi a également été accordé à une association de parents d’élèves en litige avec une société de vente et d’entretien de photocopieurs. Selon la Cour de Poitiers, l’objet de cette association permettait de la considérer comme un consommateur ou un non-professionnel et le contrat passé pour l’achat et l’entretien d’un photocopieur n’avait pas de lien direct avec son activité2. Quant à la Cour de cassation, sa jurisprudence ne cesse d’évoluer. Après avoir fait application du critère du rapport direct entre le contrat et l’activité du professionnel pour exclure l’application du droit des clauses abusives à une personne morale3, elle a décidé, contrairement à la CJCE4 que « la notion distincte de non-professionnel utilisée par le législateur français n’excluait pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives »5. Bien sur il faut qu’elle agisse sans rapport direct avec son activité professionnelle. Le fondement de la décision était non la notion de consommateur mais la notion de professionnel. Ainsi, si un syndicat départemental de contrôle laitier constitué entre éleveurs s’est vu refuser le bénéfice de cette législation dans ses relations avec un loueur de matériel informatique, ce n’est pas parce qu’il s’agissait d’une personne morale mais parce

1 CA Paris 4 septembre 2003. 2 CA Poitiers 1ère Ch. 4 décembre 2002. 3 Cass. Civ. 1ère, 10 juillet 1996, CCC 1996, comm. 15. 4 CJCE 22 novembre 2001, aff. C-541/99 et C- 542/99. 5 Cass. Civ. 1ère, 15 mars 2005, JurisData n°2005-027573 ; CCC 2005, comm. 100 ; JCP G 2005, II, 10114, note G. Paisant ; JCP E 2005, 769, note D. Bakouche ; D. 2005, p. 887, obs. C. Rondey ; D. 2005, p. 1948, note A. Boujeka.

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qu’il n’avait pu conclure ce contrat qu’en qualité de professionnel1. Cette décision se fonde plus sur la différence entre professionnel et consommateur que sur la distinction entre personne morale et personne physique. La Cour de cassation a opéré une distinction entre le consommateur et le non-professionnel : si le consommateur, comme l’a jugé la CJCE ne peut être une personne morale, le non-professionnel le peut. Ainsi est opéré une distinction entre deux notions que le législateur de 1978 considérait comme synonyme. Est un consommateur une personne agissant pour la satisfaction de ses besoins privés, personne physique nécessairement pour les autorités communautaires2, bien que la Cour de cassation envisage son application à des personnes morales qui n'agiraient pas pour des besoins professionnels. En réalité, l’article L.132-1 du Code de la Consommation ne limite pas expressément la protection aux personnes physiques. Une personne physique ou moral qui n’agit pas dans le cadre d’une activité habituelle et organisée de production, de distribution, de prestation de services peut être considérée comme un consommateur. Néanmoins, la solution ne semblait pas bien consolidée puisque un arrêt est venu semer le trouble en considérant que les sociétés commerciales ne pouvaient invoquer le caractère abusif d'une clause. Le fondement de la décision reste le même que celui de l'arrêt de 2005, l’article L.132-1 du Code de la Consommation ne s'applique pas dans les contrats conclus entre professionnels, mais, la Cour de Cassation prend une position opposée en affirmant que « les dispositions de l’article L.132-1 du Code de la Consommation (...) ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales »2. Le contrat avait été conclu entre deux sociétés commerciales pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction, dont l'objet était l'installation d'un distributeur automatique de boissons chaudes avec clause d'exclusivité. Or, la société cliente avait eu recours aux services d'un concurrent et la société installatrice avait assigné aux fins de résolution judiciaire du contrat. La société cliente invoquait le caractère abusif de la clause qui avait été retenu par la Cour d'appel de Besançon considérant que la société cliente devait être « considérée comme un simple consommateur, l'objet dudit contrat n'ayant strictement aucun 1 Cass. Civ. 1ère, 15 mars 2005, JurisData n° 2005-027573. 2 Cass. Civ. 1ère, 11 décembre 2008, n° 07-18.128, FS-D, Sté Établissement Jean Patouillet c/ Sté Sonalp ; JurisData n°2008-046239.

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rapport avec son activité ». Toutefois, la Cour de cassation juge qu’une société commerciale ne peut bénéficier de l'article L.132-1 du Code de la consommation. Elle renoue ainsi avec une jurisprudence antérieure1. Néanmoins, ce que déclare la Cour de cassation c'est que les sociétés commerciales ne peuvent invoquer le caractère abusif d'une clause, elle n'affirme pas que toutes les personnes morales sont exclues du bénéfice de l'article L.132-1. Elle est très explicite mais seulement pour les sociétés commerciales qui ne sont pas des consommateurs. C'est d’ailleurs la première fois, qu’elle formule de manière aussi claire une définition du consommateur à propos d'un texte de droit interne qui n'est pas la transposition d'une disposition communautaire. Récemment, la Cour de Cassation, par un arrêt de 2009, semble avoir mis fin à une polémique et harmonisé le droit français et le droit communautaire, en considérant que le texte visé qui s'applique exclusivement au consommateur, ne concerne que les personnes physiques et que dès lors, un comité d'entreprise, personne morale, ne peut s'en prévaloir2. Pris au visa de l’article L.136-1 du Code de la Consommation, l’arrêt a toutefois une portée relativement générale. Son attendu principal ne s'applique pas seulement à l’article L.136-1 du Code de la Consommation et affirme nettement que le consommateur ne peut être qu'une personne physique allant ainsi dans le sens de l'évolution de la doctrine. La première affirmation concerne le champ d'application de l’article L.136-1 du Code de la Consommation et la seconde montre que le consommateur s'entend exclusivement des personnes physiques. La Cour de Cassation est beaucoup plus explicite dans cet arrêt que dans les précédents. L'article L.136-1 « qui s'applique exclusivement au consommateur, ne concerne que les personnes physiques ». Autrement dit, les personnes morales ne peuvent pas entrer dans la catégorie consommateur. Cet arrêt marque donc une évolution très nette depuis la décision rendue par cette même formation, le 15 mars 2005, dans laquelle elle avait affirmé que : « la notion distincte de non professionnel, utilisée par le législateur français, n'exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives ». Ainsi, la Cour suprême accrédite-t-elle la définition du consommateur donnée par le droit communautaire, que ce soit dans les différentes directives ou par la CJCE3. Le législateur français pourrait aussi aller dans ce sens 1 Cass. Civ. 1ère, 10 juillet 1996 ; CCC 1996, comm. 157. 2 Cass. Civ. 1ère, 2 avril 2009, n° 08-11.231, F-D, SLG Canal CE c/ CE Dimension Data France, Juris Data 2009-047838. 3 CJCE 22 novembre 2001, aff. C-541/99 et C- 542/99.

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puisque le projet de loi, portant réforme du crédit à la consommation, reprend les définitions données dans la directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 et notamment celle du consommateur qui apparaît comme une personne physique. Les personnes morales, quelles qu'elles soient se trouvent exclues des contrats de consommation, ce qui n'empêche pas que certaines dispositions contenues dans le Code de la consommation puissent leur bénéficier. C'est toute la difficulté de ce droit encore en croissance.

Section 2 : La difficulté de la juxtaposition de la notion de non-professionnel à celle de consommateur : Lors de l’adoption du texte final en 1978, le législateur a inséré, à côté de la notion de consommateur, celle de non-professionnel, faisant ainsi passé la relation de base a trois contractants (I). Néanmoins, la volonté d’étendre toujours plus le champ de la protection est remise en cause par les récentes réformes (II). I. Une relation tripartite difficile à gérer Lors de l’élaboration du texte final, le législateur a, après avis de la Commission mixte paritaire, décidé d’introduire la notion de non-professionnel à côté de celle de consommateur pour étendre le champ de protection du dispositif de l’article 35 de la loi de 1978 (A). Toutefois, des limites ont du être posées afin de ne pas généraliser la protection à l’ensemble des non-professionnels (B).

A. La juxtaposition de la notion de non-professionnel : Ajouter la notion de non-professionnel dans la définition des clauses abusives était une chose (1) mais définir ce qu’il fallait entendre par ce nouveau concept en était une autre (2).

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1. L’insertion de la notion de non-professionnel : « Avec l’entrée dans une ère de consommation de masse, se sont développés de nouveaux types de contrats pré-rédigés par les professionnels et soumis à l’accord des consommateurs sans qu’ils n’aient réellement la possibilité d’en négocier les termes »1. Ces contrats comportent parfois des clauses qui restreignent de manière significative les droits des consommateurs ou accroissent injustement ceux des professionnels. Pour rétablir un certain équilibre dans la relation contractuelle, le législateur français a prévu, dès 1978, un dispositif de protection des consommateurs contre les clauses abusives. Au regard des travaux préparatoires à la loi de 1978, on constate que la volonté initiale du législateur était de faire bénéficier les seuls consommateurs de la protection contre les clauses abusives. Toutefois, à côté de cette notion de consommateur, est venu se greffer un autre concept, celui de non-professionnel, par une décision de la Commission mixte paritaire lors des travaux parlementaire de la loi du 10 janvier 1978. En effet, les députés et les sénateurs n’étaient pas d’accord sur la notion de consommateur. Pour les députés, le terme consommateur n’était pas défini juridiquement, ce qui rendait difficile la délimitation du champ d’application du nouveau texte. Alors que si on parle de non-professionnel, on voit tout de suite de qui il s’agit. Pour les sénateurs, c’est cette notion de non-professionnel qui n’avait aucune signification. D’autant plus, que si la volonté première du texte est d’assurer la protection du consommateur, il paraît évident de le mentionner dans la loi. La Commission mixte paritaire a tranché et a suivi l’Assemblée nationale en juxtaposant la notion de non-professionnel à celle de consommateur2. Cette redondance a persisté, malgré la directive de 1993, qui dans son article 1.1 ne visait que les professionnels et les consommateurs. Directive minimale laissant chaque Etat membre libre d’organiser une protection supérieure, la France a maintenu une protection élargie. La France s’est ainsi émancipée du droit communautaire. Ce choix a en outre été réalisé contre l’avis de la Commission des clauses abusives qui sollicitait la suppression de toute référence au non-professionnel3. La réglementation connaît, à côté de la protection naturelle des consommateurs, la protection des non-professionnels. Ainsi l’article 1 Propos tenus par le cabinet de Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de l’Industrie et de la Consommation auprès de la Ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi. 2 Abbas Karimi, L’application du droit commun en matière de clauses abusives après la loi n° 95-96 du 1er février 1995, La semaine Juridique, Edition Générale n°13, 27 mars 1996, I 3918, n° 24 et suivants. 3 Rapport pour 1994 ; BOCCRF 30 mai 1995 p.188.

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L.132-1 du Code de la Consommation1 dispose qu’une clause est abusive dès lors qu’elle a, « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». L’article L.132-2 du Code de la Consommation paraît également définir le domaine d’application de ce mécanisme protecteur en visant « les modèles de convention habituellement proposés par les professionnels à leurs cocontractants non-professionnels ou consommateurs ». Cette législation protectrice du consommateur a un champ d’application très large, puisqu’elle s’applique quels que soient la nature et la forme du contrat, ainsi que les produits concernés. Les personnes morales comme les personnes physiques peuvent en bénéficier puisqu’il a, en effet, été jugé que, si la notion de consommateur vise exclusivement les personnes physiques, celle de non-professionnel « n’exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives »2. Elle peut être définie comme « la personne physique ou morale qui se procure ou qui utilise un bien ou un service pour un usage non professionnel c'est-à-dire personnel ou familial »3. La clause doit exister dans un contrat passé ou proposé par un professionnel. La détermination des personnes protégées a donné lieu à des débats. La loi faisant mention d'un contrat « conclu » par un professionnel, il est évident que dès lors qu'un professionnel est intervenu, l'inégalité de situation est constituée ; ce n'est pas le professionnel qui est visé, mais la supériorité que lui donne cette qualité. Elle existe même lorsque le professionnel n'intervient pas lui-même à l'acte, dès lors qu'il fait bénéficier un non-professionnel de son savoir-faire. En réalité, lorsque l’on cherche à définir ce qu’est une clause abusive, il faut en premier lieu se demander si la « partie faible » au contrat est bien un consommateur ou un non-professionnel. Le droit de la consommation paraît extrêmement incertain sur la question de savoir si le consommateur protégé par le droit doit être un particulier, non professionnel, ou si certains professionnels peuvent bénéficier des protections légales. Toutes les définitions du consommateur données de façon abstraite et générale par des textes internes ou communautaires adoptent la conception restrictive du 1 Loi du 04 août 2008 n° 2008-776. 2 Cass. Civ. 1ère, 15 mars 2005, n°02-13285. 3 Jean Calais-Auloy et Frank Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 7ème édition 2006, n° 7.

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consommateur, celle qui le caractérise comme agissant en dehors de toute activité professionnelle. Mais dès que l'on s'intéresse aux définitions données par certaines règles protectrices, qui délimitent ainsi leur champ d'application, on constate que le bénéficiaire de la protection, c'est-à-dire le consommateur, est alors parfois défini de façon sensiblement plus large. Cela traduit l'existence d'une difficulté dans la détermination du domaine des règles de protection qui conduit à différentes conceptions possibles. Le problème tient tout simplement à ce qu'une personne physique devrait être protégée en raison de l'inégalité existante entre elle et le fournisseur, quand elle agit à titre privé, dans son intérêt personnel, mais que cette même personne ne devrait plus l'être lorsqu'elle se procure le même bien pour un usage professionnel. Comment une telle différence de traitement pourrait-elle se justifier ? Dans les deux cas, il s'agit d'un seul et même individu. Quelle différence établir entre le particulier et le professionnel n'agissant pas dans sa sphère de compétence ? Au stade de la consommation finale, le consommateur n'est généralement pas en mesure de se protéger lui-même : tous seront donc protégés, même si ce n'est pas toujours nécessaire. Au contraire, au stade de la consommation intermédiaire, les professionnels doivent se protéger eux-mêmes, ou se faire protéger en recourant à des conseils avisés, nul ne sera donc protégé par le droit. En s'appuyant sur l'analyse économique, le droit aurait pu secréter une règle générale qui n'aurait pas été plus inique que bien d'autres règles générales. C'est pourquoi, sans doute, la jurisprudence semble se diriger dans une direction qui rejoindrait la théorie économique. Pour Messieurs Calais-Auloy et Steinmetz1, « l'emploi, par la loi française, de l'expression « non-professionnel » à côté du mot « consommateur » permet d'étendre à d'autres personnes le bénéfice des dispositions sur les clauses abusives : aux épargnants qui font des actes de placement (souscription de valeurs mobilières, achat d'un immeuble de rapport, etc.), et aussi aux particuliers qui vendent un bien (par exemple une voiture d'occasion). Ces personnes sont incontestablement des non-professionnels, même si elles ne sont pas des consommateurs. Elles sont donc placées sous la protection du Code de la consommation, dès lors qu'elles contractent avec un professionnel ». En réalité, la discussion repose sur la conjonction « ou » de l'expression « non-professionnel ou consommateur ». On peut en effet considérer que le texte a utilisé l'expression « non-professionnel » comme synonyme de « consommateur » ou bien que deux catégories de personnes ont été visées : 1 Calais-Auloy et Steinmetz, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 7ème édition 2006, n° 7 p.207.

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les non-professionnels, d'une part, les consommateurs, d'autre part. Pour ces auteurs, le texte offre une alternative entre deux catégories de personnes.

2. La tentative d’interprétation de la notion de non-professionnel : L'article L.132-1 définit les clauses abusives en englobant les contrats passés par des professionnels avec d'autres que des consommateurs stricto sensu :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L’interprétation de l'expression « non-professionnel ou consommateur », afin de savoir si elle permet ou non de protéger le professionnel agissant en dehors de sa spécialité, a été obscurci par les querelles doctrinales sur la notion de consommateur. Les partisans d'une conception stricte du consommateur ont défendu une interprétation restrictive des personnes protégées. Pour eux, le non-professionnel ne serait pas un professionnel agissant en dehors de sa spécialité, mais seulement un non-consommateur. Néanmoins, une telle interprétation ne semble pas acceptable parce que la distinction entre professionnel et consommateur est une summa divisio ; il n'existe rien entre les deux. Le consommateur est vu comme la personne physique qui se procure un bien ou un service pour un usage non-professionnel donc personnel ou familial ; le professionnel comme la personne exerçant une activité professionnelle et concluant un contrat dans le but de satisfaire un besoin professionnel. Dès lors, le « non-professionnel » visé par les textes ne peut être qu'un professionnel agissant en dehors de sa spécialité, c’est-à-dire un consommateur. On pourrait songer à objecter que le début de l'article L.132-1 vise une redondance en utilisant la formule de «non-professionnel ou consommateur » pour désigner une seule catégorie. Cette conjonction de coordination traduirait donc une équivalence. Toutefois, la suite du texte réduit à néant cet argument puisqu'il précise « au détriment du non-professionnel ou du consommateur ». La victime peut donc bien être le consommateur ou le non-professionnel ce qui implique qu'ils soient distingués. La présence de l'article « du » identifie sans aucun doute une autre catégorie de personne. Les raisons de protéger les non-professionnels de la spécialité doivent l'emporter sur les querelles doctrinaires relatives à

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l'étendue d'un droit de la consommation qui n'a nul besoin d'être délimité autrement que par les frontières que trace chacun des mécanismes de protection qu'il institue sur le marché. Dans un premier temps, l’interprétation de la notion de « non-professionnel » a été restrictive, puisque la jurisprudence voyait dans le non-professionnel une façon différente de désigner le consommateur. Ainsi, dans un arrêt du 15 avril 1986, la Cour de Cassation a jugé qu’un agent d’assurance traitant pour la publicité de son cabinet avec un professionnel ne pouvait pas être considéré comme un consommateur1. Mais la notion s’est très vite élargie aux professionnels n’ayant pas le même niveau de compétence technique que le professionnel cocontractant. L’interprétation adoptée définissait le non-professionnel comme celui qui, tout en agissant dans le cadre de sa profession, conclut un contrat sortant de sa spécialité, c’est un « non-professionnel » de la spécialité. Dans cette conception, les professionnels étaient très largement protégés puisqu'il suffisait que le contrat ne porte pas sur ce qui constituait leur activité. Ainsi, la Cour a autorisé l’application de la législation en matière de clauses abusives à une agence immobilière qui avait conclu un contrat de fourniture de matériel d’alarme en énonçant le critère d’activité étrangère à celle exercée par l’agence, et a considéré que cette dernière était « dans le même état d’ignorance que n’importe quel consommateur »2. Entre ces deux interprétations, il n’y a pas contradiction mais complémentarité. L’assureur a agit dans l’exercice normal de sa profession pour le bénéfice de ses relations avec sa clientèle tandis que le contrat conclu par l’agent immobilier n’avait pas de rapport direct avec l’exercice de sa profession, il n’a pas agit dans le cadre des compétences générales nécessaire à la conduite de son commerce. La ligne de partage ne se situe pas sur la relation plus ou moins direct du contrat souscrit avec l’activité professionnelle. Elle se situe sur la technicité propre du professionnel. Un commerçant, qui contracte pour les besoins de son commerce mais en dehors de ce qui est sa technicité propre, peut redevenir ce consommateur présumé inexpérimenté. La loi Scrivener n’a pas voulu a priori exclure de sa protection le petit commerçant qui contracte dans un domaine qui lui est parfaitement étranger. Dès lors que le contrat échappe à sa compétence professionnelle le contractant se trouve dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur. La protection en matière de clauses abusives fit alors un grand pas vers la protection du plus grand nombre de cocontractants. 1 Cass. Civ. 1ère 15 avril 1986, Bull. civ. I, n° 90. 2 Cass. Civ. 1ère 28 avril 1987.

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Tout le monde pouvait bénéficier de la protection. Ce développement se manifeste par la reformulation de l’article L.132-1 du Code de la Consommation1 et l’utilisation du déterminant « du » comme nous l’avons évoqué précédemment, pour différencier ces deux notions et montrer que le professionnel a deux cocontractants. Toutefois, la Cour de Cassation est revenue sur cette assimilation du professionnel profane au consommateur et a dès lors restreint le champ du droit de la consommation aux seuls actes extérieurs à l’activité professionnelle2. Cette dernière décision semble renoncer à la conception extensive de la notion de « consommateur ou non-professionnel » puisqu’elle exclut généralement du champ d’application de l’article 35 les contrats de fourniture de biens ou de services ayant un rapport direct avec l’activité professionnelle du cocontractant. La protection est exclut pour les contrats qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant. En effet, par un arrêt du 24 janvier 1995, la première chambre civile a décidé « que les dispositions de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu les articles L. 132-1 et L. 133-1 du Code de la consommation et l'article 2 du décret du 24 mars 1978 ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant ». Dans le respect de la directive, ce critère aurait pu signifier l’exclusion de tous les contrats conclu dans le cadre de l’activité professionnelle. Mais la première chambre civile, après avoir semblé apporter cette dernière précision3, est revenue au critère plus vague en rappelant que le texte est réservé à ceux qui contracte sans lien direct avec leur profession4. Certaines décisions ont ainsi étendu aux clauses abusives, le critère du rapport direct posé par l'article L.121-23 du Code de la Consommation qui exclut, du champ d'application de la réglementation sur le démarchage, « les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de service lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute profession ». A contrario, cela signifie que les professionnels ne sont pas exclus de la protection légale lorsque l'opération est sans rapport direct avec leur activité. La protection 1 Loi du 1er février 1995 n° 95-96. 2 Cass. Civ. 1ère 24 novembre 1993 ; Cass. Com. 10 mai 1994. 3 Cass. Civ. 1ère 21 février 1995. 4 Cass. Civ. 1ère 30 janvier 1996 « les dispositions de l’article L.132-1 ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant », n° 93-18684.

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du professionnel s’est ainsi rétrécis car de nombreux contrats pouvaient avoir un rapport direct avec l'activité professionnelle, sans pour autant relever de la spécialité professionnelle de l'intéressé. Ainsi la jurisprudence a évolué sur la notion de professionnel. Favorable au professionnel quand à la législation protectrice sur les clauses abusives s’appliquait dès qu’il agissait en dehors de son domaine d’activité, elle tend aujourd’hui à l’exclure du champ d’application de ses dispositions protectrices. Enfin, il semble qu'un troisième critère soit en passe de supplanter celui du rapport direct, à moins qu'il ne soit qu'une autre formulation de la même idée. Il s'agit de la recherche de la cause ou de la finalité du contrat : est-il ou non destiné à contribuer à l'exercice de l'activité professionnelle ? Dans l'affirmative, la protection serait exclue ; le non-professionnel serait alors le professionnel qui n'agit pas en tant que tel. En définitive, on en vient à la considération de l'activité exercée et non plus de la qualité de l'intéressé. Et si l'activité est professionnelle, c'est qu’on est dans une consommation intermédiaire au sens que les économistes donnent à cette expression. Le droit de la consommation tend donc à délimiter son champ d'application par référence à la notion économique de consommation. C'est rassurant pour la simplicité des rapports entre les deux, mais cela ne signifie pas que le consommateur, bénéficiaire du droit de la consommation, pourrait être défini comme le consommateur final des économistes.

B. Le rapport direct avec l’activité professionnelle : l’exclusion des règles relatives aux clauses abusives :

Si, dès le début, l'habitude a été prise d'étendre le domaine de la protection contre les clauses abusives au-delà du simple consommateur, personne physique contractant pour ses besoins familiaux et privés, la Cour de cassation a adopté en cette matière des conceptions plus ou moins larges par le critère du rapport direct (1) dont l’application pratique n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît (2).

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1. Le critère prétorien du rapport direct : La clause abusive est celle qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat « au détriment de non-professionnel ou du consommateur ». L’article L.132-1 du Code de la Consommation vise à la fois les consommateurs, personne qui se procure ou qui utilise un bien ou un service dans un but non-professionnel, et les non-professionnels. L'une des questions récurrentes est celle de savoir si un professionnel contractant avec un autre professionnel peut, dans certaines circonstances, être protégé en tant que consommateur. En effet, la pratique montre que des contrats inégalitaires sont également conclus entre professionnels, l'un étant en situation d'imposer sa loi à l'autre, le plus souvent pour des raisons économiques ou techniques. Ainsi les artisans et les petits commerçant sont souvent autant désarmés face à leurs fournisseurs que les consommateurs face aux professionnels, et nombreux sont ceux qui demandent l’application à leur profit de la législation sur les clauses abusives. Dans un premier temps, la Cour de Cassation a opté pour une position extensive et a utilisé le critère de la compétence professionnelle pour protéger celui qui avait contracté en dehors de sa spécialité et qui, de ce fait, « était dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur »1. Toutefois, depuis 1995, ils ne peuvent plus invoquer le caractère abusif des clauses pour en écarter l’application. La position de la Cour de Cassation sur cette question est ferme et plus restrictive, « les dispositions de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu les articles L.132-1 et L.133-1 du Code de la consommation, et l'article 2 du décret du 24 mars 1978, ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant »2. La Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est rangée à cette jurisprudence3, inspirée à l'évidence de l'article L.121-22 du Code de la Consommation qui, sur le démarchage à domicile, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 31 décembre 1989, exclut de son champ d'application les contrats qui « ont 1 Cass. Civ. 1ère 28 avril 1987, Bull. civ. I, n° 134 ; D. 1987, somm. p. 455, obs. Aubert et 1988, p. 1, note Delebecque ; JCP G 1987, II, 20893, note Paisant ; RTD civ. 1987, p. 537, obs. Mestre ; Cass. Civ. 1ère 6 janvier 1993, Bull. civ. I, n° 4 ; JCP G 1993, II, 22007, note Paisant. 2 Cass. Civ. 1ère, 24 janvier 1995, D. 1995 p.327. note G. Paisant et Somm.229 obs. Ph. Delebecque; CCC 1995, comm. n° 84, note Leveneur . 3 Cass. Com. 14 mars 2000, BRDA 2000, n° 8, p.10 ; Cass. Com. 13 mars 2001, Sté Guthel Maroe Juris-Data n° 2001-008782.

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un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une... profession ». Cette évolution jurisprudentielle met ainsi un terme à la conception large du domaine d'application de ce texte. Il devrait en résulter, a contrario, que ces dispositions sont applicables aux professionnels concluant des contrats sans rapport direct avec leur activité professionnelle. Or, en pratique, le rapport est souvent jugé direct1. D’apparence objective, la notion de rapport direct abouti presque systématiquement à fermer la porte à la protection du professionnel donc à une exclusion de fait de ce dernier, ce qui peut paraître excessif, comme le démontre par exemple un arrêt du 27 septembre 2005. La Fédération française d'athlétisme a été déboutée de sa demande tendant à ce que soit déclarée abusive la clause lui imposant une indemnité de remboursement anticipé à la suite de la renégociation de son emprunt. La Cour approuve les juges du fond qui ont relevé d'abord « que l'emprunt litigieux avait été contracté par une fédération en vue de financer l'acquisition et l'aménagement d'un nouveau siège social, lieu de son activité, et que la Fédération, dont l'objet est de promouvoir l'athlétisme en France par la signature d'importants contrats de partenariat et de vente de licences, avait souscrit cet emprunt dans le cadre de son activité, afin d'améliorer les conditions d'exercice de celle-ci, faisant ainsi ressortir l'existence d'un rapport direct entre l'activité professionnelle de cette association et le contrat de prêt litigieux, pour en déduire à bon droit que les dispositions des articles L.132-1 et suivant du Code de la Consommation n'étaient pas applicables dans le présent litige »2. Cette jurisprudence oscille en réalité entre deux conceptions antinomiques. D’un côté, elle ne veut pas limiter la protection par le droit des clauses abusives aux seuls consommateurs. Et d’un autre côté, elle ne veut pas ouvrir trop largement cette action aux professionnels. Finalement la classification bipartite consommateur-professionnel de l’origine est préférable, même s'il est vrai qu'elle conduit dans quelques hypothèses à des solutions qui peuvent paraître choquante. Les exemples de contrats signés par des entrepreneurs, sans rapport avec leur activité professionnelle, existent cependant. Les professionnels peuvent alors profiter de la protection

1 Cass. Civ. 1ère, 3 janvier 1996, s’agissant d’ un contrat de fourniture d'eau pour un verrier ; JCP E. 1996, 11.830 note L. Leveneur. 2 Cass. Civ. 2ème, 27 septembre 2005, D.2006.Jur.238 obs. critiques Y. Picod, Defrénois.2005.2003 note É. Savaux.

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accordée en principe aux seuls consommateurs1. Aujourd’hui, les tribunaux restreignent la notion de professionnel au profit de celle de consommateur afin de permettre l’application plus fréquente du droit des clauses abusives. L’instauration2 et le maintient3 d’une solution selon laquelle si un professionnel démontre que le contrat contenant des clauses litigieuses est sans rapport direct avec son activité, cela lui permettra d’invoquer l’article L.132-1 au même titre qu’un consommateur lambda, démontre de ce désir d’extension. Toutefois, l'utilisation du critère prétorien du « rapport direct », bien qu'utilisé avec prudence par les magistrats, nuit cependant à la cohérence du droit de la consommation puisque des professionnels peuvent prétendre bénéficier des règles consuméristes.

2. L’appréciation pratique du rapport direct : L'octroi de la protection contre les clauses abusives aux professionnels a dès l'origine soulevé des difficultés. En 1995, la Cour de cassation a étendu à l'article L.132-1 du Code de la Consommation, le critère du rapport direct avec l'activité du professionnel contractant déjà applicable en cas de démarchage. L'examen de la jurisprudence sur cette question fait apparaître de profondes divergences, tant au sein de la Cour de cassation quant à l'étendue de son contrôle, qu'au sein des juges du fond quant à la mise en oeuvre des principes insuffisamment explicités par la Cour. En laissant l'appréciation du rapport direct au pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation donne à ces derniers un rôle essentiel : dès lors qu'une décision a effectivement recherché l'existence du rapport direct, en motivant sa position, toute censure est écartée quelle que soit la solution adoptée. L'appréciation souveraine des juges du fond n'est pas sans limites : elle n'échappe à la censure que si elle s'inscrit dans le cadre conceptuel préalablement fixé par la Cour de cassation, en l'occurrence la recherche d'un rapport direct entre le contrat et l'activité professionnelle, et si elle respecte les exigences du contrôle de motivation. 1 CA Amiens, 6 avril 2006, convention de prévention des risques pour un salon de voiture ; CCC 2006 n° 212 obs. G. Raymond ; CA Aix-en-Provence, 26 mai 2005, contrats de télésurveillance conclus par un avocat pour la protection de sa villa abritant à la fois son domicile privé et son cabinet professionnel ; CCC 2006 n° 54 note G. Raymond. 2 Cass. Civ. 1ère 24 janvier 1995. 3 Cass. Civ. 1ère 5 mars 2002 et 27 septembre 2005.

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Toutefois, le choix du critère lui-même n’est pas clair puisque certaines juridictions continuent d'appliquer explicitement le critère de la compétence soit directement, soit indirectement en altérant le sens du critère, en estimant « qu'en se déterminant ainsi, sans relever l'absence de rapport direct entre le contrat conclu par la société S. avec le GAEC et l'activité professionnelle de ce dernier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte visé »1. Leur censure pour défaut de base légale demeure parfaitement compatible avec le maintien de l'appréciation souveraine des juges du fond, que la Cour a postérieurement réaffirmée2. Quant à la Chambre commerciale, elle casse, sous le visa de l'article L.132-1, un arrêt ayant octroyé le bénéfice de cette disposition à un radiologue au motif « qu'en statuant ainsi, alors que les contrats qui portaient sur la location d'un appareil de mammographie et d'un matériel de radiologie avaient un rapport direct avec l'activité de radiologue exercée par M. B., la cour d'appel a violé le texte susvisé »3. Pour la Chambre commerciale, l'appréciation du rapport direct est encore une question de droit. Cette position est nettement confirmée par un arrêt ultérieur intervenu en matière de démarchage4 et, semble-t-il, par deux autres décisions, rendues dans le cadre de l'art. 35 de la loi de 1978, qui emploient encore l'expression « à bon droit »5. En revanche, un arrêt plus récent, concernant le démarchage, se contente d'affirmer que la « cour d'appel a souverainement estimé que l'acquisition du matériel litigieux était en relation directe avec l'activité commerciale des époux M. »6. Violation de la loi et affirmation explicite de l'existence d'un rapport direct dans un cas, manque de base légale et invitation à rechercher l'existence d'un tel rapport dans l'autre. S’agissant de l'application concrète de ce rapport direct, le démarrage initial de toute activité professionnelle nécessite la conclusion de certains contrats. Dès le 9 mai 1996, la première Chambre civile a clairement affirmé que le « contrat, conclu par un commerçant pour lui permettre d'exercer une activité commerciale » n'entre pas dans le domaine de la loi sur le

1 Cass. Civ. 1ère, 4 décembre 2001, pourvoi n° 99-14.707 ; 5 mars 2002, Bull. civ. I, n° 78 ; JCP 2002, II, 10123, note Paisant ; CCC 2002, n° 118, note Leveneur. 2 Cass. Civ. 1ère, 22 mai 2002, Bull. civ. I, n° 143. 3 Cass. Com. 1er juin 1999, pourvoi n° 96-20.962. 4 Cass. Com. 16 mai 2000, pourvoi n° 96-20.376 ; CCC 2000, n° 168. 5 Cass. Com. 14 mars 2000, RJDA 2000/5, n° 608. 6 Cass. Com. 27 nov. 2001, pourvoi n° 99-13.469.

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démarchage à domicile1. Cette position rejoint celle adoptée par la CJCE2 dans le cadre de l'application de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 selon laquelle « les articles 13 premier alinéa, et 14 premier alinéa doivent être interprétés en ce sens qu'un demandeur qui a conclu un contrat en vue de l'exercice d'une activité professionnelle non actuelle mais future ne peut être considéré comme un consommateur ». Elle se rapproche également de celle de la Cour de cassation pour l'application des textes en matière de crédit à la consommation3. Pendant la période d'activité, le professionnel va être amené à conclure différents contrats qui ne sont pas équivalents. S’agissant des conventions conclues en vue de permettre l'activité spécifique du professionnel, l'exclusion des dispositions protectrices est presque unanimement admise par les décisions pour tous les contrats d'acquisition ou de mise à disposition de machines ou d'outils nécessaires à cette activité spécifique4. S’agissant ensuite des conventions relatives au financement de l'activité, les décisions admettent majoritairement l'existence d'un lien direct avec l'activité professionnelle5. L'éviction de la protection en matière de clause abusive se retrouve aussi pour les contrats de promotion, de publicité ou autres qui ont pour objectif de favoriser l'activité, en la faisant connaître ou en améliorant son image6. Par contre, la jurisprudence est partagé pour les contrats relatif à la préservation de l’activité par la conclusion de contrats d'assurance7 ou de surveillance et d'alarme8. Enfin, pour les contrats visant à assurer la gestion administrative de l'entreprise, la jurisprudence traite de manière contradictoire tous les secteurs concernés. Tel est le cas des contrats portant

1 Cass. Civ. 1ère 9 mai 1996. 2 CJCE 3 juill. 1997, Francesco Benincasa, aff. C-269/95, Rec. CJCE 1997/7, I, p. 3767 ; Bull. inf. C. cassation , n° 457, p. 2 ; CJCE, 19 janv. 1993, Shearson Lehman Hutton, aff. C-89/91, Rec. CJCE 1993/1, I, p. 139. 3 Cass. Civ. 3ème 25 avril 1984, Bull. civ. III, n° 91 ; Cass. Civ. 1ère 7 oct. 1992, Bull. civ. I, n° 244. 4 Cass. Civ. 1ère 10 juillet 1996 ; Cass. Com. 1er juin 1999 ; CA Nîmes, 25 janvier 2001, Juris-Data, n° 143645 ; C/ écartant le rapport direct, CA Paris 8 novembre 1999, RJDA 2000/3, n° 346. 5 Cass Civ. 1ère 18 février 1997, pourvoi n° 95-12.962 ; Cass. Com. 13 mars 2001. 6 Cass. Civ. 1ère 26 novembre 2002, Bull. civ. I, n° 290 ; CCC 2003, n° 80, note Raymond ; CA Nancy 9 octobre 2002, n° rôle 1982/2002. 7 Rapport direct : Cass. Civ. 1ère 23 février 1999 ; C/ CA Colmar, 13 mai 1994, Juris-Data, n° 050225. 8 Rapport direct pour des contrats de télésurveillance, CA Paris 26 nov. 2002, Juris-Data, n° 209301; C/ CA Dijon, 3 décembre 2002, Juris-Data, n° 199517.

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sur des photocopieurs1 ou des matériels de téléphonie ou de télécopie2. Ainsi l'acquisition de matériel informatique est jugée en lien direct avec l'activité par les décisions consultées3. Il en résulte des décisions contradictoires et une grande insécurité juridique qui conduisent à proposer la mise en oeuvre de critères plus clairs et un contrôle de la Cour de cassation dans le souci de l'unité du droit. II. Des limites apportées à l’extension des règles relatives aux clauses abusives Le critère du rapport direct pour appliquer ou non au non-professionnel les dispositions sur les clauses abusives n’est pas si efficace qu’il y paraît (A) et subi quelques restrictions du fait de récentes réformes (B).

A. Les critiques du critère du rapport direct : L’élaboration du critère du rapport direct est inachevée étant donné l’absence de définition de la jurisprudence (1). Une nouvelle formulation semblerait plus protectrice du consommateur (2).

1. Une difficile définition : La définition même du rapport direct est incertaine. Faut-il faire une appréciation in concreto, pour que le seul fait que le contrat ait été conclu par un professionnel lors de l'exercice de son activité suffise, dans tous les cas, à caractériser l'existence de ce rapport direct et donc à fermer la porte du Code de la consommation à tous les professionnels ? Ou une appréciation in abstracto, en se demandant si tout autre professionnel de la même spécialité est conduit, 1 Rapport direct : CA Montpellier, 11 décembre 2002, Juris-Data, n° 206554 ; C/ CA Nîmes, 20 juin 2002, Juris-Data, n° 196918. 2 Rapport direct : Cass. Civ. 1ère 5 novembre 1996 ; C/ Paris 23 mai 1996, Juris-Data, n° 022007. 3 CA Paris 2 sept. 1999, Juris-Data, n° 103130.

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dans l'exercice normal de son activité, à conclure des contrats du même type ? Plusieurs arguments militent en faveur de cette dernière appréciation. Tout d’abord, il s’agit de la sécurité juridique et de l'égalité de traitement. Dans le domaine des clauses abusives, l'ampleur du pouvoir de contrôle accordé au juge, qui lui permet une véritable remise en cause du contrat, n'est supportable pour les prestataires que si son domaine est clairement défini. Une insécurité juridique généralisée est ici plus qu'ailleurs intolérable. Ensuite, les hypothèses rencontrées par les magistrats sont peu nombreuses : une appréciation par catégorie peut au contraire aboutir rapidement à une remise en ordre de la matière. Enfin, dans la plupart des cas, il est difficile de voir quelles sont les différences individuelles de situation qui peuvent justifier une différence de traitement. Ainsi, quel argument peut expliquer que l'achat d'un terminal de paiement par un fleuriste soit tantôt soumis à l'article L.132-1, tantôt pas ? Il n'est pas question de contester la nécessaire influence de certaines circonstances propres à chaque situation, mais ces hypothèses ne peuvent être admises que dans des cas très limités. La Cour de cassation, en choisissant de ne pas définir le rapport direct, n'a pas formellement pris parti sur ces points. Elle a néanmoins précisé que l'appréciation de ce rapport devait être dissociée du point de savoir si le contrat avait été conclu en dehors de la sphère habituelle de compétence du professionnel en cause qui, dès lors, aurait contracté dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur1. Les critères du rapport direct et de la compétence professionnelle sont distincts et seul le premier est actuellement pris en compte par la Cour de cassation. Néanmoins, elle n'a jamais totalement expliqué ce qu'il fallait entendre par « activité » et « rapport direct ». Ainsi elle est restée très brève sur la définition de l'activité professionnelle : d’une part, il doit s'agir d'une activité « normale »2, et d'autre part, il peut être tenu compte de l'apparence délibérément créée par le professionnel3. S’agissant du lien direct, elle s'est contentée de poser un critère principal, sans tenter de le préciser par des sous-critères. Toutefois, à plusieurs reprises, avec des formules différentes4, elle a inspiré l'idée que les contrats permettant l'activité ou visant à la développer ont un lien direct avec celle-ci. Cette position conduit concrètement à considérer que les contrats de

1 Cass. Civ. 1ère 10 juill. 2001, préc. ; 5 mars 2002, préc. 2 Cass. Civ. 1ère 3 janv. 1996 3 Cass. Civ. 1ère 22 mai 2002, Bull. civ. I, n° 143 4 Cass. Civ. 1ère 9 mai 1996 « permettre d'exercer l'activité, fût-elle complémentaire » ; Cass. Com. 16 mai 2000, « développer » l'activité ; Cass. Civ. 1ère 1er février 2000, activités « même secondaires ».

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démarrage, d'extension ou de promotion commerciale de l'activité remplissent cette condition, alors que la solution inverse s'impose pour les contrats tendant à mettre fin à l'activité. Tous les contrats visant à permettre ou développer l'activité spécifique du professionnel échappent à la législation protectrice en matière de démarchage ou de clauses abusives, quel que soit le degré d'ignorance technique du professionnel à leur égard. Il n'empêche que la pratique des juridictions du fond est nettement moins tranchée. La diversité des décisions fait naître des contradictions sur des contrats courants, comme l’acquisition ou la location de photocopieurs, de matériels informatiques, de matériels de surveillance ou d'alarme. Ainsi dans le secteur des contrats conclus pour la surveillance des locaux professionnels, plusieurs décisions ont considéré que le contrat conclu présentait un rapport direct avec l'activité professionnelle, commerciale ou libérale exercée. Parfois, le simple fait que le matériel acheté soit destiné à la surveillance de locaux à caractère professionnel, avec les marchandises ou matériels qu'ils renferment, a suffi à convaincre les juges de l'existence de ce rapport direct1. Mais, en sens contraire, l'absence de rapport direct repose sur le fait que ce contrat ne relève pas de la spécialité professionnelle de l'intéressé2 ou n'est susceptible de faciliter l'activité de ce dernier que de manière indirecte3. Une décision se adopte cette solution tout en retenant que l'opération a été passée pour les besoins du commerce4. Ainsi, selon les juridictions, on voit que, pour l'installation d'un système d'alarme ou de surveillance, un fleuriste5 ou encore un hôtelier6 ont pu être traités en consommateurs. L’autre domaine de ce désordre jurisprudentiel est celui relatif aux fournitures de matériels d'équipement professionnel, généralement considérées comme étant en rapport direct avec l'activité exercée7 parce que les paiements s'en trouvent facilités. Mais certaines juridictions 1 CA Rennes, 1ère ch. B, 18 janvier 2002, SA CIPE France, Juris-Data n° 2002-170867. 2 CA Agen, 1ère ch. 9 octobre 1995, Torguet, Juris-Data n° 1995-046797 ; CA Pau, 1ère ch., 28 mai 2001, EURL Pyrénées Sécurité, Juris-Data n° 2001-143998. 3 CA Grenoble, 1ère ch. civ., 27 septembre 1999, Monnet, Juris-Data n° 1999-102501. 4 CA Nîmes, 3ème ch. corr., 10 mars 2000, Juris-Data n° 2000-121163. 5 CA Agen, 1ère ch., 9 octobre 1995 6 CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect. 17 novembre 1999, Jacques, Juris-Data n° 1999-101862. 7 CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 28 juin 1999, Juris-Data n° 1999-042420 ; CA Rouen, 10 novembre 1999, BRDA oct. 2000, n° 17 ; CA Orléans, ch. com., 4 mai 2000, Juris-Data n° 2000-125344 ; CA Paris, 13e ch. corr. A, 16 mai 2001, Juris-Data n° 2001-148057.

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privilégient le fait que l'intéressé ne dispose pas des compétences nécessaires pour apprécier l'intérêt d'une telle opération1. Est-il, par ailleurs, cohérent, toujours au nom du rapport direct, de considérer comme un consommateur un commerçant qui contracte avec la Poste pour la diffusion de documents publicitaires2 dans le temps où l'artisan qui passe un ordre de publicité pour son entreprise se voit refuser l'accès au Code de la consommation3 ? Et quant est-il du commerçant qui, consommateur pour la fourniture de la vitrine de son magasin4 ou l'installation de volets roulants5, est professionnel quand il se procure le matériel téléphonique de son entreprise6 ? Il apparaît que cette jurisprudence sur le rapport direct se partage en deux grands courants. Un premier relatif à une interprétation extensive de la notion de consommateur aux professionnels. Le contrat est sans rapport direct avec l'activité professionnelle exercée, dès lors que l'intéressé a agi en dehors de son domaine de compétence. Dans cette vue, le professionnel, considéré comme un consommateur, est un profane au regard de l'objet du contrat conclu. Ce courant apparaît en opposition par rapport à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. Puis un second dont l’appréciation est plus restrictive. Ainsi, l'existence du rapport direct va dépendre de la finalité dans laquelle le contrat a été conclu. Ce rapport tient aux motivations commerciales qui ont conduit le professionnel à contracter. Celui-ci attend un avantage quelconque du contrat qu'il a conclu dans l'exercice de la profession, dans l'intérêt de son entreprise. Ces divergences d'interprétation sont évidemment source d'insécurité juridique dans les rapports contractuels. En toute hypothèse, un besoin de certitude commande la recherche d'une autre solution.

1 CA Besançon, 2e ch. com., 2 avril 2002, Juris-Data n° 2002-178219. 2 CA Nancy, 2e ch. com., 10 mai 2000, Juris-Data n° 2000-139561. 3 CA Dijon, ch. civ. B, 28 mars 2002, Juris-Data n° 2002-170814. 4 CA Paris, 5e ch. A, 17 avr. 1996, Juris-Data n° 1996-021117. 5 Paris, 14e ch. B, 24 mai 2002, BRDA oct. 2002, n° 1089. 6 Cass. 1re civ., 5 nov. 1996, Bull. civ. I, n° 377 ; JCP G 1996, IV, 2545 ; Juris-Data n° 1996-004144.

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2. Une nécessaire clarification : Sans doute, devant les lacunes ou imprécisions de la loi, la Cour de Cassation a-t-elle opté en faveur du critère du « rapport direct ». Mais dans la mesure où ce choix produit des résultats contraires à l'unité du droit recherchée, une nouvelle intervention, qui serait cette fois-ci effectivement régulatrice, apparaît désormais indispensable. Dans l'esprit de clarification1 qui a présidé à la promulgation du Code de la Consommation en 1993, et au-delà de la variété des textes et de leurs différences de rédaction, ne serait-il pas souhaitable, pour la protection de ses intérêts économiques, de délimiter le champ d'application du droit de la consommation par recours à une définition unitaire du consommateur ? Commandant le champ d'application d'une partie importante du Code de la Consommation, cette définition réclame une unité de jurisprudence pour éviter que les justiciables ne soient jugés différemment selon les lieux. Le droit de la consommation protégeant le présumé faible contre le présumé fort, il apparaît naturel qu'il bénéficie à celui que son ignorance place en situation d'infériorité par rapport à son cocontractant réputé connaître toutes les caractéristiques du produit ou du service qu'il propose à sa clientèle. Ainsi l'usage de ce seul critère, qui veut que soit consommateur le professionnel qui contracte en dehors de son domaine de compétence, est loin d'être satisfaisant. Tout professionnel qui contracterait en dehors de sa spécialité, quelle que soit sa puissance économique, aurait ainsi la qualité de consommateur. Il risquerait de conduire à protéger un contractant en position de supériorité économique par rapport à l'autre, du moment qu'il s'est procuré un produit ou un service étranger à son domaine de compétence professionnelle. Mais force est de constater que la variété des textes compromet cette volonté d’unification. L'étendue de la protection voulue par le législateur varie selon les domaines. Dans un cas, elle ne concerne que le consommateur au sens strict, dans un autre, elle englobe le professionnel pour peu qu'il soit une personne physique, et enfin, elle peut être très générale. Pour sauvegarder l'unicité du droit de la consommation, la solution la plus simple à mettre en oeuvre serait celle qui consiste à tenir à l'écart du statut de consommateur toute personne 1 J. Calais-Auloy, Un code, un droit, Litec, 1994, p. 13 s. ; J. Beauchard, Remarques sur le Code de la consommation, PUF, 1994, p. 9 s.

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contractant en sa qualité de professionnel, à l'occasion de l'exercice de sa profession, sans qu'il soit nécessaire de se soucier de ses motivations commerciales réelles ou de l'avantage qu'il est susceptible de retirer de l'opération. Le seul fait que celui-ci soit conclu à l'occasion de l'exercice de la profession suffirait à le tenir à l'écart des règles spécifiques de protection des consommateurs. Cette solution rejoint l'idée que le droit de la consommation a été conçu pour protéger les consommateurs et non les professionnels. Il vise à défendre les consommateurs contre des professionnels sans pouvoir s'appliquer dans les rapports - même déséquilibrés - entre professionnels. Indiscutablement, la spécificité du droit de la consommation s'en trouverait renforcée. Une telle analyse paraît aussi en accord avec les préoccupations communautaires où un grand nombre de directives définit le consommateur comme « la personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle »1. C'est aussi la plus sûre d'un point de vue juridique et pratique. Mais, compte tenu des exclusions systématiques qu'elle induit, elle peut paraître trop restrictive et rigoureuse au regard des intentions mêmes du législateur. En transposant la directive de 1993 sur les clauses abusives, il avait voulu laisser ouverte à certains professionnels, petits commerçants ou artisans contractant en situation de faiblesse avec d'autres professionnels, la protection du Code de la consommation. C'est pourquoi, de manière intermédiaire, seraient seulement tenus à l'écart de la protection accordée aux consommateurs, les professionnels ayant contracté pour les besoins de leur profession. L'exclusion ne tiendrait pas ici à la qualité en laquelle le contrat a été conclu, mais à la finalité professionnelle de l'opération ; elle concernerait les professionnels ayant agi pour permettre, faciliter, développer ou promouvoir l'exercice de leur activité. Et c'est à l'intérieur d'une telle définition que s'exercerait l'appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi les professionnels qui, tout en agissant en cette qualité, concluent des opérations qui ne sont ni destinées à attirer ou accroître la clientèle, ni à améliorer la gestion de leur entreprise se verraient protéger. Par exemple, le commerçant ou l'artisan qui serait démarché pour l'acquisition d'un extincteur ou celui de l'agent immobilier contractant pour l'installation d'un système de télésurveillance. L'avantage de cette option est de rester au plus près des intentions du législateur et d'éviter de dénaturer le droit de la consommation par une définition trop large du consommateur protégé. Cette protection ne porterait que sur des opérations se situant en marge de l'activité professionnelle exercée, en ce sens qu'elles ne sont pas du type de celles qu'un professionnel 1 Article 2 de la Directive CEE 93/13, 5 avril 1993.

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de la même spécialité est normalement amené à conclure dans la conduite de son activité, mais du même ordre que celles qui sont réalisées à titre domestique. Néanmoins, l'appréciation souveraine des juges du fond pourra toujours conduire à des divergences de solution. En laissant la porte ouverte à certains professionnels, la solution consistant à n'exclure du statut de consommateur que ceux d'entre eux qui contractent pour les besoins de l'exercice de leur profession, on opte pour une formule intermédiaire plus nuancée même si elle reste restrictive. Examiné comme une partie essentielle du droit du marché, le droit de la consommation reçoit une finalité supplémentaire qui est de contribuer à rééquilibrer les relations qui s'instaurent sur le marché. Le consommateur doit être protégé à raison de sa faiblesse, et aussi dans le but de permettre un fonctionnement harmonieux du marché. Il n'y pas de contradiction entre la liberté des entreprises, et la protection du consommateur. Il y a une complémentarité des diverses composantes d'un droit qui régit le marché, dans lequel se mêlent intimement ce que l'on appelle le droit de la consommation et le droit de la concurrence. Le consommateur exerce sur le marché une action déterminante puisque, par son choix, il sanctionne la concurrence existant entre les entreprises. Ainsi, sa définition doit être considérée comme une question de droit soumise au contrôle de la Cour de cassation. Le problème de la définition du consommateur dépasse les limites d'un litige particulier et la solution attendue d'un contrôle exercé par la Cour de cassation doit avoir une valeur générale de nature à unifier la jurisprudence des juridictions du fond.

B. Les restrictions posées par les nouvelles réglementations : La récente loi d’août 2008 (1) ainsi que la proposition de directive européenne d’octobre 2008 (2), modifient la place de la notion de non-professionnel et du rapport direct dans l’application des dispositions relatives aux clauses abusives.

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1. L’introduction de la notion de clauses abusives dans la relation commerciale :

Par principe, l'article L.132-1 du Code de la Consommation est un texte assurant la protection des consommateurs, protection qui leur est réservée et qui, par conséquent, exclut de son champ d'application les relations entre professionnels. Ainsi lorsqu’un contrat a été conclu entre deux commerçants dans la cadre de leurs relations professionnelles habituelles, il ne peut être fait appel à l’article L.132-1 pour obtenir la nullité d’une clause d’irresponsabilité par exemple1. Innovante quant à l'identification de l'abus, la typologie récente des clauses abusives laisse subsister les incertitudes quant à son domaine d'application. Certes, il est clair que le système bénéficiera au « non-professionnel », catégorie répertoriée systématiquement dans les deux listes, qui recouvre en jurisprudence les personnes morales n'exerçant pas d'activité professionnelle2 mais va-t-il continuer à s'appliquer au professionnel contractant dans un domaine n'ayant pas de rapport direct avec son activité ? En effet, comme nous le verrons ultérieurement, avec la loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008, la notion de clauses abusives a fait son apparition dans la Code de Commerce. Le fait que les termes clauses abusives étaient, en droit français, réservés au droit de la consommation entrave une approche globale des clauses abusives, y compris dans les relations entre professionnels. Ainsi, au lieu de persévérer dans l’extension du régime du droit de la consommation, les relations professionnelles ont désormais leur définition des clauses abusives et un régime particulier, dont la sanction varie de celle des contrats de consommation. Le nouvel article L.442-6 permet à une partie d'engager la responsabilité de son partenaire commercial si ce dernier le soumet à des obligations créant à son détriment un déséquilibre significatif.

1 Cass. Com. 23 novembre 1999, n°96-21869, CCC 2000, n° 69 obs. G. Raymond. 2 Cass. Civ. 1ère, 15 mars 2005, Juris Data n°2005-027573 ; Bull. civ. 2005, I, n° 135 ; JCP G 2005, II, 10114, note G. Paisant.

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Jusqu’à présent rien n'empêchait un juge d'estimer, sur un autre fondement, que la partie dominante a imposé à l'autre une clause qui, de ce fait, sera déclarée inapplicable. Comme l'écrit D. Mazeaud : « Les contrats conclus entre professionnels ne relèvent pas du droit de la consommation, même si celui-ci exerce une attraction forte »1. Mais, désormais il sera possible d’agir sur le fondement des clauses visant à « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il conviendra d‘être attentif à l‘influence que ces listes nouvelles pourront exercer sur l‘interprétation du « déséquilibre significatif » invoqué dans les contrats conclus entre partenaires commerciaux. Ce qui est abusif dans les relations entre professionnels et consommateurs ne le sera pas forcément dans celles entre professionnels.

2. La délimitation du contrat de consommation par le pouvoir européen : Pour sa part la proposition de directive définit le consommateur comme « toute personne physique agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale industrielle artisanale ou libérale » 2. Ainsi, c’est la finalité domestique ou professionnelle du contrat que l'on conclut qui détermine la qualification du contractant3. La définition de la proposition de directive, repose sur la notion même de personne physique qui agit à des fins familiales et personnelles. A contrario, aucune personne morale, même celle qui ne se livrerait à aucune activité professionnelle ou économique, et donc aucun non-professionnel ne sera recevable à revendiquer la qualité de consommateur. Le projet de directive vise les actes qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Sans parler de lien direct, la directive envisage quant même les actes qui sont sans rapport avec l’activité que peut exercer le consommateur. par ailleurs, il utilise une notion plus précise en substituant à la notion d’activité professionnelle ou commerciale, celle d’activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. 1 Les clauses abusives entre professionnels, Economica 1998, p.104, Ch. Jamin et D. Mazeaud. 2 Article 2.1 du projet de directive. 3 Cf. Chapitre 2 : La nouvelle méthode de lutte contre les clauses abusives à l’épreuve du pouvoir européen.

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S’agissant du professionnel, le projet vise toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d’un professionnel, agrandissant ainsi cette catégorie.

Enfin, la réforme de 2008 a conservé la particularité dont dispose le droit des clauses abusives, à savoir une interprétation de la notion d’abus par trois acteurs différents.

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Chapitre 2 : Une interprétation tripartite de la notion de clause abusive

Le système d’élimination des clauses abusives est à la fois original et complexe puisqu’il nécessite la participation de trois organes différents. En effet, au niveau national, trois acteurs contribuent au travail de l’élimination des clauses abusives en vu de rétablir l’équilibre des contrats de consommation. Ainsi dans la lutte contre les clauses abusives, il y a un organe principal (Section 1) et des acteurs intermédiaires dont le rôle ne cesse d’augmenter (Section 2). Les décisions de chacun ont une portée différente mais elles s’appuient toutes sur la même notion : celle de clause abusive.

Section 1 : Une entité centrale dans l’appréciation des clauses abusives : L’une des originalités de la lutte contre les clauses abusives tient à l’instauration d’un organisme administratif spécialement chargé de rétablir l’équilibre dans les contrats de consommation : la Commission des clauses abusives (I). Elle est dotée de différentes prérogatives et à ce titre prend diverses décisions (II). I. La Commission des Clauses Abusives (CCA) Instituée par l’article L.132-2 du Code de la Consommation, la Commission des clauses abusives est placée auprès du ministre chargé de la consommation. Composée de différentes personnalités (B), elle a pour mission d’examiner les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels et d’établir des recommandations (A).

A. La naissance de la Commission des clauses abusives : La Commission des clauses abusives a été instituée par l’article 36 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 relative à la protection et à l’information des consommateurs de produits et de services. Bien qu’élaborée en 1978, la Commission a commencé à voir son rôle affirmé à

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l’adoption du décret du 10 avril 19931 qui a modifié sa composition mais surtout accru son rôle. Elle est désormais régie par les dispositions législatives et réglementaires du Code de la Consommation2 ainsi que par son règlement intérieur3. La Commission des clauses abusives est une institution placée auprès du ministre chargé de la consommation en relation avec les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Sa mission principale consiste à lutter contre les clauses abusives en recherchant dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels les clauses qui peuvent être regardées comme abusives. La loi du 10 janvier 1978 lui a confié un rôle pré-contentieux de gestion préventive des problèmes liés aux clauses abusives. A ce titre, la Commission va émettre des recommandations tendant à la suppression ou la modification de ces clauses abusives4. Mais ce n’est pas la seule prérogative dont dispose la Commission des clauses abusives. Un décret du 10 avril 1993 est venu modifier sa composition et accroître son rôle qui devient plus contentieux dans le cadre de sa collaboration avec le juge. Ainsi elle peut être saisie pour avis par le juge, lorsqu’à l’occasion d’une instance, le caractère abusif d’une clause est soulevé5. Enfin, la Commission peut être consultée sur les projets de lois et de décrets dont l’objet est de limiter, réglementer ou interdire certaines stipulations6 et à ce titre elle peut proposer dans le cadre de son rapport annuel d’activité des modifications législatives ou réglementaires7. Le fonctionnement de la Commission des clauses abusives repose sur la stabilité, l’indépendance et l’impartialité de ses membres. Nommés pour un mandat de trois ans renouvelable, ils ne peuvent délibérer lorsqu’ils ont un intérêt quelconque dans une affaire. L’information des rapporteurs et des membres de la Commission est garantie par un pouvoir de communication de tout document utile mais également par la faculté d’entendre tout intéressé. Cette audition peut se réaliser d’office mais également à la demande des personnes, sauf dans l’hypothèse d’une saisine judiciaire. La publicité est exclue à ce stade des

1 Décret du 10 avril 1993 codifié à l’article R. 132-6 du Code de la Consommation. 2 Articles L.132-2 à L.132-5 et R.132-1 à R.132-6 du Code de la Consommation. 3 BOCCRF du 28 janvier 1994, p. 3. 4 Article L.132-4 du Code de la Consommation. 5 Article R.132-6 du Code de la Consommation issu du décret n° 93-314 du 10 mars 1993. 6 Article L.132-1 du Code de la Consommation. 7 Article L.132-5 du Code de la Consommation.

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investigations. La Commission se réunit au moins une fois par mois pour assurer la continuité de ses travaux1. L’organisation de la Commission des clauses abusives se doit d’être adaptée aux tâches qui lui sont confiées. Elle doit disposer de moyens suffisants pour accomplir ses missions. Elle participe à l’idée que le problème des clauses abusives mérite d’être résolu par la concertation plutôt que par la contrainte. Sa composition en est d’ailleurs la preuve puisqu’il existe une stricte parité entre représentants de professionnels et représentants des consommateurs, et un parfait équilibre entre magistrats et autres membres juristes de la Commission2.

B. La composition de la Commission des clauses abusives : A l’origine, la Commission des clauses abusives était composée de quinze membres3 :

- un Président, magistrat de l’ordre judiciaire, - deux magistrats de l’ordre judiciaire ou administratif ou membres du Conseil d’Etat, - trois représentants de l’administration, choisis en raison de leurs compétences, - trois jurisconsultes qualifiés en matière de droit ou de technique des contrats, - trois représentants des associations représentatives et agréées de défense des

consommateurs, - trois représentants des professionnels.

Un décret n° 93-314 du 10 mars 1993 est venu modifier la composition de la Commission pour renforcer son caractère paritaire afin de répondre aux exigences du projet de directive communautaire, adopté le 2 mars 1993 par le Conseil des ministres de la consommation. Ces dispositions se retrouvent aujourd’hui aux articles R.132-3 à R.132-6 du Code de la Consommation. Désormais la Commission des clauses abusives est composée de treize membres titulaires :

- un Président, magistrat de l’ordre judiciaire, - deux magistrats de l’ordre judiciaire ou administratif ou membres du CE, l’un d’eux

est vice président, 1 Article 2 du règlement intérieur de la Commission des clauses abusives. 2 Article R.132-3 du Code de la Consommation. 3 Article 36 de la loi du 10 janvier 1978.

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- deux personnalités qualifiées en matière de droit et de techniques des contrats, choisies après avis du Conseil national de la consommation,

- quatre représentants des professionnels, - quatre des consommateurs1.

Cette parité entre les représentants des professionnels et ceux des consommateurs révèle l’intention du législateur de résoudre le problème des clauses abusives par la concertation plutôt que par la contrainte. Et c’est cette concordance, associée à la présence d’autres personnalités importantes (des suppléants, un commissaire du gouvernement, un secrétaire général, un ou plusieurs rapporteurs) qui garantit le bon fonctionnement de la Commission. Un suppléant est désigné pour chaque membre titulaire à l’exception toutefois du président. Tous sont nommés par arrêté du ministre chargé de la consommation, pour un mandat de trois ans renouvelable2. La fonction de commissaire du gouvernement est exercée par le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou son représentant. La Commission des clauses abusives est assistée d’un secrétaire général et d’un ou plusieurs rapporteurs permanents mis à disposition par le ministre chargé de la Consommation. Des rapporteurs particuliers peuvent également être désignés par le président à raison de leur compétence. La Commission peut siéger en formation plénière (au moins neuf membres) ou en une ou plusieurs formations restreintes (cinq membres) composées du président ou du vice président et des membres désignés à cet effet par le président3, qui déterminera également les affaires que connaîtront ces formations. Les membres de la Commission et les rapporteurs peuvent entendre toute personne susceptible d’apporter des informations sur les affaires dont ils ont la charge et se faire communiquer tout document nécessaire à l’accomplissement de leur mission. Les séances ne sont pas publiques. Les parties intéressées peuvent demander à être entendues avant le délibéré sauf lorsqu’est examinée une saisine judiciaire. En cas de partage égal des voix celle du président est prépondérante4. Par contre, tout membre de la commission ne peut délibérer dans une affaire où il a un intérêt direct et personnel, mais également où il représente ou a représenté l’une des parties intéressées. De plus, tout membre qui n’assiste pas sauf motif légitime à trois réunions consécutives est déclaré démissionnaire. 1 Article R.132-3 du Code de la Consommation. 2 Article L.132-5 du Code de la Consommation. 3 Article 7 du règlement intérieur de la Commission des clauses abusives. 4 Articles 2 et s. du décret n° 93-314 du 10 mars 1993.

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La Commission a établit un règlement intérieur qui a été publié1 et qui définit les conditions dans lesquelles elle fonctionne. Par ailleurs, des dispositions relatives aux conditions matérielles de recevabilité des saisines autres que d’origine judiciaire ont été insérées dans le décret du 10 mars 1993. La Commission publie chaque année un rapport d’activité reprenant en annexe les principales modifications de l’environnement juridique de la matière. Son rôle principal tient dans l’analyse des modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels à leurs contractants non-professionnels ou consommateurs. Mais ses attributions ne se limitent pas à cette étude. II. Les différentes actions de la Commission des clauses abusives La Commission des clauses abusives est un organisme purement consultatif dont la mission, définie par les articles L.132-3 à L.132-5 du Code de la Consommation, revêt différent aspect. Elle peut en effet être saisie par plusieurs organes (Ministre chargé de la consommation, juges, associations agréées de défense des consommateurs, professionnels, auto-saisine2…) aux fins de différentes décisions (recommandation, avis…).

A. Les recommandations de la CCA : La Commission des clauses abusives peut émettre des recommandations dans différents domaines (1) mais toutes ont la même portée limitée (2).

1. La saisine : Il existe différents types de clauses abusives. Il y a celles qui sont automatiquement abusives du fait de leur inscription dans un décret pris en Conseil d’Etat, et il y a celles qui sont éventuellement abusives. Ces dernières correspondent à des clauses qui ne sont pas 1 BOCCRF du 28 janvier 1994, p. 31. 2 Article L.132-3 du Code de la Consommation.

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condamnées en tant que telles mais risquent de le devenir en raison de leur utilisation par un professionnel au détriment d’un consommateur. Ce type de clauses peut provenir de diverses origines. Tout d’abord, le juge a la possibilité de leur donner ce qualificatif, c’est d’ailleurs ce que nous développerons ultérieurement. Puis, elles peuvent être issues d’une liste annexée au Code de la Consommation. Lors de la transposition de la directive de 1993, la loi du 1er février 1995 a inséré dans le Code de la Consommation une annexe de clauses susceptibles d’être déclarées abusives. Toutefois, cette liste n’était qu’indicative, elle n’avait pas véritablement de valeur juridique. Ainsi, le juge pouvait très bien déclarer abusive une clause qui ne figurait pas dans cette énumération et inversement. Elle constituait en quelque sorte un guide mis à la disposition des juges. Par contre, elle n’était pas des plus favorables aux consommateurs car c’était à eux, qui prétendaient qu’une clause figurant dans cette énumération présentait un caractère abusif, d’en rapporter la preuve. Aujourd’hui cette annexe est abrogée, suite à l’entrée en vigueur du nouveau décret du 18 mars 2009 relative aux listes noire et grises de clauses abusives. Toutefois, la plupart de ces clauses, anciennement blanches, ont été reprises et requalifiées dans ces deux nouvelles listes. Enfin, les clauses abusives peuvent faire l’objet d’une recommandation de la Commission des clauses abusives. La Commission est un organisme purement consultatif dont la mission principale est la recherche, dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs ou non-professionnels, des clauses qui peuvent présenter un caractère abusif1. Sa décision se traduit par l’émission d’une recommandation par laquelle elle prescrit la suppression ou la modification des clauses qui présentent un caractère abusif2. La collecte des contrats susceptibles de contenir des clauses pouvant présenter un caractère abusif est effectuée par les services du ministre chargé de la consommation. Des instructions ont été données à l’Administration pour qu’elle participe activement à cette collecte et permette une saisine systématique de la Commission sur les anomalies pressenties. Pour cette mission, la Commission peut être saisie soit par le ministre chargé de la consommation, soit par les associations agréées de défense des consommateurs, soit par les professionnels intéressés, et elle peut même se saisir d’office. Les recommandations de la Commission concernent un nombre très varié de contrats relatifs aux biens (vente immobilière ou mobilière, bail immobilier ou mobilier, prêt) ou aux services (mandat, assurance, dépôt, 1 Art. L.132-2 du Code de la Consommation. 2 Article L.132-4 du Code de la Consommation.

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entreprise…). Elles sont généralement verticales, c'est-à-dire qu’elles traitent d’une catégorie de contrats dans les différentes étapes de la vie conventionnelle, mais certaines peuvent cependant se limiter à une seule étape comme la formation du contrat par exemple1. Une recommandation a toutefois été qualifiée d’horizontale car elle a repris pour la première fois l’essentiel des recommandations générales antérieures : la recommandation dite de synthèse2. Elle recense vingt deux catégories de clauses allant de celles constatant l’adhésion du consommateur à des stipulations dont il n’a pas eu connaissance, jusqu’à celles dérogeant aux règles légales de compétence territoriale ou d’attribution ou aux règles légales régissant la preuve. On peut également diviser les recommandations en deux catégories selon que leur application est générale ou limitée à un secteur professionnel déterminé. Comme la plupart des recommandations publiées, certaines visent des contrats déterminés, on les appelle aussi les recommandations sectorielles. Il y a par exemple les recommandations sur les contrats de distribution de l’eau3, les contrats proposant les services groupés de l’Internet, du téléphone et de la télévision4, ou encore les contrats de formation à titre onéreux à la conduite automobile proposé par les établissements d’enseignement agréés5. Puis d’autres ont une portée plus générale et synthétique car elles sont susceptibles de concerner tout modèle de contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. A titre d’exemple, on peut citer les recommandations sur les recours en justice6, sur l’équilibre des obligations en cas d’inexécution du contrat7, sur les clauses dites de consentement implicite8, ou encore sur la durée des contrats9. Cette pratique des recommandations à portée générale n’entraîne pas de contestation au regard des textes qui définissent les attributions de la Commission des clauses abusives dès lors que ces recommandations se fondent sur des modèles de conventions

1 Recommandation n° 80-03 de 1980, BOSP 8 août 1980. 2 Recommandation n° 91-02 du 23 mars 1990, BOCCRF du 6 septembre 1991. 3 Recommandation n° 85-1 de 1985, BOCCRF du 17 janvier 1985. 4 Recommandation n° 07-01 du 15 février 2007, BOCCRF du 31 juillet 2007. 5 Recommandation n° 05-03 du 23 juin 2005, BOCCRF du 16 décembre 2005. 6 Recommandation n° 79-02 du 1979, BOSP 13 juin 1979. 7 Recommandation n° 81-1 du 1981, BOSP 16 janvier 1981. 8 Recommandation n° 94-01 du 19 juin 1987, BOCCRF du 27 septembre 1994. 9 Recommandation n° 01-02 du 22 février 2001, BOCCRF du 23 mai 2001.

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habituellement proposés par les professionnels à leurs cocontractants non-professionnels ou consommateurs1. Pour condamner les clauses qu’ils estiment abusives, les membres de la Commission des clauses abusives se basent sur les critères légaux, comme le ferait le juge, ce qui donne lieu à des décisions assez similaires à celles émises par les juridictions. L’examen de la jurisprudence parue depuis trente ans et l’ensemble des recommandations constituent un important inventaire des clauses abusives dans différents types de contrat. Le praticien pourra déjà utiliser cet ensemble à titre de référence, notamment les clauses par lesquelles le professionnel s’est déchargé de certaines obligations, les a allégées ou bien a fait peser sur le consommateur des obligations alourdies. Autrement dit, ce sont les clauses qui prévoient des obligations insuffisamment déterminées, qui dénaturent les obligations par des restrictions multiples, qui prévoient des conditions d’exécution excessives, qui méconnaissent la réciprocité des obligations ou qui restreignent le principe du consentement éclairé.

2. La portée : Comme leur nom l’indique, les recommandations de la Commission des clauses abusives n’ont aucune force obligatoire, aucun caractère impératif. Le travail réalisé par la Commission depuis 1978 n’a aucun caractère normatif. Ne bénéficiant pas d’un effet contraignant, les recommandations ne constituent pas des règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation2 si elles sont méconnues par le juge. Elles ne bénéficient pas plus d’un statut de décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En effet, il résulte des dispositions légales que la Commission des clauses abusives, lorsqu’elle émet des recommandations, n’édicte pas des règles qui s’imposeraient aux particuliers ou aux autorités publiques. La Commission se borne à inviter les professionnels concernés à supprimer ou modifier les clauses dont elle estime qu’elles présentent un caractère abusif. Dès lors, il n’appartient qu’au juge compétent en cas de litige de prononcer la nullité de telles clauses3. La Commission a souhaité que la portée de ses recommandations ait, dans l’avenir, 1 Article L.132-2 du Code de la Consommation. 2 Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 1996, Bull. Civ. I, n°399 ; CCC 1997, comm. n° 32, obs G. Raymond ; JCP G. 1997, I 4015. 3 CE 16 janvier 2006, D. Aff. 2006, AJ. 576, obs Avena-Robardet ; CCC 2006, comm. N°117, obs G. Raymond.

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une portée juridique accrue. Ses recommandations, portant sur des clauses fréquemment utilisées dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs ou non-professionnels, devraient conduire à présumer abusives les clauses sauf en cas de litige au professionnel à rapporter la preuve contraire en fonction d’éléments spécifiques1. Cependant, la Cour de Cassation a rappelé que les recommandations de la Commission n’étaient pas génératrices de règles. Ces écrits ne sont pas pour autant dépourvus de toute portée. Elles constituent pour tous, y compris pour les magistrats, des références que l’on pourrait qualifier de « normes non contraignantes » et il semble bien que la Cour de Cassation, dans des décisions postérieures, ait redonné plus d’importance aux recommandations de la Commission2. Comme a pu le dire L. Leveneur3 « les recommandations de la Commission n’ont pas une normativité de droit mais une normativité de fait »4. En effet, elles n’exercent sur les professionnels qu’une simple pression morale en les incitants à éliminer, des contrats proposés aux consommateurs, les clauses présentant un caractère abusif. On se trouve dans le domaine du semi-obligatoire. Leur aspiration première est d’agir sur le comportement des professionnels et d’éclairer les consommateurs et non-professionnels sur le caractère abusif ou non des clauses présentes dans leurs contrats. Sa position est donc capitale afin de faire avancer la protection du consommateur. Dépourvues de force obligatoire, les recommandations de la Commission des clauses abusives constituent cependant une source de « soft Law ». Elles ont une autorité qui influence parfois fortement la jurisprudence et la législation. On a pu dire qu’elles acquièrent « droit de cité dans l’ordonnancement juridique »5. Le juge, comme le législateur et le pouvoir réglementaire, peuvent s’en inspirer. D’ailleurs la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 consolide l’influence de la Commission des clauses abusives sur les projets de décrets pris en Conseil d’Etat, en imposant son examen préalable à l’adoption de la liste de clauses présumées abusives. La plupart du temps, les juridictions tiennent compte des recommandations, non seulement dans l’énoncé des clauses considérées comme abusives, 1 Rapport à Mme le Secrétaire d’Etat chargé de la consommation, BOCCRF 8 mai 1991, p. 121. 2 Cass. Civ. 1ère, 10 février 1998, Bull. civ. n°53. 3 La Commission des clauses abusives et le renouvellement des sources du droit des obligations, Journées nationales de l’Association H. Capitant, t. 1, 1997, p. 155 et s. 4 TGI Mâcon 25 février 1991, RJDA 1991 n° 154 ; CA Lyon 28 novembre 1991, CCC 1992, Comm. 240. 5 Kuhnmunch, Le dispositif d’élimination des clauses abusives : les nouvelles donnes, Revue concurrence consommation 1992, n° 65, p. 25.

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mais aussi dans les motifs de la recommandation pour en utiliser les raisons du déséquilibre significatif. En effet, la Cour de cassation se réfère parfois expressément aux recommandations de la Commission des clauses abusives. Récemment elle a considéré que la clause qui prévoit que le preneur de l'emplacement s'engage à laisser le professionnel procéder aux travaux nécessaires sans pouvoir réclamer aucune indemnité, et ce quels que soient l'urgence, l'importance, la durée et les troubles qu'ils occasionnent, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en ce qu'elle exonère, de manière générale, le professionnel de toute responsabilité. Elle a ainsi jugé que la Cour d'appel, en écartant le caractère abusif de la clause, avait violé l’article L.132-1 du Code de la Consommation et la recommandation n° 05-01 de la Commission des clauses abusives1. Même si la Cour de cassation ne reconnaît pas officiellement de valeur normative aux actes de la Commission2, les juges se réfèrent à plusieurs reprises à sa démarche3, caractérisant ainsi une certaine consécration pour les actes de la Commission. Certains auteurs ont considéré que les recommandations, même non suivies de décret en Conseil d’Etat, étaient de nature à influencer les juges dans les litiges relatifs à l’application d’une clause réputée abusive. Ce point de vue est confirmé aujourd’hui par la Cour de cassation qui s’est reconnue le pouvoir de constater le caractère abusif d’une clause même en l’absence d’interdiction par décret. Cette position est d’autant plus renforcée que le décret du 10 mars 19934 a entériné la possibilité pour le juge de saisir pour avis la Commission des clauses abusives à l’occasion d’une instance où le caractère abusif d’une clause est soulevé. Toutefois, les recommandations ne liant pas le juge, il est arrivé que la Cour confirme des décisions d’appel qui statuaient à l’encontre des recommandations. Même si elles sont dépourvues de force contraignante, les recommandations publiées de la Commission ne restent pas lettre morte. D’une part la doctrine en fait état dans les divers ouvrages de droit, ce qui leur permet de devenir un élément du débat juridique. D’autre part le législateur lui-même s’en inspire lorsqu’il légifère pour établir un équilibre contractuel en

1 Cass. Civ. 3ère, 10 juin 2009, n° 08-13797. 2 Cass. Civ. 1ère 13 novembre 1996, n° 94-17.369, Bull. Civ. I, n° 399 ; Cass. Civ. 1er février 2000, n° 97-16.707. 3 Cass. Civ. 1ère 19 juin 2001, JuirsData n° 010219, JCP G 2001, II, 10631 ; Paris, 8ème chambre, 1ère section, 7 septembre 1999, Recueil Dalloz n° 44, 1999, p. 89. 4 Décret n° 93-314 du 10 mars 1993.

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faveur des consommateurs. Ainsi la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à la protection des consommateurs s’est inspirée de la recommandation n° 87-02 sur les agences matrimoniales. De même la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, modifiant le Code des assurances, a utilisé pour certaines de ses dispositions la recommandation n° 89-01 sur les contrats d’assurance des véhicules automobiles de tourisme. De façon globale, la recommandation de synthèse publiée en 1991, qui fixait une liste de clauses susceptibles d’être abusives1, se retrouve en grande partie dans la liste annexée à la directive de 1993 et passée en 1995 dans le Code de la Consommation à l’article L.132-1 du Code de la Consommation. La Commission conserve donc une influence majeure sur les principaux acteurs en matière de clauses abusives. C’est pour cette raison que son interprétation de la notion de clause abusive est prépondérante dans l’avancée du dispositif de protection actuel. La Commission des clauses abusives est l’acteur le plus à même à faire évoluer la notion de clause abusive. La jurisprudence tient également un rôle important mais sa mission consiste avant tout à éradiquer les clauses abusives des contrats de consommation. Les recommandations ont donc une influence relative mais leur efficacité pourrait être renforcée par le biais de leur publication. En effet, les recommandations exercent une pression morale sur les professionnels dont le poids dépend de leur publication. Si les recommandations sont connues du plus grand nombre, les professionnels seront incités à les respecter. Ainsi la Commission établit chaque année un rapport de son activité qui est publié au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes2 où elle les commente et les retrace en annexe. La doctrine fait également référence à ces recommandations dans les revues spécialisées3. Les associations de défense de consommateurs ne manquent pas, enfin, par le biais de leurs revues ou l’Internet, de mentionner celles qui sont susceptibles d’intéresser les consommateurs. Il est donc important que les recommandations soient publiées. C’est le ministre chargé de la consommation qui les rend publiques en les inscrivant au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Cette publication officielle leur confère une certaine autorité. Dépendant du pouvoir discrétionnaire, cette publicité n’est pas de droit, même si en pratique, elle semble devenue la règle. Les pouvoirs publics ont exprimé leur désir d’assurer une plus 1 Recommandation n° 91-02 du 23 mars 1991, BOCCRF du 6 septembre 1991. 2 Article L.132-5 du Code de la Consommation. 3 CCC nov. 2004 p. 5 ; Veille n° 44 et 45 sur les recommandations de la CCA.

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large diffusion des travaux de la commission en particulier par la publication d’un recueil de ses recommandations1 et la programmation d’émissions de télévision « info-consommation ». De plus ils veillent au suivi des recommandations et ont mis en œuvre certaines actions notamment au sein du conseil national de la consommation pour que ces recommandations soient prises en compte par les professionnels. Toutefois, pour garantir les droits des intéressés, leur identification est proscrite. Elles ne peuvent contenir aucune indication de nature à permettre l’identification de situations individuelles2. La Commission avait souhaité pouvoir signaler les organismes ou entreprises qui proposent des contrats contenant une clause estimée abusive3. Elle avait même demandé la possibilité d’en faire état dans ses rapports d’activité et sous certaines conditions de situations individuelles, à l’occasion du bilan de suivi de ses recommandations. Mais à l’issue d’un long débat, elle a préconisé l’abandon de cette disposition qui, à la réflexion, lui paraissait susceptible de modifier la nature même de sa mission et de troubler le climat de concertation qui règne en son sein4.

B. Les avis de la CCA : Outre les saisines aux fins de recommandations, la Commission des clauses abusives peut être saisie pour avis par le pouvoir judiciaire ou par le pouvoir législatif. S’agissant des saisines non judiciaire, la Commission peut être saisie par :

- le ministre chargé de la consommation ; - les associations agréées de défense des consommateurs ; - les professionnels intéressés ; - elle-même pour examiner les réclamations qui lui viennent de toutes personnes

physiques ou morales afin de rechercher si les faits dénoncés peuvent justifier une saisine de sa part.

En ce qui concerne plus particulièrement la saisine législative, il en existe deux types : la saine obligatoire et la saine facultative. En effet, autonome pour certaines tâches, la Commission des clauses abusives doit être sollicitée pour d’autres. L’avis de la Commission 1 Recueil des 26 premières recommandations, 1978-1988, Direction des JO, mars 1988. 2 Article 38 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 ; article L.132-1 du Code de la Consommation. 3 Rapport d’activité pour 1981, JO doc adm. 4 avril 1982, p 6. 4 Rapport d’activité pour 1988, BOCCRF 3 février 1990, p. 55.

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est seulement obligatoire pour les projets de décrets déterminant des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives1. Il n’est toutefois pas nécessairement conforme et il n’est pas non plus rendu public. C’est le Ministre chargé de la consommation qui lui transmet les projets de décret dont l’objet est d’interdire, de limiter ou de réglementer certaines clauses considérées comme abusives. Ainsi un projet de décret a abouti dès 19782, en 20053 et enfin en 20094. Dans le cadre de son rapport annuel d’activité, la Commission pourra éventuellement proposer les modifications législatives ou réglementaires qui lui paraissent souhaitables5. Ce rapport est rendu public et publié au Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (BOCCRF). Cette publication est très intéressante puisqu’elle permet notamment de connaître les études entreprises pas la Commission et les recommandations en cours d’élaboration. En effet, c’est un document complet qui fait généralement le point sur l’année écoulée en terme d’activité – bilans et travaux en cours – de fonctionnement interne et des suites jurisprudentielles, réglementaires et législatives des activités de la Commission. La proposition la plus récente concerne bien sûr le décret d’application de la loi du 4 août 2008 instituant deux listes de clauses abusives6. L’article L.132-5 du Code de la Consommation paraît lier deux aspects : le rapport annuel et les propositions visant à modifier la loi ou le règlement. Dans la plupart des rapports, une rubrique – « Propositions de modifications législatives ou réglementaires » – est présentée. Les différentes propositions de réforme émises par la Commission des clauses abusives peuvent pour l’essentiel être réparties en quatre catégories. Une première catégorie relative au développement de certaines pratiques contractuelles, voire même de rendre certaines obligatoires. C’est notamment le cas de la pratique consistant à remettre des formulaires de contrats ou des conditions générales de vente à toute personne le demandant7. Cette proposition a d’ailleurs été intégrée dans le Code de la Consommation à l’article L.134-1. La 1 Article L.132-1 alinéa 2 du Code de la Consommation. 2 Décret du 24 mars 1978 ; anciens articles R.132-1 et R.132-2 du Code de la Consommation ; Rapport d’activité de la Commission des clauses abusives pour 1978, BOSP, devenu le BOCCRF du 13 juin 1979. 3 Décret du 25 novembre 2005 ; ancien article R.132-2-1 du Code de la Consommation. 4 Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 portant application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. 5 Article L.132-5 du Code de la Consommation. 6 BOCCRF du 5 mars 2009. 7 Rapport d’activité de la Commission pour 1979, BOCCRF 11 juin 1980.

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deuxième catégorie correspond aux propositions de modification du régime de divers contrats spéciaux (vente, transports, construction de maison individuelle, assurance…). C’est d’ailleurs la plus importante. Par exemple, dans son dernier rapport, la Commission constate que les contrats de fourniture de « vols secs » conclus par Internet ne sont pas soumis à la responsabilité de plein droit instituée par l’article L.211-17 du Code du Tourisme. Elle réitère alors sa demande tendant à l’extension de la garantie de plein droit de l’article aux prestations de transport. Ensuite il s’agit des propositions portant sur le renforcement des interdictions relatives aux clauses abusives. Par exemple, il est demandé aux pouvoirs publics d’interdire un certain nombre de clauses en raison de leur caractère abusif1 ou encore de sanctionner pénalement l’usage par les professionnels de clauses abusives2. Enfin la quatrième et dernière catégorie est relative aux propositions de réforme de la Commission elle-même, de sa composition, de son fonctionnement ou de ses recommandations. Par exemple, la Commission a demandé l’augmentation des moyens mis à sa disposition3 ou encore le pouvoir de désigner expressément tout professionnel qui proposerait aux consommateurs des contrats contenant des clauses qu’elle dénonce4. Pour les autres projets de textes, l’avis de la Commission des clauses abusives est donc facultatif. Ces saisines pour avis ont d’ailleurs été élargies à l’initiative du gouvernement. Ces saisines facultatives renforcent le rôle de la Commission et sont publiées dans son rapport annuel d’activité. Le premier fut rendu le 25 avril 1978, à la demande de Mme Scrivener alors Ministre de la consommation, à propos des conditions générales de vente régissant les rapports entre les agents de voyage et leur clientèle5. Par la suite, la Commission des clauses abusives a été sollicitée pour « réfléchir sur le rôle qui pourrait être le sien dans un environnement juridique en mutation en ce qui concerne tant le droit européen que le droit national ». Cette demande a donné lieu à un avis du 22 mars 1991, par lequel elle préconise la faculté pour le juge de la saisir pour avis6. Quelques années plus tard, en 1994, la Commission a recommandé l’intégration de l’article 4-1 de la directive de 1993, relatif à l’appréciation du 1 Rapports d’activité de la commission pour 1978, BOSP 13 juin 1979 ; pour 1979, BOCCRF 11 juin 1980 ; pour 2001, BOCCRF 30 mai 2002. 2 TGI Brest 21décembre 1994 ; CA Paris 3 mai 1996. 3 Article L.421-6 du Code de la Consommation. 4 Rapport d’activité de la commission pour 1981 et 1982, BOCCRF 20 septembre 1983. 5 Rapport d’activité pour l’année 2006, BOCCRF du 31 juillet 2007. 6 Avis du 22 mars 1991, rapport d’activité pour 1991, BOCCRF du 23 juin 1993.

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caractère abusif au regard de toutes les circonstances qui entourent la conclusion du contrat1. Ces propositions ont été consacrées successivement en 1993 et en 1995 et retranscrites aux articles R.132-6 et L.132-1 alinéa 5 du Code de la Consommation. Développées à l’initiative des gouvernements successifs, ces saisines facultatives sont finalement les plus nombreuses.

Section 2 : Une progressive affirmation du rôle des autres acteurs dans l’élimination des clauses abusives : Principale organe du dispositif de lutte contre les clauses abusives, la Commission des clauses abusives n‘intervient pas seule. Le pouvoir réglementaire est également l’un des acteurs originaux dans l’interprétation de la notion de la clause abusive(II). Toutefois, parallèlement à ce dispositif initial, se développe un mode alternatif d’appréciation du caractère abusif d’une clause : l’intervention du juge (I). I. La reconnaissance d’un pouvoir judiciaire autonome Le pouvoir judiciaire s’est imposé progressivement dans le dispositif de lutte contre les clauses abusives. A l’origine, le juge n’avait aucun pouvoir de décision. Il se bornait à constater les clauses interdites par le pouvoir réglementaire (A). Puis, petit à petit, son pouvoir d’appréciation du caractère abusif d’une clause s’est affirmé (B).

A. La naissance du pouvoir d’interprétation du juge : Le rôle du juge dans la lutte contre les clauses abusives s’est dessiné progressivement (1) afin de devenir l’un des acteurs essentiels dans l’interprétation des clauses abusives (2). 1 Avis du 29 septembre 1994, rapport d’activité pour 1994, BOCCRF du 30 mai 1995.

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1. De la reconnaissance jurisprudentielle à la reconnaissance législative : L’interprétation de la notion de clause abusive par le pouvoir judiciaire est toute récente et il est d’ailleurs intéressant de voir comment le juge est parvenu à faire sa place en matière de clauses abusives devant l’inertie du pouvoir réglementaire. Alors que la loi du 10 janvier 1978 avait subordonné à la parution d’un décret, l’interdiction ou la réglementation des clauses abusives, le décret du 10 avril 1993 a délivré au juge la faculté de se saisir d’office pour déclarer abusive une clause. Son émancipation est telle qu’il devient l’interprète principal de la notion de clause abusive. L’article L.132-1 du Code de la Consommation ne mentionne pas les pouvoirs du juge en matière de lutte contre les clauses abusives. Il y est question des décrets pris en Conseil d’Etat et du rôle de la Commission des clauses abusives mais rien n’est évoqué à propos du juge. Ce texte reflète parfaitement l’esprit du législateur de 1978 qui avait exclusivement confié la matière au pouvoir réglementaire. Ainsi, en l’absence de décret pris en Conseil d’Etat, une clause, bien que répondant aux critères de la loi, demeurait valable. Le juge ne pouvait pas déclarer abusive une clause qui ne figurait pas dans un décret. Il est vrai qu’un décret général à caractère préventif était préférable à une procédure judiciaire lente avec une portée limitée aux parties, mais ce procédé n’a pas été aussi productif qu’il aurait du l’être. Ainsi, devant la carence du pouvoir réglementaire, l’absence de portée normative des décisions de la Commission des clauses abusives et la multiplication des contrats d’adhésion, un meilleur moyen pour contrôler l’équilibre contractuel s’avérait nécessaire. Ne supportant plus cette passivité, le pouvoir judiciaire s’est alors émancipé du système d’origine en décidant qu’il pouvait déterminer si une clause avait ou non un caractère abusif. C’est en 1991, soit plus de dix ans après l’adoption de la première législation sur les clauses abusives, que le coup de force1 du juge a eu lieu. La Cour de cassation a en effet admis que le juge pouvait déclarer une clause abusive même en l’absence de décret la qualifiant comme telle2. Sans viser clairement l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978, la haute juridiction a 1 D. Mazeaud lors d’un colloque organisé par le Centre de droit de la consommation de Montpellier ; Carbonnier Les obligations, PUF 22ème éd. N° 83 2 Cass. Civ. 1ère 14 juin 1991, arrêt Lorthioir, D. 1991, Somm p 320, obs J.L Aubert ; RTD Civ. 1991 p 526 obs. J . Mestre.

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estimé que la clause, pourtant non suivie d’un décret, procurait un avantage excessif au professionnel et était imposée par un abus de puissance économique. La Cour a donc déclaré cette clause non écrite. En l’espèce des diapositives, confiées à un laboratoire en vue de leur reproduction sur papier, avaient été perdues. La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir décidé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt, qui exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite

« Le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société et que celle-ci du fait de sa position économique se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ».

La Cour de cassation consacre sans ambiguïté l’existence d’un pouvoir autonome du juge de déclarer une clause abusive et de la priver d’efficacité sans qu’un décret l’ait préalablement interdite. Toutefois, la Cour prend le soin de justifier sa décision en précisant que la clause a été déclarée abusive parce qu’elle procurait un avantage excessif au laboratoire qui, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle. La clause est abusive car elle revêt ces deux caractères directement inspirés de la définition donnée par l’article 35 de la loi de 1978. Par la suite, la Cour de cassation fera expressément référence à cet article1. La mission principale de la Haute juridiction étant de suppléer à la carence ou à l’inertie du pouvoir réglementaire, il est normal qu’elle s’attribue ce pouvoir. Ce coup de force a été confirmé par le décret n° 93-314 du 10 mars 1993 modifiant la composition et les pouvoirs de la Commission des clauses abusives. Son article 4 offre au juge la possibilité de saisir la Commission pour avis « lorsqu’à l’occasion d’une instance est soulevé le caractère abusif d’une clause (…) tel que défini à l’article 35 de la loi ». Cette procédure des avis sollicités par le juge est aujourd’hui décrite dans l’article R.132-6 du Code de la Consommation. Le juge a désormais la faculté de demander à la Commission, par décision non susceptible de recours, son avis sur le caractère abusif de cette clause. Cette nouvelle prérogative a également été affirmée par la doctrine. En effet, suite à la réforme de la loi du 10 janvier 1978 par la loi n° 96-95 du 1er février 1995, l’article L.132-1 du Code de la Consommation a été modifié. Un alinéa 2 a été ajouté et prévoit que « des décrets peuvent déterminer des types de clauses qui 1 Cass. Civ. 3 décembre 1991, n° 89-20.856, Bull. civ. I, n°342.

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doivent être regardées comme abusives ». Ainsi la doctrine en a déduit que le juge était désormais l’acteur principal en matière de clauses abusives. Par la suite, ce pouvoir d’analyse du juge a connu une ascension fulgurante grâce au droit communautaire qui lui confie l’interprétation des clauses abusives au détriment du juge communautaire. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a affirmé, dans un arrêt Oceano Groupo du 22 juin 2000, que « la protection que la directive du 5 avril 1993, relative aux clauses abusives dans les contrats conclus avec des consommateurs, assure à ceux-ci, implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis, lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales »1. Elle ajoute que l’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive, qui impose aux états membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. Jusqu’à cet arrêt, il était couramment admis en France, que le consommateur devait invoquer le caractère abusif d’une clause pour que celle-ci puisse être réputée non écrite. Désormais les tribunaux des Etats membres peuvent, et même doivent, réputer non écrites les clauses qu’ils jugent abusives même si le consommateur ne leur demande pas. En revanche il n’appartient pas à la CJCE, saisie d’une question préjudicielle, de se prononcer sur le caractère abusif ou non d’une clause2. En juin 2009, la CJCE réitère sa position en rappelant l’obligation pour le juge national d’examiner d’office des clauses qu’il juge abusives3. Dans cet arrêt, pris au visa de la directive sur les clauses abusives de 1993, elle considère que le juge national est tenu de relever d'office un tel moyen afin de « suppléer au déséquilibre qui existe entre le 1 CJCE 27 juin 2000, aff. C-240/98, Oceano Groupo. 2 CJCE 1er avril 2004, le renvoi préjudiciel à la CJCE n’autorise pas celle-ci à déterminer si une clause est abusive : cette recherche appartient au juge national, Rec. CJCE I p. 3403 ; D. Aff. 2004, AJ.1812 ; Gaz. Pal. 19 mai 2005, 32, « il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle qui fait l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3 §1 de la directive CEE n°93-13 du conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ». 3 CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon GSM c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi ; JCP G n° 25, 15 juin 2009, 27 ; D. 2009 AJ.1690.

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consommateur et le professionnel ». Le rôle du juge national ne doit pas se limiter à la simple faculté de se prononcer sur la nature abusive d’une clause contractuelle, mais comporter l’obligation de l’examiner d’office, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, y compris lorsqu’il s’interroge sur sa propre compétence territoriale. Dans cette affaire, il était question d’un litige concernant un contrat d'abonnement relatif à la fourniture de services de téléphonie mobile, pour lequel une juridiction hongroise avait, par une question préjudicielle, interrogé la CJCE quant au caractère éventuellement abusif de la clause du contrat d'abonnement stipulant la compétence de la juridiction du ressort du siège du fournisseur et souhaitait savoir si elle devait examiner d'office le caractère abusif de cette clause. Pour la CJCE, l'article 6, paragraphe 1, de la directive1 de 1993 doit être interprété en ce sens qu'une clause contractuelle abusive ne lie pas le consommateur, et qu'il n'est pas nécessaire, à cet égard, que celui-ci ait préalablement contesté avec succès une telle clause2. Le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose3. Cette obligation incombe également au juge national lors de la vérification de sa propre compétence territoriale. Il lui appartient de déterminer si une clause contractuelle, comme celle de l’espèce précitée, réunit les critères requis pour être qualifiée d'abusive au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive. Il doit prendre en considération qu'une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l'objet d'une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive4. Enfin, le pouvoir du juge a été consacré par la loi n° 2008-03 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service du consommateur5, qui transpose la directive européenne n° 2005/29/CEE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales.

1 Directive CEE n° 93-13 du Conseil du 5 avril 1993. 2 CJCE, 26 oct. 2006, aff. C-168/05 : Rec. CJCE 2006, I, 10421. 3 CJCE, 21 nov. 2002, aff. C-473/00 : Rec. CJCE 2002, I, p. 10875 ; CCC 2003, comm. 31. 4 CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 à C-244/98 : Rec. CJCE 2000, I, p. 4941. 5 JO 4 janvier 2008.

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Du fait de l’harmonisation a minima attachée à cette directive, le législateur français a pris des mesures supplémentaires dans plusieurs secteurs de la consommation. C’est notamment le cas de l’insertion d’un article L.141-4 dans le Code de la Consommation qui offre officiellement la possibilité pour le juge de relever d’office le caractère abusif d’une clause. Pour la doctrine, le législateur a réellement voulu se démarquer de « la jurisprudence de la Cour de cassation et de la majorité des Cours d’appel qui refuse au juge le pouvoir de se saisir d’office »1. En effet, jusqu’à présent une clause ne pouvait être réputée abusive que dans la mesure où un décret l’avait déclarée comme telle. C’est ce qui ressortait de la loi de 1978 et des jugements des tribunaux2. Il y avait également une certaine crainte que cette nouvelle prérogative allouée au juge n’entraîne une augmentation du contentieux judiciaire et donc l’engorgement des tribunaux. D’autant plus, qu’il n’était pas certain que les décisions des juges soient adaptées à la résolution du contentieux des clauses abusives, étant donné le caractère individuel des solutions rendues par les tribunaux.

2. La procédure d’interprétation du caractère abusif et le contrôle de la Cour de cassation :

Pour être déclarée abusive, la clause doit répondre aux critères posés par l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Le juge doit alors apprécier le caractère abusif de la clause litigieuse3. Sa décision sera guidée par les dispositions du Code de la Consommation mais également par la Commission des clauses abusives4. Concrètement, le juge va saisir la Commission pour qu’elle rende un avis sur une clause contractuelle dont le caractère abusif est soulevé en instance. Le juge doit alors surseoir à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à réception de l’avis de la Commission ou à défaut jusqu’à l’expiration du délai d’élaboration de l’avis. En effet, la Commission dispose d’un délai de trois mois pour faire 1 Guy Raymond, Les modifications au droit de la consommation apportées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, JCP E. n° 12, 20 mars 2008, 1383. 2 TGI Aix-en-Provence 20 mars 1978, D. 1980, Jur. P. 131, note PH. Delebecque ; Paris 22 mai 1986, RTD Civ. 1987 p. 113, obs. PH. Rémy. 3 La Cour de cassation exerce son contrôle sur la détermination des clauses abusives par les juges du fond : Civ. 1ère, 31 janvier 1995, RTD Civ. 1995. 620, obs. J. Mestre ; Civ. 1ère , 26 février 2002, D. aff. 2002. 1346. Le juge doit pouvoir relever d’office le caractère abusif d’une clause : CJCE 27 juin 2000. 4 Article R.132-6 du Code de la Consommation.

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connaître son avis à compter de sa saisine. Toutefois, pendant ce délai, les mesures urgentes ou conservatoires nécessaires peuvent être prises par le juge. Une fois l’avis rendu, il décidera des suites à donner à l’instance. En effet, cet avis ne lie pas le juge, il pourra ou non le suivre et décider de retenir ou d’exclure le caractère abusif de la clause. Cet avis sera ensuite publié dans un rapport annuel d’activité de la Commission1 avec les suites qui lui ont été données. L’absence d’effet contraignant de l’avis est regrettable compte tenu de la richesse des enseignements que le juge pourrait en tirer. Il ne faut pas pour autant en déduire l’inutilité du rôle de conseil de la Commission des clauses abusives auprès du pouvoir judiciaire. Au contraire, il donne une valeur indéniable aux travaux de la Commission et principalement aux recommandations qui, à elles seules, sont dépourvues de force obligatoire. La Commission est devenue en quelque sorte un expert en abus2. Ces saisines judiciaires constituent la principale innovation de la réforme, mise en œuvre par le décret du 10 mars 1993. Ce texte, qui a attribué à la Commission un rôle contentieux dans le cadre de sa collaboration avec le juge, a également accordé au juge la faculté de déclarer une clause abusive alors qu’aucun décret ne l’envisage au préalable. Cette saisine judiciaire répond à l’un des souhaits exprimés par la Commission, selon laquelle il sera possible de favoriser l’harmonisation de la jurisprudence3 dès lors que ses avis seront pris en compte. En effet, le Ministre chargé de la consommation lui avait demandé, par lettre du 9 novembre 1990, d’engager une réflexion sur le rôle qui pourrait être le sien dans un environnement juridique en mutation. La Commission lui avait alors transmis, le 22 mars 1991, un rapport dont certaines suggestions sont partiellement à l‘origine du décret n° 93-314 du 10 mars 1993. Aussi elle suggérait que lorsqu’une jurisprudence convergente aura émergé sur tel ou tel point, le gouvernement pourra retenir par décret les principes qui s’en dégageront en application de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Cette possibilité pour le juge de déclarer une clause abusive a pour avantage de permettre une meilleure application des règles relatives aux clauses abusives. En application de l’article 5 du Code Civil, la décision du juge ne vaut que pour l’espèce qui lui est déférée. Toutefois, 1 Commission des clauses abusives, Recommandations et Avis 1978-2002, édité par la DGCCRF. 2 L. Leveneur, La commission de clauses abusives et le renouvellement des sources des obligations, Le renouvellement des sources du droit des obligations, LGDJ n°155. 3 Rapport d’activité pour 1991, BOCCRF 8 mai 1991.

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compte tenu de la standardisation et de la multiplication de contrats similaires, une telle décision constitue un avertissement et met en garde les professionnels contre une utilisation comparable. S’agissant d’une appréciation concrète du caractère abusif de la clause, la Cour de cassation devrait s’en remette à l’appréciation souveraine des juges du fond. En effet, ces derniers disposent désormais du pouvoir de réputer non écrite toute clause répondant à la définition de l’article L.132-1 du Code de la Consommation. Néanmoins, pour des raisons de sécurité juridique, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la qualification de clauses abusives donnée par les juges du fond1. Ainsi, dans un arrêt de 1993, elle a rejeté le caractère abusif d’une clause2. La Cour refuse d’abandonner à l’appréciation souveraine des juges du fond, le contrôle de la détermination de clause abusive. Toutefois, ne s’agissant pas d’une question de droit, il est impossible qu’un moyen tiré du caractère abusif de la clause soit pour la première fois invoqué devant la haute juridiction3. Ce contrôle devrait à la longue conduire à une certaine unification des critères d’appréciation. Confronté aux contraintes du temps judiciaire, les juges ont mis du temps à solliciter la Commission. Dans son rapport d’activité pour l’année 2006, elle souhaitait même le développement de cette pratique dans la mesure où elle permettait un véritable échange entre les juges et la Commission et était de nature à contribuer à une application harmonisée des dispositions de l’article L.132-2 du Code de la Consommation4. Aujourd’hui, ces demandes d’avis ne cessent de se multiplier tant auprès de juridictions, comme la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat, qu’auprès d’autorités administratives indépendantes, comme l’autorité des marchés financiers ou l’autorité de la concurrence. Malgré cette avancée considérable, le contentieux en la matière n’a pas diminué du fait de la faible portée des décisions de justice. En effet, celles qui sont rendues dans le cadre de l’action en suppression de clauses abusives engagée par une association de consommateurs5 n’ont qu’une faible portée, entraînant simplement la suppression des clauses litigieuses dans les contrats du professionnel visé. Il est 1 Cass. Civ. 1ère, 31 janvier 1995, RDT Civ. 1995, 620 obs Mestre ; Cass. Civ. 1ère 13 nov. 1996, D. 1996, IR262 ; Cass. Civ. 1ère 26 février 2002, D. Aff. 2002, 1346. 2 Cass. Civ. 26 mai 1993, n° 92-16.327, D. 1993, jur. p. 568. 3 Cass. Civ. 21 novembre 1995, n° 93-18.051. 4 Rapport d’activité pour l’année 2006, BOCCRF 31 juillet 2007. 5 Article L.421-6 du Code de la Consommation.

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regrettable que les décisions ne soient pas applicables à tous les professionnels ayant inséré les mêmes types de clauses que celles condamnées. Quant à l’action menée par un consommateur individuel, son étendue n’est guère plus intéressante puisqu’elle n’a vocation qu’à déclarer non écrites les clauses dans le contrat entre le consommateur ou le non-professionnel et le professionnel parties à l’instance.

B. La reprise dans le décret de mars 2009 des clauses déclarées abusives par le juge :

Il y a certaine clause pour lesquelles l’abus est suffisamment apparent, soit dans le fond, soit dans la forme de la stipulation contractuelle, pour que le juge puisse la déclarer abusive sans avoir besoin de l’interpréter, alors que pour d’autre, le caractère abusif dépendra de l’interprétation qui en sera faite par la juridiction. C’est notamment le cas pour deux grands types de clauses : celles conférant un pouvoir ou un avantage au seul professionnel (1) et celles heurtant les droits ou libertés des consommateurs ou non-professionnels (2). Il est intéressant de voir que ces clauses, interprétées de manière abusives par le juge, ont été reprises par le décret du 18 mars 2009 dans les deux listes de clauses abusives. Or, désormais le pouvoir d’appréciation des juges disparaît presque totalement pour les clauses qui ont été interdites par décret. De telles clauses étant nécessairement abusives, le juge ne peut intervenir dans un sens opposé. Son rôle se borne alors à déterminer si la clause qui lui est soumise entre ou non dans le domaine de l’interdiction réglementaire. Le pouvoir du juge en est donc fortement diminué.

1. Les clauses conférant un pouvoir ou un avantage au seul professionnel : Dans cette catégorie de clauses, on peut à nouveau distinguer, celles qui octroient un pouvoir unilatéral au professionnel sans contrepoids pour le consommateur, de celles qui fournissent un avantage au professionnel sans réciprocité pour le consommateur. � Le pouvoir unilatéral du professionnel peut tout d’abord se manifester par la

modification unilatérale du prix du bien ou du service commandé. Ce changement opéré par le professionnel était prohibé par le point l) de l’annexe de l’article L.132-1 du Code de la

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Consommation qui énonçait que devait être regardée comme abusive, la clause qui permettait « d’autoriser le professionnel à modifier unilatéralement les termes du contrat sans raison valable et spécifique dans le contrat ». On retrouve cette clause au nouvel article R.132-1 du Code de la Consommation selon lequel « sont de manière irréfragable présumées abusives, les clauses ayant pour objet ou pour effet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives (…) au prix du bien à livrer ou du service à rendre ». Cet article vise les clauses de la liste noire que le décret du 18 mars 2009 a instituée, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008. Une telle clause ne peut en aucun cas recevoir une justification, elle est automatiquement jugée abusive, indépendamment du contexte dans lequel elle est insérée. Cette clause a toujours été considérée comme abusive dès lors que le professionnel s’offre le pouvoir de modifier le prix sans prévoir la faculté pour le consommateur de se défaire du contrat si la modification ne lui convient pas1. Récemment la Cour de cassation a déclaré non écrite une telle clause au motif qu’ « elle ne prévoyait pas la possibilité pour le consommateur de refuser la modification ou de résilier sa commande2 ». Le pouvoir unilatéral du professionnel peut également se manifester par la modification unilatérale des caractéristiques du bien ou du service rendu. La Cour de cassation a notamment déclarée non écrites de telles clauses lorsqu’elles ne prévoient pas de contrepartie pour le consommateur. Ce type de clause était à la fois visé à l’article R.132-2 du Code de la Consommation3 et au point k) de l’annexe4. Néanmoins elle connaissait une limite puisque l’alinéa 2 de l’article R.132-2 prévoyait que « le professionnel pouvait apporter des modifications liées à l'évolution technique, à condition qu'il n'en résulte ni augmentation des prix ni altération de qualité et que la clause réserve au non-professionnel ou consommateur la possibilité de mentionner les caractéristiques auxquelles il subordonne son engagement ». Ainsi le TGI de Paris a pu condamner ce type de clause dans un contrat d’assurance obsèques au motif « qu’elle laissait au professionnel la possibilité de modifier unilatéralement le contenu des prestations dans des cas insuffisamment précis (…) sans permettre au consommateur de s’y opposer ou d’obtenir une quelconque contrepartie »5. Si on interprète

1 TGI Brest 21 décembre 1994 ; CA Paris 3 mai 1996. 2 Cass. Civ. 1ère, 14 novembre 2006, n° 04-15.646. 3 Article R132-2 alinéa 1 du Code de Consommation : 4 Point k) de l’annexe à l’article L.132-1 du Code de la Consommation : 5 TGI Paris 9 octobre 2006, n° 03-17490.

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cette décision a contrario, cela signifie que si une faculté d’opposition ou une contrepartie avait été prévue pour le consommateur la clause aurait pu ne pas être déclarée abusive. Toutefois, on voit bien que la recherche de l’équilibre ne peut pas passer par une comparaison des droits et des obligations des parties étant donné que celles-ci sont souvent de natures différentes. On ne peut pas rétablir l’équilibre en offrant au consommateur la même faculté que celle que se réserve le professionnel. Le juge se doit de rechercher l’équilibre du contrat dans l’octroi d’une contrepartie ou d’un contrepoids. Aujourd’hui, cette clause est définie par le nouvel article R.132-1 du Code de la Consommation, selon lequel « sont de manière irréfragable présumées abusives, les clauses ayant pour objet ou pour effet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives (…) aux caractéristiques (…) du bien à livrer ou du service à rendre ». Insérée dans la liste noire, elle est automatiquement déclarée abusive par le juge. Toutefois, là aussi des atténuations ont été prévues à l’article R.132-3 du Code de la Consommation, envisageant des cas où la modification unilatérale par le professionnel est admise sous conditions. Etant donné ce caractère abusif irréfragable, la question de l’interprétation par le juge ne se pose presque plus puisque la clause est automatiquement déclarée abusive. Il devra simplement vérifier que les conditions de la liste noire figurent dans le cas d’espèce. � S’agissant des clauses octroyant un avantage au professionnel sans réciprocité pour le

consommateur, la procédure adoptée par le juge diffère de la précédente. Le juge ne recherche plus le déséquilibre dans la faculté offerte ou non au consommateur de contrebalancer le pouvoir unilatéral du professionnel, mais observe si les parties ont des droits et des obligations réciproques. Ainsi a été jugée abusive, la clause qui prévoyait qu’en cas d’inexécution ou de renonciation à la vente et une fois le délai de rétractation passé, le consommateur perdait l’acompte versé alors que le professionnel était simplement tenu de rendre l’acompte majoré des intérêts légaux au consommateur. Cette clause ne prévoyait pas « le même droit pour le consommateur de percevoir une indemnité d’un montant équivalent de la part du professionnel lorsque celui-ci y renonce au contrat » et de ce fait « créait un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur »1. Cet exemple a été repris dans la liste grise décrite à l’article R.132-2 du Code de la 1 Cass. Civ. 1ère, 14 novembre 2006, n° 04-17.578 ; n° 04-15.646 ; n° 04-15.890.

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Consommation. En effet, est abusif le fait d’ « autoriser le professionnel à conserver des sommes versées par le non-professionnel ou le consommateur lorsque celui-ci renonce à conclure ou à exécuter le contrat, sans prévoir réciproquement le droit pour le non-professionnel ou le consommateur de percevoir une indemnité d’un montant équivalent, ou égale au double en cas de versement d’arrhes au sens de l’article L.114-1, si c’est le professionnel qui renonce »1. Pour illustrer ce type de clause, il y a celle qui prévoit que l’acompte versé restera acquis par l’établissement en cas de dédit quel qu’en soit le motif, sans prévoir les conséquences de la situation inverse, c’est-à-dire du dédit de l’établissement. Le juge recherche ici la même obligation ou le même droit d’un côté et l’autre du contrat et apprécie le déséquilibre significatif dans des circonstances similaires.

2. Les clauses heurtant les droits ou libertés des consommateurs ou non-professionnels :

C’est l’autre grande catégorie de clauses qui déséquilibrent les contrats de consommation. Là aussi plusieurs exemples de clauses de ce type ont été insérés dans les listes de clauses abusives. Par exemple, la clause qui interdit au non-professionnel ou au consommateur le droit de demander la résolution ou la résiliation du contrat en cas d’inexécution par le professionnel de ses obligations de délivrance ou de garantie d’un bien ou de son obligation de fourniture d’un service2. C’est notamment le cas de la clause d’un contrat d’installation de cuisine qui prévoyait qu’un retard ne pouvait en aucun cas constituer une cause de résiliation de la commande. Pour la doctrine, le déséquilibre résulte ici de l’octroi d’un avantage injustifié au professionnel3. On peut également soutenir que le déséquilibre provient de la privation par le professionnel d’un droit légitime du consommateur. La clause limite ou exclue les droits légaux d’une partie au contrat laissant l’autre contractant jouir pleinement de ces prérogatives. Il y a également les clauses qui suppriment ou entravent l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en l’obligeant à saisir exclusivement une 1 Article R.132-1, 2° du Code de la Consommation. 2 Article R.132-1, 7° du Code de la Consommation. 3 Natacha Sauphanor-Brouillaud, Clauses abusives dans les contrats de consommation : critères de l’abus, Revue mensuel Lexisnexis jurisclasseur, juin 2008.

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juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges1. Les plus fréquentes sont :

- les clauses qui attribuent compétence exclusive à tel ou tel tribunal, comme celle qui prévoit qu’ « en cas de contestation relative à l’exécution du présent contrat de location de voiture, le tribunal de commerce de Versailles est seul compétent » ;

- les clauses qui limitent les délais de réclamation, laissant croire que, passé ces délais, tout recours est exclu.

Ce type de clause prive purement et simplement le cocontractant d’une liberté. Au vu de ces exemples de clauses réputées non écrites par le juge, on remarque que le déséquilibre significatif qui caractérise la clause abusive recoupe des situations bien différentes et permet de stigmatiser des clauses abusives car insatisfaisantes tant au regard du fond que de la forme du contrat. Toutefois, le fait que ces types de clause soient désormais mentionnés parmi les clauses interdites par décret, réduit le pouvoir du juge dans l’interprétation des clauses au profit du pouvoir réglementaire. II. Le rôle de plus en plus prononcé du pouvoir réglementaire : On a vu que certaines clauses pouvaient être réputées abusives par le juge ou par la Commission des clauses abusives, mais le pouvoir réglementaire demeure l’un des acteurs originaux dans l’interprétation de la notion de clause abusive (A) et avec la réforme de 2008, son rôle a connu une importante ascension (B).

A. Le pouvoir réglementaire : acteur original de la notion de clause abusive : Le système instauré par la loi du 10 janvier 1978 effectuait un partage de compétence entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. La loi posait le critère de la clause abusive et des décrets devaient indiquer les clauses réputées non écrites. La volonté du législateur était claire : réserver exclusivement au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les clauses devant être regardées comme abusives. Pourtant souvent discuté, ce pouvoir tend désormais à 1 Article R.132-2, 10° du Code de la Consommation.