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Actualités pharmaceutiques n° 530 novembre 2013 60 fiche juridique Mots clés - grossiste répartiteur ; laboratoire pharmaceutique ; loi Bertrand ; médicament ; rupture d’approvisionnement © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.03.025 La nouvelle réglementation en matière d’approvisionnement des médicaments L’approvisionnement des médicaments a rencontré quelques dysfonctionnements ces dernières années, notamment des ruptures de stocks au niveau des officines. Ces dysfonctionnements sont le fait de plusieurs acteurs : les laboratoires pharmaceutiques, les grossistes répartiteurs et les distributeurs en gros à l’exportation. La loi Bertrand prévoit des mesures pour pallier ces déficits. S uite à plusieurs “affaires” de ruptures de stocks de médicaments, affaires largement relayées par les médias nationaux, la loi dite “Bertrand” [1] est venue modifier la réglementation relative à l’ap- provisionnement des médicaments. Depuis quelques années, le circuit français de distribution des médica- ments est régulièrement touché par des dysfonction- nements, entraînant des ruptures d’approvisionnement ou même des pénuries, concernant en particulier des médicaments considérés comme indispensables dans l’arsenal thérapeutique des patients. Ces ruptures affectent directement les officines, et très peu l’hôpital, dans la mesure où la chaîne de médica- ments en ville fonctionne de façon constante en flux tendu. Selon l’Autorité de la concurrence [2], sur une commande de médicaments de trois ou quatre pages, il faut aujourd’hui s’attendre à ce qu’au moins une demi-page soit en rupture. D’où la pratique des officines de traiter au minimum avec deux sources d’approvisionnement différentes, pour pou- voir réagir rapidement le cas échéant. Les acteurs en cause Plusieurs acteurs de la chaîne de distribution sont en cause. F Le laboratoire pharmaceutique s’engage lors de la négociation du prix du médicament, dans l’accord- cadre signé avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), à une clause de volume. S’il dépasse en volume de vente la quantité de médicaments prévue au contrat, il s’expose à des pénalités financières. Mais il importe surtout, au laboratoire de contrôler le volume de médicaments vendu sur le territoire, afin d’éviter que ses produits ne soient destinés à ce qu’on appelle les exportations parallèles. Le prix du médica- ment en France est administré (donc bas), ce qui en fait un pays attractif pour les revendeurs de médicaments dans les états où les prix sont supérieurs à ceux appliqués dans l’Hexagone. Les laboratoires ont donc pris l’habitude de mettre en place des systèmes de contingentements ou de quotas sur certains médicaments “attractifs”. Au travers de ces quotas, ils s’assurent que les gros- sistes répartiteurs, après avoir répondu aux besoins de leur territoire de répartition, ne disposent pas de surplus qu’ils pourraient exporter. Outre ces causes “volontaires”, il ne faut pas oublier que le laboratoire peut également connaître des ruptures d’approvisionnements en raison de problèmes de fabri- cation (matière première, rappel de lots) ou de pro- blèmes de nature industrielle (délais de construction d’une usine pour faire face à la demande…). F Les grossistes répartiteurs sont tenus de maintenir leur stock à 9/10 e des médicaments effectivement consommés en France et doivent pouvoir répondre à tout moment aux besoins de leur clientèle habituelle pour au moins deux semaines. Ils doivent également pouvoir livrer dans les 24 heures toute commande pas- sée avant le samedi à 14 heures, et participer aux astreintes pour les commandes passées le week-end après le samedi à 14 heures. L’exportation peut repré- senter pour ces grossistes répartiteurs un intérêt éco- nomique non négligeable. En effet, s’ils sont contraints par la marge fixée par la réglementation pour les médi- caments vendus en France, cette marge n’a plus d’ob- jet en cas d’exportation à l’étranger. F L’activité des distributeurs en gros à l’exportation est exclusivement limitée à l’exportation, les prix étant désormais libres depuis la modification de l’article L. 5123-1 du Code de la santé publique par la loi Ber- trand. Il faut ici souligner que les laboratoires pharma- ceutiques participent à cette activité d’exportation, vendant leurs médicaments à prix libres à ces distribu- teurs en gros. Ce que dit la loi La loi Bertrand a inséré dans le Code de la santé publique un article (L. 5124-17-1 et L. 5124-17-2), © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Caroline MASCRET Maître de conférences en droit pharmaceutique Adresse e-mail : [email protected] (C. Mascret). Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Université Paris-Sud, 5 rue Jean-Baptiste-Clément, 92296 Châtenay-Malabry, France

La nouvelle réglementation en matière d’approvisionnement des médicaments

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Actualités pharmaceutiques

• n° 530 • novembre 2013 •60

fi chejuridique

Mots clés - grossiste répartiteur ; laboratoire pharmaceutique ; loi Bertrand ; médicament ; rupture

d’approvisionnement

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.03.025

La nouvelle réglementation en matière d’approvisionnement des médicamentsL’approvisionnement des médicaments a rencontré quelques dysfonctionnements ces

dernières années, notamment des ruptures de stocks au niveau des officines.

Ces dysfonctionnements sont le fait de plusieurs acteurs : les laboratoires pharmaceutiques,

les grossistes répartiteurs et les distributeurs en gros à l’exportation. La loi Bertrand prévoit

des mesures pour pallier ces déficits.

S uite à plusieurs “affaires” de ruptures de stocks de médicaments, affaires largement relayées par les médias nationaux, la loi dite “Bertrand”

[1] est venue modifier la réglementation relative à l’ap-provisionnement des médicaments. Depuis quelques années, le circuit français de distribution des médica-ments est régulièrement touché par des dysfonction-nements, entraînant des ruptures d’approvisionnement ou même des pénuries, concernant en particulier des médicaments considérés comme indispensables dans l’arsenal théra peutique des patients. Ces ruptures affectent directement les officines, et très peu l’hôpital, dans la mesure où la chaîne de médica-ments en ville fonctionne de façon constante en flux tendu. Selon l’Autorité de la concurrence [2], sur une commande de médicaments de trois ou quatre pages, il faut aujourd’hui s’attendre à ce qu’au moins une demi-page soit en rupture. D’où la pratique des officines de traiter au minimum avec deux sources d’approvisionnement différentes, pour pou-voir réagir rapidement le cas échéant.

Les acteurs en causePlusieurs acteurs de la chaîne de distribution sont en cause.

F Le laboratoire pharmaceutique s’engage lors de la négociation du prix du médicament, dans l’accord-cadre signé avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), à une clause de volume. S’il dépasse en volume de vente la quantité de médicaments prévue au contrat, il s’expose à des pénalités financières.Mais il importe surtout, au laboratoire de contrôler le volume de médicaments vendu sur le territoire, afin d’éviter que ses produits ne soient destinés à ce qu’on appelle les exportations parallèles. Le prix du médica-ment en France est administré (donc bas), ce qui en fait un pays attractif pour les revendeurs de médicaments dans les états où les prix sont supérieurs à ceux appliqués dans l’Hexagone. Les laboratoires ont donc pris l’habitude

de mettre en place des systèmes de contingentements ou de quotas sur certains médicaments “attractifs”. Au travers de ces quotas, ils s’assurent que les gros-sistes répartiteurs, après avoir répondu aux besoins de leur territoire de répartition, ne disposent pas de surplus qu’ils pourraient exporter.Outre ces causes “volontaires”, il ne faut pas oublier que le laboratoire peut également connaître des ruptures d’approvisionnements en raison de problèmes de fabri-cation (matière première, rappel de lots) ou de pro-blèmes de nature industrielle (délais de construction d’une usine pour faire face à la demande…).

F Les grossistes répartiteurs sont tenus de maintenir leur stock à 9/10e des médicaments effectivement consommés en France et doivent pouvoir répondre à tout moment aux besoins de leur clientèle habituelle pour au moins deux semaines. Ils doivent également pouvoir livrer dans les 24 heures toute commande pas-sée avant le samedi à 14 heures, et participer aux astreintes pour les commandes passées le week-end après le samedi à 14 heures. L’exportation peut repré-senter pour ces grossistes répa rtiteurs un intérêt éco-nomique non négligeable. En effet, s’ils sont contraints par la marge fixée par la réglementation pour les médi-caments vendus en France, cette marge n’a plus d’ob-jet en cas d’exportation à l’étranger.

F L’activité des distributeurs en gros à l’exportation est exclusivement limitée à l’exportation, les prix étant désormais libres depuis la modification de l’article L. 5123-1 du Code de la santé publique par la loi Ber-trand. Il faut ici souligner que les laboratoires pharma-ceutiques participent à cette activité d’exportation, vendant leurs médicaments à prix libres à ces distribu-teurs en gros.

Ce que dit la loiLa loi Bertrand a inséré dans le Code de la santé publique un article (L. 5124-17-1 et L. 5124-17-2),

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Caroline MASCRETMaître de conférences

en droit pharmaceutique

Adresse e-mail : [email protected]

(C. Mascret).

Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry,

Université Paris-Sud, 5 rue Jean-Baptiste-Clément,

92296 Châtenay-Malabry, France

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juridique

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prévoyant un système d’astreinte pour répondre aux besoins urgents en médicaments en dehors des jours d’ouverture généralement pratiqués par les gros-sistes répartiteurs sur leur territoire de répartition. L’article précise aussi que les grossistes répartiteurs sont tenus d’assurer l’approvisionnement continu du marché national de manière à couvrir les besoins des patients sur leur territoire de répartition. Ces dispositions doivent faire l’objet d’un décret en Conseil d’État.

Ce que prévoit le décretLe projet de décret [3], élaboré par l’ancienne majorité, avait prévu une disposition centrale : les grossistes répartiteurs devaient informer les laboratoires des quan-tités exportées, ainsi que les pays destinataires, et n’étaient autorisés à exporter qu’à deux conditions : avoir rempli leurs obligations de service public, et n’exporter que les médicaments ne figurant pas sur une liste définie par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSM). À peu près trois cents spécialités figuraient sur cette liste d’“intérêt thérapeutique majeur”. Ce projet de décret prévoyait également un plan de gestion des pénuries par des constitutions de stocks selon la part du marché de l’exploitant, des sites alternatifs de fabri-cation de matières premières et de fabrication de spé-cialités pharmaceutiques, ainsi que l’identification de spécialités pouvant se substituer à la spécialité en défaut.Au final, le décret préparé par la nouvelle majorité n’a repris aucune de ces dispositions.

F On entend par rupture d’appro visionnement une incapacité, pour une pharmacie d’officine ou une phar-macie à usage intérieur, de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures. Le texte ajoute que ce délai peut être réduit à l’initiative du pharmacien en fonction de la compatibilité avec la poursuite opti-male du traitement du patient.

F Les obligations des grossistes répartiteurs sont purement réglementaires : au moment de leur demande d’autorisation d’ouverture d’un établissement, ils seront également dans l’obligation de déclarer le territoire de répartition. Ils ne pourront plus le faire postérieurement. De même, l’autorisation d’ouverture d’un établissement ne sera plus valable que pour un an (et non deux). Ils devront également signaler à l’entreprise exploitante toute rupture d’approvisionnement de son stock.

F Les obligations des laboratoires sont renforcées, le décret introduisant de nouvelles contraintes pesant sur les entreprises exploitantes. Elles doivent désormais assurer un approvisionnement approprié et continu de tous les grossistes répartiteurs et donc justifier une ges-tion de stocks individuels au regard de la couverture des besoins des patients en France. Les laboratoires devront justifier leur organisation en fonction de cette nouvelle obligation de service public. Si l’exploitant anticipe une rupture d’approvisionnement, il devra en informer l’ANSM, en précisant les délais de survenue, les stocks disponibles, les modalités de disponibilité ainsi que les délais provisionnels de remise à disposition des médi-caments et, à défaut les spécialités substituables au produit manquant.L’exploitant devra informer tous les trois mois l’Agence régionale de santé (ARS) des approvisionnements d’ur-gence effectués, en mentionnant chaque destinataire ainsi que les quantités fournies. Enfin, un bilan trimes-triel de ces approvisionnements d’urgence sera adressé à l’ANSM, chronologiquement pour chaque médicament avec mention des quantités fournies et des destinataires.

F La mise en place de centres d’appel d’urgence est une obligation supplémentaire pesant sur les exploi-tants. Elle doit permettre le signalement des ruptures par les pharmacies d’officine et les hôpitaux. Ces centres devront être organisés de manière à prendre en charge à tout moment les ruptures de médicaments et à permettre la dispensation effective de la spécialité manquante. Ce sera à l’exploitant de prendre ses dispo-sitions pour faire connaître ces numéros d’appel auprès des pharmaciens, tout comme d’assurer la traçabilité des appels.

ConclusionPour mieux approvisionner officines et hôpitaux, de nouvelles dispo sitions doivent être mises en place par la loi Bertrand. Ces obligations concernent principale-ment les grossistes répartiteurs (au niveau réglemen-taire) et les laboratoires. Ces derniers devront ainsi assurer un approvisionnement continu des grossistes répartiteurs, relayer l’information en cas de ruptures d’approvisionnement et créer des centres d’appel d’urgence. w

Déclaration d’intérêts 

L'auteur déclare ne pas avoir de

confl it d’intérêts en relation avec

cet article.

Références[1] Loi 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. www.legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025053440&dateTexte&categorieLien=id

[2] Avis n° 12-A-18 du 20 juillet 2012 portant sur un projet de décret relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain. www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/12a18.pdf

[3] Décret 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain. www.legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026426883&categorieLien=id

Vocabulaire

La réglementation française distingue le laboratoire titu-laire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du laboratoire exploitant l’AMM, le titulaire de l’AMM pou-vant assurer l’exploitation du médicament, ou seulement une partie. On entend par opérations d’exploitation du médicament la vente, la publicité, l’information, la phar-macovigilance et le stockage. D’une façon générale, les obli-gations ou modalités administratives pèsent, en France, sur l ’exploitant. Cette dif férenciation effectuée entre le laboratoire titulaire et le laboratoire exploi-tant est spécifique à la réglementation française, le droit européen ne reconnaissant que le titulaire de l’AMM.