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La nuit était tombée depuis une heure à peine · 2013. 1. 22. · aux formes animales ; les mêmes que celles que les enfants voient si souvent dans les nuages. Ainsi, il y avait

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La nuit était tombée depuis une heure à peine

lorsque les garçons arrivèrent sur la plage. Cela faisait maintenant un mois que cette bande de copains se retrouvait quasiment tous les soirs pour une partie de pêche. L’ambiance était bon enfant. Ils discutaient, rigolaient, prenaient de temps en temps l’apéro et se vantaient toujours d’avoir attrapé le plus gros poisson, qu’ils montraient bien sûr au reste du groupe avant de le remettre à l’eau. Ils avaient tous entre dix-neuf et vingt-cinq ans, et faisaient des études diverses : sport, droit, économie, biologie…

Ce soir-là, Victor avait amené comme bien souvent son chien, Bandit, un border collie de seulement huit mois. Le chiot était toujours en quête de nouvelles aventures. Il s’inventait souvent des ennemis maléfiques à partir de bouts de bois ou d’algues échoués sur le sable. Il se lançait alors dans une lutte acharnée jusqu’à réduire en miettes ses adversaires. Lorsqu’il avait terminé, ce qui arrivait toujours assez rapidement, il revenait au milieu de la bande pour donner de grands coups de langue et se faire caresser. Mais ce soir-là, Bandit était parti plus loin que d’habitude et il ne revint pas au rappel de son maître. Victor décida donc d’aller le chercher, accompagné

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de son meilleur ami, Alexandre. Pendant ce temps-là, les autres commencèrent à ranger le matériel.

Au fur et à mesure qu’ils avançaient sur la plage, Victor et Alexandre humèrent l’air marin et discutèrent de leurs prises du jour. Cela avait été une excellente soirée, ce qui n’était d’ailleurs pas étonnant si l’on se référait aux revues spécialisées et à l’avis des anciens. En effet, il était dit depuis longtemps que les deux meilleurs jours de pêche étaient ceux qui précédaient de quarante-huit heures les pleine et nouvelle lunes. Or ce soir-là, le ciel était bien éclairé par cette lune quasiment ronde. Les deux garçons pouvaient d’ailleurs apercevoir plusieurs de ses mers sans trop de mal. Le ciel accueillait en outre un nombre impressionnant d’étoiles brillant de mille feux. Victor avait toujours été fasciné par le monde très particulier des constellations. Orion, la Petite et la Grande Ourse, Hercule, Pégase… les noms ne manquaient pas ! Mais le jeune homme avait surtout toujours eu un faible pour les groupements d’étoiles aux formes animales ; les mêmes que celles que les enfants voient si souvent dans les nuages. Ainsi, il y avait l’aigle, la baleine, le cygne, le dauphin, le lièvre, le loup, le serpent…

Et alors que les deux amis progressaient sur la plage, ils parlèrent de ce sacré cabot qui n’était toujours pas visible et qui ne répondait pas à leurs multiples appels et sifflements. Ce ne fut qu’au bout d’une centaine de mètres qu’ils l’aperçurent enfin. Le chien était debout et leur tournait le dos. Victor l’appela alors d’un ton sec mais Bandit ne bougea pas d’une oreille. Son maître, furieux, réitéra son ordre. En guise de réponse, le chien se coucha et se mit à

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japper. Les deux jeunes découvrirent alors, terrorisés, un corps derrière lui. Ils se mirent à courir et virent une jeune femme de leur âge environ. Victor la secoua doucement dans un premier temps, puis plus fortement dans un second temps, mais il n’obtint aucune réaction de la part de la demoiselle. Il lui souleva ensuite le bras et le lâcha. Celui-ci retomba lourdement. Il essaya alors de lui parler, mais il était évident que la jeune fille était bel et bien inconsciente. Pendant que Victor tentait d’autres approches totalement stériles et désespérées, Alexandre appela les pompiers. Pendant que le téléphone sonnait, le jeune homme tenta de se rappeler toutes les consignes qu’il avait apprises avec Victor lors de leurs cours volontaires de secourisme, alors qu’ils étaient au lycée, mais il se sentit complètement paniqué. Les secondes d’attente lui parurent durer des heures. Quand enfin il entendit une voix à l’autre bout du fil, il ressentit comme un grand coup dans la poitrine. Il se présenta alors d’une voix mal assurée, dit où il se trouvait, et expliqua qu’il était en présence d’une jeune femme d’une vingtaine d’années qui était inconsciente et dont il ignorait l’identité. Son interlocuteur lui demanda aussitôt si elle semblait avoir bu. Alexandre lui dit que non. Puis le sapeur lui demanda un numéro où il pouvait le joindre et leur emplacement précis sur la plage. Le garçon hésita avant de répondre car la plage n’était éclairée que par la lumière de la lune. Il pensa ensuite à aller récupérer les lampes-torches auprès de leurs amis restés au milieu de la plage, afin de faire des signaux pour guider le camion. Lorsqu’il eut raccroché, il appela aussitôt ses copains pour les prévenir de la situation. Totalement abasourdis, ses

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amis lui dirent qu’ils allaient se déplacer jusqu’à eux. Surtout qu’ils ne bougent pas ! Alexandre regarda son plus grand copain qui s’était assis derrière la tête de la jeune inconnue et la portait sur ses genoux. Il semblait sous le choc. D’un geste répétitif, il ne cessait de lui caresser les cheveux. Une larme se devinait sur sa joue. Son meilleur ami savait que Victor avait perdu sa mère à l’âge de six ans, dans un accident de la route. Elle avait été renversée par un chauffard qui avait grillé un feu rouge. Sentant le coup venir, elle s’était jetée sur son fils afin de le mettre hors de portée du véhicule. Elle était décédée quelques heures plus tard à l’hôpital… Le chien avait sa tête posée sur le ventre de la jeune fille. Il ne bougeait pas. Jamais Alexandre ne l’avait vu aussi sage. A cet instant, il ne put se l’expliquer, mais il eut comme l’impression que Bandit l’avait sauvée. Lorsque le reste du groupe arriva, Victor ne fit même pas attention à eux. Il était toujours aux côtés de la mystérieuse demoiselle et Alexandre leur fit signe discrètement de ne pas l’approcher. Le pompier qu’il avait eu en ligne lui avait demandé si la victime avait un sac à main sur elle, un portefeuille dans ses poches, un téléphone ; quelque chose qui permettait de l’identifier. A première vue, il lui avait semblé que non. Mais maintenant qu’il avait une lampe en main, il en était certain. La jeune fille avait des cheveux châtains et le visage parsemé de taches de rousseur. Elle portait un petit chemisier en coton blanc et une jupette noire toute simple. Ses lèvres légèrement retroussées et ses longs cils délicatement posés pouvaient faire croire qu’elle rêvait…

Les pompiers mirent une dizaine de minutes à les rejoindre. En arrivant, ils saluèrent brièvement le

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groupe d’amis, puis s’approchèrent rapidement de la jeune fille, dont ils vérifièrent le pouls. Ils la placèrent ensuite sur une civière qu’ils portèrent jusqu’au véhicule. Victor observa la scène, ému. Lorsque les sapeurs introduisirent la civière sur les rampes, il s’écria : « Laissez-moi venir avec vous ! ». « Vous êtes de sa famille ? », l’interrogea un pompier. « Non, mais ça ne fait rien. Je veux être avec elle ! », dit-il précipitamment. « Je suis désolé Monsieur, mais je ne peux pas vous prendre. Je n’ai pas le droit ». « S’il vous plaît… », implora Victor. « Non, je regrette », conclut le sapeur en claquant la porte derrière lui. Alexandre prit alors son ami dans ses bras. Ce dernier s’effondra, submergé par l’émotion. Le camion s’éloigna, son gyrophare et sa sirène actionnés, et la bande de copains rejoignit tranquillement le parking. Alex estima que son ami n’était pas en état de conduire et le raccompagna chez lui, avec Bandit assis à ses pieds…

Victor ne réussit pas à fermer l’œil de la nuit. Il était obsédé pas le visage de cette belle inconnue. Pourquoi n’arrivait-il pas à le chasser de son esprit !? Il ne la connaissait même pas…

Le matin suivant, quand son réveil sonna, il alla vite promener son chien et partit travailler, sans prendre de petit déjeuner. En arrivant dans son entreprise de construction où il faisait un stage de comptabilité, il ne prit même pas le temps d’aller saluer ses collègues autour de leur habituel café. Il préféra se connecter immédiatement à internet et rechercha les coordonnées de l’hôpital où la jeune fille de la veille avait été transférée. Il raconta son histoire à l’infirmière qu’il avait au bout du fil. Dès