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32 Les Nouvelles de l’archéologie n o 147 – Mars 2017 * Responsable des collections, administratrice de la base de données des collections, en charge de l’inventaire, de la documentation et de la numérisation au musée départemental Arles antique – Presqu’île du cirque romain, 13000 Arles cedex, [email protected] La numérisation au musée départemental Arles antique Une valorisation des collections archéologiques Soizic Toussaint* U n musée d’archéologie a la mission complexe de préserver des œuvres et de la documentation archéologique dans un objectif d’étude, de conservation et de transmission, tout en les valorisant et en les rendant accessibles. Entre scientifique et public, le musée d’archéologie est désormais soutenu dans cette démarche par les avancées technologiques des dernières décennies. Ainsi, la numérisation des collec- tions est devenue une mission incontournable dans la gestion muséale. Pourtant, avec l’avènement de la 3D et la simplification des outils de captation numérique, la volonté grandissante de numériser des collections archéologiques fait émerger un certain nombre de problématiques. En effet, au-delà de l’aspect paradoxal qui consiste à digitaliser une œuvre faite d’histoire et de matière, un musée d’archéologie doit-il nécessairement s’engouffrer dans la brèche de la technologie pour exister au XXI e siècle ? Les évolutions techniques sont-elles la solution qui permettra enfin de dépasser la vision, trop souvent maladroitement véhiculée, d’un musée suranné ? Car si le musée d’archéologie, héritier du cabinet de curiosités, temple du collectionneur et de l’amateur éclairé, est une image d’Épinal à lui tout seul, doit-il pour autant tenter de conserver son identité et son intégrité au risque de passer à côté de la révolution du numérique ? Dans un contexte de dématérialisation croissante, la possibilité de la perte du lien sensible entre l’œuvre et le visiteur amène à se poser concrètement la question de la présence du numérique dans le musée et à définir la place de la numé- risation dans le processus de gestion des collections, de la conservation à la médiation en passant par l’étude. Le musée départemental Arles antique (MDAA), à travers son chantier de numérisation des collections en deux et trois dimensions, tente depuis quelques années d’apprivoiser ces technologies et, tout en optimisant l’avènement du numérique, projette de développer un schéma alliant le musée physique et ses avatars virtuels vers une ébauche de stratégie digitale. Le musée départemental Arles antique passe au numérique Créé en 1995 par la ville d’Arles, le musée de l’Arles antique, devenu départemental en 2003, est une structure récente, un musée dit « de site », présentant dans un écrin architectural résolument moderne des collections archéologiques découvertes en Arles et sur son territoire, lors de fouilles terrestres et subaquatiques. Abritant notamment un service archéologique, un atelier de conservation-restauration de mosaïques et un service de conservation, le MDAA possède la spécificité de pouvoir gérer toute la chaîne opératoire liée aux objets, de la fouille au musée, et cela dans un contexte actuel d’intense activité archéologique (fouille et relevage du chaland Arles-Rhône 3, fouille du site terrestre de la Verrerie…). Depuis 2004, le musée a adopté un logi- ciel performant de gestion informatisée des collections (The Museum System), outil qui offre, outre le suivi quotidien des œuvres et l’inscription de l’inventaire, la pos- sibilité de superviser de manière numérique tous les aspects de la vie des collections. En 2012, l’appel à projet du ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre du plan national de numérisation a permis à l’institution de passer à l’étape supérieure. Suite à l’acceptation du dossier, un marché public a été mis en place avec un budget dédié pour démarrer un chantier colossal : numériser les collec- tions archéologiques en deux et trois dimensions. Le MDAA était l’héritier d’un fonds argentique ancien, bien que scanné pour les usages actuels, mais le fort accroisse- ment des collections depuis les importantes découvertes dans le Rhône (fouilles du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines / DRASSM et d’Arkaeos-MDAA de 2004 à aujourd’hui) rendait obligatoire une reprise de la couver- ture iconographique en passant par les nouvelles technologies. Deux groupements de prestataires ont pu être recrutés pour établir d’un côté une couverture documentaire la plus complète possible des collections (groupement des photographes Rémi Bénali,

La numérisation au musée départemental Arles antique...Créé en 1995 par la ville d’Arles, le musée de l’Arles antique, devenu départemental en 2003, est une structure récente,

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32 Les Nouvelles de l’archéologie no 147 – Mars 2017

* Responsable des collections, administratrice de la base de données des collections, en charge de l’inventaire, de la documentation et de la numérisation au musée départemental Arles antique – Presqu’île du cirque romain, 13000 Arles cedex, [email protected]

La numérisation au musée départemental Arles antiqueUne valorisation des collections archéologiques

Soizic Toussaint*

Un musée d’archéologie a la mission complexe de préserver des œuvres et de la documentation archéologique dans un objectif d’étude, de conservation et de

transmission, tout en les valorisant et en les rendant accessibles. Entre scientifique et public, le musée d’archéologie est désormais soutenu dans cette démarche par les avancées technologiques des dernières décennies. Ainsi, la numérisation des collec-tions est devenue une mission incontournable dans la gestion muséale. Pourtant, avec l’avènement de la 3D et la simplification des outils de captation numérique, la volonté grandissante de numériser des collections archéologiques fait émerger un certain nombre de problématiques. En effet, au-delà de l’aspect paradoxal qui consiste à digitaliser une œuvre faite d’histoire et de matière, un musée d’archéologie doit-il nécessairement s’engouffrer dans la brèche de la technologie pour exister au xxie siècle ? Les évolutions techniques sont-elles la solution qui permettra enfin de dépasser la vision, trop souvent maladroitement véhiculée, d’un musée suranné ? Car si le musée d’archéologie, héritier du cabinet de curiosités, temple du collectionneur et de l’amateur éclairé, est une image d’Épinal à lui tout seul, doit-il pour autant tenter de conserver son identité et son intégrité au risque de passer à côté de la révolution du numérique ? Dans un contexte de dématérialisation croissante, la possibilité de la perte du lien sensible entre l’œuvre et le visiteur amène à se poser concrètement la question de la présence du numérique dans le musée et à définir la place de la numé-risation dans le processus de gestion des collections, de la conservation à la médiation en passant par l’étude. Le musée départemental Arles antique (mdaa), à travers son chantier de numérisation des collections en deux et trois dimensions, tente depuis quelques années d’apprivoiser ces technologies et, tout en optimisant l’avènement du numérique, projette de développer un schéma alliant le musée physique et ses avatars virtuels vers une ébauche de stratégie digitale.

Le musée départemental Arles antique passe au numérique

Créé en 1995 par la ville d’Arles, le musée de l’Arles antique, devenu départemental en 2003, est une structure récente, un musée dit « de site », présentant dans un écrin architectural résolument moderne des collections archéologiques découvertes en Arles et sur son territoire, lors de fouilles terrestres et subaquatiques. Abritant notamment un service archéologique, un atelier de conservation-restauration de mosaïques et un service de conservation, le mdaa possède la spécificité de pouvoir gérer toute la chaîne opératoire liée aux objets, de la fouille au musée, et cela dans un contexte actuel d’intense activité archéologique (fouille et relevage du chaland Arles-Rhône 3, fouille du site terrestre de la Verrerie…). Depuis 2004, le musée a adopté un logi-ciel performant de gestion informatisée des collections (The Museum System), outil qui offre, outre le suivi quotidien des œuvres et l’inscription de l’inventaire, la pos-sibilité de superviser de manière numérique tous les aspects de la vie des collections.En 2012, l’appel à projet du ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre du plan national de numérisation a permis à l’institution de passer à l’étape supérieure. Suite à l’acceptation du dossier, un marché public a été mis en place avec un budget dédié pour démarrer un chantier colossal : numériser les collec-tions archéologiques en deux et trois dimensions. Le mdaa était l’héritier d’un fonds argentique ancien, bien que scanné pour les usages actuels, mais le fort accroisse-ment des collections depuis les importantes découvertes dans le Rhône (fouilles du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines / Drassm et d’Arkaeos-mdaa de 2004 à aujourd’hui) rendait obligatoire une reprise de la couver-ture icono graphique en passant par les nouvelles technologies. Deux groupements de prestataires ont pu être recrutés pour établir d’un côté une couverture documentaire la plus complète possible des collections (groupement des photographes Rémi Bénali,

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Soizic Toussaint | La numérisation au musée départemental Arles antique

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Jean-Luc Maby et Lionel Roux1) et, de l’autre, un catalogue en trois dimensions d’œuvres choisies (groupement Digiscan3D-IMA solutions2). Il convient de préciser que la transmission des photographies des œuvres du musée est gratuite pour toute publication et ce depuis toujours, ce qui démontre une réelle volonté du mdaa de diffuser ses collections hors de ses espaces de présentation et d’en faciliter l’utilisation et l’acces-sibilité ; ses œuvres phares sont d’ailleurs très présentes dans les manuels scolaires (histoire ou latin) ou encore dans les revues spécialisées. De plus, le chantier des photographies est très réactif et son mode opératoire permet de s’adapter assez rapidement aux projets de publications scientifiques ou d’études de la part de scientifiques extérieurs et, bien sûr, en interne. Enfin, au-delà de ses collections archéologiques, le musée départemental Arles antique est donataire depuis 2011 d’un fonds de plus d’un millier de dessins. Ces restitutions archéologiques, données par l’architecte et chercheur émérite au cnrs Jean-Claude Golvin3, étaient originellement destinées à des ouvrages « grand public » autour de l’archéologie, et donc vouées par essence à être numérisées. Afin de continuer à les diffuser tout en préservant ce qui est désormais considéré comme une collection, la dématérialisation de ce fonds est une nécessité dictée dès l’origine par l’utilisation de l’œuvre.Le chantier de numérisation est assuré généralement par deux agents du service conservation : un chef de projet qui coordonne les équipes internes et externes, définit les choix d’œuvres et les priorités en fonction des demandes de services comme la médiation ou la photothèque, de la charge de tra-vail engendrée et des impératifs d’exploitation, réceptionne et intègre les fichiers à la base de données, et un régisseur qui assure les mouvements d’œuvres jusqu’au studio photo-graphique. Un temps hebdomadaire est dédié à cette mission, allant d’une à trois journées selon les besoins et disponibili-tés. Au-delà de la mise en œuvre, c’est tout le musée qui est concerné par ce programme transversal, par ses implications et ses conséquences, depuis le pôle des collections jusqu’au département des publics.

Des difficultés de mise en œuvre

Mettre en place une telle campagne de numérisation néces-site une préparation en interne. Si la technique de captation et la chaîne opératoire paraissent maîtrisées, l’élaboration et l’exploitation d’un tel projet sont pourtant soumises à des dif-ficultés. En effet, bien que la structure du marché public offre une facilité dans l’acquisition des fichiers d’un point de vue du droit patrimonial, la gestion de la propriété intellectuelle est un premier obstacle à franchir pour utiliser convenablement le bénéfice des campagnes de numérisation. Les usages sont nombreux, parfois même inédits, et le personnel des musées est souvent peu formé aux structures juridiques complexes d’un droit à l’image qui s’est longtemps construit sur des juris-prudences et qui est associé, dans un musée d’archéologie, aux spécificités du droit lié aux découvertes archéologiques et

1. http://www.studioatlantis.fr/, http://www.jean-luc-maby.com/, http://lio-photographies.blogspot.fr/

2. http://digiscan3d.fr/ et http://ima-solutions.fr/3. http://jeanclaudegolvin.com/

au statut des collections. Même si le droit d’auteur attaché à l’œuvre n’est plus un problème après 2 000 ans d’ancienneté, la volonté affirmée de faire appel à des photographes profes-sionnels apporte une contrainte supplémentaire dans l’utili-sation des images. Une structure comme le mdaa bénéficie naturellement de l’assistance du service juridique du conseil départemental des Bouches-du-Rhône mais, la culture n’étant pas une compétence obligatoire de cet échelon territorial, les spécificités liées aux demandes émises auprès du musée restent plus complexes à traiter.D’autre part, en dehors de la préparation du marché public, qui réclame des compétences techniques dans le domaine numérique pour préparer la réception des données, la livrai-son et l’utilisation des fichiers peuvent aussi se heurter à la méconnaissance de la technologie actuelle. Une formation spéciale ou une sensibilité toute particulière s’avère requise pour qu’un agent culturel puisse être à même d’utiliser cor-rectement des fichiers natifs, notamment des fichiers 3D. Cette démarche nécessite également de posséder les logiciels en per-mettant la lecture, d’en connaître la manipulation et d’avoir à disposition des machines suffisamment puissantes pour sup-porter l’ouverture de données volumineuses, ce qui est très rarement le cas des ordinateurs dédiés quasi exclusivement à la bureautique.Enfin, ce projet s’inscrit au sein d’un chantier de documen-tation ambitieux bien qu’essentiel. Seule une petite partie de l’inventaire est actuellement traitée de manière réglementaire et le récolement a mis en évidence, comme dans beaucoup de musées archéologiques, les incertitudes juridiques liées au sta-tut des collections. S’y ajoute une nécessité de mise à jour et de validation des données scientifiques liées aux objets : très peu actualisées depuis l’ouverture du musée en 1995, faute de personnel, les fiches documentaires sont actuellement revues par un collège de spécialistes afin de pouvoir être diffusées, accompagnées de leur nouvelle couverture iconographique.

Un projet esthétique affirmé

En toute conscience des difficultés évoquées ci-dessus, le mdaa a souhaité recourir à des équipes de professionnels pour la réalisation de ce chantier de numérisation (fig. 1). Si cela paraît être une évidence sur le sujet de la 3D4, le choix aurait pu être tout autre pour la photographie. En effet, compte tenu de la facilité d’utilisation des appareils numériques actuels, une campagne aurait pu être réalisée en interne, avec des per-sonnels dédiés, faisant suite à la tradition de notre musée de photographier les œuvres dans son propre laboratoire photo-graphique. C’est notamment cette démarche qui a été retenue lors du récolement décennal des collections, dont le résultat est une couverture documentaire atteignant 99% des objets. Il aurait également pu être envisagé de confier aux visiteurs, de manière contributive, la documentation visuelle des collec-tions, comme le Muséum de Toulouse a pu le faire, ou encore d’utiliser les principes du web collaboratif pour la constitution d’une banque d’images, à l’exemple du Conseil inter national

4. Lors du lancement des campagnes de numérisation, le projet France collection 3D n’existait pas encore et ne pouvait donc pas être considéré comme une alternative.

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des monuments et des sites (Icomos). Pourtant, malgré les sirènes de l’open data, la sollicitation de professionnels sur la partie photographie a été voulue dès les prémices du projet. Cette présence de spécialistes a permis la mise en place d’un protocole spécifique au musée. De plus, elle offre la possibi-lité complémentaire et assumée de réaliser des photographies composées, d’une très grande qualité artistique, donnant aux objets archéologiques une tonalité « beaux-arts » et créant par là même une identité visuelle, voire une esthétique, propre aux collections du musée. Faire ce choix, c’était donc valider la valorisation de l’objet archéologique par la mise en scène de la beauté intrinsèque de ces découvertes, principe hérité des siècles précédents et des anciennes présentations de col-lections, dans des situations où l’harmonieux primait sur le scientifique (fig. 2).Dans l’écrin actuel conçu par Henri Ciriani, le projet d’exposi-tion a désormais évolué vers une synthèse, un équilibre entre une muséographie élégante, permettant un parcours esthé-tique dans une cité muséale, et un propos scientifique affirmé, fort de la présence de spécialistes au sein du musée et d’une activité archéologique intense faisant évoluer les contenus.

Des objectifs scientifiques

Les priorités de prises de vue sont définies à la fois selon les besoins mais aussi selon les logiques de fonds. Dans les salles d’exposition permanente, qui sont les espaces prioritaires, les œuvres particulièrement représentatives des collections arlé-siennes (sarcophages, mosaïques et statues) ont été le but des premières campagnes photographiques. L’objectif est bien entendu de réaliser la couverture la plus complète possible des objets conservés au mdaa, et ainsi d’alimenter une banque d’images utile au travail des équipes (fig. 3). La numérisation des collections est devenue une étape incontournable dans la

gestion quotidienne des œuvres. L’informatisation des collec-tions et donc l’omniprésence des bases de données obligent à une couverture photographique exclusivement numérique pour un stockage et un usage via ces nouveaux outils de gestion. Chaque fiche documentaire ou d’inventaire doit être complétée de photographies d’identification de l’objet, qui peut désormais être pris sous toutes ses coutures, réactualisées fréquemment du fait de la facilité de la prise de vue numé-rique (fig. 4). Les très nombreux prêts effectués par le musée auprès d’institutions nationales et internationales sont alors l’occasion de constituer un corpus d’images, notamment pour la réalisation des constats d’état. Il est donc d’usage de cou-pler les chantiers des collections ou les sessions documen-taires (notamment liées aux « suites à donner au récolement ») avec des campagnes photographiques. La photographie et, ponctuellement, la captation en trois dimensions, sont éga-lement devenues indissociables du projet de reprise des don-nées scientifiques lancé au musée suite au récolement. La sollicitation de nombreux chercheurs extérieurs, parfois éloi-gnés géographiquement d’Arles, dans le but d’actualiser et de valider scientifiquement le contenu des fiches documentaires, engendre la transmission de visuels pour servir de support à l’étude. Au musée départemental Arles antique, la 3D est de plus en plus utilisée pour assister la recherche scientifique. Cela peut concerner la prise de mesures précises, la comparai-son de formes, la capture intégrale d’un objet archéologique hors normes, la mise en valeur de traces de façonnage, mais aussi l’archivage d’un site en cours de fouille dans un état précis, avant la destruction irrémédiable d’un niveau pour atteindre les suivants. Utilisé sur le chantier archéologique de la Verrerie, le scanner 3D permettra d’en conserver une image texturée, évolutive, d’aider à la compréhension scientifique du site et à sa médiation, mais aussi de prévoir une muséographie pointue dans l’éventualité d’une restitution.

Fig. 2 - Amphore massaliète mise en valeur par la photographie © mDaa. Photo Jean-Luc Maby.

Fig. 1 - Rémi Bénali photographie la proue du chaland Arles-Rhône 3 © mDaa. Photo Aurélie Coste.

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Cet usage scientifique de la numérisation remonte même à l’année 19945 lorsque la simulation informatique a été tes-tée sur la statue colossale d’Auguste, qui est ainsi devenue l’une des toutes premières œuvres « scannées » pour en pla-nifier le remontage et assister virtuellement la création d’un socle esthétique et peu visible, tout en étant certifié. En 2009, c’est la statue de Neptune, découverte dans le Rhône en quatre morceaux, qui a bénéficié d’une reconstitution tridimension-nelle pour calculer informatiquement les angles et les axes lors du montage définitif.La technologie 3D offre également une aide à l’interpréta-tion, assistant la démarche de l’archéologie expérimentale. Récemment, un petit jouet en plomb découvert dans le Rhône en 2007 a été scanné pour être enfin rendu intelligible. Tordu, voire vrillé par endroits, l’objet pour le moment unique repré-sente un petit couple de gladiateurs à l’entraînement, secutor contre rétiaire, autour d’un pallus (poteau). L’action numé-rique post-scan a permis la lecture de détails sur les combat-tants, l’un en position de garde, l’autre ayant fiché son trident dans le poteau et lançant probablement son filet. Seule une captation encore plus précise permettra d’attester qu’il s’agit bien d’un filet, ce qui en ferait alors une figuration iné-dite sous cette forme et aiderait dans leur recherche les spé-cialistes en archéologie expérimentale des sports antiques6. Commandée par le musée, une vidéo issue de cette numéri-sation peut se substituer à l’œuvre originale, jusqu’alors non présentée car peu lisible. Dans le cadre d’un emprunt de l’ob-jet, elle sera un support particulièrement précieux pour sa lec-ture et sa compréhension.Le mdaa conserve, comme de nombreux musées archéo-logiques, des œuvres fragiles qu’il convient de ne pas ou de ne plus manipuler. Certaines de ces pièces peuvent, par ailleurs, être hors normes (notamment certains éléments d’architec-ture navale qui dépassent les 4 mètres de long). La numéri-sation en trois dimensions apporte alors une solution dans le travail de gestion des collections, et pas seulement du point de vue de la régie. La photogrammétrie du chaland Arles-Rhône 37 est ainsi actualisée chaque année et utilisée pour la réalisation de constats d’états dans le cadre du projet de sur-veillance de ce trésor national mais aussi dans une réflexion plus globale autour de la conservation des épaves antiques en musées (groupe de travail autour du projet Geiser, alliant le musée gallo-romain de Lyon-Fourvière, le musée d’histoire de Marseille, le musée cantonal de Lausanne, le Centre de recherche et de restauration des musées de France / c2rmf, le drassm, le Centre interdisciplinaire de conservation et restau-ration du patrimoine / cicrp, le cnrs, Arc-Nucléart et les socié-tés Ipso-Facto et A-Corros). La technologie tridimensionnelle est ici le support nécessaire pour mener à bien cette mission d’entretien du bateau. Dans d’autres cas de figure, la numéri-

5. http://www.sculpt.fr/SUITE/INFOSCULPT/ARTICLES/ARTICLES1.htm6. Le petit couple de gladiateurs a fait l’objet d’une étude particulière de

la part de l’équipe d’Acta (spécialistes de l’archéologie expérimentale du sport), qui a entraîné la première diffusion télévisée d’une œuvre numé-risée du MdAa : http://www.13productions.fr/gladiateurs-le-retour-sur-france-3/

7. Barge gallo-romaine du Ier s. apr. J.-C., découverte dans le Rhône à Arles, qui a fait l’objet d’une opération de relevage et de restauration (2011-2013).

sation en trois dimensions peut permettre la confection d’un moulage afin que, si l’original ne peut plus être déplacé, une image de l’œuvre soit susceptible d’être exposée, notamment lors de prêts spécifiques. C’est le cas en ce moment au musée d’Histoire de Marseille, qui présente une copie du buste de César dans le cadre de l’exposition « Mémoire à la Mer ». En effet, pour des questions de cohérence de l’espace d’expo-sition permanente, le buste original ne pouvait quitter trop longtemps sa place. Ce type de reproduction, en dur ou en affichage virtuel, pourra à nouveau être mis en œuvre dans le cadre de demandes exceptionnelles pour lesquelles la présence d’un motif ou d’un témoignage de l’histoire est nécessaire.Enfin, parmi les idées en latence quant à l’utilisation de la technologie 3D au profit des collections, le projet de scan-ner les maquettes qui jalonnent le parcours muséographique pourrait démarrer fin 2017. À partir de supports numériques, peut-être sera-t-il possible d’amender virtuellement ces outils de présentation et de médiation qui ont évolué au fil du temps

Fig. 3 - L’iconographie de la base de données renouvelée : les lampes à huile.

Fig. 4 - La numérisation en trois dimensions : archiver et documenter © mDaa. Photo Soizic Toussaint.

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et des découvertes archéologiques ? Le principe de la maquette au cœur des collections était une révolution lors de l’ouver-ture du musée en 1995 ; vingt ans après, le rebond permis par le numérique offre la possibilité de renouveler les outils muséographiques sans toucher à l’essence même du musée (fig. 5a et b).

Diffuser auprès des publics

Numériser, oui mais pour qui ? Et pourquoi ? Si l’intérêt scien-tifique du projet peut largement être démontré, il est évident que le destinataire principal du résultat de ces campagnes est le public, au sens large du terme. Tout d’abord le visiteur du musée, qui pourra bénéficier des applications du numérique au cœur des collections lors d’actions de médiation ou d’évé-nements, mais également le jeune public (principalement ado-lescent), plus sensible aux nouvelles technologies, qui verra comme une évidence les outils de son quotidien appliqués à l’environnement culturel, ou encore le public dit « empêché ». Celui-ci est l’un des cœurs de cible du service médiation qui s’est appliqué notamment à déplacer le musée au cœur de la maison cen-trale d’Arles par le biais d’actions fré-quentes. Dans ce cadre, les produits de la campagne de numérisation 2D et 3D sont particulièrement attendus pour offrir une proximité nouvelle avec l’objet archéologique.L’une des exigences du plan national de numérisation était la restitution gratuite au public des images obte-nues via une mise en ligne. Même si le

mdaa n’a pas encore pu effectuer la diffusion par ce biais, il tient à préserver les préceptes et objectifs de ce programme. Par conséquent, c’est par la présentation directe du travail accompli ces dernières années qu’il a rendu ses photographies publiques. La Nuit des musées a donc été l’occasion de pro-jeter, dans le patio de l’exposition permanente, une sélection d’images esthétiques des collections. De l’amphore à la boucle d’oreille, l’objet archéologique était magnifié par le travail du photographe qui, au-delà d’une démarche de documentation pure, restitue des prises de vues vibrantes sortant l’item de sa conception strictement archéologique. Lors des Journées européennes du patrimoine, c’est non plus le résultat mais la démarche de numérisation des collections qui a été mise à l’honneur par la captation en direct de plusieurs sculptures au sein des collections, en interaction avec le public (fig. 6). Outre les apports scientifiques et muséographiques, c’est la donnée purement technique qui a intrigué la plupart des visi-teurs, preuve que la technologie n’est pas toujours un vec-teur mais peut être une science à part entière, conjointe à la discipline archéologique. Ce type de présentation « en direct »

Fig. 5a et b - Masque de théâtre (acrotère) avec une double couverture documentaire et esthétique © mDaa. Photo Rémi Bénali.

Fig. 6 - La valorisation de la numérisation en public : les Journées européennes du

patrimoine 2016 © mDaa. Photo Toussaint.

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est d’autant plus porteur que les collections arlésiennes, empreintes d'une identité parti culière, suscitent un attache-ment fort de la part de la population locale qui apprécie d’y avoir accès facilement et de manière renouvelée. Les Arlésiens ont un sentiment, légitime pour un musée de site, de propriété de leurs collections archéologiques et toute action de restitu-tion est accueillie avec attention.À ce stade, il est important de notifier que le projet scien-tifique et culturel du musée n’intègre pas la présence de multimédias au sein de son exposition permanente, les pré-sentations temporaires permettant seules de faire entrer le numérique dans les collections. Aujourd’hui, la « bulle vidéo » située à proximité du chaland Arles-Rhône 3 et présentant le chantier de relevage et de restauration du bateau est l’unique exception à la politique du « sans-écran ».

Une visite depuis son domicile

Les institutions muséales communiquent de plus en plus via le web. Au cœur des réseaux sociaux, Facebook, Twitter ou Instagram sont devenus des compléments au traditionnel site Internet ; les musées accueillent même le nouveau métier de community manager. Les programmes d’activités sont envoyés par mél, les événements sont couverts et retransmis sur les réseaux et, grâce au web participatif, le public peut commu-niquer directement avec les établissements culturels, voire avec des spécialistes de telle ou telle discipline. Un des nou-veaux objectifs est, lorsque la technique le permet ou peut être acquise, de diffuser les collections en ligne, principalement via le portail Joconde ou sur une base en ligne indépendante. Il s’agit là d’une restitution essentielle du travail de numé-risation autant que d’une mise à disposition des collections, conformément à l’article 2 de la loi n°2002-5 relative aux musées de France. Pourtant, cet accès aux œuvres de manière numérique peut inciter à croire que la perception à l’objet est faussée lors de son passage au virtuel. Effectivement, il s’agit d’une perte du rapport immédiat à l’œuvre, son aspect, sa bril-lance, sa matérialité… Mais la mutation numérique de l’objet offre cependant de nouvelles sensations, intimement liées à notre rapport actuel à la technologie : émerveillement et stu-péfaction devant le progrès constaté, fierté de la compétence techno logique. S’ajoute à cela la possibilité de manipuler un objet avec la souris, de tenir tête à la logique de sens et aux lois de la gravité, et en même temps de pouvoir procéder à la manutention tel un conservateur : toucher, déplacer, tourner, zoomer… Sans amputer sa qualité d’œuvre ou de témoignage ni le désacraliser, le rapport intime à l’objet archéologique peut être accentué du fait de la proximité inédite de chaque individu avec la restitution numérique, le sarcophage ou la statue lui obéissant et se plaçant dans les meilleures disposi-tions pour être observé. C’est une nouvelle démarche muséale qui est alors en action, surfant sur la vague du tout numé-rique et sur le credo de l’exportation de la culture à domicile. Fort de ce constat, le mdaa a fait numériser 60 œuvres de ses collections, présentées ou conservées en réserve, selon diffé-rents critères de choix, afin de les mettre à disposition virtuel-lement via des supports numériques. Aujourd’hui, les fichiers numériques sont disponibles mais leur diffusion reste encore délicate, en raison notamment de la complexité de gestion du

droit à l’image et de l’absence, pour quelques mois encore, d’un outil de gestion des clichés indépendant de la base de données des collections. Un site en ligne des collections est en cours de construction ; à partir de la fin de l’année 2017, il pourra, par export direct depuis la base de données, apporter des informations et des interprétations sur la quasi-totalité des œuvres du musée, avec une couverture photographique actua-lisée et esthétique, une sélection de fiches étant accompagnée d’un fichier 3D consultable et manipulable. Le projet d’une galerie virtuelle (sur un compte sketchfab) est à l’étude pour offrir une démarche inverse : dans cette perspective, le fichier 3D n’est plus un complément ou une plus-value sur un espace documentaire mais une œuvre à part entière, une prouesse technologique et esthétique simulant un musée virtuel.

S’ouvrir sur le territoire

La numérisation des œuvres a permis d’accentuer voire d’ac-célérer un travail mené depuis quelque temps : le développe-ment de la boutique du musée. En effet, les équipes étaient conscientes de l’importance de ce type de service, qui clôt la visite et permet d’emporter un souvenir se voulant repré-sentatif de l’expérience vécue au cœur des collections. Dans un premier temps, le parc renouvelé des images des œuvres a déclenché une mise à jour des cartes postales et l’accrois-sement des références. En parallèle, des objets classiques mais exigeant une grande qualité de reproduction sont venus compléter l’offre : tasses, aimants ou encore tapis de souris diffusent désormais les pièces maîtresses du musée, en France et à l’étranger.La numérisation en trois dimensions, quant à elle, ouvre de nouvelles portes. Bien que des moulages aient pu être réalisés sur certains bronzes antiques reproduits à l’échelle 1 par un artisan bronzier, l’existence du fichier 3D offre la possibilité de multiplier les copies de toutes tailles dans des matériaux plus abordables, accessibles notamment au public enfant. Dans un cadre prospectif, des partenariats sont à l’étude pour une mise en valeur de la culture arlésienne via des entrepreneurs locaux, notamment avec la Ferme 3D, un parc d’imprimantes 3D du territoire arlésien, afin de décliner les œuvres phares du musée dans différents formats et couleurs avec des médiums innovants ; un test porte notamment sur la production de minibustes de César en chocolat. Anciennement, des nappes produites par la firme Souleiado avaient diffusé les mosaïques arlésiennes dans de nombreux domiciles. Aujourd’hui, des artisans de toute la région sont sollicités pour transformer l’offre de produits dérivés, à l’aide des fichiers numériques photo et 3D. Les résultats de la politique de numérisation des collections peuvent donc permettre de s’inscrire plus forte-ment dans une dynamique de territoire, en mettant en valeur les acteurs locaux œuvrant directement ou indirectement pour la valorisation du patrimoine ; l’identité du musée rayonne grâce à l’afflux d’images de qualité, qu’il s’agisse de motifs le qualifiant comme la mosaïque, ou des portraits reconnus comme Auguste ou César (fig. 7). Mais au-delà d’Arles et de la Provence, la diffusion massive d’images des collections du musée départemental Arles antique offre à l’établissement une visibilité nationale, voire internationale. Cela conforte une volonté de positionnement dans le monde muséal proche de

Page 7: La numérisation au musée départemental Arles antique...Créé en 1995 par la ville d’Arles, le musée de l’Arles antique, devenu départemental en 2003, est une structure récente,

Dossier Musées d ’archéologie au début du x x i e s ièc le

38 Les Nouvelles de l’archéologie no 147 – Mars 2017

celui des grandes institutions archéo logiques, grâce notam-ment à une politique « présentielle » des œuvres de référence sur des supports variés, accessibles et toujours appuyés par un propos scientifique fort.Qu’il s’agisse de ses usages quotidiens ou de ses actions envers le public, le musée départemental Arles antique s’ouvre réso-lument vers le numérique. Déjà, dès le début des années 1990, l’acquisition d’un logiciel de gestion des collections démon-trait l’intérêt pour les nouvelles technologies et la conviction qu’il allait falloir les apprivoiser. Depuis, en participant à des projets comme Muséomix ou en invitant régulièrement des artistes comme Dominik Barbier, le mdaa a clairement fait le choix de plonger dans la culture numérique et veut désor-mais être un laboratoire d’innovations. Cependant, s’il a été pionnier par bien des aspects, le numérique n’est pas tota-lement maîtrisé en son sein : les outils sont acquis et per-formants mais les utilisations pas toujours définies, voire tâtonnantes. L’amplification du programme de numérisation des collections, associée au développement des usages de la techno logie dans la conservation et la médiation, met enfin le curseur sur la nécessité de définir le numérique au cœur du musée. En effet, les projets scientifiques et culturels, s’ils ne sont pas totalement repensés pour s’adapter aux évolutions technologiques, doivent être complétés et intégrer pleinement les nouveaux procédés techniques, que ce soit dans les habi-tudes professionnelles, dans les protocoles ou dans les modes

de présentation des œuvres car, de la gestion informatisée à la diffusion virtuelle en passant par la dématérialisation des données administratives, le numérique a globalement investi le musée. Il apparaît donc essentiel de définir ou de charter et, pourquoi pas, d’aller jusqu’à l’élaboration d’une stratégie digitale, les usages du numérique au sein du musée départe-mental Arles antique, pour assurer correctement les missions essentielles de l’institution et maîtriser enfin les tenants et les aboutissants de cette technologie appliquée aux métiers des musées d’archéologie.

Bibliographie

FRomageot-laniepce, Virginie. 2009. « L’utilisation et la gestion des images numérisées en archéologie », Les nouvelles de l’archéologie, 2009, 116, p. 45-51. https://nda.revues.org/726

Webographie

http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/partenaires/AIDEMUSEES/numerisation.htm

http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/epp/epp_numeri-sation-des-ressources-culturelles_rapport-final.pdf

http://musee-archeologienationale.fr/ressources/france-collections-3d

http://www.arles-antique.cg13.fr/

http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/tourisme-loisirs/ 20140818trib000844827/le-numerique-reinvente-la-consomma-tion-culturelle.html

Fig. 7 - La numérisation du portrait présumé de Jules César © mDaa. Photo Rémi Bénali.