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Nicaises MUZINGA LOLA
L A P A L A B R E C H E Z L E S K O N G O : L A R S O L U T I O N T R A D I T I O N N E L L E D E S C O N F L I T S
Thse prsente la facult des tudes suprieures de l'Universit Laval
comme exigence partielle du programme de doctorat en Thologie offert l'Universit de Sherbrooke
en vertu d'un protocole d'entente avec l'Universit Laval pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)
F A C U L T D E T H O L O G I E U N I V E R S I T L A V A L
Q U B E C
et
F A C U L T D E T H O L O G I E , D ' T H I Q U E E T D E P H I L O S O P H I E U N I V E R S I T D E S H E R B R O O K E
S H E R B R O O K E
2 0 0 8
Nicaises Muzinga Lola, 2008
T A B L E DES M A T I R E S
AVANT-PROPOS ii LISTE DES CARTES ET T A B L E A U iv LISTE DES ABRVIATIONS v RSUM vii
INTRODUCTION 1
L 'APPROCHE MDODOLOGIQUE 9
PROBLMATIQUE 16
P R E M I R E P A R T I E
LA PALABRE DANS LA CULTURE TRADITIONNELLE KONGO ET AUJOURD'HUI 2 2 C H A P I T R E 1 : B R E F H I S T O R I Q U E DES ANCIENS R O Y A U M E S DU C O N G O 25
1.1 Avant la confrence de Berlin de 1885 26 1.1.1 L'poque des grands Empires 26 1.1.2 La politique coloniale en Afrique 31 1.1.3 Les caractristiques communes aux anciens royaumes 33 1.1.4 Les grands royaumes du Congo 34
1.2 Pendant la priode de l 'tat Indpendant du C o n g o (1885-1908) 36 1.2.1 Le rgne du roi Lopold II 36 1.2.2 La dcadence des royaumes du Congo 40
1.3 Pendant la priode coloniale (1908-1960) 41 1.3.1 Sur le plan socio-conomique 41 1.3.2 Sur la plan politique et militaire 45
1.4 Aprs l ' indpendance du Congo 1960-2006 46 1.4.1 Les institutions traditionnelles 46 1.4.2 Les questions ethniques 51
Chapitre 2 : L ' O R G A N I S A T I O N DE L A S O C I T K O N G O 54
2.1 Prsentation de l 'ancien royaume du Kongo 55 2.1.1 Situation gographique 55 2.1.2 La spcificit de la socit kongo 57 2.1.3 La division de classe sociale dans le royaume Kongo 59
2.2 Les notions de pouvoir et de sacr dans la socit K o n g o 60 2.2.1 Les arguments avancs par les auteurs 60 2.2.2 Le concept de pouvoir chez Ne-Vunda et Ntinu-wene 67
2.3 La notion d'autorit dans la socit actuelle kongo 70 2.3.1 L'importance du droit d'anesse et des liens de parent 71 2.3.2 Les institutions familiales 72
2.4 Les structures traditionnelles et tradition orale chez les Bakongo 75 2.4.1 Les structures traditionnelles 75 2.4.2 La tradition orale chez les Bakongo 76 2.4.3 Les contacts avec les Europens 88
C H A P I T R E 3 : L A P A L A B R E D A N S L A S O C I T K O N G O 81
3.1 La thorie de la palabre 83 3.2 La palabre au sein de la socit kongo 86 3.2.1 La vie socio-culturelle des Bakongo 86 3.2.2 Le culte des anctres dans la socit kongo 99 3.2.3 La dimension spirituelle de la palabre 92 3.2.4 La puissance de la parole 93
3.3 La pratique de la palabre 99 3.3.1 Les rles des sages et des anciens 100 3.3.2 Le droulement de la crmonie de la palabre 102 3.3.3 L'ouverture de l'assemble 103
3.4 Les points des vue de quelques auteurs sur la palabre 106 3.4.1 Les arguments en faveur de la palabre 106 3.4.2 Les arguments en dfaveur de la palabre 115
D E U X I M E P A R T I E
L E S AFFINITS L E C T I V E S E N T R E L A P A L B R E E T L A D M O C R A T I E D L I B R A T I V E 121
C H A P I T R E 4 : L A T H O R I E D E L A DISCUSSION 124
4.1 Aperu sur la thorie de la dmocratie 126 4.1.1 Qu'est-ce que la dmocratie 126 4.1.2 L'historique de la reprsentativit 127
4.2 Les limites des principes dmocratiques 131 4.2.1 Les critiques formules la dmocratie 131 4.2.2 La disciplines de partis politiques et le rle de mdias 133
4.3 La thorie de la dmocratie dlibrative 136 4.3.1 nonc de la thorie 137 4.3.2 La discussion ou la rhtorique 140 4.3.3 Les critiques souleves contre la thorie de la dmocratie dlibrative 142
4.4 Les liens entre la palabre et la dmocratie dlibrative 146 4.4.1 Les points de ressemblance 146 4.4.2 Les points de dissemblance 148 4.4.3 La comparaison du sondage dlibratif et la palabre 152
T R O I S I M E P A R T I E
P O U R S O R T I R DES C O N F L I T S Q U I D C H I R E L A R D C : L A R E V I T A L I S A T I O N D ' U N E V E R S I O N M O D E R N E D E L A P A L A B R E 162
C H A P I T R E 5 : LES O R I G I N E S C O L O N I A L E S DES C O N F L I T S EN R P U B L I Q U E D M O C R A T I Q U E DU C O N G O 167
5.1 L' influence du colonialisme dans la socit kongo 168 5.1.1 Sur le plan idologique 169 5.1.2 Sur le plan social 173 5.1.3 Sur le plan conomique 178 5.1.4 Sur le plan culturel 180
5.2 Le rle de la religion Christo-messianique 184 5.2.1 L'influence du catholicisme 184
5.2.2 Le rle de Dona Batrice 190
5.2.3 Le rle de chefs coutumiers 197
C H A P I T R E 6 : LES CAUSES DES G U E R R E S R C E N T E S EN R D C 199
6.1 Les raison ethniques 200
6.2 Les raisons politiques 202 6.2.1 La politique conflictuelle de Mobutu 202 6.2.2 La guerre civile rwandaise 205 6.2.3 La loi congolaise sur la nationalit de 1981 206 6.2.4 Les conclusions du rapport Vangu Mambweni 209 6.3 Les raisons conomiques 211 6.3.1 La dpossession des terres autochtones au Kivu 211 6.3.2 Le rle des multinationales dans le conflits en R D C . . . 214
6.4. Les raisons idologiques 219
C H A P I T R E 7 : Q U E L Q U E S PISTES DE S O L U T I O N S A U X C O N F L I T S C O N G O L A I S 222
7.1 L'instauration de la dmocratie dans la rgion des grands Lacs africains 224 7.1.1 La mise en uvre des institutions dmocratiques 224 7.1.2 la refondation de la dmocratie 226 7.1.3 L'instauration d'un contrat politique 229
7.2 La fonctionnalit de la dmocratie 231 7.2.1 L'influence ethnique sur la dmocratie 231 7.2.2 La cration d'un nouvel tat post-national 233 7.2.3 La redfinition de la notion de citoyennet 235 7.2.4 L'humanisme patriotique et les nouvelles citoyennets 238 7.2.5 La cration d'un pacte dmocratique de citoyennet 239
7.3 Les conditions l'instauration de la dmocratie en R D C 241 7.3.1 La mise en place des assembles traditionnelles 241 7.3.2 La rforme du parlement 244 7.3.3 L'implication des chefs traditionnels 248
7.4 L'ducation la palabre 250 7.4.1 La rglementation de la palabre 250 7.4.2 La notion du temps lors du dbat 251 7.4.3 L'initiation la palabre : vulgarisation 252
7.5 L 'ducation la citoyennet 255
7.6 Quelques obstacles la mise en uvre de ces propositions de solution 260 7.6.1 Les conflits ethniques Tutsi-Hutu 260 7.6.2 Le manque de volont des acteurs politiques 262 7.6.3 L'ingrence des pays trangers 267
C O N C L U S I O N 270
B I B L I O G R A P H I E 276
A N N E X E S 284
AVANT-PROPOS
La rdaction d'une thse de doctorat est un exercice exigeant et contraignant. Le
support et l'appui de plusieurs personnes sont indispensables pour accomplir une telle
aventure.
Je tiens particulirement remercier monsieur Fernand Ouellet, mon directeur de thse,
pour ses prcieux conseils, sa disponibilit et sa rigueur d'analyse scientifique qui ont
rendu possible l'aboutissement de ce travail. J'exprime galement une reconnaissance
aux professeurs Pierre Nol et Arellano Lopez pour l'excellence de leurs enseignements
et pour le partage de leurs connaissances. Mes remerciements s'adressent aussi
monsieur Marc Dumas, prsident du jury et aux professeurs Marie-nathalie Leblanc,
Bob White, Raymond Lemieux et Jean Desclos qui ont bien accept d'valuer cette
thse de doctorat. Au personnel de service de formation interculturelle pour les services
rendus durant ma formation.
Je remercie mes parents, Angel Mulema et Remy Lola, mes frres et ma sur Kiota
Marie-Adrienne, victime de conflits qui dchirent la RDC. mes enfants Odette Lola,
Remy Lola, Karine Bamfumu et Nickson Lola, n dans les circonstances particulires et
en pleine rdaction de cette thse, pour les sacrifices consentis durant plusieurs annes.
madame Lydia Kitomba et tous ceux qui ont aid l'aboutissement de cette
recherche, qu'ils trouvent ici l'expression de notre amiti.
Enfin, je ne pourrai terminer mes propos sans remercier mon pouse et amie Lina
Bamfumu pour son affection, son soutien, ses prcieux conseils et pour le partage des
ides qui ont contribu l'accomplissement de cette thse. Que Lina trouve travers ces
mots ma profonde reconnaissance et mon attachement notre amour et nos idaux. La
thse tant termine, bonne lecture Lina !
LISTE DES CARTES ET TABLEAU LISTE DES CARTES ET TABLEAU
Tableau
Tableau I. Description physique de la Rpublique Dmocratique du Congo 285
Cartes
Carte 1 Les provinces de la Rpublique Dmocratique du Congo 286
Carte 2 Les rgions culturelles du Congo 287
Carte 3 La rgion Kongo 288
Carte 4 L'ancien royaume du Congo 289
Carte 5 volution des frontires du Congo 290
Carte 6 Densit de population 291
Carte 7 Le Congo en 1964 292
LISTE DES ABRVIATIONS
ACP Agence Congo presse
ADP Alliance dmocratique des peuples
AFDL Alliance des forces dmocratiques de libration du Congo
AIC Association international pour le Congo
AMFI American minerais fields' incorporeted
ASADHO Association africaine de dfense des droits de l'homme
CNKI Comit national du Kivu
CNRD Conseil national de rsidence pour la dmocratie
CNS Confrence nationale souveraine
EIC tat indpendant du Congo
FAR Forces armes rwandaise
FPR Front patriotique rwandais
GECAMIN Gnrale des carrires et des mines
HCR Haut commissariat pour les rfugis
HCR-PT Haut conseil de la rpublique-Parlement de transition
INEAC Institut national pour l'tude agronomique du Congo
IRC Comit de secours international
MAGRIVI Mutuelle agricole de Virunga
MLC Mouvement pour la libration du Congo
MRPZ Mouvement rvolutionnaire pour la libration du Zare
OGT Observatoire gouvernance transparence
ONG Organisme non gouvernemental
ONU Organisation des nation-unies
ONUC Organisation des nations-unies au Congo
PUF Presses universitaires de France
PUZ Presses universitaires du Zare
PV Procs verbal
RCD Rassemblement congolais pour la dmocratie
RDC Rpublique Dmocratique du Congo
SM Sa majest
V i l
RSUM
Depuis la confrence de Berlin de 1885 qui a consacr le partage de l'Afrique jusqu'
ce jour, la Rpublique Dmocratique du Congo (RDC) n'a jamais retrouv sa libert. De
l'tat Indpendant du Congo, proprit prive du roi des Belges Lopold II,
l'indpendance, en passant par la colonisation belge, la RDC a toujours t confronte
diffrents conflits. Pour apporter certaines solutions ces problmes, l'auteur analyse
les principales causes des conflits et des guerres qui dchirent la Rpublique
Dmocratique du Congo et propose le recours la palabre comme moyen de rsolution
de ces conflits. La thse montre l'avantage moderniser la palabre et l'intgrer dans
les institutions de la RDC pour en faire un mode de gestion politique. Aussi, elle fait
ressortir des affinits lectives entre la palabre et la dmocratie dlibrative pour tablir
un paralllisme entre ces deux thories. Nous nous inspirons du modle des Kongo,
habitant la rgion du Bas-Congo.
Lors de la confrence de Berlin, le pays a t divis artificiellement par les puissances
coloniales (La France, la Grande Bretagne, le Portugal, l'Allemagne, la Belgique, etc.).
Suite ce partage, le roi Lopold II hrita le Congo un territoire 80 fois plus grand que
la Belgique comme proprit prive. Durant cette priode, la gestion du pays a t
catastrophique. Les actes de violences, la barbarie, les exactions, les viols et les
excutions ont t commis l'endroit des populations congolaises. Suite cette
mauvaise gestion, le Congo a t cd la Belgique en 1908 pour devenir une colonie
belge.
V l l l
Durant cette priode, la politique lopoldienne continuait s'appliquer au Congo
jusqu'au 30 juin 1960, date de l'indpendance du Congo. La colonisation belge a t
suivie par 32 annes de dictatures atroces de Mobutu qui a appauvrie les populations.
Cette priode a t caractrise par les conflits et des guerres surtout l'Est du pays
notamment au Kivu. Le rgne de Mobutu a pris fin en 1996 avec la guerre dite de
libration de Laurent Dsir Kabila et les forces de l'AFDL (Alliances des forces
dmocratiques pour la libration du Congo). L'assassinat de Laurent Dsir Kabila en
2001 a conduit la succession de son fils Joseph Kabila au pouvoir. Tous ces conflits
rendent difficile la paix et le dveloppement du pays.
Dans ce travail, nous cherchons comprendre l'origine de ces conflits. Quelles
pourraient tre les pistes de solution ces conflits. De quelle manire le recours la
pratique de l'Arbre palabre pourrait-elle s'inscrire dans la rsolution des certains
conflits qui dchirent la RDC depuis des dcennies? Quelles contributions pourraient
apporter les chefs traditionnels ? Pour mieux comprendre les enjeux des conflits, nous
avons procd l'analyse documentaire d'archives historiques et d'autres articles
pertinents qui traitent de conflits au Congo et dans la rgion des Grands Lacs africains.
Notre recherche vise analyser les enjeux des conflits et des guerres qui dchirent la
RDC et propose la palabre comme une piste de solution.
Pour apporter des lments de rponse ces questions, nous avons analys la question
de la palabre dans ses dimensions : politique, juridique, coutumire et religieuse. Nous
avons dcris le fonctionnement et l'importance de la palabre dans la culture
traditionnelle africaines. Nous avons tabli un paralllisme entre la palabre et certains
des principes de la dmocratie dlibrative ainsi que sur les possibilits de lui donner
une forme moderne en la combinant avec la dmocratie dlibrative. Ainsi, nous avons
recens certaines affinits lectives existantes entre les deux thories. Nous avons aussi
analys les conditions mettre en place pour une revitalisation de la palabre dans les
socits africaines et sur la contribution qu'elle pourrait apporter la rsolution de
certains conflits en Rpublique dmocratique du Congo.
Nous avons relev plusieurs facteurs qui poussent les Congolais recourir la palabre
pour rsoudre certains conflits auxquels ils sont confronts. Nous avons constat que le
manque de confiance envers les institutions, l'absence du dbat, l'intolrance, la haine
des uns contre les autres et la xnophobie, ont cr une difficult de cohabitation entre
les autochtones et immigrants rwandais au Kivu. L'absence de culture dmocratique
ainsi que le manque de mesure d'encadrement et d'ducation la citoyennet poussent
certaines populations comme les Kongo revenir leurs coutumes et traditions.
Nous avons galement analys l'implication des certaines entreprises trangres et des
pays trangers (Rwanda, Ouganda, Burundi) dans les conflits au Kivu. Le soutien
financier et militaire accord par ces entreprises et par ces tats aux mouvements
rebelles, compliquent le retour la paix dans cette rgion. L'exploitation illgale des
ressources naturelles du Congo par les entreprises trangres et par le Rwanda, le
Burundi et l'Ouganda, dmontre les enjeux conomiques de la guerre qui ravage l'Est
de la RDC.
Par ailleurs, nous observons aussi que les critres d'obtention de la nationalit
congolaise fixs par la loi, ne refltent pas la ralit des socits modernes
multiculturelles et pluralistes. notre avis, la conception de la nation sociopolitique
propose par Michel Seymour conviendrait le mieux dans le contexte congolais,
puisqu'elle permet l'intgration des diffrents groupes. Sur ce point, nous avons
constat une petite ouverture avec la nouvelle loi constitutionnelle devant rgir la
troisime rpublique en vue de dmocratiser l'espace politique congolais.
I N T R O D U C T I O N
De la confrence de Berlin nos jours
Depuis la confrence de Berlin de 1885 qui a consacr le partage de l'Afrique jusqu' ce jour, la
Rpublique Dmocratique du Congo (RDC) n'a jamais retrouv sa libert. De l'tat indpendant
du Congo, proprit prive du Roi Lopold II, l'indpendance, en passant par la colonisation
belge, la R D C a toujours t confronte diffrents conflits. Au lendemain de la confrence de
Berlin, le pays a t cr artificiellement par les colonisateurs belges. Le rejet des coutumes et
traditions congolaises au profit de la culture occidentale (religion Christo-messianique) a
occasionn la perte de l'identit congolaise. cela s'ajoutent la mauvaise gestion, le
financement des guerres prives et l'exploitation abusive des ressources naturelles par
certaines entreprises multinationales qui ont conduit la R D C sa quasi destruction.
La rbellion des Banyamulenge 1 de 1996 qui a conduit Laurent Dsir Kabila au pouvoir en
1997, et la guerre d'agression de 1998 mene par la coalition Rwando-burundo-ougandaise
contre la Rpublique dmocratique du Congo ont compliqu davantage la situation dj
catastrophique dans la rgion des Grands Lacs africains. A u dbut de la guerre, l'intervention de
l'arme rwandaise tait justifie comme un appui leurs frres Tutsi rwandais, immigrs et
clandestins dnomms Banyamulenge qui revendiquaient la nationalit congolaise. La
revendication de la nationalit congolaise par ce groupe de Tutsi rwandais s'est transforme en
une guerre impliquant, d'une part, les forces gouvernementales congolaises appuyes par le
Zimbabwe, la Namibie et l 'Angola et, d'autre part, les rebelles congolais seconds par le
Rwanda, le Burundi et l'Ouganda.
1 Appellation pour dsigner les rfugis Tutsi rwandais installs au Congo vers les annes 1959 autour de la colline de Mulenge, situe dans la collectivit de Bafuliiro au Kivu.
Plus tard, pour des raisons conomiques et de scurit, le conflit Congolais-Banyamulenge s'est
transform en une occupation totale et permanente du Kivu. L'occupation du territoire congolais
par les armes rwandaise, burundaise et ougandaise a intensifi et gnralis le conflit dans toute
la rgion des Grands Lacs africains. Pour le gouvernement rwandais, l'intervention militaire au
Congo tait justifiable, dans la mesure o sa scurit intrieure tait mise en cause par les actions
des milices hutu Interahamw qui opraient partir du Kivu pour dstabiliser le gouvernement
rwandais de Paul Kagame.
En effet, aprs le gnocide rwandais de 1994, plus d'un million de Hutu, auteurs de ce massacre,
ont fui le Rwanda pour se rfugier au Congo. Installs dans des camps de rfugis au Kivu, les
Hutu, aids par les soldats ex-FAR (Forces armes rwandaises), s'organisrent en milice appele
Interahamw pour attaquer le nouveau pouvoir Tutsi au Rwanda. Ils commencrent oprer
partir de camps de rfugis pour dstabiliser le nouveau pouvoir de Paul Kagame Kigali. Pour
se prmunir des attaques rptes des Hutu partir des camps de rfugis, le gouvernement
rwandais, en complicit avec le Burundi et l'Ouganda, dcida d'intervenir militairement pour
faire la guerre au Congo aux cts de leurs frres Banyamulenge qui combattaient dj en
Rpublique Dmocratique du Congo. Durant cette guerre, les pays agresseurs (Rwanda, Burundi,
Ouganda) se livrrent au pillage systmatique du territoire occup qui regorge d'normes
ressources minires, semant ainsi la terreur et la dsolation au sein des populations congolaises.
Selon le rapport d'enqute publi par l'International Rescue Committee, plus de 3.5 millions des
civils congolais ont trouv la mort dans cette guerre .
2 Voir le rapport de l'International Rescue Committee, 2001 3
Devant l'ampleur des massacres et la souffrance des populations civiles frappes par la guerre,
les Nations-Unies et la communaut internationale ont demand aux belligrants d'arrter la
guerre et de s'asseoir la table de ngociation. Le Conseil de scurit de l 'ONU a adopt un
certain nombre de rsolutions pour stopper la violence envers les populations civiles congolaises
et mettre fin la guerre. Un projet d'accord de paix a t soumis aux belligrants et a abouti la
signature des accords de paix de Lusaka. Les accords de Lusaka signs dans la capitale
zambienne en juillet-aot 1999, prvoyaient le dploiement d'une force de l 'ONU, le retrait des
armes trangres de la R D C ainsi qu'un cessez-le-feu devant aboutir un dialogue inter-
congolais. Le dialogue inter-congolais a eu lieu en 2002 en Afrique du Sud et a abouti la
signature des accords de Sun-City qui prvoyaient la formation d'un gouvernement d'union
nationale, intgrateur de toutes les forces vives de la nation : gouvernement congolais,
mouvements rebelles, opposition politique non arme et membres de la socit civile congolaise.
L'installation Kinshasa du nouveau gouvernement issu de ces composantes politiques devait
mettre fin aux conflits et permettre la tenue des lections libres et transparentes en 2005. Malgr
la participation des groupes rebelles au gouvernement de transition, les tentions ethniques, la
guerre et la violence continuent l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo. Ce bref rappel
historique de la situation chaotique dans la R D C permet de circonscrire la situation qui prvaut
afin de mieux comprendre ce qui s'est pass dans ce pays depuis la confrence de Berlin en 1885
jusqu' ce jour. Depuis des annes, la situation socio-politique, conomique et culturelle du
Congo a toujours t prcaire voire mme catastrophique. La gestion du pays suivant le modle
occidental impos par les colonisateurs est dficiente et engendre souvent des conflits.
Face cette situation, il y a lieu de se questionner sur d'autres alternatives tout particulirement
la pratique traditionnelle de la palabre3. Il nous apparat plausible que / 'Arbre palabre4 soit une
des pistes explorer en complment aux institutions actuelles dites modernes.
La dlibration par palabre
Bien que notre tude porte sur la palabre en tant qu'institution traditionnelle, il conviendrait
d'voquer sa dimension communicationnelle sans entrer dans une discussion linguistique. En
effet, la palabre est une tradition compltement orale dans laquelle la parole, l'argumentation et
la rhtorique occupent la place prdominante. Les discussions se tiennent dans une langue
rgionale qui n'est ncessairement pas comprise par toutes les parties un conflit. Le langage de
la palabre est souvent cod et n'est pas compris de tous. Seuls les initis sont en mesure de
dcoder les messages vhiculs. Comme le souligne R. Jakobson, pour qu'il y ait un change
optimal d'information, les interlocuteurs doivent parler peu prs le mme langage. C'est ainsi
que l'auteur conclut : pour tre efficient l'acte de la parole exige l'usage d'un code commun
par ceux qui y participent 5 . Ainsi, si nous voulons faire valoir la palabre comme mode de
gestion des questions socio-politiques, il faudrait trouver un code commun de communication.
3 Palabre vient du mot espagnol palabra qui signifie parole. C'est un forum qui permet aux Africains de dbattre les questions importantes de la socit. Actuellement, il dsigne aussi l'endroit o se tient le Conseil traditionnel africain. 4 C'est un endroit o se tient le conseil traditionnel africain. C'est aussi une espce de parlement o les gens viennent dbattre leur problme. Chaque village son Arbre palabre choisi par les anciens et selon les critres bien dfinis, connus par les anciens. 5 Jakobson Roman, Essais de linguistique gnrale, Les ditions de minuit, Paris, 1963, p.46
Pour comprendre comment la palabre pourrait contribuer la rsolution des conflits, nous
analyserons le cas de la socit traditionnelle kongo6 o cette pratique existe depuis toujours.
L'tude de la palabre chez les Kongo permettra de jeter un regard nouveau sur le fonctionnement
de ce forum traditionnel o la sagesse, la parole, le dbat et la discussion prennent le dessus sur
la violence dans le rglement des conflits. Le dveloppement de ce travail portera sur les
questions suivantes : Quelles sont les origines de ces conflits ? Quelles pourraient tre les pistes
de solution ces conflits ? De quelle manire le recours la pratique de l'Arbre palabre
pourrait-elle s'inscrire dans la rsolution de certains conflits qui dchirent la RDC depuis des
dcennies ? Quelles contributions pourraient apporter les chefs traditionnels ? Voil les
principales questions qui guideront cette tude.
Dans la perspective d'apporter des lments de rponse ces questions, nous analyserons la
palabre dans ses dimensions : politique, juridique, coutumire et religieuse. Nous dcrirons le
fonctionnement et l'importance de la palabre dans la culture traditionnelle africaine. Nous en
dgagerons les affinits lectives avec certains principes de la dmocratie dlibrative ainsi que
les possibilits de modernisation. Nous examinerons aussi des conditions de revalorisation de la
palabre dans les socits africaines et sa contribution la solution des conflits en Rpublique
dmocratique du Congo.
La mfiance envers les institutions, l'absence du dbat, l'intolrance, la haine des uns contre les
autres et la xnophobie ont cr une difficult de cohabitation qui compromet le retour la paix
en RDC. L'absence de culture dmocratique et de mesures d'encadrement et d'ducation civique
6 Le mot kongo a plusieurs significations. Il dsigne la fois les habitants et le territoire. Le terme kongo est employ ici pour dsigner la population.
ont pouss certaines populations comme les Kongo revenir leurs coutumes et traditions.
Dans ce travail de recherche, nous ferons ressortir des liens entre la palabre et la thorie de la
dmocratie dlibrative comme moyen d'assurer la coexistence dans un contexte de manque de
consensus sur les valeurs. Cela permettra de comprendre l'importance de la discussion et du
compromis dans la prise des dcisions. Nous analyserons les crits de quelques auteurs africains
et d'autres chercheurs sur la question de la palabre et des domaines connexes. Nous ferons appel
la sociologie comme domaine de recherche secondaire. Les questions politiques ne seront
abordes que pour mettre en contexte certaines considrations historico-socio-politiques pouvant
clairer notre argumentation. Nous analyserons galement l'impact du colonialisme et des
religions trangres (christo-messianiques) sur les traditions congolaises. Quelques lments de
la thorie du langage et de la communication seront aussi voqus pour lucider les carts dans
l'usage de la parole chez les diffrents groupes ethniques.
La R D C compte plus de 450 ethnies et de plusieurs groupes d'immigrants, ce qui pose un
problme crucial de cohabitation entre les populations autochtones et certains groupes
d'immigrants comme les Banyamulenge. Nous traiterons de la dmocratie en R D C , de la
question identitaire et de l 'exclusion de certains groupes ethniques. Nous appuierons notre
argumentation sur les travaux de recherche de Fernand Ouellet et de Michel Page propos de
l'ducation interculturelle et de la formation interculturelle et sur ceux d'autres chercheurs dans
ce domaine. La pratique de la palabre chez les Kongo et la dmocratie dlibrative telle que vue
par la philosophie politique contemporaine permettra d'tablir un paralllisme entre les deux
notions.
Notre argumentation sera taye par les points de vue des auteurs occidentaux qui ont tudi les
questions de l'identit, du racisme, de la citoyennet, du multiculturalisme et de la pluriethnicit
dans les socits modernes. Nous limiterons notre tude sur une priode allant de 1908, date de
la colonisation belge, ce jour. Ainsi, nous traiterons successivement :
1. du contexte historique des anciens royaumes du Congo
2. de l'organisation de la socit kongo
3. de la palabre dans la socit kongo
4. de la thorie de la discussion
5. des origines coloniales des conflits en R D C
6. des causes des guerres rcentes en R D C
7. de quelques pistes de solution aux conflits en R D C
L 'approche mthodologique
La mthode de recherche documentaire sera utilise dans ce travail de recherche. Nous ferons
une recherche historique, socio-politique et culturelle sur la question de la palabre au sein de la
socit Kongo, en Rpublique Dmocratique du Congo. Notre tude sera centre sur les
monographies, traits et articles des journaux. Nous utiliserons galement quelques archives
historiques et autres publications sur la question de la palabre. Notre tude portera sur la priode
coloniale et celle qui a suivi Vindpendance du Congo. Il n'existe pas de documents qui traitent
directement de notre sujet de recherche. Nous avons recens quelques crits des auteurs africains
et occidentaux qui ont abord la question de la palabre sous diffrents aspects. notre
connaissance, aucune recherche compare sur la palabre et la dmocratie dlibrative n'a t
ralise auparavant hormis l'ouvrage de Mbaya-Ngang Kumwenza 7 qui traite des pouvoirs
traditionnels en RDC.
Cet ouvrage dnote une certaine objectivit et indpendance d'esprit de son auteur. Juriste de
formation et professeur d'universit, Mbaya-Ngang est un auteur qui a beaucoup tudi la
question ethnique au Congo et qui a, son actif, un grand nombre de publications. C'est un
intellectuel modr. Il a t ministre pendant plusieurs annes sous le rgime du prsident
Mobutu. Ses expriences en politique et sa carrire de chercheur l'ont propuls au rang des
intellectuels les plus respects en Rpublique Dmocratique du Congo. Le document Droit
constitutionnel et tradicentrisme des institutions politiques au Zare, 1960-1997, publi sous sa
direction fournit les informations sur le pouvoir traditionnel et ses consquences sur les
institutions de la Rpublique Dmocratique du Congo. Toutefois, cet ouvrage met plus l'accent
7 Mbaya-Ngang, K., Droit constitutionnel et tridicentrisme des institutions politiques du Zare, Kinshasa, Ergo Snm, 1997.
sur les aspects ngatifs de la coutume que sur les aspects positifs. En complment de ce
document, nous utiliserons d'autres ouvrages publis par les diffrents auteurs qui traitent de
notre domaine de recherche :
Batskama ba Mampuya ma Ndwla, Raphal 8 , L'ancien Royaume du Congo et les Ba Kongo.
Ce document donne une description du Royaume Kongo et du peuple Bakongo, mais l'auteur ne
se limite qu' des considrations d'ordre gnral de la socit Kongo mais ne traite pas en
profondeur son sujet. Bondo, Albert 9 , Le Congo au sein de la communaut congolaise. Cet
ouvrage traite de l'organisation politique, conomique et socio-culturelle de la socit Kongo.
Bulayumi, Esprant 1 0, Congo 2000 : Fin du temps ou nouvelle naissance. Dans ce document,
l'auteur retrace l'histoire du Congo depuis l'indpendance ce jour et la faon dont il a t gr
pendant cette priode. Les dictatures militaro-policires qui se sont succdes n'ont pas
dvelopp le Congo et il propose le retour la palabre comme solution au problme congolais.
Toutefois, l'auteur ne dit pas de quelle manire la palabre peut aider la rsolution des conflits
en R D C .
Cuvilier, Joseph et Jadin 1 1 , Louis, L'ancien royaume du Congo. Cet ouvrage fournit des
renseignements sur le royaume Kongo et sur le peuple Bakongo. Ndaywel Nziem Isidore 1 2 ,
Histoire gnrale du Congo, De l'hritage ancien la Rpublique Dmocratique du Congo. Cet
ouvrage traite de l'histoire du Congo, de la colonisation l'indpendance en passant par les
diffrents rgimes qui se sont succd au pouvoir aprs l'indpendance. L'auteur ne donne
Batskama ba Mampuya ma Ndwla Raphal, L'ancien Royaume du Congo et les Ba Kongo, Harmattan, 1 9 9 9 . 9 Bondo, Albert. Le Congo au sein de la communaut congolaise, Thse de doctorat, Universit de Paris, 1 9 7 3 .
Bulayumi, Esprant, Congo z. i/i/i/ .' r In Ctli ietnpS Ou rtOUVCite nuiSSunCe, v i , P5ch, 1 9 9 9 . 1 1 Joseph Cuvilier et Louis Jadin. L'ancien royaume du Congo, archives romaines, Bruxelles, 1954. 1 2 Ndaywel Nziem, Isidore. Histoire gnrale du Congo, De l'hritage ancien la Rpublique Dmocratique du Congo, Afrique-ditions, 1998.
qu'une description sommaire de l'histoire du Congo sans toucher certains aspects socio-
politiques importants.
Lola Nicaises , Les conflits ethniques et les problmes d'identit l'Est de la Rpublique
Dmocratique du Congo : cas des Banyamulenge. Ce document dcrit les conflits ethniques qui
opposent les Banyamulenge 1 4 et les autochtones congolais au Kivu et dgage quelques pistes de
solution ces conflits.
Mwayila Tshiyembe 1 5 , Invention d'un nouvel ordre politique comme condition sine qua non de
la paix civile dans la rgion des Grands Lacs : Enjeu et dfi, dans L'aprs-guerre en Afrique.
Des stratgies pour une paix relle et durable. Dans cet article, l'auteur propose la rhabilitation
de la palabre comme alternative pour tenter de rsoudre les conflits qui prvalent dans la rgion
des Grands Lacs africains. Mais il ne traite que d'une faon superficielle la question de la
palabre.
Vansina Jan 1 6 , Introduction l'ethnographie du Congo, donne la composition des ethnies qu'on
retrouve au Congo et sur le peuple Bakongo.
Appel Karl-Otto 1 7 , Discussion et responsabilit. Cet ouvrage met l'accent sur la discussion lors
des dbats sur les questions importantes qui concernent la socit et la participation des citoyens
dans la prise des dcisions.
13 Lola M. Nicaises, Les conflits ethniques et les problmes d'identit l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo : cas des Banyamulenge, Mmoire de matrise, Universit de Sherbrooke, 2001. 1 4 Immigrs, rfugis et clandestins Tutsi Rwandais habitant autour de la colline de Mulenge au Kivu depuis 1959, l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo, fuyant la misre et les conflits ethniques interminables Tutsi-Hutu au Rwanda. 1 5 Mwayila Tshiyembe, Invention d'un nouvel ordre politique comme condition sine qua non de la paix civile dans la rgion des Grands Lacs : Enjeu et dfi, dans L'aprs-guerre en Afrique. Des stratgies pour une paix relle et durable, congrs ACFAS, Sherbrooke, 2001. 1 6 Vansina Jan, Introduction l'ethnographie du Congo, Bruxelles, 1966. 1 7 Appel Karl-Otto, Discussion et responsabilit, Le Cerf, 1996.
Habermas, Jrgen , De l'thique de la discussion. Dans cet ouvrage, l'auteur dmontre
l'importance de la discussion, de l'argumentation et de la participation des citoyens dans la prise
de dcisions au sein de la socit. Appel et Habermas mettent l'accent sur l'importance de la
communication, de la discussion et du dialogue au sein des socits modernes pour permettre
chaque citoyen d'argumenter ses ides afin d'aboutir un consensus. La prise des dcisions sur
base de consensus justifierait le principe selon lequel tout citoyen devrait prendre part la
discussion visant lgitimer une norme ou une dcision politique qui le concerne. Les ouvrages
de ces auteurs nous serviront de guide pour tenter d'tablir un paralllisme entre la thorie de la
discussion telle que vue de l 'Occident et la thorie de la palabre pratique au sein de la socit
kongo.
Jakobson, Roman, Essais de linguistique gnrale et Six leons sur le son et le sens. Dans ses
ouvrages, l'auteur expose des lments de la linguistique et de la thorie de la communication et
leur importance dans l'usage de la parole. La pratique de la palabre puiserait dans ces documents
des constituants ncessaires l'argumentation et en vue d'une recodiflcation ventuelle des
signes et des symboles du langage.
Wierwioka, Miche l 1 9 , La dmocratie l'preuve. Dans cet ouvrage, l'auteur nous dcrit les
avantages et les inconvnients du nationalisme.
Leydet, Dominique 2 0 , Patriotisme constitutionnel et identit, nous intresse aussi puisque
l'auteur insiste sur l'importance du contrat politique qui doit tre le fondement de tout tat
malgr les diffrences d'appartenance qui puissent exister.
1 8 Habermas Jrgen, De l'thique de la discussion, Paris, Flammarion, 1991. 1 9 Wierwioka Michel, La dmocratie l'preuve, Paris, La Dcouverte, 1991. 2 0 Leydet Dominique, Patriotisme constitutionnel et identit, dans Une nation peut-elle se donner une constitution de son choix? Seymour, (Dir), Montral, Bellarmin, 1995.
21
Le texte de Pourtois, Herv , La dmocratie dlibrative l'preuve du libralisme, nous
semble galement important parce que l'auteur met en exergue la faon dont les dcisions
doivent tre prises pour viter justement les conflits l'intrieur des tats.
Danielle Juteau et de Marie M e Andrew 2 2 Projet national, immigration et intgration dans un
Qubec souverain, mmoire prsent la commission d'tude des questions affrentes
l 'accession du Qubec la souverainet. Ce document nous semble pertinent puisqu'il indique
clairement que la nationalit ne doit pas seulement se limiter aux liens du sang et du sol, mais
peut aller au-del de ces critres pour viter l 'exclusion, la discrimination susceptibles de
conduire la violence et au gnocide.
Seymour, Michel , Plaidoyer pour la nation sociopolitique. Il a pour sa part prsent une thse
sur la nationalit et sur l'identit avec sa conception de la nation sociopolitique qui nous semble
pertinente pour la Rpublique Dmocratique du Congo.
Nous avons utilis aussi l'ouvrage de Andr Duhamel 2 4 intitul La dmocratie dlibrative en
philosophie et en droit: Enjeux et perspectives. Le principe de la dlibration par la discussion
propos par Duhamel nous a permis de faire une lecture sur la thorie de la palabre et la
dmocratie dlibrative vue par les chercheurs occidentaux.
tant originaire du Bandundu, une des rgions du Centre-Ouest de la R D C faisant partie de
l'ancien royaume du Kongo, ayant profondment tudi les conflits ethniques dans l'Est de la
2 1 Pourtois Herv, La dmocratie dlibrative Vpreuve du libralisme, le dfi du pluralisme. Lekton, vol 3 . , 2, 1993.
2 2 Juteau Danielle et Me Andrew Marie, Projet national, immigration et intgration dans un Qubec souverain, Sociologie et Socits, vol. XXIV, numro 2, 1992, 161-180 p. 2 3 Seymour, Michel (Dir). Plaidoyer pour la nation sociopolitique, dans Nationalit, citoyennet et solidarit, \ A4ci i : u 1 n o n i c i K C i v i u u u c i , i j i u c i , izryy, IJ>J-UJ )J. 2 4 Duhamel A., Rhtorique, dlibration et dmocratie dans la dmocratie dlibrative en philosophie et en droit : Enjeux et perspectives, (Dir), A. Duhamel, D. Weinstock et Luc B. Tremblay, Thmis, 2001.
R D C , nous pensons tre en mesure de fournir des analyses pertinentes. Ds notre jeune ge, la
grande place du village (Arbre palabre) a toujours eu un sens profond nos yeux. C'tait le
foyer des rencontres et des discussions diverses.
Mme si le langage des Vieux tait en grande partie des codes incomprhensibles, nous nous
intressions la manire dont ces sages manipulaient la parole, leur loquence. Plus tard, nous
avions eu le privilge d'assister rgulirement ce forum de discussions et nous avons appris
apprcier la valeur, le caractre social et quitable de la palabre. Ainsi, le recours la palabre,
comme lment facilitateur des changes et moyen d'entente entre les humains, a toujours t
prsent dans notre esprit. Cet attachement nous incite aujourd'hui tudier l'institution
traditionnelle de la palabre en vue de l'intgrer ventuellement dans le processus dcisionnel
moderne.
Dans ce champ de recherche, il n'existe pas d'tudes sur la question de la palabre sous l'angle
dfini. La plupart des sujets de recherche dans ce domaine ne se limitent qu' l'aspect juridique
et politique du sujet. Dans notre recherche, nous avons abord non seulement le contexte
historique de la question, mais aussi la dimension sociologique, politique, culturelle et religieuse
en tenant compte de l'volution des socits modernes. Le rsultat de notre tude pourrait tre
utile l'ensemble de la Rpublique Dmocratique du Congo dans la rsolution de certains
conflits internes.
Limites de recherche
Dans le cadre de notre recherche, nous avions l'intention de nous rendre en R D C pour rencontrer
quelques chefs traditionnels afin de recueillir des informations pouvant enrichir notre recherche.
Cependant, la guerre qui prvaut en R D C , l'inscurit et la prcarit des moyens de
communication ne nous ont pas permis d'y aller. Nous nous sommes limit la recherche
documentaire.
En outre, la situation gnrale actuelle du pays ne permet pas de faire une recherche objective sur
terrain, sans tre inquit ou influenc. La xnophobie et la mfiance des Rwandais envers les
Congolais risquent de biaiser le rsultat de notre enqute et de mettre notre vie en danger. En
effet, il n'est pas scuritaire de se dplacer librement en R D C en vue de raliser des entrevues sur
un sujet qui touche de si prs les intrts des occupants rwandais, savoir la question identitaire
et territoriale . Les conflits ethniques tant frquents dans la rgion des Grands Lacs africains,
nous laissons la place d'autres chercheurs de continuer explorer d'autres facettes du sujet que
nous n'avons pas abordes.
2 5 L'origine du prsident actuel de la RDC est douteuse et conteste par certains Congolais. Il est vrai qu'il n'avait jamais sjourn en RDC avant l'avnement de son pre Laurent Dsir Kabila, son prdcesseur. Son gouvernement est constitu de plusieurs ressortissants rwandais dits Banyamulenge.
2 6 Lola M. Nicaises, Les conflits ethniques et les problmes d'identit l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo : cas des Banyamulenge, Mmoire de matrise, Universit de Sherbrooke, 2001, p. 33-35. 2 7 Les puissances coloniales de l'poque avaient hrit chacun son morceau du territoire Outre-mer qu'il administrait : Portugal (Angola, Cabinda) ; France, (Afrique quatoriale franaise devenue Congo-Brazzaville par la suite) et le Roi Lopold II, roi de Belge, (tat Indpendant du Congo, devenu successivement Congo-Belge, Congo, Rpublique Dmocratique du Congo, Zare, Rpublique Dmocratique du Congo). 2 8 Le territoire du royaume Kongo comprenait l'actuel Angola, le Cabinda, le Sud du Congo-Brazzaville et le Sud-Ouest de la Rpublique Dmocratique du Congo. 2 9 Premier roi du royaume Kongo, il sera baptis sous le nom de Joao I.
Comme nous avons dmontr dans notre mmoire de matrise, les conflits ethniques au Congo
sont la consquence de la politique coloniale et de la mauvaise gestion de l 'immigration 2 6 . Pour
mieux comprendre ces conflits, il est indispensable d'examiner l'histoire du Congo belge de
1885 ce jour. Avant la colonisation, la Rpublique Dmocratique du Congo, (ex Congo-Belge) ,
tait constitue d'une mosaque de nations qui correspondaient aux tribus, chefferies, empires
ou royaumes cohrents et communautaires. Lors de la confrence de Berlin de 1885, qui a
consacr le partage de l'Afrique par les puissances coloniales 2 7 , les colonisateurs ont cr des
tats africains sans tenir compte des ethnies ou tribus en place. Lorsque l'explorateur portugais
Diego Cao est arriv l 'embouchure du fleuve Congo en 1482, le Congo avait dj son
organisation socio-politique tablie. A cette poque, le territoire de l'ancien Congo tait
constitu des royaumes dirigs par des monarques selon leurs coutumes et traditions. Par
exemple, le royaume kongo, fond par le roi Nzinga-a-Kuvu , tait une entit administrative et
politique solide dont il dtenait le plein pouvoir. L'unit culturelle fonde sur l'unit de croyance
tait trs forte et assurait la continuit de la socit. Les chefs et leurs notables ainsi que les
parents taient les gardiens incontests de la tradition et de la culture. Cette mosaque de tribus-
nations ou de nations-tribus, domines par les chefs coutiimiers sous contrle du Roi , avait
organis le pouvoir au Congo avant la colonisation.
Les premiers contacts avec les Europens taient bass sur des rapports d'galit. Le royaume
kongo tait reconnu par les Europens comme un Etat au mme titre que les tats europens. De
nombreux contrats commerciaux et ententes politiques ont t signs entre le royaume kongo et
les puissances coloniales. Des documents diplomatiques de l 'poque tmoignent des relations
entre le Saint Sige et Mbanza-Kongo (San Salvador), capitale du royaume kongo 3 0 . Par
exemple, Antonio Manuel fut le premier ambassadeur du royaume kongo auprs du Saint
Sige . En 1891, le Roi souverain des belges avait reconnu formellement le pouvoir des chefs
coutumiers par le dcret-loi de 1891 qui les confirma dans leurs charges couturnires 3 2. cet
effet, l'acte de la confrence de Berlin de 1885 stipulait : l'tat Indpendant du Congo devra
veiller la conservation des populations indignes et leur amlioration morale et matrielle 3 3.
Bien qu'en thorie le pouvoir des chefs traditionnels ait t officiellement reconnu, sa pratique
s'est avre problmatique lors de la colonisation et pendant la dictature de Mobutu 3 4 . Les chefs
traditionnels taient placs sous la direction et la surveillance des fonctionnaires de l'tat. Aucun
pouvoir rel ne leur tait accord, ni pouvoir de taxation ni pouvoir de dcision. Malgr ces
restrictions, les chefs traditionnels ont toujours gard une certaine influence auprs des
populations rurales de leur ressort. Selon les tudes de Mbaya-Ngang 3 5 , 9 0 % des populations
congolaises sont rurales et vivent sous l'autorit des pouvoirs traditionnels bien que leurs
pouvoirs soient rduits au minimum.
3 0 Cuvilier Joseph et Louis Jadin, L'ancien royaume du Congo, archives romaines, Bruxelles, 1954. 5 / Op. cit. p. 282-301. 3 2 Voir Dcrets du Roi Souverain du 06 octobre 1891, dans Bulletin Officiel de 1891, p. 12 3 3 Voir Bulletin Officiel de 1885, p. 9-10. 3 4 Ancien prsident qui a dirig la Rpublique Dmocratique du Congo (Zare) pendant 32 ans en instaurant une dictature mi ! itaro-po ! icire. Aprs l'effondrement de son rgime par les troupes de Laurent Dsir Kabila en 1997, il trouva la mort en exil au Maroc en 1998. 3 5 Mbaya-Ngang Droit constitutionnel et traditrisme des institutions politiques du Zare (1960-1997), Kinshasa, Ergo Sum, 1997, p. 5.
Lors des travaux de la Confrence Nationale Souveraine (C.N.S) de 1991 visant mettre sur
pied les institutions dmocratiques de la troisime rpublique, les chefs courumiers taient
largement reprsents. Le premier bureau provisoire de ce forum tait prsid par le chef
Kiamvu, chef suprme Yaka de Kasongo-Lunda 3 6 . Face aux exigences modernes et aux
impratifs du dveloppement du pays, les chefferies ont t dpouilles de leurs attributions. Les
institutions socio-politiques et conomiques du Congo dites modernes n'ont pas t en mesure
de concilier la tradition et le modernisme afin de les adapter aux ralits actuelles.
L'tat congolais, comme la plupart des tats africains, a t pens par les autres et son territoire
ne rsulte pas de l'volution historique des populations qui y vivaient. Le rgime politique ne
rsulte pas non plus de la maturation politique des Congolais eux-mmes. Ce rgime a t calqu
sur le modle de la Belgique, ancienne mtropole coloniale. Au lendemain des indpendances en
Afrique dans les annes 1960, plusieurs tats ont remis en cause les frontires traces par les
colonisateurs. Les motifs de ces revendications sont multiples : pour les uns, il s'agissait de
rcuprer une portion du territoire perdue lors de ce partage artificiel, et pour les autres, de
reconstituer les ethnies qui jadis faisaient partie intgrante de leur population.
La Rpublique Dmocratique du Congo a subi le mme sort. Elle a t cre artificiellement,
sans le consentement des populations suite une union force des nations et des ethnies. Des
tribus, des ethnies, des villages et des familles divises par le dmantlement de grands empires
et royaumes du Congo ont t obligs de cohabiter avec d'autres groupements trangers
3 6 Contrairement aux affirmations de Mbaya-Ngang, Droit constitutionnel et traditrisme des institutions politique du Zare, p. 1 0 , le bureau provisoire de la CNS tait prsid non pas par Mwat Yamv, Chef Lunda du Katanga mais plutt par Kiamvu Kumbu, chef Yaka de Kasongo-Lunda en sa qualit du doyen de ces assises.
18
rintrieur d'un mme territoire. Avec ces nouveaux groupements, les colonisateurs ont voulu
crer des peuples, des nations, sans aucune considration des origines et de l'appartenance des
populations aux territoires assigns. De nos jours, cette union force pose un srieux problme de
cohabitation entre les populations autochtones et certains groupes d'immigrants.
37
Les Bantou en gnral et les Kongo en particulier considrent la palabre comme une institution
trs complexe qui rgle la vie sociale et communautaire. Elle est si prsente dans tous les aspects
de la vie de l'individu qu'il est difficile de lui trouver une vritable dfinition. Elle est
l'expression des croyances religieuses qui sont au centre de toutes les institutions socio-
politiques, conomiques et culturelles. C'est aussi un instrument de justice qui rgle toutes sortes
de problmes au sein de la socit. Comme le dit Bulayumi : La palabre assiste par des rites,
lve une digue contre les chaos, elle repousse le hasard. Son importance est
multidimensionnelle, sociale, cognitive et pdagogique, organisatrice et juridique .
L'Arbre palabre est dfini comme l'endroit o se tiennent le Conseil traditionnel africain en
gnral et congolais en particulier. Le Conseil traditionnel est un organe excutif qui gre les
affaires de la socit. La palabre est un instrument de rgulation des tensions et de paix, au mme
titre que les ngociations entre les gouvernements, les patronats et les syndicats, au Qubec ou au
Canada. Chaque ethnie ou tribu africaine ou congolaise fait appel la palabre pour trancher les
conflits. La fonction de l'Arbre palabre est de rgler les questions importantes de la socit par
3 7 Mot invent la fin du XIX e sicle par le linguiste allemand M. Bleek, pour caractriser la parent de quelques 360 langues parles dans l'Afrique Centrale et Australe au Sud d'une ligne sensiblement horizontale, qui part de Douala sur l'Atlantique, et se confond plus ou moins sur le territoire du Congo avec la limite septentrionale de la grande fort quatoriae. Il s'agit d'un terme linguistique et non de caractristique physique. Voir Robert Cornevin, Le Zare (ex-Congo-Kinshasa), Presses universitaires de France, Paris, 1972, p. 19. Le terme bantou est employ ici essentiellement du point de vue linguistique et non racial. 3 8 Bulayumi Esprance-Franois, Congo 2000 : Fin du temps ou nouvelle naissance, Plchl, 1999, p. 36.
19
la discussion des citoyens selon le principe de gagnant-gagnant.
Dans la vie quotidienne de l'Africain, scolaris ou non, les coutumes et traditions ont prsance
sur les lois. Il recourt souvent la palabre pour rsoudre des problmes (naissance, mariage,
maladie, dcs, hritage, conflit entre village, conflits territoriaux, chasse et pche. . . ) .
En effet, la palabre est un mlange d'un langage particulier et de rituels (chants, gestes, danses,
proverbes, dictons, etc.) relatifs un sujet donn. Dans la palabre, on n'appelle pas le chat par
son nom. Les styles linguistiques sont modifis, selon le sujet de la discussion et l'auditoire, de
manire respecter les murs et carter dlibrment certains groupes de personnes de la
discussion. Cette modification des langues entoure souvent les tabous relis aux diffrenciations
sexuelles, l'cart d'ges, aux valeurs morales et culturelles et au lien d'appartenance.
L'utilisation des mots-phrases ou mots cods ne permet pas tous les destinataires de saisir
l'essentiel du message. Pour comprendre ces formes linguistiques mutiles ou pour surpasser ces
tabous linguistiques, Jakobson propose de se familiariser avec les mots constituants et avec les
rgles syntaxiques de leurs combinaisons 3 9 . tant donn que cette forme de langage n'est pas
crite et ces rgles syntaxiques sont inexistantes ou mconnues, cette familiarisation ne peut tre
effective et efficace que par la voie d'une initiation soutenue. Cela permettrait d'viter les grands
carts d'interprtation et de comprhension entre le mot taboue et son substitut.
Le lien entre tabou linguistique, diffrenciation sexuelle et cart d'ges dans l'usage de la langue
existe chez plusieurs peuples. Chez les Kongo, notamment les Yaka et chez plusieurs ethnies de
3 9 Jakobson R., Essais de linguistique gnrale, Les ditions de Minuit, Pais, 1963, p.47. 20
la R D C , il est interdit aux beaux-fils et aux belles-filles d'appeler leurs beaux-parents par leurs
vrais noms et vice versa. De mme il est trs mal vu pour un jeune d'appeler son an par son
nom. Pour les dsigner, ils doivent utiliser un autre mot ou titre de substitution. Dans la plus part
de cas, on fait prcder ou suivre le nom par un adjectif ou un adverbe. Par exemple, la mre qui
parle de son beau-fils sa fille utilise le terme tata n'kua nzo , littralement papa, le chef de
ta maison.
En 1930, la mme observation a t faite par Dmitrij Zelenin au Kazakhstan o les femmes
n'appelaient pas leurs beaux-parents par leurs vrais noms. Elles devaient utiliser un autre mot
phontiquement ressemblant l'original ou bien elles devaient modifier la forme phontique de
celui-ci 4 0 . Voil qui montre la porte et les limites de la pratique de la palabre et de son
intgration ventuelle dans les institutions modernes congolaises.
Jakobson Roman et Waugh Linda, La charpente phonique du langage, Les ditions de minuit, Paris, 1980, p. 257. 21
P R E M I R E P A R T I E
L A P A L A B R E DANS L A C U L T U R E T R A D I T I O N N E L L E K O N G O E T A U J O U R D 'HUI
La premire partie de notre thse sera consacre l'tude de la palabre dans la socit kongo
pour mieux comprendre la place qu'occupe cette institution dans le Congo moderne. Dans les
socits traditionnelles africaines en gnral et congolaises en particulier, la palabre tait une
vritable institution. Elle a jou un rle considrable dans l'administration coloniale et dans la
distribution de la justice, pour rgler les conflits sociaux et assurer l'initiation des jeunes dans
la vie communautaire. La palabre tait considre comme un lieu de reconnaissance identitaire et
un espace de procdure communicationnelle 4 1 . Au-del de son rle de mdiation dans le
rglement de divers conflits, la palabre a toujours t un instrument d'quilibre et de rgulation
des tensions sociales. Elle occupait une place de choix dans l'thique et dans l'ducation des
masses.
Aujourd'hui, dans les socits africaines modernes et en Rpublique Dmocratique du Congo,
en l'absence de consensus sur les valeurs dmocratiques, le rglement des conflits politiques
passe par la palabre. On peut citer comme exemple, les confrences nationales en Afrique au
dbut des annes 90 visant rconcilier le peuple et ouvrir l'espace politique la dmocratie.
En dpit du caractre national de ces forums o toutes les couches de la nation taient
reprsentes, les confrences nationales ont t des vritables palabres sous formes modernes.
Cela a permis aux populations de dialoguer et d'exprimer leur opinion dans les affaires de l'tat.
En d'autres termes, ces confrences nationales ont t des occasions propices de laver le linge
sale en famille , en appliquant le principe de rsolution de conflit par le dialogue.
4 1 Osumba S., La palabre : une institution intangible communication prsente au colloque de Cerdaf, Universit de Fribourg, Suisse, 12 janvier 2002.
Dans les socits qui reconnaissent la rationalit judiciaire et politique de la palabre, la parole a
toujours t capitale dans le rglement des confits. Elle est considre comme une vritable
condensatrice d'nergie revtue d'un caractre sacr. C'est grce la parole juste et vraie que les
vnements de la vie prennent une signification profonde. Pour mieux comprendre la porte
exacte de cette institution chez les Kongo, nous analyserons l'histoire du Congo avant la
colonisation, pendant la colonisation et aprs l'indpendance. Cette tude permettra de
reconsidrer le rle de la tradition et sa place dans la vie des Congolais et des Kongo. Nous
analyserons les effets de la politique coloniale dans la vie socio-politique, conomique et
culturelle du Congo. Nous dcrirons galement les principales caractristiques de la socit
kongo et de sa population. Nous examinerons les problmes spcifiques du peuple kongo tant sur
le plan interne qu'externe.
C H A P I T R E I
B R E F H I S T O R I Q U E D E S A N C I E N S R O Y A U M E S DU C O N G O
Nous avons rparti l'tude de ce chapitre en quatre priodes : avant la confrence de Berlin de
1885, pendant la priode de l'tat indpendant du Congo, durant la colonisation belge et aprs
l'indpendance du Congo.
1.1. Avant la confrence de Berlin de 1885
1.1.1. L ' poque des Grands Empires
Avant l'arrive des Europens, l'Afrique tait compose de grands empires dirigs par des chefs
investis de pouvoirs traditionnels importants tant sur le plan politique, conomique, juridique que
spirituel. La rgion des Grands Lacs africains tait sous l'organisation socio-politique de grands
empires. En Rpublique Dmocratique du Congo, il existait galement de grands empires dirigs
par des chefs ou rois. Par exemple, l'empire Lunda tait dirig par le chef Mwat Yanv, le
royaume Kongo par le roi Nzinga a Kuvu, l 'empire Luba par le roi Kasongo, etc. Dans la rgion
des Grands Lacs comme dans toute l 'Afrique pr-coloniale, l 'occupation ou l'largissement du
territoire de l'empire se faisait par des guerres de conqutes contre les voisins. Lors de ces
conqutes, le conqurant n'effaait pas les pouvoirs locaux pour y substituer les siens : il
assujettissait les dynasties conquises en les confdrant et en les maintenant dans leurs limites
spatiales 4 2.
Dans l'Afrique traditionnelle, le pouvoir politique tait spar du pouvoir territorial. Il arrivait
parfois que les deux pouvoirs concident, mais ils n'taient jamais confondus ni dans les esprits,
ni dans l'organisation et le fonctionnement des institutions socio-politiques. Les relations entre
les diffrents pouvoirs taient caractrises par l 'homologie, la diffrence de la perception
4 2 Voir Akindjogbin I. A., Le concept de pouvoir dans l'Afrique traditionnelle, dans Introduction la culture africaine, n4, Paris, 1986, p. 9-27.
indo-europenne qui aboutissait presque toujours une hirarchisation discriminatoire : en
Afrique traditionnelle le pouvoir politique tait diffrentiel, d 'o son caractre
communaucratique, c'est--dire d'autogestion de chaque communaut, tant sur le plan national
que local. C'est ainsi que, lorsque ces communauts africaines traditionnelles se trouvaient face
une menace extrieure grave pouvant mettre en danger leur indpendance, leur mode de vie et
leur souverainet, elles avaient recours au processus d'unification sous forme de fdration 4 3.
Cette faon de rsoudre le conflit par la fusion des territoires des belligrants, vitait justement
les affrontements sanglants et meurtriers entre les communauts. Dans ce contexte, les notions
d'indpendance et de souverainet s'articulaient autour de rgles de fonctionnement bases sur la
spcificit rsultant des considrations fraternelles. C'est ce qui a fait dire l'historien P. Diagne
que l'tat unitaire ne relve pas de la panoplie des pratiques et des thories politiques de
l'Africain avant l'irruption de l'influence smio-arabe ou indo-europenne 4 4 .
La question de l'tat en Afrique n'est ni un phnomne nouveau, ni un produit d'importation
occidentale. En un autre sens, il manquait l'tat de l'Afrique traditionnelle la densit de
l'identit nationale largie. L'identit y tait clate et en constante renaissance. Chaque enfant
qui naissait tait un dynaste potentiel. Ce qui manquait l 'Afrique, c'tait la dynamique centrale
interne et surtout la pense rationnelle et standardisante qui permet des reproductions sur grande
chelle et qui est la base mme de l'industrialisation moderne. Dans ces conditions, les
mouvements sociaux et les conqutes extrieures semblent avoir comme objectif la satisfaction
morale de l'amour-propre des individus au sein de la socit.
juauiiiv .rv., w L y i i t j v i u p v u i a O u r v iotl ixo//, /"in n_juv , iJO^.
^Monkotan K.J.B., Information et Intgration africaine : quel rle pour une agence continentale? Thse de doctorat en droit, UCAD, 1993, 76-82 p.
Il se dgage de ces observations que l'Afrique avait dj une conception bien tablie de la
politique et de la socit. Cet ordre des choses tait caractris par un quilibre harmonieux et
intangible auquel chaque individu devait se soumettre. Dans l'Afrique pr-coloniale, il existait
une conception du pouvoir et de la dmocratie diffrente de celle dfinie actuellement par
l 'Occident. Le droit international moderne dfinit la nationalit comme un lien permanent de
dpendance, source de droits ainsi que de devoirs, dans lequel se trouve un individu par rapport
une collectivit politiquement organise. Dans ce contexte, la qualit d'tat n'est reconnue une
collectivit politiquement organise que s'il y a en son sein une communion de pouvoirs qui
s'exerce sur une population dans un territoire donn. Le territoire devient, dans ce cas, un
facteur fondamental qui dtermine la qualit d'tat et l'espace ou l'tendue qu'il occupe.
Avant l'arrive des Blancs, la proprit sur la terre en Afrique tait la fois collective et
incessible 4 5 . Le principe tait que la terre existe naturellement et n'est pas une cration de
l 'homme ; nul ne pouvait en faire l 'objet de droits exclusifs au dtriment d'un autre. La terre tait
considre comme une divinit gnratrice, porteuse de la mission de pourvoir aux besoins de
ces occupants. Elle tait un bien de la collectivit toute entire, plutt que celui d'un individu et
personne ne pouvait en disposer autrement. Entre la terre et le groupe social qui l 'occupait, il
existait un lien qui ne pouvait pas s'analyser en un simple lien juridique. La collectivit tait
souveraine au mme titre que la terre. Par consquent, elle ne pouvait faire partie du patrimoine
priv d'un individu. Tout diffrend qui en rsultait, tait rgl par la palabre selon les normes
ancestrales.
4 5 Kouassignan G. A., L'homme et la terre, droits fonciers et droits de proprit en Afrique occidentale, Paris, Orstom/Berger Levrault, 1966, p. 54-134.
La souverainet nationale ou populaire tait considre comme l'aptitude d'une collectivit se
sentir gale par rapport aux autres. Aucune autre entit ou autorit n'tait considre suprieure
l'tat. Cette vision des choses tait caractrise par une dynamique qui aboutissait parfois un
ethnocentrisme exacerb. En mme temps, elle se traduisait en absolutisme interne et en une
volont d'extension, imprgne par une tendance imprialiste. Dans cette vision, il se dgage
deux conceptions diffrentes du pouvoir de l'tat. D'une part, on trouve l'ide d'une identit
nationale largie qui se manifeste par un pouvoir tatique, instrument charg de l'impulsion
gnrale, de la coordination, de la gestion et de la ralisation des aspirations des populations.
D'autre part, il y a un cadre physique dlimit et reconnu qui s'impose tous. La nation se
donnait ainsi un tat qui, pour tre reconnu et accept, devrait se fonder sur le principe du
monopole et d'exclusivit du pouvoir et de la puissance publique. Elle devait tre organise pour
grer une population concentre sur un territoire qui est la fois foyer pour soi et limite contre
l'extension et l'imprialisme ventuels des autres 4 6. L'tat-nation pousait intimement les
formes de son territoire dont les limites taient intangibles. Par rapport ce territoire, l'tat
exerait des prrogatives qui s'apparentaient presque au droit de proprit.
titre d'exemple, sur le plan de l 'conomie et du bien-tre des populations, la socit et le
pouvoir reposaient surtout sur l'autoproduction et l'autoconsommation. L'conomie tait
oriente vers l'autosuffisance alimentaire des populations. Les rgles de fonctionnement et de
production ignoraient l ' idologie industrielle pratique dans les socits des Blancs. Les
communauts taient la fois minuscules, autonomes et souveraines. L'tat confdral de type
moderne, embryonnaire et trs clat, tirait son existence et sa lgitimit du respect strict de cette
4 6 Reuter P., Droit international public, P.U. F, Thmis, 6*"* dition, 1983, p. 178-200. 29
autonomie exclusive et des rgles les rgissant. Toutes les autres communauts qui vivaient dans
la mme aire culturelle partageaient les mmes visions sur ce plan, ce qui facilitait les
successions. Les alliances, les mariages ou autres crmonies, les msalliances, la volont
d'hgmonie d'un groupe, etc., taient des facteurs qui exeraient un pouvoir d'attraction ou de
rpulsion. C'est pourquoi, on assistait frquemment la reconstitution de paysage politique, avec
une autorit qui s'exerait sur les hommes et non sur les terres qui chappaient toute emprise
individuelle.
L'Afrique ancienne tait tellement habite par l ' idologie de l'quilibre permanent des choses
qu'elle ignorait gnralement la tendance prdatrice qui conduit l'obsession de richesse
matrielle en tant qu'lment fondamental de la puissance telle que considre par l 'Occident.
Dans l'Afrique pr-coloniale, il existait des choses que tout le monde devait savoir et auxquelles
personne ne pouvait porter atteinte. D ' o l'expression Ce qui ne se fait pas ne se sait pas. La
croyance profonde en la bont humaine, la grande navet par rapport aux instincts
dominateurs et exterminateurs, sont autant de vertus qui ont toujours prvalu en Afrique. D 'o
une absence de dynamisme, d'agressivit, de dfense ou de conqute.
Dans une autre variante, la hirarchisation intervenue dans les diffrents groupes socio-
professionnels mpriss par la noblesse, avec le phnomne de caste (forgerons, griots,
bijoutiers, agriculteurs, leveurs, etc.), est le rsultat des politiques imposes par les Blancs ds
leur arrive dans ce continent. L'Afrique traditionnelle apparat ainsi comme un monde de
certitudes ancres, d'quilibre permanent entre les individus et les choses. C'tait une socit
communautaire, autoproductrice et consommatrice. Son rythme de progression tait trs lent et
tait toujours matris par le groupe et connect avec la nature elle-mme. La vie y tait
organise et gre pour tre en parfaite symbiose avec l'ternit de l'tre, l'ternit prsente et
prgnante en toute chose. Mais si l'esprit de solidarit, de communautarisme et de fraternit
habitait l 'Afrique, il en demeure que plusieurs guerres et rivalits ont oppos les Africains pour
la conqute du pouvoir 4 7 .
1.1. 2. La politique coloniale en Afrique
Depuis l'arrive des Europens dans ce continent, l'Afrique a vcu plusieurs phases destructrices
de son histoire. De l'esclavagisme l'indpendance, en passant par le colonialisme et le
nocolonialisme, l 'Afrique a subi pendant prs de quatre cents ans, une domination trangre
atroce et continue qui n'a laiss que souffrance et dsolation des populations. De par sa brutalit
et sa violence, la traite de Noirs est considre par les historiens comme le plus grand gnocide et
l'une des plus grandes destructions socio-politiques, morales, voire spirituelles que l'humanit
ait connues. L'esclavage a fait perdre l'Afrique plus de 200 millions de personnes qui
constituaient une main-d'uvre importante qui aurait pu contribuer son dveloppement 4 8 .
Le royaume Kongo n'a pas fait exception cette rgle. La main-d'uvre congolaise tait
qualifie par d'aucuns comme une mine d'or ou un bois d'bne cause de la docilit, du
courage, de la capacit physique et d'apprentissage des Congolais.
4 7 Actuellement, il existe plusieurs conflits qui opposent les Africains : Le conflit au Darfour (Soudan) entre les Arabes musulmans et les populations noires chrtiennes et animistes du Sud ; la guerre l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo qui opposent les Banyamulenge soutenu par le Rwanda et les forces gouvernementales congolaises. 4 8 Monkotan K. J.B, Information et Intgration africaine : quel rle pour une agence continentale? Thse de doctorat en droit, UCAD, 1993, p.78-82.
Les affirmations de Batsikama sur ce point tmoignent de l'efficacit et de l'endurance des
Congolais dans les travaux manuels en Amrique.
Les colons ont dj une certaine exprience acquise dans les annes prcdentes. Certains ngres sont plus priss que d'autres en rapport avec leur provenance. C'est ainsi que les Congos sont rputs excellents au service de la maison. Les Francs-Congos, particulirement sont d'une douceur et d'une gaiet qui les font rechercher 4 9 .
Batsikama cite les tmoignages de Hilliard d'Auberteuil et de L. Degrangr, soldats franais, qui
ont t trs clbres cause de leur cruaut et barbarie envers les Noirs.
Les ngres du Congo sont trs apprcis Saint-Domingue; adroits et faciles conduire, ils apprennent en peu de temps tous les mtiers qu'on veut leur montrer et ils sont intelligents dans la culture des terres. Saint-Domingue les esclaves les plus communs et les plus estims sont les Congolais. Ce sont des Noirs magnifiques, robustes, durs la fatigue, et sans contredit les meilleurs de nos colonies .
Ces affirmations illustrent les capacits et les performances des Congolais comme bons
travailleurs parmi les esclaves recherchs par les Europens pour travailler dans les plantations
des cannes sucres en Amrique. La reconnaissance des qualits des Congolais a pouss tous les
aventuriers europens se ruer vers l 'Afrique, surtout sur le royaume Kongo o la main-
d'uvre esclave tait considre comme une aubaine.
Sur le plan politique et idologique, l 'Afrique a t cre par les Europens selon le modle
occidental, sans la participation des Africains eux-mmes. Le rgime politique ne rsulte pas de
la maturation politique des Africains eux-mmes. Dans la plupart de ces tats, le rgime
politique a t une copie conforme de celui des mtropoles coloniales et, dans d'autres cas, ce
batsikama Raphal, L'ancien royaume du Congo et le Ba Kongo, Harmattan, 1999, p. 32. 5 0 Op.cit. p. 32
rgime politique a t tabli par les nouveaux dirigeants pour faire contrepoids au colonisateur.
Cette politique a t galement pratique dans la rgion des Grands Lacs africains, engendrant
des nombreux conflits dans les pays limitrophes dont la Rpublique Dmocratique du Congo.
1.1.3 Les caractristiques communes aux anciens royaumes
Avant de donner la description de quelques anciens royaumes qui ont marqu l'histoire du
Congo avant la colonisation, il y a lieu de fournir quelques caractristiques communes de ces
royaumes. La succession au trne se faisait par descendance matrilinaire et le choix du roi avait
lieu par lection ou par comptition des candidats. Dans certains cas, l 'opposition entre les
concurrents dgnrait en conflits sanglants. La richesse de ces royaumes tait essentiellement
base sur leur commerce intrieur et extrieur. Les changes de produits se faisaient sur le fleuve
des centaines de kilomtres voire parfois des milliers des kilomtres.
L'introduction, partir du X V I e , sicle des produits imports europens et amricains (culture du
manioc, tabac, mas etc.), a t trs rpandue en Afrique centrale. Dans les rgions de la savane,
le commerce entre l'Est et l'Ouest du continent africain se faisait par des caravanes. La traite des
esclaves au X V I e sicle, accompagne de brutalits meurtrires, de guerres interethniques ou
intertribales entre royaumes, a abouti au dmantlement des grands empires en Afrique et au
Congo. Aprs l'abolition de l'esclavagisme en 1860, une nouvelle traite d'esclaves venue de
l'Afrique orientale et australe a t implante par les Arabes l'instigation des peuples Swahilis.
La traite par les Arabes a continu jusqu'au dbut du X I X e sicle; elle a provoqu la migration
des populations, notamment celle des Luba, ce qui explique la prsence des musulmans l'Est
du continent africain.
1.1.4. Les grands royaumes du Congo
L Le royaume Luba
Le royaume Luba a t fond dans la rgion du Katanga par le roi Kongolo vers la fin du X V I e
sicle. Grce ses conqutes, Kumwinbu Ngomb, successeur de Kongolo , a annex d'autres
territoires et a tendu son royaume jusqu'au lac Tangaynika. Son rgne a t marqu par les
instabilits causes par des querelles politiques et des luttes constantes du pouvoir entre les
protagonistes. Au X I X e sicle, avec les invasions successives des Chokw et Bayek, le royaume
a perdu une grande partie de son territoire pour ne garder qu'une petite enclave la source de la
rivire Lomani.
2. Le royaume Kuba
Le royaume Kuba a t fond au X V 5 e sicle sur le territoire de l'actuel Kasa Occidental. Ce
royaume a connu un essor considrable sous le rgne du roi Chamba Bolongongo, qualifi de
moderniste parce qu'il tait ouvert d'autres cultures et aux nouvelles techniques de tissage de
raphia, trs rpandu dans le royaume. L'invasion des Luba vers la fin du X V I I e sicle a provoqu
l'clatement du royaume qui a rsist jusqu' sa conqute en 1904, par les colons belges.
Actuellement, le pouvoir symbolique du roi Kuba est concentr dans la zone de Musheng. Le roi
Kuba est l'un des chefs coutumiers les plus influents en RDC. Il est scolaris et son royaume est
l'un des rares institutions traditionnelles qui soit encore fonctionnelle, mme si ses pouvoirs sont
limits.
3. Le royaume Lunda
Le royaume Lunda aurait t cr au X V I e sicle par la fusion des plusieurs chefferies dans le
Sud-Ouest du Katanga. Au dbut de 1660, sous le rgne de Mwat Yanv 5 1 , le royaume a connu
une expansion du Kasa jusqu'au fleuve Zambze. Au XVIII e sicle, le royaume s'tendit
nouveau vers l'Est et au centre. En 1885, les Chokw s'tablirent l'Est aprs avoir chass les
Lunda sur cette partie du territoire. En 1887, ils ont t leur tour chasss par les frres Chokw,
Kawele, lors de la guerre dite de flche de bois.
D'autres royaumes se sont tablis dans la savane du Nord-Est constitue par des Zand et
Mangbetu. Quant au royaume Mongo , il tait constitu par des petits groupes ethniques, habitant
les rgions forestires de la cuvette centrale. D'autres petits royaumes ont t crs vers 1850 par
les petits princes marchands, originaires de Tanganyika, qui se sont enrichis avec le trafic
d'ivoire, de cuivre et d'esclaves. Vers 1880, ils ont form un grand empire appel Garanganz
qui occupait presque le Sud de l'actuelle Rpublique Dmocratique du Congo. De l'autre ct du
Tanganyika, Tippoo-Tip, originaire de Zanzibar, a galement cr un grand empire en 1860. Son
empire est devenu puissant et prospre cause du commerce d'esclaves, de l'implantation des
grandes plantations et de la construction d'un rseau routier qui permettait la circulation des
marchandises et des personnes vers la cte Ouest.
5 1L'appellation Mwat Yanvo dsignera le titre dynastique chez le Lunda. Tout souverain qui a succd au pouvoir a port le nom de Mwat Yanvo.
4. Le royaume Kongo
Le royaume Kongo , objet de cette tude, a t explor par le portugais Diego Cao, premier
homme blanc dcouvrir Fembouchure du fleuve Congo en 1482. L'implantation des Portugais
tait limite et centre essentiellement sur le littoral, en Angola. L'arrive en 1870 de Sir Henry
Morton Stanley, explorateur britannique au service du roi Lopold I I 5 2 , a permis aux Europens
d'explorer en profondeur le royaume Kongo vers la fin X V I I I e sicle.
1.2. Pendant la priode de l 'tat indpendant du Congo
(1885-1908)
1.2.1 L e rgne du roi Lopold II
Lopold II, roi des Belges, avait des ambitions sans mesure pour le continent africain. Il voulait
crer un gigantesque empire qui s'tendrait sur presque toute l'Afrique. Pour matrialiser son
rve, Lopold II cra en 1876 l 'Association Internationale du Congo (AIC) . Il confia Morton
Stanley, la responsabilit de constituer son futur empire africain. Mais les choses ne se sont pas
passes comme prvu, cause de certaines rivalits qui opposaient en 1880, Stanley, travaillant
pour le compte de Lopold II, et Savornia de Brazza, pour la France 5 3 . En 1881, Stanley a tabli
son autorit sur l'Association internationale du Congo sur la rive gauche du fleuve Congo, alors
que De Brazza contrlait la rive droite.
5 2 Souverain belge qui a hrit le Congo comme proprit prive aprs la confrence de Berlin de 1885 qui a consacr le partage de l'Afrique entre les puissances coloniales. Sa gestion du Congo tait caractrise par des exactions et des massacres des populations congolaises. 5 3 Les deux explorateurs Henri Morton Stanley et Savornia de Brazza avaient des missions diffrentes. Le premier, travaillait au Congo-Kinshasa pour le compte de roi des Belges Lopold II. Tandis que le deuxime tait au Congo-Brazzaville pour les intrts de la France.
la confrence de Berlin de 1885, convoque par les puissances coloniales de l 'poque (France,
Portugal, Belgique, Grande-Bretagne, Hollande, Allemagne, etc.), le roi des Belges a hrit du
Congo, un pays 80 fois plus grand que la Belgique. Ds cet instant, l'appellation de Association
internationale du Congo changea pour devenir l'tat Indpendant du Congo (EIC), proprit
personnelle de Lopold II. Devenu matre du nouvel empire, Lopold II instaura une gestion de
fer en matant avec brutalit toutes rsistances et soulvements des indignes congolais. Des
actes de violences, des massacres de populations et des excutions sommaires furent commis par
la police l'endroit des Congolais, l'chelle du pays. La gravit de la violence faite aux
Congolais a eu des chos mme en Europe, tel point que le Foreign office britannique et les
autres pays europens ont demand d'instituer une commission d'enqute pour vrifier ces
allgations et se rendre compte de la gestion lopoldienne du Congo. La commission d'enqute
conduite par Roger Casement, consul britannique accrdit au Congo, a abouti en 1904 un
rapport accablant contre le roi des Belges. Voici ce que disait Casement l'introduction de son
rapport :
J'ai vu assez de choses dans cette brve priode du sort de ce peuple et j e suis honteux de ma propre couleur de peau, l o le fait d'tre blanc signifie gosme et oppression impitoyable 5 4 .
Casement constate avec perspicacit que toutes ces atrocits relvent d'un systme bien organis
pour dtruire le Congo et les Congolais.
Elles ("wholesale butcheries") taient connues jadis (des autorits) et on ne peut trop le rpter elles taient l'invitable rsultat initial du systme de travail forc, d'expditions organises, d'exactions injustes et de vol de femmes indignes, de produits naturels et de nourriture dsigns d'une faon euphmique la mise en valeur du domaine priv 5 5 .
Rapport Casciciit, Enqute et documents d'histoiie africaine, universit Catholique de Louvam, 1985, n,2. C'est un document qui donne une mine de renseignements sur les crimes commis par les Belges, sous Lopold II au Congo. 5 5 Voir PRO, F.O 10/805, Dpche de Casement adresse Landsowne, le 3 aot 1903.
La violence contre les Congolais tait justifie par deux motivations :
Premirement, instaurer un rgime de terreur pour intimider et abaisser les indignes
au niveau le plus dgradant pour mieux les dompter et les soumettre ;
Deuximement, exploiter et piller au maximum les richesses du Congo pour construire le
royaume de Belgique.
Les affirmations de Knut T. Svenson, lieutenant de la Force Publique (arme coloniale) et
fondateur de la cit de Bokoro en 1894, traduisent justement le but poursuivi par les Belges au
Congo. Pour Svenson, il existe plusieurs sources qui permettent d'tablir la vrit sur les actes de
cruaut commis par l'administration de Lopold II au Congo, surtout durant les premires annes
d'occupation be lge 5 6 . Par exemple, dans la cit indigne de Bokoro, des centaines de Congolais
(527) ont t excuts sans aucune raison. Plusieurs autres ont t mutils ou soumis des
travaux forcs humiliants. Les affirmations de Ketens Van Kopper publies dans son ouvrage
intitul Zare, concordent avec les rvlations de Svenson sur les atrocits commises par les
colonisateurs belges. Voici ce que disait Ketens Van Kopper sur les mthodes utilises par les
Belges pour punir les Congolais :
La punition courante pour un Noir qui d'une faon ou d'une autre ne satisfaisait pas au travail (impos), consistait dans l'amputation d'une main. Celui qui ne satisfaisait pas au quota de caoutchouc dsir par les administrateurs locaux tait amput d'une main. La tradition orale affirme le fait que des mains taient coupes, et bien par les Zanzibarites, et que le moignon tait immerg dans l'huile bouillante 5 7.
5 6 Rapport Casement, Enqute et documents d'histoire africaine, universit Catholique de Louvain, 1985, p. 8-9. 5 7 Ibid. 1985, p. 24.
Selon Willetquet J., les rvlations de crimes et des actes de barbarie ont t ressentis dans toute
la Belgique comme une douche froide jete sur l'ensemble du pays.
Aux alentours de 1960, les Belges ahuris ont pu apprendre qu'ils avaient jadis perptr au Congo des atrocits parmi lesquelles figurait en bonne place la lgende des mains coupes. Il est pour le moins ambigu de parler d'une lgende de mains coupes sans mentionner que de milliers de gens ont t tus sans raison, et que leurs corps ont t ensuite amputs de la main droite .
Cet exemple parmi tant d'autres dmontre la cruaut et la gestion dsastreuse de l'administration
de Lopold II. D'aucuns la qualifient de crime contre l'humanit. Mme si certaines personnes
ont critiqu certaines affirmations du rapport Casement, il en demeure que beaucoup d'atrocits
ont t commises au Congo pendant la priode de Lopold II. long terme, les conclusions du
rapport Casement ont conduit en 1908 la cession la Belgique, de l'tat Indpendant du Congo
qui devenant ainsi une colonie belge. Sur le plan diplomatique, le rapport Casement est considr
comme un document remarquable et exceptionnel, surtout qu'il a t ralis par un seul homme.
Plus tard, l'ouvrage d 'Adam Hochschild intitul Le Fantme du Roi Lopold II, est venu
confirmer les allgations contenues dans le rapport Casement, avec des images l 'appui 5 9 .
5 8 Voir Willequet, prface du livre d'Emerson, Lopold II, Le Royaume du Congo et l'Empire, p.5 5 9 Les rvlations des horreurs de Lopold ont t publis par Adam Hoschschild dans son ouvrage King Lopold's Ghost, Mariner Books, 1998. Cet ouvrage fournit des renseignements sur le pillage des richesses du Congo, la terreur, les massacres et les excutions sommaires des populations civiles commises par les Belges au Congo.
1.2.2 La dcadence des royaumes du C o n g o
Les pratiques atroces utilises par Lopold II lui ont permis de mater toutes les rsistances et
insurrections des Congolais. Prtextant vouloir lutter contre le trafic des esclaves, les
colonisateurs ont dtruit les anciens royaumes du Congo malgr les rsistances des populations
locales. Certains peuples sont demeurs invaincus comme les Ttla qui ont rsist jusqu'en
1907. Quant Kasongo, roi Luba, il a rsist contre les colons jusqu'en 1917.
Pour mieux asseoir son autorit et contrler la population, Lopold II avait dpossd les
Congolais de leur terre et confi la gestion du pays des compagnies trangres (CNKI, Trust
Lever, la Cotonnire du Congo, etc.), pour exploiter les richesses du C o n g o 6 0 . Ces compagnies
taient spcialises dans l'exploitation du caoutchouc, de l'huile de palme, du coton et de
l'ivoire. En 1889, le roi fit proclamer un dcret-loi qui stipulait que toutes les terres vacantes
taient de droit une proprit de l'tat Indpendant du Congo. Les populations indignes
taient obliges de travailler pour le compte de ces compagnies pour survivre. Le travail forc,
l 'impt obligatoire, les mauvais traitements, les corves, la rpression dgradante et inhumaine,
ont accentu davantage la misre des populations. Ces exactions commises par les entreprises
trangres ont valu cette poque le nom de temps des exterminations. En 1906, Lopold II
signa les accords avec le Saint-Sige Rome, accordant aux missionnaires des concessions de
terres qui leur ont permis de s'enrichir et vivre dans l 'opulence. Pendant ce temps, les
populations assistaient impuissantes ces pillages et au dmantlement de leur royaume.
6 0 Lola M., Nicaises. Les conflits ethniques et problmes d'identit l'Est de la Rpublique Dmocratique du Congo : Cas de Banyamulenge, Mmoire de matrise, Universit de Sherbrooke, 2001, p. 109-112.
1 3 Pendant la priode coloniale (1908-1960)
1.3.1 Sur le plan socio-conomique
En 1908, suite aux atrocits commises par l'administration de Lopold II, la Belgique entire est
bouleverse et exige des explications au Roi. cause des pressions exerces par les
parlementaires belges et par les autres pays europens, Lopold II dcide de cder la Belgique
la gestion de l'tat Indpendant du Congo. Le Congo devient ainsi une colonie be lge 6 1 . Durant
cette priode, l'exploitation coloniale s'est intensifie sur le plan conomique, politique et
militaire. Des changements majeurs ont t apports dans diffrents domaines : le rtablissement
de la libert de commerce et de circulation des trangers blan