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Gynecologie Obstetrique & Fertilite 41 (2013) 478–484
Article original
La parturition de Lucy, chemin vers l’extinction ?§,§§
Lucy’s parturition, a way towards extinction?
G. Chene a,*,b, A.-S. Tardieu c, B. Trombert d, T. Raia-Barjat a, A. Amouzougan e,H. Patural f, P. Seffert a, Y. Coppens g
a Departement de gynecologie-obstetrique et medecine de la reproduction, 2, avenue Albert-Raimond, 42023 Saint-Etienne, Franceb Departement de gynecologie-obstetrique, groupement hospitalier Est, hopital Femme-Mere-Enfant, 59, boulevard Pinel, 69500 Bron, Francec Departement de gynecologie-obstetrique et medecine de la reproduction, centre hospitalier de Firminy, 42704 Firminy, Franced Departement de sante publique, CHU de Saint-Etienne, 42023 Saint-Etienne, Francee Departement de rhumatologie, CHU de Saint-Etienne, 42023 Saint-Etienne, Francef Departement de pediatrie, CHU de Saint-Etienne, 42023 Saint-Etienne, Franceg Chaire de paleoanthropologie, College de France, 75005 Paris, France
I N F O A R T I C L E
Historique de l’article :
Recu le 28 janvier 2013
Accepte le 10 juillet 2013
Disponible sur Internet le 27 aout 2013
Mots cles :
Bassin
Anthropologie
Evolution
Obstetrique
Keywords:
Pelvis
Anthropology
Evolution
Obstetrics
R E S U M E
Objectifs. – Comparer les bassins obstetricaux d’australopitheques, hommes modernes et de grands
singes et deduire la mecanique obstetricale chez les australopitheques.
Materiel et methodes. – Les bassins osseux de materiels fossiles (Australopithecus afarensis AL 288-1,
Australopithecus africanus Sts14, Australopithecus Stw 431 et Mh2), de 133 adultes modernes (82 feminins
et 51 masculins) et 67 singes catahriniens (36 gorilles, 26 chimpanzes et 5 orangs-outans) ont ete
reconstitues et 16 biometries pelvimetriques ont ete mesurees.
Resultats. – Les bassins des australopitheques etaient caracterises par des diametres antero-posterieur
(AP) et transverse (TRV) du detroit superieur les plus faibles par rapport aux autres especes. Les index
(rapports AP/TRV) des trois detroits obstetricaux etaient egalement les plus bas chez les
autralopitheques et la morphologie du bassin etait typiquement platypelloıde. Afin de supprimer les
differences de taille entre les individus, une analyse factorielle logarithmique a permis de situer les
bassins des australopitheques plus proches des hominides modernes et plus eloignes des singes.
Discussion et conclusion. – Par opposition aux singes anthropoıdes ou l’accouchement est plus simple et
retro-ischiatique, l’accouchement chez les australopitheques etait aussi difficile que chez les hommes
modernes : il etait vraisemblablement possible par voie basse dans une variete TRV asynclite.
� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.
A B S T R A C T
Objectives. – To compare pelvic cavities in australopithecines, modern humans and non-hominid
primates in order to discuss the obstetrical mechanisms in australopithecines
Material and methods. – Bony pelves from fossil material (Australopithecus afarensis AL 288-1,
Australopithecus africanus Sts14, Australopithecus Stw 431 and Mh2), 133 modern humans (82 adult
females and 51 adult males) and 67 anthropoid primates (36 gorilla, 26 Pan troglodytes, 5 Pongo
pygmaeus) were reconstructed and compared (shape and morphometric analysis) using 16 pelvimetric
mesasurements.
Results. – Pelves of australopithecines were characterized by lower anteroposterior (AP) and transverse
(TRV) diameters in inlet pelvis than in other species. Index (AP/TRV) of pelvic inlet, midpelvis and pelvic
outlet in the australopithecines were the lowest (< 100) and the pelvic shape was platypelloid. A
logarithmic factorial analysis showed that the pelvic morphology of australopithecines was different
from humans and non-hominid primates but nearer the humans.
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
DOI de l’article original: http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.07.010§ Cette etude a fait l’objet d’une presentation affichee au CNGOF 2012.
§§ Voir dans ce meme numero l’editorial du Pr Y. Copens : A propos de l’Australopitheque Lucy. Gynecol Obstet Fertil 2013;41.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (G. Chene).
1297-9589/$ – see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.
http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.07.012
G. Chene et al. / Gynecologie Obstetrique & Fertilite 41 (2013) 478–484 479
Discussion and conclusion. – In contrast with apes where obstetrical mechanics seem to be easier, and
because of platypelloidy, mechanism of birth in australopithecines was as difficult as in modern homo
sapiens. Birth without cesarean was probably possible in an asynclitic TRV orientation.
� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Fig. 1. Squelette de Lucy.
Wikipedia.
1. Introduction
La caracteristique principale des Hominidae (Australopitheque et
Homo) est la bipedie, responsable de modifications importantes dubassin, et, associee a l’encephalisation, a l’origine de la mecaniqueobstetricale moderne [1–4]. Le bassin feminin de l’espece humainedoit concilier plusieurs imperatifs, locomotion, station debout,parturition, contention des visceres tant et si bien qu’il adopte uneorientation postero-anterieur contrairement aux bassins desprimates non humains a orientation cranio-caudale et dontl’accouchement est bien souvent eutocique [5,6].
L’objectif de cette etude est d’etudier l’evolution de lamecanique obstetricale en comparant les biometries de bassinsmodernes humains, animaux et fossiles et de tenter de deduirecomment accouchait l’australopitheque Lucy.
2. Patients et methodes
Nous avons etudie une serie de 204 bassins repartis commesuit :
� 4 bassins fossiles (reconstitutions d’apres moulages) :� 2 australopitheques graciles feminins Lucy (Australopithecus
afarensis ou AL 288-1) et Sts14 (Australopithecus africanus) :pour Lucy (Fig. 1), il s’agissait d’un hemi-bassin gauche adulteprobablement feminin (sacrum et os coxal gauche) dated’environ 3,2 millions d’annees reconstitue d’apres moulage.Pour Sts 14, il s’agissait d’un bassin partiellement completadulte probablement feminin date de 2,5 millions d’anneesenviron reconstitue d’apres moulage,� 1 australopitheque masculin Stw 431 : il s’agissait d’un
individu probablement masculin datant d’environ 2,5 millionsd’annee dont seul le sacrum etait disponible,� 1 australopitheque Mh2 [7] : il s’agissait d’un individu
probablement feminin. Le bassin n’etant pas disponible, nousavons utilise les mensurations decrites dans la litterature ;
� 133 bassins adultes modernes (bassins complets originaux) :� 82 feminins,� 51 masculins ;� 67 bassins de singes catarhiniens (bassins complets originaux) :� 16 gorilles males et 20 femelles,� 14 chimpanzes males et 12 femelles,� orangs-outans males et 3 femelles.
Le diagnostic de sexe a ete determine selon les recommanda-tions de la societe d’anthropologie [8] (Fig. 2) et a ete confronteaux registres des collections (musee de l’Homme, Museumnational d’histoire naturelle, institut de paleontologie humaine,Paris). En resume, le bassin feminin presente, une crete iliaque enforme de S (moins convexe que chez l’homme), l’angle de lagrande echancrure sciatique est large et obtus en forme de U avecun foramen obture triangulaire alors que chez l’homme, cet angleest davantage aigu en forme de V avec un foramen obturearrondi.
Tous ces bassins ont ete reconstitues. L’hemi-bassin de Lucy aete reconstitue en miroir par symetrisation. Toutes nos mesuresont ete comparees a celles de la litterature.
Le sacrum de Stw431 et les biometries publiees du bassinMh2 ont ete utilises seulement afin de discuter de l’especeAustralopitheque.
Les bassins ont fait l’objet de 16 mesures pelvimetriques (al’aide de pied a coulisse pour les distances, diametres et rayons etd’un goniometre pour les angulations), realisees a deux reprises etpar deux operateurs differents (Fig. 3 et Tableaux 1 et 2). Les index(rapport des diametres antero-posterieurs [AP] et des diametrestransverses [TRV]) des trois detroits obstetricaux ont ete calcules etcompares au sein de chaque espece (male versus femelle) et entreles differentes especes (Tableau 1). En se basant sur l’approxima-tion rapportee par Tague et Lovejoy [5] selon laquelle la forme dechaque detroit est globalement elliptique, les aires de chaquedetroit ont ete determinees selon la formule suivante : p � (AP/2) � (TRV/2).
Fig. 2. Differences entre les bassins feminin et masculin. A et C. Homme. B et D.
Femme.
Fig. 3. Diametres du bassin maternel.
Tableau 2Valeurs moyennes des differentes mesures pelvimetriques chez les australopithe-
ques et les homo sapiens.
Variables Australopitheque Homosapiens
F F M
Moyenne Moyenne Moyenne
AP1 7,91 11,13 10,57
TRV1 12,38 12,54 12,02
Index1 64,74 89,18 88,23
Aire1 7652,28 10976,19 9985,13
Diam sagittal post 1,88 3,22 2,90
Index sagittal transv 15,38 25,79 24,03
Index sagittal 23,82 28,97 27,16
Oblique droit 12,80 12,47
Oblique gauche 9,30 12,79 12,48
AP2 7,83 12,35 11,97
TRV2 10,13 10,23 9,80
Index2 74,60 121,30 122,88
Aire2 5944,28 9885,02 9224,93
AP3 7,73 11,30 10,66
TRV3 9,68 12,20 11,80
Index3 76,39 93,22 90,72
Aire3 5641,93 10836,21 9914,59
Funneling pelvien 78,64 97,70 98,23
Hauteur symphyse 2,50 3,45 3,49
Angle sous-pubien 81,86 83,44 73,45
Largeur sacrum 8,29 11,32 11,41
Corde sacree 7,31 10,80 10,78
Fleche sacree 1,35 1,72 1,29
Hauteur bassin 15,32 19,71 20,90
Largeur bassin 25,75 25,78 25,76
Index bassin 1,74 1,31 1,25
F : femelle ; M : male ; AP1 : diametre antero-posterieur du detroit superieur ;
TRV1 : diametre transverse du detroit superieur ; AP2 et TRV2 : detroit moyen ;
AP3 et TRV3 : detroit inferieur ; index1 : rapport AP1/TRV1 ; aire : p � (AP/
2) � (TRV/2) ; funneling : TRV3/TRV1 ; diam : diametre ; post : posterieur ; transv :
transverse.
G. Chene et al. / Gynecologie Obstetrique & Fertilite 41 (2013) 478–484480
Enfin, l’index du funneling pelvien a ete calcule comme etant lerapport entre le diametre TRV du detroit inferieur par rapport audiametre TRV du detroit superieur (TRV3/TRV1).
L’objectif de cette etude etant de discuter de mecaniqueobstetricale entre australopitheques, singes et hommes modernes,nous avons tente de repondre a plusieurs questions essentielles :
� la reproductibilite : la correlation intra- et inter-observateur est-elle satisfaisante ? La variation des mesures des bassins desaustralopitheques de cette etude par rapport aux biometriespubliees dans la litterature est-elle faible, et la reconstitution deces bassins est-elle pertinente et valide ?� quelle est la relation entre australopitheques, singes et hommes
modernes et comment interpreter les differences de biometrieset de formes de ces differents bassins ?
Tableau 1Definition des mesures pelvimetriques realisees.
Detroits Mesures Definition
Superieur A Antero-posterieur (AP1) Diametre pr
C-D Transverse (TRV1) Diametre tra
diametre tra
Eg-Ed Oblique De l’articula
Moyen B Antero-posterieur (AP2) Diametre en
F Transverse (TRV2) Diametre bi
Inferieur Antero-posterieur (AP3) Diametre so
et le bord in
G Transverse (TRV3) Diametre bi
Sacrum Largeur Entre les de
S Corde sacree Du promont
H Fleche sacree Entre la cord
Symphyse Hauteur Du bord sup
k Angle sous-pubien Entre les tan
Bassin Hauteur Hauteur tota
Largeur Largeur tota
3. Analyse statistique
Les variations de mesure des differents investigateurs ont eteanalysees par comparaison de la moyenne des differences demesures par rapport a 0 par un test de Student. Le coefficient decorrelation intra-classe R et de son intervalle de confiance a 95 % aete calcule pour apprecier la concordance intra-observateur etinter-observateur. Afin de neutraliser les differences de taille dansla comparaison des bassins des differentes especes, une analysefactorielle apres double transformation avec analyse de la valeur
omonto-retro-pubien : promontoire au bord superieur de la symphyse
nsverse median a mi-distance entre promontoire et bord superieur du pubis et
nsverse maximum
tion sacro-iliaque a la branche ilio-pubienne du cote oppose
tre 4e et 5e vertebre sacree et bord inferieur du pubis
sciatique entre les deux epines sciatiques
us-sacro-sous-pubien entre la pointe inferieure de la derniere piece sacree
ferieur du pubis
ischiatique entre les deux tuberosites ischiatiques
ux articulations sacro-iliaques
oire au bord inferieur du sacrum
e sacree et le sacrum perpendiculairement
erieur au bord inferieur de la symphyse
gentes au bord interne des branches ischiopubiennes
le
le
Fig. 4. Les biometries entre les differents individus australopitheques apparaissent
proches.
G. Chene et al. / Gynecologie Obstetrique & Fertilite 41 (2013) 478–484 481
discriminante (d’apres les travaux de Berge et Kazmierczak [9]) aete realisee et a concerne les variables representant des distances(les variables calculees ont donc ete exclues de ce modele). Le seuilde signification a ete fixe inferieur a 0,05. L’ensemble des analyses aete realise avec SAS V9 (SAS Institute, Cary, Etats-Unis).
4. Resultats
4.1. Reproductibilite des biometries des bassins des deux
australopitheques exploitables Lucy et Sts14
Nous avons compare nos mesures avec les biometries de quatrepublications concernant le bassin de Lucy [5,10–12]. Tague etLovejoy [5] etant les premiers a avoir etudie ce bassin d’un point devue obstetrical, nous avons arbitrairement considere leurs mesurescomme etant la reference. Huit mesures communes (AP1, AP2,AP3, TRV1, TRV2, TRV3, angle sous-pubien et corde sacree) auxdifferents auteurs ont ete comparees.
Seule la mesure du diametre transverse TRV1 etait en moyenneinferieur de 3,6 % (p = 0,023) pour l’ensemble des investigateurspar rapport a la publication de reference. Les variations des autresmesures (entre �5 et +6 %) n’etaient pas significatives.
De facon similaire, nous avons compare les biometries deSts14 et celles de trois publications [11,13,14]. Nous avonsarbitrairement considere l’etude de Hausler et Schmid [11] commel’etude de reference. Six mesures communes (AP1, AP2, TRV1,TRV2, TRV3, hauteur du bassin) aux differents auteurs ont etecomparees.
On ne retrouvait pas de difference significative dans lavariabilite des mesures (de 1,6 % a 5,5 %).
D’autre part, les dimensions des differents bassins australo-pitheques (Lucy, Sts 14, Stw 431 et Mh2) sont apparues proches lesunes des autres. Le coefficient de variation (100 � ecart-type/moyenne) a permis de rapprocher la variabilite des dimensions decette espece avec celle des autres especes. La Fig. 4 montre que les
Tableau 3Valeurs moyennes des differentes mesures pelvimetriques chez les singes (chimpanze
Variables Chimpanze Go
F M F
Moyenne Moyenne Mo
AP1 14,35 13,99
TRV1 8,55 9,95
Index1 173,61 140,46
Aire1 9683,05 11013,50 18
Diam sagittal post 6,81 6,38
Index sagittal transv 82,64 64,52
Index sagittal 47,65 46,00
Oblique droit 12,31 11,93
Oblique gauche 12,30 12,19
AP2 14,16 12,98
TRV2 7,83 8,18
Index2 184,28 159,72
Aire2 8739,71 8334,01 13
AP3 13,11 12,14
TRV3 12,33 13,27
Index3 105,74 92,44
Aire3 12996,34 12534,03 16
Funneling pelvien 146,26 134,26
Hauteur symphyse 4,79 4,44
Angle sous-pubien 103,01 87,79
Largeur sacrum 6,76 6,65
Corde sacree 10,22 9,86
Fleche sacree 0,82 0,71
Hauteur bassin 25,56 25,05
Largeur bassin 23,99 25,06
Index bassin 0,94 1,02
F : femelle ; M : male ; AP1 : diametre antero-posterieur du detroit superieur ; TRV1 : dia
detroit inferieur ; index1 : rapport AP1/TRV1 ; aire : p � (AP/2) � (TRV/2) ; funneling :
australopitheques (point rouge) avaient le plus souvent uncoefficient de variation faible. Il n’y avait donc pas plus devariations de mesures entre les individus australopitheques quecelles des autres especes.
4.2. Comparaison des australopitheques avec les autres especes
Les moyennes de chaque dimension pour chaque espece(australopitheques, hommes modernes, femmes modernes, gor-illes males et femelles, chimpanzes males et femelles, orang-outans males et femelles) sont detailles dans les Tableaux 2 et 3.
Le bassin des australopitheques etait caracterise par un indexsagittal et un index du detroit superieur faibles, caracteristiques dubassin de type platypelloıde.
s, gorilles, orangs-outans).
rille Orang-outan
M F M
yenne Moyenne Moyenne Moyenne
18,12 19,89 13,84 14,33
12,88 14,21 9,82 10,26
141,48 140,43 142,36 142,41
419,75 22283,95 10608,20 11614,73
7,09 7,49 6,52 6,36
55,55 53,03 66,80 63,48
39,23 37,83 47,56 44,44
15,64 17,04 12,25 12,89
15,71 17,44 12,09 12,53
16,33 17,89 12,33 14,03
10,68 10,97 6,74 8,34
154,03 162,14 178,91 174,63
600,49 15530,56 6395,07 9228,26
14,19 16,17 10,84 12,48
15,45 15,74 8,43 12,86
92,11 105,63 130,71 97,05
877,18 19878,54 7307,30 12591,79
122,02 112,29 85,20 128,65
4,98 7,00 3,78 4,74
91,92 82,58 87,13 90,33
8,65 9,51 7,14 8,09
14,38 16,06 10,50 10,44
1,45 1,19 0,75 1,24
30,54 35,28 21,56 26,36
34,40 38,82 22,89 27,83
1,14 1,10 1,06 1,02
metre transverse du detroit superieur ; AP2 et TRV2 : detroit moyen ; AP3 et TRV3 :
TRV3/TRV1.
Fig. 5. Representation des axes 1 et 2 de l’analyse discriminante. Remarquez que les
bassins des australopitheques (points rouges) sont certes differents mais plus
proches des bassins des hommes modernes que des grands singes.
G. Chene et al. / Gynecologie Obstetrique & Fertilite 41 (2013) 478–484482
Les index des trois detroits des australopitheques etaient les plusfaibles et toujours inferieurs a 100 (diametres AP plus faibles que lesdiametres TRV). Inversement, les detroits des hommes et femmesmodernes n’etaient pas identiques les uns par rapport aux autres :les index des detroits superieurs et inferieurs etaient inferieurs a100 alors que celui du detroit moyen etait superieur a 100. Chez lessinges, les index des trois detroits etaient superieurs a 100 al’exception des chimpanzes males, gorilles femelles et orang-outansmales chez lesquelles le detroit inferieur etait inferieur a 100.
L’angle sous-pubien des australopitheques etait le plus ferme(81,66 � 6,67) de toutes les especes femelles examinees.
Les aires des trois detroits des australopitheques etaient les plusfaibles par rapport aux autres especes (aussi bien males quefemelles) et decroissaient progressivement (de 7652,28 mm2 �330,35 a 5641,93 mm2 � 743,30). Le funneling pelvien etait egale-ment le plus faible chez les australopitheques (78,64 � 13,60).
Le sacrum des australopitheques apparaissait plus large(8,29 cm � 0,85) et la fleche sacree plus grande (1,35 cm � 0,14)que chez les chimpanzes ou les orangs-outans.
Une analyse de la valeur discriminante (sans relation avec lataille des individus) des differents index calcules sur le bassin et del’angle sous-pubien a permis de visualiser le positionnement desdifferences especes les unes par rapport aux autres : La projectionstatistique a pu expliquer 90 % de la variance et a situe lesaustralopitheques proches des hominides modernes et pluseloignes des singes (Fig. 5).
Le bassin feminin moderne etait majoritairement gynecoıde enforme de segment de tore contrairement aux bassins des grandssinges de forme cylindrique (a grand axe AP). La correlation inter etintra-observateur est apparue satisfaisante (0,95 a 0,97).
5. Discussion
Discuter d’anatomie sur des bassins composes de troissegments (geometrie dans l’espace) et necessitant d’etre recon-stitues n’est pas chose aisee. Encore plus quand il s’agit de bassinsanciens le plus souvent incomplets et ayant subi les outrages dutemps (distorsion et compression osseuse post-mortem). C’estpourquoi la premiere question que nous nous sommes pose est lareproductibilite de nos mesures et la comparaison avec lesbiometries deja publiees. Il semble que meme si les variationsexistent necessairement entre les differents investigateurs, ellesdemeurent acceptables et n’entachent que faiblement l’interpreta-tion que l’on peut en faire.
Un autre point methodologique critiquable est la mesuremanuelle des distances et des angulations d’un modele inter-agissant dans les trois plans de l’espace [1]. D’autres auteurs ontpropose une digitalisation laser de points d’interet et d’unetransformation numerique (analyse procusteenne) des bassins [6].Cependant, il y avait initialement une determination manuelle deces points d’interet, source d’erreurs et d’approximation egale-ment. D’autres encore ont propose une reconstruction virtuelle 3Dpar tomodensitometrie [14], qui la aussi est source d’approxima-tion quand le bassin est incomplet (hemi-bassin de Lucy) oupartiellement complet (bassin de Sts 14).
Si l’on accepte les incertitudes propres a ce type d’etude, uneautre question s’est posee de savoir comment comparer entre-ellesdes especes de taille differente. L’une des solutions a ete de calculerdes rapports et des index. Une autre a ete de calculer la valeurdiscriminante par analyse statistique factorielle.
La derniere limite de ce travail est la representativite desbassins de Lucy et Sts 14 pour determiner la mecaniqueobstetricale de l’espece australopitheque. Il faut probablementconvenir que nos resultats et interpretations ne peuvent pas etregeneralises a l’ensemble des australopitheques. Pour autant, lesdimensions des bassins de ces australopitheques sont assezproches les unes des autres et il ne semble pas faux de decrireune mecanique obstetricale probablement difficile du fait debassins platypelloıdes dans cette espece.
Les bassins de Lucy et Sts14 sont caracterises par un ilion courtavec une diminution des diametres sagittaux au niveau desdetroits obstetricaux, des ailes iliaques evasees frontalement, unsacrum relativement large (par rapport a la taille des individus), unpromontoire saillant (comme en temoigne la taille de la flechesacree), une symphyse pubienne tres courte (2,5 � 0,08) [5].Chaque detroit obstetrical a un aspect platypelloıde marque(TRV > AP).
L’accouchement, des les australopitheques, etait tres certaine-ment ante-ischiatique comme celui de l’homme moderne, avecquelques differences notables liees a leur bassin platypelloıde :l’engagement, la descente et le degagement se faisaient probable-ment en variete TRV (Fig. 6) [5,15].
Pourtant, pour d’autres auteurs, l’engagement etait en obliqueou en variete TRV, puis il s’ensuivait une descente dansl’excavation, flexion de la tete et rotation intrapelvienne (moinsaccentue que dans l’espece humaine) offrant ainsi une orientationsagittale au niveau du detroit inferieur [6,11,14]. Ces auteursretiennent comme arguments principaux une trajectoire dumobile fœtal vers le bas et vers l’avant (lie a l’incurvation dusacrum), un angle sous-pubien ouvert, une symphyse courte maisaussi (et surtout) les directions des forces s’exercant sur la tetefœtale [6,11,14]. Mecaniquement parlant, cette hypothese s’appuiesur la theorie dite de l’appui pelvien : la saillie du promontoire peutconditionner un engagement dans un diametre oblique ; sousl’effet des contractions uterines, la tete fœtale s’engage puiseffectue une rotation au cours de la descente dans l’excavation.Cependant, ce n’est pas la force de progression qui genere larotation. En effet, la rotation intrapelvienne est un mecanisme de laparturition humaine liee a deux elements distincts. Le premier estla flexion cephalique fœtale et le deuxieme est la contrainte dubassin osseux qui presente des retrecissements successifs : d’AP audetroit superieur, il devient transversal au niveau des detroitsmoyen et inferieur obligeant a une rotation de 458C pour lesvarietes de presentation anterieure et de 1358 pour les varietes depresentation posterieure. Cette mecanique est parfois modifiee parl’anatomie meme du bassin humain feminin moderne. En effet,dans les bassins platypelloıdes, l’engagement peut se faire envariete TRV.
Le fait que les diametres AP des australopitheques diminuentgraduellement du detroit superieur au detroit inferieur laisse
Fig. 6. Mecanique obstetricale chez le chimpanze, l’australopitheque et l’homme moderne.
D’apres une figure modifiee de Tague et Lovejoy [5].
Fig. 7. Axes d’accouchement. Remarquez la direction rectiligne posterieure chez les
grands singes.
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imaginer que l’accouchement etait certainement dystocique etqu’il etait peu probable que l’engagement soit en oblique et qu’unerotation intrapelvienne se fasse (pas d’avantage mecaniquementparlant) [15]. Comme les diametres TRV des differents detroits sonttoujours superieurs aux diametres AP, les contraintes exercees parles parois pelviennes laterales devaient etre tres faibles [16]. Desmecanismes adaptatifs dynamiques devaient donc intervenir afind’optimiser la confrontation cephalopelvienne dans un bassin tresmodifie par la bipedie : l’asynclitisme, les modifications actives dubassin (nutation et contre-nutation), des positions d’accouche-ment particulieres (position debout ou accroupie) ou encore ladeformation plastique des os du crane et le chevauchement dessutures [15]. Meme s’il n’existe pas de crane fœtale d’australo-pitheque pour visualiser et tester le passage de la tete fœtale dansl’excavation pelvienne, la petite taille des australopitheques (Lucy :1 m 05 pour un poids estime entre 24 et 34 kg ; Sts14 : inferieur a1 m pour un poids estime entre 22 et 35 kg) serait en faveur d’unfœtus equivalent aux fœtus de chimpanzes, qui mathematique-ment et mecaniquement devait pouvoir franchir ces bassinsplatypelloides [11]. Enfin, le funneling pelvien etant inferieur a 100(TRV3 du detroit inferieur moins important que TRV1 du detroitsuperieur) et l’aire du detroit inferieur etant la plus faible, ceselements seraient en faveur d’une flexion cephalique par les paroispelviennes afin de diminuer les diametres de la tete fœtale [5].
Par opposition, le bassin des singes anthropoıdes adopte uneorientation cranio-caudale en « tension » (adaptation a la locomotionpar brachiation), alors que les bassins des hommes modernes et deshominides fossiles ont une orientation postero-anterieure en« pression » par raccourcissement de l’lion et pour s’adapter a labipedie. L’accouchement des grands singes apparaıt plus simple etbien souvent eutocique. Comme le diametre AP du detroit superieurest toujours superieur au diametre TRV, l’engagement est volontiersen variete occipito-posterieure. La descente est rectiligne dans unaxe posterieur, soumise a une resistance discontinue et decalee desparois du bassin (le sacrum puis la symphyse pubienne) ; il n’y a doncpas de rotation intrapelvienne obligatoire. Le degagement estfinalement retro-ischiatique sans deflexion de la tete fœtale chez les
grands singes. Comme il n’y a pas ou peu de resistance osseuse lorsde la descente, il n’y a ainsi pas de contrainte de presentation(grandes aires aux differents detroits par rapport a la taille du cranefœtal chez le chimpanze ou le gorille), contrairement aux petitssinges pour lesquels l’accouchement se fait plutot en presentationde la face (babouin, gibbon) ou en variete posterieure deflechie(Fig. 6 et 7) [4,10,17–19].
L’analyse obstetricale des bassins des australopitheques donneegalement des elements de reponses quant a l’acquisition de labipedie. L’elargissement du sacrum (par rapport aux chimpanzes etaux orangs-outans) est un argument biomecanique en faveur de labipedie (elargissement du bassin necessaire a la stabilisation et a lastation debout). De meme, l’analyse logarithmique factorielle desbiometries du bassin ne place pas les australopitheques entre leshommes modernes et les singes (theorie trop simpliste) maisrapproche les australopitheques des hommes modernes : lescaracteristiques des bassins de Lucy et Sts 14 sont finalement plusproches de celles des hommes modernes que des singes (Fig. 5).Certes, il y a des differences comme nous l’avons demontre. Unerecente etude concernant la morphologie scapulaire de Lucy ad’ailleurs mis en evidence une orientation superieure comme chezles singes (l’orientation est laterale chez les hommes modernes),
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suggerant que les australopitheques avaient conserve l’usage deleurs membres superieurs au-dessus de leurs tetes : Lucy pouvaitprobablement marcher mais aussi grimper (strategie de survie ?)[20].
6. Conclusion
Lucy et Sts14 pouvaient tres probablement accoucher par voiebasse malgre un bassin qualifie aujourd’hui de pathologique etdont la sanction obstetricale serait sans aucun doute unecesarienne. Contrairement a certains auteurs qui evoquent uneextinction de l’espece et un cul-de-sac evolutif lies a unaccouchement naturel impossible [11], nous pensons que celui-ci etait dystocique mais realisable grace aux mecanismesadaptatifs dynamiques d’optimisation de la confrontation cepha-lopelvienne.
Declaration d’interets
Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.
Remerciements
Nous tenons a remercier les responsables des collectionssuivantes : docteur Alain Froment, Monsieur Philippe Mennecieret Madame Veronique Laborde, Collections-Anthropologie duMuseum national d’histoire naturelle-Musee de l’Homme, Paris.Madame Christine Lefevre et Madame Aurelie Fort du laboratoired’anatomie comparee du Museum national d’histoire naturelle,Paris. Docteur Amelie Vialet et Madame Stephanie Renault, institutde paleontologie humaine, Fondation Albert Ier de Monaco, Paris.Les auteurs tiennent egalement a rendre hommage au professeurJean-Patrick Schaal et a remercier les professeurs Michele Uzan,Didier Riethmuller et le docteur Pascale Hoffmann, responsablesdu DIU de mecanique et techniques obstetricales, et les professeursJean-Francois Oury, Olivier Sibony et Dominique Luton, respon-sables des CD-roms de mecanique obstetricale, sources d’inspira-tion pour cette etude sur le bassin des australopitheques.
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