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0 La pensée économique française Jean-Louis Chambon Président fondateur du Cercle Turgot Jean-Jacques Pluchart Professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Avec des contributions originales de : Jean-Paul Betbèze, Pascal Blanqué, Christian de Boissieu, Michel Bon, Nicolas Bouzou, Mickaël Mangot, Jacques Mistral, Christian Saint-Étienne 30 e anniversaire du Prix Turgot du meilleur livre d’économie financière vUIBERT

La pensée économique française20pens%e9e%20%e9conomique%20fra… · LE LIVRE NOIR DU CAPITALISME Collectif, Éditions Le Temps des Cerises, 2002, 464 pages LES LEÇONS D’ENRON

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La pensée économique

française

Jean-Louis Chambon

Président fondateur du Cercle Turgot

Jean-Jacques Pluchart

Professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Avec des contributions originales de :

Jean-Paul Betbèze, Pascal Blanqué, Christian de Boissieu, Michel Bon, Nicolas Bouzou, Mickaël Mangot, Jacques Mistral, Christian Saint-Étienne

30e anniversaire du Prix Turgot du meilleur livre d’économie financière

vUIBERT

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SOMMAIRE

Avant-propos 1/ Économie de marché et capitalisme Introduction par Nicolas Bouzou 2/ Économie politique, économie publique Introduction par Christian de Boissieu 3/ Économie monétaire Introduction par Pascal Blanqué 4/ Économie bancaire, économie financière Introduction par Jean-Paul Betbèze

5/ Économie boursière Introduction par Mickaël Mangot 6/ Économie de l’innovation et de l’entreprise Introduction par Michel Bon 7/ Économie européenne Introduction par Christian Saint-Étienne

8/ Économie internationale Introduction par Jacques Mistral

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AVANT-PROPOS

Ces chroniques réunissent les synthèses commentées de 220 ouvrages d’économie, publiés par plus de 350 auteurs français au cours des trois dernières décennies. Elles portent sur des publications francophones, individuelles ou collectives, primées, nominées ou remarquées pour leur pertinence, leur originalité ou leur caractère visionnaire. Elles couvrent les ouvrages des auteurs les plus reconnus par leurs communautés intellectuelles et/ou connus du grand public. Elles révèlent également des auteurs encore méconnus qui jettent des regards originaux sur les grandes problématiques économiques actuelles.

L’ouvrage est organisé en huit chapitres couvrant les domaines-clés de l’économie contemporaine : économie de marché, économie politique, économie monétaire, économie bancaire, économie boursière, économie de l’innovation et de l’entreprise, économie européenne, économie internationale. Il retrace, dans chacun de ces domaines, l’évolution de la pensée des meilleurs acteurs et observateurs (entrepreneurs, managers, hauts fonctionnaires, universitaires, journalistes…) des événements économiques survenus dans le monde depuis la fin des années 1980. Il dresse ainsi une généalogie originale de la pensée économique contemporaine.

Ces chroniques ont été rédigées par le président fondateur du Cercle Turgot et un professeur des universités, animateur du club de présélection du prix Turgot, qui est attribué chaque année au meilleur livre d’économie financière. Les chapitres sont introduits par des experts du monde économique et financier : Jean-Paul Betbèze, Pascal Blanqué, Christian de Boissieu, Michel Bon, Nicolas Bouzou, Mickaël Mangot, Jacques Mistral, Christian Saint-Étienne. Chaque chronique comporte une synthèse de l’ouvrage, un commentaire et une brève biographie de l’auteur. Ces chroniques constituent donc un instrument à la fois précis, simple et pratique, au service de la culture économique des enseignants, des étudiants, des cadres d’entreprise, des administrations et des associations, mais aussi de tous les « hommes éclairés du XXIe siècle ». Les livres chroniqués représentent environ 5 % des publications économiques francophones (hors livres réédités, traductions, manuels universitaires et actes de recherche) parues depuis les années 1980, mais ils n’en sont pas moins représentatifs des courants de pensée qui ont traversé les milieux professionnels et intellectuels. Ils témoignent de la vitalité de la littérature économique en langue française, malgré la prétendue domination de la pensée anglo-saxonne. Les principaux thèmes traités dans les ouvrages chroniqués ont porté sur la confrontation des modèles de capitalisme et d’économie de marché mais aussi sur les mutations des modèles de gouvernance des États et des entreprises et, enfin, après le tournant du siècle, sur les crises qui ont frappé les économies occidentales.

Au cours des trois dernières décennies, les ouvrages d’économie francophones montrent une certaine « fuite en avant », qui reflète l’inquiétude de « l’homme du XXIe siècle » face aux dérèglements des grands systèmes et à l’impuissance des dirigeants à les réguler. Ces ouvrages ont été rédigés par des auteurs présentant des statuts de plus en plus variés (praticiens et experts publics et privés), relevant de champs de plus en plus larges (économie, droit, science politique, sociologie, psychologie, philosophie…) et convoquant, dans chacun de ces champs, des idéologies et des théories de plus en plus éclectiques. Ils ont été restitués sous des formes de plus en plus collectives et variées (analyses documentaires,

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récits historiques, articles scientifiques, rapports d’experts, témoignages d’acteurs, enquêtes, programmes, romans…).

Ce mémento illustre donc, au travers des 220 livres présentés, la grande richesse des débats d’idées qui ont animé les milieux professionnels et les communautés intellectuelles français au cours des 30 dernières années. Il constitue à la fois un instrument de culture économique et un vecteur d’échanges entre les différents acteurs de la société contemporaine.

Jean-Louis Chambon et Jean-Jacques Pluchart

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Chapitre 1 ÉCONOMIE DE MARCHÉ ET CAPITALISME L’un des thèmes les plus fertiles de la littérature économique des trois dernières décennies porte sur les formes de l’économie de marché, les dimensions du libéralisme, les systèmes de capitalisme et les modèles de société. Le capitalisme néolibéral et la société postmoderne ont été déclinés sous des formes alternativement industrielle, financière, managériale, entrepreneuriale, collaborative… Le capitalisme industriel – fordiste puis toyotiste – des Trente Glorieuses a laissé place au capitalisme financier des années 1980, au capitalisme entrepreneurial des années 1990, à l’écocapitalisme au tournant du siècle et au capitalisme collaboratif (ou « 3.0 ») depuis les années 2010. Les portées et les dérives des modèles néolibéral (anglo-saxon), social de marché (rhénan), social-démocrate (scandinave), socialiste de marché (chinois), administré (méditerranéen)… ont été comparées et analysées de plus en plus finement, en quête d’un nouveau modèle de « société à visage humain », d’une « troisième voie » socio-économique ou d’un « capitalisme idéal ». La thématique de l’économie de marché et du modèle capitaliste a été revisitée en adoptant des approches de plus en plus transversales, qui conjuguent histoire et droit, philosophie et sociologie, économie et nouvelles technologies… Les auteurs sont à la recherche des nouveaux paradigmes – ou des épistémè au sens de Michel Foucault – qui s’imposeront dans les futurs champs de la connaissance et qui érigeront les fondements économiques de la société de demain. Mais cette quête parfois désordonnée reflète aussi les inquiétudes partagées par les économistes sur l’efficience de leur discipline et sur leur aptitude à répondre aux attentes de la société du XXIe siècle. Nicolas Bouzou Économiste et chroniqueur

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Titres chroniqués CAPITALISME CONTRE CAPITALISME Michel Albert, Éditions du Seuil, 1991, 318 pages LE NOUVEL ESPRIT DU CAPITALISME Luc Boltanski et Ève Chiapello, Éditions Gallimard, 2011, 980 pages DÉRIVES DU CAPITALISME FINANCIER Michel Aglietta et Antoine Rebérioux, Éditions Albin Michel, 2014, 400 pages LE LIVRE NOIR DU CAPITALISME Collectif, Éditions Le Temps des Cerises, 2002, 464 pages LES LEÇONS D’ENRON – Capitalisme, la déchirure Marie-Anne Frison-Roche (coord.), Éditions Autrement, 2003, 180 pages LES CINQ CAPITALISMES – Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation Bruno Amable, Éditions du Seuil, 2005, 374 pages LE CAPITALISME EST-IL DURABLE ? Bernard Perret, Éditions Carnets Nord, 2008, 210 pages CONFLITS ET POUVOIRS DANS LES INSTITUTIONS DU CAPITALISME Frédéric Lordon (dir.), Éditions Sciences Po Les Presses, 2008, 344 pages L’ÉCONOMIE MORALE – Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle Laurence Fontaine, Éditions Gallimard, Collection « NRF Essais », 2008, 448 pages JOURS DE COLÈRE – L’esprit du capitalisme Pierre Dockès, Francis Fukuyama, Marc Guillaume et Peter Sloterdijk, Éditions Descartes et Cie, 2009, 159 pages LA GUERRE DES CAPITALISMES AURA LIEU Jean-Hervé Lorenzi (dir.), Le Cercle des économistes, Éditions Perrin, 2009, 257 pages LE CAPITALISME IDÉAL Nicolas Bouzou, Éditions Eyrolles, 2010, 115 pages LE DÉVELOPPEMENT DURABLE VA-T-IL TUER LE CAPITALISME ? Les réponses de l’écocapitalisme Patrick d’Humières, Éditions Maxima, 2010, 223 pages LA SOCIÉTÉ TRANSLUCIDE – Pour en finir avec le mythe de l’État bienveillant Augustin Landier et David Thesmar, Éditions Fayard, 2010, 285 pages (prix Turgot 2010) LE GRAND BASCULEMENT – La question sociale à l’échelle mondiale Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray, Éditions Odile Jacob, 2011, 299 pages (prix spécial Turgot 2011) LE CAPITALISME À L’AGONIE Paul Jorion, Éditions Fayard, 2011, 360 pages CAPITALISME ET COHÉSION SOCIALE Mario Amendola et Jean-Luc Gaffard, Éditions Economica, 2012, 194 pages L’ESTHÉTISATION DU MONDE – Vivre à l’âge du capitalisme artiste Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, Éditions Gallimard, 2013, 496 pages

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LE CAPITALISME AU XXIe SIÈCLE Thomas Piketty, Éditions du Seuil, 2013, 970 pages ANTI-PIKETTY – Vive le capital au XXIe SIÈCLE ! Jean-Philippe Delsol, Nicolas Lecaussin et Emmanuel Martin (coord.), Éditions Libréchange, 2015, 380 pages LE MARCHÉ – Histoire et usages d’une conquête sociale Laurence Fontaine, Éditions Gallimard, Collection « NRF Essais », 2014, 464 pages CAPITALISME FINANCE DÉMOCRATIE – Le nouveau malaise Vivien Levy-Garboua et Gérard Maarek, Éditions Economica, 2014, 224 pages LA CASTE CANNIBALE – Quand le capitalisme devient fou Sophie Coignard et Romain Gubert, Éditions Albin Michel, 2014, 327 pages HISTOIRE DU SIÈCLE à VENIR – Où va le monde selon les cycles des civilisations ? Philippe Fabry, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2015, 278 pages LES LIMITES DU MARCHÉ – L’oscillation entre les autorités et le capitalisme Paul de Grauwe, Éditions de Boeck, 2015, 200 pages LES MILLE PEAUX DU CAPITALISME Olivier Dard, Claude Didry, Florent Le Bor et Cédric Perrin (coord.), Éditions L’Harmattan, 2015, 270 pages (2 vol.) LE CLIMAT VA-T-IL CHANGER LE CAPITALISME ? La grande mutation du XXIe siècle Jacques Mistral (dir.), Éditions Eyrolles, 2015, 270 pages BIENVENUE DANS LE CAPITALISME 3.0 Philippe Escande et Sandrine Cassini, Éditions Albin Michel, 2015, 256 pages LE CAPITAL – I. L’invention du capitalisme Michel Leter, Éditions Les Belles Lettres, 2015, 416 pages (tome I) DE QUOI LE CAPITALISME EST-IL LE NOM ? Métamorphoses du capitalisme Jean-Jacques Pluchart, Éditions Maxima, 2016, 268 pages

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CAPITALISME CONTRE CAPITALISME

Michel Albert Éditions du Seuil, 1991, 318 pages

Michel Albert est le premier économiste à constater l’existence d’une « bipolarisation entre

deux types de capitalisme d’importance comparable » : le capitalisme anglo-saxon et le

capitalisme germano-nippon (ou « rhénan »). Le premier privilégie le marché, la concurrence,

l’ouverture internationale, la consommation et l’endettement. Le second – également qualifié

« d’organique » – recherche la croissance à long terme, la cohésion sociale, la cohérence entre

industrie et finance, le partenariat entre l’État, les entreprises et les banques.

L’auteur soulève trois principales questions : ces constructions sont-elles plutôt des modèles

théoriques ou des héritages historiques ? S’appuyant sur l’exemple de l’économie japonaise,

l’auteur constate qu’elle se reconstruit en s’alignant sur le modèle anglo-saxon. Les deux

modèles reposent-ils sur des facteurs internes ou externes ? Michel Albert estime que chacun

d’eux est l’expression du génie national, mais qu’il a tendance à se diluer dans le capitalisme

international. Sur quel modèle le capitalisme français doit-il s’aligner ? L’auteur soutient que

les Français ont intérêt à plutôt s’orienter vers le modèle rhénan dans le cadre de l’Union

européenne. Le livre de Michel Albert a connu un succès international et a inspiré de nombreux travaux sur les figures géographiques du capitalisme. Les questions qu’il soulève demeurent, après un quart de siècle, toujours d’actualité. Michel Albert (inspecteur des finances) a été commissaire général du Plan français et président des Assurances générales de France. Mots-clés : capitalisme anglo-saxon, capitalisme rhénan, capitalisme international.

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LE NOUVEL ESPRIT DU CAPITALISME

Luc Boltanski et Ève Chiapello Éditions Gallimard, 2011, 980 pages

Les auteurs observent que le capitalisme suscite deux types de critiques : la critique

« sociale », qui s’inscrit dans la lutte contre les inégalités provoquées par la poursuite

des intérêts particuliers ; la critique « artiste », qui dénonce l’« inauthenticité » de la

société marchande et la limitation des capacités créatives de l’ individu. Afin de faire

face aux critiques à l’encontre d’un « capitalisme monopolistique et bureaucratique »,

les consultants et les dirigeants d’entreprise ont récupéré les thèmes de la critique

« artiste », et promu le « réseau » et le lean management comme nouveaux modèles

emblématiques du capitalisme. Le cadre est devenu un coach, les salariés travaillent

dans des « organisations flexibles » où « l’intuition créatrice est libérée dans la

réalisation de projets ». Le salarié se doit d’être mobile, flexible, disponible, convivial,

charismatique… En fait, l’externalisation des contrats de travail, la réduction des coûts

(y compris sociaux) et la multiplication des contraintes induites par la flexibilité

entraînent une exploitation des « immobiles » (ouvriers, bassins d’emploi, nations) par

les « mobiles » (marchés financiers, firmes multinationales, consommateurs…). La

pensée de Boltanski et de Chiapello s’inspire de la sociologie compréhensive germano -

américaine (Max Weber, Georg Simmel…) et de la socio-économie de l’innovation

(Michel Callon, Bruno Latour, Laurent Thévenot…).

Boltanski et Chiapello construisent une « sociologie morale » de l’action, en observant les valeurs mobilisées par les acteurs socio-économiques au cours de conflits. Dans Le Nouvel Esprit du capitalisme, ils montrent que ce sont les valeurs dominantes du capitalisme des années 1960 à 1980 qui lui ont permis d’affirmer sa légitimité auprès de la société, mais que l’évolution des mentalités impose une adaptation des formes dominantes du capitalisme. Luc Boltanski et Ève Chiapello sont respectivement sociologue (directeur de recherche à l’EHESS) et chercheure à HEC. Mots-clés : capitalisme managérial, critique sociale, critique artiste.

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DÉRIVES DU CAPITALISME FINANCIER Michel Aglietta et Antoine Rebérioux Éditions Albin Michel, 2014, 400 pages L’ouvrage soulève un triple questionnement : quelles sont les conséquences – en matière de

stabilité et de cyclicité – de l’accroissement de la liquidité des marchés des capitaux ? Quelles

sont les transformations qu’il provoque sur la gouvernance des entreprises ? De quelle

manière cette gouvernance influe-t-elle sur la dynamique du régime de croissance ? Les

auteurs soutiennent que les crises à répétition (Enron, Worldcom, Qwest…) du capitalisme

financier ne sont pas des incidents isolés, mais des dérives structurelles engendrées par les

contradictions internes du système. Elles résultent d’un alignement du rendement d’équilibre

des marchés sur le rendement marginal. Le postulat de la gouvernance – qualifiée de « non

démocratique » – des entreprises par les actionnaires entraîne la mise en œuvre de stratégies à

court terme et une instabilité des marchés, qui contribuent à démultiplier les risques. Il

provoque un accroissement des inégalités économiques et sociales, et donc, des situations non

viables dans la durée, qui condamnent à terme le capitalisme financier. Les auteurs prônent

une avancée de la démocratie participative : l’épargne doit être resocialisée ; l’activité

productive doit être gérée par un mode coopératif ; l’entreprise doit être dirigée comme une

institution, par l’ensemble de ses parties prenantes. La sphère financière doit être alignée sur

la sphère réelle de l’économie.

Michel Aglietta et Antoine Rebérioux analysent les modes de régulation du capitalisme financier, ce qui les conduit à s’interroger sur la nature de l’entreprise et sur son mode de gouvernance. Ils sont parmi les premiers à dénoncer un contrôle des grandes entreprises par les marchés boursiers. Michel Aglietta et Antoine Rebérioux sont professeurs à l’université de Nanterre. Michel Aglietta est l’un des économistes français les plus reconnus. Mots-clés : capitalisme financier, gouvernance actionnariale, gouvernance partenariale.

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LE LIVRE NOIR DU CAPITALISME Serge Halimi Éditions Le Temps des Cerises, 2002, 464 pages Dans son terrible réquisitoire, l’auteur condamne le système capitaliste néolibéral qui régit

désormais le monde après la chute du communisme. Il dénonce tout à la fois le dérèglement

des marchés, la montée des inégalités sociales, la faillite des idéologies… Il attribue cette

situation à une forme de complot noué entre les penseurs libéraux de l’école autrichienne et de

l’école de Chicago, dominées par les personnalités de Friedrich von Hayek et de Milton

Friedman, auxquelles l’auteur associe le Français Maurice Allais au sein de la société du

Mont-Pèlerin (qui réunissait huit prix Nobel de sensibilité libérale). Faisant écho au Livre noir

du communisme, Serge Halimi dénonce notamment « la trahison de la gauche américaine »,

qui aurait été pervertie par l’exercice du pouvoir. Il déplore « l’installation, à Washington,

pendant près de vingt ans (1932-1952), d’une coalition informelle et carriériste entre parti

démocrate, chefs syndicaux, universitaires et technocrates ». Il critique la gauche radicale

américaine, dont les excès ont poussé les travailleurs les plus modestes dans les rangs de la

droite néoconservatrice. L’auteur plaide en faveur d’une refondation du capitalisme sur des

bases plus solidaires et plus responsables, préfigurant ainsi les réflexions suscitées par le

développement de l’économie collaborative.

L’ouvrage est abondamment documenté et illustré de « formules chocs » qui en rendent la lecture – sinon convaincante – du moins suffisamment dérangeante pour susciter des questionnements sur la « fin de l’histoire » et l’avenir du système économique mondial. Violemment critiqué, le livre dénonce le réformisme socialiste et prône une forme de « libéralisme bolchevik » sans toutefois en préciser la nature ni les conditions de son avènement. Serge Halimi a été journaliste au Monde diplomatique. Mots-clés : libéralisme, capitalisme néolibéral, communisme.

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LES LEÇONS D’ENRON Capitalisme, la déchirure Marie-Anne Frison-Roche (coord.) Éditions Autrement, 2003, 180 pages L’ouvrage montre que les conséquences de la chute d’Enron dépassent les limites d’une

faillite ordinaire, car le leader mondial du trading énergétique « était devenu l’icône d’un

système fondé sur la poursuite permanente de la croissance, l’optimisation de la rentabilité du

capital et l’utilisation des instruments financiers les plus sophistiqués comme avantage

stratégique… ». « La faillite d’Enron met en lumière certains excès propres au capitalisme

américain des années 1990 », selon une formule de Claude Bébéar. La faillite frauduleuse

d’Enron a en effet entraîné le démantèlement du premier réseau mondial d’audit comptable

Arthur Andersen et l’accumulation de lourdes pertes financières et d’image par plusieurs

grandes banques d’affaires. Elle a jeté un discrédit sur les pratiques managériales fondées sur

la création de valeur « actionnariale », la comptabilité créative, le management paradoxal,

l’ingénierie financière et juridique, la communication d’influence (lobbying)… Elle a

contribué à accélérer les réformes des normes comptables internationales, des systèmes de

surveillance des marchés financiers et des structures de gouvernement d’entreprise, tout en

relançant les réflexions sur la notion d’entreprise socialement responsable.

L’ouvrage dresse un bilan sans concession de la faillite d’Enron et du démantèlement d’Arthur Andersen. Il analyse les multiples effets du syndrome de l’« enronite ». Il dénonce non seulement les excès du capitalisme néolibéral, mais également les lacunes du système anglo-saxon de régulation financière. Il critique les modèles d’enseignement du management appliqués au sein des grandes universités américaines. Marie-Anne Frison-Roche est professeur à Sciences Po. Ses travaux portent principalement sur la régulation ainsi que sur la justice et la théorie générale du droit. Mots-clés : capitalisme spéculatif, lobbying, trading.

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LES CINQ CAPITALISMES DIVERSITÉ DES SYSTÈMES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DANS LA MONDIALISATION Bruno Amable Éditions du Seuil, 2005, 374 pages L’ouvrage permet de décrypter les différents systèmes de capitalisme qui s’affrontent sur les

cinq continents. L’espace dans lequel évoluent les États, les entreprises et les ménages est

structuré en systèmes socio-économiques définis comme des ensembles de règles, de normes

et de pratiques appliquées dans le champ économique et/ou social. Quatre systèmes sont

déclinés : d’innovation et de production, concurrentiel, monétaire et financier, socio-éducatif.

Les modèles de capitalisme recouvrent des ensembles spécifiques de relations entre ces

systèmes socio-économiques : dans le modèle libéral de marché, les systèmes concurrentiel et

financier dominent les systèmes productif et socio-éducatif. L’auteur est ainsi conduit, par des

analyses documentaires et des enquêtes, à distinguer le modèle libéral de marché (anglo-

saxon), le modèle social de marché (scandinave), le modèle social-démocrate (rhénan), le

modèle administré (méditerranéen) et le modèle de l’économie socialiste de marché ou

commu-capitalisme (chinois). Ces modèles de capitalisme sont hérités de l’histoire de chaque

pays. Ils sont coconstruits par leurs différents acteurs socio-économiques (États, entreprises

industrielles et commerciales, établissements financiers, consommateurs). Bruno Amable est l’un des économistes les plus prometteurs de sa génération. La solide grille de lecture qu’il propose éclaire les diverses approches du capitalisme, ses atouts et ses handicaps. Elle a été reprise par de nombreux hommes politiques et experts économiques. Bruno Amable est professeur d’économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, après avoir été professeur à l’université de Nanterre. Mots-clés : capitalisme social de marché, capitalisme social-démocrate, capitalisme administré, commu-capitalisme.

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LE CAPITALISME EST-IL DURABLE ? Bernard Perret Éditions Carnets Nord, 2008, 210 pages S’inspirant du fameux « plan B » de Lester Brown (pionnier des recherches sur le

développement durable), l’auteur prône le développement d’une nouvelle « éco-économie »

ou « économie symbiotique » qui – à la différence de l’économie industrielle – cherche à

imiter les mécanismes de performance de la nature. Grâce à leurs systèmes biologiques

complexes, les espèces animales et végétales vivent ensemble en symbiose avec leur milieu

naturel. Elles consomment des ressources renouvelables et contribuent à leur renouvellement.

Elles contribuent également à assurer la biodiversité nécessaire au développement durable. Ce

mode de fonctionnement de la société repose notamment sur l’innovation dans les domaines

de l’écoconception – visant à faciliter la maintenance et le recyclage des composants des

produits –, sur l’« économie circulaire » (ou écologie industrielle) – basée sur la recherche de

synergies entre producteurs et utilisateurs d’effluents – et sur l’« économie de fonctionnalité »

– destinée à réduire les coûts sur l’ensemble du cycle de vie des équipements. L’avènement de

l’économie symbiotique implique toutefois le recours transitoire à une forme autoritaire

d’« économie de guerre » fortement régulée. Bernard Perret relance l’idée ancienne (avancée notamment par Jean-Jacques Rousseau) d’une économie en symbiose avec la nature. Il décline toutefois une version radicale du développement durable, dont la mise en œuvre rencontre des obstacles à la fois technologiques et économiques. Bernard Perret est ingénieur (polytechnicien, ENSAE) et enseignant-chercheur spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques, des indicateurs sociaux et du développement

durable. Mots-clés : capitalisme social, innovation, écologie industrielle.

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CONFLITS ET POUVOIRS DANS LES INSTITUTIONS DU CAPITALISME

Frédéric Lordon (dir.) Éditions Sciences Po Les Presses, 2008, 344 pages L’ouvrage collectif coordonné par Frédéric Lordon vise à fonder une « mésoéconomie

politique », intermédiaire entre la microéconomie (centrée sur les comportements individuels)

et la macroéconomie (appliquée aux dynamiques d’ensemble). Les auteurs ne représentent

plus le capitalisme comme la simple abstraction d’une économie de marché, mais comme une

construction institutionnelle, dont les dimensions historique, philosophique, sociologique,

juridique… doivent être conjointement analysées. Ils privilégient les approches des rapports

de pouvoir et des conflits qui sous-tendent les relations entre les acteurs sociaux du

capitalisme. Ils présentent leur recherche comme une entreprise de reconquête d’un terrain

négligé par l’ancienne science morale et politique. Il revient à l’homme postmoderne de

construire une nouvelle épistémê du capitalisme, incluant les apports d’autres sciences

(philosophie, sociologie, histoire, psychologie, psychanalyse…). Suivant une démarche

empruntée à Michel Foucault, ils montrent que l’Homo economicus est en fait un Homo

conatus, animé notamment d’un désir de puissance, en déclinant cette logique sous trois

angles, respectivement institutionnel (la monnaie, l’entreprise…), géographique (les

capitalismes américain, russe, argentin…) et disciplinaire (historique, philosophique…). L’ouvrage apporte une contribution originale à la compréhension de la vraie nature du capitalisme, qui comporte de multiples dimensions encore inexplorées. Frédéric Lordon est directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie

européenne (CSE). Mots-clés : capitalisme libéral, conflit social, mésoéconomie.

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L’ÉCONOMIE MORALE Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle Laurence Fontaine Éditions Gallimard, Collection « NRF Essais », 2008, 448 pages

Selon les philosophes pascaliens, la question de la moralité de l’économie n’existe pas ; c’est

un « désordre intellectuel ». C’est aux hommes – et à eux seuls – qu’il appartient de donner un

sens moral à des activités qui ne relèvent pas de cet ordre. Les dernières « turpitudes du

modèle capitaliste », et de quelques-uns de ses « capitaines », relancent d’autant plus la

problématique que la pensée économique s’ouvre aux apports d’autres sciences : sociologie,

psychiatrie, philosophie… Par la prise en compte de l’« aléa social », les frontières de

l’économie s’en trouvent repoussées. La publication de Laurence Fontaine vient donc

apporter un autre éclairage sur les externalités négatives de la croissance économique.

L’économie-monde est confrontée à des incertitudes majeures : l’occurrence de nouvelles

crises systémiques, le vieillissement de la population mondiale, l’accroissement des inégalités

entre les groupes sociaux et entre les peuples, la dégradation rapide de l’environnement… Ces

« grandes peurs » des sociétés modernes ne sont pas nouvelles : « l’étude comparée du passé

et du présent, dans leur distance respective, est source d’intelligence et de garde-fou contre

l’emportement des illusions ». Ces deux formes d’activités économiques (libérale et sociale),

ont déjà existé : en aidant les êtres à se « désengluer de la misère », elles se sont « parées des

atours d’une économie morale parce que solidaire ». Ainsi deux cultures se sont

historiquement rencontrées, respectivement féodale et capitaliste. Chacune est portée par des

valeurs spécifiques. Aujourd’hui elles s’affrontent, mais également s’influencent au point de

se transformer.

Laurence Fontaine se sert abondamment de l’anecdote et de l’exemple pour donner à sa narration une dimension pédagogique, ouvrant ainsi une alternative – notamment grâce au « don » et au « microcrédit » – à cette forme d’« ensauvagement » qu’est devenu le libéralisme économique. Laurence Fontaine est historienne, directrice de recherche au CNRS et à l’EHESS. Mots-clés : capitalisme moral, capitalisme social, économisme, crise.

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JOURS DE COLÈRE L’esprit du capitalisme Pierre Dockès, Francis Fukuyama, Marc Guillaume et Peter Sloterdijk Éditions Descartes et Cie, 2009, 159 pages Ces « jours de colère » sont inspirés par un sentiment d’injustice et d’impuissance partagé par

quatre économistes qui plaident pour une insertion de l’économie dans l’« extérieur social ».

Les auteurs tracent la ligne de rupture potentielle d’un ordre économique frappé du « virus de

l’économisme ». La refondation du capitalisme est inexorablement liée à une redéfinition des

règles de la mondialisation de l’économie. Si l’esprit est la « raison centrale » d’un

phénomène et « le réel, la manifestation de l’esprit », alors il est nécessaire de recourir à

l’histoire pour appréhender son esprit. La crise mondiale renvoie aux racines communes des

différentes formes du capitalisme : le marché et la concurrence, la « guerre civilisée » mais

mal régulée de « tous contre tous », le divertissement généralisé dans le jeu (conséquences du

goût irrépressible des hommes pour la démesure) et la négation même de la rationalité.

L’ordre économique, hérité de la spiritualité, s’en est-il éloigné au point d’être victime des

deux grands ressorts de l’économie capitaliste : la cupidité et la peur ? L’« amoralisme » du

capitalisme est-il le prix à payer pour préserver son efficacité ? Deng Xiaoping semblait le

penser : « peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape la souris ».

Cet « essai de mousquetaires » aux confins de la philosophie, de l’histoire et de l’économie vient fort opportunément alimenter une réflexion de fond postcrise mondiale. Ces auteurs de grande notoriété et complémentaires dans leurs contributions apportent des éléments de réponse pour « réenchanter le capitalisme » et sortir son esprit de « sa cage de fer ». Pierre Dockès, Francis Fukuyama, Marc Guillaume et Peter Sloterdijk sont professeurs d’économie, de sciences politiques et de philosophie dans des universités anglo-saxonnes et allemandes. Mots-clés : capitalisme idéal, capitalisme moral, économie capitaliste.

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LA GUERRE DES CAPITALISMES AURA LIEU Jean-Hervé Lorenzi (dir.), Le Cercle des économistes Éditions Perrin, 2009, 257 pages Le Cercle des économistes traite des risques liés aux remises en cause du capitalisme anglo-

saxon. Diverses autres formes de capitalisme se sont développées : le capitalisme familial en

Europe du Sud, au Mexique mais aussi en France et au Benelux, tandis que lesdites

démocraties populaires (la Chine, la Russie ou les pétrodictatures du Moyen-Orient) ont

favorisé l’expansion d’un capitalisme d’État financé par la rente pétrolière. L’intrusion des

fonds souverains dans le cadre de la récente crise financière – et notamment, dans le capital

des grandes banques – est-elle un signe annonciateur d’une guerre des capitalismes ? L’idée

de capitalisme mondial pacifié conjuguant liberté et prospérité est-il pris d’assaut dans ces

principales places fortes, américaines, anglaises ou européennes ? Les auteurs passent au

crible les menaces et les enjeux de ce conflit. Sans catastrophisme excessif. En effet, « le

progrès naît de la différence, parce que l’économie doit respecter la diversité des valeurs,

parce que la concurrence a un rôle positif, la diversité des capitalismes est une chance autant

qu’un risque majeur ». Aussi une piste de résolution de ces difficultés est-elle avancée :

construire un « conseil économique mondial » susceptible de créer un ordre économique

international plus juste, grâce à une nouvelle répartition des rôles des États-nations, où

l’Europe jouerait une mission décisive.

L’originalité de l’ouvrage tient à ce que les auteurs perçoivent dans les formes du capitalisme libéral autant d’éléments de conflits que dans les autres systèmes. Le modèle anglo-saxon a le plus bénéficié de l’expansion de l’économie de marché, mais il ne peut s’imposer comme modèle unique. Le Cercle des économistes est un groupe de réflexion fondé en 1992, à l’initiative du professeur Jean-Hervé Lorenzi, qui réunit une trentaine d’universitaires. Sa mission est d’organiser et de promouvoir un débat économique ouvert. Mots-clés : capitalisme anglo-saxon, capitalisme d’État, capitalisme familial.

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LE CAPITALISME IDÉAL

Nicolas Bouzou Éditions Eyrolles, 2010, 115 pages L’ouvrage aborde le capitalisme par une approche pragmatique qui tranche des débats

académiques entre ultralibéralisme et socialisme. Le capitalisme idéal souhaité par l’auteur

sera construit par la jeune génération. C’est son « devoir moral ». Elle l’édifiera armée d’une

certitude : le capitalisme a gagné, et « c’est vraiment la fin de l’histoire ». L’auteur dénonce

les « caciques intellectuels » qui voyaient dans la crise une opportunité de retour à la théorie

socialiste, même si demeure en suspens l’énigme chinoise de l’économie socialiste de marché.

Il faut améliorer « le capitalisme par le capitalisme » et lui donner « du corps et de l’esprit ».

L’auteur se livre à une analyse sans concession des « joies et misères du capitalisme », avec

des éléments de réponse pour réconcilier l’efficacité économique et le sens moral ouvrant la

voie à « une troisième révolution industrielle ». Les grands défis du capitalisme ont pour

noms la santé, l’écologie et l’eau. L’auteur met en scène « une tragédie des biens communs »

qui, selon Garett Hardin, veut que, sans droits de propriété, la consommation progresse plus

vite que la production. « Si le capitalisme est un système imparfait, il n’en est que plus

perfectible. » Nicolas Bouzou s’efforce de montrer que le « capitalisme idéal » est à portée de

main : il sera « plus féminin, plus sobre », un « capitalisme de la raison avec plus de

solidarité, de justice et d’innovation », ce qui suppose « avant tout de nous changer nous-

mêmes ». On connaissait le chroniqueur, on découvre avec ce livre « l’honnête homme » (au sens du XVIIIe siècle) qui puise ses réflexions à la source d’une large culture : un voyage à la recherche du « capitalisme idéal », à travers le temps et l’espace, de l’Amérique précolombienne en passant par le Moyen Âge français. Nicolas Bouzou est un essayiste français libéral spécialisé dans l’économie. Il a fondé Asterès, une société d’analyse économique et de conseil. Mots-clés : capitalisme idéal, capitalisme social, économie responsable.

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE VA-T-IL TUER LE CAPITALISME ? Les réponses de l’écocapitalisme Patrick d’Humières Éditions Maxima, 2010, 223 pages

Le livre démontre que désormais les entrepreneurs ne peuvent plus considérer la sphère

publique comme extérieure à leurs préoccupations. Les intérêts de l’ensemble des « parties

prenantes » (citoyens, salariés, clients, épargnants…) doivent être intégrés dans les prises de

décision comme des « coûts sociétaux inhérents au changement du monde ». Mais, à

« l’horreur économique » dénoncée en 1991 par Viviane Forrester, l’auteur oppose une

« espérance économique à portée de main contre le modèle cynique » de l’économie de

marché. Il avance « un modèle durable » – encore émergent et embryonnaire – comme le défi

de ce siècle, avec une priorité : le climat. « La société bouge ; le moment est venu de donner

leur chance aux acteurs responsables. » L’écocapitalisme constitue la matrice du modèle

économique futur. La société civile progresse dans sa maîtrise de la dynamique mortifère des

marchés. L’écocapitalisme « n’est pas un avatar idéologique de plus dans une longue série des

modèles rêvés, mais une aspiration démocratique ». Il constitue les prémices d’un capitalisme

idéal que l’opinion du monde appelle de ses vœux.

L’ouvrage est remarquable par la pertinence et la profondeur des réflexions, mais aussi par la qualité du style de Patrick d’Humières, qui s’affirme comme l’un des meilleurs experts français du développement durable, domaine où il a exercé d’importantes responsabilités opérationnelles. Patrick d’Humières est président de l’Institut RSE Management, société de conseil en reporting extrafinancier, formation et conseil en organisation des politiques RSE des entreprises créée en 2001. Mots-clés : développement durable, écocapitalisme, économie de marché.

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LA SOCIÉTÉ TRANSLUCIDE Pour en finir avec le mythe de l’État bienveillant Augustin Landier et David Thesmar Éditions Fayard, 2010, 285 pages (prix Turgot 2010) La Société translucide – Pour en finir avec le mythe de l’État bienveillant est un livre

signé par deux prometteurs économistes français. Selon eux, l’État est omniprésent : il

secourt les entreprises défaillantes, investit dans les secteurs stratégiques, fait et défait

les grands patrons, impose partout de nouvelles règles… mais , dans la plupart des

domaines, notamment industriel et fiscal, les « effets d’annonce tiennent lieu de

programme ». Forts de ce constat, les auteurs se livrent à des diagnostics et donnent des

conseils pratiques sur la conduite des politiques publiques à tenir dans les sociétés

postmodernes. Les auteurs observent les conflits dʼintérêt récurrents entre les acteurs

socio-économiques, après avoir identifié les rôles respectifs de leurs diverses instances

de représentation (association, sphère privée, sphère publique, milieu universitaire).

Leur thèse dresse un parallèle avec la crise financière. Le manque de surveillance et de

régulation des marchés financiers et des activités économiques a conduit à des dérives

et des excès de toute nature. Le manque de transparence et lʼincapacité à accéder à

certaines bases de données ont amené les gouvernants à exploiter des statistiques

insuffisamment microéconomiques.

Augustin Landier et David Thesmar préconisent avec conviction et pragmatisme la construction d’un système de surveillance mieux adapté aux préférences individuelles et collectives, afin d’accéder au stade de « société translucide ». Augustin Landier enseigne la corporate finance à l’École d’économie de Toulouse et David Thesmar enseigne la finance à HEC Paris. Mots-clés : néolibéralisme, régulation, conflit, crise, politique publique.

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LE GRAND BASCULEMENT La question sociale à l’échelle mondiale

Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray Éditions Odile Jacob, 2011, 299 pages (prix spécial Turgot 2011) Les auteurs se livrent à une analyse sans concession du système, actuellement en crise, du

capitalisme financier, qui régit l’économie mondiale depuis les années 1980. Ils constatent

l’ampleur des désillusions des populations des pays développés et des pays en développement.

Ils s’étonnent des contrastes entre l’accélération de l’innovation technologique et

l’intensification des échanges commerciaux, d’une part, et le développement de l’insécurité et

des inégalités entre les peuples, d’autre part. Prolongeant les réflexions de Polanyi sur la

« grande transformation », ils observent que par ce système « l’homme est mis au service des

marchés », et non l’inverse. Ils prônent la mise en œuvre d’un « New Deal global » – le

« grand basculement » du Nord au Sud – basé sur une « politique mondiale de la nature »,

« taxant la rareté et détaxant l’abondance », sur une priorité accordée aux marchés intérieurs –

et non aux exportations – et sur un nouveau système de protection sociale internationale. Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray poursuivent la réflexion engagée en 1944 par Karl Polanyi dans La Grande Transformation, et par Francis Fukuyama dans Le Dernier Homme, qui dénoncent le caractère « non naturel » et « profondément instable » du capitalisme libéral. Solidement documenté, l’ouvrage est rédigé dans un style maîtrisant le sens de la formule. Jean-Michel Sévérino est gérant d’Investisseurs & Partenaires, gestionnaire de fonds à vocation de création d’impacts sociaux et environnementaux consacrés aux PME d’Afrique au sud du Sahara. Olivier Ray est chercheur à l’Association française de développement.

Mots-clés : capitalisme social, développement durable, innovation.

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LE CAPITALISME À L’AGONIE Paul Jorion Éditions Fayard, 2011, 360 pages

L’auteur se livre à une fine analyse des paradoxes qui sous-tendent la pensée de la société moderne, entre liberté et égalité, propriété et éthique, accumulation et répartition, État et marché… Il distingue quatre classes d’acteurs sociaux : le capitaliste, l’entrepreneur, le salarié et le marchand. Il constate que, dans la lutte les opposant dans la conquête du surplus économique, c’est le salarié qui se trouve en situation d’infériorité. L’auteur fustige notamment la rente tirée du capital financier.

Il en déduit que c’est l’accumulation du capital par une minorité d’acteurs et le soutien de la consommation par le crédit qui risquent de détruire le capitalisme. Il perçoit dans la crise des subprimes de 2007-2008 un signe avant-coureur de cet effondrement. Se réclamant de Keynes, il ne pense toutefois pas que, pour parvenir à « une autre civilisation », il conviendrait d’instaurer un « revenu universel » dont la source ne serait ni le travail ni la rente du capital, mais la fiscalité.

L’ouvrage a suscité de nombreuses réactions tant des keynésiens, qui l’ont jugé trop radical, que des néolibéraux, qui l’ont qualifié de simpliste, voire de marxiste. Il a été cité en exemple du courant anticapitaliste qui s’est déployé après les crises des années 2000. Paul Jorion est sociologue, spécialiste de la formation des prix et chroniqueur au Monde de l’économie. Mots-clés : crise, libéralisme, lutte des classes.

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CAPITALISME ET COHÉSION SOCIALE Mario Amendola et Jean-Luc Gaffard Éditions Economica, 2012, 194 pages Les auteurs réunissent sous un même thème deux sujets souvent considérés comme

antinomiques : le capitalisme et la cohésion sociale. Mais la crise du XXIe siècle est venue

bousculer bien des certitudes, y compris celles permettant de croire dans « les vertus d’une

concurrence libérée de toute entrave assurant spontanément un bien-être individuel et social

maximum ». Contrairement aux « vieilles idées des décideurs », l’instabilité est de retour, en

témoignent des changements structurels rarement anticipés, d’une ampleur et d’une

récurrence surprenantes. Aussi faut-il, préconisent les auteurs, « revenir à cette idée simple :

les banques centrales existent… pour résoudre les problèmes d’instabilité endémique des

systèmes financiers et non pas pour garder un taux d’inflation définitivement nul ». Prétendre

construire un équilibre sur la flexibilité des marchés et la neutralité des gouvernements est

devenu une « vieille lune » ; de même, appliquer « des règles intangibles au mépris de la

cohésion sociale et, in fine sans doute, de la démocratie » apparaît de moins en moins viable.

Les auteurs montrent en quoi la théorie du libre-échange incluant « le voyage de retour » des

flux des pays excédentaires vers les pays importateurs, dans la logique d’un équilibre de

l’échange international, ne résiste pas à la réalité d’aujourd’hui. Le « voyage » produit plutôt

de « mauvais investissements », à l’instar des excédents commerciaux allemands qui génèrent

une consommation excessive et des bulles immobilières en Grèce et en Espagne. La conviction de Mario Amendola et Jean-Luc Gaffard tient pour l’essentiel à la possibilité de mise en œuvre d’une extension aux marchés internationaux du champ de l’action politique, selon les mêmes principes de régulation et de recherche de cohésion sociale. Jean-Luc Gaffard, professeur des universités, lauréat du prix Schumpeter en 2008, est membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Mario Amendola est scénariste de films. Mots-clés : capitalisme social, régulation, cohésion sociale.

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L’ESTHÉTISATION DU MONDE Vivre à l’âge du capitalisme artiste Gilles Lipovetsky et Jean Serroy Éditions Gallimard, 2013, 496 pages Les auteurs mettent à nouveau en lumière, un demi-siècle après Baudrillard, les évidences et

les contradictions du capitalisme de consommation. Ils montrent que, dans la société

postmoderne, l’esthétique s’impose de plus en plus comme un impératif économique et social.

Elle se décline sous les formes de la mode, du cinéma, de la musique, de la publicité, du

design des équipements et des produits… Plus s’impose l’échange marchand du capitalisme

industriel et financier, plus s’affirme le besoin de partager ses émotions grâce au « capitalisme

artiste ». Les auteurs adoptent des approches respectivement historique – ils retracent les

« quatre âges » du capitalisme esthétique –, économique – ils en analysent les enjeux

financiers –, sociale – ils en présentent les cercles et les professions –, organisationnelle – ils

rappellent les principes du néomanagement –, politique – ils en révèlent les systèmes de

pouvoir –, mais aussi anthropologique – ils en décrivent les mythes, les rites et les valeurs – et

philosophique – ils en pénètrent l’esprit postmoderne.

L’ouvrage est rédigé dans un style convaincant et, comme il se doit, élégant ; il est richement documenté et abondamment annoté.

Gilles Lipovetsky est professeur agrégé de philosophie, membre du Conseil d’analyse de la société et consultant de l’association Progrès du management. Jean Serroy est professeur émérite de littérature des universités françaises. Mots-clés : capitalisme, culture, anthropologie.

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LE CAPITALISME AU XXIe SIÈCLE

Thomas Piketty Éditions du Seuil, 2013, 970 pages

L’auteur observe, à l’instar de Tocqueville, la distribution de plus en plus inégalitaire des

revenus du capital et du travail. Sa thèse repose sur l’hypothèse d’un rendement du capital

(constitué par les ressources naturelles, les infrastructures et les équipements publics et privés,

nets de dettes) toujours supérieur au taux de croissance économique (couvrant notamment les

variations des salaires), depuis l’origine de l’histoire, sauf pendant les périodes de guerre et de

dépression économique (comme lors des années 1930). Le rapport inégal entre rentiers et

travailleurs devrait, selon lui, s’accroître rapidement au XXIe siècle. Cette inégalité structurelle

(notée r > g) entre la rente du capital (notamment des « 1 % supérieurs »1 dans l’échelle des

revenus) et la rétribution du travail est une source potentielle de conflits sociaux et de menace

du capitalisme moderne. Cet écart s’expliquerait principalement par l’augmentation rapide de

l’épargne des ménages les plus riches. Piketty préconise l’introduction d’une plus grande

progressivité de l’impôt et l’instauration d’un nouvel impôt mondial sur le capital.

La publication du dernier livre de Thomas Piketty a eu un retentissement mondial. Elle a été

considérée par certains économistes anglo-saxons comme un tournant dans la pensée

économique. Cette thèse a suscité des réactions diverses dans l’ensemble des pays

occidentaux. L’auteur a été notamment accusé de revisiter l’approche marxiste de la « lutte

des classes entre bourgeois et prolétaires ».

Thomas Piketty est un économiste français, directeur d’études à l’École des hautes études

en sciences sociales (EHESS), spécialiste des inégalités économiques et sociales.

Mots-clés : capital, travail, rente, salaire, impôt.

1 Tranche de la population bénéficiant des plus hauts revenus,

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ANTI-PIKETTY Vive le capital au XXIe siècle ! Jean-Philippe Delsol, Nicolas Lecaussin et Emmanuel Martin (coord.) Éditions Libréchange, 2015, 380 pages

Best-seller de la littérature économique, l’ouvrage de Thomas Piketty a fait l’objet de

nombreuses critiques. Les économistes libéraux français – comme Alain Madelin, Henri

Lepage et Nicolas Baverez – ont contesté des hypothèses, des raisonnements, les chiffres et

les graphiques présentés par l’auteur. Piketty s’efforce de démontrer l’inégalité fondamentale

qu’engendre une rentabilité du capital supérieure au taux de croissance de l’économie (r > g).

Le collectif dirigé par Nicolas Lecaussin et Jean-Philippe Delsol regroupe une vingtaine

d’économistes, historiens et fiscalistes, dont un ancien conseiller économique du président des

États-Unis. Ils considèrent que la thèse de Piketty est plus politique qu’économique. Leur

mérite est de montrer que les inégalités n’ont pas explosé. Au contraire, elles se sont réduites

à de nombreux égards (éducation, santé) et les riches ne « mangent pas le pain des pauvres »,

mais leur en donnent, en prenant des risques et en créant des millions d’emplois. Le

patrimoine ne peut, indéfiniment, se développer plus vite que la croissance économique, et

une taxation excessive ne résout pas les problèmes mais les aggrave. Selon les auteurs, les

données de Piketty paraissent utilisées pour servir des conclusions idéologiques.

Le collectif propose « une argumentation raisonnée et raisonnable » opposée à l’idéologie « d’essence marxiste » de Thomas Piketty, en lui opposant des critiques académiques et des faits contradictoires. Ils rappellent les principales critiques scientifiques à l’encontre de la « Pikettymania ». Ils en dénoncent les thèses simplistes et populistes. Jean-Philippe Delsol est administrateur de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS). Nicolas Lecaussin est directeur du développement de l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF). Mots-clés : capital, travail, rente, salaire, impôt.

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LE MARCHÉ Histoire et usages d’une conquête sociale Laurence Fontaine Éditions Gallimard, Collection « NRF Essais », 2014, 464 pages L’ouvrage mérite une attention particulière en raison de l’originalité et de la profondeur de

son analyse du concept de marché. Tandis que la plupart des autres publications observent les

dérives de toute nature des marchés, Laurence Fontaine s’interroge sur la nature du marché,

qu’elle qualifie de « conquête sociale », d’« institution d’échange », de « moyen

d’émancipation » des acteurs sociaux, notamment des femmes et des plus démunis. Par de

savants parallèles entre les marchés du passé et du présent, elle montre comment le

capitalisme de marché s’est progressivement libéré de l’ordre féodal, patriarcal et religieux.

Elle décrit comment se sont développés les places et les réseaux du commerce local puis

international. Elle montre que le bon fonctionnement d’un marché implique une égalité de

statut et de traitement de ses différents acteurs, ainsi que des institutions chargées d’en régler

les conflits. Elle explique comment l’économie solidaire d’aujourd’hui s’inspire des marchés

de rue ouverts aux plus pauvres. Elle souligne la vulnérabilité des marchés, notamment

monétaires et financiers, et dénie au travail le statut de marchandise échangeable sur un

marché. Elle compare les mécanismes des crises récentes à ceux de la « bulle » des tulipes

hollandaises au XVIIe siècle.

Laurence Fontaine propose enfin un « ancrage du marché dans les droits de l’homme », lui attribuant le statut d’« espace public solidaire ». La diversité des voies ouvertes par l’auteure invite à placer son livre à côté de ceux d’Adam Smith dans la grande bibliothèque de l’économie politique. Laurence Fontaine est historienne et directrice de recherche au CNRS. Mots-clés : marché, économie solidaire, travail, crise.

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CAPITALISME FINANCE DÉMOCRATIE

Le nouveau malaise Vivien Levy-Garboua et Gérard Maarek Éditions Economica, 2014, 224 pages Le malaise du capitalisme est hérité de l’opacité entourant la mondialisation et de la confusion

régnant sur les causes de la crise financière qui a éclaté en 2007. L’originalité de l’analyse

réside dans la thèse selon laquelle il existe des similitudes entre les évolutions psychologiques

de l’homme moderne et des « groupes constitués » que sont les entreprises, les familles et les

peuples. Le diagnostic que faisait Freud d’un malaise induit par la trop forte emprise du

religieux et de la morale sur les esprits et les comportements ne correspond plus à la situation

actuelle. Les auteurs érigent les fondements d’une nouvelle « économie psychique », sans

s’exonérer de la leçon d’humilité freudienne selon laquelle « le psychisme collectif est un tout

dont aucun acteur significatif ne peut s’affranchir ». Ils observent qu’une grande partie de nos

initiatives procède plus d’un optimisme spontané que d’une puissance d’analyse

méthodologique. Ils réhabilitent ces « esprits animaux » que Keynes avait déjà mis en

lumière. L’Homo economicus est autant mû par l’instinct et l’émotion que par la raison. Par

leur brillante démonstration, les auteurs proposent une analyse des états psychiques successifs

des entreprises et des ménages confrontés à deux crises socio-économiques majeures.

Vivien Levy-Garboua et Gérard Maarek, qui ont été salués comme les initiateurs de la macropsychanalyse, proposent une grille personnelle de lecture du « grand malaise » qui frappe notre société à travers son capitalisme, sa finance et sa démocratie. Vivien Levy-Garboua a été membre du comité exécutif de BNP-Paribas ; Gérard Maarek a été responsable des études économiques du Crédit Agricole. Ils sont tous deux polytechniciens et économistes. Mots-clés : macropsychanalyse, Homo economicus, économie psychique.

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LA CASTE CANNIBALE Quand le capitalisme devient fou Sophie Coignard et Romain Gubert Éditions Albin Michel, 2014, 327 pages La cible de l’ouvrage est le « capitalisme dévoyé qui se dévore lui-même » et qui a montré,

lors de la crise de 2008, les failles d’un système « qui prétendait s’autoréguler ». « La main

invisible du marché », qui devrait décider de tout et qu’il ne faut en rien contrarier, à l’origine

du précepte devenu religion des économistes de l’école de Chicago, semble avoir failli. Les

auteurs invitent leurs lecteurs à un voyage dans cet univers pour comprendre comment et avec

quels moyens une caste « d’anciens hauts fonctionnaires, de patrons, de profiteurs, de

spéculateurs astucieux » a confisqué les fruits espérés et attendus, à son profit quasi exclusif.

Dans cette analyse, la France n’est pas épargnée, soumise à une double peine : « le

capitalisme hystérique tient le bras de l’État immoral (et vice versa !) » : pression fiscale

insupportable, docilité face aux groupes de pression empêchant de réduire le déficit public…

La « caste cannibale » est un paradoxe car elle s’appuie sur l’État pour pouvoir tout dévorer

sans prendre de risque, « sans clivage entre droite et gauche, entre public et privé ». Sans

doute la meilleure façon pour le capitalisme de s’autodétruire.

Le duo de journalistes prolonge dans cette nouvelle parution la thèse qu’il a défendue dans son précédent essai L’Oligarchie des incapables, publié chez Albin Michel, montrant la passion pour l’argent d’une large part de la classe dirigeante. Sophie Coignard et Romain Gubert sont grands reporters au journal Le Point. Mots-clés : capitalisme, éthique, spéculation.

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HISTOIRE DU SIÈCLE À VENIR Où va le monde selon les cycles des civilisations ? Philippe Fabry Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2015, 278 pages Passionné par la doctrine libérale – particulièrement de l’école autrichienne –, l’auteur tente

de répondre dans ce nouvel ouvrage à la question que se posent la plupart de nos

contemporains : où va le monde selon les cycles des civilisations ? Quelle place pour

l’Europe, la Russie, la Chine et la superpuissance américaine ? Quels risques représentent les

religions, et notamment l’islam radical ? Par une comparaison systématique des grandes

civilisations antiques et modernes et s’appuyant sur une méthode originale, l’auteur éclaire les

cycles historiques d’une très longue durée, Grèce antique, civilisation romaine, nations

ennemies de l’Europe moderne. Il signale la « difficile coexistence du judaïsme avec les

autres formes de religion ». Les anticipations de l’auteur sont quelquefois à contre-courant,

mais toujours étayées de modèles historiques solides. C’est « armé de ces embryonnaires mais

prometteuses lois de l’Histoire » que Philippe Fabry décrit l’état du monde actuel et dégage

une « ligne de force des siècles à venir », dont les sociétés devraient être plus créatives,

solidaires et socialement responsables. En perspective apparaissent les contours géopolitiques,

économiques, sociaux et religieux des prochaines décennies, voire des millénaires suivants. Ce livre ambitieux a le mérite de dresser une généalogie originale des questionnements qui ont traversé les civilisations sur les modèles de société, les formes de religion et les systèmes économiques contribuant à la prospérité et au bonheur des peuples. Leurs interrogations permettent de mieux cerner les lignes de force des civilisations à venir. Philippe Fabry est historien du droit. Mots-clés : libéralisme, crise, civilisation.

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LES LIMITES DU MARCHÉ L’oscillation entre les autorités et le capitalisme

Paul de Grauwe Éditions de Boeck, 2015, 200 pages L’auteur s’interroge sur les combinaisons possibles entre le marché et l’État, et donc, entre les

différentes formes du capitalisme. Il répond à cette grande problématique du début du

XXIe siècle en cernant les limites respectives de l’économie de marché et de l’économie

publique. Il montre que le marché est plutôt régi par le système II (au sens de Kahneman), qui

relève de la sphère calculatrice du cerveau, tandis que le système politique est plutôt dominé

par le système I, qui règle les émotions et les intuitions. Les limites externes du capitalisme

anglo-saxon résident dans les externalités négatives des activités productives (la dégradation

de l’environnement) et financières (les effets des dernières crises). Le marché comporte

également des limites internes inhérentes à la répartition de plus en plus inégalitaire des

revenus, à la motivation de plus en plus difficile des salariés et à la privatisation

problématique de certains biens publics. Il dresse notamment un bilan des réactions positives

et négatives à la formule proposée par Piketty, selon laquelle l’écart entre le rendement net du

capital productif et le taux de croissance économique ne cesse de s’accroître dans les pays

occidentaux, conduisant inévitablement à plus d’inégalités et à un risque d’implosion sociale.

L’auteur dénonce l’« utopie » d’une autorégulation du système de marché et explore les

différentes voies de son sauvetage.

Paul de Grauwe fait preuve à la fois d’esprit de géométrie et de finesse en déclinant avec un

grand sens pédagogique les multiples agencements de la rationalité individuelle et de la

rationalité collective appliquées au capitalisme.

Paul de Grauwe est professeur à la London School of Economics. Mots-clés : économie de marché, capitalisme libéral, capitalisme financier.

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LES MILLE PEAUX DU CAPITALISME Olivier Dard, Claude Didry, Florent Le Bor et Cédric Perrin (coord.) Éditions L’Harmattan, 2015, 270 pages (2 vol.) La revue L’Homme et la Société (CNRS) propose un dossier intitulé « Les mille peaux du

capitalisme ». Les 15 articles du dossier restituent les dernières recherches de sociologues

reconnus, consacrées aux multiples formes du capitalisme et à leurs externalités positives et

négatives. La première partie porte principalement sur la difficulté de concilier capitalisme

financier et développement durable : « l’éternel retour du sweating system », les nouvelles

formes du paternalisme, « de l’illusion postmécaniste à l’illusion postindustrielle »… La

seconde partie explore les nouvelles formes du capitalisme : un « dépassement capitaliste du

salariat », le postfordisme, le néotaylorisme, « l’abondancisme », le « postmodernisme »… Le

préfixe « post » masque souvent des concepts diffus ou des modèles utopiques. Il relève d’une

illusoire prophétie autoréalisatrice. Les problématiques originales traitées par les auteurs sont

mises en perspective, référencées et illustrées de cas concrets : Michelin, le Familistère de

Guise…

La diversité des questions soulevées et des sensibilités des coauteurs n’entache pas la cohérence de l’ensemble et l’agrément de sa lecture. Elle contribue au contraire, par le croisement des approches, à mieux appréhender le phénomène complexe des mutations à l’œuvre du capitalisme contemporain. Olivier Dard, Claude Didry, Florent Le Bor et Cédric Perrin sont enseignants-chercheurs en économie et sociologie. Mots-clés : capitalisme financier, capitalisme salarial, capitalisme social, paternalisme.

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LE CLIMAT VA-T-IL CHANGER LE CAPITALISME ?

La grande mutation du XXIe siècle Jacques Mistral (dir.) et al. Éditions Eyrolles, 2015, 270 pages Le climat se réchauffe, le moment de l’action est venu. Cette planète n’est pas condamnée, il

faut seulement prendre conscience que l’économie aborde un nouveau et gigantesque défi. La

réponse des 21 économistes sous la direction de Jacques Mistral s’articule autour du « prix du

carbone » : les émetteurs de carbone devraient payer pour leurs émissions. C’est du bon sens,

mais c’est une révolution. Le capitalisme peut-il réellement changer ? Le XXe siècle a déjà

connu une « grande transformation » par laquelle le capitalisme sauvage et le prolétariat

caractéristiques du XIXe siècle ont cédé la place à un capitalisme hybride et aux classes

moyennes. Aujourd’hui, après la crise financière, tout est à reprendre et la lutte contre le

réchauffement climatique ouvre une ère nouvelle : la transition vers l’« économie bas

carbone » sera une des grandes mutations du XXIe siècle.

L’ouvrage collectif est une œuvre de convictions. Sa lecture permet de mieux saisir la diversité des approches de la nouvelle forme de capitalisme sociétal – à la fois social et environnemental – qui se met actuellement en place et les débats économiques qui animent les milieux politiques. Elle permet également de mesurer l’étendue des réformes à entreprendre pour adapter le capitalisme contemporain. Jacques Mistral (coordinateur et coauteur) est membre du Conseil d’analyse économique (CAE) depuis 2006. Il est également membre du Conseil économique de la défense, du Conseil du CEPII, du Cercle des économistes et chroniqueur à Radio Classique. Mots-clés : climat, capitalisme, planète.

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BIENVENUE DANS LE CAPITALISME 3.0 Philippe Escande et Sandrine Cassini Éditions Albin Michel, 2015, 256 pages Les auteurs présentent leur vision de l’économie « 3.0 », autrement qualifiée d’économie

collaborative, circulaire, en réseau… Depuis le tournant du millénaire, diverses formes

d’activité collaborative se sont développées, le plus souvent en réaction contre les institutions

et les systèmes de l’économie moderne. Ces « pratiques circulaires » se sont étendues à la

consommation collaborative (jardins partagés, hébergement peer-to-peer, covoiturage, aux

modes de vie mutualisées (coworking, colocation, habitat collectif…), à la recherche-

développement (living labs et fablabs de conception de nouveaux produits) et à la production

coopérative (logiciels libres, microfabrication numérique, do-it-yourself, maker spaces…). Le

développement de l’économie collaborative soulève par ailleurs la question de la propriété

individuelle, dans la mesure où, par des systèmes de freeware ou d’open source (comme

Linux), elle met en commun des ressources matérielles (notamment des infrastructures) et

immatérielles (des connaissances), au sein de communautés d’usagers encadrées par des

règles disparates de gouvernance. Les auteurs concluent l’ouvrage par une métaphore : « une

ode brève, un peu éculée, sur les avancées de l’humanité à travers les siècles, dans la triste

permanence de sa condition ». La révolution numérique en marche depuis le tournant du

siècle suscite autant d’espoirs que de craintes. Le monde qu’elle construit engendrera des

générations différentes.

L’ouvrage se présente comme une enquête sur l’émergence d’une nouvelle société « engagée dans les débris du monde qui tombe » (Alexis de Tocqueville). Les auteurs prédisent la fin du travail organisé, l’avènement d’un « prosommateur » aux comportements nouveaux et l’essor d’une démocratie numérique. Le constat des auteurs est sévère : excès d’un système naissant qui n’a pas encore trouvé ses lois, schizophrénie d’un État (ou plutôt de ceux qui le gouvernent) qui entend préserver l’existant sans compromettre le futur. Philippe Escande et Sandrine Cassini sont journalistes au Monde et aux Echos. Mots-clés : Web, capitalisme, révolution numérique.

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LE CAPITAL I. L’invention du capitalisme

Michel Leter Éditions Les Belles Lettres, 2015, 416 pages

L’auteur sonde les fondements du capitalisme, par une approche originale – de nature

généalogique – de ses concepts fondateurs. Il souligne les ambiguïtés et les paradoxes

attachés aux notions de capital, de propriété, d’argent, de classe sociale… Bastiat et Guyot ne

qualifient-ils pas de « métaphore » le concept de capitalisme ? Michel Leter soutient que « le

capitalisme est introuvable » dans l’œuvre de Marx qui en situe arbitrairement la naissance

en… 1492. Le terme de « capitalisme » n’apparaît en fait qu’en 1867, sous la plume de

Sombart, qui, par des raisonnements empruntés à la physique, le fit entrer dans le vocabulaire

scientifique de l’Université impériale fondée par Bismarck. Il rappelle que Max Weber en

attribua l’origine à l’éthique protestante. Il revisite longuement la notion de « lutte des

classes », rappelant que, selon Marx, le « prolétaire est un homme sans capital », « le capital

est un travail mort », la société est partagée entre « les hommes vivant de leur industrie et les

hommes vivant de l’industrie d’autrui », « le capitalisme est l’exploitation de l’homme par

l’homme »… Il lui oppose les enseignements de l’école autrichienne d’économie, notamment

illustrés par les travaux de Menger, von Mises, Hayek et Rothbard, qui concluent : « ce n’est

pas le travail qui crée le capital, mais c’est le capital qui permet le travail ».

Michel Leter introduit par ce premier volume une monumentale histoire du capitalisme, le deuxième tome devant porter sur ses mythes, le troisième sur sa théologie et le quatrième sur ses implications philosophiques. L’auteur fait preuve d’une culture encyclopédique, mais son écriture traduit parfois un certain hermétisme, dont il se défend en citant Kautsky : « l’exégèse des ignorants est toujours plus logique que celle des savants ».

Michel Leter (docteur es lettres) est un professeur de philosophie spécialiste du libéralisme français du XIXe siècle et de l’école de Paris.

Mots-clés : capitalisme, éthique, travail.

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DE QUOI LE CAPITALISME EST-IL LE NOM ? Métamorphoses du capitalisme Jean-Jacques Pluchart Éditions Maxima, 2016, 268 pages

Le capitalisme du XXIe siècle connaît moins la « fin » que l’« accélération » de son histoire.

Malgré son omniprésence dans la littérature et le débat public, le capitalisme semble être

encore un « impensé », dont la logique, les dimensions et les perspectives restent largement

méconnues. Il continue à mobiliser, un demi-siècle après le constat de Raymond Aron, « le

même mélange de demi-savoir, de préjugés, de préférence plus idéologiques que raisonnées ».

Par une démarche archéologique originale, le dernier ouvrage de Jean-Jacques Pluchart

radiographie les formes successives du capitalisme – marchand, agraire, industriel, financier,

managérial, entrepreneurial, social… – et en décrit les multiples avatars géographiques –

anglo-saxons, rhénans, scandinaves, méditerranéens, asiatiques, islamiques… –, qui se sont

succédé depuis trois siècles. Il analyse leurs forces et leurs faiblesses, déconstruit leurs

logiques et leurs paradoxes, confronte leurs utopies à leurs réalités, oppose les arguments de

leurs défenseurs et de leurs adversaires. Il révèle que, au-delà de l’économie et de la

sociologie, les « variétés du capitalisme » sont investies par d’autres disciplines. C’est ainsi

qu’il existe un capitalisme « poétique », « axiologique », « mythique », « esthétique »,

« 3.0 »… Cette vaste exploration permet de mieux sonder les fondations de l’économie

numérique, du modèle socialement responsable et de la société collaborative, qui caractérisent

le capitalisme postmoderne.

Ces approches rétrospective puis prospective puisent leurs sources dans les principaux écrits fondateurs et dans les publications foisonnantes du dernier quart de siècle consacrées au capitalisme. Celles-ci révèlent l’âpreté des débats et l’acuité des questionnements qui divisent les milieux scientifiques, intellectuels et politiques contemporains. Une nouvelle figure du capitalisme, plus responsable et solidaire, émergera-t-elle de ces réflexions ? Jean-Jacques Pluchart est professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, après avoir été consultant puis manager dans une compagnie pétrolière. Mots-clés : capitalisme, économie de marché, société démocratique.