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Aristote (0384-0322 av. J.-C.). [Physique (français). 1862]Physique d'Aristote, ou Leçons sur les principes généraux de la nature. 1862. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

La Physique d Aristote

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Aristote (0384-0322 av. J.-C.). [Physique (français). 1862]Physique d'Aristote, ou Leçons sur les principes généraux de la nature. 1862.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Page 2: La Physique d Aristote

OEUVRES

D'ARISTOTE

LA PHYSIQUE

Page 3: La Physique d Aristote

~KAUX. )))PtUMKtUË A. CARnO

Page 4: La Physique d Aristote

1862

PHYSIQUE

DARISTOTED'ARISTOTE

«u

LEÇONS SUH LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA NA.TURE

TRADUITE EN FRANÇAIS

rOCKLAPttSMtÈnEfO!S

Hf ACnOMPAGN~ED'UNEPARAPHRASEET DE NOTESPERPÉTUELLES

PAR

t. BARTHÉLÉMY SAINT-HILAÏRE

MEMnnEDEL'INSTITUT

(Académiedes Sciencesmoratcset politiques)

TOAÏE 1I

PARIS

LtBUAŒtE PIHLOSOPtUQUE DE LADHANGE,

rue St-AtxirË-des-Arts, &i;

A. DUHAND, LIBRAIRE,

rue des Gre's-Sorbonnp, 5.

Page 5: La Physique d Aristote
Page 6: La Physique d Aristote

Idée générale de la Physique d'Aristote c'est une théorie du

mouvement. Antécédentsde la P/t~f</Mp;théories de Platon

sur lemouvement.–Anaiyse de la Physiqued'Aristote. Méthode

exposéetrop brièvement; théorie des principesde l'être, et dé-

finition de )a nature, rattachées !a théoria du mouvement;réfutation du système du hasard dans ia nature. Dénnition du

mouvement; théories de l'infini, de l'espace et du temps,notions quele mouvementsuppose.–Théorie du mouvement;diverses espècesde mouvement; unité du mouvement; opposi-tion et contrariété des mouvements; du repos; du mouvement

et du repos naturels et forcés; {divisibilitéindéfiniedu mouve-

ment .mesure dumouvement; réfutationdesparadoxesde Zenond'ËIéecontre le mouvement; comparaisonet proportionnalitédes mouvements; quelques lois du mouvement..Éternité du

mouvementcirculaire; théorie du premier moteur immobile.Dustyle de la Physiqued'Aristote. Histoire des théories

sur le mouvement; les écoles de l'antiquité le moyen-âge,Albert et saint Tliomas !a Henaissance analyse des théoriesde Descartes, de Newton et de Laplace comparées a celles

d'Aristote. Appréciationrésumée de la Physiqued'Aristote.

La physique, telle que i'a comprise Aristote, ne

répond pas du tout a l'idée que nous nous en fai-

sons aujourd'hui il n'y est question d'aucun des

PRÉFACE

A LA PHYSIQUED'ARtSTOTE.

Page 7: La Physique d Aristote

il PUÉFACE

phénomènesdont pour nouscette scienceest néces-

sairement composée.Aristotene parle ni d'optique,

ni d'acoustique, ni de calorique,ni d'électricité,m

de magnétisme.Non pas que quelques-uns de ces

phénomènes n'eussent été observés aussi par les

anciens; maisla science de la nature ne s'étendait

pas alors a ces détails et l'analyse n'avait pas été

poussée aussi loin. On s'en tenait aux généralités

les plus étendues et comme il arrive toujours

quand la sciencedébute, elle s'arrêtait aux faits les

plus frappants et les plus palpables. Or il n'en est

pas dans la nature de pluscertain ni de plus évi-

dent que le mouvementsoustoutes ses formes et

voilà commentla Physiqued'Àristote n'est au fond

qu'une théorie du mouvement.C'est une étude sur

le principe le plus généralet le plus important de la

nature; car sans ce principe, ainsi qu'Aristotc l'a

dit bien des fois,la nature n'existepas elle s'iden-

tifie en quelquesorte aveclui.

Il ne faut donc pas trop s'étonner si dans l'ou-

vragedu philosopheon trouvede la métaphysique,

et non (le la physiqueau sensoù nous l'cnk-ndons.

Il faut nous dire que le mouvementest dans l'ordre

des idéesle premierfait quedoit constaterla science

de lit nature et dont elle doit se rendre compte,

Page 8: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. in

souspeinedene passebiencomprendreelle-même.

Maispar le progrèsde l'analyse,et parl'importancedû sujet, la théorie du mouvementest sortiedu

domaineproprede la physique et sousle nomdé

mécanique,de dynamiqueetde statique,elleforme

une sciencea part, dont la physiquene s'occupe

plus,maisqu'ellesuppose,parcequesansunetelle

sciencela physiquene seraitpas logiquementpos-

sible.La théoriedu mouvementest si bien l'anté-

cédentobligédela physique,que, quandà la findu

xvn"siècle,Newtonposelesprincipesmathématiquesde la philosophienaturelle,enexpliquantlesystèmedu monde,il nefaitdans sonlivreimmortelqu'unethéoriedumouvement(1).Descartes,danslesPrin-

cipesdela Philosophie,avaitégalementplacél'étude

du mouvementen tête de la sciencede la nature.

Ainsi, deux mille ans passésavant Descarteset

Newton,Àristotea procédétoutcommeeux; et si

l'on veutconsidéreréquitablementson œuvre, on

verra qu'elleest de la mcmefamille, et qu'à plusd'un égard,ellen'a rien à redouterde la compa-raison.

(1)Newtonle dit lui-mêmedans sa Préfaceà la premiëre éditiondes Principes?M~<n!H<çMMf/cla p/tt/o~o~/t/cnf!<:<t'~<1686.

Page 9: La Physique d Aristote

ivv PRÉFACE

Monadmirationsincèrepourle génied'Aristote

ne m'ajamaisaveuglé,et surtoutellene m'ajamais

empêchédecombattrecequeje regardaiscommeses

erreurs.J'aidû,quoiqu'aregret,leréfuterbiensou-

vent.Maisjen'hésitepasadéclarerpourlaPhysique

qu'elleestune de sesœuvresles plus vraieset les

plus considérables.Commeelle n'a point encore

été traduiteen notre langue, elle n'est pas aussi

connueparminousqu'elledevraitFeire et par les

dinicultesqu'elleprésente,elle a peuL-etrerebuté

les philosopheseux-mêmes.Maisje meflatte'que,

mieuxappréciéeen devenantplus accessible,elle

nous paraîtradésormaisdans toutesa grandeur

et quellequesoit la gloired'Aristote,il n'est pas

impossiblequela connaissanceplus approfondiede

cemonumenty ajouteencorequelquechose.Pour

ma part, j'avouequec'est l'impressionque j'en ai

ressentie.L'auteur de tant d'oeuvresprodigieuses

n'estpasestiméà toutesavaleur,si à laLogique,a

la Métaphysique, l'Histoiredes Animaux,a la

Météorologie, la Politique,à la Rhétorique,à la

Morale,a la Poétique,on ne joint pas la jPAy~MC,

qui leségale,si mêmeellene les surpasse.

Sansdoutela F/tys~Mcd'Aristote,mêmedansles

limitesoù ellese renferme,n'est passansdéfauts

Page 10: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. v

et je nem'abstiendraipasdesignalerceuxqu'ypeut

reconnaîtreunecritiqueimpartialeet respectueuse.

Maisdans son ensemble,elleest une des composi-

tionslesplusachevéesqu'ait enfantéesce puissant

génie.L'idéegénéraleen est simple l'ordonnance,

saufquelquestaches,qui consistentsurtout endes

répétitionset des longueurs,est d'une régularité

irréprochable;une parfaiteunité y éclate, malgrécequ'ona pu en dire sur la foi dequelquesdoutes

traditionnels,trop peujustifiés etje nevoisguère

queleTraitéde~m~ qui,surtouscespoints,puisserivaliseraveccelui-ci.Je ne parlepas de l'authen-

ticité,quin'a jamaisétésuspecte,et qui en effetne

peutl'être en aucunefaçonpourceuxqui ont vécu

d'un peu près avecle philosophe,et qui se sont

familiarisésavecson styleet sapensée(d).Pourbienappréciertoutleméritedela Physique,

il ne fautpasseulementrapprocherAristotede Des-

carteset de Newton il fautlecompareraussia ses

prédécesseurset àsescontemporains.Ilest vraiquecen'est paschosefacilequede sefairequelqueidée

précise des études physiques en Grèce quatre ou

(1)Voir plus loin, page ùi5, !a Dissertation sp6cia!c sur la

composttioade la Physique et son authenticité.

Page 11: La Physique d Aristote

cinqsièclesavantl'ëre chrétienne.Maisheureuse-

ment, parmitant d'ouvragesqui ontpéci, ceux de

Platonsontarrivéstoutentiersjusqu'ànous,comme

le plusprécieuxde touslestrésorsde l'intelligence

hellénique et Platonayantétévingtans le maître

d'Àristote,c'est là surtout qu'il faut chercherla

sourcedes principalesopinionsdu disciple, non

sansqu'il nefût possiblede remonterencoreplus

haut. L'élèvea fréquemmentréfutéet combattule

systèmedecelui qui avait instruit sa jeunesseet

formésonesprit.Maistout en s'éloignantdelui, il

lui doit beaucoupet lesempruntsqu'il luifaitinvo-

lontairementvontbien plus loin que lui-mêmene

s'en dou~e.Il faut doncd'abordinterrogerPlaton,

et surprendredans les détours de ses dialogues

l'idéequ'il sefait del'étudede la nature,etparticu-

lièrementdu rôle du mouvementdans le monde.

Dansle Phédon,Socrate,sur le pointdemourir,

passeenrevuelesoccupationsprincipalesde savie

et il rappellequedanssajeunesseil avaitaimépas-

sionnémentla physique il s'y était porté d'une

ardeursanspareille et ense mettantsousla con-

duitedesPhysiciens,<il s'étaitimaginé,qu'ilallait

a savoirtoutd'un couplescausesdechaquechose,

a cequila faitnaître, cequila fait mourir, ce qui

Vf PRÉFACE

Page 12: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. vu

< la fait exister(i). e Mais Socratoétait bientôt

revenude sacuriositéjuvénileetdesanaïvetétrop

crédule.LesexplicationsdesNaturalistesnel'avaient

pasconvaincu,et le peuqu'il en avaittiré lui sem-

blait fortmalrépondrea tant depromesseset a tant

d'espérances.Si les solutionsgrossièresde l'école

Ioniennel'avaientrepoussé,le systèmed'Anaxagnre

lui-mêmene l'avait satisfaitqu'a demi,et Socrate

s'étonnaità bondroitqu'aprèsavoirdécouvertdans

l'Intelligencelacauseet leprincipede tousles phé-nomènesnaturels, le sage de Clazomènese fût

arrêtéensibeauchemin,et qu'iln'eûtfait presque

aucuneapplicationd'unevérité si féconde.Socrate

ne trouvaitpasque l'écoled'Ëléceût mieuxréussi,

et lesparadoxesde cetteécolesur lemouvementne

le charmaientguère plus que lesopinionssédui-

santes,maisperverses,desSophistes.

A la distanceoù nous sommesde ces temps

reculés,etd'aprèsles trop rares fragmentsarrivés

jusqu'ànous,le jugementque porteSocratesur la

physiquede son temps, doit semblerassezjuste,

quoiqu'ilsoitpeut-êtreun peu sévère et tout en

admirantlegénied'un Pythagore,d'unThaïes,d'un

(1)Platon,P/<fMûM,page273,traductiondeM.VictorCousin.

Page 13: La Physique d Aristote

Démocrite,d'unAnaxagore,nous comprenonsque

cessystèmesn'aientpoint contentéSocrate,et qu'il

lesaitcritiqués,sanscependantleurrefuserquelques

louanges.Socrated'ailleursétaitportéparunadmi-

rableinstinctà donnerbienplus d'importanceà la

sciencede l'hommequ'à la sciencede la nature et

il s'estlaisséravirparla psychologieet la morale.

L'humanitédoit l'enremercieréternellement mais

cen'étaitpaslà unedispositiontrès-favorablepour

lesprogrèsdela physique et cen'est pas nonplus

dansl'étudede la nature que s'est surtoutexercée

etqu'a brillél'écolePlatonicienne.

Cependantl'auteur du Timéene prétendaitpas

resterétrangera cesquestions;et tout enles relé-

guanta un rangsecondaire,ilne pouvaitles éviter

quandil essayaitde scruterl'originedes choses,et

de pénétrer jusque dans le sein mêmede Dieu,

créateuret ordonnateursouverainde la nature, de

l'espaceet du temps.La. questiondu mouvement

était une despremièresqu'il dut se poser,et il a

tentéde la résoudresoit dansle T~~e, soitdans le

dixièmelivre des Lois, sans parler de quelques

autres dialogues où elle est moins directement

étudiée.Platonn'a pas songéà définir le mouve-

ment,et il n'a pascherché,commeplus tard Aris-

VHt PRÉFACE

Page 14: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. ix

tote,a en expliquerla nature intime et l'essenceil s'estbornéà se demanderd'où le mouvement

pouvaitvenir,et quellesenétaient les principalesformes.

Surla causepremièredu mouvement,l'opiniondePlatonestaussi arrêtéequ'il se peut, et il nebalancepasà rapportera Dieule mouvementquise montrepartout dans l'universet qui le vivifie.C'estDieuquia tirédes profondeursde son 6trele

mouvement,qu'ila communiquéà toutle reste deschoses;sanslui, le mouvementne seraitpas né, etil ne continueraitpoint. Dieuest commel'âme dumonde; l'âme, qui estle plus anciende tous lesêtres,et qui est pour le vasteensemblede l'universle principedu mouvement,ainsiqu'elle l'est pourles êtres particuliers,animantla matièreinerteàlaquelleelleestjointe.C'estDieuqui acréélesgrandscorps qui roulent sur nos têtes dansles espacescélestes,et c'estlui quimaintientla régularitééter-nelle de leurs révolutions,de mêmequ'il leur aimprimél'impulsionprimitivequi lesa lancésdansleciel. Dieuest doncle pèredu mouvement,soitque nousconsidérionsle mouvementa la surfacedenotre terre et dansles phénomènesles plus habi-tuels,soitqu'élevantnosyeuxnousle contemplions

Page 15: La Physique d Aristote

x PRÉFACE

dansl'infinitéde l'étendueet dansl'harmoniedes

sphères.Platonattache la plus haute importanceà ces

opinions,qui fontpartiede sa foi religieuse,et il

s'élèveavecindignationcontre l'impiététrop fré-

quentedesNaturalistes,qui croienttrouverdansla

matièreréduiteà sespropresforcesuneexplication

suffisante.S'en teniruniquementauxfaitssensibles

quitombentsousnotreobservation,et nepasremon-

ter plushaut pourlesmieuxcomprendre,lui sem-

ble une aberrationet presque un sacrilége.C'est

méconnaitrela Providence,qui régitet gouverne

toute chosesavecautantdebontéquede sagesse,

et c'estrisquerdel'offenserquedenepasvoirassez

clairementla tracequ'ellealaisséedanssesœuvres,

et dansce grand fait du mouvement,qui doit la

manifestera touslesyeux(1). Platonne dit pasen

proprestermesqueDieuest le premiermoteur,et

c'estAristotequi plustardtrouveracette formule

maislapensée,sicen'estl'expression,est delui et

le disciple,souscerapportcommesousbien d'au-

tres,n'aété que l'échode son maître. Seulement,

(1)Platon,XIlivredesLo~,page237&2~9,traductiondeM.VictorCousin.

Page 16: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XI

Aristotea poussébeaucoupplusloinles déductions

sévèresde la science et il a substituéun système

profondet solideà des vues, restéesun peu indé-

cises,toutesgrandesqu'ellesétaient.

D'ailleurs,Platonne s'en tient pas à cette indi-

cationgénérale et aprèsavoirmontréd'oùvientle

mouvement,il veut expliqueraussiavecplus de

détailsles apparencesdiversesqu'il nous offre. Il

distinguedoncplusieursespècesdemouvements,et

il en porte le nombre tantôtà dix, tantôtà sept,sanslesséparertoujoursbiennettemententreelles.

Lemouvementa lieu, soit en avant soiten arrière,enhaut et en bas,à droiteet à gauche joignezcessixmouvementsquechacunconnaît,le mouve-

mentcirculaire,et vousaurezles septmouvements

principaux.D'autresfois,Platonchangecetteénu-

mération,etildistinguelesmouvementsdecomposi-tion et de division, ceux d'augmentationet de

diminution,et ceuxdegénérationet dedestruction.Il y ajoutele mouvementde translation,soitquele

corpsse déplacedans l'espaceet changede lieu,

soitqu'ilfasseunerévolutionsur lui-mêmeet resteen place.Il met au neuvièmerang le mouvement

qui, venant d'une cause extérieure,est reçu du

dehorset estcommuniqué;et enfinaudixièmerang,

Page 17: La Physique d Aristote

PRÉFACEXtt

il met le mouvementspontané,qui n'a pas d'autre

causeque lui-même,et qui produittousles chan-

gementset tous les mouvementssecondairesquel'universnousprésente (i). D'autresfois, encore,abandonnantces classifications,Platonréduit tous

les mouvementsà deux,le changementde lieu et

l'altération,commeil lefait dansleP<M'~Mt6fe(2)ou bien cesdeuxmouvementsne sontplus,comme

dansd'autrespassagesdu Tï~e, quela rotationsur

soi-même,donnéeparDieuaumonde,a l'exclusion

de tout autremouvement,et l'impulsionen avant,maîtriséepar lemouvementdumêmeet du sembla-

ble, qui ramènesans cesseau centrele corpsprêt à

s'égarer.

Maiss'il y a quelqueconfusiondans cesopinionsde Piaton,un axiomesurlequelil nevariepas plus

que sur l'originedu mouvement,c'est qu'il n'y a

pointdehasarddanslanature,etquelemouvement,

qui enestlephénomèneprincipal,ya sesloiscomme

toutlo reste.Lesystèmedu hasardn'expliquerien,et il a ce très-granddangerde porter les âmes à

l'irréligion,malsocialqui perdles individuset que

(1)Platon,XIlivredesLo~,pages233etsuivantes,traductiondeM.VictorCousinetauss:,7'tHit'c,pages12&,i35et1AL

(2)VoirlePHrw~t~c,traductiondoM.VictorCousin,p.29.

Page 18: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XHI

le législateurdoit énergiquementcombattre. Platon

flétrit avecinsistancecesystème, qui est aussi per-nicieux qu'il est vain, et il ne serait pas loin de

porterdes peinescontrelesNaturalistesqui y croient

et s'en font les apôtres. C'est là un germe qu'a re-

cueilliAristote,et qu'il a développénon moinsheu-

reusement que son maître, bien qu'à un tout autre

pointde vue. Cen'est pasl'impiété de cettedoctrine

qui a révoltéAristote mais c'est sa faussetégros-sière en présence de l'admirable spectacle quel'ordre universel étale sans cessesous nos regards,

pour peu que nousvoulionsl'observer (i).Ala questiongénéraledu mouvement,s'en ratta-

chent quelquesautres que Platon a égalementtou-

chées,et qu'àson exempleAristote a fait entrer aussi

danssa P/< Platon distingue le mouvementen

haut, et le mouvementen bas. Maisqu'est-ce que le

haut et le bas?Sont-ils relatifs à nous uniquement?Oubien existent-ils dans la nature? Sur cetteques-

tion, qui peut nous sembler embarrassantemême

encore aujourd'hui, Platon a deux solutionsqui se

(1)Voirunpeuplusloindanscettepréfacelaréfutationd'Aris-totecontrela doctrinedu hasard;voiraussidansPlatonlaX'livredesLois,pages223etsuivantes,traductiondeM.VictorCousin.

Page 19: La Physique d Aristote

PRÉFACEXIV

contredisent et qu'Aristote n'a pas éclaircies plus

que lui. Le haut est le lieu où se dirigent les corps

légers le bas est le lieu où se dirigent les corps pe-

sants. Il sembledonc que le haut et le bas sont dé-

terminés par une loi naturelle, puisque ce n'est pas

indifféremmentque telscorps s'élèvent, tandis que

d'autres sont toujoursentraînés par une chute irré-

sistible.Maisailleurs, Platon est d'un autre avis, et

il déclarequ'il n'y a dans la nature ni haut ni bas,

attendu que tout y est concentrique(1). Platon, du

reste, n'approfondit pascette dernière idée, qui est

commeun pressentimentde la théorie de la pesan-

teur universelle.C'est que les temps n'étaient pas

venus; et le génie même d'Aristote, avec celui de

sonmaître, ncsuiïlsaitpas découvriret à constater

cette grande loidu mondeet de la matière.

S'il n'y a ni haut ni bas dans la nature, il y a

bien moinsencorede vide,et tout est plein dans ces

espacesinfinis où notre regard se perd quand il s'y

plonge.Platon ne dit pasde quelle espèce peut être

cette matièredont, à son sens, l'espace est rempli

mais elle n'est point telle qu'elle puisse opposerle

moindreobstacleau mouvement,et le mouvement

(1)"iaton,r! page180,traductiondeM.VictorCousin.

Page 20: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AMSTOTE. XV

s'y passeavecune si constanteet si parfaite regula-ritë qu'évidemmentrien ne le troubleni ne le gêne.Ce n'est pas à dire que peut-être à l'jntérieur des

corps, il n'y ait des vides et il est une foulede

phénomènestrès-facilesa observerqui attestent queles parties des corps peuvent être plus ou moins

éloignéesles unesdesautres,sans que le corpsperdeaucune de ses propriétés, ni mêmequ'il perde sa

forme. Tantôt les corps se contractent sur eux-mc-

mes, tantôt ils se dilatent. tl sembledonc que dans

leur intérieur, il y a des vides qui disparaissent à

certains moments, ou qui s'accroissent a certains

autres. Maisla structure intime des corps nous est

trop peu connue, et comme on ne peut percer ce

mystère, Platon s'arrête croire d'une manière gé-

nérale quedans le mondelevide n'est pas plus pos-sibleque le néant.

Si le vide n'est pas nécessaire au mouvement,deux autres conditionslui sont essentielles, selon

Platon. Le mouvementne peut s'accomplirque dans

un certain espace et dans un certain temps. Sans

l'espace et le temps, le mouvementn'est même pasconcevable.Il faut que toutce qui est, il faut quetout ce qui change et se meut, soit quelque part et

Page 21: La Physique d Aristote

PRÉFACEXYi

dansun lieu('1) cequi n'est nullepart n'est rien

et si le mouvementet Fètrenedurentpas quelque

portion de temps,ils nous échappentnécessaire-

mentet sont pournousabsolumentcommes'ilsn'é-

taientpas.

Qu'est-ceque l'espace?Qu'est-ceque le temps?

Platons'arrêtepeua.cesdeuxidées.Maisil.a sur le

temps,indispensablea la réalitéet a la conception

mêmedu mouvement,unethéoriequ'Aristotea cru

devoirréfuter, et qui cependantest profondément

vraie.Platonsoutientque le tempsa commencé,et

que par conséquent,il peut finir. Aristotetrouve

cette opinion fort singulière,et il signalePlaton

commele seulparmilesphilosophesquil'ait adop-

tée.Je croisqu'Aristoten'apas examinéd'assezprès

la pensée de son maître. Platon distinguedeux

chosesqu'eneffetil fautsebien garderde confon-

dre l'étcrnit.éet le temps, qu'Aristotea eu quel-

quefoisle tort de prendre l'une pour l'autre.Le

temps n'est, suivant la grandeparolede Timée,

qu'une imagemobilede l'éternité. Tout ce qu'on

peut dire de l'éternité, c'est qu'elleest; il n'y a

pourelleni passéni futur elleestun perpétuelet

(1)Platon,Ttt~c,page158,traductiondeM.VictorCousin.

Page 22: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTË. XVII

b

insaisissableprésent.Lepasséet l'avenirneconvien-

nent qu'à la générationqui se succèdedans le

temps et ilssontle domainedu mouvement.Mais

quant à l'éternité, immobilecommeellel'est, rien

ne h mesurenine l'épuise.Letemps,au contraire,a commencéavecle monde,quandDieul'acrééet ya misun ordremerveilleux.<C'estl'observationdua jour et delanuit cesontlesrévolutionsdesmoisa et desannéesqui ontproduitle nombre,fourni<tla notiondu tempset rendupossiblel'étude de<tl'univers(d).BLetempsn'est donc qu'unepor-tion de l'éternité,que nousen détachonsa notre

usage.Maisdansl'éternitéelle-mêmeil n'ya plusde temps;carle tempsn'estpas identiqueavecelle,tandisquel'éternitéest enquelquesorteidentiqueàDieu.C'estqu'eneffet,commedevaitle direadmi-

rablementNewton,Dieun'estpasl'éternitéplusqu'iln'est l'infinitude;maisil est éternel et infini. Le

tempsn'existepaspourlui; le temps n'existequepour nous.L'éternitéestdivine le tempsestpure-ment humain.Il ne convientqu'à ce quia eu un

(1)ï'I&ton,TtMtJe,pages130et131,traductiondeM.VJctorCousin.

Page 23: La Physique d Aristote

PRÉFACEXVM1

commencementet peut avoirune fin. L'éternité n'a

point commencé,et ellene peut finir.

Ainsi dans les théories platoniciennes,le mouve-

ment et le temps qui se mesurent mutuellement,

ont une destinéepareille. Ils sont nés un certain

moment par la volontésouverainede Dieu ils peu-

vent s'éteindre et mourir par un autre de ses dé-

crets. Ils sont tous deux divisibles et le sont à

l'infini. Mais l'éternité est une; et son existence

nécessaire implique son unité absolue. Elle est in-

défectible, tandis que le mouvementet le temps qui

s'écoulent dans son immuable sein, ne le sont pas.

En attendant, le mouvement et le repos, son con-

traire, se partagent le monde, puisque certaines

chosessont mueset que d'autres ne le sont pas. Si

nous savonsles bien observerl'un et l'autre, nous

comprendronsun peu mieux la nature, et nous pé-

nètrerons un peu plus avant dans le secret de la

matière universelle, cet ample et confus réceptacle

de toutes choses,qui en soi est informeet invisible,

bien qu'elle soit le théâtre de tous les phénomènes.

Tel est peu près l'ensemble des vuesde Platon

sur la questiondu mouvement.On peut trouver cer-

tainement qu'elles sont incomplèteset peu précises.

Mais ellessont pleines de grandeur, et il quelques

Page 24: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUEDARISTOTE. xix

égardselles peuvent passerpour le dernier mot de

l'esprit humain sur ce profond et difucile sujet.

Aprèsles travauxdes philosophes et des mathéma-

ticiensmodernes,onen sait beaucoupplus longsans

doute sur la.théoriedu mouvement; et l'analyse a

mis en lumière une foule de détails dont Platonn'a

paseu le moindre soupçon.Maispour fêla sonmé-

rite n'en est pasamoindri; c'estlui qui le premiera placécette théorieà la hauteurqu'elle devraittou-

jours conserver, et que les mathématiques, même

quandon les appliqueà l'astronomie,lui fontperdre

trop souvent. La question du mouvement dans le

mondeet dans la nature se lie intimement a la ques-tion même de Dieu et de sa providence.Platon l'a

bien vu, et c'est unegloire qui lui appartient mieux

qu'à qui que ce soit.

D'ailleurs, le défaut qui dépare la forme de ces

doctrines,n'est pasmoinsévidentque leur sublimité

et leur élévation.La manière dont Platon exposesa

pensée n'a rien de scientifique,ou plutôt n'a rien

de systématiquementordonné.Laformedu dialogue

qu'il a prise ne comporte pas la démonstration.

Pour reproduire au vrai ces entretiens incompara-blesde Socrate,et leur conserverla réalité de la vie,il fallait laisser de côté ces arguments rigoureuxet

Page 25: La Physique d Aristote

PRÉFACExx

cesdéductionspresséesquela scienceexige.Onest

beaucoupmoinsaustèrequandon discuteavecdes

amis, qu'on ne doit l'êtrequand on se place seul

face faceavecla vérité.Lesdialoguesplatoniciens

n'en sontpasmoinspersuasifsni moinsutiles.Mais

ils sontuneexception,commeSocratelui-mômeen

est unedansl'humanitéentière.Ils sontfaits pour

charmeret instruire perpétuellementlesespritsles

plusnobleset les plusdélicats.Maisil seraitpéril-

leuxde les prendre pour modèles,et une simple

imitationne seraitpasassezsérieusepourle service

de la science.De nouveauxdialoguesne seraient

acceptablespourellequ'~laconditiond'un nouveau

Socrateinterprétépar unautrePlaton.

Aristotea biensenti cette diniculté,et tout en

conservantunebonnepartiedes idéesde sonmal-

tre, il lesa transformées.Nousen retrouveronsun

grandnombredans sa Physique maisl'expression

en sera toutautre, et ellesy paraîtrontneuvestant

ellesy seront changées,bienque le fondsoit resté

à peuprèsle même.Ceprocédéd'Aristoteserépète

dansbiend'autres de sesouvrages sa politiqueet

sa moralepar exemple,ne sontguèreque les échos

de la moraleet de la politiqueplatoniciennessa

logique,samétaphysique,malgrébiendesdifTéren-

Page 26: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XXf

ces, ont fait des emprunts nombreux; sa poétique,sa rhétorique sont dans le même cas. Maissur tous

ces sujets,Aristoten'en reste pas moins profondé-ment original.Les idées se transfigurent sous sa

main; il leur imprimel'ordre et le cachet indestruc-

tible de la science,et cette forme définitivequi les

rendra propres à l'enseignement et a l'instruction

des siècles,quand les siècles se mettront à cette

graveécole.Cemérite éclatedans la Physiqueplus

que partout ailleurs et on peut la regarder à la fois

commeun résuméde tout ce que l'antiquité grecquea su de ce grandproblèmedu mouvement,et comme

un manuelde ce que les âges postérieurs ont doci-

lement répétéjusqu'aux temps de la Renaissanceet

à la rénovationde la sciencemoderne.

Voicil'analyse de cette belle théorie que je veux

reproduire dans ses traits les plus saillants et les

plus clairs, afin de mieuxvoir ensuite ce qu'on y a

ajouté,soit au nom des mathématiques, soit aunom

de l'astronomie.

Aristote débute par énoncerquelquesrègles très-

généralessur la méthode qu'il compte suivre dans

l'étude de la nature, et il établit qu'il faut, pour la

physique commepour toute autre scienced'obser-

vation,commencerpar l'examendes chosesqui sont

Page 27: La Physique d Aristote

PRÉFACExxu

les plus notoirespour nous, et s'élever ensuite aux

chosesqui sontlesplus notoiresen elles-mêmes.Les

premièresnotionssont toujoursassezconfuses;mais

l'analyse y porte peu a peu la lumière, et tout finit

par s'éclaircir en se classant. Je ne prétends pas

qu'Aristote soit toujours resté très-fidèleà ce pré-

cepte mais c'est déjà beaucoupque de le promul-

guer, et même en ne s'y pliant pas soi-même, on

peut montrer à d'autres à en faire un usage plus

constant.

Le premier principe qu'Â-ristoteconstate dans

l'étude à laquelleil va se livrer, et qui en est comme

l'inébranlablefondement, c'est qu'il y a dans la na-

ture certaineschosesqui se meuvent.C'estlà un fait

que l'observation nous apprend avec la dernière

évidence,etquel'induction confirmepour peuqu'on

y veuille réfléchir.Tout dans l'univers n'est pas en

mouvement,commeon l'a prétendu maisc'est faire

violenceau témoignagele plus manifestede nos sens

que de soutenir, commel'ont fait quelquesphiloso-

phes, que tout est en repos. Aristote ne veut pas

discuter longuement contre ces paradoxes,que se

permettait surtout l'école d'Elée il admet en fait et

en principe que le mouvementexiste,et que c'est de

cette vérité qu'il faut partir pourétudier la nature.

Page 28: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. xxm

Il y a desquestionsque les sciencesrencontrentdès

leurs premierspas et qu'elles doiventrésoudre il

en est d'autres qu'elles doivent omettre, parce que

ce sontdes obstaclesvains que leur opposeun scep-

ticisme plus habile que sincère. Les sciences s'ap-

puient chacunenécessairementsur certainsaxiômes

qu'elles admettent sans contrôle et à défaut de

cettefoi impliciteet instinctive,l'édificede la science

ne pourrait être construit, parce qu'il manquerait

de base. Laphysique ferait doncbien de dédaigner

ces hautaineset absurdes négations,et de procéder

commela géométrie,qui ne discutejamais que des

questionsessentiellementgéométriques.Maiscepen-

dant commeles philosophesqui ont nié le mouve-

ment, ont touché desquestionsphysiques,touten

se mettant en dehorsde la physiquevéritable,Aris-

tote croit devoir s'arrêter un instant à repousser

leurs erreurs; et pour expliquer la possibilitédu

mouvement,il remonte juxqu'aux éléments et aux

principesde l'être. C'est le sujet du premier livre

de la Physique,consacrépresque tout entier à cette

discussion. Sans doute, elle n'a pas aujourd'hui

l'intérêt qu'elle offrait au tempsd'Aristote, et une

réfutationde Parménideet de Mélissusne pique pas

très -vivementnotre curiosité.Maisil estbon de s'en

Page 29: La Physique d Aristote

PRÉFACEXXtV

fturc toutefoisquelque idée, pour mieuxsuivre tous

les progrèsde la science.

Parménide et Mélissussoutenaient que tout être,

quel qu'il soit, est essentiellementun, et ils ne vou-

laient pas mêmedistinguer dans l'être la substance

et les attributs. Ils confondaient tout ce qui entre

dans la compositionde l'être, et tous les êtres, sous

cette obscureformule, dontAristotes'attache à dé-

montrer l'inanité. Les motsd'être et d'un ont plu-

sieurs sens, et il ne serait pas malde bien marquer

dans lequel de ces sens différentson prétend les

employer. L'être existe avecune unité apparente

mais pour peu qu'on veuilleexaminer cette unité,

on y découvrebientôt une multiplicité d'éléments.

La réalité de l'être n'est pasla même que celle de

sesattributs et de ses accidents.Lesattributs n'exis-

tent pas par euxseuls, et il faut préalablementet de

toutenécessité,l'être substantiel pour les soutenir

et leur communiquerune réalité que par eux-mê-

mes ils ne possèdent point. En regardant aussi a la

définitiondes êtres, on voitsans peine qu'ils n'ont

pas cette unité prétenduequ'on leur suppose si gra-

tuitement. L'homme par exemple,quand on le dé-

finit, est un animal bipède. Or la qualité de bipède

n'est pas un accidentde l'homme; elle n'en est pas

Page 30: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. xxv

sépnrnMe;car l'idéf df bipède est impliquée dans

l'idée d'homme,tandis que l'idée d'hommen'est pas

impliquéedans celledebipêde. Ainsil'hommequ'on

veut faire si complétementun, ne l'est pas logique-

ment plus qu'il ne l'est matériellement. Cequi est

dit de l'homme pourrait également s'appliquer à

tout autre être et chacun des êtres, loin d'avoir

l'unité qu'on croit, est composé d'éléments essen-

tic)squi sont en lui commeautant de principesmul-

tiples et distincts.

Anaxagoren'est guère plus sensé que Mélissuset

Parménide,quand il soutient que tout est dans tout,

et quand il confond dans ses homéomériesou par-

ties similaires, tous les éléments de l'univers. C'est

faire de toutes chosesun véritable chaos; et cen'é-

tait pas la peine d'essayer dedébrouillerpar l'Intel-

ligencele chaos primitif, pour aboutir à cetteexpli-

cation incompréhensible.

Il faut donc en revenir à quelque chose de plus

clair et de plus vrai; et reconnaître que l'être est si

peu un, au sens ou on le dit, qu'il peut avoirdes

contraires. Les partisans les plusaveuglesde l'unité

de l'être sont forcésd'avouer que le mêmeêtre subit

bien des changements, et que par exemple il est

tantôtchaud, tantôtfroid. Q&ca~ont

la.des contrai-~f~~

Page 31: La Physique d Aristote

PRÉFACEXXVI

res, et par conséquentdes principes.Maisles con-

traires ne peuvent jamais être moins de deux dans

l'opposition qui les sépare, et qui en même temps

les rattache l'un a l'autre.Ils détruisent doncla pré-

tendue unité de l'être. D'autre part, ils ne peuvent

pas être trop multiples car s'ils étaient en nom-

bre infini,ilsdeviendraientinaccessiblesa la science,

puisque la sciencene peut jamais parcourir l'infini.

Ainsivoilà déjà.deux conclusionsirréfutables l'être

n'est pas un, et les principesqui le composent sont

en nombre limité.Maisquel estce nombre?Évidem-

ment, il ne peut pas y avoirdans l'être deux prin-

cipes seulement. Ces deux principes seraient des

contraires, et les contraires ne peuventagir l'un sur

l'autre. Par exemple et pour prendre les contraires

imaginésparEmpédocle,qu'est-ceque l'Amourpeut

sur la Haine? Qu'est-ce que la Haine peut sur l'A-

mour? Il y a donc entre les deuxcontraires une na-

ture qui leur sert de support commun, si ce n'est

simultané; et cette nature c'est la substance, que les

contraires modifientet changenttour a tour, n'exis-

tant qu'en elle-mêmeet par elle-même.

Danstoute production de phénomène, il y a tou-

jours ainsi quelque chosequi subsiste, et qui reste

un numériquement.Maisla formevarie, et ellerevêt

Page 32: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. xx~n

les contraires qui la diversifient danschaquegenre.

Ainsi l'homme subsiste et demeure,bien quesuc-

cessivementil fassede la musiqueou qu'il cessed'en

faire; il est musicienou il ne l'est pas. Maispour sa

substance,il n'y a ni opposition possible,ni équi-

voque il est toujourshomme sousles modifications

accidentellesqu'il subit. La substance n'est jamais

l'attribut de quoi que ce soit, tandis que les acci-

dents sont les attributs nécessairesde ce qui les

reçoit et est dénomméd'après eux. Par conséquent,

dans tout phénomènequi se produit et qui devient,

on peut distinguerle sujet et la forme. Maiscomme

h forme peut être l'un des deux contraires, et

commeil n'y a jamaisqu'un desdeux contrairesqui

puisse réellement exister Ala substance et a la

formeil faut ajouterlaprivation, pour tenir compte

du contraire qui est momentanémentabsent,et qui,

les conditions étant données, peut se substituer a

l'autre contraire, qui est nécessairement seul tant

qu'il est.

Donc,en résumé, les principes de l'être sont au

nombre de deux, en les considérant à un certain

pointde vue, et ils peuventêtrejusqu'à trois,en les

considérantà un pointde vue légèrementdiiFérent.

la matière ou le sujet, la formeet la privation.La

Page 33: La Physique d Aristote

PRÉFACEvXXVJU

matière existe préalablement,et la forme vient s'y

joindre en la déterminant. La matière prise dans

toute sa généralitén'est pas précisément l'être lui-

même elle est à l'être réel et particulier que nos

sensperçoiventceque l'airain est à la statue,ce que

le bois est au lit qui en est fait. L'être ne serait pas

sans elle; mais elle est autre chose que l'être, tant

qu'elle n'a pasreçula formepropre qui le constitue

essentiellement.

Voilàcette théoriefameusede la matière et de la

forme si souvent reprochéea Aristote, et que l'on

critiquera sans doute plus d'une fois encore.Pour

moi, je la trouve simple et vraie; et elle n'a pas

même le tort d'être obscure; tout au plus accorde-

rais-je qu'ellea quelque subtilité, sans être d'ail-

leurs en rien sophistique.La matière et la forme

sont les élémentslogiqueset réels de l'être.

Mais,pour l'étude spéciale qu'Aristote poursuit

dans sa P/~s~Me,cettedoctrine était indispensable,

et elle a une importancetoute particulière. Du mo-

ment que l'être n'est plus un commele croyaient

ParménideetMélissus,il n'est pas immobile,comme

ils le soutenaient avec plus de conséquenceque de

raison. Oui sans doute, si l'être est un, il ne peut

pas avoir de mouvement;mais s'il a une partie qui

Page 34: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. xxix

change,et si à la substances'ajoutela forme,dès

lorslemouvementestpossible;carla formechange,

puisqu'ellepeut passerd'un contrairea l'autre; et

qui ditchangement,dit mouvementpar celamême.

L'unitéde l'être estincompatibleavecsa mobilité;

maisdu momentque l'être est multiple,il est sus-

ceptibledemouvement;et c'estla formequi est en

lui l'élémentmobile,tandisquelasubstance,comme

sonnommêmel'indique,demeureet subsistetelle

qu'elleest, sansavoirjamaisde contraireet sansja-

maisêtremue.L'Écoled'Elecn'osaitpasdu premier

coup risquer cet énorme paradoxequi nie le

mouvementdanslemonde,etquicontreditsi auda-

cieusementle senscommunet l'attestationdenos

sens;mais elle niait d'abord le mouvementdans

l'être lui-même,pour arriver plus sûrement avec

Zenon le nierdansl'univers.

Non-seulementAristotecroit, par cette doctrine

desprincipesde l'être, démontrerla possibilitédu

mouvement;il y trouve,en outre,cet avantagede

résoudrediversesquestionsquiavaientembarrassé

les anciensphilosophes,et quisortaientde cesin-

gulier systèmede l'unité. aRiennevientde rien,i disaient-ilsdans leur inexpérience;.et,par con-

Page 35: La Physique d Aristote

xxx PRÉFACE

a séquent, rien ne nait, rien ne périt. C'était nier

toute génération et, de cette façon encore, l'unité

de l'être impliquait nécessairementson immobilité.

La théorie de la matière et de la forme explique

cela sans la moindre peine. Sansdoute, rien comme

on le dit, ne vient du non-ètrc; mais une chosede-

vient ce qu'elle n'était pas; subsistant dans sa

matière,elle changedans sa forme; le contraire que

supposait la privation prend la place du contraire

réel quidisparait après avoir été et cenouvelattri-

but sort, si cen'est absolument, tout au moins d'une

façon indirecte, de la privation, qui est en soi le

non-être. La chose n'est pas cequ'elle devient, pré-

cisément parce qu'elle le devient; mais c'est de ce

qu'elle n'était pas qu'elle tire la forme nouvelle

qu'elle reçoit. La génération ainsi conçue suppose

l'être; elle est alors toute relative,car c'est le simple

changement d'un contraire dans un contraire.Mais

la générationabsolue ne suppose pas moins l'être

que la génération relative d'une qualité; un être

vient toujours d'un être antérieur, et c'est, par

exemple,l'homme qui engendre l'homme. Grâceà

cette distinction, qui est à peu près cellede l'acte et

de la puissance, les anciens philosophes auraient

Page 36: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XXXÏ

comprisque quelque chose peut venirdu non-être,

et ils ne se seraient pas tant troublésd'une difficulté

qui n'est que spécieuse.

On le voit donc le premier livre de la P/e

est presqu'entièrement polémique; mais de cette

polémique ressort la certitude de ce grand fait du

mouvement, que des écoles plus audacieusesque

raisonnablesavaientébranlédans la croyancecom-

mune. Aujourd'hui la réfutation de telles doctrines

nous semblerait bien peu utile (1);mais elle l'était

au tempsd'Aristote, et l'école d'Élée était encore

assez puissante pour qu'il y eût opportunité la

combattre et à démontrerseserreurs.

A cette affirmation du mouvement, succède dans

tout le second livre de la Physique une longue défi-

nition de ce qu'Aristote entend par la nature. C'est,

en effet, dans l'ordre de ses idées la première ques-

tion qui se présente, puisqu'il identifie à peu près

complétement le mouvement et la nature, que le

()) « Lemouvement et ses propriétés générales sont le premiera et principal objet de la mécanique. Cette science suppose« l'existence du mouvement,et nous la supposeronsaussi comme

<tavouée et reconnue da tous les physiciens. A l'égard de )a. na-

([ turc du mouvement, les philosophes sont au contraire fort

<tpartagés la-dessus, n D'Alembert,Tr~c de D~/n~tx/Mc',édi-

tion de 1758,Discourspréliminairespage v.

Page 37: La Physique d Aristote

PRÉFACExxxn

mouvementanimetout entière.Entre les êtres qui

sont dansla natureouquiexistentnaturellement,et

ceux que produitl'art del'homme,il y a cettepro-

fonde différenceque les premiersportenten eux-

mêmes le principede leur mouvementoudeleur

repos,et quelessecondsn'ontde reposoude mou-

vement que parl'intermédiairedesélémentsnatu-

rels dont ils sont composés.Ainsi,c'est la nature

qui fait lesanimaux,lesplanteset lescorpssimples

tels que la terre,le feu,l'air et l'eau.Toutesces

chosesonten elles-mêmesoula caused'un mouve-

ment de locomotiondansl'espaceetd'undéveloppe-

ment spontané,ou la caused'une inertie qui les

maintient dansle lieuoùelles sont.Au contraire,

les choses produitesparl'art, un lit, par exemple,un vêtement,n'ont en tant que tels aucune ten-

danceà changer;et s'ilschangent,cen'estqu'indi-

rectementet commeformesde certainsélémentsna-

turels qui ontla facultéproprede changeret d'être

mus. Lanatureestdoncdansles êtres qu'ellecrée

le principeet la causedumouvementet du repos.

Lesêtressont appelésnaturels,et ils sontdits de

nature, quandilsont en eux-mêmeset considérés

seuls, ou le mouvementoul'inertie.

Je ne voudraispas soutenirque cettedéfinition

Page 38: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. xxxm

de la nature soit a l'abri de toute critique; mais ilfaut l'accepter telle qu'Aristotenous la donne. Lui-mêmesans doute la trouvait insufflsante; car il es-saie de l'approfondir un peu davantage. II sedemande donc puisqu'il reconnaît deux élémentsessentielsdans l'être, la matière et la forme, avecla

privation, si c'est la matière ou la forme qui est lavéritable nature des êtres. Il incline à penser que laformed'une choseest bien plutôt sa nature que nel'est la matière; car la matière n'est en quelquesorte qu'en puissance, tandis que la forme est l'acteet la réalité. C'est la forme qui constitue précisé-ment l'essencede chaquechose; car c'est d'après saforme et non d'après sa matière que l'être, quelqu'il soit, est dénommé.C'est sa forme qui fait son

espèce.Maisà cesdeuxpremières causes, la matièreet la forme, il faut en ajouterdeux autres pour com-

prendre la nature des êtres dans toute sa généra-lité. Ces deux autres causes, ce sont l'origine dumouvementet le pourquoi des choses.Les causessont ainsi au nombrede quatre la causematériellela cause essentielle ou formelle,la cause motriceetla causefinale. Cesquatre principes épuisent l'êtretout entier, et on les retrouveperpétuellement dansla nature pour peu qu'on l'étudié tout y a unema-

Page 39: La Physique d Aristote

XXXIV PRÉFACE

tière, touty aune forme,touty a du mouvement,

et de plustouty a unefin.

AussiAristote,se souvenantdes leçonsde Pla-

ton, combat-il.avecla plus grande force cette

absurdedoctrinequi croit trouver duhasarddans

la nature. Il attestepourla réfuter et le spectacle

du ciel, oùtoutsepasseavecunemerveilleuserégu-

larité, et l'organisationdes animaux,où toujourstel

organerépondà telle fonction.Il railleEmpédoclc,

qui s'est imaginéquelespartiesdesanimauxsecor-

respondentsi admirablementles unes aux autres

par unsimpleeffetduhasard,et quelesgrandsphé-

nomènescosmiquessontsans lois et peuvents'ac-

complir tantôt d'une façonet tantôt d'uneautre.

Levrai physicien,en étudiantles quatreespècesde

causes,se convaincraaisémentque la nature agit

toujoursen vue d'une fin; et précisément parce

qu'elle estrégulièredans l'immensemajoritédes

cas,ellen'estpas soumise uneaveuglepuissance;

ellen'estdoncpassouslejougde la nécessité.

Onobjecte,il est vrai,que certains phénomènes

naturels produisentsimultanémentdes effetstout

différents,et que, par exemple,la pluiequi tombe

fait pousserle graindansle sillon,en mêmetemps

qu'elle le pourritdansla grange,si la toiturede la

Page 40: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XXXV

grange est délabrée. On en conclutque la pluie est

un simple phénomène nécessaire, qui résulte de la

condensationdes vapeursdans les parties élevéesde

l'atmosphère, où elles se convertissent en eau pourretomber sur le sol. Maisdira-t-on aussi que c'est

une nécessité inintelligente qui fait que toujoursdans la machoiredes animaux les dents de devant

sont incisiveset aiguës pour trancher les aliments,tandis que les molaires sont propres à broyerparce qu'elles sont larges?Osera-t-on soutenir quec'est là une simple coïncidence,et que c'est un puraccident qui a fait que les choses se sont produitesdans des conditions de durée convenables,absolu-

ment comme elles se seraient produites si elles

avaient eu un but prédéterminé et réfléchi?C'est

croire avec Empédocle qu'il y a eu jadis des tau-

reaux qui avaient des visageshumains, des oliviers

qui portaient des raisins, et que c'est après une

foulede combinaisons,toutes plus impossibles les

unes que lesautres, que les taureaux et les hommes,les oliveset les vignes, ont été enfin ce que nous les

voyons.Soutiendra-t-on aussi que c'est un hasard

qu'il fasse mauvais temps en hiver et qu'il fasse

beau en été? Est-ceencorepar hasard que les four-

mis, les abeilles, les araignées même exécutant

Page 41: La Physique d Aristote

xxxM PRÉFACE

leursétonnantstravaux?Est-ceun hasardquel'hi-

rondelledisposesihabilementlenidde sajeunecou-

vée,quedanslesplantesmêmeslesfeuillescouvrent

si utilementle fruit,et quelesracinespoussenttou-

jours en bas pour trouverleur nourrituredansle

solqu'ellespénètrent?

Ainsi,il n'y a pasde hasard,il n'y a pasde né-

cessitédansla nature; et cequel'on appellevulgai-

rement nécessitéet hasard,c'est ce que nousne

comprenonspas.Onne peutnierqueparfoisla na-

turene setrompe,etqu'envoulantréaliserla forme,

qui est sonbut principal,ellen'échouequelquefois

danssesefforts.Ainsi,lesmonstressontunedévia-

tion des lois ordinaires, et d'un but vainement

cherché;c'est la perversionde la semenceet du

germepar une causequi nousreste ignorée.Mais

toujoursleprincipetendau mêmerésultat,à moins

qu'iln'y ait quelqu'obstaclequi l'arrête. Il est vrai

que dans la nature le moteurest souventimpé-

nétrable et invisible;ma~sceci ne veut pas dire

qu'ilne soit pas intelligent.La nature,repétons-le

bien haut,est une causeet une cause qui agit en

vue d'une fin. Lenécessaire,quoi qu'on en puisse

penser n'a pointdans leschosesune existenceab-

solue il n'a qu'une existenceconditionnelle,et en

Page 42: La Physique d Aristote

A LAPHYSIQUED'ARISTOTE. xxxvii

quelque sorte hypothétique; c'est-à-dire que cer-

taines donnéesétant admises, il en résulte nécessai-

rement certaines conséquences. Ainsi h maison

devant être construite,il faut nécessairementqueles matériaux les plus lourds et les plus solides

soient dans les fondations,et que les plus légerssoient au faîte. C'est encore de la même manière

que la scie, pour accomplirson oeuvre,doit néces-

sairementavoir des dentsde fer. Maisni la maison

ni la sciene sont nécessaires;ce qui l'est unique-

ment, c'est que, tel but devant être atteint, il faut

employertelsmoyenspouratteindre ce but. Lené-

cessaire m~mc en mathématiques est simplement

consécutif, comme il l'est dans la nature; et le

domainede la nécessitéestbeaucoup plus restreint

qu'on ne l'a cru, en s'en rapportant à une étude

trop superficielle.

Après cette magnifique apologie de la nature,Aristote en arrive au mouvement,et il essaied'a-

bord de le définir avant de l'expliquer. La défini-

tion du mouvementtelleque l'a donnéeAristoteest

célèbre; et elle a été biendes fois tournée en ridi-

cule, bien qu'elle ne le mérite pas plus que la

théorie de la matière et dela forme. Pour ces abs-

tractions, le point vraiment difficile, c'est de les

Page 43: La Physique d Aristote

xxxvm PRÉFACE

comprendre; maisune fois bien comprises,on voit

qu'ellesne sontni fausses, ni inutiles. Ainsi, quand

Aristote définit le mouvement l'Actedu possible,

il faut,au lieu de s'étonner, tâcher de savoir ce que

signifiecette formule. Ccllc-1~s'éclaircira toutà fait

pour nous, si nous nous rappelons ce qu'il vient de

dire de la forme et de la matière.La matière est

l'indéterminé; la forme est au contrairece qui dé-

termine l'être et le fait ce qu'il est. Il y a doncun

mouvementpour que la formese joignea la matière;

et commeil n'y a pas de mouvementen dehors des

choses,il faut toujours,quand l'être change, que le

changement se produise ou dans la substance,ou

dans la quantité, ou dans la qualité, ou dans le lieu

de l'être. Mais comme l'être peut être ou réel ou

simplement possible,c'est le passagedu possibleau

réel qui constituele mouvement,et voilà comment

le mouvementest défini l'Acteou la réalisation du

possible,en tant que possible.Par exemple,l'airain

est la statue en puissance,c'est-à-dire que l'airain

peut devenir statue; mais ce n'est pas en tant

qu'airain qu'il est mis en mouvement;c'est seule-

ment en tant que mobile.Le mouvementn'a lieu

qu'au moment m&mede l'acte; il n'existe ni avant

ni après. L'acte d'une maison qui est à construire,

Page 44: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. xxxix

c'est la construction; avantque la maison ne soit

construite il n'y a pas encorede mouvement; elle est

simplementpossible, aprèsqu'elle est construite, il

n'y a plus de mouvement;il n'y en a qu'au moment

où l'acte s'accomplitavecplus ou moinsde rapidité.

Aristote ne se dissimulepas d'ailleurs que cette

définition pourra fort bien ne pas satisfairetout le

monde; mais il remarque avec grande raison que

définir le mouvementest chose très-ardue (1); et il

croit pouvoiraffirmerque la définition qu'il risque

est peut-être encore la moinsimparfaitequi puisse

en être donnée. Une conséquencetrès-gravede cette

définition, c'est que le mouvementn'est pas, à pro-

prement parler, dans le moteur; il est dans le mo-

bile, puisque c'est dans le mobilequele mouvement

se réalise et devient actuel; il n'est en quelquesorte

qu'en puissance dans le moteur (2). Maissi d'une

manière généralele mouvement est l'Acte du pos-

sible, chacun des mouvementsparticuliers sera dé-

fini par une modificationdecette formulecommune.

(1)Laplacefaitla mêmoremarque,E;cpo~tOMdM~~we dumonde,livrein.

(2)C'est aussi l'opinion de Descartes, qui peut-être a eu là

quelque réminiscence involontaire d'Aristote; PnnctpM de la

P/tt7Mop/t;c,2' partie, § 25, éditionde M.Victor Cousin.

Page 45: La Physique d Aristote

XL PRÉFACE

Ainsi l'altérationsera l'acte de l'êtrequi peutêtre

altéré; et ainside suite.

Lemouvementétant connu dans sa définition,onne peut pas encore'l'étudier en lui-même,et

voicipourquoi c'estquele mouvementestun con-

tinu et commele premier caractèreducontinu,c'est d'être divisibleà l'infini, il faut, pour bien

traiterdu mouvement,rechercherd'abordcequ'estl'infini.D'autrepart, le mouvementn'étantpossible

qu'aux deux conditionsde l'espaceet du temps,il

faut préalablementétudier le temps et l'espace,ainsi que l'infini. Aussile troisièmelivre de la

Physiqueest-il rempli par une théorie del'infini,

aprèsla définitiondu mouvement,de mêmeque le

quatrièmelivre est consacréaux théoriesde l'es-

pace,du videet du temps.Je m'arrête a chacune

de ces théoriesavecAristote,et je commenceparcellede l'infini.

Aristotes'assure d'abord quela théoriedel'in-

fini appartient biena la sciencede la nature; et la

preuve qu'il en allègue,c'est que tous lesphilo-

sophesNaturalistesl'ont traitéechacuna. leurpointde vue. Laseuledifl'érencecnir'cux,c'est que les

uns ontfaitdel'infiniunesubstance,tandisque les

autres n'y ont reconnu qu'un attribut.Maistous

Page 46: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. XLI

sansexceptionontconsidérél'infinicommeunprin-

cipe car,si l'infiniavaitun principe,il auraitune

limite, et il cesseraitpar là même d'être l'inimi.

&oin de venir d'un principe, c'est l'infiniqui est

le principede tout le reste; il est incrééet il est

impérissable;immortelet indestructible,onpeut,non sans raison, le confondreavec la divinité

elle-même, commele faisaitAnaximandre,imité

en celapar plusd'unautre.

Aristotes'attacheà prouverl'existencedel'infini,

commeil a cru devoirprouverl'existencedumou-

vement,etil en démontrela réalitépar cinq argu-

mentsprincipaux d'abordle temps,qui estinfini,

et iciAristoteprendle tempsdansle sensdel'éter-

nité Platonicienne;en secondlieu, ladivisibilitéde

toute grandeur,qui peut être poussée~l'infini;

troisièmement,la successioninfinieet intarissable

des êtres;puis,la nécessitéabsoluedel'infinipour

comprendrele fini;enfin,et cecinquièmeargumentest le plus puissantde. tous,la constitutionmême

de l'intfiligencchumaine,qui conçoitdes nombres

sansfin,desgrandeursinfiniescommelesnombres,

et, endehorsdu ciel,un espacequi est infini toutt

aussi bien que les nombreset les grandeurs,quecetespacesoit d'ailleursvide de corpsoupeuplé

Page 47: La Physique d Aristote

PRÉFACEXLU

de mondesanaloguesà celui que nous habitons.

Du reste, l'explicationde l'infini est peut-être

plus difficileencoreque celleds mouvement et

soitqu'onadmettel'existence~el'infini,soit qu'on

la rejette,on rencontrede part et d'autre des im-

possibilitésdevantlesquelless'arrêteet succombe

l'esprit humain.AussiAristotene se flatte-t-ilpas

d'épuisercesujet,et il s'attache plus spécialement

a quelquespoints.Il remarqued'abord que lemot

d'infinia plusieurssens qu'il faut distingueravec

grandsoin.Il signifiedansun premiersenset essen-

tiellementce qui ne peut être ni parcouru ni

mesuré.Parsanature,l'infiniestincommensurable,

de mêmeque le son est naturellementinvisible,

perçu par notre oreille et non perceptibleà nos

yeux.Enun autresensmoinsprécis,onappellein-

fini ce qui est sans terme,ou ce qui n'a pasle

terme que par nature il devraitavoir.Enfin,une

grandeurquelconqueétant donnée,onpeuttoujours

y ajouterouenretrancher;ladivisionet l'addition

sontdoncégalementinfinies.

Maisl'idéede corps et l'idée d'infini répugnent

essentiellementl'une à l'autre. Le corps implique

nécessairementune surface,et la surfaceest non

moins nécessairementune limite.Le corpsestce

Page 48: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AHISTOTE. xun

quia desdimensionsen toussens;mais lesdimen-

sionsde l'infini doiventêtre infiniescommelui,

c'est-a-ûireq'aelesdimensionsprétenduesde l'in-

fini cessentd'~e des dimensionsvéritables.Aris-

tote en conclut que,parmi les corpsquenossens

perçoivent,il n'en estpasun quipuisseêtre infini;

car sil'un desélémentsétaitinfini,soit lefeu,l'air,

l'eau ou la terre, il aurait bientôtabsorbetousles

autreset rempliraitseull'univers.Il ne peut donc

pasy avoirde corps sensibleinfini.D'ailleurstout

corpsest dans un lieu; et quelpeutêtre le lieude

l'infini,si cen'estl'infinilui-même?Puis,si l'infini

estuncorps,ainsiqu'on le prétend,il aura donc

uneposition,puisquetoutcorpsseportenaturelle-

mentouenhautouenbas,selonqu'il estpesantou

léger.Maisalors il faudradiviserl'infini; etunede

ses partiesserait enhaut, tandisquel'autreserait

enbas.Riende toutcelan'est acceptable;et même

le géniepénétrantd'uriAnaxagoren'a pu introduire

la lumièredanscesobscurités.

Aristoten'a pas la prétentionde fairebeaucoupmieuxquesesdevanciers;maislesexplicationsqu'iltentepourfaire comprendrela naturedel'infinisontt

desplusingénieuses.Onne peutpasdirede l'infini

qu'il existeabsolument;il est simplementen puis-

Page 49: La Physique d Aristote

PRÉFACEXL!V

sancc; il n'est jamais en acte. Pour s'en faire

quelqueidéeunpeuapproximative,il faut regarder

à cesportionsdu tempsqu'on appelledes époques

etquin'ont pascependantune existenceparfaite-

mentdéterminée,bienquecetteexistencesoittrès-

réelle. Qu'est-cequ'un jour,par exemple,et a quel

momentle saisir dans sa durée limitée?Qu'est-ce

égalementqu'une Olympiade,bien qu'elle dure

quatreans? Lejourn'en existepasmoins,quoique

tout moment il devienne,et que sanscesseil soit

autre. Nous le comptons,après qu'il est écoulé;

maiscommentle compterpendantqu'il s'écoule?A

quel instant l'arrêteret le fixer?Enun sensil est,

et enun autre sensil n'estpoint.C'estlà justement

le casde l'infini, et l'onpeutdirede lui, tout aussi

bien que du jour ou de l'Olympiade,qu'il est et

qu'il n'est pas tout ensemble.L'être n'appartient

pasa. l'Olympiadeetaujour, en tantqueceseraient

des substances séparéeset individuelles;le temps

qui les forme en est toujoursà deveniret a périr

toujours.

Maissi l'on veutune imageencoreplus exactede

l'infini,c'est dansla grandeurqu'it faut le considé-

rer etdans la grandeur indéfinimentdivisible.La

grandeur,du moinsdansles limitesoù nous pou-

Page 50: La Physique d Aristote

A LA PHYSLQUED'ARISTOTE. XLV

vonsl'observer,subsisteet demeure, restant sousla

prise de notre observation; elle ne s'écoule pas

commele temps, qui nous échappe sans que nous

puissions le retenir un seulinstant. Le temps est

pareil aux générations successivesdes hommes; il

n'y a, si l'on veut, ni interruption ni lacunes

entr'elles; mais si elles naissent sans cesse, sans

cesseaussi ellespérissent. Aucontraire,la grandeur

reste permanente. Soit donc unegrandeur que l'on

divise selon une proportion restant toujours la

même,et, par exemple,par moitié.Le nombre des

divisions s'accroît de plus enplus et sans avoirde

fin; la portion qui reste, bien que se réduisant sans

cesse, peut toujoursêtre diviséepar moitiés succes-

sives,et la divisionne s'arrête pas plus que l'addi-

tion. D'un côté, on augmente; de l'autre, on di-

minue maisl'infini est également des deux côtés;

et l'on n'épuisera pas plus la grandeurdans un sens

que dans l'autre. On pourra s'approcherde la limite

autant qu'on le voudra; mais on ne pourra jamais

l'atteindre. L'infini est donc en puissance; mais il

ne sera jamais en acte; et nous avons beau faire,

notre esprit ne pourra jamais le réaliser. L'infini ne

peut d'aucunefaçonêtre en soi commeest le fini; et

c'est là justementce qui l'en sépare.

Page 51: La Physique d Aristote

XLVI PRÉFACE

Aristotesembleassezfierde cettedéfinition,et il

l'opposeavecquelqueorgueilà toutes cellesqu'on

avait essayéesjusque-là.En effet sous cet aspect

nouveau,l'infiniapparaîttout autre quene le con-

çoitlevulgaire.Il n'est pasdu tout.ce en dehorsde

quoi il n'y a plus rien il est au contrairece en

dehorsdequoiil y atoujoursquelquechose.L'infini

est ce qui est capablede fournir perpétuellement

quelque quantité nouvelle. Aussi la similitude

qu'ont proposéequelques philosophesn'esl pas

suffisammentexacte et l'on ne peut pas aveceux

comparerl'infiniaun anneausanschaton.Enpar-

courantcesespècesd'anneaux,il faut sanscessere-

venirpar despointsoù l'ona déjàpasse.Dansl'in-

fini au contraire,on ne repasse jamais par les

mêmespoints ce sont despoints toujourset éter-

nellementdifférentsqu'onpeut prendre.C'estqu'il

ne faut pas confondrel'infiniet le parfait car le

parfait supposeun tout, c'est-à-dire une limite,

tandis que l'infini excluttoute limitation, quelle

qu'ellesoit.Oui, à quelqueségards,l'infiniest le

tout,puisqu'ilemhrassetouteschoses maisil n'est

le tout qu'enpuissance,et il ne peut pas l'être en

réalité. A vraidire, il est à considérerbien plutôt

commecontenuque commecontenant;il joueun

Page 52: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTË. XLYM

rôle assez analogueà celui dela matière parmi les

principes de l'être et sa vraie nature, ce serait la

privation, qui est indéterminéeet insaisissabletoutt

commelui.

Il me semble que cette conceptionde l'infini est

profondément originale,et qu'Aristotea montré la

voiela plus certaine par où l'esprit de l'hommepeut

atteindre et fixer au moins en partie cette grande

idée, qui l'accableet le surpassesi démesurément.

Essayer de comprendre l'infini par l'immensité de

l'espace ou du temps, c'est a peu près peine per-

due et sans refuser à la métaphysiquele droit de

selivrerà. ces hautes spéculations,il est évidentque

la sciencea besoinpour procéderavec prudencede

donnéesplus accessibleset pluspratiques.Maiscon-

sidérer la divisibilité sans fin des grandeurs, c'est

assurer une base solide à ces recherches. L'objet

qu'on poursuit devient alors accessible, et l'inuni

est renfermé en quelque sorte entre ces limites

d'une quantité qui diminue indéfinimentsans ja-

mais s'épuiser, et d'une quantité qui s'accroît sans

jamaisdevenir égale.L'inuni nous échappebien en-

core,puisque si nous pouvionsle réaliser il ne se-

rait plus l'infini mais il est en quelque sorte entre

nos mains nou9 ne pouvonspas effectivementle

Page 53: La Physique d Aristote

xLvm PRÉFACE

saisir;mais noussentonsqu'il est là et qu'il esten

noirepuissance.

La conceptionde l'infini, circonscritde cette

façonet mis ainsi a notre portée,est précisémentcellequi fait le fondementdu calculdifférentielet

intégral.C'est à cetteseuleconditionque le calcul

del'infini a été rendupossible.Je ne prétendspas

queLeibnizet Newton,à la findu xvn"siècle,aient

rienempruntéau philosophegrec maisje signale

cettecoïncidence;elleest faite pour honorer en-

coreAristote,toutgrandqu'ilest. Ceseraitexagérer

certainementque dedire qu'il a pressentile calcul

infinitésimal mais c'est être juste que d'anirmer

qu'il a ouvertle cheminqui y conduit.Seulement

ces tracesse sont effacéescommetant d'autres, et

personnen'a suiviAristotedans cesrudessentiers.

Aprèsla théoriedel'infini,j'en viensavecle qua-

trièmelivrede la f/~s~MC la théoriede l'espace

et du vide,et a celledu temps.La questionde l'espacedoit être étudiéepar le

physicientout commeil étudie l'infini, et il doit

commencerpar démontrerque l'espaceexiste.De

l'aveude tout le monde,tout ce qui est doit être

nécessairementdansun lieu,et ce qui n'est nulle

part n'existepoint.Parmiles diversesespècesde

Page 54: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. xux

mouvements, [c plus commun c'est celui qu'on

appelleh translation, et il supposede toutenéces-

sité un espaceoù les corpspuissent se mouvoiren

changeantdelieu. L'idée d'espacesemble donc une

desplus simplesque la scienceait a considérer et

c'est peut-être 1~ce qui fait, selon Aristotc,que les

philosophes,sesprédécesseurs,s'en sont en général

très-peu occupés.Cependantelle n'est pas sans pré-

senter quelquesdifficultés,et il essaie de les ré-

soudre.

Unepreuvemanifestede l'existence de l'espace,

c'est la successiondes corps dans un seul et même

lieu. Observonsen efïet un vase qui est remplid'un

liquide que nous y avonsversé. Nous en ôtons le

liquide, et l'air vient à la placequ'il occupait.Réci-

proquement,nous chassonsl'air du vase en y ver-

sant une secondefois de l'eau, et !e phénomènese

répète aussi souvent que nous le voulons. Ceci

prouve qu'indépendammentde ces deux corps quise succèdentdans le vase,il y a un espacequi de-

meure quand ils changent, et qui les reçoit l'un et

l'autre tour à tour. On peut ajouter que le mouve-

ment naturel des corps élémentairesdémontrebien

qu'il existeun espace doué de certaines propriétés.Le feu se dirigetoujours en haut la terre se dirige

Page 55: La Physique d Aristote

PRÉFACE

toujours en bas. Yoi~ déjà deux directions dans

l'espace mais de plus, les corps se dirigent aussi a

droite et a gauche, devant et derrière. C'est en tout

six directions, qu'on peut distinguer dans l'espace

ou le lieu. Rien n'existedonc et ne se meut que dans

l'espace.Or c'est la une merveilleusesupériorité de

l'espacesur le reste des choses; ellesne peuvent pas

être sanslui, et il peut être sans elles car ellespeu-

vent être détruites sans qu'il le soit elles périssent

dans son sein, tandis qu'il est impérissableet éter-

nel. L'espacea commele corpsles trois dimensions,

longueur, largeur et profondeur;mais il n'est pas

un corps lui-même; car les corps étant en lui, il

faudrait, chose impossible, qu'il y eût deux.corps

dans un seul et même lieu. L'espacen'est pas da-

vantageun élément, ni un composéd'éléments cor-

porels. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il a de la gran-

deur sans être un corps. Il n'est pas non plus a

considérercommeune cause car il n'est ni la ma-

tière, ni la forme des êtres il n'est ni leur moteur

ni leur fin. Ainsi l'espace, qui n'est ni un corps ni

une cause, est à peine un être; car s'il est un être,

on pourra demander avecZénon Où est le lieu de

l'espace?puisque tout être est nécessairementdans

un lieu. Il y aurait donc espacede l'espace, et ainsi

Page 56: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. u

de suite à l'infini. Tout celane laissepas que d'être

assezembarrassant, et l'espacen'est pasaussi aisé à

comprendrequ'on se l'imaginecommunément.

Ici Aristote fait une distinction importante, mais

qu'il a le tort de ne pas pousser assezloin. Il veut

qu'on distingueentre l'espaceinfini,où sont tous les

corps que nous voyons,et entre l'espace particulieroùchacund'eux est primitivement,pour emprunterla formulepéripatéticienne. Ainsi vous êtes dans le

ciel,puisquevous oiesdansl'air, qui est dans le ciel;

vous êtes dans l'air, puisque vous êtes sur la terre

et que la terre elle-même est placée dans l'atmo-

sphère, où elle se soutient par son propre équilibre.Maisen même tempsque vousdes dans le ciel, dans

l'air et sur la terre, vousoccupezen outre un cer-

tain lieu où il n'y a plus que vous et vous seul. Ce

raisonnement d'Aristote est irréprochable mais

tout en distinguant si bien l'espace et le lieu pro-

prementdit, il les confondl'un et l'autre sous un

seul et même nom, comme il a confonduplus haut

l'éternité et le temps; et cette équivoquejette par-fois une obscurité fâcheuse sur ses théories. En

prenant le lieu pour l'espaceet l'espacepour le lieu,il est conduit a démontrer que le lieu, bien qu'illimite les corps, ne peut être ni leur forme n; leur

Page 57: La Physique d Aristote

LU PRÉFACE

matière, ce qui est par trop évident. Maissur cette

fausse route, il arrive aussi cette conclusiontrès-

exacte et méconnue par plus d'un philosophe, que

l'espace est séparabie des corpset qu'il ne peut être

identifié avec eux, précisémentparce qui) les con-

tient. Cela est très-vrai mais ici encore, égare par

l'équivoque que je viens de signaler, Àristote croit

définir suffisammentl'espace en disant qu'il est la

limite première immobile du contenant. Or cette

définition est celledu lieu cen'est pas la définition

propre de l'espace.

Pour la questiondu vide, qui tient de si près a

celle de l'espace, il y avait avantAristote deux opi-

nions diamétralement opposées. L'une soutenaitt

l'existencedu videcomme indispensableau mouve-

ment l'autre afnrmait non moins résolument que

le vide n'existe pas. Anaxagoredéfendait cette der-

nière thèse, et il essayaitde la prouver par une ex-

périence sensible; il dégonuaitdes outres pleines

d'air dans des clepsydres,et il démontrait ainsi que

ce qu'on prenait pour le videest réellement rempli

d'air. Levide est confondupar le vulgaireavecl'es-

pace ou il n'y a point de corps mais c'est là une

erreur profonde car s'il n'y a pas de corps per-

ceptLulea nos sens dans cette portion de l'espace

Page 58: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. un

qu'on suppose vide, il y a ce corps subtil qu'on

appelle l'air, et cet autre corps, plussubtil que l'air

même, qu'on appellel'cther, et qui rempli!,tout l'es-

paceau-delà mcmedu cielentier.

Aristotesembleadopter tout à fait la d6monstra-

tion d'Anaxagore,et il rejette commelui et comme

Platon la possibilit6du vide, soit dans le monde,

soitdans l'intérieur des corps. Les corpsse dilatent

et ensuite ils se contractent; mais cen'est pas a dire

qu'il y ait pour cela du vide en eux.Ce sont tout

simplementcertainesparties qui en sont expulsées,

comme l'air est expulsé des outres dégonfléesdans

l'eau. Le développementet la croissancede certains

corps ne prouvent pas davantage qu'ils aient des

videsdans leur intérieur; car l'accroissementpeut

tenir à une simple modification et par exemple,

dira-i-on que l'eau contientdes vides,parce qu'elle

prend un développementconsidérablequand, par

la vaporisation,elle se change en air? Le vide, loin

d'être nécessaireau mouvement, commeon se le

figure,y seraitplutôt un obstacleinvincible.Dansle

vide, les corps perdraient leur tendance naturelle

qui les porteen haut s'ils sont légers, et en bas s'ils

sont pesants. Il n'y aurait plus aucune diflercncc,

et il serait bien impossibled'y distinguer aucune

Page 59: La Physique d Aristote

nv PRÉFACE

direction dans un sens plutôt que dans l'autre.

D'une autre part, la coursedes projectilesest en-

core un argument contre le vide. L'air dans lequel

ils se meuvent,même après que la force qui les a

lancés cesse de les toucher, finit par les arrêter.

Maisdans le videune foisque le corps serait mis en

mouvement,pourquelle causes'arrcterait-il jamais?

Le vide est donc absolument contraire aux phéno-

mènes que nous pouvonsobserver; et il n'y aurait

aucun motif, si le vide existait réellement, pourque

le corps sortit jamais de son inertie, ou qu'il cessât

jamais de s'agiterindifféremmentdans touslessens.

Dans cette hypothèse du vide, comment expliquer

encore cetteproportionnalitédes mouvementsentre

eux, qui sont d'autant plus rapides ou plus lents

que les corps mus sont plus lourds ou plus légers,

ou que lesmilieuxtraversés sontd'autant plus résis-

tants ou plus faciles à diviser? Il n'y aurait plus

avec le videde proportionpossible,et le mouvement

de tous les corps devrait y être d'une rapidité in-

finie.

Je n'insiste passur ces arguments contre le vide,

dont qudq'ics-uns sont fort ingénieux; mais on

peut dire qu'aujourd'hui cette question obscure

n'est pas encorerésolue, même avec les expériences

Page 60: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED' ARISTOTE. Dv

de la machine de Boyle.On fait le vide, en cesens

qu'on retire l'air d'une certaine partie de l'espace,

où.alors tous les corps, les plus légers comme les

plus denses, tombent sans aucune distinction avec

une rapidité égale. Mais, s'il n'y a plus d'air dans

le tube d'où on l'a soustrait, ceci ne prouve pas

qu'il n'y reste point encore autre chose, et que le

videy soit absolu. Or, c'est du vide absolu qu'Aris-

tote a entendu parler; et il n'est pas prouvé qu'il se

soit trompé en croyant que ce vide n'est pas plus

possibledans la nature que le néant ou le désordre.

Parmi les questions préliminaires qu'il fallait

examiner avant d'en venir a la théorie généraledu

mouvement, il ne reste plus que celle du temps.

Aristote l'étudie comme l'espace et l'infini et d'a-

bord il élevé sur l'existence du temps quelques

doutesqui ne sontni des paradoxesni des subtilités.

L'existence du temps, sans être absolument contes-

table, est cependant très-fugitive et a peine sen-

sible.Des deux parties les plus notoires du temps,

l'une a été et n'est plus l'autre sera et n'est pas

encore. Le passé ne nous peut plus appartenir; et

le futur ne nous appartiendra qu'après un intervalle

plus ou moins éloigné. Voilàcependant les élé-

ments dont se compose le temps et, comme ces

Page 61: La Physique d Aristote

LVI PRÉFACE

élémentsdont ilest composén'existentpas, il n'a lui-

même,à ce qu'il semble, qu'une existenceprécaire.

Quant à ce qu'on appelle le présent, l'instant, ce

n'est pas, à proprement parler, une partie du temps;car le tempsne se composepas d'instants. L'instant

est la limite du temps, et c'est lui qui séparele

passéde l'avenir. Maisil est sans cesseautre et per

pétuellement difï'ércnt, de telle sorte que son exis-

tenceest moins réelle encoreque celledu passé,qui

a cesséd'être, et celledu futur, qui n'est pas et qui

seulement doit être plus tard. Les instants se suc-

cèdent mais ils ne coexistentjamais; ils ne tien-

nent pas plus les uns aux autres que les pointsne

tiennent aux points dans la ligne. L'instant meurt

au moment mcmeo~ il naît. Quesi l'on prétendaitt

que c'est toujours le même instant qui subsiste et

demeure éternellement, alors les faits qui se sont

passés il y a dix mille ans, et ceuxqui se passent

aujourd'hui seraient contemporains; et les idées

d'antériorité et de postériorité seraient absolument

supprimées.

Aristote su livre a cette discussion sur la notion

du temps, non pas pour en nier l'existence, mais

pour montrer seulement combien il est difricilede

s'en faire une juste idée. Cette perplexité du philo-

Page 62: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LVII

sophe me paraît tout à fait fondée et pour quicon-

que voudra scruter un peu attentivementce phéno-

mènemerveilleuxde la durée, les hésitationsne se-

ront jamais moins grandes. L'homme vit dans le

temps; et c'est la, comme on l'a dit, le tissudont sa

vie est faite; mais il a beau en vivre et l'étudier, la

conceptionlui en échappeau moinsautant que celle

de l'infini, précisément parce que le tempsest in-

finilui-même.Il ne faut doncpas s'étonnerqu'Àris-

totc se plaigne de l'insufRsfinccdes recherchesan-

térieures auxsiennes; il avoue lui-même modeste-

ment qu'il ne compte pas dépasserde beaucoupses

devanciers. Seulement, il se défendrade confondre,

ainsi qu'ils l'ont fait, le tempset le mouvement.Le

tempsest égalpartout et pour tout sansexception;

le mouvement,au contraire, est ou dans la chose

mcrnc qui change, ou bien dans le lieu qu'elle oc-

cupe. Le tempss'écoule d'une manièreuniformeet

éternellement identique; le mouvementest tantôt

plus rapide, tantôt plus lent et sa lenteur ou sa ra-

pidité se mesure par le temps écoulé.Onappellera-

pide ce qui fait un grand mouvementdansun temps

moins long on appelle lent ce qui faitt un pou de

mouvementen beaucoup de temps. Maisle temps

ne se mesurepas par lui-même; et cesdifMrences

Page 63: La Physique d Aristote

PRÉFACELVIII

essentiellessuffisent pour démontrer que le temps

n'est point un mouvementni un changement.

Cependant, si le temps n'est point un change-

ment véritable, il ne peut ctrc conçusans le chan-

gement et celaest si vrai que, si notre pensée n'é-

prouve aucun changement de quelque espèce que

ce soit, ou si le changement qui s'y passe nous

échappe, nous croyons qu'iln'y a pas de tempsd'é-

coulé.Notre âme est demeurée alors commedans

un instant un et indivisible, et tout l'intervalle est

pour nous anéanti. Nous supprimons le temps,

quand nous ne discernons aucun changementdans

notre pensée.Maisnous affirmonsqu'il y a du temps

d'écoulédu moment que nous percevonset sentons

un changementquelconqueen nous, fussions-nous

plongés dans les ténèbres et dans le plus complet

repos. Le tempsn'existe doncpour nous qu'à la con-

dition d'un mouvementetd'un changement; il n'est

point le mouvement;et pourtant, sans le mouvement

il n'est paspossible;car ilestalors pournous comme

s'il n'existait pas. Qu'est-il donc, en réalité, et quel

estsonrapport exactau mouvement?Lesidéesd'anté-

riorité et de postériorité dans lo temps ne se com-

prennent queparce qu'elles sont déjà dans le mou-

vement, ou l'antérieur et le postérieur s'appliquent

Page 64: La Physique d Aristote

A L.\ PHYSIQUED'ARISTOTE. MX

au lieu a mesure que le corps se déplace.Donc le

temps est le nombre du mouvement, et il l'évalue

numériquement.

Voilàdéjà, a mon avis,d'admirablesvérités sur la

nature du temps; maisAristoteva plus loin encore,

et il présente d'autres considérations qui ne sont

pas moins solides. Le mouvement, dans sa conti-

nuité, est perpétuellement,autre, soit que le corps

cliange delieu, soit qu'il se modifie tout en restant

en place. Il en est de mêmedu temps et, bien que

dans sonensemblele tempssoit éternellementiden-

tique, les instants qui se succèdentsont perpétuelle-

ment difrérents.L'instant d'à présent est bien d'une

nature toutepareilleà celui quil'a précédé; mais son

être est autre,si son essenceest la même et l'instant

divise et mesurete tempseny faisant l'antériorité et

la postériorité. C'est absolument commele mobile,

qui reste bien le mêmedans tous les points de son

mouvement, mais dontl'être n'est pas absolument

identique,puisqu'il acontinucllemcntcbangédelieu.

S'il n'y avaitpas de temps, il n'y aurait pas d'ins-

tant et réciproquement,sans l'instant il n'y aurait

pas de temps. L'instant est en quelque sorte l'unie

de nombre dans le temps, qu'il divise en antérieur

et en postérieur, en passéet en avenir. Maisl'ins-

Page 65: La Physique d Aristote

LX PRÉFACE

tant n'est pas du tempsà proprement dire encore

une fois, il n'est qu'une limite, et il ne fait pas plus

partie du temps que la divisiond'un mouvementne

fait partie de ce mouvement,pas plus que le point

ne fait'partie de la ligne. Mêmequand on dit que

l'instant est une limite, il ne faut pas oublier encore

qu'il est un nombre aussi, en ce qu'il sert à nom-

brcr le temps. La limite n'appartient qu'~ la chose

dont elle est la limite, tandis que le nombre appar-

tient a tout; et le nombre dix, par exemple,sert à

compter tout ce qu'on veut, ici des chevaux, et là

toute autre chose.

Maissi le tempsest la mesure du mouvement, la

réciproquen'est pas moinsexacte et le mouvement

est la mesure du temps. Sansdoute le tempsn'est ni

lent ni rapide mais en tant que continu, il est long

ou court; en.tant que nombre, il a une quantité plus

ou moins grande; il y a peu de temps ou beaucoup

de temps. Ainsile mouvementet le tempsse mesu-

rent c.tse déterminent l'un pi~rl'autre. C'est que le

mouvement implique la grandeur, et le temps im-

plique le mouvement.Temps, mouvementet gran-

deur, ce sont là des quantités, des continus et des

divisibles,qu'on peut toujoursmesurer. Le chemina

ct6 long, si le voyagea beaucoupdur6; et r6cipro-

Page 66: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LXt

quement, le voyagea beaucoup duré, si le chemin

a étélong. De même, nous disons qu'il y a beau-

coupde temps, s'il y a beaucoupde mouvement; et

réciproquement, qu'il y a beaucoupde mouvement,

s'il y a beaucoupde temps. Letemps a sespériodes

régulières,commelemouvementa aussi les siennes;

et c'est là ce qui fait le retour toujours pareil des

années, des printemps, des automnes.

Cependantle tempsne mesurepas tout; il est des

chosesqui sont soustraites a son action, et qu'il ne

peut atteindre, commeil nous atteint nous-mêmes,

quand peu à peu il nous ruine et nous détruit. Ce

sont les choses éternelles, qui ne sont plus dans le

temps, et dont l'être ne peut se régler sur cette

étroite mesure a laquelle nous rapportons tout ce

qui marque et diversifie notre durée passagère, et

les événementsdont nous prétendons garder la mé-

moire. Letempsviendra-t-il doncjamais a défaillir?

se demandeAristote et il sehâte de répondre que

le temps est éternel commele mouvement, et que

l'un ne défaillirapasplus que l'autre. Maisainsi que

je l'ai déjà fait remarquer, c'est là confondrel'éter-

nité et le temps; c'est confondrele mouvementet le

premier moteur; et il vaut mieuxs'en tenir sur ces

points si gravesà l'opinion de Platon, qui a su dis-

Page 67: La Physique d Aristote

LXli PRÉFACE

tinguer le temps et réternité, commeil a distingué

le mouvement que Dieu donneau monde,et Dieu,

qui a créé et qui maintient cemouvementdans l'in-

commensurableunivers.

Du reste Aristotes'arrête peu à ces spéculations,

et il termine la théorie du temps par quelques ob-

servations pleines de finesseet d'exactitude. L'ins-

tant divisele tempsen antérieuret en postérieur; et

il est toutà la fois le point indivisible,et double ce-

pendant, où l'un finit et où l'autre commence.L'ins-

tant, le présent unit donc le pass6 et l'avenir, en

même tempsqu'il les sépare. Mais il y a ceci de re-

marquable que l'antérieur, quand il s'agit du pass6,

est ce qui est le plus éloignédu présent et le posté-

rieur ce qui en est le plus proche, tandis que c'est

tout à l'inverse quand il s'agitde l'avenir car dans

l'avenir, l'antérieur est ce qui est le plusproche du

présent; et le postérieur cequien est le pluséloigne.

Enfin si le tempsest le nombreetiamesure du mou-

vement, demêmeque le mouvementestia mesuredu

temps, est-ce d'un mouvementquelconqueou d'un

mouvement déterminé Aristoterésout la question

en disant que c'est la translation circulaire de la

sphère célestequi est la mesure de tous les autres

mouvements,et qui par conséquentest aussi la mc-

Page 68: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUE D'AiUSTOTE. LX~

sure du temps, puisqu'il n'y a que ce mouvement

qui soit parfaitementuniformeet régulier dans son

immuableconstance,étendant son actionjusque sur

les choseshumaines, de mêmequ'il l'étend dans les

vastesdeux (1).

Avecla théorie du temps,après cellesde l'infini,

de l'espaceet du vide, finit la série des questions

qu'Aristote a cru devoir agiter avant d'en venir à

celle du mouvement; et c'est au mouvement seul

que sont consacrés les quatre derniers livres de la

Physique.Mais avant de continuer cette analyse, je

veux m'arrêter quelques instants pour embrasser

d'un coupd'ooil la carrière d6j~ fournie et je prie

qu'on veuille bien y jeter un regard avec moi.

L'objet spécial que doit traiter Aristote, c'est le

mouvement,qui est, selonlui, le fait essentiel de la

nature; et pour l'approfondir il croit devoir remon-

ter jusqu'auxprincipesmêmesde l'être, démontrantt

(1))!estunequestionqu'Aristoten'afaitqu'indiquerenpassantt

(livretV,chapitrexx,§2), maisqu'ilfautse biengarderd'o-

mettre.C'estcellequiconcerne!e rapportdel'Amehumaineau

temps.Letempspeut-ilexisterindépendammentdel'intelligence,

quilecompteet le mesure?Letempsest-ilsansl'âme,quile

perçoit?C'estledoutequeKanta rencontréaussiplustard,et

qu'ila résoluenfaisantdutemps,ainsiquede l'espace,une

formedenotresensibilité.Aristotemeparaiticibienplusdans

levraiquele philosophedeKcenigsberg.

Page 69: La Physique d Aristote

MtV PRÉFACE

que la notion bien comprise de ces principes im-

plique la notion du mouvement.Puis il définit ce

qu'il entend par la nature, avec les quatre espèces

de causes qu'il retrouvedans tous les ph6nomcnes

naturels. Il définitensuitele mouvement,et comme

le mouvementest infinien tant que continu, et qu'il

se passe toujoursdans l'espace et le temps, le phi-

losophe étudie ces grandes questionsde l'infini, de

l'espace et du temps avecle soin qu'elles réclament.

Quelle profondeuret quelle justesse il y a mises,

c'est ce qu'on vient de voir; dans quel enchaîne-

ment rigoureuxse déroule sa pensée,c'est ce dont

on a pu égalementse convaincre.Ainsila moitié de

tout l'ouvragea 616donnéeà des recherchessecon-

daires, maisindispensables.La dernière partie sera

exclusivementluiss6cala question principale.Je ne

connais pas dans l'histoire de la philosophie une

autre œuvre où la th6oric du mouvement ait 6t6

considéréeavec plus d'étendue ni plus de solidité.

Ce juste hommagerendu au philosophe,je pour-

suis, assure de trouverdans cequi reste tout autant

de vérité et de grandeur.

Tout ce qui vient ù changer dans le monde ne

peut changer,ou en d'autres termes se mouvoir,

que de troisfaçons accidentelle,partielle et abso-

Page 70: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LXV

lue. Cesdistinctionssontjusteset réelles,et il faut

les bien retenir, parce qu'Aristoteen fait grand

usage. Voici des exemplesqui les éclaircissent.

Quandon dit d'un musicienqu'il marche,c'estun

mouvementou un changementaccidentelcar en

tant que musicien,il ne marchepas; seulement

l'êtrequimarchea pourattributouaccidentd'être

musicien.En secondlieu, ondit d'unechosequ'elle

changeou se meut,quand il n'y a parfoisqu'une

partiede cette chosequi semeuveou quichange

réellement ainsi,l'ondit d'un maladequ'il se gué-

rit, bienque ce ne soit queson œil ou sa poitrine

quise guérisse c'estlà un simplemouvementpar-

tiel. Enfin le mouvementabsolu est celui d'une

chosequi se meuten soiet primitivementtout en-

tière, sans que ce soit indirectementou partielle-

ment ainsi, quandon dit que telhommemarche,

parce que sa personne tout entièrese déplaceet

changedelieu, c'estun mouvementabsolu.Le mo-

bilequi semeutainsiestalorsle mobileen soi.

Ces trois nuancessonttout aussivraiespour le

moteurque pour le mobile;et le moteurpeut être

ou indirectet accidentel,oupartiel, ou absolu.

Il y a donc ici cinq termesà considérerpour se

rendrecomptedu mouvementdanstoute l'étendue

Page 71: La Physique d Aristote

MVI PRÉFACE

de cetteIdée le moteur,le mobile,le temps dans

lequelse passele mouvement,le pointd'où il part

et le termeoù il aboutit.Il faut ajouterque c'estle

terme où aboutitle changementqui détermineson

appellationspéciale,bienplutôtque le termed'oùil

part. Ainsila destructiondeschosesestleur chan-

gementen non-être,bienquela chosequi est dé-

truite ne puissechangerqu'enpartantde l'être; et

de même, la générationest un changementvers

l'être, bien que ce soitnécessairementdu non-être

qu'elledoivepartir originairement.

L'idée de changementimplique l'idée de deux

états successifsdela chose,l'un antérieur,et l'autre

postérieur(i). C'estla conditiongénéraledu chan-

gement,et par suitecelledu mouvement,qui n'est

qu'un changementd'une certaineespèce.Maisen

outre, le changementnepeut avoir lieu que d'une

de cesquatremanières i" un objetaffirmatifetdé-

terminése changeen un autre objet aflirmatifet

déterminé,mais contraire.Ainsile blanc devient

fi)Aristoteremarquequelemotdontilsesertdanssalangue

exprime,parl'étymologiemême,laréuniondecesdeuxidées

d'unétatpostérieuretd'unétatantérieurM~s– L'obser-

vationestjustepourlatanguegrecque;ellenes'appliqueplusà

lanotre,oùlacompositiondumotn'estpaslamême.

Page 72: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. Lxvn

noir; 2"un objet négatifet indéterminédevientun

autre objetégalementindéterminéet négatif; par

exemple,ce qui n'est pas blanc devientquelque

chosequin'estpasblanc;3°unobjetnégatifdevient

un objet affirmatif;par exemple,ce quin'est pas

blanc devient blanc 4° enfin un objet affirmatif

se changeen un objetnégatif;et par exemple,ce

quiest blancdevientquelquechosequin'est plus

blanc.

Aristoteremarqueavectouteraisonque dans la

secondehypothèse,il n'y a pasde changementréel,

parcequ'il n'y a pointde réelleopposition,et qu'un

objetnégatifdevenantun autreobjetnégatifégale-

ment, il n'y a pas là de déterminationappréciable.

Ainsilesnuancesdu changementse réduisentd'a-

bordà troisaulieu dequatre.Maisenpoussantun

peuplusloinl'analyse,onvoitque cestroisnuances

seréduisentà une seule;car la troisièmeet la qua-

trième indiquant un changementdu non-être à

l'être, et de l'être au non-être, sont aproprement

parlerla générationet la destruction,soitabsolues,

soit relatives,c'est-à-dire de simplesoppositions

contradictoireset nonpointdesmouvements.Il n'y

a donc de changementvrai que celuiqui se passe

dans le champde la réalité,et qui substitueun

Page 73: La Physique d Aristote

Ï.XVIII PRFAŒÉ

objet qui existeà un autre objet qui existenon

moins réellement.C'estun contrairequi succèdeà

un autrecontraire,dansune substancequidemeure

et dont la qualité seuleestmodifiée.C'estle casde

la premièrehypothèse et c'est le seulmouvement

véritable.

J'ai tenu à reproduire fidèlementces formules

d'Aristote,bien qu'on puisseles trouverassezbi-

zarres maisellesprouventdu moinsjusqu'àquelle

profondeuril a portésesinvestigationssurla nature

du mouvement,et commenton envisageaitcette

questionà la foismétaphysiqueet naturelletrois

ou quatresièclesavantnotreère.

Unedistinctionplus facileà saisir et très-exacte,

quoiqu'elleait disparu de la science,c'est celle

qu'Aristoteétablit entre les diversesespècesde

mouvements.Aujourd'huion n'en reconnaîtguère

qu'une seule, celle du mouvementdansl'espace,

queconstituentle déplacementdu corpset le chan-

gementdelieu. DepuisDescartes,c'estl'uniquena-

ture demouvementque l'on considère,etje nevois

pas qu'après lui personne,parmi les mathémati-

ciensou lesphilosophes,ait essayéde reveniraux

traditionsdel'écoleou mêmeait parulesconnaître.

Mais dans Aristote,ne faisant en celaque repro-

Page 74: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LXix

duirePlatonsonmaître,il y a toujourstroisespèces

de mouvementset non pointuneseule.

Cestroismouvements,quisonten enct très-dis-

tincts,se produisent,ou dansla quantité,ou dans

laqualité,oudansle lieu,lestroisseulescatégories

où le mouvementsoitpossible,parce que ce n'est

quedanscestroiscatégoriesqueles contrairespeu-

ventse présenter.Ainsiil y a mouvementdans la

quantitéd'uncorps,quandle corpsgranditoudi-

minue,quand il se développeou se réduit.Il y a

mouvementdans la qualitéd'un corps,quand ce

corps,sans changerde grandeur,prend une qua-

litéà la placed'une autre, passantpar exemplede

lachaleurau froidou du froidà la chaleur.Enfin

il ya mouvementdansle lieud'un corps,quandce

corps,sanschangerni degrandeurni dequalité,se

déplaceet qu'il occupesuccessivementdifférents

pointsde l'espace.La premièreespècede mouve-

ment,souslesdeuxfacesqu'elleprésented'accrois-

sementetdediminution,n'a pasreçu d'appellation

commune;la secondesenommespécialementalté-

ration,quelquesoitle contrairequi se substitueau

contraireantérieur;enfinla troisièmesenommela

locomotion,quellequesoitla façondontle corpsse

meuveet changede lieu.

Page 75: La Physique d Aristote

PRÉFACEMXX

Lasciencedesmoderness*estrestreintea n'étu-

dierque cettedernièresortede mouvement,et sans

douteellen'estpasà Marnerd'avoirbornesondo-

maine car des troisespècesde mouvementla lo-

comotionest cellequi de beaucoupest la plusfrap-

pante et la plusfacileà connaître.Maisles deux

autresne sontpasfausses et Aristotene méritepasnon plusde critiquepourles avoiradmises.Quand

donc nous les retrouveronsdans ses théories,où

ellestiennentd'ailleursbienmoinsde placeque la

troisième(1),nousn'en seronspassurpris, et nous

n'yverronsqu'unexcèsd'exactitude,dont la science

peutsansdoutese passer,maisquicependantnela

déparepointcommele ferait uneerreur.

Unequestionqui tientde très-prèsà celle-ci,et

qu'Aristotea discutéeavecplusde soinpeut-êtreque

personnene l'a fait après lui, c'estde savoirce

qu'ondoit entendrepar un mouvementidentiqueet parun mouvementcontraire.L'unitédumouve-

ment, ainsique sonopposition,estsoumiseà des

conditionspositives.Quellessontcesconditions? Et

(i)Aristotereconnaîtlui-mêmequelatranslationestl'espècelaplusordinairedumouvement,et quetouteslesautresseré-duisentpourlevulgaireà celle-là.VoirlaP/<Mc,livreVIII,ch.x)v,§6.

Page 76: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LXXt

à quellesmarquesreconnaltra-t-onun mouvement

un,ouun mouvementopposé?

Il y a trois conditionsprincipalespour qu'on

puisseaffirmerl'unitédu mouvement.D'abord, il

fautquele mobilesoitun seulet mêmemobileet

qu'ilnevariepas il fauten secondlieuquel'espèce

du mouvementsoitla même enfinil faut que le

tempssoitle mêmeaussi, c'est-à-direqu'il n'y ait

aucunintervalledereposet quele tempsne présente

pasd'interruption,afinquela continuitédu mouve-

mentne soit point altérée. Ainsiunité d'espèce,

unitéde mobile,unitéde temps,voilàce qu'il faut

pourconstituerl'unitéet la continuitédu mouve-

ment.Onpourraitencorey ajouterl'égalité carun

mouvementinégalparaît moinsun et moins iden-

tique,tout en l'étant,qu'un mouvementégaletuni-

forme.L'égalitéet l'inégalitépeuventd'ailleurs se

rencontrerdans toutesles espècesde mouvement.

Soitquele corpss'accroisseouqu'il diminue,soit

qu'ils'altère,soitqu'ilsedéplace,cepeutêtreouéga-

lementouinégalementcepeutêtreavecuniformité

ou d'une manièreirrégulière,avecplusou moins

devitesse,avecplusoumoinsde lenteur.Le mou-

vementn'en est pasmoinsun,quoiqu'ilait parfois

uneapparencequitrompel'observateur.Unmouve-

Page 77: La Physique d Aristote

Mxu PRÉFACE

mentun et continusur une lignebriséeparaitavoir

une unité moins complètequ'un mouvementen

lignedroite.

Quantà l'oppositionet à la contrariétédu mou-

vement, la question est peut-être plus délicate

encore, et l'embarras plus grand. Doit-on dire

d'unemanièretoutegénéralequec'est le reposqui

estcontraireau mouvement?Oubienn'y a-t-il pas

plutôt des mouvements qui sont contraires à

d'autresmouvements? Ainsile mouvementqui s'é-

loigned'un certain but, n'est-il pas contraireau

mouvementqui tendversce mêmebut? Lemouve-

mentcontraireest-il celui qui part des contraires?

Est-ceceluiqui tendauxcontraires?Aprèsavoirirès-

finementanalysétoutescesnuances,Aristoteincline

à regardercommecontrai reslesmouvemcntsquipar-tentd'un contrairepourallerau contraireopposé

et parexemple,lemouvementquivadela maladieà

la santéest contraireà celui quiva de la santéà la

maladie.Ilspartentdecontrairesl'unet l'autre,pour

aboutirl'un et l'autreà des contraires.L'oppositionest doncen cesensaussigrandequepossible,et les

mouvementssont alorsdiamétralementopposés.Aristoten'oubliepasd'ailleursquedansl'opinion

communec'est le reposquiestlecontrairedu mou-

Page 78: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. Lxxm

vement.Il ne repoussepastout à faitcetteopinion;

maisil déclarequ'absolumentparlant,c'estlemou-

vement qui est contraireau mouvement,attendu

quele reposn'estqu'uneprivationet que la priva-

tionn'estpas précisémentun contraire.Nousavons

vu en effetquela privationtient lieu du contraire

quin'existepasactuellement,maisqui est toujours

enpuissance,parcequele sujetenest toujourssus-

ceptible.Il ne fautpasconfondrele reposavecl'im-

mobilité.Il n'y a réellementde reposque pour les

corpsqui, pouvantêtremus,ne le sontpas, tandis

quel'immobilitéestl'état des corpsqui non-seule-

mentne sontpasmusà un certainmomentdonné,

maisquinepeuventjamaisl'être.

On peut encoredistinguer,pourles reposaussi

bienquepour lesmouvements,ceuxqui sontnatu-

relset ceuxqui sont contrenature.Ainsiun corps

pesantpeut être retenuen haut, bien quesa ten-

dancesoitd'êtreportéenbas; c'estun reposforcé.

Uncorpslégerpeutêtre retenu enbas, bienque sa

tendancesoit de s'élever.Et réciproquement,un

corpspesantpeuts'élever,si quelqueforcelui im-

primeun mouvementcontrenature et violent ou

bien enfin un corpsléger peut descendre,s'il est

soumisà une influencedecemêmegenre.Cetteop-

Page 79: La Physique d Aristote

PRÉFACEÏ.XXIV

positionde cequiestselonlanatureet de cequi est

contrelesloisnaturelles,se manifestedans la loco-

motionou le mouvementdans l'espace,plus quedanslesautres espècesde mouvement;maispour-tant on la retrouveaussi dans l'altérationet dans

l'accroissementou la diminution.La générationn'est pas plus selonla nature ou contre la nature

quela destruction;car, d'aprèsles loisnaturelles,leschosespérissablesmeurenttoutaussibienqu'ellesnaissent.La destructionn'est doncpas précisémentcontraireà la génération.Maisladestructioncontre

naturesera contraireà la destructionnaturelle; etil en serade mêmede la génération.La générationest,en cesens,contraireà lagénérationladestruc-

tionestcontrairea la destruction.ïl est doncclair

quesi lereposest,en général,l'opposédu mouve-

ment, il y a cependanttel mouvementqui est le

véritablecontrairede telautremouvement et c'est

quand l'un de cesmouvementsest naturel, tandis

quel'autre est contrenature.

Arrivéà ce pointde sathéorie,Aristoteconsacre,dansle sixièmelivre,une très-longuedémonstra-

tion à établir ce principe que le mouvementest

divisibleà l'infini,commel'est le temps,et comme

l'estaussila grandeur.Le mouvement,la grandeur

Page 80: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED' ARISTOTE. MXV

et le tempssont tous les trois des continus, et il

répugneà l'idée du continud'êtreformé d'indivi-

sibles.En effet, l'indivisiblen'a pasde parties il

n'a pasd'extrémités.L'indivisiblenepeut doncpas

toucherl'indivisible,et dès lors il ne peutjamais

formerune continuité,puisquela continuitésup-

posenécessairementdes extrémitéset des parties.

Aristotes'attache, à l'aide de formuleslittérales

très-développees,à prouverquelaligne,qu'ilprend

commeexpression,de toute grandeurquelconque,

n'est pasforméede points,ainsiqu'onle croitvul-

gairement,et que le temps, qui est aussi un con-

tinu,n'est pas davantageforméd'instantsou d'in-

divisibles.Il en conclutque le mouvement,qui est

continu,commela ligneet commele temps,est di-

visibleindéfiniment,aumêmetitreque le tempset

laligne.Onn'arriveraitjamaisa l'unitédu mouve-

ment,et asacontinuité,en admettantqu'il estcom-

poséd'indivisibles.Lesindivisiblessontjuxtaposés;

mais ils ne se tiennentnullemententre eux,et il

est absolumentimpossibled'en faire jamais un

continu.

Maiscequiest réellementet nécessairementindi-

visible,c'estl'instant. Ainsiqu'onl'a vu plushaut,

l'instantest unelimite; et, à moinsqu'on neveuille

Page 81: La Physique d Aristote

LXX'VI1 PRÉFACE

y renfermerunepartiedel'avenir,qui y seraitdéjà,

etunrestedupassé,quiy seraitencore,il fautbien

reconnaîtreque,placéentreles deuxpour lessépa-

rer et pour lesunir, l'instantn'a rien ni de l'un ni

de l'autre. Or, l'instant,le présentne peutsecon-

fondre,ni aveclepasséau-delàduquelil est, niavec

l'aveniren-deçàduquelil est non moinscertaine-

ment.Par conséquent,il faut qu'il soit indivisible

carautrementceseraitcequi le diviseraitlui-même

qui serait la vraielimitedu présent et du futur.

L'instant est doncindivisibleabsolumentcommeil

est un et identique.li suit de là qu'il n'y a pasde

mouvementdans la duréed'un instant,si toutefois

l'on peut direque l'instant ait unedurée, et qu'il

n'y a pas davantagede repos. Lemouvementet le

repossupposenttoujoursdu temps;mais l'instant

ne peut pas renfermerde temps,de quelquema-

nièrequ'on leprenne.

D'ailleurs,les divisionsdu tempset lesdivisions

du mouvementse correspondentexactement.Un

mouvementtotalmettantun certaintempsà s'ac-

complir,dans la moitiéde ce temps,il y aura la

moitiéde cemouvementd'accomplieou, sanspré-

ciser aucune quantité spéciale, dans un temps

moindre, il y aura un moindremouvement, de

Page 82: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTË. Lxxvn

mêmequ'il y aura un mouvementplusgrand dans

un tempsplusgrandaussi.

Mais,puisquel'instantestindivisible,il en résulte

une impossibilitéde fixerd'une manièreabsolue,

soitle momentoùle mouvementcommence,suit le

momentoù il s'achève.Il y a déjàdu mouvement

d'accompliquand on remarqueque le mouvement

commenceet il a cesséd'être quandon remarque

qu'il est achevé.Le primitif du mouvement,pour

parler la langued'Aristote,est doncinsaisissable;

mais on le trouveraitplutôt dans le point où le

changementse termine et s'achèveque dans le

point où il commence.Les divisionssuccessives

étant infiniesdans le mouvement,tantquele mou-

vementn'est pas terminé,on ne peutpasdire qu'il

soitencore;et si l'on attendsa finpourdire qu'il a

été, c'est qu'il n'est déjà plus. Il n'y a donc pas

moyende fixeravecquelqueprécisionleprimitifdu

mouvementou du changement.Toutcequi change

et se meut, changeet semeut dans le temps,de

telle sorte que tout ce qui changea déjà changé

dansune certainemesure,et que toutcequisemeut

a déjàété mu. C'estqu'il n'y a pas de mouvement

instantané,commele dit trop souventle langage

vulgaire,et quelemouvement,quelquerapidequ'il

Page 83: La Physique d Aristote

ï.xxvm PRÉFACE

soit, exigetoujoursqu'il y ait une certaineportion

detempsd'écoute. Enun mot, il n'y a pasdepri-

mitif dansles divisibleset les continus, justement

parcequ'ilssontindénnimentdivisibles.Et ce qu'on

dit ici du mouvementpourrait s'appliquertout

aussibienau repos,pourlequel onne peutpasdé-

terminerdavantage,ni le point précis où il com-

mence,ni lepointprécisoù il finit.

Il faut ajouter que, s'il n'y a de primitifni pour

le tempsni pour le mouvement,il n'y ena pasnon

plus pourle lieu; c'est1~une conséquencenéces-

saire et il n'est pas pluspossiblede préciserles

points de l'espaceoù le mouvementcommenceet

s'achève,qu'il n'est possiblede préciserles points

du temps et de la durée auxquels il correspond

exactement.

Aristoten'entendpoint,par des considérationsde

cegenre, accorderrien au scepticisme;et il a pris

laplusgrandepeine,commeon l'a vu,pourétablir

inébranlablementl'existencedu mouvement,du

tempset de l'espace.Maisil fait une grandediffé-

renceentre la rigoureuseexactituded'une théorie

scientifique,et les indéterminationstrop peucom-

prises et trop vaguesdontse sert le langageordi-

naire.Dansl'usagehabituelde la vie,onne regarde

Page 84: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. txxix

pas de si près auxchoses,et l'on dit d'un événe-

mentqu'il s'est passédanstelleannée,parce qu'il

s'est passéeffectivementà tel jour de cetteannée.

En poussantmêmele scrupuleencoreplusloin,on

verraitquecetévénementne s'est pas mêmepassé

ce jour-là, mais qu'il s'est passéa une certaine

heure de ce jour, et non pas mêmeà cetteheure,

maisdans une certainepartie de cette heurepré-

tendue et ainsi de suite à l'infini.Onpeutdonc

poursuivreceprimitifqu'on cherche,autant qu'on

levoudra.A quelqueinvestigationqu'on se livre,

quelqueattentionqu'on y mette,on ne le saisira

jamais.Il fuit et nous échappesans cesse.C'estla

divisibilitédu tempset du mouvementqui peut

seuleexpliqueret éclaircirjusqu'à certainpointce

singulierphénomène.

CependantAristotesentbien quecesdouteséle-

véssur l'espace,sur le tempset surle mouvement,

peuventdonner quelqueapparencede raisonaux

sophismesdel'écoled'Élée, et il s'appliqueà réfu-

ter les argumentsspécieux,dont Zénonse servaitt

pour démontrerque le mouvementest impossible

logiquement,etquepar suiteil pourraitbienn'être

pasréel.Aristoteexaminedoncchacunde cesargu-

mentsl'un après l'autre; et pouren faire voir la

Page 85: La Physique d Aristote

LXXX FACE

complètefausseté,il y opposesa propre théorie.

Danstoutescesargumentations,oùZénonéblouitet

trompelesignorants,il admet toujoursquele mou-

vementest indivisible,et que le tempsl'est aussi

il admet toujoursque le tempsest composéd'ins-

tants indivisibleset successifs.Or, c'est là une

erreur fondamentaled'où sortent toutesles autres.

Il estbienvraiquel'indivisiblene peutsemouvoir;

ou du moins,si l'indivisiblea un mouvement,ce

n'estqu'un mouvementindirect,commeserait celui

d'unepersonnequi seraitimmobiledansun bateau

et qui participeraitindirectementau mouvement

quele bateauauraitlui-même.Maisle tempsn'est

pas indivisible;le mouvementne l'est pas davan-

tage.Le tempsne secomposepas d'instants, non

plusque la lignede points et le mouvementne se

composepasdesecoussessuccessives.Il estdivisible,

parcequ'il est continu;et les quatre sophismesde

Zénon,malgrélesnomspompeuxdont il lesdécore,

ne soutiennentpas l'examen.

Toutce quel'onpeutaccordera Zénon,c'est que

le mouvement,toutréel qu'il est, n'a pointcepen-

dantcetteinfinitudeen tous sensque parfoison lui

prête.Lemouvementestun changement;et comme

tout changementa nécessairementpourlimites les

Page 86: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. txxxt

contraires entre lesquels il a lieu, partant de l'un

pour aboutir l'autre, il s'ensuitque le mouvement

a, lui aussi, des limites, et qu'on ne peut pas même

concevoir dans l'espace un mouvementinfini qui

s'accomplirait en ligne droite. Maisdans un autre

sens, le mouvementpeut être infini; il peut l'être

par le tempsqu'il dure et le mouvementcirculaire

peut être infini s'il dure infiniment,et s'il tourne

sans cesse dans le même cercle,au lieu d'aller en

ligne directe.

C'est ainsi qu'Aristote s'élève peu a peu à cette

grande théorie de l'éternité du mouvement. Mais

avant de l'aborder, il examinedeux dernières ques-

tions, relatives l'une la comparaison,l'autre à la

proportionnalitédes mouvements entre eux (i)'. Je

me contente d'en parler brièvement,tout en recon-

naissantqu'ellesne sont pas sansintérêt, ainsi qu'onva s'en convaincre.

Pour que deux mouvements soient comparables, il

(1)Je passeainsi sous silence les quatre premiers chapitres dulivre VU. Je ne les tiens pas seulement pour apocryphes; maisévidemmentils interrompent la suite despensées, et il mesemblequ'elio reprend assez,régulièrement au chapitre v. Les quatrepremiers chapitres annoncent du reste et préparent quelquesthéories développéesdans le livre VII!.Voir la Dissertation pré-liminaire, page /123.

Page 87: La Physique d Aristote

LXXXU PRÉFACE

faut qu'ils soient.du même genre. Ainsionpeut bien

comparer des mouvementsde translation avecdes

mouvements de translation, des mouvementsd'ac-

croissementavec des mouvementsd'accroissement;

mais on ne pourrait point passer d'un genre a un

autre, et comparer, par exemple, un accroissement

avec une translation, ou un déplacement avecune

altération. Seulement le temps peut servir ici de

commune mesure entre des espèces d'ailleurs fort

différentes, et il est possibleque tellealtérationdure

autant de temps que telle translation. L'altération

alors et la translation pourront être comparées

entre elles.

Quant a la proportionnalitédes mouvements,elle

s'adresse aux mouvementsde même ordre et Aris-

tote essaie d'en tracer les règles principales.Ainsi

le mobile, le tempset la distance parcourueselonla

force du moteur et selon la résistancedu mobile,

sont quatre termes qui ont entre euxdes relations

constantes. La puissanceet la résistancerestant les

mêmes, la distanceparcourue sera moitiémoindre,

si le tempsque dure le mouvementest moindre de

moitié. Si c'est la puissancequi est réduite de moi-

tié, la résistance et le temps ne changeant pas,

l'effet produit sera réduit de moitié commela puis-

Page 88: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. LXXXIII

sance. Si c'est le mobilequi offre moitié moins de

résistance, dans un temps égal la puissance ou le

moteur produira un effet double. Cela revient à

dire que ces quatre termes sont liés entre eux de

telle manière qu'il suffitque l'un d'eux varie pour

qu'à l'instant même les trois autres varient égale-

ment dans des proportions relatives. Si les forces,

les mobiles et les temps sont égaux, le mouvement

produit sera égal.

Maisdans la réalité, il y a des exceptionsdont il

faut tenir compte; et de ce qu'un moteur peut mou-

voir un certain mobile dans une certaine mesure

durant un temps donné, il ne s'ensuit pas nécessai-

rement que le même moteur dans le même temps

puisse mouvoir un mobiledouble de la moitié de la

distance car il peut se faire que dans ce cas le mo-

teur soit impuissant à exercer aucune action sur le

mobile. Si, par exemple,il faut toute la force du

moteur pour ébranler le mobile simple, il est bien

impossible que la résistance devenant double, la

forcepuisseencore agir en quoi que ce soit.On peut

observer très-facilement quelque chose d'analogue

pour une foule de faits qu'on a constammentsous

les yeux. Vingt matelots étant nécessaires pour

mettre un navire en mouvement,il ne s'ensuit pas

Page 89: La Physique d Aristote

PRËFiCËLXXXIV

qu'un seul homme puisse le faire mouvoir d'un

vingtième. Loin de là; le navire reste immobile

sous l'effort d'un seul homme, bien qu'il cède aux

efforts réunis de vingt autres.

Cette dernière observation,qui est pleinede jus-

tesse, est employée par Aristote pour réfuter un

nouveau sophismede Zénon, ou plutôt une de ses

erreurs issue commebien d'autres de ses sophisnics

sur le mouvement. Soit, si l'or veut, un tas de

grains, par exemple,qu'on verse sur le plancher de

la grange. Entombant,il fait un certain bruit. Zénon

prétendait que le bruit total était le composedes

bruits partiels que font chacun des grains dont le

tas est forme. Aristote repond, en arguant du phé-

nomène du navire, qu'il n'en est rien, et que les

parties qui entrent dans le tas peuventfort bien,

quand elles sont 'à part et isolées, ne produire au-

cun bruit, quoique toutes ensembleellesen fassent

un assez considérable.S6parée, chaque partie ne

peut pas même mettre en mouvementautant d'air

qu'elle en met quand elle fait partie de tout le bois-

seau c'est qu'elle n'a d'action que quand elle est

combinée avec toutes les autres, commele matelot

qui ne peut absolument rien sans ses compagnons.

J'ai cité cet exemple pour montrer que la mc-

Page 90: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. Lxxxv

thoded'observationn'est pasaussiétrangere auxan-

ciensqu'on a bien voulu le prétendre et ici parti-

culièrement, on peut voir comment Aristote essaie

d'appuyer sa théorie sur des faits bien constatés. Il

n'insiste pas d'ailleurs davantagesur cette réfuta-

tion du fameuxadversairedu mouvement, et il ter-

minece qu'il voulaitdire sur la proportionnalité du

moteur, du mobile,de la distance.parcourue et du

temps,par deux règles non moins exactes que les

précédentes. L'une concerne la composition des

forces,et il remarque que si deux forces séparées

poussentchacune leur mobiled'une certaine quan-

tité dans un tempsdonné, ellespourront en se réu-

nissant pousser le mobile formé de la réunion des

deux autres d'une quantité égale dans un temps

égal. La seconde règle concerne les mouvements

d'altération et d'accroissement, auxquels Aristote

applique ce qu'il vient de dire du mouvement de

translation.

Avecle huitième livre, nous voici parvenus à ce

grand problème de l'éternité du mouvement, le

dernier qu'Aristote agite et qui couronne si digne-mentson œuvre.En le traitant, le ton du philosophe

s'élèveavec le sujet lui-même; et nous retrouvons

ici dansses expressionsquelquechose de la maj~s-

Page 91: La Physique d Aristote

LXXXVI PRÉFACE

tueuse austérité de la ~apAyst~Me « Le mouve-

«ment a-t-il commencea un certain moment avant

« lequel il n'était pas? Cessera-t-ilquelque jour, de

« même qu'il a commencé,de manière que rien dé-

«sormais ne puisseplus se mouvoir? Ou bien doit-

<on dire que le mouvementn'a point eu de com-

«mencement, et qu'il n'aura point de fin? Doit-on

<[dire qu'il a toujours été, et qu'il sera toujours,

« immortel, indéfectible pour toutes choses, et

«comme une viequi anime tous les êtres que la na-

« ture a formés?DVoilàpar quels accents solennels

et simples tout à la fois s'ouvre le dernier livre de la

PAys!'y:<e.Telleest la question suprême qu'Aristote

sepose et qu'il essaiede résoudre dans toute sa por-

tée car il sait bien et il déclare, en véritable élève

de Platon, qu'elle intéresse non-seulement l'étude

de la nature, maisaussi la sciencedu principe pre-

mier de l'univers.

Aristote seprononcesans hésiter pour l'éternité

du mouvement,et il ne peut pas comprendre que

cette question reçoive une solution dinercnie. Il

réfute même, avecune certaine vivacité,Anaxagore

et Empédocle, qui se sont imaginé l'un et l'autre

que le mouvementdevaitavoir commencé un mo-

mfnt donné. Selon lui, quand on soutient que le

Page 92: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. Mxxvn

mouvement a eu un commencement,il n'y a que

cesdeux hypothèsesde possibles ou l'on croit, avec

Anaxagore,que les choses étant restées durant un

tempsinfini dans le repos et la confusion,c'est l'In-

telligencequi leur a communiquéle.mouvement et

les a ordonnées; ou bien, on croit, avec Empe-

docle, que le monde passe par des alternativeséter-

nelles de mouvement et de repos, le mouvement

étant cause par l'Amouret la Discorde,et le repos

n'étant que l'intervalle entre leur action succès~

sive.

Cesdeux explicationssemblent également insou-

tenablesaux yeux d'Aristote; et, s'appuyant sur les

définitionsqu'il a donnéeslui-mêmedu mouvement

et du repos, il répond à Anaxagore qu'antérieure-

ment au repos, qu'il croit primordial, il a dùy avoir

un mouvement,puisque le repos n'est que la priva-

tion passagère du mouvementnaturel, et qu'on ne

comprend pas pourquoi l'Intelligence, qui serait

restée un temps infinisans agir, est sortietout àcoup

de son inertie. Il répondà Empédocleque cette al-

ternativede mouvementet de repos ne se comprend

guère mieux,bien qu'elle soit un peu moins con-

traire a l'ordre qu'on doit toujourssupposerdans la

nature. Enfin, il reproche tous les deux, a Anaxa-

Page 93: La Physique d Aristote

PRÉFACELXXXVIII

gore aussi bien qu'à Empédocle,de n'avoir pas vu

qu'ils admettent sansy prendre garde l'existencean-

térieure de l'univers, et qu'ils n'expliquent qu'un

état très-postérieur des choses. Aristote soutient

donc que le mouvement est éternel, parce que le

temps,qui est le nombre du mouvement, est éter-

nel aussi; et il critique Platon, le seul de tous les

philosophesqui ait pensé que le temps avait puêtre créé, commesi l'on pouvait jamais se figurer

un instant quelconque qui n'ai pas été précédéd'un certain passé ni suivi d'un certain avenir.

Maisnon-seulement dans la penséed'Aristote le

mouvement n'a pas eu de commencement; il ne

peut pas davantage avoir de fin. II est indestruc-

tible commeil est éternel, et par la même raison

car s'il n'est pas possible de comprendre un pre-

mier changementqui n'ait point été précédé d'un

changement antérieur, il n'est pas plus facilede

comprendre un dernier changement qui ne serait

pas suivi d'un autre changementquelconque.Si le

mobile est mis originairement en mouvementpar

quelque chose qui le précèdeet existeavantlui, il

n'est pas moins évident que le destructible sera dé-

truit par quelquechosequi lui survivra.

Cesexplicationsen faveur de l'éternité du mouve-

Page 94: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. Lxxxix

ment paraissent si satisfaisantesa Aristote qu'il

blâmeDémocrite de s'être arrêtéa. la surface des

choses,et de s'être borné à déclarersimplementque

leschosessont ce qu'elles sont, et qu'elles ont tou-

jours été ainsi. Quant à lui, il se flatte d'avoir

poussél'analyse beaucoup plus profondément; et

en effet,on ne saurait méconnaîtrequ'il s'est efforcé

de pénétrer plus avant,en rattachant son opinion

sur l'éternité du mouvementaux définitions essen-

tiellesqu'il a donnéesde la nature, du mouvement,

et du temps.

Il ne se dissimule pas, d'ailleurs, qu'il y a des

objectionspossiblesa son système;et ces objections

plusou moins fortes,il les énumere au nombre de

trois.D'abord, on peut nier l'éternité du mouve-

ment, en remarquant que tout changementa néces-

sairementdes limites, qui sont les contraires entre

lesquelsil se passe. Donc le mouvement,qui n'est

qu'un changement, ne peut pas être éternel, parce

qu'il ne peut pas être infini. En second lieu, nous

voyons constamment le mouvement commencer

sousnosyeux; et a tout momentdes objets inanimés

reçoiventle mouvement, qu'ils n'ont pas par eux-

mêmeset que leur communique une cause exté-

rieure. Enfin, dans lesêtres animés,ce commence-

Page 95: La Physique d Aristote

xc PRÉFACE

ment du mouvementest bien plus manifesteencore,

puisque ces êtres se meuventselonleur volonté et

par une cause qu'ils ont en eux-mêmeset dont ils

disposent. Pourquoi le mouvement n'aurait-il pas

commencédans le monde et l'univers, commenous

le voyonscommencerdansce monde en petit qu'on

appelle l'homme?

Ces objections n'embarrassent pas Aristote, et il

n'a pas de peine a les repousser. Sansdoute le chan-

gementse passe souvent entre des contraires, et si

le mouvementse passait égalementainsi dans tous

les cas, il ne serait pas éternel. Maisil y a d'autres

mouvements que celui-là, et il est facilede conce-

voirun mouvementun, éternel et continu, où il n'y

a plusde contraires. Aristotese réserve d'expliquer

quel est ce mouvement, ainsi qu'on le verra tout a

l'heure. Quant à la secondeobjection,elle n'a rien

de contradictoire à réternité du mouvement,et elle

prouve seulement qu'il y a des choses qui tantôt

sont mues et tantôt ne le sont pas. Enfin, la troi-

sièmeobjection, qui est plus sérieuse,n'est pas non

plus décisive car le mouvementdansl'animal n'est

pas aussilibre et aussi spontané qu'on le pense et

Aristote,attaquant en ceci le libre arbitre, suppose

qu'il peut y avoir, a l'intérieur mêmede l'être ani-

Page 96: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AMSTOTE. XCi

me et intelligent, une fouledéments naturels qui

sont toujours en mouvement,et qui déterminent a

son insu le mouvement,qu'il croitse donner à lui-

même, et qu'il ne faitcependant que recevoir sans

en avoirconscience.

Unefois ces objections écartées, Aristote revient

a son sujet, et il recherche comment on peut con-

cevoir qu'un mouvement soit éternel. Il s'appuie

d'abord sur ce fait d'observation évidenteà savoir

qu'il y a dans le mondedes choses qui se meuvent

et d'autres qui ne semeuvent pas. Comment celles

qui se meuvent reçoivent-ellesle mouvement?Aris-

totc prend un exempledes plus ordinaires; et, con-

sidérant que, quand une pierre est muepar un bâ-

ton, c'est la main qui meut le Mtonet l'homme qui

meutla main, il en conclut que, dans tout mouve-

ment, il faut toujours remonter à un premier mo-

teur, lequelest lui-même n6cessairemcntimmobile,

tout en communiquant au dehors Je mouvement

qu'il possèdeet qu'il crée. Acette occasion,Aristote

loue Anaxagore d'avoir considéré l'Intelligence,

dont il fait le principe du mouvement,comme ab-

solumentimpassibleet absolumentpure, a l'abri de

toute affectionet de tout mélange; car c'est seule-

ment ainsi qu'étant immobile,elle peut créer le

Page 97: La Physique d Aristote

xciï PRÉFACE

mouvement,et qu'elle peut dominer le reste du

mondeen ne s'y mêlant point.

Maisle moteur étant immobile, comment peut-il

produireen lui-même le mouvementqui se commu-

nique au dehors, et qui, se transmettant de proche

en proche, atteint jusqu'au mobilele plus éloigne,a

travers une fouled'intermédiaires? Quese passe-t-il

dans les profondeurs du moteur premier, et de

quellefaçonle mouvement peut-il ynaître? Aristote

s'enfonceainsi au cœur même de la question du

mouvement,et il résout ce problème si obscur par

les principes qu'il a posés antérieurement et qu'il

regarde commeindubitables. Or, il a démontréjus-

qu'à présent, que tout mobile estmu par un moteur

qui lui est étranger. Mais parvenuau premier mo-

teur, il sent bien qu'on ne peut plus rien chercher

en dehors de lui; car ce serait se perdre dans l'in-

fini. Dansce moteur initial, source et principe de

tous les mouvements dans l'univers, il retrouvera

donc encore les mêmes éléments qu'il a déjà cons-

tatés. Il y aura dans le premier moteurdeux parties,

l'une qui meut sans être mue elle-même,l'autre qui

est mueet meut à son tour; la prcmicrf. qui crée le

mouvement; la seconde,qui le reçoit et le transmet.

Lemoteur tout entier reste immobile mais les deux

Page 98: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARtSTOTE. XCIU

parties dans lesquelles il se décomposene le sont

pas tout à fait commelui l'une est absolumentim-

mobile commeil l'est lui-même; l'autre reçoit l'im-

pulsion, et elle peut la communiquermédiatement

au reste des choses..

Il serait sansdoute téméraired'afrirmer qu'Aris-

tote a porté définitivementla lumière dans ces té-

nèbres et il n'est pasdonn6 à des regardshumains

de voir ce qui se passe dans le sein mêmede Dieu.

Mais on peut croire, à la louange d'Aristote, qu'il

n'est point resté trop au-dessous de cet ineffable

sujet, ni au-dessousdu Timéede Platon. Il a bien

vu le mystère dans toute sagrandeur, et il a eu le

courage d'en chercher l'explication, si d'ailleurs il

n'a pas eu plus qu'un autre le bonheur de la ren-

contrer. Il proclamel'existencenécessaired'un pre-

mier moteur sans lequel le mouvementne pourrait

se produire ni durer sous aucuneformedans l'uni-

vers, et il sonde l'abîme avecune sagacité et une

énergie dignesd'en découvrirle fond.

Il semble cependantqu'ici il commet une erreur

assez grave; et que c'est à tort que de l'éternité du

mouvement,tellequ'il l'a établie, il conclutil l'éter-

nité du premiermoteur. Lemouvementétant éternel

selon Aristote, le premier moteur doit être éternel

comme le mouvementmême qu'il produit éternel-

Page 99: La Physique d Aristote

xcn PRÉFACE

lement. En dépit du respectque je porte au philoso-

phe, il muparaît que c'est absolumenttout l'opposé,

et que c'est du moteur qu'il faut conclure le mou-

vement, loin de conclure de l'existence du mouve-

ment l'existencedu moteur. Maisje ne voudraispas

trop insister sur cette critique; et il est bienpossible

qu'il n'y ait là qu'une différencede mots.Lemoteur

doit être de toute nécessité antérieur a sa propre

action; et cen'est peut-être que par le besoind'une

déduction purement logique et en partant de l'ob-

servation sensible qu'Aristote parait n'assignerau

moteur que la secondeplace. Maisen se mettant au

point de vue de la seule raison, il est plus conforme

a ses lois de concevoir le moteur avant le mouve-

ment car amoinsd'acquiescerà ces systèmesqu'A-

ristotea cru devoircombattre,et qui expliquenttout

par les seules forcesde la matière, il faut bien ad-

mettre que les chosesn'ont pu être mues que par

un moteur préexistant. Sans le moteur, le mouve-

ment est logiquementincompréhensible.C'estbien,

si l'on veut, le mouvement, observé par nous, qui

révèle le moteur mais il ne le fait pas, tandisqu'au

contraire c'est le moteur qui fait le mouvement,et

l'on ne peut les prendre indifféremment l'un pour

l'autre.

Dans ces matières délicates, moins que partout

Page 100: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. xcv

ailleurs, il ne faut rien prêter a l'équivoqueni au

doute il est plus rationnel et plussur, avecPlaton,

de poser Dieu à l'origine des choses, et d'en faire

dans l'immanence de son éternité le créateur du

mouvement,de l'espace et du temps. Les idées de

Timécsont plus acceptablesà la raison, et ellessem-

blent mieuxexprimer l'immuable vérité deschoses.

Aristote ne les a point directement réfutées; mais

il ne les adopte pas, sans pouvoird'ailleurs pres-

sentir qu'il se mettrait en un dissentimentprofond

avecl'orthodoxie chrétienne, aussibien qu'il y étaitt

avecle maître dont il avait si longtempsentendu les

leçons.C'est que peut-être Anaxagorene se trom-

pait point autant qu'il paraissait à Aristote; et son

seul tort, tout en accordantà l'Intelligencel'initia-

tivedu mouvement,c'était dela fairepostérieureaux

chosesmêmesqu'elle devait mouvoiret ordonner.

D'ailleursle premier moteur étant éternel, Aris-

tote reconnaît sans peine qu'il doit être unique; et

la seule raison qu'il en donne, tout à fait péremp-

toire pour lui, c'est que l'unité vaut mieux que la

pluralité, et que toujours dans la nature c'est le

mieux qui l'emporte sur son contraire (1).Il n'est

(1)Laplaceditquelquechosede toutn faitsemblable,E~o-~fon~!f~m<; ~Mwo~, LivreIII.

Page 101: La Physique d Aristote

PRÉFACEXCVI

pas besoinde plus d'un seul principepour expliquercettealternativeperpétuelledegénérationet de des-

truction, et ce changement incessant qui se mani-

festedans toutes les chosesnaturelles.Certainement

cet argument tout logique qu'Aristote donne ici,

commeil le répèteau douzièmelivre de la ~c~y-

sique, n'est pas sans valeur; mais il pouvait être

présentésousune forme à la fois plus réelle et plus

claire; et l'unité de desseinquiéclatedans toutesles

parties de la nature, tant admirée par Aristoie, ré-

vèle irrésistiblement l'unité de son auteur. Puis,comment comprendre que le premier moteur, quiestéternelet infini, puisse ne pas être un? Comment

la pluralité pourrait-elle s'accorderavecson infini-

tude?

Jusqu'à présent, il a été démontréque le premiermoteur estunique et qu'il est éternel dans son unité

et dans son action. Maisquelle est la nature et l'es-

pèceparticulière de mouvementque produit le pre-mier moteur? Telleest la seuleet dernière questionà peu près qu'il reste encorea éclaircir, et dont la

solution doit terminer toute la science de la phy-

sique.

Le mouvementétant éternel, le premier moteur

qui est un et éternel aussi, ne pourra produire

Page 102: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. xcvn

qu'un mouvementqui sera de toute nécessitéun,

identique, continu et premier commelui. Il s'agitdonc de trouverun mouvementqui remplissetoutes

ces conditions. Or en y regardant de près, on voit

que, dans les deuxespacesde mouvementqu'on ap-

pelle d'accroissementet d'altération, ou, en d'au-

tres termes, de quantité et de qualité, on implique

toujours l'idéed'un mouvementde lieu, c'est-à-direde translation. La translationest donclogiquementet essentiellement le premier de tous les mouve-

ments, puisque tous lesautres le supposent néces-

sairement, tandis que celui-làpeut sepasser de tous

les autres. De plus, la translation ou mouvement

dans l'espaceest le privilégedes êtres les plus re-

levés et l'on voit qu'elle est accordée aux animaux

les plus parfaits, tandisqu'elle est refuséeaux plan-tes. Enfinla translationparaît supérieure, en cequedans la translation la substancedemeure plus im-

muable quedans tout autre espèce de mouvement,où l'être doit toujours être modifié, soit dans sa

qualité, soit dans sa quantité.A tous cestitres déjà,rationnels, essentiels,chro-

nologiques,la translationest le premier des mouve-

ments. Maisen outre elleest le seul qui puisse être

continu. Tous lesautresmouvementsvont d'un con-

9

Page 103: La Physique d Aristote

xcvm PRÉFACE

traire un autre contraire; et a chaque contraire

successivementréalise, il y a un moment de repos;

car les contraires ne pouvant jamais être simulta-

nés, il s'ensuit qu'il y a toujoursentr'eux un inter-

valle, c'est-à-dire une interruption, quelque faible

qu'on la suppose. Donc, aucun mouvement dans la

quantité oudans la qualité ne peut être continu.

Mais dans la translation il n'y a rien de pareil, et

tant qu'elle dure, elle est d'une parfaite continuité.

Ainsi, la translation est bien le mouvementun, pre-

mier et continuqu'on cherchait.

Maisla translation elle-mêmen'est pas simple, et

l'on doit y distinguer plusieursespèces.Ainsi, il y a

d'abord la translation circulaire; puis,il y a la trans-

lation en ligne droite, et en troisièmelieu, la trans-

lation mixte, c'est-à-dire la translation composée

mi-partie d'un mouvement en ligne droite, et mi-

partie d'un mouvement en cercle. De ces trois es-

pècesde translation, quelle est celle qui peut four-

nir ce mouvementun, infini et continu du premier

moteur? C'est ce qu'il faut déterminer. D'abord on

doit mettre de côté la translation mixte, puisqu'elle

n'est rien par elle-mêmeque ce que sont les deux

autres qui la forment par leur combinaison.Res-

tent donc.la translation en ligne droite et la trans-

Page 104: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. xox

lation circulaire. Alaquelle desdeux donnerla pré-

férence? Aristoteélimine la translation directe, d'a-

près ce fait qu'il regarde commeévident, à savoir

que toute lignedroite est nécessairement finie, et

que le corps pour la parcourir d'une manière éter-

nelle devrait revenir sur lui-même alors il aurait

des mouvements contraires, et, a chaque retour, il

se produirait un certain repos qui interromprait la

continuité du mouvement. Au contraire, dans la

translation circulaire, il peut ne point y avoir au-

cune espècede repos ni de tempsd'arrêt; le mouve-

ment peut y être absolument continu, et d'une con-

tinuité éternelle. Dans cette translation, le corps ne

va pas d'un contraire a un autre contraire. 11 part

d'un point pour revenir à ce point encore, par la

même impulsion.A chaque instant, il se meut vers

le point où il doit arriver, et tout ensemble il s'en

éloigne.Le mouvement circulaire part de soi pour

revenir a soi; et cependant il ne repasse jamais par

les mêmespoints, commele fait de toute nécessité

le mouvement en ligne droite, qui revient sur les

mêmes traces qu'il a déjà parcourues, et qui n'a

qu'une apparente continuité.

H n'y a donc que la translation circulaire qui

puisse produire un mouvementun, infini, continu

Page 105: La Physique d Aristote

c PRÉFACE

et Sterne].Le corps y est sans cesse porté vers le

centre, lequel est lui-même immobile et en dehors

de la circonférence, dont il ne fait point partie.

Ainsi, dans la translation circulaire, il y a tout a la

foisrepos et mouvement.C'est 1~ ce qui fait aussi

que le mouvementcirculaire est le seul qui soit uni-

forme car, dansle mouvement en ligne droite, la

chute du corps est irrégulicre, et elle est d'autant

plus rapide qu'elle approche davantage de son

terme. Mais le mouvement circulaire, précisément

parce qu'il a en dehors de lui son origineet sa fin,

est d'une absolue régularité. Voilà commentil peutservir de mesure à tous les autres mouvements.

C'est sur lui qu'ils se règlent, tandis que lui ne se

règleque sur lui-même.

Voilàdéjà biendes notions sur le premier moteur

immobile;carnous savonsqu'il est un et éternel, et

que le mouvement qu'il crée est le mouvementcir-

culaire, le seul de tous les mouvements qui puisseêtre un, éternel, continu, régulier et uniforme.

Aristoteajoute sur le moteur premier deux autres

considérations non moins profondes et non moins

vraies, par lesquellesil achèvesa Physique,ou plu-

tôt la théorie du mouvement.Le premier moteur

est nécessairementindivisible, et il est sans gran-

Page 106: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARiSTOTE. Ct

deur quelconque. S'il avait une grandeur quelle

qu'ellefût, il serait fini et une grandeur finie ne

peutjamais produire un mouvementinfini et éter-

nel, pas plus qu'elle ne peut avoirune puissancein-

finie.Immobile et immuable, il a éternellement la

forcede produire le mouvementsansfatigue et sans

peine et son action ne s'épuise jamais, toujours

uniforme, égaleet identique, d'abord en lui-même,et ensuitedans le mobile,sur lequelelle s'exerce.

Enfin,où placer dans l'univers le premier mo-

teur?En quel lieu réside-t-il, si toutefois on peutsur l'infini et l'éternel élever une telle question?Est-ceau centre? Ou n'est-ce pas plutôt a la circon-

férence, puisque c'est à la circonférence que les

mouvementssont les plus rapides, et que ce sontles

parties les plus rapprochées du moteur qui sont

muesavec le plus de rapidité? Telest le systèmedu

monde,mu durant l'éternité par le premier moteur,

qui n'a lui-même, dans son unité, dans son infini-

tude et dans son immobilité, ni parties ni aucune

espècede grandeur possible.

Voilà les derniers mots et les dernières idéesde

la Physiqued'Aristote, terminant cette vaste étude

par une théorie de l'action de Dieusur le monde.

Certainement on ne peut pas approuvercette théo-

Page 107: La Physique d Aristote

en PHËFACE

dicéedans tous ses détails, et je ne me chargerais

pas volontiers de la défendre sur tous lespoints.

Mais quel est le philosophequi dans ces matières

peut se Hatterde n'avoir point commis d'erreur et

de n'avoir fait aucun faux pas? Tout en avouant

qu'Àristoteaurait pu rester plus prèsde la vérité, en

restant plus docile aux enseignements de Platon et

de Socrate,j'aime mieuxconsidérer les mérites de

sa théorie que ses lacunespar trop évidentes et en

présencede ce grand monument, qui fait tant d'hon-

neur a rinteHigMicchumaine, je préfère de beau-

coup l'admiration la critique. Je passe donc con-

damnation très-aisémentsur les défauts d'Aristote;

et tout ce que je demande pour lui, c'est qu'on

veuillebien étudier sonœuvre dans l'esprit où elle

a été conçue,et qu'on rende justice à un système

aussi étenduet aussi pénétrant. Il y a tout h l'heure

vingt-deuxsièclesqu'Aristoteinstituait cette grande

investigation,et l'on va voir, par le peu que j'ai

dire sur l'histoire de ces théories, quelle en est la

valeur comparative et quelle influence elles ont

exercée.

Maisje croirais n'avoir point fait assez connaitre

ici la Physiqued'Aristotesi, avant de la quitter, je

ne parlaisdu style dans lequel elle est écrite. Sans

Page 108: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cm

doute le style importe peu dans des pensées de cet

ordre, et la forme souslaquelleon les présente suint

toujours du moment qu'elle les fait suffisamment

comprendre.Mais il est dans la P/n/~Me quelques

morceauxtellement remarquables, et le ton général

en est si ferme et si originaldans sa simplicitéscien-

,tifique,qu'il est bon dele recommanderà l'attention

et a l'estime de notre temps.L'exemple en est trop

rare pour qu'il soit inutile de le signaler. Je repro-

duis de préférence trois passagesqui ont chacunun

caractère différent, et qui, détachés du reste, ne

feront pas moins d'effet, je suppose, dans leur iso-

lement.

La première citation que je rappellerai se rap-

porte à l'action delanature, qui, dans tout ce qu'elle

fait, a toujours en vue une certaine fin, et qui ne

procèdejamais au hasard non.plus que par néces-

sité, idées que j'ai déjà louéesplus haut. Aristote

sait bien qu'à cette théorie, toute juste qu'elle est, il

y a des objections,et il va au-devant de cesobjec-

tionspour les réfuter.

LivreII, chapitre vin, §§ 2 et suivants

« Maisicion é!èveundoute,et l'on dit Quiempêche« quelanatureagissesansavoirde butet sans chercher

« le mieuxdeschoses?Jupiter,par exemple,ne faitpas

Page 109: La Physique d Aristote

ctv PRÉFACE

« pleuvoirpour développeret nourrir le grain. Mais il

« pleutpar uneloi nécessaire car ens'élevant, la vapeur« doitse refroidir; et la vapeurfroide, devenantde l'ean,« doit nécessairement retomber. Que si ce phénomène<:ayantlieu, le grain en profitepour germer et croître,« c'estun simpleaccident. Et de mêmeencore,si le grain« qu'ona mis dans la grangevient a s'y perdre par suite« de la pluie, il ne pleut pas apparemment pour que le<fgrain pourrisse; et c'est un simple accident s'il seIl perd. Qui empêche également de dire que, dans la« nature, les organes corporelseux-mêmes sont soumis

<(à la mêmeloi, et que les dents, par exemple,poussent(Cnécessairement,cellesde devant incisives et capables« de déchirer les aliments, et les molaires, larges et

<( propresà broyer, bien que ce ne soit pas en vuede

« cette fonctionqu'elles aient été faites et quece soit une

« simple coïncidence? Qui empêche de faire la même

« remarquepour tous les organesoù il semblequ'il y ait

« unefinet unedestination spéciales? Ainsidonc, toutes

<tlesfoisque les choses se produisent accidentellement

f telles qu'ellesse seraient produites en ayant un but,« elles subsistent et se conservent, parce qu'elles ont

« pris spontanément la condition convenable mais

« celles qui ne l'ont pas prise périssent ou ont péri,« commeEmpedocfele dit de ses créatures bovines a

« prouehumaine.

« Telleest l'objection qu'onélève et à laquellerevien-

« nenttoutes les autres.

a Maisil est bien impossible, continue Aristote, que« les chosesse passentcommeon leprétend. Cesorganes« des animaux dont on vient de parler et toutes les

Page 110: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cv

« chosesque la nature présente &nosregards, sont telles

« qu'elles sont ou dans tonsles cas ou dans la majoritéo des cas. Maisil n'en est pas du tout ainsi pour rien de

« ce que produit le hasard. On ne trouve point en effet

« que ce soit un hasard ni une chose accidentellequ'il« pleuvefréquemmenten hiver; maisc'est un hasard au

« contraires'il pleut beaucoup, quand le soleil est dans

« la constellationdu Chien. Ce n'est pas davantageun

« hasard qu'il yait degrandeschaleurs dansla Canicule;

n maisc'en est un qu'il y enait en hiver. Si doncil faut,« de deuxchosesl'une, que ces phénomènesaient lieu

u soit par accidentsoit en vue d'unefin, et, s'il n'est pas« possiblede dire que ces phénomènessoient accidentels

o et fortuits, il est clair qu'ils ont lieu en vue d'une fin

« précise. Or, tous les faits de cet ordre sont dans la

nature apparemment, comme en conviendraientceux-

« là mêmesqui soutiennent ce système. Donc,il y a. un

« pourquoiet une finà toutes les choses qui existent ou

« se produisentdans la nature.

« J'ajoute que partout ou il y a une fin, c'est pour« cette finqu'est fait tout cequi la précèdeet tout ce qui« la suit. Donc, telle est une chose quand elle est faite,

« telleest sa nature; et telle est cettechosepar sanature,

« telle est quand elle est faite, toutes les fois que rien ne

« s'y oppose.Or, elle est faite en vue d'une certaine fiui

« doncelle a cette fin par sa nature propre. En suppo-« sant qu'une maisonfût une chose que fît la nature, la

« maisonserait précisément, par Je faitde la nature, ce

« qu'elle est aujourd'hui par le fait de l'art et si les

« choses naturelles pouvaient venir de l'art aussi bien

« qu'elles viennentde la nature, l'art les feraitexacte-

Page 111: La Physique d Aristote

GYiJ PRÉFACE

« ment ce que la nature les fait. Ceci est surtout mani-

« feste dans les animauxautres que l'hommequi ne font

n ce qu'ils font, ni suivant les règles de l'art, ni aprèsn étude, ni par réilexion et de là vient qu'on s'est par-« foisdemandési les fourmis, les araignées et tous les

« êtres de ce genre n'exécutentpas leurs travaux à l'aide

« de l'intelligenceou d'une autre faculténonmoinshautc.

« En faisant quelques pas de plus sur cette route, on

c peut voir que, dans les plantes elles-mêmes se pro-« duisent aussi les conditionsqui concourent à leur fin,(cet que, par exemple,les feuillessont faites pour garan-tir le fruit. Si donc c'est par une loi de la nature, si

« c'est en vue d'une fin précise que l'hirondelle fait le

« nid où seront ses petits, et l'araignée sa toile, que les

« plantes portent leurs feuillesprotectrices du fruit, et

« qu'elles poussentleurs racinesen haut et non en bas

(fpour se nourrir, il est de toute évidence qu'il y a une

« cause du mêmeordrepour toutes les choses qui exis-

« tent ou qui se produisentdans la nature entière.

<tMais si, dans le domaine de l'art les choses qui« réussissent sont faitesen vued'une certaine fin, et si,« dans les choses qui échouent, l'art a seulement fait

« effort pour atteindre le but qu'il se proposait sans yccparvenir, il en.estde meoiedans les choses naturelles,« et les monstruositésne sont que des déviations de ce

Mbut vainementcherche. ')

Tel est le premier morceau que je tenais a citer,

et qui ne se recommande pas moins au bon goût

qu'à la science. Quel naturel et quelle simplicité

Page 112: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cvn

dans la grandeur Quelle sobriété de développe-

ments Quelle vigueur et quelle justesse d'argu-

ments A. qui comparer cette sévère et puissante

éloquence? Plus tard on a fait des phrases sur la

nature mais ici tout est profondément benti et

pensé. Et ajoutez qu'au temps d'Aristote tout ceci

n'était pas moins neuf que vrai. Aujourd'hui c'est

un lieu commun mais quatre siècles avant notre

ère!

Le second morceau est d'un genre diffèrent; mais

il n'est pas moins beau, quoiqu'il soit tout psycholo-

gique et métaphysique. Il est relatif la théorie du

temps.

Livre IV, ch. xiv, §§ 2 et suivants

« Voici,dit Aristote,quelques raisons qu'on pourrait« alléguer pour prouver que le temps n'existe pas du

n tout, ou du moinsque, s'il existe, c'est d'une façon A

« peine sensible et très-obscure. Ainsi, l'une des deux

« parties du temps a été et n'est pins l'autre doit être

« et n'est pas encore.C'est pourtant de cesélémentsqueu se composentet le temps infini et le temps que nous

cccomptonsdans une successionperpétuelle. Or, ce qui« est composéd'éléments qui n'existent pas, semble ne

« pouvoir jamais être regardé comme possédant une

« existencevéritable.Ajoutez que, pour tout objet divi-

« sible, il faut de toute nécessité, puisqu'il est divisible,« que, quand cet objet existe, quetques-unesde ses par-

Page 113: La Physique d Aristote

cvm PRÉFACE

<:ties ou mêmetoutesses parties existentaussi. Or, pour« le temps, bienqu'il soit divisible, certainesparties ont

« été, d'autres seront, mais aucune n'est réellement. Le

« présent, l'instant n'est pas une partie du temps carla

n partie d'une chosesert à mesurercette chose et d'un

« autre côte,letoutdoitse composerdela réuniondes par-c ties or, i! neparaîtpas que le temps secomposed'ins-

« tants et deprésents successifs.Deplus, cet instant, ce« présent même,quisépare et limite, à ce qu'il semble,« le passé et le futur, est-il un? Reste-t-il toujours iden-

:<tique et immuable?Ou bien est-il diitérent, et sans

« cesse différent?Toutes questionsqu'il n'est pas facile

« de résoudre. En effet, si l'instant est toujours autre et

« perpétuellementautre. et si l'instant qui n'est plus<fà présent maisqui a précédemmentété, doitnécessfure-

« ment avoirpéri à un moment donné, alors les instants

« successifs ne pourront jamais exister simultanément

« les uns avec les autres, puisque l'antérieur aura tou-

« jours nécessairementpéri. Or, il n'est paspossibleque« l'instant ait péri en lui-même, puisqu'il n'existait pas« alors et il n'est pas possible davantage que l'instant

« antérieur ait péri dans un autre instant. Par consé-

<'qnent, il faut admettre qu'il est impossibleque les

« instants tiennent les uns aux autres, comme il est

« impossible que, dans la ligne, le point tienne au

« point. ))

Ces doutes sur la réalité du temps n'arrêtent

point Aristote et, après avoir montre que quelques

philosophes ont eu tort de confondre le temps avec

Page 114: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cix

!e mouvement et avec la révolution de la sphère cé-

lcste, il poursuit:

Mêmelivre, chapitre xvi, §§ 1 et suivants

« Nousconvenons cependant quele temps ne peut se

« comprendre sans le changement; car nous-mêmes,

ff lorsque nous n'éprouvons aucun changement dans

« notre pensée, ou que le changementqui s'y passenous

« échappe, nous croyonsqu'il n'y a pas en de tempsd'é-

« coulé,pas plus qu'il n'y en a pour ces hommesde la

« fablequi, dit-on, dorment à Sardos auprès des héros,

« et qui n'ont à leur réveil aucun sentiment du temps,« parce qu'ils réunissent l'instant qui a précédéà l'ins-

« tant qui suit, et n'en font qu'un par la suppression de

« tous les instants intermédiairesqu'ilsn'ont pas perçus.

« Ainsi donc, de même qu'il n'y aurait pas de temps si

l'instant n'était point autre, et qu'il fût un seul et

« mêmeinstant, de mêmeaussi quand on ne s'aperçoit

« pas qu'il est autre, il semble que tout l'intervalle n'est

« plus du temps. Maissi nous supprimonsainsile temps,

« lorsquenous ne discernons aucun changement,et que« notre âme sembledemeurer dansun instant un et in-

« divisible; et si, au contraire, lorsquenous sentons et

« discernonsle changement,nous aûirmons qu'il y a du

« temps d'écoulé, il est évident que le temps n'existe

« pour nous qu'a la conditiondu mouvementetduchan-

(cgement. Ainsi, il est incontestableégalement et que le

« tempsn'est pas le mouvement,et que sans le mouve-

« ment le temps n'est pas possible.

Aristote en conclut que le temps est le nombre du

Page 115: La Physique d Aristote

PRÉFACEex

mouvement, et il ajoute (même livre, ch. xvm, §§ 8

ctsuiv.):

« Demêmeque, par un retour constammentpareil, le

(cmouvementpeut être un et identique, de même aussi

« !c tempspeut être identique et un périodiquement

« par exemple,une année, un printemps, un automne.

« Et non-seulementnousmesurons le mouvementpar le

« temps; maisnous pouvonsréciproquementmesurer le

« tempspar le mouvement,parce qu'ils se limitent et se

« déterminentmutuellement l'un par l'autre. Le temps

« déterminele mouvement,puisqu'il en est le nombre

« et de mêmele mouvementdétermine aussile temps.

« Quand nous disons qu'il y a beaucoup de temps d'é-

« coulé, nous le mesurons par le mouvement,de'meme

« qu'on mesurele nombrepar la chose qui est l'objet de

« ce nombre.Ainsi, par exemple, c'est par un seul che-

(f val qu'on mesure le nombre des chevaux.Nonscon-

« naissonsdonc la quantité totale des chevaux-par le

« nombre; et, réciproquement, c'est en considérant un

c seul chevalque le nombremême des chevauxse trouve

« connu. Lerapport est tout à fait pareil entre le temps

« et le mouvement,puisquenous calculons de même le

« mouvementpar le temps, et le temps par le mouve-

« ment. C'estd'ailleurs avectoute raison car le mouve-

« ment implique la grandeur, et le temps implique le

« mouvement,parce que ce sont là également et des

« quantités, et des continuset des divisibles.C'est parce

« que la grandeur a tellespropriétés, que le tempsa tels

« attributs; et le temps ne se manifeste que grâce au

« mouvement.Aussi nous mesurons indifféremmentla

Page 116: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxt

« grandeur par le mouvement,et le mouvementparla« grandeur;carnousdisonsquela routeestlonguesi le« voyagea été long; et réciproquement,que le voyage« est longsi la routea été longue.De même,nousdi-

Ksonsqu'ily a beaucoupde tempss'il y a beaucoupde

<( mouvement;et réciproquement,beaucoupde mouve-

« ment,s'il y a beaucoupdedetemps.

Je doute qu'aujourd'hui nous ayons rien de

mieux dire sur le temps, et que nos analysespsy-

chologiquesdépassentcelle-cien finesseet en exac-

ti tude.

Enfin, le dernier morceau que je veuxdonner

commeexempleest exclusivementscientifique,et il

montrera que la manièred'Aj'istote,quand il traite

un sujet de ce genre, se rapproche beaucoup de

cellequ'adopte la sciencemêmede nos jours. Aris-

tote veut prouver que le viden'existe pas, et parmi

d'autres arguments, il emploiecelui-ci, que dans le

vide il n'y aurait plus aucune proportion possible

entre les distances parcouruespar les corps, selon

qu'ils seraient plus légersou plus pesants.

Livre IV,ch. n, §§ 2 et suivants

<(Évidemment,dit-il, il y a deuxcausespossiblesace

« qu'un mêmepoids,un mêmecorps,reçoiveunmou-

« vementplusrapide ouc'estparcequele milieuqu'il

Page 117: La Physique d Aristote

cxn PRÉFACE

« traverse est ditTérent,selonque ce corps se meut dans

« l'eau, dans la terre ou dans l'air; ou c'est parce que« le corps en mouvement est dînèrent lui-même, selon

« que, touteschosesrestant d'ailleurs égales,il a plusde

« pesanteur ou de légèreté.Le milieu que le corps tra-

« verse est une cause d'empêchement, la plus forte pos-« sible quand ce milieu a un mouvement en sens con-

n traire et ensuite, quand ce milieu est immobile.Cette

« résistance est d'autant plus puissante que le milieu est

« moins facilea diviser, et il résiste d'autant plus qu'il« est plus dense. Soit le corps A, par exemple, traver-

« sant le milieuR dans le temps C, et traversant le mi-

« lieu D, qui est plus ténu, dans un tempsE. Si la lon-

« gueur de Best égale à la longueur de D, le mouvement

n sera en proportionde la résistance du milieu. Suppo-« sons donc que B soit de l'eau, par exemple,et que D

<(soit de l'air. Autantl'air sera plus léger comparative-« ment et plus incorporelque l'eau, autant A traversera« D plus vite que B. Évidemment la première vitesse

« sera à la seconde vitesse dans le même rapport que« l'air està l'eau et si l'on suppose,par exemple,quel'air(cest deux foispins léger, le corps traversera B en deux

« fois plus de temps que D; et le temps C sera double

« du temps E. Donc toujours le mouvement du corps« sera d'autant pins rapide que le milieu qu'il aura à

traverser sera plus incorpore],moins résistant et plus« facile a diviser. ')

Voilà le style d'Aristote, aux divers points de vue

où on peut le considérer. Je ne dis pas qu'il soit

Page 118: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUE D'ARISTOTE. CXMI

A

toujours aussi clair et aussi limpide dans tout le

cours de la M~Me; mais les morceauxque jeviens d'en extraire ne sont pas les seuls, et l'on

n'aurait pas de peine Il leur trouver bon nombre

de pendants.

J'en arrive maintenant a l'histoire de cesgrandesdoctrines. Pour tous les sièclesqui ont suivi Aris-

tote jusqu'à Descartes,je me bornerai a quelquesdétails très-brefs maisje m'arrêterai davantagesur

Descarteset sur Newton,sansoublier Laplacc,afin

de montrer par la comparaisonde nos théories con-

temporainestout ce que valent celles d'Aristote, et

combien peu on y a changé, tout en y ajoutant

beaucoup.

Cequej'ai dit plus haut sur Platon doit faire voiroù en était la sciencequand Aristote composason

ouvrage.Mais il est probable qu'avant Platon lui-

même,l'école Pythagoricienneavait étudié profon-démentquelques-unesde cesquestions. Simplicius,dans son commentairesur la Physique, citeun ma-

gnifiquepassage d'Archytassur la notion du tempset de l'instant, où l'on retrouve quelques-unes desidéesd'Aristote hi-mémc (1).Il serait hasardeuxde

(1)Commentah'ede Simpliciussur !a Physiqued'Aristote~J-

Page 119: La Physique d Aristote

PRÉFACECXtV

répondrede l'authenticitéde ce fragmentd'Archy-

tas, extraitde sonlivresurl'Univers;et Simplicius,

placéà prèsde milleansdedate, n'estni un témoin

irrécusableni un infailliblejuge. Il esttrès-possible

que ce morceausoitapocryphe,commetant d'au-

tres fabriquésà Alexandrieet ailleurs;maislesdis-

cussionsmêmes de la Physiquedémontrentassez

qu'antérieurementau disciplede Platond'autres

philosophess'étaient occupésdes mêmesmatières,

qu'il a traitéesaprèseux.Il est vraiquecesdiscus-

sionsprouventaussiquelesphilosophesantérieurs

avaientpeu fait pourcettebranchede la science,et

que sousce rapport Aristoteles dépasse comme

sous tant d'autres. On peutdonc afRrmerqu'il a

constituéla physique,et qu'ila immensémentaccru

l'héritagequ'il recevaitdesesprédécesseurs.

Quantaux tempspostérieurs,je ne crains pas

d'avancerqu'ils ont étéuniquementleséchosde la

doctrinepéripatéticienne,et qu'ils n'ontfait quela

répéteret la reproduirejusqu'àla findu xvi"siècle.

livreIV,chapitressurlathéoriedutemps.Lecommentairede

Simpliciusestd'unprixInfiniparlescitationsqu'ilfaitdetous

lesanciensphilosophes,etcescitationssontpourlaptupartd'une

authenticitéindubitable.Maispourl'6coledePythf~ore,elleavait

étéparticulièrementdéfiguréeparlesfaussaires,etdèsle tempsd'Aristotemême,onnelaconnaissaitquetrès-imparfaitement.

Page 120: La Physique d Aristote

A LAPHYSIQUED'ARISTOTE. cxv

D'abord dans Fécolemême d'Aristote, ses élèvesles plus distingués,Théophrasteet Eudème se sontastreints à suivreles pas du maître, et ils ont traitécommelui de la nature et du mouvement,en se con-formant aux leçons qu'ils avaient entendues et

qu'ils se gardaient bien de modifier, tout en s'enécartant quelquefois, non sans indépendance, surdes points secondaires.Nousn'avonsplus malheu-reusement les ouvrages de Théophraste ni celui

d'Eudème (i). MaisSimplicius,qui les possédaiten-coreau vi"sièclede notre ère, en a fait des extraits

nombreux, et les citations qu'il nous en a trans-

mises, indiquent très-clairement que les discipless'étaient contentés de paraphraser et d'expliquerl'enseignementqu'ils avaient reçu. Tout en parais-sant.composerdes ouvragesoriginaux,ils n'avaientfait que des imitations et des copies,qui rendaientle précieux servicede propager la doctrine et del'éclaircir. C'est là, du reste, la tradition conservéedans toute l'école aristotélique, et nous la retrou-vons encore également vivante et dans Alexandre

(1)Théophrasteavaitfaitdeuxouvragesaumoinsdephysiquel'unsurla Nature,et l'autresur leMouvement,quiavaitdixlivres,etpeut-êtreplus.Cesouvragesparaissentavoirétéconçustoutàfaitsurlemêmeplanqueceuxdecesdeuxphilosophessurla logiqued'Aristote.Voirla CommentairedeSimpliciussur laM~t'<jf!«',pa~wtetsurtoutLivre1.

Page 121: La Physique d Aristote

çxvi PRÉFACE

d'Aphrodise, dont le commentaire n'est pas non

plus parvenu jusqu'à nous, et dans Simplicius, qui

a été du moins épargné par le temps. C'est un es-

pacede plus de huit siècles.

Onne voitpas que, ni l'école stoïcienneni l'école

d'Épicure, uprès Aristote, se soient beaucoupoccu-

péesde la théorie du mouvement,et ces questions

ne sont reprises avec quelque ardeur, si ce n'est

avec beaucoup de nouveauté, que dans l'école d'A-

lexandrie. Simplicius rappelle notamment et avec

grands détails les travauxde Proclus et de Damas-

cius, et il les analyse soigneusementen ce qui con-

cerne l'espace et le temps. Sur quelques points de

peu d'importance, ces philosophesse séparaient du

système aristotélique, et ils essayaient de le com-

battre. Maison peut douterque, s'ils nel'avaient pas

connu préalablement, leurs méditations se fussent

dirigées sur ce sujet et qu'elles eussent été aussi sé-

rieuses qu'ellesle furent. Je ne nie pas que ces tra-

vaux,qui d'ailleurs ne nous sont pas assezconnus,

ne méritassent, ainsi que les spéculations de PIo-

tin (1), l'attention de l'histoire de la philosophie.

Mais comme ces recherches n'ont produit aucune

(i) Voirla traductionexcellentedePlotin,parM.N.noniHet,VI'Ennéado,livrem,ch,21,t. IU,p.290,etaussip.179.

Page 122: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. ex vu

grande doctrine &côté de celle d'Aristote, je crois

pouvoir les passer sous silence le mysticismen'é-tait pas propre à faire avancerdes questions scien-

tifiques. Je meborne donca cequi précèdesur l'an-

tiquité, et j'arrive au moyen-âge sur lequel je nem'arrêterai pasmêmeaussi longtemps.

Dans la philosophie arabe, et dans la Scholas-

tique, la Physiqued'Aristote est enseignéeet com-mentéeaveczèle; mais on ne fait aussi que l'expli-quer et la paraphraser; on l'accepte sans la discu-

ter on la contredit bien moins encore. Averroès,Albert-le-Grand et saint Thomasd'Aquin, pour neciter qu'eux, ont reproduit sous diverses formes lathéorie du mouvement,tellequ'elle est dans la Plty-~Mc. Averroèsen a fait trois commentairessucces-sifs pour en mieuxrésoudre toutes les difîlcultés.Albert-le-Grand l'a prise pour sujet de ses leçonssans en omettre une seule idée, et il a cherché à yporter la lumièrepar des développementspleins descience et de gravité. Quant à saint Thomas, plusconcis et non moins sagace que son maître, il asuivi pos à pas le texte de la P/~Mc dans la tra-duction de Guillaume de Morbeka,et il n'a paslaissé un seul passage sans une élucidation brèvemaisdécisive.Acôté de ces trois noms, je pourrais

Page 123: La Physique d Aristote

CXVtt! PRËFACE

en placerune foule d'autres. Ce sont toujoursles

mêmeslabeurs,c'est toujoursla même.docilité,jus-

qu'au jour où, vers la fin du xvt"siècle,l'esprit

nouveaus'insurgeraavecfureurcontreAristote,et

se borneraà l'insulter parce qu'il ne peut plus le

comprendre(1).Pourmoi,loindeblâmerces com-

mentateurssoumisetfidèles,je lesloued'avoircon-

servé au travers des âges le goût de cesnobles

études,et d'en avoir entretenusi bienle culte.On

n'a pas toujours à dire des chosesoriginaleset

neuvessur cesgrands sujets,de la nature,de l'es-

pace,du temps,de l'infini,du mouvementet del'é-

ternité.C'estencorebeaucoupdelesméditersur les

tracesd'autrui, quandonne sesentpaslaforcede

sepasserdeguide; et cen'est paslamoindrepart de

la gloired'Aristoted'avoirsi longtempset si ferme-

mentsoutenul'esprithumaindanssesdéfaillances.

(1)C'estlaseuleexcusepourdeslivrestelsquecetuidenamus~o~fMMtP/t~t'carMm/t&)'tocto(Paris,1565,avecprivilégeroyalde1557).Celivre,quinemanquenidosciencenid'esprit,estunlongtissud'outrages,d'uneviolencequineseretâchepasdurant400pages.Cesinvectivesdel'infortunénovateurprouventévidemmentquele sensdela physiquepéripatéticienneest

perdu;etHamusesttrès-sincèrequandil n'yvoitqu'unesuited'argutieset de subtilités,indignesdel'étudedesphilosopheset desphysiciens.Baconne penseguèreplusdebiendela

ï'xjfHc d'Aristote.VoirlesCo~~t'onMdenatMrdrcrMtn,SS3etA.

Page 124: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxix

Nous-voicia Descartes,et c'est à lui que je m'ar-

rête dans la première moitié du xvïr'siècle, sans

contester d'ailleurs la valeur des travaux que j'o-

mets, tels queceuxde Kepler et de Galilée.J'analy-serai lesPn'KC~Me?e/ap/<!7osop~, et particuliè-rement la secondepartie qui traite des principesdes

choses matérielles.Mais auparavant, je dois dire

quelquesmotsde la première partie, où le grandréformateur pose les principes de la connaissance

humaine. On se rappelle qu'Aristote aussi, dès le

préambule de la Physique, a indiqué la méthode

qu'il comptait.appliquerà l'étude de la nature. Je

ne compare point certainement cette expositionsi

brèveet si peu complèteà ces admirables préceptes

qui sont la baseinébranlablede toute la philosophiemoderne et de toute vraie philosophie; maisje no

puis m'empêcherde remarquer que le début d'Aris-

toteet celuide Descartessont au fond absolument

pareils, et qu'avant d'étudier le mondedu dehors,l'un et l'autre ont bien vu qu'il fallait s'appuyer sur

des principes supérieurs de logiqueet de psycho-

logie.C'est un premier trait de ressemblance; cene

serapas le seul, et les autres serontbien plus frap-

pants et bien plusprofonds.

Assuréde l'existencedes corpspar le témoignage

Page 125: La Physique d Aristote

cxx PRÉFACE

irrécusable de la conscience et par la véracité de

Dieu,Descartesse demandeceque c'estqu'un corps,

commeAristotes'était demandé aussi quels sont les

principesde l'être, et il répond que c'est l'extension

seule qui constitue la nature du corps. Le corps

n'est qu'une substance étendue en longueur, lar-

geur et profondeur.C'est là, on le sait, une erreur

manifeste, et quoique je n'en tire pas du tout les

conséquencesqu'y a vuesla malveillancedes adver-

saires du cartésianisme, je n'hésite pas à recon-

naître que Descartes s'est trompé sur la notion du

corps.Je suis étonné qu'il ne s'en soit pasaperçu

lui-même, en voyantque cette définition le menait

à confondre inévitablementl'espace et les corpsque

l'espace renferme. En effet, Descartes trouve que

l'espace,qu'il appelle aussi le lieu intérieur, et le

corps compris en cet espace, ne diffèrentquepar

notre pensée.La même étendue en longueur, lar-

geur et profondeur, qui constitue l'espace constitue

aussi le corps,et la seuledifférenceentr'euxconsiste

en ce que nous attribuons au corps une étendue

particulière. Lecorpsest à l'espace où il est contenu

comme l'espèce est au genre. CependantDescartes

ne méconnaîtpas qu'entre le corps et l'espaceou le

lieu, il y a cettedistinction essentielle,déjà signa-

Page 126: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CXXI

lée par Aristote, quele lieu demeurequand le corps

changeet disparaît. Maisil semblecroire que cette

distinctionest purement logiqueet qu'elle ne tient,

commeil le dit, qu'à notre façon de penser. C'est

là frayer la voieà l'idéalisme et, sur cette pente

dangereuse, Descartes se rapproche de Kant, quifera de l'espace, ainsique du temps,une desformes

de la sensibilité.

J'avoue que je préfère de beaucoup les idées

d'Aristotesur l'espaceà celles que Descartesavance

avec quelque confusion et quelqu'obscurité. Sans

doute il est très-difficilede définir l'idée de corps,et la monadologie leibnizienne le prouve bien,

quand elle réduit l'idée de corps ou de substancea

cellede force. Maisje trouve qu'Aristote en déter-

minant les principes de l'être, c'est-à-dire la ma-

tière et la formeavec la privation,est encore plus

près de la réalité queDescartes et Leibniz, et quece qu'il dit de la nature de l'espace séparé des

corps, est à peu prèsce que la philosophiea jamais

dit de mieux sur ce sujet. Maisje ne cherchepas

tant a découvrir les erreurs de Descartesqu'a expo-

ser son système pour le comparerà celui d'Aris-

tote.

Si la confusiondu corps et de l'espace conduit

Page 127: La Physique d Aristote

c&xn PRÉFACE

Descariesa cette méprise,elle lemèneaussià re-

pousserla possibilitédu vide,tout commeAristotela repoussaitaprèsPlaton.Le vide,c'est-à-direun

espaceoù il n'y a plusde substance,est impossibledansl'univers,attenduque,si le corpsestunesubs-tancepar celaseulqu'il a longueur,largeuret pro-fondeur,il faut en conclurequel'espacequ'on sup-posevideest nécessairementaussi une substance,

puisqu'ily a enlui de l'extension.Descartesfait encequi regardele videunedistinctionverbaletoutà

fait analogueà cellesquefait si souventlePéripaté-tisme. II remarquequedansle langageordinaireon dit d'un lieuqu'il est vide,non pas pour dire

qu'il n'y a riendu,tout en ce lieu,mais seulement

pourdirequ'iln'y a rien de ceque nousprésumonsdevoiry être. Ainsi,parcequ'une crucheest faite

pour tenir de l'eau,nousdisonsqu'elleest vide,sielle ne contient que de l'air; un vivierest vide,quand il n'y a pasde poisson,bien qu'il soit pleind'eau un navireestvide,qunndil n'a queson lestsans marchandises.Maiscetteéquivoquede l'usagevulgairene doitpasfaireillusionau philosophe,et

pour lui le videest une chose aussi incompréhen-sibleque le néant.

Decettenégationdu vide,il sort pourDescartes

Page 128: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AtUSTOTE. cxxui

plusieursconséquencestrès-graves,qu'il ne fait

~u'afBrmerplutôt qu'il ne lesprouve,maisqueje

dois recueillir ici. D'abordil rejette, commeAris-

tote le faisait contre Démocrite, l'existence des

atomes,et il se prononcetout aussi fortementque

lui pour la divisibilitéindéfiniede la matière.

Il conclutenoutrequele mondeoula matièreéten-

due qui composel'univers,n'a pas de bornes,et

que dans tous les espaces,au-delà desquelsnous

pouvonssanscesseenconcevoird'autres, il y a un

corpsindéfinimentétendu.Enfin,il admetpar une

déductionplusoumoinsrigoureuse,que la terre et

lescieuxsontfaitsd'uneseuleet mêmematière,<

c causeque nous concevonsmanifestementque la

<:matière,dontlanatureconsisteencelaseulqu'elle

<est une choseétendue, occupetous les espaces

<!imaginables.D

NéanmoinsDescartesnepeutfermerlesyeuxà la

réalité,et touten admettantl'identitéde la matière

universelle,il doit y constaterdes propriétésfort

différenteslesunes des autres.Ces propriétésqui

constituent,àproprementdire, touslesphénomènes

naturels,Descartesles expliquepar le mouvement

des partiesde la matière.Il ne recherchepas ici

d'oùvient le mouvementdansle monde maisun

Page 129: La Physique d Aristote

PRÉFACECXXfV

peu plus tard il résout le problèmeà la manière de

Platon, en faisant de Dieu le créateur du mouve-

ment de l'univers. A cette occasion,il loueles phi-

losophesd'avoir dit que]a nature est le principe du

mouvementet du repos.Quelssontcesphilosophes?9

Descartesne les nommepas maisnous les connais-

sons, nous qui venons d'analyser la .P~tyne d'

ristote. Quoiqu'il en soit, voilà comment Descartes

introduit le mouvementdans ses théories, sans en

étudier davantage pour le moment la nature et l'o-

rigine. Pour quiconquevoudray regarder impartia-

lement, le philosophegrecparaîtra encore, sous ce

rapport, supérieur au père de la philosophie mo-

derne.

Pour Descartes,il n'y a qu'un seul mouvement,à

savoir celui qui se fait d'un lieu à un autre. Des-

cartes connaissait-il la distinction faite par Platon

et par Aristotedes mouvementsd'altération et d'ac-

croissement, de qualité etde quantité?C'est proba-

ble mais il ne les admettait pas, attendu qu'il ne

concevaitque le mouvementlocal,et <qu'il ne pen-

sait pas qu'il en fallût supposerd'autres en la na-

ture. Acceptantdonc la définitionordinaire, Des-

cartes dit d'abord que le mouvement n'est autre

chose que l'action par laquelle un corps passe d'un

Page 130: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxxv

lieu en un autre, et il remarque qu'on peut dire en

même tempsd'une même chose qu'elle se meut et

ne semeut pas, selonqu'ellechangede lieuà l'égard

de certaineschoses, et qu'ellen'en change point à

l'égard de certaines autres. Ainsi celui qui est assis

à la pouped'un vaisseauque le vent fait marcher,

croit se mouvoirquand il ne prend garde qu'au ri-

vageduquel il est parti et il croit ne pas se mou-

voir quand il ne prend garde qu'au vaisseau sur

lequel il est. Aristote avait constatéle même phé-

nomène et peut-être avait-il mieux éclairci les

choses en distinguant, comme nous l'avonsvu, le

lieu primitif et le lieu accidentel,l'un où l'objet est

immédiatement,l'autre où il n'est qu'indirectement

et par l'intermédiaire d'un autre objet.

Maisla définition vulgairedu mouvementne sa-

tisfait pasDescartes, et voicicellequ'il y substitue

« Le mouvementest le transport d'une partie de la

a matière ou d'un corps du voisinagede ceuxqui le

a touchent immédiatementetque nous considérons

a commeen repos, dans le voisinage de quelques

a autres, c Cette secondedéfinitionplaît bien da-

vantagea Descartes,et il la trouve selon la vérité.

Ici encore,je ne puis être tout a fait de sonavis; et

c'est faire un cercle vicieuxqued'expliquer le mou-

Page 131: La Physique d Aristote

PRÉFACECMYI

vementpar le repos;car le reposnepeuts'expliqueraussiquepar le mouvement.Il ne faut jamais dé-

finirun contrairepar soncontraire;car ainsiqu'À-ristotel'a si souventrépété,la sciencedescontraires

estune et simultanée,c'est-à-direque quandon

connaîtl'un descontraireson connaîtaussil'autre;et que réciproquement,quand on ignorel'un des

contraireson ignoreégalementl'autrecontraire.Par

conséquent,définir le mouvement,qu'on ignore,

puisqu'onchercheà le connaitre,par le repos,cela

n'avanceguèreplusque de définirle repospar le

mouvement,à moinsqu'on ne supposel'idéede re-

pos plusnotoireque cellede mouvement ce quin'est pas.Je préfèredoncencorela définitionaris-

totéliqueà la définitioncartésienne;et au risquede

provoquerquelquessouriresparmiles savantsde

notretemps,je m'entiens à l'Actedupossible,avec

lesexplicationsquej'en ai donnéesplushaut.

D'ailleursDescartes,en ceci, n'est pas éloignéd'Aristoteautant qu'on le suppose,et il remarque

qu'enfaisantdu mouvementle transportd'unepar-tiede la matière,et non pas la forceou l'actionqui

transporte,il montrebien que le mouvementest

toujoursdans le mobile, et non pas en celui quimeut.Il ajoute encoreque le mouvementest une

Page 132: La Physique d Aristote

FA LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxx\'n

propriété du mobile, et non pas une substance,de

même que la figure est la propriété de la chosequi

est figurée; et le repos, de la chosequi est en repos.

Mais un point où Descartes se trompe, c'est qu'il

pense être le premier à établir nettement ces rela-

tions du mobileet du moteur. II se plaint qu'onn'ait pas coutume de distinguer ces deux choses

assez soigneusement.Mais nous avons vu au con-

traire qu'Aristote avait su profondément séparer

ces rapports du moteur au mobile,et c'est lui qui

nous a apprisque le mouvementen se réalisant est

nécessairementdans le mobile, et qu'il ne faut pas

confondrel'Actedu possibleavec la forcequi réside

dans le moteur.

Del'idée de mouvement,Descartespasse naturel-

lement à cellede repos, et il s'efforcede démontrer

qu'il n'y a pas plus d'action dans la première quedans la seconde. Le repos et le mouvementne sont

que deuxfaçonsd'être diverses dans les corps où ils

se trouvent. Il ne faut pas plus d'action pour mettre

un corps en mouvementque pour l'arrêter quand il

se meut. Du reste il est possiblequ'un même corps

ait plusieursmouvements,bien que chaquecorpsen

particulier n'ait qu'un seul mouvementqui lui soit

propre, et que ce soit d'ordinaire ce mouvement

Page 133: La Physique d Aristote

PRÉFACEcxxvm

uniquequel'onconsidèreséparément.Par exemple,le passagerqui se promènedansle vaisseauporteune montre sur lui les roues de la montren'ont

qu'un mouvementuniquequi leur estpropre,et il

est certaincependantqu'ellesparticipentaussi à

celui du passagerquisepromène,à celuidu vais-

seau,a. celuidela mer, et mêmeà celuide la terre.

Aprèsavoir examinéla nature du mouvement,Descartesveutenconsidérerla cause,et commePla-

ton,c'estàDieuqu'illa rapporte.Dieupar sa toute-

puissancea crééla matièreavecle mouvementet le

reposdeses parties,et il conservemaintenantdans

l'universpar sonconcoursperpétuelautantdemou-

vementet de reposqu'ily en a misenle créant.La

matièrea doncunecertainequantitédemouvement

qui n'augmenteni ne diminuejamaisdanssonen-

semble,maisqui peutvarier sanscessedansquel-

ques-unesde sesparties.C'est là unedoctrinetrès-

contestable;mais aux yeux de Descartes,elleest

une sortede dogmephilosophique,et c'estattenter

à l'immutabilitédeDieu,que de croirequ'il agissed'une façonqui changejamais.

C'est en partant de ce principe que Descartes

essaiede s'éleverù la connaissancede certaines

règlesqu'il appelle,d'un nouveaunom,les loisde

Page 134: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CXXIX

la nature, et qui sont, après Dieu, les causes se-condes des divers mouvements que nous remar-

quons en tous les corps. Ces lois sont très-considé-rables selon Descartes et il en énumère trois quisont les principales, si ce n'est les seules. La pre-mière loi, c'est que chaque chose demeure à l'étatoùelle est, soit repos, soit mouvement, tant qu'au-cune cause ne change cet élat. Ainsi nul mouve-ment ne s'arrête de soi-même, comme lecroit tropfacilement le préjugé vulgaire et il y a toujoursune cause qui y met un terme. Seulement cettecauseest souvent ignoréede nous, parce qu'elle estcachéeà nos sens mais elle n'en est pas moins

réelle; et la raison que donne ici Descartesest tout

aristotélique <Le repos, dit-il, est contraire au

mouvement, et rien ne se porte par l'instinct de« sa nature à son contraire, ou a la destruction decrsoi-même. Puis, empruntant un exemple qu'A-ristote avait aussi allégué, il remarque que les pro-jectilesne s'arrêtent dans leur courseque par la ré-sistance de l'air ou de tout autre milieu qu'ils tra-

versent, et que, sans cette résistance, leur courseune fois commencéene cesseraitplus.

La secondeloi de la nature, c'est que le corps quise meut tend a continuer son mouvement en ligne

Page 135: La Physique d Aristote

PRÉFACEcxxx

droiteet nonenligne circulaire.Descartesattache

à cetteloi laplusgrande importance,et il se pro-

posed'en faireles plusnombreusesapplications.

Quanta la troisièmeloi, elleestmoins évidente

et plus compliquéeque les deuxautres.Voicien

quoielleconsiste.Si un corpsqui se meuten ren-

contre un autre quia la force de lui résister,il

changededirectionsansrienperdrede sonmouve-

ment et siau contraire le corpsqu'il heurte est

plusfaiblequelui, il communiquedu mouvementa

cecorpsplusfaible,et il perd lui-même autant de

mouvementqu'il en donne.Descartess'appliqueà

justifier les deux partiesdecettetroisièmeloi,et à

établir qu'un mouvementn'est pas contraireà un

autre mouvement.C'estun pointde théoriequ'À-

ristotea discutéaussi tout aulong maisladoctrine

de Descartesn'est pas tellementexclusivesur l'op-

positiondumouvementet durepos, qu'ilnerecon-

naisseaussiqu'un mouvementpeut être contraireà

un mouvement,selon que l'un est rapideet que

l'autre est lent, et -aussi,commel'avait déjàremar-

qué le philosophegrec, selonque l'un des deux

est dans unsens et quele second est en un sens

contraire.A.cetégardencore,onpeuttrouverqueles

solutionsd'Aristotevalentbiencellesde Descartes.

Page 136: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AJUSTOTE. CXXXt

A la suite de la troisièmeloiet commecorollaire,Descartesposeles règles,aunombredesept, relativesà la rencontre et au choc descorps qui se meuvent.Cescorps sont supposés parfaitementdurs, et isolésde tous les autres, qui pourraient aider ou empê-cher leurs mouvements. Cette hypothèse généraleétant admise, voici les règles.Si les deux corpssont

égauxen masseset en vitesse,allant en ligne droitel'un contre l'autre, ils rejaillissent tous deux et re-tournent vers le côte d'où ils sontvenus, sans rien

perdre de leur vitesse. Si l'un est plus grand quel'autre, c'est le plus petit seul qui rejaillit, et lesdeux corps continuent leur coursedu mêmecôté. Siles deux corps étant égaux,l'un a plus de vitesse

que l'autre, c'est le moins vite qui rejaillit, et lesdeux vont ensuitedu mêmecôté; mais, en outre, le

plus vite communique au plus lent la moitiéde ladifTérencedes deuxvitesses.Voilà déjà trois règlespour le cas où les deux corps sont en mouvement.Maison peut supposeraussi quel'un des deuxest en

repos, et alors il y.a de nouvelles règles.Si le corpsen repos est plusgrand que le corps qui s~ meut,c'est celui-ci qui rejaillit seulvers le côtéd'o~iil estvenu. Si au contraire le corpsen repos est plus petitque celui qui vient le heurter, alors il est mis en

Page 137: La Physique d Aristote

PRÉFACECXXXtI

mouvement,et lesdeuxcorpssemeuventdeh même

vitesse.Sile corpsquiesten reposest égalau corps

qui se meut, le corpsqui esten mouvementtrans-

metà l'autre la moitiédesavitesseet rejaillitavec

l'autre moitié.Enfin,septièmeet dernière règle si

lesdeuxcorpssont en mouvement,mais avecdes

vitessesinégales,celui qui atteindra le plus fort

lui transférera de son mouvementou ne lui en

transférerapas, et même rejaillira, selon que le

plus lent sera pluspetitou plus grandqueleplus

rapide.

Ces règles posées,Descartesremarque qu'il est

difficilede les vérifierdans la réalitéa causede

l'hypothèsesur laquelleon les appuie.Eneffet,on

supposeque non-seulementles corps qui seren-

contrent sont parfaitementdurs, maisque deplus

ilssont parfaitementisolés.Or, cesdeuxconditions

neseréalisentjamaisdanslanature; carellene nous

présentejamaisni des corps absolumentdurs,ni

descorpstellementisolésdetousles autres qu'iln'y

en ait aucunautourd'euxqui puisseaider ou em-

pêcherleur mouvement.Cesrèglessont doncpure-

ment rationnelles,et, pourjuger deleur application

t't de leur exactitude,il fauttoujoursconsidérerles

corps environnants,et voir comment ils peuvent

Page 138: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxxxm

augmenterou diminuer l'action des deux corps quise rencontrent.

Ceci conduitDescartesil rechercher ce que c'est

que la dureté et la fluidité des corps, attendu quoc'est uniquement par ces qualités différentes queles corps produisentdes effetsdifférents dans leurs

rencontres, dans leurs chocset leurs résistances. Il

définit donc cequ'il entend par un corps dur, et

par un corpsfluide. Un corpsest dur quand toutes

sesparties s'entre-touchent, sans être en action pour

s'éloignerl'une de l'autre; et la seule cause qui

joigne ainsi les parties, c'est leur propre repos à

l'égard l'une de l'autre. Au contraire, un corps est

fluide quandses parties ont des mouvements quitendent égalementde tous les côtés, et que la moin-

dre force suffit pour mouvoirles corps durs qui ysont plongéset que ces parties environnent. De ces

deuxdéfinitions,Desc~rtestire desconséquencesim-

portantes sur le mouvementpropre des fluides, et

sur le mouvementdes corpsdurs dans les fluides.

Descartesne croit pas devoirpousserplus loin ses

théories sur le mouvement,quoiqu'il reconnaisse

que les figuresdes corps et leurs diversités infinies

causent dansles mouvementsdes diversités innom-

brables. Maisi! s'assure que les règles données par

Page 139: La Physique d Aristote

PRÉFACECXXX1V

lui suffisent pour qu'avec une intelligencemême

médiocre des mathématiques, on puisse expliquer

tous les cas possibles du mouvement.Il termine

donc ici la seconde partie des Principes, parce qu'il

est persuadé qu'au moyen de ces règles on peut

rendre raison de tousles phénomènesde la nature,

et qu'elles sont les seules qu'on doit recevoir en

physique, sans en souhaiter ni en rechercher d'au-

tres. Aussi consacre-t-il la troisième partie des

Principes de la PA~oso/)Atea traiter du mondevi-

sible, le soleil, les étoiles, les planètes avec la lu-

mière et les tourbillons et la quatrième partie, à

traiter de la terre avec tous les phénomènes qu'elle

offre à notre observation,soit en elle-même, soit à

sa surface, soit dansl'atmosphère qui l'environne,

soit dans les principaux corps dont elle est com-

posée. Je ne suivrai point Descartesdans ces deux

autres parties, ni danscelles qu'il comptaity ajoutersur les animaux et les plantes, et sur l'homme (I).

Ceci m'écarterait trop de mon sujet. Maisil faut

bien remarquer que, si Aristote n'a pas comprisdans sa physique, comme l'a fait Descartes,toutes

ces théories sur le sytème du monde,elles se re-

(i)Descartes,7'?'tnctpc.!</p~p/n~op/t!'c,!Y*partie,Si88.

Page 140: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxxxv

trouventen grandepartie danslesouvragesquien

sontla suite et le complément:le Traité du ciel,

le frat~ de la ~~ra<to~ et de la corruption,la

~coro/oy~, l'otre desanimaux,etc., etc.

Ily a doncbeaucoupplusde ressemblancequ'on

ne croit, en général,entre Aristoteet Descartes.

Leur entreprise,ici dans la Physiqueet là dansles

Principes,me sembleassezpareille;et cequ'ily a

deplussingulier,c'estqueDescarteslui-même,tout

indépendantet novateurqu'il est, croitdevoirabri-

ter sesidéeset saméthodesousl'autoritéd'Aristote,

dontil renversaitle systèmebeaucoupmoinsqu'il

nel'imaginait.Hdit expressémentqu'ilnes'estservi

d'aucunprincipequin'ait été reçuet approuvépar

Aristote(~);et quesa philosophie,loind'être nou-

velle,est la plus ancienneet la plusvulgairequi

puisseêtre. 11se vantede n'avoir considéréquela

figure, le mouvementet la grandeur de chaque

corps,précisémentcommel'a faitAristote;et pour

prouverque saméthode,qui consisteàdépasserles

faits sensiblespour les mieux comprendrepar la

raison,est une méthode très-acceptable,il vajus-

(1)Descartes,~'tH<;tpc<delap/tt~op/W,iv*partie,§§200et202.

Page 141: La Physique d Aristote

PRÉFACECXXXVI

qu'a citer un passagede la Météorologie(d). Il est

vrai qu'a l'autorité d'Aristote, il ajoute celle de

l'Église,et qu'il soumetà l'Église, ainsi qu'au juge-

ment des sages, tout cequ'il a pu dire concernant

la fabrique du cielet de la terre.

Je ne veuxpas exagérerles rapports de Descartes

et d'Aristote mais ces rapports me semblent aussi

nombreux qu'évidents, et je crois que les deux ana-

lysesqui précèdent de la Physiqueet des ~'MCtpM

de la philosophie auront sufïipour montrer que je

ne m'abuse pas. Descartes croyait probablement

détruire Aristote; il n'a fait que le confirmer il est

allé sans doute plus loin que lui sur bien des points;

mais il faut avouer aussique sur beaucoupd'autres,

il ne l'a pasdépasse, et que même sur quelques-uns

il est resté en deçàde son prédécesseur. Un der-

nier rapprochement entre lesdeux philosophes,que

j'ai déjà indiqué un peu plus haut, c'est que Des-

cartes a combattu le système de Démocrite aussi

cnergiquement qu'Aristote pouvait le faire deux

mille ans auparavant, et qu'il a terminé ses Prin-

cipes en se défendantde renouveleren rien la doc-

trine atomistique. Selonlui, comme selon Aristote,

(1)Descartes, PW~ctpc.!~c philosophie,tv' partie, § 204.

Page 142: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxxxvu

les atomes sont impossibles,parce que toute gran-

deur et tout corps est infiniment,divisible; parce

qu'on imagine du vide entr'eux et que le vide ne

peut pas exister; parce que la rencontre fortuite

des atomes ne peut pas expliquer la formation

des choses, etc. Ainsi, Descartes s'accorde avec

Aristote dans une foulede chosesqu'il nie ou qu'il

aflirme, sans savoir, selon touteapparence, qu'elles

eussent été dites avant lui, ni se douter par qui

elles avaient été dites. La gloiredu réformateur n'y

perd rien, et la vérité n'en reçoit qu'une confirma-

tion nouvelle,soit qu'il la découvre son tour, soit

qu'il la répète sans se rappeler à qui il l'emprunte.

De Descartes à Newton, la transition est toute

simple, et les deux génies, sans être tout à fait de

même ordre, ont cependantune puissancepresque

égale.Dans Descartes,c'est toujours le métaphysi-

cienqui l'emporte, tandis que Newtonfait une part

beaucoup plus grande aux mathématiques.Le des-

sein, d'un et d'autre côté, n'est pas sans analogie

c'est également le système du monde que Newton

prétend expliquer; maisil s'en tien plusétroitement

au problèmedemécaniqueque la marchedeF univers

proposeà notre admiration et a notre science. Des-

cartesse flattait bien aussi de n'avoir appliqué dans

Page 143: La Physique d Aristote

PRÉFACEcxxxvin

tout son système que des règles rationnelles et les

principes de la géométrie et des mécaniques;et il

croyait avoirdocilement suivi la méthodede la ma-

thématique, comme il dit. Maisle génie audacieux

du novateur voulait embrasser dans ses vastes

spéculations le cercle entier des choses sans en

omettre une seule. Newton au contraire, plus cir-

conspect, quoique non moins fort, se borne à l'ex-

plication du mouvement dans l'univers et spéciale-

ment du mouvementdes sphères célestes.

Avantd'analyser les Principes matitématiquesde

~p/n'/osop~ M~rc~c de Newton,commeje viens

d'analyser ceux de Descartes, je doisfaire une cri-

tique qui ne s'applique pas plus à Newtonqu'à tout

son siècle, et qu'il ne mérite ni plus ni moins que

tous ses contemporains(d).Dansla préfacede Cotes,

à la secondeédition donnée par l'auteur lui-même

en 17i5, on trouve un aperçu historique des pro-

grès de la science, et Cotes affirme qu'Aristote a

donné a chaque espècede corps a des qualités oc-

<cultes, et qu'il a essayéd'expliquerpar là les phé-

(i) nfautexcepterLeibnizqui,allantpeut-êtreunpeutroploindansunsenscontraire,prétendaittrouverplusdovéritédansla

physiqued'AristotequedanscelledeDescartesLc~re T/<o-ma~t'Ma(1669).

Page 144: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. cxxux

<tnomènes.Puis s'élevant contre les philosophes

qui ont antérieurement traité de la nature, Cotes

ajoute dans une phrase baconienne, a qu'ils ont

a laissé les choses pour ne s'occuperque des mots,

a inventeurs d'un jargon philosophique et non les

crauteurs d'une véritable philosophie. On a pu

voir par l'examenque j'ai fait de la Physiqued'Aris-

totejusqu'à quel point cesaccusationssont justes et

raisonnables; on a pu voir si Aristoteimagine dans

les chosesdes qualités occulteset s'il se borne a~de

vaincs abstractions commeon le lui reproche. Il est

vrai qu'on pourrait bien laisser cesaccusationsor-

gueilleuseset iniques pour ce qu'ellesvalent, et ne

pas les tirer de l'obscuritéqu'elles méritent. Mais

ces opinions n'étaient pas uniquement celles de

Cotes,et de Newton, qui les souffrait en tête de son

couvre elles ont été cellesdu xvm"siècle presque

tout entier (1). En outre ellesvenaientd'assez haut,

et Cotesles trouvait toutes faites dansBacon, dont

l'école remplaçait celle d'Aristote, avecbien moins

(1)BerkeleydanssonpettttraitéDe~o<«semblebiencon-nattreAristoteet l'apprécierbeaucoup,touton!oréfutantassezsouvent;maisMontucla,dansson~~(ot/'c(les~af/<eHM(t'</MM,ignoreabsolumentqu'Aristotcsesoitoccupédesloisdumouve-ment.

Page 145: La Physique d Aristote

PRÉFACECXL

de raison encore; il les trouvait dans Ramus, et

dans les adversairesplus courageuxqu'équitables du

péripatétisme au temps de la Renaissance. Je les

aurais certainement passéessoussilence,si ces pré-

juges n'avaient encore de notre temps d'assez nom-

breux partisans, malgré la haute impartialité histo-

rique dont nous nous piquons, non sans quelque

droit, j'en conviens,puisqu'ellea déjàréhabilité bien

des gloiresméconnueset réparé bien des erreurs.

Maisje reviens aux Principes ~a/A~e~Mes de

la philosophienaturelle,

Newton commence par les définitions de quel-

ques termes qu'il doit employer dans le cours de

son ouvrage,et qui ne sont pas très-connus ni très-

généralement usités la quantité de matière, la

quantité de mouvement, la forced'inertie, la force

acquise, la force centripète, la quantité de cette

force, etc., etc. Puis il énonceun scholic très-im-

portant sur le temps, l'espace, le lieu et le mouve-

ment, afin de rectifier bien des idées fausses, en ne

considérant ces quantités que par leurs relations à

des choses sensibles. Il distingue donc le temps,

l'espace, le lieu et le mouvementen absolus et rela-

tifs, en vrais et apparents, enfin en mathémati-

ques et vulgaires.Le tempsabsoluou la durée pro-

Page 146: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. cxu

prement dite coule uniformément; le temps vul-

gaire n'est qu'une portionde la durée, mesuréesur

le mouvementpour en faire des jours, des heures,

des mois, des années. L'espace absoluest toujours

similaire et immobile; l'espace relatif est une di-

mensionmobile de l'espace; le lieu est la partie de

l'espace occupé par un corps. Le mouvement,qui

est ouabsoluou relatif comme le tempset l'espace,

mesure le temps, de même que le temps mesure le

mouvement. Les temps et les espaces n'ont pas

d'autres lieux qu'eux-mêmes.

Apresces définitions,qui sont certainement fort

utiles, mais qui n'ont pas toujours sur celles d'A-

ristote l'avantagede la nouveauté, ni l'avantage de

la profondeur,Newton pose certainsaxiômes rela-

tifs auxlois du mouvement.Ceslois sont au nombre

de trois,et nous y retrouverons quelques-unes des

idées d'Aristote et de Descartes, acceptéesdésor-

maispar tous ceuxqui s'occupentde cesmatières.La

première, c'est que tout corps, si nul obstaclene s'y

oppose,persévèredans sonétat d'inertie et de repos,

ou dans son mouvement,qui s'accomplituniformé-

ment et en lignedroite. Sousd'autres formes, nous

avonsvu cette loi constatéedansla PA~Mc d'/in's-

tote, quand il adéûni ce qu'il entend par la nature

Page 147: La Physique d Aristote

PRÉFACECXMI

des choses. Nous nous rappelonsque c'est aussi la

première loi de la nature selon Descartes.Ainsi les

trois philosophessont d'accord sanss'être ni enten-

dus ni copiésmutuellement; et sur ce point fon-

damental, la science moderne pense absolument

commepensait l'antiquité. Il semblequ'on pouvait

en savoir quelque gré à Aristote; mais la science

moderne ignoreses origines, et elleaime mieux ne

relever que d'elle-même, bien qu'elle doivetant au

passé. La secondeloi du mouvement,d'après New-

ton, c'est que les changementsou mouvementssont

toujoursproportionnelsà la forcemotrice,et se font

selon la lignedroite dans laquelle cette force a été

imprimée. Cette loi n'est ni moins importante ni

moins exacteque la première; mais, sans se donner

beaucoup de peine, on pouvait tout aussi aisément

la retrouver dans la ~Ays~ue du philosophegrec,

où elle est exposéeassezclairementet assez longue-

ment elle y était oubliée tout commel'autre. Enfin

la troisième loi newtonienne, c'est que la réaction

est toujours égaleet opposéeà l'action.

De ces trois lois généraleset essentielles,Newton

fait sortir quelques corollaires très-importants sur

le paraUélogrammedes forces, sur les centres de

gravité, etc. Je nem'y

arrête point, parce qu'il n'y

Page 148: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARtSTOTE. cxmi

a rien qui correspondeà ces théories dans la phy-

sique péripatéticienne.

Les lois du mouvementétant expliquées, après

les définitions sans lesquelles on les aurait moins

bien comprises,Newtonaborde le véritablesujet de

son ouvrage,et il consacredeux livres sur trois à la

théorie du mouvementdes corps. Ici, il faut le re-

connaître, la question tellequ'Aristote l'avait envi-

sagée est immensément agrandie; c'est bien tou-

jours la même mais elle a pris des développements

mathématiques qui, pour être assezsoudains,n'en

sont pas moins considérables. Newtonexposed'a-

bord qu~ques principes sur la méthode des pre-

mières et dernières raisons,c'est-à-dire sur les re-

lations des quantités qui, s'approchant sans cesse

de l'égalité pendant un certain temps, doiventfinir

par être égales.Cesconsidérations,qui se rattachent

au calculdifTérentiel,sontd'un usageconstantdans

le cours de l'ouvragede Newton; mais ellesne sont

pas, à vrai dire, l'expositiond'une méthode géné-

rale. Newtonsemble avoir négligé ce soin,que la

philosophie recommande.Nous avons vu qu'Aris-

tote s'y était très-peu arrêté; et, à cet égardparti-

culier, c'est Descartes qui l'emporte de beaucoup

sur l'un et sur l'autre en profondeur et en justesse.

Page 149: La Physique d Aristote

PRÉFACEcxuv

Acettepremière section, en succèdeune seconde,donnée à la recherche des forces centripètes, pourarriver pas à pas à démontrer plus tard la grandeloi de la pesanteur universelle,a laquelle le nomdeNewton restera éternellement attaché. Je ne rap-pelle point cette théorie, dont il n'y a que de très-

vagues pressentiments dans Aristote, et que Des-cartes n'a fait qu'entrevoir confusément par le sys-tème des tourbillons.

Mais le mouvement en Jigne droite n'est pas leseul dont les corps soientdoués; et, ainsi qu'Aris-tote l'avait bien reconnu, ils ont aussi un mouve-ment circulaire, que nouspouvons surtout observerdans les grands corps dont sont peuplés les cieux.MaisAristote s'était borne à cette translation circu-

laire, sans pouvoir se demander, au point où enétait l'astronomie de son temps, si le cercle décrit

par les planètes et les étoiles est aussi parfait qu'ilïc supposait.Pour décomposerle mouvementcircu-

laire, Newtoncroit devoir étudier d'abord les sec-tions coniques, où se rencontre la figure du cercleavecplusieurs autres, et il détermine a un point devue exclusivementmathématique, les orbes ellipti-ques, paraboliques et hyperboliques, soit avec un

foyerdonné, soit sans foyerdonné. Puis, revenant à

Page 150: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AR!STOTE. CXLV

la question du mouvement,il détermine les mouve-

ments dans des orbes donnés, quelle qu'en soit laforme. Enfin, il achèvele premier livre de ses Prw-

cipes MM~e'M~M~, par la théorie de l'ascensionet de la descension rectiligne des corps, celle dumouvement des corps dans des orbes mobiles oudans des superficiesdonnées, celle des oscillationsdes corps suspendus par un fil, et par celle desforcesattractives des corps sphériques ou non sphé-riques.

Voilà le premier livre de Newton, et l'on peutdéjàconstater à quelle prodigieusedistance il est dela physiquearistotélique. Ce n'est pas sans doute àNewton seul que sont dus tant de progrès, et lui-mêmecite souvent Galiléeet Huyghens;mais il a suréunir et systématiser toutes les découvertes quel'esprit nouveau faisait depuis deux siècles, en yajoutant toutes les lumières de son propre génie etle secours des mathématiques les plus profondes,

inventrices,par lui aussi bien que par Leibniz, ducalculde l'infini.

Le jond livre continue et achève la théorie dumouvementcommencéedans le premier; et, aprèsavoir considéré le mouvement des corps supposéslibres, Newton examinele cas, non moins vaste et

Page 151: La Physique d Aristote

PREFACECXLVI

plus réel, où les corps éprouventdela résistance,en

raison de leur vitesse, soit.simple, soit double. II

étudie ensuitelemouvementcirculairedescorpsdans

des milieuxrésistants, et il s'occupede la densité et

de la compressiondes tluides, c'cst-a-dirc de l'hy-

drostatique, du mouvement et de la résistancedes

corps oscillants,du mouvement des fluides et de la

résistancedes projectiles,dela propagationdu mou-

vementdans lesfluides, ctenûn du mouvementcir-

culaire des fluides. Ce sont la desconsidérationsqui

avaient échappé,pour la plupart, ala sagacitéd'A.ris-

tote, et dontmême Descartesne connaissait qu'une

assez faiblepartie, ne les traitant pas d'une manière

spécialeet lesdispersant dans l'ensemblede ses re-

cherches. Nousn'avons pointa nous en étonner; et,

après Newtonlui-même, le cercle de ces investiga-

tions s'est étendu de jour en jour, et il esta croire

qu'il s'étendra beaucoup encore.

Le mouvementétudié dans toute sa généralitéet

dans ses principales espèces,Newtonpasseil l'ap-

plication astronomique de ces principes, et son troi-

sième livre traite du système du monde. Mais,

comme il n'a guère fait jusque-là quedes mathéma-

tiques, ainsi qu'il le reconnaît lui-même, il veutt

revenir un peu davantagea la physique proprement

Page 152: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AMSTOTE. CXH'ft

dite, ou plutôt à la physique telle qu'il l'entend, et

qui, n'étant plus celled'Aristote,n'est pas non plusencore tout à fait la nôtre. Il va donc expliquer les

grands phénomènes de l'astronomie, où éclatentavecune évidence incomparableles lois du mouve-ment. Maisd'abord, retournant un peu sur sespas,il reprend la question de la méthode, qu'il avait

peut-être un peu négligée,et il indique les règlesàsuivre dans l'étude dela physique.

Ces règles sont au nombre de quatre, et la pre-mière c'estque le physiciendoit bien savoir que lanature ne fait jamais rien en vain. Il ne doit ad-mettre decauses que cellesqui sont nécessairespourexpliquerles phénomènes. Newtona raison de pro-clamer hautement cet axiome,et il est parfaitementsûr que, sans cette base inébranlable, toute l'étudede la physique chancelé et s'écroule car alors aulieu d'observeret d'interpréter la nature, on la mu-tile et on la refait à son caprice; on supprime des

phénomènesou on en suppose; et, parce qu'on nela comprendpas tellequ'elle est, on l'imagine telle

qu'on la veut. Sans cette ferme barrière, la sciencecourt grandrisque de n'être plus qu'un roman.Maisdu moment qu'on reconnaît dans la nature l'em-

preinte de Dieu et la marquede ses immuablesdes-

Page 153: La Physique d Aristote

PRÉFACECXLVIII

seins, on s'en tient rigoureusement aux phéno-

mènes et l'intelligence regarde comme son effort

suprêmede les analyser, et de s'en rendre compte

sansavoir la présomptiondangereuse de les changer

en les critiquant. Non, la nature ne fait jamais rien

en vain, et cet axiome est profondément vrai et

utile. Maisd'où est-il venu?Est-ce la sciencemo-

derne qui en a l'honneur? Elle le croipeut-être;

mais c'estAristotequi l'a le premier découvert,qui

l'a répété satiété dans tous ses ouvrages, et qui

surtout en a fait.les plus larges et les plus heureuses

applications.Newtonl'ignorait, et, selon toute appa-

rence, il ne s'inquiétait pas très-vivement,de le sa-

voir. Sagrandeâme, aussi pieuse qu'éclairée, con-

templait, danstous les phénomènesnaturels le sceau

de la main divine, et il en a conclu que tout, dans

la nature, aun sens et une valeur, et qu'y admettre

quelque chosed'inutile, c'est une sorte de sacrilége

enté sur uneignorance. MaisNewton n'allait point

au-delà, et peu lui importait qu'une si haute et si

fécondevéritélui appartint en propre, ou qu'elle fût

transmise par la tradition.

La seconderègle à peu près aussi évidente que la

première, etquien est la suite, c'est que leseffetsdu

même genredoivent toujours être attribués, autant

Page 154: La Physique d Aristote

A.Li PHYSIQUE D'ARISTOTE. cxux

que possible, à la même cause.Ainsi la chute d'une

pierre en Europe et en Amérique, la lumière du

feu d'ici bas et celle du soleil,la réflexionde la lu-

mière sur la terre et dans lesplanètes, doivent être

rapportées aux mêmes causes respectivement.La troisièmerègle,simpleextensiondela seconde,

c'est que les qualités des corps qui ne sont suscep-tibles ni d'augmentation ni de diminution, et quiappartiennent à tous les corpssur lesquels on peutfaire des expériences,doiventêtre regardéescomme

appartenant tous lescorps en général. Ainsi l'éten-

due, la résistance ou dureté, l'impénétrabilité, la

mobilité et l'inertie, sont des qualités qui se retrou-

vent dans les corps que nous pouvons observer;elles doivent donc appartenir à tous les corps en

général.A.cesqualités,Newtonen joint deuxautres,la divisibilité à l'infini et la gravitation, mais sansles affirmer aussi positivementque les précédentes,

qui sont essentiellesauxcorps.

Enfin, la quatrième règle, c'estque les inductions

légitimement tirées des phénomènes doivent pré-valoircontre toutes hypothèsescontraires, et passer

pour exactement vraies, jusqu'à ce que de nouvelles

observationsles confirment entièrement, ou fassent

voir qu'elles sont sujettes à des exceptions.

Page 155: La Physique d Aristote

PRÉFACEcr.

Ces règles étant une fois posées,Newton les ap-plique lui-même; et après avoirdécrit un très-petitnombre de phénomènes, six en tout, relatifs au

mouvementdes satellitesde Jupiter et de Saturne,des planètes, de la terre et de la lune, il en dé-duit cinquante-deux propositionssur la gravitation

universelle, sur la théorie de la lune, sur !e phéno-mène des marées, sur la processiondes équinoxes,enfin sur les comètes.Toutes ces propositions, quisont de la plus grande importance en astronomie,sont entourées de tout l'appareil mathématique des

théorèmes, des scholies, des lemmes, des hypo-thèses, des problèmes, etc.

Pour bien des raisons,je ne suivrai point Newton

danscette partie de sonouvrage;et quandje le pour-

rais, ce serait fort inutile pourl'objet queje mepro-

pose en ce moment. Je me bornerai à une seule re-

marque suric caractère généralde ce troisièmelivre

des~'MC! ma/Ae~c~Mcs.Newtonsembtcvouloir

y donner quelques exemplesplutôt qu'une théorie

complètedes grands phénomènescélestes. Ce troi-

sièmelivre est bien intitulé Dusystèmedu monde;mais l'expositionde cesystèmen'y est que partielle.Newtona trouvé l'explication générale des phéno-mènes dans la loi universellede la gravitation; il

Page 156: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. CLI

montreà d'autres le parti qu'on peut en tirer mais

il n'essaie pas d'en épuisera lui seul toutes les ap-

plications possibles.Il a créé tout une scienceet il

en a fixéles bases; maisil n'a pas pu construire de

sesmainstoutl'édifice,et il laissera à sessuccesseurs

le soinde l'élever sur le plan qu'il a tracé, et par les

moyensqu'il a découverts.Ce n'est pas la patienceni laforcequi ontmanqué à Newton; c'est le temps.Le génie,quelque puissantqu'il soit, trouve et subit

aussi cette inexorablelimite, et bien qu'il pût tout

faire, il n'a jamaisle loisirde tout achever.La gloire

de Newtonn'en est pas moins grande; et c'est là le

côtécommun et fatal par lequel il paie sa dette à

l'humanité, que d'ailleurs il a dépasséeà bien des

égardset tant honoréeen la dépassant.

Maisje n'en ai pas tout a fait fini avec les JPn~-

cipes Ma~e'MM~~ de la PhilosophieMc~urc~c.

Newtonest parvenuau terme de la carrière qu'ilavait à fournir; mais avant de la clore, il veut em-

brasser d'un coup d'œil tout l'espace qu'il a par-couru et la, commejadis Aristote, il veut se re-

cueillir pour remonter, autant qu'il est permis à

l'homme, jusqu'à la cause première et au premiermoteur.C'est le fameuxScholiegénéral.Apresquel-

ques motscontre le systèmedes tourbillons,auquel

Page 157: La Physique d Aristote

M" PRÉFACE

il ne rend peut-être pas assezde justice, !e mathé-maticienfait placeau philosophe et sans rien re-trancherà ia solidité des théoriesqu'il a établiesparle secoursdu calcul et de !a géométrie,Newtons'a-vouequ'il leur manque encore quelque chose.Les

grands corps qu'il a si doctementétudiés se meu-vent librementdans des espacesincommensurables,

qui sont videsd'air, commela machine ingénieusede Boyie,et où rien ne gèneni n'entrave leurs im-muables et éternelles révolutions.Maisles lois du

mouvement,quelque exactesqu'elles soient,ne ren-dent pas raison de tout. Lesorbes célestesy obéis-sent et les suivent dans leur marche mais la posi-tion primitive et régulière de ces orbes ne dépendplus deceslois merveilleuses.Les mouvementsuni-formesdes planètes et les mouvementsdes comètesne peuventavoir des causesmécaniques,puisquelescomètesse meuvent dans des orbes fort excentri-

ques, et qu'elles parcourent toutes les parties duciel. Newtonen conclut quecet admirable arrange-ment du soleil, des planèteset des comètesne peuttctre que l'ouvrage d'un être tout puissantet intelli-

gent et comme le monde porte l'empreinte d'unseul dessein,il doit être soumisà un seul et mêmeêtre.

Page 158: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CLIII

Cetêtre unique et infini, c'est Dieu,qui n'est pasl'âme du monde, mais qui est le seigneurde toutes

choses,parce qu'il règne sur desêtres pensants, quilui sont soumis dansleur adoration et leur liberté.

Dieu ne règne pas seulement sur des êtres maté-

riels et c'est précisément la dominationd'un être

spirituel qui le constitue ce qu'il est. Dieuest donc

éternel, infini, parfait, vivant, tout puissant; il sait

tout; il est partout. Il n'est pas l'éternité et l'infi-

nitude, mais il est éternel et infini; il n'est pas la

durée et l'espace, mais il dure et il est présent en

tous lieux; il est partout substantiellement; car on

n'agit pas là où l'on n'est pas. Toutest mu par lui et

contenu en lui; il agitsur tous les êtres, sans qu'au-cun d'eux puisse jamais agir sur lui a son tour.

L'homme, maigre son infimité, peut se faire quel-

que idéede Dieu, d'après la personnalité dont il a

été doué lui-même par son créateur. La personnehumaine n'a ni parties successivesni partiescoëxis-

tantes dans son principepensant à plus forte rai-

son n'y a-t-il ni succession ni coëxistencede par-ties diversesdans la substance pensante de Dieu.

Mais si nos regards éblouis ne peuvent soutenir

l'éclat dela substancedivine, si l'on ne doit l'adorer

sous aucuneforme sensible, parce qu'il est tout es-

prit, nous pouvonsdu moins apprendreà connaître

Page 159: La Physique d Aristote

PRÉFACECLIV

Dieu par quelques-uns de ses attributs. Un Dieu

sans providence,sansempire, et sans causes finales,

n'est autre choseque le destin et la nécessité.Mais

la nécessité métaphysique ne peut produire aucune

diversité; et la diversité qui règne en tout quant

aux tempset quant aux lieux, ne peut venir que de

la volontéet de la sagessed'un être qui existenéces-

sairement c'est-à-dire Dieu, dont il appartient à la

philosophie naturelle d'examiner les œuvres, sans

avoir l'orgueil de les rectifier par de vaineshypo-

thèses.

Voilà les grandes idées sur lesquelles s'arrête

Newtonen achevantson livre, et auxquellesil sefie

plus encore qu'a ses mathématiques. Ce sont les

mêmesaccents que ceuxde Platon dans le Tiinée,

d'Aristote dans la Physiqueet la ~e~s~c, de

Descartesdans les f~c~e~ de la philosophie.Je ne

sais pourquoi la science contemporaine s'est plu

souventà répudier cesnobles exemples,et pourquoi

elle s'est fait commeune gloire, et parfoismêmeun

jeu, d'exiler Dieu de ses recherches les plus hautes.

On ne voit pas trop ce qu'elle y a gagné; mais on

voit très-clairement ce qu'y a perdu la vérité et le

cœur de l'homme ('!).

(1) Madamela marquise UnChastcUct a traduit et commenté

Page 160: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. eLv

AprèsNewton,il conviendraitpeut-être de parlerde Leibniz mais je m'en abstiens, parce que Leib-

niz n'a pas fait d'ouvragespécial sur le mouvement

considèredans le systèmedu monde et commec'est

)a surtout l'objet que je me propose ici, je suis

obligéde ne pas m'arrêter mêmeaux plusbeaux gé-

nies, quand ils n'ont traité que des partiesde cette

vaste question. Je passedoncde Newtona Laplace,au-delà duquel je nepousseraipoint.

Laplaceest venu accomplir ce que Newtonavait

commencé.La ~fecMM~M~céleste est un développe-ment systématiqueet régulier des principesnewto-

niens elle est un chef-d'oeuvredu géniemathéma-

tique mais elle ne fait qu'exposer, avectoutes les

ressources de l'analyse la plus étendue et la plus

exacte, leslois qu'un autre avait révéléessur le véri-

table système du monde. C'est un prodigieuxou-

vrage mais l'invention consistedans lesformuleset

les démonstrations plutôt que dans le fond même

des choses.C'est la loi de la pesanteur universelle

poursuivie sous toutes ses faces dans lescorps in-

l'ouvragedeNewton,deuxvolumes!n-/f' Paris,17~9.Voltaire,quiaaussicommentéNewton,a.peut-êtreGxag~i'6lemérited'unepersonnequ'ilaimaitpassionnément;maisce travailsisérleuxetsi difUciiepourunefemmeestdignedetoutéloge.

Page 161: La Physique d Aristote

PRÉFACEC[.VÏ

nombrablesqui peuplent l'espace,et dont lesprinci-

pauxsont accessiblesu notre observation et soumis

à nos calculs. Laplace lui-même ne s'est pas flatté

de faire davantage; mais il y a portéune telle puis-sanceet une telle fécondité d'analyse qu'en y dé-

montrant tout, il a semblé tout produire, bien qu'ilsebornât à tout organiser et à mettre tout en ordre.

Je n'ai point à résumer ici la Mécaniquecéleste,et

je remarque seulememt qu'elle débute par un pre-mier livre sur les loisgénéralesde l'équilibre et du

mouvement.C'est ceque Newton,Descarteset Aris-

tote avaient aussi tachéde faire. J'ajoute que la Mé-

caniquec~/e a donnéson nomà toute une science

qui date véritablementde Laplace,non pas qu'il en

soit absolument le père, mais parce qu'il en est le

premier et le plus sûr législateur. Après les décou-

vertes primordiales, c'est là encore un bien grand

mérite et la gloire de Laplaceest à peine inférieure

à cellede Newton.

Maiscen'est pas dans la Mécaniquecéleste que je

puiserai ce que j'ai à dire de lui. C'est une œuvre

trop spéciale et trop sévère, qu'il faut laisser aux

mathématiques et l'astronomie. Laplacelui-même

l'avait bien senti, et il a mis en un langage plus ac-

cessibleet plusvulgaireces hautes vérités dans1'

Page 162: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CLVII

~o~~o~ du système~{ monde.C'est là l'ouvrage

qui me fournira la matière de quelquesremarques.

L'Exposition du système du monde est divisée en

cinq livres, qui embrassent la question dans ses

plus largeslimites. Le premier traite des mouve-

ments apparents des corps célestes; c'est le spec-tacle des cieux, tel qu'il s'ofïre d'abord aux regardsde l'homme et à sespréjugés. Le second livre traite

des mouvementsréelsde ces mêmes corps c'est la

réucxion et la sciencerectifiant les impressionsdes

sens, et substituant la réalité à l'apparence. Laplacene veut pas pousser plus loin l'étude des phéno-mènes observables et dans un troisième livre, il

rappelle les lois du mouvement, sans ajouter rien

aux travauxde ses devanciers. Le quatrième livre

présente la théorie de la pesanteur universelle d'a-

près Newton.C'est en quelque sorte la loi des lois

et après qu'elle a été approfondie,la science du sys-tème du monde est achevée.Il ne reste donc plus a

Laplace qu'à esquisser l'histoire de cette science et

c'est ce qu'il essaie dans un cinquième livre, inti-

tulé Précis de l'histoire de ~~OMOMM'e.

Voilà toute l'économie simple, claire et complètede l'Exposition du systèmedu monde. Je ne dis pas

que ce mot soit bien choisi, et le systèmedu monde

Page 163: La Physique d Aristote

PRÉFACECLvin

sembleraitdevoirembrasserplusque le mouvement

des corps célestes, et comprendretout ce que Des-

cartesa essayéde renfermerdans ses investigations.

Maispeu importe; depuis Newton, l'expressionde

Systèmedu monden'a pas signifiéautre chose, et

aujourd'hui quand on l'emploie,on s'entend suni-

sammentpar cettedésignationd'ailleurs peu exacte.

Je laisseégalementde côté toutela partie astrono-

mique, puisque je ne chercheque ce qui peut cor-

respondreplus ou moinsauxidéesd'Aristote; et par

conséquent, c'est surtout au troisièmelivre que je

m'attache, puisqu'il traite du mouvement, dans le

petit nombre de pagesqui le composent.

Laplacese plaint d'abord qu'on ait si peu étudié

cette partie de la science a L'importancede ceslois

< dont nous dépendonssans cesse,dit-il, aurait du

< exciterla curiositédans tousles temps; mais par< une indifférencetropordinaire a l'esprit humain,< ellesont été ignoréesjusqu'au commencementdu

dernier siècle, époqueà laquelle Galiléejeta les

< premiersfondementsdela sciencedu mouvement,a par sesbelles découvertessurla chute des corps.&

Dans le cinquièmelivre, où les progrès principauxde ]a science astronomique sont passés en revue,

Laplace n'est pas mieuxinforméni plus équitable;

Page 164: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. CLIX

et s'il nommeAristote, c'est pour rappeler une tra-

ditionfort suspecte,conservéepar Simpliciusd'après

Porphyre, sur lesobservationschaldéennesque Cal-

listhene aurait transmises à son oncle. Il est clair

queLaplacen'avait jamaisentendu parler dela PAy-~~<cd'Aristote. Maisnous qui la connaissons,nous

pouvonsdéfendrel'esprit humain du reproche qu'onlui adresse si gratuitement. L'esprit humain étaitrestési peu indifférent à cette question si vaste et sicurieuse du mouvement,que plus de vingt-deuxsiè-cles avant Laplace, la Grècepar sesplusbeaux gé-nies en avait tenté la théorie, et que cette théorie

expliquée,commentée,adoptéeou combattue,avaitfait écolecheztous les peuplescivilisés,dans cet in-

tervalle de temps qui va de Périclèsau siècle de la

Renaissance.On n'avait donc pas oublié ni négligécettequestion. SeulementLaplace, commeCotes ettant d'autres, avait perdu la tradition, et il dédai-

gnait !e passé, faute de le connaître (t) ce qui est

plusordinaire qu'on ne pense,et cequi est fort nui-sibleaux vrais progrès de l'esprit humain, pour quil'on témoignecependant tant de sollicitude.

(~Cedédainn'atteintpasseulementAristote,etHs'étendjus-queDcscartes,Leibnizet Matebranche,dontLaplaceb)amelesvainssystèmeset leshypothèsesstériles.

Page 165: La Physique d Aristote

PRÉFACECLX

Laplacelui-mêmeaurait pu s'enapercevoir,s'il

avaiteul'occasionde comparercequ'ildit du tempsetde l'espaceavecce qu'en avaitdit Aristotequel-

quedeuxmilleansavantlui. « On imagine,dit La-

« place, un espacesansbornes et pénétrableà la

« matièrepourconcevoirlemouvement.DAristote

étaitbienautrementdans le vrai, quandil s'appli-

quait à démontrerl'existencede l'espace,et à en

scruterla nature,enanalysantsi profondémentcette

notion de l'intelligencehumaine. Il eût été fort

étonnésansdoute qu'on réduisît l'espaceà n'être

qu'unecréationtoute arbitraire denotre imagina-

tion et nousnedevonspasen être moinsétonnésà

notretour, mêmeaprèslesparadoxesdeKant.L'es-

pacen'est pasimaginaire et il l'est si peu qu'il

s'imposenécessairementa notre raison,tout inca-

pablequ'elleest de le mesureret mêmede lecom-

prendre dans son inûnité. L'infinitéde l'espace,l'éternitéde la durée sont des conceptionsnéces-

sairesde l'entendement;etNewton,loin delesnier,

lesa amrméescommedesfaits aussi certainset au

mêmetitre que les -axiômesmathématiques.L'es-

paced'ailleurs,si nous ne pouvonsle sonderdans

ses profondeursincommensurables,n'en est pasmoinsdevantnosyeux et il est en quelquesorte

Page 166: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AÏUSTOTE. cLxi

sensible,si cen'est danssatotalitéqui nous échappe,

puisqu'il est infini, dumoinsdans quelques-unesde

ses parties qui sont a notre portée, et nous aident

il concevoir le reste. On n'imagine point l'espaceil est, quoi qu'en dise Laplace.

Il sembleaussi, malgrétoute la déférencequi est

due à un tel génie, qu'il n'est guère plus satisfai-

sant dans la manière dont il parle du temps. «Le< temps, selonlui, est l'impressionque laisse dans

« la mémoireunesuited'événementsdont nous som-< mes certains que l'existence a été successive.e

Pour rendre comptedes rapports du mouvement,au

temps et a l'espace, il dit « En prenant des unités

a d'espace et de temps, on les réduit l'un et l'au-

< tre à des nombres abstraits qu'on peut comparera entre eux. Pour le temps, l'unité, c'est la se-

conde et pour l'espace, c'est le mètre. Tant de mè-

tres parcourus durant tant de secondes,voilàla me-

sure du mouvement, qui est alors plus rapide ou

plus lent, selon les espacesparcourus et les tempsécoulés. Le mouvement, a son tour, peut servir de

mesure au temps, soitpar lesoscillations d'un pen-dule, soit par les révolutionsde la sphère cetestcou

cellesdu soleil. Maisqu'est-ce que c'est précisément

que le temps? Qu'est-ce que c'est que l'espaceen

Page 167: La Physique d Aristote

PRÉFACECLXH

lui-même? Laplacene le recherche pas, Lien qu'il

eût été digned'un esprit tel que le siende ne pas ac-

cepter, sur cesélémentsfondamentauxde la science,

lesidéescommunesetvulgairementrépandues.Sansdouteil ne serait pas juste dedemanderaux mathé-

maticiensde faire de la métaphysique; mais quandon est Laplace,il semblequ'on peut suivreles traces

d'un Descarteset cellesd'un Newton,précédésl'un

et l'autre par Aristote. La métaphysiqueest le fond

de tout et ici elle se trouve si près desmathémati-

ques, qu'il faut avoir en quelque sorte un parti pris

pour ne pas lavoir et pour l'omettre.

Il faut d'ailleurs approuverLaplace,quand il dit

que a les géomètres,marchant sur lespas de Gali-

< lée, ont enfinréduit la mécaniqueentière,y com-

Il pris, je suppose,la mécanique céieste,à des for-

mules généralesqui ne laissent plusà désirer que

la perfection de l'analyse z et quand il ajoute

que <le dernierprogrèsde la scienceetleplus beau,

< c'est d'avoir banni entièrement l'empirisme de

< l'astronomie, qui maintenant n'est plus qu'un« grand problèmede mécanique, dontles éléments

< du mouvementdes astres, leurs ûgures et leurs

< masses,sont les arbitraires, seulesdonnéesindis

« pensables que cette sciencedoive tirer des obser-

Page 168: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'AR!STOTE. CLX!U

« vations.» Ainsi,selonLaplace,et en ceci on doitêtre d'accord aveclui, la fin d'une scienced'obser-vationestde se transformeren sciencerationnelleet, pour le prouver,il remarque que !a loi de la pe-santeur universelleune fois connue,a fait connaître

réciproquementcertains phénomènes,avant même

qu'ilsne fussentobserveset régulièrementconstatés.La métaphysique,en son genre, n'est guère autrechose; et Laplace y touchait par la mécaniquera-

tionnelle,qu'H recommandeet qu'il prise tant.C'estque Lapiace,quoique entièrement!ivré aux

mathématiques, conçoitqu'i! y a même au-.dessusd'ellesuneméthodeplusgénéraleetplusféconde,quiles emploieà un usagesupérieur et qu'elles ne sont

plus en état de juger. Ases yeux, la vraie méthodeest cellequ'a suiviel'astronomie,qui, de toutes lessciencesnaturelles, présentele pluslongenchaîne-ment de découvertes.L'astronomie a aujourd'huila vuegénéraledes étatspasséset futursdu systèmedu monde.Cette méthodevéritable consistea s'êtreélevée desobservationsparticulières un principeunique, celui de la pesanteuruniverselle,et a pou-voir redescendre de ce principe, qui est le vrai, à

l'explicationde tousles phénomènescélestesjusquedans les moindres détails.Cetteméthodede l'astro-

Page 169: La Physique d Aristote

CLXiv PRÉFACE

nomie est celle qu'il faut suivre dans la recherche

des lois de la nature. Il faut observerd'abord le dé-

veloppementde ces loisdansles changementsqu'elle

nous offre,etdéterminer tousles phénomènes sou-

mettre ses réponsesà l'analyse, et, par une suite

d'inductionsbien ménagéess'élevcrauxphénomènes

généraux dont tous les faits particuliers dérivent;

enfin réduire les phénomènes généraux au plus

petit nombre possible,parce que la nature n'agit

jamais que par un petit nombre de causes.Ala lu-

mière de ce principe, que nous avonsvu déjà dans

Newtoncomme dans Aristote, Laplaceconclut que

la simplicité d'un seul principe, d'où dépendenttoutes les loisdu mouvementdes planèteset de leurs

satellites, du soleilet des étoiles fixes,est digne de

la simplicité et de la majestéde la nature.

Un pas de plus, et Laplacereconnaissaitet le pre-mier moteur de Platon et d'Aristote, et le Dieu de

Descarteset de Newton.

Quoiqu'il en soit, on peut le louer d'avoir tenté

de s'éleverjusqu'à la notionde la méthode et parmi

les savants de son temps, c'est un mérite qui n'est

pas très-ordinaire. Maisla méthode qu'il préconisen'est pas la vraie, ainsi qu'il se le figure l'ouvrage

de Descartes aurait pu le lui prouver. Il n'y a pas

Page 170: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARÏSTOTE. CLXV

deuxméthodesdans le mondedes intenigihïes; etla méthode cartésienneestunique, aussibien qu'elleest infaillible, autant du moins qu'il est donné àl'hommedeJ'etre. Touteslesautres, dontles sciencesqui s'intitulent exactes sont si fières, ne sont pas àproprementparler des méthodes; cesontde simplesprocédésd'expositionet des moyenstoutextérieurs.La vraie méthode repose sur l'évidencedansla ré-iïexiondela conscience,attendu que toutesles autresprétendues méthodes que l'on décorede ce beaunom, s'appuient sans le savoir sur celle-là.Maisen-coreune fois, Lap!acen'estpas philosophe,quoiqueDescarteset Leibnizeussent donné un bel exempleen montrant qu'on pouvaitêtre tout à la fois méta-physicienet géomètre,et cultiver la philosophieenmêmetemps queles

mathématiques.Je laissede côté la science contemporainedont

Laplaceest certainement le plus illustre représen-tant, et je me Mte d'arriver au terme queje me suisprescrit.H ne me reste plus qu'à comparerAristoteà ses trois émules, Descartes, Newton et Laplace,commeje l'ai déjà comparé à son mattre. Par làj'indiquerai clairementle rang que je lui donne, etqu'il doit tenir désormais dansla famille des phy-siciens philosophes. Je ne veux pas exagérer sa

Page 171: La Physique d Aristote

PRÉFACECLXVI

gloire maisje ne voudrais pas non plus qu'on la

réduisit injustement. Je m'efforcerai donc d'être

impartial dans l'appréciation résuméeque je vaisen

présenter.avant de clore cette longue préface.

D'abord, je ne crois pas m'être trompé en met-

tant Aristote dans la compagniede Descartes, de

Newtonet deLaplace. Je ne parle pas de son génie

en général, c'est trop évident je ne parle que de

saPhysiqueen particulier, et je penseque la théorie

du mouvement,telle qu'elle s'y présente, est lepoint

de départ de toutes les théoriesqui ont suivi sur le

même sujet. Plus haut, j'ai déjàindiqué ce rappro-

chement maismaintenant quej'ai taché de le justi-

fier par l'histoire, il me paraît tout-a-fait,incontes-

table. Entrela Physique d'Aristote, les Principes de

Descarteset les Principes mathématiquesde Newton,

il y a, malgrél'intervalle desâges, unesuccessionma-

nifesteet commeune solidarité.L'objet est le même,

et sur bien des points les doctrinessont identiques.

Le philosophe grec, quatre sièclesavant notre ère,

a vu tout aussibien que les deuxmathématiciensdu

xvu"siècle,que c'est par l'étude dumouvementqu'il

convient d'expliquer le système du monde. Sans

doute il l'a compris beaucoupmoins que Descartes

Page 172: La Physique d Aristote

A LA PHYStQUED'ARISTOTE. cLXVti

et surtout queNewton; mais il est sur la mêmevoie

que l'un et l'autre. La seule différencequ'il y ait

entre euxet lui, c'est qu'il fait les premiers pas dans

la carrière, sans pouvoir s'appuyer sur les mathé-

matiques, qui sont encoredans l'enfance,tandisqueDescarteset Newton, placés bien plus avant sur le

chemin, ont à leur disposition des mathématiquestoutes puissantes,avec des observationspresqu'in-nombrablesde phénomènes, et des expériencesde

tout genre. Entre la science grecque et la science

moderne, il y a bien une différencede degré; mais

il n'y a pas une différencede nature et pour rap-

peler unetrès-équitableopinionde Leibniz,Aristote

n'est pas du tout inconciliableavecdes successeurs

dont les travauxn'eussent peut-être point été aussi

heureux, si les siens ne les eussent précédés.Il est mêmeun point sur lequel il convientdelui

accorder hautement la supériorité, c'est la méta-

physique. Descartesmême ne l'égalepoint, et New-

ton est resté très-inférieur. Il n'y a pas à prétendre

que la métaphysique n'est point de mise dans une

telle matière; car Descartes,Newtonet mêmeLa-

placeont dû sortir du domaine propre des mathé-

matiques. Pour comprendre et expliquerle mouve-

ment, ils ont dû tenter de se rendre compte des

Page 173: La Physique d Aristote

PRÉFACECLxvm

idéesdeJ'espace, du temps, de l'infini et de la na-

ture du mouvementlui-même. A considérer les

analysesqu'a faites Aristotede ces idéesessentielles,

je n'hésitepas il luidonnerla préférence et j'ajoutemême que dans toute l'histoire de la philosophie

je n'aperçois rien d'égal. Nul autre après lui

n'a repris l'étude de ces idées ni avecplus d'o-

riginalité, ni avec plusde profondeur, ni avec plusde délicatesse.Cesnotionsfondamentalesde temps,

d'espace, de lieu, d'infini, posent sans cesse de-

vant l'esprit humain elles le sollicitent à tout

instant et sous toutesles formes; et depuis vingt-deux siècles, personne n'en a mieux parlé quele disciple de Platon et l'instituteur d'Alexandre.

Aujourd'huimôme, onne saurait le dépasser qu'en

commençantpar se mettreà son école. Je ne dis pascertainement que Descartes ou Newtony eussent

rien appris mais en écoutantun momentces leçonsde l'antiquesagesse,ilsse seraient aperçuscombien

de chosesils avaienteux-mêmesomises,les suppo-sant probablement assez connues, ou trop claires

pour qu'il fut nécessairede les rappeler.Mais ce n'est pas tout à fait ainsi que procède

l'esprit humain. La métaphysique est, dans une

certaine mesure, un antécédentobligéde la science

Page 174: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CLXIX

du mouvement,et si l'on ne sait pas d'abordce quec'est que l'infini, le tempset l'espace, ij est bien à

peu près impossiblede savoir ce que c'est que le

mouvement, et à quelles conditions il s'accomplitdans le monde. Ainsichaque philosophequi étudie

cette question, devrait remonter aux principes

métaphysiques qu'elle sous-entend. Mais l'indi-

vidu, quel que soit son génie, ne peut guère se

flatter de faire à son tour la sciencecomplète; il en

achève quelques parties, il en ébauche quelques

autres, il en négligeplusieurs, et c'est la rançon de

son inévitablefaiblesse. Quant à l'esprit humain,il n'a pointde ces lacunesdans levaste ensemblede

son histoire, et la sciencedu mouvement en parti-culierne présentepasd'interruptions ni de solutions

de continuité.Aristoteen a poséles fondementsmé-

taphysiques,et l'on peut douter que, sans cespre-mièreset indestructiblesassises,le reste de l'édifice

eut pu s'éleveraussi solide et aussi beau. L'esprithumain les a enquelque sorte éprouvéespendant de

longs siècles, puisque d'Aristote à Galiléec'est le

Péripatétisme seul qui lui a suffi. Mais quand les

temps nouveauxsontarrivés, se séparant du passéavecautant d'ingratitude que de violence, le passéavait fait son oeuvre,et ce germe fécondé,l'on peut

Page 175: La Physique d Aristote

PRÉFACECLXX

dire, par cette lente incubation, allait se développerpar un progrèsirrésistible et sûr.

Je n'hésite donc pas, pour ma part, louerAris-

tote de sa métaphysique appliquée à la sciencedu

mouvement;et cette méthodeestun service de plusdont noussommesredevablesà la Grèce.Oui,avant

d'étudier le mouvement, il fallait le définir; oui,avant de scruter les faits, il était nécessairede pré-ciserla notion sous laquelle ils apparaissentd'abordà notre intelligence.Il est bien clair que le phéno-mène a précédéla notion, et que si le philosophen'avait mille fois senti le mouvementdans le monde

extérieur, il est à croire qu'il n'aurait jamais songéà l'analysed'une notion qu'il n'eût point possédée.Aristote ne se fait pas faute de le dire bien souventdans ses réfutationscontre l'écoled'Elée, et il se glo-rifie, en combattantdes paradoxesabsurdes,de s'en

rapporterau témoignagedessens, qui nous attestent

l'évidenceirrécusabledu mouvement. Maisune foisce grand fait admis, il faut Féclaircir par l'analyse

psychologiqueet en considérer tous les élémentsra-

tionnels.C'estalors que la métaphysique intervient,et qu'elle remplit son véritable rôle. Elle part d'un

faitévident.et elle projette saclarté supérieure danscesténèbresdont la sensibilitéest toujours couverte.

Page 176: La Physique d Aristote

A LA PHYSIQUED'ARISTOTE. CLXXI

Ses abstractions, loin d'être naines, comme on lecroit vulgairement,sont la formevraie souslaquellela raisonse comprendelle-même etàmoinsqu'ellene veuille se contenter d'une simple collectionde

phénomènesinintelligibles, il faut bien qu'elle re-monte a des causes et a des lois, avecl'aide des

principes essentiels qu'elle porte dans son sein etqui la font ce qu'elle est.

C'est a ce besoin instinctif et si réel qu'Aristote aobéi; il a satisfait l'esprit humain dansla mesuredeson génieet de son temps. Loin de l'égarer, ainsiqu'on le lui a si souvent reproché, il l'a profondé-ment instruit; et les prétendues subtilités qu'on lui

impute s'évanouissent,quand on les médite assezattentivementpour en pénétrer !a signiGcationsi

précise et si fine. Aristote renaitrait aujourd'huiqu'il referait encorepour nous la métaphysiquedu

mouvement, si quelque autre ne lui eût épargnécette peine en la prenant avant lui. Il n'accepteraitpoint le systèmeactuellementen vogue auprès de

quelques savants, qui proscrit ïa métaphysique,etla relègueparmiles hochets dont s'amuse la scienceà ses premierspas. La métaphysique, loin d'être le

bégaiementde l'intelligencehumaine, enest au con-traire la parolela plus netteet la plus haute.Cen'est

Page 177: La Physique d Aristote

PRÉFACECLXXII

pas toujoursdu premiercoupquela sciencela pro-

nonce,commeAristotcl'a fait pour la théorie du

mouvement;maisun peuplustôt,unpeuplus tard,

il fautbien en arriver à cetteexplicationdernière

deschoses,ourenoncer les savoirjamais.A.mon

sens,c'estun grandavantagepourla sciencequandelle peutdébuterpar là.

Jemerésumedoncen répétantqu'Aristotea eu

la gloirede fonderla sciencedu mouvement.Quesil'on s'étonnaitqu'il ne l'aitpoint achevéeet faite

toutentièreà lui seul,je rappelleraisl'aveumodeste

et fier parlequelil terminesa logique <Si, après< avoirexaminénos travaux,dit le philosophe,il

a vousparaît que cettesciencedénuéeavant nous

< de tousantécédents,n'est pastropinférieureaux

< autres sciencesqu'ontaccruesleslabeursdegé-o nérationssuccessives,il nevousresteraplusà vous

< tousqui avezsuivi ces leçons,qu'à montrerde

a l'indulgencepour les lacunesde cetouvrage,et

< de la reconnaissancepour touteslesdécouvertes

< qui y ont été faites,e

Bougival,25 juin 1861.

Page 178: La Physique d Aristote

PARAPHRASE

DELA

PHYSIQUE D'AMSTOTE.

LIVRE L

DES MtttfCtPRS DF L'CTRE.

r.

Exposonsbrièvement la méthode que nous comptonssuivre dans l'étude de la nature et que nous avonsdéjàsouvent appliquée. Dans tout sujet qui se prête à des

recherches régulières, parce qu'il s'y trouve des prin-

cipes, des causeset deséléments, on necroit comprendreet savoir quelque chose que quand on est remontéjus-

qu'à ces causes premières, à ces premiersprincipes et à

ces élémentspremiers,dont la connaissanceconstituetou-

jours le véritablesavoir. !) n'en sera pas autrement pourla science de la nature; et lé soin qu'on y doit prendre

(1)Danscetteparaphrase,leschitTre.'iro)n:)iMcorrespondentanxcha-pitressuccessifsdechacundestt~itLivres.

1

Page 179: La Physique d Aristote

PARAPHUASEDE LA PHYSt~UE2

d'abord, c'est de déterminer ce qui regarde les prin-

cipes. La marche la. plus naturelle, c'est de commencer

par les choses qui sont pont- nous les plus claires et les

plus faciles à connaître, et de passer ensuite aux choses

qui par leur propre nature sont eu soi plus notoires et

plus claires. Ces deux ordres de connaissances ne sont

pas identiques; et c'est là ce qui fait qu'il est nécessaire

de débuter par les connaissances qui sont relativement a

nous plus claires et plus notoires, afin de nous élever de

là aux notions qui le sont en soi. Or, ce qui tout d'abord

semblepour nous le plus clair et le plus facile a connaître

est cependant le plus composéet le plus confus; mais en

analysant ces composas, pour faire cesser leur confu-

sion, onarrive aux cléments et aux principes, qui sont

alors d'une parfaite clarté. On peut dire, en un certain

sens, que c'est procéder du tout à la partie, du général

au particulier; car c'est le tout que nous donne la sen-

sation, qui est d'abord le plus connu; et en décomposantce tout complexe, on y découvre une foule de parties

qu'il contient dans son vaste ensemble. 11y a ici quelque

chose d'analogue au rapport qu'on peut établir entre les

noms des choses et la définition de ces choses. Le nom

est une sorte de généralité confuse et indéterminée par

exemple, le mot Ccrr/e, qui comprend bien des idées;

mais en le déunissant et en le résolvant dans ses élé-

ments premiers, on l'éclaircit,et on le précise. Uneautre

comparaison achèvera de faire comprendre cette pensée.

Dans les premiers temps de la vie, les enfants appellent

indistinctement Papa, Maman, tous les hommes, toutes

les femmes qu'ils voient; mais plus tard ils les dis-

cernent fort bien et ne les confondent plus.

Page 180: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE1, CH. 11. 3

II.

Notre méthode étant ainsi expliquée, nous en faisons

usage, et nous essayons de découvrirquels sont les prin-

cipes généraux des êtres. Nécessairement il y a dans

l'être, dans tout être quel qu'il soit, ou un principe

unique, ou phtsieurs principes. S'il n'y a qu'un seul prin-

cipe, ou ce principe unique est immobile,commeranir-

ment Parménide et Mélissus, ou il est mobile comme le

soutiennent les Physiciens, qui voient ce principe, soit

dans l'air soit dans l'eau. Si, au contraire, on admet queFûtre ait plusieurs principes, le nombre de ces principesest ou fini on infini. S'ils sont en nombre fini, en étant

toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre ou

tel nombre déterminé; et s'ils sont en nombre infini, ils

peuvent être, comme Je vent Democrite,tous du même

genre absolument, ne digérant que defigureou d'espace;ou bien ils peuvent aUer jusqu'à être contraires les uns

aux autres. C'est une étude pareille a celle-ci que font

d'autres philosophes, en recherchant quel petit être le

nombre des êtres; car ils se demandent egaiement si la

sourced'où sortent tous les êtres, est une ou multipleet quand ils admettent qu'i! y a plusieurs principes des

êtres, ils se demandent si ces principes sont en nombre

finion infini. Aufond, la question est la même, et elle

revient a savoir si l'élément qui constitue l'être est

unique, on si, an contraire, il faut plusieurs éléments

pour le composer.Maisici il faut faire une d~aration c'est que ce n'est

plus étudier la nature que de recherchersi l'être est un

et immobile.En géométrie, il n'y a pius il discuter avec

Page 181: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYS)QUK/t

un adversaire qui nie les principes sur lesquels la géo-mctrie repose; il faut le renvoyer à une autre science,

<}uipeut. être la science counnune de tous les principes;maisce n'est plus là une question géométrique. De même,

dans ia science de la nature, il faut savoir sur quel ter-

rain on se place; et du moment qu'un dit que l'être est

un et immobile, cela revient à dire qu'il n'y a pas de

principe, puisque le principe est toujours le principed'une ou de plusieurs choses qui en découlent. Recher-

cher si l'unité de l'être est possible au sens où on le sou-

tient, c'est une thèse tout aussi 'vainc que celles qu'onavance trop souvent pour le simple besoin de la dispute,comme la fameuse thèse d'Heraclite. Autant vaudrait

soutenir que le genre ))Lunaiutout entier se concentre

dans un seul et unique individu. Au fond, ce serait don-

ner beaucoup trop d'importance A un argument qui n'est

que captieux; c'est le défaut que présentant les opinionsde Mélissuset de Pannenide, lesquelles ne reposent quesur des prémisses fausses et ne concluent même pasregu-tierement. J'ajoute que la théorie de M6)issusme paraîtencore la plus grossière des deux et qu'il n'y a point as

s'y arrêter; car là où l'on rencontre au début une pre-mière donnée fausse, il est facile de voir que toutes les

conséquencesqui en sortent, ne sont pas moins fausses et

qu'elles ne méritent pas plus d'attention.

Quant a nous, nous posonscomme un principe indis-

cutable, que dans la nature il y a du mouvement, soit

pour toutesles choses, soit du moins pou quelques-unes;et c'est la un fait fondamentalque nous font connaître et

l'observation sensible et l'induction réfléchie. Mais ce

principe une fois pose, nousne prétendons pas repondre

Page 182: La Physique d Aristote

D'.ARtSTOTE, LIVRE ï, CH. t! 5

-inxquestions qui en impiiqucraient ]a négation, et nousnous contenterons de réfuter les erreurs qui pourraientêtre commises, en partant de ce principe iui~neme, qu'itfaut préalablement accepter. Les théories qui le nientdoivent nous rester tout à fait étrangères; car c'est ainsique le géomètre, en choisissant parmi les démonstrationsde la quadrature, peut bien réfuter celle qu'on prétendfaire à t'aide des segments; mais il n'a plus rien a voir àcelle d'Antiphon. Néanmoins, comme les pniiosophes quinient le mouvement touchent encore à des questions phy-siqnes, bien qu'ils n'étudient plus précisément la nature,

ne sera j~eut-etre pas sans ntiiite (t'eu ci ire quelquesmots, parce que cesrecherchesne iaissentpas que d'avoirencore un côté

philosophique.

HI..

Précisonsbien le sens des motsdont nous nous servons;iet comme le mot d'Être a plusieurs acceptions, il fautse rendre compte, avant d'aUer plus loin, de ce qu'onentend quand on dit que l'être tout entier est un. Est-ce àdire qu'il est uniquement substance? on bien uniquementquantité? ou bien uniquement qualité? Si tout est sub-stance dans i'ètre, comprend-on qu'il n'y a au mondequ'une seule substance? Ou bien veut-on dire que dansl'homme un, dans le cheval un, dans l'âme une, il n'ya quel'homme, le cheval ou l'Ame?Si l'être n'est que qualité,soutient-onpar là qu'il est uniquement chaud, ou unique-ment froid,ou telle autre qualité exclusive? CesonUàevi-demment des points de vue tres-din'crcuts; maisils ontceci de commun qu'ils sont tous élément insoutenables.

Page 183: La Physique d Aristote

6 PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

Si l'on prétend que l'être est tout ensemble substance,quantité et qualité, ilen résulte toujours qu'il y a plusieurssortes d'êtres, soit qu'on réunisse ces trois éléments, soit

qu'on les isole et qu'on les rende indépendants les unsdes autres. Si l'on disait par hasard que l'être tout entiern'est que qualité et quantité, la substance étant mise à

part ou rejclée, ce serait la une opinion absurde, ou pourmjeux dire impossible, puisque la substance est toujoursindispensable, et qu'elle est le support de tout le reste,

qui sans elle n'existerait pas. Voyezen en'et la contradic-tion Mélissus soutient que l'être est infini; soit; maiscela revient à dire que l'être est une quantité, puisquel'infini n'est que dans la catégorie de la quantité Or, lasubstance et la qualité ne peuvent jamais être infinies, sice n'est d'une manière indirecte, en tant qu'on les consi-dère comme quantités à un certain point de vue. La dé-nnitiou de l'infini emprunte toujours l'idée de quantité;mais ellene suppose pas celles de substance et de qualité.Que si l'on admet que l'être est à la fois substance et

quantité, comme il est toujours nécessaire qu'il le soit,alors ses principes sont au moinsdeux, et l'être n'est plusun comme on le prétend. Si l'on réduit l'être n'être

que substance, alors il n'est plus infini; il n'a même plusune grandeur quelconque; car pour en avoir, il faudrait

qu'il fût en outre quantité.Une diiuculté du même genre encore, c'est de savoir

ce qu'on veut dire précisément en soutenant que l'êtreest un; car le mot d'Un est susceptible d'acceptionsdiverses tout aussi bien que le mot d'Être. Unechose estune quand elle est continue ou qu'elle est divisible. Ondit de deux choses qu'elles sont une seule et même chose

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D' UUSTOTE.LIVRE1, CH. !H. 7

quand leur dennition est identique, comme elle t'est, parexemple, pour le Jus de la treille et pour le Vin, Or, si parUnon entend le continu, l'être alors est multiple et n'est

plus un car le continu est divisible à l'infini.Maisa propos de l'unité de l'être, on peut se poser une

question qui, sans tenir très-directement a notre sujetactuel, vaut la peine cependant qu'on la traite. Le tout etla partie sont-ils une tnemcchose? ou sont-ils deschosesdifférentes? De quelle manière peut-on concevoir leurunit6 ou leur multiplicité? et, si ce sont des choses mul-

tiples, quelle espèce de multiplicité forment-elles? Les

parties peuvent d'ailleurs n'être pas continues; et si les

parties en tant qu'indivisiblesformentchacune unemoitié,comment chacune cl'ellespeut-elle être une avec le tout?Maisje ne fais qu'indiquer ces questions, et je poursuis.

Si t'être est un en tant qu'indivisible, il ne l'est plusalors comme quantitt'-et qualité, et du même coupil cessed'être infini comme le veut Melissus. Il n'est mêmepasuni commele soutient Parmenide; car c'est la limiteseule

des choses qui est indivisible, et ce n'est pas le finilui-mêtne. Que si l'on dit que tous les êtres sont Unsen cesens qu'ils n'ont tous en masse qu'une définition com-

mune et identique, comme l'est celle de Vêtement et

d'Habit, par exemple,alors onrevient a l'opinion d'Hera-

clite, et désormais tout va se perdre dans le plus obscur

mélange le bien et le mal se confondent le bon, avecce

qui n'est pas bon; le bien, avec ce qui n'est pasbienl'homme et le cheval sont tout un. Mais il faut répondrea cette singulière théorie que ce n'est plus I:\ amener quetous les êtres sont Uns; c'est aninnerqu'ils ne sont rien,

et quela quantité et Iaqua)it6 sont absolumentidentiques.

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQU!8

Du reste, cette question du rapport de l'unité à la.mui-

tiplicité semble avoir troublé plus d'un philosophe parmiles modernes ou les anciens. Pour échapper à.la contra-diction qu'on supposait entre les deux termes, les uns,comme Lycophron, se sont imaginé de supprimer leverbe d'existence et de retrancher le mot Est de tout ce

qu'ils disaient. Les autres ont détourne l'expression, etau lieu de dire que l'homme est blanc, ils ont dit qu'il~:r/ou de dire qu'il est marchant, ils ont dit qu'ilmarche. Ils se donnaient toute cette peine pour éviter lemot de peur de faire plusieurs êtres d'un seul, et

croyant confondre par la l'unet l'être absolument. Commesi les êtres n'étaient pas multiples, ainsi que le prouvemême leur dénnition commesi la définitionde blanc etcelle de musicien n'étaient pas essentiellementdhférentes,bien que ces deux qualités puissent appartenir simultané-ment à un seul et même être Il faut donc affirmerque le

prétendu Unest multiple, commetout être est multiple,ne serait-ce que par la division, puisqu'il forme nécessai-rement un tout et qu'il a des parties. A ce point de vue,nos philosophes étaient bien forcésd'avouer, malgré toutleur embarras, que l'être n'est pas un et qu'il est mul-

tiple car une même chose peut fort bien tout à la foisêtre une et multiple; seulement eHene peut avoirà la loisles qualités opposées, attendu que l'être peut être un, ouen simple puissance, ou en réalité complète, en enté-léchie. Donc, il faut conclure de tout ceci que les êtres ne

peuvent pas être uns au sens où on le prétend.

IV.

On pourrait d'ailleurs avec les principes mêmes que

Page 186: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOT! LIVRE I, CH. IV. 9

ces philosophesadmettent dans leurs démonstrations, lesmieux employer, et résoudre assez aisémentles difficultés

qui les arrêtent. Je viens de dire que le raisonnement delYJeliasuset de Parménide est captieux, et que partant dedonnées dusses ils ne concluent mêmepas régulièrement.J'ajoutais que le raisonnement de Métissusest plus gros-sier et moinssoutenable encore, parce qu'il sufïit qu'uneseule donnée soit fausse pour que toutes les conclusionsle soient commeelle, ce qui est très-facileavoir. Mélissusse trompe évidemment en partant de cette hypothèse quetout ce qui a été produit ayant un principe, ce qui n'a

pas été produit ne doit point en avoir. Acette premièreerreur, il en ajoute une autre non moins grave, c'est decroire que tout a eu un commencement,exceptéle temps,et qu'il n'y a point de commencementpour la générationabsolue, tandis qu'il y en aurait pour l'aftération des

choses, commes'il n'y avait pas évidemmentdes change-ments qui se produisent tout d'un coup. Puis, ne peut-onpas demanderpourquoi l'être serait iunnobi)epar cette rai-son qu'il est un? Puisqu'une partie du toutqui est une, del'eau par exempte, a un mouvement propre, pourquoi letout dont elle fait partie n'aurait-il pas le mouvementau.même titre? Pourquoi n'aurait-il pas, lui aussi, le mouve-ment d'aitération? Ennn l'être ne peut être un en espèce,que sous le rapport du genre unique qui comprend les

espèces, et d'où elles sortent. 11 y ;t des Physiciensquiont entendu l'unité de l'être de cette façon, croyant àl'unité du genre et non point à celle de l'espèce; car il est

par trop évident que l'homme n'est pas le même spécili-quement que Jecheval, tout aussi bien que les contrairesdi~'Èrentspécifiquement om-'eux.

Page 187: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE!()

Les arguments qu'on vient d'opposer a la théorie deMélissusn'ont pas moins de forcecontre celle de Parmé-nide, qui lui aussi admet des hypothèses fausses et quin'eu tire pas des conclusions plus régulières. Hy a d'ail-leurs contre le système de Parménide des objectionstoutes spéciales. Une première donnée fausse, c'est queParménide suppose que le mot d'être n'a qu'un seul sens,taudis qu'it en a plusieurs. En secondlieu, sa conclusionest irrégniicre en ce que mcmcen admettant que le blancsoit un, par exemple, il ne s'eu suit pas du tout que lesobjets qui sont blancs ne soient qu'un. Évidemment Ussont plusieurs. Le blanc n'est un, ni par continuité nimême par définition. L'essence de la Mancheur ne se con-fond pas avec l'essence de l'être qui est auecté de cetteblancheur. En dehors de cet être, et indépendamment delui, il n'y a pas de substance séparée qui soit la blan-cheur et ce n'est pas en tant que séparée qn'elle diffèrede lui, c'est par son essence; or c'est ce que Panneniden'a pas su discerner.

Ainsi, quand on soutient que l'Être et l'un se con-fondent, il faut nécessairement admettre que l'être au-queU'un est attribué, exprime l'un tout aussi bien qu'ilexprime l'être lui-même, mais que de plus il exprimel'essence de l'être et l'essence de t'un. L'être devient alorsun simple attribut de l'un, et le sujet même auquel onprétend attribuer l'être, s'évanouit et n'existe plus; c'estalors créer un être qui existe sans exister. C'est qu'il nefaut sérieusement considérer comme &tre que ce quiexiste substantiellement. L'être ne peut pas être .sonattri-but. a Ini-memc, a moins qu'on ne prête arbitrairementd'autres sens a l'idée (t'être; mais elle n'a cependant

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D'ARtSTOTË,LIVRE I, CH. IV. n9

qu'une seule signification,et l'on ne peut pas réaliserainsi tout ce qu'on veut. L'être réel n'est jamais l'attri-but, l'accident d'autre chose; c'est lui au contraire quireçoit les attributs. Si l'on n'admet pas ce principe évi-dent, on en arrive à confondrel'être et le non-être dansune égale indétermination.L'être qui est blanc n'est pasidentique à sablancheur, puisque la blancheur ne peutjamais comme lui recevoir d'attributs. L'être réel estle blanc n'est pas, non point seulement en ce sens qu'iln'est point telêtre spécial, maisparce que de fait il n'estrien en dehorsdu sujet où il est. En confondantl'être etsa blancheur, l'être devientcommeelle un non-être; cars'il est blanc, le blanc avec lequel il se confond n'estqu'un non-être.Si l'on soutient encore que le blanc estun être tout aussi bien que le sujet lui-mêmeoù il est,c'est qu'alors on donne au mot d'être des acceptionsfausses, au li&ude la seulequ'il a véritablement.

En voulant ainsi confondrel'un et l'être, Parménideen arrive à cetteabsurdité de nier que l'être puisse avoiraucune dimension car du momentqu'il y a un être réel,il a des parties, et chacunede ces parties a un être diffé-rent ce qui détruit la prétendue unité de Parménide.Maisce n'est pas seulement toute dimension qu'il ôte àl'être, c'est aussi toute essence car tout être en supposed'autres au-dessusde lui, qui sont impliqués dans sa dé-finition. Ainsil'hommeest un certain êt'-e; mais quandon le déunit, on voitque nécessairementil en supposed'autres l'animai, le bipède, qui ne sont pas des acci-

dents, des attributsde l'homme,mais qui font partie deson être essentiellement.La preuveque ce ne sont pas làdes attributs ou des accidents, c'est qu'on entend par

Page 189: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE1~

accident ce qui peut indin'éremment être ou n'être pasdans le sujet, et ce dont la définition comprend l'être

auquel il est attribue. Ainsi être assis n'est qu'un acci-

dent d'un être quelconque et un accident séparablemais l'attribut Camard, par exemple, comprend toujoursdans sa définition l'idée de nez, parce que Camard ne

peut être que l'attribut du nez.

ne faudrait pas d'ailleurs pousser ceci trop loin et

les éléments qui servent composer la. définition d'un

tout ne comprennent pas toujours ce tout dans leur

propre définition. Ainsi ia définition de l'homme n'entre

pas dans celle de Bipède et la définition de l'homme

blanc n'entre pas dans celle de Blanc. Maissi bipède était

en ce sens un simple accident de l'homme et ne faisait

pas partie de son essence, il faudrait que cet accident fût

séparable, c'est-à-dire que l'homme ne fût pas bipèdeou autrement, la définition de l'homme ferait partie de

celle de bipède, comme celle-ci fait elle-même partie de

la définition de l'homme. Mais il n'en est rien, et c'est

précisément le contraire qui est vrai, puisque l'idée de

bipède est impliquée dans l'idée d'homme. Si animât et

bipède pouvaient être de simples accidents, rien n'em-

pêcherait que l'homme en fût un aussi et qu'il pûtservir d'attribut à un autre être. Loin de là; l'être réel,

comme est nn homme par exemple, est précisément ce

qui ne peut jamais être l'attribut de quoi que ce soit

c'est le sujet substantiel auquel s'appliquent les deux

termes d'animal et de bipède, soit qu'on les considère à

part, soit qu'on les réunisse dans un seul tout. L'être

serait par conséquent composé d'indivisibles, si l'on s'en

rapporte à la singulière théorie de Parmenide, puisque

Page 190: La Physique d Aristote

D'A)USTOTË,UViŒ I, CH. V. 133

selonlui l'être n'a ni dimension ni parties, intégranteset

essentielles.

Certains philosophes ont accepté les deux solutions à

la fois ils ont cru avec Parménide que tout est un et

que le non-être est quelque chose et en second lieu, ils

ont reconnu dans le monde des existences individuelles,

auxquelles ils arrivaient par la méthodede division, quiconsisteà toujours diviser les choses en deux jusqu'à ce

qu'on parvienne a des éléments indivisibles. Évidemment

on se tromperait si partant de l'unité de l'être et de

l'opposition nécessaire des contradictoires, qui ne peu-

ventjamais être vraies toutes les deux à !a fois, on allait

conclure qu'il n'y a pas de non-être. Le non-être ne

désigne pas quelque chose qui n'est point absolument

mais il désigne une chose qui n'est pas telle autre chose.

Cequi est absurde, c'est de croire que tout est un parce

qu'il ne peut rien exister en dehors des êtres réels; car si

l'être n'est pas un être réel et spécial, que peut-il être ?

et comment peut-on le comprendre ? Mais du moment

qu'on admet la réalité des êtres, il faut admettre aussi

leur plurauté; et il est impossiblede dire avecParménide

que l'être est un.

V

Après Parménide et Mélissus, qui ne sont pas des

Physiciens proprement dits, il faut étudier les systèmes

des Physiciens véritables. II faut distinguer ici deux opi-

nions cliirérentes.Les uns, trouvant l'unité de l'6<redans

le corps substantiel auquel s'appliquent les attributs, en

fontsortir tous les changements des êtres, dont ils )'r'con-

Page 191: La Physique d Aristote

PAMPHKASEDE LA PHYSIQUE

Missel tlamultiplicitéréelle. IHeursuint, pour expliquercette origine des phénomènes, de la rapporter aux modi-fications infinies de la raréfaction et de Ja. condensation,soit qu'ils adoptent un des trois éféments, l'eau, l'air,le feu, soit qu'i) en adoptent un quatrième moins subti)que le feu, et moinsgrossier que )'air. Mais la raréfactionet la condensationsont des contra.ires c'est l'excès, et ledéfaut, comme le dit Platon en parlant du grand et dupetit. Lase~edinercnce entre Pia.ton et les Physiciens,c'est qu'il fait de ces contraires la matière même desêtres, dont l'uniic se réduit à leur simple forme, tandisque pour les Physiciensc'est le sujet même qui est ma-tière, et que les contraires sont des din'erences et desespèces. Il est d'autres philosophes q~i, comme Anaxi-mandre, pensent que les contraires sortent de l'être unqui les renferme et c'est )a aussi l'opinion d'Empedoc)cet d'Anaxagore, qui admettent tout à la fois t'unité et lapluralité des êtres. D'âpres leurs théories, toutes leschoses sont Issues d'un m~ange primordial et la seuledivergence entr'eux, c'est que pour Empédocle il y a desretours périodiques et réguliers, taudis qu'Anaxagoren'admet qu'un mouvement une fois donné. Anaxagoreregarde commeInunis les contraires et ïes parties simi-laircs d<\s choses, iesHomœoméries; Empédocie ne voitJ'umni que dans les eiements.

Pourcxpjiquercomnent Anaxagoreapn admettre cette

infinitu de i'ôtre, il faut supposer qu'H a cru avec bien

d'autres Physiciensque rien ne peut vcnirdu néant. C'estlà saus'doute aussi J'argument de ceux qui soutiennentqu'a t'origine (les choses tout était mêlé et confus, quetout phénomène n'est qu'un simple changement, et que

Page 192: La Physique d Aristote

H~USTOTE,LIVREt, CH.V. 45

tout se réduit a des mouvements de décomposition et de

recomposition. Anaxagore s'appuie en outre sur ce prin-

cipe que les contraires naissent les uns des antres, ce qui

implique qu'ils existaient antérieurement dans le sujet;

car tout phénomène qui se produit vient ou de l'être ou

du néant; et s'il est impossible qu'il vienne du néant,

commetousles Physiciens en tombentd'accord, il ne reste

plus qu'à dire que les contraires naissent d'éléments qui

se trouvent déjà dans le sujet, mais qui nous échappent à

cause de leur ténuité infinie. Voilà comment ces Physi-

ciens ont été amenés a soutenir que tout est dans tout.

Voyant qne tout peut naître de tout, ils ont cru que les

chosesn'étaient différentes et nerecevaient di fl'érentsnoms

que d'après l'élément qui prédomine, bien qne le nombre

de leurs parties diverses soit infini. Ainsi jamais rien

n'est dans sa totalité purement blanc on purement noir

seulement selon que l'nn ou l'antre prédomine, on prend

l'élémentqui l'emporte pour la nature mêmede la chose;

et c'est d'aprèscet élément prédominant qu'on la qualifie.

Voicice qu'on peut répondre à Anaxagore. L'infini en

tant qu'infini ne peut être connu. Si c'est l'infini en

nombre et en grandeur, on ne peut le comprendre dans

sa quantité; si c'est l'infini en espèce, on ne peut le com-

prendre dans sa qualité. Si donc on fait les principes

infinis, soit en espèce soit en nombre, il est impossible de

jamais connaître les combinaisons qu'ils forment car

'nous ne croyons connaître un composé que quand nous

savons l'espèce et le nombre de ses éléments. A ce pre-

mier argument, on peut en ajouter un second c'est que

les parties des choses ne peuvent pas avoir cette petitesse

infinie dont parle Anaxagore. Si une des parties dans les-

Page 193: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE4(;is

quellesun tout se divise pouvaitêtre.d'une infinie peti-tesse, le tout devrait être lni-mêmesusceptible de cettemême condition. Or un animal, une plante ne peuventpas avoir des dimensionsarbitraires, soit en petitessesoiten grandeur. Il s'en suit que leurs parties ne le peuventpas davantage. La chair, les os et les autres matières

analogues sont des parties de l'animal, tout comme lefruit est une partie de la plante et il est bien impossibleque les os et ia chair aient indifTéremmentunedimension

quelconque,soit en grandeur, soiten petitesse.D'autre part, si tout est dans tout, commele prétend

Anaxagore,si les chosesnaissenttoujours d'autres chosesantérieures où elles sont en germe, et si elles sontdénomméesd'après la qualité qui prédomine en elles,alors tout est confondu; l'eau vient de la chair, et lacha.i)'vient de t'eau. Maissi d'un corps fini on retranche

quelquechose, on parvient enfinà t'épuiser et des lorsfont n'est pas dans tout, ainsi qu'on le prétend. Si deJ'eauon tire une première portion de chair, puis encoreune autre portion qu'on en sépare, quelque petite quesoitcettesoustraction,elle sera toujoursappréciable,puis-qu'il faut bien que cette chair soit quelque chose maisil faudra que la décompositions'arrête &un certain point;et évidemment, tout n'est pas dans tout, puisqu'il n'y a

plus de chair dans ce qui reste d'eau.

Quesi l'on dit quecette décompositionne s'arrête pas,et qu'elle va à l'infini, alors dans une grandeur finie il y*aura des parties finieset égalesentr'elles qui seront ennombreinfini; ce qui est bien tout-à-fait impossible. De

plus, à mesure qu'on enlève quelque chose à un corpsquetconque.ce corps devient (leplus en plus petit. Or, la

Page 194: La Physique d Aristote

D'AJUSTOTE.LIVRE CH. V. 17

chair est limitée dans les deuxsens en grandeur et en

petitesse.On arrivera donc par des soustractions succes-

sives à une certaine quantité de chair qui sera la plus

petite possible,et l'on ne pourraplus en rien retrancher,

puisquela partie qu'on en retrancheraitserait,nécessaire-

ment moindreque la plus petitequantité possible ce quine se peut pas non plus. Puis ensuite, dans ces corpsqu'on suppose infinis, il y a deséléments infinisaussi et

sépares entr'eux, de la chair, du sang, de la cervelle et

chacunde ceséléments pris à part est infini.

Mais cela ne peut plus se comprendre, et c'est une

théorie dénuée de toute raison. Si, pour échapperà ces

impossibilités,on prétend que la séparation des éléments

ne pourra jamais être définitive,c'est là sans doute une

idéejuste mais on ne s'en rendpas très-bien compteen

l'employantici. Lesqualités sont, on le sait, inséparablesdes choses qu'elles déterminent; et si, par hasard, on

supposequ'elles en sont séparéesaprès yavoir été primi-tivement m6!ées, il s'ensuit que telle ou telle qualité, le

blanc, le salubre par exemple,existera par eUe-mûrneet

substantiellement,sans être mêmel'attribut de quelque

sujet réel. Alors l'Intelligence, dont Anaxagorea fait un

si pompeux éloge, court grand risque de tomber dans

l'absurde en essayant de réaliserdes impossibilités. Et

c'est là ce qu'elle tente cependant en voulant faire une

séparationdes chosesqui n'est possibleni en quantité nien qualité en quantité, parce qu'on en arrive de subdi-

visionen subdivisionà une quantitéqui est la plus petite

possible en qualité, parce queles affectionset les qua-lités des chosesen sont abso!omentinséparables.

Unedernière objectioncontreles théories d'Auaxagore,2

Page 195: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEi8S

c'est que la générationdes chosesne s'expliquepas bien

si l'on prétend la tirer exclusivementdes parties simi-

Jaires, commeil le fait. Ainsipour prendre le premier

exemplevenu, la boue se divisebien si l'on veut en par-ties similaires, c'est-a-dirc en d'autres boues mais elle

se diviseen d'autre élémentsaussi, la terre et l'eau, quine sont plussimilaires entr'eux. Parfois le rapport entre

le tout et les parties est encore très-diu'erent et si l'ou

peut dire qu'en un sens les mursviennentde la maisonet

que la maisonvient des murs, il y a d'autres cas où ce

rapport est changé, par exemplequand on dit que l'eau

vient du feu, ou que le feu vient de l'eau. C'est là une

transformation,où il n'y a plus de parties similaires. Le

systèmed'Anaxagorcn'est doncpas acceptable en ceci,et peut-être vaudrait-il encore mieux admettre, avec

Empédocle,des principes finiset moinsnombreux.

VI.

Unpoint où s'accordent les Physiciens, c'est que tous

ils regardent les contraires commedes principes. Telle est

l'opinion de ceux qui admettent que l'être est un et immo-

hile, commeParménide, qui prend pour principes le froid

et le chaud, sous le nom de terre et de feu; telle est

encore l'opinion de ceux qui admettent pour principes le

dense et le rare, la raréfaction et la condensation, ou

comme le dit Démocrite, le plein et le vide, prenant l'un

de ces contraires pour t'Être, et l'autre pour le non-être

enfin c'est également l'opinion de ceux qui expliquentl'existence et l'origine des choses par la position, la

figure et l'ordre des éléments car ce ne sont là evidem-

Page 196: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE, LiVIU! 1, C.H. VL 19

ment que des variétés de contraires; la posiUonétant en

haut, en bas, en avant, en arrière la figure étant d'avoir

des angles on de ne point en avoir, d'être droit ou circu-

laire, etc. Un un mot, dans tous ces systèmes, les con-

traires sont adoptés pour principes et c'est là, je le

répète, un point commun a toutes ces théories.

Je reconnais du reste qu'on doitapprcuver cet axiomecar les principes ne peuvent point venir réciproquementles uns des autres; et loin de venir non plus d'autres

choses, c'est d'enx que doit sortir tout!c reste. Or, c'est !a

précisément ce que sont dans chaque genre les contraires

primitifs. En tant que primitifs, ils ne peuvent dériver de

rien qui )enr soit antérieur et en tant que contraires, ils

ne peuvent pas davantage dériver l'un de l'autre récipro-

quement. Mais cette théorie vaut la peine qu'on l'appro-

fondisse et c'est ce que nous allons faire. D'après les

lois de la nature, l'action des choses ou la sounrance

des choses n'est pas arbitraire ia première chose venue

ne produit pas au hasard ou ne souffre pas telle action

quelconque, Il n'est pas possible davantage que les

choses se produisent indin'éremment les unes par les

autres, à moins qu'on n'entende ce mot de productiondans un sens tout &fait détourne. Par exemple,comment

l'idée de blanc viendrait-elle de l'idée de musicien, à

moins que le blanc on le noir ne soit un attribut purementaccidentel du musicien? Le blanc ne peut venir que du

non-blanc, ou plus précisément du noir et des couleurs

intermédiaires entre le noir et le blanc. De même, le

musicien vient du non-musicien, ou plus précisémentencore de ce qui n'a pas cultivé la musique, tout en pou-vant la cultiver, ou de ce qui n'a pas eu telle autre

Page 197: La Physique d Aristote

PARAPHnASK!)H LA PHYSIQUE20

qualité intermédiaire entre le musicien et le non-musi-

cien. Maissi une chose ne vient pas indiiréremment d'une

autre chose, elle ne se perd pas non pins indifféremment

flans la première chose venue. Ainsi selon l'ordre nature]

des choses, le blanc quand il disparaît ne se perd pas

(huis le musicien, si ce n'est en un sens détourné et pure-

ment accidentel mais il se perd dans son contraire, le

non-blanc, et non pas même dans le non-blanc en géné-

rai, mais dans ce non-btanc spécial qui est le noir, ou

dans telle autre couleur intermédiaire. Tout de même

nonr )e musicien, qui ne change et ne se perd que dans

le non-musicien, et non pas encore dans le non-musicien

en général, mais dans ce qui n'a pas cultivé la musique,bieu qu'it fût capable de la cultiver, on dans telle autre

qualité intermédiaire.

Ce qu'on dit ici de termes simples, comme blanc et

musicien, s'applique également aux termes composés;

mais en général cette opposition des contraires passant

de l'un à l'autre, n'est pas comprise, parce que les pro-

priétés opposéesdes choses n'ont pas reçu de nomspécial

qui en signale les contraires. Je prends diverses choses

composées,et je cite les trois exemples suivants. Soit, si

l'on vent, quelque chose qui est organisé et dont toutes

les parties se correspondent harmonieusement. Je dis que

l'organique vient de l'inorganique et a l'inverse, l'inor-

ganique vient de l'organique. A l'org.miHaUunharmo-

nieuse des parties, je puis substituer leur ordre ou leur

combinaison cela revient toujours au même ainsi je

puis à l'organisation substituer la combinaisonon l'ordre,

soit dans une maison soit dans une statue. La maison

n'est que la combinaison de tels matériaux qui ont été

Page 198: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE t, CH. VI. 21

réunis d'une certaine façon, mais qui, antérieurement nel'étaient pas de cette façon spécial. La statue, on toutea)Krechosengnrée commeelle, vient de ce qui, antérieu-

retuent, était sans figure et a reçu l'ordre qui constitue lastatue. Lescontraires sont, d'une part, ce qui a une cer-taine combinaisonrégulière ou un certain ordre régulier,et de l'autre, ce qui n'a ni cet ordre ni cette combinaison.Maisces contraires n'ont pas reçu de nom spécial dans la

langue, c'est-à-dire que la statue, la maison, n'ont pasleurs contraires.

Si cette théorie est vraie, comme elle semble l'être, on

peut dire d'une manière générale que, dans le mondeen-

tier, tout ce qui vient à naître vient de contraires, et quetout ce qui se résont dans ses contraires également,ou dans ses intermédiaires, qui d'ailleurs ne viennent

eux-mêmesque des contraires. Ainsi, toutes les couleurs

intermédiaires dérivent du blanc et du noir, qui sontaux deux extrémités; et l'on peut anirmcr ainsi que toutesles choses de la nature sont des contraires ou viennentdes contraires.

C'est là le point commun où sont arrivés tous les phi-

losophes dont nous pariions tout tàl'heure. Sanspeut-êtrese bien rendre compte des expressions qu'ils emploient,tous qualifientde contraires les éléments et les principesqu'ils reconnaissent, et l'on dirait que tous sont conduitsà ce système par la force même de la vérité qu! les ypousse à leur insu. La seule différence, c'est que les uns

prennent leurs principes le plus haut possible, et que lesautres ne s'adressent pas à des termes aussi élevés etaussi généraux les uns s'adressant à la pure raison etaux idées qui sont les plus claires pour elle les autres

Page 199: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE22

s'adressant à des idées qui sont plus notoiresque pour¡'

les sens. Ainsi,pour les uns, les contraires élémentaires

sont le chaud et le froid, le sec et l'humide, touteschoses

qui noussont révélées par la sensibilité pour les autres,c'est le pairet l'impair, ou enfinc'est l'Amour et la Dis-

corde, qui sont les causes premièresde toute génération.Ces différentssystèmesne durèrent entr'eux que par la

diversité des contraires, dont tous reconnaissentl'exis-

tence. Ils s'accordent doncen un sens, et en un sens ils

se contredisent, comme chacun peut le voir sans qu'ilsoit besoind'entrer dans de plus longs détails. Leur ana-

logie, c'est d'avoir tous égalementune sériedecontraires,à l'aide de laquelle ils croient expliquer le monde leur

diiFérence,c'est que les uns prennent des contraires plus

générauxet qui enveloppent plus de choses, tandis queles contrairesadmis par les autres sont moins vastes, et

sont à leur tour subordonnésà d'autres contrairesqui les

enveloppent.Telle est la ressemblanceet la dissemblance

de ces théories,où l'on s'exprimeplus ou moinsbienselon

qu'on s'en rapporte, commeje viens de le dire, soit à des

notionspurement rationnellessoit à des notions purementsensibles.L'universel est plus notoire à la raison le par-ticulier l'est davantage aux sens car la notionsensible

n'est jamais que particulière. Le grand et le petit sont

des notionsrationnelles plutôt que des notionssensibles

mais le rare et le dense ne sont guère comprisque par la

sensibilité.

Donc,pour nous résumer, les principes sont nécessai-

rementdes contraires.

Page 200: La Physique d Aristote

1)'ARISTOTE,L!VRE. t, CH. VU. 23

Ensuivantces considérations, nous allons recherchersi les principes de t'être sont seulementau nombre de

deux, comme les contraires le sont nécessairementdans

chaque genre, ou bien s'il y a dans t'être trois principesau lieude deux, ou même davantage. D'abord évidem-

ment, il n'y a pas dans l'être un principe unique, ainsi

qu'on l'a dit, puisque les contrairessont au moins deux.D'autre part, il n'est pas moinsévidentque les principesne peuventêtre en nombre infini car alors l'être serait

inaccessibleà la science, et l'on ne pourraitjamais savoir

quels sont ses principes. Danstout genre fjue!qu'il soit,il n'y a jamaisqu'une seule oppositionpar contraires etdans )egenre de la substance, par exemple, il n'y a de

contraires que la substance, d'une part, et ce qui n'est

pas substance, d'autre part, c'est-à-dire les attributs ou

accidents.Maissi les principes ne peuvent être innnis,ils peuventbien être finis, commele ventEmpédocle,quiprétend expliquer mieux les choses, avec ses principesfinis, qu'Anaxagore ne peut les expliquerpar les infinis

qu'il admet. Cecine veut pas dire d'ailleursque tous lescontraires sont des principes car i) y a des contraires

qui sont antérieurs à d'autres contraires, tandis qued'autres contrairesdérivent de contrairesplus généraux.Le douxet l'amer, le blanc et noir, se rapportent à des

genres supérieurs; et ce nesontpaslà des contrairesqu'onpuisseconsidérercommedes principes, attendu que les

principessont par leur nature absolumentimmuables. Je

conclusdonc que les principesdel'être neseréduisentpasa un seul,et quede plus ilsne sont pas en nombre infini.

Vil.

Page 201: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDH LA PHYSIQUE24

Mais quel est le nombre des principes de l'être ? Du

momentqu'il sont en nombreHmité, il semble assez difn-

cile qu'ils ne soient que deux seulement car on ne

comprend pas comment l'un pourrait agir sur l'autre.

La rareté ne peut rien sur la densité pas plus que la

densité n'a la moindre action sur la rareté. L'Amour ne

peut pas davantage seconcilierla Discorde,et la Discorde

de son coté ne peut rien faire de l'Ainour. Même re-

marque pour toute espèce de contraires. Mais si l'on sup-

pose entr'eux un troisième terme, ils peuvent agir alors

l'un ou l'autre sur cet élément nouveau, qui est différent

d'eux et voila comment certains philosophesont sup-

posé pins de deux principes pour expliquer les choses.

Une autre raison qui fait une nécessité d'admettre un

troisième terme, support des deux contraires, c'est queles contraires lie sont jamais des substances; ils ne sont

que des attributs de quelqu'autre chose. Mais un prin-

cipe proprement dit ne peut jamais être l'attribut de quoi

que se soit; car il y aurait alors principe de principe,

puisque c'est le sujet des attributs qui est leur principe,en leur étant toujours antérieur. De plus la substance,commeon le sait, ne peut être contraire à la substance

elle ne peut pas venir davantage de ce qui n'est pas sub-

stance et comment le principe, s'il n'est pas substance,serait-il antérieur à la substance même?

Si doncon admet d'une part que les principes sont des

contraires,et d'autre part qu'ils ne sont pasdes substances,

on est amené a conclure qu'il faut nécessairemententre

les deux contraires supposer un troisième terme. C'est

bien là aussi ce que pensent les philosophes qui n'ad-

mettent dans le monde qu'un élément unique, l'eau, le

Page 202: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREl, CH. VII. M

feu ou tel autre élément intermédiaire, dont.'ils font le

supportcommundes contraires; et je remarqueque c'est

plutôt cet intermédiairequ'ils devraientchoisirpour leur

élémentunique,puisquele feu,la terre, l'air et l'eau sont

toujoursmélangés et entremêlésde quelquescontraires.

Aussi, je suis plutôt de l'avis de ceux quiont recoursà

cet intermédiairequi n'est aucundes quatreéléments; et

je mettrais ensuite ceux qui adoptentl'air dont les dine-

rences sont les moins sensibles, et enfin ceux qui ont

recoursà l'eau. Maisje reviens,et je dis quetous ces phi-

losophes,quelque soitle principe uniquequ'ilsadoptent,

le transformentaussitôt par des contraires le rare et le

dense, le plus et le moins, ou comme nous le disions

aussiun peu plus haut, l'excèset le défaut car c'est une

opinionfort ancienne que de réduire tous les principes

des chosesà trois l'unité, le défaut et l'excès. Maisceci

n'a pas été entendu de la même manière par tout le

monde;car lesanciensprétendaientque c'est l'excès et le

défaut qui agissent, l'unité souffrant leur action, tandis

que les modernes soutiennentau contraire que c'est l'u-

nitéqui agit, et que le défaut et l'excès supportentl'ac-

tionqu'elle exercesur eux.

Les arguments qui précèdent et d'autres arguments

analoguesqu'on y pourraitjoindre, donnentà penser très

justement que les principesde l'être sont au nombrede

trois, ainsi qu'on vientde l'indiquer. En effet,on ne peut

allerau-delà de ce nombre, et l'unité suffità souffriret à

expliquer l'action des contraires. Mais si les principes

sont au nombre(le quatre, il ya dès lors deuxoppositions

de contraires,et il faudraun sujet et une unitéà chacune

d'elles, c'est-à-dire qu'il y aura deux sujetsau lieu d'un.

Page 203: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE2C

De même que si l'on suppose une seule unité pour lesdeuxoppositions,alors l'une desdeux oppositionsdevient

parfaitement inutile, Il est d'ailleurs impossiblequ'il yait dans chaque genre plus d'une seule oppositionpri-mordiale de contraires; car, prenant le genrede !a.sub-stance, par exemple,les principesne peuvent plus y dif-férerentr'eux qu'en tant que postérieurs et antérieurs;mais ils n'y dirent pas en genre, parcequedanschaquegenre il ne peut y avoir qu'une opposition à laquelle se

rapportent en définitivetoutes les autres.Ainsidonc, il y a dans l'être plus d'un principe mais

évidemment il ne peut pas y en avoir plus de deuxoutrois. Où est ici le vrai? c'est cequ'il est trës-difHciIcdedire.

VHL

Afinde suivre dans cette recherche une méthode sûre,nous traiterons d'abord de la génération des choses,entendue de la manière la plus large possible; car ilsemble tout à fait rationnel et conformeà l'ordre naturel

d'exposer d'abord les propriétés communes des choses,pour en arriver ensuite aux propriétés particulières.Posons quelques principes qui serviront à expliquer lathéorieque nous adopterons.

Quand on dit d'une manière absolue qn'um' chosevient d'une autre, ou d'une manière relative quela mêmechose devient, par un changement quelconque, autre

qo'dfe n'était, nous pouvons employer, pour rendre ces

idées, ou des termes simples ou des termes complexessitnpfes, quand je dis (jue l'homme devient n)t)sici''n, ou

Page 204: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVREi, CH. VIH. 27

que le non-musiciendevientmusicien complexes,quand

je dis au contraire, en joignant les deux termes, quel'hommenon-musiciendevienthommemusicien.Dansun

cas, le terme est simple,homme,non-musicien,musicien;dans le secondcas, le terme est complexe,homme non-

musicien,hommemusicien.Dans l'expressioncomplexe,il y a à la fois, et le sujet qui devient quelque chose, et

l'attribut qu'il devient par le changementqu'il subit. De

ces deuxexpressions, la dernièresigni6eque non-seule-

ment l'être devient te!Iechose, maisque de plus il avait,antérieurement à ce changement,une certaine manière

d'être différente.Quant à l'expressionsimple L'homme

devientmusicien, elle n'a pas une significationabsoluecar ellene signifie pas que l'hommea cesséd'être homme

pour devenir musicien elle signifie uniquement que

l'homme, tout en restant homme,a subi ce changement

qui consisteà devenir musicien,cequ'il n'était pas aupa-ravant. Dans les choses qui se produisentainsi, c'est-à-

dire où tel être subit telle modificationet où telle chose

devient telle autre chose,nousentendonstoujours qu'il ya une partie quisubsiste toutensubissantunchangement,tandis qu'il y a une partie qui ne subsistepas et qui dis-

paraît. L'homme a beau devenir musicien, il n'en sub-

siste pas moinsen tant qu'homme; l'homme reste; mais

le non-musicien.,ce qui n'est pas musicien, peu importele terme plus uu moinscompliquédont on se sert ici, ne

subsiste pas et loin de là, il disparaît dans le change-ment.

Ceciposé, on peut appliquerce principeà toute géné-

ration, et l'on verra que dans tous les cas, comme dans

celui-ci, il faut qu'il y ait un certain élémentqui subsiste

Page 205: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE28

et demeurepour servir de support à tout le reste. Ce quisubsiste ainsi est toujours un, numériquementparlant;mais il n'est pastoujours un, sousle rapport de la formeet par la forme,j'entends ici la dennitionqui remplacele

sujet pour le déterminer par une qualité spéciale ainsile non-musicienmis à ia place de l'homme. Hommeetnon-musicienne sont pas des termes identiques, puisque!m subsiste tandis que l'autre ne subsiste pas. Ce quisubsiste, c'est précisément ce qui n'est pas susceptibled'opposition; c'est l'homme proprement dit, tandis que)e musicienet le non-musicienoul'homme non-musicien,ne subsistent pas de cette façon.

C'est surtout aux choses qui ne subsistent pas, qu'on:).pp)iquecette expression qu'une chose vient de tellechoseet nonqu'elle devient telleautre chose; on dit quede non-musicienvient le musicien, car c'est le non-musicienqui cessede subsister; maiscommece n'estpas!'hommequi cessede subsister parcequ'il devientmusi-cien, on ne dit pas que d'hommeil devientmusicien.Par-fois cependant on applique cette expression d'une ma-nière.vicieuseà ce qui subsiste, aux substances; et l'on(lit que la statue vient de l'airain, tandis qu'on devrait

dire, au contraire, que c'est l'airain qui devient statue.

Quant à l'attribut qui peut être l'un des deux contraires,on emploieindifféremmentl'une de ces deux expressions,et l'on (lit, ou fmede non-musicien l'être devient musi-

cien, ou que telle chose devient telle autre chose.Ainsiou dit égalementque du non-musicienvient le musicien,otï que l'hommenon-musiciendevient homme musicien.

C'est que le mot Devenir peut avoir plusieurssens,selon qu'on .)~ prend d'une manière absolue ou d'une

Page 206: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTK,LIVRE CH. VHt. 29

manière relative.Lorsqu'une chosedevient absolument

parlant, c'est qu'elle naît, et sort du non-être; mais dans

les cas où l'expressionn'est pas absolue, on ne dit passeulement qu'unechose devient; on ajoute qu'elle devienttelle autre chose,par suite du changementqu'elle subit.

Devenird'une manièreabsoluene s'applique qu'aux sub-

stances tout autre Devenir suppose préalablement un

sujet déjà existant, qui subit une modification.Ainsiles

changements qui se passent dans la quantité, la qualité,la relation, le temps, le lieu, ne se produisent que par

rapport à un certain sujet, puisque jamais la substancene sert d'attribut à quoi que ce soit, tandis que tout le

reste sert d'attribut à la substance.Toutesles substances,et en général tousles êtres qui ont l'existenced'une ma-

nière absolue, viennentd'un sujet antérieur qu'elles sup-

posent nécessairement.Toujours il y a préalablementun

être quisubsisteavantceluiqui naît et qui en sort, comme

est le germedans les plantes et dansles animaux.Toutce

qui na!t, et devientgénéralementparlant, ne peut venir

que desmanièressuivantes:transformation,commelasta-

tue qui vient de l'airain addition, commeles planteset

les êtres qui se développenten s'accroissant; réduction,commel'Hermèsqu'on tire d'unblocdemarbre; arrange-ment et combinaison,commela maisonqu'on bâtit; enfin

altération, commeles chosesqui changentdans leur ma-

tière. Maistous ces changements supposent, on le voit.

assez clairement,un sujet quelconquequi existe antérieu-

rement à eux et qui est apte à les subir.

Il résultede cesconsidérations que, quand une chose

quelconque vient à se produire, le phénomène est tou-

jours complexe; car il y a deux termes la chose même

Page 207: La Physique d Aristote

PARAPHRASEn~ LA PHYSIQU)-;30

qui se produit, et celle qui devientdetelle ou telle façon.Cettedernière chose,qui est !e sujetduchangement, peut

présenter encore des nuancesdiverses car elle est ou le

sujet mêmeou l'opposede cequidevient; et par exemple,

l'opposé c'est le non-musicienqui devient musicien,au

lieude l'homme qui serait le sujetpropre. L'opposé,c'est

ce qui est privé de la forme,ou de la figure et de l'ordre.commedans les exemptescités plus haut; le sujet, c'est

l'or, l'airain ou la pierre. Uneautre conséquenceévidentede ceci, c'est que, commetout ce qui est dans la naturea des principes primordiaux qui font que les êtres sontce qu'ils sont essentiellement,d'après les propriétés quileur font donner une dénominationspéciale, tout ce quise produit et devient se composeà la fois et du sujet et

de la forme que ce sujet vientà revêtir. Ainsil'homme

devenu musicien est composéen quelque sorte de

t'homme,qui est le sujet, et du musicien,quiest la forme

nouvellede ce sujet; car la définitionde l'hommemusi-

cien pourrait se résoudre dans lesdeux définitionsparti-culièresde l'homme et du musicienséparément. Ce sont

là lesdeux principesnécessairesde tout phénomène quise produit. Le sujet est un, numériquementparlant; niais

il est deux, sous le rapport des espèces. Aussi est-ce

l'homme et l'airain, ou d'une manièreplus générale, la

matière, que l'on compte parceque c'est ellequi est la

choseréelle, et que ce n'est pas seulementpar accident

que le phénomènevient d'elle maisla privation et l'op-

positionsont de purs accidentsdel'être. Quant à la forme,elle est absolument une, et elle ne se décompose pascomme le sujet en deux éléments: c'est, par exemple,l'ordre donné aux matériaux qui forment la maison ou

Page 208: La Physique d Aristote

D'UUSTUTË,LIVREI, CM. VU!. 31

bien la musique,qui est la qualité nouvelle de l'hommedevenu musicien.

Ainsi l'on peutdire que les principessont au nombrede deux mais on peut soutenir aussi qu'ils sont aunombrede trois,puisque le sujet se décomposeen deux.En un sens, lesprincipespeuvent être encore considéréscommedes contraires, lorsqu'on dit que le non-musiciendevient musicien,que le chauddevient froid, que l'inor-

ganisé devientorganise. En un autre sens, les principesne sont pas descontraires car il est impossiblequf lescontraires agissent l'un sur l'autre, commele font ici la

privation et la forme. Pour résoudre cette difïicnité, ilfaut remarquerque le sujet ne se confondni avec la pri-vationni avecla forme, et il n'est pas un contraire de laforme qu'il reçoit. Ainsi donc les principes de l'être,quand on n'en compteque deux, ne sont pas plus nom-breux que les contraires et numériquementils ne sont

que deux aussi; mais on ne peut pas dire qu'ils soientabsolumentdeux,attenduque leur essenceest difTéreuteet par exemple,l'essence de l'homme n'est pas identiqueà l'essence du non-musicien, bienque ce soit l'homme

qui est non-musicien l'essence du non-figurén'est pasnon plus identiqueà l'essencede l'airain, dans l'exemplede la statue.

Tel est donclenombredes principesdans lagénérationde tout phénomènenaturel et nous avons expliquécomment il faut comprendre ce nombre. Il n'est pasmoinsclair qu'il tant un sujet qui serve de support auxdeux contraires. Mais il n'est pas même besoin ici desdeuxcontraires; il suffitd'un seul pour produirele chan-

gement, selonfm'i)est présent ou qu'il est absent. Pour

Page 209: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE32·)

faire bien voir ce qu'est cette matière qui sert de supportà ]a forme, je prends des comparaisons. Ce que l'airain

est à la statue, ce que le bois est au lit, ce que sont la

matière et le non-uguré à toutes les choses qui reçoiventune figure et une forme, cette nature première qui sert

de support aux contraires, l'est a la substance, à l'objetréel et sensible, a l'être en un mot. Elle est bien un prin-

cipe mais son unité ne fait pasunêtre réel commel'est tel

objet individuel et particulier; elle est une en ce sens

seulement que sa définition est une; mais elle impliqueoutre son contraire, qui est la privation.

Je résume donc tout ce qui précède, et je dis qu'ondoit comprendre maintenant comment les principes sont

deux, et comment aussi ils sont davantage. D'abord on

avait montré que les principes ne peuvent être que des

contraires mais on a dû ajouter qu'~ ces contraires il

fallait nécessairement un sujet qui leur servît de support;et que par conséquent, il fallait bien compter trois prin-cipes, au lieu de deux. On doit voir clairement quelle estla distinction établie ici entre les contraires, et quelssont les rapports des principes entr'eux, et enfin ce quiest le sujet qui sert de support. Ce qui reste actuellement

à savoir, c'est si l'essence des choses consiste dans la

forme ou dans le sujet. On résoudra plus tard cette ques-tion mais il fallait (l'abord se fixer sur le nombre des

principes, qui sont trois, et sur la manière dont ils sont

trois; et voilà.quelle est notre théorie sur le nombre et lanature des principes.

!X.

Lesdévetopnementsqui précèdent sont une ma-

Page 210: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE,LIVRE CH. IX. 33

3

nièrede résoudre les dimcultés qui arrêtaient le&anciens

philosophes. Malgré leur amour sincère de la. vérité et

malgrédes recherches profondessur la nature des choses,ils s'égaraient dans les fausses voiesoù les poussait leur

inexpérience, et ils étaient amenés soutenir que rien ne

naît et que rien ne périt « Car, disaient-ils, tout ce qui« ua!t ou se produit doit venir de l'être ou du non-être;

or, il y a des deux parts égale impossibilité, puisque« d'une part l'être n'a pas besoin de devenir puisqu'il est

« et qu'en second lieu rien ne peut venir du non-

n être et qu'il faut toujours quelque chose qui serve de

'< support.') Puisaggravantencoreces premières erreurs,ils ajoutaient que l'être ne peut être multiple, et ils ne

reconnaissaient dans l'être que l'être seul. En d'autres

termes, ils étaient conduits à anirmer l'unité et l'immo-

bilité de l'ôtre. Déjànous avons indiqué d'où provenaitrm système aussi faux. Maisà notre avis, il n'y a réelle-

ment ici que confusion de mots. Ainsi l'on dit qu'unechosedoit venir de l'être ou du non-être, que l'être ou le

non-être fait ou sounre telle chose, quetelle chosedevienttelle autre chose quelconque. Maisil nefaut pas se lais-

ser tromper par ces expressions. Elles ne sont pas plusdifficilesa comprendre que quand on dit que le médecinfait ou souffre telle chose, ou bien que de médecin ildevient telle ou telle chose, en acquérant telle ou telleautre qualité. Cette secondeexpression, relative au méde-

cin, a deux sens; les autres expressions, a. savoir que la

chosevient de l'être ou du non-être, que l'être ou le non-

être agit on souffre, ont deux sens également. Si donc le

médecinvient a construire une maison, ce n'est certaine-ment pas en tant.que médecin mais c'est en tant qu'ar

Page 211: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

chitecte s'il devient blanc, ce n'est pas davantage entant.que médecin, c'est eu tant qu'il était noir ou de telle

antre couJeur. Maiss'il réussit ou s'il échoue en soignantune maladie, c'est alors en tant que médecin et commemédecin qu'il agit. La distinction est évidente; il suffit

de l'appliquer à l'être et au non-être. De même qu'ou dit

au sens propre que c'est le médecin qui agit ou quisouffre,quand il agit ou souffreexpressément commemé-

decin, de même quand on dit qu'une chose vient du non-

être, cela veut dire simplement qu'elle devient ce qu'ellen'était pas.

Si les premiers philosophes se sont égarés, c'est qu'ilsn'ont pas fait cette distinction si simple, entre ce qui esten soi et ce qui est accidentellement et cette premièreerreur les a conduits a cette autre erreur, non moins

forte, que rien autre chose que l'être lui-même ne se pro-duit ni n'existe, et qu'il n'y a point de génération des

choses, tout étant immobileet un. Nous aussi nous con-venonsqu'absolument parlaut rien ne vient de rien, dunon-être: mais indirectement et accidentellement, quelquechose peut très-bien venir du non-être. Le phénomènevient de la privation, qui se confond avec le non-êtrec'est-à-dire que la chose devient ce qu'elle n'était pas.J'avoue que cette proposition est, au premier coup-d'œil.faite pour étonner et on ne comprend pas bien d'abord

que, même en ce sens restreint, quelque chose puissevenir de rien. Maisil faut bien remarquer que ce n'est passeulement du non-être que l'être vientpar accident; c'estaussi de l'être. L'être vient de l'eu-e,d'une manière géné-rale et peu précise, comme l'animal pris généralementvient de l'animal, aussi bien que l'animal pris particmié-

Page 212: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTK,UVKE i, CH. !X. 35

rement pourrait aussi venir de tel animal particulier. Par

exemple si l'on disait que le chien vient du cheval, on ne

pourrait jamais vouloir dire par là que c'est d'une ma-nière directe; seulement, le chien en tant qu'animal, etnon pas spécialement chien, viendrait du cheval; car le

cheval est indirectement aussi animal mais ce n'est pasdu tout en soi que l'un viendrait de l'autre, si cette sup-position était admissible le chien est déjà animal lui-

même, et il n'a que faire de le devenir. Mais quand unêtre doit devenir animal directement et non plus parsimple accident, ce n'est pas de l'animal pris en généralqu'il sort, c'est d'un être réel, et il ne vient alors ni del'être ni du non-être car cette expression Venir du non-

être, signifie seulement que la chose devient ce qu'ellen'était pas.

Par là, nous n'ébranlons pas ce principe fondamental

que toute chose doit être ou n'être pas; l'être et le non-

être, limités comme nous le faisons, smïisent à résoudreladifuculté à laquelle se sont heurtés les anciens philo-sophes. Une autre manièrede la résoudre encore ce seraitde distinguer entre la puissance et l'acte, la simple possi-bilité et la réalité positive. Mais nous avons traité à fondcette théorie dans d'autres ouvrages, et nous croyons ne

pas devoiry revenir ici. Doncen résumé, nousavonsexpli-qué, ainsi que nous l'avions promis, comment les anciens

philosophesavaient été conduits à méconnaître que)ques-uns des principes que nous adoptons, et comment ilss'étaient tous écartés de la route où ils auraient comprisla génération et la destruction des choses, c'est-à-dire le

changement. Cette nature première du sujet, servant de

Page 213: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE36

support à tout le reste, aurait suiïi à dissiper leur igno-rance, s'ils l'eussent reconnueainsi que nous.

X.

Il y a bien quelques philosophesqui ont touché à cette

théorie de la nature première de l'être; mais ils ne l'ont

pas approfondie suHisammcnt. 'Voicien quoi ils différentde nous; c'est que reconnaissant quequelque chose peutvenir du non-être, ce qui donne toute raison à Parmé-

nide, ils affirment que cette nature première de l'êtreétant une numériquement et en réalité, elle est une aussien puissance. Or, c'est la une opinion qui nous sépareabsolument d'eux. Pour nous, il nous paraît que la ma-tière et la privation, loin de se confondre comme ils le

veulent, sont des choses fort distinctes cntr'elies. La ma-

tière est le non-ôtre indirectement; mais la privation estle non-être en soi la matière, fort voisine de la sub-

stance, est à certains égards la substance même, tandis

que la privation ne peut jamais l'être. D'autres philo-sophes ontpris pour le non-êtreun desdeux contraires, le

grand ou le petit, par exemple, indifféremment, soit enles réunissant tous les deux dans l'idée supérieure qui les

contient, soit en les considérant chacun à part. Maisonvoit que cette manière de comprendre la triade ou iHstrois éléments de l'être, est tout à fait difTérentedela ma-

nière que nous venons d'indiquer. Ces philosophes, en

elï'et, ont bien admis, ainsi que nons, qu'il fallait dans

l'être une nature qui servît de support aux contraires;mais ils ont supposé bien tort que cette nature était

Page 214: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE, LIVRE 1, CH. X. 37

une et si quelque philosophe se borne a reconnaître la

dyade composéedu grand et du petit, il ne se trompe pasmoins que ceux dont nous venons de parler, puisqu'iloublie toujours dans l'être cette partie qui est la privation.

On conçoit du reste aisément cet oubli. La partie del'être qui subsiste concourt, comme une mère en quelquesorte, à produire avec la forme tous les phénomènes quiadviennent. Mais quant à l'autre partie qui constitue

l'opposition des contraires, c'est-à-dire l'opposition de la

matière et de la forme, on peutbien croirequ'e)!en'existe

pas, si l'on se borne a !a.regarder par son côté destructif,

puisque la privation tend a détruire les choses. En f~ct,commeil y a dans les chosesun élément divin, excellentet desa'ab!e, nous reconnaissons volontiers qu'entre nosdeux principes, la matière et ]a privation, !e dernier est,on peut dire, contraire a cet dément divin, tandis que le

premier est fait par sa propre nature pour le rechercheret le désirer. Maisdans les théoriesque nous combattons,on est amené supposer que !e contraire désire sa propredestruction. Cependant, il est également impossible et

que la forme se désire eHc-meme,puisqu'une n'a aucune

défectuositéni rien qui lui manque, et que le contraire la

désire, puisque les contraires sedetruisentmutucHcment.

Or, c'est !à précisément le rôle de la matière; pt l'on

pourrait dire métaphoriquement que c'est comme la fe-mcHequi tend a devenir mâle, ou )e laid qui tend de-

venir beau. Maisla matière n'est pas le laid en soi elle

ne l'est qu'indirectement; et elle n'est pas davantage ]a

femetteen soi cHc ne l'est que par accident, et a. cause

de la privation qu'cHe subit. Aun certain point de vue,)a matière nait et périt; et a un antre point de vue, on

Page 215: La Physique d Aristote

PAi~PHMSE DE LA PHYSIQUE38

peut soutenir égatement qu'elle ne naît point et qu'eue

ne périt point. (~e qui périt,en elle, c'est la privation

mais en puissance, elle-même ne naît ni ne périt.. Loin

de là, il faut nécessairement la concevoir comme impé-

rissable, et comme n'étant point engendrée, c'est-à-dire

commene devenant pas. Elle est, et elle subsiste ce qu'elle

est. En en'et si elle naissait et se produisait comme se

produisent dit non-être à Ff'tro ies phénomènesqu'elle

subit tour à tour, il faudrait qu'il y eût antérieurement à

elle quetquc principe primordial d'où elle pût sortir, un

sujet d'où elle pût naître or, c'est la précisément sa na-

ture propre de servir de sujet et de support et a ce

compte, la matière existerait avant môtnc de naître,

puisque c'est elle qui est le sujet primitif où s'appuie

tout le reste, et d'où vient originairement et directement

la chose qui en sort. Mais la matière ne peut pas plus

périr qu'c))e ne peut naître car étant le terme extrême,

commeelle est le terme premier, il faudrait qu'eDe ren-

trât en elle-même, et il s'ensuivrait qu'elle aurait péri

avant même de périr. Maisce sont là des impossibilités

auxquelles il ne convientpas de s'arrêter davantage.

Quant an principe de la forme que je devrais traiter

après ce)ui de la matière, ce n'est pas à la Physique,

mais a la Philosophie première de déterminer avec pré-

cision si ce principe est unique, on s'i! est multiple, et

d'en étudier la nature spéciale dans i'nn on l'autre cas.

Je renvoie donc a la Philosophie première cette théorie

importante et je ne veux parler ici que des formes na-

turcites périssables. Ce sera l'objet des démonstrations

qui vont suivre; car je me suis borné jusqu'ici à étabiir

seutement qu'i) y a des principes, et faire voir quenc

Page 216: La Physique d Aristote

D'AMSTOTË,L!VREH, C.H.1. M

en est la. nature et le nombre. Il me faut.nctudtcment

aborder une antre etnde non moins grave.

L!V)Π!).

HK LA NATHHH.

1.

Les êtres que nous voyonspeuvent être tous partagesen deux grandes classes: ou ijssont le produit direct (le

la nature, ou ils viennent de causes qui ne sont plus elle.

Ainsi c'est la nature qui produit les animaux et les parties(liverses dont leurs corps sont composes; c'est elle en-

core qui produit les plantes, et les éléments simples tels

que la terre, le feu, l'air et l'eau car nous disons de

toutes ceschoses et de toutes celles qui teurressemb)ent,

qu'elles existent par le fait seul de la nature. Tous cesêtres que nous venons d'indiquer, présentent une grandediirerence par rapport à ceux qui ne sont plus eounne

eux des produits de la, na.ture. Tous les êtres naturels

portent en eux-mêmesle principe de leur mouvement ou

de ieur repos, soit que les uns soient doués d'un mou-

vement de locomotiondans l'espace, soit que les autres

aient un mouvement interne de développement et de des-

truction, soit que d'autres enfin aient un simple mou-

vement d'altération et. de modification dans les qua)it<~

qu'ils possèdent. n'en est plusde même pour tes f-u'es

Page 217: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE/i 0

qui ne sont pas nature)s et qu'on peut appeler les pro-duits de l'art un lit par exemple, un vêtement on tel

objet analogue n'ont en eux-mêmes, en tant qu'on les

rapporte à chacune des classes du mouvement et en tant

que Fart les produit, aucune tendance spéciale à changerd'état. Ils n'ont cette tendance que d'une manière indi-

recte et purement accidentelle, en tant qu'ils sont com-

posés de pierre, de terre ou d'autres éléments analogues.JI faut donc considérer la nature commeun principe et

une cause de mouvement on d'inertie, pour l'être dans

lequel ce principe est en soi et primitivement, et non pas

uniquement d'une manière accidentetle et détournée. J'ai

déjà expliqué ce que j'entends quand je dis qu'une chose

est telle chose par accident mais je reviens à cette ex-

plication, et je cite un exemple. Si quelqu'un qui est mé-

decin se soigne lui-même et se rend la santé, je dis quec'est indirectement et par accident que le médecin est

guéri; car ce n'est pas en tant que médecinà proprement

parler, c'est en tant que malade et c'est par accident

que le médecin est guéri, et seulement parce qu'il s'esttrouvé la fois que la mêmepersonne fût malade et mé-

decin mais ces deux qualités auraient pu fort bien être

séparées l'une de l'autre au lieu d'être réunies. Onpeuten dire autant pour tous les êtres qui sont le produit de

fart. Hn'en est pas nn seul qui ait en lui-même le prin-

cipe qui le fait être ce qu'il est mais tantôt ce principelui est extérieur, et il est dans d'autres êtres, comme

pour la maison par exempte, et pour tout ce que fabriquela main industrieuse de l'homme tantôt le principe du

mouvementse trouve bien ces êtres mais il n'y est

pas par leur propre essence et ce sont ceux qui ne dc-

Page 218: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTË,L!VRM CH. I. At

viennent qu'indirectement causes de leur propre mou-

vement.

Voiia ce que j'entends par nature. On dit des 6tres

qu'ils sont naturels, et qu'iis sont de nature, quand ils

ont en eux-mêmesle principe qu'on vient de dire. Ceux-

là sont ce que je nomme des substances; car la nature

est toujours un sujet, et elle est toujours dans un sujet.Tous ces êtres existent d'après les loisde la nature, avec

toutes leurs propriétés essentielles, comme existe, par

exemple, la qualité inhérente au feu, de toujours s'élever

en haut. Cette qualité n'est pas précisément la nature du

feu, et ellen'a pas de nature a elle mais elle est dans la

nature, etselon ]a nature du feu. Voilàdonc ce qu'on doit

entendre par la nature d'une chose, et ce que signifieêtre par nature et selon la nature.

Nous n'essaierons pas de prouver l'existence de lit

nature ceserait ridicule car il saute aux yeux de tout

Je monde qu'il y a une foule d'êtres du genre de ceux

que nous venons d'indiquer; et prétendre démontrer des

choses d'une complète évidencepar des choses obscures,

ce serait le fait d'un esprit incapable de discerner ce quiest ou ce qui n'est pas notoireen soi. C'est là d'aiHeurs

une erreur trcs-concevable, et dont il n'est même pas très

ma)aisé de se rendre compte. Si un aveuglede naissance

se met a parler de conteurs, il pourra bien prononcer des

mots; mais nécessairement il n'aura pas la moindre idée

des choses que ces mots représente))t. De même, il y a

des gens qui s'imaginent que la nature et l'essence de

toutes les choses que nous voyons, consiste dans cet

élément primitif qui est dans chacuned'elles, sans y avoir

aucune forme pn'-cisc. c'est-à-dire )a matière. Ainsi

Page 219: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~2

pour ces gens-là, la nature d'un lit, c'est le hois dont il

est fait; la nature de la statue, c'est l'airain dont elle

est composée. Antiphon donnait de ceci~inepreuve assez

plaisante et il disait que, si l'on enfouissait un lit eu

terre, et que la putréfaction eût encore assez de force

pour en faire sortir un rejeton, ce ne serait pas un lit quiserait produit, mais du bois. A l'entendre, c'est qu'il y a

dans le litdeux parties distinctes l'une, qui est purement

accidentelle, et qui est une certaine disposition matérielle

conformeaux règles de la menuiserie l'autre, qui est la

substance vraie du lit, laquelle demeure sous les change-ments et modificationsqu'elle peut subir. Antiphon tirait

(le 1~une conclusiongénérale; et remarquant que toutes

les choses que nous voyons soutiennent le même rapporta l'égard d'autres choses, l'or et l'airain, par exemple,

l'égard de l'eau, ou bien les os et les bois a l'égard de la

terre, etc., etc., il affirmait sans hésiter que c'est bien là

ce qu'il faut entendre par la nature et la substance des

choses.

C'est en suivant des idées analogues que certains phi-

losophes ont cru que la nature des choses, c'est la terre,le feu, l'air ou la réunion de plusieurs de ces éléments,ou de tous ensemble. L'élément unique ou les éléments

multiples dont chacun de ces philosophes admettait la

réalité et l'intervention, devenaient entre ses mains la

substance unique ou multiple de l'être lui-mûme, et tout

le reste n'était plus qu'affections, qualités, dispositionsde cette substance. On ajoutait que cette substance est

éternelle, attendu qu'elle n'a pas en eUe-meme de cause

spontanée de changement, tandis que tout le reste naît et

périt des inlinités de fois.

Page 220: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIl, CH. M

Ainsi, en un sens, on peut appeler nature cette ma-

tière première, placée au fond de chacun des êtres qui

portent en eux le principe du mouvement et du change-ment. Maisà. un autre point de vue, on peut trouver

aussi que la nature des êtres, c'est leur forme qui déter-

mine l'espèce impliquée dans leur définition car de

même qu'on appelle art ce qui est conformeaux règleset est un produit de l'art, de mêmo on doit appelernature ce qui est selon les lois et est un produit de la

nature. Alais de même qu'on ne dit pas d'une chose

qu'elle est conformeaux règles de l'art ni qu'il y ait de

l'art et) elle, tant qu'elle n'est encore qu'en puissance,

par exemple, un lit qui n'aurait pas encore reçu la forme

qui en fait un lit spécifiquement, de même on ne peut

pas dire davantage des êtres naturels qu'ils ont leur

nature, tant qu'ils ne sont qu'en puissance. Lachair et les

os, par exemple, n'ont pas leur nature propre tant qu'ilsn'ont pas revêtu cette forme et cette espèce qui est

impliquée dans leur définition essentielle, et qui sert à

préciser ce qu'est pour nous l'os ou la chair tant qu'ilsne sont qu'~ l'état de simple possibilité, ils ne sont pasencoredans la nature. Donc, même pour les êtres qui ont

en eux le principe du mouvement, pour les êtres naturels,leur nature ne serait pas la matière commeon vient de

l'indiquer; maisceserait leurforme spécifiquement' forme

qui est inséparable d'eux, ou qui du moins ne pont en

être s6par6e que rationnellement et pour lebesoin de la

définition qu'on vent en donner.

Le composeque forment ces éléments de la matière et

de la forme uc peut pas s'appeler la nature de l'êtn'

seulement ce composé est nature), il est dans la nature.

Page 221: La Physique d Aristote

PAHAPHHASKDE LA PHYSIQUE4

L'homme, par exemple,n'est pas la nature de l'hommemais c'est un être de nature, un être que la nature a

formé. !I est vrai que la nature comprise sous le rapportde la forme est plus nature que la matière car les êtres

reçoivent leur dénomination bien plutôt quand ils sont

en acte complet, en entelechie, que quand ils sont en

simple puissance, comme l'est toujours la matière. Mais

il y a ici une grande différence: un homme vient d'un

homme, tandis qu'un lit ne vient pas d'un lit; et voilà

comment Antiphon et ses pareits soutenaient, comme on

vient de le voir, que la nature du lit n'est pas la ngurc

que l'art lui donne,maisle boisdont il est forme, puisquele bois du lit mis en terre, s'il venait y germer encore,

produirait du bois et non pas un lit. Maissi ]a conugu-ratiou du lit est de l'art comme l'avoue Antiphon, nous

pouvons en conclure que la forme des êtres constitue leur

nature, puisque de l'homme vient un homme etnon pointun être que l'art puisse former.

Parfois on confond la nature avec la génération des

choses mais loin que la génération soit la nature, elle

tend à y arriver; e]ie est un acheminement vers la nature.

Quand un médecin ordonne une certaine médication,

loin qu'cHe soit un acheminement a la médecine, elle en

part au contraire pour arriver à la guerison, à la santé,

que le médecin a pour but de procurer. Maisce n'est pasià le rapport de la nature à la génération, qu'on prendsouvent pour elle. L'être que produit !a nature va de

quelque chose a quelque chose, d'un certain état un

état différent. Il se développe n!).tureHeunentpour arriver

a un certain hnt. A quf! but tcnd-i) par ce mouvement

nature!? Cen'est pas sans doute a l'état d'où il sort; c'est

Page 222: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOT! LIVRE Il, CH. 11.

à l'état qu'i) (toitatteindre et posséder. Donc encore une

fois, la nature c'est la forme. Je rappelle d'ailleurs qn'onpeut donner deux acceptions diverses à ces expressionsde forme et de nature, puisque la privation peut êtreaussi regardée comme une sorte de forme spécinque.Resteà savoir si la privation est ou n'est pas un contraire,en ce qui concerne la génération absolue des choses;maisce sera là i'ohjct d'une autre étude qui viendra plustard.

n.

Apres avoir ainsi indiqué les diiFérentssens qu'on peutdonner au motdenature, il est bonde dire, en passant, en

quoi l'étude des Mathématiquesse distingue de l'étude dela Physique car les corps de la nature ont des surfaces,des dimensions solides, des lignes et des points quiforment l'objet propre des recherches mathématiques.Peut-être faudrait-it encore voir, en étendant le cercle, sil'Astronomieest distincte de la Physique, ou si elle n'enest qu'une branche et une dépendance; car, si c'est au

Physicien de savoir ce que sont le soleil ou la lune dansJenressence, on pourrait trouver étrange que le Physi-cienn'eût point aussi à connaître les phénomènes secon-daires que ces grands corps présentent, surtout quand on

peut remarquer que ceux qui s'occupent de l'étude de lanature traitent aussi de la figure du soleil et de la lune,et s'enquièrent, par exempte, si la terre et Je inonde sont

snhériques ou ne le sont pas. Le mathématicien, quand ilétudie les surfaces, les lignes et les points, ne les consi-dèrepas du tout par rapport aux corps réeis et nature)s,

Page 223: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDK LA PHYSIQUE/t6

dont ce sont là les limites il ne considèrepas davantageleurs propriétés, en tant qu'elles peuventappartenir à des

êtres réelset sensibles. Maisil abstrait ces notions, que la

raison peut en effet très-bien isoler du mouvementauquelles surfaces, les lignes et les points sont mêlés dans la

réalité et cette abstraction, n'amenant aucune altération

dans ces notions, n'est pas faite pour produire une

erreur.

Maisle système des Idées est bien moinsacceptable, et

ceux qui le soutiennent font comme les Mathématicienssans d'ailleurs s'en apercevoir, ils tirent leurs abstrac-

tions des choses naturelles, où elles sont beaucoup moins

de mise que dans les mathématiques. On peut très-aisé-

ment s'eu convaincre en regardant aux définitionsmathé-

matiques de ces choses, et en les comparât)t aux idées

qu'on en tire. Ainsi, en mathématique, le pair et l'impair,le droitet le courbe, ou bien encore le nombre, la ligne,la figurepeuvent fort bien se concevoir et exister sans le

mouvement.Mais dans la nature, on ne peut comprendrela chair,les os, l'homme, sans le mouvementqui les pro-duit. Toutes ces choses-là impliquent nécessairement

dans leur définition l'idée de mouvement, comme le

Camard implique nécessah'etnefttl'idée matérielle du nez,tandis que le courbe est une abstraction qui n'implique

point l'idéed'une réalité. Les abstractions mathématiques

peuvent doncbien pins aisément se justifier. Il en est de

même encoredes abstractions dont font usage les partiesdes mathématiques qui sont les plus rapprochées de la

Physique, je veux dire l'Optique, l'Harmonie et l'Astro-

nomie, qui, à certains égards, ont une méthode inverse

de la Céonéu'ie. Ainsi )a (.éoméu'ie étudie ta )igne, qui

Page 224: La Physique d Aristote

D'.MUSTOTE, L1VRK il, CH. tt. /t7î

est bien physique mais elle ne l'étudie pas sous ce rap-

port, et elle la considère abstraitement, tandis que l'Op-

tique considère cette ligne mathématique, non pas en

tant que mathématique, niais en tant qu'elle joue un rôle

dans certains phénomènesnaturels de la vision.

Quant au physicien, il ne considère pas les choses

d'.une manière abstraite, comme on le fait en mathéma-

tiques il les considèredans leur réalité naturelle; et le

mot de Nature ayant les deux acceptions que nous avons

dites, la forme et la matière, il faut étudier les choses de

la nature, comme on le ferait si l'on voulait se rendre

compte de cette qualité abstraite de Camus,laquelle sup-

pose toujours la réalité matérielle d'un nez, puisqu'ellene s'applique exclusivement qu'au nez. Les choses de ce

genre ne peuvent exister sans matière, et pourtant elles

ne sont pas purement matérielles. Mais si l'on reconnaîtt

deux natures, on peut se demander de laquelle des deux

le physicien doit s'occuper; et si ce n'est pas leur résul-

tat commun qu'il doit uniquement étudier. Or pour

comprendre ce résultat, ne faut-il pas qu'il étudie aussi

les deux éléments qui le composent? Et par suite ne peut-on pas demander si la connaissance de ces deux natures

est le fait, d'une seule et même science, ou de sciences

distinctes? Ane regarder que les anciens philosophes, on

pourrait croire que la Physique doit se borner à l'étude

de la matière car Démocrite, Empédocle et les autres

ont à peine emeuré la question de la forme et de l'es-

sence. Mais si l'art, qui n'est qu'une imitation de la

nature, s'occupe tout ensemble de la forme et de la

matière, on peut dire qu'il appartient à une seule et

même science d'étudier tout a la fois jusque un certain

Page 225: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

point la matière et la formedes choses naturelles. Par

exemple, si le médecin qui doit étudier la santé, étudie

de plus le flegme et la bile dans lesquels la santé consiste;

et si de même, l'architecte s'occupe tout à la fois et de la

matière et de la forme de la maison, de ses muraitles et

de ses bois, tous les autres arts faisant comme la méde-

cine et l'architecture, on ne voit pas pourquoi il en serait

autrement de la Physique et elle doit étudier à la fois

les deux natures, la matière et la forme, Ajoutezque c'est

a une seule et même scienced'étudier la fin et le pour-

quoi des choses, ainsi que tous les phénomènes qui yconcourent. Or, la nature est la fin et le pourquoi des

choses; car 1~où le mouvementn'étant point interrompu,il y a une fin à ce mouvement, cette fin est le terme der-

nier et le pourquoi de la chose qui a ce mouvement

continu. Aussi l'exclamation du poète ne laisse-t-ellepas

que d'être assez ridicule à propos de la mort d'un de ses

personnages

C'estla fin pour laquelleil a.it 6té fait. x

Commes'il suffisait qu'un tarmefûtie dernier pour quece fût la fin véritable à laquelle l'être tendait; et comme

si la fin ne devait pas toujours être le bien et le bien tout

seul de l'être qui tend à cette fin 1

Pour bien se convaincre que la Physique doit tout en-

semble étudier la matière et la forme, il n'y a qu'à

regarder encore les procédés des arts. Tous les arts con-

fectionnent de la matière; mais les uns ne font que pré-

parer des matériaux, et les autres les emploient du mieux

qu'ils peuvent à notre usage. Aussi nous nous servons

Page 226: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,UVRE H, CH. it. /,9

A

des choses comme si elles n'existaient qu'en vue .de nous;car nous pouvons bien nous regarder comme une sortede fin, et comme le pourquoi de toutes les choses quel'art fabrique pour notre utilité. D'ailleurs, le pourquoipeut s'entendre de deux façons, ainsi que nous l'avons

expliqué dans nos livres intitulés De ~7o.s-o/V<<?.Mais je continue, et je dis qu'il y a deux espèces d'arts

qui commandent à la matière et qui enjugent l'un, em-

ployant les choses, et l'autre, dirigeant l'industrie qui les

façonne, comme un habile architecte dirige ses ouvriers.Ce n'est pas que celui qui emploie les choses et lesjugeselouqu'elles lui servent, ne joueaussi le rôled'architecte

dirigeant, puisqu'il demande les choses telles qu'il les lui

faut mais il y a ici cette dinerence entre les deux arts,que l'un, celui qui juge l'usage, ne s'occupe que de la

forme, tandis que l'autre, celui qui façonneles choses, ne

occupe guère que de la matière. J'éclaircis ma penséepar un exemple le pilote qui emploie le gouvernait surle navire, sait quelle en doit être la forme et il la com-

mande mais le constructeur sait de quel bois le gou-vernail doit être fait, et quels sont les services et les ma-nœuvres qu'on en attend. Du reste une différence encore

plus grande entre l'art et la nature, c'est que dans les

produits de l'art, c'est nous qui façonnons la matière envue de l'usage à laquelle nous la destinons mais dansles chosesde la nature, la matière est toute faite.

Enfin, ce qui prouve bien que la Physique doit toutensemble étudier la forme et la matière, c'est que ce sontla des relatifs, puisque la matière varie avec la forme, et

'm'a une forme différente correspond aussi une autre ma-

tière; et une science ne peutconnaitre un des relatifs

Page 227: La Physique d Aristote

PARAPHHASt':DE LA PHYSIQUE50

sans connaître aussi l'acre. Mais jusque quoi point JePhys.cicn doit-il étudier la forme et l'essence des choses?Ne doit-il les étudier qu-~ un point de vue restreintcon~e le médecinétudie la nature des nerfs en vue dela -santé,et le fondeur, la nature de l'airain en vue de lastatue qu'il doit fondre ?Doit-it aussi étudier les chosesqui, bien que séparâmes au point de vue de la forme, n'ensont pas moins toujours mêlées à la nature, par exemplelame humaine? Puisque, comme ou dit, c'est l'hommeet le soleil qui engendrent l'homme. Mais je ne poussepas ces questions p),,s loin car elles appartiennent a laPhilosophie première, qui doit seule rechercher ce quec'est que le separaMe, RtqueHe en est l'essence.

III.

Après les explications qui précèdent, il convient d'étu-dier les causes auxquels on peut rapporter tous lesph6nom6nes naturel et d'en bien déterminer le nombreet les espaces. Ce traité a pour but en eu-et de confirela nature; et commeon ne croit connaître une chose quequand on en sait le pourquoi et la cause première, il estclair que la Physique doit faire aussi cette étude indis-pensable, en ce qui regarde la génération et ]a destructiondes choses, c'est-à-dire tous les changements qui ont lieudans la nature. Une fois que nous connaîtrons les prin-cipes de ces phénomènes, nous pourrons rattacher à cesprincipes tous les problèmes que nous agitons.

Le mot de cause a plusieurs acceptions qu'il faut si-gnaler. D'abord en un sens on appelle cause ce qui com-pose une chose, et ce dont elle provient. Ainsi l'on peut

Page 228: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTH,LIVREH, CM. Ht. a)~I.

dire en ce sens que l'airain est cause de la statue, que

l'argent est cause de la burette et l'o!) appliquerait cette

locutionà toutes les choses du mOne genre. C'est In. la

cause matérielle. En un second sens, la cause est la forme

et le modèle des choses c'est la notion qui détermine

l'essenceet de la chose et de tous les genres supérieurs

desquelselle dépend. Ainsi en musique, la cause de l'oc-

tave c'est le rapport de un à deux et d'une manière plusgénérale, c'est le nombre et avec le nombre, ce sont les

élémentsessentiels qui entrent dans sa définition. C'est

ta la cause essentielle. A ces deux premières acceptionsdo mot de cause, on peut en ajouter une troisième. La

cause est encore le principe premier d'où vient le mou-

vementou le repos. Ainsi celui qui dans un certain cas,a donnéle conseil d'agir est en ce sens la cause (les actes

qui ont été accomplis le père est la cause de l'enfantet d'une manière géuérate, ce qui fait est cause de ce quia été fait; ce qui produit le changement est cause du

changement produit. C'est ta la cause motrice. Enfin, et

en quatrième lieu, la cause signifie la fin et le but des

choses; et c'en est alors le pourquoi. Ainsi la santé est

la cause de la promenade, puisqu'on se promène pourconserversa santé; car si l'on demande Pourquoi un tel

se promènc-t-il ? on répondra (Test afin de se bien

porter; et en faisant cette réponse, nous croyons indi-

quer la cause qui fait qu'un tel se promène. Cette accep-tion s'étend du moteur initial à tous les intermédiaires

qui contribuent à atteindre la fin poursuivie, après que)< moteur premier a eu commencé Je mouvement. Pat-

exemple,la diète et la purgation peuvent être regardéescommedes causes intermédiaires d(; la santé, ainsi que

Page 229: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PUYStQUE52

le sont les instruments et les opérations du chirurgien

car tons ces intermédiaires concourent chacun dans leur

genre à la (in qu'on se propose; et la sente différence

c'est que les uns agissent directement pour causer la

santé, et que les autres sont (lesimples moyens pour y

arriver d'une manière détournée.

Telles sont à peu près toutes les acceptionsdu mot de

cause. Par suite de ces diversités de sens, une même

chose peut avoir plusieurs causes a la fois, sans que ce

soit du tout d'une manière indirecteet accidentelle. Ainsi,

pour la statue, on peut lui assigner pour causes directes

et non point accidentelles et l'art du statuaire qui l'a

faite et l'airain dont elle est formée. Ces deux causes

sont égalementréelles; seulement, ellesdînèrent en ceque

l'une est la cause matérielle, et en ce que l'autre est la

cause motrice, celle d'où est partie l'initiative du mouve-

ment. C'est encore en ce sens qu'it y a des choses qui

sont réciproquement causes les unes des autres. Ainsi

l'exercice est cause de la santé, et à son tour la santé est

cause de l'exercice seulement, dans le premier cas, la

santé est la cause finale, tandis que dans le second la

santé est la cause motrice. Voila comment il se fait

qu'une seule et même chose peut être cause des con-

traires car, le même objet qui est cause de tel effet

quand il est présent, peut être cause de tel enet con-

traire quand il est abscntetqu'il n'agit ptus. Pat-exemple,

l'absence du pilote peut être considérée comme la cause

de la perte du navire, parce que la présence de ce même

pilote est la garantie du salut.

Toutes les causfs peuvent donc être ramenées aux

quatre espèces que nous venons d'indiquer, et qui sont

Page 230: La Physique d Aristote

D'ISTOTK, L1VUEH, CH. H!. &3

les plus évidentes de toutes. La.causematérielle.est peut-

être la plus fréquente; et c'est ainsi que dans l'alphabet

les lettres sont causes des syllabes que la matière est

cause des objets que l'art fabrique; que le feu et les

autres déments sont causes des corps qui en sont com-

posés; que les parties sont causes du tout, et q~e lespro-

positions sont causes de la conclusion qu'on en tire.

Toutes ces causes sont causes en tant que la choseen

vient et en est formée. Ainsi les quatre causes sont ou

le sujet et la matière de la chose, commeles parties rela-

tivement au tout: ou l'essence de la chose, comme le tout

relativement aux parties, la combinaison qui les réunit,

la forme qu'elles reçoivent ou l'origine de la chose, le

principe du changement en elle, soit mouvement, soit

repos, comme le germe d'oH sort la plante, le médecin

qui ordonne une potionsalutaire, le conseilter qui poussea agir; ou enfin, et en quatrième lieu, le pourquoi et la

fin des choses, en d'autres termes le bien de tout le reste;car le pourquoi a droit d'être regardé comme ce qu'il y a

de )neiHcur dans les choses, et commela fin de tont ce

qui s'y rapporte et s'y subordonne. Quand je dis que le

bien est la nn de tout, il importe peu que ce soit ell'ecti-

vement le bien on ce que nous prenonspour le bien, d'a-

près l'apparence qui nous frappe. TeHes sont les causes

diverses, et telle est le nombre de leurs espèces.A ces quatre causes, il faut joindre les nuances qu'elles

peuvent présenter, mais qui ne sont pas aussi nombreuses

qu'on pourrait le croire, parce qu'on peut les réduire en

les résumant. Outre les acceptions diverses que nous

venonsde noter, il se peut aussi que même entre des

causes d'espèce pm'ci))cil y :titdcs différences de nmg,

Page 231: La Physique d Aristote

PAKAPHHASHMLA PHYSIQUE54

et que l'une soit antérieure ou postérieure tv l'autre.

Ainsi le médecin et l'houune de l'art sont subordonnés

entr'eux; ils causent tous deux la santé; mais le médecin

en est la cause immédiate, tandis que l'homme de l'art,

genre auquel appartient le médecin, en est une cause

plus éloignée. De même; dans l'harmonie, c'est le double

et le nombre qui sont causes de l'octave mais le double

en est la cause prochaine, tandis que le nombre, genre

auquel appartient le double, est la ca<tsepostérieure ou

antérieure. C'est, comme on le voit, le rapport généraldes contenants à tous les objets particuliers qu'ils em-

brassent. A cette différence d'antériorité et de postério-rité en succède une autre, selon que les causes sont

directes on indirectes et accidentelles. Ainsi, c'est autre-

ment que Polyclète est cause de la statue, et que le

statuaire en est aussi ta cause. Potyctétc est un accident

du statuaire qui pouvait avoir un font antre nom, etPoly-ctéte n'est que la cause accidentelle, tandis que le sta-

tuaire est la cause directe, la cause en soi. Sons ce

rapport.,otj peut encore remonter plus haut et appelercauses aussi les genres supérieurs où l'accident est im-

pliqué et c'est ainsi qu'on pourrait dire que l'homme est

cause de la statue, puisque Polyclète et. le statuaire sont

hommes. On pourrait même,si l'on voûtait, aller plushaut que i'homme, et dire que la cause de la statue c'est

l'être vivant, genre auquel appartiennent l'homme le

statuaire et Polycletc. C'est qu'i) y a en cn'et des acci-

dents qui sont pins éloignés ou ptusrapprochés les uns

que tes autres, et l'on pourrait, par exempte, dire encore

ici que c'est l'hommeblanc ou le disciple des Muses quiest la cause (le la statue. Maisceserait aller chercher bien

Page 232: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE,L!VIΠIl, CH. 55

loin des accidents qui, sans être faux, paraîtraient cepen-dant assezétranges, tl faut donc se borner a.dire que la

cause la plus prochaine de la statue, c'est le statuaire quila fait.

Après ces acceptions diverses du mot de cause, et ces

nuances de causes propres et de causes indirectes, il fautfaire une distinction nouvelle entre lescauses qui, simple-ment, peuvent agir et celles qui agissent efiectivement.S'il est question, par exemple, d'une maison, la cause de la

construction, c'est oule maçon qui pourrait la construire,ou le maçonqui la construit réellement.

Ces distinctions que nous venons d'enumerer peuvents'étendre des causes à leurs encts; et, par exemple, elles

peuvent s'appliquer directement à cette statue qu'on asous les yeux et que l'artiste vient défaire; puis, plusgénéralement à la statue et plus généralement encore, a

l'image, qui est le genre de la statue ou, pour prendreun autre exemple assez voisin, l'airain qu'on a sous les

regards, l'airain eu gênerai, et d'une manière encore

plus générale, la matière qui est le genre de l'airain.MGmeremarque pour les attributs et les accidents décès

effets; l'airaiu peut être jaune, vert, bleuâtre, etc. Enfin,on peut reunir plusieurs de ces causes et de ces nuances,et dire, par exemple, le statuaire Poiyclète,au lieu de dire

séparément Polyclète et le statuaire. Ces nuances sontdonc au nombre de six, antérieures et postérieures,directes et indirectes, possibles et réelles; et elles sont

susceptibles de deux sens chacune, selonqu'on prend lacause même ou son genre selon qu'on prend l'acci-(lent ou le genre de l'accident, selon enfinqu'on les prendcun)bi))e~sou isoléesdans les mots qui les expriment.

Page 233: La Physique d Aristote

PARAPHHASEDE LA PHYSIQUE56

Une distinction générale pour toutes les causes, c'estcelle de l'acte et de la puissance car, chacunedes quatrecauses peut être ou actuejle, c'est-à-dire agissant actuel-

lement, ou simplement en état d'agir sansagir réellement.La seule différence, c'est que les causes actuelles, prodni-sant un effetparticnher et réel, sont ou ne sont pas avecles effetsqu'elles produisent, existant ou disparaissant en

même tempsqu'eux par exemple, si le médecin guérit,il faut qu'i! existe en même temps que le malade objetde ses soins si ]e constructeur construit, il faut qu'ilexiste en même temps que la maison, resutlat de son

travail. Mais les causes en puissance ne sont pas dans le

même cas; elles ne sont pas nécessairement contem-

poraines de leurs effets. Le maçoncapable de construire

la maison peut ne pas la construire et la maison peutdurer encore après le maçon qui l'a construite. L'un et

l'autre ne périssent pas à la fois.

Du reste, dans la recherche des causes comme dans

toute autre recherche, il faut toujours remonter aussi

hautqufipossibte. Ainsi, pour savoir qui est la cause de

la maison construite, il faut remonter jusqu'à rhommc,

genre de l'architecte qui l'a bâtie, en se conformant aux

règles de l'art. Cet art est donc la cause antérieure et

supérieure de ia maison et ainsi du reste. Les genresd'ailleurs sont causes des genres, comme les individus

sont causes individuenes. Ainsi, generiquement, c'est le

statuaire qui est cause de la statue; maisc'est tel indi-

vidu statuaire qui est cause de telle statue particuHere,de mêmeaussi que les causes en puissance ne produisent

que des effets en puissance, et les causes en acte pro-duisent deseuets actncis.

Page 234: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE, HVRE H, CH. !V. 57

Nous terminons ici ce que nous avions &dire sur le

nombre des causes et sur leurs nuances.

IV.

il nous semble que nous avons épuisé !e nombre des

causes; mais, parfois, on compte parmi les causes le

hasard, la spontanéité; et l'on dit de bien des choses

qu'elles sont produites d'une manière spontanée et for-

tuite, qu'elles sont causées par le hasard. Nous allonsexaminer s'il est possible de comprendre, parmi lescauses que nous avons enumérées, le hasard et la spon-tanéité, et surtout ce que c'est que la spontanéité et le

hasard, et si ce sont des choses identiques ou diiférentes.D'abord il faut remarquer qu'il y a des philosophesqui

nient le hasard, et qui soutiennent que le hasard ne pro-duit jamais rien. Toutes les choses qu'on attribue au

hasard, disent-ils, ont une cause déterminée; seulement,on ne la voit pas. Ainsi quelqu'un va au marché, et il yfait par hnsard la rencontre d'une personne qu'il ne s'at-tendait pas du tout a y trouver. On dit qu'il l'y a ren-contrée par hasard mais la cause de ce prétendu hasard,remarquent nos philosophes, c'est la volonté d'aller aumarché pour y faire quelque emplette; et celte volontéétait parfaitement réfléchie; elle n'avait rien de fortuit.Il en est de même, ajoutent-ils, pour tous les casattribuesau hasard et, en y regardant de près, on découvre tou-

jours une cause, qui n'est pas du tout le hasard qu'onsuppose. Les philosophes ajoutent encoreque si le hasardétait aussi rédictuent cause qu'on le dit, il y aurait lieude s'étonner (ju'aucun des anciens sages qui ont étudié si

Page 235: La Physique d Aristote

PA~APHRASi-;DE LA PHYSIQUE58

profondément les causes de la génération et de la destruc-

tion des choses, n'en aient pas dit un seul mot; et l'on en

conclut que ces sages n'ont pas admis que le hasard fût

une cause, et que rien pût jamais venir du hasard.

J'avoue que ce silence mêmedes anciens sages est fait

pour étonner; et tout momenton pa-rledans le langageordinaire de choses qui se produisent et qui existent parl'enet du hasard et tout spontanément. On sait bien qu'on

peut rapporter chacune de ces choses à quelque cause

ordinaire, connue le veut cette maxime de la sagesse

antique qui nie le hasard et pourtant tout le monde dit

sans cesse que certaines choses viennent du hasard, et

que d'autres n'en viennent pas. Il eût donc 6t~ bon que(le façon ou d'autre ces sagesdont nous venons de parler

examinassent ces questions. Mais personne parmi eux

n'a suppose que le hasard fût un de ces principes dont ils

se sont tant occupés, la Discorde ou l'Amour, le feu ou

l'air, l'Intelligence on tel principe analogue. Uy a donc

lieu de s'étonner, ou que les anciens philosophes n'aient

pas admis le hasard, ou que s'ils l'admettaient ils l'aient

si complètement passaisous silence. Ce n'est pas que pinsd'une fois ils n'en aient fait usage dans leurs théories; et

c'est ainsi qu'Empedocle prétend que l'air ne se secrète

pas toujours dans la partie la plus haute du ciel, mais

qu'il se secrète aussi an hasard et n'importe où. Il dit en

propres termes

t. L'airalorscourtainsi,maissouventautrement.c

Ailleurs il dit encore que presque toutes les parties (les

animaux sunt h; produit d'un .simpiehasard.

Page 236: La Physique d Aristote

1)'ARISTOTE,LIVRE I1, CH. !V. 59

Il y a d'autres philosophes, tout au contraire,-qui rap-

portent formellementau hasard seul tous les phénomènes

que nous observons dans le ciel et dans le monde. A les

entendre, c'est le hasard qui a produit la rotation de

l'univers et le mouvement, qui a divisé et combiné leschoses de manière à y mettre l'ordre que nousy voyonsen l'admirant. Mais, c'est surtout ici qu'il faut s'étonner.

Voyez, en effet, quelle contradiction d'une part, on

soutient que les plantes et les animaux ne doivent pointleur reproduction au hasard, et que la causequi les en-

gendre est ou la nature ou l'Intelligence, eu tel autre

principe non moins relevé, attendu que les choses ne

sortent pas indin'éremmentde tel ontel germe, et qu'ainside l'un sort un olivier, taudis que de l'autre sort unhomme

et, d'autre part, on ose avancer que le ciel et leschoses les

plus divines, parmi les phénomènesvisibles nos sens, ne

sont que le produit tout spontané du hasard, et que leurcause n'est pas du tout analogue cellequi fait naître les

plantes et les animaux Mais, en admettant même qu'ilen soit en ceci comme le disent ces philosophes, cette

théorie, ainsi présentée, mérite qu'on s'y arrête et qu'onen parle un instant pour en dévoiler les contradictions.

En soi, elle est insoutenable; mais il est bien plusabsurde encore de la défendre, quand on voitsoi-inOnc

que rien dans le ciel ne se produit au hasard et irrégu-

lièrement, tandis qu'au contraire il y a beaucoup d'effets

du hasard dans l'organisation des animaux et des

plantes, d'où l'on veut cependant que le hasard soit tout

à fait exclu. Il nous semble qu'il faudrait précisément se

former des opinions contraires, et qu'il y aurait lieu du

bannir le hasard <!uciel où il n'est jamais,et de 1ère-

Page 237: La Physique d Aristote

PAUAPHMSE i)E !Y PHYStQDEuo

connaître dans la uature vivante où il est quelquefois.Ennn, il y a des philosophes qui, tout en reconnaissant

le hasard comme une cause réelle, le regardent comme

impénétrable à l'intelligence humaine, et en font quelquechose de divinet de réservé aux esprits et aux démons.

Ainsi, pour compléter notre théorie des causes, il faut

étudier le hasard et la spontanéité, d'abord pour voir si

ce sont là des choses identiques ou distinctes, et ensuite

si elles peuvent rentrer dans les causes que nous avons

reconnues et déterminées plus haut.

V.

D'abord, pour bien fixer le domaine du hasard, il tant

remarquer que, parmi les choses, les unes sont éterneHe-

mentce qu'elles sont et. d'unemanière uniforme, et quelesautres sont d'une certaine façon dans la majorité des cas.

Evidemment le hasard n'a rien à faire et n'a pas de place,ni dans les unes ni dans les autres, ni pour ce qui est

nécessairement et toujours, ni pour ce qui est le plusordinairement. Mais, en dehors de ces deux ordres de

choses, il y en a où tout le monde reconnaît en quelque

sorte, du hasard, parce qu'elles ne sont ni constantes ni

même habitue)!es. C'est dans celles-laqu'il y a du hasard

et de la spontanéité, et il faut bien le reconnaitre car

nous savons à la fois, et que les choses de ce genreviennent du hasard, et que les choses qui viennent du

hasard sont (le ce genre. Mais, allons plus loin. Parmi

tous les phénomènes qui se produisent., les uns sunt

faits en \'uc d'une certaine nn.et les antres nesont pas

)))'udmt.sainsi. Danslus premiers, il y a tantôt préfc.rence

Page 238: La Physique d Aristote

n'~iUSTCTE, UV1ΠH, CM. V. 61

reÛechicet intention; tantôt il n'y en a point Niais dans

tous on peut voir qu'ils sont faits en vue d'une certaine

fin. Par suite, on peut admettre que, Même parmi les

choses qui sont contraires au cours nécessaire et ordi-

naire des choses, il y en a qui ont un certain but. Or, les

choses ont un but toutes les fois qu'elles sont faites par

l'intelligence de l'homme ou par la nature; et si les

choses (lece genre arrivent accidentellement ou indirec-

tement, c'est alors au hasard que nous les rapportons.Demême, en en'ct, que l'être est on en soi ou acciden-

tellement, de même aussi la cause peut être ou en soi ou

simplement accidentelle et indirecte. Par exemple, la

cause en soi de la maison, c'est l'être capable de cons-

truire les maisons; mais la cause indirecte, c'est le blanc

ou le musicien, si l'on dit de l'homme qui l'a bâtie qu'ilest musicien ou qu'il est blanc; car ce ne sont là que des

accidents par rapport à la construction de la maison. La

cause en soi est toujours déterminée et précise il n'y ena qu'une pour un ellet mais la cause indirecte et acci-

dentelle est indéterminée et infinie car un être peutavoir une infinité d'attributs et d'accidents. Je le répètedonc lorsque parmi les choses qui peuvent avoir une

fin il s'en produit une accidentellement et indirecte-

ment, on dit alors qu'elle est fortuite et spontanée. Plus

tard nous expliquerons la différence que peuvent pré-senter ces deux termes mais, pour le moment, nous

nous bornons à dire, que tous deux s'appliquent a. des

choses qui peuvent avoir une fin et un pourquoi. Par

exemple, un créancier serait bien aile an marché pour en

rapporter son argent, s'il avait pu croire qu'il y trouvât

son débiteur; maisil y est allé sans avuir cette intcnHuu

Page 239: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE62

qu'i) aurait pu cependant avoir; c'est donc accidentelle-

ment qu'y étant allé, il y a fait ce qu'il fallait pour recou-

vrer la somme qui lui était due, au moment qu'il a vu

celui qui la lui devait. rencontrer son débiteur en celieu,

n'était pour le créancier, ni un acte ordinaire, ni une né-

cessité. Dans cette occurrence, la fin, c'est-à-dire le recou-

vrement de l'argent, n'est point une de ces causes qui

ressortent nécessairement du fond même de la chose;

c'est simplement un acte de réflexion et d~ choix qu'on

pouvait faire ou ne pas faire; et, par rapport a cette fin,on peut dire que le créancier est allé par hasard au mar-

che. S'il y était allé de propos délibéré et pour cet objet

.spécialexpressément, soit qu'il y allât toujours, soit qu'il

y allât le plus ordinairement pour recouvrer sa dette, on

ne pourrait plus dire que c'est par hasard qu'il y est

allé cette fois la.

On peut donc déunir le hasard unecause accidentelle

dans celles de ces choses visant à une fin qui dépendentde notre libre arbitre. C'est1~.comment le hasard se rap-

porte au même objet que l'intelligence, tout din'érent

qu'il est car, partout où il ya choix et délibération réflé-

chie, il y a intervention de l'intelligence. Ainsi, les causes

qui produisent les effets attribués au hasard sont néces-

sairement indéterminées et cela donne a croire que le

hasard est une de ces choses indéfinissables qui restent

profondément obscures aux regards de l'homme. C'est là

ce qui fait aussi qu'on est porté a soutenir que rien ne

peut venir du hasard; et les deux opinions peuvent se

défendre, toutes contraires qu'elles sont, parce qu'elles

reposent toutes deux sur des fondements purement lo-

giques. Aun certain point de vue, un fait vient du hasard

Page 240: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE,UVRE M, CH. V. 03

parce qu'il se produit accidentellementet indirectementet dès lors la fortune peut en être regardée cotumc la

causeen tant que le fait est accidentel; mais,absolument

parlant, le hasard n'est cause de quoi que ce soit. Par

exemple,la causeen soide la maison, la causedirecte et

essentielle,c'est le maçonqui la construit; mais indirec-

tementet accidentellement,c'est le joueur de flûte, si le

maçona ce talent et, pour reprendre l'exemplecité plus

haut, il peut y avoir un nombre infinide causesqui font

qu'un homme allant sur la place-publiqueen rapportesonargent sansy être allé du tout avec cette intention,et qu'il y soit allé simplementpour y voirun ami,ouponr

y suivre un procès dans lequel il est ou défendeurou

accusateur.

On peut dire, avec lionmoins de vérité, que le hasard

est unechosedéraisonnable car la raison éclatedans les

choses qui sont éternellementou du moinsle plus ordi-

nairementde telle ou tellefaçon, tandis que le hasard ne

se rencontreque dans les choses qui ne sont ni éternelle-

ment, ni dans la majorité des cas; et commeles causes

de ce dernier sont indéterminées, le hasard est indéter-

miné tout commeelles.Néanmoinson peut, danscertains

cas, se demander si les causes du hasard sont purementarbitraires. Ainsiun malade guérit sans qu'on sache au

juste a quoi rapporter saguérison. Est-ceau bonair qu'ila respiré?Est-ceà la chaleur qu'il a ressentie?Ouserait-

ce encore à la coupede ses cheveux,qu'il a fait raser à

un certain moment? Cestrois causes possiblessont acci-

dentelleségalement maisil y a Mêmeparmi cescauses

un certaindegré; et les unessont certainementplus rap-

prochéesque les autres.

Page 241: La Physique d Aristote

PAHA.PHUASËDE LA PHYSIQUE6/)

On donne parfois, au hasard, le caractère même des

citoses qui surviennent. Si c'est un événement heureux,

on dit que le hasard est heureux et on dit qu'il est mal-

heureux, si c'est un malheur qui survient. Si les choses

sont de peu d'importance, on garde le mot de hasard

mais si ellesprennent quelque grandeur, on ne parle plusde hasard, mais on parle de prospérité ou d'infortune.

Parfois même, sans que la chose se réalise, ou emploie !e

mot de prospérité et d'infortune, s'il s'en est très-peufallu qu'elle ne se réalisât. On voit alors le mal ou le bien

comme s'ils étaient déjà réalisés; et quand il s'en manquede si peu, on peut croire qu'il ne s'en manque absolument

de rien. D'ailleurs, on a toute raison de dire que la pros-

périté est inconstante; car le hasard lui-même est essen-

tiellement inconstant; et rien de ce qui vient du hasard

ne peut être ni toujours, ni même dans la majoritédes cas.

VI

J'ai promisplus haut de comparer !e hasard et le spon-

tané je reviens a ce sujet; et je répète que le hasard etle spontané, ou, en d'autres termes, ce qui se produittout seul et de soi-même, sont tous deux des causes indi-

rectes et accidentelles pour les choses qui ne peuventêtre ni toujours absolument, ni même le plus habituelle-

ment, et parmi ces choses pour celles qui peuvent être

regardées comme se produisant eu vue d'une certaine tin.

La (lifférenccentre le hasard et le spontané qui se pro-duit de soi-même, c'est (me le spontané est plus com-

préhensif car tout hasard est du spoutaué, tandis que )e

spontané n'est pas toujours <)uhasard. Koen'ot,le hasard

Page 242: La Physique d Aristote

!)'ARI8TOTE. LIVRE it, CH. V!. '.)5

proprement dit, n'est jamais rapporté qu'aux êtres quipeuventavoir nu hasard heureux, du bonheur, en d'autres

termes, une activité; de même qu'il ne peut jamais non

plus concerner que les choses ou l'activité est possible.Ce qui le prouve, c'est que la prospérité, c'est-à-dire lesEvénements très-favorables qu'amène le hasard, se con-fond avec le bonheur, ou du moins s'en rapproche beau-

coup. Or, le bonheur est une activité d'un certain genre,une activité qui réussit et qui fait bien. J'en conclus queles êtres auxquels il n'est pas permis d'agir et qui n'ontaucune activité propre, ne peuvent rien faire non plusqui soitjustement attribuable au hasard. C'est ta ce quifait qu'on ne pout pas dire que l'être inanimé,la brute oumême l'enfant, agissent par hasard, parce qu'a différents

degrés ils sont privés du libre arbitre et de la préférenceréfléchie dans leurs actes. Quand donc on emploie pources trois ordres d'êtres les expressions de bonheur ot de

malheur,ce n'est que par une simple assimilationptus oumoins lointaine. Cela rappelle le mot de Protarque, quiprétendaitqueles pierres qui entrent dans la constructiondes autels sont heurenses, parce qu'on les adore en tïieme

temps que les Dieux, tandis que les autres pierres, quisont cependant toutes pareilles, sont foulées aux pieds.Mais d'une manière tout à t'ait indirecte, ces êtres que jeviens de nommer peuvent par hasard sonnrir, si ce n'est

produire, quelqu'action, quand ou fait par hasard quelquechose qui ~s concerne; mais en un sens autre que celni-ti, il n'est pas possible qu'ils agissent ou qu'ils soutirent

par l'elFetdu hasard.

Quant a la spontanéité, on peut l'appliquer aux ani-maux différents(te l'hommeet jusqu'aux ôtres inanimés.

:')

Page 243: La Physique d Aristote

PARAPHRASADE LA PHYSIQUE66

J'entends par spontanécequi se produit tout seul et sans

causeappréciable. Par exemple,on dit qu'un cheval s'est

mis spontanément en marche; le mouvementqu'il a fait

sans pouvoir s'en rendre compte, a pu lui sauver la viemais il ne l'a pas fait en vue de son salut. Autre exem-

ple Un trépied est tombéspontanémentet tout seul, et,dans sa chute, il s'est placé de telle façonqu'on pût s'as-

seoir dessus; mais il n'est pas tombé apparemment en

vue d'offrir un siège à quelqu'un. Il est doncévident que,dans les choses qui seproduisent en réalisantune certaine

fin, on doit dire que l'effetse produit spontanémentet de

lui-même,quand la chose,qui a unecauseétrangère et in-

connue, arrive sans quece soit pour l'effet même qui se

produit. On dirait que c'est du hasard, s'il s'agissait d'un

acte quelconque d'un agent libre qui se trouverait avoir

produit tout autre chose que ce qu'on en attendait. La

preuve que ces distinctions sont exactes,c'est qu'on dit

d'une chose qu'elle a été faite en vain,quand ce qui a été

fait en vue d'un certain résultat, ne produit pas le ré-

sultat attendu. Par exemple,on se promènepour faciliter

la digestionet relâcherle ventre; maissi l'onn'obtient pasce résultat cherché, on dit qu'on s'est vainement pro-

mené, et que la promenadea été vaine. Il faut bien re-

marquer cette nuance, et l'on ne doit dire d'une chose,

qu'elle est vaine, que lorsque, faite en vue d'une autre,elle n'accomplit pas l'objet pour lequelelleavait été faite,et qu'elle semblaitnaturellement devoiramener.En effet,ce serait un non sens ridicule que de dire par exemple

qu'on s'est baigné vainement, puisqu'il n'y a point eu

d'éclipse de soleil. C'est qu'en effeton ne s'est pas bai-

gné pour que l'éclipsé eût lieu. Ainsi,l'on dit d'une chose

Page 244: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE CH. VI. (;7

qu'ellearrive d'eUe-memeet spontanément, commel'in-

dique l'étymologieseule du mot grec, quand cettechosemême a été vaine et, par exemple, une pierre en tom-bant a blesséquelqu'un mais sa chute n'avait pas pourbut de porter un coup, et l'on dit alors que cettepierreest tombéespontanémentet fortuitement, pour distinguerce cas de celui où la pierre aurait été lancée par quel-qu'un, avecintentionde blesser une autre personne.

C'est surtout dans les choses qui se produisent par lefait seul de la nature qu'on pourrait distinguer le hasardet la spontanéité. Ainsi, quand un phénomènea lieucontre les lois de la nature et qu'il est monstrueux,nousdisons bienplutôt qu'il est spontané, que nous ne disons

qu'il vient du hasard. Le hasard suppose toujours unecause extérieure; le spontanésuppose toujours unecauseinterne. Cecidoit fairevoirasseznettementlesdiiïérences

que l'on met vulgairemententre la spontanéité et le ha-sard. Mais,quant à leur moded'action, il faut lesrangerl'un et l'autre parmi les causes motrices; car ils sontcauses de phénomènesnaturels ou de fait?,qui tiennentà

l'intelligence,et dont le nombre est illimité.Mais,commele hasard et le spontané sont causes de phénomènesque la natureet l'intelligencepourraient également pro-cluire,et que le hasard et le spontané se montrentlà où

l'intelligenceet la nature n'agissent qu'accidentellementtet d'une façondétournée;comme,enoutre, l'accidentelne

peut être antérieur et supérieur à ce qui est en soi, il estclair aussi que jamais la cause accidentellene peutêtre

supérieureà la cause essentielle.Doncla spontanéitéetle hasard ne viennentqu'après l'Intelligenceet la natureet si l'on allait jusqu'à concéder que le hasard peutêtre

Page 245: La Physique d Aristote

PAMAPHMSKi)HL<\ PHYSIQUE<;8

la cause (~ ciel, il n'en i'a.udra.it pas moins que l'Intelli-

gence et la nature fussent encore les causes supérieures

de bien d'autres phénomèneset de tout cet univers.

~H.

Aprèscesexplicationssur le nombredescauses, et sur

la part que le hasard peut avoir dans lesphénomènesqui

sont l'objet de la Physique,nous pouvons répéter ce que

nous avonsdit plus haut, a.savoir qu'il y a des causeset

qu'elles sont bien au nombre de quatre, ainsi que nous

l'avons établi.En effet,quandonrecherchela.cause d'une

chose quelconque,on ne peut se poser que quatre ques-

tions. Ainsi,la cause se ramèned'abord à l'essence de la

chose, commedans les cas où n'intervient pas la notion

du mouvement par exemple,dans les mathématiquesoù

ic résultatextrême qu'on poursuit aboutita une défini-

tion, celle de la ligne droite, si l'on veut, ou celledela

proportion,ou telle autre. Voilàune première cause qui

est la causeessentielle.Un second genre de cause, c'est

le moteurinitial; et, par exemple, on se demande Pour-

quoi tel peuple a-t-il fait la guerre? Onrépond c'est

qu'on l'avait anteneuretnentpillé. C'estI<\la cause mo-

trice de la guerre. Ou bien encore posant la même ques-

tion Pourquoitel peuplea-t-il fait la guerre?On répond:

Pour conquérir l'empire. Ce n'est plus alors la cause

motriceet originelle,c'est la cause finale,le but qu'onse

propose.Enfin,la quatrièmeet dernière espèce de cause,

c'est la causematérielle,cellequi indiquela composition

des objetsqui naissentet sontproduits, soitpar!a.natut'c,

soitpiu't'homme.

Page 246: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, UVIΠH, CH. \'ft. <i9

Du moment qu'il y a quatre causes, JePhysicien doit

les connaître toutes les quatre; et, c'est en l'apportant le

pourquoi des phénomènes à une d'elles ou à plusieurs

d'entr'elles, ou à toutes, qu'il rendra compte comme il le

doit, et d'après les lois mémo de la nature, de la matière,

de la forme, du mouvement et de la fin des choses. Il faut

bien remarquer, d'ailleurs, que parfois trois de ces

causes se réunissent en une seule; l'essence et !a fin se

confondent; et le mouvement se confond aussi avec elles,

au moinsspécifiquement. Soit, en effet, ce phénomènela générationd'un homme venu d'un autre homme. L'es-

sence et la fin se confondent, puisque c'est un homme

que la nature veut faire; de plus, le moteur, qni est

l'homme, se confond spécifiquement avec ce clu'il pro-

duit, puisque le père et le fils sont de la même essence.

Et, ce qu'on dit de ce phénomène s'appliquerait égale-ment à tous les phénomènes où le moteur transmet seu-

lement le mouvement qu'il a lui-même reçu. Mais, là où

les chosesne transmettent plus le mouvementpour l'avoir

d'abord reçu, cen'est plus le domainede la Physique; car,

ce n'estpas en tant qu'ellesonten ellesun principe de mou-

vement qu'elles le communiquent; mais en tant qu'ellessont eUes-mÊmes immobiles. II y a donc en ceci trois

questions distinctes sur trois objets d'abord sur ce quiest immobile; puis sur ce qui est mobile, mais impéris-

sable, et en troisième et dernier lieu sur ce qui est mobile

et périssable.

Ainsi la cause des choses se trouve, soit en étudiant

leur essence, qui les fait ûtre ce qu'elles sont, soit.en étu-

diant leur fiu, soit en étudia))).)c moteur d'ou est venue

l'initiative du mouvement.Cette dernière méthodeest sur-

Page 247: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE70

tout employéequand il s'agit de la générationdes choses,

et qu'on se demande, pouren découvrir les causes, quel

phénomènes'est produitaprès l'autre, quel a été le pre-

mier agentet quelle actionen a souffertel'être qu'on étu-

die, et en se posant telles autres questionsqui font suite

à celles-là. C'est que danstoute la nature on peut recon-

naître deux principes qui donnent le mouvement aux

choses l'un qui dépasseles bornes de la Physique et ne

peut 6tre son objet, parcequ'il n'a point précisément en

lui le mouvement, mais parce qu'il le produit tout en

étant lui-mêmeabsolumentimmobileet antérieur à tout;

l'autre, qui est l'essenceet la forme des choses, parce

que la forme est la fin en vue de laquellese fait tout le

reste. 1~ nature, agissanttoujours en vued'une certaine

fin, le Physiciendoit l'étudicr avec soin sous ce rapport

spécial. Mais,en résume, onpeut dire qu'il doit étudier

la nature sous toutes ces faces diverses; et démontrer

comment telle chose provient de telle autre, soit d'une

manière absolue et constante,soit simplement dans la

plurall~ des cas. Il fautqu'il puisse en quelquesorte pré-

dire que telle chose aura lieu après telle autre, comme

des prémisseson pressentet on tire la conclusion.Enfinil

doit expliquerce qu'est l'essencede la chose, qui la fait

être ce qu'elle est, et montrer pourquoi elle est mieux

de telle façonque de telleautre, non pas d'une manière

générale et absolue,maisrelativementà la substancepar-

ticulière de chacune.

VIII.

Reprenons les questions que nous venons d'indunier,

Page 248: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,UVIŒ tt, CH. VUL 7~

et faisonsbienvoird'abord commentla nature est unedeces causes qui agissent toujours en vued'une fin. Ceci

nous conduiraà circonscrirela part de la nécessité dans

les chosesde la nature. C'est en effetà ceprincipe de la

nécessitéque tous les philosophesréduisent la causeder-

nière des phénomènes,quand après avoir exposé com-

ment agissent, dans la nature, le chaudet le froid, et les

principes de ce genre, ils ajoutent en définitivequeces

principes sont et se produisent par une loi nécessaire.

C'est si bienlà le fondréel de leurs théories, que même

quand ils ont l'air d'admettre encore une cause diffé-

rente de la nécessité, ils ne font que toucher cette nou-

velle cause,et qu'ils l'oublient aussitôt après l'avoir indi-

quée, soit que l'un ait recours pour expliquer leschosesa

l'Amour et à la Discorde, soit que l'autre ait recours à

l' Intelligence.

Voici, dans toute sa force, l'objectionqu'on l'aità cette

théorie qui prête des fins à la nature « Qui empêche,<tdit-on, que la nature n'agisse sans but, et sans cher-

« cher le mieuxdes choses? Jupiter, leroi des Dieux,ne

« fait pas tomberla pluieen vue du grain, pour le nour-

« rir et le développer; c'est simplementune loi nécesr

« saire que la vapeur, en s'élevant dansl'air, s'y refroi-

« disse, et qu'après s'y être refro.idie,elle retombesur

« terre en formede pluie.Que si ce phénomèneayanteu

c lieu, le grain en profite pour germer et croître, c'est

c là un simple accident; c'est un effetdétourné. Lana-

« turc ne pensepas plus à faire pousserle grain, qu'elle« ne pense à le pourrir dansla grangeoù on l'a enfermé,

« lorsqu'il vient a s'y perdre par suite de l'humidité

<' qu'ont provoquéedes pluies trop fréquentes. C'est un

Page 249: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE72

« simple accidentsi le grain périt, commec'en était un

« tout à l'heure, qu'il germât. En poussantce raisonne-

« ment plus loin, qui empêchede dire égalementque la

« nature n'a eu aucune fin,et qu'elle a obéi encoreà une

« loi nécessaireen constituant les dents de certains ani-

« maux, commeelle l'a fait celles de devant aiguës et

n capablesde déchirer les aliments; les molaires,larges,

(( plaieset propresà les broyer?Quiempêchede dire que« la nature n'a pas du tout produit les dents en vue de

a ces fonctions diverses, mais que c'est la une simple« concomitance?Pourquoine ferait-on pas la même re-

<(marque pour tous les organesoù nous croyonsobser-

ver une fin et une destinationspéciales?Donc,toutes

« les fois que les choses se produisent accidentellement

« dans les conditionsoù elles se seraient produites, si

« elles avaient un but, elles subsistent et se conservent,« parce qu'elles ont rempli spontanémentet par néces-

Il sité les conditionsindispensables. Maiselles périssent« quand elles ne les ont pas remplies et Empédoclea

« bien raisonde dire que «ses créatures bovinesà proue« humaine, ses bceufsà visaged'hommeu ont disparu,« parce que ces créatures ne pouvaient pas vivre dans

« les conditionsoù elles s'étaient produites. )) Telleest

l'objectionqui résumeen quelque sorte toutes les autres,et je ne lui ai rien ôté de sa force.

Pour moi, je repousse cette théorie de la nécessité, et

je soutiensqu'il est impossiblequ'il en soit ce qu'on pré-tend. Ces organesdes animaux, dont on vient de parler,et toutes les choses que nousprésente la nature, sont ce

qu'elles sont d'une manière constante, ou du moinsdans

la majoritédes cas. Or, ce n'est pas du tout la concli-

Page 250: La Physique d Aristote

D'ARISTOTK,LIVREH,CH.ViH. 7X~i

tion de ce qui se produit au hasard, spontanément,d'une

manière fortuite. On ne peut pas dire que ce soit un ha-

sard, par exemple, qu'il pleuve beaucoupen hiver; mais

c'est un hasard, une chose toute accidentelle,s'il pleut

fréquemmentdans la canicule.Cen'est pas davantage un

hasard qu'il y ait de grandes chaleursdans les temps ca-

niculaires mais c'en est un, s'il y en a dans l'hiver. J'en

conclus que s'il faut, de deux chosesl'une, que les phé-nomènesse produisent, soit au hasard, soit en vued'une

fin, ceux que je viens de citer ne se produisait pas au

hasard ni fortuitement ils se produisent en vue d'une

certaine fin. Or, ces phénomènes météorologiquesont

bien lieu dans la nature de la manière régulière que l'on

connaît, et les philosophes mêmesqui soutiennentce sys-tème que je combats, sont forcés d'en convenir.Donc,il

y a une fin, un pourquoi à tout ce qui se produit dans la

nature.

J'ajoute que, partout où il y a une (in,c'est en vue de

cette fin et pour elle qu'est fait tout ce qui la précèdeet

y concourt. Ainsidonc, telle est une chosequand elle est

faite et accomplie, telle est sa nature; et telle est sa na-

ture, telle elle est quand elle est accomplieet faite, en

admettant toujours que rien ne s'y oppose et ne fasse

obstacle. Or, commeelle est faite en vued'une certaine

fin, c'est qu'elle a cette fin par sa nature propre. Pat-

exemple, si ma maison était une chosenaturelle, elle se-

rait précisémentparle fait de la nature, ce qu'elle est au-

jourd'hui par le fait de l'art, demOneque si les choses

naturelles pouvaient être faites par l'habileté de l'art, il

les ferait précisément commeles fait aujourd'hui la na-

ture. Donc,la nature est faite cu vuede la fin, et la fin

Page 251: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE7li

est faite pour la nature. En général, l'art fait des choses

que la nature ne saurait faire; ou parfoisaussi il prendla

nature pour modèlede ses imitations.Or, si les chosesde

l'art ont une fin et un pourquoi,on doit en conclure,à

bienplus forte raison, que les chosesde la nature en ont

aussiune. C'est là une vérité de toute évidence, de même

qu'il est également évident que, soit dans les chosesde

la nature, soit dans les chosesde l'art, les faits qui sont

postérieurs, sont toujours dans un rapport pareil avec

ceux qui sont antérieurs; les moyensrépondent à la fin

dans l'un et l'autre cas. Cette vérité éclate surtout dans

les animaux autres que l'homme,qui font ce qu'ils font

sans qu'on puisse supposer qu'ils agissent ni par les ré-

gles de l'art, ni après étude, ni après réflexion,comme

l'hommepeut le faire. C'est là ce qui fait qu'on s'est sou-

vent demandé si les fourmis, les araignées et tant d'au-

tres bûtes industrieuses, n'exécutent pas leurs étonnants

travauxà l'aide de l'intelligenceou de telle autre faculté

non moins noble, au lieu d'un aveugle intinct. Endes-

cendant quelques degrés dans l'ordre des êtres, on voit

que dans les planteselles-mêmesse produisent toutesles

conditionsqui concourentà leur fin et, par exemple,les

feuillesy sont certainement faites pour protéger le fruit.

Si doncc'est par une loi de la nature, et en vue d'une fin

précise, que l'hirondelle fait son nid, et l'araignée sa

toile si les plantes poussentleurs feuillesen vue de leur

fruit, commeelles projettent encoreleurs racines en bas

et nonpoint en haut, pour se nourrir dans le sein fécond

de la terre, il est de la dernière évidencequ'il y a une

causeanalogue et de mêmeordre dans tous les êtres, et

dans tous les phénomènesde la nature.

Page 252: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIViŒ H, CH. VIH. 75

Maisce motde nature peut avoirun doublesens,selon

qu'on veut désignerpar ]à la matièredes chosesouleur

forme.Or, la formeétant une fin,et tout le reste s'or-

donnant toujoursen vue de la finet du but, on peutdire

que la forme est le pourquoi des choses et leur cause

finale.Maisil y a chanced'erreurdans les productionsde

la nature, commedans celles de l'art; et de mêmequ'un

grammairien, malgré sa science,peut faire une faute de

langue, et que le médecin,malgréson habileté,peutdon-

ner une potion contraire, de mêmeaussi l'erreur peut se

glisser dans les êtres que la nature produit. Si, dans le

domainede l'art, les choses qui réussissentsont faitesen

vue d'une fin et si, dans celles qui échouent, la fauteen

est a l'art, quia faitun en'ortinutilepourparvenir au but

qu'il poursuivait, il en est de mêmepour les chosesnatu-

relles et, dans la nature, les monstresne sont quedes

déviationsde cebut vainementcherché.Si donccesorga-

nisations primitives,ces créatures moitié bœuf, moitié

homme, dont nousparlions tout a l'heure d'après Empé-

docle, n'ont point vécu parce qu'elles ne pouvaientarri-

ver a un certain but et à une finrégulière, c'est qu'elles

se produisaient par un principe altéré et corrompu,

commeles monstresse produisentencoreaujourd'huipar

la perversionde la semenceet du germe. Encoreau mi-

lieu de tous ces hasards, faut-il admettre une certaine

constance,quifait que le germe a toujoursété le premier,et que ces animauxprodigieux ne pouvant naître tout

d'un coup, c'est toujours <ccette matièreindigesteet nni-

vcrscDe') dont on nous parle, qui en a été le germepri-

mitif. Dans les plantesmêmes, il y a bien aussi un ponr-

quoi touta. faitanalogue seulement,il estmoinsdistinct;

Page 253: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE7C

et si, dans les animaux,il y avait <tdes créatures bovines

à proue humaine, Mpourquoi, dans les plantes, n'y au-

rait-il pas eu des vignesà proue d'olivier? Dira-t-on quec'est absurde? J'en tombed'accord; mais, alors, pourquoine pas admettre qu'il y avait aussi de ces plantes contre

nature, si les animaux présentaient de ces anomaliesin-

concevablesqu'Empedoclese plait à imaginer? En pous-sant plus loin encore, il faut avouer que les germes ne

devaient pas offrit,alors moins de confusion que leurs

produits.Soutenirun systèmesi extraordinaire, c'est nier abso-

lument les choses naturelles c'est nier la nature; car on

comprendpar choses naturelles, celles qui, étant mues

continuementpar un principe qui leur est intime,arrivent

à une certaine fin. De chacun de ces principes, il ne sort

pas toujours, dans chaque espèce de choses, nn résultat

identique, pas plus qu'il n'en sort nu résultat arbitraire:

mais toujours le principe tend a un certain résultat, qu'ilatteint à moinsd'un obstaclequi l'arrête. Mais,dit-on en-

core en insistant, le pourquoi des choses et les moyens

employéspour atteindre ce pourquoi, penvent venir par-faitement du hasard. Par exemple, un bote vient citez

vous sans autre motif que d'y venir il y prend un bain

pendant qu'il y est, absolument comme s'il était venu

dans votre demeure tout exprès pour s'y baigner. Cepen-

dant, il n'y est pas venu le moinsdu mondeavec cette

intention, et s'il a pris un bain, c'est un simple accident,c'est un pur hasard; car le hasard, ainsi que nous l'avons

dit plus haut, doit se ranger parmi les causes acciden-

tcDcset indirectes. Maiscet exemplen'est pas aussi déci-

sif qu'on le suppose; en eu'et, quand une chose arrive

Page 254: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE,LiVRË H, CH. !X. 77

toujours de la même façon ou même le plus ordinaire-

ment, si ce n'est toujours, on ne peut plus dire que c'est

un accidentou un hasard or, dans la nature, toutes les

chosesseproduisentavecune immuablerégularité, quandrienne s'y oppose.

D'ailleurs, il serait absurdede croire que les chosesse

produisentsansbut, par celaseul qu'on ne verrait pas le

moteurdélibérer son action. L'art, non plus, ne délibère

point; et, dans une foule de cas, il n'a pas besoinde ré-

flexionpour agir. Il est une cause externe des choses,tandis que la nature est une cause interne; et il faudrait,

pour que la nature et l'art procédassent de la mêmefa-

çon, que l'art des constructionsnavales, par exemple,fût

dans les boisqui servent à la constructiondu navire; et

alors l'art agiraitdans ce cas commeagit la nature. Mais,

malgré cette différence, l'art sans délibérer se propose

toujoursun but, et la nature s'en proposeun commelui,

sans avoir à délibérer davantage. On dirait un médecin

qui, se sentant malade, se soignelui-même avec toutes

les ressources de sa science,sans avoir, d'ailleurs, à se

consulter ni sur le mal qu'il ressent, ni sur le remède

qu'il doit s'administrer.

Donc, en résumé, la nature est une cause qui agit en

vued'une fin,et nous n'hésitonspas à affirmercette vé-

rit6.

!X.

Une hypothèseétant admise,on peut se demandersi lu

nécessite, dansles chosesde la nature, n'a. qu'une exis-

tence uniquement rotative cette hypothèse même, on

Page 255: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE78

bien si elle a une existenceabsolue? Il y a des gens qui

comprennentla. nécessité d'une façon bien étrange et

leur opinionrevient à peu près à celle de quelqu'un qui,

parlant d'une maison,prétendrait qu'elle a éténécessaire-

ment construite, attendu qu'il est nécessairequelescorpsles plus lourdssoient en bas, où les porte leur tendance

naturelle, de mêmequ'il est nécessaire que les corps les

plus légers soientà la surface. Par suite, les fondements

des murailles, qui sont en lourdes et grosses pierres, ont

dû être mis en bas, tandis que le mortier qui est plus

léger a été mis au-dessus,et que les boisqui senties plus

légers de tous ces matériaux ont pris placea l'extérieur.

Expliquerainsi la construction d'une maison, ce serait

singulièrementcomprendrela nécessité. Certainementles

muraillesde l'habitation ne peuvent pas exister sans les

matériaux indispensables; mais ce n'est pas pour eux

qu'elles sontfaites; ils en sont uniquement lamatière.La

constructionn'a été réellement élevée que pourgarder et

garantir les chosesqu'on renfermedans la maison.C'est la

vraie finque s'est proposéel'architecte. Cetteobservation

du reste est générale, et elles'applique àtoutesles autres

choses qui, étant faites en vue d'une certaine fin ne

pourraient exister sans certains éléments nécessaires.

Maisles chosesne sont pas faites en vue de ceséléments,

qui n'en sont que la matière, avec la destinationspécialea laquelle on les emploie. Prenons encore un autre

exemple Pourquoila scieest-elle faite de telle manière?

C'est pour qu'elle soit tel instrument servanta tel usage.

Sansdoute l'acte en vue duquella scieest faite,lasection,

ne pourrait avoir lieu si la scie n'était pointen fer; et,

par conséquent,ily a nécessitéque la scie soit faitede ce

Page 256: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIl, CH. IX. 79

métal)puisqueautrementellene couperait pas et queson

œuvrene pourrait s'accomplir.Maisil est clair que lané-

cessitén'est ici que la conditionde l'hypothèse donnée,a

savoirdepouvoircouperdescorpsdurs donccettenéces-

sité n'estpas dans la fin absoluequ'on se propose. Ainsi,

la nécessité n'est que dans la matière mais la fin et le

pourquoisont dans la raisonlibre, qui le comprennentet

qui le poursuivent.

Dureste, le nécessaireainsi limitése retrouve dans les

mathématiquesà peu près commeil est dans les choses

de la nature. Unefois la définitionde l'angle droit étant

donnée,il y a nécessitéque le triangleait ses trois angles

égauxà deux droits; et, si les trois angles n'étaient pas

égauxdeux droits, c'est que l'angle droit lui-mêmene

serait pas ce qu'on a dit. Mais,dans les choses qui se

produisenten vued'un certain but, c'est précisément le

contrairequia lieu. Si la fin doit être, si le but pour-

suividoit se réaliser, il faut que l'antécédent indispen-

sable, le moyennécessaire,existeaussi commeelle.Dans

l'exemplemathématique qui vient d'être cité, la conclu-

sion était possible quand le principe était vrai; ici, au

contraire, il faut que la fin soit d'abord posée comme

principe,pour que le moyenvienneensuite s'y adapter.

Il est certain quesans ce moyenlafinn'est pasréalisable;

mais la fin le suppose, et c'est elle qui règle sa condition.

La finse trouve être le principe, non pas seulement de

l'acte, mais encore du raisonnementqui conduit à cet

acte et qui le dirige. Du reste, dans les mathématiqueset

les sciencesabstraites, il s'agit uniquement de raisonne-

ment, puisqu'il n'y a point d'actes à produire. Si doncon

veut faire une maison, il faut de toute nécessité qu'il

Page 257: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE80

existepréalablementtelsmatériauxqu'on puisseemployer

de telle façort;il faut, en un mot, qu'il y ait préalable-

ment une matièrequi sera employéeen vue de telle fin;

et, dans le casspécialde la maison, il faut des pierres de

taille et des moellons.Mais,la finpoursuivie n'a pas ces

matériauxen vue,si ce n'est en tant qu'ils sont la ma-

tière requise etce n'est pas pour eux qu'ellesera accom-

plie. Seulement,sans cesélémentsnécessaires,ellene sera

pas possible,qu'ellesoit la maisonou la scie, le fer étant

indispensablepourcelle-ci,les pierres l'étant pour celle-

là. C'est de mêmedans les mathématiquesoù la conclu-

sion étant vraie,les principes doivent l'être commeelle.

La nécessité,dans l'ordre de la nature, se réduit donc

à la matière des choses, et aux mouvementsque cette

matière peut recevoirselonsonespèce.

De ces deux genres de causes, matière et nn, que le

Physicien doit expliquer,c'est surtout à la cause finale

qu'il doit s'attacher. La raisonenest simple c'est que la

finest cause dela matière qu'on choisit en vue de cette

fin, tandis que lamatièren'est pas causedela fin,Or, la fin

est le principe quidéterminel'action et provoqueà agir;

de mêmequ'elleest aussi le principe qu'on peut retrou-

ver dans la définitionet la conception essentielle des

choses,oùelleesttoujours impliquée.Dansles chosesque

l'art produit, il faut toujoursun antécédentindispensable.

Si la maison est,c'est qu'il existait avant elle certaines

chosesdont elleest faite; si la guérisond'unmaladea été

obtenue,c'est qu'ona employétels moyensqui existaient

antérieurement la santé recouvrée.Or, dans les choses

de la nature, il enest de même; et si l'hommeexiste, il a

fallu telles conditionspremières qui supposent telles

Page 258: La Physique d Aristote

D'AHISTOTE, LIVRE !H, CH. I. 81

autres conditionsantérieures, etc. La nécessité ainsi en-tendue entre et se découvrejusque dans la définition; etsi, par exemple,on veut définirl'opération de scier, il faut

expliquer d'abord que c'est une certaine manière de divi-ser les choses; puis, ii faudra ajouter que cette divisionne peut se faire qu'à la condition d'une scie qui a les'dents faites d'une certaine façon, et que les dents ne

peuvent être ainsi faites que si elles sont en fer. On arriveainsi à t'eiément nécessaire de la définition car la défini-t,ion a, en quelque sorte, une matière qui est égalementsoumise à la nécessité,

LIVRE HL

f)~)'tNtT)()N DU MOUVEMENT. DE t.')NP[N).

La nature étant le principe du mouvement, ou, en

termes plus généraux, du diangement, et notre étude

présente s'appliquant à la nature, nous devons nous

rendre bien compte de ce que c'est que le mouvement;i

car, ignorer ce qu'il est, ce serait ignorer absolument ce

que c'est que la nature, dans toutes les parties qui la com-

posent. Puis ensuite, une foisque nous aurons défini le

mouvement, il faudra tâcher d'étudier les conditions dont

n est toujours accompagné, et les phénomènes qu'il im-

Page 259: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE82

plique. Ainsile mouvementdoit être rangé dans laclasse

des quantités continues; et le premier caractère du con-

tinu, c'est d'être infini.On ne peut pas, en etïet; définir

le continu sans employerla notionde l'inuni, et le con-

tinu n'est, on peut dire, que cequi est divisibleà l'infini.

De plus, il n'y a point de mouvement possible sans

espace et sans temps,la questionde l'espace comprenant

aussi celledu vide. Voila,donc déjà des motifspour étu-

dier avec soiï) l'espace, le vide, le temps et le mouve-

ment mais nous avonsen outre cette raison, qu'ils sont

cornmunsà toutes choses,et qu'ils sont universels. Nous

examinerons chacunede ces questions séparément car

il faut commencerpar les qualités généraleset communes

des choses, avant d'en venir a.leurs propriétés spéciales.

Débutonspar la définitiondu mouvement,ainsi que nous

venonsde le dire.

Rappelons-nousd'abord les différentspoints de vue

sous lesquels on peut considérerl'être. Il est tantôt une

réalité actuelle, une entéléchie, tantôt il est a l'état de

simplepuissance, tantôt il est les deux a la fois. A un

autre égard, l'être est tantôt substance, tantôt quantité,

tantôt qualité, ou telle autre des catégories dans les-

quelles il se partage. Pour les relatifs, il faut distinguer

ceux qui ont entr'eux le rapport d'excès et de défaut,

commele grand et le petit, le peu et le beaucoup,et ceux

qui ont le rapport de passif et d'actif. C'est dans cette

dernière subdivisionqu'il fautclasser le moteur et le mo-

bile, puisque le moteurment le mobile,et que le mobile

est mu par le moteur; relations, commeon le voit, d'ac-

tion d'une part, et de souffrancedel'autre. Hn'y a pas de

mouvementen dehorsdes chosesainsicomprises;et c'est

Page 260: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE!i!, CH. t. 8S

toujours en elles que le mouvement se passe; car, toutêtre qui change doit nécessairement changer, ou d!mssasubstance, ou dans sa quantité, ou dans sa qualité, ou de

lieu. Or, il n'y a point d'être communà toutes les catégo-ries qui ne soit, en même temps, ou substance, ou quan-tité, ouqualité, on telle autre catégorie de t'être. Par con-

séquent, il n'y a point de mouvement possible qui nerentre dans une de ces catégories, puisqu'il n'y a pointd'être possible si ce n'est en elles.

Maischacune de ces catégories peut être double selonle point de vue d'oir on la considère. Ainsi, dans la sub-

stance, on distingue la forme et la privation dans la qua-lité, les deux contraires, par exemple, le blanc et le noir;la quantité peut être complète et incomptète; et, enfin,dans la catégorie du lieu, l'être va en haut ou va en bas,selon qu'il est léger ou pesant, etc. Par conséquent, il ya autant de genres de mouvement qu'il y a de genres del'être dans les catégories qu'on vient d'énoncer. De plus,comme dans chaque genre on peut distinguer l'acte de !a

simple puissance, il s'en suit qu'on peut définir le mou-vement de cette façon L'acte, la réalisation ou entéléchiede l'être qui était en puissance, avec les diverses nuances

que cet être peut présenter. Ainsi,l'altération est le mou-vement de l'être altéré en tant qu'altéré l'accroissementet la décroissance sont les mouvementsde l'être qui s'ac-croît ou qui diminue la langue grecque n'a pas pour cesdeux nuances une expression commune, ainsi qu'elle ena une pour l'altération la génération et la destructionsont les mouvements de l'être qui est engendré ou dé-

truit, qui se produit ou qui dispara!t; enfin, la translationest le mouvementde l'être transféré d'un lien a un autre.

Page 261: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

Ce qui prouve bien l'exactitude de cette définition, qui

fait du mouvement un acte, c'est que quand une chose

passe de la puissance à l'acte, nous disons que son mou-

vement est accompli. Soit, par exemple, une chose a

construire, une chose qui peut être construite. A ne la

considérer que sous ce rapport, du moment qu'elle se

réalise et qu'elle est en entétéchie,nous disons qu'elle est

construite, et le mouvementde cette chose est la cons-

truction. Mêmeremarque pour tout autre acte, l'acte d'ap-

prendre, l'acte de guérir, l'acte de rouler, l'acte de sau-

ter, l'acte de vieillir, etc. Ainsi le mouvement est l'acte.

Maisce n'est pas là encore sa définition tout entière. Les

mêmes choses peuvent être en acte et en puissance, mais

non pas ta fois ni .relativement à la même chose; par

exemple, un même objet est chaud en puissance, mais en

réalité il est froid.11s'en suit qu'il y a beaucoup de choses

dans la nature qui agissent ou qui soutirent les unes par

les autres. Tout est a la fois actif et passif, suivant l'as-

pect sous lequel on le considère. Par conséquent, le mo-

teur, qui agit selon les lois de la nature, est mobile à son

tour, et tout ce qui meut a d'abord été mu lui-mêmei

mais je limite ceci au domainede la nature, et je ne vais

pas aussi loin que certains philosophes qui croient que

tout moteur, sans aucune exception, reçoit le mouvement

qu'il communique. Nous nous réservons de démontrer

ailleurs, vers la fin de ce traité, qu'il doit y avoir un mo-

teur qui est lui-même absolument immobile (Livre VIII).

Mais, pour le moment, nous nous bornons à répéter

ici que le mouvement est l'acte, la réalisation ou entélé-

citie de ce qui était en puissance, quand cet être qui, an-

térieurement, était simplement possible, devient actuel

Page 262: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTM,LIVRE H!, CH. 1. 85

en tant que mobile, soit qu'il reste en lui-même ce qu'ilest, soit qu'il subisse une certaine altération. Quand jedis En tant que mobile, j'entends par exempleque Fai-rain est la statue en puissance, bien que l'acte ou entéle-chie de l'airain, en tant qu'airain, ne soit pas le moove

ment car, ce n'est pas essentiellement la même chose

d'être de l'airainet d'être mobile en puissance; et, si abso-

lument parlant et même rationnellement, c'était là uneseule et même chose, l'acte de l'airain en tant qu'airainserait ]e mouvement.Maiscela n'est pas du tout et pourse convaincreque l'essence de la chose nese confondpasavec sa mobilité,ilsnfut de regarder auxcontraires. Ainsi,1c'est chose fort différentede pouvoir se bien porter et de

pouvoir être maiade; car, s'il n'y avait pas de diuerence

entre les simples possibilités, il n'y en aurait pas davan-

tage dans les realites actuelles; et se bienporter se con-

fondrait avec être malade, la santé se confondrait avec la

maladie. Ce qui demeure et subsiste ici, c'est le sujet quigarde son unité, soit qu'il se porte bien, soit qu'il soufTre

par l'eu'et du phlegme ou du sang. Maisle sujet ne doit

pas être confonduavec sa puissance, pas plusque la cou-

leur actuelle ne doit être confondue avec la couleur en

puissance, le visible et j'en conclus que le mouvement

peut être défini très-convenablement L'acte ou ent6!e-chie du possible en tant que possible.

Je maintiens la justesse de cette définition, et j'affirme

que le mouvement n'est que cela; qu'une chose n'ade

mouvement vrai qu'au moment où cette réalisation, cette

entéléchie a lieu, et qu'elle n'en a ni avant ni après; car

toute chose peut être ou n'être pas en acte. Ainsi, unemaison à construire est en simple puissance; mais quand

Page 263: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE86

elle est construite,elle est une maisonen acte, en réalité.

L'actede la choseconstructibleen tantqu'elle est à cons-

truire, c'est la construction et l'acte de la choseà con-

struire, c'est-à-dire la construction, a pour résultat la

maison.Mais unefois la maison faite, la chose construc-

tible, c'est-à-dire qui pouvait être construite, n'existe

plus, puisque la chose construire est construite. Donc,

nécessairement, la construction est bien l'acte; la con-

struction est un mouvementd'une certaine espèce; et le

même mode de définitionserait applicable à tout autre

genre de mouvement.

Unedernière preuvede l'exactitudede cette définition,

c'est de voir les difïicultésqu'ont eues les philosophesà

définir le mouvementautrementqu'on ne le fait ici,et les

erreurs qu'ils ont commises.Ils n'ont pas pu classerle

mouvementet le changementdans un autre genreque

celui del'acte, et ils n'ont fait que s'égarer en considé-

rant le mouvementso~sun autre jour. On peut vérifier,

en effet, ce que devientle mouvementdans ces théories

où on en fait unediversité,ou une inégalité, ou mêmele

non-être. Maisil estévidentqu'il n'y a pas de mouvement

nécessaire, ni pour le divers, ni pour l'inégal, ni surtout

pour ce qui n'existe point. Le changement ne tend pas

plus au divers, l'inégal et au non-Être, qu'il ne vient

d'eux, ni de leurs opposés, le même, l'égal et l'être.

Maisl'erreur desphilosophesque nousdésignonsicivient

de ce qu'ils ont pris le mouvementcommequelque chose

d'indéfmi. Ils l'ont classédans leur série négative,corres-

pondant à leur premièresérie positive.Maisles termesde

la série négativen'existentpas en réalité, puisqu'ils sont

purementprivatifs,et qu'aucun d'eux n'est ni substance,

Page 264: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE,LIVRE1U, CH. M. 87

ni quantité, ni qualité, ni aucune des autres catégories;i

le mouvementa été placé dans la série des termes indé-

terminés.Je conçois d'ailleurs l'Iiésitationet l'embarras

de cesphilosophes,attendu qu'on ne peut ranger d'une

manièreabsoluelemouvement,nidansla puissanceni dans

l'acte des êtres; il n'est absolumentni acteni puissance.

Ainsi,une chose qui peut devenir de telle quantité n'a

pas nécessairementle mouvement pour acquérir cette

quantité,et l'airainne devientpas necessa-irementstatue,

de même qu'une chose arrivéeà avoir tellequantité n'a

plus alors de mouvement,,puisqu'elle est parvenue&son

terme et à sa forme. Le mouvementest donc bien une

sorte d'acte; mais c'est un acte incomplet;et celase con-

çoit, puisque le possibledont le mouvementest l'acte est

lui-même incomplet.

Je reconnaisd'ailleurs, et ces distinctions subtiles le

prouvent assez, qu'il y a grand'peine!'tsavoiravec pré-cisionce qu'est le mouvement;car il faut nécessairement

le classer, soit dans la privation, soit dans l'acte, soit

dans la puissance mais qu'onen fasse un acte, une puis-sanceou une privation, la théorie n'est jamais parfaite-ment satisfaisante.Reste donca.le considérer,ainsi quenous venons(le le faire, commeun acted'un certainordre.

Mais,j'avoue que cet acte', même tel que nous l'avons

expliqué,est tres-ditïicilea bien comprendre,quoique ce

ne soit pas tout a fait impossible.

Il.

Ainsique nous l'avons déjà dit, Loutmoteur dans la

nature est d'abord mu hu-mêcne,parce qu'il est mobile

Page 265: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYStQUË88

en puissance, et queson immobilité, qui n'e.,tpasabsolue.

est simplement la privation du mouvement ou le repos.Le repos est t'immohilité de ce qui, par nature, possède

le mouvement sans en faire usage a un certain moment

donné. Agir sur un mobile en tant qu'il est mobile, c'est

là précisément cequ'on appelle mouvoir; mais le moteur

ne peut agir que par contact, et du moment qu'il touche

le mobile il en reçoit une certaine action, en même temps

qu'il lui en communique une. Je transforme donc un

peu la définitiondu mouvement, et je dis qu'il est l'acte

ou entelechie, la réalisation du mobileen tant que mobile.

Mais comme le contact est indispensable pour le phéno-mène qui se passe ici, le moteur soutire en même temps

qu'il agit. C'est une forme nouvelle que le moteur apporte

toujours à l'être qu'il meut, soit eu substance, soit en

qualité et cette forme sera, comme cause finale, le prin-

cipe du mouvement que donne le moteur. C'est, par

exemple, un homme actuel, réel ou en entéléchie,qui fait

un homme réel de l'être qui n'était homme qu'en puis-sance. Ainsi,lemouvementvient sans doutedu moteur quile donne; mais it est réellement dans le mobilequi le re-

çoit, et dont il est l'enteléchie. Ainsi, l'acte du moteur se

confond avec celui du mobile et ne peut être autre; car il

faut que tous deux aient leur réalisation, leur entéléchie.

Le moteur en puissance est moteur à ce titre, par cela

seul qu'il peut mouvoir; mais le moteur réel est moteur

à ce titre, parce qu'en'ectivement il meut et agit. Mest

l'agent du mobile; et, par conséquent, il n'y a qu'un seul

acte pour le moteur et pour le mobile a la fois.C'est ainsi

que dans les nombres il n'y a qu'un seul et même inter-

valle d'un a deux et de deux à un, soit que l'on monte soit

Page 266: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, UViΠIti, CH. 1!. 8~.

que l'on descende, du plus petit au plus grand,ou du plus

grand au plus petit.Les deuxchosesn'en font bien qu'une;

mais, cependant, leur définition réciproque n'est pas la

même un est la moitié de deux, et deuxest le double deun. C'est là aussi le rapport et la diuérencedu moteur aumobile qu'il meut.

Il est vrai qu'à cette théorie on faitune objection, et il

faut y répondre, bien qu'elle soit purement logique et

qu'elle ne repose pas sur une réalité. L'acte du moteur,

dit-on, doit être dînèrent de celui du mobile, comme

l'acte de l'actif est dînèrent de celui du passif. D'une

part., c'est l'activité; de l'autre au contraire, c'est la pas-sion et l'affectionsubie. L'oeuvreet la fin,du moteur, c'est

uu résultat produit; l'œuvre du mobile et sa fin c'est un

certain état tout passif. Voicila réponseque je fais à cette

objection. Si l'on prétend séparer les deux actes du mo-

teur et du mobite, au lieu de les réunir en un seul, ou en

fait deux mouvements; et alors je demande, en admet-

tant qu'ils sont autres, dans quel terme, le moteur ou

le mobile, on les place. Ou les deux actes sont dans ce

quisounre l'action, dans le mobile; ou bien l'action se

trouve d'une part dans le moteur qui agit.; et d'autre

part, la passion se trouve dans le mobilequi soulfre l'ac-

tion. Maissi l'on donne également le nomd'acte, ou d'ac-

tion à cette passivité, c'est une simple homonymie, une

pure équivoque de mots. Si on les sépare et qu'on placel'action dans l'agent et la passion dans le patient, comme

il semble que cela doit être, alors ou met le mouvement

dans le moteur, au lieu du mobile o~ it est, ainsi quenous venons de le démontrer; car entre le moteur et. )c

mobile, le rapport est le même qu'entre i'actiou et la

Page 267: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE00

passion.On sera ainsi amenéà soutenir ces deux absur-

dités, ou que tout moteur est mu comme le mobile,ou

que ce qui a lemouvementne l'a pas car si le mouvement

est dans le moteur, ainsi qu'on ]e prétend, il fautalors

que le moteursoit mu, ce qui est contradictoire; ou bien

si l'on dit que le moteur n'est pas mu, on ne comprend

plus qu'ayant en soi le mouvement, il ne t'éprouvepas.

Que si l'onprétendqueles deuxactessont dansle mobile,

c'est-à-dire dans le patient au lieu d'être dans l'agent ou

le moteur, de même que le disciplequi étudie réunit en

lui l'enseignement qu'il reçoit et l'étude par laquelle il

s'applique, je réponds qu'il en résultera cette première

absurdité, que l'acte d'un être n'est plus dans cet être,

puisquel'action de l'agentseradansle patient etnon plus

dans l'agent lui-même; puis, uneseconde absurdité non

moinsévidente,c'est qu'une seule et mêmechosepourra

avoir à la fois deux mouvementsdifférents et peut-être

même contraires. Mais comment concevoirdans un seul

et mêmeêtre deux modificationsdiverses, lesquellesten-

draient cependantà la même finet à la mêmeforme?1

Dira-t-on qu'il n'y a qu'un seul et même acte pour

l'agent et le patient? Je~réponds que c'est impossible,

parce qu'il est contre toute raison que deux choses

d'espèce différente, comme le sont l'agent et le patient,

puissentavoir un seul et mômeacte. Que si l'on identifie

l'enseignementque reçoit le discipleavec l'étude person-

nelle qu'il fait pour s'instruire lui-même, l'actionavec la

passion, alors il faudra admettre aussi, qu'enseignerest

h),mêmechose qu'étudier, que sounrir et agir sont tout

un, que quand on enseigne ou étudie, et que celuiqui

meut est aussicejui quisouffreet qui est mu. Je conviens

Page 268: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIll, CH. t!. 91

qu'à certainségards, il n'est pasabsurde de soutenirquel'acte d'une chose puisse être dans une autre chose.

Ainsi l'enseignement est bien l'acte du maître qui

enseigne mais cet acte a beau résider dans un certain

être douéde telle ou telle capacité,il n'y est pas complé-tement isolé et abstrait il y est l'acte de cet être qui

enseigne,dans un autre être qui reçoit l'enseignementc'est l'acte du maître dans et sur le disciple. II n'est pasnon plusimpossibleque le mêmeacte appartienneà deux

choses différentes.Sans doute, il n'y est pas essentiel-

lement et absolumentidentique,commele sont dans leur

définitionun Habit et un Vêtement mais le même acte

peut être, dans l'une des deux choses, en puissance,et

dans l'autre, en réalitéactuelle. J'ajoute, pour répondreau doute soulevé tout à l'heure, que ce n'est pas une

conséquencenécessaire,commeon le dit, que l'acte de

l'enseignementet celuide l'étudesoientidentiques et en

supposantmêmequ'il faille à certains égards confondre

l'action et la passion, ce n'est pas du tout commeon

confondl'Habit et le Vêtement, dont la définitionessen-

tielle est toute pareille; mais c'est seulementcommel'on

peut confondrele mêmechemin fait en deux sens diffé-

rents. D'AthènesThèbes, et de Thèbes à Athènes, le

cheminest pareil; maisdans un cas, c'est l'aller; et dans

l'autre, le retour. C'est qu'en effeton peut bien dire de

deux. chosesqu'elles sont identiques,quand elles ne le

sont qu'~certains égards et relativement maispour être

absolumentidentiques,il faut qu'ellesle soientdans leur

essence.En d'autres termes, en supposant que l'ensei-

gnementet l'étude sont une mêmechose, il ne s'en sui-

vrait pas que l'acte d'enseigneret l'acte d'étudier fussent

Page 269: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE9:)12

un seul et mêmeacte. La distanceest h même sans dontc

entre les deux points niais ce n'est pas identiquement lajn6<nechose u'aHerdu premier au second, ou du second,au prenner.

Pour résumer cecien quelques mots, je dira.!qu'à pro-prement parier, ni l'enseignementet l'étude, ni l'action etla passion ne sont une seule et même chose. La sentechose identique de part et d'autre, c'est le mouvement,dont l'action et la passion ne sont que des modes diverscar on peut distinguer rationnellement l'acte- d'une chose

qui agit sur une autre, et l'acte d'une chose qui souffrel'action d'une autre chose. Sous ces deuxfaces, c'est tou-

jours le mouvement.

III.

Telle est donc selonnous la déunition du monveme!)),soit considéré en général, soit considèredans ses espèces;et. les explications que nous avons données sunisent pourqu'on ne soit pas embarrassé & définir chacune des

espèces particulières. Par exemple, si l'on voulait définir

l'espace de mouvementqu'on appelle i'a.it.eration,c'est-à-dire Je mouvement,dans la qualité, on dirait que t'alte-

ration est l'acte ou l'entéléchie de rôtre altérable, en tant

qu'il peut être réellementaltéré. On pourra même trou-

ver encore une expression plus claire, en disant que le

mouvement est l'acte de ce qui peut agir ou soun'rir, entant que l'objet est ce qu'il est; et cela, soit d'une manière

absolue et toute générale, soit d'une manière spéciale,selon les cas divers ici l'acte de la construction d'une

maison que l'on construit ailk'urs i'nctc de la guérison

Page 270: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE JH, GH. IV. 93

que le médecin opère, etc. Le procédé serait le même

pour tous les cas possibles du mouvement, et l'on feraitt

subir les mêmes changements la définitionque nous en

avons essayée.

IV.

Après avoir donné une idée toute générale du mou-

vement, nous poursuivons le cours de notre étude. La

sciencedelà nature, telle que nous la concevons,s'occupenécessairement de trois choses les grandeurs, le mou-vement et le temps; et ces trois choses, qui comprennenta peu près tout, doivent être ou infinies ou finies. Je dis

qu'elles comprennent à peu près tout, parce qu'il y a

quelques exceptions et, par exemple, il y a des choses

qui ne peuvent pas être ni finies ni infinies; ainsi, le pointen mathématiques et la qualité dans les choses; car ni la

qua)ité ni le point ne peuvent être rangées ni dans t'uneni dans l'autre classe du fini ou de l'infini. II convient

donc, quand on étudie la nature, d'étudier aussi l'infini;et c'est ce que nous allons faire en nous demandant si

l'infini existe ou s'il n'existe pas, et en recherchant, une

fois son existence reconnue, ce qu'il est essentiellement.

En nous Jivrantà cette étude, nous ne faisonsqu'imiterles autres philosophes,quiont pensé, commenous, qu'elleest indispensable à la science de la nature; et tous ceux

qui ont quelque autorité en ces matières, se sont si bien

occupés de l'infini qu'ils en ont faitun principe des êtres.

Les uns, commeles Pythagoriciens et Platon, pensant quel'infini est Je principe essentiel des êtres, et non pas un

attribut et un simple accident, eu ont l'ait une substance

Page 271: La Physique d Aristote

PARAPHHASEDE LA PHYSIQUE<)~

existant par elle-même. La seule différence entre l'écolede Pytitagore et le système Platonicien, c'est que pourles premiers, l'infini fait partie des choses possibles,puisque d'une part ils ne séparent pas le nombre ent'abstrayant des choses Gués-mêmes,et que d'autre partils pfacent aussi l'infiniendehors du ciel, où ils admettentencore des choses sensibles. Platon au contraire ne voitrien endehors du ciel et dece monde, pas mêmes les Idées,auxquelles on ne petit d'ailleurs assigner aucun lieu;iet il met l'infini à la fois dans les choses sensibles etdans les Idées. Une autre difTérence encore entre les

Pythagoriciens et Platon, c'est qu'ils identifiaient l'infiniet le pair, attendu que tout nombre pair est indéfinimentdivisible par deux. En ce sens, le nombre pair, par lapossibilité de ses divisions indéfinies, donne l'infinitudeaux choses, tandis que l'impair, même quand il dépassele pair ou qu'il le limite enempêchant les divisionsd'alleraussi loin, ne peut être considéré comme Infini carl'itnpair est essentiellement indivisible. En preuve, lesPythagoriciens citaient ce qui se passe dans la série desnombres, où, en ajoutant a l'unité les gnomons, c'est-à-dire la suite des nombres impairs 3, 6, 7, 9, etc., onobtient toujours la même figure, laquelle est un carré,tandis qu'en ajoutant à l'unité la suite des nombres pairs2, &,6, 8, etc., on obtient toujours une figure difï'érente,ou plutôt des figures qui varient à l'infini. Quant à P)a-ton, loin de considérer ainsi l'infini, il reconnaissait deuxinfinis, l'un de grandeur et l'antre de petitesse.

Le point de vue où se sont places les Physiciens n'estplus celui des Pythagoriciensni de Platon. Ils n'ont pinsdonné a l'infini nne nature substantielle, et ils en ont fait

Page 272: La Physique d Aristote

D'AR!STOTE,UVRR HI, (.H. IV. 95

un simple attribut des éléments qu'ils admettaient, l'air,

l'eau et les intermédiaires analogues. Parmi les philo-

sophes qui limitent le nombre des éléments, soità. deux,

soit trois, soit à quatre, personne n'a songé à dire queces élémentsen nombre fini fussent infinis en grandeur.Maisceux qui supposent les éléments en nombre infini,

commeAnaxagoreavec ses parties similairesou Homœo-

méries, et Démocrite avec ses germes et ses atomes

partout répandus, ceux-là pensent que l'infini est com-

posépar le contact universel des choses, et leur absolue

continuité. Anaxagoreaffirme qu'une partie quelconquedu mondeest un mélange pareil à tout le reste de l'uni-

vers, se fondant sur cette observation, d'ailleurs fort

contestable, que tout vient de tout dans l'état présent des

choses. De la il tire cette induction que tout à l'originedes choses était dans tout, que la chair, par exemple, qui

aujourd'hui est distincte de l'os était alors de l'os aussi

bien que de la chair, ou telle autre chose, que toutes

choses étaient confondues pêle-mêle les unes avec les

autres, en un mot que tout était tout. Selon lui, il y a

dans une chose quelconque non-seulement un principe

qui distingue cette chose de toutes les autres, mais aussi

des principes qui peuvent distinguer toutes les autres

choses.D'autre part, commetout ce qui se produit actuel-

lement sous nos yeux vient d'un corps semblable a celui

qui est produit, et qu'il faut bien un principe à la géné-

ration des êtres, qui est très-réelle, sans d'ailleurs qu'elle

soit simultanée et confuse commele croit Anaxagore,il en

concluait que le principe de toute génération est en défi-

nitiveunique; et ceprincipe unique de toutce qui est, Ana-

xagore l'appelait l'tnteltigfnce. Or, l'Intelligencequi nn

Page 273: La Physique d Aristote

PARAPHRASED E LA PHYSIQUE!)(i

peut agir qu'intellectuellement, est partie, pour son <~uvre

d'organisation, d'un certain état antérieur. Donc tout

était dans le chaos, que l'lntelligence a ordonné, et c'est

elle qui a communiqué à tontes choses le mouvement

régulier et immuable que nous voyons. Telles sont les

théories d'Anaxagore. Démocrite pensait au contraire que

jamais les éléments primordiaux des choses, les atomes,

ne peuvent venir les uns des autres c'est la matière

communede tout, c'est un élément et un corps commun,

qui ne varie que par la grandeur et ta configuration de

ses parties.

Ainsi, tout ce qui précède prouve bien que l'étude de

l'infini appartient à la science de la nature; et il faut

louer les philosophes d'avoir toujours fait de l'infini, un

de leurs principes. L'infini, en effet, ne peut pas avoir

été fait pour rien et on ne peut lui donner un autre

caractère que celui de principe car tout doit être ou

principe ouconséquence d'un principe; or, l'infini ne peut

avoir de principe, puisqu'alors il aurait une limite qui le

rendrait fini donc il est bien principe, et il ne peut être

que cela, De plus, étant un principe, il faut que l'infini

soit increé et impérissable car font ce qui a été créé doit

avoir une fin, et il y a un terme à tout ce qni dépérit. Or,

l'infini ne peut avoir de terme sous quelque rapport que

cesoit il n'y a donc pas de principe pourlui, et c'est lui

au contraire qui est le principe de tout le reste. II

embrasse tout il gouverne tout, » commele disent ceux

qui, en dehors de l'infini, ne reconnaissentpoint d'autres

causes que lui, et n'ont point recours à l'intervention de

l'intelligence ou de l'Amour. Ces philosophes ajoutent

aussi que l'infini est l'être divin, puisqu'il est immortel

Page 274: La Physique d Aristote

!)'AR)8TOTH,HVRE Hi, (H. 97

et.indestructibic, ainsi que le disait Anaximandreet avec

hn la plupart des Naturalistes.

V

11y a cinq arguments principaux à J'aide desquelson

peut démontrer l'existence de l'infini. C'est d'abord le

temps, ({niest infini, et qui ne peut avoir de fin, de même

qu'i) n'a. point en de commencement. En second lien,

c'est la divisibilit-edes grandeurs qui est sans fin et les

mathématiques font souvent usage de la notion de l'in-

fini. En troisième lieu, la génération et la destruction

perpetnetlesdes êtres, et leur renouveHomeutindéfectible

prouvent bien qu'il y a nn infini d'en sort sariscesse tout

ce qui se produit; car, sans lui, cette succession éter-

nelle viendrait a. def'ai]]ir. Qnatt'ie'nement, tont ce qui

est imi est toujours fini relativement :').quelque chose qui

le limite; et, nécessairement, il n'y aurait ni limite m fin,

s'il fallait que toujours une chose en limitât une autre;i

c'est donc à quelque chose d'infjni qu'aboutissent les

choses, et c'est l'infini qui est leur limite commune. En-

fin, le cinquième et dernier argument est le plus puissant

de tons, et c'est ceiul qui a le plus occupé les philoso-

phes c'est que notre pensée conçoit l'infini, soit pour

les nombres, soit pour les grandeurs, soit pour l'espace

en dehors des sphères célestes, et que quelque grand que

soit un nombre, une grandeur, un espace quelconque,la

pensée peut toujours concevoir quoique chose de plus

grand. L'espace qui est en dehors du ciel que nous

voyons étant infini, il faut bien qu'il y ait un corps infini

et des mondes s;).ns fin; car, pourquoi le vide serait-il

7

Page 275: La Physique d Aristote

PAUAPHRASE DE LA PHYSIQUEus

dans une partie de l'univers, pnisqu'i) n'est pas dans

celleoù nous sommes?Pourquoi le plein ne serait-il point

partout, du moment qu'il est quelque part? Et même en

admettant le vide, il n'en faudrait pas moins que cet es-

pace vide fût infini; et l'on reviendrait ainsi a admettre

l'existence d'un corps infini car dans les choses éter-

nelles, du moment qu'une chose peut être, elle est; et la

puissance s'y confondavec l'acte, l'acte s'y confondavec

la puissance.

J'avoue que, maigre ce que je viens de dire, la théo-

rie de l'infini est toujours fort difucile, et que l'on tombe

dans une foule d'impossibilités, soit qu'on en admette,

soit qu'on en rejette l'existence. 1)'autre part, l'existence

de l'infini étant admiseet démontrée, de nouvellesques-tions se présentent. Comment existe-t-il? Est-ce comme

substance? Ou bien n'est-il qu'un accident de quelqueautre substance existant elle-même dans la nature ? Ou

bien encore n'existe-t-il ni à l'état de substance, ni à

l'état d'attribut? Mais,sans se perdre dans ces recherches

épineuses, on peut affirmerque l'infini existe, ne serait-ce

que par cette seule considération que le nombre des

choses est infini. Et parmi tontes ces questions, celle

qui intéresse plus particulièrement le Physicien, c'est de

savoir si parmi les choses sensibles, dont l'étude consti-

tue la science de la Physique, il est nne grandeur qui soit

infinie.

Vt.

Pour approfondir cette question spéciale, il faut d'abord

avoir le soin (le bien distinguer les divprses acceptions

Page 276: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIll, CH. Vf. M

du mot Infini. Premièrement, on entend par Infinice

qui, par sa nature, ne peut être parcouru ni mesuré; demême que, par sa nature, la voix est invisible, par ceseul motif qu'elle est faite pourêtre entendueet nonpasvue. En un secondsens moinsprécis que celui-là, on dit

d'une chose qu'elle est infinie par cela seul qu'eue n'a

point, au momentoù on la considère, le terme qu'elle a

ordinairement.Bienque par sa nature elle ait un terme

nécessaire, on dit qu'elle est sans terme ou à peu prèssans terme; et à cet égard on l'appelle infinie,parce quesa fin ne nous est pas immédiatementaccessible.Enfin,une chosepeut être considéréecommeinfinie,soit parcequ'elle peut s'accroîtresans terme, soit parcequ'elle peutêtre supposée divisée a l'infini, soit mêmeparce qu'ellepeut être considéréesousces deux rapportsà la fois.

Ceci posé, nous disonsqu'il est impossibleque l'infini

soit séparé des choses sensibles,ainsi qu'on l'a quelque-foisprétendu, et que ce quelquechose ainsi isoléde tout

soit lui-mêmeinfini car si l'on soutient que l'infini n'estni un nombre, ni une grandeur, et qu'il est essentielle-ment une substance,et nonpoint nn accident, il s'en suit

que l'infini est indivisible, attendu que le divisibleest

toujours nécessairementou'unegrandeur, ouun nombre.Maiss'il est indivisible,il n'est plus infini,si ce n'est indi-

rectement, de mêmequ'on dit de la voixqu'elle est invi-

sible. Essentiellementla voixn'est pas invisible;elleest,si l'on peut dire ainsi, inentendable. Maisce n'est passous ce rapport indirect que l'on considèrel'infiniquandon en admet l'existence, et ce n'est pas ainsique nous

l'éludions nous-mêmes,puisquepour nous la nature es-

sentieDede l'infini, c'est de ne pouvoir être parcouruet

Page 277: La Physique d Aristote

PARAPHRASADE LA PHYSIQUE)00

épuisé; il est divisible, et ses divisionsne peuvent avoir

de terme. D'autre part, si l'infini existe comme simpleaccidentdes choses,et non pluscommesubstance, il n'est

pas alors, commeon le disait, l'élémentet le principe des

choses, pas plus que l'invisible,qui est un accident de la

voix,n'est l'élément et le principedu langage, bienquela voixsoit invisible.En outre, commentcomprendrequel'infinipuisseêtre lui-mêmeséparé des choses quand le

nombre et la grandeur, dont l'infini est un attribut, ne

sont pas eux-mêmesséparés? Certes,si le sujet n'est pas

séparé, l'attribut l'est bien moinsencore; et ce prétenduinfinil'est nécessairementbienmoinsque la grandeur et

le nombre.

Maissi l'infini, ainsi compris, ne peut être ni sub-

stance, ni principe, il est évident qu'il ne peut pas da-

vantage être actuellement, être en acte, dans les choses

sensibles; car, s'il était en acte, il serait divisible; et,

alors, toute partie qu'on en sépareraitdevrait être infinie

comme lui. Mais, du momentqu'on fait de l'infini, une

substance et non plus un simpleattribut, il n'est plus

possiblede distinguer l'Infiniet l'essencede l'infini. L'in-

fini étant simpleen tant que substance,il se confondavec

son essence, et il n'y a pas là de division possible. Par

conséquent,ou l'infini est indivisible,ou seloncette théo-

rie il est divisible en d'autres infinis; mais c'est là une

impossibilité,et l'infini est nécessairementun. Une partiede l'air est bien encore de l'air; mais il ne se peut pas

de la mêmefaçonqu'il y ait un infinid'infini, et qu'une

partie de l'infinisoit l'infini. C'estcependant à cette con-

clusion qu'on est amené si l'on suppose que l'infini est

une substanceet un principe.Dira-t-on,an contraire, que

Page 278: La Physique d Aristote

U'AÏUSTOTE,UVIŒ, !H, CH. V)i. )0d

l'infini est indivisible,et non plus divisible?Alors, il est

impossible qu'un être réel, un être actuel, soit infini,

parce qu'il faut toujoursqu'un tel être soit une quantité

déterminée, c'est-à-direunequantité qui est précisémentle contraire de l'infini.Que si l'on cesse de soutenirquel'infini soit une substance, et si on le réduit à être un

simple attribut, des lors il cesse d'être un principe;et

par suite, le véritableinfini, c'est ce ttont l'infini estl'at-

tribut, et non plus l'infini lui-même c'est l'air, par

exemple,si l'on prendl'air commeinfini; c'est le nombre

pair indéfinimentdivisible, si c'est le nombre que l'on

considère. En un mot, c'est se tromper étrangementsur

l'infini, que d'en faire avec les Pythagoriciens,une sub-

stance, et de le regarder en mêmetemps comme formé

de parties diverses.

vu.

Nous savonsbien qu'on pourrait étendreencore l'étude

que nous faisons ici. et. qu'on pourrait considérer l'infini

non-scnlement dansla nature, mais aussi dans les mathé-

matiques, dans la pensée, et dans les choses qui, comme

elle, n'ont pas de grandeur. Maisloin d'élargir le cercle,

nous préferons le borner; et comme la Physique ne doit

s'occuper que de chosessensibles, nous nous astreindrons

'à. cette seule question de savoir si, parmi les choses que

perçoivent nos sens, il peut y en avoir une dont le déve-

loppement soit infini. Nous nous servirons d'arguments

rationnels et d'arguments physiques, pour prouver qu'il

n'y a pas de corps sensible qui soit infini.

Logiqueuxint, il y a contradiction :'Lce qu'un corps soit

Page 279: La Physique d Aristote

PARAPHRASEI)H LA PHYSIQUE:102

infini?car le corps est défini Ce qui est limité par une

surface. Dès lors, la raisonne peut pas pins concevoirun

corps infinique les sens ne peuventle percevoir.Maisle

nombrelui-mêmeconsidérédans les chosesn'est pas in-

fini, de mêmequ'il l'est quand on le considèreabstraite-

ment. Le nombredans ce cas n'est que ce qui est numc-

rable et puisqu'on peut toujours nombrerle numérable,il s'ensuivrait qu'on pourrait ainsi parcourir et épuiserl'infini. Voilapour les arguments rationnels.

Physiquement,les arguments ne sont pas moins forts,et ils prouventque ce prétendu corps infini ne peut être

ni composéni simple, en d'autres termes qu'il ne peutexister. Ainsile corps infini ne peut pas être composé,si

l'on suppose que les éléments naturels sont en nombre

fini, commeils le sont en effet; car nécessairementles

élémentscontraires qui le formentdoiventêtre plus d'un,et commeil faut qu'ils se fassent contre-poidspour quele

composése conserve,il est bien impossibleque l'un d'eux

soit infini, attendu que par cela seulqu'il serait infini,il

détruirait toujours tous les autres. Supposonsque la puis-sance qui est dans un des deux éléments composants,soit inférieurea celle de l'autre, et que, par exemple,le

feu et l'air composant l'infini, le feu soit fini, tandis quel'air serait infini. On croit que le feusuiîisammentmulti-

plié, mais d'ailleurs toujours fini, pourrafaire équilibreA

l'air; je dis qu'il n'en est rien, et que l'air étant infini

l'emporterasur une quantitéquelconquefinie de feu; l'in-

fini annulera toujours le fini quel qu'il soit. Si l'on dit

que ce n'est pas un des éléments du corps infini qui est

infini, maisque tous ses éléments sont égalementinfinis,ce n'est pas plus possible; car le corps est ce qui a des

Page 280: La Physique d Aristote

UA1USTOTE, L1V1ŒUi, CH. VII. 103

dimensions finies en tous sens, longueur, largeur, pro-

fondeur mais l'infini a des dimensions infinies, et alors

il sunu'a qu'un seul des éléments soit infini pour remplir

l'univers. Par conséquent, ce corps infini aura des dimen-

sions infinies en tous sens, ce qui est contradictoire à la

notion même de corps.

Mais si le corps infini ne peut pas être composé, il

n'est pas possible davantage qu'il soit un et simple, même

en le prenant pour quelque chose en dehors des éléments

ordinaires qui ensortent et en naissent, comme le veulent

quelques philosophes; ou pour mieux dire, il est impos-

sible qu'il existe. Il y a des philosophes, en effet, qui

conçoivent l'infini de cette façon, sans oser le placer ni

dansl'air nidans le feu, de peur de détruire les autres élé-

mentspar celui d'entr'eux qu'on ferait infini.Les éléments

naturels ont les uns à l'égard des autres une opposition

qui en fait des contraires. Ainsi, l'air est froid l'eau est

humide; l'air est chaud; et si l'un de ces éléments était

infini, il annulerait à l'instant tous les autres. Aussi les

philosophesdont nous parlons, font-ils du principe d'où

viennent les éléments selon leur système, quelque chose

de distinct des éléments. Mais il est impossible qu'il y ait

un tel corps en dehors des éléments naturels, non pas

seulement en tant qu'infini; car on pourrait dire de lui

qu'il détruirait les autres comme on le dirait tout aussi

bien de l'air, de l'eau, ou de tout autre élément; mais

aussi, parce qu'il ne peut pas exister un corps sensible de

ce genre en dehors de ce qu'on appelle Jeséléments. Tout

en effet se résout en définitivedans l'élément primordial

d'où il vient; il faudrait donc un élément différent de

l'air, du ton, de la terre et de l'enu, et l'observation peut

Page 281: La Physique d Aristote

PARAPHEE DH LA PHYSIQUE40&

nous convaincre qu'il n'y en a pas, puisque l'eau, laterre, le feuet l'air, ne se résolvent pas dans cet dément

unique d'où on les fait sortir.

On vient de montrer qu'il ne peut pas y avoir un ce-rnent infinien dehors des quatre éléments; il ne se peutpas davantage que ce soit un de ces élémentsqui soit in-fini; car pour que l'univers, meute en le supposant limite,devienne un élément unique comme le prétend Heraclite,qui croit que tout a été jadis du feu, il faut qu'un des

quatre cléments devienne infini. On pourrait en dire au-tant de ce principe unique que supposent nos philo-sophes en dehors des éléments, et il faudrait que lescléments se fussent convertis en cet unique principe;maisators il n'y aurait plus de changement dans l'uni-vers car pour que le changement ait lieu, il faut qu'it sefasse du contraire au contraire, et, pal-exemple,du chaudau froid.

Ce queje viens de dire peut nous servir, d'unemanièregénérale, à savoir s'il est possible qu'il y ait un corpssensible infini. Et d'abord, voici des raisonsqui semblent

prouver qu'il est impossible qu'un tel corps existe. D'a-

près les lois les plus évidentes de la nature, tout corpsest dans nn lieu; chaque espèce de corps a un lieu quilui est propre, et la partie est toujours dans le même lieu

que le tout. Ainsi, une motte de terre a le même lieu quela masse totale de la terre, c'est-à-dire qu'elle se dirigeen bas une étincelle a.le même lieu que la masse entièredu feu, c'est-à-dire qu'elle se dirige en haut. De ces prin-cipes, je tire cette conséquence que, la partie du corpssensible infini étant homogène au tout, on elle sera éter-nellement immobile,ou eUesera toujours en mouvement.

Page 282: La Physique d Aristote

DA1USTOTE,LI~RE Ht, CH. V! ~05

Maisje prouve que ces deux hypothèses sont égalementinadmisibles. Eneffet,pourquoi le mouvementde la partieirait-il en bas plutôt qu'en haut ou dans tout autre sens,

puisque le corps sensible infini dont elle est la partie, est

nécessairement partout? Je reprends l'exemple de la

motte de terre, et en supposant que la terre, dont elleest

une partie soit ce corps sensible infini, je demande I)ans

quel lieu pourra se porter cette motte de terre, si elle est

en mouvement?Dansquel lieu aura-t-elle son repos?Car,encoreune fois, le lieu du corps sensible infini auquel elle

est supposée homogèneest infini et il ne reste plus de

lieu pour la partie. Dira-t-on par hasard que cette motte

de terre remplira tout l'espace, comme la terre eHe-meme

est supposée le remplir? Mais comment serait-ce pos-sible? Comment aurait-elle alors mouvement ou repos?t

Dans quel lieu seront-ils J'un et l'autre? Si elle est par-tout en repos, alors elle n'aura jamais de monvRfuent;et

si son mouvement est partout, alors elle ne sera jamaisen repos; ce qui est également contraire aux phénomènes

que nous pouvonsobserver.

Si au lieu de supposer la partie homogène au tout, on

la suppose dissemblable, la partie ne ressemblant plusau tout, il s'en suit qu'elle aura un lieu autre que lui.

Mais la partie étant d'une autre espèce que le tout, l'unité

du tout, qui est le corps sensible infini, disparaît; ou plu-tôt, il n'y a plus d'unité que celle qui résulte de la conti-

nuité des parties. Ajoutezque les espèces des parties du

tout seront aussi ou en nombre fini ou en nombre infini;mais l'une et l'autre hypothèse est également insoute-

nable. D'abord il n'est pas possihle que lc.sparties soientt

car le tout étant innui, il y aura des parties itmnic.s

Page 283: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE106

à côté des parties finies, le feu ou l'eau, par exemple; et

alors les contraires détruiront les contraires, commejel'ai dit un peu plus haut. Voilà pourquoi, je le remarqueen passant, pas un des philosophes qui ont traité de la

nature n'ont admis que l'un ou l'infini pût être le foi ou

la terre, dont les lieux sans doute sont trop spécialement

déterminés; mais ils ont choisi pour en faire l'innni, l'air

ou l'eau, ou mêmecet autre élément qui est intermédiaire

entre ceux-là et dont on a parfois admis l'existence

hypothétique. Le lieu de la terre et celui du feu étaientde toute évidence, puisque l'une se dirigeen bas et l'autre

en haut; mais les lieux des autres éléments sont moins

certains. Mais je laisse cette discussion, et je poursuis.Je viens de prouver que les parties du corps sensible

infini ne pouvaient 6tre finies ellesne peuvent pas davan-

tage être infinies, et simples; car alors les lieux de ces

parties seraientinfinis commeelles, et les élémentsseraient

également en nombreinfini ce quiest manifestementfaux.

Maisles lieux sont eux-mêmes en nombre fini, ainsi queles cléments: et le tout, c'est-à-dire le corps sensible

qu'on prétendait infini, sera fini commeeux. En en'et, il

est impossible que le lieu et le corps qui occupe ce lieu

ne soient pas égaux et conformes l'un à l'autre. Ainsi le

lieu ne peut pas être plus grand que le corps infini, ni le

corps infini plus grand que le lieu; car si le lieu était plusgrand, c'est que le corps cesserait d'être infini, et il yaurait du vide; ce qui est contre l'hypothèse; on bien si

le corps était plus grand, il y aurait alors un corps quin'aurait pas de lieu et ne serait nulle part; ce qui n'est pasmoins impossible.

Anaxagorese trompe étrangement quandil prétend que

Page 284: La Physique d Aristote

D'AtUSTOT! UVUMHi, CH. Vit. 107

l'infiniest immobile,parce qu'il se soutient lui-même et

qu'il existe en lui seul, rien ne pouvant le contenir. On

croirait, à l'entendre, qu'il suffit qu'une chose soit dans

un lieu quelconque pour que ce soit absolument sa nature

d'y être mais cette conséquence n'est pas juste; car une

chosepeut être par forcedans un certain lieu, toutes les

l'oisqu'elle n'est pas là où sa nature voudrait qu'elle fût.

Si donc c'est surtout de l'univers, c'est-à-dire de l'en-

semble des choses, qu'on doit affirmer qu'il est im-

mobile, puisque de toute nécessité ce qui ne s'appuie quesur soi et n'existe que par soi ne peut avoir de mouve-

ment, il aurait fallu nous apprendre pourquoi il n'est pasdans sa nature de se mouvoir. On se débarrasse aisément

de cette difficultéen disant qu'il en est ainsi mais, une

telle explication n'est pas suffisante; car un corps quel-

conquepeut tout aussi bien que le corps infini n'être pasen mouvement, bien que la mobilité soit parfaitementdans sa nature. Ainsi,la terre n'a pas de mouvementdans

l'espace; et, la supposât-on infinie, elle ne quitterait pas

pour cela le centre et le milieu du monde et elle resterait

toujours au centre, non pas seulement parce qu'étant in-

finieil n'y aurait pas de lieu où elle pût se porter., mais

surtout parce qu'il est essentiellement dans sa nature de

demeurer aucentreet dene point aller ailleurs. Cependant,on pourrait dire de la terre, tout aussi bien qu'on le dit

de l'infini, qu'elle s'appuie et se soutient elle-même.Si

doncce n'est pas en tant qu'elle serait infinie que la terre

resterait au centre, et si elle y reste à cause de sa pesan-

teur, attendu que tout ce qui est pesant reste au centre,

on peut dire que l'infini existe en lui-même par quelquecause din'érente de celle qu'ou indique, et que ce n'est

Page 285: La Physique d Aristote

PAUÀPÏIRAtŒDKLA PHYS!Q~108

pas du tout par cela seul qu'il est infini qu'il se soutient

lui-même.

Une autre conséquencenon moinsvainede cesthéories,

c'est qu'une partie quelconquede l'infini devrait être eu

repos tout comme lui. L'infini se soutenant lui-même,dit-

on, se repose en soi donc une partie quelconque de l'in-

fini sera également en repos sur elle-même: car les lieux

sont pareils et pour le tout et pour la partie. Là ou est le

tout, là est aussi la partie; et, par exemple, le lieu de la

masse terrestre tout entière étant en bas, le lieu d'une

simple motte de terre y sera de même. Lelieud'une étin-

celle est en haut, commey est le lieu de la masse totale

du feu. Par conséquent, si le lieu de l'infini est d'être en

soi, le lieu de la partie de l'infini sera tout pareil, et elle

aura également son repos en elle-même.

Mais je reviens à mon sujet, et je dis qu'il est impos-

sible de soutenir qu'il y a un corps sensibleinfini, sans

détruire cet autre principe incontestable que les corps ont

un lieu qui leur est propre selon leur nature. En effet,

tout corps sensible est ou pesant ou léger. S'il est pesant,

sa tendance naturelle le dirige au centre; s'il est léger,

elle le porte en haut. L'infiui, en supposant que ce soit

un corps sensible, est nécessairement soumisà cette con-

dition, qui est communea tous les corps. Or, il est évi-

demment impossible, et que l'inuni dans sa totalité ait

l'une ou l'autre de ces propriétés, c'est-à-dire qu'il soit

ou tout entier pesant ou tout entier léger, et qu'il ait une

de ces propriétés dans une de ses moitiés, et l'autre dans

l'autre moitié. Eneffet, comment diviser l'infini? Com-

ment une partie de l'infini serait-elle eu bas? et comment

une autre partie sera-t-clle en haut? En d'autres termes,

Page 286: La Physique d Aristote

T)'A!(!STOTK,UVJU';Ill, CH. VU. -10')

comment une des parties de l'infini serait-elle aux extré-

mités, tandis que l'autre partie serait au centre?

A ces preuves qui démontrent qu'il ne peut pasy avoir

de corps sensible infini, ajoutez encore celle-ci. Toutt

corps perceptible a.nos sens est dans un lieu, et les diffé-

rences spécifiquesdn lieu sont le haut et le bas, le devant

et le derrière, la droite et la gauche. Ces distinctions ne

sont pas seulement relatives à nous et à.la position réci-

proque des choses; elles se retrouvent également dans

l'univers, et elles reposent sur les lois naturelles qui le

régissent. Or, il est de toute impossibilitéque ces distinc-

tions se retrouvent dans le corps sensible infini qu'on

suppose; car, le lieu de ce corps ne pouvant pas être in-

fini, et tout corps devant être dans un lieu, il s'ensuit

que ce corps n'existe pas. Enfin, si ce qui est dans un lieu

spécial et déterminé est d'une manière générale dans un

lien, et si réciproquement ce qui est dans un lieu est né-

cessairement quelque part, c'est-à-dire en un certain lien

spécial, il s'ensuit que le corps sensible infini, tel qu'onle suppose, ne pourra être nulle part; car il ne peut pas

avoir, comme il le faudrait pourtant, une certaine quan-tité finie, de deux coudées, par exemple,de trois coudées

ou de telle autre étendue, puisqu'il est suppose infini et

il ne peut être par conséquent dans aucune des six posi-tions indiquées tout a l'heure, le haut et le bas, l'avant et

l'arrière, la droite et la gauche; car chacune de ces posi-

tions est évidemment une limite, et l'infini ne peut en

avoir.

Donc, en résumé, il n'y a pas de corps infini percep-tihtc a.nos sens; il n'y a pas de corps sensibleinfini.

Page 287: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDELAPHYSIQUEno

Hne faudrait pas cependantque ces diûicultéssignalées

par nous fissentcroire quel'infini n'existe pas; car si l'on

niaitson existence,on ne soulèveraitpas moinsd'impossi-bilités. Par exemple,il faudrait alorssoutenirquele tempsa eu un commencementet une fin, que les grandeurs ne

sont pas divisibles à l'infini en grandeurs, et que le

nombre n'est pas plus infini que les grandeurs et le

temps. Maisceci nous met dans un singulier embarras,et comme il semble résulter des considérationsprécé-

dentes, que, tout à la fois, l'infini est et n'est pas, il

ne nous reste qu'à dire qu'en effet, en un sens, l'infini

n'existe point, et, qu'en un autre sens, il existe. Rtre,

ainsi que nous l'avons dit, signifie tantôt êtreen puis-

sance, et tantôt être en acte. De plus l'infini peut tout à

la fois se formerpar addition ou par retranchement. Un

nombreest infini, parce qu'on peut toujours ajoutera un

nombrequelque grand qu'il soit la grandeur est infinie,

parce qu'on peut toujours la diviser à l'infini, au moins

par la pensée. Nousvenons de démontrer qu'il ne peut

pas y avoir de grandeur actuelleet réellequi soitinfinie

mais sous le rapport de la divisibilité, elle peut l'être

car il n'y a pas de lignes insécablesau sens où on l'a cru

et je dis que si l'infinine peut être en acte, il existe cer-

tainementen puissance. Maisici il faut faire encore une

distinction essentielle. Quand je dis que l'infini est en

puissance, ce n'est pas du tout commeje dis que telle

matièreétant en puissanceune statue, elle deviendraune

statue effectivement.Il n'y a pas d'infini qui puisse se

réaliser actuellement, comme la statue qui est. dans

VIII.

Page 288: La Physique d Aristote

!)'AR!STOTE,LIVREH{,(:H.VIH. mal'airain se réalise sous la main de l'artiste. Mais grâceaux diversesacceptionsdu mot Être, il faut comprendreque.l'infiniest commeest lejour que l'on compte, ou la

période des Jeux Olympiques, l'olympiade. Le jour,l'olympiade n'est jamais, proprement parler elledevient sans cesse, par la successiontoujours dijfTérentedu temps qui s'écoule car pour cesdatesdes Jeuxsolen-nels où la Grècese rassemble, on peut distinguer l'acteet la puissance, puisque l'on compte les Olympiadesaussi bien par les jeux qui peuventêtre célébrés,que parceuxqu'on célèbreactuellementet'réellementaumomentoù l'on parle.

Maisévidemmentl'infinin'est pas la mêmechose,si onle considère dans le temps et la successionperpétuelledes générations,par exemple,des générationshumaines,

que si on le considèredans la divisibilitédes grandeurs.D'une manièregénérale, l'infini existe par cela seul qu'àune quantitédonnée on peut toujourset sans finajouterune quantitéquelconque.La quantité ajoutéeest finiesans

doute mais on peut l'ajouter sans cesse, et elle est

toujours et toujours différente. L'infini n'est donc pasconsidérercommequelque chosede précis et de spécial,tel que serait, par exemple, un homme, une maison;mais il est commele jour ou l'Olympiadedont je parlaistout à l'heure. Ce ne sont pas dos chosespréciseset dé-

terminéescommedes substances; ce sont des chosesquien sont sanscesse à deveniret qui périssent sans cesse.

Ellessont limitées et finies saas doute; mais elles sont

toujours autres et toujours autres. Seutement dans la

comparaisonque nous faisionsplus haut, il y .Lcette dif-

fércric-cque, pour l'infini considérédans lesgrandeurs,la

Page 289: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE!t22

grandeur d'où l'on part pour y ajouter sans cesse, est

et demeure substantiellement ce qu'elle est, tandis que

pour les générations successives et pour le temps, les

générations et le temps s'éteignent et périssent sans

cesse, et que l'infini ne résulte que de la succession qui

n'a jamaisni interruption ni lacune.

Quant à l'infini qui se l'orme dans les nombres par

addition continuelle, il ressemble beaucoup à l'infini

qu'on obtient par la division indéfinie des grandeurs con-

tinues seulement l'infini se produit, dans les nombres

auxquels on peut ajouter sans cesse, a l'inverse dece qu'il

est dans nue quantité finie, Un tant que cette quantité

déterminée est indéfiniment divisible, il semble qu'on

ajoute sans cesse au nombre des divisions. Ainsi le

nombre en s'accroissant, et la quantité finie, en dimi-

nuant toujours, présentent à peu près le mêmephéno-

mène. Mais quandje parle de divisions infiniesdans une

quantité finie, il faut bien comprendre que surcette quan-

tité finie on divise toujours parla même proportion, et

que, par exemple, on prend sans cesse la moitié de ce qui

reste et non pas la moitié de la quantité primitive; car en

divisant ainsi par un diviseur proportionnel quoique im-

muable, on n'épuise pas le fini, tandis qu'on l'auraitbien-

tôt épuisé de l'autre manière, quel que (ut le diviseur, si

proportionnellement la quantité réellement retranchée ne

variait pas acbaque division.Laquantité finieaurait beau

utre grande il n'eu resterait rien au bout de quelques

divisions, si la quotité déplus en plus petite du retran-

chement n'était pas en rapport avec le nombre même des

divisions qui se succëdent. La proportion reste constante

pendant que la quantité varie.

Page 290: La Physique d Aristote

1)'AH!STOTE,LIVRE!!I, CH. VIII. n 3

L'infinin'existe pas si on vent le comprendre autre'"

ment que je ne viens de le faire mais il existe de la ma-

nière que je viens de dire. En d'autres termes, il est en

puissance comme dans la division que je citais tout à

l'heure; mais il n'est en acte que commey est la journée,comme y est l'Olympiade, dont je parlais un peu plushaut. Il est en puissance absolument, comme la matière

qui peut recevoirtontes les formes; et il n'est jamais en

soi, comme y est le fini. S'il s'agit d'addition sans cesse

répétée, comme dans le nombre, l'infini dans ce cas est

aussi en puissance, à peu près commeil est dans la divi-

sibitité indénnie; car, dans l'un et l'autre cas, l'infini

existe par cela seul qu'on peut toujours en prendre une

quantité nouvelle en dehors de ce qu'on a, soit qu'on

ajoute par la pensée au nombre donné, quelque grand

qu'il puisseêtre, soit qu'on pousse la division au-dessous

de la dernière divisionqu'on a faite, sans jamais s'arrêter.

cependant, l'infini qu'on observe dans l'addition qui se

répète sans cesse, ne peut arriver jamais a reproduire la

première quantité donnée; il en approche tant qu'on veut

sans y être jamais égal, de même que dans la division,

t'infini consiste en ce qu'on peut toujours supposer une

divisionplus petite que toute division antérieure. Ainsi,

on ne réalise jamaisl'infini par les additions successives

que l'on fait, et l'on ne peut pas même supposer que l'in-

finipuisse jamais égaler la quantité donnée vers laquelle

il s'avance sans cesse car on ne peut pas admettre que

l'infini en acte soit un simple accident ou attribut d'une

autre substance, comme l'admettent les Physiciens qui

font infinil'air ou tel autre élément qu'ils placent en de-

hors du monde.C'est cet élément qui est infini, et

8

Page 291: La Physique d Aristote

PARAPHUASHDMLA PHYSIQUEd4A

l'infini lui-mêmen'en est plus que l'attribut, cessantainsi

d'avoir par lui-mêmeune existenceréelle.Maissi, commenous l'avons démontré,il n'est pas possiblequ'il y ait un

acte, un corps sensible infini de ce genre, il n'est pasmoins impossibleque l'infini puisse se formerpar addi-

tion autrement queje ne viensde le montrer, a l'inverse

de la divisionet réciproquementà elle.

Ces deuxinfinis,l'un par addition, l'autre par retran-

chement, sont sans doute les deux infinisqu'a reconnus

Platon; car tous deuxsemblent évidemmentse produire,

quoiqu'on suivant une marche opposée.Mais unechose

assez singulière, c'est qu'après avoir constaté l'existence

de ces deux infinis,Platon n'en fait aucun usage; ainsi,

dans les nombres,il ne peut pas y avoirpour lui d'infini,

par retranchemerttet division, puisqu'il fait de l'unité le

plus petit nombrepossible,et il n'y a pas davantaged'in-

finipar addition,puisqu'il neveut pit.spousser le nombre

au-delà de la décade.

!X.

On voit donc que l'infini est tout le contraire de ce quecroient nos philosophes.L'infini n'est pas du tout, comme

ils le disent, ce en dehors de quoi il n'y a rien; loin de

la.; c'est ce qui a perpétuellement quelque chose en

dehors, et au-delà de ce qu'on peut imaginer, Ils auraient

pu s'apercevoir de leur erreur, puisque pour faire con-

cevoir l'infini, ils ont recours eux-mêmes à l'exempledes

bagues sans chaton, où l'on peut toujours, en effet,

prendre un point en dehors de celui auquel on s'arrête.

Mais, ce n'est 1~qu'une similitude assez imparfaite, et ce

Page 292: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE, HVRE II1, CH. !X. 1!5

n'est pas une représentation vraie, et une expressionexacte. Il faut bien, pour l'infini, cette première condi-

tion, à savoir qu'on puisse toujours y prendre quelquechose en dehors de ce qu'on a.;mais il faut, en outre, quece ne soit jamais la même quantité qu'on ait déjà prise.

Or, il n'y a rien de pareil dans le cercle et, dans un an-

nean sans chaton, )e point qn'on prend après nn autre

point, n'est pas précisément nouveau il vient seulement

a la suite de celui qui le précède. Donc, il faut définir

l'infini, commenous le faisons Ce qui peut toujours, en

dehors de la quantité qu'on a, fournir quelque chose quisoit réellement une quantité nouvelle. Ce en dehors de

quoi il n'y a rien, ce n'est pas l'infini c'est au contraire

le parfait, le tout, le complet, l'entier car, on doit en-

tendre par quelque chose d'entier et de complet, ce a

quoi il ne manque rien, en fait de parties. Par exemple,un homme est complet un coffre est complet et entier,

s'il ne manque d'aucune des parties qui doivent essentiel-

lement le composer. La définition qu'on donnerait ici de

l'homme ou du coffre complet, c'est-à-dire de tout objet

particulier regardé commecomplet, s'applique aussi bien

au terme général et absolu, et l'on doit dire que le tout,

l'entier, le parfait, est ce en dehors de quoi il n'y a plusrien. Mais ce en dehors de quoi il reste toujours quelquechose qui lui manque, n'est plus complet, quelle que soit

la chose qui lui manque. L'entier et le parfait sont des

termes identiques, ou du moins, dont la signification est

très-voisine; or, le parfait a nécessairement une fin; et

toute fin est unelimite. Par conséquent, l'infini est le con-

traire du parfait et de l'entier. Aussi, doit-on trouver à ce

point de vue que Parménide était plus dans le vrai que

Page 293: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEH6

Mélissus; ça.), ce dernier disait que l'infini est l'entier,est le tout, tandis que le premier prétendait, au contraire,

que t'entier est toujours limité et fini

< Detous côtés6g:u,&partir du milieu,v

et commele dit le proverbe populaire, ce n'est pas préci-

sément joindre un bout de fil à un bout de fit,que de con-

fondre l'infini avec le tout et l'entier.

X.

Je conçois, d'ailleurs, et j'excuse l'emphase avec la-

quelle on parle (le l'infini, quand on dit «qu'il renferme

«toutes choses et qu'il embrasse tout l'univers en soi. 1)

C'est qu'en effet l'infini ne laisse pas que d'avoir quelqueressemblanceavec un tout, avec un entier. Ainsi, l'infini

est la matièredelaperfection ou de la forme achevée, que

peut recevoirla grandeur. Il est le tout et l'entier enpuis-

sance il ne l'est point en acte. Il est divisible, soit par

le retranchement, soit par l'addition prise en sens inverse,

ainsi que je l'ai expliqué plus haut. Il devient entier si

l'on veut, et fini, non pas en soi, mais par l'intermédiaire

d'un autre terme. A vrai dire, il ne contient pas; il est

contenu, an contraire, en tant qu'infini; et ce qui fait qu'il

est impossible de le connaître dans sa nature essentielle,

c'est que la matière par elle-même n'a pas de forme, et

qu'elle ne peut être connue qu'autant qu'elle en a. Par

conséquent, loinquel'innni doiveêtre considérécomme un

tout, il faudrait bien plutôt le prendre pour une partie;

car la matière,avec laquelle on peut le confondre, est une

Page 294: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE,LIVRE 111,CH. XI. 1J7

partie dn tout qui revêt une forme; et c'est ainsi que t'ai-

rain est une partie de la statue dont il est la matière.

Maissi, dans les chosessensibles et intelligibles, on admet

que le gra.ndet le petit, c'est-à-dire les deux infinis, ren-

dent raison de tout, il faut admettre aussi qu'ils embras-

sent égalementles pursinteiïigihtes; alors, il semble quec'est se tromper lourdement que de demander à ï'inconm)

ctà l'indéterminé la connaissance et la détermination des

choses, que, cependant, les inteHigibiesdoivent donner

a l'esprit.

XI.

On comprend aisément que l'infini qui se forme par

addition, ne peut jamais arriver a égaler la grandeurinitiale dont il approche sans cesse, et qui est sa limite,tandis qu'au contraire l'infini, qui se formepar ladivision,est reeiïement infini, puisque la divisibi)it6 n'a point de

terme. L'infini est contenu, commela matière elle-même,

dans l'intérieur do l'être, et c'est la forme qui est ]econ-

tenant de l'un et de l'antre. La raisonpeut concevoirega-Icmentque pour le nombre, il y a une limite (tans le sens

de l'extrême petitesse, et qu'il n'y en a pas dans le sens

(te l'accroissement, puisqu'un nombre, quelque grand

qu'il soit, étant donné, on peut toujours en imaginer un

plus grand encore. Pour les grandeurs, c'est, tout le con-

trture; car on peut toujours, dans la série décroissante,

imaginer une grandeur toujours plus petite que toute

grandeur donnée, tandis que, dans le sens de l'accrois-

sement il y a toujours une limite infranchissable, et it

n'est pas possible nu'it y ait une grandeur infinie. Ct'ttc

Page 295: La Physique d Aristote

PAUAPHKASEDE LA PHYSIQUE418

différence, entre les nombres et les grandeurs, tient à ce

que t'uniLéest indivisible, queDe que soit d'ailleurs cette

utiité. L'homme, par exemple, n'estjamais qu'un homme,

et il est bienimpossiblede le diviser enplusieurs hommes,

tandis que le nombre est toujours plus que l'unité, et

qu'il est un ensemble de quantités quelconques réunies.

Il faut donc s'arrêteral'individu, et la divisionne peut

pas être poussée plus loin, tandis que les nombres, deux,

trois, etc., ne sont que des paronymes de l'unité, qui ti-

rent d'elle la dénominationqui les fait ce qu'Ussont, deux

signifiant deux unités; trois, trois unités; et ainsi de

suite pour tous les autres nombres. Maisdans le sens de

l'augmentation numérique, il est toujours possible de

penser un nombre de plus en plus grand, parce que

les divisions de la grandeur par deux sont indéfini-

ment possibles, et que leur nombre s'accroît sans cesse.

L'infini y est donc toujours en puissance, bien qu'il n'y

soit jamais en acte la quantité nouvellequ'on ajoute est

toujours finie, bien qu'elle puisse dépasser sans cesse

toute quantité déterminée. D'ailleurs, ce nombre n'est

pas abstrait et séparé des divisions de la grandeur, qu'on

peut sans cesse diviser par deux. L'infinitude, loin de

s'arrêter comme achevéeet finie, se forme et devient sans

cesse, ainsi que le temps se forme et devient sans cesse

aussi, comme le nombre et la mesure du temps, qui est

le mouvement. C'est tout l'opposé pour les grandeurs; le

continu y est bien divisible à l'infini, dans le sens de la

petitesse; mais il n'y a pas d'infini dans le sens de l'ac-

croissement; et l'infini, dans ce cas, n'est en acte que

précisément autant qu'il est en puissance, c'cst-à-difc

qu'il reste perpétuellement en puissance. Donc, puis-

Page 296: La Physique d Aristote

t)'ARISTOTE.LIVREHt, CH. Xl. l~)

qu'aucune grandeur sensiblen'est infinie',il faut en con-

clure qu'il est impossible que toute grandeur déterminée

soit sanscesse dépassée: car, des lors, il pourrait y avoir

quelque chose de plus grand que le ciel ce qui est abso-

lument impossible.

L'infinidu reste n'est pas absolument identique pour

la grandeur, pour le mouvement et pour le temps. A ces

égards, ce n'est pas une seuleet même nature; et de ces

trois infinis, le suivant ne se comprend que par celui

qui leprécède. Ainsi, le mouvementne se comprend qu'i).

la conditionpréalable d'une grandeur dans laquelle il y a.

un mouvementquelconque de translation, d'altération,

ou décroissance; le temps ason tour ne se comprend que

par le mouvement qu'il mesure. Pour le moment, nous

nous borneronsà indiquer ces idées; plus tard (Livre Vf),

nous reviendrons sur ces questions, et nous explique-

rons comment toute grandeur est toujours divisible en

d'autres grandeurs. Tout ce que nous voulons dire ici,

c'est que notre définition de l'infini ne porte aucune

atteinte aux spéculations dos mathématiciens, en niant

que, sous le rapport de l'accroissement, l'infini puisse ja-

mais être en acte et être tout a fait réalisable. A leur

point de vue, les mathématiciens n'ont pas besoin direc-

tement de l'infini, et il ne leur est pas indispensable,

puisqu'ils peuvent toujours supposer la ligne finie aussi

grande qu'ils le veulent. Réciproquement, la grandeurla.

plus grande étant donnée, ils peuvent toujours y appli-

quer une divisionproportionnelle, qui n'a pasde fin quel-

que petite que devienne la grandeur successivementdivi-

sée. Ainsiles mathématicienspeuvent se passer de l'infini

réel dans leurs démonstrations; et en fait, l'infini ne se

Page 297: La Physique d Aristote

i'AHAPHHASh;DE LA PHYSIQUE!2C

trouve que dans les grandeurs actuelles, au sens oh jeviens de le dire.

Ce qui rapproche encore l'infini de la matière, c'estque parmi les quatre espèces de causesadmises par nous,nnnni ne peut être que cause matérielle; car l'etrede!'mnni est la privation, comme celui de la matière; et iln'y a que le continu et le sensible qui est et subsiste eusoi. Nous pouvons d'autant mieux insister sur ce pointque tous les philosophes ont, ainsi que nous, considérél'innm comme matière; mais où nous nous séparons com-p)etcment d'eux, c'est qu'ils ont fait de l'innni le conte-nant au lieu d'en faire le contenu; et selon nous, c'estune grave erreur.

xn.

Après tout ce qui précède sur l'infini, il ne nous resteplus qu'à examiner les arguments par lesquels on essaiede démontrer que l'infini n'est pas seulement en puis-sance, ainsi que nous venons de l'exposer, mais aussiqu'il est quelque chose de déterminé. Parmi ces argu-ments, les uns n'entraînent pas de conclusionsnécessaires,et ne valent guère qu'on s'en occupe; les autres peuventtêtre réfutes par des raisons décisives. Ainsi, je dis qu'ilne faut pas que l'infini soit en acte un corps perceptibleà nos sens, pour que la génération des choses puisse nejamais défaillir; car il se peut fort bien que tout étantlimité et fini, la destruction d'une chose soit la généra-tion d'une autre, et réciproquement. Le cercle de la gé-nération est alors infiniet indéfectible. VoHàla réponse an') des arguments dont il a été question plus haut (Voir

Page 298: La Physique d Aristote

1)'.AIIISTOTE,LIVHEIH,CH.XI!. 121

plus haut, V). Quanta celui qui prétend qu'une chosedoit toujours en toucher une autre et qu'on arrive ainsi àréaliser l'infini, nous répondons en distinguant le contact

et la limitation, qu'il ne faut pas du tout confondre. Le

contact est toujours une chose relative et dépendante,

puisque tout corps qui touche doit nécessairementtou-cher quoiquechose qui le touche n son tour; et le contactest l'attribut d'une chose limitée et finie. La limitation,au contraire, n'a rien de relatif; et une chosequelconquene peut pas au hasard toucher la première chosevenue.Il peut donc y avoir quelque chose qui ne touche plusrien. Enfinl'argument tiré de la pensée, dans laquelle on

croit trouver l'infini, n'est pas plus péremptoire; car on

peut bien par la pensée s'imaginer que quelqu'un est

mille fois plus grand qu'il n'est; mais en réalité il reste

ce qu'il était; l'accroissement successif ou la réduction

successivene passent pas le moins du mondedans l'objetlui-même; et il ne sufiïtpas de supposer que quelqu'unest hors de la villepour qu'il y soit effectivement,ni qu'ilest aussi grand que nous, pour que sa taille devienneégaleà la nôtre. La chose reste ce qu'elle est, et la suppositionarbitraire que l'on fait ne change rien à la réalité. Quantau temps et au mouvement, ils ne sont infinis,ainsi quela pensée, qu'en ce sens que rien n'y subsiste réellement

et n'y demeure, umis qu'il n'y a qu'une successionsans

terme possible.Enfindans le retranchement oudans l'ad-

dition que la pensée peut toujours faire, il ne se forme

jamais une grandeur qui soit actuellement infinie.

Nous ne poussonspas pins loin cette théoriede l'in-

fini et par les explications que nous venons de donner,on doit voir comment ou peut dire que IJinfiniest et n'es!

Page 299: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUK122

pas, et i'on doit comprendre ce qu'il est au point de vue

où nous nous sommes placés.

LIVRE IV.

"KL'KS)'A(:H,))['Vt!)t:K'f'[)UTHM)'.S.

Après l'étude de l'infini, le Physiciendoit passer à ceiie

(le l'espace et il doit rechercher également si t'espaceexiste ou n'existe pas, et déterminer commentil existe et

ce qu'il est, une fois son existence démontrée. Ainsi toutle mondeadmet que ce quiexiste est nécessairementdans

un certain lieu, dans un certain espace, et que ce quin'existe pas n'est nulle part car où sont, je Jedemande,le bouc-cerf, le sphinx, ou tels autres êtres purement

fantastiques? Ajoutez que, parmi tous les mouvements,ic plus commun de tous et celui qui paraît surtout mé-

riter ce nom, c'est le mouvementdans l'espace, que nous

appelons aussi la translation. Maissi l'existence de l'es-

pace paraît prouvée, il n'y en a pas moins de grandesdimcultés a savoir ce qu'il est, comme il y en avait pour

l'infini, et ces dUïicuités tiennent à ce que l'espace ne se

présente pas toujours de la même façon, selon les aspectsdivers sous lesquels on le considère.D'ailleurs, les autres

Page 300: La Physique d Aristote

D'AiUSTOT~,UVRË IV, CH. H. 42:!

philosophesn'ont rien dit sur l'espace, ou bien les expli-cationsqu'ils ont donnéessont peu satisfaisantes.

M.

Unepreuvemanifeste de l'existencede l'espace, c'est

la successiondes corps qui se remplacent mutuellement

dansun seulet mêmelieu.Soit, par exemple,un vase où

il y a de l'eau maintenant; faites-ensortir l'eau; c'est de

l'air qui vient occuper sa place, c'est-à-dire qu'un nou-

veaucorps vient prendre la placequi est abandonnéeparl'autre. II existedonc un espace,un lieuqui se distinguede toutes les choses qui sont en lui, et qui y changent,

puisque l'air se trouve actuellementlà où auparavant il

se trouvait de l'eau. Doncl'espace, le lieu qui est le ré-

ceptaclesuccessifde l'eau et de l'air est diflérent de ces

deuxcorps, qui tour à tour y sont entrés et ensontsortis.

Acette premièrepreuve,onpeut en ajouter une seconde

cesont les déplacementsnaturels des corps simples, des

éléments,le feu, la terre et les autres. Ces déplacementsmontrentbienque l'espace existe; mais ils démontrent,

en outre, qu'il a certaines propriétés.Ainsi, chacun de

cesélémentsest porté, quandrien n'y fait obstacle, dans

le lieu qui lui est propre; celui-civa en haut; celui-là se

dirige en bas. Or, le haut et le bas et les autres direc-

tions, au nombrede six en tout, sont des parties et des

espècesdu lieu et de l'espace. Maiscesdirectionsne sont

pas uniquement relatives à nous commeon pourrait le

croire, la droiteet la gauche, le haut et le bas, etc. car,

pournous, ellesne sont pas constantes,et ellesse diver-

silient suivant la position que nous prenons,une même

Page 301: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LAPHYSiQUHt2/<

chose pouvant être, lorsque nous nous tournons nous-

mêmes,à droiteaprès avoir été à gauche,au-dessusaprèsavoir été au-dessous,en avant aprèsavoir été en arrière.Dansla nature, au contraire, toutesces directionsont unsens déterminé et qui ne varie pas.Le haut n'est pas unlieu quelconque; c'est le lieu précisoù se dirige le feu,et, en général, tous les corps légers.Le bas n'est pas da-

vantageun lieu arbitraire; et c'est celui o~ se dirigenttous les corps qui ont de la pesanteur et qui sont

composés de terre. Par conséquent, ces éléments ne

diu'erentpas seulemententr'enx par leur situation ils

din'érent encore par leurs propriétés et leur puis-sance.

Lesmathématiques,toutes abstraitesqu'elles sont, dé-

montrentaussi l'existence de l'espace; car, bien que les

êtres dont elles s'occupent, étant purement rationnels,n'aient pas de lieuet n'en puissentpointavoir, cependantils ont une positionrelativement à nous, et la pensée les

distingue en les mettant à droite ou gauche, selon le

besoin. Ainsi, la penséeles localise,commela natureelle-

tnemelocaliseles céments.

!Ifaut remarquer aussi qu'en admettant l'existencedu

vide, on admet implicitement l'existence de l'espace,

puisqu'on déunit ic vide un espaceoù il n'y a pas de

corps.

On le voit donc toutes ces raisonsse réunissent pourdémontrer que l'espace existe commequelque chose de

réel, indépendammentdes corps qu'il renferme, et que

par suite tout corps sensible est dans l'espace. Aussi,Hésiodeparaît-il être dans le vrai quand il place leChaos

à l'origine des choses,et qu'it dit

Page 302: La Physique d Aristote

!)'AK)STOTE,UVREiV,CH.tH. t25u Bienavanttoutle reste apparutleChaos;f Puis,la terre au seinvaste.

(!'est-à-direque le poète suppose qu'avant l'apparition(tescorps, il y avait un lieu qui pouvait les recevoir et où

ils ont leur place. Hésiodese conforme par la à l'opinioncommune, qui croit que tout ce qui existe est quelque

part, c'est-a-rtire dans l'espace. S'il en est ainsi, l'espacea une propriété merveilleuseet la plus ancienne de toutes

en date car, une chose sans laquelle les autres ne sau-

raient être, et qui existe par elle-mêmesans aucun besoin

des autres, cette chose-là est nécessairement antérieure

tout. Par suite, l'espace qui existait avant les choses

existeencore âpres elles; et il n'est pas détruit, quand les

chosesqu'il renferme sont détruites.

!!L

Nousvoilàfixéssur l'existence incontestabledel'espace;maisil n'en reste pas moins difficilede savoir ce'qu'ilest.Devons-nousnous représenter l'espace commela masse

d'un corps quelconque? Ou sa nature est-elle dhTérente?

Savoiren effet à quel genre appartient l'espace, et dans

quellecatégorie il convient de le placer, ce sera là l'objetde notre première recherche. L'espace a bien les trois

dimensions,longueur, largeur, profondeur mais on ne

peut pas dire qu'il soit un corps; car, alors il y aurait

<)enxcorps dans un seul et même lieu; ce qui est impos-sible. Autre difïicultc. Si le corps doit avoir un lieu et

une place, il est clair que la surface du corps et ses autres

limitesdoivent avoir également une place et un lieu car

Page 303: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE126

on peut appliquer aux surfacesdu corps la remarque qu'on

appliquait plus haut au corps lui-même: et là où étaient

d'abord les surfaces de l'eau, sont actuellement les sur-

faces de l'air, qui en ont pris la place. Or, les surfaces se

composent de points, et il n'y a pas de différencepossibleentre le point et le lieu du point. Par conséquent, si le

lieu du point est le point. lui-même, les surfaces qui se

composent de points seront dans le même cas, et le lieu

des surfaces ne sera pas autre que les surfaces elles-

mêmes l'espace alors n'est absolument rien indépen-damment des corps qu'il est supposé renfermer. Qn'est-ccdonc que l'espace réeHeinent,et comment faut-il le consi-

dérer? Avecla nature qu'il a, on ne peut en faire ni un é]e-

ment, ni un composé d'éléments, soit naturels soit incor-

porels. I) a de la grandeur sans toutefois Être nn corps.Or, les éléments des corps sensibles sont des éléments

eux-mêmes; et des éléments purement intelligibles n'ar-

rivent jamais à former un corps et une grandeur réeUe.

A d'autres points de vue, on peut se faire sur l'espacedes questions non moins embarrassantes. Ainsi,comment

l'espace pourrait-il être unecause a l'égard des choses? A

quelle espèce de cause peut-on le rapporter ? On ne dé-

couvre en lui aucune des quatre causes que nous avons

comptées. Il ne peut être regardé comme la matière des

êtres, puisque aucun être n'est composé d'espace; il n'est

pas davantage la forme et l'essence des choses; il n'est

pas non plus leur fin, et il n'est pas leur moteur. Ainsi i)

n'est cause d'aucune manière. Ajoutez que si l'espacedoit être rangé au nombre des êtres, on peut demander

Où sera-t-il placé en tant qu'être? Et alors le doute de

Zenon, qui nie l'espace, attendu qu'il n(?saiton )emettre.

Page 304: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE,LIVRE IV, CH. tV. i27

ne laisse pas que d'exiger quelque réponse;car, si toutt

être est nécessairementdans un lieu, et si l'espace est un

être, il est clair qu'il y aura un lieu pour le lieu lui-

même, et ainsi à l'infini, sans qu'on puisse assigner de

terme à cette progression.A toutes ces objections,j'en

joins une dernière. Si, de même que tout corpsest néces-

sairement dans un lieu, le corps remplit aussi tout le

lieu qu'il occupe, c'est-à-dire tout l'espace, comment

expliquer le développementdes corps qui s'accroissent?

Dira-t-on que le lien, l'espace qu'ils occupentse déve-

loppe en même temps qu'eux? Et, cependant, c'est la

conséquence qu'il faudrait nécessairementadopter, si

l'espace se confondavecle corps, et si le lieu de chaquechose n'est ni plus grand ni plus petit que la chose

même.

Tellessont lesquestionsdiu'erentesqu'il faut éclaircir,

non-senlement pour savoir quelle est la nature de l'es-

pace, mais aussipour s'assurer de son existence.

IV.

Pour bien conduire cette délicate recherche, il faut

d'abord reconnaître que, de mêmeque l'être peut être

considéra en soi ou relativement à un autre, l'espace peut

être entendu également de deux façons ou dans son ac-

ception commune, qui en fait le lieu de toutes les choses

que nous voyons; ou dans son acception propre, c'est-à-

dire le lieu primitif où sont les corps, les individus. Je

m'explique pour que ce point capital soit bien compris.

Ainsi, on peut dire de vous que vous êtes dans le ciel,

puisque vous êtes dans l'air, et que l'air est dans le ciel

Page 305: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~28

(le })h)s,vous êtes dans l'air, puisque vous êtes sur la

terre et, enfin,vous êtes dans tel lien de la terre, qui ne

renferme plus rien absolument que vous. Le lieu propreou primitif ne doit donc pas se confondre avec le lieu ou

l'espace commun. Par suite, si l'on entend par l'espacele lieu propre qui renferme primitivement chaque corps,l'espace est alors une limite et on peut, à ce point de

vue, le prendre pour la forme et la figure des choses, quidétermine la grandeur et la matière dont cette grandeurest faite. La forn-teétant la limite de chaque chose, on

pourrait soutenir, qu'en ce sens, l'espace est la forme deschoses. AJais,d'une autre part, comme l'espace, avecses

trois dimensions, représente aussi la dimension et l'éten-

due de la grandeur, on pourrait le prendre pour la ma-

tière des choses aussi bien que pour leur forme; car la

matière se distingue de la grandeur ou corps qu'elle com-

pose et elle est ce qui est enveloppépar la forme, et est

déterminé par la surface et la limite. C'est bien 1~ce

qu'est )a matière et l'indéterminé; car, si vous enlevezLune sphère, par exemple, sa limite et ses diversescondi-

tions de figure, il ne reste plus rien que la matière in-

forme dont elle est composée. C'est là ce qui a fait quePlaton, dans !e Fi'y~c, n'hésite pas à identifier la matièreet le lieu des choses car, le récipient, capable de parti-

ciper à la forme, et le lieu des choses, c'est tout un pourlui. Bienque Platon, dans ce même traité, ait emp)oy6le

mot de récipient avec un sens autre qu'il ne l'a fait dans

l'ouvrage qu'on appelle ses ~r~ ~<<r/ cepen-dant, il a confondu l'espace avec le lieu que les corps oc-

cupent. Il f~uitt'en approuver, quoique théorie qu'on

adopte d'<ti)lRurs;car. tandis que les autres phitosophes

Page 306: La Physique d Aristote

i)'AR!8TOTE, LIVRE IV, CH. IV. ~)29

se contententd'auirmer l'existencede l'espace, Platona

essayé d'aller plus loin, et de préciserla nature de l'es-

pace il a, seul, le mérite d'avoir pousséaussi profondé-ment cette recherche.

A s'en tenir auxconsidérationsquiprécèdent, il pour-rait semblerassezdifficilede savoirexactementce qu'estl'espace, soitqu'onen fassela matière,soitqu'on en fassela forme des choses; car il n'y a guère d'étude plusardue que celle-là;et l'on a toujours grand'peine à com-

prendre la matièreet la forme isolémentl'une de l'autre.

Cependant,voiciquelques argumentsqui nous ferontvoir assezclairementque l'espacenepeutêtre ni lamatièreni la formedeschoses.D'abord la formeet la matière nese séparent jamais de la chose, tandis que l'espace, lelieu où elle est, peut en être séparé. Par exemple, là oùil y avait de l'air antérieurement,il vientensuitede l'eau,ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, l'airet l'eau changeantde lieu, et se remplaçant réciproquement, commepeu-vent le faire bien d'autres corps. On peut donc être sûr

que l'espace n'est ni unepartie, ni un attribut des choses,et qu'il est séparabled'elles. Il joue en quelque sorte lerôle de vaseet de réceptacle et l'on peutdire qu'un vaseest un espace transportable; car le vasenon plus n'est

pas unepartie dece qu'il contient.Ainsi,l'espace, en tant

qu'il est séparéde la chose, n'en est pas la forme, et entant qu'il enveloppeet contient les choses,il n'en est pasdavantage la matière. En second lieu, le corps qui estdans l'espace étant toujours quelquechosede réel et de

distinct, l'espacequi est en dehors de lui ne peut pas seconfondreavecce corps; et par suite, il n'en est évidem-ment ni la matièreni Ja forme.

Page 307: La Physique d Aristote

~0 PAHAPHHASKDE 1,A PHYStQUE

Ceci nous conduit a fairecontre Platon une critique,qui nous éloigneun peu de notre sujet maisnous espé-rons qn'on nous pardonneracette digression. Pourquoiles Idées et les nombresne seraient-ils pasaussi quelquepart dans l'espace, puisque, d'après Platon, l'espace estle récipient universel des choses, que d'ailleurs ce réci-pient qui participe aux Idées soit le grand et le petit,termes par lesquels il désigne l'infini, ou qu'il soit lamatière, commeil est dit dans le T~c. Il semble quelesIdées devraientavoiraussidans son systèmeune placeet un Heu, puisqueles choses qui en participent ont uncertain lieu elles-mêmes.

Maisje poursuis, et je reviensà prouverpar de nou-veauxargumentsque l'espacene peut être ni la matièreni la forme des choses. S'il l'était en effet,comment un

corpspourrait-il être porté dans le lieu qui lui est propred'après les loisde la nature,commeles corpsgravesvonten bas et les corps légers vont en haut? Si les corpscherchent leur Heu, c'est qu'ils ne l'ont pas; cependantils ont leur matière et leur forme, et par conséquentJeurlieuou l'espacene se confondni avecla formeni avec lamatière.De plus, il n'y a point de lieu pour ce qui n'apointde mouvement,soit en hautsoit en bas; or, la formeet la matière n'ont point de mouvement,et c'est dans cesdiHerencesque consiste l'espace. Autre argument. Sil'espaceest la matièreet la forme des closes, alors il seconfondavecelles,et il estdans l'objet mêmeet non p!usen dehors; par conséquent, l'espace est dans l'espace,puisqu'un corps est toujourset nécessairementdans unHeu;car Ja formeet l'indéterminé, que je confondsavecla oi~ti~re.semeuventet changentde ptaceavec la chose

Page 308: La Physique d Aristote

U'AÏUSTOTE,UVREIV, CH. V. !X1

ne restant pas plus qu'elle dans le même lieu, et allant

où elle va. !I faudrait, donc un espace pour l'espace, un

lieupour le lieu; ce qui est absurde. Enfin, si l'espaceest la matièreet la forme des choses,il faudrait dire que

l'espacepérit,puisque le corps qui sechange enun autre,

par exemple,l'air se changeant eneau, périt si bienqu'iln'est plus dans le même lieu, l'eau allant en bas et

l'air allant en haut. Mais qui pourrait comprendrecette

prétenduedestructionde l'espace?Et le Heune subsiste-

t-il pas toujours, mêmequand les choses qu'il contenait

sont détruites?l

Tels sont quelques-uns des arguments qui démontrent

l'existence réelle de l'espace, et qui peuvent nous en

faireconcevoirla nature et l'essence.

V.

Pour bien comprendrecette nature de l'espace, il faut

faire attention aux différents sensdans lesquelson peutdire qu'une choseest dans une autre.J'en distinguehuit,

qui sont séparéspar des nuancesassezdélicatesbienque

positives.Ainsi,l'on dit d'abord que le doigt est dans la

main, pour dire qu'il fait partie de la main; et d'une

manière générale, la partie est dans le tout. Par une

acception inverse, on dit aussi que le tout est dans les

parties; car, sans les parties, le tuut n'existe pas et il

n'est rien. Dansun troisième sens, on dit que l'homme

est dans l'animal; et, en généralisant cette expression,que l'espèce est dans le genre. Héciproquement,on dit

que le genreest dans l'espèce, c'est-à-dire que le genrese retrouvenécessairementdans la définitionde l'espèce.

Page 309: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEJ32

En cinquièmelieu, unechoseest dans une autre, commela santé est dans'les influencesdu chaudet du froid,c'est-à-dire, d'une manièregénérale, commela formeest dansla matière. Uneautre acception, c'est quand on dit, pat-exemple, que les affairesde la Grècesont dans les mains(lu Uoi et cela revientà dire que la choseest alors dansson premier moteur c'est le Roi qui met en mouvementtoutesles affairesde la Grèce.Septièmement,unechoseestdite dansuneautre quand elley est commedans sonlieu,dans sa finpropre, et que cette secondechose est le butauquel tend la première,et qu'elle en est le pourquoi.Enfin, la dernièreacception,la plus daire et la plus com-mune de toutes, c'est quand on dit qu'une choseest dansune autre, commedans son vase, c'est-à-dire, d'une ma-nière générale, qu'elleest dans l'espace et dans un cer-tain lien.

Maintenant,on peut se demander s'il est jamais pos-siblequ'une choserestant telle qu'elle est, soit elle-mêmedans elle-même,ou s'il ne faut pas toujours nécessaire-ment qu'elle soit dansune autre on bien qu'elle n'existepas du tout. Mais,ici, il faut faire encoreune distinction,et, quand on dit qu'une chose est dans une autre, celapeut s'entendre ou en soi ou relativement,c'est-à-direque la première chosepeut être directement dans la se-conde, ou qu'elle peut y être médiatementpar l'interme-.diairc d'une troisième.Ainsi, commeles parties dont untout se compose, sont tout à la foiset ces parties elles-mêmes, et ce qu'il y a dans ces parties, un tout peutêtre dans lui-même,ence sens, parce qu'il est dénomméd'après ses parties. J'expliquemapensée par un exemple.Ondit d'unhommetoutentier qu'il esthianc, uniquement

Page 310: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE,LtVREIV,CH.V. 't3~

parce que sa suriace, qui n'est qu'une partie de lui, estblanche et l'on dit qu'il est savantpar cela seul que la

partie raisonnantequi est en lui est savante.Demêmeonne peut pas dire que l'amphore où est le vin est en elle-même,non plus qu'on ne peut le dire duvinquiyest con-tenu. Mais,si l'on reunit les deuxidées au lieude les sé-parer et qu'on dise l'amphore devin, alors l'amphoredevin est en eUe'-meme,en quelque sorte, puisque le vinqui est dans le vaseet le vaseoù il est sont les partiesd'un même tout. En ce sens, d'ailleurs assez obscur, onpeut dire qu'une chose est dans elle-même.

Mais cette expression ne peut jamais signifierque lachose est primitivementet directementdans eHe-meme.Par exemple,la blancheur n'est réellementdans le corpsque parce que la surface qui est blanche est dansle corps; la sciencen'est bien aussi qu'A ce titre dansl'âme; et les appellations qu'on appliqueà l'homme en-tier sont tirées ainsi de simples parties qui sont dansl'homme.Mais l'amphore et le vin, si on les isolel'un del'autre, ne sont pas des parties d'un tout; ce ne sont desparties que quandon les réunitpour formerce tout qu'onappelle une amphore de vin; et, alors, l'amphorede vinn'est pas précisémenten eHe-meme;ellen'y est qu'en cesens que le vin que i'amphorecontient est une partie de

l'amphore de vin. Ainsi, à ne considérerque les parties,on pourrait dire qu'une chose est dans eUe-meme;maisc'est une expressioninexacte car la blancheur est dansl'honuue, parce qu'elle est dans le corps, et elle estdans le corps, parce qu'elle est dans la surface; lit el)en'est plus médiatement, mais directement, attendu quela surface et la blancheur sont d'espèces dinerentes, et

Page 311: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE13A

qu'elles ont chacune une nature et des propriétés dis-

tinctes. Ainsi on ne peut pas dire réellement qu'unechose soit dans elle-même; elle est toujours dans une

autre.

C'est ce donton peut se convaincreen parcourant parl'inductiontoutes les acceptionsdiversesque nous avons

énumérées plus haut, et l'on verra qu'il n'en est pas une

seule où l'onpuisse dire qu'unechoseest danselle-même.

Sans mêmeexaminer ces acceptions diverses, la raison

suffità démontrerqu'une chose ne peut jamais être dans

elle-même réellement; car, en reprenant l'exemple de

l'amphore devin, antérieurement cité, il faudrait, chose

impossible,que chacune de ces deux chosesfût à la fois

l'une et l'autre; c'est-à-dire qu'il faudrait que l'amphorefût tout ensemble,et l'amphore et le vin, de même quele vin devraitêtre tout à la fois,et le vin et l'amphore, si

l'on admettait qu'une chose est en elle-même par cela

seul qu'on ditmétaphoriquement,que dans un festin les

convives ont bu tant d'amphores. L'amphpre se prendalors pour le vin qu'elle contient; mais il ne s'en suit pas

que l'amphore soit dans l'amphore, c'est-à-dire dans

elle-même,commey est le vin. Onaura beau dire que les

deux choses sont l'une dans l'autre, il n'en reste pasmoinscertainque l'amphore contientle vin, non pas en

tant qu'elle est elle-mêmele vin, commele ferait croire

une locution vicieuse,mais en tant que le vin est lui-

même ce qu'il est, c'est-à-dire un liquide qui peut être

contenu dans un vase. Réciproquement, le vin est dans

l'amphore, nonpas en tant qu'il est lui-même l'amphore,maisen tant que l'amphoreest elle-mêmece qu'elle est,c'est-à-dire un vase capable de contenir un liquide.

Page 312: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTM,UVKE IV, CH. V. ~î

Ainsi,de touteévidence,le vinet l'amphore, quelles quesoientles confusionsque commettele langage ordinaire,sontdes objetstout différentsl'un de l'autre et la défini-

tiondu contenantest essentieiïementautre que celle du

contenu.

Si l'on dit qu'unechose peut être dans elle-même,non

plus directement,mais indirectement,ce n'est pas plusconcevable;car alorson arriverait à cette absurdité qu'ilfaudrait que deuxcorps fussent simultanément dans un

seulet mêmecorps.Ainsi, d'abord l'amphoreserait dans

elle-même,si toutefoisune chose dont la nature propreest d'en recevoirune autre, peut jamais être dans elle-

même et, d'autre part, il y aurait dans l'amphore, eu

même temps qu'eue-meme, ce qu'elle peut contenir,c'est-à-dire du vin,si c'est du vinqu'on y veut mettre.

Donc,il y aurait dans l'amphore, en premier lieu l'am-

phoreelle-même,et en second lieu levin qu'ellecontient.

Donc,évidemment,il ne sepeut jamais qu'une chose soit

primitivementet directementdans elle-même,et elledoit

toujoursêtre nécessairementdans une autre qui la ren-

fermeet l'enveloppe.Maisalors, objecteXénon « Sivousfaites de l'espace

« une réalité, je vousdemandeen quoivousplacez l'es-

o pace,puisquetouteréalité doit toujoursnécessairement

« être quelquepart. Cetteobjectionn'est point embar-

rassante, et l'on peuty répondre. 11se peut fort bien queic lieu primitif d'unechose, sonespaceprimitif, soit dans

une chose, sans qu'elle y soit précisément commedans

un lieu. L'espaceprimitifd'une choseest dans une autre

commela santé est dans la chaleur,c'est-à-dire en tant

quedispositionet propriété,et commela chaleurest dans

Page 313: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEi:!()

Jecorpsen tant qu'action dececorps.Ainsi,il n'est pasbeson., commeJe croit Zénon, de remonteràl'infini etde se perdredans J'espace de l'espace, et l'espace de cesecondespace, etc. évidemment, commele vase n'est pasdu toutcequ'U contient, et qu'il ne peut se confondreaveccequi est en lui, le contenant primitifet le contenuétant choses fort distinctes, il s'ensuit que l'espace n'estni la matière, ni la forme des choses, et qu'il en est très-dnTerent.La matière et la forme sont les élémentsnéces-saires de tout ce qui est dans l'espace,et nécessairementl'espace n'est identique ni la formeni à la matière.

Tellessont les discussionsqu'on a soulevéesreiative-'nent à la nature de l'espace.

VI.

Maintenantil nous faut essayer, à notre tour, d'expli-quer plus précisément ce qu'est l'espace, et de découvriravec toute l'exactitude que nous pourrons y mettre lescaractères véritables qui lui appartiennent, et qui le fontce qui! est. Un premier principe que nous posons commeincontestable, c'est que l'espace est le contenant primitifde tout ce dont il est le lieu, et qu'il ne fait point du toutpartie de ce qu'il renferme, pas plus que l'amphore n'estle vin qu'elle contient. Nous admettons encoreque ce lieuprjnnur, cet espace primitif, n'est ni plus grand ni pluspetit que ce qu'il embrasse, qu'il n'est jamais vide decorps, mais qu'il est séparable des corps contenus parlui. J ajouteenfin que tout espace a ies distinctions que"eus savons, Je haut et le bas, etc., et que par les loismêmes de ja nature, chaque corps est porté ou demeure

Page 314: La Physique d Aristote

D'AHISTOTË,UV1Œ iV, CH. VI. ~7

dans le lien qui lui est propre, soit en haut soit en bas,selonce qu'il est. Ces principes une fois posés, voyonsquelles sont les conséquencesqui en sortent. Nousnousefforceronsde diriger notre étude de façonqu'elle nousamènea bien connaître ce qu'est l'espace. Par la nous

pourronsrésoudre les questionsqu'on a soulevées;nousdémontreronsque les attributs qui semblaientappartenirà l'espace lui appartiennentbien réellement,et nousarri-verons à faire voir bienclairementd'où vient la d incultede la question, et quelssont les problèmes auxquelsons'arrête. C'est là, suivantnous, la méthode la plus sûrepour porter la lumièresur les pointsque nous traitons.

D'abord, il faut bien se dire qu'on n'aurait jamaissongé à étudier l'espace,s'il n'y avait point dans la na-ture ce mouvement que l'on appelle plus particulière-ment le mouvementdans l'espace, ou la translation carce qui fait surtout que nous croyonsque ]e ciel est dans

l'espace, c'est que l'observationnous atteste que le cielest éternellementen mouvement.Or, dans le mouvementon distingue plusieurs espèces, la translation, l'accrois-sement, la décroissance;car dans la décroissanceet l'ac-

croissement,il y a changementde lieu, quelque imper-ceptible qu'il soit, et ce qui était antérieurement en telou tel point, s'est déplacépour arriver ensuiteà être pluspetit ou plus grand. 11y a des distinctionsanaloguesàfaire pour le mobile, qui peut être en soi et actuellementmobile, ou ne l'être qu'indirectementet médiatement.Onpeut mêmereconnaître encore des différencesdans lesmobiles qui ne sont mus que d'une manière indirecte.Ainsi les unspeuventavoir, outre leur mouvementacci-

dentel, unmouvementspécial et, parexemple,lesparties

Page 315: La Physique d Aristote

PARAPHRASEi)Ë LA PHYSiQ~~8ti

du corpsont un doublemouvement,puisqu'ellesse meu-vent quand le corps entier se meut, et ellesont de plusun mouvementparticulier. Demême,on clou qui est fixédans un navirese meut avec ce navirequand le navire se

meut; mais de plus, il peut recevoirun mouvementquin'est qu'a lui, si on l'arrache d'où il est pour le remettreailleurs. Au contraire, d'autres mobiles accidentels nesont[nus jamaisqu'accidentellementet médiatement;parexemple,la blancheur qui ne se meut jamais qu'avec le

corpsoù elle est, la science qui ne se meut, si elle se

meut, qu'avecl'hommequi la possède.Lesmobilesde ce

genre ne changentde placequ'en tant que le corps où ils

sont, vient lui-mêmeà en changer.Quanddoncon dit d'un corps qu'il est dans le ciel,

comme dans son lieu, c'est parceque ce corps est dans

l'air et que l'air est dans le ciel. Mais il y a plus, et l'onne veut pas dire que ce corps soit dans toute l'étendue de

t'ait'; on veut dire seulement qu'il est dans une certaine

partie de l'air, et il n'y est en effet que par rapport ncette partie extrêmede l'air qui l'embrasseet qui l'enve-

loppe. En eu'et,si c'était l'air tout entier, toute l'étenduede l'air qui fût le lieu du corps, le lieu d'un corps uuserait plus égalà ce corps lui-même, tandis qu'au cou-traire il sembleque le lieu d'un corps doit lui être abso-lument adéquat, et que c'est 1~ce qu'onentend par lelieu primitif et direct. Ainsi donc, quand le contenant

n'est pas séparéde la chosequ'il contientet qu'il lui est

continu, commepar exemplele tout, qui n'est pas séparéde la partie qui y est coutenne, on no dit plus que la

choseest dans le contenant commedans son lieu mais

on dit qu'elle y est comme une partie dans le tout.

Page 316: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE IV, CH. Vt. ~n

et c'est ainsi qu'on dirait que le doigtest dans la main.Maisquand le contenantest séparéde la choseet qu'il

la touchepar simplecontiguité,on dit alors que la choseest dans un certain lieu primitif et direct, qui n'est quela surfaceinterne du contenant,et qui n'est ni une partiede ce qui est en lui, ni plus grand que la dimensionmêmedu corps, mais qui est strictementégal à cettedi-

mension,attendu queles extrémitésdes choses contiguësse confondenten un seul et mêmepoint. On voit que,quand il y a continuité, le mouvementn'a pas lieu dansle contenant, maisavecle contenant, et c'est ainsi quele

doigt se meut avec la main et en même temps qu'eue.Maisquand, au contraire, il y a séparation, et que le con-tenant est contigu,au lieu-d'etrecontinu,alors le contenuse meutdans le contenant,ou du moinspeut s'y mouvoir,soit que le contenant se meuve aussi, soit qu'il ne semeuvepas actuellement.On ne peut pins en dire autant

quand il n'y a pas séparation entre le contenant et le

contenu; et alors on considère le contenu commeune

partie dans un tout, par exemple, la vue dans l'ceil,lamain dans le corps,etc. S'il y a séparationet qu'il n'y ait

que contiguité entre le contenant et le contenu, le con-tenu alors est dans un lieu, commel'eau est dans le ton-

neau, comme le vin est dans la cruche.En effet, la mainse meut en mêmetempsque le corps et avec lui, tandis

que c'est dans le tonneauque l'eau se meut, bien qu'ellepuisse se mouvoiraveclui.

Il me semble que ces considérationsdoivent aider à

comprendrece que c'est que le lieudes corps; car le lieu

des corps ne peut guère être que l'une des quatre choses

suivantes ou la formedes choses, ou h), matière dcn

Page 317: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEl/t0

choses, ou l'étendue compriseentre les extrémités du

corps, ou enfin l'extrémité mêmedu corpsambiant, en

supposant toujours qu'il n'y a aucune étenduepossibleen dehors de l'étendue occupéepar les corpseux-mêmes.

Or, il est clair que de ces quatre choses, il y en a trois

que le lieu des corps ne peut pas être. Il est vrai quecomme le lieu enveloppe les corps, on pourrait croire

qu'il est leur forme, les extrémités du contenant et ducontenuse confondanten un seulet mêmepoint où ellesse rencontrent.U est vrai encore que la formeet le lieuou espacesonttous les deuxdes limites; maisil faut bien

remarquer que ce ne sont pas les limitesd'une seule etmêmechose. La formeest la limitede la chosedont elleest la forme; le lieu est au contraire la limitedu conte-nant, la limitede ce qui contient la chose. Ainsi, le lieu,l'espace ne peutêtre la forme.

Il ne peut pas être davantagela dimensionmême des

corps. Mais, comme le contenu, lequel est séparabledu contenant, peut très-souventchanger, par exemple,l'eau sortant du vase, tandis que le contenant subsisteet demeure sansaucune mutation, il sembleque la placeoù viennent successivementse ranger les corps, est unintervalle réel, une dimension qui existe en dehorset indépendammentdu corps qui vient à être déplacé.Cependant cette dimension n'existe pas par elle-même,et il n'y a réeUementque la dimensionmêmedu corpsqui se déplaceet qui tantôt est dans le contenantet tan-tôt n'y est pas. S'il y avait réeDementet matériellementune dimension,qui fût et qui restât toujours dans lemêmelieu, il en résumeraitque les lieux des choses se-raient en nombre infini; car l'eau et l'air venant à se

Page 318: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE IV, CH. VI. m

déplacer, leurs parties feraient dans le tout qu'elles for-

ment, ce que font l'air et l'eau dans le vase qui les con-tient, c'est-à-dire que chaque partie aurait un lieu quisubsisteraitquand ellen'y serait plus; et commeles par-ties sont ennombre infini,les lieux seraient en nombreinfini commeelles. Une autre conséquence,c'est que le

lieu, l'espacealors changeraientde place commele corpsIni-'meme,dont il serait ladimension; il faudrait alors unlieu du lieu,un espacede l'espace, et le mêmecorpsau--rait une foulede lieux différents.Mais,en fait, le contenune changepas de lieu propre quand le contenant vient àêtre déplacé;son lieu reste donc le même; et la preuve,c'est que l'eau et l'air se succèdent dans le mêmelieu,c'est-à-dire dans le vase qui les contient, et non pointdans l'espaceoù ce vaseest transporté, quand on le dé-

place d'un endroit,à un autre. Cet espace, ce lieu où l'on

transporte cevase est une partie de celui qui formeleciel entier.

Après avoir prouvé que le lieu des corps, l'espacenepeut être, nila formedescorps,ni leur propre dimension,il faut prouverqu'il ne peut pas être nonplus leur ma-tière. Ce qui a pu le fairecroire, c'est que l'on observe

que, dansun corps continu,qui est en repos et qui ne sedivise pas, il y a quelquechosequi est blanc maintenant,tandis qu'il était noir tout à l'heure, qui est dur mainte-

nant., tandis que tout à l'heure il était mou ce quelquechose subsiste sous les modificationsque le corpssubitet, de là, nous tirons la conséquenceque la matière est

quelque chosede réel et de subsistant. II y a aussi quel-qu'apparencedece genrepourle lieu, l'espace, qui sembledemeurer sous les déplacementsdes corps qui s'y suc-

Page 319: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDMhAPHYSIQtJt-;!M

cèdent, et nous en concluonsque l'espace est quelquechosede réel dans le genre de la matière. Cependant, il

y a cette difTérenceessentielleque la même chose quiétait de l'air tout à l'heure, est de l'eau maintenant, tan-dis quepour l'espace, il y a de l'air dans le lieu où toutà l'heure c'était de l'eau. Or, ainsique je l'ai dit, la ma-

tière n'est jamaisséparéede la chosequ'elle forme;et ellene contient jamais cette chose; mais, le lieu, l'espace,est, à ces deux égards, tout différent de la matière; caril contient les choses, et il est séparé d'elles.

Si donc, le lieu des corps, l'espace, n'est aucune des

premièreschosesindiquéesplus haut, c'est-à-dire s'il ne

peut être, ni la forme,ni la matière, ni une étendue des

corps, laquelle serait din'érentede l'étendue propre deces corps, et subsisterait quand ils se déplacent, il reste

que le lieu, soit la dernière des quatre chosesindiquées,c'est-à-dire l'extrémité et la limite du corps ambiant, du

corps contenant, tandis que le contenu est le corps quipeut être mû, par-déplacementet par translation, dans

l'espace.Onvoitdoncd'où vient la difScuItéde bien com-

prendre ce que c'est que l'espace ou le lieu des corps;c'est que d'abord il paraît, bien qu'il n'en soit rien, êtrela matière ou In.formedes choses;et, ensuite, c'est quele déplacementdu corpsqui est transporté d'un lieu à un

autre, se fait dans un contenant qui demeure immobileet en repos.Dèslors, il paraît être une sortede dimensionréelle et d'intervalle interposé entre les corps qui s'ymeuvent,et distinct de ces corps,puisqu'ildemeureaprèsqu'ils n'y sont plus. Ce qui aide encore à l'erreur, c'est

que l'air paraît incorporel selon l'opinioncommune;et,~n p;<n(''ral,cp ne sont pas seulementles limitesdu vase

Page 320: La Physique d Aristote

i)'A!USTOTE,UVRE IV, CH. VII. !/<3

qui passent être le lieu du corps contenu;c'est aussil'intervalleregardécommevideentre ces limites.Mais,demêmeque le vaseest, on peut dire, un lieu transportable,de même, le lieu est un vase immobiie.Quanddonc unechose, contenuedans une autre chose, vient à ychangerde place, commeun passager dans un bateau, qui sedéplacesur la rivière qui le porte, ce qui se déplaceainsiemploie le contenantplutôt comme un vasequecommeun lieu. Mais,le lieufait toujours l'effet de quelquechosed'immobile,et c'est alors le fleuvelui-même, plutôt quele bateau, qu'il faudrait appeler le lieu; car, dans sonensemble, le fleuve peut passer pour immobile,tandisque le bateauoù est le passager est en mouvement.

En résume, le lieu des corps est la premièrelimite im-mobiledu contenant; c'est là l'idée la plus précisequ'onpuisse se fairedu lieu ou de l'espace.

vn.

Des considérations qui précèdent, nous pouvonstirer-certaines conséquences importantes. D'abord, elles con-firment l'opinion commune, qui fait du centre du ciel ce

qu'on appelje le bas, et de l'extrémité de la révolution

circulaire, ce qu'on appelle le haut, autant, du moins,qu'il nous est donné de voir la véritable extrémitéde cetterévolution. Le centre du ciel et l'extrémité circutaire,sont bien, en effet, des lieux, et l'opinion vulgaire ne se

trompe point, parce qu'en effet l'un et l'autre sont im-mobiles. Par les lois de la nature, les corps légers sont

portés en haut, tandis que les corps graves sont portésenbas. Il s'en snit que la limite du mouvement des cnrp!=.

Page 321: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEil

vers le bas, c'est le centre même du ciel, et la limite deleur mouvementvers le haut, est l'extrémité mêmede larévolution circulaire. Telle est la notion qu'on doit sefairedu haut et du basdans la nature, et voih\comment

l'espace, le lieu, sembleêtre une sorte de surface et devase qui enveloppeet contient les choses. On peut dire,en outre, que~elien coëxiste,en quelquesorte, à la chose

qu'il renferme,et dontil est le lieu; car les limitescoëxis-tent au limite.Ainsi,pour dire d'un corps qu'il est dansun lieu, il faut qu'il soitdans un autre corps qui l'enve-

loppe et celuiqui n'est pas dans ce cas, n'est pas dansunlieu, à proprementparler; l'idée du lieu impliquetou-

jours un corpsextérieur, qui en enveloppeun autre. Par

conséquent,quelle que soit la compositionde l'univers,de l'eau on tel autre élément,lesparties de l'univers sontbien en mouvement;car elles sont dans un lieu, et elles

s'enveloppentles unes les autres mais, l'ensemble des

choses, l'univers lui-même n'est pas dans un lieu; car,en un sens, il ne se meut pas, si, d'ailleurs, on peut direen un autre sens qu'il se meut. II y a en lui des partiesqui se meuvent. Mais, comme totalité, il est immobile,parce qu'il ne peut changer de lieu. Ma bien, sur lui-même un mouvementcirculaire, et c'est là ce qui fait

qu'on peut assignerun lieu à ses diversesparties, quoi-que lui-mêmen'en ait pas. II y a, en effet,des partiesducielqui sont mues, nonpas en haut ou en bas, maiscir-

culairement;et les seules qui soient portées en haut ouen bas, sont cellesqui peuvent devenir ou plus légères,ou plus denses.

D'ailleurs,quand onparle du lieu, il faut faire aussi la

distinction si souvent indiquée par nous, de l'acte et de

Page 322: La Physique d Aristote

!)'AH!STOT~ UVHEiV, CH. Vt).

la puissance certaines choses sont en puissance dans unHeu certaines autres y sont en acte. Ainsi, quand un corpsformé de parties homogènes reste coutinu sans que sesparties se séparent de lui, ces parties ne sont qu'en puis-sance clans un ]icu elles sont dans le tout qu'elles for-ment., et ce tout Jui-môme est dans un lieu. Les partiespourraient y être en acte, et, effectivement, si elles ve~naient a être séparées du tout; mais,air lieu de formeruntout continu, elles ne servent plus alors que coutiguësles unes aux autres, commeles grains d'un tas de b!é.

Une secondedistinction, non moinsréelle, c'est qu'ily a des choses qui, en soi, et directement, sont dansun lieu, par exemple, tout corps qui se meut. soit partransktion, soi), par simp)e accroissement,ou décroisse-ment, tandis qu'on ne peut pas dire du ciel, pris dansson ensemble, qu'il soit quoique part ni dans un lieupré-cis, attendu qu'aucun autre corps ne l'embrasse. C'estseulement parce qu'il y a du mouvement en Jui, qu'onpeut dire que ses parties diverses ont un lieu car, cha-cune (le ses parties se coordonnent et se suivent dans unordre éternellement régulier. Aucontraire, il est d'antreschoses qui, en soi, n'ont pas de lieu, et qui n'en ont un

qu'indirectement et accifienteHement.L'àme, parexcu)p!c,n'a de mouvement que par l'intermédiaire du corps oùeiie est; le ciel lui-même n'a. de mouvement que relati-vement à ses parties qui se meuvent; mais, en soi, il estimmobile,Seulement, dans nn cercle,une partie en enve-

loppe une autre et voilà comment le haut du ciel n'a quele mouvement circulaire. Mais, à vrai dire, l'univers, letout ne peut avoir de lieu car, il faut, pour qu'un objetsoit dans un ]ieu, que, d'abord, Hsoit lui-même quelque

H)

Page 323: La Physique d Aristote

PAMAPHRASRi)E LA PHYSIQUEi/t6

chose puis, qu'il y ait aussi une secondechosedans la-

quelle il est, et qui l'enveloppe or, en dehors de l'uni-

vers et du monde, il ne peut rien y avoir qui soit indé-

pendant du tout, et de l'ensemble universel. Aussi,toutes les choses, sans aucune exception,sont-ellesdans

le ciel; car le ciel est tout l'univers, autant, du moins,

qu'il est permisde le conjecturer.Mais,le lieu des chosesn'est pas précisémentle ciel c'est unecertaineextremit6du ciel, la limiteimmuablequi toucheet confineau corpsqui est en mouvement.Ainsi, la terre, on peut dire, estdans l'eau, parce que l'eau l'environne;l'eau, à son tour,est dans l'air; l'air, lui-même, est dans l'éther; et, enfin,l'éther est dans le ciel. Mais, le ciel lui-même,n'est plusdans autrechose, et l'on ne peut plus dire qu'il soit dansun lieu, puisqu'au contraire, tout est en lui.

Si nousne nous trompons, cette manièrede concevoirle lieu et l'espace résout toutes les questions qui pré-sentaient tant de duïicultés. Ainsi, le lieu des chosesétant la limite interne du corps ambiant, il n'y a plusnécessité, comme on le supposait, que le lieu s'étendeavec le corps qu'il contient, lorsque ce corps vient à se

développeret croître. Mn'y a pas nécessitédavantageque le point ait un lieu car le corpsambiant entourelachose mêmeet non pas les points de la surface. Il n'est

plus besoinnon plus quedeux chosessoient dans un seulet mêmelieu.L'espace, le lieu n'est plus ladimensiondes

corps et l'intervallede leurs surfaces; car, loin que l'es-

pace soit la dimensionpropre des corps,cesontles corps,au contraire, qui se trouvent toujours dans l'espace,q uels quesoientces corps.L'espace lui-même,lelieu n'est

pas un corps. )I est bien nécessairement quelque part;

Page 324: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, UViΠIV, CH. Vil. ~7

maisil n'y est pas commedans un lieu; il y est unique-mentcommela limiteest dans le limité; car, tout ce quiest n'est pas nécessairement et sans aucune exceptiondans nnlieu; il n'y a que les corps susceptibles de mou-

vementqui soient réellementdans un lieu.

C'estlà ce qui fait que, dans l'ordre naturel deschoses,

chaqueélément se porte dans le lieu qui lui est propre.Et cela se comprend bien; car, l'élément qui le suit et

l'enveloppe,sans que ce soit d'une manière violente et

contre nature, a de l'affinitéet unecertaine homogénéitéavecl'élémentqui le précède la terre avec l'eau, l'eau

avec l'air, l'air avec le feu. Les choses qui ont une na-

ture absolumentidentiquen'agissent pas les unes sur les

autres; mais quand elles se touchent etsontcontiguës

entr'elles,au lieu d'&trecontinues et de formerun seul

tout, alorselles se touchent mutuellementet elles se mo-

difientréciproquemententr'ellcs. C'est par des lois aussi

naturelles et aussi sages que chaque élément, dans sa

massetotale, demeureau lieu qui lui appartient spéciale-

ment et telle partie, ou plutôt tel élément en masseest

dans l'espace total du ciel, comme dans un corpsordi-

naire telle partie séparable est dans le tout duquel elle

est détachée; et, par exemple, comme une partie de

l'eau est à la masse de l'eau, et une partie de l'air à la

masse totale de l'air. De même, dans l'univers, c'est là

le rapportde l'air à l'eau l'eau estla matièreen quelque

sorte, et l'air est la forme.L'eau est, on peut dire, la ma-

tière de l'air, et l'air a son tour est l'acte de l'eau, puis-

qu'en puissance l'eau est de l'air, et que l'air lui-même

est a un autre point de vue de l'eau en puissance,l'eau

pouvantse changer en air par la vaporisation,et l'air à

Page 325: La Physique d Aristote

PAi~PHHAS[';DELA PHYHtQtJEHs

son tour pouvait se changer en eau forsqn' se con-dense.

A!iusnous nous réservons de revenir plus tard sur cesthéories; ici, nous n'en disons que ce qui est indispen-sable à notre sujet; et nos explications qui, actueJIement,peuvent paraître quelque peu obscures, deviendrontpar lasuite beaucoup pius claires. J'ajoute seulement que sifa m6n)echose est à L-Lfoispuissance et acte, t'eau étantair et eau tout a la fois, bien qu'elle soit l'un en puissanceet l'autre en acte, le rapport de l'eau à l'air dans l'en-semble des choses est celui de la partie au tout, si l'onvent. Voilà comment ces deux éléments distitlcts l'un del'autre ne font qu'être en contact; mais, quand il y a fu-sion (leleurs natures, tesdeux n'en font plus qu'un,et, enacte, iis se confondent absolument.

Telle est notre theorin sur l'espace, sur son existenceft ~ur sus p)'op)-i~.tt''s.

vin.

H semble que ia méthode applique à t'f~ndede l'es-

pace n'est pas moins applicable al'6tude du vide; et le

Physicien doit.aussi rechercher si le vide existe ou s'iln'existe pas, cotmnentiIestctcG qu'il est; car on peutavoir sur le vide les mêmesdoutes ou les mêmes théoriesqu'on a sur J'espace, se)onk-s divers systèmes dontiia~(6 l'objet. En e~'ct, ceux qui croiej)t ~) vide le repré-sentent en général comme nn espace d'un certain genre,et comme un vase ou récipient. On supposequ'il y a duplein quand ce récipiej)t contient h'corpsqu'iiestsus-'ptihh' de recevoir; f-t qn~n<ice récipient en est. prive.

Page 326: La Physique d Aristote

D'Aïus'ro'n. j.tvnn )v, en. vn). t/,n

il scmb)e qu'il y a du vide. ))onc,on admet impticitemcnttpar )a que )c vide, le plein et l'espaça sont au fond lamême chose, etfpi'i) n'y aentr'eux qu'une simple diffé-rence de manière d'être. Voicidonc la marche que nous.suivrons dans cette recherche nousrecueillerons d'a-bord les arguments de ceux qui croient à l'existence du

vide; nous passeronsensuite auxarguments de ceux quila.nient; et, cette revue des opinionsphilosophiquesétantia.te, nous terminerons par l'examen des notions vuJgai-rement répandues en ce qui concerne ce sujet.

Ceux qui nient l'existence d:t vide ont le tort de nepoint s'attaquer assez

pr6cisen)entaj'idéem)e!es hommess'en font généralement, et de se borner à réfuter les défi-nitions erronées qu'on en donne, et qui ont beaucoupmoins d'importance. C'est là la faute d'Anaxagorcet deceux qui l'imitent dans son procède de réfutation. Ainsi.ils démontrent fort bien l'existence de j'air et toute laforce dont il est doué, en faisant sortir de )'air de.soutresqu'ils pressent, etenie recevant dans des clepsydres, oiton voit sans peine sa puissante action. Mais l'opinionvulgaire entend en gênera) par le vide un espace dans

lequel il n'y a pas de corps perceptibles à nos sens; <!t.connue on croit vujgau-ement encore que tout ce quiexiste a un corps, on dit que le vide est ce dans quoi il

n'y a rien par suite, comme on ne voit pointFait-,Jevide

passe pour être ce qui est plein d'air. Maisil lie s'agitpoint de démontrer, comme I.; fait Anaxagore,que l'airest.quelque chose; il s'agit de prouver qu'il n'existe pointd'étendue ou d'intervaHe din'crent des corps, qui serait

séparable d'eux, et qui nxisto'ait en acte comme eux,

Page 327: La Physique d Aristote

PAMPHKASE DE L~ PHYSIQUE150

bien qu'il les pénétrât de telle façon que le corps ne

serait plus continu, systèmequ'ont soutenu Démocriteet

Lencippeavecbiend'autres naturalistes;oubien encore,il

s'agit de prouver, en admettantquelecorps restecontinu,

qu'il y a en dehors de lui quelque chose comme le vide.

Ainsi, les philosophesdont nous parlonsn'ont pas même

mis le pied sur le seuil, commeon dit; car ils ont prouvé

que l'air existe; mais ils n'ont pas du tout démontréquele viden'existe pas.

Ceux qui afnrment l'existence du vide, au lieu de la

nier, se sont rapprochés davantagede la vérité; et voici

quelques-unes de leurs raisons. D'abord, ils soutiennent

que sans le vide il n'y a pas de mouvementpossible dans

l'espace, soit déplacement d'un lieu à un autre, soit

accroissementsur place, attendu, disent-ils, que s'il n'yavait pas de videil n'y aurait pas de mouvementpossible.Leplein, évidemment,ne peut rien admettre,continuent-

ils s'il admettait quelque chose, il y aurait alors deux

corps dans un seul et même lieu, puisque le plein est

déjà un corps apparemment, et qu'un autre viendraits'y

placer; alors, il n'y aurait pas de raison pour quêtonsles corps, quelqu'en fût le nombre,ne pussent se trouver

tous ensemble dans un seul et même lieu car il n'y a

point ici de din'érecce,et dès qu'on en suppose deux, on

peut tout aussi bien en supposerun nombre quelconque.Maiscette hypothèse en entraîneune autre..et si tous les

corpspeuvent être dans un seul et mêmelieu, on ne voit

pas pourquoi le plus petit ne pourrait pas recevoiret con-

tenir le plus grand, puisque l'aide de plusieurspetiteschoses réunies on peut toujoursen former une grande.

Page 328: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTt' UVIΠIV, CH. Vt!t. 15!

Par conséquent,si plusieurs choses égalespeuvent êtredans un seul et même lieu, plusieurs choses inégales

pourront y être tout aussi bien.

C'est ainsi qu'on essaie de démontrer le vide; et ce

qu'il y a de singulier, c'est que ce sont là les mêmes

principes par lesquels Mélissusprétend démontrer quel'univers est immobile; « car,disait-il, pourque l'universse meuveil faudrait du vide; or, on ne peut soutenir quele videexiste; donc l'univers ne se meutpas. o Mais,jelaisse Mélissus,et je reviens à tnon sujet. Après avoir

prouvé l'existencedu videde cettepremière manière,nos

philosophesle démontrent encored'une autre façon. Ils

observentqu'il y a des corps qui secontractent et se con-densent. Ainsiun tonneauest plein de vin; on met le vin

dans des outres; et les outres pleines de vin tiennent

encore dans le tonneau. My a donccondensationdu vin;il rapprocheen quelque sorte les vides qui se trouvaientà son intérieur. Si l'on prend d'autres faits, il paraît bien

que le développementdes êtres qui s'accroissent ne peutse faire qu'à la condition du vide. Ainsi les aliments

qu'ils absorbentet qui les font croître, sont eux-mêmes

déjà des corps, et il faut bien qu'ils se logentdans quel-

que vide, puisqu'il est impossibleque deux corps soient

dans un seul et mêmelieu. Enfin,on citeun autre phéno-mène analogueà ceux-là, etqui atteste égalementl'exis-

tence du vide c'est celui de la cendre, qui est dans un

vase,et qui absorbeautant d'eau que le vase lui-mêmeeu

contient, lorsquela cendre n'y est pas.

J'ajoute pour en finir sur ce point, que les Pythagori-ciens aussi admettaient l'existence du vide. Selon eux,

c'est par l'action~dusoufnedivin(mele vide, qui est ap-

Page 329: La Physique d Aristote

PÀHAPHRAS)~DE L\ PHYSIQUE

parctnmenten dehors du monde, entre dans le ciel, et ieciel a alors ~ne sorte de respiration. Ils ajoutent que)cvideest ce qui sépare !cs choses et limite leurs natures

diverses, te vide leur paraissant être placé entre les corpspour les isoler, et faire leurs délimitations réciproques.A cti croire les Pythagoriciens, c'était d'abord dans lesnombres qu'on pouvait observer le vide; car c'est le vide

qui détermine !eur nature propre et leur abstraction.Voi!~à peu près les idées qu'on a émises dans un sens

ou dans l'autre, pour a~nner ou pour nier l'existence duvide,

IX.

Pour savoir discerner h).vérité entre ces deux opinionscontraires sur le vide, il est.bon de connaître d'abord,

précisément ce que signifie le mot. hu-rnëme. Générale-

ment, on entend par vide un espace on il n'y a rien. Cette

idée vient de ce que l'on confond toujours l'être et le

corps; tout' ce qui existe a un corps, et tout corps estdans un Heu; donc le vide est t'espace ou il n'y a aucun

corps que nos sens puissent percevoir; et s'i) y a unIl

espaceoù il n'y a plus de corps sensible, on dit que c'estle vide. D'antre part, comme on suppose toujours qu'un

corps peut être touché, et que la tangibitité est la pro-priété essentielle de tout ce qui est pesant ou léger, onen arrive à conclure que le vide est ce dans quoi ii n'y a

plus rien de léger ni de pesant. Telles sont à peu prèsles notionsqu'on se fait du vide, en raisonnant sur cetteidée ainsi que nous l'avons déjà dit. On sait d'aitteurs,

qu'Userait absurde de soutenir quels point est le vide)

Page 330: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. X. !M

sous prétexte qu'il n'y a rien non plus dans le point, tel

que les mathématiques le conçoivent. Maisil faut que le

vide soit l'espace où est l'étendue du corps tangible, et

ce point ne peut avoir cette propriété. Ainsi, dans une

certaine acception, Vide signifie ce qui n'est pas pleind'où corps tangible et perceptible an toucher, le corpstangible étant toutce qui est doue de pesanteur et de légè-reté. Mais à ceci on fait' une objection, et on demande ce

qu'il en serait du vide, si l'étendue, au lieu d'être pleined'un corps tangible, avait une couleur ou un son. Serait-

ce alors du videon n'en serait-ce pas? Ou bien, doit-on

dire encore simplement qu'il y a du vide, si cetteétendue,colorée ou sonore, peut recevoir un corps tangible, et

qu'il n'y en a pas si elle ne le peut pas? Après cette pre-mière acception du mot Vide, on peut en indiquer une

antre; et l'on entend encore par vide l'espace où il n'y a

aucune chose distincte, ni de substance corporelle, quelle

qu'elle soit, ou pesante, ou légère. C'est en poursuivantces idées que certains philosophes on fait du vide même

la matière des corps, comme ils croyaient la trouver dans

l'espace qu'ils confondaient avec elle. Mais la matière

n'est pas séparable des corps qu'elle forme, tandis quele vide, dans la pensée de ces philosophes et tel qu'ilsle conçoivent; en est toujours séparé, tout aussi bien que

l'espace.

X.

Après avoir étudié l'espace, comme nous l'avons fait,m. montre que le vide ne peut ôtœ au fondque )'cspa.cc

iui-memc, si ]c vide est ce dans q!)oi il ))'y a pas de

Page 331: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYS1QUKi5/)

corps, il doit être évident pour nous que dans ce sens leviden'existepas autrement que l'espace,ni comme insé-

parable des corpsni comme séparable, puisque le viden'est pas non plus un corps, et qn'il serait bien plutôtl'intervallequisépareet isole les corps lesunsdes autres.Ainsi,le vide ne semble être quelquechose que commel'est l'espace lui-même,et par les mêmes motifs; car lemouvementde locomotiondans l'espace est admis toutaussi bien,et par ceuxquisoutiennentquel'espaceest dis-tinct des corpsquis'y meuvent, et par ceux quiadmettentl'existencedu vide. Le vide paraît la cause du mouve-

ment, en tant qu'il est le lieu où le mouvementse passeet c'est là précisément le rôle que prêtent aussi a l'es-

pace d'autres philosophes, qui repoussent la réalité duvide.

Quanta nous, nous ne croyonspas du tout que le videsoit unecondition indispensableà la possibilitédu mon-vemet)t, ni que le vide soit la cause de toute espèce demouvement, quel qu'il soit. C'est là une remarque qui a

échappé à l'attention de Mélissus;car le plein lui-même

peut encore changer et avoir un mouvement, par suited'une simplealtération, sans qu'il y ait de déplacementdans l'espace. Maisil n'est pas mêmebesoinde supposerle vide pour que cette dernière espèce de mouvementpuisseavoir lieu; car il se peut fort bienque tout étant

plein, les corps se remplacent successivementles uns lesautres, sans qu'il y ait un espace séparable et distinctdes corps qui se meuvent. C'est là ce qu'on peut voirdans les rotations des corps solides et continus, aussibien que dans cellesdes liquides qu'on fait tourner avecle vasequi les contient. La suppositiondu vide n'est pas

Page 332: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIV, CH. X. j55

non plus nécessaire pour comprendreque les corps se

coudensent et se rapprochent; car ce phénomènepeut

avoirlieu par l'expulsion de certaines de leurs parties,

commel'air s'échappe de l'eau quand on la pressedans

les outres où elle est renfermée.

J'ajoute que les corps peuvent s'accroître autrement.

qu'on ne le disait; car il n'est que faire qu'on y intro-

duisequelque chose d'étranger, et il suffit d'une simple

modificationintérieure, par exemple, lorsque l'eau de-

vient de l'air, et qu'elle prend un vaste développement.

A parler d'une manièregénérale,la théorie du vide,tirée

du phénomène de l'accroissementdes corps, ou de l'eau

versée dans la cendre, n'est pas soutenable;car,ellecon-

duit à des conséquencestoutes plus absurdes les unes

que les autres. Ainsi,on arrive à dire que certainespar-

ties du corps qui ne sont pas vides,ne s'accroissentpas,

tandis qu'au contraire il est avéré que tontes, sansexcep-

tion, s'accroissent quand le corps lui-mêmes'accroît. On

arrive à dire que l'accroissementne peut pas résulter de

l'adjonction d'un corps matériel, ce qui n'est pas moins

contraire à l'observation; que deux corps peuvent être

dans un seul et mêmelieu, si l'on admet que la partie du

corps qui se nourrit est aussi bienpleine que lesaliments

qu'il prend et, enfin,que le corps doit être nécessaire-

ment vide dans toutes ses parties, si l'on admetqu'il s'ac-

croissede toutes parts, et que le vide soit indispensableà

cet accroissement.Tellessont les contradictionsque l'on

risqueen soutenant l'existencedu vide, et lesmêmesrai-

sonnementss'appliqueraientau phénomènede la cendre

imbibée d'eau, puisque là aussi, on supposedu vide, et

qu'un corps est mêlé à un autre. Mais ces explications

Page 333: La Physique d Aristote

P.AHAPHKAS!DMLAi'HYSIQLI.:

i)tcomp!è(.esne démontrent pas du tontl'existence du videet sa nature elles ne font que rejMndre aux plus vul-gaires notions sur ces matières. Ces théories, dont nos

philosophes paraissent satisfaits, ne sont donc pas aussilicites refuicr ()u'i)s se t'imaginent.

X!.

Je répète de nouveau qu'i) n'y a pas de vide en dehorsdes choses, comme on l'a si souvent prétendu. Ce n'estp!~Je vide qui fait que les déments ont une tendance na-tm'eJJeà se porter dans les lieux qui leur sont lel'euen haut, la terre en bas ou plutôt vers le centre. Mais,si le vide n'est pas cause de cette tendance, de quoi est-il donc cause, puisqu'on le faisait surtout la cause dumouvementdans l'espace, et qu'il est prouvé qu'il ne J'estpas? En second lieu, si le vide n'est pas autre chose quel'espace privé de corps, on peut demander QueJJesera hdirection d'un corps qui sera pincedans Je vide? Ce corpsne peut aller certainement dans toutes les parties duvide; il doit y prendre une direction, allant dans un sens

plutôt que dans l'autre. Et, alors, nous faisons ici, contrel'existence du vide, la même objection que nous faisions

plus haut contre l'existence de l'espace, conçu comme sé-

pare des corps qui s'y meuvent. Commentle corps, qu'onsuppose dans Je vide, pourra-t-i! s'y mouvoir? Comment

pourra-t-iJ y rester en repos ? Nous avons dit aussi, pourl'espace considère isoJement des corps, qu'il ne peut pasy avoir de haut et de bas nous en disons autant du vide,puisque ceux qui admettent son existence, le regardentcomme de l'espace d'un certaiu j~enre. Mais aJors, si

Page 334: La Physique d Aristote

D'ARtSTOT). UVtΠIV, CH.L ~57

dans le vide et dans l'espace séparés des corps, la chose

t)e peutêtre ni en mouvement, ni en repos, comment yest-elle? Si elle ne peutôtre ni en haut, ni en bas, quelley est sa position? C'est qu'il est impossiblequ'une chosesoit dans l'espace on dans le vide, quand on suppose levideet l'espace séparés de tout et permanents. La partie(l'une chose, à moins qu'on ne la suppose isolée du toutdont elle fait partie, ne peut pas être dans l'espace; elleest seulement dans le tout auquel elle appartient. Mais,si l'espace n'est pas indépendant et sépare des corps, levidene l'est pas plus que lui.

Loinqu'on ait raison de croire que le vide est absolu-ment nécessaire au mouvement, je dirais bien plutôt quele mouvementn'est plus possible, du moment que le vide

existe; car, de mêmeque certains philosophes ont expli-

que l'immobilité de la terre par l'égalité de la pressionqu'elle reçoit de tout ce qui l'entoure, de même il faut

que, dans le vide, tout soit en un complet repos; car,dans le vide, il ne peut pas y avoir un lien vers lequelle corps doive se mouvoir plutôt que vers tout autre,

puis(fuo,dans le vide, on ne peut pas distinguer de dif-

f6rence. En eil'et,il faut.se bien rappeler que tout mouve-ment est, ou nature), ou forcé; et, s'il y a un mouvement

forcé,c'est une nécessité qu'il y ait corrélativement un

mouvement naturel. Or, le mouvement forcé ne vient

qu'après le mouvementqui est selon la nature par con-

séquent, si l'on suppose que, pour les éléments, il n'y a

plus de mouvement naturel et spontané, on peut en con-

clure qu'ils n'ont plus dès lors aucune espèce de mou-

vement. Mais commentd:ms le vide, où il n'y a plus au-

cunediH'érencepossible, nonpins quedans l'infini, pom'ra-

Page 335: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDK LA PHYSIQUE158

t-il yavoir un mouvementnaturel, distinct d'un mouve-mentforcé?Dans l'infini, il n'y a plus ni haut, ni bas, ni

milieu; dans le vide, s'il y a haut et bas, il est bien im-

possiblede les distinguer l'un de l'autre; car de même

que le néant ou le rien ne peut présenter de différence,demême il ne peut pas y en avoirdans ce qui n'est pointencore,bien qu'il puisse être ultérieurement; or, le videest une sorte de non-être, et c'est une privation plutôtque touteautre chose. Mais,le mouvement naturel pré-sente les diiTérencesque l'ou sait, et les choses qui ontune réelleexistencedans la nature, sont, par suite, diué-rentes entr'elles. Ainsidonc, de deux choses l'une ou lemouvementnaturel ne sera pas, et, aucun élémentn'aura

de tendance naturelle; ou Lien,si le mouvementnaturel

existe, comme l'observation la plus vulgaire l'atteste,c'est que le viden'existe pas, commeon le prétend.

Un phénomènebien connuet très-ordinaire vient en-core démontrer cette vérité c'est la manière dont les

projectilescontinuent à se mouvoir,même après que lemoteur qui les a lancés a cessé de les toucher. On ex-

plique leur progression de deux manières, soit par la

précipitation de l'air qui remplace vivement celuique la

pierre a déplacé, commequelques philosophes l'ont dit,soit par l'action de l'air, qui, chassé par la main, chasseà son tour l'air qui le précède, en lui communiquantunmouvementplus rapide que ne l'est la tendance natu-relle du corps à descendreversle lieu qui lui est propre.

Mais,quelle quesoit l'explicationqu'on adopte, rien detout cela ne peut se passer dans le vide, et le corps ne

peut y être en mouvementque s'il est sans cesseporté et

soutenupar la cause qui le ment, comme le fardeauque

Page 336: La Physique d Aristote

~'AHISTOTE, LIVRE tV, CM. XL d59

porte un char. Il ne serait pas moins difficilede dire, le

vide étant admis, commentun corpspourrait s'y arrêter,

une foisqu'il aurait été mis en mouvement.Pourquoi, en

effet, s'y arrêterait-il ici plutôt que là? Par conséquent,

ou le corpsrestera nécessairementtoujoursen repos dans

le vide; ou, s'il y est une fois en mouvement,ce mouve-

ment ne finira jamais, à moinsque quelqu'obstacle plus

puissant ne vienne à l'arrêter. Ce qui fait croire à ces

philosophesque les corps sont portés dans le vide, c'est

que l'air cède devant eux mais le même phénomènese

produit à plus forte raison dans le vide, qui cède dans

tousles sens la fois;et ce serait aussi dans tous les sens

indifféremmentque les corps pourraient s'y mouvoir.Or,

c'est là cequi est tout à fait contraire aux loisde la na-

ture, qui donne au mouvement de tous les corps, selon

leur pesanteur ou leur légèreté, unedirection qui n'a rien

d'arbitraire.

Aux considérationsqui précèdent, on peut en ajouter

encore quelques-unesqui achèveront de prouver que le

vide ne peut pas exister.Évidemment,quand un corps de

mêmenature reçoit,un mouvementplus rapide, cela petit

tenir à deux causes,ou au milieu qu'il traverse, ou au

corps lui-même.Si le milieu est de l'air, par exemple,le

même corps s'y meut plus vite que s'il avaità traverser

de l'eau ou de la terre; et, en secondlieu, si toutes les

autresconditions,restantd'ailleurs égales, lecorpsdevient

plus lourdou plus léger, son mouvement varie de rapi-

dité dans la même proportion. Le milieu que le corps

traverse l'arrête le plus possible, quand il a lui-mêmeun

mouvementensens contraireà celuidu corps; et, ensuite,

quand ce milieu est immobile. La résistance s'accroît

Page 337: La Physique d Aristote

PAUAPHHASE])EL\ PHYSIQUE1(;()

avec la densité du milieu, qui oppose d'autant plus d'obs-

tade qu'il est plusdiHicileadiviser. Soit, par exemple, uu

corps A traversant le milieu B, dans un certain temps G,et traversant le milieu D, quiest moins dense que B, dans

un temps E. Ensupposant que la longueur du milieu B et

celte du milieuD sont égaies, le mouvement de A sera en

proportion de la résistance du milieu qu'il traverse. B est

de l'eau, si l'on veut; et Dest de l'air. Autant l'air sera

plus léger et moinsdense, ou moins corporel que l'eau,autant A traversera Dplus vite qu'il ne traverse B. Evi-

demment, la première vitesse sera a. la seconde dans le

même rapport que l'ait- est à l'eau en densité compara-tive et si l'on suppose arbitrairement, par exempte, quel'air est deux fois plus léger et moins dense que l'eau, le

corps A traversora l'eau B en deux l'ois plus de temps

qu'it ne lui en faudra pour traverserl'air D: par suite, le

temps G sera le double du temps E. Donc,le mouvement

du corps, toutes choses égaies d'ailleurs, sera d'autant

plus rapide que le milieu qu'H aura. a traverser sera plus

incorpore!, moinsrésistant et plus aisé a diviser.

Maisil n'y a pas de proportion possible entre le vide et

le plein, et l'on ne peut savoir de combien le plein sur-

passe le vide, de même que rien ne peut pas avoir de

proportion possibleavec le nombre. En en'et, si l'on peutdire que quatre surpasse trois d'une unité, de même qu'ilsurpasse encore davantage deux et un, on ne peut plusdire dans queDeproportion il surpasse le rien. Car, néces-

sairement, laquantité qui surpasse une secondequantité,se compose d'abord de la quantité dont elle surpassel'autre, et ensuite d'une quantité égale à celle qui est

surpassée. Par conséquent, quatre serait et la quantité

Page 338: La Physique d Aristote

D'~mSTOTE, UVJΠiV. CH. XI. 161

d!~1

dont il surpasse le rien ou zéro, et, en outre, il serait lerien ce qui est absurde. Par un motif analogue, on ne

peut pas dire que la ligne surpasse le point, parce que ia

ligne n'est pas elle-nome composéede points.Ou voit par là que le vide ne peut pas avoir le moindre

rapport proportionne! avec le plein et le mouvementdans le vide ne peut jamais non plus être en proportionavec le mouvementdans le plein. Si donc, dans le milieule moins dense possible, le corps franchit tant d'espaceen tel temps, on peut dire que dans le vide ce mouve-ment dépassera toute proportion possible. Soit, en effetF le vide et d'une dimension égaie celle du milieu B,qui est de l'eau, et du milieuD, qui est de l'air. Si lecorps A traverse le vide et le franchit dans un certain

temps G supposé plus court que le temps E, qui étaitla mesnre de la course de A dans l'air, c'est-à-dire dansle corps le moins dense des deux; ce sera là le rapportdu vide an plein. Mais, dans ce même temps G, le

corps A ne franchira de D que la portion H. Le corps Atraversera donc le mi)ieu F, c'est-à-dire te vide, lequelest beaucoup plus léger quel'air, avec une vitessepropor-tionneilementegale an rapport dutempsE au tempsC; car,si le vide F surpasse l'air en légèreté dans la proportionoit le temps Ë surpasse le tempsG, à l'inverse, le corps A,dans son mouvement, traversera le vide F avec une vi-tesse correspondante au temps G. Mais si F est absoiu-ment vide de corps, le mouvementde Adevrait y êtred'autant plus rapide. Cependant, on supposait tout àl'heure que A traversait une portionH de Ddans le même

temps G; donc, le corps franchit.la distance donnée dansle mêmetemps, soit dans !c picin, soit dans le vide. Or,

Page 339: La Physique d Aristote

PARAPHRASEf)E LA PHYSÏQUK)~2

n'est. là une impossibilitémanifeste; donc, si l'on suppose

qu'il tant uncertain temps à un corps quelconque pour

traverser le vide,on aboutit à cette absurdité qu'un corpstraverse indinerenunent, dans le même temps, le plein et

le vide. <~equi est vrai, c'est qu'au lieu du vide il faut

toujours supposer uu corps qui est à l'autre corps dans la

même relation de légèreté ou de pesanteur que le tempsest au temps; mais, dans le vide, il n'y a rien de pareil.

Pour résumer toute cette discussion sur la rapidité plus

nu moins grande du corps, selon les milieux traversés,

nous dirons que cette conclusion à laquelle nous aboutis-

sons en ce qui concerne le vide, tient à ce qu'entre deux

mouvements qui se passent l'un et l'autre dans les temps

finis, on peut toujours établir une certaine proportion,tandis qu'entre le plein et le vide, il n'y a pas de pro-

portion possible. Mais je ne veux pas pousser plus loin

ces considérations sur la difTérencedes milieuxtraversés,

et leur influencepour accélérer ou ralentir le mouvement

des corps qui les traversent.

Je passe à la difTérence des corps eux-mêmes selon

qu'ils sont plus légers ou plus denses, et qu'ainsi ils ont

un mouvement plus rapide ou plus lent. Il faut remar-

quer d'abord que, selon que les corps ont plus ou moins

de pesanteur, leurs conditions de forme restant d'ailleurs

les mêmes, ils parcourent plus ou moins rapidement une

même étendue, et qu'ils la parcourent dans le rapportmême où sont entr'elies les différencesde pesanteur ou

de légèreté. Par conséquent, ils la parcourraient égale-ment dans le vide. Mais c'est là ce qui est impossible;car quelle cause dans le vide pourrait accélérer le mou-

vement? Dans le plein, on comprend bien cette accelera-

Page 340: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOT)! UVimIV, Cii. XH. 103

tion; car celui des deux corps qui a le plus de forceparsa pesanteur, diviseaussi plus rapidementle milieuqu'ildoit traverser, soit qued'ailleurs cette force plus grandelui vienne ou de sa nature particulière ou de l'impulsionqu'il a reçue. Maisdans le vide, tous les corps devraientavoirla mêmevitesse et c'est là une hypothèsetoutà. fait

inadmissible.

Je conclusde tout ceci que l'existence du vide, si elle

était réelle commele croient ceux qui bâtissent ce sys-tème, entraînerait de toutes autres conséquencesquecellesqu'ils attendent. Ils s'imaginentque le mouvement

ne serait pas possibledansl'espace, s'il n'y avait pas du

videsépare de tous les corps et subsistant en soi; mais

au fond, cela revient à dire qu'il doit aussi y avoir un

espace également indépendantdes corps, et nousavons

démontréplus haut qu'il n'en pouvaitêtre ainsi. Doncen

résumé, le vide n'existe pas plus que l'espace l'état

d'isolementqu'on lui veutattribuer.

X!

Ane considérer le videqu'en soi, et indépendammentde son rapport avec le mouvement,on pourrait admettre

sanstrop de peineque le vide, en ef!et,existebien comme

on veut nous le faire croire, c'est-à-dire,que toutes les

explicationssont parfaitementvides et creuses. Pour n'é-

tudier le vide qu'en lui-même, voici quelquesfaits qui

prouventqu'il ne peut exister. Si l'on plongeun cube de

boisdans l'eau, il ydéplaceune quantité de liquide égaleà lui, et ce même déplacementa lieu de la mêmefaçondans l'air, bien que pour ce dernier cas le phénomène

Page 341: La Physique d Aristote

PARAPHRASE DR LA PHYSIQUEJM1I

échappe a nos sens. J'ajoute que le phénomène est iden-

tique dans tout autre corps différent de l'air ou de l'eau,

et qu'il y a nécessité, a fhoins q)]ece corps ne se con-

dense et ne se comprime, qu'il se déplace dans la direc-

tionqui lui est naturelle. II se dirigeen bas, si sa tendance

naturelle est en bas, comme celle (le la terre; il se dirige

en haut, si sa tendance naturelle est en haut, comme le

feu ou dans les deux directions, comme l'air, soit en

haut, soit en bas, selon les circonstances. C'est là une

loigénérale qui s'applique au corpstraversé par un autre,

quel qu'il soit. Or, dans le vide rien de tout cela ne peut

se passer, puisque le vide n'est pas un corps. Mais il

semble alors que cet espace qui tout à l'heure était le

vide, doit pénétrer le cube avec cette même dimension,

commesi l'eau et l'air, au lieu de céder la place à ce cube

de bois, le pénétraient l'un et l'autre de part en part. Si

l'on dit qu'en effet le vide peut pénétrer absolument le

corps, je réponds que c'est impossible; carle cube plongé

dans le vide, a tout autant d'étendue que le vide Ini-

même, dans la partie du vide qu'il occupe. Peu importe

d'ailleurs, que ce corps soit chaud ou froid, pesant ou

léger; il diffère clansson essence de toutes les qualités di-

verses qu'il peut avoir, bien qu'il n'en soit pas séparable,

nt, il consiste surtout dans les trois dimensions qui le

forment, c'est-à-dire qui forment ce cube de bois que je

considère. Par conséquent, en admettant même qu'on

pût l'isoler de toutes ces affectionsparticulières, de pe-

santeur ou de légèreté, de chaud ou de froid, il n'en

conserveraitpas moins ses dimensions,et n'en occuperait

pas moinsune même quantité de vide ou d'espace qui lui

serait é~alc. D<slors, en quoi ce corpt;réduit a ses pures

Page 342: La Physique d Aristote

o'AmsïOT~, L!im tv, en. xm. 1(i5~~7)

dimensions, diu'érera.it-ild'un espace ou d'ur<vide égal a

lui? Hvidcannent, il se confondrait absolument avec eux

et ce que je dis ici d'un seul corps peut se dire toutt aussi

biende deux ou d'un nombre qtietconque de corps, quiseraient tous alors dans an seul et même lien; ce qui ne

peut guère se comprendre.Mais à cette première impossibilité, s'en ajoute une

autre que je signale en passant. !I est clair que ce cube

ne perdra point, par cela seul qu'i) se déplace, )n.pro-

priété qn'ont tous les corps, sans exception, c'est-à-dire

les trois dimensions qui en font un corps réel. Si donc il

ne din'ere point par ces dimensionsde l'espace ou du vide

qui le contient, a. quoi sert alors d'imaginer nti espace et

un vide séparé des corps, si étendue de chacun d'eux

n'cn reste pas moins ce qu'elle est, indépendamment des

qualités que le corps peut avoir? 11n'est (lue fairc de

supposer une autre étendue qui entoure le corps, en étant

égale lui et telle que lui. il snfnt de s'en tenir a ia di-

mension du corps lui-même; et l'on doit ctre persuade

qu'il n'y a pas de vide qui soit en dehors des corps et

séparé d'eux.

XiH.

D'antres philosophes ont prétendu démontrer l'exis-

tence du vide, en tirant leurs preuves des phénomènes de

condensation et de raréfaction dans les corps. Selon eux,

Je vide était indispensable à la possibilité de ces phéno-mènes. « Sans la.condensation et la raréfaction, disaient-

<(ils, il est impossible que les corps se compriment et

« seresscn'ent; et si les corps ne se resserrent point,

Page 343: La Physique d Aristote

PAHAPHH.\SKDHLA PHYSIQUE1M

« alors le mouvementcessed'être possible.Ou bien, l'u-

« nivers est condamné à une fluctuation perpétuelle,« commeie prétendait Xuthus; ou bien, la quantité desf<corps qui se changent les uns dans les autres, doit res-

« ter toujours la même, comme,par exemple, une coupe« d'eau doitne produire qu'une couped'air, et pas plus;« ou bien enfin, il faut qu'il y ait dans les corpsdu vide

qui leur permet de se condenserou de se dilater. o

Cesobjectionsne me semblentpas plus décisivesque les

autres. Si l'on appelle rare un corps qui a beaucoupde

vides~séparésles uns des autres, il est clair que le rare ne

peut pas plus exister en dehors des corps, que n'existent

de cette façon le vide et l'espace. II est vrai que l'on

dit que le vide n'est pas indépendantdes corps et qu'iln'est pas dans leur intérieur. Ce système est un peumoins inacceptable; mais il entraîne aussi des consé-

quences qui ne valent guère mieuxque les précédentes.Si l'on confond ainsi le rare et le vide, alors le vide

n'est plus la cause du mouvementen général, ainsi qu'onl'a dit; mais il est seulementla cause du mouvementquise dirige en haut, puisqu'un corps qui est rare est légeret qu'il se dirige naturellementen haut. C'est en ce sens

que ces philosophes mêmes reconnaissent que le feu

est un corps léger. Secondement, on ne pourra plusdire que le vide soit la cause du mouvement,en ce sens

qu'il serait le lieu où le mouvement se passe; il est alors

purement et simplement dans les corps, et il a la pro-

priété de les entraîner et de les faire monter avec lui,comme les outres gonflées d'air montent dans l'eau, et

entraînent avec elles à la surface ce qu'on y attache. Le

vide aurait une faculté analogue. Maisencore une fois,

Page 344: La Physique d Aristote

t~UUSTOTi- UV1ΠIV, CH. X!)). 167

comment serait-il possible que le vide eût une direction,

et un lieu où il se dirigerait et qui lui serait propre?

Alors, il faut pour le vide un vide où il puisse aller. Une

autre objection se présente contre cette théorie. Si le vide

fait monter les corps en haut, et si le vide est dans tous

les corps, comment peut-on expliquer le mouvementen

bas? Quelle est la cause alors qui fait que le corps pesant

descend, au lieu de monter?Ajoutez aussi que, si le corps

monte d'autant plus rapidement en haut qu'il est plus

rare et plus vide, il y montera le plus rapidement pos-sible s'il est absolument vide. Mais comment est-il pos-

sible que le vide ait du mouvement? Et le même raison-

nement qui prouvait que tout dans le vide est immobile,

])edemontre-t-il pas aussi que le vide doit être immobile

lui-même commetout ce qu'il renferme? Lesvitesses des

corps scj'aient incommensurables dans ie vide.

Du reste, tout en niant l'existence du vide, nous n'en

reconnaissons pas moins l'exactitude de quelques-unes<)esexplications données plus haut. Ainsi, nous admettons

<jueles corps doivent pouvoirse raréfier et se condenser

car, sans ces phénomènes, le mouvement ne peut plus se

concevoir; le ciel est alors dans une fluctuatiou perpé-

tuelle, commeon l'a dit etil faut que toujours une même

quantité d'eau produise une même quantité d'air, et,

réciproquement, qu'une même quantité d'air produise

une m6)ne quantité d'ean, ce qui est bien absolument im-

possible, et manifestementcontraire à l'observation, qui

atteste que de l'eau il vient une plus grande masse d'air.

(!ar, si la compressiondes corps était impossible, il fau-

drait admettre que le premier mouvement venu, propagé

continuement de proche en procite, communiquur.ut la

Page 345: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE16S

fluctuation jusqu'aux cxt.t-6mit.6sdu ciel; qu'une é~atc

quantité d'air devrait se changer en eau quoique partailleurs, pour que le volume total de l'univers restât tou-

jours !f!même; ou bien enfin il faudrait conclure que tu

mouvement est impossible. Si l'on dit que la compressionn'a pas lieu, mêmequand le corps se déplace,parce qu'i)aurait une rotation circulaire, je repondsque le dépèce-ment'par rotation circulaire n'est pas le seulqu'Éprouventles corps, et qu'il resterait toujours a expliquer les mou-vements en ligne droite, qui sont au moins aussi nom-breux que les mouvementsen cercle.

Telles sont à peu près les raisons qui ont détermine

quelques philosophes à soutenir l'existence du vide.

Quant à nous, nous n'hésitons pas à la nier; et, pour jus-tifier notre opinion, nous rappeUerons quelques-uns des

principes que nousavons posés plus haut.

La.matière est la même pour les deux contrairesc'est une seule et mûrnc matière qui est tantôt froide et.

tantôt chaude,en unmot, qui reçoit les contraires naturels.

Cequi est en acte vient de ce qui est en puissance la ma-

tière n'est pas séparée des qualités qui Fanectent, bien

que son être soitdiucrent; et elle est essentiellement et

numériquement une,sous )a variétédes qualités, soit dans

l'ordre de la couleur, soit dans l'ordre de la températureou dans tout autre. Par conséquent, la matière d'un corpsreste identique, que ce corps soit grand ou petit. Par

exempte, quand l'eau se change en air, et que sous cette

forme elle tient beaucoup pins de place, ce n'en est pasmoins la même matière qui s'est modifiéesans rien rece-

voir d'étranger; il n'y a eu )~ qu'une trausfortnatiun et

'm passage de ta puissance il i'actc. L'eau pouvait devf-

Page 346: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTH,UVtŒ iV, CH. XHt. i<~

nirair, et elle l'est devenue. C'est un phénomène tout à

fait analogue lorsque c'est l'air, au contraire, qui se

change en eau car c'est tantôt la petitesse qui va a la

grandeur, et. tantôt la grandeur qui passe a la petitesse.

au fend, le même phénomène, soit quand l'air quiest en grande masse se réduit un moindre voiume,soit,au contraire, quand la petite masse d'eau se développeet

devient plus grande qu'elle n'était. La matière qui n'est

qu'en puissance devient indifféremment grande oupetite,se)onles causes.qui agissent sur elle. Cette identité de

matière subsiste également, soit que les changementssoient absolus, soit qu'ils consistent dans un simple degréde forcequi s'accroît. Aini-!i,c'est la même matière qui de

chaude devient froide, ou qui de froide devient chaude.

Maisc'est aussi la mêmematière qui, de chaudequ'elleest déjà, devient de plus en pins chaude, sans que rien

y devienne chaud qui ne le fût d'abord, bien que le corpseut antérieurement moinsde chaleur qu'il n'en acquiert.C'est toujours la matière qui dans l'un ou l'autre cas

passede la puissance à.l'acte. Entre la chaleur initiale et

la chaleur redoublée qui la suit, il n'y a pas plus dediffé-

rencequ'il n'y en a entre un cercle plus graud qui rétré-

cit peu à pen sa circonférence et sa convexité, pour de-

venir plus petit, et entre le cercle plus petit qu'il forme.

En cuct, il n'y a pas dans ce cercle nouveau une partie

quelconque qui acquière une convexité qu'elle n'aurait

point eue auparavant, commesi elle passait du droit au

convexe; et, soit que la circonférence reste la mêmeen se

rétrécissant, soit qu'on suppose une circonférence nou-

ve)!e,it u'y a pas d'mterruptiou, et Je passage de hm a

i'autrc état se fait sanssotution ftu cotttmuitc. ne même,

Page 347: La Physique d Aristote

PAHAPHHASH!)!; LA PHYStQUI.;!70

dans la. flamme, toutes les parties deviennent chaudes de

plus en plus; et l'on ne pourrait pas en trouver une seule

qui ne fût blanche tant est elle chaude, et qui restât froideau milieu de la chaleur des autres. II n'y a pas de partiesnouvelles dans le corps échauffa; ce sont toujours les

mêmes parties qui s'échauffent de plus en plus.

J'applique ces principes à la question qui nous occupeici et, quand un corps se développe ou se rapetisse, ce

n'est pas qu'il reçoive rien d'étranger; c'est seulement

purce que sa matière est en puissance susceptible de ces

deux états successifs de grandeur et de petitesse. C'est

donc le même corps qui est tantôt dense et tantôt rareet la Matière reste identique sous ces deuxqualités. Mais,le dense est lourd, et le rare est léger; et ces propriétésvont ensemble. Le lourd et le dur font l'effet d'être

denses, tandis qu'au contraire le léger et le mou font

l'en'et d'être rares ce qui n'empêche pas que le lourd et

le dur ne se confondent pas toujours car, le plomb est

plus lourd que le fer, quoique le fer soit plus dur que lui.

J'en conclus, pour résumer tout ce qui précède, quele vide n'est point séparé des corps, qu'il n'existe point,comme on ie croit, dans les corps appelés rares, et qu'iln'est pas même eu puissance et capable de se réaliser

quand les corps disparaissant (le l'espace, On peut.bien,si l'on veut, employer une expression impropre, et dire

que c'est le vide qui est la cause dn la chute des corpsmais alors, le vide n'est plus réellement que la matière

du léger et du lourd; car, c'est le dense et le rare qui,

opposés conaie ils le sont, produisent la chutedes graves,ou l'ascension des corps plus légers. Eutant que les corpssont durs ou mous, c'est poureux une cause de passivité

Page 348: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVREIV,CH.XIV. i7i

ou d'impassibilité plus ou moins grandes; mais ce n'est

pas là ce qui fait leur chute; et c'est plutôt en euxune

cause d'aitéra-tiondans tel sensou dans tel autre.

Nous ne pousseronspas plus loin nos théories sur le

vide; et ce que nous avonsdit suint pour expliquer com-

ment il est, et commentil n'est pas.

XIV.

A la. suite de nos études sur l'infini, l'espace et le vide,

il faut étudier aussi la question du temps, et notre mé-

thode sera ici à peu près ce qu'elle a été plus haut. D'a-

bord, nous exposerons les problèmes que ce sujet sou-

lève et, pour savoir si le temps existe ou n'existe pas,nous nous arrêterons même aux opinions les plus vul-

gaires, nous réservant de rechercher plus tard quelle est

précisément sa nature.

Voici d'abord quelques raisons assez spéciales qui

pourraient donner a croire que le temps n'existe pas, ou

que, du moins, s'il existe, c'est d'une façon à peine sen-

sible et très-obscure pour nous. Ainsi, l'on peut dire quedes deux parties du temps, l'une a été et n'est plus, et

que l'autre partie n'est pas encore, puisqu'elle doit être.

Or, ce sont 1~pourtant les éléments dont se compose ce

temps qui est infini, et celui qu'on peut compter sans

cesse. Par suite, il semble que ce qui se compose d'élé-

ments qui nesont pas, ne peut ~uère avoir lui-mêmeune

véritable existence. Ajoutez que, pour tout objet divi-

sible, il faut, pour que cet objet existe, que toutes ses

parties, ou du moins quelques-unes, existent aussi. Or,

pour le temps,quelques-unes de ses parties, comme nou~

Page 349: La Physique d Aristote

PARAPH1USKDE LA PHYSIQUE172

venonsde le dire, ont été; d'autres seront; mais aucune

n'est réellement; donc, il semble que le temps n'existe

pas.Maisl'instant, le présent ne fait pas partie du temps,ainsiqu'on pourratt le croire; car, unepartied'une chose,sert a mesurercette chose,etle tout doittoujours se com-

poserde la réunion des parties. Or, on ne peut pas dire

<[uele temps se composed'instants; donc,l'instant n'est

pointune partie du temps.Et cet instant lui-même,qui limitele présent et l'ave-

nir, en les séparant. l'un de l'autre, est-il un, toujours

identiqueet immuable ?0ubien est-il, lui aussi, toujourset toujoursdin'érent? Cesont là desquestionsauxquellesil n'est pas facile de répondre. En effet,si l'instant est

perpétuellementautre, et qu'un instantdifrérentsuccède

toujoursà un antre instant; s'il est impossible qu'unedes parties du temps coëxistejamaisavec uneautre par-

tie, si ce n'est à cette condition,qu'une partie du tempsen enveloppe une autre qui est enveloppéepar elle,

commeil arrive quand un temps plus court est comprisdans un temps plus long; et si, enfin,l'instant qui n'est

plus à présent, mais qui a précédemmentété, doit avoir

péri un certain momentdonne, il en résultenécessaire-

mentque les instants successifsn'ont jamaispu coëxister

les unsavec les autres, puisque l'antérieur aura dû ton-

jours nécessairementpérir pour qu'un autre lui succède.

Maisil n'est pas possibleque l'instant périsse comme on

le prétend; car il n'a pu périr en lui-mêmeet dans sa

propredurée, puisqu'il existait alors; et il ne peut pas

davantageavoir péri pendantla duréed'un instant anté-

rieur, puisquejamais deux instants ne sont simultanés.

))onc, les instants ne peuvent pas tenir les uns aux

Page 350: La Physique d Aristote

i)'AR!STOTE.LIVRE,iV, CH.XtV. t7K

antres, pas pins que dans la ligne le point, ne pcot

tenir au point. Maissi l'instant ne peut avoir péri durant

l'instant qui tient a lui, il faut qu'il ait péri dans un autre

instant; et, dès lors,il aura pu coexister, avec les instants

intermédiaires qui sont en nombre infini; or, nous ve-

nons d'établir quejamais deux instants ne peuvent coexis-

ter, et nous devons conclure que l'instant ne périt pas,comme on se l'imagine.

Mais, d'autre part, il n'est pas plus possible que ce

soit le même instant qui demeure éternellement et sub-

siste toujours le même; car l'instant est une limite, et

dans les choses divisibleset finies, comme l'est une por-tion de temps prise arbitrairement, un mois, une année,

il faut qu'il y ait an moins deux limites, soit que d'ail-

leurs le divisible et le continu que l'on prend ait une

seule dimensioncommela ligne, soit qu'il en ait plusieurscomme la surface on le solide. Donc l'instant ne peut pas

être un et toujours le même, puisqu'on ne peut pas

limiter le temps, sans qu'il y ait au moins deux instants,

l'un au début et l'autre à la fin. Enfin cette prétendue

unité de l'instant, toujours le m6tne, mène à cette autre

absurdité que tous les faits antérieurs et postérieurs

seraient dans le m6tne instant. Coëxister chronologique-

ment et n'être ni antérieur ni postérieur, c'est être dans

le même temps, et par conséquent dans le même instant;

or, si les faits antérieurs et les faits postérieurs coexistent

dans le même instant, alors, il faut admettre que ce qui

s'est passé il y a dix mille ans est contemporain de ce

qui se passe a. l'heureoù nous sommes; et, par suite, il

n'y a plus rien qui suit postérieur ou antérieur à qxoi que

Page 351: La Physique d Aristote

t7/< PAHAPHKASEDU LA PHYStQU)':

ce soit tousles temps sont confondus ce qui est insuu-

tenable et absurde.

Tellessont les questionsprincipalesque peut soulever

l'existencedu temps, avecles propriétésqui le caractéri-

sent.

XV.

Qu'est-ceque le temps?Quelleest sa véritable nature?

C'est ce quen'ont éclaircini les systèmesde nosprédé-

cesseurs,ni même les considérationsquenous avonspré-sentéessur l'infini, sur le vide et sur l'espace. En effet,

parmi lesphilosophes, les uns ont prétenduque le tempsest le mouvement de l'univers; les autres en ontfait la

sphère mêmedu monde. Bien qu'on puisse dire q'-t'une

partie dela révolution et du mouvementcéleste est une

portion du temps, on ne peut pas confondre ce mouve-

ment avecle temps lui-même et réciproquement,la por-tiondu tempsque l'on considèreest une partie du mou-

vement céleste; mais le temps n'est pas la révolution

même. Ajoutezque, si l'on admet plus d'un ciel, s'il y a

plusieurscieux, commeon l'a parfoisprétendu, le tempsétant d'après cette hypothèsele mouvement de chacun

d'eux, il s'ensuivrait qu'il y a plusieurs temps; ce quiest manifestementcontraire à la réalité. Quant à. cette

autre opinionqui identifiele temps et la sphère céleste,

ce qui a po y donner naissance,c'est que toutes choses

sans exceptionsont dans le temps,de mêmeaussi qu'ellessont dans la sphère céleste,dans la sphère universelle.

Maiscette assertionest vraimenttrop naïvepour mériter

Page 352: La Physique d Aristote

I) ARISTOTE,UVRE tV, CH. XVI. 175

l'examen qui en démontrerait toutes les impossibilités.Cequ'il y a d'admissibledans cessystèmes, c'est qu'en

effet le temps est un mouvementet un changement d'une

certaine espèce, et c'est a ce point de vue qu'il le faut

étudier. Mais le mouvement ou changement de chaquechose est, ou exclusivement dans la chose même qui

change, ou bien dansle lieu où se trouve la chosequi

change et se meut. Quant au temps, il est partout, et il

est le mêmepour tout ce quiest. Hfaut remarquer encore

que le mouvementest ou plus rapideou plus lent, tandis

que le tempsn'est ni l'un ni l'autre. La rapidité et ta len-

teur se mesurent par le temps écoulé;on dit d'un corps

qu'il est rapide, quand il fait un grand mouvementen peu

de temps; on dit qu'il est lent, quandau contraire dans

beaucoup de temps il fait un petit mouvement. Maisle

temps ne se mesurepas par le temps,ni pour sa.quantité

ni pour sa qualité. Ainsi,le temps n'est pas nn mouve-

ment. Du reste, nous confondonsle mouvement et le

changement, du moinspour le moment, nous réservant

de montrer plus tard lesnuances qui les distinguent.

XVI.

Un premier point certain, c'est que le temps n'existe

pour nous qu'à la condition du changement; car lorsque

nous-mêmes nous n'éprouvons aucun changement dans

notre propre pensée, on lorsque le changement qui s'y

passe échappe à notre attention, nous croyons qu'il n'y a

point de temps d'écoulé. Il n'y a pas plus de temps alors

pour nous qu'il n'y en a pour ces hommes qui dorment,

dit-on, à Sardes près des Héros, et qui a leur revei)n'ont

Page 353: La Physique d Aristote

l'AHAPHRASEDE LA PHYSIQUEI;170

aucun sentiment du temps écoulé, parce qu'ils réunissentl'instant qui a. précédé leur sommeilà l'instant où ils se

réveillent, et n'en font qu'un en supprimant tout l'inter-valle de temps intermédiaire qu'ils n'ont pas perçu. Ainside même qu'il n'y aurait pas de temps à proprement par-ier, si l'instant n'était pas autre et que ce fût on même etseul instant, de même aussi, quand on ne s'aperçoit ~pasque l'instant est autre, il semble que tout l'intervalleécoulé n'est plus du temps. Si donc le temps nouséchappeet est supprimé pour nous, quand nous ne discernons au-cun changement, et que notre âme semble demeurer dansun instant unique et indivisible; etsi, au contraire, lorsquenous sentons et discernons le changement, nous animions

qu'il y a du temps qui s'est écoulé, il en résulte évidem-ment qu'il n'y a du temps pour nous qu'a la condition du

changement et du mouvement. Ainsi, il est incontestable

que le temps n'est pas le mouvement, et également, quesans le mouvement le temps n'est pas possible.

C'est en partant de ce principe que nous saurons, dansnotre recherche sur la nature du temps, ce qu'il est parrapport au mouvement. Nous percevons tout ensemble etle temps et le mouvement; mais le mouvement n'a pasbesoin d'être extérieur et l'on a beau être pbugé dansles ténèbres, le corps a beau être dans une impassibilitécomplète, il sufnt qu'il y ait un certain mouvement dansnotre âme, pour que nous ayons aussitôt la perceptiond'un certain temps écoulé. Hcciproquement, du moment

qu'il y a eu du temps, il semble aussi du même coupqu'il a dû y avoir du mouvement. Par conséquent, ou )e

temps est le mouvement, ou du moins il est quelquedxjsedu mouvement; mais comme il vient d'être prouvé qu'il

Page 354: La Physique d Aristote

D'Ams'mn'~ rjv~Htv, en. xvt. t77

n'est pas tout à fait le mouvement, il faut qu'il en soit

simplement quelque chose et qu'it ait avec lui une cer-

taine relation.

Un premier rapport du temps an mouvement, c'est

qu'il est continu comme lui. Comme tout corps qui se

meut doit toujours se mouvoir d'un point vers un autre

point, et que toute la grandeur parcourue par le corps est

continue, le mouvement est a cet égard semblablea. la

grandeur; et si c'est parce que la grandeur est continue

que le mouvement est continucommeelle, le temps aussi

sera continu parce que le mouvement est continu. Selon

que le mouvement se prolonge, ie temps de son côté

semble aussi long que le mouvement Ini-meme. Un se-

cond rapport entre le temps et le mouvement, c'est qu'on

peut dans l'un comme dans l'autre distinguer l'antériorité

et ]a postériorité. Sans doute, c'est primitivement dans le

temps qu'on fait cette disti nction eLpour le lieu, elle re-

pose uniquement sur la position des choses les unes à

l'égard des autres. Par suite, comme il y a égalementantériorité et postériorité dans la grandeur parcourue, il

faut aussi que toutes les deux se retrouvent dans le mou-

vement et du moment qu'elles sont dans le mouvement,elles reparaissent, dans le temps, puisque le temps et le

mouvementsont corrélatifs l'un à j'a~tre, et ont les plus

grands rapports entr'eux. Ainsi, l'on peut dire que l'an-

tériorité et la postériorité du temps sont dans le mouve-

ment et c'est bien là être aussi du mouvement d'une

certaine façon. Mais les manières d'être du temps et du

mouvementsont diu'érentes, et l'on ne peut pas dire pré-cisément que le temps soit du mouvement.

C'est qu'en effet nous n'avons réeiiement la notionde

)2

Page 355: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE178

la durée, qu'en déterminant le mouvementpar la distinc-

tion de l'antérieur et dn postérieur; nous n'affirmonsqu'il

y a eu du temps d'écouléque quand nous avons la per-

ception distincte de l'antériorité et de la postériorité

dans le mouvement. Or, cette détermination du temps

n'est possible qn'à la condition de reconnaîtreque deux

choses, l'une antérieure et l'autre postérieure,diilèrent

l'une de l'autre, et qu'il y a entr'elles un intervalle

qui ne se confond avec aucune des deux. I! faut donc

que la pensée discerne les deux extrêmes et les dis-

tingue du milieu, et il fautqu'elle affirmequ'il y a deux

instants, l'un antérieur et l'autre postérieur, pour que

nous puissions avoir la claire notion du temps; car ce

qui est limité par l'instant peut être appelé dn temps, et

c'est là la définition que nous en proposons.Par consé-

quent, lorsque nousne sentonsl'instant actuelque comme

une unité, et qu'il ne peut nous apparaître ni commean-

térieur et postérieur dans le mouvement, ni même tout

en restant identique et un, commesupposant quelque

chose d'antérieur et de postérieur, alors il noussemble

qu'il n'y a point eu de temps d'écoulé, parcequ'en effet

il n'y a point eu non plus de mouvementappréciable.

Maisdu momentqu'il y a pour nousantériorité et posté-

riorité, nous affirmonsqu'il y a du temps. On pourrait

donc déunir précisémentle temps la mesuredu mouve-

ment par rapport l'antériorité et à la postériorité.Ainsi,

le tempsn'est du mouvementqu'en tant que le mouve-

ment peut être évaluénumériquement;et la preuve, c'est

que c'est par le nombre que nousjugeons du plus et du

moinsdans les choses;et que c'est par le tempsque nous

jugeonsde la grandeur ou de la petitessedu mouvement.

Page 356: La Physique d Aristote

D'AniSTOTË.L!VIŒiV,CH.XVH.)79

Donc en résumé, le temps est une espècè de nombre.

Maiscommele mot nombrepentavoir deuxsensdifférents,

selon qu'on le considère abstraitement et concrètement,

et qu'il signifie à la fois et ce qui est nombré on numé-

rable, et ce par quoi on dénombre les choses, le tempsest le nombrenombre et non le nombre nombrant; car il

faut bien faireune diuerence entre ce qui sert à nombrer,

et ce qui est nombré.

XVH.

Pour mieuxcomprendre ceci, il faut étudier de plus

près ce quec'est que l'instant, le présent. Or, voicil'idée

qu'on peut se faire de l'instant. De mêmeque le mouve-

ment est perpétuellementet perpétuellement autre, de

mêmele temps l'est tout comme lui, ce qui n'empêche

pas que le temps,pris danssonensemble,ne soit éternel-

lement identique et le même. L'instant actuel, l'instant

d'à présent est absolument le même que celui qui était

auparavant; seulementson être est distinct, et c'est l'in-

stant qui mesure le temps,en tant qu'on y distingue an-

tériorité et postériorité. Ainsi, en un sens, l'instant est

bien le même et en un autre sens, il nel'estpas.Je m'ex-

plique. En tant que l'instant est pris, ici dansun certain

temps, et 1~dans un tempsdifférent, il est autre; et c'est

là, on peut dire, la conditioninévitablede l'instant. Mais

entant qn'if est encorecequ'il était dans un tempsdonné,

il est identique.C'est la raisonqui distingueles instants;

maisen fait, ils ne sont pas séparés, et c'est toujours, en

quelque sorte, le même instant qui s'écoule.En effet, le

mouvement,ainsi que je viens de le dire, suppose to)!-

Page 357: La Physique d Aristote

PAR PHRASEDE LA PHY8!QUK)SO

jours une grandeur parcourue, et le temps suppose tou-

jours le mouvement, de même que le mobile ou le corps

qui se meut, et qui, par son mouvement, nous fait con-

na!tre le temps avec ses deux nuances d'antérieur et de

postérieur, suppose toujours le point. Or, ce mobile, à un

moment donné, est bien en réaiilé tout à fait identique,

que ce soit d'ailleurs on point qui semeuve, on une pierre,ou telle autre chose; mais, pour )a raison, il est différent,

parce qu'il occupe successivement différents lieux. C'est

une opinionanalogue que soutiennentles sophistes, quandils disent que Coriscus dans le Lycée,est autre que Co-

riscus dans la place publique; ce n'est pas qu'en eH'ft

Coriscus soit change; mais il est autre, en ce sens, qu'ilest d'abord dans tel lieu, puis ensuite dans un lieu ditTé-

rent. Ainsi, l'instant est au mobile ce que le temps est

au mouvement, et l'instant n'existe qu'autant qu'on peutdénombrer l'antérieur et le postérieur. C'est là, nous le

croyons, l'idée la plus claire qu'on puisse se faire de

l'instant. On perçoit le mouvementpar le mobile le dé-

placement, par le corps déplacé; car, le corps déplacé est

matérieuement une substance, tandis que le mouvement

n'en est pas une; ce corps est un sujet réel et distinct, et

le mouvement n'est qu'un attribut. Ainsi, l'instant est en

nu sens toujours identique et le même, et en un autre

sens il ne l'est pas, absolument commeJe corps qui se dé-

place et qui est autre uniquement par les diverses posi-tions qu'il occupe successivement.

I) est clair, d'ailleurs, que si le temps ne peut se com-

prendre que par l'instant, à son tour l'instant ne peut se

comprendre que par le temps. Cette relation est tout à

t'ait réciproque; et ces deux notions sont étroiletnent liées

Page 358: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIViŒ IV, CH. XV!t.

l'une à l'autre. KHess'impliquent mutueitement; et de

!~êmeque le déplacement et le corps qui se déplace sont

simultanés, de même aussi le nombre du corps déptacé,et le nombre du déplacement sont simultanés !'un à i'au-

tre. Le temps représente le nombre du déplacement et sa

grandeur, tandis que l'instant est en quelque sorte une

unité, tout commele corps déplacé forme, en son genre,une unité individuelle.

Uneantre propriété de i'inst.mt, c'est que c'est lui quifait tout à ]a fois la continuité et la division du temps.Du reste, c'est la. aussi ce qu'on peut remarquer dans le

mouvement, dont l'unité du mobile fait également la con-

tinuité et la division. Le mouvement et le déplacementd'un corps qui se meut et se déplace, ont de i'nnité parce

que ce corps reste un et le même, sans que ce soit jamaisun antre corps qui puisse indin'éremment se substituer au

premier; car, alors, le mouvement aurait des lacunes; et,

comme il serait interrompu, il ne serait plus un. Maisle

mobileest autre pourla raison. si, d'aiHeurs, ilest un maté-

riellement, et c'est ainsi qu'il peut servir à fixeret a dé-

terminer l'antériorité et lapostériorité dans lemouvement,

selon les lieux dinerenis qn'ii occupe successivement.

C'est bien là aussià certains égardsla propriété du point.Ilcontinue tout à la fois la grandeur, et il latermine il en

fait la continuité et la division, en étant le commence-

ment de telle longueur, et la fin de telle autre. !) y a ce-

pendant une difTérenceentre l'instant et le pumt. Eu en'et,

lorsqu'on prend un point unique, et qu'on le considère

commeétant deux, alors il faut nécessairement un tempset un repos, puisque le même point est pris tour

a tonr pour commencementet pour fin mais l'instant est

Page 359: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE182

toujours autre, parce que le corps qui se déplace pour-suit son mouvement continu, et que l'instant ne varie

pas moins que les lieux occupés successivement par ce

corps.

Ainsi, le temps est le nombre du mouvement; mais ce

nombre ne s'applique pa.sà un seul et mêmepoint qui se-

rait tout ensemble un commencement et une fin, comme

cela se trouve dans la ligne il est bien plutôt à consi-

dérer comme les extrémités d'une ligne, dont il ne fait

pas partie. On vient d'en voir la raison, c'est que le point

pris sur une ligne, et par exemple, au milieu de cette

ligne, y joue un double rôle, puisqu'il est à la foiscom-

mencement et fin; et que ceci implique nécessairement

dans le mouvement du corps un certain temps d'arrêt et

un repos. Or, il ne peut y avoir rien de pareil dans le

temps qui s'écoule sans cesse, sans la moindre disconti-

nuité. Mais il est clair que l'instant, le présent ne fait pas

partie du temps, pas plus que la division du mouvement

n'est du mouvement, pa.splus que les points ne sont une

partie de la ligne, tandis qne les lignes, quand on en dis-

tingue deux en une seule, sont des parties de cette ligne

unique, et n'en sont pas des points. Ainsi, l'instant pré-

sent, considère en tant que limite, n'est pas dn tempsc'est un simple attribut du temps, qu':i limite et déter-

mine. Mais en tant qu'il sert à compter le mouvement et

le temps, il est nombre, avec cette Jiu'crence toutefois

que les limites n'appartiennent absolument qu'à la chose

dont elles sont les limites, tandis que le nombre abstrait

peut servir à compter tout ce que l'on veut, et que le

nombre dix, par exempte, après s'être appliqué à ces dix

chevaux que nous avons sous les yeux, peut tout aussi

Page 360: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,UVRH tV, CH. XVIH. J8:~

bien s'appuquer à une fouled'autres chosesqui sont éga-lementau nombrede dix.

xvin.

On vient de voir que le temps est le nombre et la

mesuredu mouvementpar rapport à l'antérioritéet a la.

postériorité, et qu'il est continu parce qu'il est la mesure

et le nombred'un continu, qui est lemouvement.Cepen-dant c'est un nombredont il faut bien connaîtrel'espèce

particulière. Le plus petit nombre possible,si l'on com-

prend le motnombre d'nne manière absolue et abstraite,

c'est Deux; mais pour tel nombre spécialet concret, ce

minimumest possible en un sens, et en un autre sens, il

n'est pas possible. Par exemple, pour la ligne, le plus

petit nombre sous le rapport de la quantité numérique,c'est deux lignes, ou même une ligne, si l'on veut regar-

der l'unité comme un nombre; mais en grandeur, il n'y

a pas de minimumpossible,puisque toute ligne est indé-

nnimentdivisible.Cetteobservation qui s'applique à la

ligne ne s'applique pas moins bien au temps. Sous le

rapport du nombre, le plus petit temps possible, c'est

une ou deux des divisions du temps, un jour ou deux,

par exemple; maissous le rapport de la grandeur, il n'y

a pas plus de minimum pour le temps qu'il n'y en a

pour la ligne. D'ailleurs, on comprendbien pourquoion

ne peut pas dire du temps qu'il est lent ou rapide; on

dit seu!ementqu'il y a beaucoup de temps ou peu de

temps, et que le temps est long ou court. Hntant que

continu, le temps est long, ou il est court; en tant que

nombre,il y a beaucoupde tempsou peu de temps; mais

Page 361: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDK LA PHYSIQUE18&

on ne peut pas dire qu'il est lent ou rapide, parce que le

nombre nombrant n'a ni rapidité ni lenteur. C'est bien

le même temps qui coëxistepartout a la fois; mais en tant

qu'on y distingue antériorité et postériorité, le tempsn'est plus le même, parceque le mouvement ou le chan-

gement, quand il est actuel et présent, est un et le même;

ce qui n'empêche pas le changement passé et le change-ment futur d'être din'érents. !I faut donc modifier ce (menous disions plus haut; et si le temps est un nombre, ce

n'est pas le nombre abstrait qui nous sert à compter,c'est le nombre concret qui est compté lui-même. Or, le

temps ainsi compris est toujours diflérent, puisqu'on y

distingue l'antérieur et le postérieur, et que les instants

qui les limitent sont toujours autres. Maisle nombre est

toujours un et le même, soit qu'il s'applique ici à cent

chevaux et la :'<.cent hommes. II n'y a de diuerence

qu'entre les choses dénombrées, puisque dans un cas ce

sont des hommes, et que dans un autre cas ce sont des

chevaux.

Un autre rapport entre le tempset le mouvement, c'est

que tous les deux ils peuvent avoir des périodes iden-

tiques. Ainsi, lemouvementpeut être un et le même parce

qu'il se répète toujours par des retours réguliers dans une

direction pareille le tempspeut avoir aussi cette unité et

cette identité, par le retour successifde périodes toutes

semblables, une année, un printemps, un automne, il

faut ajouter encore que non-seulementon mesure le mou-

ment par ic temps, maisqu'on peut aussi et à l'inverse

mesurer le temps par le mouvement. Le temps et le mou-

vement se limitent et se déterminent mutuellement l'un

par l'autre. Le temps détermine le mouvement, pub-

Page 362: La Physique d Aristote

D ARISTOTE.UV1ΠIV, CH. XVHt. 185

qu'il eu est la mesure et le nombre; et réciproquement,

le mouvementdétermine le temps. Quand nous disons

qu'il y a peu de temps d'écoulé ou beaucoupdetemps

d'écoulé, nous le mesurons par le mouvement qui s'est

produit dans l'intervalle, de même qu'on mesure le

nombre abstrait par les choses mêmes qui font l'objet

du nombre. Ainsi, c'est par un chevalpris pour unité

qu'on mesureet que l'on compte le nombredes chevaux;

et si c'est ce nombre qui nous fait connaître la quan-

tité totale de chevaux que nous considérons, récipro-

quement, c'est en considérant un seul cheval que nous

connaissonsle nombremême des chevaux.C'est là iden-

tiquementle rapport qu'on peut établir entre le tempset

le mouvement,puisquenous calculonsindifféremmentle

temps par le mouvementet le mouvementpar le temps.

Onen voit d'ailleurs très-clairementla raison c'est que

le mouvementimpliquela grandeur parcourue, et que le

temps impliquele mouvement,de telle sorte que la gran-

deur, le mouvementet le temps sont tous les trois des

quantités, des continuset des divisibles. C'est parceque

la grandeura tellespropriétés que le temps a aussi tels

attributs; et ce tempsne se manifeste que par l'intermé-

diaire du mouvement.Aussi,on mesureindifféremmentla

grandeur parcouruepar le mouvement,ou le mouvement

par la grandeur parcourue; car nous disonsque la route

est longue, si le voyagea été long et réciproquement,

(pie le voyageest long, si la route a été longue. Demême

encore, nous disonsqu'il y a beaucoupde temps, s'il y a

beaucoup de mouvement;et réciproquement, qu'il y a

beaucoupde mouvement,s'il y a beaucoupde temps.

Page 363: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE180

Le temps est doncla mesuredu mouvementet de l'es-

sencemêmedu mouvement.Il mesure le mouvementen

limitant et en déterminantune certaine quantité de mou-

vementqui sert ensuiteà mesurer le mouvementtotal; de

mêmeque la coudée,par exemple,sert à mesurer la lon-

gueur endéterminantunecertainedimensionqui, reportée

sur la longueur, sert ensuiteà la mesurer tout entière.

Quandon dit du mouvementqu'il est dansun temps, on

veut dire qu'il est mesurépar le temps,soit en lui-même

d'unemanièregénérale,soit danssesespècesparticulières;

car le temps mesure tout à la foisle mouvement,et toutes

les nuances dont il est susceptible; et, pour le mouve-

ment, être dans un temps, c'est avoir son existence me-

surée par ce temps. Cette considération,qu'on applique

ici au mouvement, s'applique également à toutes les

autres choses et, quand on dit qu'elles sont dans un

temps,on veut dire que la durée deleur existenceest me-

surée aussi par ce temps. Être dans un temps ne peut

signifierqu'une de cesdeux choses ou bien être quandle temps est, et coëxisteravec lui; ou bien être comme

sont certaines chosesdont on dit qu'elles sont dans tel ou

tel nombre.Et mêmecette dernière expressionpeut avoir

deux acceptions diverses ou la chose est une partie et

une propriété du nombre, et, d'une manière générale,un é~meut quelconque du nombre ou bien c'est le

nombremême de cette chose. Mais,le temps lui-même

étant un nombre, l'instant présent.,le passé et l'avenir,

avec toutes les subdivisionspossibles dans ces trois

grandesdivisions, sontau temps ce que sont au nombre

XIX.

Page 364: La Physique d Aristote

D ARISTOTË,LIVRE IV, CH. XIX. 487

l'unité, le pair et l'impair, élémentsdu nombre commele

présent, le passéet l'avenir sont deséléments du temps.

Quant aux chosesréelles, ellessont dans le tempscomme

elles sont dans le nombre; et, par suite, elles sont com-

prises dans le nombre, absolumentcommeles chosesqui

sont dans l'espace sont renferméespar l'espace qui les

contient.

Maison doit voir clairementqu'être dans un temps ce

n'est pas simplementêtrequand ce temps est, et coëxister

avec lui de mêmeque ce n'est pas du tout être en mou-

vementque d'être quand le mouvementest, et être dans

uu lieu, que d'être quand ce lieu est.Car, si êtredansune

chose avait cette signification,toutes les choses alors

pourraient être dans une seule d'entr'elles, et le ciel en-

tier tiendrait dans un grainde millet,puisque le cielexiste

en mêmetemps qu'existe le grain de millet. Ce n'est là

qu'une simple coïncidence,qui n'entraîne aucuneconsé-

quencenécessaire. Mais,si une choseest dans un certain

temps, il faut en conclure nécessairement qu'il y a du

temps; et, si elle est dans un certain mouvement,qu'il ya

du mouvement.Du reste, commeêtre dans le temps res-

sembleà être dans le nombre, ainsi que nous venonsde

le voir, il y aura toujoursun tempsplus grand que celui

où est la chose, de même qu'il peut toujours y avoirun

nombre plus grand que celui des choses dénombrées,

quelquegrand que soit ce nombre. Ace rapport entre le

nombreet le temps, on peut en ajouter un autre entre le

temps et l'espace c'est que tout ce qui est dans le

tempsest renfermépar le temps qui le contient, comme

tout ce qui est dans quelque chose est renfermépar ce

<)ueiqucchose, et comme les choses qui sont dansl'es-

Page 365: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE188

pace sont renfermées par lui et y sont contenues H tant

remarquer enfinque les choses sont affectéesd'une cer-

taine manière par le temps; et le langage ordinaire le

prouveassez; car on dit que le temps détruit tout, qu'a-vec le temps tout vieillit,qu'avec le temps tout s'effaceet

tout s'oublie. Mais ce n'est pas le tempsà lui tont seul

qui accruttnotre savoir; et notre science ne se développee

que par nus propres effortsplus ou moins longs; letempsne nous rajeunit pas; le temps ne nous embellit pas,

parce qu'en lui-même il est bien plutôt une cause de

ruine et de dépérissement;car il est le nombre du mou-

vement, et ie mouvementtransfigure et modifie tout ce

qui est.

Une conséquence évidente de ceci, c'est que les

choseséternelles, en tant qu'elles sont éternelles, nesont

pas dans le temps, et nesont pas renferméesen lui; leur

existence n'est pas mesurée par le temps, et la preuvec'est qu'elles ne subissentaucune action de sa part, sous-

traites commeelles le sonta.ses atteintes, parce qu'ellesn'en fontpoint partie.

Maisle temps, servant de mesure au mouvement,est

par celamême la mesuredu repos, bien quece soit d'une

manièreindirecte, parceque le repos est dans le tempsaussi bienque le mouvement.C'est qu'en effet, si ce quiest dans le mouvement doit nécessairementêtre mu, il

n'en est pas tout à fait de même pour ce qui est dans le

temps; car le temps n'est pas le mouvement; il n'en est

simplement que le nombre;et ce qui est en repos peutfort bien être dans le nombredu mouvement,si d'aiHeurs

il n'est pas dans le mouvementlui-même.La raisonen

est qu'o))ne peut pas dire indifféremmentde toute chose

Page 366: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE, LIVRE iV, CH. X!X. 489

immobile qu'elle est en repos; mais l'idée de repos ne

s'applique, ainsi que nous l'avons dit plus haut, qu'aux

choses qui, devant être naturellement en mouvement,

sont cependant privées du mouvement qui leur appar-

tient. Mais quand on dit qu'une chose est en nombre,

cela signifie qu'il y a un certain nombre de cette chose,

et que l'être de cette chose est mesuré par le nombre

dans lequel elle est. Par suite, quand on dit que la chose

est dans le temps, cela veut dire aussi qu'elle est mesurée

par le temps; et, par conséquent, le temps mesurera tout

aussi bien et le mobile q~i se meut et le corps qui reste

inerte, l'~n en tant qu'il est mû, et l'autre en tant qu'il

reste dans son repos et son inertie. Il mesurera et la

durée de l'inertie et la dtn'ée du mouvement, de telle

sorte que le mobile ne sera pas mesuré par le temps sons

le rapport de la grandeur matérielle qu'il peut avoir,

mais uniquement sous le rapport de la grandeur de son

mouvement.

Ainsi, les choses qui sont soit en mouvement soit en

repos, sont dans le temps; mais les choses qui ne sont ni

en mouvement ni en repos, au sens qu'on vient dire, et

qui sont dans une éternelle immobilité, ne sont pas dans

le temps; car, être dans le temps, c'est être mesuré par

le temps, et le temps ne mesure que le mouvement et le

repos, privation du mouvement. Une conséquence évi-

dente de ceci, c'est que jamais le non-être ou cequin'est

pas ne peut être dans le temps; et, par exemple, les

choses qui ne peuvent pas être autrement que n'être ja-

mais, comme le diamètre qui ne peut jamais être com-

mensurable au côté, ne sont pas dans le temps. D'une

manière générale, si )p temps est en soi la mesure du

Page 367: La Physique d Aristote

PAHAPHRASEDE LA PHYSIQUE190

mouvement,et n'est qu'indirectementla mesure de tout

le reste, il s'ensuit que toutes les choses dont !e tempsmesure l'existence, ne peuventexisterque dans les deux

conditionsdu mouvementou du repos. Donc,toutes les

choses périssables et créées, en d'autres termes toutes

les choses qui peuvent tantôt être et tant6t n'être pas,sont nécessairementdans le temps; elles sont renfermées

par lui, puisqu'il y a toujours un temps plus vaste qui

dépasse leur être, c'est-à-dire qui dépasse le temps spé-cial par lequel leur existenceest mesurée.

Quant aux choses qui n'existent pas, bien qu'ellessoient aussi comprises dans le temps, c'est qu'elles ont

été antérieurement, ou c'est qu'elles seront plus tard.

Ainsi, Homèrea existéjadis, et il y a une foulede choses

qui seront dans l'avenir. Letempsrenfermeces choses de

l'une ou l'autre façon, et s'il les renferme des deux à la

fois, c'est que ce sont des choses qui peuvent tout en-

sembleet avoir été dans )e passé,et être encore dans l'a-

venir, comme tous les phénomènesréguliers de la na-

ture. Mais,au contraire, pour les chosesque le temps ne

renfermepas, de quelquemanièreque ce soit, elles n'ont

point été, elles ne sont pas, et ellesne serontjamais. Or,

parmi les choses qui ne sont pas, celles que le temps ne

renfermepoint sont celles dont les contraires sont éter-

nels. Ainsi,par exemple,l'incommensurabilitédu côté au

diamètreétant une chose éternelle,le côté incommensu-

rable au diamètre ne sera point dans le temps; et, par

suhe, le côté commensurab)en'y sera point davantage.

Donc,éternellement, le côté commensurablen'est point,

puisqu'il est contraireà unechosequi est éternelle. Mais

toutes les choses qui n'ont point ainsi un contraire éter-

Page 368: La Physique d Aristote

D'AR!STOTE,UVRK tV, CH. XtX. 191

ne!, peuvent indi~éreuun.entêtre ou n'être pas, et elles

sont sujettes à naîtreet périr.Plushaut, nousavonsdistingué deux sens diversdans

cette expression Être dans le temps. Nousavonsexpli-

qué la première significationqui voulait dire Ètre me-

suré par le temps; il nousreste à expliquerla secondequi

veutdire Être unepartieet une propriétédu temps,re-

présenter une nuancedu temps. Je commencepar l'in-

stant, ou le présent; et je rappelle que l'instant, ainsi

que je l'ai dit plushaut,est la continuitédu temps; car il

réunit continnementle temps passéau temps à venir; et

d'une manière générale,il est la limite du temps, com-

mencementde l'un et finde l'autre. Mais,ce rapport de

l'instant actuel et présent aux deux termes qu'il unit,

n'est pas aussi évidentque pour le point dans la ligne.

L'instantne partageet nediviseletempsqu'en puissance.

En tant qu'il divise,il est toujours autre; en tant qu'il

réunit et continue,il esttoujours le même. Il en est ainsi

pour le point dansles lignes mathématiques; car, ration-

liellement, le pointn'est pas toujours un seul et même

point, puisqu'il est autre quand il divisela ligne; et qu'il

parait absolumentidentiqne,quandonle considèreentant

qu'il réunit les deuxlignes dans son unité. Il en est de

même aussi pour l'instant; tantôt il est en puissance la

divisionet l'extrémitédes temps tantôt il est la limiteet

l'union des deux à la fois. Il est donc commele point,

tantôt un et tantôt multiple,selon le côtésous lequel la

raisonle considère.D'ailleurs, la divisionet l'union,bien

qu'ellesparaissentfort difTérentes,sont au fond la même

chose, et soutiennent le même rapport; seulement,leur

Page 369: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE L~ PHYSJQUH192

manière d'être n'est pas la même,et leur dissemblance

n'est que rationnelle.

Telle est une première façoxde comprendre et d'ex-

pliquer l'instant; et c'est l'instant proprement dit, tter!

est encoreune autre c'est lorsquele tempsdont on parle,

au lieu d'être précisément.l'instant actuel et présent, est

seulement très-proche du momentoù l'on est. Ainsi, l'on

dit de quelqu'un qu'il vient A l'instant, pour dire qu'il

viendra aujourd'hui; on dit qu'il est venuAl'instant, pour

dire que c'est aujourd'hui qu'il est venu. Maisil faudrait

modifier cette expression, si Is temps des événements

qu'on indique était éteigne au lieu d'être proche; et l'on

ne dit point, par exemple, des événementsd'ition, pas

plus que du détnge,qu'ils se sont passés A l'instant. Le

temps cependant est continu à remonter du momentoù

l'on parle jusque cesévénementsreculés,etii neprésente

pas d'interruption; mais ces faits sont trop éloignés de

nous pour qu'on emploie la mêmeexpression.

Une autre nuancedu temps, c'est l'expressiondeAlors,

on Unjour, qui indiqueun tempsdéterminéet fini, relati-

ment à un instant antérieur. Ainsi,par exemple, on dit

Alorsou Un jour Iliona été prise; Alors ou Un jour une

inondationaura lieu. C'esttoujours, commeon le voit, du

temps déterminépar rapport l'instant actuel, soit qu'on

parte de cet instantpour remonterdans le passé on pour

aller vers l'avenir. Il y a toujours une certainequantité de

temps écoulé pour descendre vers l'événement, s'il s'agit

dn futur ou pour y remonter, s'il s'agit du passé. Mais

ici se présente une question. S'il n'y a point de temps,

soit passé, soit a venir, auquel on ne puisse appliqner

Page 370: La Physique d Aristote

!)'A~!STO'n' LIVRE !V, CH. XIX. 19:~

1:~

cette expression de Unjour, alors toute espèce de temps,

quel qu'il soit, est donc toujours fini. Ht si le temps est

toujours fini, ne doit-on pas en conclure que le tempsviendra quelque jour a défaillir et a cesser? Maisn'est-ce

pas la bien plutôt une opinioninsoutenable, et ne doit-on

pas affirmerqu'i) ne défaillira jamais? En effet, le tempsne peut jamais défaillir, puisque le mouvement est éter-

nel. Maissi le temps est indéfectibleet éternel,est-ce tou-

jours nu antre temps qui revient? Ou bien est-ce le même

temps, qui reparaît à plusieurs reprises? Je vais répondrea ces questions mais,d'abord, je dois dire qu'il en est en

ceci du temps, commeil en est du mouvement. Si le mou-

vement peut toujours être un et le même, le temps sera

commelui toujours un et identique; mais, si le mouve-

ment ne l'est pas, le temps ne le sera pas plus que lui.

Ceci posé, je dis quel'instant présent etantte commen-

cement et la fin du temps, non pas, il est vrai, du même

temps, mais la fin du passé elle commencementdu futur,

on peut trouver qu'il en est ici commedans le cercleoù

le même point, aquetqu'cndroitde la circonférencequ'onle prenne, est à la fois convexe et concave. Le temps en

est toujours aussi à commencer et a finir, et c'est ta ce

qui fait que le temps paraît perpétuellement autre car

le présent, l'instant n'est pas te commencementet la fin

d'un mêmetemps, puisque, si c'était le mêmetemps,alors

les opposés coëxisteraient ensemble et relativement à nn

seul et même objet; ce qui est impossible. Donc le tempsne viendra jamais non plus à défaillir, parce qu'il en est

sans cesse à commencer.

Maisje reviens aux diverses expressionspar lesquelles

on indique certaines nuances du temps. 7\

Page 371: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE49&

signitieen généralun temps venir, mais miepartie (ht

temps à venir prochede l'instant actuel, qui reste tou-

jours indivisible.On demande Quandvouspromènerez-

vous? Et l'on répond Tout à l'heure; ceci voulant dire

que le temps oùl'on ira se promenern'est pas éloignéde

celuioù l'on parte. TT~ /e;/r<? peut se rapporteréga-

lement à une partie du passé, rapprochéede men~etin

présent. Quand vous promènerez-vous? Je me sms

promené tout à l'heure; je mesuis déjà promené.Maison

nedit pasd'Ilion qu'elle a été saccagée tout à l'heure,

attendu que cet événementest par trop éloignédu mo-

ment actuel où l'on parle, Autresnuances, ~ce~we)~

se dit de ce qui est proche de l'instant où l'on est, toutt

en faisant partie du passé. Quand êtes-vous arrivé?

Tout récemment, à l'instant. Et cela ne se dit que si le

moment où l'on est arrivé est proche,en effet,de l'instant

où l'on parle.M. exprime au contra.ireque le temps

dela choseest fort éteigne. To~ M:;p, s'emploiepour

indiquer que la chosesurvientpar un dérangementsubit

dans un tempsdont la petitesse le rend presqu'imper-

ceptible pournous.

Ceci m'amèneacompléterune idée que j'ai exprimée

un peu plus haut c'est que tout changementest par sa

nature même cause d'un dérangement; car c'est dans

le temps et avec le temps que toutes les chosesnaissent

et périssent. Aussi, a-t-on pu dire quelquefois que le

temps est tout ce qu'il y a de plus sage et de plus sa-

vant mais le PythagoricienParon avait peut-êtreencore

plus raisonde dire que le temps est ce qu'il y a de plus

ignorant au monde; car c'est lui qui fait qu'on oublie

tout. En soi, le temps est bienplutôt cause rieruine et de

Page 372: La Physique d Aristote

!)'AR!STOT!<UVREtV,CH.XX. 105

mort que de génération, ainsi que je le disais unpeu plus

haut; car le changement pris en iui-mëme est toujoursun dérangement de ce qui était. Ce n'est qu'indirecte-ment que le temps est cause de la génération et de F être.

La preuve, c'est que rien ne peut naître sans éprouverune sorte de mouvementon d'action, tandis que, an con-

traire, une chose peut périr sans le moindremouvement;et c'est là surtout ce qu'on entend par cette destruction

insensible que cause le temps. Néanmoinset à vrai dire,ce n'est pas mêmele temps qui produit cette destruction

mais seulement le changement de ce genre ne peut se

produire, ainsi que tous les autres, qu'avec le temps.Telles sont les explications les plus générales que nous

ayons à donner sur le temps, pour en démontrer la réa-

lité et la nature, et pour faire comprendre les diverses

acceptions des expressionssuivantes Maintenant, Alors,

Toutà.t'heure, Récemment,Jadis, Tout àcoup. Jetermine

ce que j'ai à dire sur le temps, par les considérations

suivantes, où il est surtout comparé an mouvement.

XX

Il doit être évident, d'après ce qui précède, que néces-

sairement tout changement et tout mobile doivent être

clansle temps, parce qu'un changement quelconque est

on plus rapide on plus lent, quelles que soient.d'aillenrs

lescirconstances où il se passe. Je dis d'une chose qu'eiïese meut plus rapidementqu'une autre, quand elle changeavant cette autre chose pour arriver un nouvelétat, tout

en parcourant la même distance et en étant animée d'un

mouvement uniforme. On pourrait prendre dans )e mou-

Page 373: La Physique d Aristote

PAnAPB!USEDEL\ PHYS!Q<JK1~6

vexent de translation l'exemple (le deux choses qui se

meuvent, soit circulairement,soit en ligne droite ou bien

rexeuiple de tonte autreespècede mouvement. Maisquan.t

je dis que l'une des deux choses accomplit son mouve-

ment antérieurement a l'antre, je remarque qu'Anté-

rieurement est une nuance du temps; car antérieur et

postérieurne se disent que par rapport a l'éloignement

où l'un et l'autre sont de l'instant présent. Or,Instant

présent est la limite dupasse et (le l'avenir. Par consé-

nuent. le P'-ésent étant .lans le temps, l'antérieur et le

postérieurdoivent y être également. Seulement il faut

jouter qu'Antérieurementse prend dans une acception

inverse, selon qu'il s'agit du passé ou de l'avenir. Ainsi,

dans le passé nous appelons antérieur ce qui est le plus

éloigné du présent, et postérieur ce qni s'en rapproche

davantage pour l'avenir, ancontraire, 1-antérieur est ce

qui est le plus rapproché du présent, tandis que le pos-

Lérieurest ce qui en est le plus loin. Donc !'antér.em-

étant toujours dans le temps et étant toujours une consé-

quencedu mouvement., il s'ensuit que tout changement

ou mouvementestton)<mr.sdans ). temps comme lu..

Mtre qn~tio!. qui lie serait pas moins digne

d'étude, ce serait dn rechercher quel est le vrai rapport

du temps a l'àme qui le perçoit, et comment il nous

semble qu'il y a du temps en toute chose, et partout, la

terre, la meret le ciel. Cela tient-il a ce que le temps est

modedu mouvement, puisqn'it en est le nombre, et

que toutes les choses que nous venons de nommer sont

-pttes au mouvement?~- tontes ces choses sont dans

espace, et tout ce qui est dans l'espace est en mouve-

u,.nt Or, le temps et le mouvement sont toujours sunut-

Page 374: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOT)-LiVRK iV, CH. XX. 1~7

taucs l'un à l'autre, qu'ils soient d'ailleurs ou en puis-sance ou en acte; et du moment que ces choses sont en

mouvement, elles durent.aussi un certain temps. Mais, si

l'âme de l'homme venait à cesser d'être, y aurait-il encore

du temps? Ou bien n'y en aurait-il plus? C'est 1~ une

question qu'on peut soulever; car, lorsque l'être qui, par

exemple, doit compter ne peut plus exister, il est impos-sible qu'il y ait encorequelque chose de comptable. Par

suite, il n'y a plus davantage de nombre; car le nombre

n'est que ce qui a été compté ou ce qui peut l'être. Mais;

s'il n'y a au monde que l'âme, et dans l'âme l'entende-

ment, qui ait la faculté naturelle de compter, il est dès-

lors impossibleque le temps soit, du moment que l'âme

n'est pas; et, par suite, le temps, qui n'est que le nombre

(lu mouvement, ne peut plus être dans cette hypothèse

que ce qu'il est simplement et essentiellement en soi, si

toutefois il se peut que le mouvement ait lieu et existe

sans l'âme. Maisil a toujours l'antcrieu'' et le postérieur

dans le mouvement, et le temps n'est au fond que l'un et

l'autre en tant qu'ils sont numerables.

On peut encore se demander si le temps est le nombre

d'un mouvementde certaine espèce, ou si c'est le nombre

de toutes les espèces de mouvement, quelles qu'elles

soient. Ainsi, c'est dans le temps que les choses naissent

et périssent; c'est dans le temps qu'elles s'accroissent;

c'est dans le temps qu'elles s'altèrent et qu'elles se

meuvent. Donc, le tempsest le nombre et la mesure de

chacune de ces espèces de mouvement, en tant que cha-

cune d'elles est du mouvement; et voilà commenton peut

anirmcr d'une manière générale que le temps est le

nombre du mouvementcontinu, et non pas le nombre et

Page 375: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE1H8

la mesure de telle espèce de mouvementen particulier.

Mais, ici, on fait une objection et l'on dit Il est pos-

sible que deux choses din'érentes se meuvent au même

instant; dans ce cas, le temps est-il le nombre de l'une

et. l'autre à la fois? Ou bien le temps est-il autre pour

toutes les deux? Et est-il possible alors qu'il existe simul-

tanément deux temps égaux? Mais n'est-il pas évident

que c'est là une chose impossible? Le temps tout entier

est un, il est semblable et simultané pour tout; et même

les temps <)~ine sont pus simultanés n'en sont pas moins

de la mêmeespèce. Il en est du temps comme du nombre,

qui est bien toujours le même, qu'il s'agisse d'ailleurs

ici de chiens et là de chevaux. S'ils sont sept, par

exemple, le nombre sept n'en est pas moins immuable,

quels que soient les êtres auxquels il s'applique. Pareille-

ment, le temps est le même pour des mouvements qui

s'accomplissent ensemble, et il ne change pas avec les

objets. La seule diu'érencec'est que le mouvement, dont

le temps est le nombre, peut être tantôt rapide et tantôt

ne l'être pas; tantôt il est un déplacement dans l'espace

et un changement de lieu; tantôt il est une simple altéra-

tion de qualité. Mais, au tond, c'est bien le même temps

qui mesure ces mouvements, puisque de part et d'autre

il est le nombre égal et simultané soit du déplacement

soit de l'altération, selon l'espèce spéciale du mouvement

qui s'accomplit. Si d'ailleurs les mouvements sont ditTé-

renis et séparés, bien que le temps demeure partout un

et identiquement le même, c'est que le nombre reste

aussi un et le même pour des mouvements et des êtres

égaux et simultanés.

Lorsque nous disons que le temps est la mesure duIl

Page 376: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, LIVRE IV, CH. XX. 199

mouvement, ceci s'applique surtout, au mouvement de

translation et à la translation circulaire. Pour le bien

taire voir, rappelons quelques-uns de nos principes. Dans

les mouvements,nous distinguons lemouvementde trans-

lation et, dans celui-ci, la translation circulaire. D'un

autre coté, tout se compte et se mesure au moyend'une

seule et unique unité du même genre, les unités par une

unité, les chevaux par un cheval, etc. Demêmeaussi, le

temps se mesure au moyend'un certain laps de temps dé-

terminé; et le temps, ainsi que nous l'avons dit, est mesure

par le mouvement, commeréciproquement le mouvement

l'est par le temps c'est-à-dire que c'est par le tempsdéter-

miné d'un certain mouvementdéterminé que se mesurent.

et la quantité du mouvement, et la quantité du temps.

Si donc, l'unité première, le primitif dans chaque genre

est la mesure de tous les objets homogènes, la trans-

lation circulaire, uniforme et régulière comme elle l'est,

doit être la mesure par excellence, parce que le nombre

de cette espèce de mouvement est le plus facilede tous a

connaître. Les autres espèces de mouvement, altération,

accroissement, géuératifn même, n'ont rien d'uniforme,

et il n'y a que la translation circulaire qui ait de l'unifor-

mité. Aussi, c'est là ce qui fait que bien des philosophes

ont confondu le temps avec le mouvementde la sphère

céleste, parce que le mouvement de cette sphère est celui

qui mesure tous les autres mouvements, et qui mesure

également le temps. Ceci même expliqueet justifie cedic-

ton qu'on entend si souvent répéter, que les choses hu-

maines ne sont qu'une roue et un cercle, commedans le

reste de la nature, où toutes les choses naissent et pé-

rissent tour à tour. Sans doute, cette opinion instinctive

Page 377: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE200

est venue de ce que toutes ces chosessont appréciées a in

façon du temps, et qu'elles ont, comme lui, des périodes

régulières qni en marquent le commencement et la fin.

Le temps lui-même, quand on le rapporte aux mouve-

ments célestes, ne semble qu'un cercle d'une certaine es-

pèce. Et si, à son tour, le temps a cette apparence, c'est

qu'il est la mesure de cette translation circulaire, et que,

réciproquement, il est mesuré par elle. Par conséquent,

dire que toutes les choses qui se produisent forment un

cercle, cela revient à dire qu'il y a une espace de cercle

aussi pour le temps. En d'autres termes encore, c'est dire

qne le temps est mesuré par le mouvementde la transla-

tion circulaire car, Acôté de la mesure, l'objet mesuré

;)ar elle ne paraît être, dans sa totalité, rien autre chose

qu'un certain nombre accumulé de l'unité de mesure.

D'ailleurs, jelerépéte,le nombre reste toujoursiemême,

que ce soit, d'une part, des moutons, par exemple, que

l'un compte, et, d'autre part, que ce soit des chiens, le

nombre de ces animaux étant égal des deuxcôtés. Mais

lu.dizaine n'est pas la même, en ce sens queles dix objets

comptés ne sont plus les mêmes.C'est absolument comme

les triangles qui ne sont plus les mêmes, quand l'un est

equilatéral et l'autre scalène, bien qu'en tant que trian-

gles, ils soient semblables l'un à l'autre, attendu qu'à cet

égard leur ugure est la même. Car, une chose est iden-

tique a une autre, quand die n'en diu'ére point dans sa

din'érence essentielle; et elle cesse de lui être identique,

quand il y a cette diu'éreucc entr'elles. Par exemple, uu

triangle ne diu'ére d'un autre triangle que ))ar une diffé-

n'ncc du triangle, c'pst-à-dirc qu'ils son), diu'éreuts <~)

mut.que triangles; mais ils ne diffèrent pMeu tant que

Page 378: La Physique d Aristote

D'ARiSTOTK,LiVKEV,CH. 20<

figures; car tous les deux sont dans la mêmeclasse de

figures, tellefigure étant un cercle,et telle autre classe de

figures étant un triangle. Maisdans le triangle, ce sont

des différences qui n'ont plus rien d'essentiel, puisque

l'un peut être isoscèle, et l'autre scalène, tout en restant

l'un et l'autre des triangles. La figure entr'eux est bien la

même, et c'est le triangle maisle triangle est différent.

C'est de cette façon que le nombre aussi est le même

car le nombre, des chiens ne difTère pas en tant que

nombre, de celui des moutons; maisseulement la.dizaine

n'est pas la même, parce que les objets auxquels elle

s'applique sont différents entr'eux, tantôt des chiens,

tantôt des moutons, ailleurs des chevaux.

Nous terminerons ici ce que nous avionsa. dire du

temps, considéré soit en lui-même, soit dans ceux de ses

attributs qui appartiennent plus spécialement à la science

de la nature.

U\'HRV.))t)MOUVEMENT.

t.

Apresnvoir donnela d6<<mno)]dnmou~etM)tt.,uL<))rcs

avuirut-udiÉles dtvet'suscoudit-ionsqui r.~cump~ncnt.

Page 379: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE202

toujours nécessairement, l'infini, l'espace et le temps,nous abordons la question même du mouvement, et nous

posons d'abord quelques distinctions verbales, dont, nousferons grand usage dans ce qui va suivre.

Tout ce qui vient à changer ou à se mouvoir, car cesdeux expressions sont équivalentes, peut changer et semouvoir de trois manières Ou accidentellement et indi-

rectement ou dans une de ses parties et non dans sa to-talité ou enfin, en soi et dans tout son 6tre. J'éclaircisceci par des exemples. Dans le premier sens, le change-ment est purement accidentel, quand on prend une locu-tion comme celle-ci: Le musicien marche; car ce n'est

pas précisément le musicien qui marche; mais c'est l'in-

dividu, dont c'est un attnbut ou un accident de savoir la.

musique. Secondement, on dit bien souvent, d'une ma-nière absolue, qu'une chose change par cela seul qu'unede ses parties vient à changer. Ainsi, l'on dit de quel-qu'un qu'i! se guérit par cela seul que son œil malade ousa poitrine se guérit, bien que ces organes ne soient

qu'une partie de son corps et de son être. Enfin, dans untroisième sens qui est le plus exact, on dit d'une chose

qu'etle se meut et change non plus par accident, non plusdans une de ses parties, mais en elle-mêmeprimitive-ment, lorsqu'on effet l'être tout entier se meut, comme

lorsqu'on dit que Socrate se promène. La chose est alorsmobile en soi; elle n'est plus mobile indirectement ou

partiellement. Mfaut ajouter que dans chaque espèce de

mouvement, le mobile en soi est dînèrent selon le mouve-ment lui-même qui varie ainsi, dans le mouvement d'al-

tération, le mobile en soi est l'être qui est altérable; etmême dans l'altération, on peut marquer une foule de

Page 380: La Physique d Aristote

D'AMSTOTM,UVhM V, CH. 1. 2033

nuances par exemple, s'il s'agit de guérison, le mobile

en soi est l'être guérissable; s'il s'agit de chaleur, c'est

l'être qui est échaulïable, etc.

Ces distinctions que nous venons de faire pour le mo-

bile, ne sont pas moins applicables au moteur. Le moteur

peut aussi mouvoir,ou accidentellement, ou partiellement,

on en soi primitivement. Ainsi, le moteur est accidentel

quand on dit, par exemple, que le musicien bâtit la mai-

son car ce n'est pas en tant que musicien qu'il la bâtit,

et c'est en tant qu'architecte qu'il l'élève; seulement cet

architecte a le talent de la musique. En second lieu, le

moteur est partiel, quand il ment par une de ses parties

et qu'on dit, par exemple, que quelqu'un frappe, parce

qu'enenetsa main frappe quelque chose. Enfin, le mo-

teur est en soi et primitif, quand on dit que le médecin

guérit; car c'est bien le médecin lui-même qui guérit en

tant que médecin.

On voit donc déjà qu'il y a trois choses à considérer

dans le mouvement le moteur d'où le mouvementparttout entier; le mobile, c'est-à-dire l'objet mu; puis le

temps durant lequel le mouvement se passe. Enfin, outre

ces trois termes,il y a lien de considérer aussi, et le pointt

d'où part ce mouvement, et le point où il arrive et où il

setermine. Car tout mouvement, quelle qu'en soit l'espèce,

part d'un certain point pour arriver à.un autre point; et

il ne faut jamais confondre le mobile en soi, ni avec le

point vers lequel il est poussé par ce mouvement, ni avec

le point duquel il est parti. Par exemple, prenons ces

trois termes, le bois, le chaud et le froid. De ces trois

termes, le premier désigne l'objet qui subit le change-

ment le seconddésigne i'éLat où il tend, et le dernier,

Page 381: La Physique d Aristote

PAHAPHRASEDE LA PHYSIQUESO/)

l'état d'où il part. Évidemment c'est dans le bois que le

mouvement se passe, et non point dans sa forme, et j'en-tends par sa forme les différentesqualités qu'il peut avoir

de chaleur ou de froid car la forme ne peut ni donner ni

recevoir le mouvement, pas plus que ne le donnent ni ne

le reçoivent le lieu où le mouvement s'accomplit, ni la

quantité plus ou moins grande de l'objet mis en mouve-

ment, selon que le mouvementest ou loc~Iou de simpleaccroissement.

Ce qu'il faut surtout considérer ici, c'est, après le mo-

teur et le mobile: le point vers lequel le mobile est mu;car c'est le point où tend le mouvement bien plutôt quele point d'où il part, qui donne au changement le nom

spécial qui le désigne. Et voilà.commentladestruction est

pour les choses le changement qui les mèneau non-être,bien que pour y arriver elles doivent partir de l'être et

comment leur génération est le mouvement qui mène a

t'être, bien que ce soit nécessairementdu non-être qu'elle

parte. La définition que nous avons donnée pins haut

(Livre Ml, ch. !) du mouvement, suffit à démontrer quele mouvonent est dans le mobile, et non dans le point de

départ ou le point d'arrivée; car nous avons défini le

mouvement l'acte du mobile.Les formes, les aifections.

et les lieux vers lesquels se meuvent les mobiles sont

immobiles, tout comme le point (('arrivée et le poiutde

départ; et, par exemple, peut-on dire qu'il y ait mouve-

ment dans la science à laquelle on est arrive par l'étude,ou dans la chaleur à laqudie est arrivé le corps qui d'a-

bord était froid?

Ici l'on fait une objection assez subtile et l'on (lit Si

tus auectiomides choses sont des mouvements, connue la

Page 382: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,UVRRV.CH.t. 205

hlancheur, par exemple, à laqnetle arrive un objetnoir

en changeant de couleur, il s'ensuit qu'il y aura un chan-

gement qui ne sera plus un mouvement, puisqn'H tendra

lui-même vers un mouvement. A cela, on peut répondre

que ce n'est pas la blancheur même où arrive l'objet, quiest un mouvement; maisque c'est r~<s'oMc?:/suc-

cessif de cet objet. Mais pour ce prétendu mouvement

qu'on croit trouver dans le point d'arrivée d'uu mouve-

ment quelconque, il faudrait distinguer, comme on l'a

fait plus haut, le mouvement accidentel, le mouvement

partiel, et le mouvementprimitif ensoi. Soit, par exemple,une chose qui devient blanche, on peut dire qu'elle ne

subit qu'un changement accidentel, quand on dit qu'elle

change en ce qu'on pense; car pour la couleur, c'est un

simple accident que d'être pensée. C'est un changement

partiel, si l'on dit simplement qu'elle change de couleur,

parce que la couleur blanche n'est qu'une partie et une

espèce de la couleur générale; de même qu'on prend une

expression impropre, quand on dit de quelqu'un qui se

rend a Athènes, qu'il va en Europe parce que en en'et

Athènes fait partie de l'Europe. Kuïin, c'est un change-

ment en soi et primitif, quand on dit de la chose qui de-

vient blanche clu'elle change en blancheur.

Mais,après cette réfutation d'une objection peu solide,

je reviens à mon sujet, On voit donc ce qu'on doit en-

tendre par le mobile en soi, le mobile accidentel et le

mobile partiel; on voit aussi ce qu'on doit entendre par

Primitif, soit qu'on applique ce mot au mobile, soit an

moteur; onvoit enfin que le mouvement n'est pas dans la

forme ou qualité nouve)teque reçoit le mobile, mais dans

le mobilehu-rnètuc,dansle corps qui est mu actuellement

Page 383: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYStQUK206

et réellement,Dansles recherches qui suivront, nousne

nousoccuperonspas du mouvementon changementacci-

dentel, parceque ce changement est par trop vague, et

qu'onpeut indineremmentle tirer de toutes les choses,le

trouver partout et toujours; car les accidentsd'une chose

sont en nombreinfinis,soit pour la qualité, soit pour le

lieu, soit pour le temps. Nousnousattacheronsplus par-ticulièrement au mouvement en soi, qui n'est plus acci-

denté! car ce mouvementloin d'être en touteschosesne

peut être que dansces trois classes: ou les contraires,ou

les intermédiaires,ou les contradictoires,et l'on pourraits'en convaincre en recourant à l'analyse de tousles cas

spéciaux où ce changement se rencontre. Dansles con-

traireset dans les contradictoires,le mouvementqui va

de l'un à l'autre est detoute évidence;mais s'il n'est pasaussiclair entre les intermédiaires,il n'en est pas moins

certain.C'est qu'eneffetle milieu,qui est a égaledistance

des contraires,est lui-mêmeunesorte de contraire,et le

changements'appliqueà ce milieu,commes'il était con-

traire à l'un et l'autre extrêmes.Lemilieu est en quelquesorte les deux extrêmesà la fois; et voilà commenttout

ensemble il est contraire aux extrêmes,et lesextrêmes

contrairesà lui. Par exemple, la dominante en musique

est grave par rapport l'octave, et aiguë, par rapport à

la tonique. Legris est blanc par rapport an noir,et noir,

par rapport an blanc.

!).

'font.changement, pour prendre ce terme plus généra)

que celui de mouvement,tont chroment est le pa-ss~ge

Page 384: La Physique d Aristote

t)'A!USTOTR,LIVREV, CH. ï). 507

d'un état à un autre état, et le mot grec lui-mêmeattestn

l'exactitudede cette idée, puisquele premier élément de

ce mot indique qu'une chosese fait une autre, et

distingue ainsi quelque chose d'antérieur et quelquechosede postérieur dans le phénomènequi a lieu. Or, le

changement peut se produire de quatre manières, dont

deux relatives au point de départ, et deux relativesan

point d'arrivée. D'abordle changementpeut se faire d'un

sujet à un sujet, et j'entends par sujet ce qui est exprime

sous formeanirmative ainsi, le changement,se fait de

blanc à noir. En secondlieu, le changementpeut se faire

de ce qui n'est pas sujet à ce qui n'est pas sujet par

exemple, de ce qui n'est pas blanc à ce qui n'est pasblanc. Troisièmement,le changement peut se faire de ce

qui n'est pas sujet à cequi est sujet par exemple,ce qui

n'est pas blanc devient blanc. Enfin, le changementpeutse faire de ce qui est sujet à ce qui n'est pas sujet et par

exemple, le blancdevient non-blanc.

On voit que sur ces quatre manières, il n'y en a que

trois qui soient possibles celles d'un sujet dans un su-

jet, du sujet dans ce qui n'est pas sujet, et de ce quin'est pas sujet dans ce qui est sujet; car la secondema-

nière, celle qui aurait lieu de ce qui n'est pas sujet à ce

qui n'est pas sujet, n'est pas à vrai dire un changement,

puisqu'il n'y a pas là d'oppositionvéritable,et qu'il n'y a

ni contraires, ni contradictoires,éléments indispensablesdu changement. Le changement de ce qui n'est point

sujet en un sujet, c'est la génération; c'est le passagedu non-être à l'être, ou en d'autres termes une oppositioncontradictoire de la négation à l'anirmation. Une chose

qui n'était pas vient à être et.a exister. La générationest

Page 385: La Physique d Aristote

PARAPHRASEUE LA PHYSIQUt-;208

absolue, quand Jechangement a lien absolument du non-

être l'être la génération n'est que relative et spéciale,

quand le sujet existant déjà, il subit une modificationet

prend une qualité qu'il n'avait pas auparavant. Ainsi, le

changement de ce qui n'étant pas blanc devient blanc,

c'est la génération du blanc, c'est-à-dire d'une simple

qualité. Maissi une chose qui n'est pas, absolumentpar-

tant, vient &être, cettegénération est absolue,c'est-à-dire

qu'on dit purement et simplement de la chose qu'elle de-

vient, sans ajouter qu'elle devient telle ou telle chose. Le

changement du sujet en non sujet s'appelle destruction,

et d'une manière absolue, c'est le passage de l'être au

non-être; pris d'une manière relative, c'est le passage à

Ja négationopposée, ainsi que nous venonsde le voir parla génération, c'est-à-dire que le sujet tout en continuant

d'exister passe d'une qualité à une autre, et qu'ainsi cette

première qualité est détruite. En ce qui concerne l'être,

ce n'est donc plus qu'une destruction relative ce n'est

pas une destruction absolue.

1)'ailleurs, parmi les diverses acceptions qu'on peutdonner an Non-être, il faut remarquer qu'il ne peut pas

y avoir de mouvement pour toutes. Ainsi, il n'y en a ni

pour le non-être qui ne consiste que dans une ann'mation

erronée d'idées qu'on réunit a tort, ou dans une négation

d'idées qu'on divise d'une manière non moins fausse, ni

pour ce qui n'est qu'en simple puissance, et est ainsi

l'opposé de l'être réel et actuel. Par exemple, le non-

blanc, le non-bon ne peut avoir de mouvement réel, et il

n'a de mouvetueut qu'indirectement quand l'homme ou

l'être nun-b!anc, non-bon, a du mouvement lui-même.

A'laiscequi n'est pas un être réel absolument parlant, ne

Page 386: La Physique d Aristote

D'AH!8TOTE,LIVRE V, CH. H. 209

ne peut pasavoirnonplus le mouvementde quelquefaçonque cesoit car commentconcevoirque ce qui n'est paspuissese mouvoir?Donc,en tirant de ceprincipe la con-

séquencequ'il porte,il est clair que la générationabsoluene peut être appelée un mouvementvéritable, puisquele non-êtredevient quelque chose, de rien qu'il était. Lenon-êtreest le plussouventaccidentel; c'est le plus sou-vent la simple privationd'une qualité qui en remplaceen-suiteuneautre; maisil n'en est pas moinsexact dediredel'être qui devientet nalt d'unemanière absolue,qu'il doitexisterd'abord à l'état de non-être, si l'on peut se per-mettreces expressionscontradictoires.Ce qu'on vient dedire dumouvementdu non-être s'applique tout aussibienà son repos et si l'on s'imaginait le non-être en repos, iln'en résulterait pas moinsd'impossibilitéque de se l'ima-giner en mouvement.Enfin, une dernière preuve que lenon-être ne peut avoirde mouvementet que la généra-tion n'est pas un mouvement, c'est que tout ce qui estmouvementdoit être dans un lieu or, le non-être n'estpas dansun lieu; car alorsil faudrait qu'il existât quelquepart, et il n'existepoint.

Mais,si la génération absolue n'est point un mouve-ment, la destructionn'en est pas un davantage; car il nepeut y avoir de contraireau mouvementque le repos, onun autre mouvement;mais, la destruction n'est contrairequ'a.la génération, laquelle n'est point un mouvement,commeon v,ientde !e démontrer.

Amsi,en résumé,commetout mouvementest toujoursun changement d'une certaine espèce, et qu'it n'y a queles trois espèces de changement indiquées par nous; et,d'autre part, commeles changementsqui se passent dans

-1/t

Page 387: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE240

la générationet la destructiondes chosesne sont pas de

véritablesmouvements,etne sont que de simplesopposi-

tions contradictoiresdu non-être à l'être, et de l'être au

non-être,il s'en suit qu'il n'y a qu'une seule espèce de

changementqui soit réellementun mouvement c'est le

changementd'un sujet en un sujet; par exemple,du blanc

au noir. Quant aux deux sujets entre lesquels le mouve-

ment se passe, partant de l'un et aboutissanta l'autre, ou

ils sont des contraires, commele noir et le blanc ou ils

sont de simples intermédiaires, jouant aussi le rôle de

contraires; car, la privationet les termes qui l'expriment

doivent être considéréscomme des contraires et ces

termes peuvent être sousformeaffirmative,pour la pri-

vation, aussi bien que pour les autres contraires. Ainsi

Nu, qui exprime la privationde vêtement, est opposé a

Vêtu, tout aussi bien queBlanc est opposéà Noir.

H!.

Parmiles catégoriesqui se divisent, commeon sait, en

substance, qualité, lieu, relation, quantité, action, souf-

france, etc., il n'y en a que trois, évidemment,où il peut

y avoir du mouvementen soi la quantité, la,qualité et

le lieu. Dans la substance, il n'y a pas de mouvement

possible,parce qu'il n'y a rien au mondequi puisse être

contraire à la substance. Il n'y a pas davantage de mou-

vement dans la catégorie de la relation; car, il se peut

fort bienqu' un des relatifs vienne à change'' sans que

l'autre relatif subisse lemoindre changement;et alors, le

mouvementdes relatifs, quand il y en a, n'est qu'acci-

dentel et indirect, et nonprimitif en soi. Il n'y a pas da-

Page 388: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVRE V, CH. !H. 2'n

vantagebesoin desupposer le mouvementdans)a. catégo-rie de l'action et de la passion car c'est déjà une sortede mouvement. On n'a pas davantage à le supposerdans le moteur et le mobile où il est déjà indiqué, at-

tendu qu'il serait aussi inutile qu'irrationneld'admettreun mouvementde mouvement, une générationde géné-ration, en un motun changement de changement.II fauts'arrêter au premierterme, sous peined'avoir à parcourirl'infini.

Maisil faut distinguer deux acceptionsdiversesdans

lesquelleson peut entendre ces motssinguliers Mouve-

ment de mouvement.Dans un premier sens, veulent-ilsdire que le mouvementpeut être lesujet d'un autre mou-vement? Comme lorsqu'on dit d'un homme qu'il subitun mouvement,parce qu'il change du blanc au noir. Or,est-ce que par hasard un mouvement,devenant ainsi un

sujet, pourra s'échaufferou se refroidir, se déplacerdans

l'espace, s'accroître et périr, commele ferait tout autre

sujet? Maisil est évidemmentimpossibled'entendreainsicette expression; car le changementne petit jamais êtreconsidérécomme un véritable sujet. Par conséquent, il

n'y a point mouvementde mouvement dans cette pre-mièreacception.

Veut-on dire dansune seconde acception que Mouve-ment de mouvement, signifie qu'un sujet autre que le

mouvementpart d'un certain changementpourchangerd'une formeà une autre par ce mouvementqu'iléprouve,comme un hommepasse de la maladie :) la santé? Maison ne peut pas direqu'il y ait là réeHementmouvementde mouvement,si cen'est d'une façon accidentelleet in-

directe, puisque le mouvementa proprementparler, n'est

Page 389: La Physique d Aristote

PA1UPHHASEDE LA PHYSIQUEH12

que le changement d'une forme en une autre forme,

d'un état en un autre état. La générationet la destruc-

tion sont bien dans le même cas aussi; seulementelles

vontl'une et l'autre à de certains opposés qui sont des

contradictoires,tandis quele mouvementne va pas à ces

mêmesopposéset qu'il va à des contraires, par exemple,

du blancau noir. Si le mouvementde mouvement était

possibleainsi, il s'ensuivraitque l'être pourrait changer

tout à la foiset de la santé la maladie, et de ce même

changement à un autre encore. Or il est évident que

(tes que l'être aura été malade, c'est qu'il aura subi un

changementd'une certaineespècefacilea.apprécier, puis-

qu'il peut s'arrêter et persévérerdans cet état. Mais ce

n'est pas un changement quelconqueet indéterminéque

subit le malade, et il ne peut pas de cette situationnou-

velle, venue d'une situation antérieure, passer à quel-

qu'autre situation différente car il pourrait arriver ainsi

a un changementopposéà la maladie,qui serait le retour

à la santé, et de cette façonil éprouverait à la fois deux

changementscontraires l'un vers lamaladie, l'autre vers

la guérison ce qui est impossible.

Ainsi le mouvement de mouvement ne peut être un

mouvementen soi; c'est un simplemouvementaccidentel

et successif,pareil a celuiqu'ou subit quand on passe du

souvenir d'une chose l'oubli de cette mêmechose; et

de part et d'autre le mouvementest tout pareil, puisqu'il

est celui d'un être qui passe tour àtour, soit à la mémoire

soit a la santé.

Voilà~n premier argumentqui prouve qu'il ne peut y

avoirmouvementde mouvement,génération de généra-

tion, etc. En voici un second c'est que ce serait tomber

Page 390: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,UVRE V, CH. Ill. 2~3

dans l'infini que de supposer qu'il y a toujours change-mentde changement: et ]'on ne trouverait jamais ainsi

uneorigine où l'on pourrait s'arrêter. En effet,on admet

qu'il faut qu'il y ait eu un changement antérieur pour

que le changementpostérieursoitpossible. Par exemple,en supposant une génération absolue, si à un certainmoment eUe-memedevenait, il faudrait bien que l'être

engendré devint aussi commeelle. Par conséquent,cetêtre engendré absolument, à ce qu'on dit, n'était pasréellement mêmeaprès être devenu; il était simplement

quelque chose qui devenait, de telle sorte que même

quandil était déjà devenu il n'existait pas encore.Maiscommedans les sériesinfiniespareilles a celles-ci, il n'ya pas moyende trouverun premier terme, on ne décou-vrirapas non plus dechangement antérieur ni de chan-

gement postérieur et venu à ]a suite. Donc, avec cette

hypothèse, il n'y a pins à vrai dire, ni génération, ni

mouvement,ni changementpossibles.Autreargument contrecette théoriequi admet qu'il y

a mouvement de mouvement,générationde génération.On convient quec'est une seule et mêmechose qui a les

mouvements contraires ou le repos; par exemple, quec'est la même chosequis'échauffeet se refroidit; ouquireste dans l'état où elle est. On convient aussi que lamême chose qui est engendrée est aussi détruite. Par

conséquent, dans la théorieque je combats, il faut dire

que ce qui devient doitpérir en devenantau momentoùil devient, quand il a apérir; car il ne peut pas périrniavantmême qu'il ne devienne p~isqu'alors il n'est rien,ni aussitôt après qn'i) est.devenu pnisqu'it devient tou-

jours. Or, il fautque cequipérit !utpréa!ab)cmentexisté,

Page 391: La Physique d Aristote

et ce qui devient n'existe pas encore. Donc, en ce sens

commedans lesprécédents, la génération de génération

empêchetoute génération et tout mouvement,commeelle

empêchetoute destruction.

rajoute une nouvelle considération contre cette théo-

rie. Danstout changement,dans toute génération, il faut

préalablementune matière substantielle à l'être qui de-

vientet qui change. Or, icidans le changementde chan-

gement, où sera cette matière? Et de même que dansle

mouvementd'altération, ce qui s'altère est préalablement

un corpsou uneâme, de mêmece qui devientsera-t-ilici

un mouvement, une génération, comme je l'ai déjà de-

mandéplus haut? Et si ce ne peut être ni un mouvement

ni unegénérationqui serventde point de départ, seront-

ils du moins le terme où aboutira le mouvement?Car il

faut bienque le mouvement qu'on suppose soit le mou-

vement et la générationd'une chosequi passe de tel état

à tel autre état. Mais comment serait-il possible qu'un

mouvement fût le but d'un mouvement? La génération

de la science, par exemple,n'est pas de la science; et

c'est cependant la science réelle qu'on poursuit et dont

on fait sonbut quand on étudie.Il n'y a doncpas, comme

on le dit, génération de génération, ni en général ni

dans les cas particuliers. Enfin, comme il n'y a que trois

espècesde mouvements,il faudrait que cette nature sub-

stantielle forméepar le mouvementde mouvement,et les

termesentré lesquels se passerait lemouvement fussent

une quelconquede ces espèces; et alors on aurait un

mouvementde translation qui deviendrait un mouvement

d'altération, tout aussi bien qu'il serait un déplacement

dans l'espace. Mais tout mouvementne peut s'accom))t'r

21& PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

Page 392: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE,LIVRE V, CH. I! 5155

que de trois manières, on par accidentet indirectement,ou dans une des parties, ou enfin en soi et dans la

totalité du sujet. Par conséquent, il ne pourrait y avoir

changement de changementqu'indirectement, commesi

l'on disait, par exemple,que la santé court ou s'instruit,

parce que le malade qui est revenuà la santé court ou

s'instruit. Mais nous avons déjà dit que nous ne nous

occupions pas du mouvementaccidentel et d'unema-

nière générale, nous amrmonsen nous résumant qu'il ne

peut pas y avoirchangementde changement, ni généra-tion de génération.

Après cette démonstration, il nous reste à confirmer

ce que nous avons dit plus haut sur le nombre des

catégories où le mouvement est possible. Commeil n'yen a ni dans la substance, ni dans la relation, ni dans

l'action et la passion, il est clair qu'il n'y en a quedans la qualité, la quantité et le lieu, attendu que cesont les trois seulesoù il puisse y avoir des contraires.

Lemouvement dans la qualité est ce qu'on peut appelerl'altération, une qualité autre faisant place à la précé-dente et c'est là le nom général qu'on donne au mouve-

ment de la qualité, quellesque soient ses nuances. Mais

quand je parle de qualité, je n'entends point la qualitédans la substance, où la différencequi constitueles es-

pèces peut être prise aussi pour une sorte de qualité;mais j'entends la qualité passive, d'après laquelle on dit

qu'une chose éprouve une certaine passionou qu'elle est

impassible,qu'elle est douéeou qu'elle n'est pas douée

de telle ou telle qualité. Le mouvementqui s'applique a

la quantité, n'a pasreçu, commel'altération, un nomcom-

Page 393: La Physique d Aristote

PAHAPHHASRDE LA PHYSIQUE216

mun auxdeux contraires. Maisdans un sens c'est l'ac-

croissement et dans l'autre, le dépérissement.L'accrois-

sementestle mouvementqui tend à ladimensioncomplètede l'être; le dépérissementest au contrairele mouvement

par lequel l'être déchoit de cette dimension. Quant au

mouvementqui se passe dans le lieu, il n'a dans le lan-

gage ordinaire ni un nomcommun ni un nom spécial.Pour le nomcommun, appelons-leTranslation, bienqu'~vrai dire il n'y ait de translation réelleque pour les êtres

qui n'ont point en eux-mêmesle principe de leur repos,ou de leur déplacementdans l'espace.

Lestrois nuances que nous venons d'indiquer dansle

mouvement,comprennentaussi cette nuance particulièredu changement qui consiste dans le plus ou le moins;

par exemple,une choseblanche qui devientplusou moins

blanchequ'elle n'était. Le changementse passant dansla

même forme, se rapporte à l'altération et doit y 6trc

classé, parceque c'est toujours le mouvementdu contraire

dans soncontraire, ouabsoluou partie].Si la chosevaau

moins, et que, par exemple,elle deviennemoinsblanche,

on dit qu'elle change en tendant versson contraire mais

si elleva au plus, on peut presque dire qu'elle va deson

contrairevers elle-même.Du reste, il n'y a point icide

différenceréelle entre le contraire absolu, quand la chose

passe d'un contraire à un contraire, du blanc au noir,

par exemple,et entre ce contraire partielque constituela

mêmequalité plus ou moinsmarquée, si ce n'est quedans

ce derniercas, le contraire est partiel commele change-

ment lui-même. Le plus et le moinsd'une qualité dans

unechosequelconque, signifient seulement qu'il y ou

Page 394: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE,UVREV,CH.IV, 217

qu'il n'y a pas plus ou moins du contraire dans cette

mêmechose. Ainsinousne reconnaîtronsen résuméque

trois espèces de mouvements.

IV.

Pour complétercette étude des diverses acceptionsdu

motMouvement,il faut indiquer aussicelles du mot Im-

mobile.On en peut distinguer trois. On appelled'abord

immobilece qui ne peut d'aucune manière, d'après sa

nature, être mis en mouvement,pas plus qu'un son ne

peut naturellement être visible.Acettepremièreet propre

acception, en succèdeune autre où l'on dit qu'une chose

est immobile, parce qu'elle ne se meut qu'infinimentpeu

dansun très-long espacede temps, c'est-à-dire encorece

qui se met très-lentementen mouvement,et ce qu'on a la

plus grande peineà mouvoir.Enfin,dans une troisième

et dernière acception,on dit immobilece qui, devant et

pouvant naturellementse mouvoir,nese meut pas cepen-

dant au moment où il le faut, dansle sens où il faut, et

de la manière qu'il faut. C'est là dans les choses immo-

biles ce qu'on doit entendreprécisémentpar le repos ou

l'inertie car le reposn'est pas autre chose que le con--

traire du mouvement,et la privationde la qualitédont le

sujet serait susceptible.On ne peut pas dire exactement

d'une chose qu'elle est en repossi, par nature, elle doit

nejamais se mouvoir.

On doit déjà voir par ce que nousavons ditjusqu'ici ce

que c'est que le mouvementetlerepos,quel estlenombre

et quelle est la nature des divers changementset des

divers mouvements.

Page 395: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDB LA PHYSIQUE2t8

V.

Mais, avant de pousser plus loin, il reste encore

quelques autres expressionsdont il importede bien fixer

le sens; c'est, par exemple,les suivantes Êtreensemble,

être sépare, se toucher, être intermédiaire, venir à la

suite, être cohérent,être continu, toutes locutionspour

lesquelles il faut indiquer les objets qu'elles concernent

spécialementet naturellement.

Quand on dit de deux choses qu'elles sont ensemble

dans l'espace, qu'ellesy sont simultanées,celaveut dire

qu'elles sont dansun seul et même lieu primitif,et non

point dans un seul et même lieu éloigné car, dans ce

dernier sens, toutesles chosesdumonde seraientensemble

dans un seul et même lieu. Al'inverse, on entend par

Séparées les choses qui sont dans un lieuprimitifdiiTé-

rent. Setoucherse dit des chosesdont les extrémitéssont

ensembledans un seulet même lieu primitif.On entend

par Intermédiaire ce par quoi la chose quichangedoit

naturellement passeravant de parvenir à l'extrêmedans

lequel elle change,quand elle change d'une manièrecon-

tinue selon sa nature.Un intermédiaireou un milieusup-

pose au moinstrois termes; car le contraire est toujours

l'extrémité du mouvement,soit au point de départ, soit

au point d'arrivée.

Je viensde dire que le mouvementdevaitêtrecontinu;

je veux dire par la qu'il n'y ait aucune interruption de

temps, bien qu'il puissey en avoir une de la choseelle-

même, d'ailleurs plus ou moins longue. Ainsi, par

exemple, il y a lacuneet interruption de la chosedans un

morceaude musiqueoù la note la plus basse se fait en-

Page 396: La Physique d Aristote

D'ARISTOTK,LIVREV, CH. V. 21~

tendreaprès la note la plus haute maisiln'y a pas inter-

ruptionde temps, et c'est la ce qui rait la continuité du

morceau. On retrouve d'ailleurs cette même condition

de la continuité dans les mouvementsde translation et

dans tous les autres changements. J'ajoute une autre

explicationqui portera sur le mot de contraire, dont je

mesuis servi aussi un peu plus haut en parlant du mou-

vement continu. J'entends donc ici, par contraire, rela-

tivement au lieu, ce qui est le plus éloignépossibleen

ligne droite; car la ligne la plus courte est déterminée

avecprécision et, ce qui est déterminéet finipeut servir

de mesure. La.ligne oblique,qui n'est point déterminée,

ne peut pas non plus être employéecommemesure des

choses et des distances. Je reprends mes autres défi-

nitions.

Suivre s'entend d'une chose qui, ne venant qu'après

un commencementet étant déterminéedans cette condi-

tion, soit par la position qu'on lui donne, soit par une

loide la nature, soit tout autrement,.n'est séparée de la

choseaprès laquelle elle vient,par aucuneautre chosedu

mêmegenre. C'est ainsi quel'on dit d'une ligne qu'elle

suit une autre ligne ou qu'elle vient après, quand il n'y a

point d'autre ligne entre ces deuxla c'est ainsi qu'une

unité suit une autre unité, lorsqu'il n'y a point d'unité

eutr'elles; et qu'une maison suit une maison,quand il

n'y a point d'autre maisonentre les deux, à quelque dis-

tance que ces deux là soient l'une de l'autre. Car il se

peut fort bien qu'entre deux choses qui se suivent en

tant qu'elles sont du même genre, il y ait une ou plu-

sieurschoses de genre diuércnt interposées.Il faut ajou-

ter quece qui vient après vientaprès une autre chose et

Page 397: La Physique d Aristote

PAHAPHUASt-:DK LA PHYStQUI':220

est postérieurà cette chose. Ainsi,un ne suit pas deux

le premier jour du mois ne vient pas après le second;maisc'est, tout au contraire, deux qui suit un,

On dit d'unechose qu'elle est Cohérenteà une autre,

lorsque, venanta la suite de cette chose, elle la toucheet

qu'il n'y a rien d'intermédiaire entr'plies. J'ajoute, du

reste, pour compléterce que j'ai dit un peu plus haut,

quecommetout changementa lieu entre des opposéset

que les opposéspeuvent être on des contraires ou des

contradictoires,il est évidentque l'intermédiairedoitêtre

rangé parmi les contraires, attendu que dans la contra-

diction il n'y a pas de milieupossible,et qu'il y faut sim-

plement que la chose soit ou ne soit pas. Ainsi,il n'y a

aucun intermédiaireentre deux choses qui se touchent.

Enfin, onentendpar Continu, terme que j'ai déjà indi-

qué tout à l'heure, une sorte de cohérence.Ainsije dis

d'une chosequ'elle est continuequand les limitespar les-

quellesles deuxparties decette chosese touchent, sesont

confondueset réunies, et qu'alors, commele motmême

l'indique, ellessecontinuentet se tiennent or, c'est là ce

qui ne pourraitavoir lieu tant que les extrémités restent

deux et ne s'unissent pas. Évidemment il suit de cette

définition qu'il ne peut y avoir de continuité réelle

qu'entre deschosesqui peuvent, en se touchant, arriver

âne formerqu'une seule et même chose naturellement.

Autant ce qui contient et rapproche les chosesdevient

un lui-même, autant le tout Ild'unité et de continuité;et

l'on peut voirdes nuancesde ce genre dans les continus

qui se forment matériellement,soit à l'aide d'un clou,

soit par un collage,soit par un contact, soit par un sou-

dage nature).

Page 398: La Physique d Aristote

D'AMSTOTE.UViŒV,<:H.V. 2~1

D'ailleurs,on voit clairementque l'idée de Suivre est

antérieure à celle dp Toucher; car, ce qui touche une

chose la suit nécessairement, tandis quece qui sui.t ne

touche pas toujours; et c'est la ce quifait que, dans les

termes où il peut y avoir uneantérioritéet une postério-

rité purement rationnelles, il y a consëcution,mais il n'y

a pas contact.Du moment qu'une choseest continue, il y

a nécessité qu'elle touche mais elle petit fort bien tou-

cher sans être continue car les extrémités des deux

chosespeuventcoëxister dans l'espace,sansse confondre

en une seule mais, si elles se confondent,il faut néces-

sairement qu'elles coëxistent. Par suite, la confusiondes

natures, la simultanéité de développement, est-elle le

dernier degré de continuité possible? Car, pour que les

extrêmesconfondusse développentensemble,il faut d'a-

bord qu'ils se soient touchés, quoique toutce qui se tou-

che ne se confonde pas dans un développementunique.

Maisil est évident que, dans les chosesqui ne peuvent

pas se toucher, il ne peut pas y avoir nonplus de déve-

loppementsimultané. Uneantre conséquence-encore,c'est

que le point et l'unité ont beau être séparés tous deux

de la matière, il n'est pas possiblede lesconfondreet de

les identifier. Lespoints se touchent, tandisque les uni-

tés se suivent; po~r les points, il peut y avoir entr'eux

un intervalle; car toute ligne est un intervalleentre deux

points, tandis que pour les unités tout intervalle est né-

cessairement impossible, puisqu'il n'y a rien entre deux

etnn.

Telles sont les explications que nous avions à donner

sur les termes énuméresphshaut par nous Ensemble,

Séparé, Contact, Intermédiaire, Suite, Cohérence, Conti-

Page 399: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE222

nuité, et sur les objets auxquelsces termespeuvents'ap-

pliquer.

VL

Unesuite assez naturelle de tout ce qui précède, c'est

de se demander ce qu'on doit entendre par l'unité de

mouvement,et ce que c'est qu'un mouvementun. Cette

expressionpeut, selonnous, avoir plusieurs sens, parce

que le mot mêmed'unité peut en avoir aussiplusieurs.

Ainsi,d'abord le mouvementpeut être appelé généri-

quementun, sousle rapport de la catégorieoù on le con-

sidère. Par exemple, tout mouvementde translation est

un, relativementà son genre, tandis que l'altération dif-

fère génériquement de la translation, attendu que son

genreest autre. Lemouvementest un spécifiquementlors-

qu'étant un en genre, il est un, en outre, dans uneespèce

indivisibleet particulière.Pourexpliquer cequej'entends

par espèce indivisible, je prends la couleur qui est un

genre, et j'y distingue la couleur blanche et la couleur

noirequi sont des espèces. Tout mouvementqui mène à

la couleur blanche, est spécifiquementidentique à tout

mouvementqui mènea la couleurblanche, de mêmeque

tout mouvement qui mène à la couleur noire, est iden-

tique spécifiquementà tout mouvement qui mène à la

couleurnoire; maisspécifiquement,la couleurnoire n'est

pas la mêmeque la couleur blanche, bien que, relative-

ment à la couleur, qui est leur genre, elles soient iden-

tiques. Ainsi, le mouvementest un dans chacune de ces

espèces;mais il est différentd'uneespèce a l'autre. Après

le genreplacé au sommetde la série, et cette espèce, qui

Page 400: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVREV, Œ. V!. 223

est placéeau dernier rang, on petit considérerle mouve-

ment dans les rangs intermédiaires,qui sont genres et

espècestout à la fois,genresparrapport à cequi les suit,

espècespar rapport à ce quiles précède. Pourceschoses

qui sont tout à la fois espèceset genres, le mouvement

pourra bienêtre un en partie,sousle rapportdes espèces,mais absolumentparlant, il n'est pas un spécifiquement.Je m'explique par exemple,dans l'acte d'apprendre et

dans le mouvement qui constitue cet acte, on peut dire

que le mouvement est un spécifiquement,si on le rap-

porte à la science, laquelleest elle-même une espèce re-

lativementà un genre plus largequi est la Conceptiondes

choses; mais il n'est pas un absolument sous le rapport

de l'espèce, puisque la scienceelle-même est un genre

qui contient diverses espèces,lesquelles sont toutes les

sciencesparticulières et distinctes.

Maison peut ici se demandersi le mouvementest bien

encore un spécifiquement, quand une même chose se

meut et changedu mêmeaumême par exemple, un seul

et mêmepoint qui se meut d'un même lieu à un même

lieu, allant et venant à plusieursreprises. Lemouvement

est-il de la mêmeespèce?Si l'on dit qu'il est un, alors la

translationcirculaire pourrase confondreavecla transla-

tion en ligne droite; la station se confondraavecla mar-

che car, dans les uns et dans les .autres, le mouvement

aura lieu également du mêmeau même. Maisnotre dé-

finition ne peut-elle pas résoudrecette question? Et ne

suffit-ellepas pour faire voir que, non-seulementle mo-

bile et les deux termes du mouvementdoiventêtre iden-

tiques pour que le mouvementsoit un, maisqu'il faut, en

outre, quela manièredont ilse passe soit identiqueaussi?

Page 401: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE22A

Par conséquent,n'est-il pas évident que le mouvement

est autre quand le sens dans lequel il a lieu, est autre?

Or, le mouvementcirculaireest spécifiquementdifférent

du mouvementen ligne droite.

Voilàdoncce qu'on doit entendre par un mouvement

un et identique, soit en espèce,soit en genre.

Mais, sans faire cette distinction, et à prendre les

choses d'une manière absolue, le mouvement est un

quand il est un en essence et en nombre. En analysant

les chosesavec soin, nous allonsvoir quel est le mouve-

ment qu'on peut qualifier ainsi.Quand nous disons que

le mouvement est un, il y a trois termes considérer

l'objet qui se meut, lelieu où il se ment, et le temps dans

lequel il se meut. Par l'objet, j'entends qu'il doit y avoir

nécessairementquelque chosequi se meuve un homme,

par exemple,qui change de place; un morceaud'or, qui

change de forme. Il faut, en outre, que le mouvementait

lieu dansquelque chose, soit l'espace qui est parcouru,soit la qualité qui change de nature ou de degré. Enfin,

il faut qu'il ait lieu durant un certain temps, puisquetout mouvement,quel qu'il soit, doit avoir une certaine

durée. Entre ces trois termes,l'unité de mouvementgé-

nérique et spéciHquene peutse trouver que dans le lieu

ou le mouvementse passe, de mêmeque la continuité du

mouvementne peut être constituéeque par la continuité

du temps. Mais, l'unité absoluedu mouvementne peut

venir quede la réunion des troistermes quenous venons

d'indiquer; il faut que l'objetsoit un, que le lieu soit un,

et que le temps soit un aussi,pour que l'on puisse dire

que le mouvementest un absolument.En enet, ce dans

quoi le mouvementse passedoitêtre un et indivisible;et,

Page 402: La Physique d Aristote

U'AtUSTOTE,LIVREV, CH. Vt. 225

45

par exemple, c'est l'espèce, comme tout à l'heure c'était

la couleur blanche, Il faut, en second lieu, que le moment

où le mouvements'accomplit soit un et identique aussi,

c'est-à-dire que le temps s'écoule sans aucune interrup-

tion. En(h), il faut que l'objet qui est en mouvement soitt

nn comme le temps et le lieu, sans que ce soit indirecte-

ment et par une simple communauté de genre. Ainsi, il

ne doit pas être un indirectement et par accident, comme

lorsqu'on dit que Coriscus et le blanc sont une seule et

même chose; car l'essence du blanc c'est de pouvoir de-

venir noir, et l'essence de Coriscus est de marcher en se

promenant; et si le blanc et Coriscus ne font qu'un, c'est

d'une façorttout indirecte et détournée. L'objet qui est en

mouvement ne doit pas non plus être un par une simple

communauté d'espèce ou de genre; il doit être unpar son

individualité propre, et numériquement. Ainsi, deux

hommes attaqués d'ophthalmie se guérissent en même

temps de la même maladie qui les fait souffrir. Leur

ophthalmie n'est pas cependant une seule et même

ophthalmie, numériquement parlant, puisqu'il y a deux

malades; elle n'a d'unité que sous le rapport de l'espèce.

Maisl'objet aurait beau être un, et l'espèce aussi, il faut

encore que le temps soit un comme l'espèce et l'objet,

pour qu'il y ait unité de mouvement. Supposez,en effet,

que Socrate éprouve un certain changement qui soit un

spécifiquement,mais qu'il l'éprouvedans nutemps autre,

et que chaque fois qu'il l'éprouve ce soit toujours dans

des temps dinérents, il n'y aura plus là d'unité de mou-

vement. Pour que le mouvement éprouvé par Socrate fût

un et le m&me,ilfaudrait admettre qu'une chosedétruite

peut redevenir numériquement une et la même; mais, si

Page 403: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYStQUE226

cela est impossible,comme nous le croyons, le mouve-

ment que Socrate éprouve pourra bien être le même,

mais il n'est plus un.

Uneautre questionfort analogue et qu'on pourrait se

posera la suitedela précédente,c'est de savoirsi lesanec-

tions des chosesont de l'unité comme les mouvements

eux-mêmes et a des conditions pareilles. Prenons, par

exemple,la santé dans un corps bien portant. Comment

pourra-t-on dire que la santé demeure une et identique-

mentlamême, puisqu'il est prouvéque le corps qui la pos-

sèdeest dans un changementet dans un fluxperpétuels?

De plus, si la santé que j'ai ce soir est bien la même que

cellequej'avais ce matin, pourquoi la santé que l'on re-

couvreaprès une longuemaladie,ne serait-ellepasnumé-

riquement une et la même que celle dont on jouissait

avant d'être malade? Il semble que ce qu'on a dit de

l'unité du mouvementpeut s'appliquer également bien à

l'unité d'anection. Il y a cependantcette différenceque,

quand deuxmouvementsse réunissent si parfaitementen

un seul qu'il n'en résulte qu'un mouvement qui est

numériquementun, l'affectionque ce mouvementcause

est nécessairement,une aussi; car ce qui n'est qn'un nu-

mériquementa aussi nn acte numériquement unique.

Maisl'au'ectionpeu~ être une numériquement,sans que

l'acte le soit nécessairementcommeelle. Par exemple,si

l'on s'arrête de marcher, l'actede la marchecesseaussitôt

et il n'y a plus de marche; de même que si l'on se remet

à marcher, il y a marche de nouveau. Mais,grâce à l'in-

terruption, ce n'est plus là un seul et même acte; car, si

c'était un acte unique, il s'ensuivrait qu'une seule et

mêmechose, tout en demeurant une et la même,pour-

Page 404: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE, LIVRE V, CH. ~i. 2-)7

rait tout ensemble périr et renaître plusieurs fois; ce quiest manifestement impossible. Mais ces questions s'é-

loignent trop de notre sujet pour que je les pousse plusloin.

Puisque tout mouvement est continu, il faut, quand le

mouvement est absolument un, dans l'objet mû, dans le

lieu parcouru, dans le temps écoulé, qu'il soit continu

par cela seul qu'il est un car tout mouvement est divi-

sible par cela même qu'il est continu et, étant continu,

réciproquement il est nn. Du reste, il ne faudrait pas

croire, parce que tout mouvement est continu en soi,

qu'un mouvement quelconque puisse être continu à toute

espèce de mouvement pas plus que pour tout autre cas,une chose quelconque ne peut être continueà la premièrechose venue. I) n'y a continuité qu'autant que les extré-

mités peuvent s'unir et se confondre. Or, il y a des choses

qui n'ont pas d'extrémités, et d'autres auxquelles onprêtedes extrémités par simple homonymie, bien que réelle-

ment elles n'en aient pas, ou qui ont des extrémités diiï'6-

rentes. Par exemple, les extrémités d'une ligne et celles

d'une promenade pourraient-elles jamais s'unir et se con-

fondre ?

D'ailleurs, des mouvements qui ne sont semblables ni

en genre ni en espèce peuvent se suivre, sans avoir pourcela rien de continu. Par exemple,un hommecourt, et voilà

un premier mouvement; puis, toutàcoup, il a unaccès de

fièvre, sans que ce second mouvement puisse en rien

s'unir et se confondre avec l'autre. De même, quand onse passe un flambeaude main en main, on peut dire quele mouvement de translation se suit mais on ne peut pasdire qu'il soit continu, parce qu'il y a un intervaHe de

Page 405: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE228

temps,quelque petit qu'on le suppose,a chaque trans-

mission.Ainsi, les choses se suiventet se tiennent parce

que le temps où elles se passent est continu; et, à son

tour, le temps est continu parce que les mouvements le

sont. Enfin, les mouvements eux-mêmessont continus,

quandleurs extrémités se confondenten une seule.

Par conséquent, pour que le mou-vementsoit continu

et un, il faut ces trois conditions qu'il soit le même

en espèce, qu'il soit produit par une seule chose, et

qu'il se passe dans un seul temps.Quand je dis dans un

seul temps, je comprends qu'il n'y .ait point d'arrêt ni

d'immobilité,quellequ'ellesoit, dans l'intervalle; car, si

le mouvementvenait a défaillir unseul instant, ilyaurait

nécessairementun repos. Il y a plusieursmouvements,et

nonplusun seul.la. où il se trouvelemoindreintervallede

repos;et, dès lors, si unmouvementvientêtre interrom-

pu par un temps d'arrêt, ce mouvementcesse d'être un

et continu. Or, il est interrompudu momentqu'il y a le

plus léger temps intermédiaire. Mais, pour un mouve-

mentqui n'est point un et le même sous le rapport,de

l'espèce, il n'y a rien de pareil, lors bien même que le

tempsne présente pas de lacune.Le temps est bien ~n

mais,spécifiquement,lemouvementestautre car, lorsque

le mouvementest un et lemême,il est nécessairementun

aussien espèce; maisil n'y a pas nécessité, quand il est

un en espèce, qu'il soit un d'une manière absolue ni

absolumentcontinu.

Telles sont les conditions requises pour qu'on puisse

dire d'un mouvementqu'il est un seul et même mou-

vement. i

Il y a encore une autre, manièred'entendre 1 unnede

Page 406: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVRE V, CH. VI. 229

mouvement c'est quand un mouvementest complet on

dit alors qu'il est un, soit que d'ailleursil le soit engenre,

en espèceou en substance. Cecidu reste n'estpas spécialau mouvement,et l'idée d'unité s'applique, en ce sens,

à toutes les autres choses. Laqualité d'entier et de com-

plet n'appartient qu'a ce qui est un; ce qui n'empêche

pas, d'ailleurs, qu'on dise d'un mouvementincomplet

qu'il est un, pourvu seulement qu'il soit continu, ainsi

que nousvenonsde levoir. J'ajoute qu'indépendammentde toutes les acceptionsoù l'on peut entendre l'unité du

mouvement,on dit encore d'un mouvementqui est uni-

forme et égal qu'il est un; car un mouvement qui est

inégal ne peut presque point paraître avoir de l'unité,

tandis qu'un mouvement égal paraît biendavantageen

avoir, commele paraît aussi la ligne droite.L'inégal se

divise, en quelque sorte, en plusieurs mouvements,à

cause de son inégalité même. Cependant,le mouvement

uniformeet le mouvementinégalne durèrent,sous le rap-

port de l'unité, que du plus au moins. Du reste, on petitfaire cette distinctiond'égalité et d'inégalité dans toutes

les espècesdemouvements.Si c'est un mouvementd'al-

tération, par exemple,elle peut être égaleou inégale; et

la chose peut être altérée plus ou moinségalement.Si

c'est un déplacementdans l'espace, soit circulairesoit en

ligne droite, l'égalitéet l'inégalité peuvent s'y retrouver

aussi; enfin,cette remarquene s'appliquepasmoinsbien

au mouvementd'accroissementet à celui de destruction.

L'inégalitéde mouvementpeut tenir à deuxcauses, ou

au lieu danslequel se passe lemouvement,ouà lamanière

dont se fait ce mouvementlui-meme.Dansle premier cas,

il est bien impossibleque le mouvementsoitégal sur une

Page 407: La Physique d Aristote

PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE230

étenduequi n'est pas égale. Prenons, par exemple, et com-

paronsle mouvement selon une ligne brisée, ou selonune

spirale, ou selon toute autre étendue où une partie quel-

conquene correspond pas exactementà la partie qu'on a

prise sur une autre ligne pour le trajet du mouvement. 11

est clair que le mouvement, sur la ligne droite, ne pourra

pas être égal au mouvement sur la ligne courbe, puisque

la courbe est nécessairement plus longue que la ligne

droite, et qu'elle n'y correspond pas. Secondement, la

différenced'égalité ne consiste ni dans le lieu parcouru

par le mouvement, ni dans le temps écoulé, ni dans le

but auquel tend le mouvement, mais dans la manière

dont il s'accomplit. Ainsi, le mouvement peut être dis-

tingué selon sa lenteur et sa vitesse; quand la vitesse est

la même, le mouvement est égal; il est inégal quand la

vitesse est différente. D'ailleurs, la vitesse et la lenteur

ne sont ni des espèces de mouvements, ni des différences

qui forment réellement des espèces distinctes; car elles

peuvent se rencontrer indifféremment dans toutes les

espèces de mouvements. La. pesanteur et la légèreté,

causes de la lenteur ou de la vitesse, ne sont pas davan-

tage des espèces ou des diEférences,quand elles se rap-

portent à un seul et mêmeobjet. Ainsi, elles ne sont pas

des espèces et des différences pour la terre par rapport à

elle même, pour le feu par rapport au feu, c'est-à-dire

que la terre est plus ou moins pesante ou légère, sans

cesserd'être de la terre pour cela et ces différences ne

constituent pas des espèces distinctes.

Cependant le mouvement inégal ne laisse pas que

d'être un et identique aussi, parce qu'il est continu; seu-

lement il l'est moins, ainsi que je viens de le dire, et

Page 408: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTK.UVI~KV, CH. VU. 231

ainsi qu'on peut le remarquer dans un mouvement de

translation en ligne brisée comparé à ce même genre de

mouvement en ligne droite; or, le moins suppose tou-

jours un certain mélange du contraire. D'ailleurs, si tout

mouvementne peut être égal ou inégal, les mouvements

qui, didèrant en espècesne peuvent pas se suivre'l'un

Fautre, ne peuventpas former non plus un mouvement

un et continu.Eneffet, commentconcevoirqu'uu mouve-

ment qui serait composé d'altération et de translation

puisseêtre égal?car il faudrait tout d'abord que ces deux

espècesde mouvements, si dissemblables,pussent s'ac-

corder eutr'elles.

Vil.

Aprèsavoirétudié ce que c'est que l'unité de mouve-

ment, il faut savoirce qu'on doit entendre par un mou-

vement contraire à un autre mouvement; et il faudra

aussi expliquerquel est le repos ou l'inertie contraire au

mouvement.

Demandons-nousd'abord si, par mouvementcontraire,

on doit comprendre 1° Que le mouvementqui s'éloigne

d'un certain point est contraireau mouvementqui va vers

ce mêmepoint. Par exemple, le mouvementqui s'éloigne

de la santé, est-il contraire au mouvementqui va vers la

santé? Je remarque, en passant, que c'est de cette ma-

nière que la générationet la destructiondes choses sem-

blent être contrairesl'une à l'autre 2"Oubien, le mouve-

ment contraire est-il celui qui part des contraires? Et,

par exemple, le mouvement qui part de la santé, est-il

contraire à celui qui part de la maladie? 3°Ou bien en-

Page 409: La Physique d Aristote

PAMPHUASEDE LA PHYSIQUE232

core, le mouvementcontraire est-il celui qui, au lieu de

partir descontraires, tend aux contraires? Kt, par exem-

ple, le mouvementqui tend la santé est-il contraire au

mouvementqui tend a la maladie? A"Ou bien, le mouve-

ment qui part du contraire est-il contraire à celui qui tend

vers le contraire? Et ainsi, le mouvement qui s'éloigne de

la santé est-il contraire à celui qui va vers la maladie?

5°Ou bien, eu cinquième et dernier lieu, le mouvement

qui va du contraire à l'autre contraire, est-il contraire a

celui qui va aussi du contraire au contraire? Et, par

exemple, le mouvement qui va de la santé à la maladie,

est-il le contra.irede celui quiva de la maladie à la santé?

Comme il n'y a pas d'autres oppositions possibles que

celles que nous venons de parcourir, il s'en suit que le

mouvement contraire doit être une de ces nuances ou

plusieurs de ces nuances.

Le mouvement qui part du contraire n'est pas con-

traire a celuiquiva.vers le contraire, quatrième alternative

que nous avonsposée, et le mouvement, par exemple, qui

s'éloigne de la. santé, n'est pas contraire à celui qui va

vers ce contraire, et c'est un seul et même mouvement.

Au fond, c'est la même chose mais, rationnellement, la

manière d'être peut sembler un peu différente, parce que

changer en quittant la santé, n'est pas absolument la

même choseque changer en allant vers la maladie. Après

cette nuance, il faut en exclure encore une autre, qui est

la seconde indiquée plus haut. Le mouvement qui s'é-

loigne du contraire n'est pas davantage contraire Acelui

qui s'éloigne de l'autre contraire; car tous les deux par-

tent égalementdu contraire, et vont vers le contraire ou

vers les intermédiaires. Nous reviendrons, du reste, un

Page 410: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, UViΠV, CH. VI!. 23~

peu plus loin, sur cettenuance qui rentreaussi dansla cin-

quième. Mais il sembleque l'opposition des mouvements

doit se caractériser plutôt par le contraire où arrive le

mouvement que par le contraire d'où le mouvement part;car ce dernier repousse, en quelque sorte, la contrariété

dont il se dégage, tandis que l'autre la conquiert et laga-

gne. Donc, tout mouvement se désigne par le but où il

tend, bien plutôt que par le but d'où il s'éloigne; et c'est

ainsi qu'on appelle guérison, le mouvement vers la santé,

et malaise, le mouvementvers la maladie.

A la suite de ces deux nuances: il y en a deuxautres

qui sont la troisième et la cinquième, c'est-à-dire le mou-

vement qui va vers les contraires, et celui qui va vers les

contraires en partant aussi des contraires. Y a-t-il ici le

mouvement contraire que nous cherchons?D'abord, il est

clair que les mouvementsqui vont vers les contraires doi-

vent nécessairement aussipartir descontraires. Maisentre

ces deux nuances, la façon d'être n'est pas tout à fait

identique; et, par exemple,ce qui va vers la santé n'est

pas absolument ce qui s'éloigne de la maladie ni réci-

proquement, ce qui s'éloigne de la santé n'est pas préci-sément la même chose que ce qui va vers la maladie.

C'est qu'il ne faut pas confondre le changement et le

mouvement; et, par mouvement, il faut entendre le chan-

gement d'un certain sujet enun autre sujet, commele pas-

sage (lu blanc au noir. Par suite, il y aura un mouvement

contraire dans la cinquième nuance que nous avons indi-

quée, c'est-à-dire celleoù le mouvementqui va d'un con-

traire au contraire est considéré commecontraire au mou-

vement de ce second contraire au premier et, par exem-

pte, le mouvement qui va de la santé à la maladie est

Page 411: La Physique d Aristote

PARAPHRASAM LA PHYSIQUE2~/t

contraireau mouvementqui va de la maladieà la santé.

L'analyse des din'érentscas qu'on voudrait observer,

pourraitservir à montrerquels sont ici les contrairesvé-

ritables.Mais il suffit d'en indiquer quelques-unspour

qu'onpuisseconcluretousles autres par induction.Ainsi,

dansle mouvementd'altération, devenir maladeest bien

le contrairede recouvrerla santé; être instruit est bien

le contraire d'être trompé, à moins qu'on ne se trompe

soi-même;car c'est bienaller vers des contraires,quoique

d'ailleurs il soit possibled'arriver à la scienceon à l'er-

reur, soit par soi-même, soit par autrui. Et, de même,

dansle mouvementde translation, lemouvementen haut

est le contraire du mouvementen bas, puisquele haut et

le bassont des contrairesdans le sens de la longueur le

mouvementà droite est le contraire du mouvementa

gauche,puisque la droite et la gauchesontdescontraires

dansle sens de la largeur enfin, le dessus est contraire

an dessous, puisque ce sont des contraires en profon-

deur.

Quantà la troisièmenuance, celleoù l'on indique seu-

lementque le mouvementva vers les contraires,ce n'est

pas, à vrai dire, un mouvement; c'est bien plutôt un

changement,et, par exemple,devenir blanc, sans qu'on

indiqueque ce soit en partant d'un autre état. Dans les

casoù il n'y a pas de contraires, ce n'est plus un mouve-

ment, puisque tout mouvement supposenécessairement

des contraires. Maisle changement qui part du même

point est contraire au changementqui va vers ce même

point.Ainsi, la générationest le contraire de la destruc-

tion,bienque toutes les deux soientdes changementset

nondes mouvements et la perte est le contrairede l'ac-

Page 412: La Physique d Aristote

D'AmSTOTE, LIVREV, CH. V)! 235

quisition. Mais,je le répète, ce ne sont pas 1~de vérita-

bles mouvements;ce ne sont que des changements.

Du reste, quand je dis que le mouvement se passe

toujours entre des contraires, je comprends aussi les

mouvementsqui vont vers des intermédiaires car les

intermédiairesjouent le rôle de contraires, et ]e mou-

vement les prend comme tels, quel que soit celui des

contrairesvers lequel il se dirige,ou duquel il s'éloigne.

Ainsi, l'objet passe du gris au Manc,commeil y passe-rait du noir; et il passedu blanc au gris, comme il pas-serait au noir tout aussi bien et, réciproquement, il

passe du noir au gris, commeil passeraitau blanc, parce

que le gris, qui est l'intermédiaire,se rapported'une cer-

taine manièreà l'un et à l'autre des extrêmes,ainsi que

je l'ai expliquédéjà.plus d'une fois.

Donc,on doit entendre qu'un mouvementest contraire

à un autre mouvement,quand ce mouvementpart d'un

contraire pour aller à son contraire, et que le second

mouvementpart de ce second contraire pour aller à

l'autre. C'estla cinquième nuanceindiquée un peu plushaut.

vm.

Après avoir vu comment le mouvement est contraire

au mouvement, il faut examiner, en outre, comment le re-

pos est contraire au mouvement et ce sujet vaut égale-ment la peine d'être éclairci. Absolumentpariant, c'est

le mouvement qui est le contraire du mouvement; mais

le repos aussi y est oppose. Seulement, le repos est une

privation: mais la privation peut bien, à certains égards,

Page 413: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE236

passer aussi pourun contraire. Quels sontdonc le mou-

vementet le reposqui sont opposésl'un à l'autre?Est-ce,

par exemple,le repos dans l'espace qui est opposé au

mouvementdans l'espace? Certainement; car il faut,

pourêtre opposés,que le repos et. le mouvementsoient

dansle mêmegenre. Maiscette expressionest trop géné-

rale, il en faut une plus précise car on cherchesi à un

reposdans tel état, c'est le mouvementpartantde cet état

quiest opposé,ou bien si c'est lemouvementallant vers ce

même état. Or, comme le mouvementsupposetoujours

deuxtermes, l'un d'où il part, et l'autre où il aboutit, le

repos, dans tel état, est opposé au mouvementqui part

decet état pouraller à l'état contraire; et le repos dans

l'état contraireest opposé au mouvement qui part du

contraire, pourarriver a cet état.

Mais,en outre, deuxrepospeuvent être contrairesaussi

l'un à l'autre; car il serait absurde que les mouvements

fussentcontrairesentr'eux.etque les reposopposésa ces

mouvementsne le fussent pas commeeux.Lesrepos con-

traires l'un à l'autre sont les reposdans lescontraires; et,

par exemple,le repos dans la santé est contraireau repos

dansla maladie,de mêmequ'il est opposéau mouvement

qui va de la santé à la maladie; car il serait absurde qu'il

fût opposé au mouvement qui va de la maladievers la

santé. Le mouvementvers l'état où il y a temps d'arrêt,

est plutôt unetendance au repos et cet état peut parfai-

tementcoexisteravec le mouvement,qui se confondpres-

queavec lui. Maisil faut nécessairementque l'opposé du1I

repos soit un de ces deux mouvements,ou celui qui va

de la maladie à la s;u)té, ou de la santé a la maladie,

c'csL-a-dircdos mouvementsqui soient dans le même

Page 414: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTE,LIVRE V, CH. VIII. 2S7

genre; car, dans des genres différents,l'oppositionn'est

plus possible, puisquele repos dans la. blancheur, par

exemple, ne peut pas être l'opposé du repos dans la

santé.

La, où il n'y a pas de contraires, il y a. changementainsi que nous l'avons vu il n'y a pas, à vrai dire, de

mouvement.Maisle changement partant de tel état est

opposéan changementqui va vers ce mêmeétat. Tel est,

par exemple, le changementqui va de l'être vers le non-

être, et qui est opposéau changementqui va du non-être

à l'être. Dans le casoù il n'y a pa.sde mouvement,parce

qu'il n'y a pas decontraires, on doit dire qu'il y a im-

muabilité plutôt que repos. Si le non-être ~tait quelquechose,l'immuabilité dans t'être serait contraire à l'im-

muabi!itédans le non-être.Mais,commele non-être n'est

pas quelque chose,ainsi que son nom seul l'indique, on

peut se demander à quoi est contraire l'immuabilité dans

l'être, et si on doitla considérercommedu repos.Si, par

hasard, elle est du repos, alors il faut admettre ou quetout repos n'a pas pour contraireun mouvement,ou bien

que la génération et la destructionsont aussi des mouve-

ments,et ne sont pas de simpleschangements.Il est donc

clair qu'on ne peut pas voir dn repos dans cette immua-

bilité, à moins qu'on ne veuille changer aussi du même

coupla nature de la générationet de la destruction. Mais

il faut se borner à dire que cette immuabilitéa quelquechosequi ressemble au repos. Ainsidonc, ou cette im-

muabilité n'est contraire à rien, ou si elle est contraire

à quelquechose, elledoit l'être, soit à l'immuabilité dans

le non-être, soit à.la destruction mais elle ne peut pasêtre contraire a ).i destruction, puisque la destruction

Page 415: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~38

s'éloigne de cette immuabilité,de mêmeque la généra-tion y tend et y va.

IX,

Je passe à un autre ordre de questions sur l'oppositiondes mouvements~et je vais m'occuper des mouvements

qui sont contraires les uns aux autres en ce sens que les

uns sont naturels, et les autres forcés et contre nature.

Mais, d'abord, je demande pourquoi, cette oppositionétant manifestepour les mouvements ou changements et

repos qui ont lieu dans l'espace, elle semble ne plus

exister dans les autres espèces de changements. Ainsi, il

ne semble pas qu'il y ait, en fait d'altération, une altéra-

tion naturelle et une altération contre nature; car la

santé, par exemple, ne paraît pas être plus selon la. na-

ture que la maladie; la blancheur n'est pas plus natu-

relle que la couleur contraire; l'accroissement n'est ni

plus ni moins naturel que le dépérissement. Aucun de

ces changements ne sont contraires les uns aux autres,

en ce sens que ceux-ci seraient contre nature et ceux-là

naturels, pas plus que l'accroissement n'est à cet égard

contraire à l'accroissement, pas plus que la génération

n'est coutre la nature ou selon la nature plutôt que la

destruction. Toutes deux sont également naturelles; car

il n'y a rien de plus conformeà la nature que de vieillir;

et on ne voit pas, dans le cercle même de la génération,

que l'une soit naturelle tandis que l'autre serait contre

nature. Maisici l'oppositionest bien réelle; car ce qui se

fait par force est contraire à la nature; et, par exemple,

la (lesH'nctionviolente sera, comme étant contre na.tnre.

Page 416: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVREV, CH. i~. 239

contraireà la destruction naturelle.Hy a également des

générationsqui ont lieu par force,et qui ne sont pas fata-lement régulières. On pourra donc dire que celles-làsont contraires aux générations naturelles. Hy a aussides accroissements violents, commeil y a des destruc-tions violentes; par exemple,les accroissementsirrégu-liers de ces corps auxquels la voluptédonne une pubertéprécoce,ou les développementsprématurés de ces fro-

mentsqu'on cultivede certaine manière,et dont l'épi estfort sans qu'ils aient de profondesracines dans le sol.Maispeut-on étendre ceci aux mouvementsd'altération?̀t

Et, parmiles altérations, peut-ondistinguerles unes quisont violentes et les autres qui sont naturelles? Par

exemple,tels maladesne sont pas guéris dans les jourscritiquesoù l'on attendait la guérison,et tels autres sont

guéris ces jours-là, comme on l'avait prévu. Dira-t-on

que ceux qui sont guéris hors desjours critiques, su-

bissent une altération contre nature, et que les autressont altérés naturellement?

Uneconséquenceà noter, c'est que, dans cette hypo-thèse, les destructions seront contraires les unes aux

autres, selon que les unes serontnaturelles et les autres

violentes,et qu'elles ne le seront pas seulement aux gé-nérations.Maisoù serait, en ceci,ladiniculté?Et ne peut-on pas dire déjà que telle destruction est contraire à

telle autre, en ce que l'une peut être agréable, et l'autreêtre pénible?Par conséquent, onne peut pas dire que la

destruction est contraireà la destructiond'une manière

absolue,c'est-à-dire en tant que destruction; mais elle

l'est simplementen tant que l'une des deux destructions

Page 417: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE2AO

est de telle manière, tandis que L'autreest d'une manière

différente.

Ainsidonc, en gênera, les mouvementset les repos

sont contrairesde la façonqui vient d'être expliquée.Le

mouvement est contraire d'abord au mouvement; car,

par exemple,le mouvementenhaut est contraire au mou-

vement en bas; et ce sont la des oppositionsde lieux

contraires l'un à l'antre. Le feu, quand il suit sa ten-

dance naturelle, se porte en haut, de même que la terre

se porte en bas. Les tendances naturelles de la terre et

du feusont donccontraires, puisquenaturellementle feu

ne va qu'en haut, et que s'il va enbasc'est contrenature;

son mouvement naturel est contraire a son mouvement

forcé et violent. Ce que je dis ici du mouvement s'ap-

pliquetout aussi bien au repos. Ainsi,le repos en haut

est contraire au mouvementde haut en bas; et ce repos

en haut serait pour la terre un repos contrenature,

puisque son mouvementnaturel est au contraire de haut

en bas. Par conséquent, le repos contre nature est con-

traire, pour un même objet, au mouvement naturel,

puisque les mouvementsde ce mêmeobjetsontcontraires

aussi, l'un des deux, soit en haut soit en bas, étant con-

forme aux lois naturelles, et l'autre étant absolument

contrenature.

Mais,peut-on dire que le repos, toutes les fois qu'il

n'est pas éternel, puisse être produitarbitrairement? Et

ce repos, créé artificiellement,doit-il se confondreavec

le temps d'arrêt du corps ainsi pousseà un état contre

nature? Il faut certainementadmettreque ce repos peut

6tre produit, contre nature et forcément,pour un corps

Page 418: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE,UVKE V, CH. IX. 2~1

qui s'arrête par exemple,pour la terre quand elle s'ar-rête en haut. Si ]a terre reste en haut, c'est qu'elle y aété portée violemment,et que la mêmeviolencel'y main-tient, puisque,naturellement, elle serait portée en bas.

Mais,le corps qui s'est arrêté dans son lieu naturel y est

porté d'un mouvementde plus en plus rapideà mesure

qu'il s'en approche davantage, tandis que le corps quisubit tm mouvementforcé et contre nature présente un

phénomène tout différent,et que sa coursese ralentit àmesure qu'elle se prolonge. Le corps s'arrête sans être

précisémentenrepos, ou du moinsdans un repos natu-rel car, s'arrêter véritablementpour un corpset être en

repos, c'est être arrivé à son lieuspécial, où sa course le

dirige; ou si cen'est pas absolumentla rn~mechose,l'un

de ces phénomènes,du moins,ne peut jamaisse produirequ'avec l'autre. Uncorps n'est en repos que daussonlieu

naturel; et, quand il est dans son lieu naturel, il de-meure en repos.

Pour se rendre bien compte de l'oppositiondu mou-vement et du repos, on peut se demander si c'est le

repos en un certain point, qui est contraireau mouve-ment s'éloignant de ce même point. En effet,quand le

corps est mis en mouvementpour sortir de tel état on

perdre un état antérieur, ce n'est pas instantanément

qu'il en sort, et il semble garder quelque temps encorel'état qu'il quitte avant de l'avoir tout à fait perdu. Sic'est le même repos qui est contraire au mouvement

parti de cet état pour aller à l'état contraire, il s'ensuit

que les deuxcontrairesse trouverontsimultanémentdansun seul et même objet; et, par exemple, un mêmehomme aurait à la fois et le repos dans la santé, et le

~)6

Page 419: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE242

mouvementqui s'éloignede la santé pour aller à la ma-

ladie.Or, c'est la.chose impossible.Mais,à ce doute, ne

peut-on pas répondre que cette simultanéité des con-

trairesest possible ici dans unecertainemesure? Lecorps

qui est en mouvementn'est-il pas aussi en partie en

repos, bien qu'il ne s'arrête définitivementque plus

tard? En d'autres termes, le corpsqui changen'est-il pas

tout à la ibis, et en partie ce qu'il était, et en partie ce

qu'il devient, ou ce en quoi il change?C'est là ce qui fait

quele mouvementest plus contraire au mouvement que

ne l'est le repos, parce que dans le mouvement il y a

encorequelque chose du reposet de l'état d'où le corps

s'éloigne.

Enfin,je pose une dernière questionen ce qui regarde

lerepos c'est de savoirsi tous les mouvementsqui sont

contrenature ont aussi un reposqui leursoit directement

opposé.Si l'on soutenaitqu'il n'y a.pas de repos opposés

auxmouvementscontre nature, ce serait une erreur évi-

dente car on voitbien des corpsqui restent en place, et

qui y sont tenns contre leur tendance naturelle. !I fau-

drait donc en conclureque ce repos, qui cependant n'est

pas éternel, est sans cause; mais il est clair, au con-

traire, qu'il y aura des repos contrenature, de même

qu'il y a des mouvementscontre nature. Nous avons re-

marqué plus haut qu'il y a, pour le même corps, des

mouvementsnaturels et des mouvementscontre nature

ainsi, le mouvementnaturel du l'euest d'aller en haut, et

sonmouvementforcéc'est d'aller en bas et nous nous

sommesdemandé si c'est ce secondmouvement qui est

contraire au premier, ou bien si c'est le mouvementdela

terre, qui, natureHement. est portée en bas. Les deux

Page 420: La Physique d Aristote

D'~msTO'rE, uvm'; VI, en. 1. 2/tS

mouvementssont contraires l'un et l'autre, onle voitsanspeine: mais ils ne sont pas contrairesde la même façon,puisque, d'une part, c'est un mouvementnaturel, qui estopposéà un mouvementnaturel, tandisque d'autre partc'est un mouvementnaturel, qui est opposéà un mouve-ment contre nature; et, pour le feu, par exemple,c'estle mouvementen bas, qui est contraireau mouvementenhaut. Ceque je viensde dire du mouvement s'appliqueau repos; et, dans les repos, il faut distinguer ceux quiisont contraires les uns aux autres, d'après les nuancesqui viennentd'être indiquées.

Voi~ ce que j'avais à exposer sur le mouvementet lerepos, pour bien fairecomprendre ce que c'est que leurunité respective, et comment ils peuvent être opposésl'un à l'autre.

LtVRE Vf.

DELAf)[V)S)BtL!TÉ))tJMOUVEMENT.

I.

Je veuxmaintenant étudier la divisibilitédu mouve-ment et les parties dont il se compose;mais, pour quecette étudesoit aussi complèteque possible,il faut rap-peler d'abord quelquesdéfinitionsdonnéesplus haut surla continuité, le contactet la consécntiondes choses.

Page 421: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3/)A

Nousavonsnommé continusles corps dont les extré-

mitéssont réunieset confonduesen une seule contigus,

ceux dont les extrémités, sans être confondues, sont

néanmoinsdans lemême lieu, et enfin consécutifs,ceux

entre lesquels il n'y a rien d'homogène qui soit inter-

posé.De ces définitions, il résulte qu'il n'est pas pos-

sibleque jamais le continu soit composéd'indivisibles;

et, par exemple,il ne se peut pas que la ligne soit com-

posée de points, comme on le dit quelquefois,attendu

que la ligne est continue, et que le point est absolument

indivisible.Biendes raisonsle démontrent; car, d'abord,

lesextrémitésdes points ne peuvent pas se réunir pour

formerun continu, puisque l'indivisible, comme est le

point, ne peut pas avoir d'extrémités ni de parties. En

secondlieu, on ne peut pas dire davantageque les extré-

mitésdes points sont ensembledans un mêmelieu et que

les points sont contigus; car, ce qui n'a pas de parties,

en tant qu'indivisible, n'a.pas non plus d'extrémités, et il

fautbien distinguer l'extrémité d'une chose de la chose

mêmequia cette extrémité.

!) est donc évident que les pointsdevraientêtre con-

tinus, on tout au moinscontigus, pour formerun continu

véritable; et cette observation,qui s'appliqueaux points,

s'appliqueégalementà tousles indivisiblesde quelqu'es"

pècequ'ils soient.Or, lespoints ne sont pascontinus par

la raison qu'on vient de dire, à savoir que leurs extré-

mitésne se confondentpas en une. Mais,de plus, ils ne

sont pas contigus entr'eux car, les choses qui se

touchent ne peuvent se toucher que d'une de ces trois

façons ou du tout au tout, on de la partie à la partie,

ou de )a partieau tout. Mais, l'indivisible étant sans

Page 422: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTH.LiVRHV!. <:H. 1. 2~5

partie, il ne pourraittoucher un indivisibleque dela pre-mière façon,c'est-à-dire du tout au tout. Les pointssetoucheraientdonc du tout au tout.Maisil ne suffitpas detoucher ainsi du tout au tout pour former un continu,puisque le continu a toujours des parties distinctes,etqu'il est toujours divisible en parties qui différentcntr'ettes et sontséparéestout anmoinspar le lieuqu'ellesoccupent.Enfin,le pointne peut pas plus suivre un autrepoint, qu'il ne peut lui être continuou contigu.

C'est de mêmequel'instant ne suit pas l'instant; et letemps ne se formepas plus d'instants successifs que lalongueur de la ligne ne se formede points à la suite lesunsdes autres. Pourque deux choses se suivent, il fautqu'il n'y ait rienentr'ellesd'homogène et, pour lespoints,it y a toujours la ligne entr'eux, de même que le tempsest toujours interposéentre les instants. Si les points etles instants formaientdes continus,il faudrait que cescontinus pussent se diviser en indivisibles, puisquechaque chose se divise dans les éléments dont elle se

compose mais on vient de voir qu'il n'y a pas de con-tinus qui puissent se partager en éléments dénués departies. D'ailleurs, il n'est pas possibleque, soit entreles points, soit entre les instants, il y ait quelqu'in-termédiaire d'un genre différent; car cet intermédiaireserait ou divisible ou indivisible; si divisible, il se divi-serait en indivisibles,ou en éléments toujours divisibles,et c'est là précisémentle continu; si indivisible,il y a lesmêmesobjectionsquecontre )a continuitédes points, dontnousvenonsde parler.

Par suite, il est évidentque tout continu est divisibleen éléments qui sont eux-mêmesindéfinimentdivisibles.;

Page 423: La Physique d Aristote

PAHAPHKASEDU LA PHYSIQUE2&6

car, s'il sedivisaiten indivisibles,l'indivisiblealorspour-

rait toucher l'indivisible,puisque, dans les continus, les

extrémitésse réunissentet se confondent.Donc,et par la

mêmeraison, la longueur, ou, d'une manièreplus géné-

rale, la grandeur, le tempset le mouvementdoivent tous

les trois, ou se composerd'indivisibleset se diviser en

indivisibles,ou bien ni la grandeur, ni le temps, ni le

mouvementne peuventse composerd'indivisiblescomme

onle prétend et voicila preuve quej'en donne.

Si la grandeur se composed'indivisibles,il faut aussi

que le mouvementqui parcourt cette grandeur se com-

pose de mouvementségaux, indivisiblescommeles indi-

visiblesdela grandeur. Soit la ligneparcourue ABC,qui

se composedes trois indivisiblesA,B, C. Lemouvement

DEF, suivantlequel le mobile0 est supposé parcourir la

longueurABC,doit avoirchacunede ses parties corres-

pondantesD, E, F, indivisiblescommeles parties mêmes

de la longueur. Si donc,quand il y a un mouvement,il

faut nécessairementquequelque corpsréel se meuve, et

que réciproquementquand un corpsse meut, il faillenon

moins nécessairementqu'il y ait mouvement,il s'ensuit

que la. lignesuivant laquellele mouvementa lieu se com-

posera d'indivisibles,tout aussi bien que le mouvement

lui-même.Par exemple,le mobile0 parcourt la.portionA

en faisant le mouvementD; il parcourt la portion B en

faisant le mouvementE,et, enfin,la portionC, en faisant

le mouvementF.

Mais, si ces portions sont indivisibles, comme on le

prétend, voiciles conséquencesinsoutenablesqui se pro-

duisent. Detoute nécessité,un mobileallant d'un point à

un autre nepeut pas, dans un seul et même instant, se

Page 424: La Physique d Aristote

n'AR!STOT)- UV!U: VL (:H. 1. 2A7

mouvoiret avoir été mu sur le point mêmeoù il était enmouvementquand il y était. Par exemple, si quelqu'unva à Thèbes,il est bienimpossibleque ce soit en même

temps qu'il y aiïïe et qu'il y soit allé. Maison a supposéque lemobile0 parcourait dans son mouvementla lon-gueur Aqui est indivisible,et à laquelle correspondunmouvementD, qui est indivisiMnélément. Par consé-quent, si le mobile0 parcourt d'abord la longueurA,etsi ce n'est que plus tard qu'il l'a parcourue, cette lon-gueur doitêtre nécessairement divisible;car, lorsque lemobile la parcourt, il n'est pas en repos, et il ne l'a pasencore tout à fait parcourue, puisqu'il est en train delaparcourir.Que si l'on dit, par hasard, qu'il la parcourten même temps qu'il l'a parcourue, il en résiste cetteabsurdité que le corps qui va quelquepart y est déjàarrivé quand il y va, et qu'il aura déjà atteint, dans sonmouvement,le point mêmevers lequelil tend.

D'unautre côté. si, pouréchappera cette difncuité,onprétend quedans sonmouvementle corps0 parcourt laligne entièreABC,selonle mouvementDEF, et qu'it n'apas de mouvementdans la longueur A,qui est dénuéedeparties, mais qu'il en a eu, il s'ensuit alors que le mou-vementtotal ne se composeplus de mouvementspartiels,mais delimites de mouvements.Il s'ensuitencore qu'unechosequin'a pas en de mouvementaura eu cependant unmouvement, ce qui est contradictoire; car on supposeque le mobile 0 a parcouru la longueurAsans la par-courir et, ainsi, voilà un corps qui aura marché sansêtre jamais en marche, et qui aura fait telle route sansjamais faire cette même route. Autre absurdité nonmoinsforte.Tout corpsdoit être nécessairementen repos

Page 425: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE2/18

cmen mouvement mais on suppose ici qu'il est en repns

sur les points successifs A, B, (!; il sera donc tout à la

fois, d'une manière continue, et en repos et en mouve-

ment, puisqu'on prétend qu'il se meut suivant la lon-

gueur entière ABC, tout en le supposant en repos dans

chaque partie. Donc, aussi, il doit être en repos sur la.

longueur entière, puisqu'on le suppose en repos dans

chacune des portions. Enfin, si les indivisibles du mou-

vement DEF sont eux-mêmes des mouvements, il s'ensuit

que, même quand il y a mouvement, le corps pourrait

n'être pas mu, mais être en repos et si l'on nie que ces

indivisibles soient des mouvements, alors le mouvement

ne se compose plus de mouvements; dans ce cas, de quoi

se compose-t-ildonc?

Ainsi, ni la longueur ni le mouvement ne se composent

d'indivisibles; mais, s'ils étaient indivisibles, il faudrait

nécessairement que le temps le fût comme eux, et alors il

se composeraitd'instants indivisibles. Maisil n'enest rien;

et ces trois quantités, la longueur parcourue, le mouve-

ment qui la parcourt, et le temps pendant lequel le mou-

vement s'accomplit, sont dans les mêmes conditions; car,

si tout mouvement est divisible, et si toujours un corps

doué d'une égale vitesse parcourt moins d'espace en

moins de temps, le temps est divisible tout aussibien que

le mouvement: et, réciproquement, le mouvement et le

temps étant divisibles, la longueur parcourue le sera

commeeux par exemple, la longueur sera divisible, si le

temps dans lequel un corps la parcourt est lui-même

divisible.

De ces considérations, on peut tirer la loi suivante,

qui s'appuie sur ce principe que tonte grandeur se com-

Page 426: La Physique d Aristote

D'AR!STOTH. L!VRM,V!, C.H. 1. 9~

pose de grandeurs, puisqu'il a été démontré que tout con-tinu se composede divisibles, et que toute grandeur estcontinue à savoir qu'un corps doué d'une vitesse plusgrande qu'un autre corps, parcourt plus d'espace en un

temps égal, qu'il en parcourt autant dans un tempsmoindre, et même que, dans ce moindre temps, il peutparcourir plus d'espace que tel autre corps qui auraitmoins de vitesse que lui. Maiscomme ces trois proposi-tions sont importantes, je les prouve l'une après l'autre.

D'abord, un corps qui a plus de vitesse parcourt ph~sd'espace en un tempségal. Supposons que le corps Aest

plus rapide que le corps B. Commele corps le plus ra-

pide est celui qui accomplit sonchangement avant t'autrc,A change de C en D dans le temps FG mais, dans lemême temps, B qui est moins rapide n'en est pas encoreà D, et il est en arrière et c'est ainsi que j'entends quele corps le plus rapide a parcouru plus d'espace en un

temps éga). J'ajoute que non-seulement il pourra parcou-rir plus d'espace dans un temps éga) mais il le pourramêmedans un tempsmoindre, ce qui est ma troisième pro-position. Par exemple, dans le temps qu'il faut à A pourvenir en D, n qui est plus lent ne va qu'en E, CEétant

plus petit que CD.Or, A va en t) pendant le temps FG;il sera donc en H seutement pour un temps moindre,CH étant plus petit que CD. Ce temps moindre est FImais CI, qu'a parcouru A,est plus grand que CEparcouru

par B; et le temps FI est moindre que le temps total FG.

Donc, en un temps moindre, le corps a parcouru plus

d'espace, parce qu'il avait relativement plus de vitesse.

Enfin, etc'etaitmaseconde proposition, le corps leplus

rapide peut parcourir un espace égai en un temps plus

Page 427: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDR LA PHYStQt~250

petit. D'abord, il vient d'être démontréquece corps par-

court une ligne plus longue dansun tempsmoindrequ'il

n'en faut à un corps dont le mouvementest pluslent ce

qui n'empêchepas que, pris enlui-mêmeet sans compa-

raisonà un corpsplus lent, il ne lui faille toujoursplus

de tempspour parcourir une ligneplus longue,que pour

parcourir une ligne plus petite et ainsi, le tempsPR qui

lui est nécessairepour parcourir la ligne LMplusgrande,

est plus grand que le temps PSqu'il lui faut pour par-courir la ligne LX, qui est plus petite. Si donc,le temps

PR est plus petit que le temps PQ, pendant lequel le

corpsplus lent parcourt LX. le temps PSsera anssi plus

petit que PQ car ilest plus petit que PR et un troisième

terme plus petit qn'un secondqui est plus petit que le

premier, est aussi lui -mêmeplus petit que le premier.

Donc, le corps aura parcouru, dans son mouvement,un

espace égal durant un temps moindre.

A cette démonstration,je puis en joindreune autre, et

la voici Tout mouvementcomparéà un autre, doit né-

cessairement se passer ou dans un temps égal, ou dans

un temps plus petit, ou dans un tempsplus grand. Donc,

le mouvementauquel il faudra plus de temps, sera aussi

plus lent; celui à qui il faudra un temps égal, aura une

égalevitesse..Maisle mouvementplus rapiden'est ni égalen vitesse,ni plus lent; et, comme le plus rapidene se

meut, ni dans un tempségal, ni dans un tempsplus long,il reste qu'il se meuve dans un temps moindre.Donc,

par conséquent, le corps plus rapide parcourt, en un

temps moindre, un égal espace; et c'est ce que nous

avons déjà démontré. Pouren finirsur ce point, on peutdire encore que tout mouvement, se passant toujours

Page 428: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTË,LIVRE Vi, CH. 25)f.

dansle temps et pouvantdurer une période quelconquede temps, il s'en suit que tout corps en mouvementpeutavoirplus ou moinsde rapidité, c'est-à-dire qu'il peut yavoir,dans toute périodede temps, un mouvementplusoumoinsrapide.

De toutes les considérationsqui précèdent, il résulte

quele temps est continucommela grandeur et commele

mouvement.Or, j'entendspar continuce qui est divisible

en parties indéfinimentdivisibles et je dis que c'est en

ce sensque le tempsest de toute nécessitédivisibleaussi.

Eneffet, nous avonsdit que le corps le plus rapide par-court un espace égal en un temps moindre. Soit A le

corpsqui a un mouvementplus rapide, et B, le corpsquia nn mouvement plus lent, et qui parcourt la gran-deur CD dans le tempsFG. Le corps plus rapide par-courra cette même longueurdans un temps plus court,

quenousreprésenteronspar FH, plus petit que FG. Mais

le plus rapide parcourant dans le temps FH toute la

ligneCD,il est clairque,pendant ce mêmetemps, le corps

qui a le mouvementle plus lent, ne parcourra qu'unmoindreespace représentépar CI, plus petit que CD;

c'est-à-direque B, dans le temps FH, n'aura parcouru

que CI, que le plus rapide, à son tour, aura parcouruaussien moins de temps.Ainsi, le tempsFH sera divisé

de nouveau, et la ligne CI sera diviséesuivant la même

raison.Si donc la grandeurest divisible, le temps le sera

commeelle et cette divisionréciproque n'aura point de

termeen allant toujoursdu plus rapide au plus lent, et

du plus lent au plusrapide. On suivra la démonstration

quivientd'être donnéeaussi loin qu'on voudra. La réci-

proqueétant toujoursvraie de l'un l'autre, on pourra

Page 429: La Physique d Aristote

PARAPHRASE!)H LA PHYStQ!JKM~

toujours y recourir; et le temps, par conséquent, est con-

tinu, puisqu'il est divisible à l'infini.

H n'est pas moins évident que le temps étant divisible

indéfiniment, c'est-à-dire continu, toute grandeur est di-

visible et continue comme lui, puisque ]e temps et la

grandeur admettent les mêmes divisions, ou pour mieuxdire des divisions égaies. Sans même employer de dé-

monstrations en forme, on peut se convaincre, rien qu'aprendre les opinions et le langage ordinaires, que le

temps étant continu, la grandeur doit l'être comme lui.

Ainsi, l'on entend dire à tout moment que, dans !a moitiédu temps, on fait la moitié du chemin, et d'une manière

généra)e qu'en moins de temps on parcourt moins d'es-

pace. On pense donc que les divisions de la grandeur et

celles du temps sont les mêmes. Par conséquent, si l'un

des deux est infini, l'autre l'est également; et l'un est in-

fini de la même façon que l'autre. Par exemple, si le

temps est infini à ses extrémités, c'est-à-dire s'il n'a ni

commencementni fin, la grandeur l'est pareillement aux

siennes. Si, d'autre part, le temps est infini en ce sens

qu'il est indéfiniment divisible, la grandeur est infinie

aussi en ce même sens; et si le temps est infini sons ces

deux rapports, la grandeur est également infinie de ces

deux manières.

On peut tirer de la une preuve décisive contre le sys-tème de Zénon, qui nie le mouvement, sous prétexte que,dans un temps fini, il est impossible de parcourir et de

toucher successivement les points en nombre infini quiforment la longueur. Zénon oublie ici une distinction im-

portante. Quand on dit, en effet, que le temps et la lon-

~ueur sont infinis, ou plus généralement que tout continu

Page 430: La Physique d Aristote

D'ARiSTOT~ UVtΠVI, CH. 1. 25:~*1

est infini,cette expressiona deux sens, selon que l'on en-teud parier, ou de' !a division des continus, on de leursextrémités. La division ne donne qu'un infini en puis-sance mais, sous le rapport des extrémités, l'infini seréalise. Par conséquent, il est bien impossible, pour lesinfinis de quantité, de toucher dans nn temps fini des

points en nombre infini, comme le dit Zénon; mais onle peut pour l'infini de division, qui n'est qu'une simplepossibilité. En ce sens, le temps lui-même est infinicommela grandeur, puisqu'il est toujours comme elle in-définiment divisible. Donc, on ne peut parcourir l'infinide quantité que dans un temps infini on ne le peut dansun temps fini; et on ne peut toucher des infinis que pardes infinis, et non par des finis.Mais il faut bien savoir

qu'il s'agit alors d'infinis réels en quantité, et non passeulement d'une divisibilité à l'infini, laquelle est pure-ment rationnelle.

Il n'est donc pas possible de parcourir une grandeurinfiniedans un temps fini, pas pins qu'il ne faut un tempsinfini pour parcourir une grandeur finie. En d'autres

termes, le temps et la grandeur se suivent si le tempsest infini, il faut que la grandeur soit infinie commeluisi c'est la grandeur qui est infinie, il faut que le temps lesoit comme elle. Soit en effetune grandeur finie AB, etle temps infiniC, sur lequelnous prenons une portion CD,qui représente un temps fini.Dans cet intervalle de tempsfini, le mobile parcourt une partie de la grandeur, quenous représentons par BE. Mn'importe pas d'ailleurs quecette portion BE mesure exactement la longueur AH, oubien que, prise un certain nombrede fois, elle forme untotal plus grand ou plus petit que AH. Supposons qu'elle

Page 431: La Physique d Aristote

FAKAPHRASKDE LA PHYSfQUE

mesureexactementcettegrandeur.Commedansun tempségal le mobile parcourt toujours une 'partie égaleà BE,

et queBE mesureexactementla grandeur totale,le tempsentier dans lequelle mobilel'a parcourue, seranécessai-

rement fini car il sera divisé en parties égaleset finies,commel'est la grandeur ABelle-même.

Onpeut donnerde ceciune démonstrationun peu dif-férente. 11est clair que l'on n'a pas besoin d'un tempsinfini pour parcourir une grandeur quelconque,et, par

exemple,une grandeur finie mais c'est dans un tempsfini qu'on parcourt toujours une partie de cette gran-deur. Soit cette partie BE, et qu'elle soit supposée me-surer exactement la grandeur totale; rappelons-nous,en

outre, que dans un temps égal on parcourt un espaceégal, quand la vitesse est la même.Donc le tempsdoit

être fini, tout aussi bien que la grandeur et il n'est pasbesoinque le temps soit infinipourparcourir BE,puisquele temps,commençantavecle mouvementdu mobile,doit

être fini dans un de ses deuxsens. Maisdu momentqu'ilest finidans un sens, il doit l'être aussi dans l'autre; car

le mobile peut parcourir une partie moindre dans un

tempsmoindre, et alors le tempsest fini dansce second

sens,comme il l'était déjà dans l'autre. II a un commence-

mentet il a une fin; par conséquent,il est fini dans les

deuxsens, et il n'est plus du tout infini,commeon le pré-tendait.

On ferait une démonstration,qui, a l'inverse, serait

analogue à celle-ci,en supposantque c'est la grandeur

qui est infinie,et que c'est le temps,au contraire, qui est

fini.Du moment que le tempsserait fini, il faudrait né-

cessairement que la grandeur fût finiecommele temps

Page 432: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, UVRE VI, CH. i. 255

même; et la grandeur parcourue dans un temps fini ne

peut pas plus être infinie que le temps lui-même ne peutêtre infini, quand la grandeur parcourue est finie.

A toutes ces démonstrations, j'en ajoute une dernière

pour établir que ni la ligne, ni la surface, ni, en un mot,aucun continu n'est indivisible; et cette démonstration, jela tire de cette conclusion absurde à laquelle on arrive

forcément, en soutenant cette théorie, à savoir que l'in-

divisible serait divise. En effet, comme on peut toujoursdans toute partie du temps supposer un mouvementplus

rapide ou un mouvement plus lent, et que le plus rapideparcourt plus d'espace dans un tempségal, supposonsquele corps plus rapide parcourt deuxfois lalongueur, ou plu-tôt une foiset demie la longueur, que parcourt leplus lent;car ce peut être la le rapport des vitesses. Que la grandeur

parcourue par le plus rapide, qui, dans un temps égal,

parcourt une moitié en sus, soit partagée en trois partiesindivisibles, AB, BC, CD, tandis que le plus lent ne par-courra qu'une grandeur diviséeen deuxparties EF et FG.

Je dis que le temps, pour le premier mobile, sera partagéaussi en trois indivisibles, KL, LMet MN, puisque dansun temps égal, il parcourt une quantité égale. Pour le

corps le plus lent, qui parcourt EF et FG, le temps sera

partagé également en deux portions. Mais le corps plus

rapide ne parcourra pas seulement KL pendant que le

plus lent parcourt EF; il parcourra aussi une moitié

de LM. Donc LM, qu'on supposait indivisible, sera di-

visée et, réciproquement, le corps plus lent mettra plusde temps que le corps le plus rapide a parcourir la por-tion KL. qu'on supposait également indivisible. Donc

évidemment et d'une manière générale, il n'y a pas (le

Page 433: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYStQU!250

continu, ni ligne, ni surface, ni temps qui soit sans par-

ties et tout continu est composé de divisiblesà l'infini.

Il.

11suit de ce qui précède que l'instant, pris dans son

acception vraie, et non plus dans une de ces acceptions

inexactes, dont nous avons parlé plus haut (Livre IV,

ch. XIX), doit être indivisible; et il doit rester indivi-

sible, soit à l'égard du passé, soit à l'égard du futur.

L'instant est une extrémité du passé, dans laquelle il n'y

a pas encore la moindre parcelle de l'avenir c'est aussi

une extrémité de l'avenir dans laquelle il n'y a plus la

moindre parcelle du passé, attendu qu'il est, ainsi que

nous l'avons dit, la limite de l'un et de l'autre. Et si l'on

démontre l'existence réelle d'une telle limite en soi, et

toujours identique à elle-même, on aura. démontré par

cela même qu'elle est indivisible. Or, il faut nécessaire-

mentque l'instant soit réellement le même, puisqu'il est

l'extrémité des deux temps car, s'il n'était pas le même

et qu'il y eût deux instants différents, ou ils seraient con-

tigus et successifs, ou ils seraient séparés. S'ils étaient

successifs,il n'y aurait plus de continuité, puisque jamais

le continu ne peat être composéd'indivisibles, ainsi que

nous venons de le démontrer; et s'ils étaient séparés,

alors il y aurait du temps dans l'intervalle, puisque tout

continu doit nécessairement contenir, entre ses limites,

quelque chose qui soit homogène et synonyme. Mais s:

c'est du temps qui est intermédiaire entre les instants, ce

tempsest toujours divisible,puisqu'il a été démontré que

le tempsqui est un continu peut se diviser indéfiniment.

Page 434: La Physique d Aristote

D'UUSTOTE, DVJΠVI, CH. i). 357

17

en résulteraitdonc que l'instant serait divisible aussiet du moment que l'instant est divisible,il y a quelquechose du passé dans le futur, et quelque chosedu futurdans le passé,puisque cet instant qu'on supposedivisibleest entre ie passé et le futur et participede tous deux,au lieu d'en être la limite.Alors ce qui diviserait l'ins-tant délimiteraitaussi, a sa place, le présentet l'avenir,commel'instant ordinaire délimitel'avenir et le passé.

A cette première raisonqui prouve que l'instant doitêtre un et ie même, on peut ajouter celle-ci c'est quel'instant, s'il avait des parties, ne serait plusen soi, mais

qu'il serait par un autre, c'est-à-dire par les partiesmêmesqui le composeraient Ce ne serait plus lui, maisses parties quiseraient la limite des deuxtemps. Maisladivisionne peut s'appliquer a ce qui est en soiet par soi.

Ajoutezencore,qu'en supposantl'instant divisible,il s'ensuit que cet instant, qui devraitêtre uniquementprésent,sera en partie du passé, en partie de l'avenir et commele passé et l'avenir peuvent, selon l'étendue qu'on jeurdonne, varier à l'infini, l'instant ne sera ni toujours lemême passé,ni toujours le même futur. Il variera avecl'un et avecl'autre; car le tempsest divisibled'une foulede manières. Donc, commel'instant ne peut être ainsi

dénaturé, il faut qu'il soit un et identique pour les deux

temps, où il est commencementde l'un et finde l'autre.Maissi c'est lemême, il est clairqu'il est indivisible;car,lorsqu'on le suppose divisible, on arrive aux consé-

quencesabsurdesqu'on a signaléesplus haut.Il est doncdémontré qu'il y a dans le tempsquelque

chosed'indivisibleque nousappelons l'instant, et qui estindivisibleau sens que nousvenonsde dire. Nousallons

Page 435: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHÏStQUE258

prouver maintenant qu'il n'y a pas de mouvementpos-

sibledans la durée de l'instant. En effet,s'il y avait mou-

vement, ce mouvement pourrait être on plus rapide ou

plus lent. Soit l'instant représentépar N,et le mouve-

ment plus rapide dans cet instant, représentépar AB. Le

mouvementmoins rapideparcourra dans le mêmeinstant

une distance AC moindre que AB.Maiscommele mou-

vement le plus lent ne parcourt que la dislance AC, le

mouvementplus rapide la parcourra en un tempsmoin-

dre et, par conséquent,l'instant sera divisé; ce qui ne

se peut pas, puisqu'on vient de prouver que l'instant est

indivisible.Donc,il n'y a pas demouvementpossibledans

la durée de l'instant, si toutefoison peut dire que l'ins-

tant ait une durée. Ce que l'on vient de prouverpour le

mouvements'applique tout aussi bien au repos; et dans

l'instant, il n'y a pas plus de repos qu'il n'y a de mouve-

ment. En effet,quand on parle de repos, on veut parlerd'un corps qui, par sa nature, doit se mouvoir,et qui,

cependant, ne se meut pas, quand naturellement il le

doit, là où il le doit, et de la manièrequ'il le doit. Mais,

commerien ne peut se mouvoirdans la durée de l'ins-

tant, ainsi qu'on vient de le démontrer, il s'en suit qu'il

n'y a pas davantage de repos.On peut objecter, il est vrai, que l'instant étant le

mêmepour les deux temps, c'est-à-dire pour le passéet

pour l'avenir, il se peut que, dans toutel'étendue de l'un.

il y ait un mouvement,tandis qu'il y a reposdans toute

l'étendue de l'autre, et que ce qui se meut ou est en re-

posdans le tempsentier, doit aussiêtre enmouvementou

en reposdanstous les élémentsdontce tempsse compose.Par suite, on en conclurait que dans l'instant il doit y

Page 436: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,LIVRE Vi, CH. !!I. 2~)

avoirmouvementou reposcommedans ie reste du temps.Mais ceci est également impossible car alors]a mêmechose serait tout à la foisenreposet enmouvement,puis-que l'instant est une seule et mêmeextrémité pour les<ieuxparties du temps; et que, par unecontradictionma-nifeste, on le supposeen reposet en mouvementtout en-semble. Enfin, on dit d'une chose qu'elle est en repos,quand elle-même et ses parties sont actuellement cequ'elles étaient antérieurement; mais, dans un instant, iln'y a ni antérieur, ni postérieur; et, par conséquent, iln'y a pas de repos,pas plus qu'il n'y a de mouvement.

Donc, il faut nécessairementque le mouvement et Jerepos se passent dansune certainedurée de tempset nondans l'instant.

III.

Atout ce qui précède,j'ajoute cette conclusion géné-ra)e que tout ce qui changeest nécessairementdivisible,puisque tout changement supposeet un état d'où part cequi change, et un état où il arrive. Or, une fois que lachose est arrivée à l'état vers lequel elle tend, elle nechange plus; et quand elle est dans l'état qu'elle vachanger, elle ne changepas encore, ni elle, ni aucunedeses parties, puisqu'onentend précisémentpar rester dansle mêmeétat ne changerni en soi ni dans aucune de sesparties quelconques.Maisquand la choseest en train dechanger, il faut nécessairementqu'une de ses parties soit(tansle premier état, et l'autre partie dans l'autre étatcar il est à la fois impossible,et qu'elle soit tout entièredans les deux, et qu'ette ne soit dans aucun. Je veux

Page 437: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDK LA PHYSIQUE2UO

parle non pas du changementdennitif et complet, mais

despremièresnuancesdece changement et, par exemple,

nn corpsqui de blanc devient noir, ne devient pas non-

immédiatement mais il passe d'abordpar le gris. Ainsi,

il n'est pas indispensable que ce qui change soit dans

l'un quelconque des deux extrêmes.I! y a entr'eux une

fouled'intermédiairesoù il peut être successivement,en

quittant l'un et en allant vers l'antre. Donc, je le répète,

tout ce qui change, ou plutôt tout changementest essen-

tiellement divisible, ainsi que le mouvement,qui n'est

qu'une espècede changement.

IV.

Lemouvementn'est pas seu)ementdivisibled'nne ma-

nière générale; il faut ajouter qu'il peut se diviser de

deux façons d'abord selon le temps qui le mesure, et

ensuiteselon les mouvementspartielsque le mobilepeutavoir.Je commencepar cette dernièredivision.

Si, par exemple, un corps ACse meut tout entier, jedis que ses deux parties ABet BCseront égalementen

mouvement.Soit DEle mouvementde AB,et EF le mou-

vement de BC, c'est-à-dire le mouvement des partiesde AC.Le mouvemententier de ACdoit être nécessaire-

mentDF.C'est, en effet,selon ce mouvementque le corpsdoit se mouvoir, puisque son mouvementn'est que la

somme des mouvementsdes parties, et que nul corpsne pouvant avoir le mouvement d'un autre, l'une des

partiesn'a pas le mouvement de l'autre partie. Donc,le

mouvementtotal est celuide la grandeur totale du corpsentier. On peut encoreprouver cecid'une autre manière.

Page 438: La Physique d Aristote

D'~RISTOTE,UVIΠV!, CH. iV. 201

Toutmouvementsupposenécessairementun corps qui semeut.Or, ici, le mouvementtotal n'est pas le mouvementd'une des parties séparément, puisquechacuned'elles asonmouvementpartiel le mouvementn'est pas nonplusle mouvementd'aucun autre corps que AC, puisqu'il ae.téprouvé qu'un mouvement un ne peut appartenir à

plusieurscorps. Doncil est clair que le mouvementen-tierDF ne peut êtreque le mouvementde toute la gran-deurAC car, là où le mouvementtotal est celui du corpsentier, les parties de ce mouvementsont les mouvements(les parties, et les parties de DF sont les mouvementsde ABet de BC.

Supposons, en effet, que le mouvement de AC soitautre que DF, et qu'ii soit, par exemple,HI, on pourrade H! retrancher lesmouvementsde chacune des partiesABet BC; maiscesmouvementssont égaux à DEet EF.Par conséquent, si le mouvementHIest partagé exacte-mentpar les mouvementsdes parties, c'est qu'il est égalaDF, etalors onpeutlesprendre indifféremmentl'on pourl'autre, puisqn'ils ne diffèrent pas. Si H! est plus petitque DF, et, par exemple,d'une quantité KI, alors il n'estlemouvementde rien; car il n'est pas le mouvement du

tout;il n'est pas davantagecelui des parties, puisqu'uncorps n'a. qu'un seulet unique mouvement,et il n'est lemouvementd'aucun autre corps, puisque le mouvementdoit être continu pour des mobiles continus, et quecelui-là ne l'est pas. La démonstration serait analoguesi HIétait phis grand que DF, au lieud'être ptus petit.P:).rconséquent, ne pouvant être ni plus grand ni pluspetit, il faut qu'il soitéga) et le même.

Telle est la divisiondu mouvementselon les mouvc-

Page 439: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE262

ments des partiesdu mobile,et elle s'appliquenécessai-rement à tout corps qui a des parties. L'autre divisiondu mouvementse rapporte à la divisionmêmedu temps

pendant lequel le mouvementa lieu; car d'abord tout

mouvementexigeun certain laps de temps, et tout mou-

vement est ainsi dans le temps. De plus, le temps est

toujours divisible,puisqu'il faut un temps moindrepourun moindre mouvement.Il en résulte que lemouvement

est toujours divisibleselonlesdivisions mêmesdu tempspendant lequelil s'accomplit.

V.

Comme tout ce qui se meut doit se mouvoir d'une

certaine espèce de mouvement,et pendant un certain

temps, et que tout mouvementsuppose nécessairement

un mobile,les divisions doivent être les mêmespour le

temps et pour le mouvement,soit abstrait soitconcret,

pour le mobileet pour le récipientdans lequelle mou-vementa lieu.Seulement, la divisionne se faitpas de la

mêmemanièrepour toutes les choses où l'on peut con-

sidérer le mouvement.Là où il y a de la quantité, la divi-

sion se fait en soi, parceque la quantité est directement

divisibleen soi; mais là où il n'y a qu'un mouvementde

qualité, la division n'est qu'indirecte, parceque la qua-lité ne se divise qu'antant que le corps où elle est se

trouve lui-mêmedivisé.

Pour prouverque la divisiondu mouvementet celle du

temps sont toutes pareilles, représentonspar Ale tempsdurant lequel le mouvementa lieu, et par Ble mouve-

ment lui-même. La totalité du mouvement s'accomplitdans la totalité du temps; dans un temps moindre, le

Page 440: La Physique d Aristote

D'AHiSTOTK, L1V1H':Vt, CH. V. M3

mouvementseramoindre dansun tempsmoindre encore,

le mouvementsera moindreencore et, par conséquent,le

mouvementsuit exactementla divisiondu temps. Réci-

proquement,si le mouvementest divisible,le temps l'est

absolument comme lui; et l'on peut répéter ce qu'onvient de dire, que la totalité du mouvementremplit la

totalité du temps que la moitiédu mouvements'accom-

plit dans la moitié du temps,et une partie moindre du

mouvement,dans une moindrepartie du temps. Le ré-

sultat du mouvementse diviseracommele mouvementetletempseux-mêmes.Ainsi,dansla moitiédu mouvement,ce résultat sera moindre que dans le mouvementtotal;il seramoindreencoredans lamoitiéde la moitié,et ainsi

sans fin.

Onpeut ajouter que le résultatdu mouvement,consi-

déré dans le mobile, sera divisibleaux mêmesconditions

que le mouvement lui-même; et si les résultats partielssont par exemple DC et CE, Je résultat total ne sera

obtenuque par le mouvementtotal car, s'il en était au-

trement, il s'ensuivrait que plusieurs résultats de mou-

vement pourraient venir d'un seul et mêmemouvement.

Or, tout commenous venonsde démontrerque le mou-

vementpeut toujours se diviserdans les mouvementsdes

diversesparties, de même le résultat du mouvementdoit

se diviser dans les résultats partiels; car, en supposantmême qu'il y ait un résultat spécial dans chacune des

deuxparties DCet CE, il n'en faut pas moinsque le ré-

sultat total soit continucommeletemps, et il est par con-

séquentdivisiblecommelui.

Ondémontreraitde la mêmefaçonque la longueur, et

eu géuéraltout ce dans quoi se passe le changement,est

Page 441: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE2(~

divisible comme le temps et le mouvement sont divisiblesaussi, saut' les exceptions que nous avons dû faire pourles cas où la division est indirecte. Car tout ce qui changeest nécessairement divisible, et un des termes que nousavons indiqués au nombre de cinq, mobile, mouvement,distance parcourue, longueur et catégorie du mouvement

pouvant se diviser, il s'ensuit naturellement que tous lesautres se divisent également. Ils subissent aussi la mêmeloi tous les cinq en ce qui concerne la possibilité d'êtrefinis ou infinis. Mais, ce qui semble le plus d'accord avecl'idée même du changement, c'est que tous les cinq soientinfinis de même que tous les cinq sont divisibles car,l'infinitude et la divisibilité sont les caractères les pluscertains et les plus évidents de tout ce qui change. Quant

la divisibilité, nous en avons parlé dans ce qui précède,et pour l'infinitude nous en traiterons dans ce qui vasuivre.

Vt.

rivant de démontrer que le temps et le mouvement,sontdivisibles à l'infini, je dois poser quelques principes déjàconnus. D'abord, tout ce qui vient à changer change évi-demment en quittant un certain état, et en arrivant a unétat autre. Uneconclusion nécessaire de ceci, c'est que ce

qui a changé doit être, dès le premier moment qu'il a été

changé, dans le nouvel état en lequel il est changé. En

effet, ce qui change sort de l'état qu'il change, ou si l'onveut il quitte cet état. Or, certainement changer et quitterson état pour en prendre un aune, sont deux idées qui se

confondent absolument. ou du moins, quitter est la con-

Page 442: La Physique d Aristote

D'ARISTOTl;,L1V1ŒVi, CH. Vt. 2<)5

séquence de changer, tout comme avoir quitté sou étatest la conséquence d'avoir changé; car le rapport de cesdeux termes est toujours semblable, soit qu'il s'agisse (ht

présent, soit qu'il s'agisse du passé. Si donc c'est unecertaine espècede changement, si cen'est, de mouvement,que l'étal où le changement s'exprime par la contradic-

tion, on peut dire qu'une chose qui vient a se produirechange du non-être à l'être, et qu'elle a perdu ou quittél'état de non-être où elle était antérieurement. Elle faitdonc désormaispartie de l'être, puisqu'il faut nécessaire-ment qu'une chose soit ou ne soit pas. Par conséquent, ilest bien clair que, dans ce changement par contradictionet non plus par contraires, la chose qui aura changé decette façon sera bien dans la chose en laquelle elle aura

changé. Si donc il en est ainsi pour le changement spé-cial du non-être à l'être, j'en conclus qu'il en sera demême pou-toutes les autres espèces de changements;car ce qui s'applique à l'un doit aussi s'appliquer à tousles autres.

On peut se convaincre de la vérité de ce principe, en

prenant une à une les diverses espèces de changement;et l'on verra que, dans toutes nécessairement, le corpsqui a subi le changement doit être au p~int d'arrivée etnon au point de départ, pour être réeneunentet définiti-vement changé. Eu effet, il faut qu'il soit quelque part etdans quelque chose. Or, comme il a quitté l'état qu'ildoit changer et le point de départ oùle changement com-

mence, il faut qu'il soit au point d'arrivée où il est alors

changé, ou qu'il soit dans un autre point, s'il n'est pas àcelm-là. S'il est dans un autre point, supposons que cesoit C or, connue c'est en B qu'il doit être changé, il

Page 443: La Physique d Aristote

PAHAPHRASEDE LA PHYSIQUE266

faut qu'il changeencore de C en B car C, pris nécessai-

rement entre AetB, n'est pas continuà B, avec lequelil

se confondrait,s'il lui était continu. Or, le changement

est continu nécessairement.Donc, on arrive à cettecon-

clusion absurde que ce qui a changé, quand il a déjà

changé, changecependant encore au point où il a déjà

changé; et commec'est impossible,il faut admettre que

cequi changenepouvant être, ni au point de départ qu'il

a quitté, ni dansun point intermédiaire,est au point d'ar-

rivée où le changement,verslequel il tendait, est définiti-

vement accompli.Par suite, on doit admettre aussi que

ce qui a été produitdu non-êtreà l'être existe au moment

même qu'il a étéproduit, de mêmeque ce qui a péri en

passant de l'êtreau non-être, cesse d'exister au moment

qu'il a péri. Cesgénéralités, qui s'appliquent à toutees-

pèce de changement,sont encore plus évidentesdans le

changementpar contradiction,du non-êtrea.l'être, ou de

l'être au non-être,qu'elles ne le sont dans tout autre.

Donc, en résumé,ce qui a changédoit être, dès le pre-

mier moment que le changementest accompti, dans le

pointmêmeoù il est changé, c'est-à-direau point d'arri-

vée et non au pointde départ.

VH.

Nécessairement,ce premier instant, cet instant primi-

tif où a changé ce qui a changé, doit être indivisible.

J'entends par primitif ce qui a telle on telle qualité, non

pas parce qu'une de ses parties aurait antérieurement

cette qualité, mais bien parce qn'il l'a tout entier lui-

même. Supposons, pat- exemple, que le point AC où le

Page 444: La Physique d Aristote

D'AHISTOTE,LIVRE VI, CH. V!H. 267

changementest accomplisoit divisible,et qu'il soit.divisé

en B. Si l'objet a changé en ABet ensuiteen BC, c'est

que ACn'est pas primitif,ainsi qu'on le supposait,et l'on

va alors contre l'hypothèse. Si l'on .dit quele change-ment a lieudans l'un et l'antt'e à.la fois,en ABet en BC,comme il y a nécessité que l'objet ait changéou qu'il

change danslesdeux,il changeaussi, ou il a changé,dans

le tout qu'ils forment,c'est-à-dire en AC maison avait

supposé, non pas qu'il change en AC,maisqu'il y avait

déjà changé.Mêmeraisonnementsi, au lieu de supposer

qu'il change,ou a changédans les deux,on supposequ'il

change dans l'un, et qu'il a changé dans l'autre; car

alors il y a un point qui devient antérieur à celui qu'on

supposait primitif; et cette nouvelleconclusionn'est pas

plus possibleque l'autre. Donc, cet instant où l'objet a

primitivementchangénepeut pasêtre divisible.Dececi, il

résulte que l'instant est égalementindivisiblepourla pro-duction ou la destructiondes choses. Cequi est né ou a

péri, est né ou a péridansun instant qui ne peut pas plusse diviser que celui où tout autre changements'est ac-

compli.

VHI.

Mais peut-être est-il nécessaire d'insister sur cette

expression de primitif pour faire bien comprendrece quenous entendons par là. Quand on parle du point primitifoù le changement a lieu, on peut prendre ceci en un

double sens ou bien le primitif est le point où le chan-

gement est complet et achevé, car c'est seulement alors

qu'il est exact de dire que l'objet a changé réellement

Page 445: La Physique d Aristote

PARAPHEE DE LA PHYSIQUE268

ou bien l'on appelle primitif le point où le changementcommenceà se produire. Il y a grande différenceentreces deuxacceptions.Ainsi,ce primitif dont on veut par-ler, quand on l'applique à la terminaisondu mouvement,est et subsiste réellement par lui-même, puisqu'il estpossibleque le changement se termine et s'accomplisse,et qu'il y ait alors une finde changement.C'est mêmelàce qui nous a fait dire quece point est indivisible,préci-sément parce qu'il est une limite et un terme. Mais,quant au primitif qui s'appliqueau début duchangement,on ne peut pas direqu'il existe; car on ne peutle trouver,ni dans le temps pendant lequel le mouvement s'accom-plit, ni dans le mobile qui accomplit le mouvement,nidans le lieu où ce mouvementse produit.

Je commencepar prouver que ce primitifdu change-ment ne peut pas être dans le temps; car il est impos-sible d'y fixer l'instant auquel ce changement commenceà.se produire. Soit ce primitifAD.Je dis que ce prétenduprimitif n'est pas indivisible; car, autrement, il en résul-terait que les instants sont continus les uns aux autres,ce qui a été démontré impossible.En effet,ADétant une

partie du temps, et étant indivisible,il s'ensuit que cene peut être qu'un instant; et, pour formerle temps, ilfaut que cet instant soit continu à un autre instant etcelui-ci encore à un autre, etc. Une autre conclusionabsurde à laquelleon arrive nécessairementenfaisantAI)

indivisible,c'est qu'une mêmechoseest à laibis en reposet en mouvement;car, si l'objet est supposéen repos du-rant le temps entier CA,qui précède AD, il est égale-ment en repos durant A, qui est l'extrémité de ce temps.Dès iors il l'est tout aussi bien en D, puisque Dest sup-

Page 446: La Physique d Aristote

D'~ISTOTK.UViŒYt.CH.VUl. 209

poséindivisible.Maison supposait déjà en D que l'objetétait changé. Doncil est tout ensembleet en mouvementet en repos. On ne peut pas davantage supposerADdivi-

sible car si l'on supposeque le changementait lieudansune de ses parties, on ne pourra pas plus y trouver le

primitif que l'ou cherche. ADétant divisé, si l'objetn'a

changé dans aucune des parties de AD,il n'a pas non

pluschangé dans le tout qu'elles forment;c'est de touteévidence.Si l'on dit, au contraire, qu'il a changé dansles deux, il est bien vrai qu'il a changé dans le tout;mais,dès lors. il n'y a plus le primitif que l'on disaitcar le changementdans l'une des partiesde ADa dû êtreantérieuran changement dans t'autre; et il y a alors

quelquechosequi précèdece primitif prétendu, puisquenécessairementil avait été changédéj&dans l'une desdeuxparties. Donc,enfin, il n'y a pas de point primitifouïe changementait lieu, puisque les divisionspeuventêtreen nombre infini.

Si le primitif du changementn'est pas dans le temps,ainsiqu'on vient de le prouver, il n'est pas nonplus dans

le mobilequi change. Soit, en enet, cet objet qui change

représentepar DE, et supposonsqueJeprimitifdu chan-

gementsoit dans une de ses parties DF, puisque tout ce

qui change est essentiellement divisible.Soit le tempsdans lequelDF a changé représenté par HI. S'il a fatluà DF un certain temps pour changer, ce qui a changédans la moitié de ce tempssera non-seulementmoindre

queDF, maisde plus, antérieur à DF une autre partieseramoindre encore; puis une troisième,moindreque la

seconde,et ainsi de suite a l'infini. Par conséquent, on

n'atteindra pas dans l'objet changé ce primitifdu chat)-

Page 447: La Physique d Aristote

PARAPHUASE!)E LA PHYSIQUE270

gementauquelon veut arriver. Ainsi, il n'y a de primitifde changementni dans l'objet oi dans le temps.

Reste enfinla qualitéqui change, et ici il n'en est plustout à fait de même.En effet,dans tout changement onpeut considérer trois choses l'être qui change, le réci-

pient dans lequel le changement se passe, et la qualiténouvelle qu'apporte le changement. Par exemple.l'homme, le temps et la blancheur; c'est l'homme quichange; c'est dans le tempsqu'il change; et ceen quoi ilchange, c'est la blancheur. L'homme et le temps, quisont tous deux des grandeurs et des continus,sont tou-jours et indéfinimentdivisibles.Maisla blancheur, si elleest divisible,ne l'est qu'indirectement, parce que, decette façon, tout est divisible, et ia blancheur se diviseparce que l'objet dans lequel elle se trouveest divisible.

Mais tout ce qui est en soi divisible et ne l'est paspar accident,ne peut jamais avoir le primitif du chan-gement. Et ceci est vrai, pour les grandeursparcouruesdans l'espace,et pour les quantités. Eneffet, soit AB lagrandeur parcourue, et que le primitif soit dans BC.Soit qu'on fasse BCdivisibleou indivisible,l'impossibi-lité est la même; car, s'il est supposé indivisible,il enrésulte qu'un objet sans parties sera continuà un autreobjet qui est sans partieségalement; cequi est absurde,puisqu'il faudra que BC supposé indivisible soit con-tinu à un autre indivisiblepour former la grandeur AB.Si, au contraire, BC est divisible, alors il y a quelquechosed'antérieur à C, en quoi le corps a changé; et alorsBCn'est plus le primitif comme on le disait car il yaura un antérieur à cet antérieur; puis un autre à celui-là; et, ainside suiteà l'infini, la divisiond'un continu ne

Page 448: La Physique d Aristote

D'AJUSTOTR,UVHHV!,CH.tX. 27t

pouvantpas avoirde terme, ainsiqu'on l'a prouve.Donc,il n'y aura pas de primitif dans la grandeur parcourue.

Maisil n 'y enaurapasdavantage,et par la mêmeraison,dans la quantité, puisque la quantité est essentiellementcontinue.Si doncil ne peut y avoir de primitif ni pourl'espace, ni pour la quantité, c'est-à-dire dans les chan-

gements par déplacement, et dans les changementsparaccroissementou diminution,il est clair que le mouve-ment dans la qualité est le seul où il puisse yavoir del'indivisible en soi, parce qu'en soi la qualitéest indivi-

sible,et qu'elle n'est divisiblequ'indirectement par la di-visionde l'objetMêmedans lequelelle est.

!X.

Dureste, il faut bien remarquerque le changement,quellequesoit sadurée, et quelquesoit sonprimitif, a liendanstonteslespartiesdu tempsdurant lequel il a lieupri-mitivement car tout changementayant lieu nécessaire-mentdansle temps, changerdansle tempspeuts'entendreen deuxacceptionsdiverses, selonqu'il s'agit du tempsprimitif ou du temps considérédans un autre temps. Je

m'explique; on dit, par exemple,qu'un changements'est

passé dans telle année, non pas que ce changementaitduré tonte l'année entière, maisseulement parcequ'il aeu lieu dans un certainjour de cette année. L'année estle temps par un autre; le jour est au contraire le tempsprimitif.Ainsi, le changementa nécessairementlieu danstoutesles parties du temps primitif qu'il a fa!!uà ce quichangepour changer. C'est ]à ce qui résulte de la défini-tionmêmedu motde primitif,et le primitif ne peut pas

Page 449: La Physique d Aristote

PAt!APHRASKDE LA PHYStQUK272

se comprendreen un autre sens. Voicid'ailleurs un autre

moyende le démontrer. Soit, en effet,XR le temps pri-mitifdans lequel le mouvements'accomplit,et supposons

qu'il soit divisé en K; car un temps quelconqueest tou-

jours divisible, puisquec'est un continu.Dans le tempsXK moitié de XR, l'objet se meut ou il est en repos:même raisonnement pour KR autre moitié de XR. Si le

corps ne se meut dans aucune de ces deux parties du

temps, il ne se meut pas non plus dans le temps total

qu'elles forment, et il y est en reposdu moment qu'il ne

se meut dans aucune des deuxparties.S'ilne se ment quedans l'une des deux parties,n'importelaquelle,alors il ne

se meut plus primitivementdans XR, comme on l'avait

d'abord supposé; car, dans ce cas, le mouvement n'est

plus primitif, et il est par un autre. Donc, il faut néces-

sairementque le changementait lieu dans toutes les par-ties du temps primitif XHoù il se passe.

X.

De ce que le temps et la grandeur sont divisibles à l'in-

fini, il ressort cette conclusion,qui, à première vue, est

assez singulière, c'est que tout ce qui semeut actueUement

doit avoir été mû antérieurement en d'antres termes

il n'est pas possible d'assigner le moment précis où le

mouvement commence. En effet, si dans un temps pri-mitif XR, un corps s'est mu de la grandeur KL, dans lamoitié de ce même temps, un autre corps doué d'une vi-

tesse égale, et qni aura commencéà se mouvoir simulta-

nément, se sera mu de la moitié de KL.Mais si ce second

corps, dont la vitesse estéga.!e, a été mu de quelque

Page 450: La Physique d Aristote

D'ARISTOTK,HVRK Vf, CH. X. 273

18

chosedans cette moitiéde KL, il faut bien aussi que lepremierse soit mu d'une mêmegrandeur, quelle qu'ellesoit d'ailleurs; et, par conséquent,le corps qui se meutactuellementa été mudéjà antérieurement.

Ceci se prouve encore d'une autre manière. Quandnousdisonsqu'un corpsa été mu dans le temps XR, prisdans sa totalité, nous entendons ou bien qu'il a été mudans le temps tout entier absolument, ou bien que c'estdanstoute partie quelconquede ce temps: et alors, nousneconsidéronsque l'instantextrême,où,en effet,le chan-

gementa été dénnitivementaccompli.C'est l'instant quiterminecette portion de temps; et, entre deux instants,c'est toujours du tempsqui comblel'intervalle. Maissi le

corpss'est mn dans cet instant extrême,on pourra diretoutaussibien qu'il s'est mudans les autres instants.Or,on peut faire une division à la moitié du temps, parexemple et commecette moitié est également terminée

par un instant, le corpsse sera mu aussi dans cette moi-tié. Engénéralisant cette remarque, on voit que le corpsse seramu dans une partie quelconquedu temps, puis-que le temps, quelle que soit la section qu'on y fasse,est toujoursterminépar un instant durant lequel on sup-poseque le corpss'est mu. Si donc le temps est toujoursdivisible,et si l'intervalle des instants est du temps, ils'ensuitque tout ce quichange au momentoù on le voit

changer,aura déjà changé antérieurement un nombreinfinide fois.

Aces deux démonstrations,j'en ajoute une dernière.Si ce qui change d'une manière continue, c'est-à-diresans être détruit et sans interrompre son changement,doit nécessan-emcntou changer actuellement, on avoir

Page 451: La Physique d Aristote

PAHAPHHASHDU LA PHYSiQU)-:27~

changédéjà dans une partie quelconquedu tempsanté-

rieur, il s'ensuit, comme il n'y a pas de changement

possibledans le cours de l'instant actuel, que le chan-

gement a dû se produire dans chacundes instants anté-

rieurs. Par conséquent, les instants étant en nombrein-

hni, il en résulte que ce qui change actuellement, doit

avoirdéjà.changé une infinitéde fois.

La proposition inverse n'est pas moinsvraie; et l'on

peut dire réciproquement que tout ce qui a changé

doit nécessairementchanger avant d'être complètement

changé.En effet, tout ce qui a changéd'un certain état à

un autre état a changé dans le temps. Supposons que

dans l'instant le corps a changé de A en B il estclair

qu'il n'a pas pu changer dans le mêmeinstant oùil est

en A, puisqu'alorsil serait tout à la foisen A et en B, ce

qui est impossible;car ce quia changé,quand il a change,

n'est plus dans l'instant où il change,ainsi qu'on vient

de le démontrer un peu plus haut (ch.VI), c'est-à-dire

que le corps qui a changé n'est plus au point de départ,

mais bienau point d'arrivée. Si l'on dit que, n'étant point

changéa l'instant où il change, il est dans un autreins-

tant, alorsil y a, entre ces deux instants,un intervalle de

tempsqui les sépare, puisque les instants, comme on le

sait, ne sont pas continus. Car, commele changementa

lieu dansle temps, et que le temps est toujours divisible,

le changementaura été autre dans la moitéde ce temps,

et autre encore dans la moitié de cette moitié, et ainsià

l'infini. Donc, le corps change avant d'être changé; et

quand le changement est complet, il s'est fait par une

successioninfiniede degrés.

Cequ'on vient de dire pour la divisibilité(lu tempsest

Page 452: La Physique d Aristote

D'AKISTOT!LIVREVi,CH. 275

encore plus évident pour )a grandeurparcourue dans l'es-

pace, et l'on verra qu'elle est égatement divisibfe à l'in-fini, parce que la grandeur, ou change ce qui change, et;où se meut le corps qui se meut, est continue, et parconséquent divisib)e à l'infini. Soit, par exemple, un corpsqui se ment de C en D. Si l'on supposait CD indivisible,il y aurait un corps sansparties, continu à un autre corpssans parties, ce qui est de toute impossibilité. Donc CDsera une grandeur divisible, et elle sera divisible l'in-fini donc aussi ie corps avant d'arriver à D se ment danstoutes les parties comprisesentre C et D.Par conséquent,je puis conclure, d'une manière générale, que tout ce quia changé change avant que son changement ne soit com-

plet. Ce qne je viens de dire du temps et de la grandeurqui sont des continus, s'appliquerait également auxchosesoù il n'y a plus de continuité, et. par exemple, aux con-traires et à la contradiction car alors on prendrait le

temps pendant lequel l'objet a changé, soit pour arriveraux contraires, soit pour arrivera la contradiction, et Fonen dirait les mêmes choses.

Je le répète donc il y a nécessité que ce qui a changéchange, et que ce qui change ait changé. Le changementantérieur fait partie du changement actuel, de mêmeque)c changementactoe! fait partiedu changement antérieur;et de cette façon, il est impossible d'arriver de part nid'autre au primitif quel'on cherche. Cela tient à ce qu'unindivisible ne peut jamais être le continu d'un indivisi-

ble; car la division de l'intervalle compris entre les deuxest toujours possible, comme on Fa montré pour ces

lignes et ces quantités, dont l'une s'accroît, et l'autrediminue sans cesse, sans qu'il y ait de fin ni pour l'une,

Page 453: La Physique d Aristote

PAHAPHRAS~DELA PHYSIQUE

ni pour l'autre de cesdeux divisions (livre Ml,ch. XI).On peut pousser encore plus loin ces théories sur

la divisibilité infinie du temps et du mouvement, et

les appliquer à des changements d'une autre espèce.

Ainsi,l'on peut aller jusqu'à dire que tout ce qui a été

produit doit être produitdéjà antérieurement; et, réci-

proquement, que ce qui est produit actuellement a été

antérieurementproduit,en supposanttoujours qu'il s'agitde divisibleset de continus.Cependant,ce n'est pas dans

tous les cas l'objet entier qui a été produit c'est parfoisautre chose que lui, on pour mieuxdire, ce n'est qu'une

partie de l'objet. Ainsi,on ne peut pas dire que ce soit la

maisonentière qui est faite, quandil n'y a encoreque ses

fondementsde posés. Ce même raisonnement que nous

appliquons ici a la génération des choses, peut s'appli-

quer aussi à leur destruction car dans tout ce qui péritet meurt, de mêmeque dans tout ce qui naît et se pro-

duit, il y a toujoursde l'infini, parce qu'il y a toujours

quelque chose de continuque l'on peut indéfinimentdi-

viser et il est également impossible,et que ce qui n'a

point été soit, et quece qui est n'ait point été de quelque

façon.Mêmeobservationpour périr et avoir péri et l'on

verrait, en suivant les mêmes raisonnements, qu'avoir

péri est antérieur à périr, et que périr est antérieur à

avoir péri, puisqu'il y a toujoursdn divisibleà l'infini.

Doncencore une fois,cequi a étéproduit doit êtrepro-duit antérieurement, et ce qui est actuellement produitdoit avoir été déjà produit car, toute grandeur quelcon-

que et le temps, quelqu'il soit,sont toujours indéfiniment

divisibles; et, par conséquent,quel que soit aussi le pointoù l'on prétend arrêter la division,ce n'est jamais unpri-

Page 454: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE.LIVRE Vt, CH. XI. 277

mitif,et il y a toujours un antérieur qu'on peut poursuivresans fin.

XL

De ces considérationssur la divisibilité indénnie dumouvementet du temps,on tire quelquesconséquencesqu'il est bonde signaler.Commetout ce qui se meutdoit

nécessairementse mouvoir dans le temps, et commeun

corpsdouéd'une égalevitesseparcourt plus d'espacedansun temps plus grand, il s'ensuit que dans un temps in-

fini, il ne peut pas y avoirde mouvementfini, en suppo-sant, bien entendu, qu'il ne s'agit pas d'un mouvementfiniqui pourrait être constammentJe même,nidu mouve-ment d'une des parties de l'objet, mais du mouvementtotal dans le temps total. Ainsidonc, si le corps conserveune vitesseégale et uniforme,il faut nécessairementque,le mouvementétant fini, il ait lieu aussi dans un tempsqui sera fini commele mouvementlui-même; car en pre-uant une partie du mouvementqui mesureexactementlemouvement entier, le corps parcourra la ligne entière

qu'il décrit dans des temps égaux, et qui seront aussinombreuxque les parties elles-mêmesde la ligneparcou-rue. Par conséquent, cesparties seront finiesen quantitépour chacuned'elles, et quelque répétéesqu'elles soient,finieségalementen nombre.Donc le tempssera limitéetfinitout commeelles; et le temps totalseraégal an tempsd'une des parties multipliépar le nombremêmede ces

parties.

Nous venons de supposer que le corps était animéd'une vitesseégale; mais ta démonstrationserait In. mûme

Page 455: La Physique d Aristote

PARAPHRASE!)H LA PHYSIQUE37S

en supposant que la vitesse ne fût pas uniforme, et

)'o))arriverait toujours a cette conclusion que le tempsdoit être uni quand le mouvement est fini. Soit AU la

)igneque parcourt le mouvementfini, et soit CDle tempsinfini pendant lequel le mouvement est censé durer. De

toute nécessite, Je corps se meut dans une certaine partiede AB avant de se mouvoir dans l'autre, et il est clair

queces parties différentesdu mouvement correspondentaussi à des parties différentes du temps; car, dans un

temps plus grand, le mouvement, tout inéga) qu'il est,aéraautre que dans un temps pluspetit; et cela est tout

aussi vrai soit qu'on suppose une vitesse égale, ou iné-

gale, et soit mêmeencore que !e mouvement s'accroisse,

qu'il diminue, ou qu'it reste stationnaire et uniforme.

Soit donc une partie AE de la ligne A.B, et quecette partie mesure At; exactement. Cette partie du

mouvement correspond à une certaine partie adéquatedu temps supposé infini; car dtc ne remplit pas appa-remment le temps infini puisque c'est tout le mou-

vement qui seul pourrait ie remplir. En prenant aprèsAEune autre partie égale de la ligne, elle correspon-dra de même à une certaine autre partie du temps in-

fini; car je dirai de cette seconde partie égate à AE ce

qne je disais de AElui-même, et elle ne remplit pas da-

vantage la totalitédu temps infini, puisque dans l'infiniil serait bien impossiblede trouver une mesure commune

qui, suuisamment répétée, pourrait i'épuiser. L'infini ne

petit jamais être composé de parties finies, soit égaies

soitinégates; car, des lors, il ne serait pins sans fin, et

les quantités finies, soit en nombre soit en grandeur, sont

toujours mesurées par que!qu'autre quantité. Les parties

Page 456: La Physique d Aristote

t)''UUST()Tn, UVJRHVJ, CH. Xt. ~70

successives,égales à AE, ont beau être égales'ou Iné-

gales, la ligne entière AUsera mesurée,puisqu'elle'est

finie, par les AE, quelleque soit la grandeur qu'on leur

suppose; et la sommedestemps finis qui correspondenta ces parties sera finieégalement. Donc,le mouvement

fini ne peut pas plus avoirlieu, dans untempsinfini,avec

une vitesseinégale qu'avecune vitesseégale.Ce qu'onvient de dire pour le mouvementà partir du

point de départ, pourrait également s'appliquerau mou-

vement quandil tend vers le repos, au point d'arrivée;et l'on peut ajouter quece qui est toujoursun et !e même

ue peut jamaisni naître ni périr; car il y aurait toujours

quelque variation,ne serait-ce que dans le temps; et, dès

lors, l'immobilitécesserait.

Maison peut renverser ainsi la démonstrationprécé-dente, et prouverqu'il n'y a pas plus de mouvementin-fini dans un temps fini, qu'il n'y avait tout à l'heure de

mouvementfinidans un temps infini, en supposant d'ail-leurs aussique le mouvementest égalouinégal. Letempsétant fini, on y peut prendre une partie qui le mesuretout entier. Dans cette partie du temps, te mouvement

parcourra unecertaine partie de la ligne, sans parcourirla ligne entière,puisque la ligne entièrene peut être par-courue, d'après l'hypothèse, que dans le temps entier.Dans une secondepartie du temps, le mouvementpar-courra une seconde partie de la ligne,et ainsi de suite,soit que cette seconde partie soit égale on inégale à la

première; car peu importe,du momentquechaquepartie

prise à part est finie. Il est clair que Intempsqui est fini

s'épuisera de cette façon mais il est clair aussi que la

ligne supposéemunie nesera point épuisée,attendu que

Page 457: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE280

tous les retranchements qu'on y peut faire sont finis,soiten quantités soit en nombre.Par conséquent,le corpsne parcourt pas une ligne infinie dans un tempsfini. Il

n'importepas d'ailleurs que la ligne soit supposéeinfiniedansun sens ou dans l'autre, c'est-à-dire sans commen-cementou sans fin. Dansl'une ou l'autre hypothèse,leraisonnementaérait toujoursle même.

Onvient de démontrerque le temps ne peut pas êtreinfini quand le mouvementest fini, et réciproquementque le mouvementne peut être infiniquand le temps estfini.Maintenant on va démontrerque le mobileest sou-misauxmêmesconditionsque le mouvementet le temps.

Supposonsd'abord un mobiled'une grandeur finie. Ilne pourra parcourir une ligne infiniedans un temps fini.Eneuet, dans une partie du temps, il parcourt une par-tie finie de la ligne; et ceci se répétant pour chaquepartie successivement, c'est encore du fini et non pasl'infiniqu'il a parcouru dans le temps entier. Maissi lemobilefini ne peut parcourir l'infini dans un temps fini,il n'est pas plus possible qu'une grandeur infiniepar-coureune ligne finiedans un temps fini. Supposonsen

effet, que ce mobile infini puisse avoir un mouvement

fini, il s'ensuit que le fini parcourt aussi l'infini; car

quel que soit celui des deux qui est en mouvement,soit

!e uni, soit l'infini, il en résulte toujours que le finipar-court l'infini. Si c'est l'infiniAqui se ment, et que le finiB soit en place, il y aura une partie CD de l'infiniquicorrespondraà B, et successivementlesparties de l'infini

passeront devant B. Donc l'infini se sera mu devant le

fini,et le fini aura parcouru l'infini de cette façon; carsil'infini se meut dans le fini, cela ne peut se comprendre

Page 458: La Physique d Aristote

D'ARISTOTË, UVRH VI, CH. X!t. ~81

qu'autant que le fini lui-même se déplace ou qu'il mesurel'infiniparties par parties. Maiscette dernière suppositionest impossible puisquel'infini est incommensurable doncil est impossible aussi qu'un mobile infini parcoure une

ligne finie.

Il n'est pas possibledavantage qu'il parcoure une ligneInfinie dans un temps fini; car si le mobile infini pou-vait parcourir une ligne infinie,à plus forte raison pour-rait-il parcourir une ligne finie,puisque le fini est toujours

compris dans l'infini or, on vient de prouver qu'il ne

parcourt pas une ligne finie; donc il ne parcourt pasdavantage une ligne infinie. La démonstration serait en-core la même si on supposait le temps infiniau lieu dumobile. Ainsi, dans un temps uni, une grandeur finiene

peut parcourir l'infini, pas plus qu'une grandeur infiniene peut parcourir le fini, pas plus encore qu'une grandeurinfinie ne peut parcourir l'infini. Donc le mouvement ne

pourra pas davantage être infinidans un temps fini; car il

n'y a point ici de différenceà supposer que c'est le tempsqui est infini ou que c'est le mobile. Du moment que l'undes deux est infini, il faut que l'autre le soit aussi de

toute nécessité, puisque tout déplacement se fait dans

l'espace, et qu'il exige tout à la fois et un certain tempset un certain mouvement. Si l'on suppose le déplacementinfini, il faudra que l'espace er.que le temps soient infinis

également.

XII.

Les distinctions que i'on vient de faire pour le mou-

vement peuvent être faites aussi pour le ratentis~eatent

Page 459: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE282

du mouvement,si ce n'estpour le repos.En effet,comme

tout ce qui par sa nature doit être ou en mouvementou

en repos, ne se meut et ne repose que quand toutes ses

conditionsnaturelles d'action, de tempset d'espace, sont

rempiles, il s'ensuit que ce qui se ralentit et tend à s'ar-

rêter, doit être en mouvement au moment où il arrête

peu à peu son impulsion; car s'il n'était pas alors eu

mouvement,c'est qu'il serait en repos mais il n'y est

pas puisqu'ily tend. Dececi, il résulteclairementque la

tendance au repos ou le ralentissementdu mouvement

doit être dans le temps, puisque tout mouvement se

passe dans le temps nécessairement,et que la tendance

au repos suppose que le mouvementcontinue. Le ralen-

tissementn'est qu' uneespèce du mouvement.

Cequi prouve bien que le ralentissementest dans le

temps, tout commey est le mouvement,c'est que le ra-

lentissementpeut être ou plus rapide ou plus lent; et

c'est toujours au temps que se rapportent les idées de

lenteur et de vitesse. Demêmeque pour le mouvement,le ralentissementqui a lieu dans un certain temps pri-

mitif, doit avoirlieu dans toutes lesparties de ce temps.On peut toujours supposer le tempsdivisé. Qu'il le soit

doncicien deuxparties. Si le ralentissementn'a lieu dans

aucune des deux parties, il ne se produit pas non plusdans le tempsentier qu'elles composent;et alors le mou-

vementqu'on suppose se ralentir nese ralentit pas. S'il

se ralentit dans l'une on l'autre des parties du temps, le

temps entier n'est plus alors le primitifqu'on supposait;car c'est dans une partie du temps, et non dans ce tempsmême que le mouvement se ralentit, ainsi que nous

l'avons démontréplus haut pour le mobile (cl).V!H,.

Page 460: La Physique d Aristote

D'AR!STOT!LI\RËVt,CH.XH. 2S:<

Maisde même qn'it n'y a pas de primitif, commeon

l'a vu, où l'on puisse dire que le mouvement s'accomplit,de même il n'y en a pas non plus pour le ralentissement

du mouvement, c'est-à-dire qu'il n'y a réellement de pri-mitif ni pour lemouvement, ni pour l'arrêt. Soit AU,par

exemple, le primitif supposé où le corps se ralentit. Il

n'est pas possible que ce primitif soit indivisible car il

n'y a pas de mouvementdans ce qui est sans parties; le

corps doit s'être mu antérieurement dans une partie quel-

conque, et le corpsqui ralentit son mouvement doit né-

cessairement être au préalable en mouvement. Si ABest

divisible, le ralentissement aura lieu dans une quelconquede ses parties; carie corps ralentissant son mouvement

dans AB primitif, et ce primitif ne pouvant pas être un

indivisible, puisque le temps est toujours divisible, il ne

peut pas y avoir dans le temps de primitif où le corpsralentisse et arrête son mouvement.

Il eu est de mêmepour le repos, c'est-à-dire que pourle repos il n'y a pas plus de primitif qu'il n'y en a pourle mouvement on pour son ralentissement. Le temps où

le repos a lieu ne peut pas être indivisible; car il n'y a

pas de mouvementpossible dans ce qui ne peut pas être

divisé; et là où est le repos, I:').est aussi le mouvementt

qui y correspond. En effet, le repos n'est que l'absence

du mouvement dans les circonstances où naturellement

le mouvement devrait avoir lieu. D'autre part, commele

repos suppose que la chose est actuellement ce qu'elleétait auparavant, il y a ici deux termes, et non pas un

seul comme on pourrait le croire. Le temps dans lequel le

repos a lieu se compose donc de deux parties au moins;et du moment que le temps est divisible, c'est dans une

Page 461: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQtJE88A

de ces parties que le repos se produit. Onpeut répéterici la démonstrationqu'on a donnée plus haut, pour éta.-

Mir qu'il n'y a de primitif, ni pour le ralentissementdu

mouvement,ni pour le mouvementiui-meme.

La causegénéralede tout ceci, c'est que tout mouve-

ment et toutreposont lieu nécessairementdans le temps;or, le tempsqui est toujours divisible,ne peut pas plusêtre un primitifque la grandeur ou un continu quel-

conque, puisque tout continu est toujours divisible à

l'infini.

XtH.

Maiss'il n'y a pas de primitif pour le temps et le mou-

vement, il n'y en a pas davantage pour le lieu où le

mouvementse passe. En euet, tout mobile se ment né-

cessairement dans le temps, et il change en allant d'un

point à un autre; mais il est impossible que le mobile aitt

un lieu primitif, durant le temps en soi pendant lequeltout entier il se meut; je dis dans le temps entier, non

pas dans une de ses parties seulement. En effet, pour

qu'on puisse dire d'une chose qu'elle est en repos, il faut

que cette chose même, ainsi que toutes ses parties, soit

durant un certain temps au même lieu on au même état;

et il n'y a vraiment repos que quand on peut dire que,dans un premierinstant et dans un instant subséquent,la chose et toutes ses parties restent dans un état ou un

lieu absolumentidentique. Or, si c'est bien là l'idée qu'ondoit se fairedu repos, il n'est pas possible que le corps

qui change, soit tout entier dans tel lieu durant le temps

primitif où il est suppose changer car le temps est tou-

Page 462: La Physique d Aristote

D AiUSTOTE,LIVREVI, CH. XIV. 285

jours divisible,et par conséquentce ne sera que dans des

partiessuccessivesdu temps, qu'il sera vrai de dire quela choseavectoutes ses parties, est absolumentau même

état qu'elle était.

Si l'on niaitcette théorie, et si l'on disait que ce n'est

que pendant un des instants que la chose conserve cet

état identique, il n'en serait pas moinscertain que ce

n'est pas dans une partie quelconquedu temps que la

chose reste en repos, puisqu'on reconnaîtraitalors quec'est pendant la limite du tempset nondans le temps lui-

même.Sans doutedans l'instant, lecorpsexiste bien tou-

jours d'une certaine façon maisonne peut pas dire qu'il

y soit en repos; car, dans un instant, il n'y a pas plus de

reposqu'il n'y a de mouvement.Il est strictement vrai

que, dans un instant, le mouvementest impossible et

que le corps existe, sans qu'on puissepréciser aucun de

ses rapports. Maisil n'est pas possibledavantage quel'on puisse assigner un certain temps au repos, puis-

qu'alors on arriveraità cette conclusionabsurde, qu'un

corps en mouvementserait en repos, ce qui est évidem-

mentcontradictoire.

XIV.

Les démonstrationsqui précèdent peuvent nous aider

à réfuter les arguments sophistiqnesde Zénon, qui pré-

tendait démontrerque le mouvementn'est pas possible,

et qui, pour frapper davantage les esprits, prenait

l'exempled'une (lèchequi vole, pourprouverque, même

dans ce cas, il n'y avait pas de mouvement.Voicile rai-

sonnement captieux dont Zénon se servait « Si toute

Page 463: La Physique d Aristote

PARAPHRASE!)).;LAPHY8!QU~286

"chose, disait-il, doit toujours être ou en mouvement<'ou en repos, et si elle est en repos quand elle est dans

un espace égal àeHe-meme, il s'ensuit que, tout corps«quise déplaceétantà'chaqueinstant dansunespaceégal«à lui-même,la flèchequi noussemblevolerestcependant«immobile;car, à chaque instantdesa prétennuecourse,«elleestdans un espace égal à elle-même, L'erreur deZénonressort deceque nous avonsdit; car letempsne se

composepas d'instantscommeil semblele croire,pas plusque nulle autre grandeur ne se composed'indivisibles.Laflèchen'est pas dansun espace égal à e!!e-me!nedans

chaqueinstant, maisdans chaquepartie du temps,et eUese meutdurant toutle temps desacourse,quoiquepuisseanfirmerZénon.

Puisque nous en trouvons l'occasion, rappelons queZénon avait contre l'existence du mouvementquatre ar-

guments, qui ne laissentpas qued'embarrasserceux quiessaientde les réfuteren règle. Lepremier raisonnement

reposaitsur ceci que le mobile doit passer par les inter-médiaires avant d'arriver à la fin et les intermédiairesétanten nombre infini,Zénon en concluaitque jamais lemobilene pourrait lesparcourir. Nousavonsdéjà réfutécet argument dans nosdiscussions antérieures (Voir cemêmelivre, chap. I), où nous avons montréque les in-termédiairesne sont infinis qu'en puissance,mais qu'enacte ils ne le sont pas.

Le secondsophismede Zénon, qu'on appellel'Achille,n'est pas plus fort. !) consiste à prétendre quejamais uncoureurplus lent, unefois qu'il est en marche, ne pourraêtre rejoint pas un coureur plus rapide, attendu que le

poursuivant doit, de toute nécessité,passer d'abord par

Page 464: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTË,L!V!~ VI, CH. X!V. 287

le pointd'où est parti celui qui fuit sa poursuite, et quele plus lent conservera toujours une certaine avance,quoiquefasse l'antre. Toujoursentre les deux il y a unedifTérencequi deviendrade plusen plus petite à l'infini,maisqui ne deviendrajamais nulle. Ce raisonnementre-vient à la théoriede la divisibilitéinfinie, qui consistea

prendre toujours la moitié de la moitié, puis la moitiédecette moitié nouvelle,et ainsi à l'infini. La seule dine-

rence,c'est que dansl'Achille cen'est pas par des moitiéssuccessivesque l'on procède. On affirmed'une manière

plus généraleque le plus lent ne peut être atteint par le

plus rapide; mais c'est cependant la même chose quedans une divisionà l'infini par moitiés, puisque de partet d'autre on conclut toujours qu'on ne peut arriver à

épuiser la grandeur, quelle quesoit d'ailleurs la manièredont on la partage. Seulement, en parlant de coureur

plus rapideet de plus lent, on se donne une apparencepompeuseet plustragique. Lasolutionest des deuxcôtéstout à fait indentique. Mais supposerque le coureur quiest en avance n'est pas rejoint, c'est une erreur mani-feste quele témoignagedes sensnous révèle incontesta-blement. I! est bien clair que, tant que le coureurest en

avance,il n'est pas rejoint; mais, en définitive, il doitêtre rejoint, et Zénon lui-même doit en convenir,puis-qu'i! ne peutpas nier que, la ligneà parcourir étant finie,elle peut toujours être parcourue.

Voilà déjà deux des arguments de Zénon, Le troi-sième est celui dont nous parlionstout à l'heure, et quiveut prouver que la flèche, quivole dans les airs, resteen place.Commenous l'avons vu, cette erreur consisteà

supposer que le temps est composéd'instants, pendant.

Page 465: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE288

lesquels la flèche resteen repos; maisle temps n'est pasforméd'instants, commeZénonle soutient; et en repous-sant ceprincipe, qu'onne peut pas en effet concéder,on

réfute du mêmecoupl'argument de Zénon.

Restele quatrième et dernier argument,où l'habileso-

phiste compare des masses égales animées d'une égalevitesse, mais s'avançant, dans le stade par exemple,eu

sens contraire, les unespartant de l'extrémité, lesautresdu milieudu stade. Zénonprétend démontrer que si l'on

admet la réalité du mouvement,onarrivera à cette con-

clusion absurdequ'un temps moitiémoindre sera égal àun tempsdouble. Le sophisme consiste précisément en

ceci, qu'on supposequ'unegrandeur égale animéed'une

égale vitessese meut dansun mêmeintervalle de temps,soit relativement à une masse qui est en mouvement,soit relativement à une masse qui est en repos ce qui,

cependant, est une erreur manifeste.

Soientquatre massesen repos AAAA;soient quatreautres masses égales BBBB,partant du milieu des A.

pour se mettre en mouvement soient enfin quatre der-nières masseségales,maisqui, au lieude partir du milieudes A, partent de l'extrémité, tout en ayant la mêmevi-tesse queles B. LepremierBatteint bien, en effet,le boutdes A en même tempsque le premier C atteint le boutdes B,puisqueJemouvementdes B et des C est parallèleet égal. Maisles C ont dépassé tous les A, tandis queles B n'ensont qu'à la moitié.Donc,le tempsécoulé pourles uns n'est que la moitiédu temps écoulé pour les au-

tres, puisquede part et d'autre les conditions sont par-faitement égales. Maisen même temps aussi les B ont

parcouru tousles C car)epremierCet le premierBallantt

Page 466: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,UViΠVI, CH. XtV.

en sensopposé sont en mêmetemps aux extrémités con-traires des A. Zénon prétend que le temps qu'il fautaux C pour passer les B est tout à fait égal à celui qu'illeur faut pour passer les A, parce que les B et les Carrivent simultanément à passer les A; maisce que Zé-non ne dit pas, c'est que les Arestent en place, tandisqu'au contraire les B sont en mouvement, et que, parconséquent, le temps ne peut pas être le même,comme ille soutient; pour les C relativement aux A et relativementaux B.

Telle est l'argumentation de Zénon, qui pèche par lescôtés que nous venons de dire. Il y a en outre d'autresobjectionscontre le mouvement, auxquelles il est bon derépondre. Ainsil'on dit que le mouvement.est impossibledans le changement qui constitue la contradiction, c'est-à-dire Jepassage du non-être à l'être et de l'être au non-être, Voici comment on le prouve Un corps qui n'estpasblanc, changeant de manière à devenir blanc, n'est àun momentdonné ni l'un ni l'autre, et l'on ne peut pasdire qu'il est blanc, pas plus qu'on ne peut dire qu'il nel'est pas. Donc il n'y a pas de mouvement.

Cette impossibilité qui peut être réelle dans d'autressystèmes, ne l'est pas dans le nôtre; car il n'y a pas be-soinqu'une chose soit tout entière blancheou nonblanchepour qu'on puisse affirmer qu'elle est )'un ou l'autre; ilsuflit, pour qu'on lui applique cette détermination, que la.plupart de ses parties ou du moins les plus importantessoient de telle ou telle façon. Ce n'est pas la même choseen effetde ne pas être tout entier dans tel état, et de nepas y être (tu tout. J'applique cette remarque à l'oppusi-tion de l'être et du non-êtrn, et d'une manière générale

1<)

Page 467: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSiQDH290

à toutes les oppositionspar contradiction. H faut bien

que la chose soit nécessairementdans un des deux op-

poses; mais il n'est pas besoin jamais qu'elle soit tout

entière dans l'un des deux, et c'est là ce qui constitue le

mouvementqui va de l'un à l'autre.

Uneobjectiond'un autre genrecontre le mouvement,

est celle qui soutientque la sphère et en général tous les

corpsqui se meuventpar rotation sur eux-mêmessont en

repos, attendu, dit-on, que ces corps et leurs partiesétant dans un même lieu durant quelque temps, il s'en-

suit d'après la définition du repos, que ces corps sont

tout à la fois en repos aussi bien qu'en mouvement. A

cela, je répondsen niant le phénomènequ'on aDègue,et

je dis qne ces corps, tournant sur eux-mêmes,ne sont

jamais un seul instant dans le mêmelieu. La circonfé-

rencequ'ils décrivent change sans cesse, et le cercle est

perpétuellementdifférent. La circonférencen'est pas la

mêmeselon qu'on la prend du point A, ou du point B,

on du point C, ou de tel autre qu'on voudra, si ce n'est

en ce sens qu'on dit de l'homme-musicienqu'il est aussi

homme, sa qualité de musicien étant purement acci-

dentelle, comme pourrait l'être toute autre qualité. La

circonférencechange de mêmesans cesse en une autre,

et elle n'est jamais en repos ainsi qu'on le prétend et ce

que je dis de la sphère peut s'appliquer également a

tous les corps quiont un mouvementde rotation sur eux-

m6mes.

XV.

Ceci posé, nousprétendons que ce qui est indivisible

Page 468: La Physique d Aristote

D'AHISTOTK,f.tVKK V!. CH. XV. 291

ne peut avoir de mouvementsi ce n'est d'une manière

indirecte, et j'entends par là que l'indivisiblene se meut

qu'autant que la grandeurou le corps dans lequel il est,

se meut d'abord lui-même; par exemple, comme une

chose qui est immobiledans un bateau se meut, parce

quele bateaului-mêmeest enmouvement;ou bien comme

la partie se meut par le mouvement du tout. Et quand

je dis Indivisible,j'entends indivisiblesous le rapport de

la quantité. En effet, on peut fort biendistinguer entre

les mouvementsdes parties, selon quece sont les parties

qui se. meuvent elles-mêmesséparément, et selon quec'est le tout où elles sont comprises qui se ment. Cette

différenceest surtout sensibledans une sphère qui tourne

sur elle-même;car la vitessen'est pas identiquepour les

parties qui sont au centre et pour celles qui sont à la

surface, en un mot pour toute la sphère; et ceci prouvebien que le mouvementdont elle est animée n'est pas

unique, commeon le croit.

Ainsi donc, nous le répétons, l'indivisiblepeut bien

se mouvoir;maisc'est commeune personnerestant assise

dans un bateau qui descendune rivière; cette personnese meut par cela seul que le bateau où elleest s'avance

avec le courant. Mais je dis qu'en soi l'indivisiblene

peut réellement se mouvoir.Soit en effetun corps qui

changede ABen BC, peuimporte d'ailleursqu'il changeen passant d'une grandeur à une autre, ou qu'il passe

d'une forme à une autre forme,c'est-à-dire d'une qua-lité à unequalité différente,ou qu'il change, par simple

contradiction,de l'être aunon-êtreet dunon-êtreà l'être.

!1 faut nécessairement,quandle corps change,qu'il soit

tout entier ou en AB on en BC; on bien qu'une de ses.

Page 469: La Physique d Aristote

PARAPHUAS)';DE LA PHYStQUE292

parties soit dans l'un, et une de ses parties dans l'autre,

puisque tout ce qui change est soumis à cette condition,

ainsi que nous venons de le voir. Maisd'abord il faut

écarter cette secondealternative, puisque, si une partie de

l'objet était dans l'nn, et une autre partie dans l'antre, il

s'ensuivrait que l'objet est divisible, ce qui serait contre

l'hypothèse qui Je suppose indivisible. J'ajoute qu'il ne

peut pas être dans BC; car, lorsqu'il y sera, c'est qu'ilsera changé, et nous supposons non pas qu'il est changé,mais qu'il change. leste donc qu'il soit uniquementdans AB au moment même où il change. Ainsi, le corpssera en repos dans AB; car Être eu repos signifie Être

durant quelque temps au même état et an même point.

J'en conclus que ce qui est indivisiblene peut ni se mou-

voir, ni épronver aucun changement.

Il n'y aurait qu'une seule manière de comprendre quel'indivisible puisse être en mouvement; c'est le cas où l'on

admettrait que le temps se compose d'instants; car on

pourrait dire alors que l'indivisible a été mu et a changé

dans certains instants, si, d'ailleurs, on ne peut pas dire

qu'il se meuveet qu'il change dans l'instant actuel qn'onne peut saisir, 11n'est pas actuellementen mouvement

mais il y a toujours été. Mais nous avons démontré

(LivreIV, ch. XVII) que c'est 1~une chose impossible, et

que le temps ne se compose pas plus d'instants que la.

ligne ne se compose de points, ou le mouvementd'impul-

sions successives. Or, pour soutenir que l'indivisible se

meut, il faudrait admettre que le mouvement se compose

d'indivisibles, comme le temps se composeraitd'instants,

et comme la ligne se composerait de points.!) faut donc reconnaître que le point, ni aucun autre

Page 470: La Physique d Aristote

D'~RiSTOiE, LIVREVI, CH. XV. 2~;

n.diviaible, ne peut avoir de mouvement; et voici uneautre manière de le prouver. Un corps qui se meut t)epeut parcourir dans son mouvementun espaceplus grandque lui, sans avoir préalablement parcouru un espaceou plus petit que lui, ou égal à lui. Mais le point étantindivisible, il est bien impossible qu'il parcoure préala-blement un espace plus petit que lui-même. Il parcourradonc un espace égal; et par suite, la ligne se trouverait

composée de points; car le point ayant un mouvementqui est successivement égat a l'espace qu'il occupe, ilFinira par mesurer toute la ligne. Mais il ne se peut pnsque la ligne se compose de points, et il ne se peut pasdavantage, par conséquent, que l'in(tivisib)e se meuve

jamais.

J'ajoute une dernière preuve. Tout ce qui se meut doitse mouvoir dans le temps; et dans un instant il n'y a pasde mouvement possible.Or, le temps étant toujours divi-

sible, il s'ensuit que pour un mobilequelconque, il y aura

toujours un temps moindre que le temps dans lequel il

parcourt un espace égal à lui-même. Ce temps moindresera précisément le temps durant lequel il se ment, puis-que le mouvement doit toujoursavoir lieu dans le temps.Mais le temps étant toujours divisible, il y aura toujoursaussi pour le point un temps moindre dans lequel soumouvement aura eu lieu. Ce temps moindre répondra àun moindre mouvement aussi; mais ce mouvementmoiu-dre, ce moindre espace parcouru est impossible,puisqu'iln'y a rien de plus petit que le point, qui est indivisiblecar alors l'indivisible serait divisé en parties moindres,comme le temps tui-meme est divisé en temps. Mais il

Page 471: La Physique d Aristote

PAUAPHUASMDE LA PHYSIQUE29/)

est impossible de supposer quelque chose qui soit plus

petit que le point lui-même.

Ainsidonc, l'indivisible ne pourrait se mouvoirque s'il

y avait du mouvement dans un instant indivisible; car

ces deux propositions sont identiques, à savoir qu'il y a

du mouvement dans un instant et que l'indivisible peutse mouvoir.

XVI.

Après avoir prouvé que le mouvement est possible;

malgré ce qu'en ont dit Zénon et quelques autres philo-

sophes, il reste à prouver que le mouvement n'est pas in-

fini, ainsi qu'on l'a cru quelquefois. Je dis donc d'une

manière générale que le changement ne peut pas être in-

fini car le changement est toujours le passage d'un cer-

tain état à un état din'érent, soit que le changement se

passe dans la simple contradiction, soit qu'il se passeentre des contraires. Pour ]e changement dans la contra-

diction, les limites sont toujours l'affirmation et la néga-

tion, l'être pour la génération des choses, le non-être

pour leur destruction. Dans les changements entre con-

traires, ce sont les contraires eux-mêmes qui servent de

limites, puisqu'ils sont les points extrêmes entre lesquelsse passe le changement. Ainsidans l'altération, c'est-à-

dire le changement d'une qualité dans une qualité diue-

rente, les contraires sont la limite du changement qui a

lieu, puisque l'altération passe toujours d'un contraire à

un antre contraire. 11en est de mêmeencore dans le chan-

gement qui résulte d'accroissement ou (le décroissance.

Page 472: La Physique d Aristote

!) A1USTOTE,LIVREVI, <;H.XVI. 295

Pour l'accroissement, la limite est l'acquisition de lagrandeur que la chose doit atteindre d'après sa naturespéciale; et pourla décroissance,la limiteest la dispari-tionde cette mêmegrandeur.

Quant au déplacementdans l'espace,on ne peut pasdireque le changementy soit limitéet finide cette ma-nière,puisqu'il nese fait pas toujoursentreles contraires.Maisil faut bien voir commenton peut dire aussi de cemouvementqu'il ne peut pas être infini nonplus que lesautres. On afïh-med'une chose qu'elle n'a pas pu êtrecoupéede tellemanière qu'on indique, parcequ'en effet,il est impossibleabsolumentqu'elleait jamaisété coupée;C!u-le mot d'impossiblea biendesacceptionsdiverses.Ce(;uin'a pu êtrecoupé d'une manièreabsoluene peut pasnon plus être actuellement coupé; et d'une façongéné-rée, ce qui nepeut pas avoirjamais été, ne peut pas êtreactuellement; ce qui ne peut pas du tout changer nechangejamais en la chose dans laquelleil est impossiblequ'il change. Si donc, le corps qui se déplacechange àquelques égards,c'est qu'il peut avoir changé et alorsil y a une limite,et le mouvements'arrête à. un certainmoment. Doncle mouvementn'est pas infinicommeonle prétendait; et il ne parcourra pas une ligne infinie,parcequ'il est impossiblede la parcourir.

On peut dire aussi d'une manièregénéralequ'il n'y apasde changementinfini, en ce sensqu'il n'y aurait pasde limites qui le déterminent. Maissi le mouvementa né-cessairement des bornes dans l'espace, il resteà voir s'iln'est pas possible qu'il soit infini sous le rapport du~e~~ps,et qu'il y soit éternellement un et le même. Rienne semble empêchera premièrevueque le mouvementne

Page 473: La Physique d Aristote

PAHAPHKASËDE LA PHYSIQUE296

soit infini en ce sens que des mouvement succèdent a

des mouvements divers et que, par exemple, après le

déplacement il y ait altération, après l'altération accrois-

sement, et après l'accroissement génération et ainsi de

suite. De cette façon, il semble que le mouvementpeut

être perpétuel dans le temps; mais il n'est plus unique

car, de tons ces mouvements, il est impossible de faire

sortir un mouvement un pour résultat. Mais,à coté de

cette question, il y en a une autre qui ne mérite pas

moins d'attention. En supposant que le mouvement soit

un, il n'y a qu'un seul unonvementqui puisse être infini

dans le temps, c'est-à-dire éternel, et ce mouvement

éternel et indéfectible ne peut être que la.translation cir-

culaire.

LÏVHE VU.

SU)TKt)ELATt)j!o<))KD[;MOU\'t:MKKT.

I.

Avant d'aborder la théorie de ce mouvement éternel et

uniforme, il faut rappeler quelques principes qui servi-

ront à la faire mieux comprendre et à la préparer. Le

premier principe que ]iot)s poserons, c'est que tout ce

qui est mu doit necessairementétre mu par quelquechose.

Page 474: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVREVU, CH. 297

Ici il se présente deux hypothèses ou le mobile a le mou-

vement en lui-même,ou il ne l'a pas. S'il ne l'a pas, il est

évident qu'il reçoit le mouvementd'un autre, et c'est cet

autre qui est le vrai moteur. J'examine la première hypo-thèse où le mobile a le mouvement en lui-même, et jedis que, même dans ce cas, le mobile est encore mu par

quelque chose. Soit AB un objet qui se meut en soi et

dans sa totalité, et non pas seulementdans une de sespar-ties. D'abord supposer que ABse meut lui-même parce

qu'il est mu tout entier, et qu'il n'est mu par aucune

cause étrangère, c'est une erreur; car de ce qu'unechose KL met en mouvement une autre chose LM,et de

ce que KLest mueelle-même, il ne s'ensuit pas que l'en-

semble KM n'est pas mu hu-meme par quelque chose.

On ne pourrait pas auu'mer cette conclusion, parce qu'onne verrait pas clairement lequel des deux corps est le

mobile et lequel est le moteur. C'est ainsi qu'on peut se

demander qui est le moteur et qui est le mobile, ou du

rameur qui fait aller le bateau, on du bateau qui porte et

meut le rameur. Mais ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait

pas dans ce cas de moteur réel. Unsecond principe, c'est

que quand un corps se meut lui-même et n'est pas mu

par un autre, ce corps ne s'arrêtera pas nécessairement

parce qu'un autre corps viendrait à s'arrêter. Maissi un

objet s'arrête, parce qu'un autre s'arrête aussi, on en

peut conclure que ce premier objet n'est pas mu par lui-

même, mais qu'il est mu par un autre.

Ceci étant clairement démontré, j'en conclus, comme

je l'ai déjà fait plus haut, qu'il y a nécessité que tout ce

qui est mu soit mu par quelque cause. Soit ABun mobiin

qui est mu; il est nécessairement divisible; car nous

Page 475: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE-298

avons prouvé (LivreVI, ch. V) que tout ce qui est mu

est divisible aussi. Supposons donc qa'il est divisible

en G. Si la partie BCn'est pas mue, le mobile entier AH

sera nécessairementsansmouvementcomme elle car si

elle est supposée en mouvement,il est évident que c'est

seulementparce que la partie ACserait en mouvement,

tandis que l'autre partieBC serait eu repos. DoncAB, le

mobileentier, ne se meut pas lui-mêmeet primitivement,ainsi qu'on le supposait d'abord, quand on admettait

qu'il se donnait à lui-mêmeson propre mouvement,et

qu'il se le donnaitd'une manière immédiate et primitive.

Donc,si la partie BCest en repos,il faut aussi que le mo-

bile entier ABy soit commeelle.

Pour rendre ceciplus clair, on peut supposer que AB

est l'animal ACest l'âme, qui meut le corps, représenté

par BC. Maisquandun mobiles'arrête dans son mouve-

ment parce qu'une autre chose vient à s'arrêter, on dit

que ce mobile est mu par une autre chose et non par lui-

même.Par conséquent,tout ce qui est mis en mouvement

est nécessairement mu par quelquechose; car tout mo-

bile est divisible et quand la partie motrice est en repos,le tout y est commeelle. Maisici se présente une objec-tiongrave si tout ce qui est mu est mu nécessairement

par quelque chose, ce principes'applique au mouvement

daus l'espace aussi bien qu'à tous les autres, et idorsle

moteur du premiermobileest mu lui-mêmepar un autre

moteur, qui, à sou tour,reçoit le mouvement,et cet autre

par un autre encore,et ainsi de suite sans qu'on puisse

assigner de fin.

Page 476: La Physique d Aristote

1)'ARISTOTE,LIVREVi!, CH. Il. 29<)

n.

Il faut bien cependant qu'on s'arrête quelque part,c'est-à-direà une cause initiale et première; et le mou-vementne peut du tout alleràl'infini.Supposons,en effet,qu'il n'en soit pas ainsi, et que la série puisseindéfini-ment se prolonger. A est mu par B B est mu par CC est mu par D; et ainsi sans fin, le moteur étant tou-

jours mis en mouvement par le mobile qui le suit.Commele moteur ne peut mouvoirque parce qu'il est mu

lui-même,le mouvementdu moteuret du mobilesont si-

multanés car le moteur est mului-mêmeenmêmetempsqu'il meut le mobile.Par conséquent,tous les mouve-ments de A, de B, de C, etc., c'est-à-dire des moteursetdes mobiles,seront simultanés. Mais,tout en admettant

que ces mouvementssont simultanésà l'infini, rien nenous empêche de considérer chacunde ces mouvementsà part et commefini. Le mouvementde Aest représentépar E; celuide B par F; celuide C par G; celuide D parH; etc., etc. car, si l'ensembleest infini, on peut tou-

jours considérer chacun de ces mouvementsisolément,

parce que chacun d'eux est un numériquementparlant,et qu'il n'est point infinidans aucunede ses extrémités,tout mouvementayant toujours lieu nécessairementd'un

point à un autre point.Maisquandje dis qu'un mouvementest un numérique-

ment, et qu'il n'est pas deux ouplusieurs,j'entends qu'ilva. du même au même dans un temps qui est aussi le

mêmeet non interrompu; car il faut biendistinguer iciet le mouvementpeut être un et le même, soit en genre,soit en espèce,soit en nombre.Ainsi,le mouvementest le

Page 477: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDKLA PHYSIQUE300

mêmeen genre, quand il a lieu dans la même catégorie,dans la substance,par exemple,dans la qualité ou dans

tel autre genresusceptiblede mouvement.Il est le même

enespèce,quand il va du même en espèce au mêmeen

espèce, et que, par exemple,il va du blanc au noir, ou

du bien au mai, sans qu'il y ait de différencesdans les

espèces, qui sont d'un côtéles couleurs; de l'autre côté,

le bien et del'autre côté,le ma]. Enfinlemouvementest

un et le mêmenumériquement,quand ilva du même au

mêmedans un même tempssans que ce tempssoit inter-

rompu par exemple, de cette chose blanche à cette

chose noire, on de ce lieu à un autre liendans un tempscontinuet le même car, si c'est dans un antre temps, le

mouvementn'estplus unnumériquement,bienqu'il puisse

encore être un en espèce.

Aprèscettedigression,quise rapporte aux explications

donnéesplus haut (Livre V,ch. VI), je reprends la suite

du sujet; et je suppose que le temps dans lequel A fait

son mouvementest représentepar K. Lemouvementde

Aétant uni, letemps durant lequel le mouvementse passe

sera fini aussi. Mais commeles moteurs et les mobiles

agissant lesuns sur les autres, sont infinis,il faut que le

mouvementtotal qui en résulte, EFGH,soit infini comme

eux; car il se peut que les mouvements particuliers

de A,de B et de tous les autres soient égaux,commeil se

peut aussi que les uns soientplus grands, et les autres

plus petits. Mais,que les mouvementsparticuliers soient

égauxou inégaux,lemouvementtotal sera toujours infini

dans les deuxhypothèses.Or, comme lemouvementdeA

est simultanéau mouvementdes autres, il s'ensuit quele

mouvementtotal a lieu dans le même Lempsque le mou

Page 478: La Physique d Aristote

D'AtUSTOTE,UVUE VH, CH. Il. 301

vetnent de A. Mais comme le mouvement de A, qui est

fini, se passe dans un temps fini, il en résulterait, chose

impossible,qu'un mouvementinfini se passerait dans un

temps fini.

H semble que ceci répond à la question posée au dé-

but, et que la série ne peut se prolonger a.l'infini; mais

ta démonstration n'est pas aussi péremptoire qu'on le

croirait, parce qu'il n'est pas impossible autant qu'on le

croit que des mouvements infinisaient lieudans nn tempsfini. Il se peut en effet fort bien que dans un temps fini il

y ait un mouvement infini, non pas d'un seul corps, sans

doute, mais de plusieurs corps qui seraient infinis en

nombre; et c'est précisément le cas que nous supposionstout à l'heure, puisque chacun des corps supposés a un

mouvement qui lui est propre, et que plusieurs corps

peuvent se mouvoir en même temps.Mais s'il faut que le moteur immédiat et primitif qui

donne le mouvementdans l'espace ou tel mouvement cor-

porel, touche le mobileou qu'il soit adhérent ou contiguau mobile, ainsi qu'on peut l'observer dans tous les cas

de mouvements transmis, il faut alors que les moteurs et

les mobiles supposés plus haut se touchent réciproque-

ment, et soient continus les uns aux autres de manière a.

former un seul système. Ce système, d'ailleurs, sera ou

limité ou infini, peu importe; car, de toute façon, le mou-

vement de tous sera infini, puisqu'ils sont en nombre in-

fini, les mouvements des uns et des autres étant soit

égaux soit inégaux. Ce que nousprenons ici comme sim-

plement possible peut être supposé réel, et si le nombre

total des ABCD,etc., est infini, et qu'ils aient accomplileur mouvement dans le tempsK, comme ce temps est

Page 479: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE302

fini,il s'ensuit que dans un temps fini, le fini oui'innni

parcourt l'infini. Or, l'une de ces hypothèses est impos-

sibletout aussi bien que l'autre. Donc il est nécessaire

qu'il y ait quelque part un temps d'arrêt, c'est-a-dire

qn'i)y ait un premier moteur et un premier mobile.Peu

importe du reste que l'impossible soit conclu d'une

hypothèse car les prémisses étant contingentes,la con-

clusionne peut jamais être elle-même que contingente

commeles prémisses.

1)1.

Je viens de dire que le moteur et le mobile devaient se

toucher maintenant je veux démontrer ce principe. Je

dis donc que le moteur immédiat et primitif, celui d'où

part le mouvementet non pas celuien vue duquel le mou-

vement se passe, est dans le même lieu que l'objet qu'ilmet en mouvement; et par le mêmelieu, il faut entendre

qu'il n'y a rien d'interposé entre le moteur et le mobile.

C'est là une condition commune à tout mobile et à tout

moteur; car il y a trois espèces de moteurs, commeil y a

aussi trois espèces de mouvements, dans l'espace, dans la

qualité et dans la quantité et pour chacune de ces es-

pèces, il y a an moteur spécial, l'uu qni produit la trans-

lation, l'autre qui produit l'altération, et un troisième qui

produit l'accroissement et le dépérissement.

Je parle d'abord de la translation, parce qu'on peut la.

regarder comme le premier et leplusapparent des mouve-

ments et je vais prouver que le moteur et le mobiledoi-

vent,pour cette espèce de mouvement, être dans le même

lieu.Tout ce qui se déplace dans l'espace, ou se meut par

Page 480: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTË,UVHEVII, CM.1! 303

lui-même,ou estmu par unecause étrangère.Pour tousles corpsqui se meuvent eux-mêmes,il est évident quele moteur et le moMIesontnécessairementdans le même

lieu, puisque le moteur,qui lesment immédiatement,ré-side dans ces corpsmêmes,et qu'il ne peut y avoir rien

d'interposé ici entre le moteuret le mobile.

Quant aux corpsmus par unecause étrangère, il n'y a

que quatre cas possibles, attendu que le déplacement.dans l'espace ne peut avoir qu'unede ces quatre causes

traction, impulsion, transport ou rotation. Tous les dé-

placementsdans l'espace peuvent,en effet,se ramener àces quatre là. Ainsi,la compressionn'est qu'une impul-sion où lemoteursuit et accompagnela chosequ'il pousse,tandis que la répulsion est uneimpulsionoù le moteur ne

suit pas cette mêmechose. La projectiona lieu quand on

rend le mouvementimpriméà l'objet plusfort que ne se-

rait sa translation naturelle, et que l'objet est déplacédans l'espace, aussi longtempsque le mouvementexiste

et domine.La dilatationet la contractionne sont pas non

ph)s autre chose qu'une impulsionet une traction. On

peut dire que la dilatation est une répulsion; car la ré-

pnisionpeut avoirlieu, soit loindu moteurlui-même,soit

loin d'un autre. La contractionn'est aussi qu'une trac-

tion car la traction se fait, soitsur l'objet lui-même,soit

sur un autre. On expliqueraitdemême les autres espècesdemouvementsanalogues,l'extensionetle rétrécissement.la premièren'étant qu'une dilatation,et le secondn'étant

qu'une contraction. !1 en est encore ainsi pour toutes

les autres concrétionsou séparations ellesne sont toutes

que des dilatationsou des contractions.Ici seulement, il

faudraitexcepter cellesqni se rapportent la génération

Page 481: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE30A

et a la destruction des choses.D'ailleurs, on voit bien quela séparation et la concrétion ne sont pas des mouvements

de genres absolument différents, puisqu'elles peuvent se

ramener toutes deux à un des mouvements ci-dessus in-

diques. A un autre point de vue, l'aspiration que l'ait la

poitrine n'est qu'une traction,et l'expiration n'est qu'une

impulsion. De même aussi, pour l'expectoration et tous

les autres mouvementspar lesquels le corps ingère ou re-

jette quelque chose les uns ne sont que des attractions,et les autres des répulsions. Ainsi, en résumé, on peutréduire tous les mouvementsqui se font dans l'espace à

ceux que nous avons indiqués plus haut.

Parmi ces mouvements, il en est encore d'autres tels

que le transport et la rotation, qu'on peut faire rentrer

dans la traction et dans l'impulsion. Ainsi, le transportne peut avoir lieu que de trois manières la chose trans-

portée n'a qu'un mouvementaccidentel, parce qu'elle est

dans une autre chose,ousur une autre chose, qui est elle-

même en mouvement; mais ce qui transporte peut lui-

même être, dans une de ces trois conditions, ou tiré, ou

poussé, ou tournant; et ce transport peut avoir lieu sous

ces trois formes de mouvements. Quant à la rotation,elle est un composé de traction et d'impulsion. En en'et,le moteur qui fait tourner doit, tout ensemble, attirer et

repousser, l'une de ces deux actions éloignant de lui le

mobile, et l'autre l'y ramenant.

Si donc le moteur qui pousse loin de soiou qui tire à

soi, doit être dans le même lieu que le mobile qui est

poussé ou tiré par lui, il est évident, d'une manière gé-

nérale, qu'il ne peut y avoir dans l'espace rien d'inter-

médiaire entre ce qui est mu et ce qui meut; c'est-à-

Page 482: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTM.UVRK VH, <:H. ti). :~()5

20

dire que le moteur et le mobile se touchent: Cettevéritéressort des dénnitions mêmes que nous venonsde don-ner. A.insi,l'impulsion n'est que le mouvement partantdit moteur mêmeeu d'un autre, pour aller vers un autre.La tra.ct.ionn'est pas autre chose que le mouvementquipart d'un autre point pour arriver vers le moteurou versun autre, quand le mouvement de ce qui tire est plus fortet qu'il sépare les continus les uns des autres, c'est-à-

dire, qu'il les divise, un objet étant entraîné avec l'autre.Uest vrai qu'on peut concevoir la traction d'une manièredifférente de celle-là; car ce n'est pas de cette manière,

par exemple, que le bois sec attire la flamme.Maispeuimporte que cequi attire exerce sa traction, soit en étanten mouvement, soit en étant en repos; et la seute diffé-

rence, c'est qu'il tire le mobile, tantôt au lieu où il est

tui-u)6mn, et tantôt au lieu où il a précédemmentété. Un'en reste pas moins impossibfe de mouvoir un objet desoi vers un autre, ou d'un autre vers soi, sans toucher cet

objet. Donc encore une foisentre le moteur et le mobiledans t'espace, i) n'est pas possible qu'i) y ait rien d'in-

terposé.

Si t'intennédiaire est impossible dans ce cas, il i'esttout autant dans le mouvement d'altération; c'cst-a-dire

qu'it faut nécessairement que l'altérant et l'altéré se tou-chent. L'observation des phénomènes et )'inductionpeu-vent démontmrcette vérité. Toujours les deux extrémitésde ce qui attire et de ce qui est attiré sont dans un seulet même lieu. Un objet s'altère, et il a le mouvement

d'altération, par exemple, quand il s'échauffe, quand ildevient doux, quand il devient épais, sec, bianc, etc.,

passant des qualités contraires :'<.ces quajités nouvelles.

Page 483: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDHLA PHYSIQUE:!0<)

Ceci, du reste, s'applique aux êtres animés aussi bien

qu'aux êtres inanimés; et dans les êtres animés, l'altéra-

tion peut atteindre les parties insensiblesaussi bien que

les sens eux-mêmes car les sens s'altèrent et changent à

leur manière. La sensation, quand elle est actuelle et ef-

fective, est une sorte de mouvementqui se passe dans le

corps, au moment où le sens vientàéprouver une impres-

sion. Dans les cas où l'être inanimé est altéré, l'être

animé l'est aussi. Maisla réciproque n'est pas vraie dans

tous les cas car là où l'animal est altéré, l'être inanimé

ne l'est pas toujours, puisque, n'éprouvant pas de sensa-

tion, il ne peut être altéré par cette dernière cause. L'un

a conscience de ce qu'il éprouve; l'antre n'en a pas con-

science. Mais l'être animé tui-mûmepeut fort bien igno-

rer ce qu'il sent, et l'altération peut avoir lieu en lui sans

que ce soit a la suite d'une sensation.

Commece qui s'altère est toujoursaltéré par descauses

sensibles, on peut voir que toujours l'extrémité dernière

de ce qui altère est contiguë et se confond avec la pre-

mière extrémité de ce qui est altéré; c'est l'air qui est

continu a l'altérant, comme il est continu an corps altéré.

Ainsi, pour la couleur, elle est continue à la lumière, et

la lumière eDe-memel'est à la vue.Mêmesrapports pour

t'ouïe et pour l'odorat. L'air est toujours le moteur rela-

tivement a l'organe qui est mu. Le même phénomène a

lieu pour le goût, et.la saveur de l'objet qui altère legoût,

est dans le même lieu que le goût lui-même. Ce que je

dis ici pour les êtres animés et sensibles n'est pas moins

vrai pour les êtres insensibles et inanimés et, d'une ma-

nière général, il n'y a ri~n d'intermédiaire entre l'altéré

et l'altérant.

Page 484: La Physique d Aristote

!)'<\H)ST()TE, UVJΠVU, CH. !V. :;07

Il n'y a.pas davantage de séparation entre ce qui est,accru et ce qui accroît, c'est-à-dire dans la troisième

espèce de mouvement. L'accroissant primitif accroît lachose en s'y adjoignant, de manière que le tout ne fasse

qu'une seule et mêmechose. A l'inverse, ce qui dépéritva dépérissait, parce qu'il se détache quelque chosede

l'objet qui dépérit. Donc, nécessairementcequi accroît ouce qui détruit doit être continu; et quand on dit continu,cela exclut toute idée d'intermédiaire. Donc encoreune

fois, et] résumé, il estctair qu'entre le moteur et.le mobileil n'y point d'intermédiaire, le moteur étant d'ailleurs

premier ou dernier par rapport au mobile.

IV.

11a été question un peu plus haut de ce mouvement

particulier qu'on appelle l'altération; je reviens sur ce

sujet pour éctaircir davantage cette Tout ce quis'itère, avons-nous dit, est altéré par des causes sen-sibles, et il n'y a d'altération possible que là où l'actiondes causes sensibles peut s'exercer. Voicides argumentsqui doivent bien le prouver. En dehors des êtres quipeuvent subir cette action, on pourrait croire que l'alté-ration se rapporte surtout aux formes, aux figures,aux propriétés, soit que les objets les conservent, soit

qu'ils les perdent. Cependant ce n'est pas ]à précisémentqu'il y a altération. En effet, quand une chose a reçuune forme régulière et achevée, on ne la désigne pluspar )e nom de la matière mêmedont elle est composée.Ainsil'airain ayant reçu la formed'une statue, on ne dit

pins que c'est de l'airain; la cire ayant reçu la forme

Page 485: La Physique d Aristote

PAHAt'HH\SH DELA t~YStQMH:~)8

d'une bougie, onne t'appelle plus dein. cire; le bois ayaut

reçu la forme d'un lit, on ne l'appelle plus du bois; mais

on détourne légèrement l'expression, et l'on dit quêta

statue est en airain, que la bougieest en cire, et que In

lit est et) bois. Ceci d'ailleurs ne nous empêche pas de

qualifier l'objet, qui a subi une action et une altération;

et nous disons de t'airain, ou fie la cire, qu'il est sec,

qu'il est humide, qn'it est dur, qn'it est chand ou nous

lui attribuonstelle autre qualité. Onvamème plusloin; et,

renversant les termes, on dit que l'objet humide ou chaud

est de l'airain, en prenant en quelque sorte pour matière

l'affection même que l'objet éprouve; mais c'est une

simple homonymie. Si donc on ne dé.igne pas l'objet

altéré par la matière qui reçoit la forme, mais si on le

désigne uniquement par les altérations et les actions qu'il

subit, il est évident que les phénomènesqui se passent

dans la figure et la forme ne sont pas à.proprement parler

des altérations.

On ne peut pas davantageappliquer l'idéed'altération a

la naissanceet à la productiondes choses;et, parexemple,

on ne peut pas dire d'un homme, d'une maison, on de

tout autre objet, qu'il est attér6 quand il vient a se pro-

duire et à naître. Tout ce qu'on peut dire dans ce cas,

c'est que l'être naît et se produit, parce qu'une autre

chose change et s'altère; et par exempte, un être reçoit

la naissance parce qu'une certaine matière s'épaissit, se

raréfie, s'échauffe ou se refroidit. Mais on ne peut pas

dire de l'être qui naît et se produit qu'il soit altéré, et la

génération ne peut pas être considérée commeune alté-

ration véritable.

Les qualités ou manières d'être, soit physiques soit

Page 486: La Physique d Aristote

D'ARISTOTË,LIVRE V! CH. IV. 3(~)

morales, ne sont pas non plus des variations et des alté-rations proprement dites. En eflet, ces qualités sotît oudes vertus ou des vices; et l'on ne peut pas trouver nidans les unes ni dans les autres une altération véritable.Voicicomment: lavertu est un achèvement et une perfec-tion et c'est quandun être quel qu'il soit a atteint toute savertu particulière, qu'on peut dire de lui qu'il est achevéet.

parfait; car alors ila éminemmentobtenu son état naturel.

Ainsi, uncercle est parfait quand il est cercle leplus régu-lièrement possible. Le vice, au contraire, est Jadéchéanceet la destruction de cet état conformeà la nature spécialede l'être. II en estici des vertus et des vices commede touttautre chose et, par exemple, d'une maison on ne dit

pas que son achèvementsoit une altération qu'elle subit;car il serait par trop étrange de prendre le toit ou la tuiie

pour une altération, et de croire que la maison subit unealtération au lieu de croire qu'elle s'achève, quand elle

reçoit son faîte et son toit. Il en est absolument de même

pour les vertus et les vices, et pour ies êtres qui les pos-sèdent ou qui les acquièrent. Les vertus sont des achève-ments et des perfections les vices sont des dégradationset des déchéances; mais ni les vertus ni les vices ne sonttvraiment des altérations.

J'ajoute que les vertus et les vicesne sont que des re-

lations, et ne consistent que dans une certaine manièred'être par rapport certaines choses.Ainsi, pour les ver-

tus et les qualités purement corporelles, comme la santéet l'embonpoint, elles consistent dans le mélange et la

proportion du chaud et du froid, soit que l'on considère

ces éléments dans leurs rapports réciproques à l'intérieur

du corps, soit qu'on les considère au dehors, c'cst-a-dire

Page 487: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3d0

dans le milieu dont ]ecorps est entouré. Même réflexion

pour la beauté, pour la force, en un mot, pour les vertus

ou les vices du corps. Chacune de ces façons d'être con-

siste dans une dispositionspéciale relativementà une cer-

taine chose; et elle dispose le corps en bien ou en mal

aux affectionsspéciales que cette chose produit.

J'entends d'ailleurs par anections spéciales celles qui,

dans l'ordre naturel des choses, peuvent produire l'être

ou ]e détruire, à tel ou tel égard. Ainsi les vertus et les

vices ne sont que des relatifs; mais, comme les relatifs

ne sont jamais eux-mêmes des altérations, et qu'il n'y

a pour eux ni altération, ni génération, ni absolument

parlant aucune espèce de changement, il en faut conclure

que les qualités ou façons d'être ne sont pas des altéra-

tions, non plus que la perte ni l'acquisition de ces quali-

tés. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, pour que ces qua-

lités naissent ou se produisent, il faut que certaines autres

choses changent et s'altèrent. C'est justement ce que

nous disionspour la formeet la figure. Ces autres choses

sont les éléments chauds et froids, secs et humides, c'est-

à-dire les éléments primitifs dont les êtres sont composés.

Chaque vice et chaque vertu en particulier, qui sont des

qualités, doivent varier et changer selon les lois de la na-

ture de l'être qui les possède.Par exemple,la vertu ducorps

c'est d'être insensible à certaines choses, ou plutôt c'est

de sentir les choses uniquement commeelles doivent être

senties. Le vice du corps le rend sensibleou insensib)c

d'une manière toute contraire &la vertu.

Ce qu'on vient de dire des qualités du corps s'applique

aux qualités de l'âme. Les qualités de l'âme, endïet, con-

sistent également àêtredans une certaine disposition rela-

Page 488: La Physique d Aristote

U'AmSTOTK,UVhEVU,CH.tV. :HJl

tivement à certaines choses. Ici aussi les vertus sont des

perfections et des achèvements, tandis que les vices sont

des désordres et des déchéances. La vertu dispose bien

pour les affections et les passions qui appartiennent à la

nature propre de l'être, tandis que le vice, au contraire,

dispose mat. Par conséquent, les vertus et les vices <te

l'âme ne sont pas plus des altérations que les vices et les

vertus du corps; la perte et l'acquisition des unes ou des

autres ne sont pas davantage de vraies altérations.

Seulement, il y a nécessité absolue que les vertus et.

les vices de l'âme, comme ceux du corps, ne puissentse produire qu'à la suite d'une altération ou d'un chan-

gement dans la partie capable de sentir. Or, cette partiede l'âme n'est modifiéeet altérée que par les choses quel'on sent. Toute la vertu morale se rapporte en définitive

aux joies et aux douleurs du corps, soit qu'il s'agisse de

la sensation présente, soit qu'il s'agisse du passé et d'un

souvenir, soit enfin qu'il s'agisse (le l'avenir et d'une

espérance. Tantôt c'est l'action de fa sensibilité pré-

sente tantôt c'est l'action de la mémoireet de l'espé-

rance, selon qu'on a plaisir à se souvenir de ce qu'ona senti, ou à espérer ce qu'on doit sentir. Par consé-

quent, le plaisir, du genre dont nous parlons ici, se

rapporte a des causes sensibles. Or, couune c'est à la

suite du plaisir que se forment les vertus et les vices~dont le domaine n'est en réalité que le plaisir et Ja dou-

leur, et comme le plaisir et la douleur ne sont que des

altérations et des modifications de la partie sensible de

l'âme, il eu résulte évidemmentqu'il faut de tonte néces-

sité une modification préalable et une altération de

quelque chosepour que l'âme puisse .tcqourir ou perdre

Page 489: La Physique d Aristote

PAi~APHUASHDE LA PHYSIQUE:H2

la vertu ou le vice. Ainsi,la vertu et le vice se produi-sent bien avec une altération mais la vertu et le vice ne

sont pas eux-mêmes des attestions proprement dites.

Les mêmes remarques qu'on vient de faire sur les qua-lités sensibles de Famé, peuvent s'appliquer aussi à ses

facultés intellectuelles. Elles ne sont pas davantage des

altérations, et l'on ne peut pas dire qu'il y ait pour ces

qualités nonptns une générationvéritable. Ainsi,la science

consiste surtout dans une certaine disposition de l'âme

relativement à certaine chose; ce n'est donc qu'un relatif;

et ce qui prouve bien qu'il n'y a point ici génération des

qualités irrtellectnelles de l'inné, c'est que la partie de

Famé qui est faite pour acquérir la science, ne l'acquiert

pas par suite de quelque mouvement qui se passeraiten elle; elle l'acquiert uniquement à la condition de

quelque chose qui existait préalablement; car, lorsquele phénomène particulier se produit, )'ân)e le connaît en

quelque sorte aussitôt par l'universel qu'elle possédaitantérieurement.

Bien plus, on ne peut pas même dire qu'it y ait une

véritable génération de l'acte de la science, pas plus qu'il

n'y en a pour la faculté qui l'acquiert, à moins qu'on ne

veuille soutenir aussi qu'ily a génération de la faculté de

voir ou de toucher dans l'acte de la vue ou dans l'acte du

toucher, et que l'acte de l'intelligence est tout pareil à

ceux-là. Mais l'acquisition initiale de la science ne peut

pas non plus passer pour une génération ni une altéra-

tion, puisque la science ou la réflexioncontemplative dans

l'intelligence nous apparaît comme un repos et un temps

d'arrêt. Or, il n'y a pas besoin de génération quelconque

pour arriver au repos; car, ainsi que nous avons essaya

Page 490: La Physique d Aristote

D'ARiSTOTE,UVUE VU, CH.IV. 313

de ledémontrerplus haut, (LivreV,ch. 111),iln'y a pointde générationpourun changementquelconque,pas plus

pour l'altération que pour tout autre.On peutmêmealler

plusioin; et de même que quand quelqu'un sort d'une

ivresse,d'un sommeil ou d'une maladie pour revenir aun état contraire,on ne dit pas qu'il redevientsavant,bien que quelques instants auparavant il fut horsd'état(le faireusage de la science, de mêmeon ne peutpas dire

précisément qu'un homme devient savant quand i! ac-

quiert la science pour la premièrefois. On nepeut deve-nir savant et sage que quand l'âme s'est appaisée etremise du trouble physique. C'est parce que ce troubleest violentdans lesenfants qu'ils ne peuvent apprendreet porterun jugement d'après leurs sensations,aussibien

que les personnes plus âgées; c'est en euxcommeune

agitationperpétuelle, que la nature suffit à ca)meravecle progrès des années; et qui petit se calmer aussi pard'autres causes. Mais, dans tous les cas, quandon ac-

quiert la sciencesoitpour la premièrefois, soitaprès untrouble passager, c'est qu'il s'est produit toujours cer-tainesmodificationsou altérationsdans le corps,demême

qu'il s'en produit une quand on se réveille aprèslesom-

meil, et quand on recommenceà comprendreles choses

après qu'on s'est dégrisé ou réveillécomplètement.Doncen résumé, on doit voirque l'altération ne peut

se produire que dans les chosessensibleset dansla partiesensible de l'âme; si elle se produit ailleurs, ce n'est

jamais que d'une façon indirecte. Mais,après cette di-

gression,je me hâte de revenir a la théorie du mouve-

ment, et de la poursuivre dans denouveaux détail.

Page 491: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDELAPHYSIQUE3t/)r,

Après avoir établi dans ce qui précède les rapports

du moteur au mobile, il nous faut voir maintenant quels

sont les rapports des mouvements entr'eux. On peut se

demander, en effet, si tout mouvement quel qu'it soit est

comparable à un autre mouvement quelconque, ou bien

si au contraire les espèces de mouvementssont tellement

din'érentes entr'elles qu'il est impossible de les comparer.Si l'on admet que tous les mouvements sont compa-

rables, onarrive bien des impossibilités,et, par exemple,à celle-ci qu'une ligne courbepeut être égale à une droite

partant des mêmes points, ou plus grande que cette

droite, ou pluspetite, en vertu de ce principe qu'un corps

qui parcourt un espace égal dans un temps égal, est doué

d'une égale vitesse; car alors il sumrait d'une vitesse

plus grande pour que le mouvement en ligne courbe fut

égal au mouvement en ligne droite. De même encore ou

en arriverait conclure qu'une altération est égale à une

translation, parce que ce serait dans un temps égal qued'une part le corps aurait été altéré, et que d'autre partil aurait été déplacé dans l'espace. Par conséquent, une

afiection deviendrait égale à une longueur; ce qui est

impossible. Il y a bien sans doute égalité de vitesse quandle mouvement est égal dans un temps égal; mais il ne se

peut jamais qu'une an'ection soit égale à une longueur;et par conséquent, il n'y a pas d'altération égale à une

translation, ni moindre, ni plus grande qu'une translation

quelconque. Doncnon plus, un mouvement quelconquen'est pas comparable à un mouvement quelconque. C'est

';c que nous allons prouver.

V.

Page 492: La Physique d Aristote

D'AHISTOTE,LIVRE VU, CH. V. 345

Dansl'exempleque nousprenions tout à l'heure, quelssont les vrais rapportbdu mouvementen ligne courbe etdu mouvement en ligne droite? On peut soutenir avecune égale apparence devérité que ces deux mouvementssont comparables, et qu'ils ne le sontpas. Il ne faut pascroire que deux objetsne puissent point avoir un mou-vementpareil, l'un en ligne droite et l'autre en cercle,et qu'il l'ailletoujoursque l'un soit plus rapide et l'autre

plus Jent, comme si l'un descendait une peute et quel'antre la remontât; le mouvement des deux peut être

égal. Maispour prouvercette assertion, il neserviraitderien de dire que le mouvementen ligne droite, pouvantêtre ou plus grand ou plus petit que le mouvementen

ligne courbe, il doit aussipouvoir lui être égal; car de ce

qu'une chose peut être plus grande ou plus petite, il nes'ensuit pas qu'elle puisseêtre égale.

Soit, le temps A oùl'un des corps parcourt la dis-tance B, et l'autre, la distance C; B est plus grand queC, et l'on suppose que le corps H est animé d'un mou-vementplus rapide queC, puisque dans un tempségal il

parcourt une distance plus grande; de même que si lemouvementest égal dans un temps moindre, il laut quele corps soit animé d'une plus grande vitesse. Donc le

corps B parcourra, une distance égale à la courbe dansune partie du temps A, tandis que le corps C mettra le

temps A tout entier à parcourir la courbeC tout entière.

Que si l'on prétend que les deux mouvementssont com-

parables, alors il en résulte cette conclusion, dont nous

signalionsun peu plus haut l'impossibilité, à savoirquela ligne droite et la courbesont égales. Maiscomme ces

Page 493: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3J6

deux lignesne sontpascomparabtes, les mouvements qui

les parcourent ne le sont pas davantage.

D'ailleurs, pour qu'on puisse établir une réelle com-

paraison entre deux choses, il faut que ces choses ne

soient pas simplement homonymes. Ainsi, pourquoi ne

peut-on pas comparer ces trois objets, le stylet dont on

se sert pour écrire, le vin qu'on boit, et la note de la

musique que l'on chante, bien que tous les trois soient

aigus et aigres? C'est uniquement parce que ces trois

choses ne sont qu'homonymes,et que des lors on ne peutt

les comparer entr'eties. Mais dansun seul et mêmegenre,

on peut fort bien comparer )a tonique et la dominante,

parce que pour l'une et pour l'autre l'expression d'Aiguë

a tout a fait le mêmesens. Maisquand on dit qu'un mou-

vement circulaire et un mouvement en ligne droite sont

rapides, cette expression de Rapide n'est-elle pas prise

pour tous les deux dans le mêmesens? Et cette expres-

sion est-elle moins applicable l'altération et &la trans-

lation qu'on voudrait comparer? A cette théorie, on peut

répondre qu'il ne suffitpas, pour que des choses soientt

comparables, qu'elles ne soient point homonymes. Ainsi,

le motBeaucoupappliqué à l'eau et à l'air n'est pas homo-

nyme car il signifie la même chose; et cependant l'eau

et l'air ne sont pas pour cela comparables. Si au lieu du

terme de beaucoup, on veut prendre celui de Double, le

double signifie bien la même chose de part et d'autre,

puisque c'est toujours le rapport de deux à un et cepen-

dant les deux éléments n'en sont pas plus comparables

cntr'eux; l'air ne peut pas être le double de l'eau, ni

réciproquement.

Page 494: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE, HVRË VU, CH. V. M7

Maisl'explication peut-elle s'appliquer également bien

ces cas divers? Le mot Beaucoup lui-même peut être

homonyme;caril y a des choses pour lesquelles les défi-

nitions sont homonymes aussi bien que les mots. Ainsi,

Beaucoup signifie d'abord une certaine quantité de la

chose, un Tant, et quelque chose en sus. MaisTant, c'est-

à-dire Égal,est un mothomonyme. Unaussi est à certains

égards homonyme; et si Un est homonyme, Deux l'estcommelui et le double que nous citions tout à l'heure,est homonymeaussi. Alors on peut se demanderpourquoicertains objets sont comparables, tandis que d'autres nele sont pas, si au fond leur nature est une et iamême.

Est-ce qu'il y a une comparaisonpossible dans le casseulement où le récipient primitif est le même?Et est-ce

qu'il n'y a pas possibilité de comparer quand ce t'écipientest din'éi'ent? Par exemple, on peut bien comparer uncheval et un chien sous le rapport de la blancheur, parceque de part et d'autre le primitif de la blancheur est le

même, c'est-à-dire la surface dans l'un et l'autre de cesanimaux. Mêmeremarque pour leur grandeur. Mais il est

impossible de comparer J'eau et la voix, parce qu'ellessont dans un tout autre primitif, si l'on dit, par exemple,de l'une et de l'autre qu'elles sont claires, ou qu'ellessont douces. Mais n'est-il pas évident qu'on .peut ainsi

tout identifier et tout confondre, endisant seulement quepour chaque chose le primitif est différent? Ainsi l'égal,le doux, le blanc, se confondraient pour tout objet; seu-

lement, ils seraient dans des primitifs différents.On pour-rait mêmeajouter que ces récipients primitifs eux-mêmesne sont pas arbitraires, et qu'il n'y en a.qu'un seul pour

chaque qualité spéciale.

Page 495: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE:;)S

Cecinous mène à comprendreà quellesconditionsles

objets sont comparables.Ces conditionssont an nombre

de deux d'abord, il faut que cesobjetsne soient pas ho-

monymes et, en secondlieu, il ne doit y avoir de diifé-

rence,ni dans l'objet lui-même,nidansl'espèceà iaqudie

on le rapporte. Je m'explique, par un exemple, et je

prends celui de la couleur. Sans doute, la couleur est

susceptiblede din'érenceset de divisions;mais, sousce

rapport général, les objets ne sont pas comparabtes, et

l'on ne peut pas se demander si unobjet est plus coloré

qu'un autre. Maisil faut spécifierla couleur, an lien de

n'en parler qu'en tant que couleur, et dire, par exemple,

que tel objet est plus ou moins blancque tel ou tel antre.

En appliquantce principean mouvement,nous verrons

que!s mouvementssont ou ne sontpas comparablesen-

tr'eux. On dit, en effet,de deux mobilesqu'ils ont une

vitesseégale, lorsque,dans un tempségal, ils parcourent

une égale distance, qui a telle on telle dimension. Mais

si, dans le même intervalle de temps,l'un des mobilesa

subi un mouvement d'altération, tandis que l'autre a

subi un mouvementde translation, peut-on comparerla

vitesse de l'altération à la vitesse du déplacement? C'est

impossible,parce qu'alors le mouvementa des espèces

diverses qui ne se ressemblent pas.

Si doncdeux mobilessont animésd'une vitesse égale,

lorsque dans un temps égal ils parcourentune égale dis-

tance, il s'ensuivra que la droite et la courbe partant des

mêmes points et aboutissant aux mêmespoints seront

t'gales; ce qui nese peutpas.Et pourquoila translation en

ligne droiteet la translationcirculairenesont-ellespas com-

parables?Est-ce parceque la translationest nn genre qui

Page 496: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE. LIVRE VH, CH. V. 3!9

contient des espèces diverses, circulaire on 'en lignedroite, et parceque la ligne aussi est un genre,ou droite,ou circulaire? Le tempsne peut pas empêcherla compa-raison. puisque de part et d'autre il est le mêmeet tou-jours indivisibleen espèce. Ou bien est-ce parce que latranslation et la ligneont des espècesdifférentes? Et queles diflérencesde la translation varientavec lesdirectionsdans lesquellesellealieu?Latranslation variemêmeselonles moyens par lesquels elle se fait et, par exemple,sic'est à l'aide de pieds, on l'appelle la marche; si c'est pari-des ailes, on l'appelle le vol. Ou bien ne peut-onpas direqu'au fond ici la translation est identique, et qu'elle nediu'ère que par des formes tout extérieures? !I est bienvrai que les mobilesont une vitesseégale, lorsque, dansun même temps, ils parcourent une égale distance; maisil faut, en outre, que cette distanceégale ne diffèrepas enespèce, et que le mouvementne diffèrepas en espèceplusque la distanceparcourue.

H faut doncregarderavec le plus grand soinaux difré-rences que le mouvementpeut présenter, quand on veutfaire une comparaisonexacte. On doit aussi se dire quele genre mêmen'est pas une unité parfaite, et qu'il cacheet renferme toujoursen lui bien d'autres termesqui peu-vent causer uneerreur; car, parmi les homonymies,il yen a qui sont fort éloignées et qu'on reconnaît sur le

champ d'autres, an contraire, sont fort rapprochées,etelles peuvent faire illusion, selonque les objetsont plusou moins de ressemblance,soit par le genre dans lequelils sont, soit par l'analogie d'emploi et de situation. Cen'en sont pas moinsdes homonymies,bienqu'onait peinea les distinguer. Et, puisqu'il s'agit ici d'espèces din'f'

Page 497: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE:~0

rentes demouvement, comment reconn~îtra-t-onque l'es-

pèce est difïérentePSuuit-il, pour que l'espèce soit dif-

férente, que le sujet soit autre ? Ou faut-il que l'espèce

soit autre elle-même dans un autre sujet? Quelle est en

ceci la limite? Et comment jugeons-nous, par exemple,

que le blanc et le doux sont d'une mêmeespèce ou d'es-

pèce différente? Est-ce parce que la qualité parait diffé-

rente dans un sujet différent ? Ou bienparce qu'en soi la

qualité n'est pas du tout la même des deux côtes?

En considérant particulièrement le mouvementd'alté-

ration, on peut se demander comment une altération

pourra être égale en vitesse à telle autre altération. Par

exemple, en prenant la guérison d'une maladie comme

un mouvement d'altération d'un certaingenre, il est pos-

sible que tel malade guérisse plus vite, et que tel autre

guérisse plus lentement, de même qu'il est possible éga-

lement que plusieurs malades guérissent,dans le même

temps. Onpeut dire alors que l'altération est d'une égale

vitesse, puisque le malades'est modifiéet a varié dans un

temps égal. Mais on peut faire une objectionà ceci, et se

demander précisément Qu'est-ce qui est modifié et

altéré? !I ne peut être question, dans ce cas, d'égalité pro-

prementdite car ce n'est pas de l'égalité, mais de la res-

semblance qu'il s'agit, puisqu'on est passé de la caté-

gorie de quantité à celle de qualité. Acette objection, on

peut répondre que vitesseégale signifie,dans le cas dont

nous nous occupons, que le même changement s'est fait

dans un temps égal.

Ainsi revient la question des conditions requises pour

qu'une comparaison soit exacte. Est-ce l'objet dans le-

quel est.l'anection qu'il faut comparer? Ou bien est-ce

Page 498: La Physique d Aristote

1)'ARISTOTE,LIVREVt), (;H. V. 3211

l'affection elle-même? Dans le cas que nous venonsdn

citer, ou l'on comparait des malades, laguerison est ideu-

tique pour les deux, et elle n'a été ni plus ni moins ra-

pide pour l'un que pour l'autre. Mais si, au lieu d'uneaffectionidentique, il s'agit d'nne affection différente, la

comparaison n'est plus possible, Par exempte, si d'uttcote il y a l'altération d'une chose qui blanchit, et del'autre l'altération d'une chose q'ii guérit, il n'y a plus là

d'identité, ni d'égalité, ni de ressemblance. Il y a plu-sieurs espèces d'altération qu'on ne peut comparer en-.

tr'elles, de même que tout à l'heure il y avait plusieursespècesde translation, l'une en ligne droite, et l'antre en

lignecourbe. Il n'y a qu'à voir alors combien il y a d'es-

pècesd'altération et d'espèces de translation.Si donc les mobiles, dans leurs mouvements essentiels

et non accidentels, diffèrent en espèces, ils digérerontaussi dans les espèces de leurs mouvements; s'ils diffè-rent en genre, leurs mouvements digéreront en genreaussi, et s'ils diffèrent en nombre, les mouvements diffé-reront en nombre également. Maisencore une fois, faut-il regarder à l'affection pour savoir si elle est identiqueou seulement pareille, et, par exemple, si deux altérationsse font avec une égale vitesse? Ou bien faut-il regarder à

l'objetaltéré.pour savoir si l'un, par exemple,blanchit detelle quantité, et l'autre de telle autre quantité? Ou bienencore faut-i! regarder aux deux, c'est-à-dire à l'affectionmêmeet à l'objet qui la subit? L'altération, dans l'affec-tion dont il s'agit, est ou ia même, ou différente, selon

que l'affection elle-même est ou identique ou différentel'altération est égale ou inégale, selon que l'affectionest

égale ou inégale elle-même.

2!

Page 499: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDELA PHYStQU)';322

Voilàpour la comparaisondes mouvementsd'altération

et detranslation.Quant àla générationet à la destruction,

on peut fairelamême recherche,et on peut se demander

aussi Commentunegenérationpeut-eDeêtred'unevitesse

égaleà Javitessed'une antre génération? Lagénérationest

également rapide, si c'est dans un temps égal que le

même être, c'est-à-dire l'individu de la même espèce,

l'homme, par exemple, et non l'animal, est produit. La

génération est plus rapide si, dans un tempségal, c'est

un être différentqui est produitet formé et quandje dis

un être différent,c'est toujours un être de la mêmees-

pèce car on ne peut, pour la substance, comparerdeux

êtres divers, commeon compareceux entre lesquelson

trouve de ]a dissemblance.Ils sont deuxsous le rapportde l'altération; mais il y a iciune absolue identitésous le

rapport de la substance. Quesi l'on prend la substance

pour un nombre,et si l'on prétend qu'on peut alorscom-

parer les substances commedes nombres dont l'un est

plus fort que l'autre, bien que tous les deux soientde la

même espèce,je réponds qu'il n'y a pas de nomparticu-lier pour exprimercette relation de deuxsubstances,de

même que,pourexprimer cerapport entre deuxqualités,on dit que l'une est Plus tellechose que l'autre, et que,

pour l'exprimer entre deux quantités, on dit quecelle-ci

est plus grande que celle-là. Mais, dans les substances

que l'on compare,il n'y a riende semblable.

VI.

Après avoir montré commenton peut comparer les

mouvementscntr'eux, je dois faire voir quels sont les

Page 500: La Physique d Aristote

D'ARISTOTE,UVRE, VU, en. yi. 323

l'apportsproportionnelsqu'ils peuvent avoir. Je reviensd'abord à quelques principesque j'ai déjà indiqués.Tout moteur meut toujours un mobile dans quelquechose et dans une certainemesure il sur ce mobiledans quelque chose, c'est-à-dirependant un certain in-tervalle de temps; et il le mentdans une certaine nlsure, c'est-à-dire qu'il le. porteà une certaine distance;car le moteur meut toujoursenmême temps qu'il a mu.Le mobileest toujoursune certainequantité, et il est~,d'une certaine quantité. Représentonsle moteur par A,Je mobilepar B, et par C la quantitédont le mobile a étému le temps durant lequel le mouvementa eu lieu serareprésenté par D. Dansun temps égal, la puisseprésentée par A fera faire à la moitié du mobile B unmouvementdoublede C, et eUelui fera parcourir la dis-tance C dans la moitiédu temps D; car telle est la pro-portion régulière de ces mouvementsentr'eux. Ainsi, lapuissance restant la mêmeet aussi le temps, le mo-bile réduit de moitié parcourtun espace double; et ensecond lieu, la puissanceétant ia même, le mobile réduitde moitiéparcourtun espaceégaldansla moitiédu temps.Par suite, on peut poser deuxautres règles qui sont la

conséquencede celle-ci. La puissanceet le mobile res-tant les mêmes, le mouvementseramoitié moindre danssla moitié du temps; et si l'on réduit la forcede moitié,elle produira la moitiédu mouvementsur le mêmemobileeet dans le mêmetemps.Soit,par exemple,la puissanceFmoitié de la puissanceA,et F !enouveaumo. est~t~ du premier mobileB. Les rapports restent lesmêmesdans cette secondehypothèse,et la force reste en

proportion avec le poidsa mouvoir.Parconséquent ces

Page 501: La Physique d Aristote

3~) !APm!ASH f)E L\ PHyStQUt!:

deux forcesproduiront unéga) mouvementdans un tempségal.

Du reste, il ne faut pas croire que si E moitié de A

peut mouvoir F moitié de H, de l'espace C dans ]e

temps D, il en résulte nccessairctnent qnc E puisse aussi

mouvoir le double de F dans on temps égal et de la.

moitié de C; car il se peut fort,bien que la puissance qui

peut mouvoir la moitié d'un mobile, ne puisse pas tou-

jours et. nécessairement mouvoir te mobile entier. Heci-

proquement, si Ameut Hdans un temps Dd'une quantité

égate à C, il est clair que la moitié de A représentée parE ne pourra pas mouvoir B dans le temps D. Cette moitié

de la puissance ne pourra même pas peut-être faire par-courir au mobileune partie de C, ou telle partie propor-tionnelle qui serait àC tout entier conmieAest à E;car il

sepeut dans cecas qu'il n'y ait pas du tout de mouvement.

Si par exemple, il faut la force tont entière pour mouvoir

tel poids, la moitiéde la force ne pourra produire aucun

mouvement, ni d'un intervalle quelconque, ni dans une

proportion quelconque de temps; car autrement il sutu-

rait d'un seul homme pour mettre un navire en mouve-

ment, si l'on pouvait ainsi diviser la force de tous les

matelots, soit relativement au nombre, soit relativement

à la distance que tous réunis ont pu faire parcourir ait

bâtiment en combinant leurs efforts.

Ceci fait bien comprendre l'erreur où tombe Zenon,

quand il prétend qu'une parcelle quelconque d'un bois-

seau de grains doit faire du bruit en tombant, parce quele boisseau entier en fait quand on le laisse tomber. Il

est clair qu'une parcelle est toujours hors d'état de re-

muer à elle seule cet air que meut le boisseau entier;

Page 502: La Physique d Aristote

D'ARtSTOTM, LiVR~ vu, CH. Vt. 32~

isolée et réduite àe!!e.n~me, elle ne ment même pasautant d air qu'elle en pourrait mouvoirjointe à la tota-

lité du boisseau.Dans le tout, elle n'est qu'en puissancej'en conviens, et elle n'y est pas en soi; mais elle y aplus de force cependant que quand elle en est séparéepour agir seu)e.

Supposons maintenant qu'au lieu de considérer nupforce unique, nous ayons deux forces renies et agissantdans le même sens. Si chacune des forces prise à partmeut chaque mobile de telle quantité dans tel tempsdonné, je dis que les deux forces reunies pousserontpoids total formé de la réunion des deux poids, d'unequantité égale dans un temps éga!. C'est là la règle de hproportion. Cette dernière règle jointe aux prudentesconque ce que nous avions a dire sur la proportion-nante des .nonveu.ents qui ont lieu dans J'espace.

Ces régies qui regardent le mouvement ioc.'d, le dé-placement, peuvent-elles encore s-app)iquer i'aiterationet à 1 accroissement,c'cst~-dire aux d~x autres espècede mouvement? Elles y sont certainement applicabic.s.mais avec les modincaticns nécessaires. Ainsipour l'ac-c~ssement, il y a ici, comme plus h..ut, quatre termesqui peuvent être mis en proportion ce qui accroît, ce quiest accru, le temps durant lequel l'accroissement a.lieu,et la quantité dont elle a lieu. De inë.ne encore pour lemouvement d'altération, ou on peut distinguer l'altérant,~téré, la quantité et la durée <!e la modification Dansun temps double, l'objet changera d'une quantité doubie.et réciproquement, s'i) a changé du do.iMe,c'est dans untemps deux fois pins long. Dans la moitié du tcmps, ilchangera de moitié; et ~i. a changé de moitié, on peut

Page 503: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE326

affirmerque le temps a été moitiémoindre; ce qui n'em-

pêche pas quedans certains cas, il ne puissechanger du

doubledansuntempségal.Maisiciencorecommeantérieu-

rement, si l'altérantet l'accroissantaltèrentet accroissent

d'une certainequantité dans un certain temps,il ne s'en-

suit pas nécessairementque la moitié fassela moitié, ou

que la moitiéagissedeux fois moinsdans un tempsdeux

fois moindre; maisselon les cas, il se peut fort bien qu'il

n'y ait aucunealtération, ni aucun accroissement,ainsi

que nous le remarquions tout à l'heure pour le cas où il

s'agissait de mobilespesants.

LIVRE VIH.

UK L'RTERNJT~ MU MOUVEMENT.

I.

Après tous les développements qui précèdent, il ne

nous reste plus guère qu'à nous occuper d'nne dernière

question, celle de l'éternité du mouvement. Le mouve-

ment a-t-il commencéà un certain momentde la durée,

avant lequel il n'existait pas? Et de même qu'il aurait

commencé à un certain jour, y aura-t-il un jour où il

devra cesser, de manière que rien ne doive plus absolu-

ment se mouvoir?Ou bien en niant ces idéesde comtneu-

Page 504: La Physique d Aristote

D'ARiSTOTË, UVRMViH, CH. 1. :~7

cémentet de fin,doit-ondire que le mouvementn'a pointteu de commencement,et qu'il n'aura pointde fin? Doit-on penser qu'il a toujours été et qu'il sera toujours,mortel, indéfectiblepour tous les êtres,et commeuneviequi animetout ce que la nature a formé?

Tousceux des philosophesqui ont étudiéla nature etqu'on peut appeler des Physiciens, s'accordent unani-mementa admettre l'existence du mouvement, parce.P .Is se sont tous occupésde l'origine du monde, et quetontesleurs théories roulent sur la générationet la des-tructiondes choses, lesquellesne peuventêtre si le mou-vement n'est pas. Lors même qu'on soutient que lesmondessont infinis, et que les uns naissenttandis quelesautress éteignentet périssent, on n'en admetpas moinsJ'existenceéternelle du mouvement; car les mondes nepeuventnaître et périr qu'à la condition nécessaire du

mouvement.Les philosophesmémesqui n'admettent qu'uuseul monde,et qui ne le supposentpaséterneJ,fontégale-mentsur 1 existenceet la réalité du mouvementdes hypo-thèsesconformesà leurs systèmes.Lorsqu'onsupposeque le mouvementn'estpas éternel,et qu'il y a eu un temps où il n'existait point,iln'y a quedeuxmanièresde comprendre cette opinion ou comme

Anaxagore,il faut dire que, toutes les chosesayant étéconfondueset enseveliesdans le repos durant un tempsinfini, survint HnteUigence qui leur a communiquéàun certainmomentJ'ordre et le mouvement;ou bien avecEmpédocle,il faut penser que Jes chosessont tantôt engouvernent, tantôt en repos; qu'il y a mouvementquandde plusieurs choses séparées l'Amour n'en fait qu'uneseule, ou que d'une chose .miquela Discordeen fait pju-

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:~8 PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE

sieurs; et qu'il y a repos dans les intervalles qui séparent

l'action de l'Amour et l'action de la Discorde. C'est ce

qu'Empédode veut nous l'aireentendre, quand il dit en

propres termes

Ensachantramenerleur fouteà l'unité,Puisquittant.Funionpourlapluralité,Ilsvont,sansquele tempslesarrête ou lespresse;Et commeen aucund'euxle changementnecesse,

Danscecercleimmuabioilssefont~.ternets.

Examinonsà notre tour où est la vérité dans ces obs-

curs problèmes: car il importe de la découvrir et de la

bien comprendre, non pas seulement pour la science de la

nature que nous étudions ici, mais encore pour la con-

naissance du principe premier des choses.

Nous commenceronstout.d'abord en rappelant les défi-

nitions que nous avons poséesplus haut dans notre Phy-

sique (Livre il!, ci), 1). Nous répétons donc que le mou-

vement est la réalisation et.l'achèvement, l'entéléchie du

mobileen tant que mobile; et, par une conséquence né-

cessaire il faut supposer préa)ab!ement l'existence

actueDe (lechoses qui peuvent être mues~,queUe que soit

(t'aiUeursl'espèce de mouvement qu'eUcs reçoivent. Sans

mêmes'arrêter a cette définitiondu mouvement, il n'est

personne qui ne convienne que nécessairement tout ce

qui peut recevoir une des espèces quelconques do mou-

ment, doit d'une manière générale être susceptib)e d'6trc-

mu. Par exemple, si l'objet s'altère; il faut que ce soit

un objet susceptible d'altération s'il y a translation, il

faut que ce soit un objet susceptible d'être déplacé dans

J'espace, absolument commei) fan) qu'i) ait du com-

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D'ARISTOTË,LIVREV!U, CH. 1. 32~

bustible pour qu'il y ait combustion, et comme il faut

que le combustibleexiste avant de pouvoir brûler.

Par une conséquence non moins nécessaire, il faut

aussi, ou que les choses naissent à un certain moment

donné avant lequel elles n'existaient pas, ou qu'ellessoient éternelles. En prenant cette première hypothèse,et en supposant que tous les mobileset les moteurs sont

nés à un certain moment, il faudrait nécessairement en-

core qu'avant ce mouvement, qu'on prend pour le pre-miett, il y eût eu un changement préalable, et un mouve-

ment qui aurait fait naître et le mobilequi peut être mu

et le moteur qui peut mouvoir.Dans la seconde hypo-thèse, où l'on suppose que les moteurs et les mobiles ont

éternellement existé, sans qu'il y eût de mouvement, on

voit quelles étranges conséquencessortent de cette théo-rie pour pou qu'on la presse; car comment concevoir quele mouvement ait pu commenceraprès un éterne! repos?

En y regardant encore d'un peu plus près, les consé-

quences n'en deviennent que plus frappantes. Si, en effet,

parmi les choses qui reçoivent le mouvement ou qui le

donnent, il faut nécessairement un premier moteur et un

premier mobile, et, en l'absence du moteur et du mobile,un absolu repos, il en résulte non moins nécessairement

qu'il y a eu un changement antérieur, puisqu'il y avait

une cause à ce repos, le reposn'étant que la privation du

mouvement. Donc, avant ce changement qu'on prétendie premier, il y aura déjà eu un changement antérieur.

Certaines choses, en effet, ne produisent qu'une sente

espèce de mouvement; d'antres produisent des mouve-

ments contraires. Ainsile feu échauffe et il ne refroidit

pas, tandis (me ht sciotcc des cojiU'fm-e.sparait une seutc

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE330

et même science, c'est-à-dire que quand on sait un des

deux contraireson sait aussi l'autre du mêmecoup. Ce-

pendant il y a, même dans l'exemple quenouscitons ici,

quelque chose d'analogueà ce double effet; sans doute

le feu ne refroidit jamais; mais, quand il est absent, son

absence refroidit, de mêmeque le froid échaunepar son

absence, et que celui qui sait une chosepeut, par erreur

volontaire,employer à rebours la.sciencequ'il possède.

D'ailleurs, ceci n'empêche pa.s nécessairement quetoutes les chosesqui sontsusceptiblesd'agir, de souffrir,

de mouvoir ou d'être mues, n'agissent pas toujours et

dans tous les cas selon leur capacité propre. 11y faut eu

outre certaines conditions, et, par exemple, qu'ellessoient en contact les unesavec les autres.C'esten se rap-

prochant que l'une donnele mouvement,et que l'autre le

reçoit, et qu'elles s'arrangent de telle façon que l'une

puisse être mue et que l'autre puisse mouvoir.Si doncle

mouvementn'a pas toujourseu lieu, s'il n'est pas éternel,

c'est que les choses n'étaient pas disposéesde telle façon

que l'une pût recevoir le mouvement qu'une autre pou-vait lui communiquer.Ma fallu que l'une des deux tout

au moinsvint à changer; car c'est la.une nécessité abso-

lue pour tous les relatifs; et le moteur et le mobile sont

des relatifs. Ainsi, par exemple, une chose qui n'était

pas antérieurement le doubled'une autre en est actuelle-

ment le double il faut absolument que l'une des deux

tout au moins,si ce n'est toutes les deuxà la fois, aient

éprouvé quelque changement. Par conséquent,avant ce

changement qu'on croyait le premier, puisqu'on faisait

commencerle mouvement,il y aura eu un autre change-ment qui l'aura précédé.

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D'AÏUSTOTE,LIVREVU!, CH. 1. 331

Ainsi donc, si l'on suppose les moteurs et les mobileséternels, il est impossibleque le mouvement ne le soit

pascommeeux. Maisvoiciuneautreconséquenceabsurde

qu'il convient de ne pas omettre c'est que s'il n'y a pasde mouvement,il n'y a pas de tempsnon plus car, com-ment concevoirqu'il puisse y avoirantériorité et posté-riorité,s'il n'y a pas de temps?Et commenty aurait-il du

temps,s'il n'y a pas de mouvement?Le temps n'est quele nombre du mouvement,ou même, on peut dire, unmouvementd'une certaineespèce; et du momentque le

tempsest éternel, le mouvementest éternel ainsique lui.Tous les philosophesen général, si l'on en excepte

peut-être un seul, semblent unanimes dans leurs théo-ries sur le temps; tous Je regardant comme incréé;et c'est même en soutenant que le temps n'a point étécréé, que Démocriteessaie de démontrer que l'universn'a jamais pu l'être. Le seul philosopheque j'exceptaistout à l'heure, c'est Platon qui a soutenuque Je temps aété créé; selon lui, le temps est né avec le ciel: car, àsonavis, le ciel aussi a pris naissance.Si doncl'existenceet la conceptionmêmedu temps sont impossiblessans lanotiou et l'existence de l'instant, et si l'instant est unesorte de moyen terme réunissant en lui un commence-ment et une fin, le commencementde l'avenir, et la findu passé, il faut nécessairementque le temps soit éter-

nel car l'extrémité du temps que l'on considèreest tou-

jours dans un certaininstant, puisquela seule partiesai-sissabledu temps est l'instant Jui-meme et commel'ins-tant est à la'fois commencementet fin, il est clairqu'il ya toujours du temps des deux côtés de l'instant, soit

avant, soit après; or, du momentque le temps existe

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3M

ainsi, il est clair que le mouvement n'existe pas moins,

puisque le temps n'est qu'un mode et une affectiondu

mouvement lui-même.

Le raisonnement qui vient de nous prouver que le

temps n'a pas pu commencer,doit nousprouveraussi qu'ilne peut pas finir, et qu'il est indestructible. De même

qu'en cherchant à expliquer l'origine du mouvement, on

arrivait à cette conclusion nécessairequ'il y a unchan-

gement antérieure ce changement qu'on prétendait être

le premier, de même il faudra supposer, dans ce nouveau

cas, qu'il y a un changement postérieur même ace chan-

gement qu'on croit le dernier ca.rce n'est pas du même

coup que le moteur cessera d'être moteur, et le mobile

d'être mobile i'un pourra toujours agir, et l'autre pourra

toujours souffrir l'action, même après que l'acte de l'un

et de l'autre aura cessé. Un objet combustible cesse de

brûler, si l'on veut; mais il n'en reste pas moins combus-

tible, bien que d'ailleurs il puisse fort bien n'être pas

brûlé. L'objet capable de mouvoir cesse de mouvoira un

certain moment donné mais il n'en est pas moinsca-

pable de mouvoir encore. Que si, au lieu de prendre un

simple changement de transformation, on veut considérer

un changement où la choseest détruite, etqui, par consé-

quent, serait bien le dernier, l'impossibilité reste la

même car le destructible, avant d'être détruit, devra

être détruit par quelque chose, et ce quelque chosesub-

siste encore après lui, puisque la destruction est une es-

pèce de changement.Toutes ces impossibilitésne sont que trop réelles, et il

est de toute évidence que le mouvement, éternel comme

il l'est, ne peut pus tantôt être et tantôt n'ctrc point.

Page 510: La Physique d Aristote

D'AHiSTOTK,DVHH V!H, CH. ).

Avancer cette dernière opinion, et soutenir que le mou-vement a des intermittences dans la nature, c'est, je lecrains bien, une pure rêverie. Il n'y a pas plus de raison

prétendre pour toute explication, comme le fait Ëm-

pédocle, quela nature le veut ainsi, et que c'est là ce qu'ondoit regarder comme le principe des choses car c'est :'tcette dernière conclusion qu'aboutit le système d'Empé-docle, quand il nous dit que l'Amour et la Discorde do-minent tour à tour, et donnent le mouvement aux choses

par une nécessité inhérente à leur nature, et que dansl'intervalle de leur lutte il y a un temps de repos.

(' est bien là encore ce que disent ceux qui, comme

Anaxagore, ne reconnaissent qu'un seul principe, et quicroient qu'à un moment donné ce principe est entré en

mouvement, après être resté un temps infini dans uneabsolue inaction. Mais jamais il ne peut y avoir de dé-sordre dans les choses qui sont faites par la nature, et

qui sont conformesà ses lois toujours la nature est unecause d'ordre et de régularité. Le mouvement infini, quesuppose Anaxagore,ne peut avoir aucun rapport avec le

repos infini qui l'avait précédé; caries infinis sont incom-

mensurables, tandis que l'ordre suppose toujours entreles choses un rapport, que la raison approuve et qu'ellepeut comprendre. Mais, qu'après un repos qui a duré un

temps infini, survienne par hasard lemouvement, et qu'ontrouve indiffèrent que le mouvement survienne à tel ins-tant plutôt qu'à tel instant antérieur, sans qu'il y ait enceci aucun ordre, j'affirme que ce ne peut plus être làl'œuvre de la nature; car ce qui est par nature est d'unemanière absolue; il ne peut pas tantôt être et tantôt n'être

plus, être tantôt de telle manière et tantôt de telle autre.

Page 511: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE33A

Le feuse dirigenaturellementtoujours en haut, et il n'est

pas possiblequ'il y ait enceciune alternative,et que tan-tôt il se dirige en haut, et que tantôt il ne s'y dirige pas.Et quant à ce qui n'est pasabsolu dans la nature, il y adu moinsune cause rationnelleaux changementsqui sur-

viennent et ici l'on n'en voitpas au changementtout ar-bitraire qu'onsuppose.

Il vaudrait donc encore mieux imagineravec Empé-docle ou tel autre philosopheque l'univers est tour àtour en repos et en mouvement;car il y a dans cettesuccessionalternative des phénomènesun certain ordreet une certainerégularité. Dureste, quandon avance de

pareilles théories, il ne fautpas se contenter de simplesauirmations;il faut tâcher de remonter aussi jusqu'à lacause et de l'expliquer; et au lien de se borner à une hy-pothèse gratuite, et de poserun axiome qui choque la

raison, il faut ou en appelerà l'induction tirée des faits

observés,ou apporter unedémonstrationqui se rattacheà des principes incontestables.Empédoclene s'est pasdonné la peine de remonterà des causes, et il s'est con-tenté d'hypothèsesgratuites.Le rôle prêté à l'Amour et àla Discordepeut être vrai; et l'un, en effet,réunit leschoses tandisque l'autre lesdivise mais on ne nous dit

pas par quelle cause l'un vient après l'autre. On parlebien de leur successionalternative maisencorefaudrait-il dire à quoielle tient. Sansdoute, entre les hommes, il

y a l'Amour,qui les rapproche;et la Discorde,qui les fait

ennemiset les éloigneles uns des autres. De l'humanitéon transporte cette loi à l'univers, et il est bien sûr queparfois les choses s'y passent également ainsi; mais ce

qu'on n'expliquepas, et ce qu'il fallait expliquer, c'est

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D'ARtSTOTE,LIVRE V)! CH. H. 335

commentces phénomènesopposéss'accomplissentdansdespériodeségaleset régulières. C'estqu'elles nesontpasplus dans le mondequ'elles ne sont parmi les hommes.

En général, se contenter d'afïirmer qu'une chose esttoujours de telle ou telle manière, et qu'elle se produittoujours de même,et croire que c'est là un principeetune raison suffisantedes choses, ce n'est pas du tout sa-tisfaire la raison. C'est à cela cependant que Démocriteréduit toutes les explicationsprétenduesqu'il nousdonne,quandil nousdit que les chosessont actuellement ainsi,et qu'elles y étaient antérieurement. Mais, quant à lacausevéritable de cet état éternel, il se garde biende lachercher. Je ne dis pas d'ailleurs quece principe de Dé-mocritene puisse jamais trouver une seule applicationmaisje dis qu'il ne faut pas l'appliquer indineremmentàtout. Par exemple,c'est bien une vérité éternelle et im-muableque tout triangle a ses trois angles égaux à deuxdroits; cependant, on ne s'arrête pas purement et sim-plementà ce théorème,et l'on peut trouver une canseàcettepropriété éternelledu triangle, puisqu'on la démon-tre, tandis qu'il ya d'autres principesqui sont égalementéternels, et auxquelsil faut s'arrêter sans essayer de re-monterà une causep)ushaute.

Nousavons donc démontréles relationsnécessairesdutemps et du mouvement,et nous avons établi que letempsn'a pu existeret ne pourra existerqu'à la conditionque le mouvementait existé ou doiveexister commelui.

Il.

Je sais qu'on peut opposer des principes contrairesà

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PAUÀPH~ASKDE LA PHYStQUK~36

ceux queje viens d'établir; niais je crois aussi qu'il'n'est

pas dinicife de répondre à ces objections. En attendant,

voici les principaux arguments par lesquels on peut en-

treprendre de prouver que le mouvement, loin d'être

éternel, a dû se produire à un certain momentdonné sans

avoir du tout préalablement existé.

D'abord, peut-on dire, il n'y a pas de changement qui

soit éternel, parce que nécessairement tout changement

a lieu entre deux états divers, l'un d'où il part et l'autre

où il aboutit. Par une conséquence évidente, tout chan-

gement a pour limites les contraires entre lesquels il se

passe. Donc, il n'y a pas de mouvement qui puisse être

infini. En second lien, on peut se con'vaincre par l'obser-

vation, que le mouvementestsouvent interrompu, et qu'il

a des alternatives. Tel objet qui actuellement n'est pas

mu et qui n'a en soi aucun mouvement, peut être mu à un

certain moment donné; etceci est particulièrement obser-

vable dans les êtres inanimés; tantôt le tout ou la partie

y est immobile, et tantôt il y a mouvement. Maissi le

mouvement ne peut pas naître ou sortir du néant, il faut

reconnaître alors ou que le mouvement est éternel, ou

qu'il est éternellement impossible. Si cette remarque est

manifeste pour les êtres inanimés, elle l'est davantage

encore pour les êtres animés et nous pouvons nous

prendre pour exemple. Actuellement nous sommes en

repos, et il n'y a pas le moindre mouvement en nous;

puis, tout à coup, nous nous mettons en mouvement, le

principe de l'action venant uniquement de nous sans la

moindre intervention du dehors. Leschosesinanimées, au

contraire, ne se meuvent jamais que par une cause exté-

rieure. Quant à. l'être animé, on dit qu'il se meut lui-

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D'ARtSTOTE, fJVRE Vi!t, CH. it. ~7

même car, s'il est quelquefoisen repos,il peut aussi toutà coupse produireen lui un mouvementqui ne vientquede lui seul et où le dehors n'est pour rien. Maissi ce phé-nomènepeut se passer dans l'animal,et si le mouvementpeut commenceren lui, pourquoi la même chose ne sepasserait-ellepas aussi dans l'univers?Lephénomènequia lieudaus le petit monde, peut avoir lieu aussi dans legrand: et, si c'est possible dans l'univers,c'est possibleaussi dans l'infini, en supposant toutefois que l'infiuipuissese mouvoirtout entier ou demeurertout entier enrepos.

Deces divers arguments, le premierest très-vrai, etil est impossiblequ'entre deux tin.itesopposées,le mou-vement soit éternet)ementle mêmeet reste numérique-ment un. Hy a toujourset nécessairementdes intervallesde repos. I! y a ici nécessite absoluequ'il en soit ainsi;car une seule et mêmechose ne peutavoirun mouvementqn. soit un et numériquement toujoursle Même.Je citeun exemplepour éclaircir ceci. Soitune corde d'instru-ment de musiquequ'on met en mouvement.Je demandesi le son que rend cette corde est toujours nn seul etmêmeson, ou si ce n'est pas toujours un son difÏ'erent,chaquefoisqu'on Ja touche de !a mêmemanièreet qu'onlui imprimela mêmevibration. Maisquoique en soit dece phénomèneparticuiier, il ne prouve pas que le mou-vementne puissepoint être un et le mêmeen étant con-tinu et éternel. Je reviendrai un peu plus loin sur ceprincipeafin de l'ectaircir complément.

Je passe au second argument et je t'admets; car onpeut regardât-commecertain, dès à présent, qu'il n'y arien d'absurde à soutenir qu'un corpsqui n'était pas en

222

Page 515: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE L~ PHYSIQUE338

mouvementpuisseyêtre mis, selonque le moteurqui lui

est extérieur existe on n'existe pas. Ce qu'il faut savoir

c'est à quellesconditionsce mouvementtransmis est pos-sible.Maisau fondquandon dit qu'unechose peut tantôt

être muepar son moteur spécial et tantôt ne l'être pas,cela revient absolumentà rechercher comment il se fait

que les choses sont tantôt en mouvementet tantôt n'ysont pas, question sur laquelle je reviendrai plus tard.

Maisici le mouvement est précédé d'un autre mouve-

ment, et ce n'est que le premier mouvementqu'il faut

étudier.

Quant au troisièmeargument, qui tend à prouverquelemouvementpeut avoir commencé spontanément, j'a-vouequ'il est plusembarrassant; car dans les êtres inani-

més, le mouvementsemble se produire tout à coupsans

avoirantérieurementexisté. L'être est enrepos; puis tout

à coup, il se met en marche, sans qu'aucune causeexté-

rieureait agi sur lui, du moinsà cequ'il semble.Maisc'est

I;'tune erreur. Dans l'animal, il y a toujours quelqu'undes élémentsnaturels dont il est formé,qui est en mou-

vement.Or, ce n'est pas l'être lui-mêmequi est la cause

du mouvementde ces éléments, et c'est sans doute le

milieumêmedans lequel l'animalest placé; car lorsqu'ondit que c'est l'être animé lui-même qui se meut, on en-

tend parler seulement du mouvement dans l'espace et

nondes autres espècesde mouvementd'altération, d'ac-

croissement,etc. Maisil se peut fort bien, et il est peut-être nécessairequ'il se passe dans le corps une foule de

mouvementscauséspar ce qui l'entoure. Ces agentsext<~

rieurs agissent à leur tour sur la penséeou sur le désir,

qui mettent eux-mêmes en mouvementl'être entier, et

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t~RISTOTE, LIVRE V!H. CH. l[t. 33')

l'on ne peut plus dire ainsi que ce soit l'être lui-mêmequi se meuvespontanément. Cette transmission de mou-vementsvenus du dehorsse voitbiennettement dans lesphénomènesdu sommeil.L'anima! s'éveille tout à coupsans qu'il y ait de mouvementobservable, et cependanton ne peut douter qu'il n'y ait eu nn mouvementinté-rieur d'un certain genre, lequel ne dépendaitpas de l'a-nitnat; maisce qui vasuivre éclairciratout ceci.

HL

Nous commencerons la discussion par la question quenous venons d'indiquer, a savoir commentil se fait quecertains êtres sont tantôt en mouvement et tantôt en

repos.

Nécessairement, il n'y a que les alternatives suivantes

qui soient possibles Ou tout est toujoursen mouvement,ou tout est toujours en repos: ou bien il n'y a.que cer-taines chosesqui se meuvent, tandis que certaines autressont dans nn repos complet; et ce dernier cas peut se dé-

composer selon que le mouvement des unes et le reposdes autres sont chacun éternel, ou selon que tout peutêtre indinéremment soit en mouvementsoit en repos; onbien enfin, et c'est la troisième et dernière hypothèse,parmi les êtres, i! y en a qui sont éternellement immo-

biles, tandis que d'autres sont dans un mouvement éter-uet et que d'autres encoreparticipent tour à tourdu mou-vement et du repos.

Voilà ce qu'il nous faut étudier; nous y découvri-rons la solutionde toutes les questions que nous nous

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PAXAPHKA8EDELAPHYSIQUE~0

étionsposées,et ce sera pour nous le complémentdén-

nitifde tout ce traité.

Soutenirque tout dans la nature est en repos,et s'obs-

tinerà ne pas accepter le témoignagne de l'observation

sensiblequi nousatteste le contraire, c'est une faiblesse

d'esprit, malgré ce que certaines gens peuventen penser.C'estnier et mettreen doute la Physique tout entière et

nonpas seulementune de ses parties. Maisce sujet n'in-

téresse pas uniquement le Physicien; il regarde aussi

toutesles scienceset toutes les théories, puisque toutes

supposentl'idée du mouvement.Cependant, il faut faire

ici une observationqui est d'une application générale.Dans les mathématiques, on ne discute pas les objec-tions qu'on peut élever contre les principes sur les-

quelselles reposent,et ces objections ne regardent pas,à vrai dire, le mathématicien. I) en est de même pourtoutes les autres sciences; et je dis que les objectionsélevéescontre la réalitédu mouvement ne doivent pointêtre réfutées par le Physicien, puisque la science qu'ilétudie n'existerait point, s'il n'admettait pas que la na-

ture est le principedu mouvement.

Je ne me prononcepas sur la théorie contraire,et peut-être est-ce aussi uneerreur que de soutenir que tout est

en mouvement;maisdu moins cette erreur, si toutefois

c'en est une, s'éloigneraitmoinsdes vérités de la science;

car nousavonsétabli (LivreI, ch. II) que, dansles choses

physiques,il fautconsidérer la nature commele principe

uniquedu mouvementet du repos, et que le mouvement

est essentiellementun fait naturel. En effet, quelques

philosophessoutiennent aussi que le mouvement n'est

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D'ARtSTO'i'L,UVRE vm, en. H!. 341

pas partiel attribué à telles choses et refusé à tellesautres, mais que tout est en mouvementde touteéternité.et que seulement il est des mouvements qui, par leurtenuité même, se dérobentà nos sens et échappent ànotre observation. Une objectionqu'on peut faire à cesystème, c'est que ceux qui le défendent n'ont pas ditassezprécisémentde quelleespècede mouvementils en-tendent parler; et, s'ils prétendentque leur théorie s'ap-pliqueà toutes les espècesdu mouvementsans exception,il n'y aurait pas de peine à les réfuter. Ainsi,ces mouve-ments particuliers qu'on appelleaccroissementet destruc-tion, ne peuventpas être continuset perpétuels; et il y atoujours dans l'un et l'autre desintervalles de repos.

C'est comme quand on prétend que la goutte d'eauqui tombesuccessivementsurla pierre finit par la percer,ou que la plante qui poussedans ses interstices finit parla rompre. En effet, si la gouttea creusé ou enlevétellepartie de la pierre, cela ne veut pas dire que dans untemps moitiémoindre, elle en ait enlevé antérieurementla moitié. Maisles gouttes dans leur ensemble agissentcomme font les matelots en se réunissant pour le halaged'un navire; tant de gouttes accumulées ont produit te!mouvementou telle diminutiondans la pierre; c'est vraisans doute. Maiscela ne veut pas dire que telle partiedes gouttes ait pu produire tellequantité précise(techan-gementet de mouvementdans aucune partie du tempsLaportion enlevéede la pierre peut bien se subdiviserelle-memeen plusieurs autresparties, si le morceaudé-tachéest assezgros; maison ne peut pas dire qu'aucunede ses parties ait été séparémentdétachée, puisqu'ellesformentencoreun certain toutqui est le morceau même

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEi~2

enlevé de la pierre. Ces parties ont été enlevées toutes

ensemble. Donc, évidemment, il n'est pas nécessaire quequelque chose soit enlevé de la pierre à chaque gouttequi tombe sur elle, par ce motif que le morceau détachépeut se diviser à l'infini; la seule chos.~nécessaire, c'est

qu'à un certain moment donné le morceau se détachetout entier.

Les objections queje viens de faire contre la.continuitéde la destruction s'appliquent non moins Lien à la conti-nuité de l'altération, quelle qu'elle soit; car, l'altérationmême ne peut pas se diviser à l'infini, par cela. seul quel'objet altéré peut se diviser lui-même indéfiniment. Il ya des phénomènes ou l'altération se fait tout d'un coup,par exemple, la congélationde l'eau; et l'altération ne s'vyproduit pas par degré ni petit à petit. Dans )e cas de lamatadie, l'altération a lieu encore successivement; car ily a un temps où l'on peut dire du malade qu'il guérirapar conséquent, il n'est pas encore guéri, et il est en étatde maladie. Ce n'est donc pas tout à coup qu'il passe dela maladie à la santé, et à l'extrémité du temps où il asouuei-t. Il y a, danslaguérison, des intervalles de ma-ladie, et l'altération n'est pas continue. Le changementue se fait dans ce cas que de la maladie à la santé, et nonpoint apparemment à autre chose or, ce sont là des con-

traires, et soutenir que le changement a lieu perpétuelle-ment d'un contraire à l'autre, c'est vouloircontredire partrop gratuitement les faits les plus palpables; car, arrivéau contraire, il s'arrête. On ne peut pas contester davan-tage le repos pour une foule de choses qui restent dansl'état où elles sont, et, par exemple, la pierre demeurece qu'elle est, sans devenir ni ptus molle ))iplus clure. Si

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f)'At{t8TOTH,LIVREVIH, CH. Ill. ~33

de l'altération je passe au mouvementlocal,j'y vois lesmêmes temps d'arrêt; car il est impossiblequ'on ne re-

marque pas que la pierre portée en bas s'arrête sur laterre, une foisqu'elleyestparvenue.Il faut encoreajouterque la terre et tous les autres corpsnaturels occupentleslieux qui leur sont propres, et qu'ils y demeurent néces-sairement une foisqu'ils y sont arrivés. Par conséquent,s'il est des corps qui restent ainsien repos, il faut encon-clure que tous les corps ne sont pas nécessairement enmouvementdans l'espace,ainsi qu'on le dit; et, si l'exis-tence du mouvementest démontrée,celle du repos neJ'estpas moins.

Ainsi, les considérations que nous venons de pré-senter, et celles qu'on pourrait y joindre, demontrenbienque tout n'est pas en mouvementet que tout n'espas en repos. Ces deux théories extrêmes sont insoute-nables. Maison ne peut pas dire davantageque certaineschoses sont éternellement en repos,et certaines autreschosesdans un mouvementperpétuel,et qu'il n'y ait rienqui soit tantôt en mouvementet tantôten repos.Cetteder-nièreimpossibilité,quenousavonsdéjàsignaléeplushaut,est de toute évidence car nous voyonsdans une fouledechosesseproduiredeschangementssuccessifsdu genre deceux que nousvenonsd'indiquer. Le contester ce seraitvouloirallercontrele témoignagneleplus manifestede nossens. En effet, ni l'accroissementdes choses ni le mouve-ment forcé qu'elles reçoivent quelquefois, quand ellessont mues contre leur nature, ne sont concevablesqu'à lacondition d'un reposantérieur. Direqu'il n'y a pas d'al-ternative de mouvementetde repos, c'est méconna!treetnierabsolument la générationet ladestructiondes choses,

Page 521: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3/t/t

dans lesquelles le repos est toujours indispensable et

l'on peut. direque c'est nier aussi toute espèce de mouve-

ment, puisque le mouvementne signifieguère, en géné-

rai, que la destruction ou la production de certains phé-

nomènes; car, soit qu'un corps s'attire, soit qu'il changede place dans l'espace, l'état qu'il abandonne en s'alté-

rant périt, et c'est une destruction de cet état antérieur

et, quand le corps se déplace, la position qu'il occupait

périt également, de mêmeque l'état nouveau du corps se

produit, ou que sa nouvelleposition se produit aussi.

Donc évidemment, il faut reconnaître qu'il y a (les

choses qui, à certains moments donnés, sont en mouve-

ment, et d'autres chosesqui certains moments sont en

repos.

Quant à cette opinion que toutes chosesdans l'univers,

sont tantôt en repos et tantôt en mouvement, il suffit

pour la réfuter de la rapprocher des arguments que nous

venons d'exposer en examinant les autres hypothèses.Mais pour mieux montrer combien elle est vaine, nous

rappellerons les définitions que nous avons antérieure-

ment posées, et qui déterminent bien les diverses solu-

tions qu'on peut donner du problème. Méprenons-les.Ou

tout est en repos, ou tout est en mouvement; ou bien

parmi les choses, les unes sont en mouvement, et les

autres sont en repos; et enadmettant le repos des uneset

le mouvementdes autres, il faut nécessairement, ou que

toutes soient tantôt en repos et tantôt en mouvement, ou

que toujours les unes soient en mouvement, et les autres

toujours en repos, ou ennn qu'i) y en ait qui passent

alternativement du repos au mouvement et du mouve-

ment au repos.

Page 522: La Physique d Aristote

D'ARISTOTK,LIVRE VHI, CH. iH. 3/)5

Nousavonsdéjà démontré plus haut qu'il'ne se peutpas que tout soit en repos car le témoignagedes sensatteste le contraire.Maisnous insistonssur ce point; carsi l'on prétend, commeon le fait quelquefois,que l'êtreest infini et immobile,il faut du moinsconvenirque nossens ne peuvent pas s'en apercevoir, et qu'il est unefoule de chosesqui se meuvent sous nos yeux. Je vais

jusqu'à admettre, si l'on veut, que ce soit là une illusion,et qu'il n'y ait dans tout celaqu'un simpleeffetde l'ima-

gination mais toujours est-il qu'il n'y en a pas moins

mouvement,puisque le fait même de l'imaginationestun mouvementd'un certain genre, par la mobilitéseuledes apparencesqui sont dans l'esprit, tantôt d'une façonet tantôt d'uneautre; car l'imaginationet l'opinionqu'elleprovoque dans l'intelligence,sont elles-mêmesdes mou-vements réels et qu'on ne peut nier. Maisdisserter à

perte de vue; et faire des raisonnements sur des chosesoù nous pouvonsavoir mieuxque des raisonnements,àsavoir le témoignageinfailliblede nos sens, c'est mal

juger le meilleuret le pire, le plus fort et le plus faible;ic'est mal discerner le certain de l'incertain; en un mot,ce n'est pas savoirdistinguer un principe réel de ce quin'est pas principe.

Si donc tout l'univers n'est pas en repos, il n'est pasmoins impossiblenon plus qu'il soit en mouvement,et

qu'une partie del'univers soit dans un mouvementéter-nel, tandis quel'autre partie serait dans un éternelrepos.Atous ces systèmesqui faussentla nature, il n'y a tou-

jours à opposerqu'une seule réponse; mais elle est pé-remptoire l'observationnousatteste qu'il y a des choses

qui sont tantôten mouvementet tantôt en repos. Donc

Page 523: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3AO

évidemmentil est tout aussi impossibleque tout soit

continuellementenrepos,etque tout soit continuellement

en mouvement,qu'il est impossibleque,parmi les choses,les unessoient dans un mouvementéternel et les autres

dans un éternel repos. Restedonc à examinerune seule

hypothèse, à savoir que l'univers étant susceptible de

mouvementet de repos, il y a des chosesqui sont tantôt

en mouvementet tantôt en repos, puis des choses quisont dans un repos immuable,et d'autres enfin qui sont

sans cesseen mouvement. C'est là ce que nous allons

démontrer.

IV.

Il faut nous reporter à quelques principes que nous

avonsdéjà.antérieurement exposés. Ainsi, parmi les mo-

teur3 et les mobiles, il faut distinguer ceux qui le sont

'l'une manière indirecte et accidente))e, et ceux qui le

sont en soiet d'une manière essentielle. Le mouvement

d'un objetn'est qu'accidentel, quand il a ce mouvement

parcequ'il est dans un autre objet qui lui-mêmeest mu,ou bienquand une de ses parties seulementest en mou-

vement.Aucontraire, lesmoteurs et les mobilessont en

soi et essentiels,quand le mouvement ne leur vient pas

uniquementde l'objet dans lequel ils sont, ou d'une de

leurs partiesséparément.Dansles moteurs et lesmobilesen soi, on peut encore

faireunedistinctionentreceux qui semeuventeux-mêmes

et ceuxqui sont mus par une cause extérieure on peuten outre distinguer le mouvement naturel et le mouve-

ment forcéet contre nature. Ce qui se meut soi-même

Page 524: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE,LtVKËVIII, CH. IV. 347

est mu naturellement; et, par exemple, les animauxsemeuvent,du moinsà ce qu'il semble,d'une manièrespon-tanée. Lanature leur a donnéla faculté de se mouvoircomme ils veulent; et c'est là ce qui fait que, pour tousles êtres qui ont en eux-mêmes le principe du mouve-ment, on dit que c'est naturellementqu'ils se meuvent;la nature a voulu que l'animal pût toujours se mouvoirainsi lui-même tout entier. Quant au corps de l'animal,et considéréen lui seul indépendammentdu principe in-terne de sonmouvementpropre, il peut avoir un mouve-ment contrenature ou naturel; et il y a pour lui, commepour tout autre corps inerte, unegrande différenceentreles mouvementsqu'il peut recevoir,commeil y eh a dansles élémentsdont il est composé.Enfindans les êtres quisont mus autrement que par eux-mêmes,on peut distin-guer aussi des mouvementscontre nature et des mouve-ments naturels; par .exemple, un mouvement contrenature est celui des corps graves qui montent en hautquand on les projette, et des corps légers quand ils vonten bas, de la terre qui monteet du feu qui descend.Sansmême parler du corps entier, il y a des mouvementscontre nature dans les parties du corps, quandelles n'ontpas leur positionrégulièreouqu'elles n'ont pas leur moded'action habituel.

Or, c'est surtout dans les mouvements contre naturequ'on peut voir clairement que c'est du dehors que lemouvementest imprimé au mobile, et l'on peut se con-vaincre par une pleine évidenceque le mobileest mu parun autre que lui-même. Après les mouvementscontrenature, les mouvementsoù le phénomène est le plusmanifeste, ce sont ceux des êtres qui se meuvent eux-

Page 525: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~8

mêmes; et qui ont en eux le principe du mouvement,

comme les animaux, dont il vient d'être question. En

effet, il n'y a pas le moindredoute, sauf les réservesque

nous avons faites,que ce sont eux-mêmesqui se déter-

minent au mouvementet qu'il n'y a pointde cause exté-

rieure. Maison peut avoir encore des doutessur le point

de savoir au juste ce qui meutou ce quiest mu en eux

car ce qui se passedans un bateau, par exemple,où c'est

le pilote qui meutle bâtiment et est mu aveclui, se passe

également dans les animaux,où l'on peut très-biendistin-

guer ce qui faitmouvoiret cequi est mu et cette distinc-

tion peut servir à expliquer le mouvementdans tout être

qui se meut lui-même.

Maisles chosesne sont pas aussi simplesdans les êtres

qui ne se meuventpas eux-mêmes,secondedivision que

nous avons établieplus haut. Parmi les êtresqui, ne ti-

rant pas d'eux-mêmes le mouvement,sont mus par une

force étrangère, les uns le sont naturellement, les autres

le sont contre leur nature; et c'est pour cesderniers qu'il

est difficile de se bien rendre compte de la forcequi les

meut. Ainsi, quelleest la causequi meutles corps légers

et les corps graves? Ce n'est que par forcequ'ils sont

portés dans leslieuxqui leur sont opposés.Quandils vont

dans les lieuxqui leur sont naturellementpropres,le léger

va en haut par sa nature, tandis que le gravese dirige en

bas. Dans ce cas, qui les meutl'un et l'autre? Quelleest

la force qui lesmet en mouvement? C'est là ce qui n'est

pas de toute évidence, commece l'est quand ces corps

reçoivent un mouvement contrenature, au lieu de rece-

voir leur mouvement naturel. Il est bien impossiblede

dire que ces corpsse meuvent eux-mêmes car cette fa-

Page 526: La Physique d Aristote

D'AfUSTOTE,HVRE VU!, CH. IV. 3/<<)

cuite du mouvementspontanéest essentiellementvitale,et elle ne peut appartenir qu'aux êtres animés, Si ces

corpsse donnaientà eux-mêmesle mouvementqu'ilsont,une conséquencenécessaire,c'est qu'ilspourraient éga-lement s'arrêter et nous voyons,en eu'et,que quand unêtre est cause à lui-mêmede la marche qu'il a, il peutaussi suspendrecette marchequand il lui plaît. Par con-

séquent, s'il ne dépendaitque du feu deseporter en haut,il pourrait tout aussi bien se porteren bas.Il faut ajouterque, dans ce cas, il ne serait pas plus concevableque leséléments ne se donnassentqu'un seul et unique mouve-ment, sans jamais se donnerdes mouvementscontraires,s'ils avaient cette prétendue faculté de se mouvoireux-mêmes.

Il y a de plus, pour les éléments naturels,cette autredifficultéqu'ils sont homogèneset continus;or, comment

l'homogène et lecontinupourrait-ilse mouvoirlui-même?t'!I y faudrait,au moinsla distinctiondu moteuret du mo-

bile, qui ne se trouvepoint ici. En tant que l'élément estun et continu, ce ne peut pas être par le contactqu'il se

meuve car, dansce qui est absolumenthomogène,il n'ya pas de contact possible; et il faut nécessairementqu'ily ait séparationet non continuitéentre deuxchoses,pourque l'une des deuxpuisseagir, et l'autre supporter l'ac-tion de la première. Ainsi, les élémentsnaturels ne peu-vent se mouvoireux-mêmespar cela seulqu'ils sont ho-

mogènes et il n'y a pas de continuqui puisseavoir non

plus un mouvementspontané. Il faut toujours,pour qu'ily ait mouvement dans un cas quelconque,que le mo-teur soit distinct et sépa-rédu mobile,commenousl'ob-servons pour les choses inanimées,lorsqu'unêtre anim~'

Page 527: La Physique d Aristote

PARAPHRASE DE LAPHYSIQUE:~0

vient à leur communiquer un mouvementqu'elles n'ont

pas par elles-mêmes.

!I reste donc certain que les élémentsnaturels, ne se

donnantpas à eux-mêmele mouvement,doiventêtre mus

aussi par une force étrangère, et c'est cequ'on peut vé-

rifier aisémenten recourant aux divisionsque nous avons

établiespi ushaut entre lescauses du mouvement,pour ce

qui concerneles mobiles.Cesdivisionsnesont pas moins

applicables aux moteurs, et l'on peut lesdistinguer éga-

lement en ceque les uns sont contre nature, et en ce que

les autres sontnaturels. Ainsi,ce n'est pas par sa seule

nature ,que le levier meut les corps pesants il faut de

plus, pour qu'il agisse, une cause qui le fasse agir.

D'autres moteurs, au contraire, agissentpar leur propre

nature; et, par exemple,ce qui est actuellementchaud

échauffepar sa seule action les corps qui sont suscep-

tibles d'être échauffés, et qui, cependant, ne sont pas

chauds en acte, et ne le sont qu'en puissance.Aces deux

exemples,nous pourrionsen joindre autant d'autres que

nous voudrions,pour prouverqu'il y a desmoteurs selon

la nature, et des moteurs contre nature. On pourrait ap-

pliquer aux mobilesdes distinctionsanalogues;et le mo-

bile, selon la nature, sera celui qui en puissance a une

certaine qualité, une certaine quantité, et une certaine

position,qui lui permettent d'avoir unedes trois espèces

du mouvement,l'altération, l'accroissementou la loco-

motion.J'entends d'ailleurs parler de cesmobilesqui ont

en eux le principe de leur mouvementpropre, et qui ne

l'ont pas seulementd'une façonaccidentelle;car la quan-

tité et la qualité peuvent être affectéesde mouvement

dans un seulet mêmeêtre; mais alors l'une n'est qu'ac-

Page 528: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE,UV~E VIII, CH. f~. 3&t

cidentellementà l'autre, et elle n'y est pas essentiel-lement.

Le feu et la terre, c'est-à-dire les éléments,ont unmouvementforcéqui leur vientde quelque cause étran-

gère, quand ils n'ont pas le mouvement qui leur est

propre. Ils ont leur mouvementnaturel et non un mou-vement forcé, quand ils tendent à leurs actes spéciaux,bien qu'ils ne les accomplissentpas réellement, s'ils nesont encore qu'en puissance.Maiscomme cettedernière

expressionpeut avoir plusieurssens, cette équivoqueem-

pêche qu'on no voie clairement la cause qui meut ces

corps, et qui fait que le feu va en haut et la terre en bas.Des exemples éclaircirontceci. Évidemment, quand

on dit de quelqn'un qu'il est savant en puissance,cette

expression a une significationfort différente,selon qu'onest ignorant et qu'on peut apprendre, ou selonqu'ayantla scienceon la possèdesans en faire usage. Mais,toutesles foisque ce quipeut agir, et ce qui peut soufrrirse ren-contrent et sont simultanés, le possiblearriveà l'acte etse réalise. Ainsi,par exemple,quand on sort de l'igno-rance pour apprendre quelque chose, on passe de la

simple possibilitéd'apprendre à un état où l'on est en-core en puissance, mais où la puissanceest tout autre

que dans le premier état. En effet,celui qui possèdelascienceet ne l'applique pas, est encore savant en puis-sance mais la puissancequ'il a dans ce cas ne doit passe confondre avec celle qu'il avaitavant de rien appren-dre, et quand il était en pleineignorance.Quand il a la

puissance d'appliquer la science,il l'applique, et il agitsi nul obstaclene s'y oppose; car, s'il n'agit point alors,c'est que de fait il est dans le contraire de la science,

Page 529: La Physique d Aristote

PAHAPHRASEDE LA PHYSK~JK352

c'est-à-dire dans l'ignorance. Cette distinctiondes deux

espècesde puissancedoit s'appliquer aux élémentset aux

chosesde la nature. Le chaud, par exemple,est froid en

puissance; mais quand il cesse d'être froiden puissance,

il devientchaud et alors en tant que feu il brûle, si rien

ne l'empêche d'agir selon sa nature, et ne fait obstacle

a son action.

Ces distinctions qui sont très-réelles peuvents'appli-

quer aux corps graves et aux corps légers, et nous faire

mieux comprendre la cause qui les met enmouvement.

Le léger vient du pesant et, par exemple, l'air vient de

l'eau quise vaporise.Lepesant est d'abord légeren puis-

sance, et il devient réellementet effectivementléger, si

rien ne l'en empêcheet ne lui fait obstacle.L'acte réel

du léger; c'est d'être en un certain lieu, c'est-à-direen

haut; et quand il est dans un lieu contraire, c'est qu'il y

a quelque cause qui s'oppose à son acte propre. Je ne

parle ici que du mouvement dans l'espace, de la transla-

tion mais ceci s'appliquerait également, soitau mouve-

ment de quantité, soit au mouvementde qualité, comme

je le dirai tout à l'heure. Que si l'on veut aller plus loin

que ces explications,et si l'on demandeencorepourquoi

les corpsgraves ou légers se dirigent ainsivers les lieux

qui leur appartiennent, il n'y a plus rien à répondre, si

ce n'est que c'est là une loi de la nature, et que ce qui

constitue essentiellement le léger et le pesant,c'est que

l'un se dirige exclusivementen haut, tandis que l'autre

se dirige, au contraire, exclusivementen bas.

Mais,ainsi qu'on vient de le voir, il y a deuxmanières

de comprendreque le grave et le léger sonten puissance.

Ainsi;à un certain point de vue, l'eau est légèreen puis-

Page 530: La Physique d Aristote

D'AÏUSTOTE,LIVRE VIII, C.H.IV. 353

sance, attendu qu'elle peut, en se vaporisant, devenirdel'air; mais même lorsqu'elle est devenue de l'air, il est

possibleencoreque cet air ne soit léger qu'en puissanceaussi par exemple,quand il rencontre un obstacle quil'empêchede monteren haut, commeil le ferait par sonmouvementnaturel; mais, dès que l'obstacle a disparu,le léger en acte se produit, et l'air montedans un lieu

plus élevé. Ce double changement de puissance que jesignaledans l'air se produitégalementdans tons les mou-vements de qualité; et pour reprendre l'exemplecité un

peu plus haut, la qualitéde savant doit changer pour ar-river a être en acte; car, lorsqu'on a déjà la science,on

peut l'appliquer sur le champ, si rien ne fait obstaclemais il faut l'avoir préalablementavant de pouvoir l'ap-pliquer. Demême encorepour les mouvementsde quan-tité car la quantité se dilateet s'étend si rien ne s'y op-pose.Écarter l'obstaclequi s'opposeà l'acte et l'empêche,c'est, si l'on veut, mouvoird'une certaine façon, puisquec'est rendre le mouvementpossible mais, en réalité, onne peut pas dire que ce soit précisément mouvoir. Par

exemple,si l'on retire la colonnequi supporte une pierre,la pierre tombe mais on ne peut pas dire que ce soit lamouvoir. Si l'on retire un poids qui est placé sur uneoutre pleine d'air au fond de l'eau, l'outre remonte à la

surface; maison ne lui a pas donné le mouvementà vraidire. Ce n'est mouvoirqu'indirectement de mêmequ'onne peut pas dire que ce soit le mur qui meuvela balle,quoiqu'il la renvoie; celuiqui, réellement, meut la balle,c'est le joueur qui l'a lancée.

Maintenantil nous faut résumertoute la discussionquiprocède;et nousdisonsqu'ondoitadmettrecommedémon-

Page 531: La Physique d Aristote

PAXAPHt~SK ))ELA PHYSIQUE:;6/t

tréqu'aucun des élémentsnesemeutprécisémentlui-même

etqu'ilsont eneuxle principe du mouvement,nonpaspour

mouvoiret produire spontanément]e mouvement, mais

seulementpour le recevoir et pour le souffrir. Nousajou-

tonsque tous les mobilesqui sont umseffectivement,ont

ou un mouvement naturel, on un mouvement forcé et

contre nature. Tout ce qui est mu par force est mu par

quelque cause extérieure et étrangère.Même,parmiles

chosesqui sont mues selon la nature, celles qui se meu-

vent elles-mêmessont mues encore par quelque cause,

tout aussi bien que celles qui ne se meuvent pas elles-

mêmes. Ainsi,les corps légers ou pesants reçoiventleur

mouvemej~tde ce qui les rend tels qu'ils sont, ou de ce

qui éloignel'obstacle qui les empêchaitd'a-gir.Donc,on

peut dire d'une manière généraleque tout ce qui est mu,

que tous les mobilesreçoiventleurmouvementdequelque

cause.

v.

Ceprincipe que tout ce qui est en mouvement est mu

par quelquechose, peut avoir deux signiHcations,selon

que le moteur ne meut pas par lui-même,mais par un

intermédiairequi le met lui-mêmeen mouvement,et se-

lonqu'il meutdirectement et par lui seul. Dans ce dernier

cas, où le moteur meut par lui-même, on peut encore

faire cette distinction Ou le moteur vient tout de suite

après l'extrême qui communiquele mouvement,ou bien

il y a entre le moteur et le mobile plusieurs intermé-

diaires.Ainsi, le bâton qui meut la pierre est moteur re-

lativement à elle; mais le bâton lui-même est mis en

Page 532: La Physique d Aristote

1)'AIIISTOTE',UVIΠVHi, (:H. V. ;<!)5

mouvementpar la main que J'J.ommefait mouvoir; et,danscet exemple,c'est l'homme qui d'abord produit lemouvement,sans être lui-mêmemu par autre chose. Ond.tmdiu-éremmentde ces deux moteurs, soit le premiersot le dernier,qu'ils donnentle mouvement;mais cepen-dant cela doit surtout s'entendredu premier moteur quipeut donner le mouvementau dernier, sans que ce der-nierpuisse le lui rendre. Sansle premier,Je dernier restehors d'état de mouvoir;et ceJui-cine peut agirsanscelui-là, pmsqu'évidemmentle bâton ne transmettra pas lemouvementsi d'abord la mainde J'bomu.ene le lui im-prime.

Sidonc c'est une nécessitéque tout ce qui est mu soitmupar quelquechose, et que cetteautre chosesoit elle-mêmemue&sontour ou qu'elle ne soit pas mue, il n'estpas moinsnécessaire,en supposantencore que le mobilesoit mu Jui-memepar un autre, qu'il y ait enfin un pre-mier moteur, lequel ne soit pas mu lui-mêmepar uneautre cause. Quesi ce moteurpremier est bienen elfet lepremier, comme on le pense, alors il n'est pas besoind'en rechercherun autre; car ilest impossibleque la sérieailleà l'infini, du moteurau mobilemu lui-mêmepar unautre, et toujours ainsi de suite, puisque dans l'infini iln'y apas de premier; ce qui est contre J'hypothese.Uneautre conséquence,c'est que, si tout mobile est mu parquelquechose, et si Je moteurpremierest celuiqui n'estpas mu Jui-mômepar un autre, il fatit nécessairementque cemoteur premierse meuvelui-même,puisquec'estlui quidonne le mouvement,et qu'il ne serait pas pre-tniers'i! Jerecevait.

Acette première démonstration,on peut en joindre

Page 533: La Physique d Aristote

P.AKAPHRASEDE LA PHYSIQUE3 M

une autre, Tout moteur meut quelque chose, et il meut

le mobile~u moyende quelque chose qu'il emploie pour

agir. iUais le moteur meut ce mobile, auquel il donne le

mouvement, soit par lui-mêmesoit par quelque intermé-

diaire. Ainsi, l'homme meut directement la pierre, ou il

la meut par le moyen (le son bâton le vent fait directe-

ment tomber quelque chose,ou cette chose tombe sous le

coupde la pierre que le vent a chassée. Or, il est impos-

siblequ'il y ait jamais un mouvement sans un moteur qui

meuve par lui-même l'intermédiaire par lequel il trans-

met le mouvement au mobile; et, s'il meut par lui-même

le mobile, il n'y a pas besoind'un autre intermédiaire par

lequel il lui soit possible de mouvoir. S'il y a un intermé-

diaire de ce genre, il faut toujours un moteur qui donne

le mouvementlui-même sans le recevoir d'un autre car,

autrement, on irait a l'infini et l'on s'y perdrait.

En arrivant <~un mobile qui, est moteur sans être mu

lui-même, il n'y a plus de série l'infini, et l'on a le pre-

miermoteur qu'on cherchait. Eneuet, le bâton donne le

mouvementparcequ'il est mu lui-même par la main, et

c'est alors la main qui meut le bâton; mais si l'on sup-

posequ'i! y a encore queiqu'autre cause qui se sert de ia

main pour communiquer 1~mouvement, il faut que ce

nouveau moteur soit différent de la main et, toutes les

fois qu'it y a un moteur qui communique lni-même le

mouvement par un intermédiaire, il est clair qu'il faut

arriver a un moteur qui meuve par lui-même,et qui

donnele mouvementqu'il ne reçoit pas. Maissi le moteur

est mis en mouvementsans que ce soit un autre que lui-

mêmequi le meuve, il faut bien que le moteur alors se

meuve tui-meme et spontanément. Ainsi, on doit con-

Page 534: La Physique d Aristote

D'AiUSTOTE, LIVRE Vtt!, (;H. V. 357

clure que le mobile est mu par un moteur qui se meut

lui-même, ou du moins qu'il faut toujours remonter jus-qu'à un moteur de ce genre.

On peut arriver à la même démonstration en se pla-çant à un point de vue un peu difTérent de ceux quiviennent d'être indiqués. Si tout ce qui reçoit le mouve-ment le tient d'un moteur qui est mu lui-même, il n'y aqu'une alternative Ou bien c'est un simple accident quele mobile transmette ie mouvementqu'il a reçu mi-mêmesans l'avoir de son propre fonds; ou bien ce n'est pas unaccident, et c'est quelque chose d'essentiel et en soi.J'examine tour à tour ces deuxhypothèses etje commence

par la première.

D'abord, si i'of) conçoit que le mouvement soit un

simple accident, il n'y a phis aucune nécessité que lemobilesoit mu et, ceci admis, il est clair qu'il est pos-sible qu'aucun être au monde n'ait de mouvement; carl'accident n'est jamais nécessaire, et il peut tout aussi bienne pas être. Si donc on suppose que le mouvement est

simplement possible, il n'y a rien là qui soit absurde, bien

que d'ailleurs ce puisse être une erreur; mais il est detoute impossibilité qu'il n'y ait pas de mouvement aumonde; et dès lors le mouvement n'est pas simplementpossible;il est absolument nécessaire; car il a été dé-montré plus haut (dans ce même Livre, ch. 1j, que lemouvement doit être éternel de toute nécessité. Toutceci, d'ailleurs, paraît tout a fait conforme à ]a raison;icaril y a ici trois termes indispensables, le mobile qui estmu, le moteur qui meut, et ce par quoi il meut. Le mobiledoit nécessairementêtre mu, puisqu'il est mobile maisii

n'y a pas nécessité qu'il meuve a son tour, et qu'il traus-

Page 535: La Physique d Aristote

PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE358

mette le mouvement qu'il a reçu. Quant l'intermédiaire

par lequel le moteur donne le mouvement, il faut à la fois

qu'il meuve et qu'il soit mu. En effet, cet intermédiaire

doit subir le même changement que le mobile, puisqu'ilcoëxisteavec lui et qu'il est dans les mômes conditions,

c'est-à-dire que, pour mouvoir le mobile, il faut qu'il soit

ma lui-même, et qu'en ce sens il soit mobile.C'est ce

qu'un peut voir clairement dans les corps qui en dépla-cent d'autres dans l'espace; ils doivent, dans une certaine

mesure, se toucher l'un l'autre pour que le déplacementsoit possible. Après le mobile et l'intermédiaire, reste

enfin le moteur qui est immobile, et après lequel il n'y a

plus d'intermédiaire qui transmette le mouvement.Mais,

commede ces trois termes nous voyons que le dernier re-

çoit le mouvement qu'il n'a pas par lui-même, et que l'in-

termédiaire est mu par une cause étrangère également,

sans avoir non plus en lui le principe de son action, il est

très-rationnel, pour ne pas dire nécessaire, de penser que

le troisième terme, qui est le moteur, doit donner le mou-

vement tout en restant lui-même immobile.

Cette immobilité nécessaire du moteur expliqueen un

point et justifie le système d'Anaxagore, quand il prétend

que l'Intelligence, dont il fait l'ordonnatrice de l'univers,

est à l'abri de toute affection et de tout mélange,de quel-

que nature que ce soit. Il n'en peut pas être autrement,

du moment qu'il place le mouvement du principe dans

l'Intelligence; car c'est uniquement en étant elle-même

immobile qu'elle peut créer le mouvement; et elle ne

peut dominer le monde qu'en ne s'y mêlant point.

Nous avons supposé pfushant que le mouvementdu

moteur pouvait 6tre accidentel ou nécessaire, et nous ve-

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D'AiUSTOTK,LiVIŒVIII, CH. V. 359

nonsde prouver qu'il ne pouvaitêtre accidentel. Restedoncqu'il soit nécessaire; or, si lemouvementdu moteurest nécessaire, et s'il ne peut jamais donner le mouve-mentsans le recevoir lui-même,il faut nonmoinsuéces-sairement, oit que le moteur reçoive un mouvementdemêmenature quecelui qu'i! transmet,on qu'il reçoiveuneautre espèce de mouvement.Par exemple,il faut dans lemouvementde qualité que ce qui échaunesoit lui-mêmeéchaune, que ce qui guérit soit lui-mêmeguéri, et dans]e mouvementloca) que ce qui transporte soit lui-mêmetransporté; ou bien en variant les mouvements, il fautque ce qui guérit soit transporté, ou que ce qui trans-porte soit animé lui-même d'un mouvementde quantitéet d'accroissement. Maisil est par trop évidentque cettedernière supposition est tout à fait impossible; et l'onpeut s'en convaincreen poussant cette divisionet cettediversité des mouvementsjusqu'aux cas particuliers etindividuels. Ainsi, en admettant que le moteur puisseavoir un mouvement autre que celui qu'il transmet, ilfaudrait que si quelqu'un enseigne la géométrie,on lui

enseignât à lui-même cette mêmepropositionde géomé-trie qu'il démontreà un autre; il faudrait que, si on jetaitquelque projectile, on fût soi-mêmejeté d'un jet toutpareil à celui qu'on communiqueau corpsqu'on lance.

Ainsi,le mouvement du moteur ne peut pas être pa-reil à celui qu'il donne. Maisj'ajoute qu'il ne se peut pasdavantage qu'il soit d'un autre genre et d'uue espècedifférente. Si l'on faisait cette dernière supposition, le

corps qui en transporterait un autre devrait avoir lui-mêmeun mouvement d'accroissement, de même que le

corpsqui donnerait à un autre un mouvementd'augmen-

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3CO

talionen quantité,devrait avoir lui-mêmeun mouvement

d'altération puis, le corps qui donnerait à un autre un

mouvementd'altération, éprouveraitlui-mêmeune autre

espèce d'altération. Mais il est clair que cette série ne

peut pas aller fort loin, et qu'il faut bientôt s'arrêter,

puisque les diu'érentesespèces de mouvementsont en

nombrelimité. Quesi l'on prétend qu'il y a répétition et

retour du même mouvement, et que le corps qui aitëre

se trouve lui-mêmetransporté un peu plus tard, cela re-

vient à dire, au bout de certainesalternatives,que ce qui

transporte est transporté, que ce qui enseigne est ensei-

gné, c'est-à-direque le moteurest animédu mêmemou-

vement qu'il communique. Autant valait le dire sur le

champ; car évidemmenttout mobilen'est pas mu seule-

ment par le moteur qui le touche; il est mu aussi par le

moteur supérieur, et le premier des moteurs est aussi

celui de tous qui produit le plus de mouvement.Maisil

est impossible que le moteur ait le même mouvement

que le mobile car celui qui enseignepeut bien lui-même

être enseigné, et à son tour apprendre quelque chose;

mais au moment où il enseigne, il n'en faut pas moins

que l'un possède la science, et que l'autre ne l'ait point,

puisqu'autrement l'enseignementet la transmissionde la

sciencene pourraient avoir lieu.

Je veux signalerune dernière conséquenceplus insou-

tenable encore que les précédentes, et qui ressort évi-

demmentde ce principe erroné,que tout mobiledoit être

mu par un autre mobile c'est qu'alors tout ce qui peut

donnerle mouvementdevrait le recevoirà son tour. Dire

que le moteur doit toujours et nécessairementêtre mu

(le la même espèce de mouvement qu'il communique.

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D'AmSTOTH.LIVRE VIH, CH. V. 3d

c'est dire que le médecin qnign6rit.Jema.Iade doit êtreJm-meme guéri et non pas seulement guérir son client;c'est dire que l'architecte qui est capable de construireune maison est construit comme elle, soit directement,soit gràce à plusieurs intermédiaires. D'une manière gé-

nérale, cela revient à soutenir que tout moteur qui a la

faculté de mouvoir,doitetre mis lui-mêmeen mouvement

par un autre moteur, sans que le mouvement reçu par luisoit Je même que le mouvementqu'il transmet à son touri,à un mobile voisin, et an contraire, en supposant que ce

mouvement est différent, comme si, par exemple, le mé-decin qui a la facultéde guérir était instruit. Maismêmeen variant les mouvementsde cette façon, on arriverait

bientôt de proche en proche à nn mouvementqui seraitde la même espèce, ainsi que nous venons de le dire,

parce que les diverses espèces de mouvement sont limi-

tées, et qu'on aurait bientôt épuisé la série. Doncl'unede ces conséquences, a savoir que tout moteur est animédu même mouvementque celui qu'il transmet, est ab-

surde et l'autre, a1savoir que tout moteur est toujoursmu lui-même, est erronée; car il est absurde de croire

qu'un être qui a la faculté de produire une altération,doit par cela seul subir un mouvementd'accroissement.

Donc en résumé, il n'est pas nécessaire que tout mobile

sans exception soit misen mouvementpar un moteur quiserait mu lui-même. Donc il y aura un temps d'arrêt; et

alors de deux chosesl'une ouïe mobile sera mu primiti-vement par unmoteurqui est lui-mêmeenrepos et immo-

bile ou bien le mobilese donnera a lui-même le mouve-

ment qui le pousse. Quant à la question de savoir quelest le principe et la vraie cause du mouvement, ou (le

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d

PARAPHKA8EDE LA PHYSIQUE302

l'être qui se meut lui-mêmeou de celui qui est mu par un

autre, c'est là ce qu'il est très-facile de décider, et tout

le mondevoit la solution ce qui est cause en soiest tou-

jours antérieur et supérieurà ce qui n'est cause que parun antre.

VI.

Commesuite à ce qui précède, il faut voir, en sup-posantqu'il y ait quelque chose qui se meuvesoi-même

spontanément, aqueDes conditionsce mouvementspon-tané est possible. Cesera là enquelquesorte un nouveau

principepour nos études.

Rappelons-nousd'abordque tout mobileest nécessai-rementdivisibleen parties,qui sontelles-mêmesdivisiblesa l'infini; car c'est un principe démontréplus haut, dansnosconsidérationsgénéralessurla nature (LivreV!,ch. I),que tout mobiledoit être continu en tant qu'il est mobile.Maiscommentpent-oncomprendrequ'une chosese meuveeUe-même?D'abord il est impossibleque ce qui se meutsoi-mêmese meuve tout entier absolument; car on tom-berait alors dans une foulede contradictionstoutes plusinsoutenables les unes que les antres. Ainsi, un corpsserait transporté tout entier en même temps qu'ii trans-

porterait, par le mêmeet unique mouvement; et tout enrestant un et spécifiquementindivisible, il serait altéréen même temps qu'il altérerait; il instruirait en même

tempsqu'il serait instruit; Hguériraitet.seraitguéri pourun seul et même cas de guérison, toutes suppositionsptus impossiblesles unesque les autres.

!)e ptus il a été établi (Livre111,ci). 1)que tout mo-

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D'ARtSTOTE, LIVRE VHI, (:H. Vt. 3~3

bile, quand il est mu, est seulement en puissance et nonpas en acte or, ce qui n'est qu'en puissance tend a se

compléter en devenant actuel, et le mouvement, tantqu'ildure, est l'acte incomplet du mobile l'acte étant com-plet lorsquele mouvement est achevé.Quant au moteur, ilest en acte et en fait, et non pas simplement en puissance.Parexemple, ce qui est chaud échauffeet communique sachaleur; et, d'une manièregénérale, ce qui a la forme en-gendre aussi la forme; ce qui a une certaine qualité pro-duit cette même qualité, Si donc Je corps se meut lui-même tout entier, il en faudra conclure qu'une mêmechose pourra tout à la foiset dans lemême moment avoirles mouvements contraires; elle pourra, tout à la fois etsous le même rapport, être chaude et non chaude; et demême dans tous les autres cas analogues, où le moteurdevrait avoir la même affectionque le mobile et subir lesmêmes mouvements. Maisceci est absolumentimpossible,et il n'est pasadmissible que le corps se meuve lui-mêmeabsolument tout entier, comme on le supposait d'abord.

Reste donc à dire que dans l'être qui se meut lui-même, il y a une partie qui meut et une autre partie quiest mue. Maisici encore il faut distinguer; car les deux

parties ne peuvent pas être dans ce rapport que l'une

puisse indifféremment mouvoir l'autre, sans qu'il y aitde distinction entr'elles. La raison en est simple c'est

qu'alors il n'y aurait plus de premier moteur, si l'unedes deux parties pouvait indifféremmentmouvoir l'autreà son tour. L'antérieur est cause du mouvement bien

plus que ce qui ne vient qu'après lui; et il meut certai-nement davantage. En effet, nous avonsdit que mouvoir

peut s'entendre en deux sens, c'cst-a-dire mouvoir direc-

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE30~)

tement et par soi seul, ou mouvoir par un ou plusieursintermédiaires.Or, ce qui est éloignedu mobileplusquenel'est le milieu,est aussi plus rapproch6du moteur ini-

tial et si lesdeuxparties peuvent indHTéremmentsemou-voir l'une l'autre, il s'ensuit qu'aucune d'elles ne pourra.êtreprise pour le premiermoteur, puisquechacune seratour à tour plus et moinséloignéedu principe; ce qui est

contradictoire.De plus, une des deux parties pouvant in-différemmentmouvoir l'autre, il n'y a plus de nécessité

pour le mouvement; car le mouvementn'est nécessaire

quequand le moteur se meut lui-même.Or, si l'une des

deux parties rend a l'autre le mouvementqu'elle a reçu,ce n'est qu'accidentellement, et elle pourrait ne pas lerendre. Il pourrait donc se faire que l'nne des deux par-tiesfût en mouvement,et que l'autre fût au contraire lemoteurinitial qui resterait immobile. Il ne serait pas né-cessa-ireque le moteur fût mu à son tour, et il pourraitne pas l'être. Maisce qui est de toute nécessité,c'est quelemoteur qui donnele mouvementsoit immobile,ouqu'ilse meuvelui-même,puisqu'il y a toujoursmouvement,et

que le mouvement est éternel. De plus, si les deuxpar-ties se donnent une impulsionréciproque et successive,le mouvement ne pourra qu'être identique de part et

d'autre, et le moteur recevrait alors le mouvementqu'il

communique; ce qui écuaune serait échauffé; or, cela.

est contradictoire, ainsi que nous venonsde le dire..Nousvenonsaussi de voirqu'il est impossibled'expli-

querle mouvement,spontané, en supposantque les deux

partiesdont se composeraitle corps agiraientindifférem-

mentl'une sur l'antre; il n'est pas plus possiblede sup-

poserque ce soit une seule partie du corps ou plusieurs

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D'AHISTOTE,LÏVRR V! CH. V!. 365

parties du corps mu primitivement par lui-même, quichacunese meuventspontanément; car il n'y a pas d'al-

ternative,et si lemoteurentier se meut lui-même, il faut

qu'ii soit mu par une quelconquede ses parties, ou quele toutsoit mu par le tout. Si le corpsentier est mu parce

qu'une de ses parties se meut spontanément, alors c'est

cette partie spécialequi est le premier moteur, le moteur

qui se meutprimitivement lui-mêmecar, séparée de tout

le reste,cettepartiepourra se mouvoirencoreelle-même;tandis quesansellele tout ne peutpins avoir aucunmou-

vement.Le corpsentier ne sera doncplus le premier mo-

teur, commeon ledisait.Maissi l'on supposequec'est le

corps entier qui se meut lui-même tout entier, alors les

parties n'ont plus le mouvementqued'une manière indi-

recte et accidentelle.Par conséquent, si le mouvement

ne leur est pas nécessaire,elles peuventne pas l'avoir,et

le mouvementpeut ne pas exister. Il faut doncsupposer

que, dans la masseentière du corps, il y a une partie quidonnele mouvementtout en restant elle-mêmeimmobile,et qu'il y a une autre partie qui, sans avoir de mouve-

ment propre, reçoitceluiqui lui estcommuniqué et c'est

seulementainsi qu'on peut se rendre comptedu mouve-

ment spontané.Autre argument Supposonsque ce soit une ligne qui

se meuveainsi elle-mêmetout entière; une partie de cette

ligne donne le mouvement,et une autre partie le reçoit.H s'ensuit cette contradictionque la ligne ABpourra tout

à la fois se mouvoirelle-même tout entière, et qu'ellesera mue seu)emeutpar A. Ainsi,elle sera mueà ia fois

par ABet par A; ce qui est impossible.Mais,puisque le

mouvement peut Mredonné, ou par un moteur qui est

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE:}<~

mu ~ut-mêmepar quelqu'autre cause, ou par un moteu

immobile,et que le mouvementpeut être reçu, soit paun mobilequi meut lui-mêmequelque chose à son toursoit par un mobilequi ne meut plus rien, il s'ensuit qu<le moteur qui se meut lui-même doit être composéd(deux parties, dont l'une qui meutest immobile,et don<l'autre qui est mobilene meut pas nécessairement,puis-qu'elle peut indineremmentmouvoiret ne mouvoirpas.

Pour préciser davantage ceci, je prends une formulelittérale. A est le moteur immobile;B qui est mu par Ameut à son tour C et ce dernier qui est mu par B nemeut plus rien. Il pourrait y avoir plusieurs intermé-diaires entre Aqui donne le mouvement initial, et C quile reçoit en dernier lieu mais nous avons préféréne sup-poser qu'un seul intermédiaire, pour que les chosesse

comprissent mieux. Le tout ABCa la puissancede semouvoir lui-même; mais de ces trois termes, je puis re-trancher C; et AHpourra toujoursse mouvoir lui-même,puisque c'est Aqui donne le mouvement,et n qui le re-

çoit. MaisC ne peut se mouvoirlui-même; et abandonnea lui seul, il ne pourra être mu en aucune façon.D'autre

part, BC, s'il était séparé, ne pourraitdavantagese mou-voir sans A; car B ne peut communiquer le mouvement

que parce qu'il le reçoit lui-même d'un autre, et nond'une de ses parties. Ainsidonc, ABpeut seul se mou-voir lui-même et, par conséquent, le corps qui peut semouvoir lui-même doit nécessairementavoir deux par-ties, l'une qui meut et reste immobile, l'autre qui estmueet ne meut plus rien nécessairementà son tour.

Maintenant,ou cesdeux élémentsse touchent récipro-quement, ou bien il n'y en a qu'un qui touche l'autre,

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OA~S'IOTE,HViŒVHi,(;H.Vt. 367

parce que l'un est incorpore!et l'autre corporel.Onne

peut pas supposer quele moteur soit continu,bienque lemobile]e soit de toutenécessite car, dans ce cas, le toutserait en mouvement,non point parce qu'une de sespar-ties aurait la faculté de se mouvoireue-mëme, mais ceserait l'ensemblequi serait mu tout entier à la fois, mo-bile et moteur également,parce qu'il y aurait en lui quel-que chose qui meut et qui est mu. Or, cela est impos-sible car ce n'est pas le tout qui meut, de mêmequecen'est pas non plus ]e tout qui est mu; maisc'est Atoutseul qui donne le mouvement,et c'est B tout seul qui le

reçoit, comme on vient de le démontrer.

En supposant que le moteur immobile soit continu,on peut demander si le mouvementest encore possible,après qu'on aura enlevéune partie de A et une partiede B car l'un et l'autre étant divisiblesen tant quecontinus, on peut leur retrancher quelque chose. Ondemande alors si le reste de A continuera à donner lemouvementcomme A tout entier, et si le reste de B lerecevra commeB tout entier le recevait. Si l'on admet

que le reste puisse de part et d'autre exercer la même

action, c'est que ce n'était pas primitivementAB toutentier qui pouvait se mouvoir lui-même,puisque même

après un retranchement, le reste de ABpeut continuerencorea se mouvoir. Acedoute, on peut répondrequ'enpuissancerien n'empêcheque tousles deux, le moteuretle mobile,on tout au moins l'un des deux, le mobile,nesoient divisibles, mais en fait et en acte le moteur resteabsolumentindivisible; car s'il était divisé, il ne jouiraitplus de la même facultéde mouvoir. Ainsirien ne s'op-poseà ce que cette facultéde se mouvoirsoi-mêmene se

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PAHAPHHASEDE LA PHYSIQUE368

trouve primitivement dans des corps qui sont simplement.divisibles en puissance et qui sont indivisibles en acte.

Je conclusde tout ceci qu'évidemment le moteur pre-mier est immobile; car, soit que le mobile qui reçoitle mouvement soit seul, et qu'il s'arrête sans autre inter-

médiaire au primitif immobile qu'il touche directement,soit qu'il touche un autre mobile qui aurait la faculté de

se mouvoir lui-même tout en étant en repos, de l'une et

l'autre manière, le moteur primitif n'en est pas moins

toujours immobile, après tous les intermédiaires qu'ilmet en mouvement.

vu.

Le mouvementétant nécessairement éternel, et ne de-

vant jamais cesser, il faut nécessairement aussi qu'il y ait

quelque cause qui meuve primitivement les choses, soit

une, soit multiple; et cette cause est le premier moteurimmobile. Peu importe, d'ailleurs, pour la démonstration

que nous faisonsici, qu'i)y ait des choses éternelles quine

produisent point le mouvement; nous ne nions pas l'exis-tence de ces choses ni leur immobilité; et nous nous bor-nons à prouver qu'il faut de toute nécessite qu'il existe

quelque chose qui soit a l'abri de tonte espèce de chan-

gement, soit absolue, soit accidentelle,et qui ait iafacuitéde communiquer le mouvementà quetqu'autre chose quiest en dehors de lui et lui est étranger. On peut objecterencore qu'it y a des choses qui, sans naissance et sans

destruction, c'est-à-dire sans changement, peuvent tantôt

être et tantôt n'être pas; j'en conviens, et si nne chose

sans parties et absolument indivisible tantôt existe et

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O'AfUSTOTE,UVMvi, (~ y,, 360

2/t

tantôt n'existe pas, il faut nécessairement qu'eue éprouvecette ahernanve sans subir le moindre changement. Maissi pour les principes qui sont tout a la fois moteurs ete~'l quelques-uns qui peuvent tant6t êtreet tantôt n être pas, cela est impossible pour tous, et ilfaut an.ver un de ces principes qui soit dans une autrecond~on, c'est-à-dire d'une entière immuabilité.

en-etil est c!air que, pour les choses qui se donnentelles-mêmesle mouvement, il faut qu'il y ait une cause

qui fait que tantôt elles sont et tantôt nesont pas. Tout ce qui se meut soi-mêmedoit de toute né-cessité avoir uue certaine grandeur, puisqu'une chosequi

pas de parties ne peut pas non plus avoir de mouve-ment. Ma~sdaprès ce que nous avons dit plus haut. lene doit pas avoir de parties, et l'on peut très-bienle concevoir comme ayant pas. Si donc certaineschoses se produisent et certaines autres disparaisselon un ordre perpétuel, on nepeut pas cause

si dans des ne sontpas éternelles, tout en étant immobiles. On ne peut pasavantage la trouver dans des choses qui en meuvent~sternellement~t qui sont el~ mues par~es leur tour. Toutes ces causes

intermédiairessoit qu'on les prenne séparément, soit qu'on les prenneensemble, ne peuvent jamais produire ni l'éternel ni le

du mouvement est un éternel et~ssa re; mais la coëxistencede ces choses est impos-sible, parce qu'elles sont en nombre infini. Donc évidem-ment en supposant aussi nombreux qu'on voudra lesprincipes des choses qui restent

enes-m~esimu~tout en produit le mouvement; en supposant même

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUEX70

quebeaucoupde ceschosesqui ont un mouvementpropre

périssentet renaissent, et que le moteurimmobilemeuve

tellechosequià sontour enmeutTjnautre, il n'en fautpasmoins arriver enfinà cette conclusion,qu'il y a quelquechose qui enveloppe et comprend tout cela, qui domine

toutesces choses et en est indépendant, qui est la cause

de cette alternative continuelled'existenceet de destruc-

tion, et de ce changementperpétue!, et qui communique

spontanémentle mouvementaux Intermédiaires,lesquelsle transmettent à d'autres.

Ainsidonc le mouvementétant éternel, il faut que le

moteursoit éternel commelui, en supposantque ce mo-

teur soit unique; ou si l'on admet qu'il y a plusieursmoteurs, il faudrait que tous ces moteursfussent éternels

ainsi que le mouvement.Or, dans l'incertitude, ilvaut

mieuxpenser que le moteur est unique plutôt que de

penserqu'il est multiple; de m~mequ'il vaut mieuxsup-

poserque les moteurs sont finis plutôt que de supposer

qu'ils sont inunis en nombre, si l'on admet qu'il y en a

plusieurs. Toutes conditions restant d'ailleurs égales,il

est préférable qu'ils soient en nombrefini car dansles

chosesde la nature, le finiet le meilleur,quand ilssont

possibles, sont plus ordinairement que leurs contraires;et il suffitd'un principe uniqueet éternelparmi les immo-

biles, pour produire le mouvementqui devra se commu-

quer au reste de l'univers.

J'ajoute un dernier argument pour démontrer que le

premiermoteur doitêtre nécessairementun et éternelc'est que d'après ce que nous avons établi plus haut, il

faut quelemouvementlui-mêmesoit éternel de toutené-

cessité or, si le mouvementest éternel, il faut aussiqu'il

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D'AÏUSTOTE, LIVRE VJH, CH. VHt. X7~)

soit continu carcequi est éternelestnécessairementcon-tinu,et cequi estsuccessif lieu d'êtreéternel n'a plusdecontinuité.D'uneautre part, si lemouvementestcontinu,il s'ensuitqu'il est un et quandje disqu'il est un, j'en-tendsqu'il est produit par un seul moteur agissant sur~n seulmobile;car si le moteur meutd'abord unechose,puis ensuite une autre, dès !ors ]e mouvement entier,séparépar des intervalles de repos, n'est plus continu;et il devientréellementsuccessif.

V!

Nousvenons de prouver qu'il existeun moteurprhnitif.mmobile,un et éternel; mais on peutse convaincrequeJe mouvementde ce moteur doit être essentiel et nonaccidentel,en regardant aux diversprincipessuivantles-quels agissent les moteurs.

L'observationla plus superficiellesuffit à nous con-vaincre que, parmi les choses, les unes sont tantôt enmouvementet tantôt en repos. Elle démontreégalementque toutesles chosessans exceptionnesont pas toutesenmouvementni toutesen repos, pasplusqu'elles ne sontoutoujoursen mouvementoutoujours en repos car onpeutvoirqu'il y a unefoulede choses quiparticipent du reposet du mouvement,et qui ont la propriété de tantôtsemouvoiret tantôt de rester immobiles.Bienque cesoitlàdes faitsincontestablespour tout Jemonde,nous voulonscependant approfondir la nature de ces deux ordresdephénomënes,et prouver que parmi les choses il y en aqui sont éternellement immobiles, et d'autres qui sontmues éternellement.En procédant toutà )'heureacette

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:~72 PARAPHRASADE LA PHYS)QUE

démonstration, et en admettant que tout mobile est mu

par quelque chose, que ce quelque choseest on immobile

ou mu à.son tour, et que s'il est mu, il l'est toujours ou

par lui-même spontanément ou par une causeétrangère,

nous en sommes arrivés à établir les principes suivants

J1y a un principe qui donne le mouvement à tout ce qui

est mu; pour tous les mobiles, quels qu'ils soient, ce

principe est toujours en définitive le moteurqui se ment

lui-même; en un mot, ce qui meut l'univers doit être

immobile.

Un premier fait de toute évidence; c'est qu'il y a des

êtres qui se meuvent eux-mêmes tels sont les animaux,

et d'une manière plus générale, les êtres vivants. C'est

même en observant les êtres de cette espèce, qu'on a été

conduit a penser que le mouvement avait pu naître à un

moment donné, sans avoir existé préalablement, parce

qu'on voyait ces êtres, qui a un certain instant sont

immobiles, se donner tout coup le mouvementà eux-

mêmes, du moins en apparence. Mais il faut remarquer

(lue ces êtres ne peuvent se donner à eux-mêmes qu'une

seule espèce de mouvement, la translation dans l'espace,

et même qu'à y bien regarderils ne se ladonnentpas pré-

cisément, puisque la cause initiale de leur mouvement se

trouve véritablement en dehors d'eux. De plus, il y a

dans ces animaux une foule de mouvements non moins

naturels que la translation qu'ils ne peuvent se donner en

rien, l'accroissement, la destruction, la respiration, etc.,

mouvementsque t'animai subit même en restant en place,

et sans aucun rapport à ce mouvement spécial qu'il

semble se donner toi-mêmequand il le veut. La cause

de ces mouvements fort din'6rents de la translation, c'est

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D'UUSTOTH,UVRH VtH, (;jH. ViH. :!7;;

tantotte milieuoù vit l'animal, l'ingestionde diversélé-mentsqui entrent en lui, et, par exemple, l'ingestiondela nourriture qu'i!prend. Les animauxdorment, quandilsdigèrent; et lorsque la nourritureest distribuéedansle corps ils s'éveillent,et ils se mettentalors en mouve-ment par une causequi leurest étrangère.C'est là ce quiifait que les animauxne se meuventpas continuellement,et qu'ils ont des intermittencesde repos; car dans lesêtres qui se meuventou semblentsemouvoireux-mêmes,le moteur doit être dînèrent d'eux, bien que ce moteuriui-mêfnepuisseêtre mu et qu'il puissechanger.

Dans tous ces cas, le moteur primitif, c'est-à-dire cequi est à soi-mêmecause du mouvement,se meut bienspontanément; mais c'est cependantencored'une façonaccidentelle, en ce sensque c'est le corpsqui changedeplace, et que par suitece qui est dans le corps en changeaussi.Lemoteuralorsest un;, commeilarrive dans le casd'un levier qui soulevé un poids. Le levier est mis eumouvementpar la main, qui, elle même,est mue ainsique lui par l'homme.

Decesobservations,onpeut coucturequ'uu moteurim-mobilepar lui-même,maisqui est susceptibled'un mou-vementindirect, ne peut jamais produireun mouvementcontinue!.Or, il y a nécessitéque le mouvementsoitcon-tinu et éternel. H faut donc non moins nécessairementqu'il y ait un moteur immobilequi ne soit pas mu pat-simpleaccident, s'il est vrai, ainsi que nous l'avons dit(dansce même livre,ch. VII)qu'il doity avoir dans leschoses un mouvementindéfectible et éternel, ets'il estvrai que l'univers doit demeureren lui-mêmetel qu'i!estt.et toujours dans le même lieu; car, le principe restant

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE37&

perpétuellementle même,il faut que tout le reste, quiestrattachéau principe, demeureperpétuellementaussi dansle mêmeétat et dans le même rapport. C'est une conti-nuité que rien ne peut interrompre ni suspendre. D'ail-

leurs, quand on parle du mouvementaccidentel, il faut

bien distinguer celui que se donne l'être lui-même, et

celui qu'il reçoit d'un autre; car le mouvementqui vientd'une cause étrangère peut appartenir aussi à certains

corps célestes, lesquelspeuvent être animésde plusieurs

espècesde translations; maisquant à l'autre mouvement

que les êtres se donnent accidentellementà eux-mêmes,il ne peut se trouver que dans les êtres destinés il

périr.

IX.

Si le moteur immobile et éternel existe bien comme

nousvenonsde le dire, il faut que le mobilepremier qu'ilmet en mouvementsoitéternel ainsique lui. Il ne peut yavoirdansl'univers,changement,naissanceet destruction,

que si quelque mobile communiqueà d'autres choses le

mouvementqu'il a reçu lui-même. En euet, l'immobile,tout moteurqu'il est, nepeut jamais donner que le même

mouvement,et le donnerde la mêmemanière; il ne peut

produire qu'un seul et unique mouvement,puisqu'il ne

change jamais de quelquefaçonque ce soitdans sonrap-

port avec le mobile qu'il meut. Au contraire, le mobile

mu par l'immobileou par un autre mobilequi a déjà lui-

même reçu le mouvement,se trouve dans des rapportsconstamment divers avec les choses, et il peut alors être

':auhc des mouvements les plus variés; le mouvement

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D'ARISTOTE,UVm'; Vit!, CH.X. :~75

qu'il transmetn'est plus identique.En passant successi-vement dans des lieux contraires, ou en restant desformescontraires, il transmettra aussi d'une façon con-traire le mouvementà tous les mobilessecondaires,selonqu'il sera lui-même tantôt en mouvement et tantôt enrepos.

Cecinousamenéà la solutionde la question que nousnousétionsposéeau début (danscemêmelivre, ch. III), àsavoir Pourquoitouteschosesne sont-ellespas en mou-vementou en repos?Pourquoicertaineschoses sont-ellesdans un mouvementéternel? Pourquoi certaines autressont-elles dans un éternel repos?Pourquoi y a-t-il deschosesqui sont tantôt en repos et tantôt en mouvement?La cause de toutes ces diversités doit maintenant nousêtre évidente c'est que les unessont mues par un mo-teur immobile; et alors elles changent éternellement,tandis que les autres n'étant muesque par un mobile quichangelui-même,doiventchangerdans les mêmes con-ditions que lui et en subir toutes les variations. Enfin,quant au moteur immobilequi persiste, ainsi que nousl'avonsdit (dansce m6me!ivre,ch. VII),dansuneabsolueidentité, e~qui est éternellementle même,il nepeut com-muniquerqu'un seul et absolu mouvement.

X.

Pour rendre tout ceci encore plus clair, nous allonsprendreun autre principeet recherchers'il peut ou nonyavoirun mouvementcontinu; et, en admettant l'existenced'un telmouvement,nousrechercheronscequ'il est et quelest le premierde tous les mouvementsparmi tontes les

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l'AMAPHKASEJ)E LA PHYSIQUE576

espèces que nous connaissons. Le mouvement éternel

étant nécessaire, il s'ensuit que le moteur premier pro-duit nu mouvement qui doit être aussi de toute nécessité,

toujours un, toujours le même, continu et premier.

Rappelons d'abord qu'il y a trois espèces de mouve-

ments, qui se distinguent en ce que l'une a lieu dans la

grandeur, l'autre dans la qualité et.la troisième dans l'es-

pace. Je dis que le mouvement dans l'espace, que l'on

nomme aussi la translation, doit être nécessairement le

premier de tous les mouvements. En en'ct, l'accroisse-

ment, c'est-à-dire le mouvement dans la grandeur, ne

peut se produire sans une altération préalable; l'altéra-

tion précède donc l'accroissement. Ce qui s'accroît ne

peut s'accroiu'e que par le semblable en partie, et en

partie par le dissemblable; car, ainsi qu'on le dit, le con-

traire est l'aliment du contraire; le contraire nourrit le

contraire; et tout s'agglomère et se réunit en devenant

semblable au semblable qui le reçoit. Ainsi, l'altération,

qui est une espèce du mouvement, peut s'appeler le chan-

gement dans les contraires. Mais, pour que la chose soit

altérée, il faut un principe altérant qui fasse, par exemple,

d'une chose qui n'est chaude qu'en puissance une chose

qui devienne chaade en acte et en pleine réalité. Donc,

évidemment, le moteur n'est pas toujours dans ce cas au

même état; mais Hest tantôt plus proche et tantôt plus

éloigné de la chose altérée; le moteur se déplace donc;

et, sans un déplacement, sans une translation initiale,

toute la série de ces phénomènes serait impossible. Si

donc le mouvement est nécessaire dans tous les change-

ments quels qu'ils soient, on peut dire que la translation

est toujours aussi le mouvement originaire, le premier

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D'AÏUSTOTE,LiVUMViH. CH. X. 377

des mouvements; et si, dans la translationmême, on dis-tingue diverses espèces de translations antérieures ou

postérieures, il s'ensuit que la première de toutes lestranslations est aussi le premier des mouvements, lemou-vement premier.

Ce mouvementde translation ou de déplacement quenous venons de voir dans tous les changements de qua-lité, se retrouve également dans leschangementsde quan-tité. En eHet, on a dit que toutes les affectionsdes chosesse réduisent à la condensation et à la raréfaction. Ainsi,la pesanteur et la légèreté, la mollesse et Ja dureté, lechaud et ]p.froid ne sont, à ce qu'il semble, que des mo-dificationsqui condensent les corps ou les raréfient d'unecertaine manière. Or, la condensationet la raréfaction nesont au fond que la réunion et la séparation des élémentsdont les corps se composent, et qui font, selon qu'ils sontréunis ou sépares, qu'on dit des choses qu'elles naissentton qu'eues périssent. Mais pour se réunir, aussi bien quepour se séparer, il faut toujours qu'il y ait un change-mentde lieu, un déplacement, de même encoreque pour.4'acci-ottreou dépérir, il faut aussi que la grandenrchangepins ou moins de lieu dan;; l'espace. Ici encore ily a donc translation, c'est-à-dire mouvement local.

Voici encore un autre argument pour prouver que latranslation est )e premier des mouvements,Jemouvementpar excellence. Mais il faut expliquer d'abord ce qu'onentend par Premier; car ce mot, soit qu'il s'agisse de

mouvement, soit qu'il s'agisse de toute autre chose, peutavoirplusieurs acceptions.Ainsi, on appelle dans nn sensPremier et antérieur, tout ce dont l'existence est in-

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~78

dispensabic à l'existence de certaines autres choses,et qui peut lui-mêmeexister indépendammentd'elles.L'antériorité de cegenre peut encores'appliquer tout à lafois au temps et à l'essence. Nécessité,temps et essence,telles sont les troisnuances de la priorité. Or, la transla-tion est nécessaire aux autres espèces de mouvements,tandis que les autres espècesde mouvementsne sont pasnécessairesà la translation.Detoutenécessité,il faut quele mouvement existe continuement; or, ce mouvement

qui existe perpétuellementpeut être ou continuon suc-cessif. Maisc'est bien plutôt le mouvement continu quipeut être éternel car le continuest préférable au succes-sif et dans la nature, le mieux se produit toujours parcela seul qu'il est possible.Nousdémontreronsplus loin

que la continuitédu mouvementest possible, et en atten-dant nous la supposons.Or, iln'y a que la translationquipuisse être continue, et par conséquentil est nécessaire

quela translationsoitlepremier desmouvements.En effet,il n'y a pas nécessitéque le corps qui subit un rnouve-ment de translation et qui se déplacedans l'espace, su-bisse aussi un mouvementd'accroissement ou d'altéra-

tion, c'est-à-dire un mouvementdans la quantité ou dansla qualité. II n'y a pas davantagenécessitéqu'il naisseou

qu'il périsse. Maisaucun de cesmouvementsd'altérationou d'accroissement,ne serait possiblesans un mouvement

continu, qui impliqueun déplacement!ocal, et que peutseul produire le premiermoteur.

Ainsi,la translationest le premiermouvement,commeétant indispensablea tous les autres. Chronologiquementet sons !e rapport du temps, elleest aussi le premierdes

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D'ARISTOTE,LIVRE VIII, CH. X. 379

u.ouvements;car les choses éternelles ne' peuventpasavoir d'autre mouvementque la translation et, par con-

séquent, la translationest éternelle.

Maison dira peut-être qu'au contraire la translation,dans toutes les choses qui naissent et périssent, est né-cessairementle dernier des mouvements;ainsi,après queles êtres sont nés, le .premier mouvementpour eux c'estl'altération et la croissance,tandis que la translation neleur est possible que quand ils sont complets et para-chevés.Maisà celaon peut répondrequ'il fautnécessaire-ment une choseantérieure qui ait déjà un mouvementde

translation,pourque la génération,l'altérationou lacrois-sancesoient possibles;il faut antérieurementa ceschan-

gements une chose qui, sans être produite elle-même~soit cause de la production pour les choses qui naissentet surgissent, commepar exemplel'être qui engendreestcause de l'être engendré, auquel il doit être nécessaire-

mentantérieur. Il sembleau premiercoup d'oeilquec'estla génération qui doit être antérieure à tout le reste.

puisqu'il faut tout d'abord que la chose commenceparnaître. Je conviens qu'il en est bien ainsi pour tout ce

qui est sujet à naître et à se produire. Maisavantce quinaît et se produit, il faut de toute nécessitéquelqu'autrechosequi existedéjà par soi-même,et qui produisesansêtre soi-même produit, du moins à cet instant. Cepro-ducteur peut avoirlui-mêmeune origine, sans que d'ail-leurs la série puissealler ainsi à l'infini.

Onvoitdoncque la génération ne peut être le premiermouvement; car alors tout ce qui est sujet au mouve-mentserait périssable, puisqu'il serait engendré. Mais sila générationmcmen'est pas le premier mouvement,il

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE:!80

est clair qu'aucun des mouvementspostérieurs à la géné-ration ne peut être antérieur à la translation. Quand jedis mouvements postérieurs, j'entends l'accroissement,l'altération, la décroissance, )a~)estruction, tous mouve-ments qui ne peuvent venir qu'après la naissance et la

génération, parce qu'ils la supposent nécessairement. Sidonc la génération n'est pas antérieure à la translation,aucun autre mouvement ne pourra l'être davantage. En

généra!, ce qui se produit et devient est par cela même,on peut dire, incomplet et il tend à un principe ou il seradéfinitivement tout ce qu'il doit être. Par conséquent, ce

qui est postérieur en génération semble être antérieur pat-nature et la translation étant la dernière pour toutes leschoses soumises à ]a génération, il paraît qu'eiïedoit êtrela première en essence. Aussiparmi les êtres vivants, euvoit-on qui sont absolument immobiles par défaut d'or-

ganes, les plantes, par exemple,etbon nombre d'animaux

qui ne marchent pas. D'autres au contraire qui sont plusparfaits sont doués du mouvementde translation, et c'està cause de leur perfection même.Si donc la translation

appartient plus particulièrement aux êtres qui ont unenature plus complète, on doit penser que cette espèce demouvement doit être aussi en essence le premier de tousles mouvements.

Voi!àbien des raisons qui font que la translation est le

premier des mouvements et qu'elle est supérieure tousles autres. Maisune autre raison non moins forte, c'est

que dans le mouvementde translationl'être sort moins desa substance et de ses conditions naturelles que danstoute autre espèce de mouvement. H n'y a que la transla-tion ou il ne change rien de son être, tandis que dans

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D'AtUSTOTE,L!VÏŒ V!î!, CH. X!. 381

l'altération il changede qualité, et qu'il changede quan-tité dans la croissanceet le décroissement. Ce n'est quedans la translationqu'l! reste ce qu'il est essentiellement,ne changeantabsolumentque de lieu sans la moindremodificationsubstantielle. Enfin une dernière preuve,etla plus fortede toutes, qui atteste quela translationest le

premier des mouvements, c'est que ce mouvementestceluiqui convientd'une manière toutespécialeau moteur

primitif, au moteur qui se meut lui-même or, ce qui semeut soi-mêmeest le principe et la cause initialepourtous les mobiles et les moteurs qui suivent, et quiviennent après, quel qu'en soit le nombre.

Donc,en résumé, la translation est évidemmentd'aprèstout ceci le premierdes mouvements.

X!.

Maintenant,il nous faut expliquer la nature et l'espècede cette transition première; et la même étude nousconduira démontrer la vérité de ce principe que nousavonssupposéplus haut (chapitreprécèdent)et que noos

supposonsencoreici, à savoir qu'il peut y avoir un mou-vementcontinuet éternel.

Je m'attached'abordà prouver qu'i)n'y a que le mon-vementde translation qui puisse être continu. Eneffet,dans tous les mouvementset dans tous les changements,quelsqu'ils soient, le mouvement se fait toujours d'un

opposé à un opposé, c'est-à-dire entre des contraires.

Ainsi, par exemple,l'être et le ndn-etre sont les limitesentre lesquellesse passent la générationet la destruction.Pour l'altération, les limitesflans lesquelleselle se ren-

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE382

fermesontles affectionscontrairesdont les chosespeuventêtre douéestour à tour. Enfin pour l'accroissementet ladécroissance,les limitessont la grandeur et la petitesse,ou encore l'achèvementde l'être arrivé à toutes ses di-mensions,et son inachèvement,qui sont l'un et l'autred'une certaine grandeur déterminée. Les mouvementscontrairessont ceuxquiaboutissentà des contraires; or,quand unechose n'estpas animée d'un mouvementéter-nel, elle a dû nécessairementêtre en repos, si elle existaitantérieurement au mouvementqu'elle reçoit. Donctoutce qui changeaura évidemmentun instant de reposdansle contraire, avant de changer.

Le même raisonnementdoit s'appliquer à toutes lesautres espècesde changementset de mouvements.Ainsi,la génération est d'une manière générale opposéeà ladestruction et si l'on descend aux cas particuliers degénérationet de destruction,l'oppositionn'est pas moinscomplète. Par conséquent,s'il est impossiblequ'un mêmeobjet subisse a la foisdes mouvements

contraires, il n'yaura pas dans ce cas de mouvementcontinu; car il y auratoujours un instant derepos, quelque court qu'il soit,dans l'intervallede ces mouvements divers. On pourraitnous objecterque les changementsqui sont comprissousla contradiction de l'être et du non-être, ne sont pasréellementdeschangementscontraires. Maispeu importepour notre démonstration;car il suffitque la générationet la destructionsoient contrairesen ce sens qu'ellesnepuissent pas appartenir toutes les deux à la fois à unseul et mêmeobjet. Peuimporte même qu'il n'y ait pasnécessairementde reposentre les deux termes de la con-tradiction, l'être et le non-être, et qu'i) n'y ait pas non

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D'~HtSTOTE, LIVRE VIII, CH. XI. 38~

plus un changement contraire au repos, c'est-à-dire unréel mouvement;car onpeut dire que le non-être, puis-qu'il n'est pas, ne peut pMêtre réellementen repos; ladestruction qui tend au non-étren'y est pas davantage.Maisil suffit qu'entre l'être et le non-Êtr'e,il y ait du

temps d'interposé, pour qu'on puisse affirmerque dèslors le mouvementn'est plus continu. Hn'est pas besoinde supposerque dans l'état quiprécède,soit l'être, soit le

non-être, il y ait une véritableoppositionpar contrairesce qu'il nous faut ici pour notre démonstration,c'est queles deux états de l'être et du non-être ne puissent pasappartenir simultanémentà un set)let mêmeobjet.En cesens, ils sont contraires, et il y a nécessairemententr'euxun intervallede repos qui empêchela continuitédu mou-vement.

Du reste, il ne faut pas s'inquiéter de nous voir ad-mettre qu'une seule et mêmechose puisse être contraireà plusieurs, ni s'étonner que nousfassionsle mouvementtantôt contraire au repos et tantôt contraireà un autremouvement.Je ne dis pas que dans ces deuxcas la con-trariété soit également complète;mais il suffit,à notre

point de vue, que le mouvement,quej'appelle contraire,soit opposé,d'une façon quelconque,soit à un autre mou-vementsoit au repos, de même que le moyenou l'égatest opposé tout à la fois et à ce qui surpasseet à ce quiest surpassé; car l'égal est l'opposétout ensembleet du

plus et du moins.Du momentque les deux mouvementsou changementsne peuventcoëxisterdansle mêmeobjet,nous les regardons commecontraires, ne serait-ce qu'àce point de vue restreint. J'ajoute que pour la générationet la destruction, il est d'autant plus impossibled'ad-

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PARAPHRASEDRLA PHYSIQUE38/)

mettre h continuité du mouvementqu'it faudrait alorsque l'être périt immédiatementaprès qu'il est né, sanssubsister !a moindre parcelle de temps; ce qui est con-traire à l'observation.Si ceprincipeest vrai de la géné-ration,àplus forte raison l'est-ildes autres mouvements;car il est conformeaux loisdela nature quece qui a lieupour une espècede changement,ait lieu égalementpourles autres espèces.

X!

Après avoir prouvé que la transition seule peut êtrecontins, il nous faut prouver qu'ij n'y a qu'une seule es-pèce de translation, la transfation circulaire, qui puissetonrn.r un mouvement infini, unique et éterne))ementcontinu.

(Juand un corps est animé d'un mouvement de trans!a-t'on, il ne peut avoir qu'une de ces trois directions, ou ilse meut circulairement, ou il se meut en ligne droite, ouil se meut suivant une combinaison du cercle et de laligne droite. La translation est donc ou circutaire, ou'ccte, oucomposée.I! est d'ailleurs évident que, si l'unde cesdeux premiers mouvements n'est pas continu,il estegalen.cnt impossible que le mouvement formé des deuxle soit davantage.

Je veux démontrer d'abord que la translation en lignedroite ne peut pas être continue. Le mouvement d'uncorps qui se meut en ligne droite et dans une ligne ~nicdoit être fini; car ce corps revientnécessairement surlui-"'eme; et, en revenant paria ligne droite qu'il a déjà par-courue, il reçoit !es mouvements contraires. S'il s'agit de

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n'ARfSTOTE, UVRH V)!), CH. XH. :~S5

''espace le mouvementen haut est contraire an mouve-ment en bas; le mouvement en avant est contraire anmouvementen arrière et le mouvementà droite est con-traire au mouvementà gauche; car ce sont la les oppo-sitions de l'espace et du lieu. Nousavons ensuite établiplus haut (Livre V. ch. VI) relies sont les conditionsquifont qu'un mouvement est un et continu; et nous avonsdttque c'est le mouvementd'une seulechose, dans un seultemps, et dans un récipient qui ne présente pas de diffé-'-ence spécifiée car il n'y a que trois termes Aconsi-dérer le moteur-mobile,homme ou Dieu, peu importele moment o~ ]e mouvement se passe, c'est-à-dire letemps; et enfin ce en quoi il se passe, c'est~-uire, ou leheu, ou l'affection, ou la grandeur. Or. les contraires dif-férent spécinquement. et ne sont pas les mêmes. Ainsiune des conditions leur manque, et le mouvement qui sepasse entre des contraires ne peut pas être continu.

Je viens de dire qu'un corps qui parcourt une lignedroite, et qui revient par cette u.eme ligne, a des mouve-ments contraires. Ce qui le prouve, c'est que, si l'on sup-pose deux mouvements simuhanés, l'un de Aen B etl'autre de B en A, il est clair que ces deux mouvementss arrêtent mûrement et se font ohstade. Donc.ils sontcontrâmes.Il en serait de même pour le cercle, si les deuxmouvements avaient lieu sur une même circonférencedans des sens dinérents. Le mouvementde Aen B y estcontraire au mouvement de A en C; ils s'arrêtent réci-proquement, bien qu'ils soient continuset qu'ils n'aientpoint de retour sur eux-meu.es, par cela seul que lescontraires s'empêchent et se détruisent l'un l'autre. Lesdeux seuls mouvements qui ne soient pas précisément

95

Page 563: La Physique d Aristote

PA~APHtUSE DE LA PHYSIQUE3S6

contraires, tout en partant d'un seul et mêmepoint, c'est

celui qui va soit en haut soit en bas, et celuiqui s'écarte

suivant une ligne oblique.Maisce qui prouvesurtout quelemouvement en ligne droite ne peut pas être continu,

c'est quele corpsquirevientsur lui-mêmedoit nécessaire-

ment s'arrêter nu moment,quelquecourt que ce moment

puisse être. D'ailleurs,ce reposa lien sur la lignecircu-

laire, quand le corpsy revientsur lui-même, aussi bien

que sur la ligne droite car il faut bien distinguer ici

entre un mouvementqui est réellement circulaire et un

mouvementqui a lieusur le cercle; dans ce dernier cas,le corps peut rétrograder vers le point d'où il est partiet revenir de nouveau sur ses pas, tandis que dans le

mouvement circuiaire, le mouvementest tout a fait con-

tinu.

Mais qu'il y ait nécessairementun momentde repos,

quand le mouvementrétrograde sur lui-même, c'est ce

dont on peut se convaincrepar la raison seule, indépen-damment mêmede l'observationsensible; et voici la dé-

monstrationqu'on peut en donner. Trois termes étantà

considérer dans le phénomènedu mouvement, à savoirle

point de départ, le milieu et la fin, on peut dire que le

milieu, tout en restant un numériquement,est cependantdeux par rapport aux deux autres termes; s'il reste nu-

mériquement un, il est deux rationnellement; car le mi-

lieu est la fin pour le point de départ, et le commence-

ment pour la fin. J'ajoute qu'il faut bien distinguer ici,commedans tant d'autres cas, l'acte et la puissance. Une

droite étant donnée, un pointquelconque de cette droite

peut servir de milieu; il est donc milieu en puissance;mais il ne t'est en acte et en faitque s'i) diviseréettement

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D'ARISTOTE,LIVRE VHI, CH. XH. M7

cette droite, et si à ce point précisle mouvements'arrête

pour recommencerensuite; car c'est à cotte conditionseulementque le milieudevienttout à la foiscommence-ment

etfiii, cornwencernentdumouvementqui suit, findumouvementqui précède. Je précisececi par un exemple.

Soit un corps A qui parcourt une ligne droite, et quis'arrête en Bavant de parvenir à C, un de sa course;voilàpour le mouvementinterrompu. Mais si le mouve-mentest continu,on ne peut plus dire que A est arrivéen n ni qu'il s'en est éloigné, puisqu'alors B n'est pasréellement le milieuet qu'il ne l'est qu'en puissance. An'a été en B qu'un instant, c'est-à-dire une partie inap-préciable de temps, comme il a été dans tous les autres

points de la ligne; et ce n'est qu'une partie du tempstotal ABC,dontB n'est pas à vrai dire une partie, maisune simple division,quand onen fait un lieu réel, où le

corpss'arrête et recommenceensuite son mouvement.

Quesi l'on supposeque Aarrived'abord enB et qu'en-suite il s'en éloigne,il faudra de toute nécessitéqu'alorsil s'arrête un momenten B; car il est bien impossiblequece soit tout à la foiset dansle mêmeinstant qu'il y arriveet qu'il s'en éloigne. Ce sera donc nécessairement dansun instant différent.!I y aura par conséquent un inter-valle de tempsentre les deux mouvements,et c'est danscet intervalle que A s'arrêtera en B. Le mêmeraisonne-ment qu'on appliquea B pourrait s'appliquer égalementà tout autre pointpris entre Aet C. MaislorsqueA, dansson mouvement,emploie le point B, commesi ce pointétait double, commencementet fin tout ensemble, alorsil faut bien qu'il s'y arrête un certain moment quelquecourt qu'on le fasse et alors B est double en acte, tout

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PARAPHRASEDR LA PHYSIQUE388

aussi bien quela pensée peut le concevoir. Seulement, il

y a cette différence entre les trois termes que B, qui estle milieu, peut.recevoir un double emploi, tandis que Ane peut jamais servir que de point de départ, et que C ne

peut servir que de point d'arrivée.

Mais voici un autre argument qui prouve que A doits'arrêter quelque peu en Bet y perdre un certain tempsavant de reprendre sa course. Soit une ligne E égale àune ligne F. Ase meut d'un mouvement continu de l'ex-trémité vers C, et il arrive au point n en même tempsque t) se meut de l'extrémité F vers G, par un mouve-ment continu aussi et avec la même vitesse que A. Je dis

que D arrivera à G avant que A n'arrive à C, bien qu'ilait à parcourir la même distance; car il est parti avant A,et s'étant mis en mouvement le premier, il doit nécessai-rement aussi arriver auparavant. Mais ce n'est pas enmême temps absolument que A est arrivé en Il et qu'ils'est éloigné de B; c'est là ce qui fait qu'il arrive un peup!us tard que t); car s'il <;taitparti tout à fait au mêmemoment, il ne serait pas en retard, puisqu'il a la mêmevitesse, et qui) a la même distance àparcourir. Il y a donceu en B un certain temps d'arrêt, avant que A ne com-mençât son mouvement.Doncil ne faut pas admettre que.quand A parvenait en B, Ds'éloignait en même temps del'extrémité F; car une fois que A est arrivé en B, il fautensuite qu'il s'en ébigne; et ces deux faits, i'un de mou-vement qui cesse, et l'autre de mouvement qui recom-mence, ne peuvent se passer en même temps absolument.Cesdeux mouvements ne pourraient être simultanés que<iis se passaient dans une section du temps et non pasdans )e temps iui-memc or, tout ceci est inapplicable au

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D'AiUSTOTK,UViŒVHi,CH.XII. 3~)

continu, dans lequel il n'y a pas de temps d'arrêt, quel-quecourt qu'on le suppose.

C'est là tout au contraire ce qui se passe nécessaire-ment dans un mouvement qui revient sur lui-même. Carsupposons qu'un corps moine de G en )), et qu'il redesceude ensuite de D eu G, il est clair que l'extrémité I)devientdoublepour ce corps, qui l'emploieAJafoiscommenu et comme commencement, et qui d'on seul point enfait deux. Doncnécessairement ie corps s'arrête en D CI.ce n'est pas dans un seul et même temps qu'il peut y ar-river et sur le champ en repartir; car, autrement, il se-rait tout à la foiset ne serait point dans un seul et mêmeinstant, ce qui est absolument impossible.

~!aison ne peut plus dire du point G ou du point 1) ceque nous disions du point 13,considéré comme milieu.On ne peut pas considérer G comme une simple sectionde la ligne où le corps arrive et d'ou ii repartensuite;car le point G, ou le point D, n'est pins en simple puis-*sauce; il est en acte; et D est la fin que le corps doit né-cessairementatteindre quand il va en uu sens, et G !a finq'i'H atteint nécessairement aussi, quand il va dans urisensdinercut. B, au contraire, en tant que milieu, n'étaitqu'en puissance, tandis que G ou)) est nécessairementenacte, quand le mouvement s'arrête en'ectivementa l'un deces points pour revenir sur )ui-memn. L'on est la fin

quand le mouvement va de bas en haut, et l'autre est lecommencementquand le mouvement va de haut en bas.

Ce qu'on dit des points doit d'ailleurs s'entendre toutaussi bien des mouvements que !e corps reçoit tour àtour, c'est-à-dire queles mouvements ne sont pas moinsdin'urents(nie les points en.mcmes.

Page 567: La Physique d Aristote

PAHAPJH~SËDE LA PHYSIQUE~uo

Doncnécessairement le corps qui revient en lignedroite sur ses pas doit s'arrêter; doncaussi il est impos-sibleque, sur unelignedroite, qui est toujoursunie, il yait un mouvementcontinu et éternel.

Les arguments qu'on vient de rappeler peuventêtre

employésutilementcontre h théoriede Zénon, qui niaitl'existence du mouvement,sous prétexte que comme lemouvementdoit parcourir tous lesmilieux,et queles mi-lieuxsont en nombreinfini, le mouvementest impossibleparceque l'infini ne peut jamais être parcouru. Ou bien,selonune autre expressionde lamêmethéorie et sousuneformeun peu différente,on prétendque si le mouvementétait possible, il faudrait qu'on pût compter le nombreinfinides milieux que le corps parcourt successivement,à partir du premiermilieuque l'on considérerait,jusqu'àla finde la ligneentière. Or, commeil est impossiblede

compter un nombre infini, on e~ conclutque le mouve-ment est impossibleégalement.

Dansnos recherchesprécédentes (LivreVI, ch. I) snrle tnouvetnent,nous avons réfuté le système de Zenon,en disant que le temps a des parties infinieset qu'il ren-fermedes innuis en lui. 11n'est doncpas absurdede sou-tenir que dans un tempsinfinion peut parcourir l'infini.et que l'infini se retrouve alors dans la grandeur aussibien que dans le temps. Cette réponseest très-complètecontre l'argumentation même de Zénon caria questionétait seulement de savoir si, dans un temps fini,on peutparcourir ou nombrerl'infini. Maisau point de vuede la

question même et de la pure vérité, cette réponsen'est

peut-être pas tout a fait satisfaisante.En effet,on peutlaisser de côtéla bngueur à parcourir,et cette questionde

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D'ARiSTOi't:, UVKE Viit, CM. XU. ~)i

savoir si dans un temps finion peut parcourir l'inHni; etl'ou peut poser la question relativement au temps lui-

même, et se demander comment il se peut, puisqu'il ades divisions infinies, que jamais on lui pose une limite

quelconque et qu'on le circonscrivede quelque façon quece soit. Ace point de vue, la solution que je viens d'indi-

quer lie paraît plus suffisante.

Mfaut donc en revenirà la distinction si vraie que nousfaisions tout a l'heure entre l'acte et la puissance. Quandon divise une ligne continue, par exemple, eu deux moi-

tiés, alors il y a un point sur cette ligne qui compte pourdeux et qui est à la fois considèrecomme commencementet comme fin. Or, c'est I:).ce que l'ou fait précisément,soit que l'on compte le nombre infini des milieux, soit

qu'on divise la ligne en moitiés, selon les deux formes

indiquées plus haut pour l'objection de Zenon contre lemouvement.Maison ne s'aperçoit pas que par cette divi-sion la ligne cesse d'être continue, ce qui est contre l'hy-pothèse, et que le mouvement cesse de l'être aussi bien

que la ligne; car il n'y a de mouvement continu que sui-vant un continu, soit ligne, soit tempi.. Or, dans le con-

tinu, les mi)ieux, les moitiés sont bien, si l'on veut, ennombre innni mais ils n'y sont qu'en puissance, ils n'ysont pas en acte. Que si l'on fait un milieu en acte, si onen réalise un seul, alors le mouvement n'est plus con-

tinu, et il s'arrête ce milieu même. Or, c'est là précisé-ment aussi ce qui arrive quand, au lieu de mesurer les

milieux, on prétend les compter; car alors, sur la ligneprétendue continue, il faut que l'on compte un pointpour deux, puisque ce point est la fin d'une des moitiéset iu commencement de l'autre, (tu moment que l'on

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PAHAPHitAMËDE LA PHYSIQUE

compte non plus une ligne continue, mais deux demi-lignes.

Ainsi, à quelqu'un quidemande s'il est possiblede par-courir l'infini, soit en temps soit en longueur, il faut ré-pondre qu'en un sens c'est possibte et qu'en un antresens ce ne l'est pas. En acte, en récité et en l'ait, c'estimpossible; maisen puissance, cela se peut. Par exemple,dans un mouvement continu, on a parcouru l'infini; maisce n'est qu'accidentellement, parce qu'en enët la ligneque l'on a parcourue ainsi a des divisions possibles ennombre infini. Mais on ne peut pas dire d'une manièreabsolue qu'on ait parcouru l'infini réellement. La ligne abien en puissance des milieuxen nombre infini; mais parson essence et sa nature, elle est elle-même finie; et parconséquent, en la parcourant on ne parcourt pas l'infinid'une manière directe et effective. L'essence de la tigne,telle que ia donne sa définition, est tout autre, puis-qu'elle ne repose pas sur cette propriété d'être indéfini-ment divisibte.

i) tant bien, du reste, se dire que le point qui divise jetemps en antérieur et postérieur, doit être rapporté a la

partie postérieure, et non af'antcrieure et si f'onn'admetpas ce principe, on arrive à cette conséquenceabsurde etinsoutenable qu'une mêmechose est et n'est pas tout à lafois,et que quand elle sera devenue, elle ne sera pasdeve-"!je, ce qui est contradictoire. Ainsi, tout en restant iden-tique et numériquement un, le point est commun auxdeux temps, a l'antérieur et au postérieur, puisqu'il estfe commencementdu second. En ce sens il est deux, aumoinsaux yeux de ia raison n~ fumt, il appartient~eifcn.unt a ]'aMun postérieure, c'est-à-dire à fitpartie

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D'AiUSTOTE,LiVHEVHI, CH. XH. 3S)3

postérieure du temps et non point à la partie antérieure.Soit le temps représenté par ABC, et soit la chosequi

change, représentée par D. Dans la première partie du

temps, dans A,cettechose est blanche maisdans le tempsB, elle ne l'est plus. H s'ensuit que dans le temps C, ilfaut qu'elle soit tout à la fois blanche et non-htanche ilfaut tout à la foisqu'elle soit et ne soit pas. Ainsi,dansA tout entier et dans un point quelconque que l'on pren-drait sur A, elle est certainement blanche; maisonBellene l'est plus; et commeC est dans les deux, il faut aussiqu'elle soit en C l'un et l'autre. Il n'est donc pas tout àfait exact de dire que la chose est blanche dans A toutentier; il faut en excepter le dernier instant de A repré-senté par C, et c'est là précisément que commence la

partie postérieure du temps.Ce qu'on vient de dire pour la pure existence de la

chose, pourrait s'appliquer également à son deveniret àsa destruction. Si au lieu d'être blanche en A tout entier,elle devenait non-btanche, ou cessait d'être blanche, ceserait dans le pointC qu'elle serait devenue ce qu'eueest,ou bienqu'elle aurait cessé de t'être. Ceserait, douetou-jours enCqu'il faudrait dire qu'elle est blanche ouqu'ellene l'est pas; car autrement on tomberait dans les impos-sibilités signalées plus haut, et alors on serait amené adire que la chose ne sera pas, bien qu'elle soit devenue,et qu'elle sera encore, bien qu'elle ait péri. En d'autrestermes, on arrive cette conclusion contradictoire que lachoseest tout ensemble blanche et non-blanche, c'est-à-dire qu'eue est et qu'elle n'est pas.

De ceci il ressort en outre cette conséquence, que le

Page 571: La Physique d Aristote

PARAPHRASE DE LA PHYSIQUE:;9A

tempsue peut pas se diviser en indivisiblescommeon le

prétend souvent car ce qui devient n'était pasnécessai-

rement et s'il devient, c'est qu'il n'était pas encore; il

part du non-êtrepour devenirquelquechose. En eflet, siDest devenu blanc dans le tempsA, il l'est devenuet ill'est tout à la foisdans un autre temps indivisiblecomme

A, c'est-à-dire en B, qui est la suite et la continuitédeA. Or, s'il est devenuquelque chose en A, c'est qu'il ne

l'était pas auparavant, et cependant il l'est en B. II faut

doncqu'entre A et B, qu'on suppose à tort continus, il

y ait un point intermédiaire où la génération seproduit;et par conséquent,il y a nécessairementun certaintempsoù l'objet a chaagé de couleur, et est devenu quelquechosequ'il n'était pas d'abord. Il est vrai qu'on objecteà ceux qui sontiennentla divisibilitéindéfiniedu temps,

qu'ils ne peuventpas non plus seservir de cettedémons-

tration, qui tournerait également contr'eux. Maison ré-

pond, quand onsuppose le temps indéfinimentdivisible,

que la choseest devenue et qu'elle est ce qu'elle est, au

point extrêmedu temps pendant lequelelle seproduisait.Ce point ne tient ni à cequi le précèdeni à cequi le suit,tandis que si l'on suppose les temps indivisibles,il fautnécessairementqu'ils se suiventet se tiennent.Maisil estclair que, si l'on soutient que la chose est devenue ce

qu'elle est dans le tempsentier A, il s'ensuit quele tempsdurant lequelelleest devenueet a été, n'est pas plus con-

sidérableque le temps tout entier durant lequel elle est

simplementdevenue.

Tels sont les arguments principaux par lesquels on

peut prouver que le mouvementen ligne droite ne peut

Page 572: La Physique d Aristote

D'AfUSTOTM,UVRE VIII, Cil. XH. 395

pas être continu et éternel.On peut encore en ajouterd'autres quiaboutiront à la mêmeconséquence.J'indiqueces nouveauxarguments.

Toutcorpsqui se meutd'une manièrecontinuese meut,si aucun obstacle ne l'arrête, vers le pointmêmeauquelil arrive danssa translation et il y est porté avant d'yatteindre. Par exemple, si un corps est arrivé à B, c'est

qu'il était antérieurementporté eo B;et ce n'est pas seu-

lement quand il en est proche, c'est dès le début mêmede sonmouvement car il n'y a pas deraisonqu'il y soit

plus porté quand il en approchequ'il ne l'était avant d'yparvenir. Or, le mobile qui va de Aen G, suivant uns

ligne droite, reviendra, câpres l'hypothèse,de C en A,

puisqu'on suppose son mouvement continu et Sterne).Lors doncqu'il partait de Apour aller en C, il avait déjnle mouvementqui devaitle ramener deC en A, puisqu'onprétend queson mouvementest continu. Maison ne s'a-

perçoitpas que c'est alors lui donner des mouvements

contraires.;car ces deuxmouvementsenligne droite deAen C et de C en A sont contraires l'un ù.l'autre. Mais,en mêmetemps, c'est supposerque l'objetchange et sortd'un état où il n'est pas, et que le mobilepart d'un pointoù il n'est pas encore arrivé.Or, commec'est là une im-

possibilitémanifeste, il fautque le mobiles'arrête en (;et dès lors le mouvementn'est pas un et continu, ainsi

qu'on le disait car, il est interrompupar un repos qui,en le divisant,en fait deuxmouvementsau lieu d'un.

Ce queje viens de (tiredu mouvementlocal,peut être

généraliséet s'appliquer à toute espècede mouvements,en éclaircissant encore cette théorie. Toutce qui est en

mouvementne peut en effet avoirqu'un des trois utouve-

Page 573: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE3HC

mentsindiques par nous; et il ne peut y avoir de reposqnedans les reposopposésà cesdiversesespècesde mou-vements.Maisunmobilequin'a pastoujourseu le mouve-ment qui l'anime, doitnécessairements'être reposé, avantsonmouvement, dans le repos contraireau mouvementqu'il a; et quand je parle ici de mouvementsdivers, ils'agit de mouvementsdu mobile entier, et non du mou-vement de quelque partie du mobile;car le repos n'estque la privation du mouvement.Si doncles mouvementscoures sont ici ceux quiont Heuen lignedroite, ets'ilest impossibleque le mêmecorps ait en même temps desmouvements contraires, le mobile qui va de A en C nepeut tout ensemblealler deC en A.Maiscommeces mou-vementsne peuvent pas être simultanés, et que cepen-dant le corps les éprouve, il faut bienqu'il se soit arrêtéen Lavant de reprendre sa course vers A car c'était cerepos antérieur en C, qui était l'opposédu mouvementpart. de C puur retourner en A de nouveau.Donc à cepoint de vue encore, il est certainque lemouvementde Aeu (<et de C en A ne peut pas être continu.

On doit ajouter un autre argumentqui est peut-êtrepmsd.rect encore que ceuxqui précèdent.Si l'onsupposele mouvementcontinu quand il est Joca!,il le sera égale-ment.quand il se passe dans la quantitéou dans la qua-hté. (<eserait donc en un seul et mêmetempsque l'objetcesse d'être non-b)anc et qu'il devient blanc; le non-

blanc pér.t en même tempsque le bianc'vientà se pro-duire. Or, l'altération qui mène au blanc est continue,au.sique cellequi s-éioigncdublanc, et si elle ne subsistepas un certain laps de temps,il s'ensuit qu'une seule etmcn.cchosepeut avoir en u.emc temps trois états din-é~

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D'AMSTOTH,UVREVIII,(:H.XH. 397

rents quoique simultanés; ainsi, le non-blanc périt, enmêmetemps que le blanc se produit, et en même tempsqu'il cesse d'être blanc. I! n'y a donc qu'un seul et même

temps pour ces trois états; or, c'est là ce qui est impos-sible, et par conséquent le mouvement n'est pas continuainsi qu'on l'a cru. Hfaut dire en outre que le temps peuttrès-bien être continu pour ces trois états du mobile su-bissant une altération, sans que le mouvement soit pourcela continu comme le temps. Le mouvement n'est dansce cas que successif. Enfin, ce qui prouve bien que lemouvement de A en C et celui de C en A ne sont pascontinus, c'est qu'il n'y a pas de terme commun où leursextrémités puissent se réunir: car comment se pourrait-ilque des contraires eussent une extrémité commune? Etquel est, par exemple, le terme commun entre le blancet le noir?

Maissi le mouvementen ligne droite ne peut être con-tinu, parce qu'il faut qu'il revienne sur lui-même, il enest tout autrement du mouvement circulaire, et celui-làpeut être absolument nn et continu. Il n'y a plus là au-cune des impossibilités que nous venons de signaler.Ainsi, le mobile part d'un point A, et tout ensemble ilretourne vers ce point par l'impulsion même qui l'en

éloigne.Use meut vers le point d'où il part et on il devraarriver. Et cependant, il n'aura dans cette évolution, niles mouvements contraires ni même les mouvements op-posés car tout mouvementpartant d'un point n'est pascontraire ni opposé à uu mouvement revenant à ce pasCette opposition n'a lieu que dans le mouvementen lignedroite; et le mouvement sur cette ligne peut avoir (les

Page 575: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE308

contraires, parce que la lignedroite peut avoir aussi descontrairesdans l'espace ou]e lieu.Onpourrait direqu'uncarré étant donné, le mouvement qui aurait lieu sur lediamètre, aller et retour, est un mouvement contraire,tandis que le mouvementd'alleret de retour aussi sur undes côtés, représenterait un mouvementqui serait sim-

plementopposé. Ainsidonc, rien n'empêcheque le mou-vementcirculaire ne soit continu, et il n'y a aucun in-tervalle de temps qui s'interposeet en interrompe lacontinuité.

C'est qu'en effet, le mouvementcirculaire part de soipour revenirà soi encore, tandis que le mouvementdi-rect part de soi pour aller à un autre. Le mouvementcir-culaire ne passe jamais par les mêmespoints, tandis quele mouvement direct y passe aussi souvent qu'on veut.Ainsi, le mouvement qui est sans cesse dans un point,puis dans un autre point, puis dans un autre, peut fortbien être continu mais celui qui revient plusieurs foisdans les mêmespoints ne peut pas l'être car il faudrait

que le corpspût avoir en même temps des mouvementsopposés. Par une conséquenceévidente, il n'y a pas non

plus de mouvementcontinupour ledemi-cercle,le mobile

parcourant d'abord la demi-circonférenceet revenantensuite en ligne droite au point de départ, ni pour une

partie quelconquede la circonférence,où le mouvementserait d'abord en ligne courbe,puis ensuite en ligne di-recte car il faudrait alors que les mobiles subissent à

plusieurs reprises les m6)nesmouvements,et ils éprou-veraientdes changements contraires, puisqu'alors la finne se rattacherait pas au pointde départ, commeelle s'y

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D'ARtSTOTE,LIVREVIII, CH. XII. 309

t'attachesans cesse dans le mouvementcirculaire. C'estlà cequi fait que cemouvementest le plus accomplidetous et le seul qui soit parfait.

La distinction que nous venonsde faire doit prouverque les autres espècesde mouvementne peuventpas pinsêtre continusque la translationen ligne droite; car, danstoutesles espèces de mouvementautres que le dépèce-ment local, il faut quele mouvementserépète a. plusieursrepriseset toujours dans les mêmes points. Ainsi, dans

l'altération, le mouvementpasse par les qualitésintermé-

diaires, et dans le mouvementde quantité, par les gran-deurs moyennes, selonque le corpsgrandit ou qu'i) di-minue. Il n'importe pas d'ailleurs que ces intermédiairessoient plus ou moinsnombreux,de mêmequ'il n'importepas qu'on retranche au corpsou qu'on y ajoute. De toute

façon, le mouvement se répète en passant plusieurs fois

par les mêmespoints.Uneconséquenceassez importante que nous pouvons

tirer de tout ce qui précède, c'est que les physiciensou

philosophesnaturalistes ont eu bien tort de prétendrequetoutes les choses qui tombentsousnos sens, sontdans unflux et un mouvement perpétuefs, attendu queselon euxles choses doivent toujours avoir un des mouvementsdont nousavons parlé. Ales en croire, ce serait surtoutle mouvement d'altération qui se produirait dans les

choses; car ils prétendent qu'elles sont dans un étatd'écoulement et de dépérissementincessants; et de plus,ces philosophes rangent la générationet la destructiondes chosesdans le mouvementd'altération. Maisla théo-rie que nous venons d'exposer est contraire à celle-là;et elle a dû prouver, contre t'npinion des Naturalistes,

Page 577: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDH LA PHYSIQUEAOU

qu'il n'y a qu'un seul mouvementqui prisse être continu,

et que ce mouvementest le mouvementcirculaire. Par

conséquent, la continuité du mouvementn'est possible,ni dans l'altération, ni dans l'accroissementet la décrois-

sance malgré ce qu'on en a cru.

Voilàce que nous voulions dire pour démontrer qu'il

n'y a de changementou de mouvementinfini et continu

quedans la translationci rcuiaire.PartoutaiDeurs,inmou-

vementne peut être ni continuni infjni.

xm

tl est tout aussi clair que, parmi les translations, c'est

la translation circuta.ire, qui est la première de toutes.

En effet, ainsi que nous l'avons dit nn peu plus haut

(dans ce même livre, ch. XII) la translation ne peut avoir

que trois espèces: on elle est circutaire, ou elle est en

ligne droite, on enfin elle est mi-partie de l'un et de

l'autre, circutaire et directe. Évidemment la translation

circulaire et la translation en lignedroite sont antérieures

a la translation mixte, qui se compose des deux. Mais

j'ajoute que la translation circulaire est antérieure aussi

a la translation directe et la raison, c'est qu'elle est plus

simple et p)ns complète; cari) est bien impossible qu'une

droite, selon laqueiïe se passerait le mouvement, soit

infinie il n'y a point d'infini de ce genre. En supposant

même qu'il y eût une ligne de cette espèce, le mouve-

ment n'y pourrait avoir lieu pour quoi que ce fût, attendu

que l'impossible ne se produit jamais, et qu'il est bien

impossible qu'un mobile quelconque puisse parcourir

jamais unf)i~nR infinie. H fautqup la droite soit finie;

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D'AlilSTOTE, LIVRE VU!, CH. XtV. Ml

mais alors le mouvementqui a tiensur cette droite n'estplus simple; il est composé, puisqu'il revient sur lui-tnême. Dèslors il n'y a plus un mouvementunique il ya deux mouvements.Quesi le mouvementne revientpassur lui-même,il est incompletet il s'éteint. Maisle com-

plet est antérieurà l'incomplet, en nature, en raison eta)6me chronologiquement,de mêmeque l'impérissableest également antérieur au périssable. Ajoutezque le

mouvementqui peut être éternel, est supérieuràcetui quine peut pasl'être. Or, la translation circulaire peut être

éternelle, tandisque parmitous les autres mouvements,translationoutout autre, il n'y ena pasqui jouissedecette

propriété car il y faut toujours un repos; et du moment

qu'il y a repos, c'est que le mouvementa cessé et a péri.

X!V.

Du reste, on comprendtrès-bien que la translationcir-culaire soit une et continue,tandis que la translation enligne droite.nepeut pas l'être. Danslemouvementdirect,tout est déterminé le point de départque quitte lemo-bile, le milieuqu'Utraverseou l'intervallequ'il parcourt,et la fin à taquetteil arrive la ligne droite a tout celaenelle-même.Ainsiil y a un point où le mobilecommenceranécessairement son mouvement,et un point où il achè-vera et finirade se mouvoir;car tout mobileest nécessai-rement en 'repos aux deux exu-émités,et à celle d'où il

part puisqu'il n'a pas encorele mouvement,et à celleoùil arrive, puisqu'il ne l'a plus. Maisdans la translationcirculaire, tous ces éléments sont infinis; car dans les

points qui formentune circonférence,où trouver une !i-

Page 579: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE~02

mite quelconque,ici plutôt que là? Tousles points sans

exception peuvent être pris indifféremment,'les unsaussi bien qne les autres, soit pour le commencement,soit pour le milieu, soit pour la fin. Toujours il y en a

qui sont au commencementet la fin, en même tempsqnejamais ils n'y sont. Il n'y a donc réellement ni com-

mencement, ni milieu, ni fin, commeil y en a dans la

lignedroite. Ainsi,quand une sphère ,se meut sur elle-

même,on peut dire tout à la fois qu'elle est en mouve-mentet en repos, puisqu'en effet,elle occupe toujours lemêmelieu.

Cequi fait quetoutes ces propriétés appartiennent au

cercle,c'est que le centre aussi lespossèdeavant lui. Lecentre est tout ensemble le commencement,le milieuetla fin de la grandeur. Mais commele centre est en de-horsde la circonférence,il n'y a pas de point où le mo-bile une foismis en mouvement doive s'arrêter aprèsavoirépuisé son mouvement; car, sur la circonférence,il est porté sans cesse vers le centre et non pas versl'extrémité. C'est là comment le cercle, dans sonentier,est en quelquesorte toujours immobileet toujoursen re-

pos, tout en étant cependant dans un mouvement con-tinu.

Maisdans les rapports du mouvementcirculaire aux

autres mouvements,il y a une sorte de réciprocité et

c'est parce que le mouvementcirculaireest la mesure de

tousles autres, qu'il doit être nécessairementle premierde tous les mouvements;car tout se mesure dans chaquegenresur le primitif.Et, réciproquement,c'est parce quele mouvementest le premier qu'il sert de mesureà toutes

les autres espèces (le mouvements.H faut ajouter qu'il

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D-AtUSrOTf.. UVHK Vi!I. (:H. XtV.

n y a que le mouvement circulaire qui puisse être réelle-ment uniforme car il est impossible qu'un mouvementen ligne droite soit absolument uniforme au début et à Jafin, attendu que tout mobile sans exception se meut avec't autantplus de vitesse qu'il s'éloigne davantage de sonpoint d'inertie, quand le mouvement est naturel commedans la chute des graves. Maisle ralentissement ou l'ac-céJérat.on n'a pas lieu dans le mouvement circutaireparce que c'est le seul mouvement qui ait en dehors delui et non en Jui-même son origineet sa fin

Aux arguments qui précèdent, on peut joindre le té-moignagedes philosophes qui se sont occupésde l'étudedu mouvement; car tous ils admettent que la translationdans l'espace est le premier des mouvements. Tous san.exception ils font remonter les principes du mouvementaux seuls moteurs qui produisent cette espèce particu-le de mouvement. Ainsion peut examiner les diuerent.systèmes, et l'on verra qu'il ne s'agit dans tous que demouvements de déplacement. Par exemple, la division etla combma.son des choses ne sont que des mouvementsdans l'espace; et c'est ainsi que l'Amour et !a Discordefont tour a tour mouvoir les choses,puisque l'un les com-bine et les réunit, tandis que l'autre les sépare et les di-vise. C'est encore un déplacement qu'admet Anaxagore,q~and i!prétend que l'Intelligence,moteur premier de toutunivers, a divisé et ordonné Jeschoses qui étaient dansla confusion et le chaos. C'est bien là encore le senti-ment de ces philosophesqui ne reconnaissentpoint dans lemonde de cause intelligente commele fait Anaxagore, etqui ne voient que le vide pour origine possible du mou-vement. Eux aussi admettent par que le mouvement

Page 581: La Physique d Aristote

PARAPHRASEDELA. PHYSK~t':/t0/)

dont la nature est animée, est un mouvement dans l'es-

pace, puisque le mouvement dans le vide n'est en réalité

qu'une translation, et qu'il s'accomplit dans le vide abso-

lument commeil s'accomplit dans J'espace et le lieu. Tous

ces philosophes pensent que le mouvement de translation

est le seul qui puisse appartenir aux éléments primitifs

des choses, et les mouvements différents de la translation

ne s'appliquent qu'aux composés que t'orment ces élé-

ments premiers en se combinant de toutes manières.

Ainsi, selon eux, l'accroissement, le dépérissement, l'al-

tération, ne sont que des réunions ou des séparations des

corps indivisibles, des atomes. Au fond, c'est bien là en-

core l'opinion de ceux qui expliquent la production et la

destruction des choses par la condensation et la raréfac-

tion car la condensation et!a raréfaction ne sont en réa-

lité que des combinaisons et des divisions d' unecertaine

espèce. Enfin c'est là aussi l'opinion du ces autres philo-

sophes qui font de l'âme la cause du mouvement. Dans

leur système, c'est le principe doué de la faculté de se

mouvoir lui-même qui met tout le reste en mouvement;

et le mouvement que se donne l'anima!, ou tout être quia une âme, est le mouvement dans l'espace ou la loco-

motion.

J'ajoute une dernière considération c'est qu'à propre-

ment parler, on ne dit d'une chose qu'elle a du mouve-

ment que quand elle se ment et se déplace dans l'es-

pace. Si elle demenre en repos dans le même lieu et.sans

changer de place, elle a beau on s'accroître, ou dépérir,

ou s'altérer d'une façon quelconque, on dit alors qu'ellese meut d'une certaine manière, et l'on ne dit pas d'une

tuanict'e absotue qu'elle se meut. Cette nuance de lan-

Page 582: La Physique d Aristote

D'AmSTOT)-UVtŒV)H,CH.XV. AOf)

gage témoignebien que dans l'opinioncommune,c'est la

translationqui est le premier des mouvements,et pres-

que le seulmouvement.

Ainsidonc, nous avonsjusqu'ici démontreque le mou-

vementa toujoursexisté, et qu'ilcontinueraàexisterdans

tonte la durée du temps nous avons expliqué,en outre,

quel est le principe du mouvementéternel, et quetest le

premier de tous les mouvements,et aussiquelle est l'es-

pèce de mouvementqui seulepeut être éternelle enfin,nous avonsétabli que le moteur premierdoit être immo-

bile.

XV.

Maintenant il nous reste à prouver que œ moteur im-

mobile ne peut- nécessairement avoir ni parties, ni gran-deur quelconque; mais pour que ce principe soit parfai-tement clair, nous expliquerons d'abord quelques autres

principes antérieurs à celui-là.

Un de ces principes que je rappelle tout d'abord, c'est

qu'il est impossiblequ'une force finie puisse jamais pro-duire un mouvement d'une durée intime. Il y a ici trois

termes le mobile, le moteur, et ce dans quoi le mouve-

ment se passe, c'est-à-dire le temps. De ces trois termes,ou tous sont infinis, ou tous sont finis, ou quelques-uns

seulement, deux ou même un seul, peuvent être ou in-

finis ou finis. Je désigne le moteur par A, le mobile

par B, et le temps qui est supposé infini, par C. Suppo-sons que D partie de A meuve une partie de B que nous

représenterons par E; je dis que D ne peut pas mouvoir

une partie de B dans un temps égal à C; car un mouvc-

Page 583: La Physique d Aristote

PAHAPMRAS)~DE LA PHYSIQUE4 06

ment plus grand doit avoir lieu dans un temps plus long,Ainsi, le temps F que D emploie à mouvoirE, ne sera pasmuni. Or, en ajoutant constamment à D, on arrivera à lefaire égal à A, de même qu'en ajoutant sans cesse à E,on le rendra égal à B. Mais on aurait beau ajouter a.'temps F une portion proportionnelle, on n'arrivera ja-mais à l'égaler à C, puisque Cest supposé infini. Donc ilfaut conclure que A pris tout entier mettra B tout entieraussi en mouvement, non pas dans un temps infini Cmais dans une portion finie de ce temps. Donc il est in~possible qu'un moteur fini puisse donner à un mobilequelconque un mouvement infini donc évidemment lefini ne peut jamais produire le mouvement pendant untemps infini.

ï'n secondprincipe non moins important que celui-làJ

c'est qu'une grandeur finie n~peut pas du tout avoir unepuissance infinie, de quelque nature que soit son action.et voici comment je le prouve. Soit, en effet, une puis-sance toujoursde pJusen plus grande produisant le mêmeenet dans un temps moindre; peu importe d'ailleursqueJJeest l'action de cette puissance, soitqu'elle ediaufresoit qu'elle adoucisse, soit qn'eJJeprojette un mobile, soitque simplementelle meuve d'une façon quelconque. Lemoteur fini auquel on suppose une puissance inunie, doitnécessairement exercer son action sur ce qui J'éprouveavec p).s de force que ne le ferait tout autre moteurpuisque la puissance infinie est nécessairement la plusgrande de toutes. Maisil ne peut plus rester ici la moindreparcefje de temps pour l'action de la puissance supposée"mme. Soit, en effet, A le ten.ps durant lequel la force~ue a agi, soit pour ëcJ.aunër soit pourpousser le mo-

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D'AÏUSTOTE,LIVRE Vil!, CH. XV. /<()7î

bile sur lequel elle agissait; soit aussi AB le tempsdu-

rant lequel ait agi une force finie.En faisant cette force

finiede plus grande en plus grande,j'arriverai à l'égalerà celle qui a donnéle mouvement dans le tempsA car,en ajoutant sans cesse à un terme fiai, j'arriverai à

dépasser tout fini quelconque, de même qu'en retran-

chant sans cesse j'arriverai égalementà épuiser le tout.

Ainsi,dans un temps égal, la forcefinie sans cesseaug-mentée aura produit un mouvementaussi .grandque la

force inunie. Or, c'est là une chose absolumentimpos-sible donc. aucune grandeur finie ne peut avoir une

puissanceinfinie.

Je pose un troisième principe qui est la conséquencede celui-ci,c'est qu'une grandeur infinie ne peut avoir

une puissance finie.Hse peut bienqu'il y ait une puis-sanceplus grande dans une grandeurmoindre,et il n'y a

rien là de contradictoire maisil est bien clair encorequesi cette grandeur moindre s'accroît, sa puissance s'ac-

croîtra aussi. SoitdoncAB la grandeurinfinie.BC,autre

moteur, a une certaine puissance qui, dans un certain

temps représenté par EF, meut le mobileD. Si je doublela grandeur de BG,cette nouvelleforceproduirale mêmemouvementdans la moitié du tempsEF, proportionquenousavons démontrésubsister toujoursentre la grandeuret le temps. Cette moitiéde EF sera représentéepar FG.En procédant toujours ainsi et en accroissantBCde plusen plus, je n'arrive pas, il est vrai, à égaler ABqui est

supposé infini mais je prends toujours de moins en

moinsde temps, sansque jamais ce temps, ainsi dimi-

nué, puisseêtre égalà celui durant lequel ABest censé

agir. Donc, la puissancede A!;sera infinie, puisqu'elle

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE/<()8

snrpasse toute puissancefinie. Donc, pour toute puissancefin'e, il faut que le temps soit fini comme elle; car, sidans un tel temps donné, telle force produit un certainmouvement, une force plus grande dans un temps.~omdre, mais dans un temps toujours fini, produira cemême mouvement; et ce sera selon une proportion in-verse, c'est-à-dire que plus )a.force augmentera, plus letemps diminuera. Mais, ici, la force totale est supposéeinfinie, comme le sont le nombre infini ou la grandeurmfime, qui surpassent tout nombre ou toute grandeurfinie. On pourrait encore démontrer ce troisième prin-cipe en supposant une puissance de même espèce quecelle de la grandeur inunie, et en plaçant cette nouvellepuissance, qui serait finie,dansune grandeur finie, au lieud'une grandeur infinie, Etant finie, elle pourra mesurerla pu.ssance finie qui est dans la grandeur infinie; et,alors, la grandeur infime sera dénuée de toute puissance;ce qui est impossible. Donc,il est impossible aussi qu'unegrandeur infinie n'ait qu'une puissance finie.

Donc, en résumé, une puissance infinie ne peut pas setrouver dans une grandeur finie, pas plus qu'il ne peut yavoir de puissance finie dans une grandeur infinie.

Unquatrième et dernier principe, c'est qu'un mouve-ment, pour être continu et uniforme, doit s'appliquer àun seul mobile et être donné par un seul et unique mo-teur. Maisavant de <)én,ontrerceprincipe, il faut résoudre.me question assez délicate qu'on pose assez souventpourles corps qui sont animés d'un mouvementde translationLa voici. Nous avons dit que tout mobile est toujours milpar quelque chose; et ators, on demande comment il setait qne certains corps, les projectiles, par exemple, qui

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D'AR!STOTE,uvRj.; ynj, ~H. ~y /)0!)

n'ont pointde mouvementspar eux-mêmes,et qui'reçoi-vent une impulsiondu dehors, conserventun mouvementcontinu sans que le moteur qui les a mis en mouvementles toncheencore.Commentces corps conservent-iisl'im-pulsion qui leur a été communiquée?On répond bienque ce phénomènede mouvementcontinuétient à ce queJemoteur initial, en donnant le mouvementau corps pro-jeté, meut aussi que!qu'autre chose, l'air, par exemple,et que l'air qui est mu lui-mêmecontinue à transmettrele mouvementdont il est animé.

Mais cette explication paraît peu satisfaisante, et ilsemble toujours impossibleque le corps continue à semouvoir,quandle premier moteurne le meutplus. Toutela série des mouvementsdoit être mise à la foisenaction,et elle doit aussi s'arrêter à la fois, quand lemoteur ori-ginaire cesse d'agir. La dimcuJtén'est quereculée, et ilreste toujours à savoir comment l'air, que la main nepresse p)ns, peut agir sur le projectile qui poursuit sacourse. On n'édaircit pas les choses, mêmeen supposantque le moteur agit à la façonde l'aimant, et que Je pre-mier mettant le secondà l'état magnétique,ce second ymette le troisième et ainsi de suite, de manière queiecorpsqui a reçu le mouvementpuisse à son tour aussi letransmettre. Mais,dans ce cas, c'est toujoursle premieraimant qui agit, et Jesautres n'agiraient pas sans lui. !)faut doncnécessairementadmettre que non-seu!ementlepremier moteurtransmet à un autre corps, l'air, l'eau outel autre milieu, la faculté de produire le mouvement,cemilieu pouvant tout ensemble et être mu et mouvoir.

Mais,en outre, il faut que le moteur et !e mobile necessent pas tout ensemble et d'un seul coup,et que le

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PAHAPHRAS!J)H LA PHYStQLK/<!C

mouvement transmis succède après queIqu'intervaOcde

temps au mouvementreçu. Le mobile cesse bien d'êtremu au momentmême que le moteur cessede mouvoir;mais le mobiledevientmoteur à son tour, et il transmetle mouvementau corpssuivant, qui lui-mêmele transmet

de la même façonà un autre. La force, ainsi commu-

niquée, devientdemoins en moinscapabled'agir, et ellefinit par s'arrêter, quandle corps précèdentne donneplusau corps qui le suit assezde forced'impulsionpour quece dernier corps puisseà son tour en mouvoir un autre.Le dernier corpsde toute la série reçoitencorele mouve-

ment maisil ne le transmet plus. Toutcesse alors néces-sairement du même coup; il n'y a plus ni moteur ni

mobile, et toute la série des phénomènesest arrêtée.Telle est l'explicationqu'on peut donnerpour le mou-

vementdes chosesqui n'ont pas un mouvement éternel,et qui sont tantôt en mouvementet tantôten repos. Pour

elles, à vrai dire, le mouvement n'est pas continu; maisil semblel'être, parce que les corpsqui sont mis en mou-

vement, ou se suiventmutuellement, ou se touchent; carle moteur n'y .est pas unique, comme dans le cas quenous venons d'analyser, et il y a mouvementde la partde tous lescorps qui composentla série, et qui agissentmutuellement les uns sur les autres. 11y a une.suite demoteurs qui se succèdent,quand les milieuxtraversés

sont, commel'air etcomme l'eau, susceptiblesd'être muset demouvoir.Onappelle par foiscephénomèned'impul-sion reçueet transmise, du nom de résistanceréciproqueou répercussion.Mais il est impossiblede résoudre les

questions que nous avons posées autrement que parnotre explication.Cette résistance réciproque fait bien

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D'~ÏSTOTE. UVRE V! CH. XV. 4H

que le systèmeentier peut être mu et mouvoir successi-

vement maiselle supposeaussi qu'il y a un repos pourl'ensemble.Or, dans le cas du 'projectile, il n'y a qu'uncorps uniquedont le mouvementest continu sansun seulmoment d'interruption, jusqu'à ce qu'il cesse. Par quidonc ce mouvementcontinu est-ildonné? Cequ'il y a de

certain, c'estqu'il ne i'est pas par le même moteur etl'on ne peut pas dire, par conséquent,que le mouvementsoit absolumentcontinu au sensoù nous l'entendons.

Au contraireil y a nécessairementdans le monde etl'ensemble des choses un mouvementcontinu et unique,et il faut nonmoinsnéces~irpmentqu'il s'appliquea une

grandeur une commelui; car, ce qui est sans dimensionet n'a point de grandeur quelconquene peut recevoirlemouvement. H faut de plus que ce soit le mouvementd'un seul et uniquemobile,de mêmeque c'est Jemouve-ment d'un seul et unique moteur. Ces trois conditionssont indispensablespour que le mouvementsoit vraimentcontinu. Car, autrement, un des mouvements suivrait

l'antre et le mouvementtotal,au lieud'être continu, se-rait divisé en plusieurs mouvements.Quant au moteur,qui doit être unique, ou il donne le mouvement aprèsl'avoir reçu lui-même,ou il donnele mouvementtout enétant lui-mêmeimmobile.Si on supposequ'il estmu, ilfaudra remontertoute la série; et commei]subit un chan-

gement, il est clair qu'il doit être mu par un autre mo-teur. Mais,danscette recherche,il faudra finir par s'ar-rêter en arrivant à un mouvementqui sera produit parl'immobile.Arrivéà ce dernier terme,on verra quecelui-là.n'a phis besoinde changercommechangent les antres;et il aura la puissancede produirele mouvementtout en

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PARAPHRASEDE LA PHYSIQUE/)t2

étant immobile, parce qu'il n'aura aucunepeine ni au-

cune fatigue à le produireainsi. Le mouvementcrééde

cette façon est uniformémentégal, et il l'est tout seul

parmi le reste des mouvements;ou du moins, il l'est plusque tous les autres; car, dansce cas, le moteur immobilene subit aucun changement.J'ajoute que le mobilelui-

même, du moins relativementau moteur, ne doit pointen éprouver davantage, afinque son rapport au moteur

immobile étant immuable, le mouvement soit toujoursuniforme et semblable. D'ailleurs, il faut nécessairement

que le moteur ait une de ces deux places, ou le centre,ou la circonférence;car ce sont les deuxseuls pointsd'enle mouvement puisse partir. Maisce qui est le plus rap-proche du moteur est toujoursanimé d'un mouvement

plus rapide; et c'est bien là ce qu'on observe dans le

mouvementdu mondeet de la sphère universelle. Donc

c'est à la circonférencequ'est le moteur immobilequidonne le mouvementà touteschoses.

Mais le mouvement une fois produit, reste toujoursà

savoir commentil est possiblequ'un mobilequi reçoitle

mouvementdu dehors le communiquelui-mêtned'unema-

nière continue,ou si sa continuitén'est pas plutôt commeune suite d'impulsionsquise répètentl'une après l'autre.Ainsiun moteur, qui ne produitle mouvementque parcequ'il le reçoit lui-même, ne peut agir qu'en poussantouen attirant, ou en produisant ces deux actes à la fois,ouen subissant une action qui peut être réciproque de la

part des deux corps, commedans le cas des projectilesque nous expliquionstout à l'heure. Maisalors le mouve-ment n'est plus continu et t)n; c'est un mouvementcon-sécutif et composé de parties successives; car l'air et

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U'AiUSTOTH,LIVRE ViH, CH. XV.

l'eau, ou se produit ce mouvementdu projectile, trans-

mettent le mouvementparce qu'ils sont divisibles et il

faut qu'ils soient mus constamment par des impulsions

qui viennentà. la suite des autres. Donc, encore une fois

le mouvementvraiment continu ne peut être produit que

par l'immobile, puisqu'alors le moteur étant, éternelle-

ment semblable, il sera à l'égard du mobile qu'il meut

dans un rapport toujours le mêmeet continu.

Ainsi,je conclus d'après tous les principes précédem-

ment exposés, que le moteur premier et immobile ne

peut pas avoir de grandeur quelconque; car s'il avait une

grandeur, elle serait ou finie ou infinie. Or, nous avons

démontré plus haut dans nos Considérations physiques

(Livre Hi, ch. VII), qu'il ne peut pas y avoir de grandeur

infinie, et nous venons de prouver que le finine peut pas

posséder une force infinie, pas plus qu'une chose finie ne

peut produire le mouvement pendant un temps infini.

Mais le premier moteur produit un mouvement éternel

pendant une infinie durée. Donc, le premier moteur

doit être indivisible; donc il est sans parties; donc il n'aa

absolument aucune espèce de grandeur; et c'est à ces

conditionsseulement qu'il donne nn mouvement indét'ec-

tihtRa l'univers entier.

FIN DE t.A PARAt'nnASt:

bK ).A PHYStQUt: ~AntSTOTt:.

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Page 592: La Physique d Aristote

DISSERTATION

SURLA

COMPOSITIONDE LA PHYSIQUED'AMSTOTE.

)) ne peut s'éteveraucun doute sur l'authenticité de la Physi-que, et les preuves surabondent pour démontrer qu'eiie est bieni'œuvre d'Aristote.Cespreuves sont de plusieurs sortes d'abordles citations faitesen assezgrand nombredans d'autres ouvragesdu philosophe, reconnus pour authentiques; en second lieu, les

témoignagesunanimes de t'antiquite; et enfin, la forme de l'ou-

vrage lui-même, qui ne peut être attribué à personneautre qu'A-ristote, par tous ceux qui connaissent ses idées et sonstyle. Si la

t'hysique n'était pas de lui, il n'y aurait pas une seule des œuvres

portant son nom qui pût des lors passer pour authentique; eten soutenant qa'Aristote n'est pas l'auteur decelle-ci, il resteraita découvrir que)est le personnagea qui il faudrait faire honnnurd'un tel monument.

Parmi les nombreuses,citations tirées des autres ouvrages d'A-

ristote,je rappelle les suivantes, sans prétendre que ce soient Insseulesqu'on puisse alléguer.

Dansles DerniersAnalytiques, Livre ii, ch. XII, § 8 (page 245de ma traduction, p. 95, b, 11de l'édition de l'Académiede Ber-

lin), Aristote annonce qu'il a traité de la question de la conti-

nuité, et exposé ce qn'ii faut entendre par continu, dans sonTr~)~ ~<r?'<t/ f/MwoMM'M)~.Cette dénomination indique la

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DISSERTATION/)i6

Physique,où, en effet, cette explication du continu est donnéespécialement,LivreV,chap. V, § il et dans tout le cours de laPhysique,ridée de continuité entendue en ce sens tient une très-grande place et revient très-fréquemment, parce que le mouve-mentest un continu, tout aussibienque l'espaceet )e temps (Voirla Physique, LivreV, ch. VI. SS 10 et suiv., et aussi Livre VI,ch. ).

AuTraité du Ciel,la Physiqueest plusieurs foisrappelée comme"n ouvrage dont on emprunte des théories sur lesquelles on neveutpas revenir en détail, parce qu'on les a antérieurement éta-hhes.Ainsi. Traité du Ciel, Livre!, ch. V (page272, a, 30,éditiondeBertin),Aristote rappelle qu'il a démontré dans ses Études~M~-~foKt~M~, qu'il est impossiblede parcourir t'innni dans untempsfini.C'est là, en effet, une théorie qui e.stexposée tout aulongdans la P)!ysique,Livre VI, ch. 1, S 22, et Livre VI, ch. If,§1.Ailleursencore, dans le mêmepremier livre du Ciel(page274,a. 21,.édition deHertin), Aristotes'en réfère a la théorie de l'in-finiqu'il a développéedans ses ~fM~Msur /Mprincipes. Il a ef-fectivementexposéla tiléorie de t'innni dans laPhysique,Livrefft,chap. IVet suivants. Enfinau troisièmelivre du Ciel(page299,a,10,édition de Berifn), l'auteur se résume en disant qu'il dé~'nont~ qu'il n'y a pas de longueurs indivisiblesdans ses Études~ir .~ouucM~tf.Cette démonstrationa été régulièrement don-néedans la Physique, Livre VI,ch. I, S H.

Dans!e Traité de la génération et de la corruption. Livre 1,ch.Hf (page 318,a, 3, édition de Berlin),il est dit que l'on a an-térieurementdiscuté la théorie de lacausemotrice. Onpeut trou-vercette théorie dans le livre Hf de la Physique,chapitres IVetsuivants.

Audébut dnla Météorologie(page338,a, 20, édition de Berlin),Artstoterésume ses travaux sur toutes les parties de l'histoire delanature, et il cite en particulier ses recherches sur tes premiersprincipes de t'être et sur les différentesespèces du mouvement.Cfsont là les sujets spéciaux et du premier livre de la Physiquent du second et des quatre derniers.

Au Traité du mouvement dans les animaux, cl. J, S 2(P"~ <iM,n. 10, édition dn Berlin, page 238 de ma traduction).

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SUR LA PHYS!QUH. ~)7î

Aristotera.ppe))een termes généraux ses études sur )'cter!ut6 dumnuvcmcntet sur le moteurimmohije, cause première du mou-vement. La question de )'éternité du mouvementest traitée toutimmobile.dans la Pftysique, Livre VIH,ainsi que celle du moteurimmobOo.!i est vrai que les mêmes théories se représentent dansla Métaphysiqueégalement; maisdans la Physique,o)]essont bienpins développées,et i! semble que ce snit ià p]us sp~ciaiemcntleur place propre.

La Métaphysiquea eiïeseuk'contient presqu'autant decitationsque les autres ouvrages reunis, et: cela se comprend quand onvoit i'ëtroito relation de la Physique, teiic que la conçoit Aris-tote, à la Métaphysique telle qu'il l'a fondée. Ainsi, au iivre 1de la Métaphysique,ch. Ht (page 983, a, 3.'i,édition de Ber-lin), il rappelle qu'il a déjà. dans (Vautres ouvrages, traité descauses, et en particulier de la cause du mouvement; et il ajouteque c'est danHses~w-c.; a?~-la MatMrc.Cette désignauons'appli-que à la Physique. Livres 1 et 11,et Livre VIII. Dansce mêmei- Livre de la Métaphysique,ch. X.(page 993, a, 11, édition deBerlin), il parie des quatre causes, et il expose à fond )agrandethéorie que l'on sait puis H rappelle qu'il a traité ce sujet im-portant dans la PA~Mp. C'esten efTetle sujet même du livre H,ch. I! de la Physique.A ces deuxpremières citations (ju'onre laMétaphysique,on peut en joindre bien d'autres non moins pré-cises l'une au livre VIII, chap. VIII (page10~9, b, 36), où leTraKJ sur le Mouvementest cité à propos do ce principe, que,dans toutmouvement,i! y a toujours eu un mouvementantérieur(Physique,VI,9); l'autre au livre Xf, chap. (page 1059,a, 3/),édition de Ber!in),où Il est question des causes exposas dans laPhysique, Livre ch. III; l'autre encore &ce même livre X),ch. VI (page 1062,b, 31, édition de Berlin), où il est rappelcommentdans la Physique il aeté expliqué que t'être vienttout ala fois de l'être et du non-être (Physique, livre i, ci). iV. § 7) laquatrième au même livre Xi, chap. VIII (page 1073, a, 32, édi-tion de Berlin), où Aristote dit qu'il a traité du moteur immo-bile dans la P/tt/~Mc(Physique, livre VIII, ehap. Vft et VIII GLpassim); enfin la cinquième, au livre XiJf, chap. i (page 1087.a, 30)où Aristote, citant sa théoriesur la nature des Contraires,

27î

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DtSSERTATtON/)i8

que la plupart des philosophesont pris pour les principes de.

êtres, dit que cette Morte se trouve dans la P/t~~Me. C'estbien

là, en effet, le sujet traité dans )o livre chap. VI, de la Phy-sique.

Atoutesces citations dola Métaphysique,quisans doute nesont

pas les seules, il faut ajouter des preuves plus directes encore,s'il est possible. Je veux parter de ces emprunts si nombreux etsi larges que la Métaphysiquea faitsa la Physique. Des chapitresentiers de ce second ouvrage ont été transposés presque motpour mot dans l'autre; ou bien, quand ils n'y sont point passéstextuellement, ils y ont été analysés de manière a ce que l'iden-tité des pensées ne peut être méconnue. Ainsi,le chapitre JHdulIe livre de la Physique,est reproduit presque textuellement dansle chapitre Hdu tV livre de la Métaphysique(page 1013, a, 24,édition de Berlin). Hen est de mêmedes trois premiers chapitresdu livre Vde la Physique,reproduits et analysésdans la Métaphy-sique, livre X, chap. II (pages 1067 et 1068 de l'édition de Ber-

tin). Dequoique façonque ces passagessoient passés de la Phy-sique dans la Métaphysique, il n'importe guère, et i) est assez

probableque c'est Aristote lui-même qui aura puisé dans un deses ouvragesantérieurs pour compléter ce qu'il avait à dire dansun suivant; mais ces identités ou ces ressemblances lient tel-lement les deux traités l'un à l'autre qu'il faut les déclarer ou

tous lesdeuxauthentiques, ou tous lesdeux apocryphes.

Ajoutez encore qu'indépendammentde ces liens palpables et

étroit. la Métaphysiquesoutient avec la Physiqued'autres rap-ports qui, pour ~tre plus généraux, n'en sont pasmoins démons-

tratifs. C'est de part et d'autre le mêmesystème sur les questionsles plus graves qui sont agitées dans les deux ouvrages lesprin-

cipes de i'etrf, le nombre et l'espèce des causes, le temps, l'es-

pace, l'inlini et enfin le mouvement. Il faut mêmecompter en-

core une foule de pensées de détail et de uéfinitionK,qui sont

toutes semblables, et qui attestent une même et seule doctrine,une seule et même pensée, un seul et même auteur. Par consé-

quent, ou la Métaphysiquen'est pas d'Aristotesi laPhysique n'est

pas de lui, ou t'une et l'autre lui appartiennent, non-seulement

commedeux œuvres dont il est le père, mais, en outre, comme

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SUR LA PHYSIQUE. AD

deux œuvres qui ont cntr'et)es la connexion la plus intime.

Chacuneest en quelque sorte inséparable de sa sœur; c'est leur

matière commune qui les rapprocheet les unit; ce n'est pas uni-

quement leur titre qui fait de l'une la suite et ie complément in-

dispensablede l'autre la Physique,la Métaphysique.

Enregardant a toutes ces citations faites par Aristotelui-même

dans ses œuvres les plus incontestables, on peut voir qu'il donne

à la Physique plusieurs noms din~rents. Ainsi, tantôt fi l'appelle

Traité général ~Mr MOMUfMMt,Traité ou Études -<Mrle mou-

UMHCH?,É/K~Mwy les principes; tantôt il l'appelle Livres sur la

MafM~;tantôt aussi il rappeHe simplement la Physique, et cette

dorniëredénominationse rencontresurtout dans la Métaphysique,

0)')el le esteneffet,ne serait-ce quepM'Jecontraste, une nécessaire

opposition mieux placéequ'ailleurs. Cesdifférencesnotablesd'ap-

pellation ne peuvent pas cependant susciter la moindre équi-

voquesur l'ouvrage unique et spécialqu'Aristoteentend désigner

par cesnoms divers. Évidemment,il ne s'agit que de la.Physique

telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous, puisqu'oDerenferme bien

exactement toutes les doctrines et toutes les théories auxquelles

Aristoteentend se référer ou faire allusion.

On n'a point assez remarqué que c'est de ces divergences

admises par l'auteur lui-même,et autorisées par lui, que sont

venues plus tard ces variations signaléespar les commentateurs

grecs. Simplicius, qui nous a conservé toutes les traditions anté-

rieures, nous apprend qu'Adraste, assez cé)ëbre commentateur

du siècle de notre ère, avait fait un livre spécial intitulé

De l'ordre des écrits <f/!r!o<c, et que dans cet ouvrage, mal-

heureusement perdu, il avait discuté les din~rents titres que de

son temps on donnait à la Physique.Les uns l'intitulafent Des

Principes les autres l'intitulaient Leçonsde Physique.Adraste

ajoutequ'on partageait souvent les huit livres de la Physiqueen

deux grandes divisions !'une composéedes cinq premiers livres,

qu'on intitulait dans leur ensemble DesPnncf~; l'autre, com-

posée des trois derniers, qui étaient intitules, quand on les

réunissait ainsi ~M ~OKwmcHf.Adraste inclinait encore à

croire, et Simplicius plus tard avec lui, que cette division s'ap-

puyait sur i'aotoritéd'AristoteJoi-mAme; et l'on vient de voir

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DiSSEhTA'nuN/t20

par les citions l'apportées plus haut qu'oHespeuvent, en en'et,justiner jusque un certain point cette tradition. J'aurai l'occasion()o revenir un peu plus loin sur ce sujet; mais, ici, je constatesimplement que les commentateurs grecs. en divisant autrementque nous ne le faisons la Physique, qui. Anos yeux, forme untout indissoluble, la connaissaient toutefoisavec toutes les partiesqu'elle nous présente aujourd'hui.Ce qui a pu encore donnernaissance a cette division reçue dans l'école, c'est peut-être lafin de la Physiqueelle-même, oùAristote sembleséparer sa Phy-sique, a laquelle i) renvoie, des théories sur le mouvement qu'ilvientde présenter et qu~jiachevéen les résumant. (VoirLivre V)Hde la Physique, oh. f, § 6, ch. Vt, § 2, ch. XH, 23, et ch. XVS 26et dernier.)

Mais je poursuis afin d'6tabiir les autres preuves de l'authen-t.lcitéde la Physique.Après lespreuves tirées d'Aristotelui-même,viennent celles que nous devonsà ses discipleset ù ses commen-tatcurs.

Le successeur direct d'Aristote, Theophraste, avait fait Sur laKature un ouvrage tout à faitanato~ueàà celui de son maître;et Simpiicius je cite plus d'une fois. li avait fait aussi,d'après letémoignage de Simplicius, un ouvrage intitulé DMwoMu<.w<~qui devait avoir au moins dix livres. (Voir ie commentaire deSimplicius sur le livre J, ch. JUde la Physique.)Rudème,un desprincipaux disciplesd'Aristote, et qui a eu l'honneur d'être prisquelquefois pour l'auteur de l'ouvragequi, après lamorale aMco-maque et ta Grandemorale, porte le nom de moralea Eudème(Voir ma traduction de la Moraied'Aristote, tome f, préface'page ccxcv~,et tomeHJ, page 205)avait fait egatement,d'aprèsSimplicius,un ouvrage de physique calqué sur la Physique duMaître. D'après les citations nombreusesqui en restent, on peutconjecturer quoc'était un commentaireet une paraphrase fidèle,bien que dans l'occasion le disciple ..e se fit pas faute d'expri-'ner sa pensée personnelleet indépendante.

Ainsi, dès le temps même d'Aristote, l'authenticité de sonœuvre était confirméeet garantie par l'imitation de ses élèves,et cette (suvre transmise jusqu'à notre temps par la suite dessiècles et avec des témoignagesnon-interrompus, est bien celle

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SUR LA PHVSIQtJ). ~1

quenousétudions encoreet que nous admirons. Au secondsiècle(le notre ère~ Alexandre d'Aphrodiséo, un peu plus récentqu'Adraste, et le plus illustre des commentateurs péripatétieionsdans l'antiquité, avait composéun commentaire complet sur laPi~ysique.Malheureusementce traite, qui aurait pu sans doutedissiper bien des ténèbres, n'est pas arrivé jusqu'à nous. Mais,:m VI' siècle, Shnp]iciusle possédait encore; et, comme il le citeà tout moment, Hnous le fait assez bien connaître, et surtout ilen démontre ainsi l'existence et ia haute valeur. Porphyre, dansle IH' siècle, avait analysé les huit livres de la Physique, d'aprèsce que nousapprend Simplicius(préfaceau Vlivre de h Physique),et i! la divisait en deux parties composéeschacune de quatrelivres, la première qu'Happelait ~Mc~M, et la secondeDu~MM~tM~, bien qu'il connût ia divisionen cinq et trois livres.Laparaphrase que Themistius, vers la findu iV siècij, a donnée<)ola Physique, apporte peu d'éclaircissements aux diincuih'-sdutexte; maisdu moins elle empêche la tradition d'être suspendue;et elle nous conduit au grand et excellent commentaire de Sim-piioius, qui est un des plus abondants et des plus précieux qu'ilait faits sur les œuvres duphiiosophe.AvecSimplicius, un decesprofesseursd'Athènes, qui en 539se réfugièrent en Perse auprèsdeChosroësJf, finit t'antiquiM et lestémoignagessur la Physiqued'Aris~tc, qui viennent pns..ite. n'ont plus rien qui puisse nousintéresser pour la recherche dont nous nous occupons ici.

Nous pouvons donc condurc sans aucune hésitation que):tPhysiqueest bien i'muvre d'AW.stote,soit d'après !cs citationsquefauteur en i).faites iui-meme,soit d'après les travaux dont ellen'a ccss6 d'être l'utile objet, depuis le moment qu'il t'a écrite.

Kestemaintenant ('itudier la compositiondu monument, et &voirsi par hasard il renfermerait quelquespassages de nature Asusciterdes doutes légitimessur la mainà iaquciie it est du. !Jneétude longue et attentive nu m'a iaiss~:'t cetégard aucun scru-pulo; et j'ose aCirmer que tous ceux qui auront pratiqué assexfamih'rGrnentAri.-<totole rRconn~itront sans la moindre pf-im.d'un bout à l'autre de la Physique,sauf de tr<:s-ié~-r(-sexcep-tionsque je vaissignaler tout à i'heurc. )) n'y a rfuelui dans toute''antiquité qui ait pu .crire un te) iivr. et )Y;cr!rcdu styic qui

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DISSERTATiO~/<22

lui est propre, avecdes expressionsaussi pleines et aussi con-cises, quoiqu'avec des répétitions fréquentes et peu néces-saires. La gravité magistrale de la pensée, la grandeurde )'cdif)ccet l'ordre général qui y éclate ma)gré de nombreuses redites, nepeuventappartenir qu'auseul Aristote et quiconque,je le rcp&tea suffisammentmédité sur ses œuvres, retrouvera daus la Phy-siquesa vivante et incomparable empreinte. Il n'y a que lui danstoute l'antiquité qui ait jamais parlé de ce ton; c'est ~aie lan-

gage qui lui est exclusivementpersonnel et qui quece soitn'au-rait été capable de le prendre ni même de le contrefairede tellesorte que la postéritépût .s'ytromper.

Tout a l'heure, je recherchais Ifs citations de laPhysique dansles autres ouvragesd'Aristote; on pourrait faire une recherche

inverse, et se demanderqueis sont les ouvrages que la Physiquecite à son tour. Ellene présente guère que trois citations directesdans toute son étendue, et ces trois citations ne concerneat quele fameux traité dola J'hitosophie ou de la Philosophiepremière,Ellesse trouvent au t" livre, chap. X, § 9, et au livre Il, chap. il,SS13 et 15. C'est évidemment la Métaphysiqueque l'auteur avouludésigner, commec'est encore elle à laquelleil estfait allu-

sion, livre I, chap.IX, §15, et HvreJH,chap. 1,11. Vciià à peuprés toutes les citations directes ou indirectes. Maisdans tout lecoursde la Physique,la doctrine des Catégories est perpétuelle-mentemployéecommeparfaitement connue; et toutesles théoriesde la Métaphysiquesont également supposées et sous-entendues.Ce ne sufilrait pas, sans doute, pour établir l'authenticité de la

Physique; mais il n'y a certainement qu'un auteur quipuisse êtresuffisamment pénétré de ses propres pensées pour les sous-en-tendre a chaque moment avec une telle exactitude et uu tel it-

propos.Puisa côté de cespreuves de détaif.je trouve que la composi-

tion générale de t'fcuvre est à elle seule une preuvebien autre-ment forte, et l'on sent partout dans cette simple et majestueuseordonnance une main puissante et exercée qui a quelque chosed'infaillibleet d'irrésistible. Dansla Préface qui précèdecette Dis-

sertation, j'ai analysé la Physique pour montrer i'enchaînententde la pensée et (lu système. Je ne veux pas recommencer ici un

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StJh L~ PHYSIQUE. /)23

travail déjt~fait; mais il faut dire cependant en quelques motscomment toutes ces théoriess'engendrent mutuellement, et com-mentelles se développent. Lebut général et unique de tout l'ou-

vrage, c'est une théorie du mouvement; et comme le mouvementest !a vie même de la nature, Aristote établit d'abord commenten partant des principes de l'être, ie mouvement est possibleetmême nécessaire; puis, aprèsavoir expliqué ce qu'il entend parla nature, il définit le mouvement; et trouvant dans les termesmêmesde cette définition, les idées d'espace et de temps, t'on etl'autre Infinis, Hfait la théorie de l'infini, celle de l'espace aveccelle du vide et la théorie du temps. Ennn, il en vient au mouve-ment lui-même, et il consacre les quatre derniers livres à exa-miner le mouvement dans ses diverses espèces, dans sa divisibi-lité dans sa proportionnai)16, dans sa continuité, et enfin dansson éternité, arrivant ainsi a ce grand principe du moteur immo-bile,dont il achèvera l'étude dans la Métaphysique.

Telleest l'ordonnance aussi simple quesolide de ce grand mo-nument, un des plus beau et des plus parfaits sans contredit.qu'ait élevés le génie d'Aristote.Les théories s'y succèdent dansl'ordre le plus rigoureux et le plus ciair, et il n'y a place, ni au

moindrechangement, ni la moindre lacune. LaPhysiqueest toutce qu'elie doit être, depuis l'expositionde la méthodequi i'ouvrosi rëgHiièrementjusqu'à la dernière théorie, qui vient bien eneffetlà où doit venir l'étude du principe suprême, duquel dérive'o mouvementdans l'univers entier. C'est l'achèvement de l'edi-fice et le faite le plus éfevéqui puisse être poséà un ouvragedephysique.

H n'y a selon moi, sauf quelques répétitions inutiles, qu'uneseulepartie de cette belle conceptionqui dépare i'cnsembieet ictrouble.C'est non pas le septièmelivre tout entier commeon l'asouvent répété, mais Jes quatre premiers chapitres de-,ce livre.Je faiscette distinction, qu'on n'a pas toujours assez aperçue, <:tqui mesemble tout à fait juste.

D6jàdan~)'antiqnitéon avait bien reeonnuquecesGptiemeiivrcne se liait pas comme il faut au reste de i'œuvre, et Simpliciusavait remarqué les deux caractères qui le distinguent la doublercdactiott du quelques chapitres, et la répétition (te théorif's, ou

Page 601: La Physique d Aristote

DiSSMKTATiO!/)3/<Il

antérieurement, ou postérieurement traites. Sous le rapport dela et sous le rapport du fond, ce septième livre fait doncune sorte de doubleemploi dont il est assez diflicile de se rendrecompte.

.'e parted'abord de la double rédaction, (luines'applique qu'auxtrois premiers ciutpitres.iUteavait cours déjà indifféremmentdesie temps de Simplicius,et il nousen donne lui-même la raisonc'est que i'une de ces rédactions nediiférait point sensiblementdel'autre pour le sonset l'ordre des penséet. oiies ne se séparaientque par des diversités d'expressions, et les mots seuls étaientchangés. C'est ce dont on*peut se convaincre en comparant lesdeux textes qu'offrent les manuscrits parvenus jusqu'à nous.Simpliciusne dit pas, comme on l'a cru, à qui il faut attribuer laseconde rédaction; et il semble y attacher peu d'importance parle motif que je viens de dire. Ce n'est pas la paraphrase de Thé-mistius qui a été mise en Heu et place du texte; car Thém)stiusn'a point paraphrase, par exemple, le premier chapitre de ceseptième livre, sans doute parce qu'il n'y trouvait que des répé-titions inutiles de théories déj&connues. Quel est donc fauteurde la seconde rédaction? M. L. Spengel, qui a fait un men)oh-espécial sur cette <juestion intéressante (1), a émis t'ingénieuseconjecture qu'elle pourrait bieu être d'Eudeme. Sur quel fonde-ment s'appuie cette conjecture? Je ne sais, mais il est certainqu'elle peut paraitre .tssezplausible, au premiet-coup d'rei), quandon se reporte aux fragments que simpiicius donne tr<s-souventde l'ouvrage d'Eudëtne. Evidemment il se tenait toujours fort.pr<s de cefni d'Ari~ote, ft il est ))ien nossibie (j~. (jans cesoptiéme livre et au début, uu copiste inattentif ait pris l'unpour l'autre.

<,)uoiqu'i)en soit decette controver.soqui est presque purementt

littéraire, il y en a une seconde qui a plus de gravité. Ce n'estrien qu'une difïéroucede soient de forme tout extérieure )n:tifio septième livre semble en cotie)' une sorte de hors-d'œuvr~

«) Mt~oircs<)ci'AM.)t:.t),!<.ttoy.tte(~ ~noieh,4" dnssc,I!)' vniu)))L'.<"p.xtic,pages~uù-J&U.

Page 602: La Physique d Aristote

SUR LA PHYSIQUE. A25

parce qu'il répète, sans aucun avantage, des théories'qu'on .1

déjà vues, ou qu'on doit voit-dans Jelivresuivant. Simpliciusnous

apprend qu'Eudème, qui avait suivi pas a pas tes six premierslivres, ne commentait pas ceiui-Ia, et qu'il passait immédiate-ment du sixièmelivre au huitième. Ceciporterait une atteinte ir-rémédiable à la conjecture de M. L Spenge),s'il n'était possiblede supposer encore que précisément ce septième livre manquaitdans Eudème, parce qu'il avait été transposé dans Aristote. MaisAlexandred'Aphrodisée,qui ne connaissait peut-être pas le dou-ble emploi, trouvait les démonstrations de ce livre moins rigou-reuses que celles desautres; elles lui paraissaient plus logiques,c'est-à-dire moins fortes; et i! semblequ'il Inclinait quoiquepeuà suspecter l'authenticité de cette partiede la Physique.Quant à

Themistius, les lacunesqu'on peut remarquer dans sa paraphrasene prouvent rien, parce qu'il ne se piquejamais de rester fidèle-ment dans les traces du maître, et ji passe ici des chapitres toutentiers comme il en passeailleurs.

Simplicius, qui peut être regardé comme un bon juge, re-trouve dans le septièmelivre la penséeet la manière Aristoté-

liques, et il le commente comme tous les autres. Seulement il

soupçonne qu'Aristote aura d'abord écrit ce livre pour ébaucheren quelque façon les théories qu'ii développep)us a fond dans lehuitième; et, a son avis, c'était une préparation assez commodeet assezutile. Pour moi, je ne partage pas tout a fait cette opi-nion, malgré la déférenceque je mesenspourSimpticius; et je nevois pas que le septième livre prépare du tout le huitième, pasplus qu'il ne résume lesprécédents. Je pensedonc que les quatrepremiers chapitres du septième livre sont une redondance, quipeut venir de la main d'Aristote aussi bien que d'une mainétran-

gère. C'est en effet une simple esquisse,comme le croit Simpii-cius, non pas des théories que le huitième !ivr" donnera avec

étendue, mais de diverses théories qui appartiennent à la Phy-sique péripatéticienne, et qui sont r6pétces là, sans beaucoupd'ordre ni de ciarté. Si c'est Aristotequi a écrit ces quatre cha-

pitres, il n'en aura pas été satisfait, ctiiil lesaurait très-probabie-mf.'utlaissés dn cûté dans une révisionf)ue la mort ne kn a paspeDnisde faire. Si e'~ :'tun étra')n'<T<)U\'st.du< tnm'ccau,Ilnf-

Page 603: La Physique d Aristote

MSSEHTATtO~/)26

J'aura point composé,selon toute apparence, avec l'intention del'intercaler dans t'ouvre du maître mais la maladressedequelquecommentateurl'y aura interpoié, sans remarquer assezattentive-mentqu'il n'y était point à sa place.

Voilàce que sont à mesyeux les quatre premiers chapitres duseptième livre; mais,quant aux deux derniers, je n'hésite pas àles reconnaitre pour authentiques; et j'y retrouve tout a fait lamanière d'Aristote. Cette appréciation ne serait pas à elle seuiesuntsante et dansleschoses dogoût, tes jugements peuventbeau-coup varier. Maisil me semble que la théorie de la proportionna-nte du mouvement est une des plus importantes de tout le sys-tème et elle ne pouvait y manquer sans y causer une lacuneregrettable. Aristotevient de traiter dans le cinquième livre desdiversesespèces dumouvement,et il a examinécomment le mou-vementpeut être simple, un ou contraire, naturel ou forcé, fipoursuitces études dans le sixièmelivre, et il y traite surtout dela continuité et de la divisibilité du mouvement. Surviennentaprès tout ceci lesquatrepremiers chapitres du septièmelivre,quine fontque redire en mêmes termesdes génératités fort rebattuessur les rapports du moteur au mobile,et présenter des considéra-tionsassez bizarres sur les relations du mouvementet de la sen-sibilité. Puis après ces quatre chapitres vient la théorie de laproportionnalité, qui forme unesuite très-convenabioauxdiscus-sions du sixième livre,et qui me semble s'y rattacher fort etroi-tement par le fond, aussi bien que par la forme. Enfin, après lacomparaison des mouvements entr'eux, il ne reste plus que lagrande théorie de l'éternité du mouvement, qui remplit tout lehuitièmelivre.

C'estdonc ainsi que je divise le septième j'en fais deuxparts,dont l'une comprend lesquatre premiers chapitres, et dontl'autrese composedes deuxderniers. My a peu de cas &faire de la pre-mière partie, et on pourrait la sacrifier sans trop de peine, si ellen'était dès longtemps comprise dans la Physique,et si elle n'yfigurait déjà du tempsd'Alexandred'Aphrodisée,au HJ*siècle denotreëre. Maisquantaia dernière partie du septièmelivre, ellemeparaît entièrement indispensable et si elle était retranchée, ceM:nutune fàchottselacune dans la Physique.

Page 604: La Physique d Aristote

SUR LA PHYSIQUE. /t27

Pour terminer ce qui regarde la composition de la Physiqueprisenon plus dans quelques-une.~de sesparties, mais dans son

ensemble,je dois dire que la divisionen cinq livres d'une part et

en trois livres d'autre part, ne nie semble pas acceptable, bien

qu'elleait pour elle le suffrage de l'antiquité, non plus que la di-

visionen deux fois quatre livres. Cesdivisions ne répondent pasdu tout à la réalité; et it est bien difficilede les admettre, quandon regarde attentivement à la doctrine entière de la Physique.Ellessont purement arbitraires en ce sens que ce n'est pas l'au-teur lui-même qui les a faites, et qu'elles ne peuvent que servir à

s'orienter plus régulièrement danssapensée. Maiselles sont ptusou moinsacceptablesles unes que les autres; et à mon sens, la

vraiemanière de diviser la Physique,ainsi que nous l'avons déjàfait pressentir, c'est de réunir les deux premiers livres où il n'esttraité que des principes, soit de l'être, soit de la nature, et d'enfaire la première partie de t'œuvre; c'est ensuite de réunir au

mêmetitre les six derniers livres, où il n'est réellement questionquedumouvement, d'abord dénni au début du troisième livre, etétudiéméthodiquementdans les autres, soit dans ses accidentsde

tempset d'espace, soit en lui-même et dans son immuableéter-nité.

Cepartage de la Physique en deux grandes portions a pour lui

l'autorité de Zabarella, un des philosophesqui ont scruté avec le

plus de soin et de profondeur les idées d'Aristote. Zabarella éta-blit dansson petit traité DeM~uy'f~ ~o'cyttt'a'coM<~M~nc~~r,

chapitresXI et XII, que les deux premiers livres sont consacrésauxprincipes,et les sixderniers, au mouvement.Cettedistinctionm'avaitparu aussi légitime que frappante, quand je traduisais letextegrec; plus tard, lorsque je l'ai vue recommandéepar Zaba-

rella, elle m'a paru encore bien plus autorisée, et je la présenteici comme la meilleure, si ce n'est commela seule, qu'on puissefairedans la Physique.

Le professeur de Padoue ne s'est pas trompé et je ne m'égarepas nonplus en suivant ses traces. J)n'y a que les deux premierslivresde la Physiquequisoient rée)!ementremplis de l'étude des

principes;et c'est &eux seuls qu'Aristotopense,ainsique les nom-

iiieiitatours, quand il parle de ses ouvrages sur les Principes.

Page 605: La Physique d Aristote

DISSERTATION./t28

comme faisantpartie de la Physique.JIn'y a pas trop des six au-tres livres pour exposer cette grande théoriedu mouvement,avectous les détails qu'elle comporte et qu'elle exige, même au pointde vue restreint où l'antiquité devait nécessairement se placer.

J'achève cette Dissertation sur la composition de la Physique,en disant quelquesmotsdu titre qui lui est le plus habituellementdonné, et qui a prévatu dans toutes les éditions, commeil pré-valait déjà au temps de Simplicius,et sans doute au tempsd'A-lexandre d'Aphrodisée et d'Adraste. C'est le titre de LeçonsdeP~ Aristote

'ui-memenePajamaisindiqué; etnousserionsfort embarrassésaujourd'hui de découvrird'où il vient. Iln'enestpaspour cela moinsexact; et commele dit notre mot deLeçonsetle mot qui y corresponden grec, i) est évident par le caractèremême de l'oeuvreque l'auteur a bien entendu l'adresser à sesélèves, en le composant,et leur rappeler l'enseignement.qu'il leuravait donné do vive voix sur ces grandset difficilessujets. Je nerepousse donc pas du tout ce titre de Le~ M~ bienque je ne l'aie pas voulu mettre le premier au frontispice de matraduction. ))est très-justiné; l'école Fabienchoisi, et la traditionq't'ft connrmait était bonne à recueillir.Je n'ai pas voulu, motnonplus,ni tout à fait le perdre, ni tout à fait l'adopter; et je l'aicom-plété eny ajoutant et en le modifiant.J'ai donc conservé lenomvulgairement reçu de My.~ ~n~~ et j'ai cxpiiquécettedé-signationgénératepar cette autre désignationdétaxée Ot<ferons

p~ y~< de la ~< Je me rapproche ainsidAristote lui-même dans bien des passages,et je ne m'6cartepas trop non plusde )'appet)ation la plus habituelle.

Page 606: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.

LFVREï.

t'KS PRtNOt'HS t)R L'Ë'fttt:.

CHAPITRE PREM!EH.

De la méthodeà suivredans l'étude de lanature JIfaut procéderdesfaits particuliers et composés, qui sont pour no us les plusnotoires et les plus clairs, et remonter par l'analyse jusqu'auxprincipes universels, aux causes des choses,et ieursëMment-s

simples, qui sont los piusciairs et les plus notoires en soi.

Exempledes noms par rapport à la définition. exempledesenfants.

g i. Comme on ne parvient à comprendre et savoir

AefoM~eP/~t~e.Simpiiciusnousapprend, dans la préfacede son

commentaire,(juc ce titre n'était pasie seul qui fût donné ù t'ouvragetl'Aristote.SelonAdraste, dont Sim-

piieiuscite le livre sur l'Ordre ~e)

«Mft'M d'~r~tote, on intitutait tn

Physique de difterentes manif-rcs.Tantôt on l'appelait Desprux-t~M;tantût LcfOH~ffe P/tt/jtt~Kc.Par-

M< encore oo emptoyoit des titres

particuliers pour les livres divers.

Les cinq premicritréunis ~[nieot in-

titutës (lesPrincipes lestrois der-

niers Du~oMMmM<.Cesdeut der-

niers titres sontpresqueles seulsquisoifnt cités par Aristote tui-mOne;

pare<en)pte,dat)'iieyr<(<ut')'e~livre t, chapitre 5, ettit. de Berlin,

pa);e27~i,30;i))id.ct).n,t'<h).

Page 607: La Physique d Aristote

LEÇONS DE PHYSIQUE,~0

quelque chosedans tout sujet de recherches méthodiquesoù il y a des principes, des causes et des éléments,quedu moment où on les connaît; car on ne pensejamaisconnaître unechose que quand on en connaît les causespremières, les principes premiers, et jusqu'à ses élé-ments de mêmeaussi pour la sciencede la nature, il estévident que l'on doit tout d'abord prendre soinde déter-miner ce qui regarde les principes.

dcBerh)!,p.27/),a,:d;i().)ivret!<h. 1, édit. deBerlin,p. 299, o, 40.Annote parle aussitrès-souventdansla ~e(<y.!)~Me de son 7'rat~ sur/a tta<Mrc.J'ai préfère le titre (te

~<'(-on.tde My~~eà toustes autres,«Cn de conserver le souvenir de la

tradition, au moins en partie, puis-tju'cn général cet ouvrageest connusousic nom deT~x~e ~~).)'~<o<eLe titre le plus convenableest celuique donoeot quelques manuscritsDes Principes ~e la nature maiscetitre, que Pacius recommandeavecraison, n'a pas pn'vatu.Simplicius,toc. cit., pense que c'est de la PAy-<)<yM<!qu'il s'agit dans la lettre d'A-

lexandre, où reproche à son pré-cepteur d'avoir publié ses doctrines

esotériques.PJutarque.dans.savied'Alexandre, croit qu'i] s'agit de la

Métaphysique, Simplicius,en réfu-tant Ptutarque, ne dit pas sur quellenutorit6 il s'appuie lui-même. Laquestion restedouteuse;mais ce quiparait certain c'est que les Lepontde P~~M< commet'indique cette

dénomination, appartiennent auxouvragesn'Aristntcqui exigeaientdu

mnttre eu personne une explicationspéciale,pnur être biencompris.

ÇA.7,g 1. A fOMpren<<t't:et a sa-

voir, pour cette théorie Reneratedeta science,il faut consulterlesgravesdoctrinesdes Deroter~~tn~o'~Me.t.-voyet surtout le tome III, livrech. 2, p. 7 et suivantes de ma tra-duction. .DM principes, dea<:<!M.!Mo)t des éléments, ces troistermes semblent ici à peu près syno-nymes, ainsi que le prouvela findela phraseoù l'auteur n'emploie quele mot de Principes. Quelquefoisces

eïpressions présentent (tes nuancesqui sont préciséesdansleIV*)ivrc<!cla JM<<«~/)y~t«',ch. 1, 2, 3, A,etc.,édit. de Bcrtin,panes l.OjSet sui-vantes. On trouvera sans douteque cette première phraseest un peutongne; maisje n'ni pas cru devoirla diviser; et j'ai taisseatatraduc.tion une physionomietoute aristoté-lique. Ce f/Mtregarde <Mprin-

cipes, Aristole dit ici simplement:Principes, entendant par cemot les

principes, les causes et lesetempntx,dont il vient de parier quelques li-

Rnfsptushaut.

Page 608: La Physique d Aristote

UVREI, CH. g A. /<3tl

§ 2. Lamarche qui sembleici toutenaturelle, c'est de

procéderdes choses qui sont plus connueset plus claires

pour nous, aux choses quisont plus claireset plus con-nuespar leur propre nature. En effet,les chosesqui sontnotoiresabsolument, et les choses qui sont notoirespournous, ne sont pas les mêmes;et voilàcommentc'est unenécessitéde commencerpar les chosesqui, bien queplusobscurespar nature, sont cependant plus notoirespournous, afinde passer ensuiteaux chosesqui sont naturel-lementplus claires et plusconnuesen soi. § 3. Ce qui estd'abord pour nous le plus notoire et le plus clair, c'estce qui est le plus composéet Je plus confus. Maisensuite

en.partant de ces composésmêmes, les éléments et les

principes nous sont rendus clairs par les divisionsquenous en faisons. § Ainsidonc il faut s'avancer du gé-néral au particulier; car le tout que donnela sensation

§ 2. P<M<connueset p<M claires

pour nous. Voirles Dern«:<'<Analy-

«<yMM,tivreI,ch.2,S'H.nj'vo-lume,p. 10de ma traduction. Cette

distinctionest tr~s-Mquente dans le

systèmed'Aristote,et elle est p:)rrai-tementjuste.

§ 3. Le plus compose et /c pluscott/M,il n'y n qu'un seul mot, aulieu de deux, dans )e texte.–J"nrles divisions que nous en /<!)!0~c'cst-&-direpar l'analyse. La scnsa-

t!on, qui est le moyenle plus tmbi-tuel d'informations,nous donnetoutd'abord une totalité tr~s-compicac;puis, endécomposant cette totfttite,nous arrivonsaux étéments irréduc-tiblesdont elleest formée.

S Du ~n<'ra<au ~rn'cx/t'er,

l'expressiondu texte est ou plurielet l'on pourraitencoretraduire: Des

M)tft)e)'«)M.t:<;)M:individus. Letout que ~MMla sensation, ene[Tet,la sensation nous apprend d'abord

que t'être que nous voyons, par

exemple,est un homme,et noua re-

connaissonsensuiteque cet homme

est un individu,un de nos amis. En

ce sens, la notiongénérale ou géné-rique a précédé la notion particu-lière et individue)!e.Cependant la

méthode que recommandeici Aris-

tote n'est pasprécisémentta méthode

d'analyse, qui vaau contrairedupar-ticulier au gênera).Les théories M-

posées ici ne sont pas tout à fait

Page 609: La Physique d Aristote

LEÇONS !)K PHYStQUE./)~2

est plus connu; et le générai est une espèce de tout,

puisque le gênera! contient dans son ensemble nne foulede choses à l'état de simples parties. § 5. C'est un rap-port assez analogue à.cehn-!a, que les nomsdes chosessoutiennent avec les définitions. Les noms, en effet,

expriment aussi une totalité quelconque; mais ils l'expri-ment d'une manière indéterminée; par exemple, le mot

Cercle, q~e la définition résout ensuite dans ses éléments

particuliers, g 6. C'est encore ainsi que les enfants ap-pellent d'abord Papa et Maman, tous les hommes, toutesles femmes, qu'ils voient; mais plus tard ils les dis-

tinguent fort bien les uns et les autres.

d'accord avec celles des Dcr/ner~

/t"a~<~t«-<, livre I.ch. 2, S~.

page 10 de ma traduction, et livre Il,

cb.l9,S7,p.90.

§5.Aea;tont~~e.<c/to~e< avec

leur f/c/!tt<<wt),on pourrait traduire

encore <e<mof.< avec l'idée; mais

la suite prouve qu'ii s'agit spéciale-ment ici de deiinition. Le Mo<

~o'c/c, ce mot est le nom génémld'une ligure que l'on comprend d'a-

t'ord da))'. sa tntaiite, mais en re-

n)ontant&ses<!)<!)t)entspar la (~fini-tion, on découvre que le cercle estune figure terminée par une sodé

lignecourbe donttnusles points sontà égaledistance d'ut) point central,dont tousles rayons,menésdu centreà la circonférence,sont ef!i)u)t,etc.

SU.~ct)/<tt)t.cette comparai-son fort claire expliquetrt's-bict) ce

que)'autcu)'avou!m)ireunp<:nptu.haut par la totah)6qucdonncd'n))(n-<)la sensation.

Page 610: La Physique d Aristote

DVRE!, <~H.H,~ /t33

CHAPITRE II.

Des principes; unité et pluralité (les principes Parménide et

MéUssns,lesphilosophesIonienset Démocrite. L'unité abso-lue de l'être implique la négation de tous principes et détruitt'étude de la nature; thèse d')Mrac!ite; erreur grossière deMéHssus.L'être n'est point immobile; il y a desêtres soumisau mouvement. Méthode des Ceonn&tres;démonstrationd'Antfphon.Méthodeà suivre pour critiquer les théoriesanté-rieures.

§ 4. Nécessairement il doit y avoir dans l'être otj un

principe unique ou plusieurs principes. En supposant quece principe soit unique, il doit être, ou immobile, commele prétendent Parménide et Mélissns, ou mobile, commel'affirment les Physiciens, soit qu'ils trouvent ce premierprincipe dans l'air, soit qu'ils Je trouvent dans l'eau. Enadmettant qu'il y a plusieurs principes, ces principes sonten nombre fini et infini; s'ils sont finis, mais en étant

toujours plus d'un, ils sont alors deux, trois, quatre outel autre nombre; s'ils sont infinis, ils peuvent être

C~. Sl.met)Me<:<t'MMjt,tons deuxde l'ecole (t'E)ëe,quisou-tenait t'nnitë et l'immobilitéde)'ftre,et niait par conséquent)e mouve-ment, principeessentielde la nature,d'après Aristote.Voir le petit traité-'peciat,Xenophane,Zénon et Cor-gias, edit. de Berlin, p. 97~,et io

Mcfo~Me, livre l, cb, 5, p. 080,h, :H. f.M f~tet'eM.~ c'cs)-

dire les pliilosopilesqui s'occupentpertinemmentde t'etude de la na-

'ure,)'Ë<:o!cd'Iottif.,Th!))es,AnMi.

'nandreeNesautn's.Voirptustoin,eh.S.–D~M~'at')', comme Oio-~ne d'Apollonieet Analimene,

~~A{/.o'<yMe,livre f, ch. 3, p. S8~,a,5, édit. de Bcrtit). Dan~ l'eau,commeT)~)e~,A/e«!)~Mc, tivre t.cli. 3, c<)it.(tnner)in,)).!)6a, h.:t.

28

Page 611: La Physique d Aristote

LEÇONSDRPHYStQUE./A

comme t'entend Démocnte, d'un seul et mêmegenre, ne<)ifrÉ)-nntqu'en figure et en espèce; ou bien ilsvont même

jusqu'à être contraires.

2. C'est encore une étude toute pareiDe que font les

philosophes qui recherchent quel est Je nombre des êtres;car ils recherchent d'abord si la source d'où sortent lesOtres et les choses, est un principe unique, ou bien si cesont plusieurs principes; puis en supposant qu'il y a.itplusieurs principes, ils se demandent s'ils sont finis 0)!infinis. Par conséquent, c'est rechercher encore si le

principe et l'élément des choses est unique, ou s'i] yen a piusieurs. § 3. Cependant, étudier cette questiondesavoir si l'être est un etimmubue, ce n'est plus étudierla nature; car de mêmeque le Géomètre n'a plus rien à.dire un adversaire qni lui nie ses principes, et que cette

~cwcr)(< ~<'«!;)/t)/ jivret,

''t'),Mit.deHerih),p.085,b.5.VtM~x'a~re con<Mt')'M,Aristote

ce noomc ici aucun philosophe'nais itsembte que c'est là l'opinion't'Emp)i<ioe)eet d'Anaxasorp.Alexan-<!rc<)'Ap)))-o()is<e,d'après Simplicius,croit que cesdeux assertionsse rnp-portcntau sn)))Mmoeritc,qui tout enadmettant tcsatontcs,qui nodi~rent

qu'en formeet enespèce,admetaussile plein et le vide, c'est-à-dire )e«contraires. Dnos lu ~e'f~Ay.txyue,

'itret,ch.a,p.985,h,6,ëdi).deBerlin, le systèmedes contrairesestformellementattribue aux Pythago-riciensc) a Alcméonde Crotoop.

S 2. Quelest le HOmtrcf/M~<)'M,Aristotene nommepas ces phitoso-

pi'eiiquichcrchcntnprtciM'riennm-

bte<)<-s('trcsptdescho!f!idei'uni-vcrs.ï) en u))a)')<ien termes peuprt's aussi vagues dons h ~eif)p/)y-

i!)f/!fe,)ivre!,ch.n,e()it.dcner)!n.p. 988, a, 15. C'est jtpMt-etredMPy-

thajj;nt')C)ensqn~i)s'ag)Lid.

S3.C<;)t'C.tf~tt~c'()M/)'C''<(t~<

fMre,parce()ne-tanatureest pi~rcs-

'.enœte)ot)Aristotc,)e principemêmedu mouvement Si t'être ciit un et

)'mmobHe,itn*yn p)usA)'e)udierdansdes pheoomenMqu'i) ne pro-duit pi)sou qui ne sont(ju'uoe)))u-

sior)!ih)'yuph)S()u'a!econte)np!eret à adorer, si t'en veut; mais ce

n'est pasl'objet <tc )a Physique.–/<MMn<<))<'r<f))'re~u) <)t<nie tM

pr~to'pM,)a ntcmepcnst''eseretrouve

<)ans!L'sD<:r«)<'r~~nn~fxyup~,!h'rc ),

<'h.t'L'.p.70dematr!)<h)C)int).Or)

Page 612: La Physique d Aristote

LIVRE, t, (:H. H, g 5. A35

discussion appartient dès lors à une autre sciencè que la

géométrie ou à une science commune de tons les prin-cipes, de même !e philosophe qui s'occupe des principesde la nature, ne doit pas accepter la discussion sur ceterrain. Du moment, en effet, que l'être est un, et un ausens d'immohitité où on le prétend, il n'y a plus &pro-prement dire de principe, puisqu'un principe est toujoursle principe d'une ou de plusieurs autres choses,g A. Exa-miner si l'être est en ce sens, revient tout a fait à dis-cuter telle autre thèse tout aussi vaine, parmi celles quine sont avancéesque pour le besoin (lela dispute, commela fameuse thèse d'Heraclite. Autant vaudrait soutenirque l'être entier se concentre dans un seul individu del'espèce humaine. S 6. Au fond, c'est simplement réfuter

"e peut discuterune question dansles limites d'une science (ju'ct) ac-

ceptant d'abordIcsprincipesde cette

science;ousi on ne les admet pas,c'est qu'on passeil une sciencedi ne-

rente, onbien à la sciencequi étudied'une manièregénéralela valeur des

principes; et cettescience supérieurec'est ta métaphysique. t/xcMMtce«ttnMMne<!fox~<Mpr)'~<-)pe.c'est)n métaphysiqueet non la diatccti-

<)ne,qui ne peot donner nucut) ré-suttat vraiment scientifiqueau senson Aristote la prend. Voir lesjUcr-

M)er<~MCt(y<)~MM,tivreJ,eh.U,j;(;,p. S8, et )t'sTopiques,livre I, cb. <,§S4 et 5, p. 2 dema traduction.

§ /i. Commela /<!meu4et/)(!<;~7/e'-rae~Xe,a snvoirnuctout est dans un(Inxperpétue!.Cnprincipe admis,tes<:nntradir.tnircssot)tCR'ni['!n('ntvrniM,

les contrairesse confondent i) n'y aplusni vériténi erreur et(teslors lathèse mêmequ'on soutientest aussivaine que )a thèse opposée.Pour tadefinitiû))(je )a thèse, voirles Topi.'yMe~,livref, et). 2, page 32 de matraduction; pour la théorie d'Héri)-

ctite, voir la Afd~p~~Me, livre I,chap, 3, p. 08/i, a, 7, éditionde Ber-)in. /)~t).<M))seul ut~MM, peut.être cetteopinionnvait-c!)eetesoute-nuupar quelque philosophequ'Aris-tote ne nommepas. t) revientd'ail-leurs un peu plus loin, ch. $ 10,sur la thèsed'Heraclite, pour en dé-montrer toute la fausMté dange-reuse.

§ 5. Toutce paragrapheestrépétémot pourmotun peu plus loin,ch. 4,§ i. C'est ici, sans doute, qu'il doit~ro supprimé,et c'est ie parti que

Page 613: La Physique d Aristote

I.t'~ONS J)K i'HYStQU)-/):~

un argument. captieux, défaut que présentent les deux

opinionsde Mélissuset de Parménide; car elles reposenttoutes deux sur des prémisses fasses. et elles ne con-cluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Mé-lissus est encore le plus grossier, et il ne peut pas mêmecauser la moindre hésitation; car il suuit d'une seniedonfjéc absurde pour que tontes les conséquences !esoient également; et c'est une chose des plus faciles àvoir.

6.Quant à nous. posons comme un principe fonda-mental que les choses de la nature, soit toutes, soit

quelques-unes an moins sont soumises au mouvement;et c'est là un fait que l'induction ou l'observation nous

apprend avec toute évidence. §7. Mais, en même temps,nous ne prétendrons point repondre a toutes les ques-tions, et nous ne réfuterons que les erreurs que l'on com-met dans les demonstra.tions en partant des principes;

Hckkerconseille,en enfermant toutecette interpolation entre crochets.Je

t'ai laissée dausla traduction, et jecrois devoir me borner a avertir lelecteur dans cette ontc.–L~d~~

optn)'n)t.i(/e~c'j')M)<e<(/<nrm<

)))'</e,toirpini)haut dansce chapitre,S 1, l'opinionde Mélissuset de Par-

'nenidesurt'mtiteeU'imtnobHitcdet'être. Le r<M~nem<'Mtde ~e<M-

.<M,ici Aristote ne dit point précisé-menten quoi )e raisonnementde Me-lissus s'écarte de celui de Fit rme-nidej maisil revient un peu plus ioinsur cettediJérence. Voir le chapitresuivant,SS&et 9.–Ae~~ox.«fr, dans ta Mef<t;ty.o~Me,livre ),

ch. 5, p..D8t),b, 27, édition <)eBer-

lin, Aristote fait à peu près la même

critique des opinions de MÉtissus,au-

')"e)itrc))))itXettophane,s<:mb)a))tencore faire ptos deçà!) (teccitps de

Pant)<t)i~e.Lu7')~M est citée

dans ce même passage <)ela A~<

physique.

§ 8. L't'udMCOot)c< ~'o~crMXtOM,

itn'y n dans lete~tequc le premier

mot j'o) ajoutti le second pour plus

dec)artÈ.Pom-)'J[n<)ucti()n,t())r)es~remto'J ~n«~<t<yMe<,livre Il, ch.

2ii, p. 32~, et~entt'er~ ~Mo~O~ueit,livre i, ch. -)8, p. 1-H de ma traduc-

tion.

S 7. ~'M;)f!r<«N<<<M~t'Xtft~c~,

Page 614: La Physique d Aristote

UVHË i, CH. H, g 8. IJ3i

t'eus hisserons de cote toutes celles qui n'en partent pas.C'est ainsi, par exempte,que c'estau géomètre de réfuterla démonstration de la quadrature du cercle par les seg-ments; mais !e géomètre n'a plus rien à faire avec celle

d'Antiphon. g 8. Néanmoins,comme sans traiter précisé-ment de la nature, ces philosophes touchent à des ques-tions physiques, il sera peut-être utile d'en dire ici

Aristote entend les principes qu'it.«'met tui-mentc. La ~~Jr~fMre<<H<-crc/t:pf!r les t~mc~ti, peut-êtrefaut-il confondre )a<!t;n)on!itn)tiot)'te ia quadrature du cercle par les~S'uents avec la d~monstrotionpur'i'fuouk's.qu'Aristotemtribuefor-'"et)emet)t A Hippocratede Chios,/te'M<nf)U~ ~/<M~M, Ci), .td,P. 37/)de ma traduction. Cettedé-

'"oni.trationd'mppocrutcdcChiosétait f!)U!ise,pt)i)i(]ue)aquadraturedu

ccrdeestintfMssibtejtnaisdumoins eOes'nppuyait sur des prin-cipesgéométriques,tandis<jueceHed'AuLiphoos'appuyaitsur des prin-cipes contraire:)a toute géométrie.

/<f<'c<e~e~</tf)'ot;, quelleétait"u juste ia démonstration d'Anti.phon, c'estce qu'i) n'est pasfaciledesavoir d'après le qu'en dit Aris-tole. Antipuonest encore nommeu))peu plus luin, livre Il, ch. d, Set dansles7{t;«~Ko))tdes~Mf<i,toc. cit., p. 38~, maissans aucundé-tail; et danscepassagesudemonstra-t'ou ne parait pas aussi dedaiRnecq't'eite l'est ici. Simpliciuss'est ar-rête fortfonj!uemo)tsur lesdeuxdé-

n'ottstrationsd'Antipitonetd'Hippo.

crate. Quant à l'obligation pour cha-

que science, et pour la Reontctrie en

t'articutier.denedi-.cuterqueiesquestions qui admettent leurs prin-cipes. il fnut voir le chapitre spécialdes ~crst'er.)

~on~/f~KM, livre i,<0. Il. G3, de ma traduction.

S8.C'omMe~t!;)~j'j~.'"<< </e la N<!fM.-e,ici le texte peutavoir un autre

sen~se~nquet'ot)change !a pnoctuaUon, et signiHerCuMmc <oM<c~ <r«t/n)~ x~xurc,ils N'0<« ~f, ~McAc i </M<y)<M<)OM~~y<~«M.,Cu sfcontt sensp~nit lemeilleur à

Atexa.tdrpd'Apt.rodisee,qui coonatt les (tenx, et à Porphyre.qui saus doute suit A~andre. Le

premier que j'adopte est préféré pi).Themistiuset Simplicius. Je crois queles deux sens peuvent eRa)en)('))tsesoutenir, i'arménide et Mélissus netraitent pas réellement de la nature,puisqu'iis nient le mouven.eot; et ilssou)f:t<'ut seuiementdes questions quise rapportent à )a nature. Ou hieoon peut dire encore qu'ils traitent dela nature, mais que les questionsqu'ils soulèvent ne sont pas conformes

i'uxprincipci! de )aPi.ysif)ue. AussiAristote lie les appe))c-t-it )):);.<)<

Page 615: La Physique d Aristote

L~ONS DE PHYSIQUE.~38

quelquesmots; car ces recherches ne laissent pas qued'avoir leur côté de philosophie.

CHAPITRE!H.

Critiquedus théories<juiadmettentt'unitede l'être; ce fjtt'onentendpar l'unitédet'être;acceptionsdiversesdesmotsÊtreet

Un;théoriedeMeiissussurt'innnitéde l'être,et de t'arménidesur lafinitudedel'être.Confusionabsoluedes'ctrcsdansla

théoried'HéracliteetdeLyeophron. L'êtren'est pasun;Rt

tesêtressont multiples.

§ 1. Commele motd'Être reçoit plusieurs acceptions,notre point de déportle plus convenablesera d'examiner

d'abord ce qu'on entendquand on dit que l'être est un.

Comprend-on par là que tout l'être est substance, ou

bienque tout l'être est ou quantité on qualité?Si tout est

substance dans l'être, comprend-on que c'est une subs-

tance unique qui est tout l'être? et, par exemple, un

homme un, un cheval un, une âme une, qui serait la

physiciens. Leu,' cutc (<cphiluso.

y/tff;,s)ccn'estptusuncdiseussiott

<<L'physh)t)C,c'est au )))()iu'iUt)t:dis-

cu~ioode )n<ita physique.

~t.Jt/S'L""me/<:Kt~<r<;

''ecmf~uitCMr<«t'ec~<t'ot).f,Yoir)cs

6'<ttt~)'«'ch.H,S~,p.5/<de)n~

tt'a(htcHo)),t:tA/ef~/t~)'<jfMt;,)ifrei\

ch.7,p.~017,a,'7,~<)it.df'Ucr)it).

!.c!.()t;nx!'rct'pt!ot)5)c!))'htsn6m;-

ra~csdt) tno!.ËH'esot)Lcc))M<)csnb!i-

t:)nct'Mt<)'acciden),))tsu)Mti~)Ct:fb)-

)))H))tiut)rctt)it';tt!cut(;Ln-ic,t't!)cci-

<tct)t <:on)p)'e))unt)esnmjfa))ht's,

<)U!j))H~,()uatit<t;tc.–7'««<<'t!N'

Mt</Mn)tf)'<<OH~M'<<~c,A)'istn[cn''

!)o)nnte que Ics deux prcmit'u's <) n'

(;0)'icsupr('s!i)St)bst:)ttcu:vo!t')c.s

autres dans )<!))'aitt'i.))<ci.')<)<s~'o-

<t'~o)')'('.<,chit)t.V,c)suiv.

Page 616: La Physique d Aristote

UVIΠCH. Ht A. /)39

substance de tout t'être? Si tout est qualité dans l'être.

comprend-on que c'est une qualité unique? et, parexemple, que c'est le blanc, le cba.ud, ou telle autre qua-lité du même genre? Ce sont-ià des points de vue très-

difï'érents;mais ils sont tous également impossiblesà sou-

tenir. g 2. En effet, si l'être est substance et quantité et.

qualité, que d'ailleurs la qualité, la quantité et la subs-tance soient indépendantes et séparées les unes des autresou ne J.esoient pas, il en résulte toujours qu'i) y a plu-sieurs sortes d'êtres. 3. Si l'on dit que les êtres toutentiers sont qualité ou quantité, en admettant d'ailleursou en rejetant la substance, c'est une opinion absurde, sil'ou peut qualifier d'absurde ce qui est impossible; c:u-rien ne peut exister séparément, si ce n'est la substance,puisque tout le reste se dit comme attribut de la subs-tance qui est le seul support. S &. Mélissus soutient quel'être est infini à ses yeux, l'être est donc une certainequantité, puisque l'infini est dans la quantité. Or, la subs-tance, pas plus que la qualité ou l'alfection, ne sauraitjamais être infinie, si ce n'est aceidenteDement, c'est-à-dire a moinsd'être en même temps considérée comme dc.squantit6s a un certain point de vue. La définition (le l'in-fini emprunte l'idée de quantité, mais ne suppose point

§2.<)/M~teMM<!<rM,eLno))point un ttrutmiqueseio!) rhypo-<<)&<;deParménideet deMélissus,

S 3. ~'<c<e~<!<rM(OM<c<tf)'<'rt

.'o')~tM<)tcoM~Mat)()(t'ristotCt)t:

<)it{)as()ue!s!iOt)U<;st)))i!osop))fS()uiont souton) celle <;trat));ethtj()rit.

trit)cd'Heruc)itt;, <)niréduit ien)Qt)do

ù n'être qu'une succession de ;)ht')!o-m~nessans substance. Au rood, c'est

le scepticisme. Tout le !'< i<c<c dit

rotttntc ««rttuf </<-<ft~)<o«-e, vnir

les rat~ot'tM, c)). V, § 5, p. <!dt-

t))a trattuctio)).

"SGi)c..cn~,(;ne)Msù)u.)u<- SA. voir plus

Page 617: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.~AO

celle de substance,ni celle de qualité. Si doncl'être està la foissubstanceet quantité, dès lors il est deux et nonplus un. g 5. Si l'être n'est que substance, il n'est plusinfini; il n'a mêmeplus de grandeur quelconque;car ilfaudrait qu'il fût une quantité.

§ 6. D'une autre part, comme le mot Unse prend enplusieurs acceptions tout aussi bien que le mot Être, ilfaut examinerà ce nouveau point de vueen quel sens ondit que tout l'être est un. Unse dit pourexprimerqu'unechose est continue ou qu'elle est indivisible ou ce mots'applique auxchosesdont la définitionessentielle,des-tinée à expliquerce qu'elles sont, est une seule et mêmedéfinition,comme,par exemple, la définitiondu Jus de latreille et celledu Vin.

§ 7. Si par Unon entend continu, l'être alors est mul-

haut, ch. 2, § 5, et plus bas, ch.SI. Si donc <<r<:est a /b).tsubstance <:<~MH)t<!(c.))'aprÈs ladoctrine d'Aristote, n'y a pasd'<tresanssub!itance:ctcomn)ed'a-

p''&sMciis!)M,l'étre est qualité entant qu'infini, il en r6su)teque i'etrcn'est pas un, commele dit Mélissus,mais qu'il est au moins()eu;[.

S 5. Si Mfrc n'est <jfMt:~M~f~tt-c,)<'H'M<p<M.!)))/ft)t,)asubstance dansle systèmed'Aristotene sort pas de

i'")t!ividu; et la théorie de la subs-taoct: ioBttie n'a été soutenuequebeaucoup plus tard dans l'École<)'A)exandric. Jl /ff)«/r<!t'tqu'il/K Nttc ~tM~M, et des lors il neserait plus une substanceexdusivc-ment,

S < T'oMfflussi bien que /c m~f

~e, après uvoir défini les diverses

acceptionsdu motÊtre, dans le S 1etsuiv. l'auteur pn.se aux diverses

accf'ptiotMdumotUn.–t/nMdff,Aristole n'indique ici que troisnuancesdu motUn; il en indiquedavantage dans la A7c'<<'ivretV.cb. C, p. d.OJS.b, lO.pdit.de Berlin. Du </e <r<e etcelle du r. les deux expressionsgrecques difTerentpeut-être un peudavantage, lu première comprenantaussii'ideede t'ivresse,et t'autre necomprenantque celledu vin,

S 7. Si par t/Mox e<)tct)~conftM,t,c'est le premiersens du mot Un, si-gnalé dans le S précèdent. ~'(;~e

~MM<M~ e[ il n'est p),).i,,ncomtnele))n;tet)daicntPannenide etMélissus,

Page 618: La Physique d Aristote

LIVRE t, CH. 111. g 10. 1

tiple, puisque le continu est divisibleà l'infini. S8.'Maisici l'on éteve sur les rapports de la partie et du tout unequestion qui, sans tenir peut-être bien directement ànotresujet, méritenéanmoinspar elle-mêmequ'on l'exa-mine, c'est de savoirsi le tout et la partie sont une seulechoseou plusieurs choses; de qnelte manière ils sont ouuneseuJechoseou plusieurs; en supposant que ce sontplusieurs choses, comment cette multiplicitéa lieu, re-cherchequi peut égalements'appliquer à des parties noncontinues; et enfin si chacune de ces parties, en tantqu'indivisible,est une avecle tout, attendu que chacunede ces parties constitue aussi une unité par elle-même.

§ 9. Si l'être est un en tant qu'indivisible,il n'est plusalors ni quantité ni qualité, et il cessed'être infini commele croit Melissus.Il n'est pas davantage uni, commelesoutientParménide,puisque c'est la fin, la limite seulequi est indivisible, et non point du tout le fini lui-même.§ 10. Si l'on dit que tous les êtres peuventêtre un, parcequ'ils auraient une définition commune, comme, parexemple,Vêtementet Habh se définissent de même, on

S8. ~ooit <eHu'bicn t/trcctem~xa nofre sujet, en OTet,cette queii-tion est étrang&reà celle qu'on dis.cuteici, et qui ecosiste uniquementà rechercher les significations di-versesdu mot Uo. La divisibilité&rinCniemporte l'idée de tout et departies maisc'est là une digressionqui interrompt le raisonnement;ellen'est peuMtre qu'une interpolation.

S9. Si /)-e est «Mc~ (<tM<<y)('M.~<t)M)6/e,c'est )n seconde (lesaecfp.

tionsdu mot Unindiquéesn)))!.hautau S (!. CcmnM/e ct'o'f A~~<)'«t<voir plus haut, d). 2, § H. Ow.,n<voir plus haut, ch. 2, § 5. Cnmmcle <OMf)'<!))tParménide, id. ibid.

S~O. ~'C (f/t/!t))~'0t)t'OMMXMC,c'est la dernière des acceptions dumot Un indiquées p!os haut au

SO.(e)MM(c<f<&tf, etttant

qu'objetsdestinas&couvrir le corpsn'ont qu'une !if)))edt;f)f)it)0));et, t'nce sens, ils ne sont qu'uuc seule etm~ntechose, cofumeplus haut tcjus

Page 619: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSiQ~.~2

ne fait plus alors que reproduire l'opinion d'Héractite.Désormais tout se confond; le bien se confondavec lemal, ce qui n'est pas bonavec ce qui est bon; le bien etce qui n'est pas bien sont identiques; l'hommeet le che-val sont tout un. Maisalors ce n'est plus auirmer vrai-ment que tousles êtres sont un, c'est aiîirmer qu'ils nesont rien, et que la qualité et la quantité sont iden-tiques.

g 11. Du reste, les plus récents, tout aussibienque lesanciens,se sontbeaucouptroubtés de la craintedepr6tertout ensembleà une mêmechose l'unitéet lamultiplicité.Pour échapper à cette contradiction,lesunsont suppriméle verbe d'existence et retranché le mot J?~, comme

Lycopbron. Les autres ont atténué l'expressionpour lamettre en harmonieavec leurs idées et pour ne pas dire

que l'homme M<blanc, ils disaient qu'il au tiendedire qu'il estmarchant, ils disaientqo'it marche;et toutcela pour éviter, en admettant le mot de faire plu-

dcfntrcHtcettt:Vin.o;))NtOt)~<;rnc<t(c, &savoir (lue tout estdans uxnuï perpétue), ~c<ap/<y.

~</M<)ivreXttt,eh.&,p.4,07S,b,l~,tid)t.dtiMcrti)).–Tot«~;<:ott-

/ow~, c'est là robjecHo~taptu!)fo)teeuutre Unparcilsystème.

§d!t.~oMM<!Lyc~roM,onn(;sait point prëcisëtacnt ce qu'est ce

Lycophron. Aristote le cite encoreune autre fois, toaisMn~dooner

plus de (tet!ii)s,/!e/'x(a(MNt(/M Su-

~/<)~M,ch. tu, § j(j, p. 3H~ uc mutraduction. /.M nMft'M,At~uudre

d'A))hro(tis<ccroyaitqtt'AristoK;vuu-

lait faire ici aihtsion a P)aton!t)):Hs

Simplicius réfute cette conjectort',qui,0) effet,?))rait peu &outet)a)))e.-Il t<aNc/t)'f,dansje verbe&/wtf/;t)'iMverbe d'existence~trcest confonduavecl'idéede biimc) comme dunsil

warcAe,il esteonfottduUYccPJdeede

marche)-. On lie voit pas du reste

commentcet artificede )a))gn~edé.truisait la contradiction appurenteque l'on prcteodait éviter. L'Mpu.dient était t)k'!)i))uti)e; car d.ntscette locution <<oMMct<<fMc/«'<il y a deuxchosestout aussibienquedan!. celle-ci <<uHoncMfMat«'.

Page 620: La Physique d Aristote

LIVRE t, CH. tti, § 13. /t/)3

sieurs êtresde ce qui est un, supposant sans doute que

l'Un et l'être ne peuvent avoir qu'une seule acception.

§ 12. Maisles êtres sont multiples,d'abord par leur défi-

nition car la définitiondeblanc, par exemple,est autre

que celle de musicien bien que ces deux qualités

puissent appartenirà un seulet même être; et, par con-

séquent, l'Un est multiple; ou bien les êtres sont mul-

tiples aussipar la division,couunele tout et les parties.

Sur ce dernierpoint, les philosophes dont nous parlons

s'embarrassaient fort, et ils avouaient que l'Un est mul-

tiple, commesi la.mêmechosene pouvait pas être une et

plusieurs la fois, en ce sens seulement qu'ellene peut

avoir la fois les qualitésopposées, puisquel'Un peut

exister et eu simple puissance,et en réalité complèteou

entéléchie.

g 13. En suivant la méthodequi vient d'être exposée,

on peut conclurequ'il est impossibleque les êtres soient

un seul et mêmeêtre.

§ 12. Les <!trM<OMtWM<(~M, ré-

futaUondet'upinio)) qui vient d'Ctn'

exposée. MM.ort'cM t'fxprpssi;~)

grecque est plus générale, et e))c si.

H~'tie: Und&vcdes Vuscitjtnais

cette nuance n'impurte point ici.

L''M'tMfMu<f)'y)<< puisque )pmG)nH

Ctre peut rennir ces deux qun)!tes.

Contme <<:fOM<et /<< parties,

t't't)'ceonsi<)<!r& comme une totalité

cstuutre<)uc considèredans chacune

desespiit-ties.

§ ) H. e.~ t'my)OMt&<<Aristotesu

prnt)0t)cet'nergiquMment.contre les

doctt-ioesdct'Ecote d'Etre el contre

l'unité det'être. Voirsur toute cette

discussion, )c/'<!rmct))'<<eet)e~M-

~/<Mtede étalon, ~<t'n et smtout

p. 2/)8L't.sniv.df la traduction df

\).V. Cousin.

Page 621: La Physique d Aristote

LH<;()!\SI)K PHYSIQtJt.~) fI

CHAPITRE IV.

Héfut~iondeMe!issus;réfutationde Parménide;conséquencesmsou~naM~dec~deux systèmes. L'unitédel'être ne~eut

comprendre. Systèmesquiont admisà la foisl'unitéet ladivisionde t'être; réfutationde ces systèmes.

S Même en partant des principes que ces philo-sophes admettent dans leurs démonstrations, il n'est pasdifficile de résoudre les questions qui les arrêtent. Le rai-sonnement de MeHssuset de Parménide est égalementcaptieux; ils ont l'un et l'autre des prémisses fausses,et ils ne concluent pas régulièrement. Alais !e raisonne-ment de Mélissus est encore plus grossier et ne peut pasmême causer !a moindre hésitation. JI suffit d'une seuledonnée absurde pour que toutes ies conséquences le soientégalement; et c'est une chose des plus faciles à voir.g 2. IJ est de toute évidence que Aiéhssus raisonne mal;

S t. 3/~M en parfonf, ce

paragraphe est à peu pr&s la simplerépétiUon de celui qui a été déjàdonné plus haut. ch. 2. § 5. Maisicic<' paragraphe semble mieui à sa

p)aee. Simplicius, dans son eotnmen-

taire, ne parait pas s'être aperçu decette répétition, qui indique sans

doute du désordre dans le texte; car)i n'est pas probable qu'à un si petitt

ioU'rvaXe, fauteur ait touiu formel-)tU)cn<se rcnétt-r tnot pour mot.

S Jyc<t«t« f~MpnK< mal, il nesemble pas que )e principe de Métis-

sus, présent comme il t'est ici, soitaussi faux qu'Aristotcledit dumoinsla r6futation n'est pas p(-remp)oirp.parce qu'elle n'est pas assez détpto;)-pee. j) aurait ra))u prouver que )'tn-pottièM de M6)issns Mit prrMce etque ce qui n'a pas été produit peutavoirun principe. J'aurais toufuren-urc ma traduction piusctaire; mai:,ce n'est pas )'e).pre'.sion qui est obs-

Page 622: La Physique d Aristote

UVIŒI. CM.tV, /t.

car il admetcette hypothèse, que du moment que tout ce

qui a été produit a un principe, ce qui n'a pas été pro-duit ne doit point en avoir. § 3. C'est encore une erreur

non moins grave de supposer que tonte chose a un com-

mencementet que le temps n'en a point; qu'i) n'y a pointde principepour la génération absolue, mais qu'il y en a

pour l'altération, connue s'il n'y avait pas tel change-ment compjet qui se produit tout d'une pièce, g A.Eu-

suite, pourquoi l'être doit-il être immobile, parce qu'ilest un? En efret, quand une partie du tout qui est bien

une, de l'eau, par exemple, se meut par elle-même, pour-

quoi l'être entier ne pourrait-il pas se mouvoir, lui aussi,de la même façon? Et pourquoi l'altération y serait-elle

cure; c'est la pensée même, qui est

restée incompit'te. Les commenta-

teurs tant anciens que modernes ne

donnent rien de satisfaisant sur ce

passage auquel ils m- se sont pas en

général beaucoup arrêtés, comme s~if

était parfaitement intelligible. Sim-

plicius est ;< peu près le seul qui ait

essayé de t'approfondir, et il a cité

un long et curieux fragment de Mé-

lissus, ox se trouve eu enct t'opHti~n

qu'Aristote se croit en droit de con-

damner comme irréRutiere et logi-

quement fausse mais les efforts de

Simplicius n'ont pas très-bien réussiet il ne fait pas voir non plus en quoi

pèche le raisonnement de Meiissus.

S 3. Et que le (cm~ H'fKa ~utof~

') parait donc que Méiistius soutenait

i'éternité du monde. C'est une opi-nion qu'Aristote lui-mémc a houte-

nue. /Vo" plus que pour l'altéra-

tion, par )'a)terituon, Aristote entend

un chat)j;t'ment successif qui se passe

dans l'être )ui-m<meet par destauses

intérieures. La géoeration, au con-

traire, vient necesMiretUfttt du <&

hors. qui :<; produit <OM<~)~

~tcrc, les cottxnentat.eurs citfftt pot~

exemple, la lumière du soleil qui

éclaire tout à coup le cH, l'eau qui

se congèle tout a la fois, ou )e lait

qui se coagule. Mais ces eciaircihse-

mpnts )ais!i€')t toujours à désirer.

Pour comprendre pleinement la ré-

futation d'Aristote, il faudrait avoir

sous les yeux l'ouvrage mëunedeMé-

lissus auquel il répond.

<!ù. Et ~Mt~MO!/'a<<e'r<f/)OHy M-

rait-elle t~o~ Mélissus, comme

Parménide, niait non-seulement le

mouvement qui s'opère par le déplu-

Page 623: La Physique d Aristote

LE(JO!\)SDE PHYSiQLM.

impossible? §5. Hnfin, il ne se peut pas que l'etresoit unen espèce, à moins que ce ne soit par l'identité (lu prin-cipe d'où il sort. tt est même certains physiciens qui en-tendent l'unité de l'être entier en ce dernier sens, et quine l'entendent pas dans l'acception précédente: cardisent-ils, l'homme, par exemple, est en espèce différentdu cheval, et les contraires difTérent également d'espèceentr'eux.

§ 6. Les mêmes arguments peuvent être employéscontre Parm~ide, bien qu'on puisse aussi lui en opposerde spéciaux; et la réfutation consiste encore pour lui àdémontrer d'une part que ses données sont fausses, etd'autre part qu'elles ne concluent pas. § 7. D'abord ladonnée est fausse en ce qu'il suppose que le motÊtre n'a

qu'un seul sens, tandis qu'il en a plusieurs. §8. En se-cond lieu, il ne conclut pas régulièrement en ce qu'enadmettant mêmeque le blanc soit un, les objets blancsn'en sont pas moins plusieurs et non point un seul évi-

donment.En effet, le blanc n'est un ni par la continuité,t--t

o'mt'ntdans~'esnace;mais en outre

cect)an);etne))t<)))is'opt<rcdans)'etrclui-mêmeet constitue cette forme

parlictilit-i-cdu mouvement qu'onunnpXet'attcraUon.

§.').())«!<'('<)'<:.<of<Mttencore,c'cst-à-dhfqnc tousles êtres soientde la mêmeespèce;car évidemmentlesespècessontditterpntcs,et d'aprf.t'exemptedonné plusbas l'espècedel'hommen'est pascelle<h)cheval.

/~W«<<M)<!t<<(/Mpr)'K<;t;M~'oÙil M)'<,oo peut entendre pin-cecila rnatière

qui, dans )p système <rAr)Stf)te,fstlogiquementl'élémentco~n~unet ix-

(t6tcrmi!)6dpto))s)M~trc!

S 0. LesMt~ntM<!r~uMt<'))<~qu'onvicot de présenter contre fa théorie<)cM~tissus. Que ses ~~HCMsont

/nKMM,voir plus haot, § d.

~<t'<;«MoccoMc/xcMfpas, )<).ibid.§ 7. y«;)(/Mqu'il CM« plusieurs,

Mit'()h)!!).!)nt.chap.3,§<jjetsu)t.quelques-unesdes :)cccptionsprinci-pa)es(h)motf:tre.

S8.–A'<;M)'/«(.'0)j;t;t)'f<C',))t

Page 624: La Physique d Aristote

s

11

UVRHi. CH.iV. ~<7

ni par ladétjjpition;car l'essence de la blancheur est

autre que l'essence de l'être qui reçoit cette btancheuret, en dehors de l'être qui est blanc, il n'existe pas desubstance séparée, puisque ce n'est pas en tant que ]abJancheur est séparée qu'elle diffère de l'être blanc.Mais,encore une fois, c'est que l'essence de la blan-cheur est autre que l'essencede l~tre à qui cette blan-cheurappartient; or, c'est ce que Parménide n'a pas suvoir.

§ 9. Ainsidonc, quand on soutientque l'être est un, ilfaut de toute nécessitéadmettre non-seulementque l'être

exprimel'Un, bien que l'Un lui soit attribué, maisqu'ilexprimeaussi tout ensembteet l'existence réellede l'ôtre,et l'existence réelle de l'Un, puisque l'accident est tou~jours attribué à un sujet. Par suite le sujet auquel alorson applique l'être comme attribut, n'a plus d'existencepropre puisqu'il est din'érent de l'être; et voiiàun êtresans existencequi existe. C'est que de fait rien n'a l'exis-tencesubstantielleque ce qui est réeDement;car il ne se

~)ft)'<a </c/Mt<)f)<),~oir piushaut,

c)t.§6.<e</M<)-<'fOt'<

ectt<:Ma<)c/tcut-,i)n'yaque)asubs.

tance qui ait uneexistence séparée et

i))d~)e))()at)te.\oi)-)athëo)-iedt')a

substance <)axs les CnteyortM. ch. V,

§42, p. 65 de ma traduction.

§ 9. Que t't'tre est ««, peut-Ctre(oudrait-it traduire, au contraire, que<'C/x est ~'ëtre, pour que ceci .s'ac-

cordât mieux avec ce qui suit. Le

tMte grec se preterifit à cette douhle

i~t<!r()retaUon.<;E)')<e<tMr<MWe

<)'<quie'itprisa)nr.s('n)t))net)u'ii)n-

ptc attributde l'un. Et /'e.ft.!<c/tcc

!'ce</c~e<'t«),qui estprisalorscornn~

sujet de i'~re.–L'aMt'~x, qui estici t'être joint {))'Ut)co)n)n<'a)trib))t.

Puisqu'il est (/)'reHt de r~fre,qui lui est simplementattribua, tu))-dis que t'être au contraire devraitêtre le sujet de tous lesattributs.t/H dire sans c.o.t<enMqui ca;)'.«e,puisque dans les théories d'Aristotet'être seul, pris au sensd'individu, aune existence substantielle, <an<)is

que t'un n'est qu'un attribut. ()))<-<'<)f.t;)'('<;j!CMe))f.a!'et:)td'i))<ti-

Page 625: La Physique d Aristote

/<A8 i

LEVONSDH PHYSIQtJE.

peut pas qu'un être soit son attribut à Iui.m6.ne.à moinsque le motbtre n'ait plusieurssens qui permettent d'at-tnbuer l'existenceà chacunede ces chosesparticulièresMaison supposeque l'Être ne signifieque I-Un ~10 Sidoncl'être réel n'est jamais l'attribut accidentel de quoiquece soit, mais qu'il reçoiveau contraire les attributs,commentpourra-t-on' dire que l'être vrai signifie l'êtreplutôt que le non-être ? Car si l'être r~e)se confond avecle blanc par exemple, et que l'essencedu blanc ne soitpas .dentiqueà celle de l'être, puisqu'aucunêtre ne peutjau~s être l'attribut du blanc, il s'en suit qu'il n'y ad'être que l'être réel et le blanc dès lors n'est pas, nonpoint en ce sens qu'il n'est pas tel être, mais en ce sensqu'il n est pas absolutnent du tout. Ainsi ]'6tre réeldev~t nn non-être; car il est exact de dire qu'il estblanc,

ettebJancn'exprhnaitpasretre. §11. En résumesi !e blanc exprime un être réel, il faut reconnaître dèslors que le mot Être peut avoir plusieurssens divers.

S ~2. L'être, tel que le comprendParmenide, ne seramêmeplus susceptible d'une dimension

quelconque, du

vidu ayant sa substancepropre et in-dépendante. <«eM<: tics cA~M~a~n-<.t<<e~c'est-à-diref, )'t.n aussibien qu'à i'ëtrf-, aux attributs aussibien qu'aux sujets. .Pa~)'M~oM,le texte grec n'est pas aussiprécis, et il ne nomme pas Parme-"ide, disant seulement Il M<sup.poséquc, etc., etc.

S 10. CoMMOttpourra-t-on dire,dans le système de Parménide, quiconfondt'être et l'un dans une seuleet n)~n.cidée. j.

J"c~f(~<f~pu,~quele blanc iui-m~me est un att.ibu t,et qu'il ne peut y avoir attribut d'at-t''ih"t, au sens vrai du mot. M<r<:réel </M,f, MM

M~rc, si l'on con-fond i'ûtreet l'accident ou attribut.

S H. Le mot <re peut avoir ~x-sieurs sens divers, et alors il n'estP'us au sens où rentendait Parm~

"Mc.puisqu'ij faut reconnaitre toutmoins dans i'êtrc la substnnce pt

les attributs.

S <2. Tel que le coMpre,.f/ Par-

Page 626: La Physique d Aristote

UViΠCH. tV g 14. /)~9

momentque ce seulêtre est l'être réel, puisque chacunedes deuxparties du touta toujoursun être dînèrent. §13.Pourse convaincreque l'être réelsedivise essentiellementen un autre être, il suffit de regarder à la définitiond'unêtre quelconque. Par exemple,si l'homme est défininncertain être réel, il faut absolumentque l'animal et lebipède soient égalementdes êtres car si ce ne sontpasdes êtres, ce sont desaccidents, soit de l'homme soit detout autre sujet; ce qui est évidemment impossible.S ~A.En effeton entendpar accidentou attribut dans lelangageordinaire,d'abordcequipeutindifféremmentêtreet ne pasêtre dans lesujet,et ensuitece dont la définitioncomprendl'être dont il est l'attribut. Ainsi être assisestun simpleaccident d'un être quelconque,en tant qn'ac-c.dent séparable mais dans l'attribut Camard, il y a ladéfimt.onde ne. car c'est du nez seul que nous disonsqu'il peut accidentellementêtre camard.

"t/c, j'ai ajouté ces mot!)pouréclaircirla pensée. toujoursun~rc~ct-CMt, et alors ['Ctreest mul-"p'e. et no.)point un, comme)e veutParmenittp.

S~M/t'M~cf~c.l'idéed'nnitna)et cellede bipèdeen-trent essentiellementdans ):)défini-tionde t'homme. Ce .wx des <(<fMeM~,ce qui est impossible;carl'i'!tom.Deest essentiellementanimalet bipède; ce sont là deux attrihut.ssubstantiels qui se confondentavecrctrc nécessairement,et ne peuventen être sépares, sans que t'être lui.mêmene soitdétruit.

S~fccMcn~oHn~r~Mt.j'iu

ajouté )c second mot pour plus dedaDë. Voirpour)a définitiondel'ac-

cidc))t,~<ap/t~t)</uc, livre IV, ch.

M.P.~25.a,l~,edit.()cHer)i)),

et)itreXT,ch.8,p.~oo/))~5;

Dcrt))eM/t<to~y<MM,livre11,ci).fi,SA.P. 23 de ma traduction.–Cequi ;)<')«!'M~)~creMMen<<'<reux oc

pas ~)-< c'est ce qui fait qu'i)n'y a

pas desciencede l'accident,commele dit Aristote, <Wc<np/)y~)'<yM<liv.Xt, ch. 7. Da)M le .s~'Ef,c'estl'accidentcommunà plusieurssujets.

Et <;c</oN<la f/e/!)))'ft'o))cowprM)~<~<n',c'est i'acci<)cntpropre et snc-ci;))à un seu!être, f) uneseulecitosec'esti'nccidfntH)sëparat))c.f.'edition

2<)

Page 627: La Physique d Aristote

LEÇONSt)H PHYSIQUE.A5U

S 15. Hfaut ajouter encore que tout ce qxi est comprisdans la définitionessentielle d'une chose,ou qui en formeles éléments,ne comprend pas néanmoinsnécessairementdans sa définition, la définitiondu tout lui-même. Ainsi,la dénnit.ionde l'homme n'est pas daus celle du bipède;ou bien encore celle de l'homme blanc n'est pas dans iadennit.ion du bianc. 1G.Si donc il en est ainsi, et que]e bipède soit un simple accident de l'homme, il faut né-cessairement que l'accident soit séparable, c'est-à-direque l'homme puisse n'être pas bipède; ou autrement, la~énnition de l'itomme serait impliquée dans l'idée de bi-pède. Maisc'est Jà ce qui est impossible, puisqu'au con-traire c'est t'id6e de bipède qui est impliquée dans la

de uer)in indique ici une troisième

espèce d'accident dans une phraseque je ne traduis pas, parcequ'ellene se trom-e point dansle texte de

Simplicius,qui ne t'a pointcommen-tée. C'est suns doute une interpola-tion. Dureste, on retrouveen partiecotepef).seeUnpeu plus bas. S ~5.–

Afr<;<w).<e.!tt;))a)tn~c(«-<-Mcof,c'est la première espèced'accidentou ottrihut qui pputetre ou n'être

tM'.au'.ujct.).<o,,i,<~t'<~<M<!)'t<,secondeespèce de l'at-

tribut, qpi contient déjà dans sa dé-ttoition l'idéem&me<iusujet auquelil ost attribué. Camard suppose l'i-ttec de nez,et ne peutse défini)'quesi l'on fuitentrer celte idée dans sndéfinitio)!.

S15./</(tK< f)/f«te)'c!)c<r)r<<;eS'*st obscur,et on nevnit pas hieo

cou))nenti)nnt)tit))u').iref))tatin))de

Pat-meoifte.Voici,je crois, le liendes idées: L'être n'est pas un commeParménidele soutient; car dans )adéfinition même d')tn être quelcon-que il y a toujoursd'autres êtres ([nelui, nécessairementimptiques. f.esdeux porties de la dcfinitio))ne snntpas absolumentéquivalentes.On dé-finit fort bien l'hommeen disuntquec'est ttoanimn) bipède, etc. mnis

reciprofjoemcttton nedef)nitpas i'n-nimal ni le bipèdeen disant qu'ilssont hommes,bienqu'animal et bi-pède entrent dans la dennition doi'hommp.Ainsi,la définitionprouveque t'être n'est pas un, et qu'au con-

trnireitcstmuitipie.

§18. ~'Otf«tt~)nt~e<!t'cM<;))<,c'est-dire unaccident'ieparf)b)(;quipfnt être ou n'èlre pasdans )c sujet.

~x f)!<f)'cn)MX,yni)-plus hnm,§4~. L'accidentinsepnrahipest (-L--

Page 628: La Physique d Aristote

HVRE CH. !V, § :t8. ~51

§17.i'ttfp<<at)tjtt~M'<!t)W)o<,bipèdeet animal comprisdansla dé-finitionde l'hommene sont pas desaccidentscommuns; car l'hommene

peutpas indifféremmentêtre ou n'ê-tre pas animal et bipède.Ce nesont

pas nonplus des accidents insépa-rables,puisque )a définitionde l'unou de j'autre ne contient pas néces-sairement l'idée du sujet, attendu

qu'il ya d'autres êtres que l'hommc,qui sont animaux et bipèdes.L'hommeest aussi (tttnombre(<Moc-

cMcNfft,parce que l'hommeéquivautà sadéfinition animal bipède, etc.iet que sianimal et bipède sont de

pursaccidents,l'homme alors le de-vienttout commeeux. Or, c'est im-

possible,puisque l'hommeest cssen-tidicntentune substance.

définitionde l'homme. 17. Si bipède, ainsi qu'animal,peut être l'accidentd'un autre être, il s'ensuitque ni l'unni l'autre ne sont des êtres réels, et que l'homme estaussiau nombredes accidentsqui peuventêtre attribuésà un autre être. Maisl'être réel est précisémentce qui ne

peutjamais être accidentou attribut de quoique ce soit;c'est le sujet auquel s'appliquent les deuxtermes, soitchacunséparément, soit même réunis dans le composétotalqu'ils forment.

§ 18. Ainsi donc, l'être total est composé d'indi-visibles.

lui qui comprenddans sa dcnnHionl'idéemêmedu sujet. Camard com-

prend l'idée de Nez.

<{18. /<)'M.<tdonc ~'<!(rctotal f:.<;

composé~'t'n~t'.ttt/M, cette phrasequi n'a pointétécommentéepar Sim-

p)iciu!t,quoiqu'et)eparaisseavoirétédans son texte, vient ici bien brus-

quement. Pacius proposerait ))eluidonner une forme interrogative, etalorsce serait uneobjectionqu'Aris-tote opposeraita Parménide L'êtretotal serait-il donc composéd'indivi-sibles? Maiscet expédiento'édaircit

pasdavantagela pensée.Ce quisem-ble le pins probable,c'est que l'au-teur croit pouvoirconclurede )adis-cussion précédente que l'être n'est

pas un, comme)cso!))e))aitParmé-

nide, et que l'être n'est qu'un com-

poséd'autresêtres individuels,ce quiimplique la multiplicité de t'être.Tbémistinsaussi,danssaparaphrase,

comprendqu'il s'agit de l'être danssa tota)ité." L'être réel, dit-i), Mcomposed'indivisibleset d'insépara-h)fs, qui sont eux-mêmesdes êtresaussi récjsque iui. )e

Page 629: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.452

g 19. Quelquesphilosophesont donné les mains auxdeux solutionsà la fois d'une part, à celle qui admet quetout est.un, si l'être signifiel'un, et que le non-être lui-même est quelque chose; et, d'autre part, à celle quiarrive par la méthodede divisionsuccessiveen deux,parla dichotomie,à reconnaître des existenceset des gran-deurs individuelles,g 20. Mais,évidemment,il est fauxde conclure, parceque l'être signifieraitl'un, et parcequeles contradictoiresne peuventêtre vraies à la fois, qu'iln'y a pas de non-être car rien ne s'oppose à ce que lenon-être soit nonpas absolumentquelque chose qui n'est

pas, mais qu'il ne soit pas un certain être. Cequi estabsurdec'est desoutenirquetoutest unpar cela seul qu'iln'existe rien en dehors de l'être lui-même car qui pour-rait comprendrece qu'est l'être, s'il n'est pas un certainêtre réel? Et, s'il en est ainsi, rien ne s'opposeà ce queles êtres soientmultiples, ainsique je l'ai dit.

21. Il est doncde toute évidencequ'à ce point de vueil est impossiblede dire que l'être soit un.

S 10. ~MC<<jTUMpAt'/OMp/x:c'estde PJaton qu'Aristote entend parlerici, bien qu'il ne le nomme pas.Des c~M«t)<'c.<et JM grandeurs, il

n'y a qu'mt seul mot dans le texte,~rot«<<:t<r~. 7n<<)utWue«M,j'ai pré-féré ce mot a celuid'indivisibles.Dumoment qu'on admetdesgrandeursindi~isib)M),t'être n'estplusun, et i'u-nivers se composed'êtres différents.

S !!0. Qu'il Ne<0!'fpas Mt!ccr(~)'))«r<, le non-être se réduit alors à la

privation Le cheval n'est pas un

homme; )c noir n'est pas icbjaoc.Dans ce sens, le non-êtreest encan;

quelque chosede relatir. Ce n'est pasle non-êtrexbsotu, au senst)c l'écoled'Efëe. Ainsi~Mej'el'ai dit, voir

plus haut, ch. 3, § ~2.

S21. Il p« doncde toutect)McMee,conclusion de tout ce qui précède;imais la discussionn'a point été aussiclaire et aussi précise qu'elle aurait

pu t'être.–()t«!reM«Mn, ainsi

que le soutenaient à tort Parménideet Métissus.

Page 630: La Physique d Aristote

HVRE I, CH. V. § 2. /)53

CHAPITREV.

Réfutationde quelquesautres systèmessur l'unité de t'êtreies Physiciens,Platon,Anaximandre,Empedocte.t~futattonspécialed'Anaxagore.Il n'est paspossiblequetout soit danstout; démonstrationdol'absurditéde ceprincipe.Autreerreurd'Anaxagoresur lagénérationdes choses.Rrnp<;doc)e.

§ 1. Pour étudier ce que disent les Physiciens, il fautdistinguer deux systèmes, g 2. Les uns, trouvant l'u-nité de l'être dans le corps qui sert de sujet substantielaux attributs, ce corps étant pour eux, soit un des troiséléments, soit tel autre corps, plus grossier que le feu etplus subtil que l'air, en font sortir tout le reste des êtres,dont ils reconnaissent la multiplicité, par les modificationsinfinies de la condensationet de la raréfaction, de la den-stte et de la légèreté. Maisce sont là des contraires qui,

Ch. V, § /.« T't'ctCH.t, c'est-à-dire les philosophesqui étudientlanature sans nier, commeParménideet Mélissus,les principesmCmesde'a scienceensoutenant t'uniteet l'im-mobi)it~ de t'être. Voir plus haut,ch. 2, SS1 et 7. LesPhysiciens,dansun sens ptusspecia), sont surtout les

phitosophesdet'Ecoied'Ionie.S 2. ~'MMt~<<e<~frc</<;M cor~,

ce n'est plus l'unité de t'être au sensoù l'entendait t'Ëcote d'Eiee, c'est

''unix'det'Ctredanst'indiviftu.m)

sens oui'entcnd Aristote tui-méme.–des tro~ <<;e'n)e/<,j'eau, J'air ou

le feu, personne n'ayant proposé de

regurder la terre comme le principeuniversel des choses, si ce n'est petit-être Hésiode voir dans )a ~c'<*~)<e, )iv. I, ch. 8, p. 989, a, .10,édition de Bo-tin.– ~oNt;~ recoM-rrnissen~la macltiplicité, que niaient 1

"Ot'MoX~m)<;<)'~)c,-<c, De niaientParmenide et Mélissus. De f/eH-««; et r/e <<;<e~e«., l'élément qu'onprend pour priHcipe est supposapouvoir produire tons les ûtt-M se)nx

Page 631: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.A5&

d'une manière générale, ne sont qu'excès et défaut,

comme le dit Platon en parlant du grand et du petit.SeulementPlaton fait de ces contraires la matière même,

réduisant l'unité de l'être à la simple forme, tandis queces physiciens appellent matière le sujet qui est un, et

appellent les contraires des différences et des espèces.

§ S. Quant aux autres physiciens, ils pensent que les

contraires sortent de l'être un qui les renferme, comme

le croient Anaximandre et tous ceux qui admettent à la

fois l'unité et la pluralité des choses, par exemple, Em-

pédocte et Anaxagore. Car cesdeux derniers philosophesfont sortir aussi tout le reste du mélange antérieur; et la

seule divergencede leurs opinions, c'est que Fun admet

le retour périodique des choses, tandis que l'autre n'yadmet qu'un mouvement unique; c'est que l'un regardecommeinfiniesles parties similaires des choses et les con-

qu'il se condense ou se raréfie.

/'<atO))C)tp<tr<<notM~ra~ <<<!<

petit, voir le /<c(~n de Platon, p. N83

de la traduction de M. V. Cousin. I)

est possible aussi que Platon ait en-

core traité de ces sujets dans des ou-

vrages qui ne sont pas parvenus jus-

qu'à nous.

S 3. ~M<Mfaux autre, y)/t~<cten<,

c'est le second des deux systèmes

dont il u été parlé plus haut au S <.

JEm~Jdoe/eet ,'h«Mca~o)'c,voir les

opinions d'Empedocte et d'Auaxa-

gore dans la AMfap/jy~xe, livre I,

ch, :) et /t, p. 8&9 et 985, édit. de

Hertin et de la Ge~eroOoM et de la

fnrr~<)o)),)ivrcl,c]).l,p.31~,a,

1~, 15. fu mc~on~c o)t<<'<-)'cur,

j'ai ajouté ce dernier mot. L'o;t

admet <c retour périodique (les cho-

<M,voir le traité de )aCt'ncraOon';<

de la <'orrup<)on,tivrc!,ch.4,p.

3)~,<!dit.deBer)in.C'cst)eSph!B-

rus d'Empédocle, mouvement alter-

natif d'enveloppement et de dévelop-

pement des choses, idée tout in-

dienne. L'autre n'y <!<<nx:t</M'Mt)

tnoMfemen<unique, c'est Anaxagore

qui attribueat'inteXigencc divine le

débrouillement du chaos, voir la

«)~Ay~)'<yMc,livre I, ch. 4, page 985,

a, 18, édit. de Berlin. Les porOe~

similaires, les HomœomMrics <)'A-

nax.tgorc. Voir le traite de la ~cKf-

r<f<t't")e(~e~<'0t')')<~<!0t),)ivr<jl,

c)).l,p.'Hf'31ù,cdi).d('I!t'r)in,Pt

Page 632: La Physique d Aristote

uviΠj, ci), v, f). /)5f!5

traires, tandis que l'autre ne reconnaît pou)' infinisque ce

qu'on appelle les éléments.

Si Anaxagorea comprisde cette façonl'infinité de

l'être, c'est, à ce qu'il semble, parce qu'il se rangeait. sl

l'opinion commune desPhysiciens,que rien ne peut venir

du néant; car c'est parle même motif qu'il soutient que« tout à l'origine était m6l6 et confus, et que « tout

phénomène est un simplechangement, » commed'autres

soutiennent encore qu'il n'y a jamais dans ies choses que

composition et décomposition. 5. Anaxagore s'appuie

de plus sur ce principe que tes contraires naissent les uns

des autres; donc ils existaient antérieurement dans le

sujet; car il faut nécessairementque tout ce qui se pro-

duit vienne de l'être ou du néant et s'il est impossible.

qu'il vienne du néant, axiomesur lequel tous les physi-ciens sont unanimement d'accord, reste cette opinion

qu'ils ont dû accepter, à savoir que de toute nécessitéles

~/<;<~)/<~)f]fMe,loc, )aud. //f!M/)'<'

lie~CMM~xtffeowMCNt/tHt~,c'est Em-

pëdociequi, d'aprèsAristotc,a été le

premier à distinguer les quatre e)e-

uttttts, /t/ef<tpA)/~)~Me,livre J, c)). H~

p. 984, a, 8, édit, de ncr)))).

S ~'o;))/tto'tcommunedesMy-

oOtM. voir la ~~pA'f~ff, livre

Xl, et). 0, paRe<0(i2,t), 25, édit. de

Berlin. Tout ~or!~)'' ~rft'f

m~<:et confus, opinion ()'Af)axagore

<)))icommençaitainsi un de ses ou-

vrages. Voir la ~p/o/.o'~tM. livre

J, cil. &,p. 98A,a, 4. edit. dcJier-

lin, et surtout le commentaire de

Sin)p)ici))Ssur ce p))SM)g<;de la Phy-

.o'~xc. 7'oxf;)/te)<n~)(~)<'M<'«t .o'n)-

p<c c/w~cMOtt, voir le traitt! <tc la

C~MC'r~OcMet <<cla <-or!'M;~)'f' li-

t)'cl,cb.d,{)jtj;e3~,)),t'ttit.

de l3erlin, ~'oMtpo~tOf~'e< (<t;c~Mt-

po~)<)'o~,c'est ttsyst&nxid'Etn p(i(!o-

c)c,)cSpi)aer))!i,<)'oùsort)c)))0))d(',

et le monde <))))rentre dans )eSpt)!c-

rus.

S 5. j4t)n.E<0)'<!.t'~y~MtC</<:p<M.

le texte n'est pas aussi précis, et il ne

nomme pus rormc))emcnt An.'xngnrf!.

/C~ C0t)fr~t'f~ Mt'MOtf /M M)L<

f/Mn<~)'M,voirr)uto)),Wo)),j).

282 et siiiv. tie la tridtictioii de

M. V. Cousin. /< <'c't~<'«t'r<<

M<t).«';t)f~'ëionfft~~t«'t';);<tf<'H<</c~i,

ni)tsiHY~ur:tit(!Hf)')):)i:'n<')''s(!!t'-

Page 633: La Physique d Aristote

LE(;0!\S DE PHYSIQUE.~)56

contraires naissent d'éléments qui existent déjà et sontdans le sujet, mais qui grâce à leur petitesse échappent àtous nos sens. 0. Ils soutenaient donc que tout est danstout, parce qu'ils voyaient que tout peut naître de tout,et ils prétendaient que les chosesne paraissent différenteset ne reçoiventdes noms distincts, que d'après l'élémentqui domine en elles par son importance, au milieu dumélange des parties dont le nombre est infini. Ainsi, ja-mais le tout n'est purement ni blanc, ni noir, ni doux, nichair, ni os; maisc'est l'élément prédominant qui est prispour la nature même de h),chose.

§7. Cependant, si l'infini, en tant qu'infini, ne peutêtre connu, l'infini en nombre et en grandeur étant in-compréhensible dans sa quantité, et l'infini en espècel'étant dans sa qualité, il s'ensuit que du momentque lesprincipes sont infinis en nombre et en espèce, il est im-possible de jamais connaître les combinaisons qu'ilsforment, puisque nous ne croyons connaître un composéque quand noussavons l'espèce et le nombre de ses e)é-ments. §8. Deplus, si une chose dont la partie peut êtred'une grandeur ou d'une petitesse quelconque, doit 6tre

mfuts du noir;'et réciproquement,de même pour tous les autres con-

traires. J~c/fa~exf ci tous Ttcit

.a)orsi) il est impo!isib)c<)c dé-

montrer la réalité de ces éléments.

S 0. Que tout est <<at)t tout, la

conséquence est rigoureuse; maisc'est le ptincipe qui est faux. Voir )a

~'[~/<Mc. livre H), ch. 5, p.~000, a, 20, édit. (icBerfin.

S 7..Si <')))/<))'.objection contre

!a théorie d'Aaa)[a){f)re,Hui, si elle

ctaitc)[acte,detn)ira!t la science de

la nature, attendu que l'infini soit en

t)nn)))rct;t en grandeur, soit ).'nes-

pèce, échappe à l'esprit de t'homme.

LM ;;r!'Mc)pM<faM<U)~t)~, selon

le système d'Anatngore. /.M com-

M~ffttOHt~M'th /'u)'Mf/t<,et par con-

séquent la nature qui se compose des

corps ainsi formes. Anaxagore pré-tendait que tes parties similaires sont

Page 634: La Physique d Aristote

LIVRE CH. V, g 9. 457

eHe-memesusceptible de ces conditions,j'entends ùne deces parties dans lesquelles se divise le tout; et s'il est

possiblequ'un animalon une plante soit d'une dimen-

sion arbitraire en grandeur ou en petitesse, il n'est pasmoins clair qu'aucune de ses parties non plus ne peutêtre d'une grandeur quelconque, puisqu'ators le tout enserait également susceptible. Or, la chair, les os et les

autres matières analogùes sont des parties de l'animât,commeles fruits le sontdes plantes; et il est parfaitementévident qu'il est de toute impossibilité que la chair, l'osou telle a.utre partie aient une grandeur quelconque in-

diiféremment, soit en plus soit en moins.

§ 9. En outre, si toutes les choses, telles qu'elles sont,existent les unes dans les autres et si elles ne peuventjamais naître, ne faisantque se séparer du sujet où ellessont antérieurement, et étant dénomméesd'après ce quidomineen elles, alors tout peut naître de tout indistincte-

ment l'eau provient de la chair, d'où cHese sépare oula chair provient de l'eau indifféremment. Maisalors tout

corps fini est épuise par le corps finiqu'on en retranche,

inGnies en nombre et en eapccc, et

qu'eus sont les plus petites possibles;en d'autres termes, des atomes.

§ 8. ~')~Mp<!t<ede ces C<M)(h't)'OM,c'Mt-it-dire indéfiniment grande ou

petite, comme les pa) tics mêmes quilu composent. ~'ot'c<X~'Kxe ~r<!tt-t~ur quelconque, et par conséquent

Anaxagore a eu tort de dire que les

parties similaires étaient tes pius pe-tites pussibtcs; car les parties in-

tégrantes d'un ~re, quei qu'il

soit, ont uoc dimensioo précise,

puisque l'être lui-même est limitédans son développement,et qu'il ne

peut être ni indéfinimentgrand, ni

indéfinimentpetit.

§ 9. B.Et'fMf<MMUM</«f)~les au-

tres, c'est une des opinions prêtées

plus hautà Anaxagore,§§Aet 5.

Tout corps/!ttt est ~pMM<<,l'exemple

qui suit écfaircit sufEsammcntcette

idéequidansietexten'estpasptuspre-cisequedansn)ittraduction.–(h<'oMcil ft'tnttx'~c,j'ai cru devoirajouterces motsque Justinele contextt'.

Page 635: La Physique d Aristote

LEVONSDE PHYSIQUE./)M

et Fonvoitsans peinequ'il n'est pas possibleque tout soitdans tout; car side l'eauonretiredela chair,etque d'autrechair sorte encore du résidu, par voie de séparation,queiquepetite que soit de plus en plus la chair ainsi tiréede l'eau, elle ne peut jamais, par sa ténuité, dépasserune certaine quantité appréciable.Par conséquent, si ladécompositions'arrête à un degréprécis, c'est que toutn'est pas dans tout, puisqu'il n'y a plus de chair dans cequi reste d'eau et si la décompositionne s'arrête pas, etqu'il y ait séparation perpétuelle,dès lors il y aura dansune grandeur finie des parties finies et égales cntr'eliesqui seront en nombre infini; et c'est là une choseimpos-sible.

§ 10. J'ajoute que, quandon enlèvequelquechosea uncorps quelconque,ce corpsentier devientnécessairementplus petit. Or, la quantité de la chair est limitée soit engrandeursoit en petitesse.Ainsi,évidemment,de la quan-tité la plus petite possiblede la chair, on ne pourra plusséparer aucun corps; car, alors, il serait moindreque laquantité la plus petite possible.§ 11. D'autre part, il y

C'Mt <<!M~tfchoac tMpOM!~e, con-

séquence absurde, qui implique la

fnussett! du priMipe admis par Ana-

Mgorc, que tout Ctitdaos tout.

§ 10. ~'<out< ce nouvel urgu-ment contre Anaxagore est ett quel-

que sorte la contre-partie de celui

qui précède et il n'en difTÈreque

t~s-peu. L'auteur vient de prouver

q~'cn admettant Ja prétendue ana-

)yse des corps sortant les uns des

nntn's, il yn une Hmite nécessaire;

car cette réduction successived'unIl

corps fini doit Pi)neantir;<nai)<te-'):'ntiiprouve que les élémentsin-

tégrantsdes corps ayant élémentune limite, il arrivera nécessaire-ment un point <)ctenuit6d'où t'onne pourraptus rie)) retrancher.–~ot)tt(r<'que la <yMntt<t<'<«~<Mpe-~e poMt~e, ce qui est une hypo-thèsecotttrndictoirc.

SU. ~'ftMfre~Mr~,autre argu-n'nt fontrp la théorie d'At)a]t!)~orc,

Page 636: La Physique d Aristote

UVRE {, CH. V, § 12. /)&n

aurait déjà, dansles corps supposésinfinis,une chair in-

finie,du sang et du cerveauen quantité infinie,éléments

séparés tous les uns des autres, mais qui n'en existent

pas moins cependant, et chacun d'eux serait infini; ce

qui est dénué de toute raison. 2. Prétendreque jamais

la séparationdes éléments ne sera complète,c'est sou-

tenir une idée dont peut-être on ne se rend pas bien

compte,mais qui, au fond, n'en est pas moins juste. En

effet, les qualités affectivesdes choses en sont insépa-rables. Si donc les couleurs et les propriétés des êtres

étaient primitivement mêlées a ces êtres, du moment

qu'on les aura séparées, il y aura quelquequalité, par

exemple,le blancou le salubre, qui ne sera absolument

que salubre ou blanc, et qui ne pourra plus même alors

être l'attribut d'aucun sujet. Maisl'Intelligencesupposée

que tout est dans tout. D'après ce

principe, on arrive a cette consé-

quence que, dans chaque corps ré-

puté infini, il y a une infinité d'autres

corps infinis qui sont cm-memes in-

fi!)ii'.Ce que la raison lie peut com-

prendre.

S 12. (~ue/a!not.< /«~pf<r<!<!ondes

c~Mtexts ne sera Mw~fc, l'expres-

sion est moins précise dans le texte;

mais je suppose (lue ceci fait allusion

à l'intervention de l'intelligence di-

vine ordonnant tes e!ctn<!ntsdu chaos,

comme Anaxagore le pensait. La sé-

paration des choses sera sans terme,

puisque les éléments eux-mêmes sont

infinis. Aristote admet que cette

théorie <i)<rnic; mais!)il croit qu'A-

ni<x!)non' oe t'a par bien comprise,

attendu qu'elle s'appliqueà un tout

autre sujet, c'est-à-direaux quotitésaffectivesdeschoses,qui en effetn'en

sontjamais separa)))es. ~<n'exem-

p<e,<e<tt<: et <e<«<M<'r<)etexte

n'est pas tout fuit aussi précis. Le

hlanc rcpresfntc lescouleurs en gé-ncrat;tesatubre représente les pro-

priétés. Qui ne sera <t~o<MMe)X

queblancet salubre,c'est-à-direquine sera rien, puisqueles qualitésdes

chosesne peuventpas exister indé-

pendamment de ces choses, et que

i'attribut n'a d'existenceque dans

son sujet. L'/M«:«~enM,c'est de

l'intelligencedivinequ'il s'ugit, or-

donnatriceduchaosselonAn~xagorf.

.S'up~otec~orj4;t(!a:~urt',j'ai cru

pouvoir ajouter ces mots. /\tt'ff'

Page 637: La Physique d Aristote

L!<:(;0!SDE PHYSIQUE.MO

par Anaxagoretombedans l'absurde quand elle prétendréaliser des choses impossibles,et quand elle veut, parexemple,séparer les choses,lorsqu'il est de toute impos-s~hté de le faire, soit en quantité soit en qualité, enquantité, parce qu'il n'y a pas de grandeur plus petite;en qualité, parce que les affectionsdes chosesen sont in-séparabies.

§ 13. Enfin, Anaxagoren'expliquepas bien la généra-tion deschoses en la tirant de ses espèces similaires.Enun sens, il est bienvraique la boue se divise en d'autresboues; mais,en un autre sens, eUenes'y divisepas; et sil'on peut dire que les murs viennent de la maison et lamaisondes murs. ce n'est pas du tout de la mêmema-nièrequ'on peut dire que l'air et l'eau sortent et viennentJ "n de l'autre. 1~. II vaudrait mieux admettre desprincipes moins nombreuxet finis,comme l'a faitEm-pedocie.

<7"')/H'yap<u~c~w)<<<-xr~)Mpetite, voir plus haut§ 10. -Parceque les a~ecfM)).!</< c/to.M.tft)MX)'

"~<)'o~/e.<, principe pos6au dtbutttf(;eSmii)))p.

S 13. De ces e~<!ee~.«M)'<«t')-M,

'CtMtcditM;)Jcc~ct))Ot)[))uspftf-f'M, commeplus haut. La boueM~tftM en <<'a<«re~boucs, quand laboueest formée, tes parties dans les-quelleson la divise sont bien encorede la boue! maissi l'on veut rono))-'er à ses éléments primitifs,elle sediviseraen eau et ett terre, efetnentsqui ont servitousdeuxla composer.On peut trouver <ra!~eursque cet'~cmptp de ln boue est assez m.'t

choisi. ~.MM)tr~~!Ct)M<tfde /<f~<!Mon,c'est-à~irc qu'ils sont lesparties du tout que forme h maison.

&'<la MtOM~dca MMM,C'CSM-dire que la muisot)est composÉcpurles murs qui la forment. 11y ndoueentre la maisonet )M}n)urs)cs rap-port!' fie parties et de tout, tandisqu'eux t'nir et l'eau, il y nuraitselon Ana~agorc,rapport de téri-table génération.

§ 14. Cumme;'<!/«t't ~m;)e(<oe~ceci ne veutpasdire d'ailleursqu'A-ristote [tr(!MreEmpédocle à AxajM-gore, pour lequel il a exprimé )aplus haute admiration dans le pre-mier)iyrt: de la Mt'<)~xc, ch. /).

Page 638: La Physique d Aristote

UVRE 1, CH. VI, i. ~()'t

CHAPITRE VI.

Tous lesphysicienss'accordent à regarder les contraires commedesprincipes; Parménide,Demoo'ite. –Lescontraires sonteueffet des principes; démonstration do cette théorie, qui estexacte. Considérationsgénérâtes sur les contraires; concilia-tion desdin'érentssystèmes.Les principessont nécessairementt

contraires entr'eux.

g 1. Tous les Physiciens sans exception, regardent les

contraires comme des principes. C'est l'opinion de ceux quiadmettent l'unité de l'être, quel qu'il soit, et son- immo-

bilité, comme Parménide, qui prend pour ses principes lefroid et le chaud qu'il appelle la terre et le feu. C'est l'o-

pinion de ceux qui admettent le rare et le dense, ou,

comme le dit Démocrite, le plein et le vide, l'un de ces

contraires étant l'être aux yeux de ces philosophes, et

l'autre le non-Être. Enfin, c'est l'opinion de ceux qui

P.9S/),))~7,Cf)it.de!)cr~).Cettc

longue refutntionprouve mêmetout

le casqu'il enfait.C/t. F/, S 7'OM.<les /t~!Ct'C)).<,

~e termegénéralcomprend Ici tous

les philosophesqui se sont occupésde l'étude de la nature, soitde t'H-

cole d'Etee,soitde i'Ëcoted'iooie ot)

des autres écoles.Un peu plus hnut

ce terme avait été entendu dansun

sens. plus testront. Voir p)us)ji)U),

ch. 5, § 1.–6'omMC PftrweHMc, voit-

plus haut,ch. 2, S d, et ~«!p/<y-

siquc, Livre I, ch. 3. Dans ce dernier

passage Aristote ue dit pas uussi net-

tement qu'ici que Parménide a pris

pour principes la terre et le feu. H

lui prête cette opinion en même

temps qu'h plusieurs autres phi~-

sopttes. Comme le dit Democrtfc,

voir la ~/etftp/~)'~Me, Livre Hf,

ch. 5, p. 4000, a, 27, edit.de

Page 639: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE./<62

expliquent les choses par la position, Ja figure, l'ordre,qui ne sont que des variétés de contraires la positionétant, parexempte, en haut, en bas, enavant, enarrièrela figureétant d'avoir des angles, d'être sans angles,d'être droit, circulaire, etc. Ainsi, tout le monde s'ac-corde, de façon ou d'autre, à reconnaîtreles contrairespour principes.

S 2. C'estd'ailleurs avec toute raison; car les principesne doiventni venir les uns des autres réciproquement nivenir d'autres choses;et il faut, au contraire, que tout lereste viennedes principes. Or, ce sont là précisément lesconditionsque présentent les contraires primitifs. Ainsi,en tant queprimitifs, ils ne dérivent pasd'autres choses;et, en tantque contraires, ils ne dériventpas les uns desautres. Maisil faut voir, en approfondissantencore cettethéorie, commentles chosesse passent.

§ 3. I! fautposer d'abord cet axiomeque, parmi toutesles choses,il n'y en a pas une qui puisse naturellementfaire ou souffrirau hasard telle ou telle action de la partde la premièrechose venue. Une chose quelconque ne

BcrHn. V'~r ~o~Oon, /Mreet ~'or</rc. voir la

Métaphysique,

LivrGt.ch.<.p.985,b,<!dit.de Berlin, où Aristote ne nomme pasnon plus les philosophes aoxquets ilattribue cette opinion.

SS.~e.t'ttCt'~M nc~omMtf,voir les ~ertoc~ /)!)<!<t/<)'~Me.t,Livre

ch. 2, § S, j). 9, de ma trodnetbn.~V! t:~t)'r ~'axfrM choses, car

i'torscene'.er!)i[p)u'i{n-r:)!<)ire(!es

principes. /,f;t eo))fr<t)'M prt'Mt-c\.st-(.f)!rt; pris le plus !))t))t

possibiedans la sériedes choses lefroid et :e chaud, le sec et !')nunide.

Voirp)ustoin,§H.§ 3. Cet f<a;M~e,absolumentop-

posé à celui d'Aoaxagore que toutest dans tout. ~ri.stoteëtttNitancontraire que chaquechnse a sa na.turc propre, et qu'clle ne peut indif-féremmentagir sur tc~eautrn chose,ni soum-ir de cette autre choseune

actiooqoetcnnftue.Lanntureadcslois specinim pour chaque choseq')'e)!cproduit.

Page 640: La Physique d Aristote

LIVREI, CH. Vt. 5.

peut pas venir d'une autre chose quelconque, a moins

qu'on n'entendeque cene soit d'une manière purement

accidentelle. A. Comment,par exemple,le blanc sorti-

rait-il du musicien,à moins que le musicien ne soit un

simple accidentdu blancou du noir?Maisle blanc vient

du non-blanc, et nonpas du non-blanc en général, mais

du noir et des couleursintermédiaires.De mêmele musi-

cien vient du non-musicien,maisnon pas du non-musi-

cien en général, mais il vient de ce qui n'a pas cultivé

la musiqueou de tel autre terme intermédiaireanalogue.

§ 5. D'autre part, une chose quelconque ne se perd pas

davantage dans une chosequelconque.Ainsi, le blanc ne

se perd pas dans lemusicien,à moinsque ce ne soit en-

core en tant que simpleaccident; maisil se perd dans le

non-blanc, et non point dans un non-blanc quelconque,mais dans le noir, ou telle autre nuance de couleurin-

termédiaire. Tout de mêmele musiciense perd dans le

non-musicien;et non point dans un non-musicienquel-

§ 4. Commentic blanc Mrft'rftX-)'~

du musicicn, l'exemple pouvaitêtre

mieux choisiet plus clair. Les com-

mentateurs01ontprisunautreetavec

raison. L'aimant agit sur le ferqu'il

attire il n'agit pas sur le bois; et ré-

ciproquement, le fer subit l'innuence

de l'aimant; mais le bois n'en res-

sent aucune action.Ainsi tout n'agit

pas sur tout de )a mêmemanière.

Afat~du Mot)'et (fMMM<eMMinter-

médiaires, parce qu'il faut que les

contraires soientdanste mêmegenre;et ici le genreest celui de la couleur

et dans la catt''f;oriede t.!qualité.

§ S. t/'tCchose quelconqueHCse

p<:rd;)Mdauanf<e,ce§cst)acontrc-

partie de celui qui précède. Aprèsavoir considérécomment les choses

passentdu non-Ëtreàt'Ctrc, l'auteur

examineici comment, au contraire,

elles passentde t'être au non-ttre.

Le 6<o))et)ese perd pas dans le mu-

s«:!C)t,mêmes exemples que plushaut. Le blanc ne peut pas ptus sor-

tir de son genre pour disparattre,

qu'il n'ensortait pour devenirblanc.

Ma)'~<<<!M.le ))0)'r,qui est nuMi

dans legenrede la cou)eur et non

(innsnn :n)t)'cgenre.

Page 641: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.~)A

conque, mais dans ce qui n'a pas cultivé la musique, oudans tel autre terme intermédiaire.

§6. Cet axiomes'applique égalementà tout le reste, etles termes qui ne sont plus simples,mais composés,ysont pareillementsoumis. Mais,engénéral, onnetientpascompte de tous cesrapports, parce que les propriétésop-posées des chosesn'ont pas reçudans le langagededéno-minationspéciale. § 7. Car il faut nécessairementque cequi est organiséharmonieusementviennede ce qui n'estpas organisé, et que ce qui n'est pas organisé vienne dece qui l'est. JI faut, en outre, que l'organisé périsse dans1 ~organisé,et nonpoint dansuninorganiséquelconque;mais dans l'inorganisé opposé.§ 8. Peu importe qu'onparle ici d'organisation, ou d'ordre, ou de combinaisondes choses. Hvidemmentcelarevient toujoursau mêmeAinsi, la maison,pour prendre cet exemple, ou la statueou telle autre chose,se produisentabsolumentde même,La maisonvient de la combinaisonde telles matières quin'étaient pas antérieurementréuniesde telle façon, maisqui étaient séparées.La statue, ou tout autre chose figu-rée, vient de ce qui était antérieurementsans ngure. Et,de fait, chacune de ces choses n'est qu'un certain ordreou une certaine combinaisonrégulière.

S 6. L~ OfrM qui M MHt~M om-

~M, comme ceux qu'on vient de ci-ter Mosicicn, blanc, noir. ~,M'-oMpo~~ de parties di~tses. comme!c prouvent )cs exemptes cites plus))!).

<!7. Ce qui Mt nt'~MMc, le motdu texte signifie peut-être aujisi

J'ai préfère t'être mot,

qu'est ptusctair et pins fnmDicr.–

~f<ot«~,voirp!u'.i)f)ut)("S P. Çu'o/t parle ici' ~'o~<tt)Ma-

tion, ou d'harmonie. Ou d'ordrc,relativementIl des chosesqui se suc-ecdcnt uvecune certaine )-6);u)a)'itÉ.–/<H<c')')<'Mr<'n!en<otner('eM)-<

j'ai ajouté deux fois ne mntpour ptusde ctarU;.

Page 642: La Physique d Aristote

HVRE (;H. V!, § /~5

§ 9. Si donccette théorieest vraie, tout ce qni vient à

naître na!t des contraires; tout ce qui vient a se détruirese résout en se détruisantdans ses contrairesou dans les

intermédiaires.Lesintermédiaireseux-'memesne viennent

que des contraires; et, par exemple,les codeurs viennent

du blanc et du noir. Par conséquent, toutes les choses

qui se produisentdans la nature, ou sontdes contraires,on viennentde contraires.

§ 10. C'est jusqu'à ce point que sont arrivés commenous la plupart des autres philosophes,ainsi que nous

venonsde le dire. Tous,sans peut-êtreen avoir d'ailleurs

logiquementbien le droit, appellent dunomdecontraires

les éléments, et ce qu'ils qualifient de principes; et l'ondirait que c'est la véritéelle-mêmequi les y force. § 4'

seule différenceentr'eux, c'est que les uns admettent

pour principes des termes antérieurs, et les antres destermes postérieurs; ceux-ci, des idéesplus notoires pourla raison, ceux-là,des idées plus notoirespour la sensi-

bilité pour les uns c'est le froid et le chaud; pour les

antres le sec et l'humide; pour d'autres encore le pair et

l'impair; pour d'autres enfin l'amour et la. haine, qui

§ 9. To!(( cequi t~'cotà )tatf)'<et

par constituent n'est pasprincipe.LMcouleur, ot'eoHoxdu 6~<tcet ~M

'tOf, cette théorie qui peut parattre

étrangeau premiercoupd'c6i!,aptosde véritéqu'il ne semble.La réunionde toutes lescouleursdu spectreso-

tairGcomposela lumière blanche;et

l'absorption de toutes ces couleurs

compose le noir. Ainsi,ta tradition

<)uesuit Aristote ne se trompepas,et l'on peut dire a littettreque toutes

les couleursvicnnetïtdu hlanc et duii

noir, e<tce sens qu'elles so~t cotn-

priscs entre cesdeux Ottrfmcs.

§ 10. ~um que t)OM~fenon<de le

<(!rc,p)us))aut,St.§ H. /)Mtermes anto'teMM. <<e.<

<ermMpot<ertcM~,se!ot)que l'ou re-

monteplus nu tnoioshaut duns)a sé-

rie des choses. ~oMt*<«t'fttooM.

pnur /<! MMt'tt/t'te,voir plus hxt)t,

cb.4,§2,dGsth6n)'k'si)ssezana-

tni!uesi)M'HM-ci.

30

Page 643: La Physique d Aristote

LEVONSDE PHYS!QUE./<6()

sont les causes de toute génération. Maistous ces sys-tèmes ne digèrententr'eux que commeje viensde l'indi-

quer. § 12.J'en conclus(luetous en nn sens s'accordent,et qu'en uu sens tous secontredisent. Ils se contredisentsur les pointsoù le voitde reste tout le monde; mais ilss'accordentpar les rapports d'analogiequ'ils soutiennententr'eux. Ainsi tous s'adressent à une seule et mêmesérie; et, toute la différence,c'est que parmi les con-traires qu'ils adoptent, les uns enveloppent et que lesautres sontenveloppes.C'est doncà ce point de vue queces philosophess'exprimentdemêmeet qu'ils s'exprimentdin'éremment.,les uns mieux,les autres moinsbien,ceux-ci, je le répète, prenant des notions plus claires pour iaraison, ceux-làdes notions plus clairespour la sensibi-lité. Ainsi, l'universelest bien plus notoire pour la rai-son c'est, l'individuelqui l'est davantagepour les sens,

S 2. th<le voit de )'Mte<t)t«<(:

Mo"~e,)e vulgaire sait aussi bien

que les savantsque le froid est )econtraire du chaud,et que prendreces deux enutraircspou)'principes,c'est tout di<)6rcotque de prendre le

M'cet)'))))mide,oui'amourpthhaine. /~fr les rapport <i'<Ma<o-

gie, pa rceque lesecet t'homidesontdans leur sériede))contraires tout tfait an:))nj;uest)u froid et au chauddans la leur, uupair et à l'impair, ouà t'amour et h haine. A Mxeseule et tHt'mex'rte, )c froid et le

chaud sont dans )n même strie de

contraires t'atnour et la haine, de

même, etc. A'ftoute ~(<t'~eret)c<Jle texte n'est pasaussi précis. Ett-

"c/o~cttf, quand ils sont plus géné-raux. LM~Mtre~~oofotfc~op~,quand ils le sont moins. Je le <-<

~e. c'est en effetce qui vientd'êtredit, quetqumlignesplus ht)))!,S 1~.

L'MMt'MMC~est tt'ett ;)<M~!)0f0t't'<;~OKr~rat.too.ceci semblecontre-dire ce qui u etë exposép)))shaut audébut du traité, ch. 1, SSet 5maisil faut distinguerentru i'univer-

sel, qui est en effetptusctair pour h

raison, et le tout qui est ptus clair

pou)-la sensibilité.Co tout est d'a-bordpour la sensationqui le révèleunesorte d'universel mais il se par.ticularisede plus fn p)us, Il mesure

que l'esprit l'analyseen l'examinant.An contraire, If- véritable universel

Page 644: La Physique d Aristote

L!~RH l, (.H. VII, S S. A67

puisque la sensationn'est jamais que partic~iere. Par

exemple,le grand et le petit s'adressent a la raison; le

rare et le denses'adressent a la sensibilité.

g d3. En résumé, on voitclairementque lesprincipesdoiventnécessairementêtre des contraires.

CHAPITRE VII.

nn nombre dos principes les principessont finis suivantEmpé-

<)oc!e;et infinis,suivant Anaxagore. Htt'y a.pas uti principe

unique; et les principes ne sont pas infinis. Le système le

pius vrai peut-être, c'est d'admettre trois principes l'unité,

l'excès et le défaut; ancienneté de ce système; recherche de

retement primordial,

§ 1. Pour faire suite à ce qui précède, on peut recher-

cher si les principes de l'être sont au nombre de deux, de

trois ou davantage. § 2. D'abord, il est impossible qu'il

n'y en ait qu'un seul, puisque les contraires sont tou-

jours plus d'un. § 3. Mais il est impossible, d'autre part,

devient d'autant plus clair pour la

raison, qu'il segenératisedavantage.

-Le grandet le petit ft'~f'Mxetttd<<!

ro'Mtt, parce quec'est la raison qui

compare les deux objets et tire de

cette comparaisonles notionsgéné-riiiesde grandeur et de petitesse.Le rare et le ~MM,)iaurait peul-

ct)e mieux valu dire Le~'oM et le

cA<!<

t'A. ~/7, S 1. prilicipes f<c

Mtr<,)etMt<! dit simplement:Les

principes;mais la suite prouvebien

qu'il s'agit ici<)psprincipes<ie)'ctre

en général, end'autres termes, des

principesde tout ce quiest.

§3.M<~Me<M<:0«fM)rMfOn(

<OM;'our.Mt~'x)t,etqu'iiaët6

prouve dat)!) le chapitre précèdent

que les contraire~sont lesprincipesdes choses, dans tous les ~stemcssan'itiistinction.

Page 645: La Physique d Aristote

LHÇO~S DËPHYSfQUK./)68

qu'ils soient en nombre infini; car. ~uors, l'être seraitinaccessiblea la science.§ Et, dans tout genre qui est

il n'y a qu'uneseule oppositionpar contraires; or lasubstance est un genre qui est un. § 5. Maisles chosespeuvent bien venir aussi de principes finis et, si l'on encroit Empédocle,il vaut mieux qu'elles viennentde prin-cipes finis quede principes infinis; car il croit pouvoirexpliquer par des principes finis tout ce qu'Anaxagore<~phque avec ses infinis. ~6. II y a en outre des cou-traires qui sont antérieursà d'autres contraires et il y ena qui viennentde contrairesdifTerents ainsi, le doux etl'amer, le blanc et le noir. Mais,quant aux principes,ilsfotvent toujours rester immuables.

§ 7. Je tire de tout ceci la conclusion,d'une part, qu'iln'y a pas un principe unique des choses, et, d'autrepart, que les principesne sont pas en nombre infini

S3.6'<!),~o~,<eM)-ftf«ttac-

''eM'M'<«~MM, c'est un desprincipauxargumentsquiontété op.l'oses an sy.'tcme d'Anaxaj?oresur''infinité des principes; voir plushaut, d). 5, §7.

S A.t/"CseuleO~OttOoo;Mt. cott-

'Mn~,Mt)cseu)ecot)tra<ti~io)),parexempte,la substanceet ce ().)!n'estpa substance.

S Si ~OMeM croit ~))~oe~,

voirp)usbaut,ch.5,<ùAris-tote donnela préférenceauxthéoriesd'Empcdocfesur cellesd'Anaxagore.

S 6. Il y <tenoutre (~Mcontraires,cette pensée ne se liepas très-bienàcellesqui précèdentet qui suivent,on plutôt elle n'es) pa;, f,MMdé~e.

loppée. Haëtëëtab)) dansle chapi-tre précédent(lue les principe!-sontdes contraires; on pourrait en con-c)ure réciproquement que tous lescontraires sont des priucipes. Aris-tote va au-devantde cette hypothèseerronée, endistinguantdesconttitircaqui sont antérieurs les uns auxau-tres. Par conséquent,ityadcs con-traires qui ne sont pasdes principes.

/<tM.<!le <foM.Cci /'f)Hter,le ~<!))Cet <<:oon., ces exemptes ne répon-'!ent qu'à ia dernière partie de lapensée précédente. Ce sont là descontraires qui viennentde contrairesdifférents; l'amer vient dn doux,comme )e noir vient du blanc eti'tt1l'inverse. RMfer t'mwx«~/M,r<'s-

Page 646: La Physique d Aristote

UVRE, I, CH. VU, ~9. /)Ô9

S 8. Du moment que les principes sont limités, il y a

quelque raison de supposer qu'ils ne peuvent pas êtreseulement deux; car alors on pourrait également se de-

mander, ou comment la densité peut jamais faire quelquechosede la rareté, on à l'inverse comment la rareté pro-duirait jamais la moindre action sur la densité et demême pour tonte autre opposition par contraires. Par

exemple, l'Amour ne peut pas se concilier la Haine, ni entirer (moi que ce soit, pas plus que la Haine ne peut rieniaire de l'Amour. Mais tous les deux agissent sur un troi-sième terme qui est din'ërent de l'un et de l'autre; etvoilà pourquoi certains phDosopLesont imaginé plus dedeux principes pour expliquer le système entier deschoses.

g 9. Uneautre diniculté qu'on rencontrerait si l'on re-fusait d'admettre qu'il y a une nature dinerente servantde support aux contraires, c'est que,commel'observationnous iedémontre, les contrairesne sont jamaisla substancede rien. Or, le principe ne peut pas du tout être l'attributde quoi que ce soit; car alors il y aurait un principe du

ter ce qu'ils sont comme principes,

ctparconseqne!)t)'t)nnepeutjamuisGtreanMrieur~t'outre, puisqu'alors*e secondne serait plus un principevéritable.

S S. 0/<~ot(rro« ~d<ewe«<se de-

Mot~er,ih)'cstpMpo'tsib)t; qu'un'!cs contruiresnaissesur j'aottc con-'n)irt',f)moi!)s qu'on ne supposeun sujet suhstantie)dans lequel se)Mssele changement(runcootrait-cùilfuuhe. .S'urt«) «ttux'wc terme,

la substance, où u lieu le chu))){eu)et)tdu contraire dans le contraire op-

posé. C~rtnt';t< p/o'/oitop/fM,comme

Empédocle qui u le premiel' admis

quatre éléments,

§ 9. ~'erfa<)<de M;);wt f<M.r<'M't-

<ra)rM, j'ai rendu par cette puri-

phrase la force de l'expression grec-

qne. ~.e y))')')t<'('~cxe peut ~<ti!f/M

<0t<f«re <'««rt'&Mt(le quoi que M

suit, ceci contredit la théorie posée

plus hitut, que les principes sotttfks

Page 647: La Physique d Aristote

/t70 LEÇONSDE PHYSIQUE.

principe, puisque le sujet est principe, et qu'il est anté-

rieur à ce qui lui est attribue. § 10. De plus, nous soute-

nons que la substance ne petit être contraire à la subs-

tance et, alors, comment la substance pourrait-ellevenir de ce qui n'est pas substance? Et comment ce quin'est pas substance serait-il antérieur à la substance

même? g li. Il résulte de ceci que si l'on admet à la fois

l'exactitude de notre premier ra-isonneutontet l'exactitude

de celui-ci, il faut nécessairement, pour sauver la vérité

des deux, admettre nn troisième terme outre les deux

contraires. 12. C'est dn reste ce que font les philo-

sophes qui constituent l'univers avec une nature et un

élément uniques, prenant l'eau ou le feu, ou un élément

intermédiaire. § i3. Maisil nous sembleque c'est plutôtà cet intermédiaire qu'il faudrait prêter ce rôle, puisque

contraires. t.< jH/et<tf ~rMCt'M,la substance, en effet,est le principeet le support de tout le reste! les at-attributs n'existent pas Mnseite; et,

par conséquent, ellelesprécède,bie~

qu'il n'y ait pas dcauhstftneesansnt-tributs. /4)t<ct')'eMr(fte ~Mjlui est

attribué, voir les C~e~crtM, ch. 5,S5, p. (i2 de ma traduction.

S 10. De p~utMOM<Ot<fenoHt,voir

tes e'~t~jyort'ft,ch. 5, S 48, p. 68 detna tmductifx). LeMractftrRéminent

qn'Aristoteclonneà la catégoriede la

substance, c'est de ne pouvoir êtrecontraire à lasubstance,c'cst-A-direùil

ctic-memc,tandisque, daus tomestesautres catégories,il peut y avoir op-positiondes contraires.Ainsi,dans la

quantité, le grand est !('cnntrttiredu

pettt;dan6 la quotité, feeuamt est le

contrairedu froid, etc.

<{ K. L'Mat'n'O~ Je )tu<~ p~'f-

mier rot'tOMMCTXcut,Asavoir que tes

principes sont tics contraires. Voir !f

ch. 6 tout tnticr. Et <'e.Enc<n«<e

de celui-ci, Asavoir que les principes

ne peuvent pas Ctfe des attributs et

les contraires «'étant clue des attri-

buts, il faut supposer un troisiOoe

terme outre les contraires.- Un <o<-

ix't.te <<;nH~qui est ).<substance.

S 42. <4uettwe nature et M))<7<

meM<Mttt'fjfMf),j'aiajouté ces mots: &'f

MMe'MmcM<,que justifie la suite du

texte et qui rendent la pensée plus

claire. ~'r<t'o~< ~'eoMou <<'/'<'M,

voir la ~e~/o/~M, livre ), c)).

p.!)8/u.(),edit.deB('riin.

Page 648: La Physique d Aristote

UVt:E CH.Vt),~ !(;. /)7~1

le feu, la terre, l'air et l'eau sont.toujours, entremêlés (te

quelques contraires. Aussi,on peut ne pas trouver dcrai-

sonnables ceux qui pensent que le sujet est encore quct-

qu'autre choseque les éléments; puis, viennent ceux qui

prennent l'air pour premier principe; car l'air est celui de

tous les éléments dont les diH'érencessont le moins sen-

sibles puis, enfin, ceux qui prennent l'eau pour principede tout. 1&.Mais tous ces philosophes s'accordent à

transformer leur principe unique par descontraires, telles

que la rareté, la densité; le plus, le moins; et, comme

nous le faisionsremarquer un peu plus haut, ce n'est la,

eu résumé, qu'excès ou défaut, g 15. ("est, du reste, je

crois, une opinion fort ancienne que de trouver dans

l'excès ou le défaut tous les principes des choses. Seule-

ment, tout le monde n'entend pas ceci de la même ma-

nière car les anciens prétendaient que ce sont les deux

derniers qui agissent et que c'est l'unité qui soun're,

tandis que quelques-uns des philosophes postérieursavancent au contraire, que c'est bien plutôt l'unité qui

agit, et que les deux autres ne font que souffrir soi

action.

~')0. Ce sont ces arguments-là et des arguments ana-

logues qui donneraient à penser, non sans raison, que les

j{da.L<u;'<'<,c'tst)e mut du

texte; peut-être celui de substance

serait-)) préféral)le. L'air ~ottr

prem<crprt<t<:)~e,c'est Ana~im~tte et

Diogtne d'Apollonie, d'après la

ta~yft'~xc, livre I, c)). 3, p. 08~, o,

5, édit, de Berlin. Qui pr<:ttt)M<

<'M)(,c'estThn)t'n,i<).ibid.,p.M3,

!20.

§ -t~. CuHtMtC)<[)Mtle /«t.<MHS)'<

M<)«;rK)tpeK~tM/<ft)<f,voire)).

5, Sketch. (),§<.

S4!Jaf).<<'u)tt<<i)i(tividu,tti

snbstancH qui M certaines qu~itts.

ta)ttôLp!))s et t:<t)t0t. moins.–7.<i

nttct'c))~<<< ;)/<t<Mop/<e.<;m.t<

r)'eMr.<t'aj))ca.Sin)))!ie)us ~A~

ciet)ssct'i)ic))t!eiit~yHt!)go)'icict)s,ct

Page 649: La Physique d Aristote

LEÇONS J)K PHYSIQUE.~72

élémentssont a)t nombrede trois, commenous venonsdeJedire. §17. Maison ne peut aller jusqu'à soutenir qu'ilssont plus de trois. Car, d'abord, l'unité suffit à souffrirles contraires,g't8. Puis, si l'on admet qu'ils sont quatre,il y aura dés lors deux oppositions par contraires, et il

faudra, en outre, pour chacune d'elles séparément uneautre nature intermédia.ire.Or, s'ils peuvent, en étant

simplement deux, s'engendrer l'un par l'autre, i!ya,par conséquent,l'une des deux oppositionsqui devient

parfaitementinuti)e. g 19. Enfin, il est égalementimpos-sible-qu'ily ait plus d'une seule oppositionprimordialepar contraires; car la substanceétant un genreuniquede

l'être, les principes ne peuvent différer entr'eux qu'entant que les uns sont postérieurset les autres antérieurs.Maisils nedin'érentplus en genre, un genre ne pouvant

les P))!ioso))hc9postérieurs seraicNt

repr<~t:t)t<ispar Platon, Voir plus''aut,dt.3.S~.

S-t(). C«wm<'nous oc;tfM.')de le'e, voir p)ushaut, ~S.

S i7. Cff!'~'n&0t'(<i'HnXe.tM~ff,preMit-rcobjectioncontre la théone')"i admet plus de trois principesdes choses. L'unité, substance,suOitA recevoirles contraires; et dumomott qu'c))c suflit, il n'est quefaire de chfrc))crau-<)et~;car c'estu" principerondamenttt)de lu pttitn.

sot)!)ied'ArisK)te,()uerie))ned<j)tCtrerait et)Mi~ et qu'il ne faot p!!smultiplier les6!res sansnecptsite.

}i Une MMtreM<!(Mrct'ttf<!t)MC-'/t<!t't'e.,()'cst-il-dire une substance

snsMptihte des deux contraires,epr(t!tvnn! trs chan)?M)ettts<)t)':is

forn)t;m, et ne chanReunt pas elle.

n)u)nc.Hyat)t'))dps)or!i<)cmsut)-

st)t))ces et (tontrc contrtires, se dh'i-

Mnt en une substance :)Yecdeux con-

trait'f". de chaque côte. On revient

ainoan système des trois principes.E~ <'<<tM<simplement deux, ces

)t)f)tsquf donne l'éflition de BerJir)

(l'après quelques manuscrits sont in-

dispensables, bien qu'ils manquont<)ans<)Uf;)qucsautres manucrits.

S 10. Prt'wor~/e, il faut admet-

trc cette restriction car les opposi-tinns secondaires sont nombreuses

dans chaque genre, On doit entendre

par opposition primordiate )u contra-

diction ):) plus générale de toutes

i Une chose est ou n'est pi)!! te))e

chose. ~M )<)).<~UH<pOaft't')'<:M!'Jcf 0!</)'M <)<<<rt'<:Mr.voir plus

Page 650: La Physique d Aristote

HV1ΠI, CH. VU!, g 1. /,7:~

jamaiscontenirqu'une seuleopposition,et toutes les op-

positious pouvant,en définitive, être t'amenées à une

seule.

g 20. Ainsi,évidemment,il ne se peut pas qu'H n'y ait

qu'un élémentunique; il ne se peut pas non plus qu'il yen ait plus de deux ou trois. Où est ici le vrai? C'est ce

qu'il est trës-diûicilede savoir, ainsi queje l'ai dit.

CHAPITRE VIII.

Méthodeà suivre dans cette recherche. Théorie générale de la

générationdes choses la substance et la forme; la substancedemeure et ne change point; la forme, au contraire, changesans cesse; rapports de la substance et de la forme. Les

principes sont au nombre de trois le sujet, la privation et laforme; ou ils ne sont que deux, si l'on réunit le sujet etj ):t

privation. Dela matière première do t'être; idée qu'on doits'en faire, –ftésumé.

§ 1. La méthode que nous comptons suivre sera de

traiter d'abord de la génération des choses dans tonte son

étendue; car il est conforme à l'ordre naturel d'expliquer

haut, §6. ~M'uMCMM/coppOit)'-<t'M,toutes ces théoriesauraient eubesoind'Ctreéclairciespar desexem-

ptes.

S20. ~t~)' queje l'ai dit, voir

plushaut, §1, .mdébut du chapitre,ou itaditxon pas précisémentqueMttc rec!tcrchc M) d)(Et;it<tnais

<)u'c))e<)evuit faire suite aux prÉcti-

dexte'

C/t. § 1. e« roM/orwc n

~t'drc H<!tt<M<,voir ptus haut, ch.

1,S2,oùtam6t))0()eqn'on)Pt;ur-

dniteotn me la plus naturelle n'est

pas tout ~fnitcdie qu'on :)p))tif)))t'

ici. Lu Généralion ;les choses nt'thnt

Page 651: La Physique d Aristote

LEVONSDE PHYSIQUE./<7/fli

en premier lieu les conditionscommunes,pour arriverensuite à étudierles propriétés particulières. § 2. Quandnousdisons qu'une chosevientd'une autre chose,et quetelle chose devient différentede ce qu'elle était, nouspouvons employerou des termessimples ou des termescomposés.Or,voicice quej'entendspar là quandje veuxexprimer, par exemple, qu'un homme devient musicien,je puis dire ou que le non-musiciendevientmusicien,ouqu'un hommequi n'est pas musicien devient un hommemusicien.J'appelle terme simplece qui devient quelquechose, soit ici t'homme, soit le non-musicien;et ce qu'ildevientest égalementun termesimple,à savoirmusicien.Au contraire le terme s'appelle composé quand onexprimeà la foiset le sujet quidevientquelque chose etce qu'il devient par exemple,quandon dit que l'hommenou-musicieudevienthommemusicien,g 3. Deces deuxexpressions, l'une signifie non-seutementqu'une chose

t's s'entendre ici dm.s le sens de

C)-e:)tiox,et)asuitcet)aircit(iu!)s

q"e))esiimit('s restreinte!) iifautcom-

prcn()rc cette expression.

S 2. t'f ~ffe (6</ec/fo~c<~f!'et)(<h'/<'rc<x'e,)e texte Mrecn'est pas to))t&àfuit anMi cinir mais les déyetopne-t)Cf)ts qui suivent m'ont uutori'!É&Il

p'eci'iGrdavat)ta);t.!)esi<!ces,c))tr!)-<i"'M))t comme je j'ai ra!t.M

<crme.t~'mp~M ou tfM tM-me~ coM-

y~c.t-M,il semb)erait donc qu'i) s'agitici surtout de (H.itinctmnsverbates.

~M'MM~ftMnte <<exx;t)(mM)f-)<;o,

'es)crmMsontsi<))p!es,!)oitpourtesujet Homme, soit ))nu) l'attribut

Musicien.–(),())/)(),)tMr~f,(..s)

pas MMtcMM,etc., les termes sont

complexesdansle sujetet dans i'at-tribut. Cettedistinctionest vraiecpf-

tainmnentjmaisonnevoitpashiejtAquoi e~e sert pour art'ivt.'r&con-c)ure <)ue<-da))!ifoute c!)ose quichange,il y a une partiequi sobsistc,et que cette partie c'est t'essencetneme de la chose, ce qui la raitc<-

(tu'c))cest.t<!c~'<<f<<:t)t'et,f,c'est-à-diresonattribut.

S 3. De ces <<CM.ccaJprcMt'o~t,lanuance indiquéedausce§ est exacte;'nttisf'Hepeut sembler assezsubtile.

()u'M))<'c/)OM<ïef';<:)ttfelle c/~M,comme le disent i('ssehntt)stir)))M,t''tcrn)t'csta)n)-ë))('t)('Gau<s

Page 652: La Physique d Aristote

LiViŒ L CH. VU!, § 5. '")

devient telle chose,mais encorequ'elle provient de telle

situationantérieure; et, ainsi, un homme devient musi-

cien de non-musicienqu'il était auparavant. Mais l'autre

expressionne se prend pas universellement; car ellene

veut pas dire que d'homme l'être est devenu musicien

mais elle dit seulementquel'hommeest devenumusicien.

§ 4. Dansles chosesqui se produisent ainsi, au sens où

nous entendonsque des termes simples peuvent devenir

quelquechose, il y a une partie qui subsiste en devenant

quelque chose, et une autre qui ne subsiste pas. Ainsi,

l'hommeen devenantmusiciensubsisteen tant qu'homme,

et ilesthomme; maisle non-musicien,ou ce qui n'est pas

musicien,ne subsistepoint, que ce terme d'ailleurs soit

simpleou complexe.

§ 5. Ceciune foisétabli, on peut, dans tous les cas de

génération;observer,pour peu qu'on y regarde, qu'il faut

direct, et i'onditsioptementau no-

mmatifii.'hommf! devient musicien.

<tfnMfNCOt'equ'elle proffent de

<<;«<:<tt)««t'M<!)f<cr)'<:ur<ct, par

''xpmpte, nn (lirait I)e non-musicien

t'txonmc devient musicien: c'est

alors le cas oblique et <tbn plus le

non)h)atif.

§ &. Dans les choses qui ~e pt'o-

<<«Met)t<))))<ou plus exactement.

D<M.! CM M<!<)«'re.<d'e.Kpctwcr <M

t'AoifM ~K) le pru~ut'.tCMf. Des

<ern)<:<~t'n~Mt, dans <C!iterutMCtxn-

plexes, au contraire, toutdispara!tct

rien ne subsiste. Lf non-musicien

périt tout entier en devenant musi-

cieo; mais t'itomme subsiste et de-

tneureentnot que sujet, pour )'Me-

voir tous les attributs qui indiquent

le changement. ~eMn<~t'

quelquc c/t0t< j'ui ajoutt ces mots,

qui ressnrtent d'ailleurs du contexte.

Quc ce ferMKi <u'< ~'HtKext's

simple 0)t <'tWt;)<M:e,e'cst-a-dirc (ft!e

)'on dise Lenon-tnusicien,ouhien:

L'homme non-musicien. Dans ce

dernier eus, en effet, comme dans

l'autre, l'homme ttou-musicicn périt

tout entier en devenant musicien,

quoique t'hommetui-mtme subsiste

mais l'homme en tant que nM-musi-

cien a disparu, tout aussi bien que

le non-musicien a disparu devant le

musicien.

j{5. 6'CCfMHt:/f)'i établi, C(~)ct))-

sion tiréMde ce qui pr~'cf'de.– ~f"<

Page 653: La Physique d Aristote

~7() LEÇONSDE PHYSIQUE,

toujours, ainsi que nous venonsde le dire, qu'il yait unecertainepartie qui subsisteet demeure pour supporterlereste. ~6. Cequi subsiste, bienqu'il soit toujoursunsouslerapport du nombre,ne l'est pas toujours dansla forme;et, par la forme,j'entends aussila définitionqui remplacele sujet. L'un subsiste, tandis que l'autre ne subsistepas.Cequi subsiste, c'est ce qui n'est pas susceptibled'oppo-sition,et l'hommesubsiste de cette manière; mais le mu-sicienet le non-musicienne subsistent pas ainsi, pas plusque ne subsiste le composésorti de la combinaisondesdeux termes je veux dire l'homme non-musicien. 7.Ma.scetteexpressionqu'une cnosesortant de tel état, de-vient ou ne devient pas telle autre, s'appliqueplus parti-

'OM~les c«.<de yexet'aOOM, uu sensoù 0)) vient de f'exptiquer plus haut.

A'< </<-nMMt'cpour tM;~or<<:r <<:

l'estc, la force de l'expression grec-que m'n puru exigo' cette para-phrase.

S '). ~M .<otMlc rapport du ;)um-

<e, c'est une des propriétés de la

substance voirles C'at~ort'M, ch. 5,S' p. 15 de ma traduction.~"a la /bt'Me, ou dans l'espirce.Ainsi, au lieu de dire qu'un hommedevient musicien, ou (iin) que c'est'L' non-tnuiiicien. Dans ce cas, non-musicio) remplace homme et )aforme ou l'espce est dimirente, bien

qu'an fond Je sujet n'ait pas change.

f/e/MXt'oM,ou l'ezplicntion.

~M)remp/aec le .<e~, j'ai ajouta cesmots qui cotnptetent et <ctoircisso)t)''dce. ~):~j AontMc ooH-MtM)-

ut) de ces tennM se prend in-

différemmentpour l'autre, dans tesexemplesqu'on vientde citer, quoi-qu'ils ne soient pasabsolumentiden-ttques. C'M<cc qui n'ej< pn.);!M<-MpOMe(/'o~o~)tto;t,en d'autres ter-mes,)a substance,le sujet. Voir les<~<~on'M,e)). 5, § 18. p. 08de mutraduction. La substance en restantune et identique Il eXe-memen'.tpas de contraire et n'est contraireà rien, bieh qu'elle puisse receyoirlescontraires),tout en conservantsonidentité essentielle. ~a~ <eMM~o'e') et le MOM-MM~tOM,cesont làencnct,des opposésquin'ont pas d'e<is.tencesubstantielle,et qui ne peuventexisterque dans un sujet capabledelesrecevoir tour tour.

S 7. ~or<<tM(de tel ~tnf, c'est cequi est exprimé par la prepositiot)"c, quand on dit que Dennn.musi-'€)) P))0)n))icdevient musicien.

Page 654: La Physique d Aristote

HVRE I, CH, ViH, § 8. /)77

culiërenxmtaux choses qui, par elles-mêmes, ne sub-sistent pas par exemple, ou dit que de non-musicienondevient musicien; mais on ne dit pas qued'hommeon

deviennemusicien. Néanmoins,on emploie parfois une

pareille locutionmêmepour les substances et l'on dit àce pointde vue que la statue vient de l'airain, et nonpasque l'airain devient statue. En parlant de ce qui est op-posé et ne subsiste pas, on se sert indifféremmentdesdeux expressions,et l'on dit ou que la chosevient de telle

autre choseou qu'elle devient telle autre chose. Ainsi,de non-musicienon devient musicien,et le non-musicien

devient musicien.Voilà comment on s'exprimeaussi de

même pourle composé, puisque l'on dit également quede l'hommenon-musicienvient le musicien,ou bien quel'homme non-musiciendevient musicien. § 8. Commele

~or e«M-m<!Mm,j'ai ajoutéces mots

qui complètentla pensée. TVc~M&-*t'.<ff;t<~M,e'cst-a-dhc,Nesont pasdes substancescapabtes de recevoirdes attributs.– ~c non-musicien,en

effet, Kon-musicienn'est pas une

sxbstancc, bien que ce terme rem-

place celuid'Hommequi désigneune

substance. Que d'homme f~t de-t'XttMemMt'ctM,voit'p!ushaut, S 3.

AMtM;;OM)'<<.tu<<!f)t'ea,l'exem-

ple qui suit pt'n~e que ceci s'ap-pt!q<)Caux substances t)ureme!)tmatérielleset factices. ?))) pasque /'«)'ra)'<)~eM'e;<tstatue, il semble

()UGccttn tncutinnest tout aussi na-

lurelle que t'atttrc. J~ccequi citt

(';))<o<<voirauSprécèdent. ~< t)H

subsistc pas, comme)<:musicienet

le non-musicien. cAoMvient

~efe~cou~'e chosc,ainsi du ))<)))-musicien vient ft-musicien.–Ox

<yM'<'«<:<<cuieM<<'e«<:o!<irec/)OM,oubien en mettant les termesnu non)i-

oaUf Le noo-musiciendevient nm-siciet).–ûc tn~mepoxr/<:eot!)p<e.)-<voir plus haut § Z.–De~'Aontmt!

t)f)M-n)M!t'c)'ct),terme complexeoù, &la notiondu sujet, est jointe)anotion

de t'etat antérieur qu'il quitte pouren prendre un autre, et où, de plus,

l'expression pris une forme in-

directe.owwtMOH-Mtox't'e))devientmusicien,termecomplexe,où

!:) forme est directe,le sujet étant

misau nominatif.

Page 655: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.ù78

mot Devenir peut avoir plusieurs acceptions,et commeon doit dire de certaines choses non pas qu'elles de-viennentet naissentd'une manièreabsolue, maisqu'ellesdeviennentquelqu'autre chose, Devenir pris absolumentne pouvant s'appliquer qu'aux seules substances, il estclair queponr tout le reste il faut nécessairementqu'il yait, an préalable, un sujet qui devient telle ou telle chose.

Ainsi,la quantité, la qualité, la relation, le temps, lelieu,ne deviennent et ne se produisent qu'à l'occasion d'uncertain sujet, attendu que la substance est la seule quin'est jamais l'attribut de quoique ce soit, tandis que tousles autres termes sont les attributs de la substance. § 0.Queles substances proprement dites, et en général tousles êtres qui existentabsolument,viennentd'un sujet an-térieur, c'est ce qu'onvoit clairement,si l'on veuty regar-der. Toujoursil y a un 6tre subsistantpréalablementd'oùnaît celuiqui naît et devient les plantes et les animaux,

§ 8. PcHt avoir ptt«)e)tt'.< necep-

t'o"a,ToiriaMc'f<tp/<~MC,)itTcIV,

c)).3/i,p.~033,n,26,Èdit.dGBer-

))t).<'t)in'cVn,ch.7,t).l,0/)8,i(!.

–t)n)'MeH(, j'ai ajouté ces mots

que justifie le conteste; devenir

d'une manifre absolue, c'est nailre,comme le prouve ce qui est dit au S

s))h'a))).–JT«M~,e,),)cMf quel-

<yM'r<t;f)-<c/fMc.c'cst.à-f!ire qu'ellessoot dej;) cxi.statttes, et qu'elles su-hisscot ut) simple cttangonpnt d'<it!)t.

Aux MM~ .~K~~MMt, voir le §qui suit. Au p)'f'f!<ftM< i'expj'cs-siot) du tottc iropijque cette idée.

~<y)«Mt)t<la <yt«)/t<Cjetc., voir tes

C(!(~or!M,ch.C,7,8,)).72etst)iv.de ma traduction. ~'<t«n'6u<

<M~()')tMf.t,)etMte n'est pas toutà fait aussi p)-ëci!ttA)-)Stote dit

simplement qu'une c!tosc est dited'unc autre. L'idéeMtou fondiden-

ti<fue. ToM~les <!M<rc~<<;t'Mes,letMtedit seulement Tout)c reste.

§ 9. Tous les <!<~C~qui M-Mfe<)<

n~o<xmcMf, soit qu'en e<)et ilssoientdessubstancesréelles,soitquele langage seul leur prête une cxis-tence substantiettc. Qui '«!« ef

~cMt'cxf.itil n'yuqu'uttseo) motdans

Page 656: La Physique d Aristote

UVRH I, CH. VU!, § 10. ~79

par exempte, qui viennent d'une semence. Tout ce quinaît et devient, généralement parlant, naît, soit par une

transformation, comme la statue qui vientde l'airain; soit

par une addition, comme tous les êtres qui s'accroissent

en se développant; soit par une réduction, comme un

Bermès, qu'on tire d'un bloc de pierre; soit par un arran-

gement, commela maison soit enfin par une altération,

comme les chosesqui souffrent un changement dans leur

matière. Or, il est bien clair que, pour tout ce qui naît et

se produit ainsi, il faut que tout cela viennede sujets quiexistent antérieurement.

§ "!0. Mrésulte donc clairement de tout ce qui précède

que tout ce qui devient et se produit est toujours com-

plexe, et qu'il y a tout à la fois et une certaine chose quise produit et une certaine autre chosequi devient celle-là.

J'ajoute qu'on peut même distinguer deux nuances -dans

cette dernière ou c'est Jesujet même, ou c'est l'opposé;

j'entends par l'opposé le non-musicien, et le sujet c'est

)e texte. D'xnc ~etxcncc,le mot

grec a un double sens, conone )e

outre, qui en celan'estqu'une imita-

tion. Ge))t:ra<em<tt~«rtftxf, c'est-

à-dire tout ce qui passedu néant à

t'Être, et non pas d'une certaine

manière d'être à uneautre maniée.

–(h<)'<'aceroMMt)<e)t<ed<M<o~Mn<,comme les plantesou les animaux,

qui deviennent plus grosqu'ils n'é-

taient au momentde leur naissance.

!) c/Mtt~eweMt<<<M~leur mn-

(x't'e, comme l'eau qui de froide

devient chaude.

§ 10. Tout ce qui </<:M)'ett<et sr

produit, en d'autres terme:) Tout

chitogemuttt. t~to certaine c/<Mc

qui se p)'o~t<)<,c'est i'attribut nou-

veauque prend le sujet, ou la forme

nouvellequ'il revêt. Une certaine

nMO'cchonequide~tentM~e-M,c'est

tesujct qui reçoit unenouvelleforme,

et qui devientce qu'ii «'était pas, o)

recevant un nouvel attribut. Ainsi,

f'komtne non-musiciendevient mu-

sicien. Dans cette (<erttt<'rc,j'ai

njoutece. mots, afin d'être plus pré-cis. Ou c'est l'opposé, par exem-

ple, )<*non-musicien; voir plus haut,

S 6. L'opposaou c<'qui est susccp-

Page 657: La Physique d Aristote

LEÇONSi)R PHYSIQUE./t80

l'homme, dans l'exemptecité plus haut. L'opposé, c'estce qui est privé de la forme, ou de la figure, ou del'ordre et le sujet, c'est l'or, l'airainou la pierre.

§11. Uneconscience évidente dececi, c'est que,puis-qu'il y a des principeset des causesde tous les êtres quisont dans la nature, principes primordiaux qui font deces êtres ce qu'ils sont et ce qu'ils deviennent,non pointpar accident, mais tels que chacun d'eux estdcnotmnédans son essence,tout ce qui devientetse produit vient àla fois et du sujet et de Ja forme. Ainsi,l'hommedevenumusicien est d'une certaine façon composé de l'hommeet du musicien, puisque vous pourriez résoudre les dé-

tibtcd'opposition, c'est le contraire,l'attribut, qui peutêtre dansunsensou dans t'autrc mais le sujet subsis-tant put-tui-memcn'esL passuscep-tii))e d'opposition. /f., /'e.)-cm-

~c ct'<t;'~<M.</)<), j'aj njouté cesmots. G'uypoaéc'cal cc qui c,vc

tttOtS. /U/);)Oiff;'C'MfNon-musicien

e.«

~r!<~(/c~t /brmc, ainsiKoo-musicio)

Mtt'opj)o-.edans cette tncution:l'homme non-musicien, tandis queL'homme est le sujet. Non-musicienest appefc opposé,parce qu'en cnctil est l'opposé du Musicien,tandis

que i'Homme n'est t'opposéde quoique ce soit. Dece § on peut conclureque pour Aristote les principesduchangementou de )a Rcneration(tesnhnses sont au nombrede trnis lesujet, ):)nriMtint)et la forme; tcsu-jet, qui est te ticu du changement;)aprivation, qui est i'etat antérieur, et

'ufnrn)e,qnie.<.t)'<;tntt)onve!tudusu.j'-t. Ces trnis principessc)'f)))tn'duit<!

à deux dans le S suivant, le sujet et

la forme, parce que le sujet est dou-

ble ainsi qu'on vient de le dire, et

qu'il t-f'nferme aussi !a privation.

§ «. /~M /)r)<)<-)'pe<e; f~MtftMM,

voirpiu!i))aut,ch.'),<)4,ta))otesur rhootonymiccie ces deux expres-sions. A))fin<c< ci de la /o)'mc, au

sens où on vient de t'cxpiifjuerdans)eSprécèdent. Ln privation est ça

quciciuc sorte déjà une forme nëga-

tive, si l'on veut; et elle ne doit. pasêtre comptée parmi les éléments des

choses, puisqu'elle disparait devant

i!' nouvelle forme que revêt le sujet.

<?OK)pMCde <'AoMn):et du WMt-

''tcM,))omn)cctnnt)c sujet, et le mu-

sicien ct.!))t la forme. Le sujet sut)-

siste par ini-memc, et il précède lu

formequ'i) revêt.–PotMpoMrr)~,<;eHc forme itsscz étrange df lu se.

coo()e personne ()n verbe est dans le

texte grec. /.M Jf~'tt~t'o)~ (<e<'M~,

Page 658: La Physique d Aristote

LIVRE l, Œ. VHI, g 13. /<3]

finitionsde l'un dans les définitions des deux autres; et,par conséquent, on peut dire évidemment que tout ce

qui devient et se produit vient toujours de ces principes.§12. Le sujet est un numériquement, bien que spéci-fiquementil soit deux. Aussi, l'homme ou l'or, ou, d'unemanière générale, la matière, est numerable; car elle est

davantage telle ou telle chose réelle, et ce qui se produitne vient pas d'elle seu)ement par accident, tandis que la

privation et l'opposition sont purement accidentelles.

§13. Quant à l'espèce, elle est une; et, par exemple,c'est l'ordre, la musique, ou tel autre autre attribut dece

genre.

c'eat-a-direde l'hommemusicien,du

compose. Dans </e'/tMt<tondes<<<:M.EoMO'M,c'est-à-dire dans les

définitionsséparéesde t'hommeet du

musicien. Cette phrase pourrait se

comprendreaussid'unemanière plusgénérale,et elle signifieraitalorsquelesdéfinitionsdes chosespeuvent serésoudredansles définitionsdes deux

principes de t'être, le sujet et laforme.La fin de ia phrase dans leteïtc sen))))eraitmêmeimpliquercesens. ~e ces principes, le sujet,ou matière, et la forme.

S12..S~eO/t~ucmMtil soit </cM.r,la privationétant compriseaussidansle sujet. Voirplushaut, S 10. nit

~'o)',qui serviraità fuireune statue,commeon l'a dit de t'airain, au S7.

La maOt're,c'est le terme dont sesert le plus habituellementAri-itote

pou) l'opposer à )n forme. JTif

NM)n<:t'~)<c,en tant qu'une et indi-

~iduetic,snitsistantfn soi, tandisqur

la privation et les contraires, n'étant

que des attributs ou accidents, n'exis-

tent jamais que dans un autre. On

ne peut, en euet, compter que les

individus. D~Wtfaye, c'est l'ex-

pression <tutexte; et peut-être eut-it

mieux vatu dire que )a matière est

exclusivement la véritable et seule

réalité, au sens où on t'entend ici.

§13. (3Mt)<<i<'Mpt'<;e,o))à)n

forme, pour ûtre plus précis; mais

j'ai cru devoir conserver ici le mot

mefnc du texte. Elle est !(nc,

comme le sujet; et alors les principessont deux la matière et la forme.

.Kt par exemple, c'est <'on/)'c,

pour bien comprendre ceci, il faut se

rcpnt-ter au S 8 du ci). 6, où Aristote

e~ahtit que la génération des choses

ne consiste souvent que dans un cer-

tain ordre donné a des éicments an-

térieurement existants. Ainsi, la mai-

son n'-snite de J'arrHURCmentdes ma-

tnriam. /~) tnx.o'~Me,commf <)ans

Page 659: La Physique d Aristote

LEVONSDMPHYStQU~.~82

g1/). Ainsi,on peut dire en un sensque les principessont au nombrede deux, et l'on peutdireen unautresens

qu'ils sont trois, g 15. En un sens aussice sont des con-

tt-aircs,quand on dit, par exemple,le musicienet le non-

musicien,le chaudet le froid, l'organisé et l'inorganisémais,à un autre point de vue, ce ne sont pas descon-

traires, puisqu'il est impossible que les contraires agis-sent jamais l'un sur l'autre. Mais on peut répondre àcette diuiculté,en disantque le sujetest difrérentet qu'iln'est pas du tout un contraire. § 46. Par conséquent,enun certain sens, lesprincipesne sontpas plus nombreux

lesexemplesqui viennentd'Êtrecitessi souvent de l'homme musicienet

non-musicien;c'est la musique'quiy composel'attribut;et alorsonpeutdire que )a musique est la formede

t'hommc,commei'ordrc est la formede la maison.

S ~);M! conclusionde )a dis-cussionprécédente. Aunombrede

~exa),le sujet ou matièreet laforme.

Qu'ils wx <roM,si j'on décom-

pose le sujet en deux ie sujet lui-mcmeel la privation.

§ 1S.Ce sont (les<'o))(!'(!)'rM,voir

ptus))!)uttt'ch.6,oùiiaë!eetabH

que tous )c'ip)ti)osop))essontd'ac-cord ponr t-cconoaitreque les prin-cipessont des contraires. QuandOHtlit, que le non-musiciendevient

musicien,etc.;mais j'ai cru devoirconserver la tournure même du

texte,hienqu'e)!e soitmoinsclaire.

~Knf <'«;)sur <'<!)<()-<voirles

~«fc~rtM.f'h. ~.S~Mdr

n'a traduction,et la Afetop/t~t'~Mc,livre V, eu. 10, p. 4,018, a, 20édit.de Bertin. Au contraire, ln forme,qui est un des principes, agit sur lesujet ou ia madère, qui est l'autre

prmcipe. cette ~cxM, quiconsiste à reconnattjc les principespour des contraires et à contester

qu'ils soient des contraires. Ç«<;lc sujet est ~t~rettf, sous-entendude ta privation; et alorsle sujet entant que matière n'est pas le con.traire de )a forme c'est )a privationseuic qui pourrait être considéréecomme )c contraire de la forme.

7< M'Mtpas <<Utout Mtt<:0!t<)'<)tf~voir les CatcyortC~ch. 5,§~8, p.68 de ma trad uction.C'c.<tune des

propriétés principales de h subs-tance de n'être contraire à rien ellen'a pas de contraires, puisque c'est

''Oequipsticreceptaciccticticudes contraires.

X1R./'«t p~tft ~f)M6)'rx.)'</MeIcx

Page 660: La Physique d Aristote

LIVRE CH. V!H, § t8. ~)83

que les contraires, et ils sont pour ainsi dtre deux numé-

riquement. Toutefois, ils ne sont pas absolument et pure-ment deux, attendu que leur essence est duï'erente et ils

sont plutôt trois, puisque, par exemple, l'essence de

l'homme est autre que l'essence du non-musicien,comme

celle du non-figuré est autre que celle de l'airain.

§ 17. Nous avons donc exposéquel est le nombre des

principes dans la génération des choses naturelles, et

nous avons expliqué ce nombre. De plus, il est égalementclair qu'il faut un sujet aux contraires et que les con-

traires sont deux. Mais, à un autre point de vue, ceci

même n'est pas nécessaire; et l'un des deux contraires

suffit pour produire le changement par sa présence ou parson absence. § 18. Pour bien savoir ce qu'est cette na-

tnre, cette matière première qui sert de support, on peuti-ecotirii,à une analogie ainsi, ce que l'airain est à la

statue ou ce que le bois est au lit, ou bien encore ce quesont à toutes les chosesqui ont reçu une forme, la ma-

tière et le non-nguré avant qu'ils aient pris leur forme

propre, cette nature qui sert de support l'est à la sub-

Mtttt'fn'rex, ils sont deux comme les

contraire!).–PoMrfttMtdtrc, cette

restriction est justiMc dans ce quisuit. ~CMt'MM))CCest ~t~crMtc,ceci s'apptiquc exclusivement auxx

rapports du sujet et de la privation,

comme le prouvent les exemptes ci-

tes dans le texte. L'essence du

')OM-MM.!)'<')'c)),voir plus haut S§ 3

etsuiv.

§ 17. 0« ;~tr son n<<M<'e,car les

<)cn)ffnnh'niresnc peuventcoëtister,

yoirtesCnfc~or<M~ch.H,S~tP'

~22, de ma traduction.

S 18. Cette ttM<)'<!re;)r<'Mtfr<j'ai

ajouté ces mots pour que t'ideefftt

aussi claire que possible. -Qui Mr<

<<<:support, soit aux contraires, soit

à la forme. /t Moe axante, ou

une sorte de similitude et de rapport

propurtionnet.– 0<t<')'MM<'ore.

cet exemple est Kcnera),au lieu

d'être spéciul comme )cs deux pre-

n]it'rs.ft(c)tn<'Mr<mse)'f~e

Page 661: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYSIQUE.A8/t

stance, à l'objet réet, ce qui est, à l'être. g 19. Elle estdonc àdfe seule un principe; mais elle n'est pas une, etelle oe fait pas un être, commele fait un objet individuelet particulier; elle est une seulement en tant que sa no-tion est une, bien qu'elle ait en outre son contraire, quiest la privation.

§ 20. En résumé, on a expliqué dans ce qui précèdecomment. les principes sont deux et comment ils sontaussi davantage; car, d'abord on avait montré que les

principes ne peuvent être que les contraires, et ensuiteon a du ajouter qu'il fallait nécessairement un sujet :ïces contraires, et que par conséquent il y a trois prin-cipes. Maintenant ce qu'on vient de dire ici montre bien

quelle est la dinerence des contraires, comment les prin-cipes sont les uns à l'égard des autres, et ce que c'est

que h sujet qui sert de support. Ce qui n'est pas encore

éclairci, c'est de savoir si l'essence des choses est ou ]aforme ou le sujet. Mais ce qu'on sait à cette heure, c'est

qu'il a trois principes; c'est en quel sens ils sont trois,et de quettc façon ils !e sont.

.<u;)por<,le texte est moit)!,c)(j)ticite.

S<9.~<;Mf<~t)<:<tc«<«'M<e,tamatière pronicreMstundesdcux

principes <tc)'6trc,Ja forme )!tant

i':t))trp.)te<<'<par(tC!<<<'r,

j'nitift~cttrp ces deux mots jtourrendre );! fon-e fjc l'expression grec-

qxp.Me.!<;))o(t'o)), ou sa défi-

nition.)«'C.« p)')'U3tt'0)),

<'om!ne~))on-mu':icicn,()U[)ndon<)it que i'hntnmf devient tn~sicicn.

))nt'pourrait p.i'. devenir quelquechose (jn'it serait d~), <-ti) faut

doncqu'il soit non-musicienet af-fecté de cette privationpour devenir

musicien.

S 20. En )-~t<)))~,cette idée d~nn

conclusiondéfinitive n'est pMauMinette dans le )e)ttEt;)-cc.S'oMf

~<a', !a matière et )afor<nc.–7~

«Mf aussi davantage, la matière, ta

privationet la forme. Ne peuvent<<)'<:~MC~cotttrotrM, voir))) us

haut,ch.6.–<7n~«;e(<!<:etcon-traires, c'est l'objetdu présentcitit-

pitrt*. fe qui n'Mt ~< otccre

Page 662: La Physique d Aristote

LIVRE t, (;H. )X, ~85

Telle est notre théorie sur !e nombre et sur la naturedes principes.

CHAPITREiX.

L:xp)ic:tt)ondet'erreur desanciensphilosophessur nmmobiiitret !'unit6de t'être distinctionsur le sensdes mots6<~ et/VoM- Autreexplicationpar la distinction();'t'actc et dola puissance.

S i. Aprèsces développements, disonsque cette théorie<:stdéjà une manière de r6sot]dre la question débattue

par les anciens. § 2. Les pi-emiet-sphitosophes, malgréJenramour pour la vérité et leurs recherches sur la naturedes choses, s'égarèrent, poussés en quelque sorte dansune autre voiepar leur inexpérience, et il soutinrent querien ne se produit et que rien ne périt, parce qu'il y a

nécessité, suivant eux, que ce qui naît et se prodoitvienne de t'être ou du non-ctre, et qu'il y a pout-Fm)et pour l'autre cas égale impossibilité. Car, d'abord, di-saient-ils, l'être ne devient pas puisqu'il est déjà; ut ex

et:<«trn,votrp)))s)o)n,))vrcH,c)).

§S 15 et 1?! voir aussi la <Uc(~y-

.7"c,)ivreVJ,ch.d,p.l,028,a,

M.édit.deDeriin.

ÇA. IX, § l. Déjti t()tc m~tcre,voir ))tus)oin une seconde munièrc,

§§ i/t et tH. La ~MM<0)K/c&nt-

<He~Mr ~MftNftfn.<, voir plus haut1

tesch. Sctgo~Mtdëbattueta

question <)c)'u!)itt ou de la )))ur.))it~dej'ûtre.

§ 2. Les /)r<:Mt'Cr.<p/t!fMf~/)M.

Partn<;nit)e,MM)is!)us.cticsJo))ic~ou physiciens, dût)Li)n6t<ipnr)6))tu'!

hm)t;voi)-p)t).s))!tut,c)).2cts))i)-.

–/<t';tt ~<i<)-nf<if!f(.rf<'t)~<-

Page 663: La Physique d Aristote

LEÇONSDK PHYSIQUE./)86

second lieu, rien ne peut venir du néant, du non-être,

puisqu'il faut toujours qu'il y ait quelque chose qui servede support. S 3. Puis, aggravant encore les conséquencesde ce système, ils ajoutaient que l'être ne peut pas être

plusieurs, et ils ne reconnaissaient dans l'être que l'être

seul. g A. Déjà nous avons fait voir comment ils ont été

amenés à cette opinion. 5. Mais à notre avis, entre ces

diverses expressions, à savoirqu'une chose vient de l'être

ou du non-être, ou bien que l'être ou le non-être fait ou

souffre quelque chose, ou enfin que telle chose devient

telle autre chose quelconque, il n'y a pas en un certain

sens plus de dUTérenceque de dire ou que le médecin,

par exemple, fait ou soutire telle chose, ou bien que de

médecin l'être devient ou est telle autre chose. § 6. Mais

comme cette dernière expressiona un double sens, il est

yj«'tf, c'était nier le mouvement; et

l'étre était a)o)-!iimn)obi)c et un. Ce

système était celui des Ë!eut<

S 8. Que <'t!<re «epeut être ptx-

ft<;t<r~,en d'autres termes, ils soute-

te!Micnt)'unitede)'etre,et Hs~e

distinguaient aucune nuance dans

l'existence des choses. Ce système a

Été déjà réfute plus haut,ch. 3 et 4.

S Of;'<! noM ofooi! fait voir,

voi)- plus haut. ch. 5, § ù, oa il est

spécialement question (les opinions

d'Anaxagore.

§ 5. (~u'Mnc chose u)eN( <<e<'6<M

CM</Mnu~-ëfr< toute cette penséeest

exposée dans )e texte d'une manitre

peu claire. Voici le sens. Quand

on <)it qu'une citose vient ou df

ce qui <*st ou d)t néant, celte

rxpr<St<)))nn))dot)h)c sens. L'être

ou le non-être peut s'entendredans un sens propre ou <)ansunsens indirect, comme lorsqu'onditqu'un médecin fait telle chose,ceta

peut signifierou qu'il agit en tant

que médecin ou qu'il agit en tant

qu'itommeet fait desactesqui n'ontaucun rapport à la tu<id(;cine.Ainsi

donc, Rien ne vient de rien, est une

propositionvraie si on la prend auIlsens propre; et, en etTet,le néant ne

peut rien produire; ntuisuuscns

indirect, cette propositionn'est plusvraie; car pour qu'une choscde-

vienne ce qu'elle n'était pas anté-

rieurement, il faut bien qu'ellepartede ce qui n'est pas, du non-être.6'M diverses eacprM~'oM,qui pa-raissenttouteséquivalentes,bien queta formesoit diverse.

Page 664: La Physique d Aristote

HViŒ l, CH. tX, § /)87

clair que celles-ci, à savoirque la chose vient de t'être et

que l'être agit ou souffre,ont également deux acceptions.7. Si en eUetle médecinvient à construire une maison,

ce n'est pas en tant que médecin qu'il construit; mais

c'est en tant qu'architecte. S'il devient blanc, ce n'est

pas davantage en tant que médecin, mais c'est en tant

qu'il était noir, tandis que s'il guérit ou s'il échoue en

tentant la guérison d'une maladie, c'est en tant que mé-

decin qu'il agit. § 8. Maiscomme on dit au sens propre,

éminemment, que c'est le médecin qui fait quelque chose

ou souflre quelque chose, ou devient quelque chosede

médecinqu'il était, quand c'est en tantque médecin qu'ilfait cette chose ou qu'il la souffre ou qu'il devient quel-

que chose, il est clair que, quand on dit qu'une chose

vient du non-être, ou devient ce qu'elle n'était pas, c'est

en tant que cette chose n'était pas ce qu'elle devient.

§9. C'est parce que les philosophes n'ont pas fait cette

distinctionqu'ils se sont tant égarés; et cette première

S0. Que te~M.o, qui M rappor-tent iteettesqu'onacitées au S pré-cédent, et qui n'en sont que ia re-

production presquetextuelle; seule-ment ici ot a retranché l'alternativede t'être et dunon-être. Ont ~a-/cme)t(deux acceptions, l'une pro-pre, t'autrc indirecte~t'uue en soi,l'autre acciùenlelle,commele prouve)'eïe<np!equi suit.

S7.A')e!t<t!t~Ktc<ïef:ttt!;t'etttMacoM~Mt'reune maison, c'est le pre-mier cas supposeau § 5, où le méde-cin agit et fail quelquechose, sans

que ce soit en tant que médecin.

.S't'<dct~))<jMaH<secot)dci)s,o)'ticmédecinsoutîre quelque chosesans

que cesoitnonplus en tant que mé-

decin.Ment.Je médecin

agit alors en tfmt que médecin.

~'t<<'c/tOMe,i)i.oun't-e:)torse))tant

que médecin.

§ 8. ~tttMMpt'oprs cHt!)<:M)mfttf,O.oon point dans le sens indirect.

Ou Jef)'c<t<cequ'cllc x'ctMff~)~<,

j'ai ajouteces motf!,qui nesontquela paraphrasede ce qui précède,amis (lui m'ont sembléindispcnsa-b)M pour ln clarté complète de ta

tMductinn.

Page 665: La Physique d Aristote

LEÇONSi)E PHYSIQUE.488

erreur les a conduits jusqu'à soutenir cette absurdité querien autre chose en dehors de l'être ne se produit uin'existe, et jusqu'à nier toute génération des choses. § 10.Nous aussi, nous disons bien avec eux que rien ne peut,absolument parlant, venir du non-être; mais nousadmet~tons cependant que quelque chose peut venir du non-être, et, par exemple, indirectement et par accident. Lachosevient alors de la privation, qui, en soi, est le non-ctre, et elle devient ce qu'elle n'était pas. )).. reste, cetteproposition est faite pour étonner, et il semble toujoursimpossible que quoi que ce soit puisse même ainsi venirdu non-être, g 11. C'est encore de la même façonqui)faut comprendreque l'être ne peut pas plus venir mêmede l'être que du non-être, si ce n'est par accident. § 12.L'être vient de l'être absolument de la mêmemanière que

S 9. L<M~/t)<OMp/tManciens dontil a été question plushaut, ttugi,et qui.soutenaientque le non-être,néant, ne peutrienproduire, et querien ne peut venirdu néant. Jh'Moufre choseCMdehors (<e~'j'tfe,letexte est un peu moinsprécis et ildit simplement Rien du reste, o

entendant, par le reste, lesattributsde l'être en dehorsde son essencesubslanticlle. Toute ~)<;ro0o)t~Mf;/<o«;a,c'est-A-diretout mouve-ment.

§ 10..4rM eux, j'ai ajoute cesmotsqui sontimpticitentfntcomprisdans l'expressiongrecque. ~tM-

/Mnt<:M<;Mr<t()t<,ausenaqnivientd'être établi un peu )))u<haut.~</)'r<'(fftH~))<ff ;M;r f)<-<-)(/<il

"'y qu'un seul de ces deux tuotj.en grec; j'ai mis les deux pour être

plus clair. Oc pr~nOoo qui,

-<ot',M<<eHo«-~re,j'.)ipr<;r<;r(;ce sens qui me semble s'aceorde)-mieux avec tout le contette, bien

qu'on put comprendre aussi quêta

chose qui en soi est le non-être vientde la privation. Voir plus bas, ch.

~,§~

S C'est encore de <<tM)~t)e/<

<o", i! v<ent d'être ctabii qu'o) un

sens, i'ûtre peut venir du non-être,ma)(!r6 ce qu'en avaient pcnst! les

premiers phiiotophes. On prouvemaintellaut ici que t'être ne peut non

plus venir de l'être que par accident,comme il vienl du oon-etrc. Voir

)'!usha)<t<;2.

Page 666: La Physique d Aristote

LIVRE CH. tX, § 13. /)89

si l'on disait que de l'animal vient l'animal, aussi bien

que de tel animal particulier vient tel animal particulieraussi et par exemple, si l'on disait qu'un chien vient

d'un cheval. Le chien alors pourrait venir non-seulement

d'un certain animal, maisencore de l'animal en généralmais ce ne serait pas en tant qu'animal qu'il en viendrait,

puisqu'il est déjà animal lui-même.Quandun animal doit

devenir animal autrement que par accident, ce n'est pasde l'animal en général qu'il vient; et si c'est d'un être

réel qu'il s'agit, il ne viendra ni de l'être ni du non-êtrecar nous avons expliqué qu'on ne peut comprendre cette

expression, venir du non-être, qu'en tant que la chose

n'est pas ce qu'elle devient. S 13. Decette façon, nousne

S 42. ())<<!de l'animal vient<'<Mt-

mal, sans doute l'animal vient del'animal d'une manière generate;imait dans la réalité c'est unccrmiuanimât d'une espèceparticulièrequivient d'un animât de la mêmeM-

ptce. C'est donc indirectement et

pa)' accident qu'on peut dire quei'aaima) vient de t'animât ci)) sic'était au sens propre on seraitcon.duit il cette absurdité qu'ait e'e!i

t'ourra:t provenir d'un chevat toutaussi bien que d'un cuien, puisquele cttevxl est animât autant f)ueteettief)pt'ut t'être, et qu'on a d'abordadmis (lue l'animal vient de t'ani-

ma).)'MnMrfn)'tt«rtt'nta~e'csL-a-tiire d'un autre chien. ~ftMot-c~rc de <'«~t'M!f<<ex ~c/jero<,ce quiest funx. ~Mtr<mctt<~!«; ~)' «e-

ftf/ott, c'est-iwtirect) soi et au sens

propre du mot. 6'e u'Mt pas cle

r~tOt'ntHfCilgénéralqu'il vient, mais

cl'un animal de son cspÈccparticu-titte. ne ot'ent/t'ftni de t'<!frc

')!<<tttt0)t-('<rt.pris en soi maisil

viendra de )'~Ue ou du non-~tre

comprisdans un sensindirect. Ainsi

In chosene vientpas de t'Ctre: car

si ei)<:(itaitdejj),e)ie n'aurait pasbesoindedevenir;u)aiscl)cvient de

la matière première, qui est bien

aussi un certainêtre, sans être un

être en soi, et qui peut recevoir in-

différemment)a forme et les cou-

traircs. On peut (tune dire que la

chose vientde t'être! et ainsi il est

vrai qu'elle ne vient j'usdu non-

être niais en même temps on peutdire qu'ellevientdu non-etrc, puis-que la privationest p)'e('ise!tK'ntcf

qui n'est pas.

Page 667: La Physique d Aristote

LEÇONSDE PHYStQUE./<90

détruisons pas ce principe que toute chose doit être oun'être pas,

14. Voilàdonc une première manière de résoudre in.

question poséepar les anciens philosophes.

§ ~5. I[y en a encore une autre qui consiste en ce

qu'on peut parler des mêmes choses, soit en tant quepossibles soit en tant qu'actuelles; mais nous avons

exposé cette théorie de la puissance et de l'acte avec plusde précisiondans d'autres ouvrages.

§16. En résumé, nous venons de résoudre, commenous l'avions promis, les dinicultés qui ont amené néces-

sairement les anciens philosophes à nier quelques-uns denos principes. C'est aussi la même erreur qui les a tantécartés de la route où ils auraient pu comprendre la gé-nération et la destruction des choses, en un mot, le chan-

gement et cette nature première, s'ils avaient su la voir,aurait sutïi pour dissiper leur ignorance.

SO. Quetoute c/totcdoit dire oun'f<rc pas, c'est le principe de con-

tradiction,quiest tefondementmêmede tout raisonnement.Aristoleveutse défendre de l'ébranler en quoique ce soit, par cette distinctionen-tre t'être en soiet l'être accidente);mais la formesous taquetie it pré-sente sa penséeest trop concise;etil ont été utiie de la développeretde l'éclaircir davantage.

§ d~. La question /)o<ccpor lesf'MCt'cntpAt~op/tM, )e toïtc n'est

pas aussi explicite. Voir plus haut,St.

$ i5..S'Otf C)t<~M<que ~M.M)MM,

autre distinction de la puissanceetde l'acte, de ce qui peut être et dece qui est, de la simple possibilitéetde la réalité actuelle et présente.Dans <fatf<re.touvrages, la AMta-

physique,livre VHI, ch. 1, p. <0&5et suiv., édit. de Berlin.

S 10. Commenous l'avions pru-mis, voir phts haut, ch. /),§<.Cette nature premt~t'c,le texte n'est

pas aussi précis. Voir plus haut, cb.

7, § 9. Cette phrase ne me paraitpas d'unstytctr~-arii.toteHquc, bien

(ju'e)icserappcrted'aiiieurs fortbiena tout ce(lui procède.C'est peut-être

que!f)u'i))terpo):)tion.

Page 668: La Physique d Aristote

UViΠ1, CH. X, g A. /)Ut

CHAPITRE X.

Erreurde (jue)quesautres philosophes,qui, commePfu'ménide,admettantl'unitéde l'être, n'ontpasdistinguédanscette unitél'actede la puissance.Définitiongénéralede la matièreet deta forme. Fin de la théoriedesprincipesdel'être,de leuruaturoet de leur nombre.

§ 1. Il y a bien quelques autres philosophes qui ont

touché à cette théorie de la nature première mais ils ne

l'ont pas fait d'une manière suffisante. g 2. D'abord ils

reconnaissent avec nous que quelque chose peut venir

absolument du non-être, et qu'en ceci Parménide a toute

raison. §3. Maisensuite ils prétendent que, la nature pre-mière étant une numériquement, elle ne doit également

qu'être une en puissance or, c'est la unedifférenceaussi

énorme que possible, g ù. Pour notre part, nous anir-

mons que la privation et la matière sont des choses très-

diverses que la matière est le non-être par accident,

ÇA.J~, S 1. (~UC~MMnMt''M p~)<t)-

sophes, ta suite prouve qu'il s'agit de

P)otonetdBM))6cn!e;toiru<)peu

p)usba!),§5et)onot(.Z)*)tMc

manière M~aMtc, ceci peut s'en-

tendre d'une taçon tome générale, ou

bien eu ce Mns que Ics philosophes

dont il est ici question n'ont p~s ns-

scïaj))prnrnnf)i cette thforie,pour

pouvoir resoudrt'ips objections de

!'Ëco!cd'É)ec.

S 2. /<f<'cn<~<.<,j'i <)joutt'ces ron)'.

qui sont implicitement cotn pris dans

i'ejtnressiondu texte. ParTtx:-

tttf/eaa (oute raison, voir le f<t tT))~-

'e de Platon, p. 8, traduction de

M, V. Cousin.

S 3. Étant une nttmcrt~ucmcnf,

voir le /'or'mA'M<!dePinton.

/tM~t<'))orme~)MpoM)'Me,pt))'!f)<)'it

yatoutciadin'<'rencc<)ut)6ant!t

t'être, du possible au nie).

S &. ~r)M<)'OHff <<tMfff~'X',

cxpiif)))~ commf cttcs l'ont <)<-

Page 669: La Physique d Aristote

~2 LEVONSDE PHYSIQUH.

tandis que !a privation est. le non-être en soi; et que Jamatière fort voisine de la substance est a. certains

égards, substance elle-même, tandis que la privation nel'est pas du tout. g 5. Mais d'autres phitosophes placentle non-être dans le grand et le petit indi~recument,soit en Jes réunissant tous les deux ensemble, soit e~ lesprenant chacun séparément; et, par conséquent, cettemanière qu'ils ont d'entendre la triade est absolumentdifférentede celle qui vient d'être indiquée. En enet, ilssont bien allés jusque ce point d'admettre comme néces-saire l'existence d'une nature qui doit servir de supportmais ils ont supposé que cette nature est une; et si

quelquephilosophe admet une dyade en la reconnaissantdans le grand et le petit, il n'en fait pas moinsencorecomme eux, puisqu'il oublie l'autre partie de l'être quiest la privation.

6. L'une de ces parties, en ei!ët, qui demeure et sub-siste, concourt avec h forme pour produire comme une

)''us haut, eu. 8, §§ 10 et suiv.

~t/ctton-~trec~Mt.Yoirptus

i'aut.dt.U, SlO.Lamatieree~

substance en puissance, La ma-

're fort voisine de la ;)M~)(~tfe,

'oir)e!iC(!t~f)rtM,ch.5,§l(},p.C7 de ma traduction, où est exposée)'' Htcorie de la substmtcc. C'est la

t'orme qui ach(''ve la matière et lui

donne tous les curaeterM de ta sub-

stance.

S 5. Cf)n~ le ~r«f)d et le petit in-

<r<mmc)t<, pn tant que contraires,

t"irfc/'«rmM)dc()(:Pt:)to)),)).lt..

~A,M,t.'t 8)!, traduction dt; M. V.

Cousin, et la ~e<Hp/<~Me, livre t,

ctt.ti,p.087,b,20,tdit.deHer-lin. ~'ctt(<;M(<r<!~t fn'ff~c, cette

triade étant composée (tu grm)d et

du petit, c'est-à-dire des deux cott-

traircs et de l'idée qui les comporte.

–Dcce«<:<yMHtteM<~(r<!)'!)<<<f~ff;e,la Enatif're, la privation et lu forme.

Le texte est moins précis que )na tra-

duction. Si quelque ;J/t)'/0~j<!jc'est sans doute t'fatnt). L'«u~c

;Mr<!<:<7c<re,)'expression du texte

est moins précise.mM< ~rtf«-

tion, j'.ti cru devoir ajouter ces mots.

S G. ~'omMteK~c t))(!rc, ct'tte ex-

Page 670: La Physique d Aristote

LIVRE 1, CH. X, S 7. /)9:;

mère tous les phénomènes qui adviennent mais quant!'a)!tre partie de l'opposition des contraires, elle pourraitbien plus d'une fois faire l'effet de ne point exister du

tout, pour celui qui ne regarderait en elle que son côté

destructif, g 7. En euet, comme il y a dans les choses un

élément divin, excellent et désirable, nous disons que l'nn

de nos deux principes est contraire a cet élément, tandis

que l'antre est fait par sa propre nature pour rechercher

et désirer cet élément divin. Mais dans les théories quenous combattons, il arrive que le contraire désire sa

propre destruction. Cependant il est à la fois impossible,et que la forme se désire elle-même, parce qu'elle n'aaucune défectuosité, et que le contraire la désire, puis-

que les contraires se détruisent mutneHement. Maisc'est

!a précisément le rôle de la matière et elle est comme la

femeuequi désire devenir mâle, on le laid qui veut deve-

nir beau car la matière n'est pas le laid en soi elle n'est

pression me parait pour Aristote bien

prétentieuse et bien recherchée! c'est

peut-être une interpolation, et une

sorte de glose. ~nt'.t </)Mn< <'<n<-

frc p<!)'<)'ed;: roppoitn'OM, c'e.st-it-

dire la privation. ~M son c<}~

destructif, cette expression me setn-

b)e encore peu Aristotélique, ainsi

que tout ce qui va suivre jusqu'à la

Sn du S 7.

S 7. t/'t e7e~)M< dtfot, c'est la

forme ou l'idée, ou bien encore l'es-

p('cc. ~Mx ~e nox f/cM prt'n-

ct'pM, à savoir la privation. ~'«M-

tre, fi savoir )a m.ttitre, qui ton) a

)n forme, et désire cet eiftnentdivi))

fjuc )u forme représente. ~(M

Af/X les t/t<;f))'<Mque nous M)m<'f<<-

<ow,)e~ïteditsimp)cn)cnt:~)'

poMrett.c, pour les p!'i)oso))hcs <tont

il a été partout) peu p!u9t)uut.–C'est M <c r<)<<!de mâture, fn

matière désire la forme qui fachf'vc

et la con)p)t'te, tandis que )e con-

traire ue peut désirer ):) forme qui Je

d~ruit.en le remplaçant par son con-

trai !'f. A'~e est comme <<!/<:me/fc,cet exemple peut sembler assez bi-

ïarrf.cton peut trouver que lafemelle est clans sa nature aussi cnm-

pt6tc que le mate. Voit' sur le )nA)c

cttafetndtc.te'tfef/e~Mc-r~ft'un (les fntt'ntaut;, livre if, p. 73t

ctsui\tt(;)'edit.f)c!!cr)in.

Page 671: La Physique d Aristote

LIIONS t)K PHYStQUK./)9A

laide quepar accident; elle n'est pas nonplus femelleen

soi; elle ne l'est qu'accidentellement.§ 8. Dansun sens,la matièrepérit et mît et dans un autresens, elle ne

naît ni ne périt. Ce qui périt en elle, c'est la privationmaisen puissanceelle ne naît ni ne périt en soi. Loinde

là; il y a nécessitéqu'elle soitimpérissableet incréée. En

effet, si elle naissait, il faudrait qu'il y eût antérieure-

ment un sujet originaired'où elle pût venir; mais c'est

là justementsa nature propre et alors la.matière exis-

terait avantmêmede naître; car j'appelle matièrece su-

jet primitif qui est le support de chaque chose, et d'où

vientoriginairement,et non par accident,la chosequi en

sort. Si l'on dit que la matière peut périr, elle rentrera

en elle-même,puisqu'elle est le terme extrême,et il s'en-

suivrait que la matière.aurait péri avantmêmede périr.

g 9. Quant au principeparticulier de la forme,c'est le

devoir de la Philosophie première de déterminer avec

précisionsi ce principeest unique ou multiple,et d'étu-

S 8. Dansun sens. ~nt« un «M-

<rcsens, ces deux alternatives vont

Ctres discutes! mais la conclusion

mt quela matiûrepremièrede t'être,au sens où elle est entendue ici, ne

na!tnineperit.Ccquipëri!Lene))cc'est la privation ce qui tiait c'est

la rormc rcprpsentec par un des

deuxcontraires. En puissance,ellesubsistetoujours ce qu'elle est en

soi. /mp<irtMn6<e<:<utc~cM, au

sens restreintoù la privation péritrt où )t' fnr~nRest créée; je ne crois

)):)s que ce!*expressions pnisspot:!)oiri<'i k~ porter Rt'')t<rn!('que

quelques commentateurs tcuroot

prêtée. Si <'o)tdit que Mntxh'e

pcut péri, seconde nltemative La

matif'rcnepÈrit))as.p))n<)u'e)tcne

t)a:t! elle devrait périr M elle-

mttne comme y périssent les con-

traires, et il est aussi absurde de

dire qu'citc pt;rit en ('))e-tneme que

de dire qu'ettc Mit d'e))e-mCme.

/<M<)<Mt!nt<!(<c~<r, impossibilité

éj!ak à celle qui ferait exister lu

matière :)vant même qu'elle ne

rûtn)''e.

S 9. /.<' f~e~or la ~~Mo~/of

;t)'f;W)'<)'f, !n Met!')))))siqu< Vnir tu

Page 672: La Physique d Aristote

LiViΠi, (.:H.X, 10. /t9nI-)

dier la nature de ce principe spécial, on de ces principes,s'il y eu a plusieurs. Nous renverrons donc pour cetteoccasion la théorie que nous ne faisons qu'indiquer ici, etnous nous réservons seulement de parler des formes na-turelles et périssables dans les démonstrations qui vontsuivre.

§ 10. En résumé, nous nous sommes borné jusqueprésent établir qu'il y a des principes nous en avonsdéterminé la nature et le nombre. Abordons à cette heureune autre théorie, en prenant un antre point de départ.

~<f~)/;y~u<)ivreVJj,c)).A 4 et

suiv., et livre Xtf, ch. 3, p. 1039 et

1009, édit. de Berlin. Que nous

"c/<!)MMs<yu')tK<)<jrMer!'c),le texte

n'est pas aussi explicite. Des /br-MM ~)o<Mt'e</e~« périssable. en

d'autres termes, sujettes au ct)nn"('-mcnt.

SIC. ~M''<y M~M ~)')';)C)~M,

voirp)us))aut<:h.2.aM~<M)'c

e<<e nombre, voir p)t)s!)aut et). 8

et.'iuiv.

F)NN

t)0 PREMtEUVOLUMK

))E LA t'HYStQDE O'AiOSrOTt:.

Page 673: La Physique d Aristote

TAHLHDES MATURES./)9()

TABLE DES MATIÈRES

))UP!<EM)ER~OLUMH

t)H LA PHYSIQUE D'AKTSTOTE.1)~ l~,A PJIYSIQUE D'ARISTOTE.

-~o-<~0-

PACf-S.

Préface. 1

Paraphrase de !a Physique d'Aristote.

Dissertationsur la composition de la Physique. ~1&

Leçonsde Physique, Livre t. ~29

Table des matières du premier volume /<96

Page 674: La Physique d Aristote

OB6<330s S