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les animaux & La police Où est le bosquet ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. Et que signifie l’adieu au cheval rapide et à la chasse ? La fin de la vie et le début de la survivance ( Chef Seattle, tribu des Duwamish, 1854 )

La police et les animaux

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DESCRIPTION

Que viennent faire des animaux avec un képi au Musée de la Police Intégrée ? Ce titre désigne à la fois les auxiliaires de la police – comme le chien ou le cheval – et les bêtes que la police est chargée de protéger ( animal victime de mauvais traitements ) ou de contrôler ( animaux « gonflés» aux hormones, importés illégalement, etc. ) Bref, les animaux qui portent le képi et ceux auxquels s’intéressent les agents en képi.

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les animaux&

La police

Où est le bosquet ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. Et que signifi e l’adieu au cheval rapide et à la chasse ? La fi n de la vie et le début de la survivance

( Chef Seattle, tribu des Duwamish, 1854 )

Catalogue de l’exposition « Les animaux sous le képi », Musée de la police intégrée, 2013

Sommaire

Introduction

Première partie : les acteurs de la protection des animaux • La Loi ………………………………………………………………………………………

• La police ……………………………………………………………………………………

• Les partenaires de la police ………………………………………………………………

Deuxième partie : les acteurs d’autrefois • La gendarmerie ……………………………………………………………………………

• La police rurale ……………………………………………………………………………

• Les gardes forestiers ……………………………………………………………………

Troisième partie : les auxiliaires de la police • Le cheval ……………………………………………………………………………………

• Le chien ……………………………………………………………………………………

• Les insectes ………………………………………………………………………………

Quatrième partie : les victimes de toujours • L’animal compagnon………………………………………………………………………

• L’animal nourriture …………………………………………………………………………

• L’animal tradition …………………………………………………………………………

Cinquième partie : les victimes de demain • L’animal marchandise ……………………………………………………………………

• L’animal otage de l’écoterrorisme ………………………………………………………

• La pollution ennemie des hommes et des bêtes ………………………………………

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Introduction

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Introduction

Que viennent faire des animaux avec un képi au Musée de la Police Intégrée ? Ce titre désigne à la fois les auxiliaires de la police – comme le chien ou le cheval – et les bêtes que la police est chargée de protéger ( animal victime de mauvais traitements ) ou de contrôler

( animaux « gonflés» aux hormones, importés illégalement, etc. ) Bref, les animaux qui portent le képi et ceux auxquels s’intéressent les agents en képi. Dans les deux cas, l’histoire que ces animaux nous racontent est celle des hommes. Car ce sont eux qui se sont appropriés certaines espèces pour servir de compagnons ou de nourriture, eux qui fixent le cadre légal permettant aux animaux de vivre parmi nous. Ces règles ne cessent de changer parce le monde est de plus en plus peuplé mais aussi transformé par l’homme, au point que la survivance de nombreuses espèces est aujourd’hui mise en question. Faire la police des animaux, c’est donc aussi réfléchir à notre environnement, à notre rapport à la terre.

L’environnement ou le bien-être animal souffrent parfois de la comparaison avec d’autres aspects plus évidents du travail policier, à commencer par la protection des hommes eux-mêmes. L’exposition ne cherche pas à remettre en cause cette perception des choses. En mettant les animaux au cœur du travail policier, elle vise, d’une part, à montrer quels sont les enjeux de la défense de la nature pour la société et, d’autre part, à souligner à quel point le travail de la police est diversifié. Elle permet en outre de rappeler que le présent est intimement lié au passé puisque les objets et les exemples repris

ici appartiennent tant à l’histoire qu’à l’actualité.

A ce titre, l’exposition constitue en-fin un plaidoyer pour l’existence du musée : le rôle de celui-ci est de pré-server un patrimoine et de s’en servir pour faire mieux connaître la police. Mais ce rôle est-il bien compris ? Il est permis d’en douter au vu des dif-ficultés structurelles dont souffre le musée depuis sa création. Inviter le public à découvrir, à travers objets et photos, ce qu’un aspect du tra-vail policier nous apprend sur la so-ciété aidera peut-être à réveiller les consciences. A cet égard, toute aide est bienvenue. Vous avez remarqué une erreur ou une lacune dans ce dossier ? Vous possédez des objets ou des informations utiles pour com-pléter l’exposition ? N’hésitez pas à nous contacter. L’avenir du musée passe par l’engagement de tous les amateurs d’histoire policière.

La tradition au musée est de confronter passé et présent. Pour plus de clarté, nous commencerons

par l’actualité en énumérant les acteurs de la police des animaux qui existent toujours, avant de revenir sur ceux qui ont disparu. Ensuite, nous présente-rons brièvement les animaux policiers en mettant l’accent sur leur dimension écologique – il ne s’agit pas ici de proposer une étude exhaustive des chiens ou des chevaux de la police. Enfin, dans les deux dernières parties, nous détaillerons la question de la criminalité liée aux animaux, hier et aujourd’hui. A la fin de chaque partie, nous proposerons des pistes pour ouvrir le débat sur un thème général : pendant la visite du musée, à la maison, en classe … Une manière de rappeler que dans une démocratie, il est vital que chacun puisse donner son avis sur la sécurité.

0.Introduction

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Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

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Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

Le premier acteur est bien entendu le législateur. Car il n’est pas inutile de rappeler que la police constitue l’auxiliaire de la justice, dont elle se détache progressivement au XVIIIe siècle. Sa mission première est donc de faire respecter les lois. Or celles-ci sont votées par le pouvoir exécutif

et reflètent les préoccupations de la société, qui évoluent au fil du temps.

L’animal objet ( début du XIXe siècle )

Du code civil de 1804 au traité de Rome de 1957, l’animal est perçu comme une marchandise, un bien, dans une nature vouée à satisfaire les besoins de la société. Dans le domaine de l’environnement, la législation défend la propriété et l’exercice de celle-ci : qui a le droit de ramasser du bois et dans quelles conditions ? Le code rural de 1886 continue même de fournir un cadre légal à ces traditions médiévales que sont le maraudage ( prendre des fruits chez autrui ) ou le glanage ( droit pour les pauvres de ramasser, à la main, ce qui traîne sur les champs après la récolte par le fermier ). Quand

la loi évoque les animaux, ce n’est pas pour les protéger des hommes, mais pour limiter les abus, c’est-à-dire l’accaparement de la nourriture par certains ou le recours à des pra-tiques dangereuses pour la santé des hommes et l’environnement, par exemple l’usage de poisons nocifs. Ainsi, lorsque la loi sur la pêche flu-viale de 1899 interdit de pêcher en certaines circonstances – la nuit, sous la glace ou encore avec des nasses –, elle vise les astuces permettant d’at-traper plus de poissons.

L’animal victime ( seconde moitié du XIXe siècle )

Dans le même temps, des voix s’élèvent pour prendre la défense du bien-être de ces animaux. On as-socie cette évolution à l’émergence du concept de pitié dans les écrits des philosophes des Lumières, en particulier l’Anglais Jeremy Bentham ( 1748-1832 ). On doit à ce pionnier de la criminologie moderne une idée souvent reprise par les défenseurs de la cause animale : le principal argu-ment pour ouvrir le débat en faveur des animaux n’est pas de savoir s’ils peuvent parler ou raisonner ( et donc se défendre eux-mêmes ), mais bien s’ils peuvent souffrir. Son pays est le premier à voter une loi protégeant le

bétail, dès 1822 ( le Martin’s Act ), puis, en 1876, une loi contre la cruauté envers les animaux, consacrant par là la naissance de ce concept.

Pourquoi l’Angleterre ? Ici démarrent la modernisation de l’agriculture et l’essor de l’industrie en Europe, bouleversant le rapport privilégié que l’homme entretient avec la nature. Peu à peu, celle-ci perd sa magie ( la forêt mystérieuse des contes de fées ) pour devenir un simple décor dont il s’agit de tirer profit au maximum. En réaction à ce phénomène naît en Angleterre un mouvement « romantique » qui prend conscience de ce changement irré-médiable et, du coup, s’enthousiasme pour l’environnement ( d’où la mode

1. Les acteurs de la protection

des animaux : la Loi

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Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

des « parcs à l’Anglaise » ) puis pour les animaux. Chats et chiens béné-ficient d’une attention nouvelle qui transforme certains d’entre eux en véritables substituts affectifs : l’ani-mal domestique est né.

Touchée par ce mouvement, la Belgique adapte petit à petit sa lé-gislation très cartésienne héritée de l’occupation française. Ainsi, la mul-tiplication des sévices subis par les

animaux sur les routes ou dans les abattoirs justifie en 1867 l’apparition dans le code pénal de la notion de cruauté exercée contre les animaux. Cependant, la mesure ne concerne que les sévices perpétrés en pu-blic : le principal souci est d’éviter que le comportement violent envers les bêtes influence l’attitude des hommes entre eux. En privé, chacun reste libre de maltraiter son animal. Il faudra un long travail de sensibi-

lisation orchestré par les premières sociétés de défense des animaux ( voir chapitre 3 ) pour que la notion de mauvais traitements se précise dans la loi et dépasse le cadre de la simple morale. Parmi les arguments avancés figure l’utilité économique : quelles performances espérer d’une bête de somme battue sans arrêt ? La viande d’un animal trop stressé ne risque-t-elle pas d’être mauvaise ?

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Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

La Grande Guerre, avec son cor-tège de massacres inutiles et aussi d’actes héroïques opérés par des animaux ( chevaux, pigeons, … ), accélère le mouvement qui aboutit finalement à la loi de 1929, la pre-mière consacrée exclusivement à la cruauté envers les animaux. On y condamne notamment la posses-sion d’oiseaux chanteurs dont on a crevé les yeux ( souvent des pinsons, aveuglés au fer rouge ), l’animal saisi devant être immédiatement abattu par un fonctionnaire habilité. Cette loi sera modifiée en 1975 de manière à ce qu’un simple « mauvais traite-ment » suffise à une action judiciaire puis remplacée en 1986 par une nou-velle loi plus en phase avec la nou-velle conception de l’environnement.

L’animal symbole ( fin du XXe siècle )

L’usage de ce mot (environnement)pour désigner la nature dans son ensemble ne remonte pas au-delà de la seconde moitié du XXe siècle. Jusque là, la notion de protection de la nature ( création des réserves naturelles en 1951 ) se limite à cer-tains paysages que l’on souhaite conserver au même titre que les monuments créés par l’homme. Ce-lui-ci commence à parler d’environ-nement lorsqu’il prend pleinement conscience que les animaux et la nature forment un tout indissociable et reposant sur un équilibre qu’il im-porte à tout prix de préserver. Cette prise de conscience doit beaucoup à la brusque irruption de la probléma-tique du nucléaire – à la fois énergie puissante et force de destruction massive. Alors que personne jusque là n’avait vraiment réfléchi aux dan-gers de l’industrialisation à outrance, on réalise que l’homme est capable de manipuler les éléments au point de mettre en péril l’avenir de la terre.

Des scientifiques et des amou-reux de la nature se mettent alors à constituer des associations ou des groupes de réflexion qui se fédèrent en 1948 lors d’une réunion à Fon-tainebleau en France pour donner naissance à l’IUCN : International Union for Conservation of Nature. Son message est que la protection de la nature est un problème mondial qu’il faut affronter dans sa globalité.

Les changements climatiques, la bio-diversité, la maîtrise de l’énergie et le bien être des hommes constituent ses thèmes de croisade, tous liés les uns aux autres. En ce qui concerne les animaux, l’IUCN adopte en 1963 une résolution sur le commerce des espèces sauvages qui va servir de base au texte de la convention de Washington 10 ans plus tard. Elle publie également la première liste d’espèces menacées en 1966.

La signature de la convention de Washington, dite convention CITES ( Convention on International Trade of Endangered Species ), est la première victoire juridique de la bataille de l’environnement. Cette bataille n’est gagnée que lentement et graduel-lement. D’abord, la convention ne concerne que le commerce ; ensuite, il faut attendre 1981 pour qu’elle soit intégrée au droit belge, puis 1996 pour la réglementation européenne. Entre-temps, des mesures liées aux espèces européennes apparaissaient déjà en 1979 dans les conventions de Berne sur la conservation de la vie sauvage et de Bonn sur les animaux migrateurs ( deux textes appliqués en Belgique dès 1989 ). On retrouve par ailleurs la préoccupation pour les espèces animales au travers des initiatives européennes en faveur de la protection des paysages, qui culminent avec le projet dit « Natura 2000 » sur la notion d’espace protégé. Les espaces concernés représentent plus d’un cinquième du territoire de l’Union sur le plan de la superficie. Citons enfin le système des plans d’action européens dits NEHAP – Na-tional Environment and Health Action Plan : il s’agit d’une sorte de modèle à suivre pour améliorer la situation de l’environnement au sens large ; la Belgique possède le sien depuis 2003 ( développé par le SPF Santé Publique ).

L’animal doué de raison et doté de droits spécifiques ?

Entre-temps, les défenseurs de la cause animale ont fait progresser leur combat dans une autre direction : celle de l’éthologie, les rapports entre l’homme et l’animal. Dans le droit hu-main, l’animal n’a pas de statut d’être vivant : il reste réifié, une chose, ce qui peut paraître excessif pour les

espèces les plus proches de nous, comme les chimpanzés ( 99,5% de gènes communs avec l’homme ). In-fluencés par des penseurs comme l’Australien Peter Singer ( Animal Liberation, 1975 ) et l’Américain Tom Reagan ( The Case for Animal Rights, 1983 ), certains militent donc pour l’octroi aux animaux de droits personnels équivalents à ceux des hommes. Il ne s’agit donc plus seu-lement de défendre l’animal mais de respecter et valoriser la culture qui lui est propre en fonction de son espèce. On parle désormais de bien-être ani-mal ( welfare ) plutôt que de protec-tion. Une déclaration universelle des droits des animaux est proclamée à l’UNESCO ( Paris ) dès 1978, mais elle peine à trouver une expression concrète dans les législations euro-péennes. L’Europe franchit cepen-dant un pas décisif en 1997 avec le traité d’Amsterdam, qui enjoint les membres de l’Union européenne au « respect des animaux en tant que créatures douées de sensibilité » – et non plus comme marchandises.

Les faiblesses de l’arsenal juridique

Trois obstacles limitent toujours l’efficacité de la réponse judiciaire au défi de l’environnement. D’abord, malgré un net durcissement depuis les années 2000, les peines encou-rues demeurent faibles par rapport à d’autres formes de criminalité. Ain-si, le non-respect de la convention CITES est punissable d’une peine de prison allant de 6 mois à 5 ans ain-si que d’une amende entre 2500 et 50.000 Euros. A noter que la ministre Lorette Onkelinx présente en juillet 2012 un avant-projet de loi prévoyant notamment des amendes plus fortes en cas de maltraitance animale, de nouvelles mesures pour l’application de la réglementation CITES, ainsi que la transposition de la directive euro-péenne 2010/63 renforçant la pro-tection des animaux de laboratoire.

Ensuite, les tentatives d’homo-généisation du droit au niveau eu-ropéen se heurtent à la barrière des frontières nationales. Dès 1990, un bras de fer oppose l’Europe à la France, après que celle-ci ait auto-risé l’importation de 6000 fourrures

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de chats sauvages provenant de Bolivie, malgré une interdiction eu-

ropéenne. L’exercice est complexe ( il faut éviter les contradictions avec les législations existantes ) et parfois mal vu dans une Europe où la justice reste une des dernières chasses gar-dées des souverainistes. En 2005, la cour de justice européenne doit par exemple annuler une décision cadre du Conseil de l’Europe de 2003 sur la nécessaire collaboration entre les autorités nationales dans le do-maine de l’environnement, à cause des limitations qu’elle imposait à la souveraineté des Etats. Un effort a été consenti lors de la présidence belge de l’EU en 2010, lorsque les procureurs européens spécialisés dans l’environnement réunis tous ensemble ont posé les bases d’un futur réseau de collaboration.

Enfi n, la complexité de la ma-tière ne simplifi e pas le travail des premiers agents chargés de la faire respecter : les policiers. La remarque prend tout son sens en Belgique où

il faut en plus composer avec les différents niveaux de pouvoir. Les compétences du ministère de l’agri-culture ( avec les délits de chasse ou de pollution environnementale ) sont régionalisées à partir de 1980, tandis que le bien-être animal ou l’hygiène alimentaire demeurent une compé-tence fédérale du Service Public Fédéral Santé publique. Et la justice demeurant elle-aussi une préroga-tive du pouvoir central, les crimes en matière d’environnement sont tous du ressort du tribunal. Il existe d’ailleurs des magistrats spécialisés dans la criminalité environnementale. Une tendance actuelle est de déve-lopper les amendes administratives et donc les possibilités d’éviter une procédure judiciaire plus lourde et complexe ; c’est l’objet notamment du décret pour l’environnement pro-mulgué en avril 1995 par la Région flamande ( Milieuhandhavingsde-creet ), mais d’application depuis mai 2009 seulement.

Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

Repères chronologiques1810 : Code pénal

1854 : Code forestier

1882 : loi sur la chasse

1886 : Code rural

1899 : loi sur la pêche fl uviale

1929 : première loi sur la protection des animaux ( nouvelle loi en 1986 )

1973 : convention de Washington dite CITES

1978 : déclaration universelle des droits de l’animal

1992 : Protocole de Kyoto

1997 : Traité d’Amsterdam

2002 : fi n de la régionalisation de l’agriculture et de l’environnement

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Les acteurs de la protection des animaux : la Loi

Les acteurs de la protection des animaux aujourd’hui

De hoofdrolspelers inzake dierenbescherming vandaag

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La Loi - De wet

1854 :Code forestier

Boswet

1802 :

1886 :Code rural

Landbouwwet

1930 :

1900

1800

1929 :Première loi sur la protection

des animaux

Eerste wet op de bescherming van dieren

1988 :Conseil du bien-être animal

Raad voor dierenwelzijn1992 :

Protocole de Kyoto

Protocol van Kyoto

1997 :Traité d’Amsterdam

Verdrag van Amsterdam

20002009 :

Conseil du bien-être animal

Raad voor dierenwelzijn

1973 :Convention de Washington

dite CITES

Conventie van Washington, de zogenaamde CITES

1978 :Déclaration universelle des droits de l’animal

Universele Verklaring van de Rechten van het Dier

■ L’animal objet ■ Het dier als voorwerp■ L’animal victime ■ Het dier als slachtoffer■ L’animal symbole ■ Het dier als symbool■ Des droits spécifi ques pour les animaux ? ■ Specifi eke rechten voor de dieren

panneau de l’exposition

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Les acteurs de la protection des animaux : la police

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Les acteurs de la protection des animaux : la police

«Dans l’exercice de leurs missions de police administrative ou ju-diciaire, les services de police veillent au respect et contribuent à la protection des libertés et des droits individuels, ainsi qu’au développement démocratique de la société. Pour accomplir leurs

missions, ils n’utilisent des moyens de contrainte que dans les conditions prévues par la loi » ( loi sur la fonction de police, article 1 ).

Les policiers sont les agents de l’Etat chargés du maintien d’ordre ( la sécurité publique ) et du respect des lois. Ils sont les seuls à détenir le droit de faire usage de la force, selon des procédures extrêmement réglementées. Leur intervention en faveur des animaux survient donc soit lorsque la machine judiciaire se met en marche ( volet répressif ), soit lorsque l’intégrité physique des citoyens ou des animaux est menacée. Depuis les accords Octopus de 1998 ( mise en place 2001-2002 ), les policiers belges ont tous le même statut dans le cadre de la police intégrée. Mais celle-ci se structure à deux niveaux : une police fédérale dépendant des ministres de l’Intérieur et de la Justice, et un ensemble de corps de polices locales, placées sous l’autorité

des bourgmestres au sein du conseil de police.

Au niveau fédéral : appui et missions spécialisées

La plupart des unités de police administrative de la police fédérale contribuent à la lutte contre la crimi-nalité environnementale de par les saisies qu’elles sont amenées à faire durant leur travail de contrôle. Citons en particulier la police de la navigation, des chemins de fer et la police de la route. Mais ce travail relève cependant avant tout de la police judiciaire fédé-rale, chargée de la lutte contre la cri-minalité dite grave, c’est-à-dire répéti-tive, organisée et à échelle industrielle, dans le but de gagner de l’argent ( par opposition au citoyen irrespectueux qui jette ses ordures illégalement ). Elle se compose de directions cen-trales et de services déconcentrés au niveau de chaque arrondissement judiciaire. Ceux-ci sont chargés des enquêtes que lui confi e le Parquet, mais leur mission est aussi de suivre les priorités fi xées tous les quatre ans dans le plan national de sécurité, un document de référence approuvé par le gouvernement fédéral.

Au sein des directions centrales, les services spécialisés abordent la question des animaux selon l’angle

qui leur est propre : cellule hormones, service terrorisme et sectes ( pour l’écoterrorisme, voir chapitre 14 ) et bien entendu le service environnement. Ce dernier est l’héritier d’une section créée par la police judiciaire en dé-cembre 1991 et d’une cellule instituée en 1995 au sein du BCR ( Bureau Central de Recherches ) de la gendarmerie. Il privilégie quatre aspects de la criminalité environnementale : le dépôt clandestin des déchets, la biodiversité ( CITES ), le trafi c de feux d’artifi ces et le trafi c de matériaux radioactifs. Les deux premiers retiennent une attention particulière. Dans le cas de CITES, la police fédérale ne s’intéresse qu’aux animaux de catégorie I et II, les plus

2. Les acteurs

de la protection

des animaux : la police

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Les acteurs de la protection des animaux : la police

menacés et donc recherchés par les trafiquants professionnels. Mais le service environnement aide aussi la police locale à identifier une espèce saisie inconnue ( expertise ). La ques-tion du trafic des déchets fait l’objet du projet Augias, visant à identifier les flux européens de ce trafic. Ce projet nécessite la collaboration des unités de terrain puisqu’il repose sur la rédaction d’un formulaire type à l’occasion de chaque infraction constatée. L’analyse de ces données constitue ici le travail de l’analyste stratégique, un membre du personnel civil rompu à l’exercice de la statis-tique judiciaire.

Le service environnement, comme les autres unités centrales, n’entre-prend lui-même aucune enquête judiciaire. La mission des services d’appui est d’aider les unités de ter-rain quand elles en ont besoin, par exemple pour une perquisition, mais surtout de servir de pôle de coordi-nation : conseil en matière de régle-mentation, formations spécifiques, point de contact avec les autres administrations et les structures in-

ternationales. Ainsi, c’est le service environnement qui représente la Bel-gique au sein des nouvelles struc-tures internationales qui sont mises en place, comme le réseau IMPEL ( European Union Network for the Im-plementation and Enforcement of En-vironmental Law ) et l’EnviCrimeNet, un réseau policier informel créé suite à une réunion à Budapest en 2011. Enfin, les services centraux jouent un rôle de sensibilisation auprès de la population, par exemple pour la problématique des NAC nouveaux animaux de compagnie).

Au niveau local : travail de proximité et rôle du bourgmestre

Le service environnement de la police fédérale anime le réseau de près de 700 fonctionnaires char-gés de la lutte contre la criminalité environnementale, parmi lesquels nombre de membres de la police locale. L’annuaire interne de la po-lice signale 58 zones avec un service ou un responsable environnement,

dont 37 en Flandre. Il s’agit parfois d’une fonction au sein d’un service qui peut être les vols, la circulation, les armes ou même l’appui canin ( Gedinne ) ! A Charleroi, on parle de service qualité de vie. La zone de Lanaken-Maasmechelen mentionne explicitement les animaux dans l’in-titulé du service. La première police des animaux au niveau local est ce-pendant celle de Saint-Trond, Ginge-lom et Nieuwerkerken ; elle apparaît en 2002 suite à une réunion entre le bourgmestre Ludwig Vandenhove, le commissaire en chef Philip Pirard et Michel Vandenbosch, président de l’association militante Gaia.

L’existence ou non d’un service spécifique est en fait une simple question d’organisation interne ; car si toutes les zones n’ont pas de spé-cialiste en matière d’environnement, tous les délits constatés en matière de pollution et de cruauté envers les animaux sont de leur ressort. La po-lice locale est chargée de la bonne exécution des arrêtés de police ad-ministrative que le bourgmestre, sur base de la loi communale ( version du

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24 juin 1988 ), est chargé de publier en matière d’animaux « malfaisants ou féroces », de troubles de l’ordre public ( liés à la présence d’un cirque, un élevage, … ) et de déchets.

La zone Haute-Meuse ( Dinant ) nous fournit l’exemple d’une police de l’environnement confrontée aux petits problèmes d’hygiène publique en milieu rural. Elle compte une seule personne, membre du réseau men-tionné plus haut. Au volant de son véhicule tout-terrain, il parcourt les chemins à la recherche de dépôts clandestins de déchets, une mission jugée prioritaire ( en 2006 ) dans le plan zonal de sécurité – équivalent local du PNS. En collaboration avec la police domaniale de la Région wal-lonne, il tente de régler le problème des sacs poubelles abandonnés en forêt. Il essaie aussi d’apaiser les tensions de voisinage causées par les nuisances des carrières de pierre. Enfin, dans ses moments creux, il donne des séances de sensibilisation dans les écoles.

Une criminalité difficile à appréhender

La police est le témoin privilégié des difficultés liées à la matière : « la

législation en matière d’environne-ment est très complexe et difficile à appréhender pour des non-spécia-listes, ce que sont manifestement les policiers ». La phrase provient d’une enquête publiée par les édi-tions Politeia en 1992, qui dresse le constat alarmant d’une police tota-lement inefficace en matière d’envi-ronnement, à l’exception du cas des décharges, pour peu que l’édilité lo-cale ne soit pas complice passif des mauvaises pratiques de ses élec-teurs, comme les auteurs ont parfois pu le constater. Le dossier n’aborde pas la question des animaux, mais la situation en cette matière n’est guère plus brillante, malgré l’exis-tence sporadique d’une association de policiers pour la protection des animaux, inspirée par le groupement hollandais Politie-Dierenbescherming fondé en 1954.

Pour réagir à ce sentiment d’im-puissance, l’inspectrice Barbara Hou-ben ( photo ci-dessus ) de la police locale Hageland ( Bekkevoort ) rédige au début des années 2010 un manuel pratique à l’attention de ses collè-gues, reprenant tous les aspects de la protection des animaux – preuve s’il en est que le travail de policier local n’exclut pas la qualité d’expert.

Conçu de manière très fonctionnelle ( un particulier a-t-il le droit d’enterrer son chien dans son jardin ? Que faire en cas de saisie d’un oiseau d’une espèce protégée ? etc. ), le manuel rencontre un tel succès qu’il fait l’ob-jet d’une version enrichie publiée en 2012 à l’attention de tous les spé-cialistes. Car la police est loin d’être seule face au défi de la protection des animaux.

Les acteurs de la protection des animaux : la police

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Les acteurs de la protection des animaux : les partenaires de la police

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Les acteurs de la protection des animaux : les partenaires de la police

Dans la lutte pour l’environnement et la défense des animaux, la police se singularise par son pouvoir de coercition et de l’usage de la force. Elle est donc le maillon ( certes essentiel ) d’une chaîne qui inclut le citoyen lui-même. Car dans un pays démocratique, les pouvoirs

publics auxquels la police obéit sont l’émanation de la société civile dont elle tâche d’exprimer les aspirations. En Belgique, l’orientation générale de la politique en matière de défense des animaux est fournie par un organe consultatif très écouté des gouvernants : le Conseil du bien-être animal, com-posé de représentants d’associations militantes, du Boerenbond ( syndicat agricole ), de vétérinaires et de professeurs d’université.

Ce conseil fait écho aux instances internationales similaires, à commencer par le groupe scientifique sur la santé et le bien-être des animaux ( AHAW ), purement consultatif, qui dépend de l’EFSA – European Food Safety Au-thority, instituée en 2002. On peut mentionner enfin les instances policières internationales présentes en Belgique, car leur rôle est purement informatif. Ainsi, il existe un bureau de TRAFFIC à Bruxelles depuis 1984, soit huit ans après la création à Cambridge de ce réseau destiné à encourager les Etats à agir davantage en matière de protection des espèces et de l’environnement.

En 1990 apparaît un réseau spécifique TRAFFIC Europe ( incluant des Etats hors CE ) réunissant des bureaux ré-gionaux spécialisés, dont celui de Bruxelles, chargé plus spécialement des reptiles et du problème croissant de l’Europe de l’Est.

Les partenaires publicsCes acteurs ne sont toutefois qu’un

partenaire assez éloigné de la police, et surtout n’entretiennent avec elle aucun lien organique. Il en va autre-ment des partenaires directs que sont les agents assermentés de l’autorité fédérale ou des pouvoirs régionaux et locaux. Au sein de ces adminis-trations, certains agents sont revê-tus d’un pouvoir discrétionnaire : ils sont habilités à mener des enquêtes, procéder à des inspections et rédi-ger des procès-verbaux; ils peuvent porter un uniforme voire une arme. Ils ne peuvent toutefois accomplir plei-nement leur tâche sans l’aide de la police car au contraire de celle-ci, ils n’ont pas le droit d’arrêter quelqu’un ni de faire usage de la force pour dé-fendre autrui.

Le plus ancien de ces partenaires est la douane – l’administration des douanes et accises, qui dépend du SPF finances, le trésorier de l’Etat. Depuis l’ouverture des frontières par le traité de Schengen en 1992, son

travail s’est réorienté vers le contrôle des innombrables marchandises qui entrent en Belgique, c’est-à-dire la vérification de leur conformité à la légis-lation en vigueur, y compris la convention CITES. La douane est donc aux premières loges pour intercepter les animaux importés illégalement, mais dès leur saisie, ceux-ci sont confiés aux agents d’un autre ministère, davantage concerné par le sujet.

3. Les acteurs de la

protection des animaux :

les partenaires de la police

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Les acteurs de la protection des animaux : les partenaires de la police

Il s’agit du SPF Santé publique ( FOD Leefmilieu, Volksgezondheid en Veiligheid van de voedselketen ), chargé de fixer les normes tant en matière d’environnement que d’ali-mentation ( médicaments vétérinaires, pesticides, denrées, … ) Il lui revient également de contrôler le bon res-pect de ces normes. Au sein de la DG Animaux, végétaux et alimentation se trouve le service bien-être animal et le secrétariat CITES. Ses membres, parmi lesquels des vétérinaires, sont revêtus de compétences judiciaires en matière de la loi sur le bien-être animal ; ce sont d’ailleurs les seuls fonctionnaires belges habilités à sai-sir un animal et le confier à un tiers, ainsi qu’à inspecter les laboratoires qui recourent à l’expérimentation animale. Au sein de la DG Environ-nement se trouve une cellule plus petite compétente pour le contrôle du transit des déchets, principale-ment au niveau des ports d’Anvers et Zeebrugge.

Le dernier grand acteur au niveau de l’Etat central est l’Agence fédé-rale de sécurité de la chaîne alimen-taire, chargée de l’inspection et du contrôle, mais aussi du bien-être, de toutes les espèces vivantes suscep-tibles de se retrouver sur l’assiette du consommateur belge. L’AFSCA naît en 2000 ( mise en place en 2002 ) sur base de deux directions géné-rales du ministère de l’Agriculture et de l’IGDA ( inspection des denrées alimentaires ) du ministère de la San-té Publique ainsi que l’IEV – Institut d’expertise vétérinaire. L’idée était qu’une structure autonome et spé-cialisée permet d’offrir une protection optimale au consommateur, dans un climat de perte de confiance suite à la crise de la dioxine ( voir chapitre 13 ). Elle est divisée par provinces et par secteurs : production ( fermes & abattoirs ), transformation ( ateliers, meuneries, brasseries ) et enfin dis-tribution ( magasins, marchés, hore-ca ). Elle joue un rôle de contrôle qui se traduit par des enquêtes sur le terrain, des analyses ( elle possède ses propres laboratoires ) mais aussi par la mise en œuvre du baromètre de la sécurité alimentaire. Lorsqu’un dossier d’enquête s’avère trop gros ou complexe, il est fait appel au SPF Santé publique. Et bien entendu, c’est la police qui intervient en cas

de perquisition ou de risque pour l’intégrité physique des inspecteurs, ce qui arrive malheureusement de plus en plus : en 2011, le nombre de plaintes pour agressions à l’encontre de ses agents a plus que doublé.

Des pouvoirs de police hors du contrôle de l’Etat fédéral

En matière d’environnement, l’Etat fédéral partage ses compétences avec les autres niveaux de pouvoir. Au niveau communal, chaque ad-ministration possède en principe au moins un fonctionnaire affecté à l’environnement ; il est toutefois dé-pourvu de pouvoir policier. Au niveau régional, les entités fédérées dis-posent, d’une part, de services voués à l’information et à la sensibilisation du public ( Natuurpunt en Flandre et Natagora en Wallonie ) et, d’autre part d’institutions revêtues de réelles compétences de police. En Flandre, le ministère de l’environnement dé-nommé d’abord AMINAL, puis LNE ( Departement Leefmilieu, Natuur en Energie ), définit la politique que des agences régionales se chargent en-suite de faire exécuter : Agentschap voor Natuur en Bos ( ANB ) pour l’en-vironnement ou Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij ( OVAM ) pour les déchets. La « police » char-gée de la nature porte le nom de Milieu-inspectie en natuur en bos. La Wallonie a institué dès 1990 une

Division des Pollutions Industrielles, devenue ensuite Division de la Police de l’environnement puis DPC, Dépar-tement de la police et des contrôles, intégré à la DG des Ressources na-turelles et de l’environnement.

Ce pouvoir n’est cependant pas assimilable en tous points à celui des policiers. Sur le papier, d’abord, puisque ce sont des officiers de police judiciaire à compétence res-treinte. Sur le terrain ensuite, à cause du flou qui entoure inévitablement le statut de fonctionnaires nouvellement créés au sein d’institutions régionales encore relativement jeunes. Agacé par le classement sans suite de la plupart des PV en matière de bra-connage, le ministre wallon José Happart pousse en 2003 à la créa-tion d’une unité spécifique : l’unité de lutte anti-braconnage ( UAB ). Il existe par ailleurs une unité de Répression des Pollutions ( URP ). Leur fonction-nement n’est pas toujours aisé ; la première a connu plusieurs crises liées au manque de personnel tan-dis que la seconde attend toujours, en 2012, de recevoir des armes pour se défendre.

Les partenaires privésAucun de ces problèmes n’apparaît

au niveau des associations privées, dépourvues de toute prérogative. Elles méritent cependant notre atten-tion à cause du rôle crucial qu’elles

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Les acteurs de la protection des animaux : les partenaires de la police

jouent, tant dans la stimulation de l’appareil législatif que par leur pré-sence ponctuelle aux côtés des poli-ciers. Certaines sont très anciennes, et on retrouve en elles l’écho des préoccupations des époques suc-cessives.

Les sociétés traditionnelles de défense de l’environnement

Les sociétés protectrices des ani-maux apparaissent au XIXe siècle suite à l’intérêt croissant pour le bien-être des bêtes de somme et des animaux domestiques : 1824 en Angleterre, 1846 en France, 1863 en Belgique. Leur maître-mot est la pédagogie : favoriser l’amour entre les hommes grâce à l’amour des bêtes, de sorte que les instituteurs et les curés sont à cette époque des partenaires privilégiés pour diffuser leurs idées. Leur public-cible : les en-fants, bien sûr. Au tournant du siècle, le professeur de science Jules Ruhl adapte le livre Kindness to Animals de l’Américain John P. Haines, conçu comme une série de leçons très concrètes à l’attention des petits ; on y apprend par exemple pourquoi un animal de trait s’arrête parfois brus-quement et comment le faire repartir sans violence. A Liège, la SPA se fait remarquer en finançant en 1888 les jolies fontaines-abreuvoirs qui ornent encore aujourd’hui la ville : la vasque du dessous est pour les chiens, celle du milieu pour les chevaux et celle du dessus, pour les oiseaux. Mais le but de ces sociétés est aussi, lit-on dans les statuts de la SPA belge, de « provoquer l’adoption de toutes mesures législatives, administratives ou de police destinées à interdire ou réprimer tous traitements inintelli-

gents, barbares ou cruels envers les animaux assujettis au travail ou des-tinés à l’alimentation ».

L’action de ces sociétés concerne uniquement les animaux en lien avec les hommes, et non les espèces sau-vages. En outre, elles ne cherchent jamais la confrontation avec l’au-torité mais privilégient toujours le compromis. Avec le temps, elles se

transforment donc en service auxi-liaire au profit de la communauté, en particulier en proposant des refuges pour les animaux abandonnés ou maltraités – libérant ainsi les admi-nistrations communales d’une charge pesante. Citons l’asile bien connu de Veeweyde, à Anderlecht, héritier de la Société contre la cruauté envers les animaux fondée en 1908 par Jules Ruhl, déjà cité. Une statue est élevée à son nom à l’entrée du Parc Reine Astrid en 1946.

Petit à petit, ces vénérables as-sociations s’adaptent à l’intérêt croissant pour les espèces non domestiques. Après la deuxième guerre, Veeweyde fusionne avec l’Association Royale de Protection des Animaux et avec la Ligue In-ternationale contre la Vivisection. Mais d’autres sociétés apparaissent pour défendre l’environnement dans sa globalité ainsi que les espèces menacées de disparition. La plus connue est bien sûr le WWF, World Worldlife Fund ( World Wide Fund for Nature depuis 1986 ), fondé en 1961 avec l’aide de l’IUCN, dans le but de lutter pour la préservation de la diversité biologique. Parmi ses fon-dateurs figurent Sir Julian Huxley, spécialiste de l’habitat sauvage en Afrique, et Max Nicholson, illustre or-nithologiste, mais aussi des notables,

adeptes de la chasse, préoccupés par la menace pesant sur certaines espèces, comme le prince Bernhard de Lippe-Biesterfeld, époux de la reine Juliana de Hollande. Le choix du panda, animal menacé, pour re-présenter la fragilité de l’écosystème est en soi le meilleur témoignage de ce nouvel état d’esprit.

Le WWF a son antenne belge dès 1966. Toutes ces associations restent fidèles à la ligne directrice de mo-dération de ton et de compromis avec les pouvoirs publics : s’adap-ter, prévenir plutôt que punir. Un ou-vrage de la Ligue pour la défense et la protection des chevaux de mine et de surface indique clairement, en 1946, qu’il faut éviter au maximum de rédiger des procès-verbaux, entre autres afin d’éviter que la personne incriminée, frustrée, ne se venge sur un animal. Du fait de ce réalisme, les sociétés classiques sont des parte-naires privilégiés pour les services publics et continuent de rendre des services inestimables. L’ASBL Ani-maux en Péril, créée en 1983, gère deux refuges dans lesquels transitent trois mille animaux par an. Elle s’est fait remarquer durant l’été 2011 en contactant la police au sujet de mal-traitances dans une « ferme pédago-gique » à Nizelles, dans le Brabant Wallon. Après intervention de la po-lice et de l’AFSCA, le parquet de Ni-velles a ordonné la saisie de plusieurs animaux, notamment des chevaux qui « n’ont sans doute jamais vu un maréchal-ferrant de leur vie », indique à la presse le commissaire en charge du dossier à la zone de police Ouest. En mai 2012, la ministre de la San-té Publique Lorette Onkelinx choisit symboliquement les locaux de l’AS-BL pour annoncer de nouvelles me-sures en faveur des chevaux.

Certaines associations visent à un renouvellement plus radical du rapport entre l’homme et les ani-maux, en particulier celles affiliées à l’IAHAIO – International Association of Human-Animal Interaction Orga-nisations. Leur but est de souligner l’utilité sociale de l’animal : pour res-ponsabiliser les enfants, accompa-gner les handicapés, mieux intégrer les personnes âgées à leur environ-nement social, etc. Bref, de reconsi-dérer la place de l’animal dans la so-

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ciété humaine. Si elles ne constituent pas en soi un partenaire direct de la police, elles aident à faire tomber les barrières qui sont à l’origine de tant de confl its – de la prévention, en quelque sorte.

Les militants d’un engagement radical en faveur de la nature

En 1980, les associations de pro-tection des animaux de six pays européens créent à Bruxelles l’Eu-rogroup for Animal Welfare ( désor-mais Eurogroup for Animals ), afi n de servir de groupe de pression auprès des instances de la C.E. Toutes ? Pas vraiment. Certains groupe-ments n’ont pas tant de considé-ration pour les instances en place et les contraintes de la société. La remarque d’un consultant environne-mental, Solitaire Townsend, sur deux grandes associations résume crû-ment la nuance : « Si les problèmes de l’environnement vous révoltent vraiment et vous donnent envie de vous précipiter dehors pour me-ner une lutte acharnée, vous entrez

chez Greenpeace. S’ils vous rendent triste, vous donnent envie de vous assoir dans votre chambre avec une peluche et de regarder des photos d’animaux craquants, vous allez au WWF » ( « If environmental problems make you really pissed off and you want to get out there and stick it to the man, you go to Greenpeace. If they make you sad, and you want to sit in your room with a cuddy toy and look at pictures of cute animals, you would go to WWF » ).

Greenpeace fait une apparition fra-cassante sur la scène internationale en 1971 lorsqu’ils pénètrent dans le périmètre des essais nucléaires amé-ricains en Alaska, dans le but de faire capoter ceux-ci. Cette stratégie très risquée ( rappelons le drame du Rain-bow Warrior en 1985 ) va susciter des émules parmi les militants du refus catégorique des compromis opérés avec le monde des affaires et la po-litique. Sea Shepherd par exemple, née en 1977 pour une protection active des océans, n’hésite pas à s’attaquer de front aux pêcheurs de baleines, comme en témoigne encore son coup d’éclat de mars 2012 : deux

des trois bateaux harponneurs japo-nais contraints à l’arrêt.

Tout comme Peta ( USA ) ou Gaia ( Belgique et Pays-Bas ), les associa-tions très médiatisées de ce genre ne cherchent guère le compromis avec les gouvernements et leur action s’exerce à l’échelle internationale. Fin 2011, le SPF Santé Publique s’in-surge contre les conclusions jugées injustes d’un rapport de la Born Free Foundation ( association basée en Grande-Bretagne ; le nom vient d’un fi lm célèbre des années 1960 ) sur les conditions de vie dans les zoos belges, dont le ministère assure le contrôle sanitaire. Toute collabora-tion avec les autorités, y compris la police, n’est néanmoins pas exclue.

La gendarmerie et Veeweyde Quel rôle peut jouer une association modérée de défense des animaux auprès de la police ? Les archives de la

gendarmerie nous montrent que le lien qui s’établit entre l’une et l’autre se fonde sur la stimulation et le respect. En éditant un Code de Protection des Animaux en 1943, la Société contre la Cruauté envers les animaux ( Veeweyde ) encourage l’action des services de police tout en leur fournissant l’outil de travail nécessaire. La gendarmerie constitue sa cible idéale de par sa structure centralisée et son vaste réseau de brigades. Dès 1947, Veeweyde lui fournit des centaines d’exemplaires du code, à répartir entre celles-ci et les offi ciers les plus concernés. Deux ans plus tard, une note d’état-major enjoint de ne pas négliger les infractions liées au bien-être animal et rappelle l’intérêt de la publication diffusée.

La correspondance régulière entre le secrétaire-général et le commandant de la gendarmerie montre bien que le sujet n’est pas pris à la légère. Lorsque, en 1957, le premier demande au second de rappeler aux commandants de brigade la nécessité pour les chiens domestiques de bénéfi cier d’un abri contre les intempéries, le général soumet à sa correction une proposition de lettre-type. De même, il donne suite à chaque injustice ( cheval mal-traité, tenderie, etc. ) dont l’association se fait l’écho, dans les limites de ses capacités ou de ses prérogatives – il doit par exemple décliner la demande d’agir en faveur des animaux de zoos, dont la surveillance incombe à du personnel spécialisé. Enfi n, afi n d’encourager les vocations, des remises de diplômes et de médailles sont organisées conjointement à l’attention des agents qui se sont distingués par leur zèle – tradition qui perdurera jusqu’aux dernières années de la gendarmerie.

D’autres associations sont en rapport avec le corps, comme la Croix Bleue, créée en 1925 ; au début des années 1950, celle-ci a même sa rubrique dans la Chronique de la Gendarmerie Nationale. Toutefois, à la lecture de cer-tains rapports de la même époque, il semble qu’elle ne bénéfi cie pas d’un réseau d’indicateurs aussi fi ables que Veeweyde. Celui de Bourg-Léopold est qualifi é en 1951 de peu recommandable tant par le garde-champêtre que par les gendarmes de la brigade locale. « Sans vouloir peiner la Croix Bleue, il y a lieu de signaler que l’intéressé est un primaire et qu’il n’est guère bien noté des personnes honorables de la commune », note le commandant de celle-ci …

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Les acteurs de la protection des animaux : les partenaires de la police

Débat : prévenir et punir, l’équilibre impossible ?

La question des acteurs de la lutte nous rappelle qu’un Etat ne cherche jamais à imposer des règles, mais bien à corriger sans cesse celles-ci pour qu’elles refl ètent au mieux les aspirations de la majorité de la population. Le mouvement est perpétuel puisque les mentalités changent, notamment sous l’infl uence des personnalités et mouvements qui militent pour une cause qu’ils jugent juste. Mais même si le consensus est parfois atteint, il reste à régler la question du diffi cile équilibre entre la prévention et la répression. Faut-il systématiquement punir tout comportement déviant pour provoquer sa disparition ?

Le cas des animaux sauvages les plus menacés par la chasse illicite fournit l’occasion d’un débat. Ces animaux sont souvent victimes de croyances populaires infondées, comme les prétendues vertus curatives de la corne de rhinocéros ; quelle part consacrer à la prévention afi n de faire diminuer la demande ? Certains militent pour l’autorisation de l’élevage de ces animaux, afi n de limiter le braconnage, tandis que d’autres y voient un mauvais signal qui encouragerait au contraire la chasse tous azimuts : « La notion d’utilisation durable est un aller-simple vers l’extinction pure et simple, car le goût du sang et l’appât du gain, dès lors qu’ils sont reconnus légitimes, ne peuvent plus être contrôlés ou contenus par de simples règlements », écrit un militant hostile à tout compromis avec les chasseurs.

Donnez votre avis, faites vos propositions. Et n’oubliez pas que le citoyen est au fi nal l’acteur le plus important : par ses choix personnels, il fait de la prévention ( ne pas acheter un produit fabriqué au détriment d’une espèce menacée, par exemple ) ; par son vote, il contribue à défi nir les conditions de la répression.

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Les acteurs d’autrefois : la gendarmerie

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Les acteurs d’autrefois : la gendarmerie

Dans l’histoire de la protection de la nature par la police, le rôle de la gendarmerie est important à double titre. D’abord, elle est le seul agent du pouvoir central ( avec la police judiciaire à partir de 1919 ) ; elle relaie donc les compétences de celui-ci, et notamment l’envi-

ronnement et le bien-être animal. Ensuite, elle constitue la principale force de police sur l’immense partie rurale du pays – parfois même la seule. En cela, elle est le témoin privilégié des transformations inexorables de ce dernier.

La gendarmerie belge est une création de l’époque française. Elle reçoit une forme arrêtée en 1796 et ses missions sont définies dans une loi du 17 avril 1798, en vigueur jusque 1957. A cette époque, le pays n’est pas encore industrialisé et la vie quotidienne de l’écrasante majorité de la population est rythmée par la nature. « Elle est plus particulièrement destinée à la sûreté des campagnes et des voies de communication », résume en 1913 le traité Ce que tout gendarme doit connaître. D’où le vaste réseau de brigades à travers le pays : de petites casernes dans lesquelles les hommes de loi vivent avec femme et enfants entre deux tournées d’inspection.

La nature au cœur de ses missions

Le règlement de 1815 définit l’objet de ces tournées, dénommées service journalier ordinaire. « Saisir les dévasta-teurs de bois et récoltes, les chasseurs masqués, les contrebandiers armés, lorsque les délinquants de ces trois derniers genres seront pris sur le fait », en fait partie. Ces prérogatives sont renforcées notamment par le code rural qui donne davantage de pouvoir judi-ciaire aux commandants de brigade.

Un encadrement très strict du travail à la campagne

Le travail des gendarmes est défini jusque dans ses moindres détails – au départ par le bourgmestre puis par l’officier suite à des abus. Toute ac-tivité doit faire l’objet d’une feuille de service, de sorte que le commandant puisse en connaître la teneur. Pour plus de clarté, il faut même utiliser des crayons de différentes couleurs ! Le contrôle de la tournée réellement effectuée s’opère grâce à un système ( introduit dans la première moitié du XXe siècle ) de cartes postales de ser-vice sur lequel le commandant écrit le lieu ou la commune d’où il faut ex-pédier la carte et à quelle heure. Le gendarme sort donc toujours avec

son portefeuille individuel, « ce sac de cuir épais, bourré du carnet de ren-seignements, de l’aide-mémoire, du Code de la Route, des chaînes de sûreté, du doublemètre, de l’étui à cigarettes et de plusieurs feuilles de papier pour les en-cas » ( description du maréchal des logis Duriau dans les années 1950 ).

Tout délit constaté doit faire l’objet d’un procès verbal, qui doit être relu par d’autres gendarmes puis inscrit au registre des PV. Toute activité suspecte ou fait extraordinaire doit figurer dans le carnet de renseignement, dont chaque page est numérotée et paraphée par le supérieur hiérarchique. Celui-ci a la

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la gendarmerie

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Les acteurs d’autrefois : la gendarmerie

responsabilité d’autres carnets en-core, ainsi que du rapport mensuel au commandant de district, du cahier de correspondance confidentielle, etc. Beaucoup de paperasserie donc, à tenir en ordre avec soin : un autre type de document, intitulé Registre 12, reprend les remarques formulées par le commandant de district lors des inspections surprises. Gare aux cahiers mal tenus, aux PV oubliés !

Comment protéger la nature au quotidien

En quoi consiste ce travail si sévè-rement encadré ? Les fiches d’ins-truction rappellent aux gendarmes quels sont leurs devoirs en matière d’environnement : protéger l’agricul-ture des insectes et végétaux nui-sibles ; surveiller l’enfouissement des cadavres et prévenir les épidémies ; empêcher la divagation des animaux ( bétail abandonné ou bêtes jugées féroces ). En période de moissons, il importe de surveiller les récoltes à cause du risque de vol. Même chose pour le bétail ; en 1896, la gendar-merie de Aalter enquête sur un trafic de poules et de cochons volés qui aboutissent directement sur le port et au marché de Gand. Les délits fo-restiers, du type chemins abîmés ou incendies, sont du domaine des Eaux et Forêts ( voir chapitre 6 ), mais les PV des gendarmes valent dénoncia-tion officielle. La notion de protection des animaux émerge dans les textes à partir des années 1930 ( note du corps du 12 décembre 1938 ).

Bref, une série de tâches peu spec-taculaires dont les récits de souve-nirs de gendarmes ne manquent pas de se moquer. Dans la nouvelle « Vu en visite inopinée » du capi-taine-commandant Boutez, un gen-darme raconte à l’officier en visite qui s’enquiert des « particularités du canton », l’importance « des coupes affouagères, de l’amélioration de l’es-pèce porcine, des privilèges de Ma-rie-Thérèse et de la loi du 6 juin 1961 concernant le contrôle des plants fo-restiers » ( Revue de la Gendarmerie, 1962 ). En effet, certaines communes ont longtemps maintenu le privilège hérité de l’Ancien Régime de ramas-ser librement du bois dans la forêt.

La myxomatoseLa menace que les animaux

nuisibles représentent pour l’envi-ronnement a toujours constitué un souci prioritaire pour les pouvoirs publics, sans toujours de discer-nement. Constatant que le nombre de lapins ne semblait pas vraiment diminuer malgré leur chasse effré-née ( en Belgique, on pouvait les tuer sans permis, avec l’accord du ministre de l’Intérieur ), un médecin français, le docteur Selille, entre-prend des recherches pour trouver une maladie qui permettrait de dé-cimer cette espèce sans affecter les autres. Le résultat dépasse ses espérances. Introduite en France en 1952, la nouvelle maladie, bap-tisée myxomatose, franchit rapide-ment les frontières, au grand dam des autorités belges : à la fin des années 1950, les fiches d’instruc-tion de la gendarmerie insistent sur les précautions à prendre pour éviter sa propagation en Belgique.

Le bon vieux temps ?Le travail du gendarme tradition-

nel est-il pour autant de tout repos ? Pas vraiment. L’institution peine longtemps à imposer sa légitimité. Comme l’a indiqué l’historien Ar-naud-Dominique Houtte ( à propos de la France ), le gendarme, « agent de l’Etat central, […] reste un intrus dans la communauté rurale, à laquelle il s’efforce d’imposer le joug des lois nationales », jusqu’au début du XXe

siècle – et même au-delà : « Les gens n’aiment pas parler et on sent une certaine réticence de leur part », écrit en 1954 encore le capitaine Dinant, commandant du district d’Auvelais, à propos d’une histoire de chiens empoisonnés à Onoz, près de Spy.

Le bourgmestre lui-même, mena-cé dans ses prérogatives de chef de la police, voit d’un mauvais œil que « ses » paysans soient verbalisés pour une lanterne éteinte sur leur char-rette au retour du marché, ou pour quelques lièvres attrapés en forêt. L’écrivain régionaliste Arthur Mas-son a évoqué avec brio cette époque dans la nouvelle « Le gendarme de mon enfance », qui se déroule vers 1905 dans une localité frontalière ( son père était douanier ). La gendar-merie y est encore associée à une image répressive et élitaire. « Elle était l’inquiétude, l’état d’alerte, la menace mystérieuse et ubiquitaire », écrit-il. Dans cette région forestière sévit le braconnage : « l’homme des bois est chasseur. S’il en a les moyens, il s’offre un permis. Il s’en passe dans le cas contraire. Mais alors le chas-seur s’appelle braconnier ». La lutte contre le braconnage représente au XIXe siècle un bon tiers de l’activité des gendarmes ; elle comporte de nombreux risques et – c’est un eu-phémisme – n’est pas très comprise par la population qui y voit un jeu in-nocent ou un moyen de subsistance ( voir chapitre 11 ).

L’autre obstacle majeur à un bon fonctionnement de la gendarmerie rurale est le manque d’effectifs qui

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handicape le corps : écrasé de tâches connexes ( notamment militaires ), sous-équipés, les gendarmes brillent trop souvent par leur absence. En 1931 encore, un maréchal des lo-gis d’une brigade frontalière arrête un braconnier allemand à qui un ami avait conseillé cet endroit où « jamais un agent belge ne vient ».

La transformation en un service de police moderne

Le XXe siècle marque cepen-dant le départ d’une modernisation qui s’accélère après la deuxième guerre mondiale. Le réseau des bri-gades s’étend, accentuant l’emprise du gendarme sur le territoire. Leur confort s’améliore également : on dé-laisse le modèle de la caserne pour des bâtiments plus appropriés à la vie rurale, avec jardins, clapiers pour élever des lapins, etc.

Le gendarme jouit par ailleurs d’une meilleure instruction. Ceci lui permet d’abord de devenir enfin un acteur essentiel de la vie rurale ; les manuels des années 1930-40 lui apprennent comment se comporter avec les gens, ne pas les vexer en refusant de boire un verre, par exemple. Mais l’instruction lui apporte surtout une meilleure connaissance de la lutte contre la criminalité, ce qui lui permet de devenir plus proactif, y compris en matière de police rurale. En 1955, le commandant du district de Malines ( ensemble de brigades au niveau de l’arrondissement judiciaire ) envoie à tous les commandants la transcrip-tion d’une « causerie » donnée par l’adjudant Kestens de la brigade de Turnhout, sur le vol de nids et d’œufs d’oiseaux. On y apprend ainsi que le

risque vient autant des citadins qui viennent planter leur tente n’importe où et piétinent les nids, que des en-fants qui, à Pâques, s’amusent à dé-truire tous les œufs qu’ils trouvent, et des braconniers qui recherchent surtout les œufs des faisans pour les faire éclore chez eux et les placer en volière pour les vendre en tant que produit de chasse.

La modernisation de la gendarme-rie s’accélère brutalement avec la loi de 1957, qui lui donne davantage d’autonomie par rapport à l’armée. Nouveaux objectifs, nouveau maté-riel, nouvelle philosophie aussi. Dans la Revue de la gendarmerie publiée à partir de 1961, les anecdotes bu-coliques cohabitent avec des articles sur des thèmes plus actuels, code de la route ou technoprévention. On peut faire le parallèle avec le film le Gendarme de Saint-Tropez ( premier de la série ), qui commence par une scène dans laquelle Louis de Funès poursuit un braconnier puis nous montre la jeunesse fougueuse en va-cances dans la station balnéaire. En France comme en Belgique, la gen-darmerie assume son image d’institu-tion enracinée dans les campagnes, mais c’est pour mieux faire accepter le changement radical qui s’opère.

Sur le terrain, les bâtisses vieil-lottes à la silhouette bien connue des habitants sont progressivement remplacées par des complexes ultra-modernes mettant l’accent sur le ma-tériel ( véhicules automobiles ), d’une part, et sur l’accueil du public, d’autre part. L’organisation elle-même est affinée. L’Etat-major définit trois types de brigades, selon le nombre d’effectifs, et leur attribue des rôles spécifiques. Les plus grandes entre-tiennent une réserve de matériel et d’hommes, pour pallier les lacunes des plus petites. Il est ainsi symp-tomatique qu’en guise de réponse à la fraude croissante de beurre à la frontière belgo-néerlandaise en 1965, un officier suggère de supprimer cer-tains services ruraux pour renforcer les brigades motorisées existantes.

Au niveau judiciaire, il existe de-puis 1945 les fameuses brigades de surveillance et de recherche ( BSR ), qui se chargent aussi d’enquêter sur la criminalité rurale lorsque celle-ci s’apparente à du grand banditisme.

La tradition de correspondance in-cessante entre les différents échelons s’enrichit de nouveaux outils, plus modernes, comme le Bulletin Central de Signalement ( BCS ). La collabora-tion avec les partenaires ne cesse de s’intensifier, tant à cause de la spé-cialisation des tâches que pour sou-lager les gendarmes des brigades. Un article de 1972 dans la Revue de la Gendarmerie raconte comment ceux-ci surprennent une voiture sans plaque dans la forêt, avec des traces de sang à l’intérieur : un gendarme va prévenir le district puis revient avec deux gardes-chasse ; le braconnier est arrêté tandis que son véhicule est examiné par un inspecteur du labo-ratoire de la police judiciaire.

Le travail déjà bien lourd du commandant de brigade ne s’en trouve évidemment pas simplifié ; il faut bientôt faire appel à des offi-ciers pour diriger les unités les plus grosses. Face à cette modernisation, les tâches traditionnelles de la police en milieu naturel tendent à échap-per aux gendarmes, sauf lorsqu’elles prennent un caractère très spécifique ( transport de déchets toxiques, trafic d’hormones ) ou très étendu ( braconnage à grande échelle ). La protection de l’environnement fait partie de ces nouveaux chantiers spécifiques, à petite dose : dans le rapport annuel de la gendarmerie de Saint-Trond pour 1995, elle repré-sente 2 % des interventions, soit 21 cas contre, par exemple, 403 pour la circulation.

Au début des années 1990, une série de sondages parus dans la presse révèle que les plus jeunes auraient une meilleure opinion de la gendarmerie, tandis que les plus âgés feraient davantage confiance à la police, jugée plus proche. Comme si la modernisation avait fait perdre à la gendarmerie la familiarité si du-rement gagnée. Pour y remédier, l’état-major va mettre l’accent sur un nouveau concept venu des pays an-glo-saxons : la police de proximité. La similarité s’accroît davantage encore avec les préoccupations de la police communale. Or elle aussi n’a ces-sé de s’étendre au point d’englober l’autre acteur essentiel du maintien de l’ordre en milieu rural : le garde champêtre.

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Les acteurs d’autrefois : la police rurale

Le garde champêtre est le policier désigné pour la surveillance des récoltes et des propriétés rurales, en ce compris les animaux d’élevage. Si ses compétences sont défi nies à l’époque française ( loi du 20 messidor an III, ou 08 juillet 1795, et Code d’Instruction criminelle de 1808 ), son

origine remonte beaucoup plus loin, aux gardiens des champs désignés par les villageois en période de récolte. Le système centralisateur français ( puis belge ) va transformer ces porte-parole de la collectivité en agents assermentés au service du maire ( bourgmestre ), certes élu mais représentant désormais l’Etat, non la collectivité villageoise.

Une mise en place diffi cileA l’instar du gendarme, le garde champêtre connaît une évolution consi-

dérable au cours du temps. Dans les premières décennies du XIXe siècle, il brille d’abord par son absence. D’abord, la charge demeure longtemps une fonction complémentaire, exercée en sus d’un autre métier : agriculteur bien sûr, mais aussi cantonnier ( entretien des routes ), comme à Ittre en 1952 encore. Ensuite, de nombreuses communes n’ont pas les moyens d’en nommer un ou ne prennent pas la peine de le faire ( ce qui est illégal ), ou

encore s’en partagent un à plusieurs ( ce qui est autorisé ). Lorsque le poste existe, il est confi é tantôt à un paysan qui n’a guère de temps à consacrer à la tâche, tantôt à un pauvre bougre, par charité plutôt que par égard à ses qualités de policier.

Nombreux sont les cas de gardes champêtres si âgés qu’ils arrivent à peine à quitter leur domicile. L’histo-rien Filip Bastiaen cite un document de l’époque française, à Afsnee, qui parle d’un garde champêtre de 85 ans occupant la fonction depuis 60 ans ! En 1889, la commune d’Ittre met son garde-champêtre à la pension. Cela fait plusieurs années que le garde n’est plus capable de faire son travail. L’administration le maintient par cha-rité jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de la pension puis le remplace. Le garde tente cependant de se faire remplacer par son fi ls, avec l’appui d’un « ami de la famille dont la conduite laisse beaucoup à désirer », lit-on dans un courrier du bourgmestre. Devant cet échec, il tente de sensibiliser le gou-verneur. Un récit typique des mani-gances de l’époque autour de l’attri-bution du poste.

Un tableau des années 1850 conservé au musée de Verviers, le Garde Champêtre en Goguette, le

montre sortant titubant d’un café. Telle est l’image populaire de ce temps. Pis encore, celle-ci en fait aussi un instrument de répression au service des nantis, quand il ne commet pas lui-même les larcins qu’il reproche aux autres. Il ne porte même pas d’uniforme ; celui-ci apparaît en même temps que s’équipe la police des villes, dans les années 1860-80 : képi à la française, veste à col haut et double rangée de boutons.

Le métier de garde champêtre n’en acquiert pas pour autant la recon-naissance. A la fi n du XIXe siècle, le débat s’oriente vers la question du rap-

5. Les acteurs d’autrefois :

la police rurale

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Les acteurs d’autrefois : la police rurale

port hiérarchique. Officier de police judiciaire, le garde champêtre cor-respond directement avec le parquet pour la poursuite des criminels. Mais au niveau administratif, il est soumis à l’autorité du bourgmestre, ce qui l’oblige entre autres à passer par lui avant tout contact avec la gendar-merie, qui est pourtant son princi-pal partenaire en matière de police rurale. On se sert aussi du faible nombre de PV rédigés par les gardes champêtres comme argument pour dénoncer leur inaction. Réticence de l’autorité à verbaliser ses électeurs ou simplement conséquence d’une stratégie privilégiant la discussion au détriment de la répression ? Les avis sont partagés.

En 1911, le procureur général Georges Terlinden dénonce dans son discours solennel la collusion presque naturelle entre le bourg-mestre et le garde champêtre, avec le risque qui en résulte pour l’indé-pendance de la justice. Le magistrat soutient l’initiative de certains res-ponsables politiques qui tentent de réformer la police rurale pour en faire une sorte de gendarmerie auxiliaire. Il faut dire qu’avec l’essor de la gen-darmerie, le rapport de forces tend à s’inverser : ses effectifs atteignent en 1900 le double de celui des gardes champêtres, alors que c’était l’in-verse en 1830. En 1902, une com-mission d’étude est même mise sur pied entre les départements de la Justice, l’Intérieur, l’Agriculture et la Guerre afin de résoudre les carences de la police des campagnes.

Une police rurale de proximitéLes velléités de centralisation de la police des campagnes n’aboutissent pas, mais la fonction de garde cham-pêtre est néanmoins reprise en mains au niveau du gouverneur de pro-vince. Des efforts sont réalisés tant pour améliorer le niveau des gardes que leur situation pécuniaire et leurs conditions de travail. Un lien direct est établi entre le garde au niveau lo-cal et la province, par la création de la fonction de brigadier champêtre, compétent pour un territoire couvrant plusieurs communes. A telle enseigne qu’à partir des années 1920, la po-lice rurale acquiert enfin un statut de

profession à part entière aux côtés de ses partenaires directs, gendarmes ou gardes forestiers. Une meilleure répartition des tâches s’opère avec la gendarmerie, à mesure que celle-ci se développe. Le garde devient plutôt un fonctionnaire communal, chargé par exemple de distribuer les convocations électorales ou même la soupe populaire. Il en gagne une grande proximité avec la population. En 1928, la province du Brabant autorise le champêtre de Virginal à cumuler la fonction d’indicateur du cadastre et de surveillant de la voirie « et, le cas échéant, les fonctions de porteur de contraintes, de surveillant des cours d’eau et de sonneur de la cloche de retraite ».

Proche des gens, en permanence sur le terrain, il s’adresse à la gen-darmerie lorsque la prévention ne suffit plus ou si la violence menace. Luc Serlet, un policier de la zone Aalter-Knesselare, en donne des exemples dans son livre Driehonderd jaar landelijke politie te Knesselare. En 1921, Victor Strobbe apprend que le chef d’une bande de voleurs de bétail a trouvé refuge chez sa sœur et court prévenir la gendarme-rie ; le bandit tire 13 coups de feu avant d’être arrêté. Le commandant de brigade ne manque pas de si-gnaler dans un rapport au bourg-mestre l’héroïsme et le sang-froid de son employé. En 1949, son succes-seur, Richard Van Ryckeghem, ac-compagne lui aussi les gendarmes, cette fois pour identifier la dépouille d’un soi-disant braconnier abattu par un garde-chasse – en fait une tragique méprise.

L’instruction demeure sa principale faiblesse. « Le garde-champêtre est un cultivateur ou un ouvrier quel-conque ; proposé et nommé, le voi-là du jour au lendemain officier de police judiciaire, sans la moindre notion de ses nouvelles fonctions, sans quelqu’un pour les lui ap-prendre », lit-on dans un manuel du début des années 1920, Services de la Gendarmerie Nationale et Police rurale. La formation pratique pose elle aussi problème. En 1947, le bri-gadier d’Alost se rend compte que plusieurs des gardes de sa juridic-tion se promènent avec une arme rouillée à force de n’avoir jamais été sortie de son étui ; il décide alors de les obliger à s’exercer en organisant des concours de tir ; plusieurs seront remportés par Cyriel Van Herzele, garde-champêtre à Zandbergen de 1947 à 1977.

Le drame de Mussy en 1989 montre que ces efforts tardent à porter leurs fruits : lorsqu’un garde champêtre se rend chez des particuliers pour abattre un chien errant, il tue la mère de famille qu’il a confondu avec l’ani-mal. « Cette tragique méprise repose le problème de l’armement, de la compétence et de la formation des polices rurales », titre Le Soir du 6 décembre. La presse révèle que le même garde avait précédemment tiré sept fois sur une vache malade de la rage sans parvenir à la tuer, ou, dans le cas du chien, qu’il avait de-mandé au bourgmestre l’autorisation de l’abattre, mais sans préciser qu’il comptait utiliser un riot-gun, arme réservée aux interventions contre les criminels les plus dangereux.

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Les acteurs d’autrefois : la police rurale

Garde champêtre après 1950 : lutter pour survivre

Dans leur lutte pour concrétiser la modernisation de la police rurale, les administrations provinciales se heurtent à un obstacle majeur : le garde champêtre est seul et dému-ni face à des partenaires de plus en plus puissants, la gendarmerie mais aussi la police communale. Car à mesure que la population augmente, les campagnes s’urbanisent et dé-veloppent leur propre corps de po-lice, avec toute une équipe dans un commissariat permanent. Le facteur décisif de changement est la fusion des communes, en 1977, quand les gardes des municipalités supprimées sont transférés dans des brigades mixtes – police rurale et communale. Dans un communiqué, la Fédération nationale des policiers ruraux de Belgique fait appel au soutien de la population « qui a toujours apprécié, dit-elle, le rôle compréhensif et la tâche délicate du policier rural en tant qu’intermédiaire entre la population et les autorités ».

Les implications de cette urba-nisation sur le travail des gardes champêtres, avec notamment da-

vantage de tâches liées à la circu-lation, provoquent une crise d’iden-tité. « Le nom ne veut plus rien dire : que trouvez-vous de champêtre au fait de s’occuper du pointage des chômeurs, de délivrer les permis de conduire et les certificats de bonne vie et mœurs, d’aller constater un accident mortel, voire un crime […], d’aligner des colonnes de statis-tiques ? » Telle est la réflexion que pose Rohny, garde ayant 20 ans de métier, à la journaliste Isabelle Philip-pon à la fin des années 1980.

A cette époque, la police rurale est déjà engagée sur la voie inéluc-table de l’unification avec la police communale. Une loi de 1986 vise à aligner les statuts des agents de l’une et l’autre, non sans inégalités pour les gardes qui paient le prix d’une formation moins structurée – beaucoup devront retourner à l’école pour conserver leur rang. En 1987, il reste des gardes champêtres dans 244 communes, soit 44 % du terri-toire, avec une forte représentativité de la province de Liège. Quatre ans plus tard, ils sont encore 890, soit 5 % des policiers. La réforme de 1998 met un point final au débat, en sup-primant les polices existantes.

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Les acteurs d’autrefois : les gardes forestiers

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Les acteurs d’autrefois : les gardes forestiers

Depuis la nuit des temps, eaux et forêts relèvent du droit régalien : le souverain se réserve la liberté de chasser lui-même ou de déterminer qui en a le droit. Après la révolution française, ce privilège passe à l’Etat central qui laisse les propriétaires libres de chasser chez eux,

mais confie la surveillance des espaces publics à des agents attachés au ministère de l’Agriculture, les gardes forestiers. Leur tâche consiste à préserver les sites, mais aussi à appréhender ceux qui tentent d’y nuire – braconniers, pyromanes et autres. Ils portent l’uniforme, une arme à feu et sont officiers de police judiciaire. Ils rédigent donc des procès-verbaux, mais parce qu’ils ne sont pas auxiliaires du procureur du Roi, ils ne peuvent poursuivre une enquête à l’instar d’un policier.

L’organisation des Eaux et ForêtsFaute d’étude, l’évolution de ce corps dissous dans la régionalisation de

l’Etat belge est très mal connue. Il s’agit d’une institution plutôt décentralisée, divisées en cantonnements et en triages confiés à la responsabilité d’ingé-nieurs. En bas de l’échelle se trouve les forestiers, dits agents techniques, qui portent un uniforme vert défini en 1836 et plusieurs fois modifié jusque 1976.

La première description complète de leurs missions remonte au Code fo-restier de 1854. Celui-ci définit les grades, les conditions d’admission au corps, etc. mais ne donne guère de détails sur l’organisation générale ni sur leur fonctionnement.

Le manuel de service publié en 1920 par l’administration centrale nous donne plus de détails pratiques. Le port de l’uniforme ne concerne que les missions de représentation ( rondes, perquisitions, cérémonies ), pas le service ordinaire, où le port de la plaque d’identification et du képi ( ou du chapeau ) suffisent. Il est par contre nécessaire de conserver sur soi certains outils, comme le marteau ( marqué du sceau de l’Etat ) et le sé-cateur. Une arme de poing ( bien vi-sible ) sert à se défendre tandis qu’un fusil de chasse permet d’abattre les animaux nuisibles. La tournée s’opère avec un registre bien tenu. Les gardes ne peuvent saisir l’objet d’un délit, sauf s’il peut servir de gage au paie-ment de l’amende. On ne peut pas non plus désarmer les chasseurs sauf dans certains cas extrêmes. Les mis-sions incluent également une bonne gestion des ressources naturelles pour garantir la pérennité des espèces

animales, notamment les oiseaux. Ainsi, il doit veiller à la conservation des arbres fruitiers, des points d’eau et marécages, …

Le travail d’un garde forestierLes archives subsistantes fournissent des exemples plus concrets de ces

missions. Au Bosmuseum d’Hoeilaart se trouve un registre des procès-ver-baux concernant la Forêt de Soignes pour la période 1922-1960. Il ne com-porte que 45 P-V pour toute la période ! La plupart concernent des arbres ren-

6. Les acteurs d’autrefois : les gardes forestiers

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Les acteurs d’autrefois : les gardes forestiers

versés par accident lors de travaux ou des feux de forêt. Les animaux interviennent cependant lorsqu’un cavalier s’engage sur un sentier inter-dit et bien sûr en cas de braconnage ou de pêche interdite, à l’étang du Rouge Cloître, par exemple ( domaine réservé à la Société centrale pour la protection de la pêche fluviale ). A cet endroit, un matin de juin 1953, les gardes forestiers interpellent un jeune homme en train de jeter des pierres sur les canards. Il n’a pas sa carte d’identité et refuse de donner son nom. « Nous avons dit qu’il de-vait nous accompagner au bureau de Police et il nous a répondu qu’il n’irait pas avec [sic] qu’il connaissait mieux les lois que nous que son père était avocat qu’il préférait encore nous frapper sur la gueule ». L’homme s’en va donc, mais sans son vélo, saisi par les gardes …

Rien de vraiment spectaculaire donc, dans les tâches judiciaires de ces agents assermentés. Le PV le plus ridicule concerne un escroc qui, un soir de mai 1950, s’attaque à un routier hollandais. « Celui-ci, écrit le garde Jan Van Opslagh, m’a déclaré qu’il était allé faire sa grosse com-mission dans les bois et que l’autre était venu vers lui en expliquant qu’il s’occupait des outrages aux mœurs et travaillait pour la police secrète, et que s’il lui donnait 1000 francs, il ne lui dresserait pas de PV ».

Dans la poursuite des malfaiteurs, les gardes forestiers sont avant tout des partenaires de la police et de la gendarmerie. Les uns peuvent re-quérir les autres et inversement. Le capitaine-commandant de gendar-merie Jacquemin a bien résumé l’im-portance de la coordination entre les forces de l’ordre à la campagne. « Les services de police peuvent se compa-rer à un vaste filet dont chaque maille représente un homme de police : gen-darme, garde-champêtre, garde-fo-restier et même douanier. Ce filet doit être continuellement bien tendu ; si un malfaiteur échappe à l’une des mailles ce sera pour retomber dans une autre où fatalement il sera pris ». Il semble d’ailleurs qu’il y ait une certaine per-méabilité entre ces professions ; en 1915 à Virginal, le garde champêtre

décédé est remplacé à titre provisoire par un garde forestier.

Vers la régionalisationAvec la modernisation des cam-

pagnes, cette coordination tend à se relâcher ou à prendre d’autres formes. Comme les gendarmes, les gardes fo-restiers doivent opérer des choix pour être plus efficaces et la sylviculture tend à monopoliser leurs forces. Dès les années 1970-80, l’organisation des patrouilles mixtes anti-braconnage se décide uniquement au niveau du dis-trict, d’un côté, et de l’ingénieur des Eaux et Forêts, de l’autre.

Survient alors la régionalisa-tion du ministère de l’Agriculture. Après 1983, on trouve désormais : à Bruxelles, l’ARNE ( Administration des Ressources Naturelles et de l’En-vironnement ) devenue IBGE ( division Nature, Eau et Forêt de Bruxelles En-vironnement ) ; en Flandre, AROL ( Ad-ministratie voor Ruimtelijke Ordening ) puis Agentschap voor Natuur en Bos ; en Wallonie, DGRNE ( Direction géné-rale des ressources naturelles et de l’environnement ) puis DNF-DGARNE ( Département de la Nature et des

Forêts ). La Flandre et la Wallonie procèdent ensuite à une révision du code forestier qui débouche sur le Bosdecreet flamand de 1990 et le code forestier wallon de 2008 ( voir chapitre 1 ). Cette régionalisation entraîne des changements dans le travail des gardes forestiers. En Wal-lonie, ils dépendent du Département de la Nature et des Forêts ( DMF ), mais le braconnage relève désormais d’une unité anti-braconnage ratta-chée quant à elle au Département de la Police et des Contrôles ( voir chapitre 3 ). Même chose en Flandre où les gardes forestiers en uniforme restent compétents pour la surveil-lance des forêts, mais pas pour les missions répressives.

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Les acteurs d’autrefois : les gardes forestiers

Débat : Le « bon vieux temps » existe-t-il vraiment ?

Dans sa préface au Manuel de police moderne en matière rurale ( 1941 ), le général Achille Kettelle parle d’un âge d’or de la police rurale dans les années 1900. A l’entendre, les habitants des campagnes menaient alors une vie harmonieuse, réglaient entre eux leurs petits tracas sans guère impliquer la police qui n’avait que de menus larcins à résoudre. Tout a changé, écrit-il, avec les moyens modernes de communication, à l’origine du désenclavement des villages et d’une plus grande mobilité des truands. En fait cet « âge d’or » se poursuit jusqu’aux années 1950 et Kettelle se profi le davantage comme le témoin d’un processus en cours que l’historien d’une période révolue.

C’est un des grands paradoxes de l’histoire que celui qui l’écrit ne se rend pas compte que son regard est infl uencé par les préoccupations propres à son époque. A ce titre, le passé paraît toujours mieux que le présent car chacun s’en sert pour exprimer sa propre vision du monde. Qu’est-ce qui était réellement mieux autrefois ? Exprimez ce que d’après vous le monde d’aujourd’hui pourrait apprendre de celui d’hier ; essayez ensuite de trouver en quoi ces qualités perdues sont propres à une époque et pourquoi elles vous tiennent à cœur.

Les gardes chasseMalgré la ressemblance du nom

et de l’uniforme, il ne faut pas confondre le garde forestier avec le garde chargé de surveiller une zone de chasse pour le compte de son propriétaire – commune, institution ou simple particulier. L’appellation exacte de ce garde chasse est garde champêtre par-ticulier. Assermenté par le gouver-neur de province, il est offi cier de police judiciaire pour le territoire dont il a la responsabilité. Du temps de la gendarmerie, il pou-vait compter sur un gendarme pour faire une patrouille, les collè-gues de la brigade restant prêts à intervenir en cas de besoin. Tout comme pour le garde champêtre, ce personnage est souvent criti-qué à travers l’histoire pour son manque de professionnalisme et de connaissance technique. Dès 1938, le Conseil Supérieur de la Chasse préconise la création d’une école. Il existe aujourd’hui des formations dispensées par des ASBL.

A noter que tous les domaines de chasse n’ont pas de garde ; en Wallonie, c’est le propriétaire lui-même qui s’en charge dans la moitié des cas. Dans le Brabant fl amand, ils ne sont que cinq à temps plein – à Steenokkerzeel, la famille Van Speybroek exerce la profession depuis quatre généra-tions. En outre, le garde champêtre particulier n’est pas le seul citoyen revêtu de pouvoirs judiciaires en matière de chasse. C’est aussi le cas des agents surnuméraires des Eaux & Forêts, dits agents du RSHCB qui les a créés. Depuis sa naissance en 1909, le Royal Saint-Hubert Club de Belgique n’a cessé de promouvoir une image responsable du chasseur, d’où de multiples collaborations avec les pouvoirs publics. Il propose par ailleurs des cours, comme la formation « santé publique et hygiène » que l’AFSCA – suite à une réglementation européenne de 2004 – impose de suivre à qui-conque souhaite vendre du gibier.

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Les auxiliaires de la police : le cheval

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Les auxiliaires de la police : le cheval

Qui est le meilleur ami de l’homme, du cheval ou du chien ? La réponse penche en faveur du premier si l’on se place d’un point de vue uti-litaire : jusqu’au XIXe siècle, le cheval constitue la seule alternative à la marche à pied. Les contraintes qu’il impose en font cependant

un luxe que tout le monde ne peut se permettre. La remarque vaut pour les forces de l’ordre. Ni le policier des villes, ni celui des campagnes ( le garde champêtre ) n’en ont besoin pour se déplacer, du moins officiellement. Le gendarme, par contre, ne peut s’en passer à cause de l’ampleur du territoire qu’il doit surveiller. Tous les gendarmes ? Non. D’emblée, il existe des brigades « à pied », là où la monture n’est pas indispensable ; « gendarme à cheval » est un grade plus élevé, et naturellement plus prestigieux. Bref, même à la gendarmerie, le cheval est un luxe. Au-delà de la commodité du transport, il fait de son cavalier en grande tenue, « centaure gigantesque et pileux » ( Arthur Masson ), une sorte de chevalier des temps modernes.

Des contraintes très lourdesLe prix à payer pour jouir de ce prestige est très lourd. Au sens propre,

d’abord : au XIXe siècle, le cavalier doit payer lui-même son cheval, ce qui équivaut à peu près à un an de solde. L’idée de faire acheter la monture par l’Etat qui la confierait ensuite au gen-darme revient régulièrement sur le ta-pis mais sans conséquence concrète avant 1914. Au sens figuré, ensuite, de par l’importance des contraintes liées aux soins quotidiens, le pansage. Chaque jour, le cheval doit être étrillé ( nettoyer la peau avec une étrille en caoutchouc ou un gant en crin ), bros-sé, bouchonné ( sécher la sueur avec un bouchon de paille ), lustré, épongé ( les yeux, narines, bouche et les par-ties intimes ) ; il faut lui curer les pieds et les graisser pour attendrir la corne, lui bander les jambes … Sur le plan alimentaire, le cheval a des besoins considérables équivalents environ à 5 kg d’avoine, 4 kg de foin et 10 kg de paille. L’avoine est écrasée direc-tement, dans une broyeuse à doseur.

A ces contraintes s’ajoute la pres-sion mise par les officiers sur la bonne tenue et le respect des manières. Les gendarmes apprennent à monter à cheval sur le tas, au dépôt d’instruc-tion puis dans la brigade où ils sont affectés. Jusque 1914 par contre, les officiers proviennent presque tous des régiments de cavalerie et connaissent bien l’équitation, d’où leur sévérité en

la matière. En 1875, le général Kenens constate que trop de chevaux sont « mal embouchés » ; en 1903, De Coune, l’inspecteur général, fait savoir à tous son insatisfaction sur l’état des chevaux de brigades, trop gros car trop peu montés.

Le cheval dans le maintien d’ordreA l’usage du cheval comme moyen de transport s’ajoute bientôt celui

d’instrument de répression des troubles de l’ordre public. Le maintien d’ordre constitue une prérogative du bourgmestre qui veille à se satisfaire de la po-lice à sa disposition. Mais s’il le souhaite ou la menace est trop importante,

7. Les auxiliaires

de la police : le cheval

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Les auxiliaires de la police : le cheval

l’Etat mobilise la force armée, surtout les régiments de cavalerie. Bien sûr, ces soldats n’ont aucune expérience ni formation spécifique en la matière et se comportent comme s’ils avaient affaire à des ennemis sur un champ de bataille ; le risque d’accident est alors d’autant plus considérable que les cadres dirigeants du XIXe siècle ont tendance à interpréter chaque manifestation comme une révolte contre l’ordre établi, d’où malheureu-sement des précautions insuffisantes et de nombreuses victimes civiles. Précisons que les polices commu-nales d’Anvers et de Bruxelles pos-sèdent également, à la fin du XIXe siècle, une brigade montée. Elle ac-complit des patrouilles quotidiennes et parade lors de démonstrations publiques, mais n’intervient pas en cas de troubles de grande ampleur.

La situation évolue à mesure que la gendarmerie est davantage sollicitée pour ce travail et que les critiques à l’encontre des dérapages suscitent en retour l’apparition d’instructions plus claires. En ce qui concerne les chevaux, le corps renforce également la professionnalisation du maintien d’ordre. La procédure peu pratique consistant à prélever, chaque fois que nécessaire, des gendarmes de brigades pour constituer les pelotons laisse place en 1913 à la création des forces mobiles, véritables régiments de cavalerie permanents dédiés à la répression des troubles. Pour plus de facilité, l’état-major va acheter les chevaux et les mettre à disposition des unités ; chaque monture porte un numéro de matricule marqué au fer rouge sur les sabots.

Du coup, on ne demande plus aux cavaliers de savoir tenir debout sur un cheval mais d’en maîtriser par-faitement l’usage en toutes circons-tances. Pour parfaire la formation, les officiers et quelques gradés sont admis à la prestigieuse école de ca-valerie d’Ypres à partir de 1896. La

même année, l’escadron mobile et d’instruction ( ancêtre de l’école de gendarmerie ) quitte ses locaux étri-qués du centre-ville pour la forêt à Tervuren, avant de rejoindre en 1913 la nouvelle caserne d’Ixelles, presque toute entière vouée au cheval et au logement de la légion mobile. Les gendarmes démontrent l’ampleur du savoir-faire acquis pendant la cam-pagne de l’été 1914. Trois escadrons à cheval rejoignent les troupes du gé-néral Clooten affectées à la défense du territoire non occupé de la rive gauche de l’Escaut, tandis qu’un pe-loton de reconnaissance est affecté à chacune des 20 brigades de l’armée : le peloton de la troisième brigade charge directement les Allemands à Cumptich le 18 août, afin de couvrir le repli des soldats.

Un outil remis en cause par la modernité

Une fois la paix rétablie, la profes-sionnalisation s’accélère. Des em-plois de maréchaux-ferrants sont ou-verts, il ne s’agit plus de civils qui se rendent à la caserne. Un cours spé-cial d’équitation voit le jour en 1923. En province, l’entraînement dans les brigades équestres est renforcé, afin de constituer une réserve ( 4 esca-drons ) en cas de nouvelle guerre. Mais la modernisation entraîne aus-si une réévaluation du rôle du che-val, qui perd bientôt sa fonction de moyen de transport principal. Non pas au profit du chemin de fer, avec lequel il est complémentaire ( le trans-port des montures par train est défini dans un règlement de 1869 ), mais de la bicyclette, adoptée par l’armée belge au début des années 1890. Le vélo permet aux gendarmes de par-courir jusqu’à 60 ou 70 kilomètres sur une journée. Une telle efficacité ne manque pas de susciter la mé-fiance des gradés attachés aux tradi-tions. Les gendarmes ne vont-ils pas rouler trop vite et manquer certains détails ou délits ? Ne vont-ils pas né-gliger d’emprunter les chemins les plus difficiles ? Du vélo, la hiérarchie n’apprécie ni la rapidité ( assimilée au désordre ), ni la discrétion ( jusque là, le gendarme se devait d’être le plus visible possible ).

Malgré ces réserves, la bicyclette s’impose très vite dans les brigades.

D’autant qu’avec l’expansion dé-mographique, le nombre de celles-ci a augmenté, limitant de ce fait le territoire à surveiller. La mise à pied des brigades à cheval est décidée en 1923. Le cheval ne subsiste qu’au niveau des chefs-lieux de district et dans les régions industrielles, comme à Jumet qui en garde une vingtaine. Le respect des traditions va y demeu-rer très fort ; ainsi, lors de l’inspec-tion annuelle par le commandant, les gendarmes sont tenus d’effectuer les manœuvres à cheval pour bien mon-trer leur maîtrise de l’équitation. Mais le plus bel hommage à la tradition est sans conteste la création de l’Escorte royale à cheval au sein de la légion mobile de Bruxelles en 1938 ; l’année suivante, ses cavaliers reçoivent un uniforme dessiné par l’artiste James Thiriar dans l’esprit de celui de la gendarmerie des guerres napoléo-niennes – lorsque le cheval dominait encore les batailles.

La place du cheval dans un monde voué à la technique et à l’utilitaire

Au lendemain de la deuxième guerre, la cavalerie affronte un nouvel obstacle : la quasi disparition du che-val de monte en Belgique. La gen-darmerie belge souffre cruellement de cette absence durant les troubles sociaux de l’hiver 1944-1945. Sou-cieuse de reconstituer au plus vite une cavalerie, elle prend les chevaux partout où elle en trouve, de sorte que tous n’ont pas le profil idéal pour l’emploi. Les gendarmes se souvien-dront longtemps d’un certain Bolleke, un ancien cheval d’artillerie belge : ramené de France pour servir au déblaiement de la caserne d’Ixelles ( bombardée en 1943 ), il devient fi-nalement un cheval de voltige très apprécié des jeunes recrues. Une des premières tâches des cavaliers consiste à surveiller les dépôts de munitions dans la forêt de Soignes ; en octobre 1945, on parvient vaille que vaille à constituer trois pelotons en tenue de l’Escorte royale pour ac-cueillir le général de Gaulle.

Les unités de maintien d’ordre sont peu à peu remises à pied d’œuvre. A Charleroi d’abord, en décembre 1945 ; à Bruxelles, ensuite, dans

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Les auxiliaires de la police : le cheval

l’ancienne caserne des Guides à Etterbeek ; suivront Gand, Anvers et Liège. Par contre, les escadrons de Courtrai, Hasselt, Namur et Mons disparaissent lors de la réorganisa-tion de 1949. Les officiers conservent toutefois le droit d’avoir leur propre monture, hébergée à l’écurie ou dans un box particulier.

L’encouragement de la race chevaline

En réalité, le problème principal n’est pas de loger les chevaux, mais bien d’en trouver suffisamment et de bonne qualité. Pas facile dans un monde où l’automobile règne désor-mais sans partage. La gendarmerie s’intéresse d’abord au marché de l’Ir-lande, restée en dehors de la guerre ; elle se tourne ensuite vers l’Alle-

magne ( Holstein ). Or les besoins sont impor-tants : dans les années 1960, la Commission d’achats des chevaux de remonte a besoin de 20 chevaux 2 fois par an – par commodité, on donne un prénom commençant par la même lettre à tous les chevaux d’une même année de remonte.

L’état-major se rabat finalement sur la Bel-gique, où de nouveaux éleveurs sont apparus suite aux efforts des associations de pas-sionnés pour recons-tituer une race belge. Il faut rappeler qu’on ne parle pas de cheval de race pour les bêtes destinées aux travaux lourds, dites à sang

froid. Celles dites à sang chaud, qui peuvent être montées, se répartissent en chevaux de pur sang ( arabe ou anglais ), destinés aux courses, et de demi sang, qui intéressent la gendar-merie. Cette notion de race est en fait une nouveauté du XXe siècle : c’est paradoxalement lorsque le cheval perd sa suprématie comme moyen de transport que des passionnés commencent à se soucier de pré-server sa pureté. En 1920 est créée une société d’encouragement pour l’élevage du cheval d’armes ; deve-nue Société du Cheval demi-sang belge en 1967, elle suit de près la mode croissante du sport équestre parmi la population mais aussi les besoins spécifiques comme ceux de la gendarmerie. Celle-ci achète bien-tôt des animaux nés en Belgique et inscrits au stud-book des indigènes, une sorte de registre garantissant l’origine de l’animal.

Un outil de communication en phase avec la tradition

Jamais sans doute le cheval n’a-t-il autant suscité l’attention qu’à cette époque où il manque de disparaître comme compagnon de l’homme. Il en acquiert du coup un prestige nou-veau que les forces de l’ordre vont exploiter afin de revaloriser l’image

d’un métier méconnu et parfois mé-sestimé. En 1965 triomphe aux Hey-sel le spectacle « les Nuits de la gen-darmerie », compilation de morceaux de bravoure destinés à donner une image positive du corps : musique, motos, … et bien sûr cavaliers. Le succès pousse l’état-major à insti-tuer l’année suivante le carrousel de la gendarmerie, dévolu aux festivités publiques. Constitué de 32 cavaliers et un officier ( avec par la suite une cli-que de 6 trompettes et un timbalier ), il devient en 1982 le cadre équestre – deux officiers et 16 cavaliers. L’ar-tiste René Van Den Neste crée les uniformes de l’un et de l’autre. Dans le même temps, l’état-major a égale-ment autorisé les cavaliers à partici-per officiellement à des compétitions ( décembre 1966 ). A cette époque, les objectifs de la cavalerie sont d’ailleurs établis comme suit : « une plus grande maîtrise dans les interventions, une élévation du niveau de ses éléments, un prestige accru et une sympathie réelle à l’extérieur … »

Même en usage opérationnel, le cheval remplit une fonction haute-ment symbolique. Il constitue une « garantie d’acceptation de l’autori-té », lit-on dans la Revue de la gen-darmerie en 1996. Un autre article titre de façon plus explicite encore : ‘Respectueux de l’environnement et sympathique’. Le changement d’at-titude à l’égard du cheval se mani-feste aussi par un regain d’intérêt quant à son destin. Une fois réfor-més, les chevaux de la gendarmerie sont en principe vendus au marché aux chevaux de Molenbeek ou livrés à l’Institut Pasteur « pour produire des greffes et des sérums ». Cette pratique cesse en 1990, après une longue campagne de sensibilisation orchestrée notamment par Animaux en péril. Ils jouiront désormais d’une retraite heureuse auprès d’institutions ou de personnes privées désireuses de les accueillir.

La popularité du cheval attire enfin l’attention de certains grands corps de police communale. Celle de Bruxelles remet sur pied une brigade à cheval en 1976, avec une quin-zaine de montures. Sa mission est de patrouiller dans les grands parcs, principalement au Bois de la Cambre et au Heysel ; toute participation à

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Les auxiliaires de la police : le cheval

un service d’ordre est par contre d’emblée exclue. Mais les charges logistiques pèsent lourd ; en 1992, il reste moins de la moitié des effectifs et la suppression de la brigade est décidée la même année. Uccle, qui crée sa propre brigade pour la même raison en 1979, la supprime en 1999. Le mouvement s’inverse dans les an-nées 2010. La police fédérale signe avec la zone de police de Namur un accord prévoyant la mise à disposi-tion systématique de deux cavaliers deux fois par semaine, toute l’année. La zone de Schaerbeek-Saint-Josse-Evere crée sa propre brigade avec l’aide de la police fédérale. Les bâti-ments sont inaugurés en juin 2012.

La place du cheval dans la société moderne

Bien entendu, le charisme n’est pas la seule qualité du cheval policier, qui garde des atouts pour des missions très spécifiques. Il reste sans rival pour assurer le service d’ordre sur certains événements, notamment le football ( 160 chevaux engagés lors du match Belgique-Allemagne en 1990 ). A noter que la tendance ac-tuelle en maintien d’ordre est de privi-légier de petits groupes de cavaliers,

plus mobiles ( entre 2 et 8 maximum ). Grâce à son incomparable mobilité, le cheval permet de patrouiller partout à la campagne ou à la Côte, dans les dunes. Il a servi à surveiller les alentours de l’aéroport de Zaventem, lorsque les céréales dans les champs étaient trop hautes pour garantir la visibilité depuis une jeep.

En parallèle au renouvellement des tâches, le matériel s’est modernisé, avec l’apparition d’un poste radio attaché à l’arrière de la selle. Pour éviter le dérapage lors des services d’ordre, des vis « Mordax » sont fixées dans les éponges du fer. Plus récem-ment, la cartographie GPS a été in-troduite pour permettre des résultats plus efficaces lors des patrouilles dans les bois ou dunes – afin de si-gnaler les coordonnées d’un véhicule suspect, par exemple.

Mais si le cheval a su garder sa place dans le processus de moder-nisation des services de police, il ne faut pas oublier qu’il est devenu de plus en plus coûteux à maintenir dans une société tournée vers la machine. Ce coût explique la suppression pro-gressive des unités de cavalerie de la gendarmerie, jusqu’à leur centra-lisation à Bruxelles en 1986. L’école

dispense les cours ( équitation d’en-tretien et cours de spécialisation ) aux cavaliers intégrés à la réserve générale ; ceux-ci sont envoyés par camion de transport aux quatre coins du pays, en fonction des besoins. A la fin de la gendarmerie, la cavalerie à Bruxelles fait travailler 273 cava-liers, 13 maréchaux-ferrants et en-viron 60 palefreniers ; plus 5 vétéri-naires et 5 infirmiers qui bénéficient d’une clinique ultramoderne avec salle d’opération prévue pour radio-graphies, chirurgie, endoscopie, etc. Quant au nombre de montures, il ne cesse de baisser : 921 en 1949, 435 en 1980 et 203 à la veille de la ré-forme des polices, en 1999 ! A ce mo-ment, la demande d’appui émanant des unités territoriales est déjà deux fois supérieure à la capacité. Dix ans plus tard, à la police fédérale, elle est devenue triple : il ne reste que 160, 170 chevaux environ en 2012 ( et 120 cavaliers ).

L’écologie et la crise économique vont-elles contribuer à une inver-sion de cette tendance ? C’est un des nombreux paradoxes de notre société que le cheval revient cher alors qu’il est un outil foncièrement écologique. Son empreinte carbone

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( impact sur le réchauffement clima-tique ) est très inférieure à celle d’une automobile – et à celle de tous les animaux ruminants, ceux que nous mangeons chaque jour. Certains experts estiment qu’un peloton à cheval vaut 3 pelotons à pied lors d’une opération de maintien d’ordre ; d’autres avancent que la durée de son service est entre 3 et 5 fois plus longue que celle d’une voiture de po-lice. Pour lui rendre une place plus grande, il faudrait cependant un changement de mentalité. Dans une

Les auxiliaires de la police : le cheval

L’animal et le code de la routeLe code de la route est un curieux indicateur de l’évolu-

tion de la place du cheval dans notre société. Une grande différence entre l’automobile et le cheval est la faculté de réfl échir de celui-ci. S’il rencontre un obstacle, il veillera de lui-même à l’éviter. Cependant, dans un premier temps, il est plutôt pénalisé par la loi, qui évolue en privilégiant le nouveau mode de transport principal. Ainsi, l’autorisation accordée aux mineurs de circuler en attelage ou sur une monture se trouve tout à coup en contradiction avec l’interdiction pour ces mêmes mineurs de conduire une automobile. Et en cas d’accident c’est d’abord le propriétaire de l’animal qui est jugé principal responsable.

La tendance se retourne progressivement avec l’accrois-sement du trafi c et des accidents au détriment des chevaux et de leurs cavaliers, y compris gendarmes – en route pour Ninove en mai 1940, le capitaine-commandant Poncelet perd la vie en heurtant un camion avec son cheval. Les animaux deviennent alors des usagers faibles, « victimes par destination », de sorte qu’il appartient à l’automobiliste de faire attention. Depuis 1987, il doit systématiquement ralentir à l’approche de montures ou d’animaux, et non plus uniquement si ceux-ci manifestent des signes de frayeur. Les cavaliers peuvent par ailleurs circuler à deux de front.

société où les entreprises se soucient de leurs stocks de carburants, la po-lice à cheval réfl échit en termes de tonnes de paille et de grain ; dans les écuries, l’odeur d’essence des ga-rages est remplacée par une senteur

unique, « un chaud mélange d’odeurs de paille, de foin, d’avoine, de cheval, de crottin, … » ( Pierre Wolfs ). Ca-valiers et gardes écuries ne feraient l’échange pour rien au monde, mais qui d’autre est prêt à faire ce choix ?

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• Est-ce qu’un camionneur qui transporte du bétail peut s’arrêter sur une aire d’autoroute pour y dormir tranquillement toute la nuit en plein hiver ?

Non. La législation européenne relative à la protection des animaux pendant le transport prévoit no-tamment que les animaux doivent se reposer dans des postes de contrôle agréés.

• Ai-je le droit de dépasser dans la rue une patrouille de cavaliers de la police ?

J’en ai le droit, pour peu que je respecte les règles habituelles en matière de dépassement.

• Je roule dans la campagne et tout à coup un troupeau sort d’un enclos, mené par un paysan : dois-je les laisser passer ?

Le conducteur d’un animal ou d’un troupeau est soumis au code de la route et doit donc respecter les règles en matière de priorité.

• Si je renverse accidentellement du gibier en période de chasse, puis-je le manger après avoir déclaré l’accident aux autorités locales ?

Non, celui-ci devient la propriété des autorités locales qui doivent être informées de l’accident dans les plus brefs délais.

• J’ai construit pour mon fi ls une petite charrette que j’ai harnaché à mon chien ; s’il circule sur la voie publique avec ce moyen de transport, est-ce que la police peut nous arrêter et sur quelles bases ?

Certainement ! D’une part, le code de la route défi nit un âge minimum pour la conduite et d’autre part la législation en matière de protection des animaux interdit l’usage des chiens comme animaux de trait ( voir chapitre 10 ).

• Faut-il avoir un permis spécial pour conduire un véhicule transportant un ou deux chevaux ?

Il faut un permis C, C+E ou C1+E en fonction du type de véhicule. S’il s’agit d’un transport commercial, un certifi cat d’aptitude professionnelle est par ailleurs nécessaire.

• Est-ce qu’un camionneur qui transporte du bétail peut s’arrêter sur une aire d’autoroute pour y dormir tranquillement toute la nuit en plein hiver ?

l’accident aux autorités locales ?

L’environnement et la protection des animaux

constituent aussi un bon prétexte pour réviser ses

connaissances … de la législation sur les routes !

Voici quelques exemples d’énigmes à résoudre :

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• Je fais partie d’une association de défense des grenouilles et en période de reproduction, nous avons placé des panneaux le long de la route pour inciter les conducteurs à la prudence ; tout à coup, un chauf-fard passe en trombe et écrase trois grenouilles : existe-t-il un recours possible contre cette personne ? 

Seuls des panneaux de danger destinés à signaler la traversée de gros gibier ou de bétail sont prévus par le Code de la route. D’éventuels autres panneaux, signalant par exemple la présence de grenouilles, n’a pas de valeur légale et ne peut entraîner une sanction en matière de circulation routière.

• Si j’ai un accident avec ma voiture pour avoir voulu éviter un animal domestique non tenu en laisse, puis-je en incriminer le propriétaire ?

Ici la réponse est diffi cile à donner car les décisions de jurisprudence divergent. La matière ressort en tout cas du Code civil, article 1384.

• Je visite un site naturel classé dans lequel il est interdit de circuler en voiture mais je possède une carte de personne à mobilité réduite car je marche diffi cilement : ai-je le droit d’aller avec ma voiture dans cette réserve ? 

Dès lors qu’un accès est interdit, la règle doit être respectée, avec ou sans carte d’invalide.

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Les auxiliaires de la police : le chien

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Les auxiliaires de la police : le chien

Depuis la nuit des temps, le chien est un auxiliaire naturel de l’homme, utilisé pour ses qualités nombreuses : bête de trait ( voir chapitre 10 ), arme ( pour attaquer ou dissuader de le faire ), ambulancier « tout-ter-rain » ou encore assistant du chasseur et du berger. On peut parler

de chien policier – ou douanier, militaire, etc. – dès lors que cette collabora-tion est théorisée et standardisée pour garantir une utilisation bien cadrée. En Belgique, ce processus se situe à la fin du XIXe siècle, en parallèle à la professionnalisation croissante des services publics.

Le chien arme de défense et outil polyvalentNotre pays a même un rôle de pionnier pour ce qui est des chiens policiers.

Confronté en 1899 à une pénurie d’hommes, le chef de la police de Gand décide d’utiliser des chiens de patrouille, ce qui lui vaut bientôt les honneurs de la presse internationale, comme la revue britannique The Wide World Ma-gazine. En fait, si l’idée de départ n’a rien de très original, le commissaire Van Wesemael se montre novateur quant à la mise en œuvre. D’abord, il confie à ces patrouilles canines ( un homme et un chien ) des tâches spécifiques, en particulier la surveillance des quartiers pour lesquels il estime que le

chien jouera un rôle dissuasif ; c’est le cas des docks, où les agents seuls font l’objet d’attaques régulières. En-suite, il veille à professionnaliser au maximum l’apparition de ce nouvel auxiliaire.

Le commissaire en chef choisit la race la plus appropriée à l’usage po-licier, le chien de berger belge, race « créée » entre 1891 et 1897 par le professeur Adolf Reul de l’école vé-térinaire de Cureghem avec quatre variétés : Malinois, Tervuren, Groenen-dael et Laekenois. Un véritable chenil est mis sur pied, avec tout le person-nel nécessaire. Les animaux ( tous des chiens de berger ) bénéficient d’une formation poussée de quatre mois ; ils y apprennent par exemple à sauver quelqu’un de la noyade, ou – grâce à des mannequins – à attaquer et saisir mais ne jamais mordre sans retenue, afin de ne pas blesser grièvement. Enfin, ils reçoivent un uniforme, no-tamment un imperméable brun, ainsi qu’une muselière : la volonté d’éviter à tout prix la violence est une constante dans l’histoire des chiens policiers. Pour les appeler, l’agent se sert d’une petite trompette spécifique.

D’autres initiatives voient le jour. La presse fait état de patrouilles noc-turnes à la gendarmerie dès 1902,

mais les sources manquent pour avoir plus de détails ; les manuels d’avant 1914 nous apprennent seulement que les brigades choisissent de préfé-rence un berger malinois ou Groenendael, et qu’elles sont astreintes au paiement des taxes communales et provinciales sur les animaux ! La police de Bruxelles, quant à elle, fonde en 1903 une brigade canine qui s’installe au Bois de la Cambre en 1908 et ouvre une académie cynophile qui attire des stagiaires venus de tous les pays. Car sur le plan pédagogique aussi, la Belgique possède des spécialistes reconnus. En 1907, Gaston De Wael publie Le Chien auxiliaire de la police ; l’année suivante paraît la première édition

8. Les auxiliaires

de la police : le chien

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Les auxiliaires de la police : le chien

du manuel Le Chien de garde, de dé-fense et de police, par l’Etterbeekois Joseph Couplet.

Ces manuels ont pour objet le chien de police mais ils traitent sur-tout de dressage et s’adressent fi-nalement à tous ceux qui souhaitent avoir un chien bien éduqué pour un usage professionnel, y compris les chasseurs et gardes chasse. Ceci correspond bien à la notion de chien policier avant 1914, qui reste fort axée sur la défense ( patrouille préventive ) et beaucoup moins sur la recherche d’indices, en tout cas de manière organisée. On s’en rend compte à la lecture de l’amusant ro-man français Mémoires de Poum, chien de police ( 1913 ), dû à la plume de François Goron, un ancien chef de la police judiciaire : devenu « policier » par hasard, Poum se jette courageusement sur les bandits ar-més, trouve instinctivement une ca-chette ou entend les plaintes d’une personne blessée en forêt, mais au final, il apparaît surtout comme un spectateur amusé des mœurs judi-ciaires de l’époque – celle des débuts de la police scientifique.

La création d’un centre canin à la gendarmerie

La coupure de la Grande Guerre marque le déclin de cet âge hé-roïque. A Gand, les chiens policiers sont réquisitionnés et la brigade disparaît pour ne pas renaître avant 1979. Celle de Bruxelles prospère au contraire, avec un nouveau che-nil au parc Osseghem ( Atomium ) en 1927 mais elle connaît elle aussi une éclipse entre 1947 et 1956 par manque d’effectifs.

Entre-temps, une autre conception voit le jour : le chien outil de police spécialisé. Quelques affaires judi-ciaires montrent l’intérêt croissant pour la recherche de traces olfac-tives. En 1933, le voleur de poule qui abat froidement le gendarme Bliki est retrouvé et arrêté à Jemelle en partie grâce au flair d’une chienne, Marion. Cinq ans plus tard, à la bri-gade de Rekkem, un chien est utilisé pour retrouver un cadavre. En paral-lèle, certains scientifiques tentent de théoriser l’apport des chiens pisteurs, comme le Hollandais Christiaan Ja-

cobus Van Ledden-Hulzebosch, un pharmacien devenu expert criminel auprès de la police d’Amsterdam de 1916 à 1950. Un autre Hollan-dais, Mr J.R. Toman, auteur du livre Opvoeding en africhting van de hond ( 1956 ), met son talent de dresseur au service de la recherche des disparus lors de grandes catastrophes, qu’ils soient décédés ou non ; il équipe même son chien d’un poste émetteur pour rester en contact.

La gendarmerie belge, qui s’inté-resse de près à ces recherches, com-mence dans les années 1950 à plani-fier des changements au niveau des auxiliaires canins. Elle estime certes que la présence d’un chien en bri-gade reste utile : « J’étais conscient du fait que les crocs de Duc avaient un effet plus ‘sensible’ que mon pis-tolet », raconte le maréchal des logis chef Boux dans un témoignage vécu publié par la Chronique de la gen-darmerie nationale en 1956. Mais il faut pour cela que l’animal bénéfi-cie d’une formation que l’état-major souhaiterait uniforme, centralisée. Un contact est même établi avec l’asso-ciation des amis des aveugles afin de se renseigner sur leurs méthodes de dressage. L’autre souhait est d’ac-corder davantage d’attention aux différentes races et à leurs qualités respectives. Le Malinois est perçu comme un atout pour pister ; le Groe-nendael et le Bouvier des Flandres, pour l’attaque et le flair. Plus tard viendra l’idée de faire appel au La-brador pour la recherche de drogue.

On l’aura compris, l’intérêt nou-veau pour les chiens à la gendarme-rie n’a rien de sentimental, même s’il est poussé par des vrais amoureux des bêtes comme le capitaine Paes-schierssens. Il s’inscrit dans le mou-vement de modernisation qui touche toutes les faces du métier. « Le chien, à quelque espèce qu’il appartienne, pisteur ou chien de surveillance, n’est qu’un auxiliaire de la police, un moyen, comme le sont la radio, les véhicules ou les armes », rappelle en 1966 le lieutenant-colonel Koninckx. A cette époque, l’état-major pose les bases d’un futur service d’ap-pui canin pour tout le corps. Deux gendarmes sont envoyés au chenil central de la gendarmerie française pour y suivre la formation de dres-

seur-instructeur. Bodo, acheté en Al-lemagne par les Français, est un des deux premiers lauréats ; il est formé à tout : « piste, attaque-défense, guet, garde d’individu et l’escorte, garde d’objet et même le transport par hé-licoptère ». Un essai de parachutage est cependant jugé non concluant !

Malgré la présentation des chiens aux fastes de la gendarmerie ( fête interne ) dès 1968, l’appui canin n’est vraiment en place qu’à partir de 1973-76, à Herchies d’abord et à la base militaire de Bourg-Léopold ensuite. Précisons que les chiens de patrouille, dits alors de garde et de défense, sont élevés par leur maître eux-mêmes puis passent un examen pour être agréés ; seuls les chiens pisteurs et drogues, choisis pour leur odorat exceptionnel, sont for-més sur place. En 1992, le dressage dure de 4 à 6 mois, suivis de 6 mois de formation ; les animaux reviennent ensuite régulièrement pour recyclage. La gendarmerie étant un corps cen-tralisé présent sur tout le territoire, ils sont répartis en fonction des be-soins. Ainsi, il faut dans chaque pro-vince un chien drogue ( plus deux à Zaventem et un à Eupen ), mais deux chiens pisteurs pour aider à trouver les personnes disparues ; les chiens de patrouille travaillent dans l’unité de leur maître. Pour assurer la conti-nuité, des permanences de soir et week-end sont mises en place. Les interventions font l’objet d’un rapport transmis chaque mois à Bruxelles. A noter qu’au moment de la démilitari-sation de la gendarmerie, l’escadron spécial d’intervention reçoit la charge d’accueillir deux nouveaux types d’auxiliaires : le chien détecteurs d’explosifs et le chien d’attaque.

En 1997, alors qu’il y en a 114 chiens à la gendarmerie, l’état-major définit pour objectifs d’« augmenter l’accessibilité, la visibilité, la socia-bilité et l’effet préventif ». Soucieux de rendre toujours plus efficace le travail policier, il fixe un nouveau cadre au recours au chien lors de missions spécialisées ; le protocole d’intervention remplace le coup de fil du gradé. L’année suivante, l’ap-pui canin déménage à Neerhespen, près de Louvain ; depuis la réforme des polices, le site abrite les chiens de la police fédérale, soit une tren-

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Les auxiliaires de la police : le chien

taine répartis en trois catégories : pis-teurs, drogues, détecteurs de foyers d’incendie. A ceux-ci s’ajoutent les chiens de patrouille de la police des voies de communication et bien sûr ceux des unités spéciales ( CGSU ), attaque et recherche d’explosifs.

Le chien au service d’une police moderne

Entre-temps, les grands corps de police communale ne restent pas en retard et recréent ou rajeunissent une brigade canine. La plus ancienne, celle de Bruxelles compte presque autant de chiens de patrouille que la gendarmerie dans les années 1980, époque où elle décide de former aussi des chiens drogues et des pis-teurs. Après la réforme, elle intègre la canine d’Ixelles, installée près du cimetière communal. Cela représente une soixantaine de chiens dont s’oc-cupent en permanence 6 gardiens, 3 ouvriers et 3 employés polyvalents. Bien sûr, toutes les brigades canines locales ne sont pas si grandes, quand elles existent. Celle de Charleroi a une vingtaine de bêtes, la plupart recueillies à la SPA puis rééduquées. L’annuaire électronique de la police intégrée mentionne 47 zones avec un maître-chien au moins ou un ser-vice canin, dont 4 à Bruxelles, 21 en Wallonie et 22 en Flandre ( en 2012 ), soit le quart environ des zones. Bien sûr, il est toujours possible de faire appel au renfort des chiens de la po-lice fédérale ou d’une zone voisine.

La réforme a intensifi é la colla-boration apparue dans les années 1980 entre la gendarmerie et la po-lice communale. Un agent brigadier de la police de Koksijde en stage à l’appui canin en fournit une ex-plication en 2000 à la Revue de la gendarmerie : « dans le cadre de la

police unique, seuls les certifi cats de maîtres-chiens de patrouille délivrés par la gendarmerie seront acceptés ». La tradition existant à la Belle Epoque de compétitions pour chiens policiers est réactivée dès 1984 à l’initiative de Bruxelles-Ville. En 2012, c’est la zone de police Aiseau – Presles – Châtelet – Farciennes qui organise le concours national. Entraînements et compétitions peuvent aussi accueillir les chiens d’autres services publics, comme la STIB à Bruxelles – dont les chiens patrouillent dans les couloirs du métro, mais ne peuvent monter dans les rames ou les bus.

Les méthodes et les pratiques ne cessent d’évoluer avec la réforme et l’adaptation de la police intégrée aux changements de la société. Une mode actuelle consiste à donner les ordres dans une autre langue que celle de la population locale, par exemple le néerlandais en Wallonie, pour éviter que l’animal obéisse à un étranger. Les chiens drogues sont désormais éduqués soit pour aboyer quand ils détectent une odeur sus-pecte, soit pour se taire et s’asseoir à côté ( chien dit passif ou silencieux ). De nouvelles pistes sont envisagées, comme, l’utilisation des chiens dans le cadre de la convention CITES ( pister les espèces protégées ), ou le recrutement du Saint-Hubert pour rechercher les disparus.

Un métier curieux dans les grandes unités est celui d’homme d’attaque, qui sert de « cible » aux exercices des chiens mais se charge aussi de les brosser ou de nettoyer les cages. A noter que la profession de maître-chien implique aussi une formation particulière. Comment par exemple sortir son pistolet sans lâcher la laisse de son chien ? Pour celui-ci, le temps est organisé strictement : 6 heures maximum pour une patrouille. Le travail est coupé de périodes de repos et d’exercice ; en dehors de ceci, l’animal reste au chenil ou, plus souvent, rentre à la maison avec son maître. Le chien gagne en nouvelles fonctionnalités grâce à l’essor des nouvelles théories policières en ma-tière de proximité ou d’intervention spécialisée. Dans le travail quotidien du policier de terrain, un mérite du chien est son côté dissuasif : faute de pouvoir évaluer les réfl exes de

l’animal, la personne interpellée reste tranquille. Et bien sûr, il consti-tue un outil de relations publiques aussi effi cace que les chevaux. Les revues internes ou communales ne manquent pas d’insister sur l’actua-lité des chiens policiers, que ce soit au niveau de la formation ou des missions particulières qu’ils accom-plissent, comme la recherche de sur-vivants ( ou de personnes décédées ) lors de grandes catastrophes pour la gendarmerie et la police fédérale.

La mascotte du régimentCheval inapte au service, chien

de compagnie, mais aussi poney ou chèvre : la police s’encombre parfois d’un animal sans aucune autre utilité que le capital sym-pathie qu’il provoque. On parle alors de mascotte. Le mot est emprunté au XIXe siècle au pro-vençal « mascoto » qui désigne un porte-bonheur, mais le principe apparaît beaucoup plus tôt dans les régiments de l’armée britan-nique. De nombreux animaux vont servir de mascotte pendant la pre-mière guerre mondiale, à l’instar de l’ours Winnipeg de l’armée ca-nadienne, placé ensuite au zoo de Londres, qui a inspiré le fameux ourson Winnie de A.A. Milne.

La mascotte n’est pas néces-sairement une créature vivante. Après les automobiles d’avant guerre et leur mascotte sur la ca-landre ( Rolls Royce a conservé le principe ), le sport de haut niveau inaugure la mode des mascottes avec les jeux olympiques de Mu-nich en 1972.

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Les auxiliaires de la police : les insectes

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Les auxiliaires de la police : les insectes

9. Les auxiliaires

de la police : les insectes

La police se sert encore d’autres animaux, à leur insu cependant : les insectes qui prolifèrent sur les dépouilles mortelles, dès le décès de la personne. L’idée fait horreur mais n’oublions pas que ces animaux contribuent ainsi au recyclage des matières vivantes – bref, au cycle

de la nature. Ce que l’on appelle entomologie forensique recouvre trois domaines très différents : l’entomologie urbaine, dévouée à l’identification des animaux causant des nuisances dans les maisons ( termites, cafards, etc. ), l’entomologie des denrées stockées ( nourriture ) et enfin l’entomolo-gie criminelle, qui relève de la médecine légale. Cette pratique singulière renvoie donc à un aspect très spécifique du travail policier : les techniques d’investigation criminelle, développées par des scientifiques à partir de la fin du XIXe siècle.

L’histoire de l’entomologie criminelleA cette époque, les policiers sont trop peu nombreux et qualifiés pour

mener seuls des enquêtes judiciaires complexes. Une grande partie du tra-vail est encore accomplie par le magistrat lui-même – juge d’instruction ou procureur – avec l’aide de ses assistants et de divers experts, notamment

des médecins légistes pour les as-pects les plus pointus. L’intérêt pour les insectes nécrophages débute en France, où le docteur Jean-Pierre Mégnin publie La faune des cadavres dès 1894. Le Museum des Sciences naturelles de Paris conserve de lui un impressionnant tableau synoptique faisant la synthèse de sa principale découverte : l’identification des huit vagues successives d’arthropodes qui colonisent un cadavre, ce qu’il appelle les « escouades de la mort ». En Belgique, il faut attendre 1947 et les premières recherches du docteur Marcel Leclercq, un médecin légiste liégeois ( Entomologie et médecine légale, 1978 ), pour que la découverte prenne la direction d’une méthode de recherche.

En matière judiciaire, toute méthode utilisée doit suivre une démarche bien définie, appliquée à la lettre, avec mise en œuvre d’une technique rigou-reuse de prélèvement d’indices. C’est seulement avec la publication du pre-mier guide de terrain en 1990 ( Ento-mology and Death, Catts et Haskell ) que les découvertes des médecins deviennent réellement une technique d’investigation criminelle. Technique qui fait irruption dans la chronique ju-diciaire belge avec l’affaire Séverine

Lekeuche en 1995, une jeune fille étranglée par son père qui avait ensuite caché sa dépouille dans un abri répondant à des conditions climatiques très spécifiques. Le recours à l’entomologie judiciaire est devenu une spécialité du DVI ( Disaster Victims Identification ), service apparu à la gendarmerie en 1986 puis rattaché aux unités spéciales de la police fédérale. La création en 2002 de l’Association Européenne pour l’Entomologie Forensique ( EAFE ) a permis aux spécialistes de tous les pays d’échanger leurs expériences pour enrichir leur travail.

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Les auxiliaires de la police : les insectes

Petit guide pratiqueSans se lancer dans une expli-

cation scientifique complexe, voici en quelques mots comment cela fonctionne. Les insectes sont utili-sés pour calculer l’IPM – intervalle post-morten. La méthode dite « ac-cumulation des degrés jours ( ADJ ) ou degré heures ( ADH ) » se base sur le cycle de développement des diptères nécrophages, c’est-à-dire de certaines mouches. La callipho-ra vicina ( mouche bleue ) permet les expertises sur des dépouilles ré-centes ; la sarcophaga argyrostoma ( mouche à décor en damier ) auto-rise des expertises sur des dépouilles plus anciennes. Il existe des tables de mesure pour donner une indica-tion chronologique, en tenant compte des paramètres variables comme le climat, le sol, etc.

Comme toujours avec la science, de grands progrès restent à faire, surtout au niveau de ces paramètres

dont il faut tenir compte, à cause du nombre insuffisant d’observa-tions. Mais comme toujours aussi, la science offre des perspectives in-finies. Ainsi, les insectes ne servent pas uniquement à la datation des ca-davres. Parce qu’ils emmagasinent certaines substances présentes dans une dépouille, il est possible d’identi-fier grâce à eux certaines substances toxiques ( on parle d’entomotoxicolo-gie ). On peut aussi tenter d’y retrou-ver des traces de poudre ( mort par arme à feu ), voire l’ADN de la per-sonne décédée. Sans parler de leur rôle dans la recherche de personnes disparues ou encore d’explosifs ( voir ci-dessous ).

Outre les insectes, d’autres êtres vivants commencent à servir d’au-xiliaires à la police pour ce type de tâche. Les diatomées ( algues mi-croscopiques ) permettent la datation des cadavres immergés. Les frag-ments de plantes, même minuscules, retrouvés sur une dépouille peuvent

aider à relier une personne à un lieu. Des recherches toutes récentes concernent les bactéries que nous laissons sur les objets. Sachant que chaque individu se promène avec en permanence 150 bactéries environ sur les mains, cette sorte d’empreinte bactérienne représente une combi-naison unique qu’il est possible de retrouver plusieurs semaines après avoir touché un objet, par exemple un clavier de téléphone.

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Les auxiliaires de la police : les insectes

Débat : Quelle place pour les animaux dans le monde moderne ?

Au terme de ce parcours autour des auxiliaires de la police, et pour faire la transi-tion avec la suite ( l’animal victime ), on peut poser la question générale du rapport entre les hommes et les bêtes dans le monde d’aujourd’hui : celles-ci sortent-elles gagnantes du partenariat avec l’homme moderne ? « Contrairement à ce que l’on pouvait attendre, le progrès technique n’a pas libéré les animaux des charges qui semblaient leur incomber du fait de limites techniques. Son développement a, au contraire, servi à élargir les domaines d’utilisation des animaux ( biotechnologies ) et à augmenter de manière inouïe les rendements ( œufs, lait, viande ) ». Tel est le constat implacable dressé par la philosophe française Florence Burgat. Com-mentez et donnez votre avis, en orientant votre réponse vers la question centrale : le développement technologique peut-il permettre aux animaux de gagner une meilleure place à nos côtés ?

D’autres animaux qui ont du nezNous n’avons pas fait le tour des animaux inattendus qu’il est possible d’associer à des missions policières. « La

police allemande travaille avec le pire des charognards », titre le journal Le Soir en mai 2010 à propos d’expériences faites avec le vautour Urubu, capable de sentir un cadavre enfoui à 1000 mètres au dessous de lui. De même, APOPO est une ONG belge fondée par Bart Weetjens qui assure la promotion du rat comme substitut avantageux au chien ( car moins coûteux ) pour détecter les explosifs dans les pays ravagés par les guerres civiles, comme le Mozambique – à noter que l’animal aide aussi à détecter la tuberculose. Des tests poussés ont déjà eu lieu aux Pays-Bas en vue d’utiliser dans le même but … un essaim de guêpes. Celles-ci se révèlent particulièrement effi caces lorsqu’il s’agit de devoir identifi er un colis suspect en une fraction de seconde au mi-lieu d’une grande foule, par exemple dans un hall d’aéroport.

Dans ce dernier cas, le but des auteurs du projet est de remplacer, à terme, les insectes par des machines, jugées plus dociles. Sans remettre en cause le bien-fondé de ces initiatives, on remarque donc à quel point le rapport de l’homme à l’animal est ambivalent, tant est forte l’attraction de la technologie. Dans les années 1990, des Canadiens créent l’Ionscan, sorte d’aspirateur recueillant et analysant les particules afi n d’identifi er immédiatement les drogues. Pour remplacer les chiens ? Offi ciellement, la machine se veut complémentaire avec eux.

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Les victimes de toujours : l’animal compagnon

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Les victimes de toujours : l’animal compagnon

La notion d’animal domestique réfère aux espèces créées ou contrô-lées par l’homme, que ce soit pour servir de nourriture, pour l’aider à accomplir certaines tâches ou simplement pour le divertir. L’action de la police consiste à éviter les dérives possibles dans le cadre des lois

existantes, sachant que celles-ci considèrent toujours le propriétaire comme seul responsable des actes de l’animal qui lui appartient.

L’animal abandonnéLe premier souci est d’éviter que ces animaux livrés à eux-mêmes ne

fassent des dégâts matériels, ou menacent la santé publique des habitants. C’est le rôle de la commune et de son bourgmestre, qui se sert pour cela de sa police communale ( puis locale ). Les textes utilisent le terme de divaga-tion des animaux ; le code rural, mais aussi le code de la route ont défini les modalités de répression de ces infractions que sont l’abandon d’un animal sans conducteur ou l’incapacité d’un propriétaire à maîtriser ses bêtes. Ajou-tons la loi de 1882 sur la police sanitaire des animaux domestiques et les

insectes nuisibles. Pour des raisons d’hygiène ( éviter la propagation de la rage ), le législateur donne au ministre de l’Agriculture le pouvoir d’imposer, en cas de risque sanitaire, le port de la laisse ou du collier avec mention du nom et de propriétaire de l’animal.

La petite localité de Watervliet est en 1931 le théâtre d’une aventure res-tée célèbre parmi les membres de la brigade de gendarmerie. A l’occasion d’un spectacle de cirque, voici que deux lions s’échappent tout à coup de leur cage et se retrouvent parmi les spectateurs. Ceux-ci sont invi-tés à sortir calmement par le garde champêtre, présent dans la salle ainsi que des gendarmes qui entreprennent ensuite la chasse des deux fauves. C’est le commandant de brigade lui-même, le premier chef Dockx, qui va les abattre au moyen de son ancien fusil de la Grande Guerre – le direc-teur du cirque a entre-temps donné son autorisation écrite. La suite du récit intéresse davantage l’histoire de la mentalité gendarmique dans la mesure où la célébrité acquise invo-lontairement par le gradé lui vaut de graves ennuis avec l’état-major, alors très méfiant à l’égard de la presse et de l’intérêt du public. Il faudra une lettre du bourgmestre au lieutenant

général pour adoucir les angles et que le gendarme soit cité à l’ordre du jour.

Aujourd’hui encore, un animal dangereux peut être abattu sur avis du bourgmestre ou simplement du policier en cas de force majeure, mais il faut toujours rédiger un rapport écrit décrivant les circonstances précises. Par contre, si la chasse d’un fauve n’est pas à exclure ( on a signalé une panthère noire dans les Ardennes en septembre 2009 ), ce sont surtout les chiens dangereux qui menacent la tranquillité publique. On estime qu’environ 40.000 personnes sont mordues chaque année. Il n’y a pourtant pas encore de définition légale des races de chien jugées dangereuses en Belgique, car la notion elle-même fait polémique parmi les spécialistes. Par contre, il existe une banque de données dite dogfight qui enregistre les chiens dan-

10. Les victimes de toujours : l’animal

compagnon

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Les victimes de toujours : l’animal compagnon

gereux. Leurs maîtres sont rarement de grands amis des animaux : une étude britannique de 2011 sur les molosses utilisés par les groupes de jeunes délinquants montre que ceux-ci négligent les soins envers leurs propres animaux ( cruauté passive ) et encouragent la cruauté envers les autres bêtes, perçues comme des jouets ou des accessoires.

Naissance de la fourrièreBeaucoup moins rare que l’abat-

tage d’un animal est la privation de liberté de celui-ci. On parle d’abord de fourrie ( du latin fordrum, four-rage ), pour désigner la saisie des bestiaux en errance, le temps que leur propriétaire paie le dédommage-ment des dégâts qu’ils ont commis ( par exemple des champs dévastés ). Dans les villes, l’accueil des animaux errants de tous poils s’organise à mesure que se développe une saine administration : débarrasser les rues des chiens sans maître permet par exemple de limiter les risques de rage. Apparaît alors la notion de four-rière. A Paris, le service s’organise dès 1842 ; son caractère purement utilitaire se reflète dans l’évolution qui l’affecte au XXe siècle : après les ani-maux, ce sont les vélos puis les auto-mobiles qui aboutissent à la fourrière.

En Belgique, l’évolution paraît plus lente. Jules Ruhl, le fondateur de Veeweyde, raconte dans son livre Fondons des asiles ( qui encourage justement chaque ville à ouvrir le sien ) la pratique des « hondendie-ven » en usage encore à la fin du XIXe siècle : avec la complicité de la police, des racoleurs assomment les chiens avec un bâton et les jettent

dans un grand sac ; un commis-saire « et non des moindres » à qui il suggère d’utiliser plutôt un véhicule avec des paniers lui répond par la moquerie : « Quant à votre charrette je ne lui donne pas 24 heures pour être démolie par la population des Marolles ! »

Ruhl ouvre un premier refuge à Ver-viers en 1899. Grâce aux militants et à l’évolution des mentalités, les animaux sont petit à petit mieux traités par les services communaux : enfermés dans des caisses, transportées dans des fourgons. Les sociétés comme Veeweyde fournissent aux adminis-trations l’aide nécessaire à l’ouverture d’une fourrière, et à l’achat d’un ma-tériel permettant de mettre dignement fin à la vie des animaux dangereux ou en grande souffrance. Le règlement intérieur du corps de police de Tour-nai donne les détails sur le service de fourrière pour l’année 1921. Placé sous la surveillance d’un commis-saire-adjoint, le préposé à la fourrière

est un agent auxiliaire. Son rôle est d’entrete-nir le local et de nourrir les pensionnaires, mais aussi, au moins une fois par semaine, de capturer les chiens errants ( avec l’aide d’un filet ). Ceux-ci sont hébergés puis, dit le texte, « sacrifiés » après trois jours si personne ne les a réclamés – sauf s’ils ont une valeur mar-chande, auquel cas le commissaire en chef peut décider de les revendre.

Entre-temps, ils sont nourris avec du « pain et déchets de ménage ».

Sur cette question de l’élimination malheureusement inévitable de cer-tains animaux, Jules Ruhl apporte aussi une contribution. Pour éviter des pratiques soit douloureuses, soit dangereuses pour les hommes ( une arme de chasse ), il recommande le recours aux armes de poing en vogue à la fin du XIXe siècle pour la self-dé-fense, dites Flobert d’après un calibre très petit et pratique mis au point par un Français. « Aussi serait-il grande-ment désirable que chaque bureau de police, chaque brigade de gen-darmerie, chaque garde-champêtre de commune fût pourvu d’un pareil pistolet Flobert ». A cette époque, nombre d’agents n’ont pas encore d’arme individuelle, ou ne savent guère s’en servir ( à part les gen-darmes, militaires de profession ).

Chats errants et chats haretsA partir des années 1960, la pro-

fessionnalisation croissante des fonctions amène une redistribution des tâches toujours d’actualité : les refuges privés se chargent de l’hé-bergement des animaux tandis que le rôle de la police se limite au volet répressif ou éventuellement au ra-massage. Mais les efforts pour amé-liorer le sort des errants n’ont jamais cessé. Sachant que le destin de nombreux animaux capturés est l’eu-thanasie, les pouvoirs publics et les associations essaient de plus en plus de limiter la capture. Une association comme Chats Libres ( Vrijen Katten )

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est dévolue à la capture des chats er-rants et leur stérilisation, avant de les remettre dans leur milieu d’origine. Même les chats dits harets, les an-ciens chats domestiques qui ont dû se débrouiller pour survivre dans la nature, commencent à faire l’objet de mesures de protection ( application prévue en 2015 en Wallonie ), alors que leur destruction a longtemps été permise, pour limiter leur impact sur la faune. Enfin, pour résoudre le pro-blème à la source, il est question de généraliser l’obligation de stériliser tous les chats domestiques, excep-tion faite pour les éleveurs.

L’animal martyrisé et surexploité

Le développement d’une politique cohérente de ramassage des ani-maux est concomitant à une sensi-bilité croissante pour le sort des ani-maux. Dès 1886, la notion de cruauté envers les animaux fait timidement apparition dans le code rural. « Le but de la loi, explique un magistrat de l’époque, Utimar Van Mighem, est surtout d’adoucir les mœurs et de protéger tous les animaux contre les actes de cruauté excessifs, même de leur propriétaire ». Ne sont concer-nées que les violences gratuites et exagérées, mais pas, par exemple, le « cheval vicieux » qu’il faut frapper à coups de fouet ou de cravache, « même excessifs ». Il faut dire qu’on est stupéfait devant la bêtise et la méchanceté de ces actes « gratuits ». A Leefdael en 1955, un PV est dres-sé à charge d’inconnu pour un chat pendu par un fil de téléphone au toit des toilettes ! La même année, un autre chien est enterré vivant dans la Forêt de Soignes par un maître qui ne souhaitait pas l’emmener en va-cances ; l’animal est secouru par la police de Woluwe-Saint-Pierre mais décédera après une longue agonie. Qui n’a jamais vécu ou entendu une expérience similaire ?

Les sévices le plus fréquemment constatés dans la Belgique de jadis concernent cependant les animaux au travail – chiens et chevaux – lorsque ceux-ci ne bénéficient pas du minimum de confort qu’ils peuvent attendre : un peu de nourriture et un toit pour dormir. C’est sur eux que les sociétés de défense des animaux

tentent d’abord d’attirer l’attention. Les courriers envoyés aux services de police regorgent de cas de chiens de garde mal logés. A Quévy en 1959, le chien est attaché par une lourde chaîne à un fût métallique, en plein sud et sans eau, alors que le tracteur juste à côté a les roues pro-tégées par un sac.

D’autres chiens servent au trans-port, notamment dans le milieu des chiffonniers ou chez les marchands ambulants de lait. L’armée belge elle-même en fait largement usage pendant la Grande Guerre, pour le transport de mitrailleuse. On parle d’environ 150.000 chiens de trait en Belgique pour 1920 ! Cette tradition, réglementée au niveau des provinces, est donc parfaitement légale. Le rôle des policiers se limite à verbaliser les conducteurs qui se servent du fouet ou du bâton ( un chien doit être mené à la voix uniquement ). Pour obtenir l’interdiction pure et simple de la pratique, les sociétés de dé-fense des animaux vont jouer sur le caractère anachronique de ce mode de transport ainsi que sur la mau-vaise image que les sévices endurés par les animaux donnent aux profes-sions concernées. Ils y parviennent très progressivement, en 1957 dans le Brabant ( il y aura ensuite encore de nombreuses infractions ), en 1975 seulement pour l’ensemble de la Bel-gique. En 1950, la gendarmerie sou-tient une campagne visant à lutter contre les excès constatés sur les communes de la Côte.

Le chien remplit donc le rôle du cheval ou du bœuf que certains ne peuvent se payer. Dans le secteur des professionnels du transport et de l’industrie, ce sont naturellement ces derniers que l’on retrouve. Or les transporteurs, appelés charretiers, traînent une réputation de brutes qui s’explique en partie par la pression qu’ils subissent – déjà ! – pour éviter les retards de livraison. Le problème se pose moins dans les campagnes où tout le monde se connaît et entre-tient avec ses animaux une relation plus « familière », sauf exceptions malheureuses bien sûr. Ici, ce sont les itinérants qui suscitent la mé-fiance des pouvoirs publics : le rôdeur marginal voyageant sur un cheval fa-mélique et en compagnie d’un chien

hargneux – selon le portrait peu flat-teur dressé par le procureur général Terlinden en 1911.

Les villes et centres industriels, par contre, tendent davantage à susciter la méfiance, à cause tant de l’anony-mat dans lequel vivent ceux qui s’y rendent que de l’ampleur du trafic d’animaux. Car dans la Belgique in-dustrialisée et déjà fort urbanisée de la fin du XIXe siècle, le cheval fait l’objet d’une exploitation à grande échelle, et occupe la place conquise ensuite par l’automobile. Et qui dit grande échelle dit bien sûr abus. Dans les mines ou sur les docks, les chevaux font l’objet d’une surexploitation éhontée. Une société, Pour nos frères inférieurs, est fondée à Liège en 1937 pour dé-fendre le cheval de mine ; à Anvers, le cas du port suscite des rapports de la douane et de la gendarmerie dans les années 1950.

Au quotidien, les policiers ap-prennent à inspecter colliers et sel-lettes qui dissimulent souvent des plaies à vif, ce qui devient un délit avec la loi de 1929 sur le bien-être animal. Mais le cheval fait partie d’un circuit économique qui commence à la vente de l’animal et s’achève tristement à l’abattoir. En amont, la gendarmerie de Bruxelles surveille donc le déroulement du marché aux chevaux, place de la Duchesse à Mo-lenbeek ; de nombreuses infractions y seront constatées tout au long de ses 130 ans d’existence ( sa sup-pression a été décidée en 1998 ). En aval, une fois épuisé, le cheval est voué à l’abattoir mais son calvaire ne s’achève pas pour autant car les bêtes sont si nombreuses qu’il y a souvent plusieurs jours d’attente et certains équarisseurs préfèrent faire l’économie de les nourrir entre-temps.

Depuis les années 1960, la place du cheval dans notre société se cantonne au domaine des loisirs, à quelques exceptions près ( les pro-menades touristiques en calèche, par exemple ). On assiste pourtant ces dernières années à une re-crudescence des plaintes pour che-vaux maltraités, d’après les chiffres de l’inspection du bien-être animal. En 2002, la région flamande a défini dans deux circulaires les conditions précises dans lesquelles cet animal ( mais aussi le bétail ) doit être logé.

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Les victimes de toujours : l’animal compagnon

Le contrôle du laitLa carte postale, qui fait fureur à partir de la fi n du XIXe siècle, a popularisé une image emblématique : le contrôle

des vendeuses de lait. L’agent peut être un gendarme, un policier ou un garde-champêtre, mais la charrette est toujours tirée par des chiens et conduite par des jeunes fi lles de la campagne. En outre, l’agent utilise un petit appareil disparu depuis les années 1960 appelé lactodensimètre. Le principe repose, comme son nom l’indique, sur l’analyse de la masse du lait. Le liquide est plongé dans un récipient cylindrique ; on met le lactodensimètre au milieu sans qu’il touche les bords et on lit l’indication. Trop faible ? Le lait a probablement été coupé avec de l’eau ; l’agent peut sortir son carnet de procès-verbaux …

Pourquoi immortaliser ainsi un délit ? La pratique s’inscrit dans une longue tradition de dérision autour des petits trucs pour contourner les règles : jusqu’à l’abolition de l’octroi ( 1860 à Bruxelles ), on rit des astuces pour faire entrer clandestinement des marchandises. Ensuite, c’est le contrôle du lait ou – pour citer une autre carte postale – la marchande de pommes qui fuit avec sa charrette à l’arrivée de l’agent, car elle ne s’est pas acquittée d’un droit de marché. Plus tard, ce sera la contrebande aux frontières – tabac, café, beurre, …

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Les victimes de toujours : l’animal nourriture

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Les victimes de toujours : l’animal nourriture

L’autre grand volet d’action des pouvoirs publics à l’égard des animaux concerne la surveillance de la chaîne alimentaire. Pour éviter le chaos et limiter les risques d’empoisonnement de toutes sortes, les pouvoirs publics ont élaboré au cours du temps des règles définissant quels

aliments nous pouvons manger et dans quelles conditions ( cet aspect sera développé dans le chapitre 13 ). Dans une société où la consommation de viande est importante, le contrôle du bétail ( espèces domestiques ) et celui de la chasse ( espèces sauvages ) entrent du coup dans les compétences de la police.

Les animaux d’élevage et la question des abattoirsUn arrêté royal de septembre 1883 définit le cadre de la police sanitaire en

matière d’animaux d’élevage : locaux, transport, etc. Il décrit également les compétences de l’inspecteur vétérinaire de l’Etat, chargé du contrôle sanitaire du marché ou de l’abattoir. A la campagne, la situation sanitaire des troupeaux demeure une compétence des policiers ruraux pendant près d’un siècle,

avec certes l’aide des partenaires. In-formé d’abus sur le marché au bétail de Grammont en 1950, le comman-dant de la gendarmerie apprend que l’endroit est régulièrement surveillé tant par la brigade que par la BSR, mais que les pandores ont pour mau-vaise habitude de partir avant la fin de l’événement ; un courrier est envoyé à Veeweyde pour garantir que cela ne se produira plus. Trente ans plus tard, lorsqu’un journaliste lui demande son souvenir le plus marquant, un garde champêtre sur le départ ( Raymond Crugenaire, de Chastre ) choisit d’évo-quer son intervention dans un élevage de porcs laissé à l’abandon par le pro-priétaire.

En ville, la promiscuité oblige les administrations à limiter voire interdire l’élevage, ce qui entraîne la disparition progressive d’une mixité ancestrale. « Il est défendu d’élever des lapins ou des chèvres dans l’intérieur ou dans le voisinage immédiat des habita-tions », décide par exemple le conseil communal de Mouscron en 1884. Les animaux sont donc transportés de la campagne et menés à une « tuerie » privée ou à l’abattoir communal, un type d’édifice nouveau au XIXe siècle

– les animaux étant jusque là tués dans la rue, avec toutes les conséquences que l’on imagine sur le plan de l’hygiène. Ce processus passe bien sûr par un temps d’adaptation : le règlement communal des abattoirs d’Anderlecht, qui remonte à 1887, précise qu’il est interdit de tuer des animaux chez soi, sauf pour les habitants « de la partie rurale de la commune », autorisés à abattre des porcs destinés à leur consommation personnelle.

La construction d’un bâtiment spécifique et adapté ( dès 1842 à Bruxelles-Ville ) apparaît comme un progrès véritable, non seulement au niveau de l’hy-giène mais aussi pour le confort des habitants qui ne doivent plus entendre les cris des animaux en bas de leur rue, ni sentir leur odeur, ni assister à leur maltraitance quotidienne. Sinon que, sans une formation adéquate pour ses usagers, l’abattoir moderne devient à son tour le foyer de maltraitances nou-velles, à échelle industrielle cette fois. Jeter le veau par terre, crever les yeux

11. Les victimes de toujours : 

l’animal nourriture

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du porc pour l’empêcher de se dé-battre, marquer au fer rouge un ani-mal encore vivant, … Les exemples de cruauté, liés à un manque de pro-fessionnalisme, abondent.

A Bruxelles, le problème attire l’attention du pionnier de la défense animale Jules Ruhl – encore lui. Il dénonce les pratiques guidées soit par la nonchalance, soit par l’avidité – ainsi, le gavage des veaux, consis-tant à les faire boire jusque quasi éclater, pour qu’ils pèsent plus lourd au moment de la vente. Il constate par ailleurs l’inaction de la police communale, qu’il attribue ici encore à un manque de connaissance, ju-ridique cette fois. « La police ? Mais elle est là en permanence au mar-ché de Cuereghem, postée près des pesages où l’on cogne précisément le plus. Il y a là 4 ou 5 agents, tous en belle tenue. C’est d’un effet très décoratif, mais comme ils manquent absolument d’instructions, ils sont là uniquement pour la forme et se can-tonnent dans l’inaction ».

Dans ses pamphlets, Jules Ruhl, végétarien de son état, ne se contente cependant pas de critiquer mais propose des pistes concrètes pour satisfaire tout le monde. Il foca-lise son attention sur deux problèmes spécifiques : le mode d’abattage et le mode de transport du bétail abat-tu. Parmi ses doléances figurent d’abord une meilleure réglementation sur la conduite du bétail ou l’impo-sition d’une rampe fixe pour le faire descendre des chariots. Ensuite, il suggère au passage une meilleure réglementation des professions concernées – bouvier, tripier ou abat-

teur. Enfin, il s’élève contre l’abattage à coup de marteau, responsable de la si mauvaise réputation des bou-chers d’abattoir de son époque – « les tueurs aux gourdins-matraques » ( Montherlant ). Ruhl suggère l’usage de nouveaux appareils d’abattage, ce que l’on appellera bientôt les tue-bestiaux : soit un appareil méca-nique à cheville, soit un véritable pis-tolet dont la cartouche propulse une longue pointe métallique jusqu’au cerveau de l’animal.

L’arrêté du 28 juin 1929 consacre le procédé : « L’étourdissement du gros bétail et des chevaux sera réalisé au moyen d’appareils mécaniques produi-sant l’insensibilité instantanée par pé-

nétration dans la boîte crânienne d’un projectile ou d’un mandrin à parcours limité. La masse ou le merlin ne pour-ront être employés que par des per-sonnes possédant la force et la dexté-rité voulues, connues comme telles par la direction des abattoirs ou le service de l’inspection des viandes et munies d’une autorisation écrite de l’une de ces autorités ». Il revient aux services de police de contrôler l’application de cet arrêté (supprimé en 1998).

Après la deuxième guerre, c’est l’usage de bâtons pour faire avan-cer les bêtes de force à l’abattoir qui est mis en cause. A Anderlecht en 1954, le général Godfroid appuie les démarches de la Croix Bleue auprès du bourgmestre pour le faire interdire par un règlement communal. L’idée est d’y substituer un bâton électrique déjà expérimenté avec succès à Gand : « cette canne donne une se-cousse à l’animal pour le faire avan-cer sans brutalité », écrit l’administra-teur de l’association au bourgmestre Bracops. La mesure est votée sans délai. Les défenseurs des animaux ont moins de succès dans l’affaire des bandes vidéo de maltraitance enregistrées par Gaia sur le même site en 2000, puisque la justice les refuse au nom du respect de la vie privée des marchands de bétail in-criminés ( d’autres images seront plus

Les victimes de toujours : l’animal nourriture

Se nourrir pendant la guerreLes nécessités conjuguées de fournir l’alimentation nécessaire aux

troupes armées et de nourrir le reste de la population en évitant les troubles de l’ordre public font que pendant la guerre, l’alimentation devient une prio-rité encore plus surveillée et réglementée au regard des pouvoirs publics. Hors de question d’abattre une vache ou un cochon sans autorisation. De nouvelles institutions apparaissent : garde bourgeoise pendant la première guerre ; Boerenwacht et garde rurale pendant la seconde. Ces polices auxiliaires pallient le manque de présence policière ( beaucoup sont au front, ou prisonniers ) pour surveiller le ravitaillement en ville, les récoltes à la campagne. En 1942, leur attention se concentre sur les champs de colza, destinés à la production de margarine et non, comme le croit la Résistance, à la fabrication de nitroglycérine.

Toujours pendant la seconde guerre, la gendarmerie crée les esca-drons F ( fraude ), unités motorisées chargées de combattre le marché noir, notamment à la frontière. La nourriture est distribuée sous forme de timbres alimentaires qui font l’objet d’un intense trafic. Des casernes de gendarmeries sont même dévalisées pour voler ces précieux bouts de papiers ! Le rationnement ne constitue bien sûr pas la seule préoccupation des gendarmes ; ils doivent aussi, par exemple, encadrer les meutes de citadins qui viennent remuer la terre des champs après récolte, afin de récupérer d’éventuelles patates oubliées …

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tard acceptées par la Cour d’appel de Mons à propos d’une affaire si-milaire à Ciney ).

L’animal sauvage entre chasse et braconnage

La chasse a toujours été un do-maine très réglementé, visant tant à éliminer les animaux nuisibles aux cultures qu’à se nourrir d’espèces à la chair jugée plus délicate. Elle de-vient un véritable art parmi ceux qui ont le droit de la pratiquer : la véne-rie. Avec le développement de l’état moderne, ce qui était un privilège des nobles devient une prérogative du souverain qui l’accorde à qui bon lui semble. La révolution française met de l’ordre en abolissant tout simple-ment le droit exclusif de chasse, lais-sant au propriétaire le droit d’abattre le gibier sur ses terres. D’où de nom-breux abus et la nécessité de mettre des limites : le permis de port d’arme ( instauré par Napoléon en 1810 ) et les lois sur la chasse.

En matière de chasse, la principale loi en Belgique date du 28 février 1882 ( après celle de 1846 ) ; elle est remplacée en Flandre par le décret chasse du 24 juillet 1991 mais reste d’application en Wallonie. A l’origine, la loi fixe un cadre général afin d’évi-ter les excès : pas de chasse pen-dant la nuit, par exemple. Il est par ailleurs interdit de capturer les ani-maux vivants. A l’inverse, les chas-seurs jouissent de droits importants. Un policier ne peut les désarmer que sous certaines conditions précises – par exemple s’ils portent un masque et refusent de donner leur nom. De plus, il ne s’agit pas à la base de protéger les animaux, à quelques rares exceptions près ( comme les oiseaux insectivores, essentiels aux récoltes ) ; au contraire, la destruction des espèces dites nuisibles est en-couragée : ainsi peut-on « repousser ou détruire, même avec des armes à feu et sans permis de port d’armes, les bêtes fauves qui portent at-teinte à leur propriété », tels renards, sangliers, chats sauvages, loutres, etc. Certaines pratiques tradition-nelles sont cependant interdites, comme l’usage de colle pour en-gluer les oiseaux, de lacets ou encore d’une cage à bascule – une circulaire de 1873 définit déjà la liste des objets

prohibés. Enfin, un manuel de 1913 à l’attention des policiers précise que « le droit de détruire les oiseaux nui-sibles, même au moyen d’armes à feu, ne doit pas dégénérer en abus et servir de prétexte au braconnage ».

Le braconnage, une pratique illicite mais tellement populaire …

Le braconnage, ou chasse illégale, est au cœur du métier de policier rural. Un récit du recueil Nos Gen-darmes de 1912 raconte comment le commandant de brigade orga-nise un banal départ en patrouille. « En ordre ? Chaînes, cordes et me-nottes ? Les deux carnets ? Vous avez la feuille ? Vous avez pris les cartouches de braconnage, hein ? » En effet, depuis 1878, l’Etat a fourni à ses hommes des munitions spé-ciales ( « à trois ballettes » ) destinées à rétablir l’équilibre dans leur lutte avec des braconniers par définition toujours armés. Le récit ironise néan-

moins sur les conditions de travail difficiles et s’achève par la mort d’un gendarme : il faut attendre une circu-laire du ministre de la Justice de 1913 pour aboutir à une définition claire de la notion de légitime défense des agents contre les bandes organisées.

Bandes organisées ? A vrai dire, beaucoup de ruraux voient dans le braconnage tantôt une pratique an-cestrale, tantôt un moyen de sub-

Chasse et technologie moderne

Le bac à lumière est une pratique apparue vers 1910 consistant à se servir de lampes électriques ou de projecteurs pour hypnotiser les ani-maux pendant la nuit et les tirer plus facilement, d’où son interdiction. Le fusil hammerless calibre 12, mis au point par l’Anglais William Wellington Greener, présente l’avantage ( nouveau ) de se réarmer dès l’ouverture du canon. C’est une des nombreuses armes à feu modernes spécialement inventées pour la chasse. La nécessité de se nourrir – légalement ou non – a toujours fourni à l’homme l’occasion de manifester sa créativité sans limite. Le même Greener met d’ailleurs au point en 1895 la première arme à feu conçue pour abattre les animaux de manière rapide et indolore ; ce « humane killer » sera rapidement diffusé dans les abattoirs britanniques. Mais l’armement n’est pas le seul domaine technique que la chasse a fait progresser. Citons, parmi d’autres apports, le rôle pionnier des chasseurs dans la police scientifique, à cause de leur connaissance poussée des empreintes d’animaux et leur usage pour l’identification de ceux-ci.

La pêcheLes rivières ne sont bien entendu pas épargnées par le braconnage,

même si nous en parlons moins ici pour des raisons de place ; la pêche interdite se pratique à l’épervier ( filet lancé à la main ), avec un appât ou encore en réalisant une forcée : barrer une portion de rivière avec un filet. Pour attraper les grenouilles si prisées par certains gourmets ( ou supposés tel ), les contrebandiers utilisent la lampe de poche.

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sistance. Est-ce donc si grave de se procurer indûment de la nourriture qui n’appartient à personne, dans le but de nourrir sa famille ? Au mieux, on tolère que la police limite les abus : trop de prises à la fois, des pièges trop cruels. Appelés bricoles dans le jargon, ceux-ci occupent une place importante dans la culture paysanne. Une nouvelle du capitaine-com-mandant Claes dans la Revue de la gendarmerie sur une arrestation organisée en collaboration avec le garde-champêtre, montre que les pouvoirs publics peuvent aussi ma-nifester beaucoup de clémence. Les pandores jurent au dernier bracon-nier arrêté qu’il n’a pas été dénoncé par ses copains et lui font la morale : « T’es pas un mauvais bougre, mais quand on joue avec le feu … »

Bref, le braconnage est une sorte de jeu ; il faut accepter d’en payer le prix si l’on perd. Personne n’a cure du sort des animaux braconnés ; il n’y a ni conscience de leur souffrance – ceux qui mettent des heures à mourir à cause d’une blessure causée par un piège – ni du danger sur la perpétua-tion des espèces. Ray Petitfrère ( qui se fera connaître par une excellente biographie d’Hitler ) fait partie de ces auteurs qui perpétuent après la deu-xième guerre une vision quasi apolo-gétique du braconnage et du contour-nement « innocent » des lois rurales. Dans un de ses Douze contes cyné-gétiques ( 1947 ), le héros roule à tom-beau ouvert dans la campagne avec le coffre plein de gibier braconné, il écrase un chien sans prendre la peine de s’arrêter et lorsque les gendarmes l’interceptent, il leur explique qu’il est le chauffeur du ministre de l’Instruc-tion publique et repart comme si de

rien n’était ! Curieuse manière de cé-lébrer la vie rurale …

La tendance à minimiser les délits de chasse s’efface cependant petit à petit, au nom de l’autorité publique bafouée. Déjà en 1888, le substitut du procureur de Marche tente de démontrer dans un Code de police rurale que le jeu n’a rien de léger ; il est assez révélateur pour l’époque que son argumentaire ne concerne pas les animaux, mais bien le dan-ger de l’accoutumance à braver la loi. « A force de vivre en rébellion perma-nente contre la loi, à force de se jouer impunément de ses représentants, le braconnier finit par les mépriser également tous les deux … » L’argu-ment devient de plus en plus sensible à mesure que la figure du bracon-nier glisse de l’homme des bois à la bande organisée. En témoigne ce té-moignage d’un garde forestier dans un procès verbal de 1926 : « il finit

par me dire qu’il ne mettait plus des bricoles depuis longtemps, que les gardes [-chasses] avaient trop facile pour les prendre, qu’il avait acheté un fusil hammerless pour 830 francs, et qu’il allait au bac à lumière dans les campagnes de Ramioul là où les gardes ne pouvaient pas s’y frotter et s’ils y allaient ils les tueraient, qu’il avait toujours un coup chargé de ballettes. Il m’a même dit que si moi-même me présenterait qu’il me descendrait encore plus vite que les autres. Il s’est vanté qu’à une sortie ils avaient tué 22 pièces de gibier ». Plus tard viendront l’usage du bas nylon sur le visage, de l’automobile, de la lunette de visée nocturne et en-fin bien sûr du téléphone portable.

La tenderie et la réévaluation du rôle de la chasse

L’autre explication à la sévérité croissante des pouvoirs publics est la prise de conscience de la fragilité de la nature et la nécessité de mieux encadrer les pratiques de la chasse en général. Devant le recul de cer-taines espèces ( le cerf a par exemple quasi disparu de Belgique dès 1850 ), l’Etat entreprend de collaborer avec les chasseurs pour rétablir un certain équilibre. Un Conseil supérieur de la chasse est institué en 1906 ( puis réorganisé en 1957 ), réunissant les deux parties, dans le but de faire des propositions concrètes au ministre de l’Agriculture pour la sauvegarde

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des animaux menacés. Apparu en 1909 pour soutenir la profession, le Royal Saint-Hubert Club de Belgique fonde la revue Chasse et Nature, une association d’idées éloquente quant à leur objectif. La Flandre a depuis développé son propre club - Hubertus Vereniging Vlaanderen - et sa revue - De Vlaamse Jager. Ce mouvement pour une chasse plus écologique, du-rable dirait-on aujourd’hui, prend une dimension internationale en 1928-30 avec l’apparition du CIC – Conseil International de la Chasse et de la Conservation du Gibier. L’association existe toujours et mène de nouveaux combats ( la défense de l’antilope saï-ga ), mais continue de soutenir l’utilité de la chasse récréative comme « fac-teur de valeur pour la conservation ».

De héros populaire, ou presque, le braconnier tend à devenir un criminel comme les autres. « La délinquance en matière de chasse, écrit le profes-seur Braas de l’Université de Liège en 1962, devient une délinquance de droit commun, susceptible d’entraîner de sérieux dangers au point de vue de l’ordre ». Sur le plan de l’environ-nement, le braconnage est assimilé à la destruction de « ce merveilleux patrimoine que sont la forêt et sa faune » ( maréchal des logis Anciaux, 1971 ). L’illustration la plus frappante concerne la perception de la tenderie, la chasse des petits oiseaux.

Il s’agit de profiter des migrations pour attraper un maximum d’oiseaux, grâce à des pièges ainsi qu’à de grands filets tendus sur l’itinéraire de leur passage, toujours le même d’an-

née en année. La fin de l’été est le moment privilégié, lorsque les jeunes volatiles restent bien groupés en vol. Ils sont tués pour être consommés ou conservés en cage comme oiseaux chanteurs. Les perdrix sont attrapées par nuées entières grâce à de larges filets posés dans les champs. Pour les pinsons, on se sert d’un oiseau mort collé sur un appât bien visible tandis qu’un autre, vivant mais enfer-mé dans une cage, chante pour atti-rer des victimes. Le tarin des aulnes est attrapé grâce à une gaule de pêcheur trempée de glue pour fixer les oiseaux ... On l’aura compris, ces méthodes brillent souvent par leur barbarie : la technique de la jouche, par exemple, consiste à aveugler les oiseaux pour les précipiter dans un filet et leur écraser la tête.

En fait, personne ne prête vrai-ment attention à la pratique de la tenderie jusqu’à la fin du XIXe siècle lorsque le nombre d’oiseaux en Eu-rope – notamment les insectivores – subit une diminution inquiétante. Une conférence internationale a lieu à Paris en 1895, suite à quoi diffé-rents pays, dont le nôtre, s’engagent par une convention à agir pour pro-téger les espèces menacées. Sauf que personne n’agit vraiment. En Belgique, la loi sur la tenderie date du 25 octobre 1929 seulement, et ne règle pas du tout le problème. D’une part, elle se contente de restreindre la pratique aux mois d’octobre et no-vembre, d’en interdire le commerce et de condamner certaines pratiques ( cages à trébuchets, substances toxiques, etc. ) ; d’autre part, elle

est trop rarement appliquée sur le terrain, au nom du respect des tra-ditions ( nous reviendrons sur cette notion au chapitre suivant ). Les so-ciétés protectrices des animaux re-partent à l’attaque dans les années 1950 avec l’aide de la gendarmerie. A Frasnes-lez-Buissenal durant l’hi-ver 1955-1956, la Ligue belge pour la protection des oiseaux dénonce le braconnage dans la réserve orni-thologique du bois Lefebvre, suite à quoi le général Thiel lui-même in-tervient pour organiser de nouvelles patrouilles. Mais la force de cette tra-dition peu écologique ne faiblit pas. A l’instar des braconniers du gros gi-bier, les tendeurs modernisent leurs techniques : usage d’enregistreurs en guise d’appelant, de camions amé-nagés, etc.

Or la Belgique tarde à faire ap-pliquer la convention internationale pour la protection des oiseaux du 18 octobre 1950, déplore l’adjudant Dubois dans un article de la Revue de la Gendarmerie. Le gradé avance ( en 1967 ) le chiffre de 27.000 ten-deurs qui capturent 12 millions d’oi-seaux chaque année ; pour souli-gner la gravité de cette situation, il cite un livre édité par le WWF : Avant que nature meurt de Jean Dorst, il-lustre ornithologue français. Succès mondial, l’ouvrage souligne « quels dangers guettent l’humanité, si elle étouffe plantes et bêtes pour ne s’in-téresser qu’à ce qui a un rendement immédiat ». Les pouvoirs publics semblent enfin répondre aux sirènes de l’écologie. Deux ans plus tard, le capitaine-commandant Spoiden ren-chérit avec ce cri d’alerte : « A nous gendarmes, de nous intéresser de près au sort de nos petits amis ailés et de réprimer sévèrement les infrac-tions commises par les destructeurs de l’avifaune ».

La prévention paraissant insuffi-sante, on s’oriente vers une inter-diction totale qui se concrétise en 1993 en Wallonie ; la tenderie relève désormais du tribunal correctionnel et non plus du tribunal de police. En Flandre, le décret des espèces ( Soortenbesluit, 2009 ) interdit la plu-part des méthodes utilisées, comme la colle ou l’utilisation d’animaux vi-vants en guise d’appât.

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Le chasseur invité à prouver sa bonne foi

Cette victoire, après une lutte de longue haleine, reflète aussi la sen-sibilité écologique de l’opinion, qui se traduit par la volonté d’appré-hender la nature dans sa globalité. Une conséquence inattendue de cet état d’esprit est l’hostilité croissante, non plus seulement à l’encontre des activités répréhensibles comme le braconnage ou la tenderie, mais à des pratiques de toujours qui sont désormais perçues négativement. Certains animaux définis par la loi comme nuisibles ( fouine, ragondin, mais aussi geai, pie, etc. ) gagnent la sympathie du public ; le terme lui-même disparaît d’ailleurs des textes au profit de celui de « autre gibier ». Le piégeage de ces animaux est de plus en plus réglementé : il doit garantir la mort immédiate et sans souffrance de l’animal. Malgré tout, la polémique fait rage. Nous connais-sons déjà l’exemple des chats harets pour les forêts wallonnes ; ailleurs, c’est le loup ou l’ours qui deviennent des symboles. Dans les Pyrénées françaises, le dernier ours autoch-tone est tué par un chasseur en 2004 ; deux ans plus tard, les gen-darmes découvrent le corps sans vie de Paloma, une ourse de Slovénie réimplantée au même endroit contre l’avis des éleveurs locaux inquiets pour leur troupeau.

La nouvelle sensibilité écologique finit donc par jeter le doute sur la pratique de la chasse en général. La

société Veeweyde donne l’exemple en louant des terres à Nassogne pour éviter que la chasse n’y soit pratiquée. En 1974, Les défenseurs de la Forêt de Soignes parviennent à faire cesser la pratique au nom de la fragilité du milieu et des dangers pour les pro-meneurs. En 1982, le roi Baudouin marque un grand coup en renonçant à son droit, prévu depuis l’indépen-dance, de chasser librement sur cer-taines terres de l’Etat ; celles-ci, les Chasses de la Couronne, sont trans-formées en laboratoire pédagogique de gestion de la nature, avec l’aide active de la Division Nature et Forêts.

Le chasseur lui-même est invité à prouver son attachement à la nature, quant il n’est pas accusé d’être son ennemi – tout comme l’agriculteur, mis en cause dans la gestion des sols ou de son bétail. Ceci se réper-cute dans la loi qui perd sa confiance dans la capacité des chasseurs à gérer les ressources naturelles sous le contrôle lointain des agents de l’Etat. L’institution d’un examen de chasse en 1977 constitue à ce titre un tournant décisif. La confiance de jadis est remplacée par une matière à apprendre : il s’agit désormais d’éduquer le chasseur. L’examen est organisé par les Eaux & Forêts, tandis que le Royal Saint-Hubert Club propose des cours prépara-toires. En 1978, les éditions Hayez publient un petit manuel remarquable sous forme de bande dessinée ( par deux futurs grands noms, Berthet et Foerster ). L’accent y est fortement mis sur la responsabilité des chas-

seurs par rapport à l’environnement. Le fil conducteur du récit est la jour-née d’un grand-père qui explique à son petit-fils quels seront ses devoirs lorsqu’il aura réussi son examen. La conclusion est sans ambiguïté : « chasser c’est avant tout connaître, comprendre et aimer la parcelle de nature dont on a la responsabilité ».

Au final, la société moderne tend à ne plus accepter la chasse en de-hors de son rôle de régulateur de la nature, et à la condamner lorsque seul le plaisir entre en jeu, ou la tra-dition. Il faut cependant rappeler que le gibier souffre autant, sinon davan-tage de l’avancée de la modernité : recours massif aux pesticides pour les cultures, ravages des machines de coupe de fourrage, etc. Sans prendre parti, pouvoir judiciaire et exécutif ( dont la police ) tentent de respecter un difficile équilibre entre plusieurs notions parfois incompa-tibles : la gestion des ressources naturelles ( qui implique un contrôle des espèces ), la morale défendue par les sociétés protectrices ( sans cesse plus virulentes face aux chas-seurs ) et enfin le respect des tradi-tions défendu bec et ongles par les associations de chasse.

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La tradition est le troisième grand domaine dans lequel les pouvoirs publics ont dû intervenir, toujours en tâchant de ménager les suscep-tibilités de chacun. Tuer au nom du folklore ou de la foi n’est donc possible que dans un cadre très strict, qui varie cependant d’un endroit

et d’une époque à l’autre.

Des traditions condamnées : autour des combats de coqsAu début du XIXe siècle, on pratique encore en Belgique des exécutions

d’animaux qui n’ont rien à voir ni avec l’alimentation, ni avec les besoins logistiques, mais relèvent de coutumes locales à l’origine souvent ancienne. Certaines traditions inoffensives se sont perpétuées tel quel, comme le lâ-cher d’oiseaux lors de marchés ( que critiquent néanmoins les associations ) ; d’autres ont fini par disparaître d’elles-mêmes, faute d’intérêt ; quelques unes, enfin, ont évolué suite à une réglementation de plus en plus stricte concernant le bien-être animal. Cette rigueur s’explique par la cruauté récurrente de ces pratiques. A la cascade de Coo à Spa, les habitants jettent des chiens dans la rivière pour montrer aux touristes la force de la source ! Un arrêté d’interdic-

tion de 1858 n’étant pas suivi d’effet, la commune en publie un second à la demande de la société protectrice des animaux, à laquelle le bourgmestre Lamberty écrit : « je recommanderai aux agents de police et spécialement à celui de la susdite localité [ Coo ] de tenir la main à sa bonne exécution ».

Les deux cas les plus connus en Belgique sont la décapitation des oies et les combats de coqs. La première tradition concerne surtout la Basse-Meuse ( Visé ), Harchies mais aussi les polders flamands – autour de Be-rendrecht ou Stabroek. Elle disparaît en fait rapidement des annales poli-cières car dès le milieu du XIXe siècle, on tend à utiliser un animal mort, ce que ne signaleront pas toujours les journaux qui évoqueront la coutume, comme Le Soir en juillet 1947.

La seconde tradition est rame-née des Indes par les Anglais et se répand un peu partout en Belgique, notamment la Flandre et le Hainaut. Elle va susciter davantage de remous à cause de son lien avec le jeu et le goût de la violence. Elle jouit d’ailleurs longtemps du soutien de certains élus ; dans le Limbourg, ses défen-seurs feront même valoir que l’acti-vité attire les touristes et occupe les paysans pendant l’hiver ! Le principe repose sur l’agressivité naturelle (ou supposée telle) des coqs. Les jeunes

mâles prometteurs sont séparés très tôt de la basse-cour et soumis à un régime alimentaire spécial. Ils sont par ailleurs rasés, c’est-à-dire dépouillés de la crête et de la barbe pour éviter d’être agrippés dans un combat. Ils reçoivent en vue de celui-ci des éperons fixés à leurs pattes : soit un bout de corne de vache (Hesbaye), soit une sorte de tige métallique (Flandre). Le combat a lieu sur un ring planchéié ; il peut durer entre quelques secondes et quelques minutes.

Les victimes de toujours : l’animal tradition

12. Les victimes

de toujours : l’animal tradition

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Après des atermoiements au XIXe siècle (interdictions au niveau provin-cial non suivies d’effet), le code rural de 1886 le proscrit en public mais l’autorise dans la sphère privée. On voit que le problème concerne moins le bien-être animal que les désordres suscités par les paris ; Van Mighem rappelle en 1888 que la loi « a eu pour but, d’abord de protéger les animaux, ensuite de déraciner dans le peuple l’habitude de certains combats, jeux ou spectacles publics dans lesquels on soumet les animaux à la torture ». Par la suite, sous l’action des socié-tés protectrices, la pratique n’est plus jugée morale et tombe dans l’illéga-

lité complète grâce à la fameuse loi de 1929 sur la cruauté envers les ani-maux. Les « coqueleux » doivent pas-ser la frontière ( les émigrés flamands y ont importé la tradition et elle va y perdurer jusqu’à aujourd’hui ) ou organiser des compétitions clandes-tines que la police a du mal à com-battre.

On comprend pourquoi à la lecture des rapports de gendarmerie des an-nées 1950, notamment celui du capi-taine Favresse du district de Jumet, suite à des combats avérés à Boi-gnée en 1954. « Il est à noter que les organisateurs de semblables com-

bats sont motorisés et disposent d’un très bon service de renseignements. La présence de gendarmes dans les environs immédiats du lieu de leur réunion leur est immédiatement si-gnalée ». L’officier pointe également les difficultés de la communication radio, une faiblesse récurrente des services de police, que la gendarme-rie va tâcher de solutionner grâce à la motorisation à grande échelle des années 1960. La justice, par contre, ne suit pas toujours : en 1973 encore, la société contre la cruauté envers les animaux s’insurge contre la peine minime infligée à l’organisateur d’un combat à Wintershoven, arrêté par la gendarmerie.

La controverse autour des pratiques réévaluées ou importées

La modernisation de la société en-traîne un recul de ces traditions avant tout rurales. Elle engendre par contre de nouveaux débats, lorsque change le regard porté sur une habitude an-cestrale ou suite à l’importation d’une pratique jugée contraire au bien-être animal. Parmi les défenseurs de ces traditions contestées, tous n’ont pas conscience du fait que les traditions ont aussi une histoire et qu’il est par conséquent logique qu’elles finissent par s’adapter à la société.

En 1993, le petit village de Sint-Eloois-Winkel défraie la chronique à cause de la course de chevaux tradi-tionnellement organisée dans les rues – la dernière d’un genre autrefois po-pulaire. Parce que les montures dé-rapent trop facilement sur ce terrain dur et glissant (asphalte et pavés), au péril de leur vie, les associations de défense des animaux obtiennent la condamnation de la pratique sous la forme d’un amendement à la loi de 1986 sur la cruauté envers les animaux. Dorénavant, la commune proposera une démonstration de trot hippique sans danger.

Une autre tradition mise sur la sel-lette est la chasse à courre, perçue comme un sport par ceux qui la pra-tique. Il s’agit en effet de poursuivre un seul animal pendant des heures, jusqu’à ce que, épuisé, il soit abattu par un chasseur ou – ce qu’on appe-lait jadis l’hallali – déchiqueté par la

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meute. Défendue bec et ongles par la Fédération des associations de chas-seurs de la CE, la chasse à courre est cependant interdite en Belgique en 1992 ( Flandre ) et 2000 ( Wallonie ). Même le pays qui l’a pratiquée avec le plus de fougue – la Grande-Bre-tagne – fi nit par l’interdire en 2004 ; ici, certaines associations ont même ou-vertement appelé à la désobéissance.

Le cas des sacrifi ces rituels est un peu différent. La loi, on le sait, oblige l’étourdissement préalable du bétail avant abattage. D’emblée, une ex-ception est concédée au profi t de la communauté israélite, qui pratique l’abattage par sacrifi ce au moyen d’un couteau acéré ; l’exception s’étend aux musulmans suite à l’im-migration nord-africaine des années 1960-70. La législation est également adaptée ( 1988 ) en ce qui concerne le transport d’un animal dans un vé-hicule personnel, en principe interdit sauf dans certaines circonstances précises liées à une coutume reli-gieuse reconnue.

Avec le temps, la pratique se dé-veloppe au point d’être aussi appli-quée pour une partie de la viande destinée à des non musulmans, ce qui constitue bien entendu une faci-lité pour les abattoirs mais se trouve

en contradiction avec le caractère exceptionnel prévu par la loi. Sans compter l’incompréhension d’une partie de l’opinion dans un pays su-jet aux effets de ce qu’on appelle le « paradoxe de la viande » – ceux qui mangent le plus de viande n’ai-ment pas l’idée de souffrance des animaux. C’est pourquoi le Conseil du bien-être des animaux, déjà cité pour son rôle de réfl exion vis-à-vis des pouvoirs publics, crée en 2008 un groupe de travail « abattage halal et shechita », qui aboutit au constat du « risque beaucoup plus élevé de douleur et de souffrance » dans le cas de l’abattage rituel. Aucun compro-mis n’a encore pu être trouvé pour l’instant, au contraire des Pays-Bas, où gouvernement et représentants religieux parviennent à un début d’accord en juin 2012, en décrétant que l’étourdissement devait avoir lieu quarante secondes après l’égorge-ment, si l’animal ne s’est pas déjà évanoui de lui-même.

Au niveau européen, les représen-tants des 27 doivent composer avec l’esprit du traité d’Amsterdam (1997), le premier texte de loi européen sur le bien-être animal, qui défi nit claire-ment les limites de son objet dans un protocole additionnel : « la Commu-nauté et les Etats membres tiendront

pleinement compte des exigences en matière de bien-être des animaux, tout en respectant les dispositions lé-gislatives ou administratives ainsi que les pratiques nationales, notamment les rites religieux, les traditions cultu-relles et les héritages régionaux ».

L’expression renvoie au problème de l’étourdissement, bien sûr, mais aussi à des traditions plus ancrées comme la corrida, que la France a déclaré patrimoine immatériel en 2011, garantissant ainsi sa perpé-tuation. Les tentatives d’importation en Belgique de ces combats n’ont pour l’instant pas abouti. En 1853 déjà, le bourgmestre de Brouckère refuse l’organisation d’une course de taureaux à Bruxelles pour une raison qu’il explique au gouverneur : « Ce genre de spectacle familiarise le peuple avec la vue du sang, avec les émotions violentes ; il doit infl uer défavorablement sur la moralité pu-blique ». Cent cinquante cinq ans plus tard, l’internationalisation des loisirs pousse des organisateurs de « course camarguaise » (poursuite sans mise à mort de taureau) à pro-poser un spectacle à Ghlin, suscitant l’ire des défenseurs des animaux de la région montoise.

Débat IV : pourquoi défendre la cause des animaux ?

Les pionniers de la cause animale sont aussi les défenseurs précoces de tous les opprimés et de l’injustice, comme Bentham, éminent théoricien de l’opposition à la peine de mort, ou Victor Hugo, éternel pourfendeur de la dictature. Pourquoi prendre la défense des animaux lorsque tant d’autres combats restent à mener pour les hommes ?

On peut réfl échir à la réponse en partant du cas de deux illustres romancières américaines. Harriet Beecher Stowe est l’auteur de La Case de l’Oncle Tom (Uncle Tom’s Cabin) devenu après sa publication en 1852 le livre le plus vendu outre Atlantique ; à cause du réquisitoire qu’il dresse contre l’esclavage, on y a vu une des causes de la Guerre de Sécession. L’auteur s’est aussi préoccupé du sort des animaux, argumentant qu’aucun homme n’a le droit de maltraiter un animal. « C’est une question de prendre le parti du faible contre le fort, ce que les hommes les meilleurs ont toujours fait » (« It’s a matter of taking the side of the weak against the strong, something the best people have always done »). Cent trente ans plus tard, Alice Walker fait sensation avec un roman similaire, La Couleur Pourpre (The Color Purple), adapté au cinéma par Steven Spielberg. On doit à cet auteur une citation encore plus claire : « Les animaux du monde entier existent pour des raisons qui leur sont propres. Ils n’ont pas davantage été créés pour les humains que les noirs ont été faits pour les blancs ou la femme pour l’homme » (« The animals of the world exist for their own reasons. They were not made for humans any more than black people were made for whites, or women created for men »).

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Les victimes de demain : l’animal marchandise

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Les victimes de demain : l’animal marchandise

13. Les victimes

de demain : l’animal marchandise

Le fil conducteur de la protection des animaux aujourd’hui est la nécessité de freiner la soif de consommation au détriment de ceux-ci. En effet, les besoins croissants de nourriture donnent une échelle nouvelle aux problèmes de l’hygiène publique et de la préservation de l’écosystème.

En outre, l’internationalisation des échanges encourage la mode de l’exotisme jusqu’à mettre en péril l’équilibre des espèces. La police, qui n’est ici qu’un intervenant parmi d’autres, veille à agir sur un triple plan : la protection de l’homme en prévenant les risques sanitaires, la préservation du bien-être ani-mal et la défense de l’environnement en général, menacé dans son équilibre. Sans compter que tous ces nouveaux marchés attirent la concupiscence des bandes organisées, cible privilégiée de la police dans sa fonction judiciaire.

Prévenir les menaces de plus en plus nombreuses sur l’hygiène alimentaire

Manipulations génétiques, bactéries tueuses, épidémies, … notre société vit dans la hantise d’une catastrophe de l’hygiène alimentaire et chaque état possède sa stratégie en la matière. Ce souci n’est pas neuf. En 1911, une

enquête révèle que l’abattoir de Cure-ghem vend de la viande de cheval mort avant d’être arrivé, sans l’attes-tation vétérinaire pourtant obligatoire. Le journal Le Peuple titre : « Un scan-dale : L’ouvrier bruxellois consomme des chevaux crevés … » En amont de la production, la prévention des épidémies constitue aussi un point d’intérêt pour les forces de l’ordre, qui savent que les frontières ne laissent pas passer que les hommes. Dans les années 1950, les gardes champêtres sont chargés de surveiller l’apparition de la coccinelle du Colorado, une destructrice de pomme de terre qui arrive en Europe pendant la Grande Guerre et touche la Belgique à partir de 1935.

Dès 1963, les Nations Unies et l’OMS définissent une réglemen-tation internationale connue sous le nom de Codex Alimentarius : ce-lui-ci établit des normes alimentaires, des lignes directrices et des codes d’usages standards afin de limiter les problèmes suscités par l’explosion du commerce mondial des denrées. L’Europe crée en 1979 son propre outil de contrôle, le RASFF (Rapid Alert System for Food and Feed), et définit sa politique générale dans le « livre blanc sur la sécurité alimen-taire » adopté en 2000. D’une manière générale, la réglementation est très stricte. Des cultivateurs de légumes anciens se retrouvent poursuivis en justice parce que leurs espèces ne fi-gurent pas au catalogue des aliments autorisés …

Un excès de prudence ? L’épizootie de la vache folle (ESB, encéphalopathie

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Les victimes de demain : l’animal marchandise

spongiforme bovine) à partir de 1986 et, en Belgique, la crise de la dioxine de 1999, ont prouvé à quel point les pouvoirs publics doivent rester at-tentifs aux risques sanitaires. Dans le cas de la dioxine, des lots entiers de volailles, d’œufs, mais aussi de porcs ont été détruits ; le pays a souffert d’un immense préjudice tant finan-cier que moral – la confiance perdue des consommateurs, d’où la création de l’AFSCA ou de l’EFSA au niveau européen. Suite à l’enquête menée au parquet de Gand, la firme de Deinze à l’origine du scandale est lourdement condamnée en 2002 et 2010.

Du poison dans les veines : le fléau des hormones

Le rôle de la police concerne surtout la dérive criminelle de la surconsommation. Nulle part celle-ci n’apparaît de façon aussi claire que dans le cas du trafic d’hormones, ces produits permettant de faire gonfler artificiellement les muscles. Grâce à eux, un animal peut gagner un tiers de poids supplémentaire en un an ; 72 heures après leur injection, les produits sont devenus indécelables. Inutile de préciser qu’ils ne contri-buent pas à la bonne santé de leur victime ; il est du reste révélateur que dans l’affaire des bandes vidéo enregistrées par Gaia aux abattoirs d’Anderlecht, plusieurs marchands incriminés avaient déjà un casier ju-diciaire pour trafic d’hormones.

Avant la découverte de l’insuline en 1921, leur existence est incon-nue. Il faut attendre les années 1950 pour qu’elles soient utilisées pour les animaux d’élevage, avec des consé-quences pas toujours maîtrisées. Et la hausse de la demande en viande bovine attire vite la concupiscence d’escrocs sans scrupules. Dès les années 1980, certaines brigades de gendarmerie tentent de développer une approche spécifique du pro-blème, et une « cellule autonome à compétence exclusive » apparaît en 1991. Pour rompre avec le centra-lisme d’antan, la cellule s’installe à Roulers. Sa mission : « la centrali-sation, le traitement et l’exploitation des informations disponibles », afin notamment de pouvoir mieux cerner la dimension internationale du pro-blème. Le mouvement s’accélère

en 1995 avec le retentissement de l’affaire Karel Van Noppen : membre de la cellule hormones de l’institut d’expertises vétérinaires (IEV), ce vétérinaire anversois est abattu pour 15.000 Euros par un tueur engagé par un éleveur de bétail sans scru-pules de la région de Rekkem.

L’état-major institue alors à Bruxelles une cellule centrale inté-grée depuis à la police fédérale, qui multiplie les initiatives en faveur des unités de terrain et les collaborations avec les partenaires externes. Parmi les dossiers remarquables qu’elle a traités ces dernières années, citons le cas d’un vétérinaire véreux faisant du trafic de produits via l’Allemagne en 2004, un trafic international d’un pro-duit espagnol mélangé à des épices en 2005 ( 40 entreprises clientes en Belgique), enfin une affaire de 2008 illustrant la difficulté de trouver des preuves car elle concerne un trafi-quant d’hormones connu de tous mais jamais poursuivi. Le succès in-ternational du film flamand Rundskop en 2011 a permis au grand public de découvrir les coulisses de ce trafic de la honte.

Protéger les animaux de maltraitance à grande échelle

La question des hormones renvoie à la deuxième préoccupation majeure des pouvoirs publics : le bien-être animal. Or à nouveau, lorsqu’il y a dérive criminelle, le grand banditisme n’est jamais très loin. Rappelons le cas du braconnage, dont la profes-sionnalisation a déjà été évoquée ( chapitre 11). En 2003, un garde-chasse de la région de Huy est arrê-

té après la découverte chez lui d’un véritable atelier de découpe doublé d’une chambre froide, en plus de fu-sils et de pièges destinés à abattre clandestinement du gibier. Vers la même époque, un gendarme raconte dans le magazine en ligne Mine avoir arrêté un braconnier qui avait tué 225 chevreuils en 2 mois, notamment pour revendre aux grandes surfaces.

Le transport constitue un autre point d’attention particulier de la po-lice, depuis toujours puisque c’est par ce biais que se propagent les épi-démies de bétail. Au XIXe siècle, les agents verbalisent les transporteurs lorsqu’ils empilent les veaux les uns sur les autres pour gagner de la place sur le chemin de l’abattoir. A l’âge de l’automobile, la police de la route arrête les camions pour vérifier si les animaux ont assez de place, ont pu boire en suffisance, … La première réglementation européenne en la ma-tière remonte à 1968 ; depuis le 1er septembre 2009, en Belgique, tous les chauffeurs de bétaillère doivent avoir un brevet spécifique. Car les abus sont nombreux dans ce sec-teur hyper concurrentiel : une enquête menée par trois associations euro-péennes ( dont Gaia ) début 2012 ré-vèle que 67 % des transports d’ovins et de bovins violent la législation.

Le bétail n’est pas seul concerné. Devant la demande croissante d’ani-maux de compagnie, certains mar-chands peu regardants n’hésitent pas à faire venir illégalement des chiots, surtout en provenance de l’Est. En mai 2012, une voiture tchèque a ainsi été arrêtée avec 15 chiots enfermés dans le coffre, sans eau ni nourriture depuis 6 heures. Il faut noter que la législation actuelle permet aux éle-

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veurs agréés, dits « éleveurs com-merçants », d’importer des animaux en plus de ceux qu’ils vendent déjà. La pratique, dénonce les associa-tions, entretient la tendance actuelle à voir l’animal domestique comme un accessoire interchangeable, sachant qu’il existe en Belgique de véritables supermarchés de l’animal de compa-gnie, bien que 30.000 chiens soient euthanasiés chaque année, faute de propriétaire !

Une forte demande n’alimente pas seulement l’élevage, mais aussi le vol et la falsification des papiers. Dans les années 1950, les criminels tra-fiquent déjà les estampilles officielles, qu’ils décalquent avec une demi-pa-tate crue. A la même époque, les gendarmes doivent pouvoir dres-ser le signalement complet d’une vache dérobée : comment y parve-nir aujourd’hui, alors que 800.000 bovins, 11 millions de porcs et 300 millions de poulets sont transpor-tés chaque année (chiffre de 2009) vers les abattoirs belges ? Ici appa-raît l’importance du marquage et de l’enregistrement ( base de données SANITEL, 1997). Il s’agit à l’origine d’un outil non pas tant de lutte contre le vol, mais contre les épidémies, en particulier la tuberculose bovine. De-puis 2002, il est interdit de marquer l’animal au fer ; le marquage s’effec-tue désormais sous forme de boucle d’élevage.

Le marquage a entraîné un glisse-ment des vols vers une autre espèce, le cheval. En 1998, une centaine de chevaux sont ainsi dérobés en Bel-gique, souvent pour exportation. Les étalons vigoureux servent à saillir les juments, les spécimens moins bril-lants finissent à l’abattoir. Pour finir, leur identification devient également obligatoire le 31 décembre 2009. Bien sûr, celle-ci ne constitue en rien une garantie contre le vol ; le « do-gnapping », ou vol de chien de race, prospère malgré la généralisation du tatouage ou de la puce électronique à partir de 1998 ( environ 600 chiens volés en 2009). Depuis le premier oc-tobre 2004, un animal domestique doit aussi posséder un passeport pour voyager. Il n’existe par contre pas d’équivalent national à la légis-lation européenne sur le marquage des animaux CITES.

Préserver l’environnement contre la surconsommation

La convention de Washington, rappelons-le, régit le commerce in-ternational des espèces protégées, soit environ 22.000 plantes et 3000 animaux, répartis en différentes ca-tégories selon le degré d’urgence : les plus menacées, dont le com-merce doit rester exceptionnel et strictement réglementé ; celles pour lesquels le danger est moindre, mais dont il faut néanmoins contrôler les transactions pour prévenir leur ex-tinction ; enfin, celles protégées dans certains pays seulement.

Les NAC et la mode du paraître exotique

Au moment de la naissance de CITES, personne n’imaginait que le simple citoyen allait y être confronté si souvent. En 1974 encore, un dépu-té demande au ministre de l’Agricul-ture si une loi prévoit l’encadrement des espèces exotiques qui menace-raient la faune belge ; la réponse est négative, « comme jusqu’à présent de tels animaux ne paraissent pas constituer un danger pour la santé des animaux domestiques ». Une génération plus tard, la soif de nou-veauté des consommateurs pousse nombre d’entre eux à se tourner vers les espèces exotiques pour leur tenir compagnie ou pour orner leur inté-rieur. Certes, chacun est libre de ses goûts, mais cette mode est lourde de conséquences. D’abord, ces animaux ne sont pas adaptés à notre climat, au point parfois de mettre en péril la santé des hommes et l’écosystème ; ensuite, leur trafic alimente le grand banditisme international.

Car la problématique des NAC – nouveaux animaux de compagnie – est liée au goût de tout ce qui est rare et précieux. Du Mexique par exemple, on veut importer un oiseau chanteur, des cactus pour décorer son jardin ou des orchidées pour la serre. Araignées venimeuses, batra-ciens multicolores ou singes atten-drissants se retrouvent sur la liste d’idées cadeaux de la jeunesse oc-cidentale. Au-delà de toute mesure : en 2005, une perquisition permet de découvrir un alligator, 13 caïmans et une trentaine de tortues chez un des

plus renommés éleveurs de bonsaïs d’Europe, installé en Hollande ; tout ce petit monde gambadait à côté des enfants. En Belgique, on estime que chaque année 100.000 reptiles vivants apparaissent sur le marché, dont la moitié à peine va survivre. Régulièrement, des animaux exo-tiques sont rejetés dans les égouts ou la nature ; s’ils n’y meurent pas, ils peuvent gravement mettre en pé-ril l’équilibre de l’environnement ou propager des maladies contagieuses ( singes). En 2004, le documentaire Le Cauchemar de Darwin fait sensation en racontant l’histoire de la perche du Nil, ce poisson déversé un jour à titre de test dans les Grands Lacs : en quelques années, toutes les varié-tés locales ont été dévorées et il ne subsiste plus que cette perche, objet d’une pêche intensive en direction des pays riches.

La mode des NAC amène le gou-vernement fédéral à publier en 2002 une liste des animaux de compa-gnie autorisés, 42 en tout. Inutile de dire que singes ou loups n’y figurent pas. Une dérogation est accordée pour les animaux hors liste enregis-trés avant le 1er juin 2002 et à leurs descendants avérés. Pour le reste, la conservation à domicile d’un tel animal est soumis à l’obtention d’un permis d’environnement dit VLAREM. Il faut donc un certificat CITES pour obtenir l’autorisation d’acheter un animal exotique et un permis pour pouvoir le garder : devant la rigueur – justifiée – de ces mesures, les ama-teurs n’hésitent pas à tenter d’impor-ter illégalement leur compagnon au mépris de la loi et du danger.

La douane est la première autorité concernée, vu la quantité de saisies opérées, notamment par la brigade GAD de Zaventem, l’anti-drogue. Et les contrebandiers rivalisent d’ingé-niosité : œufs d’oiseaux dissimulés sur le corps, perroquets emballés vi-

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vants dans des manteaux, grenouilles toxiques dissimulées dans des rou-leaux de films photo, etc. En 2004, la douane de Zaventem intercepte un Thaïlandais avec deux aigles vivants emballés comme des momies dans des étuis en osier ; contaminés par la pseudo-peste aviaire, ils doivent être euthanasiés sans délai. Viennent ensuite les documents falsifiés. La Belgique a connu l’affaire d’un Belge qui, propriétaire d’un couple de ra-paces, vendait à la fin des années 1990 de faux certificats à un Italien pour légaliser le trafic de celui-ci de centaines d’œufs volés dans les montagnes croates.

La police, pour sa part, est confron-tée dans ses missions quotidiennes aux troubles de l’ordre public cau-sés par la détention ou la découverte d’un NAC – d’où une action crois-sante en matière de prévention. Au niveau judiciaire, elle s’attaque aux cas les plus graves, en essayant de remonter les filières des passeurs. Une tortue achetée 2 à 3 Euros sur un marché marocain se revend 75 à 125 Euros en Belgique ; un modèle rare, comme la Geochelone Yniphora de Madagascar, peut valoir 25.000 Euros ici. D’où l’intérêt manifesté par les bandes organisées ; il n’est d’ailleurs pas rare de découvrir de la drogue lors de la saisie d’espèces sauvages, preuve d’une implication des cartels. On estime qu’un tiers du trafic mondial lié à CITES ( soit envi-ron 350 millions d’animaux) concerne des pratiques illégales ; cette contre-bande représente selon Interpol un gain annuel de 10 milliards de dollars par an pour les criminels, ce qui en fait la troisième activité la plus lucra-tive après la drogue et les armes. L’Europe possède depuis 2005 sa propre base de données des infrac-tions CITES : EU TWIX – Trade in Wildlife Information Exchange.

Une soif exponentielle de matières précieuses

La Belgique joue un rôle de plaque tournante dans ce trafic internatio-nal, que ce soit pour les rapaces en vogue dans les pays du Golfe ou les matières précieuses à destina-tion de l’Extrême-Orient. Car CITES concerne aussi les spécimens dé-cédés et tout ce qui en est extrait ;

il faut donc un permis pour importer certains objets, aliments ou médi-caments à base de plantes et ani-maux. Dans les cartons de saisie de la douane figurent régulièrement des objets aussi hétéroclites que des bracelets faits de poils d’éléphants, des crânes de singes, des tortues fu-mées à destination des restaurants de Matonge ( quartier congolais de Bruxelles) ou une écharpe en peau d’antilope tibétaine ( vendue jusqu’à 10.000 Euros pièce !) La Revue de la Gendarmerie publie dès 1996 des conseils aux vacanciers tentés de ramener des souvenirs prohibés, comme les cornes d’antilope saïga.

A cause de l’implication des ma-fias internationales, les quantités concernées mettent en péril l’avenir de certaines espèces. Pour prendre le cas du caviar, l’exploitation ex-ponentielle des œufs d’esturgeon conduit à une pénurie constatée dès la fin des années 1990 dans les anciennes républiques soviétiques ( Mer Caspienne) où ils sont produits. Dans ce domaine, on estime que les prises illégales représentent 10 fois le commerce légal ; un importateur de caviar arrêté en 2002 à Miami a fait entrer en un an l’équivalent du quota d’exportation autorisé pour toute la Russie … On en vient à de-voir prendre des précautions inouïes : ainsi, l’ambre gris contenu dans les entrailles des baleines est devenu si recherché ( par les fabricants de cos-métiques) et donc si cher que lors-qu’un cachalot s’échoue à la Côte belge en février 2012, sa dépouille doit être veillée en permanence par la protection civile de Jabbeke !

Naturellement, la forte demande des espèces protégées alimente un braconnage d’essence criminelle, aux quatre coins du monde. En Ca-margue, un parc naturel français pro-tégé, un impressionnant réseau de trafiquants est démantelé en 2005 : pas moins de 17 véhicules de grosse cylindrée étaient utilisés pour chasser illégalement des espèces rares re-vendues ensuite à des restaurants ou des taxidermistes ( pour les touristes friands de flamands roses empaillés). La même bande opérait également des cambriolages, ce qui permit leur arrestation. Mais le cas le plus flagrant reste celui de l’ivoire, le pro-

duit CITES le plus saisi en Belgique, souvent à l’occasion d’un transit vers la Chine.

Le cas de l’ivoire et l’influence de la médecine traditionnelle

La menace sur les espèces sau-vages africaines remonte en fait à l’époque coloniale, lorsque chasse et trafic donnent naissance à un massacre organisé sans commune mesure avec les coutumes locales. L’éléphant fait même l’objet de tenta-tives peu concluantes de domestica-tion, avant d’être systématiquement pourchassé pour ses défenses en ivoire. Le Congo belge va alimenter jusqu’à 85 % du commerce mondial de ce matériau de luxe, utilisé notam-ment dans la fabrication de boules de billard ( photo à droite ). Patricia Van Schuylenbergh, historienne au musée de l’Afrique à Tervuren, a étu-dié en détail l’évolution de l’attitude de l’autorité à cet égard. Jusqu’au rattachement à la Belgique en 1908, celle-ci veille à monopoliser à son profit le commerce de l’ivoire, mais en parallèle, le massacre organisé des éléphants suscite une prise de conscience de la menace sur l’en-vironnement. Le premier congrès international de protection des ani-maux d’Afrique a lieu à Londres en 1900 ; apparaissent ensuite les as-sociations de défense des paysages et de la faune. Du coup, afin d’éviter la dilapidation des richesses, l’auto-rité coloniale opère dans les années 1920-50 une division du territoire en zones domestiques et zones sau-vages, crée des réserves de chasse protégées par des gardes et des parcs nationaux où la chasse est par contre proscrite – le Parc Natio-nal des Virunga, ouvert en 1925, est le premier du genre sur le continent.

Le relatif équilibre qui en résulte se voit mis en péril à partir des an-nées 1970, sous l’effet conjugué de la demande croissante et de la situation politique chaotique des pays d’Afrique noire. En 1989, une convention CITES interdit le com-merce international de l’ivoire, avec en 1997 une exception pour la vente aux enchères des défenses des ani-maux décédées de mort naturelle.

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Sans grand résultat : les saisies de-viennent de plus en plus grosses, preuve de l’implication des bandes organisées. En 2006, TRAFFIC évoque le chiffre de 30.000 éléphants abattus illégalement chaque année ; au Tchad, sa population diminue de 40 % entre 2006 et 2010. Du coup, des pays comme la Tanzanie et la Zambie réclament un allègement des contraintes ( une nouvelle autorisation de vendre les stocks existants), afin de briser le monopole des mafias, mais les experts craignent de donner ainsi un mauvais signal – toujours ce débat sur l’équilibre entre prévention et répression.

La destination finale de l’ivoire est en général la Chine, tant l’essor économique de ce pays a poussé la demande. Curieuse coïncidence, le braconnage reprend au Kenya après la venue des entreprises chinoises pour construire une autoroute. Dans cet immense pays en pleine crois-sance, la sensibilité à la cause ani-malière ne fait pas le poids ; des animaux vivants ( insectes ou petits lézards), plongés dans un liquide, y sont vendus comme porte-clés pour l’équivalent d’un euro. Mais les Chinois sont-ils vraiment plus insen-sibles que les autres ? Les trafiquants profitent surtout de l’ignorance et de la superstition qui y règne encore – une étude a montré que 70 % des habitants pensent que les défenses d’éléphant tombent comme les dents et qu’il suffit de les ramasser ! L’ivoire y sert d’ingrédient à de soi-disant médicaments miracles, contre l’épi-lepsie ou … la paresse.

La médecine traditionnelle raffole davantage encore de la corne de rhinocéros, dont la vente est interdite en Chine depuis 1987 – une injustice

horrible pour ceux qui croient à tort qu’elle permet de sauver des vies. Résultat : un braconnage effréné et une menace sur l’avenir de l’espèce. Le rhinocéros blanc a pratiquement disparu, tandis que le rhinocéros noir a connu une évolution en dents de scie, avec une population actuelle es-timée à un peu moins de 5000. Mais la chasse illégale a connu récemment un regain sans précédent : 333 spéci-mens sont abattus en 2010, contre 13 en 2007 ; en 2011, ce chiffre se monte à 448, dont 252 dans la célèbre ré-serve du Kruger qu’en Afrique du Sud. Les criminels en viennent même à piller les musées européens où dor-ment des rhinocéros empaillés depuis l’époque coloniale : en Belgique, le Musée africain de Namur et celui des Science naturelles à Bruxelles ont été victimes de semblables vols.

Mais comment lutter contre le tra-fic d’une matière qui se revend plus cher que la cocaïne ? Personne n’a de solution miracle, à part une meil-leure sensibilisation des gens sur place, en Extrême-Orient. Beaucoup de propriétaires privés de réserves africaines préfèrent renoncer à cet animal à cause des risques, ou bien

ils scient eux-mêmes les cornes. Quelques-uns préconisent un déve-loppement de l’élevage de l’animal, mais l’idée est en contradiction avec les principes CITES …

Un dernier grand animal mena-cé par les amateurs de médecine chinoise est le tigre, dont les os sont broyés pour faire de la poudre. Son commerce est interdit en Chine mais le trafic illégal a causé une chute de 95 % de cette espèce par rapport au début du XXe siècle ; il en reste-rait moins de 2500 en liberté dans le monde, soit à peine assez pour garantir la perpétuation de l’espèce. Il faut toutefois noter que la Chine fait de grands efforts ces dernières années pour contrer l’importation illégale. En juillet 2012, une grande réunion se déroule à Nanning pour mieux coordonner la lutte contre le braconnage entre l’agence CITES chinoise et l’ASEAN Wildlife Enfor-cement Network. Désormais, le péril vient plutôt des pays voisins, notam-ment le Vietnam, où l’Etat, plus faible, peine à agir dans cette lutte pour la sauvegarde des espèces parmi les plus nobles vivant sur Terre.

Les terribles Anioto, hommes léopardsQui a un jour visité le musée de Tervuren ou lu Tintin au Congo connaît la terrible secte des Anioto, ou Aniota,

les hommes léopards. Si ces mystérieux guerriers n’ont rien de commun avec les animaux, ils ont par contre eu affaire à la police belge. Ou plutôt : les agents territoriaux qui, au Congo belge, assistent la justice dans leur mis-sion de police judiciaire. Dans la région de Beni, une vaste enquête a lieu à la fin des années 1920 pour identifier des meurtriers appartenant à la secte, appelée « Wahokohoko » en Bangala, l’idiome local. Armés d’une griffe à trois ou quatre lames et protégés par une peau de léopard pliée en deux sur la poitrine, ils portent un masque fait d’écorce peint, pour qu’on ne les reconnaisse pas. L’enquête mène à l’arrestation d’une bande dirigée par une femme. « Prêtresse macabre d’un culte sauvage, elle se faisait servir certains organes des femmes mises à mort », explique le correspondant local du Patriote illustré …

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Les abus nourrissent l’opposition non seulement aux pratiques envers les animaux mais aussi envers la société qui les génère. Cette réaction hostile est parfois telle qu’on parle de radicalisme, ce que la police fé-dérale définit comme suit : « un processus influençant un individu ou un

groupe de telle sorte que l’individu ou le groupe en question soit mentalement disposé à commettre des actes extrémistes allant jusqu’aux actes violents, voire terroristes ». Cette évolution s’apparente à une pyramide, menant, de bas en haut, de l’activisme à l’extrémisme puis enfin, parfois, au terrorisme.

Lorsque des crimes ou délits sont commis au nom de l’environnement ou des animaux, on parle en général d’écoterrorisme, encore que le concept soit parfois contesté à cause de la confusion possible avec un terrorisme qui s’attaquerait justement à l’environnement. Le service antiterrorisme de la police fédérale a proposé la définition suivante : « l’utilisation ou la me-nace d’utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des propriétés, par un groupe à vocation environnementale, pour des

raisons écologiques, avec pour ob-jectif de toucher un public au-delà de la cible visée, souvent d’une nature symbolique ». Même s’il ne s’agit pas de la menace la plus périlleuse, elle a déjà fait les beaux jours de la littéra-ture américaine : Rainbow 6, de Tom Clancy ( 1998 ) ou State of Fear, de Michael Crichton ( 2006 ). Le film 28 Days later ( 2002 ) de Danny Boyle dé-bute par une scène effrayante où des militants de la cause animale libèrent des singes enfermés dans un quar-tier hautement sécurisé d’Angleterre, sans savoir que ceux-ci véhiculent une sorte de virus de la rage parti-culièrement dangereux qui va bientôt décimer la population …

A l’origine : le rejet de la vivisection et de l’industrie de la fourrure

Le développement de l’écoterro-risme doit en effet beaucoup à la lutte très ancienne contre la vivisection, c’est-à-dire l’utilisation d’animaux vivants dans le cadre d’expériences scientifiques ou de tests cosmétiques. Victor Hugo déjà s’écriait : « la vivisec-tion est un crime ! » Une première so-ciété antivivisection apparaît en 1875 à Londres ; une union internationale de ces associations est fondée au début du XXe siècle à Paris et réor-ganisée en 1969 sous la dénomination d’International Association Against

Painful Experiments on Animals ( IAAPEA). L’histoire du mouvement est une succession de victoires en demi-teintes et de discordes entre militants radicaux, dits parfois puristes ( interdiction pure et simple), et partisans de concessions, dits pragmatiques. Majoritaires, ceux-ci parviennent à améliorer sensiblement le bien-être des animaux de laboratoire sans affronter de front les acteurs politiques et économiques. De création beaucoup plus récente, l’APMA, Action préventive contre le martyre des animaux de laboratoire, recherche des alternatives valables à proposer à ces derniers.

Les victimes de demain : l’animal otage de l’écoterrorisme

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Les victimes de demain : l’animal otage de l’écoterrorisme

En 1986, l’Europe adopte finale-ment la convention STE 123 sur les expérimentations animales, traduite dans le droit belge par la loi du 18 octobre 1991 ( quelques mesures fi-gurent déjà dans la loi de 1929). Et le sujet est pris au sérieux par les ins-tances de contrôle. En 1953, la gen-darmerie enquête sur une plainte, finalement infondée, déposée contre l’institut Saint-Raphael à Louvain. Malgré tout, des affaires d’abus dé-fraient la chronique. En juillet 1996, la police d’Ixelles et l’inspection vétérinaire perquisitionnent au la-boratoire de l’hôpital universitaire Erasme, qui utilise 600 chiens par an, suite à une plainte déposée par un ancien vétérinaire attaché au labo. Ils découvrent des cadavres au crâne fracassé ( la loi impose l’usage de substances létales) et quelques animaux vivants en piètre état sani-taire, immédiatement saisis. Après enquête, il apparaît que le fournis-seur des animaux n’est pas agréé ; il allait jusqu’à ramasser des chiens errants ! L’affaire aboutit en 1999 au procès de plusieurs médecins, d’un étudiant et du fournisseur, accusés d’euthanasie sans présence d’un vé-térinaire, de mutilation inutile de cer-tains animaux et d’absence de soins de ceux-ci ; le verdict – la relaxe pour les médecins et des amendes pour les autres – n’est guère apprécié des parties civiles.

Ce genre de déceptions convainc certains militants de l’inutilité à vou-loir composer avec le pouvoir. Ils sont par ailleurs las de l’absence de mesures prises à l’encontre d’une autre pratique qui les scandalise : le port de vêtements en fourrure, non réglementé à l’heure actuelle mal-gré les efforts de lobbying auprès des instances européennes et un rapport de 2001 intitulé The Welfare of Animals Kept for Fur Production. Or si les abus dans ce domaine concernent surtout l’Asie, avec 2 millions de chiens et chats tués par an, la Belgique n’est pas épargnée ; les associations dénoncent parfois la présence sur le marché de fourrures de chien ( ce qui est interdit depuis 2007), et une vingtaine d’entreprises belges pratiquent encore l’élevage de visons ( contre 46 en 1990), ce qui reste autorisé.

Un mouvement d’origine anglo-saxonne implanté en Belgique

Le SHAC – Stop Huntington Animal Cruelty – est le mouvement le plus directement lié à la question des la-boratoires, puisqu’il prend le nom du plus célèbre d’entre eux : le centre d’expérimentation animale Hunting-ton Life Sciences, près de Londres. Créé en 1999, il se veut un simple service d’information ; les actions perpétrées sont dues à des gens qui revendiquent leur appartenance au mouvement. Les actions s’apparen-tent à de l’intimidation sous forme de harcèlement moral des employés ou de publicité négative pour faire fuir les investisseurs potentiels. Le SHAC va cependant si loin que la police bri-tannique lance en 2007 une grande action internationale à son encontre, l’opération Achilles, qui entraîne l’arrestation puis la condamnation du fondateur, Greg Avery. Des per-quisitions ont même lieu en Belgique où des voitures étaient louées pour préparer les actions. A noter que le mouvement possède également son antenne belgo-hollandaise, l’Antidie-renproeven Coalitie ( ADC).

De façon plus générale, la question des expériences touche également la Belgique qui abrite une industrie pharmaceutique prospère. La nuit du 27 au 28 février 2006, l’ambas-sade du Népal à Etterbeek est van-dalisée par des membres du groupe Gateway to Hell, qui reproche à ce pays d’importer des singes ser-vant à des expériences médicales en Belgique. Ce groupe a été fon-dé par Keith Mann, condamné à 14 ans de prison en 1994 pour avoir incendié des camions transportant de la viande. Le même Mann avait déjà participé en 1976 à la création du tout premier groupement radical de la défense des animaux, l’Animal Liberation Front.

Le président de l’ALF, Ronnie Lee, est issu de la mouvance tradition-nelle anti chasse et vivisection. Non structuré, son mouvement apparaît davantage comme une bannière pour ceux qui s’en revendiquent ; une va-riante environnementaliste, l’Earth Liberation Front, est d’ailleurs créée en 1992 à Brighton. Non violent, il en

appelle à des actions spectaculaires mais sans faire courir de risque à qui que ce soit. Pourtant, c’est de l’ALF que se revendiquent les auteurs de la vague d’attentats qui secouent la Belgique en 1998-2000, puis ceux, non identifiés à ce jour, de l’incen-die du laboratoire de l’université de Hasselt à Diepenbeek en 2008. Même revendication en France du-rant l’automne 2006 pour une cam-pagne visant à terroriser éleveurs ou bouchers, au nom de la lutte contre le spécisme, doctrine dénonçant l’ex-ploitation de l’animal par l’homme.

La frontière périlleuse entre défense d’une cause et respect de la société

On pourrait discuter sur l’oppor-tunité de donner à ces associations ce qualificatif de terroriste, généra-lement attribué à des groupements responsables d’atrocités sans rap-port avec l’incendie de bâtiment ou le vandalisme d’une voiture de directeur de laboratoire. Le profil des militants est du reste assez différent, avec une forte proportion de femmes. Il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas de violence légitime dans une société démocratique. Celle exercée par l’Etat ( notamment la police) se justifie par la protection de la vie des citoyens ; elle doit être proportion-nelle au danger et suit des règles bien précises.

Les animaux eux-mêmes ne pou-vant pas communiquer directement avec nous, ils sont les otages de ceux qui prétendent les défendre. Est-ce un acte écologique que de planter des clous dans les arbres pour que les bûcherons se blessent, comme le pratiquent les militants d’Earth First ? Dans une interview à Humo, Anja Hermans, auteur princi-pale des attentats de 1998-2000 au nom de l’ALF, a elle-même reconnu l’inutilité de ses actes, notamment la libération de visons dans un éle-vage puisque ces animaux n’avaient pratiquement aucune chance de s’en sortir seuls dans la nature.

Aucun exemple n’illustre mieux l’ambivalence du discours écolo-giste dans son acception radicale ( et non pas terroriste ) que celui du combat de Sea Shepherd en faveur

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des baleines. Paul Watson, un an-cien de Greenpeace, fonde cette association en 1977 pour s’attaquer aux conséquences épouvantables de leur pêche frénétique. Celle-ci est finalement interdite en 1989, après constatation de la disparition d’environ 80 % de ces animaux sur le globe. Mais sous la pression des pays consommateurs, elle reprend en 2003 sous forme de « prélèvements scientifiques » d’abord, puis en 2007 avec de véritables chasses à grande échelle, destinées à satisfaire la de-mande immense du marché japo-nais. Sea Shepherd ( et de son unité d’intervention ORCA Force) reprend la lutte avec des méthodes dras-tiques qui lui attire l’ire de nombreux gouvernements. Un coup d’éclat au Costa Rica, contre les pêcheurs de requin cette fois, oblige Watson à fuir en Europe pour échapper à la Justice ; il est arrêté à l’aéroport de Francfort en mai 2012 puis disparaît

dans la nature, fidèle à son engage-ment : en 2010, il déclare à l’agence AFP qu’il n’a de comptes à rendre qu’aux baleines et aux phoques …

En fait, le volet éthique mis à part, le radicalisme animalier partage plusieurs caractéristiques avec les autres formes actuelles de dérive ter-roriste : la dimension internationale, l’absence de structure ( commettre un acte au nom d’une association signifie en faire partie), l’usage in-tensif d’Internet pour communiquer, la volonté de gagner la sympathie du public, enfin un penchant prononcé pour l’action et les conseils pra-tiques, au détriment de la réflexion théorique.

Après avoir quelque peu minimisé cette forme de criminalité, l’Europe change son fusil d’épaule au début des années 2010. Une taskforce de 58 experts et les représentants de 35 associations, réunis en avril 2011,

formule une série de remarques sur la politique à mener, soulignant le be-soin de coordination entre Etats, la nécessité de renouveler le dialogue sur le bien-être animal, ou encore l’intérêt à une coopération renforcée entre pouvoirs publics et secteur privé. La conférence a lieu à Euro-just, l’outil majeur pour contourner l’obstacle des souverainetés natio-nales. Installée à La Haye, cette jeune institution est chargée de coordon-ner l’action des magistrats et des policiers de tous les pays membres. Depuis 2012, elle est présidée par Michèle Coninsx, une magistrate belge spécialiste du terrorisme qui a œuvré tant au procès du GIA al-gérien en 1995 qu’à celui de l’ALF. Eurojust possède depuis 2005 le pouvoir d’obliger un Etat à partager son information. L’étape suivante est de créer un parquet européen …

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Les victimes de demain : la pollution ennemie des hommes et des bêtes

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Les victimes de demain : la pollution ennemie des hommes et des bêtes

Avant même que les braconniers ne fassent leur office, les espèces sauvages disparaissent sous le coup de la diminution de leur espace vital, la pollution et la surexploitation des ressources dont ils ont besoin. L’ours blanc, par exemple, ne fait pas l’objet du même trafic

que le tigre, mais il manque de disparaître car il a besoin d’un territoire de chasse immense qui s’évanouit sous le coup du réchauffement climatique. Cette pollution ne touche bien sûr pas que les animaux. Elle tue des hommes, en plus grand nombre que les accidents de la route, selon l’OMS. Lui aussi souffre des bouleversements climatiques liés au réchauffement ou au recul des forêts tropicales ( poumons de la terre ). La différence ? Il est lui-même à l’origine de ces changements. C’est lui qui, dans les années 2000, abat environ 13 millions d’hectares de forêt chaque année, lui qui surpêche le poisson jusqu’à sa disparition, ...

Bien entendu, il est conscient de ses actes, du moins depuis quelques an-nées, et tâche de mettre en place des mécanismes pour réparer les dégâts. La

police contribue pour une petite part à ce travail de géant ; une contribution tant au niveau de la prévention que de la répression si nécessaire. Une inter-view d’un garde champêtre en 1991 dans Le Soir Illustré nous apprend que celui-ci est surnommé « l’écolo » car il emmène les enfants pour des cours de sensibilisation à la nature et aux animaux. Les policiers d’avant cette époque, tout aussi qualifiés pour en-seigner le respect du milieu naturel, n’avaient pas besoin de faire la même chose car la population n’était pas en-core devenue analphabète en matière d’environnement ; ceux d’aujourd’hui laissent parler le spécialiste environ-nement de leur zone ou le service ad hoc de la police fédérale.

La police et les déchets : l’emprise des mafias

Le rôle de la police en matière de pollution commence avec les déchets domestiques. Ceux-ci ont une his-toire ancienne, liée à l’affirmation des villes. Dès la Renaissance, les citadins sont tenus d’installer une fosse dans leur maison ; à la fin du XIXe siècle, ils doivent utiliser pour leurs ordures ménagères un récipient muni d’un couvercle portant le nom du fonction-naire français qui l’a inventé, le préfet Poubelle. A l’heure actuelle, en Bel-gique, chaque habitant produit près d’une demi tonne de déchets par an.

Il lui appartient de respecter la réglementation en vigueur, et notamment le tri sélectif. La police peut intervenir en cas d’infraction, par exemple en cas d’abandon de liquides ( huiles de friture, engrais ) ou d’appareils électriques.

Mais la police privilégie surtout la lutte contre les infractions conscientes à grande échelle, ce qu’on appelle la criminalité environnementale lourde. Car depuis les années 2000, la pollution, en particulier industrielle ( amiante, produits chimiques) est devenue un terrain d’action privilégié du grand banditisme. La preuve la plus frappante est l’implication de la mafia, dont

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la fameuse Camorra napolitaine. Implantée depuis les années 1970 grâce au trafic de drogues et de ci-garettes, celle-ci pèse d’un grand poids sur la vie politique régionale, ce qui lui a permis d’envahir tous les rouages de la gestion des déchets : d’abord, obtenir illégalement le maxi-mum de contrats d’enlèvement et de retraitement des déchets auprès des autorités locales ; ensuite, vendre ce qui peut l’être en se servant de do-cuments falsifiés et faire enfouir le reste dans des décharges sauvages ; enfin, décrocher les marchés publics pour la dépollution des sols qu’ils ont eux-mêmes contaminés ! On reste abasourdi devant tant de cynisme, et surtout devant les conséquences dramatiques pour la santé publique : dans la région de Naples et Caserte, surnommée le « triangle de la mort », on constate une surmortalité de 9 % pour les hommes et 12 % pour les femmes ( principalement à cause de la hausse des cancers ), sans parler des animaux. Et bien sûr, on attend toujours de savoir comment payer la vraie dépollution, sachant qu’il y aurait entre 500.000 et un million de tonnes de déchets enterrés.

En Belgique, la multiplication des fraudes liés aux déchets pousse les autorités à réagir dès le début des années 1990. Il faut dire que le pays sort alors du scandale de Mellery, une décharge industrielle exploitée sans autorisation adéquate de 1982 à 1989, avec – déjà – des consé-quences dramatiques sur la santé des riverains et une facture salée pour la collectivité. La police découvre tout à coup un domaine complexe : des officiers de gendarmerie sont envoyés à une formation en gestion de l’en-vironnement à l’Institut des Affaires Publiques. Une cellule spéciale est ensuite mise sur pied, avec pour but de « rendre visible les flux réels de dé-chets » et de « détecter les groupes et comportements à risque ». C’est dans ce contexte qu’apparaît le formulaire de saisie « ECO-message déchets » ( EMD ), destiné aux unités de terrain qui les renvoient au service environ-nement pour analyse.

La police fédérale intensifie la lutte. Inscrite comme priorité dans chacune des versions successives du plan national de sécurité, la lutte contre le

trafic de déchets intéresse d’autant plus la police qu’elle est souvent cou-plée à d’autres activités criminelles, notamment le blanchiment d’argent. Mais la police n’est pas seule à agir ; d’autres structures sont apparues ou se sont développées. Dans le cas du gigantesque incendie d’une firme de traitement de déchets toxiques à Je-meppe-sur-Sambre, en juillet 2011, c’est la police des contrôles de la Ré-gion Wallonne qui travaille avec le Par-quet pour tenter de déceler la cause.

L’enfouissement devenant plus dif-ficile dans nos pays à cause d’une législation de plus en plus sévère et une surveillance accrue, la tendance est de tenter d’exporter les déchets, légalement ou non. Car les frontières sont perméables. Railpol et Aquapol naissent en 2003 d’une collaboration entre la Hollande, la Belgique et l’Al-lemagne ( aujourd’hui 21 pays ) afin d’améliorer le contrôle des frontières, avec un accent sur la problématique de l’environnement. En Belgique, une tendance est de dissimuler les déchets dans les milliers d’épaves de voiture qui partent chaque mois d’Anvers vers l’Afrique. Ce problème fait l’objet d’un groupe de travail spé-cifique réunissant douane, police de la navigation et d’autres fonction-naires : en effet, lors des contrôles, un véhicule sur cinq est plein de déchets, alors que, faute de temps, ces contrôles ne concernent qu’une voiture sur cent !

Plus elle devient internationale, plus la grande criminalité est difficile à combattre, à cause de la multi-plicité des législations concernées. Une triste illustration est l’affaire du Probo-Koala, un bateau-poubelle qui arrive à Abidjan, en Côte d’Ivoire en 2006. Officiellement, il vient bénéfi-cier d’un traitement compétitif des déchets qu’il transporte. En réalité, il va les déverser dans la ville, em-poisonnant des dizaines de milliers de personnes. Punir les coupables devient ici une mission impossible : le navire appartient à une compagnie grecque ; il bat pavillon de Panama ; il est armé par une société dont l’adresse fiscale est à Amsterdam, le siège à Lucerne et le centre opé-rationnel à Londres ; le propriétaire de la cargaison de déchets est français et l’équipage, russe …

La police et la pollution : à la recherche du coupable introuvable

La défense de l’environnement au sens large – le climat, les res-sources mondiales – ne concerne pas directement la police, ni même les états nationaux, qui ne défendent en principe que ce qui leur appar-tient. En 1968, les membres du club de Rome ( presque tous des scienti-fiques ) tirent cependant la sonnette d’alarme à propos du danger d’épui-sement rapide des ressources de la terre. Sans résultat concret. En 1983, les Nations Unies mettent enfin sur pied une Commission mondiale sur l’environnement, qui publie quatre ans plus tard le rapport Brundtland, premier texte où figure le concept de développement durable. Celui-ci pré-sente comme un tout indissociable le développement économique, la justice sociale et la préservation de l’environnement à travers le monde ; il est développé au cours du Deuxième Sommet de la Terre à Rio en 1992 ( le premier a lieu à Stockholm en 1972 ). Mais on ne parle toujours pas de me-sures coercitives.

La donne change bientôt devant les conséquences manifestes de la surconsommation et du réchauffe-ment climatique. Celui-ci est l’enjeu du protocole de Kyoto de 1997 qui, pour la première fois, fixe des objec-tifs concrets en matière de réduc-tion des émissions de gaz à effet de serre. Six types de gaz sont concer-nés : dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux, hydrofluorocarbures, hydrocarbures perfluorés, hexafluo-rure de soufre. La nouveauté de ce texte ratifié par l’Europe en 2002 réside dans les fortes contraintes qui l’accompagnent, un défi face à la crispation des Etats quant à leurs prérogatives en matière de justice. De fait, plusieurs grands états ( dont les USA ) n’ont pas signé le traité dont les objectifs ont pourtant été revus à la baisse. La Belgique, par contre, poursuit vaille que vaille ses efforts à respecter ses engagements.

S’il n’existe pas de police interna-tionale pour suivre ce défi ( Interpol est un bureau d’information), la police nationale (fédérale et locale) est un ac-teur de la planification d’urgence mise

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en place au niveau des provinces, puisqu’en Belgique, le gouverneur est chargé de la gestion des situations d’urgence sous la coordination de la DGCC ( Direction Générale Centre de Crise) du SPF Intérieur. Elle est égale-ment partenaire de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire, compétente pour l’inspection des centrales. S’il n’y a jamais eu d’incident majeur en

Belgique, les cas tristement célèbres de Tchernobyl ( 1986 ) et bien sûr Fukushima ( 2011 ) nous rappellent l’importance cruciale d’un contrôle strict. Dans le cas de l’accident au Japon, le rapport de la commission d’enquête indépendante a dressé un réquisitoire accablant contre le manque d’organisation de la préven-tion des risques : pas de plan d’éva-

cuation de la population, absence de manuels ou de matériel de secours pour le personnel, sans parler d’une négligence inconsidérée des rapports alarmants établis bien avant la catas-trophe.

Que puis-je faire moi-même?Même si les enjeux de la défense de l’environnement sont énormes, chacun peut y contribuer modestement par

un comportement plus respectueux. Il est par exemple si simple de débrancher un appareil plutôt que de le laisser en veille ( téléviseur, ordinateur), car ceci consomme beaucoup d’énergie. On peut tenter de limiter le temps sous la douche, celle-ci étant la plus grande consommatrice d’eau à la maison. Il importe aussi de trier et recycler ses déchets autant que possible. Savez-vous que de grandes entreprises commencent à récupérer leurs emballages afi n de les réutiliser ? L’opération étant moins coûteuse que la fabrication de nouveaux emballages, tout le monde y gagne. On peut aussi tenter de manger plus sainement, éviter d’acheter des fruits importés de l’autre bout du monde puis de les laisser pourrir au fond du frigo. Et ce n’est pas fi ni : proscrire les sacs en plastique, couper son moteur au feu rouge, éviter la voiture pour les courtes distances, … La liste des petits gestes est longue ! N’oubliez pas que cette planète, c’est la vôtre, la nôtre, mais aussi celle de toutes les espèces vivantes qui l’habitent et qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont nulle part d’autre où aller …

La police elle-même – comme d’autres administrations – entreprend des efforts en ce sens. Le Plan National de Sécurité 2008-2012 prévoyait le respect de l’environnement et du développement durable en demandant à tous les membres de la police d’imprimer uniquement sur les deux côtés des feuilles de papier, par exemple. Le projet Rainbow, de la DCA Bruxelles ( tour Botanique ), a proposé d’autres pistes concrètes, puisqu’il a permis le renouvellement du système d’évacuation d’eau des urinoirs, une économie d’électricité de 25 % grâce à une reprogrammation des ascenseurs et l’utilisation d’ampoules LED, ou encore l’extinction de l’air conditionné pendant la nuit, afi n de limiter les émissions de gaz dans l’atmosphère.

Débat : La police sans frontières, une nécessité pour demain ?

La résolution des problèmes de l’alimen-tation, de l’écoterrorisme ou de la pollu-tion passent par un renforcement de la collaboration policière internationale, qui reste aujourd’hui embryonnaire. Ce besoin d’une ouverture des frontières nationales rejoint les doléances des mouvements écologistes, qui insistent sur le danger de la compétition économique croissante entre les états, dans un monde où les res-sources viennent à manquer. « Lorsque les ressources deviennent plus limitées, la compétition augmente ; le fossé entre les

pays riches en ressources et ceux qui en ont peu aura certainement de fortes implications géopolitiques à l’avenir », indique le rapport annuel du WWF pour 2012.

Essayez de dresser deux portraits du monde de demain en partant de ce constat : l’un, pessimiste, tablant sur l’impossibilité d’une réelle solidarisation des nations ; l’autre, optimiste, tablant sur une prise de conscience salu-taire de la dimension internationale de la problématique de l’environnement. Précisez aussi de quelle manière on en arrivera à telle ou telle issue.

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Colophon

Recherches & rédaction :  Benoît Mihail, CGPR – avec l’assistance de Jannike Houben & Jean-Marie Teller, CGPR ; Joffrey Verhaeghe & Diana Roberta Kuz-mienko, stagiaires CGPR

Traduction : Heidi Op De Beek, DSEK

Graphisme : Emmanuelle Glibert, CGPR – les photos prises dans l’exposition sont de Jocelyn Balcaen, DSI

Nous remercions tout particulièrement, pour leur aide et/ou le prêt d’objets :

DGJ-DJB/Service environnement

DGJ-DJB/Cellule Hormones

DGJ-DJP/Terrorisme & sectes

DGA/DAR/Police à cheval, Dirk Gasthuys & Jean-Marc Daubré

DGA/DACH, Mieke Smets

DGS/DSI/CAVC, Jean-Marc Lebrun & Ruben Accou

DGS/DSE/DSEK, Anna Francis

Lokale Politie Antwerpen, Josef Rayen

Lokale Politie Lier, Dirk Van der Auwera

Lokale Politie Hageland, Barbara Houben

Nationaal Museum van Douane en Accijnzen, Antwerpen

Bosmuseum Jan van Ruusbroec, Hoeilaert

Région Wallonne, Département de la Police et des Contrôles, Unité Anti-Braconnage

ASBL Natagora

ASBL Veeweyde

ASBL Animaux en Péril

MM. Camille Bertier, Serge Klingels, Dirk Rosier, Alain Van Aelst, Marc Van Speybroek

Musée de la police intégrée Avenue de la Force Aérienne 33

1040 Bruxelles

La visite du musée est entièrement gratuite.

Heures d’ouverture : sur rendez-vous.

Pour les ouvertures exceptionnelles ( week-end ), voir le site de la police fédérale.

Jeu-parcours pour les groupes d’enfants (de 8 à 12 ans).

Réservation via notre formulaire à renvoyer à l’adresse e-mail : [email protected] ou au numéro de fax 02/642 63 69.