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Annales de pathologie (2010) 30, 464—469 POINT DE VUE La ponction-biopsie hépatique : quelle place aujourd’hui dans la prise en charge du patient ? Liver biopsy: Which role in patient management? Jean-Yves Scoazec Service central d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, Hospices Civils de Lyon, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon, France Accepté pour publication le 28 aoˆ ut 2010 Disponible sur Internet le 26 novembre 2010 MOTS CLÉS Ponction-biopsie hépatique ; Fibrose hépatique ; Maladies hépatiques ; Tumeurs du foie Résumé La place de la ponction-biopsie hépatique dans la prise en charge d’un patient atteint d’une hépatopathie chronique a beaucoup évolué ces dernières années. Son rôle dans le diag- nostic étiologique, l’évaluation du stade de la maladie et la surveillance de l’évolution dépend de l’indication et du contexte. Dans les hépatites chroniques virales, la ponction-biopsie hépa- tique a vu son rôle se restreindre dans la mesure où le diagnostic biologique d’infection virale est devenu très performant et où les tests non invasifs d’évaluation de la fibrose permettent de disposer de méthodes alternatives pour la décision thérapeutique et la surveillance. La ponction-biopsie hépatique reste cependant utile pour dépister des comorbibités et détecter certaines complications. Dans de nombreuses autres indications au contraire, la ponction- biopsie hépatique reste irremplac ¸able dans le diagnostic et l’évaluation de l’histoire naturelle de la maladie. Enfin, la ponction-biopsie guidée reste essentielle dans le diagnostic des lésions focales hépatiques. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Liver biopsy; Liver fibrosis; Liver diseases; Liver tumors Summary The role of liver biopsy in the management of patients with chronic liver disease has much evolved in the recent years. Its importance in diagnosis, staging and prognosis lar- gely depends on the indication and on the context. In chronic viral hepatitis, the role of liver biopsy has been reduced because of the major developments and improvements in the viro- logical diagnosis of viral infection and because of the recent validation of non-invasive tests for fibrosis evaluation which offer alternative strategies for therapeutic decision and follow- up. Liver biopsy remains however useful for the identification of associated diseases and for the detection of some complications. In many other indications, liver biopsy remains the gold standard for the diagnosis and the staging of the disease. Moreover, guided liver biopsy remains essential for the diagnosis of focal liver lesions. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresse e-mail : [email protected] 0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.08.026

La ponction-biopsie hépatique : quelle place aujourd’hui dans la prise en charge du patient ?

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a ponction-biopsie hépatique : quelle placeujourd’hui dans la prise en charge du patient ?

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Jean-Yves Scoazec

Service central d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Édouard-Herriot, HospicesCivils de Lyon, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon, France

Accepté pour publication le 28 aout 2010Disponible sur Internet le 26 novembre 2010

MOTS CLÉSPonction-biopsie

Résumé La place de la ponction-biopsie hépatique dans la prise en charge d’un patient atteintd’une hépatopathie chronique a beaucoup évolué ces dernières années. Son rôle dans le diag-

hépatique ;Fibrose hépatique ;Maladies hépatiques ;Tumeurs du foie

nostic étiologique, l’évaluation dde l’indication et du contexte. Dtique a vu son rôle se restreindrest devenu très performant et ode disposer de méthodes alternponction-biopsie hépatique restcertaines complications. Dans dbiopsie hépatique reste irremplade la maladie. Enfin, la ponctionfocales hépatiques.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tou

KEYWORDSLiver biopsy;Liver fibrosis;Liver diseases;Liver tumors

Summary The role of liver biohas much evolved in the recentgely depends on the indication abiopsy has been reduced becaulogical diagnosis of viral infectiofor fibrosis evaluation which offup. Liver biopsy remains howevthe detection of some complicastandard for the diagnosis and thessential for the diagnosis of foc© 2010 Elsevier Masson SAS. All

Adresse e-mail : [email protected]

242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droitsoi:10.1016/j.annpat.2010.08.026

u stade de la maladie et la surveillance de l’évolution dépendans les hépatites chroniques virales, la ponction-biopsie hépa-e dans la mesure où le diagnostic biologique d’infection viraleù les tests non invasifs d’évaluation de la fibrose permettentatives pour la décision thérapeutique et la surveillance. La

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réservés.

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La ponction-biopsie hépatique aujourd’hui

L’introduction de la ponction-biopsie hépatique dans lapratique clinique, avec la description en 1958 par Menghinid’une technique simple, rapide et efficace de prélève-ment, a constitué une véritable révolution en hépatologie.L’examen histopathologique a, en effet, permis des avan-cées considérables dans la connaissance des maladies dufoie, leurs caractéristiques diagnostiques, leur histoire natu-relle, leur réponse aux traitements. Au-delà de son rôlestrictement diagnostique, la ponction-biopsie hépatique estdevenue, avec l’apparition des premiers traitements effi-caces contre les maladies chroniques du foie, un outilindispensable pour l’évaluation du pronostic, la surveillancede l’évolution et la décision thérapeutique. Malgré ses suc-cès et son importance dans la pratique quotidienne, laponction-biopsie hépatique a peu à peu acquis, au cours desdernières années, une « mauvaise réputation », non seule-ment chez les patients et certains médecins, mais aussi chezcertains hépatologues cliniciens. Trois critiques récurrentessont habituellement faites à la ponction-biopsie hépatique :• il s’agit d’un geste invasif, associé à des risques de

complications et à une morbidité, voire une mortalité,non négligeables ;

• l’examen histopathologique du prélèvement est sou-mis aux biais et aux aléas de l’observation et del’échantillonnage, qui retentissent sur sa fiabilité ;

• de nouvelles méthodes diagnostiques non invasives, aussisensibles, voire plus sensibles, que la ponction-biopsiehépatique, restreignent ses indications et son rôle.

Le moment est donc bien choisi pour faire le point surles intérêts, les risques et les inconvénients de la ponction-biopsie hépatique. Il est d’autant plus favorable que denombreuses réflexions et recommandations nationales etinternationales ont récemment vu le jour : elles permettentde faire émerger une attitude consensuelle, dépassant lespolémiques récentes, sur les indications actuelles de laponction-biopsie hépatique dans la prise en charge initialeet la surveillance des patients atteints de maladies hépa-tiques.

Quelques considérations techniques etpratiques. . .

Ce n’est évidemment pas le lieu de décrire en détail latechnique de prélèvement elle-même et les précautionsà respecter pour limiter au maximum les complicationset les risques de morbidité et de mortalité : des infor-mations détaillées sur ces différents points figurent dansles recommandations nationales et internationales [1,2]. Ilest néanmoins important d’insister sur quelques points quiinfluent directement sur la qualité de l’examen histopatho-logique et sur la qualité. . . des rapports entre pathologisteset cliniciens.

L’information du patient

La ponction-biopsie hépatique n’est plus aujourd’hui ungeste systématique imposé à tout patient vu ou suivi par unhépatologue. Proposer et faire accepter la ponction-biopsiehépatique est un temps fort de la relation entre le patient etl’hépatologue [3]. L’hépatologue doit savoir convaincre sonpatient des bénéfices attendus pour la compréhension et/oula prise en charge de sa maladie hépatique. Il ne doit cepen-dant pas minimiser les risques éventuels, dont la fréquencea été bien évaluée par plusieurs études rétrospectives et

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prospectives [2—4]. Douleur, angoisse, malaise vagal sontles complications les plus fréquentes (5—20 % des cas selonles séries) ; les complications graves (hémopéritoine, bili-péritoine, pneumothorax) sont très rares (0,3 à 0,5 %) ; lesdécès sont exceptionnels (habituellement moins de un pour10 000 biopsies, mais jusqu’à neuf pour 10 000 dans une sériede biopsies transjugulaires), presque toujours dus à unehémorragie incontrôlable ou passée inapercue, et habituel-lement observés dans des conditions particulières (risquehémorragique majeur, comorbidités importantes, défaut desurveillance). Le rapport risques/bénéfices doit donc êtrebien expliqué et justifié vis-à-vis du patient : au final, laponction-biopsie hépatique ne peut être réalisée que chezun patient coopérant et bien informé. L’attente du clinicienvis-à-vis des résultats de l’examen histopathologique seradonc proportionnelle à l’investissement mis dans la relationavec le patient. . .

Le prélèvement

Plusieurs types de prélèvements sont actuellement regrou-pés sous le terme générique de ponction-biopsie hépa-tique [2] :• la ponction transpariétale (habituellement transthora-

cique) après repérage par palpation et/ou percussion :c’est la méthode classique, encore aujourd’hui l’une desplus utilisées en pratique clinique ;

• la ponction guidée par échographie (également transtho-racique), après repérage du site le plus adapté par unexamen échographique pratiqué avant la biopsie ;

• la ponction guidée par imagerie en temps réel (échogra-phie ou tomodensitométrie), avec une voie d’abord habi-tuellement transthoracique mais parfois sous-costale :cette méthode peut être réservée aux biopsies ciblées surdes lésions focales ou être utilisée de manière systéma-tique pour réduire le risque de complications immédiates ;

• la ponction-biopsie transjugulaire ou transveineuse :cette technique, utilisant une voie d’abord jugulaire oufémorale et un repérage fluoroscopique, est réservée àdes situations particulières (pour faire face à des contre-

indications des autres techniques de ponction, comme encas de risques hémorragiques importants ou en complé-ment d’investigations hémodynamiques, comme en casd’hypertension portale) et n’est pratiquée qu’en centrespécialisé.

L’expérience du préleveur est une condition fondamen-tale pour diminuer la morbidité et la mortalité associées augeste [2,3]. Elle est aussi essentielle pour garantir la qua-lité de prélèvement nécessaire à la fiabilité de l’examenhistopathologique : nous reviendrons ultérieurement sur lescritères de qualité du prélèvement mais le contact régu-lier entre le clinicien et le pathologiste est important pourgarantir une qualité constante de prélèvement. Il n’est pascertain que le prélèvement après repérage par échographiesoit plus productif que le prélèvement sans repérage, mêmesi certains travaux le soutiennent [5,6] : il est plus probableque l’expérience du préleveur joue un rôle déterminant.

Le conditionnement et la préparation duprélèvement

Le plus souvent, le prélèvement peut être fixé en entier etimmédiatement. Le formol tamponné est le fixateur le plusutilisé, même si certains pathologistes continuent à regret-ter l’apparente qualité de détail fournie, selon eux, par la

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xation en liquide de Bouin. La cryopréservation à viséeiagnostique ne se justifie que dans de rares indications,our des techniques de biologie moléculaire (évaluation’un syndrome lymphoprolifératif, par exemple) ou de bio-himie et d’enzymologie (investigation d’une hépatopathieétabolique, notamment en pédiatrie). La cryopréservationvisée de recherche ne peut se concevoir que dans le cadree projets précis et doit répondre aux impératifs réglemen-aires et éthiques en vigueur ; il est également essentiel quea quantité d’échantillon utilisée pour la cryopréservationoit bien adaptée et laisse suffisamment de matériel dispo-ible pour permettre un examen histopathologique fiable.ans certaines situations, et notamment en transplantationépatique ou devant une hépatite fulminante, des tech-iques rapides d’inclusion sont justifiées pour permettre uniagnostic en urgence et une décision thérapeutique rapide.

Il est habituel d’utiliser au moins trois colorations de baseour l’examen histopathologique conventionnel : une colo-ation par l’hématoxyline et l’éosine (avec ou sans safran !),ne coloration de la matrice extracellulaire (la colorationu rouge Sirius est l’une des mieux adaptées et des plustilisées), une coloration de Perls pour la recherche sys-ématique d’une surcharge ferrique. De très nombreusesolorations complémentaires sont disponibles, pour aider àa visualisation de la matrice extracellulaire (chromotrope,éticuline), de la bile (coloration de Hall), du cuivre (colo-ation de la rhodamine), du glycogène (coloration du PASvec digestion amylasique). . . Leur utilisation, systématiqueu ciblée, est fonction des habitudes de chacun. . .

Il faut enfin rappeler que les dosages pondéraux tissu-aires de fer ou de cuivre (dont la supériorité par rapport

l’évaluation semi-quantitative des dépôts intratissulairesar le pathologiste aidé de colorations complémentaires’est pas si clairement démontrée. . .) peuvent s’effectuerpartir de prélèvements de tissu fixé et inclus en paraffine

t pas uniquement à partir de tissu sec [2]. La nécessité deéserver un fragment de la biopsie pour de telles techniques’est donc pas toujours justifiée.

es limites de la ponction-biopsieépatique

es limites de la ponction-biopsie hépatique sont essen-iellement secondaires aux biais d’échantillonnage et’observation. Le respect de certaines précautions per-et de minimiser leur impact sur la prise en charge duatient mais elles doivent rester présentes à l’esprit lors de’interprétation des résultats et de leur confrontation aveces autres données disponibles.

’échantillonnage

ême parfaitement réussie, la ponction-biopsie hépatiquee contient qu’un échantillon très restreint du paren-hyme hépatique : un volume de quelques millimètres cubeour un organe pesant 1500 g en moyenne ! Le risque estonc que cet échantillon ne soit pas représentatif, notam-ent lorsque les lésions recherchées sont distribuées deanière hétérogène dans le foie. La question est donc de

avoir à partir de quelle taille l’échantillon ramené para ponction-biopsie hépatique peut être considéré commeaisonnablement, ou « statistiquement », représentatif de’état global du parenchyme hépatique. Les dimensions (lon-ueur et largeur) de la biopsie sont les critères les plus

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mportants pour juger de sa représentativité ; ils sont plusignificatifs que le nombre d’espaces portes, souvent utilisén pratique, mais qui s’avère parfois difficile à évaluer deanière correcte, notamment en cas de fibrose évoluée oue cirrhose [2,3].

Quelle est la longueur idéale d’une biopsie hépatique ?a plus grande possible, serait-on tenté de dire. Pour resterans le domaine de la pratique courante, il est habituel-ement admis que 25 mm est une longueur assurant uneonne fiabilité des résultats de l’examen histopathologique,otamment dans l’évaluation du stade de fibrose [2,3,7].ne longueur de 15 mm est la longueur minimale accep-able, même si elle entraîne déjà un degré d’incertitudeelativement élevé dans l’évaluation de certains paramètresistopathologiques, dont le stade de fibrose [7]. La lar-eur est également importante. Les biopsies à l’aiguille fine20 et 22 gauges) sont justifiées pour le diagnostic des lésionsocales et des suspicions de tumeur hépatique mais sontnadaptées pour l’évaluation des maladies hépatiques dif-uses [8]. Dans cette indication, il faut utiliser des biopsiese 16 ou, au pire, de 18 gauges.

L’idéal est de disposer d’un échantillon de bonne tailleou de taille suffisante) et d’un seul tenant. Le morcel-ement d’une biopsie, même de bonne taille, lors de sonecueil crée un problème supplémentaire : il est bien connuue ce morcellement est classiquement associé à l’existence’une cirrhose mais il peut suffisamment gêner l’examen his-opathologique pour empêcher l’identification formelle dea cirrhose.

Ces critères de qualité ne concernent évidemment pases biopsies obtenues par voie transjugulaire ou par voieransveineuse, habituellement constituées par plusieursragments de petite taille, mesurant au mieux chacunuelques millimètres de longueur. L’interprétation de cesrélèvements nécessite une expérience particulière de laart du pathologiste et ne peut se concevoir qu’en centrepécialisé.

Comment améliorer la représentativité du prélèvementiopsique ? Les moyens ne sont pas nombreux :effectuer des prélèvements dans différents territoires

hépatiques : cette attitude est difficile à réaliser enpratique car elle augmente les risques et l’inconfortdu patient ; elle peut néanmoins se justifier en cas demaladie à distribution très hétérogène (comme certainespathologies biliaires) [2] ;multiplier le nombre de passages dans le même territoire :un deuxième passage se justifie lorsque le premier estresté improductif mais il est difficile de l’imposer systé-matiquement au patient.

Quelle attitude pratique adopter lorsque le prélèvementoumis à l’examen anatomopathologique ne répond pas àes critères de qualité minimaux (longueur insuffisante, lar-eur inadaptée, morcellement. . .) ? La première précautionst de toujours indiquer dans le compte rendu la longueurt éventuellement la largeur du prélèvement. Si le prélè-ement ne répond pas aux critères de qualité minimaux, laeconde précaution est d’éviter de donner des informationscaractère semi-quantitatif, et notamment des scores, ou

e ne le faire que sous toute réserve, en soulignant le carac-ère insuffisant de l’échantillon.

’observation et l’interprétation

a technique de l’examen histopathologique reste encoreujourd’hui entièrement basée sur l’observation humaine :

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La ponction-biopsie hépatique aujourd’hui

ses résultats sont donc sujet à tous les biais et toutesles erreurs bien connues dans les activités reposant exclu-sivement ou essentiellement sur ce type d’approche. Detrès nombreuses études ont documenté en détail le degréde variabilité intra- et interobservateur dans l’examenhistopathologique d’une ponction-biopsie hépatique [2,3].Insistons, néanmoins, sur le fait que ces études se sontconcentrées sur la qualité de l’évaluation de paramètres,souvent semi-quantitatifs, utiles à l’évaluation du pronosticet/ou du stade évolutif de la maladie. C’est dans le domainedes hépatites chroniques virales que le plus de travauxont été réalisés, en raison notamment des sanctions théra-peutiques qui en découlent. Dans les hépatites chroniquesvirales, les paramètres importants pour la prise en chargedu patient ont été depuis longtemps codifiés et sont expri-més sous forme de scores de complexité variable [9—11].La reproductibilité est clairement meilleure pour certainsparamètres, comme le stade de fibrose, que pour d’autres,comme le degré (ou grade) d’activité inflammatoire [2,3].Quant à la reproductibilité des scores, elle est d’autantmeilleure que le score est plus simple et comporte moins declasses différentes [2,3]. La simplicité est d’ailleurs l’unedes raisons du succès du score METAVIR, concu pour la des-cription des lésions associées à l’hépatite chronique viraleC [11].

Toutefois, au-delà de l’évaluation statistique de la varia-bilité intra- et interobservateur, les conséquences cliniquesd’une « erreur » éventuelle d’évaluation ne sont souventpas mesurées. L’un des rares exemples publiés est celui del’évaluation de la stéatose hépatique dans les foies prélevésen vue d’une éventuelle transplantation [12]. La stéatose estun des rares critères « objectifs » permettant de récuser unfoie comme greffon potentiel : une stéatose intéressant plusde 30 % des hépatocytes est habituellement retenue commeune contre-indication à l’utilisation d’un foie pour une trans-plantation hépatique. L’évaluation de la stéatose est baséesur l’examen histopathologique, éventuellement extempo-rané. Or la reproductibilité et la fiabilité de cette évaluationont été récemment contestées : une mauvaise évaluation dela stéatose peut ainsi aboutir à l’utilisation inappropriée, ou

au contraire, au refus injustifié d’un greffon.

D’une facon générale, il existe très peu d’informationssur l’évaluation de la qualité diagnostique proprementdite de la ponction-biopsie hépatique : en d’autres termes,contrairement à ce qui existe dans d’autres domainesde la pathologie, nous ne savons pas la fréquence deserreurs diagnostiques résultant de la lecture des ponctions-biopsies hépatiques et encore moins, quelle proportionde ces erreurs impacte réellement sur la prise en chargedes patients. De telles évaluations seraient particulière-ment intéressantes dans certains domaines, comme celuides stéatopathies dysmétaboliques, où la définition précisede certaines lésions élémentaires, comme la ballonisationhépatocytaire, reste difficile, ce qui peut aboutir à des inter-prétations différentes entre deux pathologistes [13].

Comment améliorer la qualité et la reproductibilité del’examen histopathologique ? L’une des pistes les plus évi-dentes est la formation des pathologistes à cet exerciceparticulier qu’est la lecture d’une ponction-biopsie hépa-tique [3]. Exercice particulier en raison du grand nombrede lésions élémentaires qu’il faut savoir analyser, maisaussi et surtout, synthétiser pour proposer un diagnosticstructuré. Dans cette synthèse, les renseignements cli-niques et le dialogue avec le clinicien sont indispensables.Il n’est pas envisageable d’interpréter « à l’aveugle » uneponction-biopsie hépatique : c’est seulement en mettant en

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perspective les informations tirées de l’examen histopa-thologique avec les données cliniques et les résultats desexamens biologiques que l’on peut parvenir au diagnos-tic final. Comme l’ont confirmé certaines études [14,15],l’expérience et la spécialisation du pathologiste dans la lec-ture des ponctions-biopsies hépatiques sont des facteursessentiels pour améliorer la reproductibilité et la fiabilité del’examen histopathologique, mais au-delà de la compétencestrictement anatomopathologique du pathologiste, un cer-tain degré de compétence « hépatologique » s’avère souventnécessaire.

Les indications et les apports de laponction-biopsie hépatique

Réduire le rôle de la ponction-biopsie hépatique à ladétermination du stade de fibrose dans certaines mala-dies chroniques du foie, comme on l’entend parfois depuisquelques années, est une vision tout à fait éloignéede la réalité de la pratique clinique quotidienne, où laponction-biopsie hépatique reste utilisée dans trois grandesindications :• affirmer le diagnostic de maladie hépatique et en déter-

miner l’étiologie ;• évaluer le pronostic, en déterminant le stade évolutif de

la maladie hépatique ;• contribuer à la prise en charge du patient, notamment en

guidant les choix thérapeutiques.

Il est vrai, néanmoins, que le rôle de la ponction-biopsiehépatique s’est affiné avec le progrès des méthodes diag-nostiques non invasives, aujourd’hui irremplacables dans lediagnostic étiologique et utiles dans l’évaluation du stadede la maladie. Ses intérêts respectifs dans le diagnostic,l’évaluation du stade, le pronostic et la prise en chargevarient en fonction du type de maladie hépatique.

Quel rôle pour la ponction-biopsie hépatiquedans les hépatites virales chroniques ?

Le diagnostic des hépatites virales chroniques reposeaujourd’hui sur les examens virologiques et non plus surl’examen histopathologique ; toutefois, celui-ci reste utiledans l’évaluation du stade de la maladie, le pronostic etla décision thérapeutique, à condition de bien cibler lesquestions posées et les indications [2]. C’est ainsi que dansl’infection virale B, les récentes recommandations euro-péennes (2009) insistent sur l’intérêt de la ponction-biopsiehépatique pour évaluer le grade inflammatoire et le stadede fibrose chez les patients présentant une élévation impor-tante des transaminases et/ou une charge virale élevée, afinde guider la décision thérapeutique [16].

Ces recommandations ont remis en valeur le rôle dela ponction-biopsie hépatique dans l’évaluation du stadede la maladie hépatique, à travers la détermination dugrade inflammatoire et du stade de fibrose. C’est presqueparadoxal puisque, depuis plusieurs années, les progrèseffectués dans les méthodes non invasives d’évaluation dela fibrose hépatique avaient amené à réduire considérable-ment le nombre de ponctions biopsies hépatiques effectuéesdans cette indication. Deux grands types de méthodesnon invasives d’évaluation de la fibrose hépatique existentaujourd’hui :• des combinaisons de marqueurs sanguins, permettant

d’établir un score (souvent exprimé par analogie avec

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le score METAVIR) à l’aide d’algorithmes statistiques :les plus utilisés en France sont les scores Fibrotest®,Fibromètre® et Hepascore® ;des tests physiques, fondés sur la mesure de l’élasticitédu tissu hépatique, notamment par le procédéd’élastographie impulsionnelle ultrasonore (Fibroscan®).

En 2006 puis en 2008, la Haute Autorité de santé aendu un avis concernant l’intérêt et les indications de ceséthodes non invasives [17,18]. Un premier point important

st que ces méthodes ne sont considérées comme validéesar l’HAS que dans l’hépatite C chronique sans comorbi-ité associée (mais éventuellement avec co-infection VIH).e nombreux travaux suggèrent l’intérêt de ces méthodesans d’autres pathologies, incluant l’hépatite chronique B,a maladie alcoolique du foie, voire la stéatopathie dysméta-olique. Cependant, en attendant une validation objectivet indépendante de ces résultats, il faut rester prudent danseur interprétation :

la nature et la distribution de la fibrose sont très diffé-rentes dans ces diverses pathologies ;les lésions associées peuvent sans aucun doute modifierles résultats obtenus.

Dans l’hépatite chronique C, la place des méthodes nonnvasives par rapport à la ponction-biopsie hépatique estésumée de la facon suivante par l’HAS : « L’améliorationu service attendu (c’est-à-dire le bénéfice supplémen-aire apporté par l’acte évalué par rapport aux techniqueslternatives déjà existantes de ces techniques) est estiméeodérée (III) par rapport à la ponction-biopsie hépatique

PBH) car (i) il s’agit de méthodes non invasives, contrai-ement à la PBH, (ii) leur coût est inférieur à celui de laBH, (iii) leurs performances diagnostiques ne sont pas par-aites (en particulier pour la fibrose), comme la PBH et (iv)a mesure de la fibrose/cirrhose hépatique n’est qu’un desléments participant à la prise en charge des patients » [18].a situation actuelle est donc bien résumée. . .

Un point qui commence à (re)prendre de l’importancest le fait que, dans les hépatites chroniques virales, laonction-biopsie hépatique est appelée à jouer un rôle très

mportant pour détecter des comorbidités associées commene stéatose, une stéatohépatite, une surcharge ferrique.es comorbidités sont particulièrement fréquentes dans

’hépatite chronique C, où elles peuvent concerner jusqu’à0 % des patients [19,20]. Leur diagnostic est important carlles risquent d’aggraver l’évolution de la maladie virale et’obliger à modifier les choix thérapeutiques. La plupart desliniciens préfèrent donc encore disposer d’au moins uneonction-biopsie hépatique lors du diagnostic initial d’unenfection virale, afin d’avoir une « image de départ » de’état du parenchyme hépatique et des éventuelles patho-ogies associées.

uelles sont les applications diagnostiquesctuelles de la ponction-biopsie hépatique ?

ans un certain nombre de pathologies hépatiques, laonction-biopsie hépatique conserve un rôle diagnostiquencontestable [2]. C’est le cas des hépatites auto-immunes,es cholangiopathies auto-immunes (cirrhose biliaire pri-itive séronégative, cholangite sclérosante primitive,

otamment avec atteinte prédominante des petits canaux)t des syndromes de chevauchement. C’est le cas égalemente la maladie alcoolique du foie, y compris de l’hépatitelcoolique aiguë, et de plusieurs maladies génétiques (mala-

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ie de Wilson, déficit en alpha1-antitrypsine. . .). C’est leas aussi des pathologies vasculaires du foie, dont cer-aines lésions, comme l’hyperplasie nodulaire régénérative,e sont accessibles qu’à l’examen histopathologique. C’estnfin le cas du suivi des transplantés hépatiques, où’examen histopathologique reste aujourd’hui le seul moyene diagnostiquer un rejet et de le distinguer des autresomplications potentielles. La ponction-biopsie hépatiqueoue un rôle d’autant plus important dans le suivi des trans-lantés hépatiques que les corrélations entre les signesliniques et biologiques, et les lésions histologiques sontauvaises. Dans la plupart de ces indications, outre son

ôle diagnostique, la ponction-biopsie hépatique joue égale-ent un rôle important dans l’évaluation du stade évolutif

t dans l’établissement du pronostic. Dans un autre type’indication, la ponction-biopsie guidée reste un outilmportant pour le diagnostic des lésions focales du foie etour l’identification de leur nature.

La ponction-biopsie hépatique reste donc un exa-en d’actualité, n’en déplaise à certaines Cassandres.

’importance qu’elle conserve dans le diagnostic et le pro-ostic des maladies hépatiques souligne à quel point laathologie hépatique ne se résume pas à l’évaluation dutade de fibrose, contrairement à ce que certains pourraientroire. . . Cependant, la qualité de l’examen histopatholo-ique de la ponction-biopsie hépatique dépend directementla fois de l’expérience du préleveur et de l’expérience duathologiste.

onflit d’intérêt

’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

éférences

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