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La préceptrice de Sinclair McBrideexcerpts.numilog.com/books/9782290114315.pdf · 1 Hiver 1885 Sa voix l’attirait si fort qu’elle voulait mieux l’enten-dre. Elle se pencha

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  • Jennifer Ashley

    Traduite dans une dizaine de langues et récompensée par leprestigieux RITA Award, elle s’adonne à plusieurs genres deromance. Elle écrit de l’historique, du paranormal et du contem-porain et utilise plusieurs noms de plume. L’un de ses grandssuccès est la série historique consacrée aux frères Mackenzie.

  • La préceptricede Sinclair McBride

  • Du même auteuraux Éditions J’ai lu

    Dans la collectionAventures et Passions

    La folie de lord MackenzieNº 9416

    L’épouse de lord MackenzieNº 9613

    Les péchés de lord CameronNº 9897

    La duchesse MackenzieNº 10160

    Les noces d’Eliott McBrideNº 10425

    Daniel Mackenzie, un sacré coquinNº 10610

    Dans la collectionCrépuscule

    LES EXILÉS D’AUSTIN

    1 – Insolente créatureNº 10526

    2 – Ange gardienNº 10793

    3 – Âme félineNº 10891

    4 – Cœur faroucheNº 11007

  • JENNIFER

    ASHLEY

    La préceptricede Sinclair McBride

    Traduit de l’anglais (États-Unis)par Daniel Garcia

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    retrouvez-nous ici :

    www.jailupourelle.com

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    Titre originalRULES FOR A PROPER GOVERNESS

    Éditeur originalBerkley Sensation Books, published by The Berkley Publishing Group,

    a division of Penguin Group (USA) LLC

    © Jennifer Ashley, 2014

    Pour la traduction française© Éditions J’ai lu, 2015

    http://www.jailupourelle.com

  • 1

    Hiver 1885

    Sa voix l’attirait si fort qu’elle voulait mieux l’enten-dre. Elle se pencha au balcon, les yeux rivés sur l’hommequi parlait. Il se tenait bien droit, avec une certaine arro-gance dans l’attitude, une main effleurant un livre ouvertposé sur la table devant lui et l’autre gesticulant pourappuyer ses propos.

    Les voyous que connaissait Bertie avaient surnomméle procureur McBride « l’Enragé », en raison de la fer-meté dont il faisait preuve dans les prétoires. Il portaitl’une de ces perruques ridicules qu’affectionnaient lesgens de robe, mais son visage, carré, ne manquait pas debeauté. Et il était beaucoup plus jeune que le juge auquelil s’adressait. Un petit bouquet fanait dans un vase dis-posé devant le juge. Le magistrat semblait aussi las queles fleurs.

    L’affaire – le meurtre d’une lady par une fille de cui-sine – avait attiré l’attention des journalistes de tout lepays. On reprochait à Ruthie, la jeune femme quicomparaissait dans le box des accusés, d’avoir massacrésa maîtresse pour s’emparer de l’argenterie – évaluée àune centaine de livres.

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  • Bertie était bien placée pour savoir que Ruthie étaitinnocente. Le crime avait été commis par Jacko Small etsa maîtresse, mais ils s’étaient arrangés pour faire por-ter les soupçons sur Ruthie. Bertie avait été avertie deleur plan. Elle aurait pu les dénoncer. Mais la policeaccordait-elle foi aux paroles d’une jeune femme commeRoberta Frasier ? Non.

    Bertie n’avait pas de toute façon pour habitude des’épancher auprès des flics. De préférence, elle évitaitmême de les croiser. Du reste, son père et Jeffrey, le sou-pirant de Bertie, s’assuraient que c’était bien le cas. Ellen’avait malgré tout pas hésité à enfreindre ses principespour sauver Ruthie.

    En vain. La camériste avait quand même été arrêtée.Et, maintenant, elle risquait la pendaison pour un crimequ’elle n’avait pas commis.

    Malheureusement, le beau procureur à la voix envoû-tante déployait beaucoup d’efforts pour démontrer à lacour que Ruthie était bel et bien coupable. Ruthie n’avaitpas pu s’offrir un avocat, aussi comparaissait-elle touteseule, mince et fluette pour son âge, pauvre domestiquequi s’était trouvée au mauvais endroit au mauvaismoment. Bertie serrait les poings en espérant un miracle.

    M. McBride, malgré ses terribles paroles, possédaitun ravissant accent écossais. Son timbre de voix, richeet profond, portait à travers toute la salle et captivaitl’assistance. Même le juge, malgré son air las, ne le quit-tait pas une seconde des yeux.

    M. McBride n’avait pas seulement une belle voix. Ilétait large d’épaules, et on devinait sous sa robe unesolide charpente. Et il était grand, bien sûr, dominantaisément son public. Bertie l’imaginait dans lesHighlands, l’épée à la main, prêt à pourfendre sesennemis. Il y aurait été parfaitement à sa place. Un seulregard de ses yeux gris aurait suffi à intimider sesadversaires.

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  • Son accent était parfois si prononcé que Bertie necomprenait pas toujours ce qu’il disait, mais elle sedélectait de la musicalité de son discours.

    — Si vous en êtes d’accord, monsieur le président, ditsoudain M. McBride, j’aimerais rappeler Jacko Small àla barre.

    Jacko était déjà venu témoigner une première fois. Ilavait raconté comment il avait trouvé le cadavre de lavictime dans le salon de sa demeure londonienne, puiscomment il avait ensuite surpris Ruthie dans la cuisine,avec du sang sur son tablier. L’argenterie ayant disparu,Ruthie l’avait forcément cachée quelque part. C’est dumoins ce qu’en avait déduit l’enquête. Mais la policeavait été incapable de remettre la main sur l’argenterie.Et Ruthie n’avait bien sûr pas pu les aider à la localiser,puisqu’elle ne l’avait pas volée et qu’elle ignorait elleaussi où elle se trouvait.

    Le juge soupira.— Est-ce vraiment nécessaire, monsieur McBride ?

    Ce témoin nous a déjà livré sa version des événements.— Je souhaiterais lui poser une ou deux questions

    supplémentaires, monsieur le président, insistaM. McBride. Vous comprendrez mes raisons le momentvenu.

    Jacko fut rappelé à la barre. Il prêta de nouveau ser-ment et fit face à M. McBride avec l’air de la plus parfaiteinnocence.

    — Et maintenant, monsieur Small… commençaM. McBride avec un sourire engageant.

    Mais Bertie crut voir briller dans ses yeux une lueurvindicative.

    Qu’a-t-il donc en tête ?— Et maintenant, monsieur Small, j’aimerais revenir

    sur un petit détail. Vous nous avez expliqué que vousaviez ouvert la porte du salon et que vous aviez décou-vert la propriétaire des lieux gisant sur le plancher, sa

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  • robe couverte de sang. Vous nous avez également expli-qué que votre présence sur les lieux s’expliquait parceque vous deviez monter du charbon pour le poêle. Maisle crime a eu lieu le 7 juillet. Au beau milieu de l’après-midi, un jour d’été. Les journaux ont d’ailleurs soulignéque tout le début du mois de juillet avait été particulière-ment chaud. Pourquoi, dans ces conditions, allumer lepoêle ?

    Jacko cligna des paupières.— Eh bien… euh… les nuits demeuraient fraîches,

    malgré tout.— Oui, sans doute, acquiesça le procureur. Maudit

    climat londonien.Des petits rires parcoururent l’assistance. Le juge

    fronça les sourcils.— Je vous en prie, poursuivez, monsieur McBride.— Vous avez dit, dans votre déposition, avoir vu beau-

    coup de sang, reprit M. McBride sans ciller. Sur le sofa.Sur le plancher. Et même sur le battant et la poignée dela porte.

    — Sûr, acquiesça Jacko, portant une main à son cœur.Même que ça m’a tout retourné.

    — Vous vous êtes donc enfui de la pièce, et vous êtesdescendu dans la cuisine, où vous avez vu l’accusée por-tant un tablier maculé de sang. Elle vous a expliquéqu’elle s’était tachée parce qu’elle avait aidé la cuisi-nière à plumer les poulets destinés au dîner et qu’elles’était ensuite essuyé les mains sur son tablier, c’estbien cela ?

    — Ouais, c’est ce qu’elle a dit.— À présent, j’aurais besoin de votre aide, monsieur

    Small. Je vais vous poser une question très importante,à laquelle je vous demande de bien réfléchir. Y avait-ildu sang sur la poignée de la porte de la cuisine ?

    Jacko cligna de nouveau des paupières. De toute évi-dence, il ne s’attendait pas à pareille question.

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  • — Euh, je ne crois pas. Mais je n’en suis pas sûr. J’ai dumal à m’en souvenir. J’étais en état de choc, comprenez-vous.

    — Pourtant, vous vous souvenez du sang sur la poi-gnée de la porte du salon.

    D’autres murmures parcoururent l’assistance. Jackparaissait mal à l’aise.

    À quel petit jeu se livrait donc M. McBride ? Bertieagrippa ses mains gantées à la rambarde du balcon. Leprocureur était supposé démontrer la culpabilité deRuthie et non pas que Jacko avait menti. Comment sedoutait-il de quelque chose ?

    Cependant, ce n’était pas son rôle d’accuser Jacko.Bertie savait d’expérience que les tribunaux obéis-saient à des procédures soigneusement définies, qu’ilssuivaient à la lettre. M. McBride donnait tout à coupl’impression de s’être écarté de sa partition.

    — Y avait-il du sang sur la poignée de la porte de lacuisine ? redemanda M. McBride, d’une voix plusintimidante.

    — Euh, oui, répondit Jacko. Maintenant que vousm’y faites penser, je m’en rappelle mieux. C’étaitcomme pour la porte du salon. Du sang sur le battant etsur la poignée. J’ai été obligé d’y poser les doigts pourl’ouvrir. Ce n’était pas très ragoûtant, croyez-moi.

    Quelques membres du jury s’agitèrent sur leurssièges, comme s’ils voulaient manifester leurcompassion.

    — La vérité, c’est qu’il ne pouvait pas y avoir de sang,dit M. McBride.

    — Hein ? s’étrangla Jacko. Que voulez-vous dire ?— La porte de la cuisine avait besoin d’être réparée.

    Elle avait été retirée à cet effet. Ce jour-là, il n’y avaitpas de porte. Vous n’avez donc pas pu toucher la poi-gnée, et l’accusée n’a pas pu la tacher de sang.

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  • — Oh, fit Jacko, ouvrant et refermant la bouche. Mamémoire a dû me trahir. Comme je vous l’ai dit, j’étaisen état de choc.

    — Ce qui ne vous a pas empêché de vous souveniravec précision de la scène du crime, dans le salon.L’accusée, pour sa part, a une autre version des faits.Elle prétend n’avoir été avertie de l’assassinat de samaîtresse qu’à l’arrivée de la police. Et elle jure ne pasvous avoir vu. Je pense que vous n’êtes pas descendudans la cuisine, ce jour-là. Vous avez quitté la maisonaussitôt après être sorti du salon et vous êtes revenuplus tard raconter votre histoire, alors que la police por-tait déjà ses soupçons sur l’accusée, à cause du sangmaculant son tablier.

    Jacko paraissait franchement s’inquiéter pour sonsort, à présent.

    — Ah ouais ? Et pourquoi je serais revenu, si c’étaitmoi qui avais assassiné la vieille ?

    Le juge affichait un air chagriné. M. McBride regardaJacko avec sévérité.

    — Vous vous doutiez qu’en disparaissant totale-ment, vous signeriez votre culpabilité. Mon sentimentest que vous ne vous êtes absenté que le temps de vousdébarrasser de l’argenterie. Mais je vous ferai remar-quer, monsieur Small, que je n’ai à aucun moment sug-géré que vous étiez l’auteur du crime.

    Les murmures s’intensifièrent dans la salle. Le jugesemblait de plus en plus affligé par la tournure desévénements.

    — Monsieur McBride, dois-je vous rappeler que letémoin ne passe pas en jugement ?

    — Non, en effet, admit M. McBride. Enfin, pasencore.

    Cette fois, la salle rit. Jacko transpirait à grossesgouttes.

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  • — J’en ai terminé avec le témoin, monsieur le prési-dent, reprit M. McBride. J’ai l’intention, dans monréquisitoire, de démontrer que nous ne sommes pas enprésence d’une meurtrière insensible, qui aurait sauva-gement assassiné sa maîtresse avant de redescendre, lesmains tachées de sang, dans sa cuisine et d’y attendrel’arrivée de la police – ce qui, faut-il le préciser, ne luidonnait pas le temps de se débarrasser de l’argenterie.Non, ma conviction est que quelqu’un d’autre a commisle crime. Quelqu’un qui en avait l’opportunité et la forcephysique. Je crains, dans cette affaire, que nous nenous soyons égarés sur une mauvaise piste. Vous dési-rerez peut-être, monsieur le président, vous reposerquelques minutes, avant que je ne dénonce publique-ment ce qui ressemble fort à une erreur judiciaire ?

    Des rires fusèrent encore. Le juge fronça les sourcils.— Monsieur McBride, je vous ai déjà mis en garde,

    dans de précédents dossiers, sur votre comportementau tribunal. Nous ne sommes pas au théâtre.

    « Oh que si ! » songea Bertie. À cette différence prèsque la pièce se jouait pour de vrai. Et que le rideauretombait généralement sur la condamnation à mort del’accusé. M. McBride devait bien le savoir, lui aussi,malgré son penchant pour l’humour.

    — Toutefois, reprit le juge, vous avez raison sur lefond. J’aurais bien besoin d’un moment de répit pourtenter d’y voir plus clair. Gardes, assurez-vous queM. Small ne puisse pas quitter les lieux.

    Le juge se leva et tout le monde l’imita. Puis le magis-trat disparut, par une petite porte, dans son sanctuaireprivé. Les journalistes en profitèrent pour se ruerdehors. Le reste de l’assistance sortit également, enbavardant avec excitation.

    Depuis le balcon, Bertie observait toujours M. McBride.Il s’était rassis et avait repoussé sa perruque en arrière,pour se masser le front. Maintenant que la salle s’était

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  • vidée, toute animation avait déserté son corps et il res-semblait à une marionnette dont on aurait coupé les fils.

    Il balaya la salle du regard, mais sans voir Bertie.M. McBride ne regardait rien ni personne en particulier.

    Bertie était stupéfiée par sa métamorphose. Sesbeaux yeux gris semblaient à présent noyés par uneinsondable tristesse. Ses lèvres remuaient légèrement,comme s’il murmurait quelque chose, mais Bertie nepouvait pas entendre ce qu’il disait.

    Au lieu de descendre comme les autres pour prendreun rafraîchissement, la jeune femme demeura à saplace. Elle n’arrivait pas à quitter le procureur des yeux.Et elle ne s’expliquait toujours pas pourquoi son appa-rence avait si soudainement changé aussitôt que lespectacle s’était interrompu.

    M. McBride resta sur son banc jusqu’au retour dujuge et la reprise du procès. Alors, seulement, il sereleva et son corps se ranima, redevenant l’orateur à lavoix ensorcelante qu’il était tout à l’heure.

    Le juge lui fit signe de commencer son réquisitoire.M. McBride se montra si convaincant que la délibéra-tion du jury, ensuite, ne dura que quelques minutes. Etson verdict fut voté à l’unanimité : Non coupable.

    Ruthie était libre. Bertie avait espéré un miracle etM. McBride l’avait réalisé.

    Après une dernière accolade à la sortie du tribunal,Ruthie abandonna Bertie et rentra chez elle avec samère. Bertie partit alors retrouver son père et Jeffrey,qui l’attendaient devant un pub situé de l’autre côté dela rue. Ils étaient furieux. Jacko était le meilleur amide Jeffrey et, à l’issue du procès, Jacko avait été arrêtépour meurtre et emmené par la police.

    — C’est sa faute, dit Jeffrey, d’une voix sombre, dési-gnant M. McBride d’un mouvement du menton.

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  • Le procureur quittait à son tour le tribunal, vêtu àprésent d’un costume et d’un manteau civils. Bertie futde nouveau frappée par le changement qui s’était opéréen lui. Le procureur capable d’en imposer à uneaudience affichait maintenant l’apparence d’un hommefatigué de vivre.

    L’après-midi était fraîche et la nuit tombait vite, àcette saison. Bertie se frotta les mains pour les réchauf-fer : ses gants étaient trop minces. Puis elle suggéra àson père et à Jeffrey de l’inviter à l’intérieur du pub,pour lui payer une bière.

    — Pas tout de suite, répondit le père de la jeunefemme. Il faut d’abord que tu lui donnes une leçon, mapetite.

    Ma petite, alors qu’elle avait vingt-six ans !— Laissez-le tranquille, répliqua-t-elle. Il a sauvé

    Ruthie.— Mais fait arrêter Jacko, grommela Jeffrey. De quel

    côté es-tu ?— C’est Jacko qui a tué la vieille ! Il a toujours été une

    brute. Alors que Ruthie n’a rien à se reprocher.Jeffrey empoigna Bertie par l’épaule et la poussa dans la

    ruelle qui longeait un côté du pub. Il n’oserait pas la frap-per en public, bien sûr, mais il la serrait méchamment.

    — Jacko est mon pote, souffla-t-il, des relents de ginse mêlant à son haleine. Alors, tu vas aller faire lespoches de ce maudit procureur écossais et nous rappor-ter un souvenir. Ce ne sera que justice. Ce traître étaitsupposé prendre le parti de Jacko.

    — Ce maudit procureur écossais, comme tu dis, meparaît plutôt intelligent, voulut argumenter Bertie. Ilest capable de me prendre sur le fait, et je me retrouve-rai en prison avec Jacko.

    Le père de Bertie se mêla à la conversation. Sonhaleine empestait tout autant l’alcool.

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  • — Tu vas faire ce qu’a dit Jeffrey, Roberta. Personnene sait mieux se faufiler que toi. Le procureur ne se ren-dra compte de rien. Mais à supposer qu’il te remarque,tu connais la consigne. Maintenant, dépêche-toi d’yaller, avant que je ne me fâche.

    Bertie avait cru que si elle protestait avec plus d’éner-gie, son père et Jeffrey laisseraient tomber. Elle compritqu’elle s’était trompée. À leurs yeux, M. McBride était leméchant de la pièce et il méritait d’être puni. Si Bertierefusait, son père la rudoierait jusqu’à ce qu’elle se sou-mette. Et si M. McBride avait eu, d’ici là, le temps dedisparaître, son père obligerait Bertie à attendre tousles jours devant le tribunal, jusqu’à ce que le procureury revienne pour une autre affaire.

    D’une manière ou d’une autre, Bertie était donccondamnée à s’exécuter. Mais accepter tout de suiteaurait au moins l’avantage d’être moins douloureux.

    La jeune femme se libéra de l’étreinte de Jeffrey.— Très bien, dit-elle d’un ton sec. Je vais lui faire les

    poches. Mais vous avez intérêt à prendre vos précau-tions. Il n’est pas idiot.

    — Je t’ai déjà dit qu’il ne s’apercevrait de rien, répon-dit son père. Tu as des doigts de fée.

    Là-dessus, il poussa Bertie d’une bourrade entre lesomoplates. La jeune femme carra les épaules, inspiraun grand coup et traversa la chaussée en direction deM. McBride. Le procureur se tenait, immobile, sur letrottoir, comme s’il attendait quelque chose ouquelqu’un. Son expression était toujours aussi triste etson regard semblait perdu dans le vague.

    Sinclair McBride resserra son manteau et baissa sonchapeau sur son front pour se protéger du vent glacial.

    « Te souviens-tu de sir Percival Montague, Daisy ?demanda-t-il au ciel gris. Je lui ai joué un bon tour,

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  • aujourd’hui. Ce vieux gredin se frottait déjà les mains àl’idée de condamner à mort une pauvre fille. Quel imbé-cile. Elle n’était pas plus coupable qu’un agneau quivient de naître. »

    Le ciel s’assombrissait toujours davantage, signe quela pluie tomberait dans la soirée. Le climat londonienn’avait décidément rien à voir avec celui de l’Afrique duNord, où Sinclair avait effectué son service militaire.Son petit frère, Steven, essayait de le convaincre devoyager avec lui – en Espagne, en Égypte, à Rome…partout où les hivers étaient cléments.

    Mais Sinclair avait deux enfants. Andrew etCaitriona. Et il ne pouvait se résoudre à les imposer àElliot et Juliana pendant qu’il courrait le monde. Sonautre frère et sa belle-sœur venaient tout juste de fonderleur propre foyer et ils avaient besoin d’un peu d’inti-mité. Les prendre avec moi, alors ? se demanda-t-il avecun sourire. Pour le coup, ce serait une vraie aventure.

    Et Sinclair d’imaginer déjà comment ses deux reje-tons, véritables enfants terribles, effraieraient les autrespassagers avec qui ils partageraient les mêmes moyensde locomotion – trains, bateaux ou attelages. Finale-ment, ce n’était pas une si bonne idée que cela.

    Andrew et Cat avaient au moins réussi ce prodige defaire oublier temporairement à Sinclair la nostalgie quilui collait aux basques depuis ce matin. Mais celle-cirevenait déjà au galop, alors qu’il attendait sur le trot-toir son cocher pour rentrer chez lui.

    Sept ans. Sept ans aujourd’hui que tu m’as quitté, Daisy.Margaret McBride, Maggie – ou Daisy pour ses pro-

    ches –, avait succombé à une mauvaise fièvre qui avaitbien failli emporter également les deux enfants deSinclair. Exactement sept ans plus tôt.

    Ma famille et mes amis voudraient que je me secoue.Mais ils n’ont pas perdu l’amour de leur vie, eux. Sinon,ils ne m’inciteraient pas à refaire la mienne.

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  • « Se secouer », cela voulait dire tout oublier deMaggie – sa femme, son amante, son réconfort, sa meil-leure amie. Et jamais je ne ferai cela.

    Maggie ne répondit pas. Elle ne répondait jamais,bien sûr, mais cela n’avait aucune importance. Sinclairtrouvait du réconfort à lui parler, et c’était même sou-vent ce qui l’empêchait de sombrer dans la plus noiremélancolie, qui aurait fini par altérer sa raison.

    Quand tu seras prête à me voir bouger, tu me le ferassavoir. J’ai toute confiance en toi, Daisy…

    Une rafale de vent plus forte que les autres obligeaSinclair à maintenir son chapeau fermement vissé sursa tête. Bon sang, où étaient Richards et la voiture ?

    La foule était dense. C’était l’heure où tout le monderentrait chez soi. Sinclair n’était pas particulièrementpressé mais le retard de Richards tombait mal : outrequ’il faisait vraiment froid ce soir, la pluie commençaitdéjà à tomber.

    Quelqu’un le bouscula, le faisant presque trébucher.Une jeune femme avait dérapé sur le pavé mouillé et luiétait rentrée dedans. Voyant qu’elle se démenait pourgarder son équilibre, Sinclair lui offrit son bras.

    — Accrochez-vous à moi, mademoiselle.La jeune femme leva les yeux vers lui… et le monde

    cessa de tourner. Sinclair remarqua un petit chapeaunoir orné de violettes, puis deux yeux presque de lamême teinte – un bleu tirant vers le violet –, dont laluminosité tranchait avec la grisaille de cette soiréed’hiver. Un sourire angélique ourla les lèvres de la jeunefemme.

    Sinclair était sûr de ne l’avoir jamais rencontréeauparavant et, cependant, il éprouva l’étrange impres-sion d’avoir attendu ce moment depuis des années.

    — Ça va, monsieur ? demanda-t-elle. Pardonnez-moi,mais un type m’a donné un coup de coude et ma chaus-sure a glissé sur le pavé. Je ne vous ai pas fait mal ?

    18

  • — Aucunement.Sinclair s’obligea à rompre le charme de l’instant

    pour détailler la jeune femme d’un œil plus profession-nel – l’œil du procureur habitué à fréquenter des crimi-nels. Cette inconnue n’était pas une fille de mauvaisevie, sans quoi elle se serait empressée de le séduire.

    Non, c’était plutôt une ouvrière, ou une quelconqueemployée, qui rentrait chez elle après sa journée delabeur. Elle n’était pas sale, mais les manches de sajaquette de velours étaient élimées aux coudes et sesgants de laine avaient été reprisés. Typiquement legenre de fille qui s’efforçait de masquer sa pauvreté.

    Cependant, elle n’avait pas non plus l’allure lasse etrésignée de la plupart des ouvrières. Son sourire étaitradieux, comme si elle avait conservé toutes ses espé-rances dans l’avenir.

    — Tant mieux, dit-elle. Je vous souhaite le bonsoir,monsieur. Et faites de beaux rêves.

    Elle sourit encore. Ses yeux étaient du même bleu quela Méditerranée. Sinclair se remémora ces plages d’Ita-lie qu’il avait fréquentées dans sa jeunesse.

    L’inconnue n’était pas seulement fascinante par sesyeux. C’était une ravissante jeune femme, dont labeauté irradiait malgré son misérable accoutrement.Elle était comme un rayon de soleil dans la nuit.

    Un autre piéton bouscula Sinclair. Il s’écarta pour lelaisser passer et quand il voulut de nouveau poser sesyeux sur la jeune femme, celle-ci avait disparu. Il l’aper-çut qui se faufilait dans la foule, les violettes de son cha-peau se balançant au rythme de ses pas.

    C’est ce chapeau un peu ridicule qui empêchaitSinclair de croire qu’il avait rêvé, ou qu’il avait vu unesirène. De toute façon, même une sirène n’aurait passuffi à lui faire oublier longtemps son chagrin.

    Quoi qu’il en soit, l’inconnue avait bel et bien disparu.Et Sinclair devait rentrer au plus vite chez lui. Andrew

    19

  • et Cat avaient déjà probablement enfermé leur nouvellepréceptrice dans la cave. Ou provoqué l’incendie acci-dentel de la maison. Ou les deux.

    Son fils et sa fille n’étaient pas foncièrementméchants. Du moins Sinclair voulait-il s’en persuader,même si l’une de leurs préceptrices lui avait assuréqu’Andrew était possédé par le démon. Elle avait étéjusqu’à lui suggérer l’adresse d’un prêtre qui pratiquaitdes exorcismes. Cette préceptrice-là n’était pas restéeplus d’une heure à son service.

    Une cloche sonna au loin. Sinclair, par réflexe, cher-cha sa montre dans sa poche pour comparer l’heure. Samontre avait une fâcheuse tendance à avancer de quel-ques minutes et aucune réparation n’avait pu venir àbout de ce défaut. Mais Sinclair se refusait à en acheterune nouvelle, car celle-ci était un cadeau de Daisy…

    La montre ne se trouvait plus dans sa poche.Il comprit aussitôt et son regard se porta en direction

    du chapeau orné de violettes, qui venait de disparaître àun coin de rue.

    Bon sang ! Comment avait-il pu se montrer aussistupide ? Il n’avait pas imaginé un instant avoir affaireà une pickpocket, pour la bonne raison que lespickpockets ne s’arrêtaient jamais pour discuter avecleurs victimes. Ils s’empressaient, au contraire, de dis-paraître avant que leur larcin ne puisse être découvert.

    Sinclair se lança à la poursuite de l’inconnue. Il enavait oublié son cocher et sa voiture : plus rien necomptait pour lui, dans l’immédiat, que de récupérer samontre. Et Sinclair était prêt à poursuivre la jeunevoleuse jusqu’au bout de la terre s’il le fallait.

  • 2

    Le procureur McBride s’était lancé à ses trousses.Bertie aurait parié qu’il était trop malin pour ne pass’apercevoir de la disparition de sa montre, mais ellen’avait pas voulu se montrer lâche. À présent, elleregrettait son inconscience, car le procureur menaçaitde la rattraper en quelques enjambées. Elle auraitmieux fait de se contenter de lui voler son mouchoir.

    Mais elle avait désiré que M. McBride la regarde. Pourqu’elle puisse elle-même admirer ses beaux yeux gris deplus près. Et qu’elle puisse encore entendre sa voix quil’ensorcelait tant. Bertie avait presque ressenti une bouf-fée de chaleur lorsqu’il lui avait dit : « Accrochez-vous àmoi, mademoiselle. »

    Malheureusement, elle s’était trop attardée à l’admi-rer. Et maintenant, il s’apprêtait à fondre sur elle.

    Bertie accéléra l’allure et tourna un autre coin de rue.Elle connaissait Londres comme sa poche et, avec unpeu de chance, elle réussirait à le semer. Sinon, ellesavait où l’entraîner.

    La jeune femme se faufila dans l’entrelacs de ruelles,jonchées d’ordures et sillonnées de rats, qui s’étiraient àl’ombre des sinistres murailles de la prison de Newgate.Quelques ivrognes, cuvant leur gin, essayèrent de

    21

  • s’accrocher aux jupes de la fuyarde quand elle passa àleur hauteur, mais elle réussit à leur échapper et poursui-vit sa course.

    Bertie se risqua ensuite à traverser Aldersgate Streetpour rejoindre les ruelles qui sinuaient de l’autre côté.Mais la chance n’était pas avec elle. L’Écossais la sui-vait encore. Un coup d’œil par-dessus son épaule luiconfirma que M. McBride la pourchassait toujours deson pas athlétique.

    Elle commençait à s’essouffler. Son corset était tropserré pour qu’elle puisse tenir longtemps le rythme. Lediable soit de cet homme ! Il aurait dû finir par renon-cer et rentrer chez lui, dans sa confortable maison deMayfair, de Belgrave Square ou de quelque autre quar-tier chic.

    Bertie n’était pas près d’oublier avec quelle assu-rance – pour ne pas dire quelle arrogance – il s’étaitdressé devant le juge pour prononcer son réquisitoireinattendu, innocentant Ruthie. Mais, dès que sa perfor-mance avait été terminée, son arrogance l’avait quitté,réduisant M. McBride à l’état de coquille vide. Enfin,jusqu’à maintenant. Car toute son énergie était reve-nue, et il semblait décidé à pourchasser Bertie jusqu’àce qu’il puisse la livrer à la police.

    De cela, il n’était pas question. Bertie n’avait aucuneenvie de finir ses jours au bout d’une corde. Certes, ellene risquait pas réellement la peine de mort. Le jury luiaccorderait des circonstances atténuantes en appre-nant qu’elle avait été forcée à voler par son père – à sup-poser, bien sûr, que les jurés la croient sur parole. Aulieu de monter à la potence, elle serait envoyée dans lescolonies, ou jetée dans un cachot humide. Ce qui nevalait guère mieux.

    Malheureusement, elle n’arrivait pas à faussercompagnie à M. McBride. Quelque détour qu’elle

    22

  • empruntât, il restait dans son sillage. Bertie en dédui-sit qu’elle n’avait plus d’autre choix que de l’entraînerjusqu’au Piège.

    C’est ainsi qu’elle le voyait : un piège, mais avec un« P » majuscule. Car personne ne pouvait s’en échap-per. M. McBride n’était pas idiot. Dès qu’il compren-drait où elle le menait, il s’empresserait de tourner lestalons pour la laisser tranquille.

    — Ohé ! cria-t-elle, dès qu’elle fut en vue de l’endroit.C’est moi, Bertie ! J’arrive !

    Dans un mur décrépi d’une ruelle sordide, une portes’ouvrit aussitôt et la jeune femme en franchit précau-tionneusement le seuil, pour ne pas risquer de se foulerla cheville dans les gravats qui encombraient le sol.

    La porte donnait en effet sur un grand vide qui avaitété autrefois occupé par une maison. Mais celle-ci avaitété démolie ou s’était écroulée depuis longtemps.L’espace ainsi créé était entouré, sur ses quatre côtés,par des immeubles toujours debout, qui empilaientcinq ou six étages à l’assaut du ciel. Aucune fenêtren’ouvrait sur le vide, qui était présentement éclairé parun brasero et par les lanternes des hommes, plus oumoins jeunes, qui aimaient se rassembler là.

    Le Piège n’était utilisé contre des ennemis qu’en casd’extrême urgence : quand un poursuivant se montraittrop coriace ou quand des brutes d’un autre quartiervenaient marauder jusqu’ici. Les hommes qui avaientfait du Piège leur havre étaient tous armés, la plupartdu temps ivres et toujours prêts à se battre contre qui-conque osait s’introduire dans leur antre.

    Bertie se fraya un chemin au milieu des pierrailles,bouteilles cassées et autres immondices répandus ausol, pour traverser la cour. Une deuxième portes’ouvrait dans le mur d’en face. Elle donnait sur uneautre ruelle par laquelle Bertie comptait s’enfuir.

    23

  • La jeune femme jeta un dernier regard derrière elle,avant que le beau M. McBride n’ait l’intelligence derebrousser chemin.

    Sauf qu’il ne possédait pas cette intelligence-là.M. McBride franchit la porte de la cour et Bertie vitbriller ses cheveux châtains à la lumière d’une lan-terne : son chapeau avait disparu. Il ne semblait pas dutout s’inquiéter des marlous qui convergeaient dans sadirection et, sitôt qu’il aperçut Bertie, il rugit, d’unevoix de guerrier :

    — Arrêtez-la !Les mauvais garçons n’en crurent pas leurs yeux. Ils

    n’étaient pas habitués à ce que leurs futures victimes,affolées, n’essaient pas de leur échapper au plus vite.Les ignorant, M. McBride se rua sur Bertie. Mais iln’avait pas traversé la moitié de la cour que les gars,revenant de leur surprise, se jetèrent sur lui.

    — Aïe ! Nom d’un chien ! cria le procureur, avec sonaccent écossais, avant de s’emparer d’une barre de ferqui traînait par terre.

    Bertie était médusée. M. McBride semblait décidé àriposter.

    Ses adversaires étaient armés de poignards, dematraques ou de bâtons, mais M. McBride rendait couppour coup. L’un de ses agresseurs poussa même unjuron en voyant son couteau voltiger dans les airs.M. McBride avait l’avantage sur les possesseurs d’armesblanches, car il avait choisi une barre de fer assez lon-gue pour les tenir à distance. Mais dès que ses adver-saires auraient trouvé la faille de la cuirasse…

    Ils n’hésiteraient pas à le tuer.Ces marlous n’étaient pas des anges. La plupart

    avaient déjà tué et ils étaient habitués à se débarrasserd’un cadavre en le jetant dans la Tamise. Peu leurimportait que M. McBride, avec ses beaux habits, soitun riche bourgeois ou même un aristocrate. Ils le

    24

  • massacreraient tout autant, puis ils le dépouilleraientet fêteraient leur crime en partageant une bouteille degin.

    Pourquoi le procureur n’avait-il pas la sagesse des’enfuir à toutes jambes ?

    Bertie rebroussa chemin dans sa direction. Elle plon-gea, pour éviter les bâtons qui virevoltaient dans lesairs, s’attirant quelques insultes des voyous qui luicriaient de dégager le terrain, et elle agrippa le procu-reur par le bras.

    M. McBride voulut se libérer, mais Bertie lui serraplus fort le bras.

    — Suivez-moi ! lui cria-t-elle. Vite !— Fiche le camp ! lui lança un des mauvais garçons.— Non ! Laissez-le tranquille, répliqua Bertie, ajou-

    tant pour M. McBride : Allez, venez !Elle le tirait par la manche. M. McBride finit par

    entendre raison et la suivit. Les marlous, furieux queBertie les prive de leur victime, les prirent en chasse.Elle courut en direction de la deuxième porte.M. McBride se retourna au dernier moment, alors queBertie avait déjà franchi le seuil, pour repousser deuxgredins qui l’avaient saisi par son manteau. Le man-teau se déchira mais tint bon et M. McBride put sortirlui aussi de la cour.

    Bertie claqua la porte derrière lui, puis elle lui arra-cha sa barre de fer des mains pour la caler en travers dubattant. Elle ne se faisait cependant pas d’illusions : labarre ne résisterait pas longtemps à des assauts répétés.Et leurs assaillants pouvaient de toute façon emprunterl’autre porte et contourner la cour pour les rejoindre.

    La jeune femme tira de nouveau M. McBride par lamanche pour l’inciter à courir avec elle.

    Il ne fallut pas longtemps avant qu’elle n’entendeleurs poursuivants. La plupart se désintéresseraientrapidement de cette traque et renonceraient en chemin,

    25

  • mais les autres manifesteraient plus de détermination.Les camarades de Jeffrey aimaient se battre. Et ilsconvoitaient le butin qu’ils espéraient trouver dans lespoches de M. McBride.

    — Par là, le pressa Bertie, avant de tourner un coinde rue.

    Il n’y avait qu’un seul endroit, à Londres, où Bertiepouvait se réfugier. Un endroit que ne connaissaient nison père, ni Jeffrey, ni même les amies de Bertie. Yconduire M. McBride représentait un risque – il pou-vait décider d’y envoyer la police une fois qu’elle l’auraitlaissé repartir – mais le sacrifice en valait peut-être lapeine. Cet Écossais beau et courageux ne méritait pasd’être battu à mort par des voyous de l’East End.

    Bertie s’engagea dans une ruelle qui semblait se ter-miner en cul-de-sac. M. McBride regimba mais Bertieplaqua un doigt sur ses lèvres pour lui intimer lesilence. Puis elle dévala un petit escalier caché parl’obscurité qui donnait sur une venelle empestantl’urine. M. McBride voulut encore protester, avant devoir Bertie ouvrir une petite porte et la franchir. Cetteporte donnait autrefois sur l’arrière-cuisine d’une mai-son qui avait dû être grande et luxueuse. Mais le quar-tier était tombé en décrépitude, certains immeubless’étaient écroulés, d’autres avaient été reconstruits et lepetit réduit avait fini par disparaître des plans et tom-ber dans l’oubli.

    — Attention à votre tête, dit Bertie.Au même moment, elle entendit un bruit mat et

    M. McBride poussa un juron.— Merci de m’avoir prévenu à temps !Ils descendirent une autre volée de marches plongées

    dans l’obscurité. M. McBride suivait, une main poséesur l’épaule de la jeune femme.

    — Il y a dix-sept marches, le prévint Bertie, qui lescomptait mentalement.

    26

  • La main de M. McBride était ferme et puissante.Bertie pouvait sentir sa chaleur se diffuser à travers sonmanteau de velours élimé.

    Au bas de l’escalier, ils franchirent une dernièreporte, puis Bertie demanda au procureur de ne plusbouger, pendant qu’elle cherchait les allumettes qu’elleconservait sur une étagère pour allumer les lampes.Elle en possédait maintenant trois, qui jetaient deslueurs orangées sur la petite pièce triangulaire auxmurs de brique nue et aux poutres branlantes.

    Un empilement de coussins, contre le mur le plussolide, formait une espèce de sofa. Bertie l’avait recou-vert de châles et de couvertures et elle avait disposédevant une petite table pliante, encombrée de journauxet de magazines qu’elle avait réussi à se procurer ici etlà. La venelle qui conduisait à son refuge était tropétroite pour lui permettre d’apporter de vrais meubles,mais elle s’était efforcée de rendre l’endroit aussiconfortable que possible. Elle avait même réussi à seprocurer de vieux tapis qui, étalés sur le sol, proté-geaient ses pieds du froid et de l’humidité.

    M. McBride resta près de la porte jusqu’à ce que lestrois lampes soient allumées. Bertie se fit la réflexionqu’elle aurait bientôt besoin de les remplir de pétrole.

    Le procureur, avec sa stature imposante, semblaitdéplacé dans cet endroit exigu. Sa tête touchait le pla-fond et il devait se baisser pour ne pas heurter les poutresapparentes. Il balaya la pièce du regard, avec étonne-ment, avant d’arrêter ses beaux yeux gris sur Bertie.

    — Seriez-vous folle ? demanda-t-il. Vous logez ici ?Alors que ce plafond menace de s’écrouler sur vous àtout instant ?

    Bertie frissonna au son si délicieux de sa voix.— Il ne s’est pas écroulé pour l’instant et il doit tenir

    comme ça depuis des décennies. Les maisons sontsolides, dans le quartier.

    27

  • — Peu importe le quartier, répondit M. McBride, quisemblait se parler en partie à lui-même. Pourquoim’avez-vous sauvé de ces voyous, alors que vousm’aviez d’abord jeté dans leurs griffes ?

    Bertie croisa les bras sur sa poitrine.— J’espérais que vous auriez la sagesse de vous

    enfuir. Vous ne comptiez quand même pas l’emportercontre huit malandrins habitués aux combats de rue ?Ou alors, c’est que vous êtes idiot.

    — Non, je voulais récupérer ma montre, répondit leprocureur, dont le regard flambait maintenant decolère.

    Il avait beau se trouver dans le repaire de Bertie sanssavoir où celui-ci se situait exactement et sans personnepour venir à son aide, la jeune femme réalisa que c’étaitlui, maintenant, qui commandait. Et pas elle.

    M. McBride pointa un doigt dans sa direction.— Montre que vous m’avez volée tout à l’heure, pen-

    dant que je rêvassais dans la rue. Rendez-la-moi et je nedirai rien.

    Sinclair vit la jeune femme rougir de culpabilité. Elleavala sa salive et recula d’un pas. Elle portait toujoursson chapeau ridicule, avec des violettes, mais il pen-chait à présent sur son oreille droite.

    — Rendez-moi ma montre et je vous laisserai tran-quille, répéta Sinclair, d’une voix qu’il espérait persua-sive. Je vous promets de ne pas alerter la police, mêmesi vous êtes une sale petite fourline.

    Elle ne parut pas le moins du monde impressionnéequ’il connût l’un des mots d’argot désignant les voleusesà la tire.

    — Pourquoi avez-vous aidé Ruthie ? demanda-t-elle.Sinclair mit quelques secondes à comprendre qu’elle

    voulait parler de Ruth Baxter, la fille de cuisine qui

    28

  • avait comparu plus tôt au tribunal. Il avait déjà presqueoublié les détails du procès.

    — Mlle Baxter était innocente, dit-il. Pourquoil’aurais-je accusée ?

    — Parce que vous êtes procureur, et que les procu-reurs sont du côté des juges.

    Cette jeune femme avait manifestement beaucoup àapprendre sur le fonctionnement de la justice.

    — Mlle Baxter ne pouvait pas se payer un avocat. J’aisu, en la voyant, qu’elle était innocente et que M. Smallétait coupable. Mais quel rapport y a-t-il entre cetteaffaire et ma montre ?

    — Ruthie est une copine à moi. Merci.— Et vous avez donc décidé de m’exprimer votre gra-

    titude en me volant ma montre et en me mettant entreles pattes d’une bande de ruffians ? Si c’est là votrefaçon de remercier les gens, je préfère ne pas savoir cequi se passe quand vous êtes furieuse contre eux.

    Elle ne sourit même pas à son trait d’humour.— Je vous l’ai déjà dit : vous étiez supposé vous

    enfuir. Ils vous auraient étripé. C’était inconscient devotre part de rester.

    Sinclair commençait à perdre patience.— Il s’agissait de ma montre ! C’est ma femme qui

    me l’avait offerte.Son éclat la fit reculer d’un pas.— Vous êtes riche. Elle aurait pu vous en racheter

    une autre.— Non, c’est impossible.— Pourquoi donc ?— Parce qu’elle est morte !Le mot résonna sous le plafond trop bas et Sinclair

    eut soudain du mal à respirer.Il n’avait jamais dit mot pour mot, même le jour de

    son trépas, que Daisy était morte. Sinclair avait préféréemployer des périphrases comme « elle m’a quitté », ou

    29

  • « elle est partie ». « Morte » était trop définitif. Sansretour possible.

    — Elle… elle… balbutia-t-il, d’une voix étranglée.Il avait les joues mouillées. Bon sang, il n’avait jamais

    pleuré non plus. Enfin, pas des grosses larmes. PleurerDaisy voulait dire qu’elle ne reviendrait jamais.

    — Elle…Sa vision se troublait. Ses jambes se dérobaient sous

    lui. Le temps d’un clignement d’yeux et il se retrouvaaffalé sur les coussins. La jeune femme s’était assise àcôté de lui. Son chapeau avait disparu, révélant sa che-velure brune.

    — Ça va, monsieur ?C’était la deuxième fois de la soirée qu’elle lui posait

    cette question. Comme si elle se souciait vraiment delui. Cette fille était une voleuse, qui fréquentait desassassins, et pourtant elle lui demandait avec uneinquiétude qui paraissait sincère s’il allait bien. Sinclairréalisa que c’était elle qui l’avait attiré sur ces coussins.Sinon, probablement serait-il tombé face contre terre.

    Il croisa les mains derrière sa nuque.— Bon sang, dit-il. Que vais-je faire de vous ?Elle le regarda quelques instants avec des yeux écar-

    quillés puis, sans prévenir, elle se pencha vers lui etl’embrassa sur la bouche.

  • 3

    Sinclair en perdit encore la respiration. Il étaitcomme asphyxié par la chaleur de la jeune femme, lecontact de sa robe de laine contre son pantalon et celuide ses lèvres sur les siennes.

    Son baiser, maladroit, trahissait son inexpérience.Probablement était-elle vierge. Elle ne savait pas vrai-ment comment embrasser un homme et, cependant,son baiser était empreint d’une charge érotique queSinclair pouvait difficilement ignorer.

    Il se surprit à saisir la nuque de la jeune femme pourapprocher sa tête de la sienne. Elle tressaillit un ins-tant de surprise, avant de se laisser faire et de fermerses ravissants yeux bleus alors que Sinclair lui rendaitson baiser.

    Une érection gonfla son pantalon. La partie de sonanatomie qu’il s’efforçait d’ignorer revenait soudain à lavie.

    Et pourquoi pas, après tout ? Cette jeune femme étaitravissante – et consentante. Si elle voulait aller plusloin, il était d’accord.

    Sinclair pourrait l’allonger sur ces coussins, la débar-rasser de ses vêtements puis se déshabiller à son tour etla posséder. Cela ne prendrait pas longtemps mais,

    31

  • pendant quelques minutes, Sinclair pourrait savourerl’oubli que procurait une bonne étreinte physique.

    La jeune femme émit un petit bruit de gorge. Sinclairréalisa qu’il avait commencé de la coucher sur le sofa.

    Ce bruit de gorge le ramena à la réalité. Quelle mou-che l’avait piqué ? Cette fille était innocente – du moinsen ce qui concernait la chair. D’autres hommes, consi-dérant son mode de vie, se montreraient sans doutemoins scrupuleux, mais Sinclair n’était pas un goujat.

    Il la relâcha brusquement et s’assit bien droit sur lescoussins. Elle demeura à moitié allongée et clignales yeux de manière si charmante que Sinclair sentitson érection se durcir encore. Puis elle lui décocha unpetit sourire timide.

    Sa timidité n’était pas feinte. Elle n’essayait pas de sevendre pour garder la montre. Sinclair ignorait pour-quoi elle l’avait embrassé, mais ce n’était certainementpas pour monnayer quoi que ce soit.

    Voyant qu’il la dévisageait avec attention, elle rougit.— Vous allez me prendre pour une catin, mainte-

    nant, dit-elle en se redressant. Je voulais juste vousembrasser, et rien de plus.

    Sinclair aussi avait eu envie de l’embrasser. Il en avaittoujours envie, du reste. Son érection ne mollissait pas.

    — Je vous ai déjà expliqué que je n’étais pas juge. Laseule chose que je sache à votre sujet, c’est que vous êtesdouée pour vider les poches des gens. Mais vous allezme rendre ma montre.

    Il tendit la main. Le cuir de son gant n’avait même pasune égratignure, malgré la bagarre de tout à l’heure. Lajeune femme contempla sa paume en se mordillant lalèvre.

    Sinclair désirait plus que jamais sentir de nouveauces lèvres sur les siennes. Mais elle ne semblait pas serendre compte de ses tourments.

    32

  • — Le problème, monsieur McBride, c’est que si jerentre à la maison sans rien ramener qui vous appar-tient, mon père me battra comme plâtre. Et je préfére-rais l’éviter, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

    Sinclair sentit sa colère revenir.— Pourquoi vous battrait-il ?— Il est furieux que vous ayez fait arrêter Jacko. Et il

    m’a envoyée vous donner une leçon.— Vraiment ? s’emporta Sinclair, dont l’accent écos-

    sais s’amplifiait sous l’effet de la rage. Donnez-moi sonnom, et je vous promets qu’il finira sa nuit à Newgate.

    Elle secoua la tête.— Ne comptez pas sur moi pour le dénoncer.Elle glissa une main dans la poche de sa jupe et sortit

    la montre de Sinclair.— C’est une belle montre, ajouta-t-elle.— Oui, je sais.D’un geste rapide comme l’éclair, Sinclair lui arracha

    la montre des mains.— Oh ! s’exclama-t-elle, indignée.Sinclair était soulagé de sentir la montre dans ses

    doigts. Heureusement, elle était intacte.Il croyait volontiers la jeune femme lorsqu’elle affir-

    mait que son père la frapperait si elle ne rapportait pasde butin lui appartenant. Dans ces bas quartiers londo-niens, les pères n’hésitaient pas à envoyer leurs enfantsvoler à leur place – et leurs filles à faire le trottoir. Cesmalheureux enfants n’avaient personne vers qui setourner et la plupart d’entre eux trouvaient finalementassez naturel de gagner un peu d’argent par n’importequel moyen afin d’aider leur famille.

    Cette jeune femme était légèrement plus âgée que lamoyenne des filles des rues mais du moment qu’ellevivait encore chez ses parents, son père avait touteautorité sur elle.

    33

  • Sinclair glissa la montre dans la poche de son giletsans quitter la jeune femme des yeux. Elle avait réussià tromper sa vigilance dans la rue pour lui dérober samontre, et il n’y avait pas de raison qu’elle ne recom-mence pas.

    Il fouilla dans les poches de son manteau, en sortitune pièce et la lui tendit.

    — Cela suffira-t-il à contenter votre père ?La jeune femme écarquilla les yeux. Sinclair lui

    offrait un souverain en or. C’était assez d’argent pournourrir toute une famille de l’East End pendant plu-sieurs mois.

    — Vous êtes vraiment fou, dit-elle, d’un ton médusé.— Prenez-la avant que je ne change d’avis.Elle fixait toujours la pièce, mais sans la moindre

    cupidité dans le regard. De l’étonnement oui, de la cir-conspection, également. Mais aucune avidité. Elle don-nerait le souverain à son père, sans rien garder pourelle.

    — Comment vous appelez-vous ? lui demandaSinclair.

    Elle esquissa un sourire, qui monta jusqu’à ses yeux.Elle était vraiment charmante.

    — Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de vousle dire. Même si vous avez été gentil pour Ruthie.

    Sinclair ne pouvait pas lui reprocher sa prudence.Elle voulut prendre la pièce, mais il retira sa main. Elleprotesta. Il secoua la tête.

    — C’est aussi votre pourboire pour me sortir d’ici etme conduire à une rue où je puisse m’orienter. J’ima-gine que c’est dans vos cordes ?

    — Évidemment, répliqua-t-elle fièrement. Personnene connaît mieux Londres que moi.

    Sinclair la croyait sans peine. Elle avait traversé lelabyrinthe de l’East End sans une seule hésitation, mal-gré la pénombre de cette fin d’après-midi.

    34

  • Il prit la main de la jeune femme dans la sienne et ydéposa la pièce d’or.

    — Alors montrez-moi le chemin.Elle lui sourit encore, de son sourire radieux, et elle se

    releva d’un bond. Sinclair l’imita, mais avec moinsd’énergie. L’enchaînement des événements – la pour-suite dans les rues, le baiser, et l’exiguïté de cette pièceoù flottait l’odeur de pétrole des lampes – l’avait mis unpeu groggy. Cet endroit n’était décidément pas sainpour la jeune femme.

    Elle l’aida à se tenir debout, puis elle souffla leslampes, les plongeant tous deux dans l’obscurité.

    Juste au moment où Sinclair se demandait si ellen’allait pas le laisser tout seul dans le noir et partir avecla pièce d’or, il sentit sa main le tirer par la manche.

    — Venez, dit-elle.

    Dehors, la nuit était tout à fait tombée. Bertieentraîna M. McBride dans des rues obscures. La maindu procureur était rivée à la sienne et ce contact emplis-sait son cœur d’une étrange allégresse.

    Jeffrey Mitchell était le soupirant de Bertie, celuiqu’elle finirait sans doute par épouser un jour – dès lorsque son père voudrait bien lui accorder sa liberté.Quand elle était plus jeune, Bertie avait trouvé ducharme aux manières un peu rustres de Jeffrey, mais cecharme s’était dissipé avec les années. Une chose étaitsûre : Jeffrey n’avait jamais fait battre le cœur de Bertie.Pas plus qu’elle ne s’était jetée à son cou pour l’embras-ser sur une impulsion. Tout au plus se contentaient-ilsde se donner des petits bécots pour se dire bonjour ouau revoir. De toute façon, le père de Bertie, qui n’étaitjamais loin, n’aurait pas toléré davantage.

    35

  • Embrasser M. McBride n’avait pas été qu’une simpleimpulsion. Bertie avait succombé à un désir qui l’avaitbrutalement submergée. Tout à coup, elle avait éprouvéune irrésistible envie d’embrasser cette bouche qui par-lait avec un si délicieux accent écossais.

    Et lorsque le procureur l’avait saisie par la nuquepour la serrer contre lui, la tête lui avait chaviré. Elles’était sentie prête à s’abandonner dans ses bras. C’estalors qu’il l’avait repoussée. Bertie avait craint de l’avoirdégoûté et qu’il ait pensé le pire à son sujet. Elle n’étaitpas une catin mais, l’espace d’un moment de folie, elleavait eu envie d’être une fille facile. Juste pour cethomme.

    Le brouillard montait à mesure qu’ils se rapprochaientde la Tamise, estompant les lumières de la ville. Bertieserra un peu plus fort la main du procureur. D’ici quel-ques minutes, M. McBride repartirait de son côté et sasilhouette serait vite avalée par la brume. À jamais. Enattendant, la jeune femme voulait se raccrocher à luiaussi longtemps que possible.

    Elle savait bien que leurs chemins devraient se sépa-rer. M. McBride n’appartenait pas à son monde. Bertiel’imaginait vivre dans une belle maison donnant sur unjoli square, avec une armée de domestiques pour veillersur lui. Ses beaux habits, soigneusement entretenus, etses souliers bien vernis étaient là pour le confirmer.

    Bertie s’arrêta en haut d’une volée de marches.— Cette rue vous conduira tout droit à Fenchurch,

    dit-elle. D’ici, on peut même apercevoir St Paul, ajouta-t-elle, pointant du doigt un dôme fantomatique qui sedevinait dans le brouillard. Je suppose qu’ensuite, vouspourrez vous repérer facilement ?

    — Oui.Il avait répondu avec conviction. M. McBride était de

    retour dans son monde et il avait retrouvé cette

    36

  • Et toujours la reine du roman sentimental :

    « Les romans de Barbara Cartland nous transportent dans unmonde passé, mais si proche de nous en ce qui concerne les sentiments.L’amour y est un protagoniste à part entière : un amour parfoiscontrarié, qui souvent arrive de façon imprévue.Grâce à son style, Barbara Cartland nous apprend que les rêvespeuvent toujours se réaliser et qu’il ne faut jamais désespérer. »

    Angela Fracchiolla, lectrice, Italie

    Le 1er juilletLes méandres de l’amour

  • 11153CompositionFACOMPO

    Achevé d’imprimer en Italiepar GRAFICA VENETA

    Le 4 mai 2015.

    Dépôt légal :mai 2015.EAN 9782290114346

    OTP L21EPSN001484N001

    ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

    Diffusion France et étranger : Flammarion

    La préceptrice de Sinclair McBrideChapitre 1Chapitre 2Chapitre 3

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