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Par Antoine Nouis La prédestination selon Calvin Loin de l’obscure et terrible doctrine que l’on décrit parfois, la foi en la prédestination creuse en l’humain l’humilité de celui qui sait que tout ce qu’il a ne lui appartient pas, mais vient de Dieu seul. Pour comprendre la prédestination, il faut l’articuler avec deux autres notions fondamentales chez le Réformateur : la justification par la foi et la gloire de Dieu. La justification par la foi est le message libérateur d’un Évangile qui conjugue le verbe justifier au mode passif : nous n’avons pas besoin de nous justifier, nous sommes justifiés. La justification ne vient pas de nous, elle est donnée en Jésus- Christ. Notre justice ne vient ni de nos qualités ni de nos actions (ce que Paul appelle nos œuvres) mais de Dieu lui-même. Un verset de l’épître aux Éphésiens dit à propos de l’Église que Jésus-Christ s’est livré pour elle afin de la faire paraître devant lui : « glorieuse, sans tache ni ride, sainte et sans défaut » (1). Nous savons bien que nos communautés ne sont pas très glorieuses, qu’elles ont quelques taches, plusieurs rides, qu’elles ne sont pas très saintes et qu’elles ne manquent pas de défauts… Mais, devant Dieu, l’Eglise paraît, sans tache ni ride, sainte et sans défaut… comme je le suis moi-même. Ce verset nous apprend que Dieu a une vue détournée car il ne me voit pas tel que je suis, mais à travers Jésus-Christ.

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Par Antoine Nouis

La prédestination selon CalvinLoin de l’obscure et terrible doctrine que l’on décrit parfois, la foi en laprédestination creuse en l’humain l’humilité de celui qui sait que tout ce qu’il a nelui appartient pas, mais vient de Dieu seul.

Pour comprendre la prédestination, il faut l’articuler avec deux autres notionsfondamentales chez le Réformateur : la justification par la foi et la gloire de Dieu.

La justification par la foi est le message libérateur d’un Évangile qui conjugue leverbe justifier au mode passif : nous n’avons pas besoin de nous justifier, noussommes justifiés. La justification ne vient pas de nous, elle est donnée en Jésus-Christ. Notre justice ne vient ni de nos qualités ni de nos actions (ce que Paulappelle nos œuvres) mais de Dieu lui-même.

Un verset de l’épître aux Éphésiens dit à propos de l’Église que Jésus-Christ s’estlivré pour elle afin de la faire paraître devant lui : « glorieuse, sans tache ni ride,sainte et sans défaut » (1). Nous savons bien que nos communautés ne sont pastrès glorieuses, qu’elles ont quelques taches, plusieurs rides, qu’elles ne sont pastrès saintes et qu’elles ne manquent pas de défauts… Mais, devant Dieu, l’Egliseparaît, sans tache ni ride, sainte et sans défaut… comme je le suis moi-même. Ceverset nous apprend que Dieu a une vue détournée car il ne me voit pas tel que jesuis, mais à travers Jésus-Christ.

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Le deuxième thème avec lequel il faut articuler la prédestination est celui de lagloire de Dieu, cette idée selon laquelle Dieu est Dieu et que tout est entre sesmains. Une réflexion d’un sage de la tradition hassidique nous aidera à entendrejusqu’où va la compréhension de cette gloire : « Toute ma vie, j’ai essayé desuivre la parole de Dieu. Si, lorsque j’arriverai au ciel, j’apprenais que devais alleren enfer, j’irai en courant pour accomplir une dernière fois la volonté de Dieu. »Cet apologue m’a aidé à comprendre non seulement la prédestination, mais aussila double prédestination, l’idée selon laquelle les uns sont prédestinés au ciel etles autres aux enfers. Il nous pose une question déroutante : si l’enfer est dans lavolonté de Dieu, est-ce encore l’enfer ? Peut-on imaginer que, dans sa gloire, Dieuprenne plaisir à voir ses enfants rôtir dans les lieux infernaux ? En lecteur del’Évangile, je ne le puis…, ce qui me permet de me réapproprier la prédestinationcomme une bonne nouvelle. Au croisement de la doctrine de la justification et dela gloire de Dieu, elle annonce que, aujourd’hui, mon existence est dans la mainde Dieu et que mon éternité demeure, elle aussi, quelque part dans son amour.

La prédestination, expérience spirituelleLa prédestination n’est pas une doctrine mais une expérience spirituelle. Dansl’Institution Chrétienne, la place du chapitre consacré à cette notion a évolué avecle temps. Dans les premières éditions, il se trouvait dans la première partieconsacrée à la providence de Dieu alors que, dans la dernière, il a été déplacédans la troisième partie qui s’ouvre sur le Saint-Esprit, après tout un chapitreconsacré à la prière. C’est dans la prière, par la prière, que nous pouvonsentendre ce que signifie la prédestination.

Réfléchissons un peu, rentrons en nous-mêmes et posons-nous la question :pourquoi ai-je la foi ? Si c’est une question d’éducation, pourquoi mon frère qui aeu la même éducation que moi n’a pas le même attachement à l’Évangile ? Deuxréponses sont possibles : soit cela vient de mes mérites, et c’est d’un orgueildémesuré, soit c’est parce que la foi est un don qui vient de Dieu, et c’est laprédestination. Lorsque Paul, dans l’épître aux Galates, dit à propos de saconversion : « Lorsque celui qui m’avait mis à part dès le sein de ma mère, et quim’a appelé par sa grâce, a trouvé bon de révéler en moi son Fils (2)… », il ne faitpas de la spéculation théologique, il nous fait partager son expérience spirituelle.Quand il a relu son histoire, il a découvert que Dieu se tenait au plus près de luidès le sein de sa mère. Pour l’apôtre, cette découverte a été tout sauf de la

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résignation, mais le point de départ d’une vie consacrée au service de cetteannonce.

La foi en la prédestination creuse en l’humain l’humilité de celui qui sait que toutce qu’il a ne lui appartient pas. Dans la première épître aux Corinthiens, Paulécrit : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi fais-tu le fier,comme si tu ne l’avais pas reçu (3) ? » Au nom de quoi ferais-je le fier ? De ma foi? De mon intelligence ? De mon travail ? « Qu’as-tu que tu n’aies reçu », dit Paul.Tout… tout est grâce. Si j’entends, si j’intègre cela, alors je peux ouvrir les mainset devenir témoin. Dieu nous a aimés pour que nous vivions et que nous soyonsserviteur de l’Évangile… dans la reconnaissance et dans la liberté.

Finalement, je crois à la prédestination car je ne veux pas ressembler à cette pucequi voyageait avec une de ses amies dans l’oreille d’un éléphant. L’éléphant passesur une passerelle en bois qui tremble sous le poids de l’animal. Arrivé à l’autrebout de la passerelle, la puce dit à son amie : « Tu as vu comme on a fait tremblerle pont ! »

(1). Ep 5,27.(2). Ga 1,15-16.(3). 1 Co 4,7.

Destin et desseinLa foi en la prédestination se distingue de toutes les fatalités qui broient notremonde, fatalité sociale, économique, fatalité du mal et de la guerre. La fatalité,c’est le destin que l’on trouve dans de nombreuses traditions religieuses et quiest évoqué dans cette histoire. Un serviteur va voir son maître épouvanté et luidit : “Peux-tu me prêter ton meilleur cheval que je m’enfuie car au marché j’airencontré la mort et elle m’a regardé avec un drôle d’air. Je suis sûr qu’elle mecherche, il me faut fuir à Samarcande.” Le maître accepte et le serviteur partau galop. L’après-midi, le maître se rend au marché et croise, à son tour, lamort. Il l’interpelle et lui dit : “Qu’as-tu fait à mon serviteur ? Il a été effrayépar ton attitude.” La mort répond : “C’est que j’ai été très étonnée de le voir ici.En effet, ce soir j’ai rendez-vous avec lui à Samarcande.”

Cette histoire ne parle pas de prédestination mais d’un destin implacable. La

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prédestination n’est pas le destin, mais le dessein de Dieu, c’est-à-dire le destinmoins la fatalité ou le destin plus l’espérance. Le dessein de Dieu estl’assurance que son amour me précède et me succède et que, comme le ditl’apôtre Paul, rien, “ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni leprésent ni l’avenir, ni les puissance, ni les êtres d’en-haut, ni ceux d’en-bas, niaucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ” (Rm 8,38-39).

Par Antoine Nouis

Par la Bible, l’Esprit parleDans une série de cinq articles, le pasteur Antoine Nouis se propose de mettre envaleur certains points du calvinisme et leur pertinence pour aujourd’hui. Premièreétape : l’Écriture seule.

Le message spécifique de la Réforme ne porte pas sur l’autorité de la Bible, quetoutes les Églises reconnaissent, mais sur la façon de situer cette autorité. Pourl’Église du Moyen Âge, la Bible, l’Église et la Tradition se confirmentréciproquement. La Bible conforte et légitime l’institution ecclésiastique qui, enretour, interprète et actualise l’Écriture. Face à ce système fermé, Martin Luthera affirmé la liberté de l’Écriture : « Je ne puis souffrir que l’on soumette la Parolede Dieu aux lois de nos interprétations, car il importe que la Parole ne soit pasliée, elle qui enseigne toute liberté. » Cette conviction l’a conduit à s’appuyer surl’autorité des Écritures pour contester les enseignements de l’Église établie deson époque. La Bible ne doit pas servir à justifier les croyances et les pratiques del’Église mais à les contester et les corriger. Luther a libéré l’Écriture par rapportau Magistère en rompant avec le principe qui voulait que, en cas de

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questionnement, c’était l’Église qui décidait et enseignait la bonne interprétation.Pour Luther, l’autorité de l’Écriture est justifiée par le fait qu’elle s’ordonneautour de son centre qui se trouve en Jésus-Christ. Les différents textes n’ont desens que par rapport à ce centre selon le principe qui veut que tout écrit doit êtrelu dans l’esprit de son auteur. Pour le Réformateur, le message central desÉcritures est la justification par la foi et tous les passages doivent s’interpréter àpartir de ce principe.

Parole et conviction intime

Calvin a un positionnement un peu différent en faisant reposer l’autorité del’Écriture non sur son contenu objectif mais sur ce qu’il a appelé le témoignageintérieur du Saint-Esprit. La confession de foi de La Rochelle dit à propos de laBible : « Nous connaissons ces livres être canoniques et règle très certaine denotre foi, non tant par le commun accord et consentement de l’Église, que par letémoignage et persuasion intérieure du Saint-Esprit qui les nous fait discernerd’avec d’autres livres ecclésiastiques. » La Bible n’est reconnue comme sourced’autorité ni par l’institution ecclésiale, ni par son contenu objectif mais par unedémarche fondamentalement personnelle et spirituelle.Pour le Réformateur, L’Esprit qui a inspiré les auteurs des livres bibliques est lemême aujourd’hui, et c’est lui qui donne l’assurance à celui qui lit les Écrituresavec un cœur ouvert que la Bible est bien parole de Dieu.Cette parole se fait entendre lorsque s’opère la rencontre entre une paroleobjective et une conviction intime qui vient de l’Esprit. Dans le processus delecture, l’inspiration du lecteur a autant d’importance, et joue un rôle aussidécisif, que celle du récit biblique.L’intérêt porté à l’herméneutique de Calvin m’a été soufflé par Karl Barth qui,dans l’introduction à son commentaire de l’épître aux Romains, a relevé l’impassedes interprétations qui expliquent le texte « en recourant à quelques catégoriestrès peu nombreuses et, malgré tout, un peu trop banales de sa propre penséereligieuse (sentiment, expérience, conscience, convictions, par exemple) ». End’autres termes, ces lecteurs cherchent dans le texte la confirmation de ce qu’ilscroient, ils l’interprètent à partir d’une grille de lecture antérieure à l’acte delecture.Les grilles de lecture sont multiples (libérale, piétiste, psychanalytique,féministe…) mais la démarche est la même. Un collègue pasteur me disait que,lorsqu’il prêchait, il avait un certain nombre de textes qui lui étaient chers sur

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lesquels il revenait régulièrement et qu’il y en avait d’autres sur lesquels il n’avaitjamais prêché et n’avait pas l’intention de le faire. La position calviniste reposesur un « a priori » de lecture différent, sur la confiance que n’importe quel textedes Écritures peut parler à partir du moment où il est lu dans une démarched’écoute spirituelle.Aujourd’hui, de nombreuses lectures de la Bible s’appuient sur le pouvoird’évocation du texte, ce sont essentiellement les lectures narratives etcontextuelles (féminine, de la libération…). Ces analyses viennent enrichir lapolyphonie des lectures bibliques en insistant sur ce qu’on appelle la performancedu récit, c’est-à-dire sa capacité à parler à l’actualité de l’auditeur, à lui ouvrir denouveaux horizons, à le faire bouger.Si nous prenons l’exemple du récit du Déluge, cette lecture nous alerte sur lesmenaces qui pèsent sur la création à partir de l’irresponsabilité des humains.L’auteur de la Genèse qui a rédigé ce texte n’avait certainement pas une arrière-pensée écologique en l’écrivant mais cette lecture en terme de sauvegarde de lacréation a toute sa valeur spirituelle pour notre temps. Avec le témoignageintérieur du Saint-Esprit, l’herméneutique de Calvin propose un cadre théorique àl’intérieur duquel ces lectures trouvent leur place.

Calvinisme et rabbinisme

Calvin n’hésitait pas à prêcher sur le Premier Testament pendant les cultes desemaine. Il prenait un livre biblique et le suivait du premier au dernier verset. Ilprêchait tous les jours pendant environ une heure. Les sermons du Réformateurgenevois les plus célèbres et les plus lus au XVIe siècle furent les 159prédications qui ont porté sur le livre de Job pendant plus d’un an. Cetattachement au Premier Testament repose sur la conviction que la Bible estparole de Dieu et qu’elle peut parler à tous à partir du moment où l’Esprit saintinspire la parole du prédicateur et l’écoute des auditeurs. Cette compréhensiondes Écritures se rapproche de la lecture rabbinique qui multiplie lesinterprétations.Une histoire du Talmud raconte qu’un jour Moïse a demandé à Dieu de pouvoirêtre projeté dans l’avenir. Il s’est retrouvé plusieurs siècles plus tard dans uneclasse animée par le grand maître rabbi Akiba. Moïse s’assied au fond de la classemais il ne comprend rien à ce qui est dit. Il se retourne vers Dieu et lui dit : «Regarde ce qu’ils ont fait de la Torah que tu m’as donnée… » Dieu répond : « Cesparoles t’échappent, elles ne t’appartiennent plus. Chaque génération les travaille

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pour les rendre concrètes dans son actualité. Si toi, tu ne les comprends pas, c’estque tu n’es pas dans la même situation que rabbi Akiba. » Calvin n’aurait peutêtre pas désapprouvé cette position.A. N.

Par Laure Salamon

« On participe à la marche dumonde »Jean-Paul Delain, 56 ans, médecin généraliste à Dieulefit dans la Drôme, estengagé dans l’humanitaire depuis vingt ans. Il part régulièrement en mission pourMédecins sans Frontières (MSF).

Vous intervenez comme médecin depuis vingt ans, où êtes-vous allé ?Ma première mission a eu lieu en Afghanistan. J’ai ensuite été en Afrique sur deszones de conflits : Liberia, Tchad, république démocratique du Congo… Àl’époque, j’exerçais en clinique et je partais en mission pour six mois ou plus.Depuis six ans, j’interviens sur des missions plus courtes car je travaille dans uncabinet médical.

Comment conciliez-vous votre activité dans un cabinet médical et vosmissions pour MSF ?Depuis vingt ans que je pars en mission régulièrement, j’ai constitué un réseau demédecins qui peuvent me remplacer assez rapidement. Sinon, mes collègues ducabinet me remplacent mais, vis-à-vis de mes patients, je ne peux plus mepermettre de m’absenter aussi longtemps qu’avant. Je pars maintenant sur desmissions de trois semaines ou un mois maximum, mais plus régulièrement deux à

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trois fois l’an. Mes patients comprennent bien et me posent des questions sur ceque j’ai fait dans tel ou tel pays.

Que faites-vous dans ces missions plus courtes ?Ce sont des missions exploratoires. Un médecin et un logisticien partent dès quecela s’impose (catastrophe naturelle, conflit…) afin d’établir un diagnostic de lasituation, faire l’état des lieux des populations touchées, des dégâts, des moyensd’intervention possible avec quel matériel, quel médicament, quelles actions àmettre en œuvre… J’ai ainsi été à Bam en Iran en 2003 après le tremblement deterre, au Sri Lanka en 2005 après le tsunami, à Gaza en Palestine en 2006… C’estparfois frustrant car au lieu de soigner, on écrit un rapport. Mais c’est à partir denos documents que l’aide humanitaire va s’organiser, les soins primaires,secondaires. Je suis parti pour le Liberia en 2006, dans une ville complètementpillée et malmenée par les rebelles. Les populations s’étaient réfugiées dans lesconcessions religieuses et les dispensaires. Nous nous sommes retrouvés coincésdans le même lieu. Il y avait des gens malades, blessés et je n’avais rien pour lessoigner.

Sentez-vous une évolution depuis vos débuts ?Lors de ma première mission en Afghanistan, on avait parcouru des kilomètres àpied avec des mules pour atteindre des villages. On prenait plus de risques pourfinalement moins d’efficacité. Mais les French Doctors avaient une autre image.On est aujourd’hui confronté à des problèmes de sécurité, il faut respecter desstandards plus stricts pour ne pas mettre les équipes en danger. Car l’étiquettehumanitaire ne nous protège plus, notamment sur les zones de conflit. Sur leterrain, le contexte géopolitique est plus flou. Dans un conflit compliqué, parmiles belligérants, les rebelles, les militaires, etc., notre visibilité n’est pas aussiévidente qu’avant. Par contre, ce qui ne change pas, c’est la confrontation avecune population touchée par un drame. Quand on arrive dans une région où lesgens ont tout perdu à cause d’une catastrophe naturelle, l’empathie globalesuscite une certaine sérénité portée par tous. C’est très différent dans un conflit.Le contexte est plus lourd, on est confronté à des drames humains de violencessexuelles, de massacres… C’est une charge émotionnelle plus difficile à vivre, ondoit se protéger. On est affecté par un tsunami, on reste profondément marquépar une fillette violée pendant une guerre.

Comment fait-on pour se protéger et supporter ces drames humains ?Il faut trouver un lieu d’écoute pour en parler. C’est une hygiène mentale, une

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toilette psychologique. Je fais appel à un psychothérapeute pour débriefer. On nepeut pas se permettre d’accumuler cela avant de repartir. Cela fait partie del’humanitaire, on le sait. Il faut se méfier du stress non visible car, chez certains,le traumatisme ressort plus tard sous forme d’angoisse, de cauchemars…

Pourquoi faites-vous cela ?C’est une ouverture extraordinaire sur le monde qui enrichit malgré tout, apportede la rigueur, une souplesse, de savoir s’adapter. On participe à la marche dumonde. Je n’aurais jamais pu être confronté à une fièvre de Marburg, à la prise encharge de victimes de violences sexuelles… si j’étais resté chez moi. Cela romptavec une routine. C’est aussi un apport pour mes pratiques. Sur le plan humain,on rencontre beaucoup de gens, on échange avec les collègues locaux. On vit desrelations patient/médecin inestimables qui sont différentes vu la situation et labarrière de la langue : un enfant que l’on remet sur pied, un grand-père que l’onaide à repartir… C’est une forme de reconnaissance qui nous fait oublierl’inconfort de la mission. Comme cette petite Afghane sur qui j’ai pratiqué mapremière amputation et qui m’a suivi après pendant quinze jours…

Par Laure Salamon

Des jeunes convaincusAu premier regard, cela ressemble à un festival de musique : des tentes, desjeunes, un soleil de plomb. Plus on se rapproche du lieu, plus les symboles de la

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Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se déclinent sous toutes les coutures : tee-shirts, bracelets, pin’s, brassards, autocollants… Bienvenue à Solférino, entreMilan et Vérone, en Italie, sur les lieux mêmes de la bataille historique de 1859durant laquelle Henri Dunant a jeté les bases du mouvement humanitaire (lire ci-contre). Plus de 4 000 représentants de 150 pays sont venus fêter les 150 ans dumouvement, se rencontrer, découvrir, partager, échanger à travers des ateliers,des conférences… et bien sûr faire la fête. Parmi eux, près de trois cents jeunesFrançais, répartis en trois groupes : élèves de quatrième, gagnants du concours «Mobilisez votre pouvoir d’humanité » en partenariat avec le ministère del’Éducation nationale. Les autres jeunes, plus âgés, sont soit des étudiants desinstituts régionaux de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge, soit desjeunes bénévoles de l’organisation.

Découvrir en s’amusant

« Pourquoi réunir des jeunes à Solférino ?Pour transmettre la mémoire, latradition de ce lieu aux futures générations, explique Jean-François Mattéi,président de la Croix-Rouge française. C’est un enjeu fort pour nous, car laprésence de la jeunesse, très importante auparavant, s’est diluée dans le temps.On souhaite relancer cette dynamique pour qu’ils puissent prendre en charge lemouvement. » Ainsi, entre jeudi et samedi, les jeunes ont-ils participé à diversateliers sur l’alimentation, les premiers secours, l’intervention d’urgence… Unedes activités les plus appréciées : le Raid-Cross. Pendant une heure et demi, lesjeunes ont pris conscience du droit international humanitaire, en devenant descombattants du Haddar pris en otage par des opposants du Deldar.À travers des ateliers, ils ont découvert les objectifs pour obtenir une guerre «propre ». Par exemple, en envoyant des balles sur des photos, ils ont compris laréglementation sur les cibles : interdiction de viser les monuments religieux ouhistoriques, les usines nucléaires ou les barrages, interdiction de tirer sur descivils, sur des combattants en train de porter secours à d’autres combattants…Dans un autre stand, les jeunes doivent faire parvenir l’aide humanitaire aprèsavoir franchi des obstacles, des attaques, passé le barrage de militaires véreux…« On voit mieux la réalité du terrain, cela donne envie de s’investir », témoigneJuliette, étudiante infirmière dans une école de la Croix-Rouge à Metz. Les troisjours de festivité se sont achevés avec la fiaccolata, grande marche auxflambeaux, entre Solférino et Castiglione. Sur le chemin même parcouru parHenri Dunant, 150 ans plus tôt, pour amener les blessés de la bataille dans le

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village voisin afin qu’ils y soient soignés. Beaucoup sont repartis avec lamotivation de s’engager à la Croix-Rouge ou de mener à bien leur projet.

Déclaration officielle après le 3e forum de la jeunesse

En marge de ces commémorations était organisé le troisième Forum de lajeunesse du mouvement. Des délégués de 150 sociétés nationales ont travailléentre mardi et vendredi sur des thématiques comme les différences hommes-femmes ou le suivi psychologique des victimes. « C’est le rendez-vous du donneret du recevoir, témoigne Kossi Kponye, président d’une section locale de la Croix-Rouge togolaise. Je suis là pour voir ce qui se fait ailleurs et apporter mes idées.J’ai découvert une méthode pédagogique pour enseigner les bases du secourismeaux enfants. » Rina Utani, ancien professeur, vient d’être embauchée par la Croix-Rouge indonésienne pour développer la section jeunesse, créée il y a un an. « EnFrance, les jeunes peuvent monter des groupes dans leurs établissements,devenir équipiers secouristes, ils peuvent organiser des collectes, expliqueCaroline Soubie, responsable jeunesse à la Croix-Rouge française. On organiseaussi tous les six mois une journée jeunesse qui permet d’échanger et de monterdes initiatives locales comme une soirée de prévention routière. » Les participantsau forum ont écrit une déclaration soumise officiellement à la Fédération et auCICR, le samedi. Naw Thein, étudiant birman, est fier d’avoir participé à cettedéclaration qui « défend la voix des jeunes dans ce mouvement afin d’êtreassociés aux décisions et de contribuer à rendre ce monde meilleur ». Ladéclaration sera présentée à Genève aux Nations unies et lors de l’Assembléegénérale de la Fédération internationale en novembre prochain.L. S.

Par Laure Salamon

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Racines protestantes de la Croix-RougeC’est un protestant calviniste de Genève qui est à l’origine de la Croix-Rouge etde ses principes.

En 1859, l’homme d’affaires suisse Henri Dunant cherche à rencontrer NapoléonIII pour lui demander l’autorisation d’investir en Algérie. Il se retrouve à Solférinoen Italie, au cœur de la bataille entre les Italiens, les Français et les Autrichiens.Près de 40 000 combattants sont morts ou blessés après seulement quinze heuresde combat. Devant ce spectacle de l’horreur et le manque de moyens pour veniren aide aux blessés, ce protestant calviniste, inspiré par des convictions desolidarité envers les autres, convainc les habitants de Solférino et du villagevoisin de transporter les blessés, de les soigner et de les prendre en charge dansl’église de Castiglione. À son retour à Genève, il écrit en 1862 Un souvenir deSolférino. Commerçant aisé, il finance lui-même l’édition et la diffusion gratuite àplusieurs millions d’exemplaires partout en Europe. Son livre a un échoretentissant, ce qui lui permet de faire aboutir son idée de société de secourspour apporter des soins aux blessés de guerre des camps adverses, directementsur le terrain, sur le principe de neutralité du sauveteur. En 1863, un Comitéinternational de secours aux blessés voit le jour, qui deviendra en 1875 le Comitéinternational de la Croix-Rouge (CICR), toujours d’actualité. Déjà à l’origine desUnions Chrétiennes des Jeunes Gens qui deviennent par la suite le mouvement dejeunes YMCA, Henri Dunant utilise son expérience de structure associative pourlancer celle de la Croix-Rouge.

Droit humanitaire international

À ses côtés, le général suisse Guillaume-Henri Dufour, les docteurs Appia etMaunoir, ainsi que l’avocat genevois descendant de protestants français GustaveMoynier. Ensemble, ils fondent le Comité des Cinq, à l’origine de la Conférenceinternationale des États aboutissant à la signature de la première convention deGenève en 1864. Cette convention pour l’amélioration du sort des combattantspose les bases de ce qui deviendra plus tard le droit international humanitaire.Ces conventions ont été complétées par celle de 1949, puis de 1977 et concernentaujourd’hui les combattants sur terre et sur mer, les prisonniers de guerre,

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personnes civiles, victimes de conflits armés internationaux et non internationaux.« La Croix-Rouge, association privée de droit suisse, devient l’acteur principal dece mouvement humanitaire du XIXe siècle, au début du XXe siècle, obtenant ainsiun statut à part d’auxiliaire des pouvoirs publics, reconnu par les États, expliquePhilippe Ryfman, enseignant-chercheur à l’université de Paris-I et consultant pourles ONG. Le système Croix-Rouge ne met pas en cause la souveraineté des États,elle ne peut intervenir qu’avec l’accord des belligérants. » La Croix-Rouge dontles sept principes – humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat,unité et universalité – sont encore les mêmes aujourd’hui, s’organise enmouvement (Fédération), en société nationale et développe le nom de Croissant-Rouge à partir de 1929 pour s’implanter dans les pays musulmans. Aujourd’hui, lemouvement rassemble 97 millions de volontaires dans 186 pays.L. S.

Par Alain Houziaux

Série « Les sept péchés capitaux »(3) : Une colère qui débordeManifestation de l’inconscient, la colère surgit quand quelque chose d’enracinéen nous sort de ses gonds. C’est alors notre liberté qui parle quand nous nous

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sentons pris au piège d’une situation ou enfermés par les autres.

Le grec a deux mots pour désigner la colère :– thymos, qui signifia d’abord « souffle »puis tout ce qui relève de la volonté etdes passions et, enfin, plus spécifiquement, la colère ;– cholè (d’où a été tiré colera, colère et aussi notre mot « choléra ») qui a désignéd’abord le fiel et la bile, puis la colère et la haine.On saisit ainsi l’ambivalence de la colère qui relève d’une part de la pulsion de vieet d’autre part de la haine.

On peut distinguer avec Descartes deux formes de colère : celle qui fait rougir etcelle qui fait pâlir. Celle qui fait rougir relève d’une émotion vive, maismomentanée. La colère est alors un mécanisme de défense. Elle réagit à desassauts qui portent sur la personne, sur le territoire (sur ces points, l’hommen’est pas très différent de l’animal). Il n’y a pas lieu de la craindre ni de lacondamner. En revanche, celle qui fait pâlir distille le venin d’un désir devengeance qui, comme chacun le sait, est un plat qui se mange froid. C’est sansdoute cette distinction entre colère brève et colère froide et durable qui a incitéPaul à écrire : « Si vous vous mettez en colère, ne pêchez point ; que le soleil nese couche pas sur votre colère et ne donnez par prise au diable. » (Ep 4,26).

La colère du « ça »La colère n’est pas toujours considérée comme un péché. Il y a, dit-on, de saintescolères. La colère a en effet été rapprochée d’une juste indignation, par exempledevant l’injustice. Ainsi Jésus chasse les marchands du Temple avec colère parcequ’il est animé par un « zèle » (Jn 2,17), c’est-à-dire une forme d’indignation.L’outrage qui suscite la colère porte alors sur des idées et idéaux que l’on défendet sur ce que l’on considère comme « sacré ».

Ainsi la plupart des théologiens ont voulu faire la différence entre la bonne colère(l’indignation et le « zèle » qui animent Jésus et les prophètes de l’AncienTestament) et la mauvaise (la pulsion agressive).Mais cette distinction me paraît bien vaine. Au fond, la colère des prophètes del’Ancien Testament et celle de Jésus chassant les marchands du temple sont-ellesvraiment d’une essence différente de celles de Caïn et du fils aîné de la paraboledu fils prodigue ? Ces derniers n’étaient-ils pas eux aussi indignés parce qu’ils se

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considéraient victimes d’une profonde injustice ?

Si nous voulons tenter de cerner au plus près la source de la colère, il nous fautsans doute cesser de faire des distinctions de nature morale et aller vers desconcepts plus psychologiques.

La colère, tout comme les rêves, les actes manqués… est un symptôme et unemanifestation de notre inconscient. Si, bien souvent, notre colère « déborde »sans que nous-même nous ne comprenions pourquoi, c’est parce que les mobilesinconscients qui la suscitent restent pour nous une énigme. Ils relèvent del’inconscient. C’est pourquoi la colère a été souvent considérée, à juste titre,comme une « courte folie ».

La colère jaillit parfois d’une blessure narcissique ou d’une frustration parrapport à notre désir despotique, ou d’une vexation par rapport à l’orgueil. Maiselle naît aussi, et peut-être même surtout, lorsque nous nous sentons enfermés,acculés et emprisonnés par l’autre et par les autres ou par la situation danslaquelle nous sommes « pris comme un rat ». La colère, c’est l’explosion de laliberté lorsqu’elle se sent encerclée et menacée. Elle naît d’une pulsion que l’onpeut qualifier de primaire et même de primitive. La colère jaillit de ce que Freudappelle le « ça ». Ce « ça » est un chaos, et c’est le réservoir premier de l’énergiepsychique. Il entre en conflit avec le « moi » et le « surmoi », mais c’estprincipalement lui qui est à l’origine de ce que vit le sujet. Groddeck (Le livre duça) ira jusqu’à dire : « L’homme est vécu par le “ça”. »

La colère et le sacréLa colère surgit lorsque l’on touche à ce qui est pour nous de l’ordre du sacré etdu tabou. Ces deux notions relèvent pour une part de l’inconscient, ou du moinsde l’irrationnel et de l’instinctif. Lorsque Zidane a donné son fameux coup deboule, c’était après cet échange avec Materazzi. Zidane l’apostrophe : « Si tu veuxmon maillot, je te le donnerai après. » Et Materazzi répond, semble t-il : « Jepréfère ta putain de sœur. » Or, dans l’univers de Zidane, la sœur, c’est sacré(quand bien même il n’aurait pas de sœur). En fait, c’est l’inconscient et le ça quiconstituent, bien plus que le surmoi, le levier d’ancrage et d’enracinement dusacré et aussi de la religion et de la foi.

C’est lorsque la colère s’enracine dans quelque chose qui est de l’ordre à la fois

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de l’inconscient et du sacré qu’elle peut être qualifiée de « sainte ». Celui qui semet alors en colère vit sa colère comme si elle était la colère des dieux eux-mêmes. Achille, qui était lui-même un demi-dieu, vivait sa colère comme lui étantdictée par les dieux. Et il en est de même pour Moïse lorsque, pris de colère, ilbrise les Tables de la Loi.

Apparemment, ce geste pourrait être considéré comme un sacrilège puisque cesTables viennent de lui être remises par Dieu. Mais en fait, il n’en est rien parceque, pour Moïse, sa colère est celle de Dieu lui-même. C’est au nom même deDieu qu’il brise les Tables de Dieu. De même, Job, lorsqu’il se met en colèrecontre Dieu, se sent investi de la vérité de Dieu. Il se révolte contre Dieu au nomde l’idée qu’il se fait de Dieu.

En fait, on le voit, la colère est une attitude prométhéenne. Elle s’insurge, au nomde la pulsion de vie, de l’instinct, de l’irrationnel et aussi d’une forme de sacré quis’oppose à toute mainmise, fût-elle celle de Dieu lui-même.

« Acting out »La colère est un acting out. Elle est un acte du Je dans ce qu’il a de pluspersonnel. C’est pourquoi il est difficile de la théoriser. On ne peut en tout cas pasl’expliquer en termes politiques, sociologiques, collectifs, rationnels. Ainsi lacolère des adolescents de banlieue (qu’ils expriment souvent en disant : « J’ai lahaine ») est en fait sans objet et peut-être même sans adversaire. Elle estl’expression d’une forme de ras-le-bol sans objet, d’angoisse sans objet, defrustration sans objet. Il ne faut pas hésiter à dire qu’elle est aussi de l’ordre de laviolence, mais d’une violence sans ennemi.

La colère est une forme d’autisme qui éclate à l’intérieur de lui-même, d’un trop-plein de « ça » qui déborde contre les discours lénifiants des bien-pensants detout poil, et aussi contre la surenchère des valeurs cool de l’amour, de laspiritualité et de la compassion. Elle naît de la solitude et du manque.

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Par Philippe Malidor

On nous michaeljacksonne !De cet acharnement à être ce que l’on n’est pas.

Un Éthiopien peut-il changer la couleur de sa peau, un léopard les taches de sonpelage ? » (Jr 13,23). Cette fausse question du prophète Jérémie m’est souventvenue à propos de Michael Jackson. « L’Éthiopien » de l’Indiana qui vient de nousquitter avait changé la couleur de sa peau. Et bien plus que cela.

Triste fin pour un chanteur qui, au propre et au figuré, ne se sera jamais sentibien dans sa peau. Ni noir ni blanc, ni homme ni femme, avec ce faciès étrange etmême effrayant qu’il s’était fait formater, ce visage au nez filiforme avec cettetexture de plastique qu’ont les personnages de dessins animés numériques,Michael Jackson avait un côté alien savamment cultivé. Ses opérationschirurgicales à répétition auront certainement contribué à son décès prématuré àcinquante ans.

Il était tellement dénaturé qu’on s’étonne d’apprendre qu’il avait des enfants,dont un fils – Prince Michael Jackson II – est né d’une mère porteuse inconnue(encore quelques séances de psychothérapie lourde en perspective…).Les accusations de pédophilie dont il était l’objet n’ont pas abouti, en partie àcause de cette étrange coutume américaine qui permet une transaction financièrepour arrêter les poursuites.

Ce qu’on sait moins, c’est que Michael Jackson était issu d’une famille dont lamère était Témoin de Jéhovah pratiquante. Difficile de dire combien cet héritageaura pesé sur celui qui avait commencé à se produire à l’âge de onze ans commemembre de la fratrie des Jackson Five. Entre cela, et l’autoritarisme musclé dupère qui traitait Michael de « gros nez », il semble que l’enfance n’ait jamais étédigérée. Raison de plus pour en entretenir, de manière démesurée et

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pathologique, une version Disneyland, ou plutôt Neverland, du nom de lapropriété où Jackson recevait de nombreux enfants dans des conditions pas trèsclaires.

Inquiétez-vous !

Mais revenons à notre argument initial. Ce qui restera emblématique de MichaelJackson, c’est cet acharnement à devenir ce qu’on n’est pas. En cela, Jackson estextrêmement moderne. Plus que quiconque, il avait les moyens financiers dedéfier le Créateur et cela pour des raisons peu ordinaires. Le jeune MichaelJackson, sans être beau, ne souffrait d’aucun handicap particulier. Il faut mêmepréciser que, dans la fratrie, c’est « gros nez » qui a connu le succès, et cela avanttoute opération de chirurgie « esthétique ». Il aura profondément souffert decette incapacité contemporaine à ne jamais être content de ce qu’on a ou de cequ’on est.Insatisfaction d’autant plus exacerbée que notre époque nous donne la puissanced’y remédier.

Lorsque Jésus dit : « Qui de vous peut, à force d’inquiétudes, prolonger sonexistence, ne serait-ce que de quelques instants ? »(Luc 12,25), si la réponse étaitévidemment « non » à son époque, elle devient « oui » aujourd’hui. Oui, quand jem’inquiète d’un symptôme persistant, je vais chez mon toubib, éventuellementchez un spécialiste, éventuellement à l’hôpital… et j’enraye une maladie quiaurait pu me tuer à brève échéance. Toutefois, comme le faisait remarquer AlainFinkielkraut, le comble chez Michael Jackson aura été la mort à cinquante ans dequelqu’un dont l’obsession aura été de tout faire pour ne pas mourir (phobie desmicrobes, caisson à oxygène…).

Notre technicité nous rend-elle service ? À l’évidence, oui, et toute personne aumonde qui a accès aux services, notamment médicaux, que la sociététechnicienne peut offrir ne s’en prive jamais.Cependant, la maîtrise accrue de notre devenir, si elle nous rassure, nous charged’un supplément d’angoisse. Ainsi, sans nous en rendre compte, nous sommestous « michaeljacksonisés », et certainement appelés à la simplicité et à la foiretrouvées, fussent-elles médicalisées…

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Par Alain Joly

Jésus ramené à sa seule humanitéMarc 6,1-6.

Après ses visites dans diverses contrées, juives et païennes, Jésus, escorté par sesdisciples, revenait chez lui, « dans son pays ». On aurait pu croire que les gens l’yaccueilleraient avec bienveillance et fierté, fêtant le retour du compatriote promuau rang de célébrité, car sa réputation l’avait précédée. Son autorité, la sagessede ses enseignements, les miracles accomplis pour les malades, en un mot sonétonnant succès populaire, n’étaient nullement remis en cause. Au contraire, sûrsde leurs réalités extraordinaires et indéniables, les habitants de Nazareths’interrogeaient sur le fait que ces actes fameux aient pu provenir de lui, et surl’envergure inattendue qu’il s’était acquis en quittant sa région d’origine : «N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José et deJudas et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas, ici, parmi nous ? » (v. 3). Quelleétroitesse de vue ! Il était charpentier, il devait le rester. Il appartenait à un clan,une famille, il n’en devait pas sortir. L’impensable était arrivé cependant : ilcommençait à leur échapper…Non que la profession de charpentier et la filiation familiale aient pu, pour Jésus,devenir sujet de honte : il leur répliquait bien plutôt que nul n’est prophète «parmi les gens de sa parenté et de sa maison » (v. 4), affirmation renouvelée qu’ilse sentait chez lui avec eux. Mais la déception était là : ses proches, amisd’enfance et de jeunesse, ou compatriotes de village, ne recevraient pas ce qu’ilétait devenu.Ce manque de foi, réticence à l’Amour qui les rejoignait pourtant, provoquaitl’empêchement pour Jésus d’accomplir des miracles. Ainsi, lorsqu’il n’y a plus dedisponibil ité à l ’Amour, l ’espérance de Dieu se heurte aux murs

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d’incompréhension et d’orgueil. La situation de ses retrouvailles manquéesrévèle, pour qui veut bien lire spirituellement les récits bibliques du parcoursterrestre de Jésus, l’ambitieuse volonté des hommes de la contrôler en luicommandant ce qu’il doit être pour eux.Il y a encore plus attristant : contesté en son identité jusqu’ici peut-êtreindéchiffrable et qui aurait dû provoquer la joie, Jésus était ramené à sa seulehumanité. Limités par leurs prétentions à le connaître, les habitants de Nazareths’empêchaient eux-mêmes de rencontrer le Fils de Dieu. Curieusement, Jésus futsurpris de cet accueil auquel il ne s’était pas attendu : « Il s’étonnait de leurmanque de foi. » (v. 6). Alors, contraint à une sorte d’exil, il se mit à parcourir lesvillages « à l’entour » pour y enseigner des auditoires réceptifs. Mais puisque sacompassion ne pouvait se trouver impuissante devant les souffrances desmalades, il en guérit quelques-uns, à Nazareth, « dans son pays », posant le signede l’Amour qui reviendrait un jour.

Décryptages

Plusieurs des manuscrits anciens de l’Évangile de Marc ont une traductiondifférente de l’interpellation des gens de Nazareth : « N’est-il pas, le charpentier,le fils de Marie ? » Comme on le lit dans l’Évangile de Matthieu, Jésus n’y est pasdésigné par son activité mais seulement par sa filiation, et la question devient : «N’est-il pas le fils du charpentier et de Marie ? » (Matthieu 13,55). Cetteremarque pourrait passer pour anodine. Mais il est clair que la reconnaissance deJésus n’est pas la même selon l’une ou l’autre version. Dans la première, que nousavons retenue, et qui est celle de la nouvelle Bible Segond, il est suggéré dansl’absence de la mention du père, soit que celui-ci est mort, soit que Jésus a unautre Père, celui qui, au baptême dans le Jourdain, fait entendre sa voix : « Tu esmon fils bien aimé… », événement que le lecteur de l’Évangile de Marc a déjà lu(chapitre 1,11). Dans la seconde interprétation, l’insistance porte sur laméconnaissance des contemporains de Jésus et l’indice que les origines du Christont été soigneusement cachées à ceux qui auraient donné à la mère un statutinfamant puisque l’enfant serait né… de père inconnu.A. J.

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Par Fanny Bijaoui

Fatiha Benatsou : Les portes de laRépubliqueFille d’émigrés kabyles, son parcours exemplaire lui a valu d’être nommée préfètedéléguée à l’égalité des chances pour le département du Val-d’Oise.

Ce 3 juin, Fatiha Benatsou était au volant de sa voiture quand elle a appris, par laradio, qu’une « nomination importante » avait eu lieu au Conseil des ministres.Songeuse, elle s’est arrêtée pour téléphoner à son frère qui lui a confirmé qu’elleétait bien la première préfète « issue de la diversité » nommée pour ledépartement du Val-d’Oise. Pétrifiée et profondément émue, Fatiha Benatsou atout de suite pensé à sa mère Djamila, décédée à l’âge de trente-deux ans, alorsqu’elle-même n’avait que quatorze ans. « Ce titre, je le lui dois. C’est elle qui m’adonné la force d’y croire. Elle m’a appris à être libre, à penser par moi-même et àne jamais me résigner. Elle m’a toujours dit : “Va à l’école, et tu sortiras dubidonville.” Cette phrase m’a hantée toute ma vie. Devenir préfet de laRépublique est le plus bel hommage que je pouvais lui rendre », sourit cette bellebrune devenue, à cinquante-deux ans, la première femme issue de l’immigrationnommée à une fonction préfectorale. Sous la houlette du ministère de l’Intérieur,elle travaille désormais aux côtés du préfet du Val-d’Oise, Paul-Henri Trollé.

Dans un taudis insalubre

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Si Fatiha a la réussite modeste, son parcours force l’admiration. Dans un ouvragesorti en février 2009, elle a raconté avec une grande pudeur son enfance difficiledans un bidonville d’Aulnay-sous-Bois, au nord de Paris. Elle y relate le taudisinsalubre où elle a vécu avec ses parents, émigrés kabyles, et ses sept frères etsœurs entassés dans quinze mètres carrés. Entourée de sa grand-mère Aïcha,brutalisée aux yeux de tous par un mari alcoolique, et de sa mère Djamila, lapetite fille juge cette soumission insupportable et se promet de ne jamaisconnaître une telle humiliation.« Notre cité était entourée d’une grille qui s’ouvrait rarement sur le mondeextérieur. Ma mère ne sortait de la maison que pour accoucher et elle a subi deplein fouet le milieu traditionnel. Un monde où les femmes n’avaient pas leur motà dire. Elle savait que pour elle c’était fini, mais elle me répétait : grâce à l’école,tu seras une femme libre. Quant à ma grand-mère, elle était soumise, mais je l’aivue se libérer de son bourreau à la fin de sa vie. Cela m’a donné du courage. »

Et il lui en a fallu de la ténacité pour s’opposer aux hommes de sa famille etrompre avec le poids des traditions. Retirée de l’école par son père à l’âge dequatorze ans pour s’occuper de ses sept frères et sœurs, elle parvient à reprendreses études en cours du soir et obtient son baccalauréat.À dix-huit ans, Fatiha se marie « pour l’honneur », mais trouve en cet épouxcompréhensif la clef qui lui permet de s’émanciper de sa famille. « À dix-neuf ans,enceinte de mon fils, j’ai réalisé que je voulais devenir quelqu’un et qu’il me fallaittravailler dur pour y arriver. »

Fatiha multiplie les petits boulots avant d’intégrer la société informatique Bull.Une reconnaissance sociale qui ne l’éloigne pas des valeurs d’humanisme et detolérance qui lui tiennent à cœur. « Après avoir travaillé plusieurs années dansdes grandes entreprises, j’ai souhaité intégrer la Sonacotra, foyers pourtravailleurs algériens migrants. J’ai ainsi pu renouer avec mes racines et devenirla voix de ses hommes déracinés. Au plus profond de moi, j’ai toujours eu envie defaire bouger les choses, cela m’a donc semblé normal de m’occuper de ceux quien avaient le plus besoin. »

Contre les discriminations

Convaincue que les études constituent le passeport pour une meilleure vie, Fatihareprend ses études à quarante ans et intègre l’École polytechnique féminine oùelle obtient un master d’organisation des entreprises. En 2003, elle est remarquée

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par le ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, qui larecrute dans son cabinet. Un poste qui lui permet d’œuvrer contre lesdiscriminations des jeunes et de parrainer des associations féminines dans le 93,là où elle est née.

En 2004, sa nomination « inattendue » au Conseil économique et social, parJacques Chirac, la remplit de fierté et lui permet de mesurer tout le cheminparcouru. Ses principaux chevaux de bataille concernent alors la lutte contre lesinjustices, l’exclusion, le droit des femmes et l’intégration.Cette nomination toute fraîche en tant que préfète (elle tient à l’appellation)déléguée à l’égalité des chances dans le Val-d’Oise, Fatiha la considère commeune chance de lutter contre les inégalités sociales. « Je vais aider les jeunes issusde quartiers sensibles, mais aussi les habitants des zones rurales qui ont desdifficultés financières, d’emploi ou d’éloignement. Bref, tous ceux qui ont lesentiment que la République ne s’occupe pas d’eux. Je serai d’autant plus à leurécoute que je suis moi-même sortie de ces difficultés et que j’ai la légitimitéd’intervenir auprès des institutions. Il ne s’agit pas de pleurer, mais d’agirconcrètement. »

Loin de renier sa condition de « femme issue de l’immigration », elle n’entend pasêtre réduite uniquement à cela et met en avant ses compétences. « Je suis trèsfière de représenter la République. Un mot qui signifie pour moi liberté, égalité,fraternité. Ces valeurs fondamentales ont été créées par des hommes qui venaientde toutes les régions de France et qui ont unifié le pays. Je suis moi-même née enFrance et mes souvenirs sont ici. »

Les « Trophées de la seconde chance »

Fatiha Benatsou n’envisage pas le statut de haut fonctionnaire commel’aboutissement de sa carrière, mais plutôt comme la suite d’un travail menédepuis trente ans sur les questions sociales, de citoyenneté et d’intégration. «J’espère modestement apporter mon expérience au sein de ce corps préfectoral etaider d’autres personnes à se dire : “C’est possible”. »

Du reste, elle l’a déjà fait en organisant pour la première fois, le 5 mai dernier, les« Trophées de la seconde chance ». Elle a ainsi récompensé des jeunes entre dix-huit et vingt-trois ans en situation d’échec scolaire, de rupture familiale, qui ontaujourd’hui un emploi et une place dans la société.

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Femme de terrain, Fatiha a déjà commencé son travail auprès de ceux quiconstruisent le département : élus, institutions et associations. Elle entend resterhumble et privilégier la proximité avec la population. « J’ai réalisé le rêve de mamère et j’ai transmis à mes deux enfants les valeurs d’humanisme et de tolérancechères à mon cœur. » Et de sourire : « On peut dire que j’ai pris l’escalier et nonl’ascenseur pour arriver là où j’en suis ! » Son prochain rêve ? Créer un ministèrede la rencontre et de la confiance…

À lire

Le Rêve de DjamilaFatiha BenatsouRobert Laffont191 p., 18 €.

Par Laure Salamon

La mue de l’humanitaireDes origines de la Croix-Rouge à la crise humanitaire au Darfour, 150 ans se sontécoulés. Comment est né le mouvement humanitaire ? Quelles évolutions a-t-ilvécues ? Où en est-il aujourd’hui ?

Oxfam, Save The Children, Action contre la Faim, Handicap International,Médecins sans Frontières (MSF), Médecins du Monde (MDM), Care… Autantd’organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans l’humanitaire quiinterviennent sur tous les continents, sur les zones de conflits, après des

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catastrophes naturelles comme en Asie du Sud-Est frappée par le tsunami endécembre 2004.

À l’origine de ce mouvement humanitaire, la Croix-Rouge qui fête les 150 ans desa création, cette année. « La Croix-Rouge a été l’acteur principal voire quasiunique de l’humanitaire de 1863 jusqu’aux guerres mondiales, explique PhilippeRyfman, enseignant-chercheur à l’université de Paris-I, avocat et consultant pourles ONG. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, les citoyens se mobilisent enEurope. Save the Children Fund est ainsi créée en Angleterre. Puis les premièresONG naissent pendant la Seconde Guerre mondiale : Oxfam en Angleterre en1942, puis l’américaine Care en 1945. »

Après 1945, les ONG se multiplient alors que le principe de neutralité de la Croix-Rouge lui a été suffisamment reproché. Celle-ci n’a pas pu intervenir dans lescamps de concentration et l’a accepté sans alerter l’opinion publique de ce qu’ellesavait. « Le grand tournant dans l’histoire du mouvement humanitaire, c’est laguerre du Biafra (1967-1970) qui voit des médecins en mission pour la Croix-Rouge comme Bernard Kouchner et Xavier Emmanuelli rompre leur engagementavec celle-ci pour pouvoir attirer l’opinion publique sur cette guerre », poursuitl’avocat.

Humanitaire moderne

Fin 1971, Médecins sans Frontières naît, l’organisation intervient sur les zones deconflit mais avec le souci de dénoncer les situations grâce aux médias. « Dans lesannées 1980, le mouvement des sans Frontières se développe par secteurd’activités : santé, handicap, soin à l’enfance… L’expertise technique est la mêmeque dans les ONG anglo-saxonnes mais la dénonciation médiatique reste unespécificité française », témoigne Rony Brauman, ancien président de MSF de1982 à 1994.

Le contexte de la guerre froide, puis l’effondrement du bloc soviétique et laréorganisation du monde géopolitique ont obligé le mouvement humanitaire às’adapter. « Certains pays de l’ancien bloc soviétique ont basculé, au début desannées 90 et au regard de certaines organisations internationales, dans le groupedes pays dits “du tiers-monde” », analyse l’anthropologue Laëtitia Atlani-Duault,maître de conférences à l’université Paris-X-Nanterre. L’arrivée d’Internet, ledéveloppement du transport aérien ont également joué un rôle dans l’évolution de

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l’humanitaire.

L’émergence de nouvelles forces économiques en Asie ou les attentats du 11septembre 2001 à New York ont encore transformé la géopolitique mondiale,provoquant les interventions en Afghanistan et en Irak et remettant en débat ledroit à l’ingérence dans l’humanitaire. « Dans les années 1980, des textes portantsur le devoir d’ingérence ont été défendus par certains humanitaires et hommespolitiques pour imposer le libre accès sur les terrains de conflit aux organisationshumanitaires », précise Philippe Ryfman. Une prise de position dénoncée par leCICR et la plupart des ONG.

Droit d’ingérence

Car, ces dernières années, plus personne ne peut agir sans l’accord de l’Étatconcerné. Ainsi les interventions extérieures ont été bloquées par legouvernement birman après le cyclone Nargis en 2008. « Nous ne défendons pasl’action forcée qui entraîne une crispation, mais on va plutôt négocier au cas parcas, explique Pierre Micheletti, de MDM. On a ainsi réussi à se faufiler avec MSFet d’autres ONG. »

Le président de Médecins du Monde dénonce aujourd’hui une crise du secteurdûe notamment à la confusion entre les différents acteurs. « En Afghanistan,entre les militaires des forces gouvernementales, les militaires en civil qui disentfaire de l’humanitaire, les armées privées, le personnel humanitaire d’ONGreconnues et indépendantes, celui de structures rattachées à des gouvernements,explique-t-il, à moins d’être anthropologue et afghan, on s’y perd. Idem en Irak.Dans ce contexte, la protection des humanitaires n’est plus garantie. »

Sans compter que, pour certains États, la présence des humanitaires occidentauxreste vécue comme une agression. Pour Rony Brauman, de MSF, « même sil’humanitaire vise à gérer des situations difficiles, le mouvement se porte plutôtbien si on observe les budgets, les personnes qui veulent s’engager… L’affaire del’Arche de Zoé est vraiment un écart d’amateurs un peu hystériques mais, si oncompare avec l’invasion américaine en Irak, hormis de forts degrés d’écart, ladémarche d’ingérence reste la même. Qui est-on pour s’octroyer le droit derégenter la vie des autres ? L’humanitaire se limite à apporter des moyens à despersonnes pour passer un cap. C’est un repère général, il s’adapte ensuite. Mais ilfaut le garder en tête car, en voulant faire le bien, on cherche à en faire toujours

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plus, et c’est là que l’on peut déraper vers l’ingérence. »

Aujourd’hui, la frontière entre humanitaire et aide au développement est parfoisdifficile à cerner. « Certaines organisations spécialistes de l’humanitaires’étendent au développement et certaines ONG de développement se retrouvent àintervenir sur les crises humanitaires », précise la chercheuse en anthropologiequi a travaillé pendant dix ans comme ethnologue dans différentes structures del’humanitaire et du développement. Les spécialistes s’accordent à souligner quel’humanitaire s’est professionnalisé. Les compétences exigées par les ONGhumanitaires ou de développement sont presque les mêmes sur le management,la recherche de fonds. Le personnel circule de plus en plus entre les ONG, lesorganisations internationales, les agences des Nations unies…

Résultat : contrairement aux associations anglo-saxonnes ou aux grandes ONGfrançaises, de plus petites associations refusent de se professionnaliser de peurde perdre leur engagement politique. Sans forcément parler de crise,l’humanitaire va devoir prendre en compte les paramètres économiques etpolitiques du XXIe siècle. Pierre Micheletti de MDM parle de sortir de l’équation «humanitaire = Occident » pour aller à la rencontre des autres cultures. L’avocatPhilippe Ryfman défend la même idée sous le terme de « planétarisation des ONG». Comment adapter les outils aux réalités locales ? Pour l’anthropologue LaëtitiaAtlani-Duault, « il n’y a pas de réponse universelle, cela dépend du contexte. Celanécessite une très bonne connaissance de l’histoire pour ne pas reproduire leserreurs du passé et un travail modeste d’analyse et d’invention sur le terrain afinde concevoir une autre manière de faire de l’humanitaire. »