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UNIVERSITE DE PAU ET DES PAYS DE LADOUR FACULTE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DE GESTION ECOLE DOCTORALE 481 SCIENCES SOCIALES ET HUMANITES Thèse de doctorat en droit public LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX EN DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARE L’EXEMPLE DE LOMBUDSMAN SPECIALISE PORTUGAIS, ESPAGNOL ET FRANÇAIS Présentée et soutenue publiquement par Dimitri LÖHRER Sous la direction de Monsieur le Professeur Olivier LECUCQ Membres du jury Monsieur Luís AGUIAR DE LUQUE, Professor Catedrático de Derecho Constitucional de la Universidad Carlos III de Madrid, rapporteur Monsieur Pierre BON, Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour Monsieur Denys DE BECHILLON, Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour Monsieur Olivier LECUCQ, Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour Monsieur Jorge MIRANDA, Professor Catedrático da Faculdade de Direito da Universidade de Lisboa Monsieur Didier RIBES, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, rapporteur Soutenue à Pau, le 5 juin 2013

LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS …

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FACULTE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DE GESTION
ECOLE DOCTORALE 481 SCIENCES SOCIALES ET HUMANITES
Thèse de doctorat en droit public
LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS
FONDAMENTAUX EN DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARE
L’EXEMPLE DE L’OMBUDSMAN SPECIALISE PORTUGAIS, ESPAGNOL ET FRANÇAIS
Présentée et soutenue publiquement par
Dimitri LÖHRER
Membres du jury
Monsieur Luís AGUIAR DE LUQUE,
Professor Catedrático de Derecho Constitucional de la Universidad Carlos III de Madrid, rapporteur
Monsieur Pierre BON,
Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour
Monsieur Denys DE BECHILLON,
Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour
Monsieur Olivier LECUCQ,
Professeur de droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour
Monsieur Jorge MIRANDA,
Professor Catedrático da Faculdade de Direito da Universidade de Lisboa
Monsieur Didier RIBES,
Soutenue à Pau, le 5 juin 2013
A la mémoire de mes grands-parents,
A ma grand-mère,
REMERCIEMENTS
J’adresse mes remerciements à Monsieur le professeur Olivier Lecucq, pour m’avoir
accordé sa confiance, pour sa patience et ses précieux conseils, ainsi que pour l’attention
toute particulière dont il a fait preuve à mon égard tout au long de cette recherche. Qu’il
reçoive ici l’expression de ma plus profonde gratitude.
Je veux profiter de ces quelques lignes pour remercier Monsieur le Défenseur du Peuple,
Enrique Múgica Herzog, ainsi que Monsieur Francisco Vírseda Barca sous l’autorité
desquels j’ai pu réaliser un stage de deux semaines au sein de l’institution du Défenseur du
Peuple espagnol.
Je tiens également à remercier Monsieur le Secrétaire général du Défenseur des droits
français, Richard Senghor, pour m’avoir accordé un entretien au sujet de l’institution
nouvellement mise en place.
Une pensée va vers ma famille, mes amis et à tous ceux qui ont partagé à un moment ou à un
autre et de diverses manières ces quatre années. Leur présence et leur soutien sans faille
m’ont aidé plus qu’ils ne peuvent le penser.
"L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation
aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur"
TABLE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
aff. : affaire
art. : article(s)
B.O.C. : Boletín oficial de las Cortes Generales
B.O.E. : Boletín oficial del Estado
B.O.M.J. : Bulletin officiel du ministère de la justice
Bull. civ. : Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation
Bull. euro. et int. : Bulletin européen et international
c. : contre
C.E. Ass : Conseil d’Etat, arrêt d’assemblée
C.E. Sect. : Conseil d’Etat, arrêt de section
C.E. : Conseil d’Etat
C.J.C.E. : Cour de justice des Communautés européennes
C.J.E.G. : Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz
C.J.U.E. : Cour de justice de l’Union européenne
C.N.C.D.H. : Commission nationale consultative des droits de l’homme
C.P.D.H. : Combats pour les droits de l’homme
C.R.D.F. : Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux
C.R.E.D.O.F. : Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux
CADA : Commission d’accès aux documents administratifs
Cass. Ass. plén. : Cour de cassation, Assemblée plénière
Cass. ch. mixte : Cour de cassation, chambre mixte
Cass. civ. : Cour de cassation, chambres civiles
Cass. crim. : Cour de cassation, chambre criminelle
Cass. soc. : Cour de cassation, chambre sociale
chron. : chronique
CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés
coll. : collection
concl. : conclusions
Coord. : Sous la coordination de
CSA : Conseil supérieur de l’audiovisuel
D. : Recueil Dalloz
D.A. : Droit administratif
doctr. : doctrine
éd. : édition
G.D.C.C.E. : Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes
Gaz. Pal. : Gazette du Palais
HALDE : Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité
J.C.P. A. : JurisClasseur périodique (La semaine juridique),
édition Administrations et Collectivités territoriales
J.C.P. G. : JurisClasseur périodique (La semaine juridique), édition générale
J.C.P. S. : JurisClasseur périodique (La semaine juridique), édition social
J.O. : Journal officiel
La Doc. fr. : La Documentation française
n° : numéro
not. : notamment
obs. : observations
par ex. : par exemple
R.C.G. : Revista de las Cortes Generales
R.D.E.S. : Revista de Direito e Estudos Sociais
R.D.H. : Revue des droits de l’homme
R.D.P. : Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger
R.D.S.S. : Revue de droit sanitaire et social
R.D.T. : Revue de droit du travail
R.E.A.L.A. : Revista de Estudios de la Administración Local y Autonómica
R.E.D.A. : Revista española de derecho administrativo
R.E.D.C. : Revista española de derecho constitucional
R.E.D.M : Revista española de derecho militar
R.E.P. : Revista de estudios políticos
R.E.T.D. : Revista española de derecho del trabajo
R.E.V.L. : Revista de estudios de la vida locale
R.F.A.P. : Revue française d’administration publique
R.F.D.A. : Revue française de droit administratif
R.F.D.C. : Revue française de droit constitutionnel
R.G.D. : Revista general del derecho
R.G.D.P. : Revue générale de droit processuel
R.I.D.C. : Revue internationale de droit comparé
R.I.D.E. : Revue internationale de droit économique
R.I.S.A. : Revista Argentina del Régimen de la Administración Pública
R.J. : Revista Jurídica
R.J.O. : Revue juridique de l’ouest
R.M.C.U.E : Revue du marché commun et de l’Union européenne
R.R.J. : Revue de la recherche juridique. Droit prospectif
R.S.C. : Revue de science criminelle
R.S.S.L : Revista de seguridad social y laboral
R.T.D. Civ. : Revue trimestrielle de droit civil
R.T.D.H. : Revue trimestrielle des droits de l’homme
R.U.D.H. : Revue universelle des droits de l’homme
R.V.A.P: Revista Vasca de administración pública
Rec. : Recueil des décisions du Conseil d’Etat ;
Recueil des décisions du Conseil constitutionnel ;
Recueil des décisions de la Cour de justice des Communautés européennes
(Cour de justice de l’Union européenne)
Rép. cont. adm : Répertoire du contentieux administratif Dalloz
req. : requête
S. : Sirey
spéc. : spécialement
ss. : suivant(e)s
th. : thèse
trad. : traduction
v. : voir
vol. : volume
TITRE I – L’INSUFFISANCE DU SYSTEME INSTITUTIONNEL CLASSIQUE DE
GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX
Chapitre 2 – Une insuffisance pourtant avérée
TITRE II – L’APPORT DE L’OMBUDSMAN SPECIALISE AU SYSTEME
INSTITUTIONNEL DE GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX
Chapitre 1 – Une institution spécialement aménagée pour la protection des droits
fondamentaux
Chapitre 2 – Une institution conçue pour compléter les mécanismes classiques de
garantie des droits fondamentaux
TITRE I – UNE CONSOLIDATION DES DROITS FONDAMENTAUX VARIABLE
Chapitre 1 – Une réussite incontestable au sein de la péninsule ibérique
Chapitre 2 – Une réussite sans doute plus mesurée en France
TITRE II – UNE CONSOLIDATION DES DROITS FONDAMENTAUX PERFECTIBLE
Chapitre 1 – Des voies de perfectionnement communes aux modèles ibérique et
français de l’ombudsman
Chapitre 2 – Des voies de perfectionnement propres à chaque modèle
« Chaque pays, à un instant donné, a l’ombudsman qu’il mérite »
Michel le Clainche
17
INTRODUCTION
1. « La persuasion à mon sens est beaucoup plus efficace que n’importe quelle
procédure autoritaire » 1 . A l’évidence, l’affirmation de Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel
de physique 1991, ne manque pas de surprendre. Contrairement à un acte d’autorité dont le
propre est d’imposer, par voie de commandement, une volonté à autrui, l’acte de persuasion,
parce qu’il consiste à obtenir quelque chose du persuadé sans recours à la contrainte, laisse, en
effet, celui-ci libre de suivre la conduite préconisée et, par conséquent, encourt le risque
permanent de demeurer sans effet. Surprenante, l’affirmation l’est d’autant plus dans le cadre
d’une étude juridique, a fortiori lorsque celle-ci a trait aux droits fondamentaux. Ainsi que le
rappelle le professeur Bénédicte Delaunay, les droits fondamentaux, selon la doctrine
allemande, « doivent être protégés par un système de recours à procédure contentieuse
susceptibles d’aboutir à des sanctions » 2 . Aussi leur effectivité est-elle généralement associée
à la protection offerte par les organes juridictionnels, dont la spécificité est de prononcer des
décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée s’imposant à leurs destinataires.
2. L’engouement contemporain pour les voies non juridictionnelles de garantie,
notamment dans le domaine des droits fondamentaux, impose pourtant de nuancer
sensiblement le propos. Privilégiant le recours à des mécanismes incitatifs de direction des
conduites pour remplir leur office, les instances de garantie non juridictionnelle se proposent
effectivement de garantir l’effectivité des droits et libertés par la voie du dialogue et de la
persuasion, c'est-à-dire en dehors de tout pouvoir coercitif. A ce titre, leur développement
attesterait d’une insuffisance de la protection juridictionnelle dont le caractère juridiquement
contraignant ne saurait être aussi efficace qu’une première approche peut le laisser penser. En
ce sens que la protection offerte par le juge, aussi indispensable soit-elle, ne permettrait pas
toujours, compte tenu, notamment, de son manque de souplesse, de garantir une protection
optimale des droits fondamentaux et, par conséquent, justifierait l’instauration d’organes de
garantie destinés à défendre les droits et libertés par le biais de moyens incitatifs. En mesure
1 P.-G. de Gennes, « La persuasion vaut mieux que toutes les procédures », L’Expansion management review,
Groupe expansion, Paris, décembre 1996, p. 102. 2 B. Delaunay, « Les protections non juridictionnelles des droits publics subjectifs des administrés », in Les
2 B. Delaunay, « Les protections non juridictionnelles des droits publics subjectifs des administrés », in Les
droits publics subjectifs des administrés. Actes du colloque organisé les 10 et 11 juin 2010 par l’Association
française pour la recherche de droit administratif au Pôle universitaire de gestion de l’université de Bordeaux,
2011, Litec, Paris, p. 211.
18
de combler certaines carences affectant les traditionnelles voies de recours, de tels organes
favoriseraient, en somme, l’émergence d’un système institutionnel de garantie des droits et
libertés complet et, partant, attesteraient du caractère incontournable de la protection non
juridictionnelle des droits fondamentaux au sein de nos systèmes juridiques contemporains.
3. Or, parmi ces différents organes, la figure de l’ombudsman spécialisé se présente
incontestablement, à ce jour, comme la forme de protection non juridictionnelle des droits et
libertés la plus aboutie. Spécialement aménagée pour assurer la défense des droits
fondamentaux, cette institution, dont les modalités d’intervention procèdent d’une philosophie
sensiblement différente de celle des autres instances, spécialement juridictionnelles, de
garantie, se propose, en effet, de répondre à des besoins que ces dernières ne sauraient
satisfaire. Aussi convient-il de se féliciter de la récente introduction du Défenseur des droits
au sein du système juridique français par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 3 .
Témoignant d’un regain d’actualité et d’intérêt pour cette forme de protection, la mise en
place d’un Défenseur des droits à compétence générale, en lieu et place d’un certain nombre
d’autorités administratives indépendantes disposant d’une seule compétence sectorielle, n’est
certes pas du goût de tout le monde. Elle n’en procède pas moins d’une volonté du constituant
de consolider le système institutionnel de garantie des droits et libertés. Dans ces conditions,
le choix de privilégier le modèle de l’ombudsman spécialisé en vue de rendre compte du
caractère actuellement incontournable de la protection non juridictionnelle des droits
fondamentaux s’impose sans trop d’hésitation.
4. Evidemment, le Défenseur français, en tant qu’institution émergente qui n’en est qu’à
ses balbutiements, n’offre pas un recul suffisant pour dégager des enseignements généraux au
sujet de la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux. C’est pourquoi l’apport de
ce mode de garantie aux droits et libertés ne saurait véritablement être appréhendé
indépendamment du recours à une démarche comparatiste. A ce titre, les exemples du
Provedor de Justiça portugais et du Défenseur du Peuple espagnol comme objets de
comparaison s’imposent, pour ainsi dire, d’eux-mêmes dès l’instant où, d’une part, le Portugal
et l’Espagne se présentent comme les pays précurseurs du mouvement de spécialisation de
l’ombudsman dans la protection des droits fondamentaux et, d’autre part, le Défenseur des
droits s’inspire expressément du modèle ibérique, spécialement espagnol, de l’human rights
ombudsman. La préférence donnée aux exemples ibériques se trouve, de surcroît, renforcée
par la raison d’être actuelle du Provedor de Justiça et du Défenseur du Peuple. A savoir que
les ombudsmen ibériques, s’ils répondent à un besoin historique, propre à la péninsule
ibérique, d’acclimatation des valeurs de l’Etat de droit à la sortie d’une longue période de
dictature, trouvent, à l’instar du Défenseur des droits, une justification contemporaine à
travers l’insuffisance des mécanismes classiques de garantie.
5. En somme, la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux telle que
proposée par l’ombudsman spécialisé, bien qu’elle ne saurait nécessairement être plus
3 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet de modernisation des institutions de la V
e République, J.O. du
19
efficace que les modes de direction autoritaire des conduites, présenterait, a minima, l’intérêt,
en France aussi bien que de l’autre côté des Pyrénées, de s’inscrire en complémentarité des
dispositifs juridiquement contraignants de garantie et, ce faisant, de contribuer à la
consolidation des droits et libertés consacrés par les normes de valeur supérieure.
6. Afin de poursuivre l’analyse plus avant, la recherche entreprise appelle une série
d’observations liminaires nécessaires à la compréhension de son objet (§ 1). L’objet de la
recherche déterminé, il conviendra d’exposer plus précisément les raisons qui justifient que
l’on s’intéresse, aujourd’hui, à ce sujet (§ 2), avant d’énoncer la problématique et le plan
retenus pour organiser les développements de l’étude (§ 3).
§ 1. L’objet de la recherche
7. L’objet de la recherche, d’une part, commande d’identifier la notion de protection non
juridictionnelle des droits fondamentaux telle qu’elle sera entendue dans le cadre de cette
étude (A), d’autre part, requiert quelques développements concernant la volonté de rendre
compte de cette forme de protection par le biais d’une démarche comparatiste (B).
A. La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux
8. Le concept de protection non juridictionnelle des droits fondamentaux appelle une
série de précisions, tout d’abord, quant à l’expression « droits fondamentaux » (1), ensuite, au
sujet de la notion de « protection non juridictionnelle » (2), enfin, vis-à-vis des contours de la
protection non juridictionnelle des droits fondamentaux (3).
1. La notion de « droits fondamentaux »
9. Relativement récente (a), l’expression « droits fondamentaux », désormais préférée à
celle de « libertés publiques » par de nombreux auteurs, suscite l’hésitation lorsqu’elle
demande à être expliquée. Outre que le recours au label « droit fondamental », en France à
tout le moins, n’emporte pas toujours l’adhésion 4 , l’ambiguïté de la notion de « droits
fondamentaux » se révèle effectivement propice à l’émergence d’approches doctrinales
diverses et variées, parmi lesquelles se doit toutefois d’être privilégiée l’approche
formelle (b).
4 En ce sens, le professeur Patrick Wachsmann a pu écrire, quelques années avant l’introduction de la question
prioritaire de constitutionnalité, il est vrai, que « le droit français actuel est encore loin d’avoir atteint la
''perfection'' qui est ainsi suggérée, de sorte que l’étiquette ''droits fondamentaux'' est largement usurpée et l’est
d’autant plus que ses promoteurs se refusent à assumer les conséquences que son emploi devrait comporter.
Ainsi, l’entreprise doctrinale dont il s’agit ici témoigne avant tout d’une certaine arrogance française –
paradoxale à plus d’un titre, puisqu’elle refoule ce que le système français a d’inachevé (le contrôle de
constitutionnalité des lois), tout en omettant de souligner, voire en désapprouvant, ce qu’il a de progressiste (le
contrôle de conventionnalité des lois). […] il est pour le moins prématuré de parler de droits fondamentaux en
France, à moins que cela ne soit pour indiquer le chemin qui reste à parcourir pour soutenir ce que ces termes
impliquent » (« L’importation de la notion de ''droits fondamentaux'' en France », R.U.D.H., 2004, p. 40).
20
a. Une émergence récente
10. Comptant parmi les « emblèmes majeurs de la culture politico-juridique des
démocraties européennes » 5 , la notion de « droits fondamentaux » n’en demeure pas moins
relativement récente. Apanage des Constitutions dites modernes, cette notion d’origine
allemande 6 , connaît au lendemain de la Seconde guerre mondiale un véritable succès, non
seulement auprès des systèmes internationaux et régionaux de garantie des droits de la
personne humaine 7 , mais également auprès des autres démocraties européennes.
Expressément réceptionnée par les Constitutions espagnole et portugaise 8 , l’expression se
révèle, en revanche, absente du texte constitutionnel français. Etrangère à la Constitution du 4
octobre 1958 et à son préambule 9 , l’expression n’est cependant pas ignorée par le droit positif
français. A la suite d’une promotion doctrinale des expériences étrangères à partir du milieu
des années 70 10
, la théorie des droits fondamentaux gagne, en effet, progressivement du
5 F. Moderne, « La notion de droit fondamental dans les traditions constitutionnelles des Etats membres de
l’Union européenne », in H. Labayle et F. Sudre (Dir.), Réalité et perspectives du droit communautaire des
droits fondamentaux, Némésis, Bruylant, coll. Droit et Justice, Bruxelles, 2000, p. 35. 6 Un premier emploi de l’expression peut être trouvé au sein de la section VI de la Constitution allemande du 28
mars 1849. Ce n’est toutefois qu’à l’occasion de l’adoption de la loi fondamentale du 23 mai 1949, dont les 19
premiers articles sont consacrés aux droits fondamentaux, que la notion s’enracine dans la doctrine et le système
juridique allemand (pour des études approfondies sur la notion allemande de droits fondamentaux, le lecteur
pourra utilement se référer à : R. Alexy, Theorie der Grundrechte, Baden-Baden, 1985 ; D. Capitant, Les effets
juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, th. dactylographiée, Université Panthéon-Sorbonne, Paris I,
1996 ; O. Jouanjan, « La théorie allemande des droits fondamentaux », A.J.D.A., 1998, n° spécial, p. 44 ;
Th. Meindl, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et
allemandes, L.G.D.J., Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, tome 112, Paris, 2003 ; D. Ribes,
L’Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux
entre personnes privées, th. dactylographiée, Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, 2005, pp. 46 et ss). 7 S’agissant des systèmes internationaux de garantie des droits et libertés, l’expression « droit fondamental »
apparaît dans le préambule de la Charte des Nations unies du 26 juin 1945 et à l’article 5 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Le préambule de la Déclaration universelle des droits
de l’homme du 10 décembre 1948, en revanche, préfère l’expression de « droits de l’homme et libertés
fondamentales ». A l’échelle régionale, cette dernière expression se retrouve au sein de la Convention
européenne du 4 novembre 1950, tandis que la formule « droit fondamentaux » est expressément consacrée par
le droit de l’Union européenne depuis l’adoption de la Charte des droits fondamentaux à Nice, le 7 décembre
2000, laquelle se trouve revêtue d’une portée juridique contraignante depuis l’entrée en vigueur, le 1 er
décembre
2009, du Traité de Lisbonne. 8 Qu’il s’agisse de l’Espagne ou du Portugal, le texte constitutionnel fait expressément référence à l’expression
« droits et devoirs fondamentaux », la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 au sein de son titre premier
et la Constitution portugaise du 2 avril 1976 au sein de sa première partie. 9 Tandis que l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 fait référence à la notion de « libertés publiques »,
le préambule du texte constitutionnel évoque, d’un côté, les droits de l’homme contenus dans la Déclaration de
1789 et, d’un autre côté, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes
particulièrement nécessaires à notre temps par renvoie au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. 10
La période est effectivement marquée par la multiplication d’études comparatistes faisant état des expériences
étrangères dans le domaine des droits fondamentaux (en ce sens, v. spéc. : A. Auer, « Les droits fondamentaux et
leur protection », Pouvoirs, 1987, n° 43, p. 87 ; P. Bon, « La protection constitutionnelle des droits
fondamentaux : aspects de droit comparé européen », in D. Maus et P. Bon (Dir.), La nouvelle république
brésilienne, Economica, P.U.A.M., coll. Droit public positif, Paris, 1991, p. 223 ; « Les droits et libertés en
Espagne. Eléments pour une théorie générale », in 10 ans de démocratie constitutionnelle en Espagne. Actes du
Colloque de Bordeaux, 29-30 mars 1990, Editions du C.N.R.S., coll. de la maison des pays ibériques, Paris,
1991, p. 35 ; M. Fromont, « Les droits fondamentaux dans l’ordre juridique de la République fédérale
allemande », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Editions Cujas, Paris, 1977, p. 490).
Parallèlement à ces contributions « isolées » s’ajoute l’organisation, les 19, 20 et 21 février 1981, d’un colloque
21
et, surtout, le Conseil constitutionnel 12
s’emparent, à
, de la notion.
11. Commune à l’ensemble des systèmes juridiques contemporains dont les fondements
reposent sur les valeurs de l’Etat de droit, la notion de « droits fondamentaux » n’en suscite
pas moins la controverse. Se réalisant dans une cacophonie souvent décourageante 14
, la
politique de dénomination des droits fondamentaux donne effectivement lieu à des définitions
diverses et variées, sans véritable lien entre elles si ce n’est leur objet. Parmi les différentes
acceptions des droits fondamentaux à l’œuvre, l’approche formelle peut toutefois être
préférée.
b. La préférence donnée à l’approche formelle des droits fondamentaux
12. Considéré par le professeur Nicolas Molfessis comme un label incontrôlé et rebelle à
toute systématisation 15
concordance entre les ''lignes de la Constitution'', les ''conclusions des théoriciens'' et les
''mots du juge'' » 16
, se révèle, de toute évidence, particulièrement délicat à appréhender. Ainsi,
le professeur Véronique Champeil-Desplats, à partir de l’exemple du système juridique
français, recense quatre types de définition de l’adjectif « fondamental » dans le langage de la
doctrine 17
.
international à Aix-en-Provence sur le thème de la protection des droits fondamentaux par les cours
constitutionnelles européennes (L. Favoreu (Dir.), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux,
Economica, P.U.A.M., coll. droit public positif, Paris, 1982). 11
Dès sa décision d’Assemblée du 26 septembre 1984, Lujambio Galdeano, le Conseil d’Etat contrôle,
conformément aux principes généraux du droit de l’extradition, le respect des droits et libertés fondamentaux de
la personne humaine par le système juridique de l’Etat requérant (C.E. Ass., 26 septembre 1986, Rec. p. 380 ;
R.F.D.A., 1985, p. 183, note H. Labayle ; A.J., 1984, p. 669, chron. J.-E. Schoettl et S. Hubac). 12
Après une première utilisation de l’adjectif « fondamental » dans sa décision du 16 janvier 1982 sur les
nationalisations (le Conseil constitutionnel affirme « le caractère fondamental du droit de propriété ». Cons.
const., décision 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, Rec. p. 18, J.O. du 17 janvier 1982,
p. 299), le Conseil constitutionnel emploie expressément la notion de « droit fondamental » lors de ses décisions
en dates du 22 janvier 1990 et du 13 août 1993 relatives aux droits des étrangers (Cons. const., décision 89-269
DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, Rec. p. 33,
J.O. du 24 janvier 1990, p. 972 et décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de
l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, Rec. p. 224, J.O. du 18
août 1993, p. 11722 ; R.F.D.C., 1993-15, p. 583, note L. Favoreu ; R.F.D.A., 1993, p. 871, note B. Genevois ;
R.D.P., 1994, p. 5, note F. Luchaire). 13
Le législateur s’empare de la notion à l’occasion de l’adoption de la loi du 22 juin 1982 relative aux droits et
obligations des locataires et des bailleurs (loi n° 82-526 du 22 juin 1982 dite Quilliot relative aux droits et
obligations des locataires et des bailleurs, J.O. du 23 juin 1982, p. 1967). Finalement abrogé en 1986 (loi n° 86-
1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements
sociaux et le développement de l'offre foncière, J.O. du 24 décembre 1986, p. 15531), l’article 1 er
de ce texte
qualifie de « droit fondamental » le droit à l’habitat. 14
A. Viala, « Droits fondamentaux (Garanties procédurales) », in D. Chagnollaud et G. Drago (Dir.),
Dictionnaire des droits fondamentaux, Dalloz, 2006, p. 293. 15
N. Molfessis, « Droit fondamental, un label incontrôlé », J.C.P. G., 2009, n° 25, p. 58. 16
M. Levinet, Théorie générale des droits et libertés, Bruylant, Collection droit et justice, Paris, 2 ème
éd., 2008,
p. 68. 17
V. Champeil-Desplats, « Les droits et libertés fondamentaux en France. Genèse d’une qualification », in
A. Lyon-Caen et P. Lokiec (Dir.), Droits fondamentaux et droit social, Dalloz, Paris, 2005, pp. 25-30 ; « la
notion de droit fondamental et le droit constitutionnel français », D, 1995, pp. 324-325.
22
et réceptionnée par une frange non
négligeable de la doctrine 20
, l’approche formelle repose sur une « fondamentalité »
hiérarchique consistant à qualifier de fondamentaux les droits et libertés justiciables inscrits
dans une norme de valeur supérieure, c'est-à-dire soit dans la Constitution, soit dans les
conventions internationales. Intimement liée au mouvement de constitutionnalisation et
d’internationalisation des droits, une telle acception exige que les droits fondamentaux soient
préservés contre toute violation en provenance, non seulement des autorités législatives et
réglementaires 21
. Revêtus d’un rang supralégislatif et
sanctionnés par un organe de contrôle, les droits fondamentaux se trouvent, ainsi, rendus
indisponibles 23
. En somme, la conception formelle des droits fondamentaux commande une
relation à quatre termes susceptible d’être résumée comme il suit : les droits fondamentaux
sont des permissions de valeur supralégislative conférant, aux personnes physiques et
morales, des droits et libertés subjectifs assortis d’une garantie juridictionnelle permettant de
les rendre opposables aux normes inférieures 24
. La notion de « droits fondamentaux »,
entendue dans son acception formelle, se distingue ainsi de celle, longtemps privilégiée, de
libertés publiques qui renvoie aux droits et libertés reconnus par le législateur et protégés
contre le seul pouvoir exécutif.
14. Or, une telle acception formelle des droits fondamentaux, généralement opposée à
l’approche matérielle 25
, peut être préférée à cette dernière. En effet, bien que la conception
18
Outre l’approche matérielle, le professeur Véronique Champeil-Despalts recense une conception structurelle,
selon laquelle « les droits ou principes fondamentaux sont […] ceux sans lesquels un système juridique, un sous-
système ou un élément du système perdrait non seulement sa cohérence, son mode de fonctionnement mais
surtout son existence spécifique, son identité » (« la notion de droit fondamental et le droit constitutionnel
français », D, 1995, p. 325) et une conception commune ou comparative, où le caractère fondamental des droits
et libertés est déduit des similitudes de qualification dans différents systèmes juridiques nationaux ou
internationaux (Ibid.). 19
Sur ce point, v. en part. : L. Favoreu, (Dir.) et alii, Droit constitutionnel, Précis Dalloz, Paris, 15 ème
éd., 2013,
pp. 865 et ss. ; « Rapport général introductif » in L. Favoreu (Dir.), Cours constitutionnelles européennes et
droits fondamentaux, op. cit., p. 41 ; « L’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel aux juridictions
administratives et judiciaires », R.F.D.C., 1990, p. 587 ; O. Pfersmann, « Esquisse d’une théorie des droits
fondamentaux », in L. Favoreu (Dir.) et alii, Droit des libertés fondamentales, Précis Dalloz, Paris, 6 ème
éd.,
2012, pp. 63 et ss. ; J. Pini, « Le droit à l’environnement, droit fondamental ? », Association française des
constitutionnalistes, deuxième Congrès français de droit constitutionnel, Bordeaux, 1993, p. 409 ; D. Ribes,
L’Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les effets des droits fondamentaux
entre personnes privées, op. cit., pp. 45-170. 20
Pour une réception de l’approche formelle des droits fondamentaux, v. not. : V. Barbé, Le rôle du Parlement
dans la protection des droits fondamentaux. Etude comparative : Allemagne, France, Royaume-Uni, L.G.D.J.,
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, tome 131, Paris, 2009, pp. 8 et ss. ; J.-J. Israël, Droit des
libertés fondamentales, L.G.D.J., 1998, Paris ; Th. Meindl, La notion de droit fondamental dans les
jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et allemandes, op. cit. 21
Sur ce point, v. par ex. E. Dreyer, « La fonction des droits fondamentaux dans l’ordre juridique », D., 2006,
p. 750. 22
En ce sens, v. not. D. Ribes, L’Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les
effets des droits fondamentaux entre personnes privées, op. cit. 23
M. Levinet, Théorie générale des droits et libertés, op. cit., p. 63. 24
En ce sens, v. spéc. O. Pfersmann, op. cit., p. 75. 25
Principalement défendue en France par le professeur Etienne Picard (« L’émergence des droits fondamentaux
en France », A.J.D.A., 1998, numéro spécial, p. 6 ; « Droits fondamentaux », in D. Alland et S. Rials (Dir.),
Dictionnaire de culture juridique, P.U.F., 2003, p. 547), la conception matérielle de la « fondamentalité », de
23
matérielle de la « fondamentalité » suscite un engouement doctrinal indiscutable 26
, deux
facteurs, directement liés à l’objet de l’étude entreprise, commandent d’écarter cette
conception.
15. En premier lieu, l’approche formelle demeure, dans le cadre d’une démarche
comparatiste, la seule à permettre « d’identifier les droits fondamentaux dans des contextes
juridiques, notamment constitutionnels, différents » 27
. En ce sens que, s’il existe un « fonds
commun de droits fondamentaux matériels en Europe » 28
, les différents systèmes juridiques
n’accordent pas nécessairement une signification identique au vocable « droit fondamental »,
si bien que, quand bien même les textes juridiques ou les juges nationaux établissent un
catalogue de droits fondamentaux, celui-ci varie nécessairement d’un Etat à l’autre 29
. Par
conséquent, « s’avère inappropriée, et en tout état de cause vouée à l’échec, l’entreprise qui
consisterait à établir la notion à partir de l’inventaire des droits qualifiés de droits
fondamentaux dans différents pays » 30
. Purement impossible, une telle approche des droits
fondamentaux ne saurait avoir cours en droit comparé. C’est pourquoi la conception formelle,
en tant qu’elle permet l’identification des droits fondamentaux en fonction de critères
objectifs, transposables à des systèmes juridiques différents, s’impose.
16. En second lieu, l’action de l’ombudsman spécialisé, si elle ne saurait nécessairement
se limiter à la seule défense des droits et libertés de valeur supralégislative, participe avant
tout d’un mouvement de consolidation des droits consacrés à l’échelon constitutionnel et
conventionnel 31
, c'est-à-dire ceux-là mêmes auxquels renvoie l’acception formelle.
type « jusnaturaliste », postule que les droits sont fondamentaux parce qu’ils défendent des valeurs morales
particulièrement importantes, indépendamment de leur reconnaissance comme tel dans le droit positif (en ce
sens, v. V. Champeil-Desplats, « Les droits et libertés fondamentaux en France. Genèse d’une qualification »,
op. cit., p. 26). En somme, ce qui importe, selon cette approche axiologique, n’est pas tant la place du droit ou de
la liberté considéré dans la hiérarchie des normes que son contenu. En ce sens que si les droits et libertés
qualifiés de fondamentaux font généralement l’objet d’une valorisation et se trouvent, à terme, consacrés dans
les normes de valeur supérieure (sur ce point, v. : V. Barbé, Le rôle du Parlement dans la protection des droits
fondamentaux. Etude comparative : Allemagne, France, Royaume-Uni, op. cit., p. 13 ; V. Champeil-Desplats,
op. cit., p. 27), seul leur essence, à savoir la défense de valeurs inhérentes à la dignité humaine, permet de
conclure ou non à leur « fondamentalité ». Ainsi, à la différence de la conception formelle des droits
fondamentaux, « un droit n’est pas fondamental parce qu’il est constitutionnel, il est constitutionnel parce qu’il
est fondamental et il peut être fondamental sans être constitutionnel » (D. Rousseau, « Droits fondamentaux », in
A.-J. Arnaud (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., Paris, 2 ème
éd.
refondue, 1993, p. 374). 26
Arnaud Lyon-Caen et Pascal Lokiec écrivent en ce sens : « cette acception axiologique des droits
fondamentaux, qui autorise à les reconnaître indépendamment de toute consécration constitutionnelle, participe
de la référence croissante des droits fondamentaux dans le discours doctrinal » (« Propos introductifs », in
A. Lyon-Caen et P. Lokiec (Dir.), Droits fondamentaux et droit social, op. cit., p. 2). 27
D. Ribes, L’Etat protecteur des droits fondamentaux. Recherche en droit comparé sur les effets des droits
fondamentaux entre personnes privées, op. cit., p. 50. 28
C. Grewe et H. Ruiz Fabri, Droits constitutionnels européens, P.U.F., coll. Droit fondamental, Paris, 1 ère
éd.,
1995, p. 158. 29
En ce sens, v. D. Ribes, op. cit., p. 47. 30
Ibid., p. 49. Dans un sens similaire, v. Th. Meindl, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et
doctrines constitutionnelles françaises et allemandes, op. cit., pp. 9 et ss. 31
Certes, en Espagne, la contribution du Défenseur du Peuple à la protection des droits conventionnels peut de
prime abord surprendre dès lors que l’article 54 de la Constitution semble lui assigner une mission de défense
des seuls droits et libertés constitutionnellement garantis (aux termes de l’article 54 « une loi organique
règlemente l'institution du Défenseur du peuple comme haut commissaire des Cortès générales, désigné par
24
17. Par conséquent, seront considérés comme fondamentaux les droits et libertés de valeur
supralégislative assortis d’une garantie juridictionnelle. En somme, l’ensemble des droits et
libertés inscrits dans la Constitution et dans les conventions internationales, et ce
indépendamment de leur qualification comme tel par les textes de référence.
2. La notion de « protection non juridictionnelle »
18. Action ou fait de soustraire quelqu'un ou quelque chose à un danger qui pourrait lui
nuire, la notion de protection, entendue dans son acception juridique, est susceptible de
prendre essentiellement deux formes : juridictionnelle et non juridictionnelle. Poursuivant une
mission similaire de résolution des différends en vue de rendre la justice, notamment dans le
domaine des droits fondamentaux, ces deux formes de garantie ne sauraient, pour autant, se
confondre. Au contraire, s’inscrivant en réaction aux insuffisances affectant la protection
offerte par le juge, le concept de « protection non juridictionnelle » peut être défini de façon
négative, c'est-à-dire par opposition à la fonction de juger. Les quelques propositions de
définition en ce sens laissent toutefois un léger goût d’inachevé. Rarement définie par le peu
d’études doctrinales consacrées aux mécanismes non juridictionnels de garantie 32
, la notion de
« protection non juridictionnelle », lorsqu’elle fait l’objet d’un effort de conceptualisation,
donne effectivement lieu à des définitions tautologiques. On songera, par exemple, à la
définition proposée par le professeur Bénédicte Delaunay selon laquelle les protections non
juridictionnelles constituent « des garanties destinées à défendre des droits par des moyens
non juridictionnels, c'est-à-dire en dehors de la fonction de juger des juridictions » 33
. De
toute évidence, une telle définition demeure insuffisante dès lors qu’elle se garde bien de
préciser ce qu’il faut entendre par « moyens non juridictionnels » et « fonction de juger ».
celles-ci pour la défense des droits inclus dans le présent titre »). Ce serait toutefois sans compter sur le fait que,
d’une part, il existe une influence réciproque et une vertu de complémentarité évidente entre les sources
internationales et les sources internes relatives aux droits fondamentaux (J. Andriantsimbazoniva,
« L’enrichissement de la protection des droits fondamentaux au niveau européen et au niveau national, vers un
contrôle de fondamentalité ? », R.F.D.A., 2002, p. 124) et, d’autre part, la Constitution espagnole consacre le
principe d’interprétation des droits et libertés constitutionnellement garantis conformément aux conventions
internationales applicables en la matière (En Espagne, l’article 10-2 de la Constitution dispose que « les normes
relatives aux droits fondamentaux et aux libertés reconnues par la Constitution doivent être interprétées
conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux traités et accords internationaux ratifiés
par l'Espagne en la matière »). Par ailleurs et surtout, le Défenseur du Peuple, à l’instar de ses homologues
portugais et français, non seulement aime à rappeler que les conventions internationales de garantie des droits de
l’homme constituent des sources à part entière de sa fonction de protection des droits fondamentaux, mais, de
surcroît, contribue activement à la promotion de ces mêmes droits à l’échelle internationale (Sur ces questions,
v. infra, n° 1101 et ss.). Ce faisant, les sources internationales des droits fondamentaux paraissent devoir être
nécessairement comprises dans le champ de la protection offerte par le Défenseur espagnol. 32
La plupart des études sur le sujet se contentent, en effet, d’une présentation des principaux mécanismes non
juridictionnels de garantie sans pour autant définir le concept de protection non juridictionnelle (en ce sens,
v. not. : J. Morand-Deviller, « Les mécanismes non juridictionnels de protection des droits », in L'effectivité des
droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone: colloque international, 29 et 30 septembre,
1er octobre 1993, AUPELF-UREF, p. 485 ; T. Takizawa, « Les contrôles juridictionnels et non juridictionnels »,
R.F.D.A., 1995, n° 73, p. 103 ; J. Tornos Mas, « Medios complementarios a la resolución jurisdiccional de los
conflictos administrativos », R.A.P., 1995, n° 136, p. 149). 33
B. Delaunay, « Les protections non juridictionnelles des droits publics subjectifs des administrés », op. cit.,
p. 212.
25
19. Prenant le contrepied, ne serait-ce qu’en raison de son appellation, de la protection
offerte par le juge, le concept de « protection non juridictionnelle » ne saurait, en réalité, être
appréhendé sans une définition préalable de la notion de juridiction 34
. « Est juge celui qui
juge » 35
. Redondante, la formule du professeur Georges Wiederkehr se doit d’être explicitée.
Pour ce faire, s’impose le postulat selon lequel « le statut ne fait pas le juge » 36
. Bien
qu’essentiel, dès l’instant où il s’attache à garantir l’indépendance et l’impartialité du juge,
qualités indispensables à l’exercice de sa fonction 37
, le statut ne saurait, en effet, constituer un
critère de définition suffisant de la notion de juridiction. « S’il en était autrement, tous les
juges devraient bénéficier du même statut ou, du moins, chaque juge aurait un statut et les
différents statuts du juge présenteraient d’importantes caractéristiques communes » 38
. Or, tel
n’est pas le cas en pratique. En France, par exemple, le statut des magistrats de la Cour de
cassation ou des conseillers d’Etat détonne par rapport à celui des magistrats du tribunal de
commerce ou des conseillers prud’homaux qui, d’une part, ne sont pas magistrats de carrière,
mais des commerçants, pour les premiers, des salariés et des employeurs, pour les seconds,
élus par leurs pairs, et, d’autre part, exercent leur fonction de juge à temps partiel. Le recours
au statut en tant que critère de définition de la notion de juridiction se révèle d’autant moins
heureux que la plupart des organes de protection non juridictionnelle présentent également
des qualités d’impartialité et d’indépendance. En conséquence de quoi définir le juge en
raison des éléments de son statut ne suffit pas pour distinguer la protection juridictionnelle de
la protection non juridictionnelle.
20. A la vérité, la notion de juridiction ne peut être comprise qu’à l’aune de deux éléments
complémentaires : d’un côté, la fonction de juger et, d’un autre côté, les pouvoirs et les
obligations qui sont ceux du juge dans l’exercice de cette tâche 39
. Il convient de préciser ces
deux points.
21. Dans la mesure où « le juge est une personne désignée comme tel pour exercer soit
seul, soit en collège la fonction de juger » 40
, il apparaît, en premier lieu, indispensable de
déterminer en quoi consiste la fonction de juger afin de savoir à qui l’on doit reconnaître la
qualité de juge 41
. Définie par Carré de Malberg comme la partie de l’activité de l’Etat se
34
Sur la notion de juridiction, le lecteur pourra utilement se référer à : R. Chapus, « Qu’est-ce qu’une
juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative », in Recueil d’études en hommage à Charles
Eisenmann, op. cit., p. 265 ; R. Kovar, « La notion de juridiction en droit européen », in Liber amicorum Jean
Waline, Gouverner, administrer, juger, Paris, Dalloz, 2002, p. 607 ; G. Wiederkehr, « Qu’est-ce qu’un juge ? »,
in Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Dalloz, Paris, 1995, p. 575. 35
G. Wiederkehr, op. cit., p. 577. 36
Ibid. 37
Ibid., p. 579. 38
Ibid., p. 577. 39
En ce sens, v. par ex. D. Connil, L’office du juge administratif et le temps, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque
des thèses, Paris, 2012.
G. Wiederkehr, op. cit., p. 575. 41
Ibid., pp. 575-576.
, la fonction juridictionnelle consiste à trancher des litiges sur la
base du droit avec autorité de la chose jugée en vue de donner au différend la solution
juridique qu’il réclame 43
. La fonction de juger postule, par conséquent, un acte d’autorité
obligatoire et définitif – le jugement 44
– dont le respect s’impose à ses destinataires 45
.
22. Inhérents à l’effectivité de cette fonction, les pouvoirs et les obligations du juge, en
second lieu, participent également de la définition du concept de juridiction. Ainsi, l’action du
juge s’exerce, non seulement dans le respect de formes particulières et d’une procédure
déterminée, faites de règles adaptées à la fonction juridictionnelle, en tête desquelles
l’instauration d’un débat contradictoire, mais également sur la base de prérogatives de nature
à rendre possible, d’une part, la vérification de la conformité à la règle de droit de l’action des
.
23. La notion de juridiction ainsi définie, il semble désormais envisageable de préciser les
contours du concept de « protection non juridictionnelle ». En effet, c’est précisément en
opposition à la fonction de juger, plus précisément à ses effets, ainsi qu’aux pouvoirs et
obligations juridictionnels inhérents à cette fonction que la protection non juridictionnelle se
doit d’être appréhendée. Conçue pour compléter la protection offerte par le juge, la protection
non juridictionnelle se distingue, en effet, en raison d’une fonction dont la finalité consiste
certes dans la résolution de conflits, mais dont les modalités d’exercice et les effets diffèrent
sensiblement de la garantie juridictionnelle. A la différence des organes juridictionnels, qui
« conduisent leurs investigations d’une manière contentieuse et concluent leurs enquêtes par
une appréciation juridiquement contraignante, à savoir un jugement » 47
, les organes non
juridictionnels se présentent comme des instances de surveillance, qui « ne délivrent pas de
jugements, mais seulement des rapports, recommandations, opinions etc. juridiquement non
contraignants » 48
. Il s’agit d’une forme de garantie privilégiant le recours à des mécanismes
incitatifs pour remplir son office, dont les interventions se caractérisent par la souplesse et
l’informalité et, en tout état de cause, n’aboutissent pas à l’édiction de décisions
42
Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome I, rapporté par M. Dran, Le contrôle
juridictionnel et la garantie des libertés publiques, L.G.D.J., Bibliothèque constitutionnelle et de science
politique, tome 32, Paris, 1968, p. 27. 43
Sur ce point, v. entre autres : D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les
litiges, L.G.D.J., Paris, 1994 ; D. Connil, op. cit., p. 18 ; A. Weber, Les mécanismes de contrôle non contentieux
du respect des droits de l’homme, th. dactylographiée, Université Robert Schuman, Strasbourg, 2006, pp. 25-26. 44
Ainsi que le fait remarquer le professeur Tadashi Takizawa, « le contrôle juridictionnel […] se solde par le
jugement d’un tribunal à la suite d’un recours formé devant lui » (« Les contrôles juridictionnels et non
juridictionnels », op. cit., p. 104). 45
En ce sens, v. not. S. Rials, « L’office du juge », Droits, 1989, n° 9, p. 3. 46
Sur ces questions, v. M. Dran, Le contrôle juridictionnel et la garantie des libertés publiques, op. cit., pp. 29 et
32. 47
A. Cassese, « Le contrôle international concernant les personnes privées de leur liberté », in Droit des
personnes privées de leur liberté, Egalité et non-discrimination, Actes du 7 ème
Colloque international sur la
Convention européenne des droits de l’homme, Editions Engel – Conseil de l’Europe, 1994, p. 61. 48
Ibid.
27
mais laissent, au contraire, à leurs
destinataires la liberté de s’y conformer.
24. Evidemment, d’aucuns n’ont manqué de faire valoir que certains contrôles non
juridictionnels donnent lieu à l’adoption de décisions juridiquement obligatoires 50
et, pour
protection contentieuse/non contentieuse 51
. La remarque n’a cependant pas véritablement lieu
d’être dans le cadre de cette recherche dans la mesure où l’ombudsman spécialisé, objet
privilégié de l’étude entreprise, se trouve, pour sa part, dépourvu de pouvoirs de contraintes.
Aussi l’expression « protection non juridictionnelle » peut-elle être préférée à celle de
« protection non contentieuse ». A plus forte raison que l’human rights ombudsman, s’il se
trouve dépourvu de pouvoirs de contrainte, dispose, en revanche, de prérogatives de saisine
du juge. Or, de telles prérogatives, si elles ne sauraient remettre en cause la nature non
juridictionnelle de l’activité de l’ombudsman 52
, étant donné que, lorsqu’il en use, ce dernier se
contente, en réalité, de transférer la prise de décision au juge, seul compétent pour prononcer
des décisions juridictionnelles revêtues d’une portée contraignante, conduisent les auteurs les
plus autorisés à affirmer que le contrôle opéré par l’ombudsman apparaît à certains égards
comme un contrôle semi-contentieux 53
. Il s’ensuit que le recours à l’expression « protection
non contentieuse », en lieu et place de celle de « protection non juridictionnelle », ne serait
pas des plus pertinents. Le concept de « protection non juridictionnelle » défini, reste à
déterminer à quelle réalité renvoie celui de « protection non juridictionnelle des droits
fondamentaux ».
3. Les contours de la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux
25. Suscitant un engouement indiscutable depuis quelques années, principalement quatre
formes de protections non juridictionnelles, auxquelles certains auteurs ajoutent les principes
49
En ce sens, v. B. Delaunay, L’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés.
Contribution à l’étude des réformes administratives entreprises depuis 1945, L.G.D.J., Paris, 1993, p. 627. 50
Il suffit de songer en France aux pouvoirs réglementaire et de sanction dont disposent certaines autorités
administratives indépendantes à l’instar de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, du Conseil
supérieur de l’audiovisuel ou, encore, de l’Autorité des marchés financiers. Ainsi, le Conseil supérieur de
l’audiovisuel jouit de la faculté de fixer des règles générales en matière de communication politique ou, encore,
de suspendre l’autorisation d’émettre d’une radio ne respectant pas ses obligations, tandis que l’Autorité des
marchés financiers est habilitée à infliger des sanctions financières. 51
C’est notamment le cas d’Anne Weber qui, dans le cadre d’une approche internationaliste des droits de
l’homme, considère que le flou entourant la dichotomie protection juridictionnelle/protection non juridictionnelle
« ainsi que l’émergence d’un contrôle particulier, qualifié de quasi-juridictionnel ou de parajuridictionnel, à mi-
chemin entre contrôle juridictionnel et contrôle non juridictionnel, amène à procéder à une subdivision à
l’intérieur de la catégorie des mécanismes non juridictionnels. La ligne de partage ne se situe en effet pas
forcément entre contrôle juridictionnel et contrôle non juridictionnel. Nous avons pour notre part retenu une
autre distinction […]. Cette dernière distinction revient de fait à opposer contrôle contentieux et contrôle non
contentieux, dichotomie que nous considérons comme la summa divisio en matière de contrôle du respect des
droits de l’homme » (Les mécanismes de contrôle non contentieux du respect des droits de l’homme, op. cit.,
pp. 31-32). 52
Sur ce point, v. A. Legrand, L’Ombudsman Scandinave. Etudes comparées sur le contrôle de l’administration,
L.G.D.J., Paris, 1970, p. 285. 53
Ibid., p. 283.
, peuvent, à ce jour, être
identifiées : les modes alternatifs de règlement des litiges 55
, la protection politico-
parlementaire, l’ombudsman, dont l’ombudsman spécialisé, ainsi que les autorités
administratives indépendantes et les ombudsmen sectoriels 56
.
26. Or, parmi ces différentes formes de protections non juridictionnelles, seules certaines
intéressent spécifiquement la problématique des droits fondamentaux. Aussi un effort de
délimitation des contours de la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux
s’impose. Tandis que l’objet « droits fondamentaux » conduit, en toute logique, à exclure les
protections non juridictionnelles qui lui sont étrangères (a), parmi celles spécialement
aménagées pour la protection des droits fondamentaux, l’exemple de l’ombudsman spécialisé
mérite d’être privilégié dans la mesure où il se présente, à ce jour, comme la forme la plus
aboutie (b).
54
Définies par le professeur Marcel Waline comme « l’ensemble des règles de forme et de procédure relatives à
l’élaboration de la décision exécutoire et dont le respect conditionne la validité de l’acte » (J. Waline, Droit
administratif, Précis Dalloz, Paris, 22 ème
éd., 2008, p. 392), les garanties offertes par la procédure administrative
non contentieuse, à l’instar du principe des droits de la défense, du droit à un examen effectif des demandes ou,
encore, du principe d’impartialité, sont, par exemple, considérées comme un mode de protection non
juridictionnelle des droits publics subjectifs des administrés par le professeur Bénédicte Delaunay (« Les
protections non juridictionnelles des droits publics subjectifs des administrés », op. cit., pp. 213-216). Or, bien
qu’elles interviennent, par définition, en marge, pour être plus précis en amont, de la protection offerte par le
juge, de telles garanties, réunies au sein Code de procédure administrative non contentieuse en Espagne (pour
une approche approfondie de la question, v. A.R. Brewer-Carias, Les principes de la procédure administrative
non contentieuse. Etudes de droit comparé [France, Espagne, Amérique Latine] , Economica, coll. Science et
droit administratifs, Paris, 1992), ne répondent pas à la définition de la protection non juridictionnelle retenue
dans le cadre de cette étude, à savoir, un mode de garantie juridiquement non contraignant privilégiant le recours
à des mécanismes incitatifs pour remplir son office et respectant, à ce titre, l’autonomie de la volonté. Se
distinguant en raison de leur caractère obligatoire, les principes protecteurs de la procédure administrative non
contentieuse s’imposent, en effet, à leurs destinataires qui n’ont d’autre choix que de s’y conformer sous peine
d’être condamnés par le juge. Revêtue d’un caractère obligatoire et contraignant, la procédure administrative non
contentieuse ne repose pas sur l’autonomie de la volonté. En revanche, il ne fait aucun doute que de tels
principes contribuent activement à la protection des droits subjectifs des administrés, et ce d’autant plus que le
droit positif se trouve marqué par une montée en puissance des principes d’information et de participation des
citoyens à l’élaboration des décisions qui les concernent (en ce sens, v. B. Delaunay, op. cit., p. 215). 55
Pour des études approfondies sur les modes alternatifs de règlement des litiges, v. principalement :
R.O. Bustillo Bolado, Convenios y contratos administrativos : transacción, arbitraje y terminación convencional
del procedimiento, Aranzadi, 2 ème
éd., 2004 ; L. Cadiet, E. Jeuland et T. Clay, Médiation et arbitrage :
alternative à la justice ou justice alternative ?, Litec, 2005 ; G. Cornu, « Les modes alternatifs de règlement des
conflits : rapport de synthèse », R.I.D.C., 1997, p. 313 ; F. Ducarouge, « Le juge administratif et les modes
alternatifs de règlement des conflits : transaction, médiation, conciliation et arbitrage en droit public français »,
R.F.D.A., 1996, p. 86 ; R. le Goff, « Les modes alternatifs de règlement, vers l’efficience juridique ? », J.C.P. A.,
25 juillet 2005, n° 1285 ; A. Lyon-Caen, « Les modes alternatifs de règlement des litiges », Petites affiches,
2000, n° 213, p. 54 ; « Les modes alternatifs de règlement des litiges en droit administratif », R.I.D.C., 1997,
p. 421 ; L. Richer, « Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit administratif », A.J.D.A., 1997,
p. 3 ; J.M. Bandrés Sánchez-Cruzat, « La solución extrajudicial de los conflictos con las administraciones
públicas », in Control jurisdiccional de la administración : Jueces para la democracia X Congreso : Zaragoza,
9, 10 y 11 de noviembre 1995, Cortes de Aragón, Zaragoza, 1996, p. 28 ; J. Tornos Mas, « Medios
complementarios a la resolución jurisdiccional de los conflictos administrativos », op. cit., p. 149. 56
Etant entendu que des recoupements existent entre ces différentes formes de protection non juridictionnelle.
Par exemple, l’ombudsman et les autorités administratives indépendantes sont régulièrement conduits à utiliser
les modes alternatifs de règlement des litiges pour mener à bien la fonction dont ils se trouvent investis (sur ce
point, v. not. B. Delaunay, op. cit., p. 213).
29
a. L’exclusion des formes de protection non juridictionnelle étrangères aux
droits fondamentaux
27. Conformément à la définition des droits fondamentaux retenue, sont seules
susceptibles de retenir l’attention dans le cadre de cette étude les formes de protection non
juridictionnelle dont la fonction consiste dans la défense des droits et libertés consacrés par
les normes les plus élevées de l’ordonnancement juridique. Ce faisant, se trouvent, par
définition, exclus du champ de la recherche, dans la mesure où leur objet premier ne réside
pas dans la protection des droits fondamentaux, d’une part, les modes alternatifs de règlement
des litiges et, d’autre part, les modèles d’ombudsmen dont la fonction consiste dans une
simple surveillance de l’administration. Encore que s’agissant de ces derniers l’exclusion ne
saurait être absolue.
28. Les modes alternatifs de règlement des litiges. Répondant à un objectif de
prévention des contentieux et de désengorgement des prétoires 57
, les modes alternatifs de
règlement des litiges peuvent être définis, avec le professeur Laurent Richer, comme des
modes de résolution des différends juridiques « qui ne peuvent être utilisés que si les parties y
consentent et qui aboutissent à une solution qui n'est pas imposée par l'une des parties » 58
. Il
s'agit de modes de règlement consentis et égalitaires, intervenant en dehors de la fonction
juridictionnelle des instances étatiques et permettant un règlement négocié et en équité des
litiges. Offrant des avantages indiscutables par rapport à la protection non juridictionnelle en
,
les modes alternatifs de règlements des litiges, parmi lesquelles il est possible de distinguer la
transaction 60
57
En ce sens, v. par ex. : C.E., Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière
administrative, La Doc. fr., coll. Etudes et Documents, Paris, 1993 ; B. Delaunay, op. cit., p. 221 ; L. Richer,
« Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit administratif », op. cit., p. 3. 58
L. Richer, « Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit administratif », op. cit., p. 4. 59
B. Delaunay, op. cit., p. 218. 60
La transaction est définie par l’article 2044 du Code civil comme « un contrat par lequel les parties terminent
une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Sur ce mode alternatif de règlement des litiges,
le lecteur pourra utilement se référer à : G. Chavrier, « Réflexion sur la transaction administrative », R.F.D.A.,
2000, p. 548 ; A. Lyon-Caen, « Sur la transaction en droit administratif », A.J.D.A., 1997, p. 48 ; J. González
Pérez, « La transacción en el Proyecto de Ley de la Jurisdicción Contencioso-Administrativa », R.A.P., 1998,
n° 145, p. 7. 61
La médiation consiste dans un processus de communication par le biais duquel les parties, grâce à l’entremise
d’un tiers, extérieur au litige, indépendant et impartial, élaborent d’un commun d’accord une solution en vue de
régler leur différend. Sur ce mode de résolution des litiges, v. entre autres : C.L. Alfonso Mellado, « La
mediación en el derecho positivo español », R.S.S.L., 1991, n° 8-9, p. 29 ; M. Guillaume-Hofnung, La médiation,
P.U.F., Que sais-je ?, 5 ème
éd., Paris, 2009 ; « La médiation », A.J.D.A., 1997, p. 30. 62
Si elle se différencie aisément de l’arbitrage, dans la mesure où le conciliateur, contrairement à l’arbitre, ne
détient pas un pouvoir de décision, la conciliation demeure, en revanche, difficile à distinguer de la médiation.
Bien que certains auteurs considèrent que les parties peuvent ne pas être assistées d’un tiers lorsqu’elles
recourent à la conciliation, la majorité de la doctrine estime, en effet, que la conciliation comporte, à l’instar de
la médiation, l’intervention d’un tiers indépendant et impartial (en ce sens, v. L. Richer, « Les modes alternatifs
de règlement des litiges et le droit administratif », op. cit., p. 6). Sur la conciliation, v. par ex. F. Munoz, « Pour
une logique de la conciliation », A.J.D.A., 1997, p. 41. 63
La multiplication des hypothèses de recours administratifs préalables obligatoires pourrait conduire à nuancer
le propos dès lors que l’usage de cette voie de droit ne repose plus sur le consentement des parties. Sous couvert
de cette précision, les recours administratifs peuvent être définis, avec le professeur Jean-Marie Auby, en
30
fondamentaux.
29. Certes, on admettra que les autorités non juridictionnelles spécialisées dans la
protection des droits fondamentaux recourent parfois aux modes alternatifs de règlement des
litiges pour mener à bien leur mission. Inversement, les modes alternatifs de résolution des
différends sont parfois amenés à connaître de conflits intéressant les droits de la personne
humaine. A ce titre, d’aucuns entrevoient dans les recours administratifs internes « un moyen
intéressant de défendre ses droits et ses libertés sans avoir obligatoirement recours au juge
administratif en l’occurrence […] » 65
.
30. Pourtant, de tels recours offerts par l’administration moderne, outre qu’ils n’ont pas
pour objet exclusif la défense des droits fondamentaux, ne permettent pas d’espérer une
garantie absolue de l’efficacité et de la rectitude de son action 66
. Tandis que le cloisonnement
excessif de l’appareil administratif alimente les suspicions quant à leur véritable impartialité,
leur efficacité s’avère très relative. Comme le relève le professeur Bénédicte Delaunay, « s’ils
présentent l’avantage d’être d’une mise en œuvre facile et de pouvoir être fondés sur des
motifs d’équité ou d’opportunité, ils offrent peu de garanties aux administrés. Ils sont
examinés en l’absence de tout formalisme par l’auteur de l’acte et, en toute hypothèse, ''un
administrateur, lié à l’organisation dont il fait partie, ne disposant pas toujours du recul
nécessaire, et parfois enclin à donner le pas aux considérations d’efficacité sur le strict
respect de la légalité '' ; ils ont une issue limitée par les principes régissant la disparition des
actes administratifs, et très aléatoire, l’autorité saisie n’étant même pas obligée de se
prononcer explicitement » 67
. Ce point de vue, partagé par une frange importante de la
doctrine 68
, conduit de toute évidence à écarter cette voie de droit du champ des garanties non
juridictionnelles des droits fondamentaux.
fonction de deux éléments. « Il s'agit d'abord de recours adressés à une autorité administrative, qui statue en
tant que telle, c'est-à-dire par acte administratif. Il s'agit encore de recours mettant en jeu la légalité ou
l'opportunité d'un acte juridique de l'administration » (« Les recours administratifs préalables », A.J.D.A., 1997,
p. 11). Pour des études approfondies sur les recours administratifs, v. en part. : J.-M. Auby, « Les recours
administratifs », A.J.D.A., 1955, p. 117 ; « Les recours administratifs préalables », op. cit., p. 10 ; J.-C. Bonichot,
« Le recours administratif préalable obligatoire, dinosaure juridique ou panacée administrative ? », in Mélanges
en l’honneur de Daniel Labetoulle, Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, Paris, 2007, p. 81 ;
A. Garcia, Le recours administratif préalable obligatoire, Mémoire de Master 2 droit public fondamental, Pau,
2007. 64
Etant entendu que si l’arbitrage répond bien à la définition de la notion de mode alternatif des règlements des
litiges proposées par Laurent Richer, ce mécanisme doit, toutefois, être exclu du champ de la protection non
juridictionnelle dans la mesure où l’arbitre, bien qu’il ne relève pas des instances juridictionnelles étatiques,
prononce des sentences revêtues de l’autorité de la chose jugée. A ce titre, le professeur Charles Jarrosson écrit :
« La mission juridictionnelle de l'arbitre ne suscite plus de réelles controverses, du moins quant à son principe.
La fonction de l'arbitre et celle du juge sont identiques. Seule diffère son origine » (La Notion d'arbitrage,
L.G.D.J., 1987, p. 101). 65
H. Oberdorff, Droits de l’homme et libertés fondamentales, L.G.D.J., Paris, 3 ème
éd., 2011, p. 210. 66
A. Bar Cendón, « El Defensor del Pueblo en el Ordenamiento juridico Español », in M. Ramirez, El desarollo
de la Constitucion española de 1978, Libros Pórtico, Zaragoza, 1982, p. 304. 67
B. Delaunay, L’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés. Contribution à l’étude des
réformes administratives entreprises depuis 1945, op. cit., p. 628. 68
V. en ce sens : D.G. Lavroff, « A propos d’une institution espagnole : le Défenseur du Peuple », in Etudes
offertes à Jean-Marie Auby, Dalloz, Paris, 1992, p. 546 ; A. Legrand, L’Ombudsman Scandinave. Etudes
31
31. Les ombudsmen en charge d’une simple fonction de surveillance de
l’administration. Institution apparue en Suède en 1809 69
, l’ombudsman, étymologiquement
, est le résultat d’un processus historique entamé
dès le début du XVIII ème
siècle. « Traduction suédoise du grand mouvement européen de
limitation des pouvoirs né du XVIIIe siècle » 71
, l’institution de l’ombudsman puise, en effet,
ses origines dans la figure du Konungenns Högsta Ombudsmännen.
32. Créé en 1713 par une ordonnance royale, cet organe était, à l’origine, un haut
mandataire du Roi chargé « d’exercer un contrôle général sur l’observation des ordonnances
et de surveiller si chacun, dans l’exercice de sa fonction, remplissait ses obligations » 72
. Il
s’agissait, en somme, d’un prolongement du pouvoir royal en charge de la surveillance de la
correcte application des directives du Roi par l’administration durant les absences prolongées
de celui-ci au sein du royaume en raison du conflit opposant la Suède à la Russie. Or, le
mouvement de limitation du pouvoir royal résultant de l’entrée de la Suède dans l’Ere de la
liberté à partir de 1720 s’est traduit par une reconfiguration progressive du Högsta
Ombudsmännen, renommé Justitiekansler, en mandataire du Parlement. Nommé, entre 1766
et 1772, par les corps représentatifs des quatre Etats et non plus par le Roi, le Justitiekansler
se rapproche ainsi du modèle contemporain de l’ombudsman, à savoir un représentant du
Parlement accessible aux citoyens aux fins que ces derniers se plaignent directement et
gratuitement auprès de lui d’illégalités ou de négligences commises par l’administration au
quotidien.
33. Le tournant définitif est finalement opéré sous le règne de Gustave IV, à la suite de la
révolution de 1809 éclaté en réaction à la restauration de la monarchie absolue par Gustave
III. Considéré comme une pièce maîtresse d’un nouvel équilibre des pouvoirs par les
constituants de 1809, le maintien de l’ombudsman apparaît effectivement comme une « chose
naturelle lors du passage de la monarchie absolue à la monarchie limitée » 73
. Et ce à plus
forte raison que les moyens de contrôle de l’activité du Roi et de l’administration, tant
comparées sur le contrôle de l’administration, op. cit., p. 3 ; A-S. Mescheriakoff, Recherches sur le contrôle non
juridictionnel de l’administration française, th. dactylographiée, Université des sciences juridiques, politiques et
sociales de Strasbourg, 1973, pp. 170 et ss. ; J. Morand-Deviller, « Les mécanismes non juridictionnels de
protection des droits », op. cit., p. 491 ; P. Verrier, « Le Médiateur », R.D.P., 1973, p. 947. 69
Sur l’ombudsman suédois, v. entre autres : C. Eklundh, « La experiencia del ombudsman sueco en la
actualidad », in Congreso internacional sobre la experiencia del ombudsman en la actualidad, Comisión
nacional de derechos humanos, Mexico, 1992, p. 105 ; K. Holmgren, « La protection des administrés en droit
suédois et la charge de l’Ombudsman », Dr. soc., 1969, p. 69 ; V. Jägerskïold, « The Swedish Ombudsman »,
Law review, University of Pennsylvania, 1961, p. 1077 ; A. Legrand, L’Ombudsman Scandinave. Etudes
comparées sur le contrôle de l’administration, op. cit. ; « L’ombudsman parlementaire suédois 1970 – 1990.
Une originalité persistante », R.F.A.P., 1992, n° 64, p. 575 ; « Ombudsmän nordiques et Défenseur des droits »,
R.F.A.P., 2011, p. 499 ; D.C. Rowat, El ombudsman en el mundo, trad. C. Giner de Grado, Teide, Barcelona,
1990. 70
Rapporté par J. Pelletier, « Vingt ans de médiation à la française », R.F.D.A., 1992, p. 599. Dans un sens
similaire, v. Gumersindo Guerra-Librero y Arroyo, « El ombudsman o defensor del ciudadano », R.E.V.L., 1977,
n° 196, p. 828 ; A. Mora, El libro del Defensor del Pueblo, Defensor del Pueblo, Madrid, 2003, p. 31. 71
A. Legrand, « L’ombudsman parlementaire suédois 1970 – 1990. Une originalité persistante », op. cit., p. 577 72
A. Legrand, L’Ombudsman scandinave. Etudes comparées sur le contrôle de l’administration, op. cit., p. 23 73
Ibid., p. 21
. En définitive, la
naissance de l’ombudsman se révèle être porteuse d’un paradoxe évident 75
: initialement
imagi