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LA PSYCHOPÉDAGOGIE, UNE AIDE ESSENTIELLE À LA SCOLARISATION DES ENFANTS EN DIFFICULTÉ Gilles Billotte Érès | « Contraste » 2015/2 N° 42 | pages 111 à 126 ISSN 1254-7689 ISBN 9782749242590 DOI 10.3917/cont.042.0111 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-contraste-2015-2-page-111.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 17/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Érès | Téléchargé le 17/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LA PSYCHOPÉDAGOGIE, UNE AIDE ESSENTIELLE À LA SCOLARISATIONDES ENFANTS EN DIFFICULTÉ

Gilles Billotte

Érès | « Contraste »

2015/2 N° 42 | pages 111 à 126 ISSN 1254-7689ISBN 9782749242590DOI 10.3917/cont.042.0111

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-contraste-2015-2-page-111.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Gilles Billotte, directeur pédagogique et administratif du CMPP de Saint-Ouen-l’Aumône,[email protected]

La psychopédagogie, une aide essentielle à la scolarisation

des enfants en difficulté

Gilles Billotte

RésuméNous nous proposons ici d’explorer une des dimensions de l’aide à la scolarisationà travers une réflexion sur la psychopédagogie telle qu’elle s’est développée dansles CMPP. Cette approche nous rappelle, à l’heure de la montée en puissance desapproches cognitivistes, que nous ne devons pas oublier qu’apprendre, dans l’espacespécifique de l’école, c’est d’abord se confronter à une culture. Pour un grandnombre d’enfants en difficulté scolaire, cette rencontre se transforme en un para-doxe qui les enferme dans une impasse génératrice de souffrance et de violence,quelquefois dans une identité singulière qui peut générer de l’exclusion.Nous essayerons de montrer, après avoir exploré les dimensions pédagogiques dece paradoxe, comment la psychopédagogie leur permet de desserrer l’étau en leuroffrant un espace de pensée que nous rapprocherons de l’espace potentiel définipar Winnicott. Nous soulignerons également en quoi une approche éthique de ladifficulté scolaire nous oblige à prendre l’école en compte, parfois à en prendresoin. Nous espérons qu’à travers cette réflexion nous pourrons montrer les pointsde convergence et de différence entre les CMPP et les CAMSP s’il le fallait encore.

Mots-clésHandicap, psychopédagogie, transmission, apprentissage, espace potentiel.

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Si la loi de 2005 a instauré un droit à la scolarisation pour tous, ellea aussi rappelé que la rencontre avec l’école ne relevait pas simple-ment de la transmission d’un savoir mais constituait une étape

importante dans la construction du sujet. Exclure de l’école reviendraitainsi à exclure du droit commun, d’une véritable socialisation, et prive-rait également le sujet d’une confrontation à la culture, étape essentielledans le processus d’accommodation à l’exigence collective. Les parentsd’enfants handicapés sont dès lors fondés à exiger l’application de cedroit comme garant de l’inclusion et de la bonne santé de leur enfant.

Pour autant, notre expérience, en CMPP et en SESSD pour ce qui meconcerne, nous apprend que cette confrontation vire parfois à la violencetant pour l’enfant que pour ses maîtres. Les consultations des CMPP

sont pleines de ces enfants en mal d’école que leur envoient des ensei-gnants désorientés. Les troubles tapageurs du comportement de certainsenfants ou l’inclusion d’enfants handicapés bien loin de l’élève dont ilsavaient rêvé viennent déstabiliser la pratique de leur métier. En l’absenced’une véritable équipe pédagogique, entendue comme espace de coopé-ration et de construction de liens (Billotte, 2002), cette déstabilisationgénère un mal-être professionnel qui tourne parfois à la souffrance.Celle-ci – je ne compte plus les réunions où j’ai vu pleurer des ensei-gnants – vient faire obstacle à l’expérience de la rencontre et rend parfoisimpossible l’entrée dans le savoir et la communauté des hommes. Ellemarque la violence d’une confrontation entre l’exigence collective etl’incapacité où est le sujet à y répondre, et signe l’absence d’espace depensée tant pour les enfants et leur famille que pour les enseignantsalors que l’on assiste à la disparition des RASED.

Les CMPP ont été créés à partir de ce constat qu’il fallait, pour cesenfants et pour leurs enseignants, réintroduire de la distance et de lapensée mais que l’école seule ne pouvait le faire. Il fallait à l’enfant unespace décentré où les choses puissent être reprises, un espace de reposoù il puisse développer sa pensée et retrouver une juste distance dansson rapport à la culture. Pour cela, il fallait pouvoir travailler tant ladynamique du sujet, son histoire, ses conflits que les processus d’ap-prentissage, et c’est cette exigence qui fut à l’origine du compagnonnage

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entre la pédagogie et la psychanalyse mais qui est aussi la source d’unmalentendu. En effet, ce double éclairage laisserait entendre que lapsychopédagogie pourrait être une pédagogie centrée sur l’intime, surle sujet, aux dépens de la socialisation et de l’entrée dans la culture.Cette question se pose d’autant plus à nous qu’elle semble s’opposer àun discours pédagogique qui, dans sa version orthodoxe, prétend quela pédagogie ne parle que de savoir à transmettre et de règles à respecter,que son objet est de l’ordre de ce qui unit et non de ce qui différencie,de l’ordre de la culture et du social. L’objet de la pédagogie serait exté-rieur au sujet, lui serait dans un premier temps étranger. Pour lestenants de ce discours, l’enfant ne serait pris en compte qu’en tantqu’objet à contraindre ou obstacle à franchir. La question posée à lapsychopédagogie est alors de savoir si la pédagogie est habilitée à nousparler du sujet et si les psychopédagogues ne seraient pas des ensei-gnants perdus. C’est une question ancienne mais qui pèse sur nous etexplique, pour partie, pourquoi l’Éducation nationale est amenée à sedésengager des CMPP. C’est un débat qui mena Socrate au tragique, luiqui fut accusé de corrompre la jeunesse en prétendant que c’est au plusintime que réside la puissance d’apprendre. Rappeler ici le destintragique de Socrate n’est pas qu’une coquetterie savante mais permetde souligner d’une part que cette question est ancienne et d’autre partqu’elle structure les positionnements éducatifs et pédagogiques. Sadimension passionnelle renvoie à des questions éthiques et moralesqui se déploient d’autant mieux que le terme de psychopédagogieemprunte à des origines diverses et ne s’appuie pas sur un corpus scien-tifique qui lui serait propre (Billotte, 2002). Nous y reviendrons, maispour mieux le comprendre, on pourra s’appuyer sur de nombreuxouvrages dont ceux de Gaston Mialaret (2004), Bertrand Ravon (2000)ou Georges Mauco (1975).

Mon ambition, ici, serait de montrer en quoi la psychopédagogie n’estpas une pédagogie de l’intime, comment elle gagne à étendre son travailà l’école et, chemin faisant, pourquoi elle est indispensable à l’aide àla scolarisation. Il nous faudra, au passage, dire quelques mots surl’école maternelle, lieu de scolarisation des jeunes enfants, et souligner

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l’importance du passage à la grande école comme temps de rupture.Mais pour ce faire, pour nous dégager du discours orthodoxe, il nousfaudra en premier lieu revenir à ce qu’est la pédagogie. Le lecteur,chemin faisant, en déduira peut-être que les CAMSP ou les SESSAD,comme Monsieur Jourdain, font de la psychopédagogie sans le savoir.La mise en évidence de ce trait d’union serait alors la meilleure expli-cation de la place de cet article dans cette revue-là.

Pour essayer de creuser notre sujet il nous faut en revenir à une défi-nition possible de la pédagogie. Classiquement, on s’appuie sur l’originedu terme pour rappeler que le pédagogue, dans l’Antiquité, est celuiqui accompagne l’enfant jusqu’au savoir. Par extension, on dira que lapédagogie est une science, un dispositif ou une méthode qui permetd’acquérir un savoir. Il s’agit donc pour elle de construire un chemin,mener au savoir est la grande question de la pédagogie. À ce stade dela définition, le consensus reste possible. Bien sûr, il y a ceux quiemprunteront le chemin à la vitesse du trekkeur, ceux qui se charge-ront lourdement de peur du danger ou encore ceux qui musarderont,et l’on pourra toujours débattre des rythmes, des difficultés du relief,de l’insouciance des uns et de la témérité des autres, mais la quêterestera la même pour chacun, une compréhension du monde quiouvre sur une place dans la communauté des hommes. Mais voilàqu’au-delà les chemins divergent entre ceux qui pensent nécessaired’indiquer la bonne direction, de baliser le chemin d’étape en étape,et ceux qui laissent à l’apprenant le soin de trouver la sienne quitte àle suivre de loin en loin pour lui éviter les dangers du ravin ou lesfausses pistes qui pourraient le perdre.

Le premier chemin est celui de la relation d’enseignement qui conçoitla pédagogie comme une science de la transmission. C’est le cheminde la pédagogie traditionnelle dont Jean Houssaye (2014) dit qu’ellevise à la transmission de modèles et d’identités. On la rencontre parti-culièrement dans les sociétés traditionnelles qui envisagent leur avenirà l’identique du présent et du passé et qui pensent que le destin del’homme ne lui appartient pas mais relève d’un dessein supérieur,religieux ou collectif qui doit lui être transmis et auquel il doit se

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soumettre. Le paradigme de la scène pédagogique traditionnelle est lecours en amphithéâtre où l’enseignant, le professeur, met en scèneson rapport au savoir. Il se pose comme celui qui détient une vérité etqui va la transmettre à l’apprenant qui n’a d’autre choix que de s’ysoumettre. Celui-ci, spectateur de la scène pédagogique, en constituele pôle exclu ; d’autres diront qu’il est sommé de faire le mort (Pourtoiset Mosconi, 2002). Le talent du jeu oratoire et la brillance de ladémonstration permettent de capter l’élève qui est invité à reproduirele modèle présenté par le professeur. Il apprend sa leçon, c’est unapprentissage par imitation. C’est une relation dont la violence aparfois été critiquée, notamment quand elle eut recours à la punition.Que l’élève s’y oppose, il s’y opposera nécessairement quand il sentirasa liberté entravée, et alors tous les risques seront possibles. C’est ceque nous montre la très belle pièce d’Eugène Ionesco (1950), La leçon,qui met en scène cette relation où la résistance de l’élève s’oppose à lavolonté de domination du précepteur. Elle les enserre dans une esca-lade symétrique où disparaît tout espace de pensée pour aboutir àl’échec de l’un et au passage à l’acte de l’autre. Soulignons ici que,bien souvent, la demande de projet personnalisé de scolarisation,l’appel à une AVS, la demande d’orientation, le conseil de discipline,voire l’exclusion, signent cette difficulté à penser et relèvent quelque-fois du passage à l’acte. Nous rêvons souvent de réintroduire de ladistance, cela s’avère possible quand il s’agit d’un appel à penser maisc’est malheureusement impossible quand on nous invite à médicaliserun passage à l’acte (Morel, 2014).

À ce stade, nous voyons que la pédagogie d’enseignement repose surle modèle et c’est pour cela qu’elle parle de leçons et de devoirs. Pourqu’elle soit acceptée, c’est sans doute ce qui échappe au précepteur deIonesco, elle doit être idéalisée. C’est lorsque le maître est acceptécomme modèle, comme idéal, que le travail de transmission de valeurscommunes et de surcroît d’unification du groupe peut se faire. On sesouvient que le projet républicain, porté par ceux que Charles Peguy(2013) avait nommés les hussards noirs de la République, les institu-teurs, devait unir les Français dans une même identité, quelle que soit

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leur origine. On pourrait faire ici l’hypothèse qu’une des sources dumalaise des enseignants tient à la perte de cet idéal, particulièrementdans les quartiers déshérités. Ils seraient comme le précepteur deIonesco, sans passion, démis de tout absolu, réduits à la violence de latransmission.

Puisqu’il s’agit d’unir en transmettant un idéal, la relation d’enseigne-ment ne laisse pas de place au singulier, elle renvoie même le singulieren dehors de l’école. La manifestation de toute identité particulière seracombattue. Hier les cultures régionales étaient maintenues à la porte del’école, les handicapés étaient relégués dans les asiles ou dans leur famille,et aujourd’hui les cultures émigrées ou religieuses n’y sont pas plusadmises. Toute forme de singularité est priée de rester au dehors, lescroyances au nom de la laïcité, et même les familles dont la participationà la vie scolaire reste marginale. On se souviendra que les classes spécialessont apparues quelques années après la création de l’école publique.Sous cet angle, on entrevoit peut-être mieux pourquoi l’école a du malà inclure et peut ressentir cette demande d’inclusion comme une injonc-tion paradoxale. On comprend également combien les enseignantspeuvent être en grande difficulté face à un élève qui ne veut ou ne peutidéaliser son maître. Il me revient, à chaque fois que j’évoque ce sujet, lesouvenir d’Ayman, garçon violent comme il m’a peu été donné d’enrencontrer, qui mit ma classe en danger plus d’une fois, mit en dangerma responsabilité et se mit lui-même en danger quand il se penchadans le vide depuis la porte d’un train. J’appris bien tard qu’il était prisentre deux modèles inconciliables, celui de son maître militant despédagogies actives et celui de son père dont les colères dévastaient l’ap-partement familial à tel point que ses repas se finissaient régulièrementsur le parking de sa cité. Par la suite, j’ai souvent pensé que le modèleque je lui proposais le mettait face à un choix impossible qui ne pouvaitque redoubler son agressivité. Si le groupe et les institutions de la classepermirent de tenir, il n’en fut pas de même au collège.

L’imposition d’un modèle et l’identification au groupe de pairs dansune identité culturelle commune invite l’enfant à renoncer à l’affir-mation de soi, à sa toute-puissance, à mettre de côté ses appartenances

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singulières en échange d’une place parmi les autres. Il s’agit d’uncontrat social porté par une pédagogie de l’interdit et de la trans-mission, brillamment décrit par Émile Durkheim (1968) et dont ilnous donne une définition dans Éducation et sociologie : « L’éducationest l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sontpas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et dedévelopper chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intel-lectuels et moraux que réclament de lui et la société dans son ensembleet le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. »

On retrouve dans cette définition les conditions qui donnent, selonles travaux de Durkheim, la possibilité à une société de durer dans letemps, le processus de cohésion facteur d’intégration et l’unité moralefacteur de régulation. L’enjeu est donc de taille mais repose sur uncontrat. L’acceptation de l’ordre collectif est payée en retour par uneplace dans la société. L’éducation et la pédagogie traditionnelle auraientdonc pour finalité de faire de l’individu un être social, c’est-à-direintégré dans la société et intégrant ses valeurs. La transmission devaleurs et de savoirs aurait une fonction sociale qui veillerait àcontraindre pour tenir à l’écart les tentatives d’affirmation de soi dèslors qu’elles s’opposeraient à l’intérêt collectif. C’est le rôle queDurkheim assigne à l’éducation et il écrit : « Le respect des règles dela morale induit un être de discipline. Qui dit discipline dit contraintematérielle. Or est-ce que toute contrainte n’est pas par définition uneviolence faite à la nature des choses ? » Le leitmotiv de Durkheim seraalors, et il nous ramène à notre sujet : « L’ensemble des règles moralesforme vraiment autour de chaque homme une sorte de barrière idéaleau pied de laquelle le flot des passions humaines vient mourir sanspouvoir aller plus loin. » Voilà le premier chemin, emprunté par denombreux pédagogues, sans doute par la majorité des enseignantspuisque c’est ce que leur demandent leur institution et la société elle-même : contraindre, désigner pour donner une place. Nous voyons làqu’il y a peu d’espace pour le désir du sujet, tout aussi peu pour celuide l’enseignant dont la passion est destinée à s’éteindre. Le psycho-pédagogue, dès lors qu’il se pencherait sur le singulier et qu’il voudrait

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ranimer la flamme du désir, s’exclurait de lui-même de la pédagogie,deviendrait un paria dans son propre pays. Ce fut, en particulier, ledestin de Célestin Freinet qui dut quitter l’Éducation nationale pourpoursuivre son projet de pédagogie active. Nous voilà alertés, le risqueest identifié, mais avant d’en tirer de trop vives conclusions, il nousfaut explorer le second chemin emprunté par la pédagogie.

C’est celui de l’apprentissage qui met l’enfant en relation directe avecle savoir, le pense capable de trouver le chemin de la connaissance parlui-même. C’est une pédagogie qui s’appuie sur le désir du sujet, voirele provoque. C’est une pédagogie du projet où l’adulte se met en retraitsoit en refusant toute intervention à la manière de Fernand Deligny,soit en se posant en recours comme Célestin Freinet, en garant commeFernand Oury, en figure paternelle comme Janusz Korczak, ou encoreen tuteur comme Niels, ou en soignant comme Zulliger. Sur une tellescène pédagogique, le maître refuse d’être un modèle, refuse de savoir,prend volontairement la place du mort, laisse l’enfant construire sonpropre savoir, donne la priorité à l’affirmation de soi. Il considère quechacun porte en soi la capacité d’apprendre et se pose en héritier deSocrate lorsque celui-ci affirmait : « L’éducation n’est point ce quecertains proclament qu’elle est ; ils prétendent en effet mettre la sciencedans l’âme, où elle n’est pas, comme on mettrait la vue dans les yeuxdes aveugles… Or toute âme a en elle cette faculté d’apprendre. » Lepoint commun de ces pédagogues, à la liste desquels on pourraitrajouter bien d’autres noms, est la passion, cet embrasement de l’âmeque nous a si bien décrit Stefan Zweig (1980) dans La confusion dessentiments, quand il fait dire à son étudiant à l’écoute de son profes-seur : « Quant à moi, je ne pouvais pas me remuer, j’étais commefrappé au cœur. Passionné que j’étais et capable seulement de saisir leschoses d’une manière passionnée, dans l’élan fougueux de tous messens, je venais pour la première fois de me sentir conquis par un maître,par un homme ; je venais de subir l’ascendant d’une puissance devantlaquelle c’était un devoir et une volupté de s’incliner. » La passion estau cœur de cette relation et fait répondre au professeur quand sonétudiant lui parle de travailler avec sérieux : « Non seulement avec

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sérieux mon garçon, mais surtout avec passion. Celui qui n’est paspassionné devient tout au plus un pédagogue. » Le point de désaccordavec la pédagogie traditionnelle est clairement identifié ; il donneralieu à de nombreux débats enflammés. Mais avant de nous laissergagner par la passion, il nous faut encore explorer ce que nous disentces pédagogues en nous appuyant sur un auteur contemporain qui aformulé explicitement ce qu’il entendait par apprentissage, Carl Rogers(1972). Nous l’avons choisi pour la clarté de ses écrits mais aussi parcequ’il a construit son approche de l’apprentissage à partir de son expé-rience de psychologue qui nous rapproche ainsi du soin. Carl Rogers,comme tout le courant humaniste, s’appuie sur une vision de l’hommelibre ou qui possède les moyens de s’émanciper du groupe social. Ainsinous dit-il : « Une des caractéristiques de mon client est de s’autoriserlibrement à être le processus changeant et libre qu’il est… En étantainsi il porte à son maximum le taux de changement et de croissancequi est en lui. Il découvre sans cesse qu’être entièrement soi-même,dans la fluidité, n’est pas synonyme d’être mauvais ou déchaîné. Aucontraire c’est ressentir avec une fierté grandissante qu’on est unmembre sensible, ouvert, réaliste, autonome, de l’espèce humaine, quis’adapte courageusement aux situations complexes et changeantes. »L’opposition à la pédagogie traditionnelle devient radicale ; pour unetelle approche le savoir ne se transmet pas. Il ne se construit pas ens’appuyant sur un modèle ou par identification aux autres mais entrouvant en soi les ressources nécessaires à la connaissance. Dès lors,Carl Rogers donne la définition suivante de l’apprentissage : « Parapprentissage authentique j’entends un apprentissage qui est plus quela simple accumulation de connaissances. C’est un apprentissage quiprovoque un changement dans la conduite de l’individu… dans sesattitudes et dans sa personnalité. » Rogers propose donc une pédagogiecentrée sur la personne et qui laisse entendre qu’apprendre est unprocessus intimement lié à la dynamique interne du sujet.

À ce point de notre réflexion nous pourrions penser que la psycho-pédagogie, en voulant ranimer le goût du savoir, se place du côté deRogers, de la non-directivité et des pédagogies actives, de Socrate ou

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de Rousseau. Elle postulerait que l’enfant est davantage perverti par lasociété que grandi par celle-ci. Elle pourrait faire sienne cette déclarationd’un pédagogue parfois oublié, Nicolaïevitch Tolstoï (Filloux, 1996) :« L’enfant sain paraît au monde en satisfaisant entièrement auxexigences de l’harmonie absolue entre le vrai, le beau et le bien quenous portons en nous. Il est très proche des êtres inanimés, de la plante,de l’animal, de la nature qui nous représente toujours cette vérité, cettebeauté et ce bien que nous cherchons et désirons. Dans tous les siècleset chez tous les peuples l’enfant est représenté sous l’emblème de l’in-nocence, de la pureté, du bien, de la vérité et de la beauté. L’hommenaît parfait. C’est le grand mot dit par Rousseau et cette parole resteravraie et ferme comme un roc. En apparaissant au monde, l’hommereprésente l’harmonie de la vérité, de la beauté et du bien. » La tentationest grande de s’éloigner d’une forme de violence pédagogique pour serapprocher d’une forme de liberté, de se réfugier dans une neutralitéqui évite de désigner une place. Mais faire ce choix oblige à un renon-cement et à un oubli : renoncement à la demande d’aide à s’insérerparmi les hommes et oubli qu’il existe des désirs inavouables, deuxchoses auxquelles le soignant, comme le pédagogue, est souventconfronté, particulièrement avec les enfants en difficulté.

Nous voilà donc pris entre deux choix contraires où s’affrontent deuxantagonismes, la transmission et l’apprentissage, l’autorité et la liberté.L’enfant et sa famille y sont pris eux-mêmes. Doivent-ils se soumettreà une pédagogie de l’enseignement ou doivent-ils se révolter commel’élève de Ionesco au destin socratique ? Et quelle peut être la réponsedu psychopédagogue quand le premier choix lui interdit de se pencherau pied de son jeune patient et le second le place sous la menace dubannissement ? Serions-nous partis d’une question pour finir dans lepiège d’un paradoxe ? La question devient donc, et elle nous permetd’entrevoir notre problématique sous un angle différent, commentaider l’enfant et sa famille à se dégager de ce paradoxe et quel peutêtre le rôle du psychopédagogue ? Hannah Arendt (1961) a illustré ceparadoxe humain à partir d’un texte de Kafka qui peut nous permettrede répondre à notre questionnement. Voici ce qu’elle nous dit : « Il y

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a deux antagonistes : le premier le pousse de derrière, depuis l’origine ;le second barre la route devant lui. Il se bat avec les deux. Certes lepremier le soutient dans son combat avec le second car il veut lepousser en avant et de même le second le pousse en arrière. Mais iln’en est ainsi que théoriquement. Car il n’y a pas seulement les deuxantagonistes en présence mais aussi encore lui-même, et qui connaîtréellement ses intentions ? Son rêve, cependant, est qu’une fois dansun moment d’inadvertance – et il y faudrait assurément une nuit plussombre qu’il n’y en eut jamais – il quitte d’un saut la ligne de combatet qu’il soit élevé, à cause de son expérience du combat, à la positiond’arbitre sur ses antagonistes dans leur combat l’un contre l’autre. »L’enfant, et particulièrement celui qui vient dans nos institutions, estdans une brèche. Que son désir et ses pulsions soient trop grands outrop mal contrôlés et alors ils envahissent tout, rendent la socialisationimpossible, l’entrée à l’école périlleuse. Le risque encouru, nous leconnaissons bien dans nos institutions, est celui de la stigmatisation,de la relégation dans des dispositifs singuliers, voire de la marginalisa-tion. À l’inverse, que la contrainte soit trop grande ou trop exigeante,on le voit parfois dans les situations de handicap ou de retard scolaire,et alors l’enfant court le risque de l’inhibition, du renoncement, del’incapacité d’apprendre. Lutter contre chacune de ces exigences, l’exi-gence pulsionnelle et l’exigence sociale, mène à l’épuisement et celui-ci guette tout autant le psychopédagogue. Si nous suivons laproposition de Hannah Arendt, il nous faut donc aider l’enfant às’extraire de la brèche en prenant de la hauteur. Le travail du psycho-pédagogue est peut-être là, c’est du moins l’hypothèse que nousvoudrions proposer à la réflexion, aider à prendre de la hauteur enpensant les antagonismes. Or penser les contraires est la fonction desmythes qui permettent de concevoir l’inconciliable. Il n’est donc pasétonnant que le premier outil du psychopédagogue soit le récit. Penserles contraires est d’autant plus important que notre société, bousculéepar les transformations du monde, tient un discours de plus en plusparadoxal aux jeunes générations. D’un côté elle les invite à être eux-mêmes, libres et autonomes, elle flatte même leurs désirs, et de l’autre

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elle leur impose le contrôle et l’uniformité par le rejet du singulier.L’augmentation des files d’attente dans les CMPP tient peut-être à l’ac-centuation du paradoxe dans nos sociétés en crise.

Si le travail du psychopédagogue consiste à se glisser dans la brèchepour l’élargir et créer un espace de pensée, alors l’espace psychopédago-gique peut être rapproché de ce que Winnicott (1971) définissait commeune aire intermédiaire, « un espace potentiel » ou encore « un endroitoù se reposer » et sans doute plus intéressant pour nous « la localisationde l’expérience culturelle ». Winnicott définira également l’aire transi-tionnelle comme « lieu possible d’une expérience partagée », commezone tampon entre la réalité intérieure et la réalité extérieure. La psycho-pédagogie n’aurait donc pas à choisir son camp entre apprentissage etenseignement, entre l’école et le soin, mais aurait à se glisser dans labrèche pour aider l’enfant, sa famille et l’école en tant que représentantede l’exigence sociale à élargir, selon les termes de Winnicott : « Une airede compromis à laquelle on ne demande rien d’autre que d’exister entant que lieu de repos pour l’individu engagé dans cette tâche humaineinterminable qui consiste à maintenir à la fois séparées et reliées l’une àl’autre, réalité intérieure et réalité extérieure. » Mais le psychopédagogue,seul, ne saurait y parvenir car il sera très vite confronté aux exigences del’école et envahi par la demande de l’enfant, sa plainte, sa souffrance.Les enseignants spécialisés des réseaux d’aides spécialisées connaissentcet envahissement qui devient vite empêchement et savent se tournervers nous. Car le psychopédagogue, pour pouvoir construire cet espacepotentiel qui doit devenir son espace de travail et celui de l’enfant, abesoin d’une mise à distance de l’école, parfois de la famille, mais abesoin aussi de ne pas se laisser prendre dans l’emprise de la relation. Illui faut donc un espace symbolique particulier qui prendra la formed’un lieu, d’une institution et d’une équipe sur laquelle les enjeuxpsychiques pourront se diffracter. L’institution et l’équipe pluridiscipli-naire sont donc les conditions à la mise en place de ce travail et de celieu qui nécessitent une juste distance sans quoi, pour reprendre laformule de Hannah Arendt, cette expérience ne se fera que par inadver-tance alors qu’elle doit s’installer dans la durée.

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À ce point de notre réflexion nous avons un peu avancé sur ce quepourrait être la psychopédagogie, ni pédagogie active prenant fait etcause pour le sujet, ni rééducation pédagogique qui ne verrait que lesymptôme, mais accompagnement de la pensée par la création d’unespace d’expérience culturelle. De ce point de vue, nous pouvonsadmettre que cette fonction peut être tenue par d’autres professionnelsque des enseignants spécialisés, mais nous voyons bien en quoi ceux-là sont particulièrement bien placés pour tenir ce rôle. On notera icique cette proposition reprend une idée déjà défendue avant nous dansles CMPP et en particulier par Serge Boimare (1999) qui parle de lanécessité de mettre en place des médiations culturelles pour les enfantsempêchés d’apprendre.

Il nous faut encore préciser l’idée d’un espace spécifique afin de nepas introduire un malentendu qui laisserait entendre que cette expé-rience de travail peut ou doit se tenir à l’écart de l’école. Par sontravail, le psychopédagogue participe à la construction psychique etsociale de l’enfant. Celle-ci s’élabore dans la dynamique d’une inter-relation de son monde intérieur avec les exigences sociales. C’est cequi fait dire à Jürgen Habermas (1999) : « La personne ne forme uncentre intérieur que dans la mesure où elle s’aliène en même temps àdes relations interpersonnelles mises sur pied communicationnelle-ment. » Autrement dit, s’il y a nécessité de mettre en place, on diramomentanément, un lieu spécifique de pensée, le travail de psycho-pédagogie ne pourra longtemps ignorer l’espace scolaire. Pourreprendre Habermas, on peut dire que le sujet n’existe que dans sarelation aux autres, et s’occuper de celui-ci imposera de s’occuper del’autre. Habermas le pose en principe moral : « Parce que les moralessont taillées à la mesure de la vulnérabilité d’êtres vivants individuéspar socialisation, elles doivent toujours résoudre deux tâches en uneseule ; elles font valoir l’inviolabilité des individus en exigeant l’égalrespect de la dignité de tout un chacun ; mais elles protègent dans lamême mesure les rapports intersubjectifs de reconnaissance réciproquepar lesquels les individus se maintiennent comme membres d’unecommunauté […] de sorte que la morale ne peut pas protéger l’un

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sans l’autre : les droits de l’individu sans le bien de la communauté àlaquelle il appartient. » Si nous reconnaissons cette interdépendance,cette aliénation du sujet à la communauté, alors prendre soin de l’unengagera à prendre soin de l’autre. Équipes éducatives, synthèsescommunes, partenariats avec l’école participent ainsi du projet desoin et du travail proprement psychopédagogique. Celui-ci s’appuiesur une éthique qui veille à préserver tant le sujet vulnérable que leréseau socio-éducatif avec lequel il est en interrelation.

Nous pourrions conclure ici notre démonstration en soulignant quetout membre d’une équipe de soin qui veut accompagner un enfanten difficulté ou handicapé se devra de prendre soin également desespaces socioculturels auxquels il est aliéné, sa famille, l’école maisaussi la crèche ou les centres de loisir. Il le fera d’autant mieux qu’ilaménagera un espace de pensée à même de permettre l’articulationentre le monde intérieur et le monde extérieur de son jeune patient etque, ce faisant, il rejoindra le travail du psychopédagogue dans lacréation de médiations culturelles. Cette conclusion nous permettraitde faire se rejoindre habilement le travail des CAMSP et celui des CMPP

s’il n’y avait pas entre nous comme une forme d’inégalité, pour ne pasdire d’injustice. Car les CAMSP accompagnent les enfants principale-ment à l’âge de la préscolarité et les espaces socioculturels qui accueil-lent les jeunes enfants ont la particularité d’être relativement dégagésde la question de la transmission. L’école maternelle française s’est eneffet construite en référence aux idées de Maria Montessori. Celle-ci,lorsqu’elle créa la maison des enfants dans la banlieue de Rome, avaitdans l’idée d’en faire un espace adapté à l’enfant, favorisant sa curiositéet son développement naturel dans une conception humaniste del’éducation. Parmi ses déclarations remarquées elle eut en particuliercelle-là : « J’eus l’intuition que le problème de ces déficiences étaitmoins d’ordre médical que pédagogique. » Les écoles qu’elle créa sevoulaient des lieux protecteurs, respectant la liberté de l’enfant et l’ac-compagnant dans un climat de confiance. De ce point de vue la classeMontessori, et la classe maternelle française s’en est inspirée, est conçuecomme un espace potentiel, un espace intermédiaire où l’enfant

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rencontre des adultes suffisamment bons et attentifs. Cet héritageexplique pourquoi la maternelle reste un lieu peu ségrégatif, quiaccueille relativement facilement des enfants handicapés et sollicitebeaucoup moins les lieux de soin. Mieux même, la classe maternelle,avec son environnement adapté à l’enfant, qui privilégie l’expérimen-tation et l’observation, comme la classe à pédagogie institutionnelle,peut être un lieu de soin, de surcroît aurait dit Fernand Oury. Lebesoin d’un espace proprement psychopédagogique se justifie moinsmais s’imposera très vite dès lors qu’arrivera la grande école. Bien sûr,l’école maternelle n’échappe pas aux évolutions de notre époque quivoit le principe d’observation remplacé par celui d’évaluation, et letâtonnement expérimental céder la place à l’enseignement. C’est néan-moins avec le CP que les exigences, les contraintes et les refoulementsvont s’accentuer. Contraintes sur les corps qui devront rester assis unegrande partie de la journée, exigences sur les règles qui s’imposeront àla langue et à la réflexion, refoulement de l’histoire individuelle auprofit d’un récit collectif parfois mythifié. Avec le cours préparatoire,l’enfant s’efface derrière l’élève, la passion derrière le devoir. L’élève deIonesco apparaît là où le CAMSP prend soin de s’éclipser après avoirpassé le relais au CMPP. Cette exigence de la transmission ne va cesserde s’accentuer au fil des années ; elle prendra le discours de l’orienta-tion à partir du collège pour désigner à l’enfant le milieu spécialauquel il est plus particulièrement destiné. Le travail psychopédago-gique qui pouvait se développer dans l’espace de vie de l’enfant devra,au fil de ces années de scolarité, se décaler d’autant plus que l’affron-tement entre l’élève et l’école, le manque d’espace de pensée serontpatents. C’est ce qui justifie la création de postes et d’espaces psycho-pédagogiques spécifiques dans les CMPP, et qui concourt à les différen-cier des CAMSP quand bien même ceux-ci travaillent à l’élargissementde cet espace à travers les partenariats avec l’école. Pour toutes lesstructures de soin qui devront accompagner les enfants handicapésdans leur scolarisation, la question de cet espace se posera aussi long-temps qu’il sera demandé aux enseignants d’unifier la République, demontrer et de désigner, pour toujours sans doute. C’est un défi majeur

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pour les CMPP avec la suppression des postes de psychopédagogues del’Éducation nationale et la réduction concomitante de l’espace culturelde pensée dans le même temps où, pour reprendre une formule deMaud Mannoni (1975), chaque plainte de l’enfant se cherche son« dys », son médecin et son handicap. Car, on l’aura compris ici, lediagnostic médical, en assignant une place singulière à l’enfant, prendle risque de clore le débat et restreint l’espace de pensée.

BibliographieARENDT, H. 1961. La crise de la culture, Paris, Calmann-Lévy, rééd. 1983.BILLOTTE, G. 2002. L’équipe pédagogique, Paris, l’Harmattan.BOIMARE, S. 1999. L’enfant et la peur d’apprendre, Paris, Dunod.DURKHEIM, É. 1968. Éducation et sociologie, Paris, Puf.FILLOUX, J.-C. 1996. Tolstoï pédagogue, Paris, Puf.HABERMAS, J. 1999. De l’éthique de la discussion, Paris, Flammarion.HOUSSAYE, J. 2014. La pédagogie traditionnelle, Paris, Fabert.IONESCO, E. 1950. La leçon, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».MANNONI, M. 1975. Bonneuil un lieu pour vivre, Paris, Le Seuil.MAUCO, G. 1975. L’évolution de la psychopédagogie, Toulouse, Privat.MIALARET, G. 2004. La psychopédagogie, Paris, Puf.MOREL, S. 2014. La médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute. PÉGUY, C. 1913. L’argent, Œuvres en prose complètes, III, Paris, Gallimard,coll. « Bibliothèque de La Pléiade », p. 787 et p. 800-803.POURTOIS, J.-P. ; MOSCONI, N. 2002. Plaisir, souffrance, indifférence en éduca-tion, Paris, Puf.RAVON, B. 2000. L’échec scolaire, histoire d’un problème public, Paris, In press.ROGERS, C. 1972. Liberté pour apprendre, Paris, Dunod.WINNICOTT, D.W. 1971. Jeu et réalité, Paris, Gallimard.ZWEIG, S. 1980. La confusion des sentiments, Paris, Stock.

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