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Université Paris-Sorbonne Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication - Ecole des Mines d’Alès MASTER PROFESSIONNEL 2 ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Option : Communication et technologie numérique « La publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? » Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard Rapporteur universitaire : Valérie Patrin-Leclère Rapporteur professionnel : Antoine Dubuquoy Sow Ismaël Promotion : 2010-2011 Option : CTN Soutenu le : Note du mémoire : Mention :

La publicité dans le jeu vidéo

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Mémoire de recherche en sciences de l'information et de la communication sur le thème du jeu vidéo dans la publicité.

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Université Paris-Sorbonne Ecole des hautes études en sciences

de l’information et de la communication -

Ecole des Mines d’Alès

MASTER PROFESSIONNEL 2ème année

Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication

Option : Communication et technologie numérique

« La publicité dans les jeux vidéo : révolution ou impasse ? »

Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard

Rapporteur universitaire : Valérie Patrin-Leclère Rapporteur professionnel : Antoine Dubuquoy

Sow Ismaël Promotion : 2010-2011 Option : CTN Soutenu le : Note du mémoire : Mention :

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier vivement Valérie Patrin-Leclère, mon rapporteur universitaire pour m’avoir aidé et

soutenu dans la rédaction de ce mémoire. Les échanges et entrevues que nous avons menés m’ont été

précieux. Ses critiques, remarques et conseils, toujours pertinents, m’ont permis d’avancer d’un pas plus

assuré.

Je remercie également mon rapporteur professionnel, monsieur Antoine Dubuquoy pour sa disponibilité

et la véritable mine d’informations qu’il a bien voulu mettre à ma disposition. Différentes personnes

m’ont aidé par leurs conseils et leurs indications et je leur exprime toute ma reconnaissance, en

particulier, Gabriel Mamou-Mani, président directeur général de l’Agence 1984 qui a bien voulu

m’accorder un entretien.

Enfin, je tiens aussi à souligner l’excellent esprit d’équipe au sein de la promotion 2010-2011 du master

Communication et Technologie Numérique et à remercier tous mes collègues de classe sans exception.

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Table des matières INTRODUCTION ....................................................................................................................... 4

1/ LA PUBLICITE DANS LE JEU VIDEO : PROMESSES ET DESENCHANTEMENT ............ 8

1.2/ Les promesses de la publicité dans le jeu vidéo ............................................................ 8

1.2/ Des promesses en porte-à-faux face aux réalités du marché ...................................... 19

1.3/ La gamification : une nouvelle rhétorique de la publicité dans le jeu ............................ 26

2/ COMMENT INTEGRE T-ON LA PUBLICITE DANS LE « SYSTEME JEU » ? ................... 31

2.1/ Une critique de la gamification ...................................................................................... 33

2.2/ Le « système jeu » ........................................................................................................ 40

2.3/ L’in-game advertising dans le « système jeu » : une intégration souvent trop partielle 63

2.4/ L’advergaming dans le « système jeu » ou la possibilité d’une intégration totale ........ 68

3/ JEUX, MEDIAS DE MASSE ET PUBLICITE ....................................................................... 73

3.1/ La publicité de grande échelle se développe dans les médias de masse génériques . 73

3.2 / Différents médias de masse génériques ..................................................................... 78

3.3/ Différents médias de masse non-génériques ............................................................... 81

3.4/ Le jeu vidéo est-il un média de masse générique ? ..................................................... 83

3.5/ Préconisations .............................................................................................................. 96

CONCLUSION ...................................................................................................................... 101

ANNEXES ............................................................................................................................. 103

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE ............................................................................................. 107

Ouvrages ........................................................................................................................... 107

Articles ............................................................................................................................... 108

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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INTRODUCTION Dans cette étude, nous allons nous intéresser à la publicité dans les jeux vidéo et en particulier l’in-game advertising. La publicité est une industrie centrale dans les économies de marché et constitue le modèle économique dominant des médias de masse que sont la presse écrite, la radio, la télévision et Internet. Les annonceurs, à la poursuite des consommateurs, investissent tout média qui s’y prête avec une appétence particulière pour les médias dits « de masse » qui par leur portée rassemblent quotidiennement des audiences de dizaines voire de centaines de millions d’individus. Ces médias de masse permettent donc aux annonceurs de toucher efficacement un large public et ce, presqu’à volonté. A condition bien sûr, d’en avoir les moyens financiers.

Au fil des années, le jeu vidéo prend progressivement le statut d’un tel média de masse. Confiné à sa naissance à une audience restreinte, masculine et technophile, il a ensuite étendu sa portée et commande aujourd’hui une audience imposante. L’industrie du jeu vidéo génère à présent plus de chiffre d’affaire que le cinéma et certains jeux ont une audience quotidienne supérieure à celles des journaux les plus vendus. Le public atteint s’est non seulement étendu, mais il s’est aussi diversifié : on a ainsi affaire à une population plus adulte et plus féminine.

Il s’agit là d’une opportunité pour les annonceurs en termes de communication et de publicité. Le jeu vidéo offre la promesse d’un nouveau canal de distribution du message publicitaire, presque vierge et qui par son interactivité inciterait un engagement plus fort de la cible. Bien sûr, cette opportunité n’est pas passée inaperçue et de nombreux professionnels de la communication ont décrit les mérites de ce « nouveau média » en tant que canal publicitaire. Au début des années 2000, les attentes portées par la publicité dans les jeux vidéo n’ont cessé de croître et l’enthousiasme était au rendez-vous. Des études censées démontrer l’efficacité du jeu vidéo dans la rétention du message publicitaire se sont succédées. Des projections de croissance du marché de la publicité dans les jeux vidéo ont été publiées, toujours plus optimistes.

Cependant, un certain désenchantement a aussi gagné l’industrie. Ainsi, plusieurs éditeurs ont réévalué à la baisse l’intérêt de la présence de la publicité dans leurs jeux. Des entreprises présentées comme des fleurons de la publicité dans les jeux ont fermé. Et surtout la publicité consacrée aux jeux vidéo reste une part très faible du budget publicitaire total des annonceurs. Il s’agit encore d’un canal publicitaire tout à fait marginal. Il y a donc un curieux paradoxe, pourquoi un média tel que le jeu vidéo, avec une si grande audience, et dont les avantages pour la publicité ont été tant vantés, demeure malgré tout un canal publicitaire mineur ? La publicité dans le jeu vidéo est-elle vraiment efficace ? Selon quels critères ? L’investissement

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publicitaire dans le jeu vidéo est-il compétitif face aux autres médias, ou est-il trop couteux ? Les joueurs sont-ils une audience plus opposée à l’insertion de publicités que les audiences d’autres médias ? Et si oui, pour quelles raisons ? Du côté des éditeurs de jeux, dans quelles conditions, et pour qui, la publicité est-elle un modèle économique avantageux ? La première partie de notre étude sera consacrée ainsi consacrée à la mise en perspective des discours portant sur les promesses de la publicité dans les jeux face une réalité du marché souvent différente.

Une fois la décision de faire de la publicité prise, comment réussit-on à communiquer par le jeu ? Comment la stratégie de communication de la marque doit-elle investir le jeu ? Communique-t-on par le jeu comme on communique dans les journaux, à la radio ou à la télévision ? Si les annonceurs et les éditeurs veulent tirer le meilleur parti des opportunités publicitaires offertes par le jeu, il est nécessaire de comprendre intimement le fonctionnement de ce média, qui a ses propres idiosyncrasies. Dans les premiers temps de l’apparition d’un nouveau média, les annonceurs essaient en général d’implémenter les techniques qu’ils connaissent et maîtrisent, c'est-à-dire celles qui fonctionnent dans les médias plus anciens. Il faut un temps d’adaptation pour apprendre les particularités du nouveau média et proposer une publicité qui répond aux contraintes de ce média. Quel est-donc le format idéal de la publicité dans le jeu ? En quoi diffère t-il de ceux des autres médias ? Quels en sont les implications pour les annonceurs, notamment en termes de coûts ? Quels en sont les implications pour les éditeurs et les régies ? L’analyse du jeu en tant que medium et en tant que système dans lequel le composant publicitaire doit alors s’intégrer de manière optimale, fera donc l’objet de la deuxième partie de notre étude.

Trouver les réponses aux questions précédentes implique aussi d’appréhender la singularité du jeu vidéo en tant que média de masse. Pourquoi la publicité à grande échelle se développe-t-elle dans certains médias de masse et pas dans les autres ? Le jeu vidéo constitue t-il un terreau favorable à un marché publicitaire de ce type ? Dans quelle mesure le jeu vidéo se rapproche t-il des « médias de masse génériques » comme la presse écrite, la radio, la télévision ou Internet, qui sont les principaux canaux publicitaires ? A quels égards est-il plus proche des « médias de masse non-génériques » comme le livre ou le cinéma, qui sont des canaux publicitaires marginaux ? Ces propriétés évoluent-elles dans le temps ? Dans quelles directions et selon quels facteurs ? La résolution de ces interrogations sera donc l’objet de la troisième partie de notre étude. Il s’agira aussi de dégager les fondamentaux d’une intégration réussie de la stratégie de communication d’une marque dans un jeu vidéo.

Cette communication par le jeu vidéo reste une activité encore en développement, encore en phase de définition et ne bénéficiant pas de la maturité des techniques acquises dans d'autres

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médias comme la radio ou la télévision. Les informations restent éparses et incomplètes et il est difficile pour les marques mais aussi pour les éditeurs de savoir où ils mettent les pieds. C'est une situation comparable au développement du blog d'entreprise qui fût aussi annoncé comme un outil formidable qui permettrait à la marque de communiquer voire de converser avec ses clients. Dans cette transformation de la marque en média, les succès indiscutables sont peu nombreux. Les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui sont su s'approprier les codes, les techniques et les bonnes pratiques du média qu'elles adoptaient. Un exemple emblématique est celui la PME américaine 37Signals. Cet éditeur de logiciels en mode SAAS (software as a service) a créé un blog qui se distingue par son nom : Signal vs Noise1, une opinion ferme et tranchée sur de nombreux sujets et un ton volontiers provocateur et polémique. Le blog se distingue aussi par sa longévité : plus de 10 ans d'âge. On pourrait dire que c'est un blog qui se trouve, accessoirement, être un blog d'entreprise plutôt qu'un journal d'entreprise qui se trouve, accessoirement, être un blog. Cela se traduit par un succès envié : plus de 100 000 abonnés au blog qui constituent un canal marketing qualifié et captif, à moindre coût. Ce succès a pu être répliqué par de nombreuses PME à l'instar de Mint2

Ce succès est réplicable car il existe un solide corpus de bonnes pratiques sur la mise en place, le développement et la promotion d'un blog. Existe-il un tel corpus de bonnes pratiques en ce qui concerne la communication par le jeu vidéo ? Comment choisir entre advergaming et in-game advertising ? Quel type de gameplay ou de jeu choisir en fonction du public cible qu'on veut toucher ? Comment gérer les relations avec les joueurs ? Comment mesurer la « jouabilité » d'un jeu ou l'impact qu'a le placement publicitaire sur la « jouabilité » de ce jeu ? Comment mesurer l'impact et le retour sur investissement généré ? Comment maximiser ce retour sur investissement ? Peut-on vendre directement dans un jeu ?

.

Cette question des bonnes pratiques se pose aussi du côté des éditeurs et des régies publicitaires spécialisée dans l'in-game advertising. Une question qui intéresse plus particulièrement les petits éditeurs et les régies est de savoir comment baisser les coûts d'intégration de la publicité dans les jeux tout en augmentant leur efficacité, c'est à dire leur bonne intégration ? Un modèle universel et automatisé à la Google AdSense est-il possible ? Toutes ces questions seront incluses dans notre troisième partie sous forme de préconisations.

1 http://37signals.com/svn 2 http://www.mint.com/blog

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Méthodologie de travail Par jeux vidéo, nous entendons jeux informatisés, ce qui englobe des jeux contenant de l’image en mouvement comme des jeux relativement statiques. La conduite de ce travail de recherche s’est faite en s’appuyant principalement sur l’analyse documentaire et sur l'étude d'un corpus de jeux vidéo anciens tels que Pac-Man et Tetris et récents tel que Farmville sur Facebook. La réalisation d'un entretien semi-directif avec Gabriel Mamou-Mani, PDG de l’Agence 1984, spécialisée dans les advergames nous a permis de compléter notre recherche avec des informations de première main venant d’un acteur du marché. Notre cadre d’analyse du jeu en tant que medium et en tant que système s’appuie beaucoup sur les travaux de concepteurs de jeux et théoriciens de la conception du jeu tels que Raph Koster ou encore Ian Bogost qui ont développé une vision du jeu qu’on pourrait qualifier « d’atomiste ». Nous entendons ici, par le terme médium, l’artifact par le biais duquel s’effectue le processus de communication entre le concepteur du jeu et les joueurs, contrairement au terme de média, qui peut aussi englober la superstructure institutionnelle entourant le médium. Dans le cadre de notre étude, cette distinction vaudra aussi pour la presse écrite, la radio, la télévision etc.

Corpus Nous analyserons principalement les jeux Pac-Man, Tetris et Super Mario. Nous utiliserons aussi des jeux dits sociaux comme FarmVille, et en particulier les tentatives de placement de messages externes à l'intérieur de ces jeux. Nous utiliserons aussi le mémoire d’Elie Prudhomme intitulé Jeux vidéo : nouvel eldorado publicitaire ?, pour analyser les discours d’escorte entourant la publicité dans les jeux vidéo.

Citations L’ensemble des liens Internet cités dans ce travail ont été consultés à la date du 17 novembre 2011. La date est à chaque fois précisée lorsque cela est jugé nécessaire.

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1/ LA PUBLICITE DANS LE JEU VIDEO : PROMESSES ET DESENCHANTEMENT 1.2/ Les promesses de la publicité dans le jeu vidéo

La croissance phénoménale de l’industrie du jeu vidéo a suscité l’intérêt bien au-delà des cercles

liés à la profession. L’apparition progressive de ce nouveau média dans la vie quotidienne de

millions de personnes a donné au jeu vidéo le statut de média de masse. Généralement

synonymes de divertissement et de détente, voire d’échappatoire au monde réel, les jeux vidéo

ont pourtant commencé à faire l’objet d’ambitions dépassant le domaine du ludique. Nombre de

game designers3

, de professionnels de l’éducation et de chercheurs voient dans le jeu vidéo une

puissance exploitable à d’autres fins que le simple amusement. La question est la suivante : les

jeux peuvent-ils servir à autre chose qu’à jouer ? On parle de serious games, de games with

purpose. Un exemple de ce questionnement à l’œuvre nous vient de Luis von Ahn, de

l’université Carnegie Mellon:

“Each year, people around the world spend billions of hours playing computer games.

What if all this time and energy could be channeled into useful work? What if people

playing computer games could, without consciously doing so, simultaneously solve large-

scale problems?”4

En restant à l'université Carnegie Mellon, on trouve aussi l'exemple du jeu EteRNA5

3 Terme anglais plus utilisé que son équivalent français : concepteur de jeu

, qui est un

jeu de construction de molécules RNA. Les molécules RNA font partie avec l'ADN et les

protéines, des composants essentiels de toute forme de vie connue. Contrairement à l'ADN, les

molécules de RNA n'ont pas la forme d'une double hélice, et peuvent donc prendre des formes

plus diverses et complexes. Ces formes déterminent le rôle que chaque molécule peut jouer et il

est donc crucial d'en comprendre le fonctionnement. Malheureusement, les règles qui régissent

l'expression de ses formes, celles qui fonctionnent, celles qui ne fonctionnent pas, sont encore

mal connues. C'est dans ce contexte que le jeu EteRNA fut créé. Les joueurs y sont invités à

4 www.cs.cmu.edu/~biglou/ieee-gwap.pdf 5 http://eterna.cmu.edu/content/EteRNA

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résoudre des puzzles à base d'adénine, de guanine, d'uracile et de cytosine dans le but de créer de

nouvelles structures. Chaque semaine, les meilleures créations sont choisies par la communauté

de joueurs et synthétisées dans les laboratoires de l'université de Stanford. EteRNA fait suite à un

jeu similaire: Foldit6

.

Cette ambition “utilitaire” du jeu n’a pas attendu l’avènement des jeux informatisés pour naître,

mais l’adoption rapide de la technologie informatique à partir des années 70 et 80 a contribué à

populariser cette approche, en particulier dans le monde de l’éducation. Ainsi dès 1971, des titres

comme Oregon Trail7 permettaient aux joueurs de se familiariser avec les réalités de la conquête

de l’ouest américain en endossant le rôle d’un pionnier. Datant de cette époque, on peut citer

aussi Number Munchers8

dont le thème était l’apprentissage ludique des mathématiques.

L’éducation est ainsi un des premiers domaines visés par ce qu’on appelle le serious gaming, le

jeu sérieux; cet oxymore fut créé pour véhiculer l’idée de jeux en quelque sorte “utiles”. Dans le

cas de l’éducation, le thème plus spécialisé d’édutainment9

est aussi apparu. Avec la création de

tous ces termes, il est crucial d’étudier les discours enveloppant l’idée du jeu utile. Le potentiel

du jeu informatisé et ses applications possibles y sont souvent décrits avec grand optimisme et

avec des accents très ambitieux.

Ainsi pour Bruce Everiss, professionnel du marketing dans l'industrie vidéo-ludique, les

ordinateurs vont bientôt remplacer les enseignants et transformer radicalement l'éducation10

6

. Des

jeux d'un genre tout à fait nouveau qui apporteraient un souffle nouveau au monde de l'éducation

en panne. Everiss cite notamment les caractéristiques des jeux vidéo qui selon lui, leur confèrent

des avantages de poids sur l'éducation dite traditionnelle. Le fait notamment que l'information

peut être présentée sur tous les supports possibles, texte, son et images. Une interactivité qui

serait bien supérieure et grâce à laquelle l'étudiant pourrait notamment interagir avec

l'information de manière créative et originale (donc efficace ?). L'avènement de l'Internet est

aussi annoncé comme l'avènement d'un monde plein d'opportunités ou tout le savoir de

http://fold.it 7 http://oregontrail.com 8 http://en.wikipedia.org/wiki/Number_Munchers 9 Néologisme créé par Bob Heyman en 1973 combinant les termes anglais education et entertainment 10 http://www.bruceongames.com/2007/12/19/education-education-education

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l'humanité est à portée de tous et donc des étudiants. Conjugué à l'Internet, le potentiel des jeux

vidéo serait ainsi, tout simplement immense, avec des possibilités d'exploration et de coopération

inégalées. Ainsi s’exprime Bruce Everiss :

“Gaming is the optimum delivery system for giving the human mind knowledge.”11

Ces opinions qui peuvent apparaître extrêmes illustrent cependant très bien le fait que nombreux

sont ceux qui voient dans le jeu plus que du jeu. Et si l’éducation est un domaine évident dans

lesquels les jeux sont proposés, plusieurs domaines sont visés par les concepteurs et

enthousiastes des jeux sérieux. La politique avec un jeu aussi controversé que Ethnic Cleansing12

(sorti en 2002) dont le but est de tuer des Noirs et des Juifs afin de sauver l’Amérique, les

ressources humaines et le recrutement avec le jeu America’s Army13 qui aide l’armée américaine

à enrôler; la première version fut publiée en 2002. Il y a aussi les games for health14, les

newsgames15 et bien sûr les advergames qui désignent les jeux publicitaires ou plus exactement,

des “jeux-publicité” et qui nous intéressent plus particulièrement dans le cadre de notre étude. La

publicité dans les jeux informatisés a tout d’abord pris la forme d’advergames avec des jeux

comme Pepsi Invaders16 en 1983 ou encore MC Kids17

en 1992. Il s’agit de jeux conçus dans le

but d’être plus que des jeux mais aussi des publicités à part entière. La publicité dans le jeu vidéo

tire ainsi ses racines dans le mouvement des jeux sérieux et s’est dans un premier temps, souvent

matérialisée sous la forme d‘advergames commandés par des marques.

La publicité dans le jeu vidéo s’est ensuite diversifiée pour englober une pratique proche du

placement publicitaire et qu’on appelle in-game advertising. Contrairement à l’advergaming qui

consiste à réaliser un jeu à usage publicitaire dans le but de promouvoir une marque ou un

produit spécifique, l’in-game advertising est l’intégration de publicités dans un produit dont le

but est avant tout ludique. C’est par exemple l’affichage de panneaux publicitaires virtuels sur

11 http://www.bruceongames.com/2009/03/30/classrooms-are-obsolete-and-so-are-teachers/ 12 http://www.resistance.com/ethniccleansing/catalog.htm 13 http://www.americasarmy.com/ 14 http://www.gamesforhealth.org/ 15 http://jag.lcc.gatech.edu/blog/ 16 http://www.giantbomb.com/pepsi-invaders/61-1750/ 17 http://en.wikipedia.org/wiki/M.C._Kids

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les terrains dans les jeux de sports ou dans les scènes urbaines. C’est aussi le port par les

personnages, de vêtements aux couleurs d’une marque particulière comme c’est le cas encore

dans les jeux sportifs.

La première instance connue d’in-game advertising est le jeu AdventureLand18 qui en 1978,

contenait une publicité pour la suite du jeu à venir : Pirate Adventure. Depuis, une véritable

industrie s’est développée avec des exemples très célèbres d’insertion publicitaire dans des jeux.

On peut citer ainsi les affiches publicitaires de Barack Obama dans plusieurs jeux Xbox lors de

la campagne présidentielle de 2008 aux Etats-Unis19. L’utilisation obligatoire du téléphone

portable Sony Ericsson dans le jeu d’infiltration Splinter Cell20; le téléphone devenant ainsi un

accessoire indispensable au héros du jeu dans sa lutte contre “les terroristes”. Il fut même

possible pendant un temps de commander des pizzas de chez PizzaHut directement dans sa partie

d’EverQuest21

1.2.3/ Une nouvelle source de revenus

, un des premiers jeux en ligne massivement multijoueurs (MMORPG, abrégé en

anglais). Aujourd’hui le marché de l’in-game advertising est un marché en croissance mais

concentré, et dont les quelques acteurs principaux sont des entreprises américaines comme

Microsoft, Double Fusion ou IGA Worldwide. Le marché américain est aussi le plus important et

souvent celui à partir duquel naissent les tendances dans les autres pays. Cela est logique puisque

qu’il s’agit du plus gros marché vidéoludique au monde.

Ce développement de la publicité dans le jeu vidéo vient à la fois du désir des éditeurs de trouver

de nouvelles sources de revenus et de certaines régies publicitaires à la recherche de nouveaux

espaces publicitaires à faible coût et à fort retour sur investissement. Les jeux ont ainsi souvent

été décrits comme répondant parfaitement à ces désirs. Ainsi, selon Justin Townsend, président

d’IGA, un des plus grands acteurs de l’in-game advertising :

« Il y aura toujours une minorité de hardcore gamers qui refusera la publicité ingame et

le fera savoir [...]si ces mêmes personnes savaient la douloureuse transition que

18 http://en.wikipedia.org/wiki/Adventureland_(video_game) 19 http://gigaom.com/2008/10/13/confirmed-obama-is-campaigning-on-xbox-360/ 20 http://www.gamespot.com/news/6091084/pandora-tomorrow-starring-sony-ericsson 21 http://www.usatoday.com/tech/products/services/2005-02-24-sony-pizza_x.htm

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traversent la plupart des éditeurs aujourd'hui elles pourraient reconnaître la publicité

ingame comme un important soutien financier pour les titres Next-Gen. Si les joueurs

veulent disposer d'une grande quantité de jeux de bonne qualité cette année et l'année

prochaine, il leur faut (ndr : à ces jeux) des sources de revenus alternatives. »22

En remontant jusqu’en 1999, on peut retrouver cette promesse qui déjà habitait les esprits. Ainsi

à propos de Conducent, une entreprise qui proposait alors de l’in-game advertising, on pouvait

dans lire dans The Economist :

“Conducent, however, is more bullish. Indeed, the company foresees a future where

games and other software are supported by advertising, sponsorship or even product

placement. Since this would make software cheaper, or even free, consumers might live

with the bargain.”23

Dave Madden, directeur du “Global Marketing Solutions Group” chez Electronics Arts, l’un des

principaux éditeurs de jeux de la planète, illustre très bien l’opportunité que les éditeurs voient

dans la publicité :

“But a media company of EA's scale cannot afford to turn its nose up at the potential of

advertising. Think about the $100 billion being spent on TV and online advertising. These

ads are targeting the same people who are spending more and more of their time on

mobile devices or on social networks playing games.”24

On voit donc comment les jeux sont décrits comme une importante source potentielle de revenus

pour les éditeurs; nous aurons l’occasion d’examiner cette question plus loin. En dehors des

considérations de revenus potentiels pour les éditeurs, d’autres types de discours se sont

développés autour de la publicité dans les jeux informatisés. Discours qu’on pourrait ranger en

plusieurs catégories et dont on peut retrouver un condensé dans le mémoire consacré à la 22 Justin Townsend / Co-fondateur et dirigeant IGA Worlwide cité dans Jeux vidéo et jeux online : un

nouvel eldorado publicitaire ?, p59 23 http://www.economist.com/node/225996 24 http://www.gamasutra.com/view/news/34281/Opinion_InGame_Advertisings_Big_New_Play.php

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publicité dans le jeu vidéo d’Elie Prudhomme, professionnel du marketing sur Internet et

animateur du blog webketing.fr.25

1.2.4/ Une critique des “médias traditionnels”

Elie Prudhomme explique ainsi :

« Et pourtant, la période faste des années 1980 -1990 pour les publicitaires est bien

révolue. Difficile aujourd’hui, pour les annonceurs, de toucher avec exactitude une cible

bien définie, mais aussi de pouvoir déployer en masse des outils de publicité. A l’heure

actuelle, hormis pour les multinationales et une minorité de grandes entreprises, il n’est

pas envisageable de s’offrir un spot télévisé diffusé à des heures de grande écoute.

Parallèlement à cela, la presse papier est en pleine crise. Après le changement de

propriétaire des Echos et de La Tribune, c’est Le Figaro qui en janvier annonçait le

licenciement d’une centaine de personnes pour pallier aux résultats financiers décevants.

La radio diffuse, quant à elle, toujours les mêmes spots, aussi peu originaux les uns que

les autres. De plus en plus, les médias se segmentent afin d’aborder des thématiques plus

précises et, ainsi, obtenir un public mieux défini et adéquat. Cela permet, de ce fait,

d’attirer des annonceurs ayant des valeurs et des cibles communes. Mais plus qu’à une

simple mutation des marchés, c’est à une évolution des attentes du public que nous

assistons ; ce qui n’est encourageant pour les supports médias classiques. »26

« A force, les publicitaires ont étouffé l’internaute sous un flot continu de messages qui

clignotent, qui font du bruit, remplis de couleurs tape-à-l’œil. Et cela commence à

agacer. Les campagnes emailing sont identifiées comme des spams par les messageries

électroniques, les navigateurs Internet incluent des anti pop-up et l’internaute, de plus en

plus averti, ne se risque plus à cliquer sur des publicités vainement dissimulées. Tout est

mis en œuvre pour que l’internaute n’ait plus à subir la publicité intempestive. »27

25 http://www.webketing.fr 26 Jeux vidéo et jeux online : un nouvel eldorado publicitaire ?, p5-6 27 Ibid. p7

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« De même, la radio comme la télévision peuvent être considérées comme des canaux

d’informations passifs. Dans de nombreux foyers, la télévision reste constamment

allumée, sans pour autant que quelqu’un la regarde. Tout comme la radio, qu’on écoute

en majorité dans une voiture où l’attention se porte, en général, sur la route et la

circulation. Les campagnes de communication passent donc souvent inaperçues et la

cible y prête peu d'attention. Rien à voir avec le jeu vidéo. »28

1.2.5/ Interactivité du jeu vidéo comme atout pour la publicité

L’interactivité et le caractère immersif du jeu vidéo sont perçus comme étant des atouts phares

qui feraient du jeu un véritable havre pour la publicité :

« A la fin des années 1990, la démocratisation d’Internet a apporté un véritable nouveau

souffle aux annonceurs. De nouvelles possibilités, notamment en terme de flexibilité

laissent entrevoir que tout était à construire et à imaginer sur ce nouveau média

interactif. »29

« Aujourd’hui, la publicité ingame peut se targuer d’avoir des caractéristiques propres

qui en font un support publicitaire d’avenir. Le jeu vidéo et l’un des rares médias à être à

la fois exclusif, la seule possibilité étant d’éteindre le son pour jouer sur une autre

musique ; mais aussi immersif car le joueur souhaite vivre, dans un jeu, une expérience

forte dans laquelle il est lui-même impliqué. »30

« L’immersion du joueur est telle lors d’une partie que l'attention est entièrement dédiée

au support. C’est ce qui, aujourd’hui, fait la force de ce nouveau canal. On peut,

contrairement à tous les autres, parler d’un média exclusif… »31

28 Ibid. p48-49 29 Ibid. p6 30 Ibid. p8 31 Ibid. p47

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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1.2.6/ Discours eschatologiques

Nous retrouvons aussi une description presque eschatologique du jeu vidéo qui viendrait sauver

les annonceurs du déclin inexorable des “médias traditionnels”. Dans un article de The

Economist, on évoque l’idée d’une « génération perdue » aux médias traditionnels et acquise aux

jeux :

“THEY are known to television executives as the “Lost Boys”—the generation of video-

gaming young men who are watching less television and, thanks to ad-skipping

technologies such as TiVo, even fewer advertisements. The obvious response is to start

putting advertisements into games instead, by incorporating billboards into the game

environment, for example.”32

Elie Prudhomme peint une image d’annonceurs « perdus » mais bientôt « sauvés » :

« Alors, à quel saint les annonceurs doivent-ils se vouer, tout en prenant en compte leur

exigence accrue en matière de retours et leur possibilité d’engager, pour cela, des

budgets conséquents ? Faut-il s’orienter vers un moyen signe de renouveau, encore à ses

prémices, mais qui laisse déjà entrevoir un avenir radieux, synonyme de fraîcheur dans le

monde publicitaire? »33

L’entreprise Connect’in promettait, elle, l’avènement d’une nouvelle ère :

« Entrez dans une nouvelle ère de communication ! L'efficacité des médias traditionnels

est de moins en moins performante. Le temps passé devant la TV est à la baisse et

l'élargissement de l’offre diminue l'émergence des campagnes publicitaires. »34

32 http://www.economist.com/node/9304254 (Got game) 33 Ibid. p7 34 Site web de Connect’in cité dans Jeux vidéo et jeux online : un nouvel eldorado publicitaire ?, p7

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

16

Jacob Nizri, président de la régie publicitaire Ybrant Display Ad Networks, martèle :

“If you thought the recession meant people were staying home to watch tv, think again -

they're playing video games!”35

On peut retrouver les mêmes types de propos chez Gabe Zichermann, entrepreneur,

professionnel du marketing et organisateur de conférences autour de l’usage des jeux vidéo dans

le marketing36

. Il est aussi l’auteur de l’ouvrage Game based marketing dans lequel nous

pouvons lire :

“While incomprehensible to me, it seems to have taken almost 20 years for the

advertising industry to understand what we knew then: games are the preferred medium

of youth, and therefore, they are the future.”37

1.2.7/ Accents commerciaux, discours chiffrés

Il existe aussi des discours qui ont une forme plus commerciale, des discours qui sonnent presque

comme sortis de brochures de vente. En premier lieu, on peut remarquer une large part faite aux

études, mesures et projections réalisées par des institutions parfois “juges et parties” : régies

publicitaires, éditeurs... Ces études toujours fournies avec une abondance de chiffres

correspondent bien à la description du principe d’autorité décrit par Robert Cialdini dans son

ouvrage Influence et Manipulation38

.

Par exemple, on cite souvent des projections de croissance du marche du jeu vidéo dans son

ensemble :

35 http://www.internetoldtimersfoundation.org/modules/news/article.php?storyid=91 36 http://gamification.co/gabe-zichermann/ 37 Game based marketing, foreword xviii 38 Robert Cialdini, Influence et Manipulation, First Editions (2004)

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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« La publicité s’est approchée depuis longtemps des jeux vidéo, un support populaire

toujours en croissance. Entre 2005 et 2008, ce marché a vu son chiffre d’affaires passer

de 24,7 milliards d’euros à plus de 41 milliards (source : IDATE). »39

Des projections sont aussi citées pour le marché de l’in-game advertising :

“According to Gartner, consumer spending on hardware, software and videogame play

will rise 10.4% this year, reaching $74.4 billion. In-game advertising also continues to

rise in this ever-growing market, and when last checked, is expected to reach to $1 billion

by 2012.”40

On peut remarquer parfois qu’aucune distinction n’est faite entre le nombre de nouveaux jeux

réalisés par an et ceux qui arrivent à trouver leur public ou encore ceux qui se prêteraient à

l’insertion de publicités :

« En 2005, entre 700 et 900 titres pour console ont été commercialisés. Encore plus

important, on dénombre entre 1 200 et 1 800 nouveaux jeux pour PC par an. En

comparaison avec un secteur où le placement publicitaire prend de plus en plus

d’ampleur, à savoir le cinéma, ce sont moins de six cent nouveaux films qui naissent,

annuellement, aux Etats-Unis. »41

L’utilisation d’hyperboles (« exponentielle », « radieux ») est une constante de ces discours :

« Le marché des jeux vidéo est, comme nous avons pu le constater avec les chiffres ci-

dessus, en plein essor et bénéficie d’une croissance exponentielle impressionnante. Le

marché de la publicité ingame est, lui, beaucoup plus jeune. Pourtant, les estimations

réalisées par les cabinets d’expertise prévoient un avenir radieux pour ce secteur. »42

39 Jeux vidéo et jeux online : un nouvel eldorado publicitaire ?, p7 40 http://jstokes.com/current/2011/07/11/in-game-advertising-is-reaching-new-levels/ 41 Jeux video et jeux online : un nouvel Eldorado publicitaire ?, p21 42 Ibid. p23

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Enfin, on est parfois enseveli sous une averse de chiffres. Ainsi, Ed Bartlett alors vice-président

de la régie d’in-game advertising IGA Worldwide, prédisait en 2007 :

"However, the situation is changing rapidly, and the in-game advertising industry is

experiencing rapid growth. Here at IGA, we've looked at numerous predictions from

major analysts in the industry - including reports from Citi, IDC, Yankee Group,

Forrester and SIG - and we can confidently state that the in-game advertising industry

should be worth at least $1.2 billion by 2010. The growth rate is just phenomenal!"43

Laurent Checola, journaliste au monde écrit :

« Longtemps présenté comme une nouvelle manière de monétiser l'audience des joueurs

en ligne, la publicité dans les jeux devrait aussi prendre son essor. Evalué à 1,6 milliard

de dollars en 2009, la publicité ingame devrait passer à 2,8 milliards de dollars en

2014. »44

Ces études sont reprises de média en média. Les mêmes résultats se retrouvent par exemple sur

le site Zdnet45

, dédié à l’industrie des nouvelles technologies informatiques. Les arguments de

vente utilisés peuvent aussi être “orientés bénéfices”, bénéfices à la fois pour l’utilisateur comme

pour la marque en termes de retour sur investissement ou de facilité de déploiement ainsi que de

« tracking » :

“The technology is in place and the market seems promising. But advertisers also need to

be able to measure the effectiveness of their campaigns. So next month Nielsen, the

world's leading audience-measurement company, will launch a service called Nielsen

GamePlay Metrics to provide precise statistics. With the old static approach, advertisers

know little more than how many copies of a game have been sold. But Nielsen's new

scheme will gather more detailed information and then report back via the internet.”46

43

http://www.marketingvox.com/in-game-advertising-to-reach-12b-in-3-years-027209/ 44 http://playtime.blog.lemonde.fr/2010/06/21/le-jeu-video-un-marche-de-87-milliards-de-dollars-en-2014/ 45 http://www.zdnet.fr/blogs/digiworld/la-pub-meme-dans-les-jeux-video-39711837.htm 46 http://www.economist.com/node/9304254

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Sur le site du journal britannique The Telegraph, on peut lire :

“Across the 12 ad effectiveness studies, Continental Research found the average ad

recall to be 54 per cent. Unlike advertising messages in other media, advertising in video

games is seen by players as helping to make gaming feel more authentic; 65 per cent of

gamers agreed that in-game adverts made the gaming experience feel more realistic and

55 per cent said the ads 'look cool'.”47

Non seulement la publicité dans le jeu vidéo serait plus efficace que dans les autres médias mais

serait aussi perçue par les joueurs, comme une certaine amélioration de leur expérience de jeu.

1.2/ Des promesses en porte-à-faux face aux réalités du marché

Ces discours donc, accompagnant les usages publicitaires du jeu vidéo, provenant d’acteurs

comme les éditeurs, des professionnels du marketing ou des agences publicitaires sont le plus

souvent optimistes voire dithyrambiques. Cependant cet optimisme contraste fortement avec la

réalité du marché publicitaire. Réalité dans laquelle le jeu vidéo reste un canal publicitaire tout à

fait minoritaire comparativement à des médias comme la télévision, la radio, la presse écrite ou

Internet. Plus que minoritaire, on peut constater que les jeux vidéo sont tout à fait marginaux

dans les budgets publicitaires, comme on le voit sur ce graphique publié par l’association

mondiale des journaux, où nulle mention n’est faite des jeux vidéo48

:

47 http://www.telegraph.co.uk/technology/news/5312188/In-game-advertising-is-a-massive-market.html 48 http://www.zdnet.fr/blogs/media-tech/depenses-publicitaires-en-france-1996-2010-39601807.htm

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Dépenses publicitaires en France de 1996 à 2010

S’il y a eu plusieurs campagnes d’advergames et d’in-game advertising, le jeu vidéo ne peut pas

encore prétendre à un rôle central lors d’une campagne publicitaire; il se situe toujours à la

périphérie, en complément des axes centraux que sont les médias dits traditionnels ou Internet. Il

y a ainsi un décalage certain entre un discours optimiste concernant la publicité dans les jeux

vidéo et une réalité moins brillante, dans un marché où le jeu vidéo peine à trouver sa place et

reste loin de connaître une croissance telle que celle qu’a connue le Web dans ce domaine. Cela

est encore plus frappant quand on remarque que le web tel qu’on le connaît a débuté son

existence publique en 1991 alors que le premier jeu vidéo commercial, Computer Space49, date

de novembre 1971, soit 20 ans d’avance ! Et pourtant, alors que le jeu vidéo languit dans un rôle

souvent “expérimental” dans les budgets des annonceurs, en 20 ans, le web a conquis une place

de choix. A titre d’illustration, la publicité en ligne a capté 25% des dépenses publicitaires au

Royaume-Uni en 201050

.

En outre, l’élan d’optimisme longtemps affiché a depuis montré quelques failles, en particulier à

la fin des années 2000 avec la fermeture de plusieurs agences spécialisées dans l’in-game 49 http://en.wikipedia.org/wiki/Computer_Space 50 http://www.iabuk.net/en/1/adspendbreaks4billionmilestone280311.mxs

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advertising comme Connect’in51

et des éditeurs de moins en moins intéressés par cette

potentielle source de revenu. Microsoft décida de fermer Massive après avoir acquis la régie

d’in-game advertising pour 400 millions de dollars. L’infrastructure de Massive sert à présent

uniquement à alimenter le service Xbox Live de Microsoft et non plus les éditeurs tiers. Après

avoir ouvert un bureau en France, IGA, le leader de l’in-game advertising, a finalement fermé sa

filiale, n’ayant pu y développer une activité suffisamment rentable. Bobby Kotick, le PDG

d’Activision-Blizzard, un des plus grands éditeurs de jeux vidéo au monde, semble lui aussi

avoir changé d’avis sur l’opportunité que présenterait la publicité dans les jeux vidéo. En 2005,

dans un communiqué de presse à propos d’une étude sur l’efficacité de la publicité dans les jeux

vidéo, il disait ceci :

"As this study shows, video games are a powerful ad delivery medium. But the challenge

for the industry has been to develop a pervasive unit of measurement that will enable

advertisers to accurately gauge the effectiveness of in-game ads. With this research, we

have taken a major step in that direction."52

Cette étude est depuis devenue fameuse et est souvent cité comme argument en faveur la

publicité dans les jeux. Cependant, Bobby Kotick a changé d’avis. En 2010, il fit ainsi une

déclaration d’une toute autre teneur :

"There was a time where we thought advertising and sponsorship was a big opportunity,

but what we realized is our customers are paying $60 for a game or paying a monthly

subscription fee and they don't really want to be barraged with sponsorship or

advertising," […]

"So being very respectful of our audiences, unless it's something that's really authentic

and will enhance the game experience, we're generally not going to include something in

the game. There may be future opportunities where you might offer a consumer an

advertiser-supported experience so they wouldn't have to pay for it. But as long as our

51 http://mixergy.com/jonathan-benassaya-interview/ (interview du créateur de Connect’in) 52 http://investor.activision.com/ReleaseDetail.cfm?ReleaseID=181109

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audience is paying $60 for a game or a subscription fee I think we're going to limit the

amount of advertising or sponsorship incorporated into a game." 53

Pourquoi ce retournement ? Apparemment, un des obstacles majeurs à l’intégration de la

publicité dans les jeux vidéo est la difficulté de faire un mariage harmonieux entre l’esprit du jeu

et la publicité présentée. C’est ce qu’explique Michael Pachter, analyste financier cité par IGN :

"I actually think in-game advertising has huge potential, it's just that everyone originally

thought with all these eyeballs playing Halo and Call of Duty they'd just do ads for

Pampers," Pachter said. "But it's impossible to get context appropriate ads for games like

that."54

Toujours dans le même article d'IGN, Mike Hickey, un analyste financier à Jacon Partners

affirme que bien que le marché de la publicité in-game continuera à exister, il est peu probable

qu'il devienne une source de revenu importante pour les éditeurs de jeu.55

De même, Alex St John, explique que sa société, Wild Tangent, bien que pionnière de l'in-game

advertising, a changé de modèle. Malgré les brevets et l'expertise profonde qu'elle a bâti dans ce

domaine, St John constate qu'il y a plusieurs inconvénients et dont l'un d'entre eux est

d'interrompre le joueur est pendant sa partie. Pour lui, insérer de la publicité dans les jeux vidéo

sur consoles n'est pas une bonne idée et n'est pas non plus l'opportunité la plus intéressante du

marché.56

Alex St-John suggère plutôt alors de proposer aux joueurs l’alternative de faire payer leur session

de jeu par l’annonceur en regardant une publicité - publicité donc avant le jeu mais non pendant

le jeu. Ainsi, il explique les avantages de cette alternative, toujours dans le même article:

53 http://uk.xbox360.ign.com/articles/112/1120864p1.html 54 http://uk.pc.ign.com/articles/112/1127295p1.html 55 http://uk.pc.ign.com/articles/112/1127295p1.html 56 http://www.gamesindustry.biz/articles/in-game-ads-not-very-effective-says-st-john

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"You sell it with standard media sales force, part of a standard IAB ad unit. It sells great,

it's easy to scale, it is easy to explain, it is easy to measure, and it works for any kind of

game."57

On peut d’ores et déjà mettre en exergue la dimension “logistique” présente dans son explication

et préciser que ces remarques concernent essentiellement les jeux sur consoles, qui dominent

actuellement le marché. Ce sont là des variables essentielles de notre équation qui est la suivante:

pourquoi malgré tous les avantages cités dans les discours, faisant des jeux vidéo un canal

publicitaire idéal, ce média reste t-il toujours dans une zone marginale de l’activité publicitaire ?

Ilya Vedrashko, auteur du blog Advertising Lab58 consacré depuis 2004 à l’étude de

l’intersection entre publicité et technologie, nous apporte quelques éléments de réponse dans son

mémoire de recherche au Massachussetts Institute of Technology intitulé : Advertising in

computer games. Ce mémoire porte essentiellement sur le marché des jeux sur consoles. Tout

d’abord, il met en évidence que les discours annonçant “la fin des médias traditionnels” ne

collent pas totalement à la réalité. Il y explique que les preuves démontrant que les jeux sont en

train ravir "du temps de cerveau humain" à la télé sont loin d'être concluantes. Il cite à l'appui

une étude conduite par le cabinet Jupiter Research parmi des joueurs entre 18 ans et 24 ans.

L'étude montre notamment que parmi ce panel, la proportion de temps consacré à la télévision

s'est accru relativement aux autres médias.59

On peut aussi remarquer que les coûts de la publicité dans les jeux vidéo s’avèrent importants et

au moins aussi élevés que dans les autres médias si ce n’est bien plus. Le déploiement de la

publicité dans les jeux sur console s'avère très lourd à mettre en œuvre. En cause notamment, le

délai amont requis pour inclure une publicité personnalisée dans un jeu vidéo, atteignant parfois

18 mois avant la sortie du jeu. En cause aussi, le nombre d'obstacles procéduriers à franchir, en

particulier l'obtention de l'autorisation de nombreuses entités : organismes publics ou corporatifs,

développeurs et éditeurs, fabricants de consoles ainsi détenteurs de licences d'exploitation. Ces

57 Ibid. 58 http://adverlab.blogspot.com/ 59 Advertising in computer games, p17. Ilya Vedrashko

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complications font du marché de l'in-game advertising, au moins dans le cas des jeux sur

consoles, un marché plus proche de celui du placement de produit dans l'industrie du cinéma

plutôt que du "self-service" qui a cours sur le web. Les coûts d'insertion pouvant monter jusqu'à

500 000 dollars américains.60

Vedrashko explique aussi que la complexité même du paysage vidéo-ludique peut constituer un

frein au développement du jeu vidéo en tant que canal publicitaire. Un autre problème soulevé

est la quantité de l’inventaire publicitaire disponible dans les jeux vidéo; En effet la plupart des

jeux produits n’attirera qu’une très faible audience :

“Not only do nearly all titles except for the blockbuster sequels sell well under

half a million copies, most of them – as many as 90 percent - will fail to break even.”61

Matthew Killmury, directeur du marketing interactif chez Bozutto62

résume la situation, d’après

son expérience personnelle à la fois en régie et chez l’annonceur :

“However, no matter how much I wanted it to work, it’s never made enough sense. The

cost, the contracts, the shelf-life, I could deal with all of that. The main problem has been

reach. There has not been a game that has any where near the reach that is required for

that level of effort. It’s too much of a niche."63

Si on réduit donc l’inventaire publicitaire (espace où l’on peut afficher de la publicité) disponible

aux jeux qui disposent d’une audience assez nombreuse pour intéresser les annonceurs, on se

retrouve alors face au fait qu’on ne peut inclure n’importe quelle publicité dans n’importe quel

jeu et de n’importe quelle façon :

“The good news is that gamers are giving clear permission for brands to appear in and

around games -- but only where appropriate. What this means is relatively simple. People

play games to immerse themselves in an alternate reality, so brands have permission to

60 Ibid. p19-20 61 Ibid. p19 62 http://bozzuto.com/ 63 http://www.kilmurry.net/?p=217 (In-game advertising too much of a niche for me)

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behave in a way that helps players to do this. In short, if a brand appears in or around a

game, it must enhance the alternate reality.”64

Enfin, alors qu’un des arguments souvent avancés en faveur de la publicité dans le jeu est le

“point de saturation publicitaire” atteint dans les autres médias, on constate que le monde des

jeux vidéo - du moins sur consoles - manque lui aussi de place :

“These numbers make for a rather tight media inventory and most of the best-selling

titles that can readily incorporate ads already do so (eight of the console games on the

ESA’s 2005 bestseller list are sports simulations peppered with sponsor banners) -- to the

dismay of advertisers looking to break through the ad clutter in other media. On the other

hand, betting on anything other than a known franchise carries the risk of never

achieving the reach targets”65

Ily Vedrashko avance donc plusieurs obstacles qui freinent le développement de la publicité à

grande échelle dans le jeu vidéo : faiblesse de l’inventaire publicitaire exploitable disponible,

freins technologiques et “logistiques” etc. Mais on peut alors creuser plus loin et chercher la

cause de ces obstacles. Ces obstacles sont-ils surmontables ? Quelle est la dynamique sur le

marché du jeu vidéo à l’heure actuelle ? Les évolutions technologiques actuelles seront-elles

suffisantes pour faire du jeu vidéo un canal publicitaire majeur ? Pour répondre à ces questions,

il devient alors nécessaire de s’intéresser à ce qu’est le jeu en tant que medium. Qu’est-ce qui

différencie le jeu du de la télé, du journal ou de la radio ? Le jeu vidéo pourra t-il évoluer dans la

même direction que ces autres médias de masse, en termes d’activité publicitaire ?

De nombreux auteurs ont essayé de saisir les caractéristiques intrinsèques du jeu et le plus

souvent, en ont tiré des définitions. Au fur et à mesure que le marché du jeu s’est développé, un

nouveau champ de compétences professionnelles est apparu conjointement : le game design

(conception de jeu). Les études sur la nature du jeu se sont développées avec la nécessité de

développer une approche répétable du game design. L’étude des jeux à succès et des jeux

64 Ibid. p20-21 65 Ibid. p21

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rapidement oubliés, la “dissection” des différents types de jeux pour en saisir l’essence ont

contribué à enrichir et à populariser le game design en tant que discipline. Le succès grandissant

des jeux vidéo dans les foyers ainsi que la popularisation du game design en tant que métier et

champ d’étude a aussi revigoré l’intérêt des professionnels du marketing pour le jeu vidéo.

1.3/ La gamification : une nouvelle rhétorique de la publicité dans le jeu

L’idée d’utiliser du game design dans des éléments autres que le jeu a donné le terme

gamification. Il serait ainsi possible de transformer presque toute activité en jeu et par ce biais,

d’augmenter “l’implication” des utilisateurs. Ainsi, dans un processus de gamification, le game

design intégré dans un site web pourrait alors avoir pour effet d’encourager les utilisateurs à se

concurrencer dans l’utilisation du site en question et par exemple, à inviter leurs amis et proches.

Le terme gamification consiste le plus souvent à insérer des mécaniques de jeu dans des activités

à priori non ludiques. Le concept est devenu une véritable tendance du marketing en particulier

sur Internet et nous assistons à la création de nombreux sites web qui lui sont dédiés :

http://gamification.com, http://gamification.co etc. De nombreux panels ont été consacrés à ce

thème lors du sommet du séminaire Ad Tech organisé à Londres en septembre 201166. Ainsi

explique Rémi Sussan, journaliste spécialiste des nouvelles technologies et auteur d’ouvrage Les

utopies posthumaines67

:

« La gamification est un des gros buzz du moment. En janvier 2011 s’est tenu d’ailleurs

le premier “Gamification Summit“. Elle consiste essentiellement à se demander ce qui

nous attire tant dans les jeux, puis d’en extraire les recettes fondamentales, afin de les

appliquer hors du cadre ludique. Au coeur de ce processus se trouve l’idée que le gain de

66 http://blog.utalkmarketing.com/gamification/fun-and-games-getting-to-the-next-level-of-advertising-with-gamification/ 67 Rémi Sussan, Les utopies posthumaines, Omniscience Collection Essais (2005)

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points, l’acquisition d’un statut, sont des moteurs d’amusement suffisants pour

encourager les utilisateurs à recourir à un service. »68

De nouvelles entreprises se sont créés dans le but d’aider les marques à gamifier leurs activités

traditionnelles et donc aussi leur communication. C’est le cas de SCVNGR69

(prononcer

Scavenger) qui propose aux entreprises d’organiser des challenges ludiques à destination des

utilisateurs de SCVNGR. Les challenges sont considérés comme des jeux prenant place dans la

vie réelle et permettent aux utilisateurs du service de gagner des points, des badges et des

cadeaux. Par exemple une marque de boissons peut demander aux utilisateurs de SCVNGR de

créer la plus grande construction possible avec des bouteilles de la dite marque. Cette opération

se transformant donc en véritable publicité de rue pour la marque, avec de possibles retombées

dans la presse.

Les discours autour de la gamification sont dans l’ensemble similaires à ceux que nous

évoquions plus haut. Par exemple, pour Fred Cavazza, expert et consultant en marketing écrit sur

son blog :

« Derrière cet anglicisme (qui doit faire se retourner Maitre Capello dans sa tombe) et

les exemples que l’on cite trop souvent (Foursquare & cie), se cachent des pratiques

réellement disruptives et une nouvelle façon d’aborder les prospects, de les convertir et

de fidéliser les clients. »70

Pour Gabe Zichermann :

“From Coca-Cola’s jolly Santa to Wendy’s ‘‘Where’s the Beef?’’ lady, advertising has

been at times both iconic and culturally transformative. But the cost-benefit is difficult to

anticipate, and even worse, its failures now stand on the public stage of social

networking. Further, competition is plentiful and loud and includes TiVo, mute buttons,

68 http://www.internetactu.net/author/remi-sussan/ 69 http://scvngr.com/ 70 http://www.fredcavazza.net/2011/04/20/la-gamification-au-service-de-la-retention-et-de-la-transformation/

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and the general din of a business world competing for the waning attention of consumers

who are far more interested in Guitar Hero, World of Warcraft, and American Idol.”71

“Why should people stop having fun to watch a commercial? More important, why would

they? Fundamentally, how do marketers get anyone’s attention anymore, much less that

of Generation G, the greatest game-playing demographic in history? The answer is

simple and unequivocal: in order to compete with games, marketing must become a

game.”72

Ainsi si le marketing doit devenir un jeu, comment doit alors s’opérer cette transformation et en

quoi consiste-t-elle ? Et surtout, la question essentielle est encore : qu’est-ce qu’un jeu ? Pour

Gabe Zichermann and Joselin Linder, chauds partisans du game based marketing, il semble qu’il

y a jeu s’il y a un système de scores ou de classement, qu’ils assimilent à des mécaniques de jeu :

“One of the leading indicators that some kind of game is being played is the presence of

a scorekeeping mechanism. Typically, this takes the form of points assigned for specific

activities, but it can be much broader. Scores are assigned throughout the world any time

a count is kept. Sales team performance shown on a chart by the office door, comparative

rankings of top honor-roll students, even the number of followers on Twitter or friends on

Facebook are all forms of scorekeeping.”73

“A game mechanic is any technique implemented by game designers in order to create

play. For example, a leaderboard, a ranked list of players, can be used as a game

mechanic if it is intended to generate activity.”74

Dans ce discours, un jeu consiste en un ensemble de mécaniques de jeu, elles-mêmes étant

constituées de scores, de points, de classements etc. Le discours de la gamification puise sa

71 Game based marketing, p5-6. Gabe Zichermann & Joselin Linder 72 Ibid. p6 (citation traduite de l’anglais) 73 Ibid. p35 (citation traduite de l’anglais) 74 Ibid. p15 (citation traduite de l’anglais)

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substance dans les avancées du game design et des études portées sur ce thème. Cependant, le

discours de la gamification ne reprend que les aspects éminemment visibles des mécaniques de

jeu et ainsi armé, promet une réinvention de secteurs d’activité entiers, y compris la publicité. Un

exemple récent de cette tendance est la description d’un nouveau service en ligne par son

créateur :

“The first product that we’ll be working on at Inlith is a re-imagination of online

advertising, its called PLAY. Our aim is to improve advertisement, by makings ads more

valuable to users and the process more engaging. So how do we do it?

1. Making ads more valuable to users: To make the ads themselves more meaningful to

the users, we attach rewards to them. Rewards can range from discounts to giveaways,

they can even be virtual rewards such as badges. To obtain these rewards the user must

complete certain tasks to gain points.”75

Les discours autour de la publicité dans les jeux vidéo apparaissent le plus souvent comme des

discours de l’innovation qui ne sont pas sans rappeler l’idéologie du progrès technique. Ils

portent en eux quelque chose de “révolutionnaire” : l’innovation qui va tout changer ! Interrogés

par Gaetan Duchateau, animateur du blog marketing gaduman.com76

, les dirigeants de Onefeat,

une entreprise visant la gamification du réel à l’instar de SCVNGR, répondent avec une

confiance totale :

« Je suppose que le concept de gamification ne vous est pas étranger ?

On est convaincu que le gaming est l’avenir de la publicité. Quand tu joues tu es

concentré, et il y a une notion émotionnelle qui se dégage. Et les marques sont très

interessées par ce petit moment qui se passe chez l’utilisateur. Quand Zynga ajoute des

engrais brandés ça devient beaucoup plus puis puissant. C’est aussi pour les marques

une manière de retrouver un public plus fort, plus proche du partage de l’émotion. »77

75 http://ashraful.org/play/ 76 http://www.gaduman.com 77 http://www.gaduman.com/2011/10/service-web/interview-onefeat-start-up-de-la-gamification-du-quotidien/

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Seth Priebatsch, le PDG de SCVNGR adopte un ton presque prophétique :

“While the last decade was the decade of social, and the decade of where the framework

in which we connect with other people was built, this next decade will be the decade

where the game framework is built, where the motivations we use to actually influence

behavior and the framework in which that is constructed is decided upon.”78

Si l’on s’est d’abord intéressé à la publicité dans le jeu vidéo, on voit qu’avec la gamification, la

publicité elle-même devient jeu ou du moins ambitionne de le devenir. Tout comme la première

poussée vers la publicité dans le marché des jeux vidéo sur console, le discours sur la

gamification aborde un ton plus qu’optimiste. Il est intéressant de mettre en relation ces discours

avec le terme inventé par l’agence Gartner, le cycle de la hype :

Le cycle de la Hype de Gartner79

78 http://www.ted.com/talks/seth_priebatsch_the_game_layer_on_top_of_the_world.html 79 http://www.readwriteweb.com/enterprise/2011/08/gartner-adds-big-data-gamifica.php

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Le discours de la gamification marque-t-il un pic d’attentes exagérées pour la synergie publicité /

jeux ? Ou alors, après les résultats modestes de la publicité dans les jeux sur consoles, la

gamification pourra-t-elle élever les jeux au statut de canal publicitaire majeur ? De plus, le

concept de gamification étant bien postérieur à l’utilisation des advergames, on peut se demander

s’il apporte des éléments réellement nouveaux à la problématique de la publicité dans le jeu ou

par le jeu. Puisque le discours de la gamification affirme apporter l’essence du média ludique à la

publicité et l’y intégrer de manière optimale, il nous faut alors nous intéresser à cette essence

ludique. Une plus grande compréhension de ce qu’est le jeu en tant que medium nous est

nécessaire pour pouvoir répondre aux questions posées plus haut.

2/ COMMENT INTEGRE T-ON LA PUBLICITE DANS LE « SYSTEME JEU » ?

Lors de l’émergence d’un nouveau média, il faut un temps d’adaptation pour que l’offre

publicitaire s’imprègne des caractéristiques propres à ce nouveau média. Ainsi lors de

l’émergence de la télévision comme nouveau média de masse, les premiers messages

publicitaires diffusés étaient très différents des spots TV que l’on peut voir aujourd’hui. On peut

aussi noter qu’en tant que forme publicitaire, les petites annonces sont beaucoup plus présentes

dans la presse écrite et sur Internet qu’à la radio ou à la télévision. Pourquoi ? Plus frappant, les

publicités pour les marques de luxe sont moins présentes à la radio que dans la presse écrite, les

magazines ou bien sûr la télévision. Pourquoi donc ? Une explication possible est que le message

publicitaire d’un produit de luxe se conçoit d’abord par l’image, élément dont la radio est

dépourvue.

A chaque média correspond donc des formes publicitaires particulières et appropriées. Chaque

média est optimisé pour des formes publicitaires différentes. Ainsi le spot publicitaire de trente

secondes convient bien à la télévision mais reste fort minoritaire sur Internet (cela change avec

les sites de partage de vidéos qui ont de plus en plus le caractère de chaînes de télévision). En

revanche la bannière publicitaire est quasi-absente de la télévision mais absolument dominante

dans la presse écrite et très présente sur Internet. Dans le monde encore marginal de la publicité

dans les jeux, la bannière publicitaire est aussi dominante mais reste minoritaire en termes de

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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nombres de jeux concernés. On retrouve les bannières publicitaires en premier lieu dans les jeux

de simulation sportives. Ainsi dans les simulations de football, on retrouve systématiquement la

contrepartie virtuelle des panneaux publicitaires présents dans les stades, on retrouve aussi des

types particuliers de bannières publicitaires que sont les mentions des sponsors sur les maillots

des joueurs. Dans les simulations de sports mécaniques on retrouve aussi la bannière publicitaire

comme forme dominante de publicité, avec des mentions publicitaires sur les équipements des

participants et sur les circuits de course. Un peu plus rare, on retrouve dans certains jeux ayant

des environnements urbains, des bannières publicitaires mimant celles qu’on peut apercevoir

dans les rues des grandes villes : sur les gratte-ciels, dans les stations de métro etc.

La bannière publicitaire domine le marché publicitaire de la presse écrite, marché déjà très

important et très mature. On peut donc en déduire que pour la presse écrite, la bannière

publicitaire constitue la meilleure forme d’intégration publicitaire. Mais qu’en est-il pour le jeu

vidéo ? La bannière publicitaire est elle la meilleure forme de publicité pour le jeu vidéo ? Sinon,

est-ce là la raison pour laquelle le marché de la publicité dans les jeux vidéo reste marginal ?

Notre hypothèse est que la meilleure forme d’intégration publicitaire dans le jeu vidéo est

ce que nous appelons la « publicité ludique ».

Il s’agit de ne pas se contenter de mettre la publicité à portée de vue des joueurs, comme dans le

cas des bannières, mais d’intégrer la publicité au cœur du jeu : ce que Ben Cousins (game

designer80) et Raph Koster (game designer lui aussi)81

appellent le ludème. La publicité ludique,

c’est intégrer la mécanique publicitaire dans la mécanique de jeu. Pour cela, il est crucial de

comprendre ce qu’est réellement un jeu, en quoi le jeu se distingue en tant que medium.

A cet égard, un parallèle intéressant peut être dressé entre le monde du jeu vidéo et celui des

moteurs de recherche sur Internet à la fin des années 90. A cette période, peu d’entreprises, y

compris les géants du secteur comme Microsoft et Yahoo! considéraient les moteurs de

recherche comme des services stratégiques. Au point où Yahoo! refusa de considérer l’achat de

Google à ses fondateurs pour quelques millions de dollars. Même après le succès de Google en

80 http://www.bencousins.com/ 81 f.cl.ly/items/321D100j1f0f311X0n3z/futureplay2010bojinludemes.pdf

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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termes de popularité, l’entreprise n’avait toujours pas de modèle économique viable, refusant

d’utiliser les bannières publicitaires placardées sur les moteurs de recherche concurrents comme

Alta Vista, et sur la majorité des sites web. C’est alors que Bill Gross, homme d’affaires

américain créateur de GoTo.com inventa la publicité contextuelle pour les moteurs de recherche :

placer des encarts publicitaires textuels relatifs à la requête de l’utilisateur. Ce modèle fut repris

par Google et est à la base du succès financier actuel de l’entreprise. C’est aussi un modèle qui à

lui seul, a créé une toute nouvelle industrie publicitaire aux proportions colossales. Ainsi selon

l’Interactive Advertising Bureau, organisation américaine chargée de développer des standards

pour la publicité en ligne et basée à New York, la publicité contextuelle sur les moteurs de

recherche a représenté presque la moitié de la publicité en ligne en 201082

2.1/ Une critique de la gamification

. Une fois donc que la

forme publicitaire optimale pour les moteurs de recherche a été utilisée et raffinée, le marché de

la publicité dans les moteurs de recherche a littéralement explosé…

L’utilisation du concept de la gamification à des fins de marketing amène à construire une

représentation du jeu où les points, les badges et les récompenses constituent les éléments

centraux du “système jeu”. Les discours entourant la gamification sont en général optimistes et

promettent une “révolution” de la publicité et du marketing en général. Il s’agirait, en

“gamifiant”, de transformer des activités entières en jeux. Là où il fallait, par une publicité

onéreuse toucher le consommateur avec un taux de réussite assez faible, on pourrait maintenant

utiliser le jeu pour en faire plus qu’un consommateur, plus qu’un utilisateur mais un véritable

joueur, pleinement engagé avec la marque “avec qui” il joue. Cette tendance connaît une grande

croissance sur Internet notamment, avec des entreprises qui se créent pour fournir aux marques

des “kits de gamification” avec points, badges et récompenses clés en main. Pourquoi faire de la

publicité “traditionnelle” lorsqu’on peut transformer son activité en jeu et les consommateurs en

joueurs qui inviteront leurs amis à jouer dans une concurrence acharnée pour dominer les

classements ? Les utilisateurs-joueurs feront eux-mêmes la publicité du produit comme on peut

lire sur le site de Badgeville, fournisseur d’un kit de gamification :

82 http://www.emarketer.com/PressRelease.aspx?R=1008432

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

34

http://badgeville.com/

Et cela, en toute facilité. Ainsi sur le site de BigDoor, autre fournisseur de tels “kits de

gamification”, on peut lire :

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

35

http://www.bigdoor.com/

On peut aussi noter l’utilisation de symboles renvoyant au monde du jeu :

● Une bulle “+10” évoquant la récompense en points qu’un joueur obtiendrait après un

challenge réussi

● Une roulette caractéristique des jeux de hasard voire de casinos. Sur chacune des cases de

la roulette est inscrit un objectif d’affaires pour la marque : “Engagement”, “Loyauté” et

“Revenu”. C’est l’intégration parfaite du jeu aux objectifs d’affaire de la marque, avec

uniquement des cases gagnantes !

● Le fond en vert, pareil à la surface d’une table de poker et l’utilisation massive du rouge

renforcent la ressemblance à l’univers du casino; le tout évoquant l’idée que la

gamification représente un jackpot tout proche et accessible.

La publicité dans les jeux vidéo a commencé avec des insertions de bannières publicitaires

statiques dans les jeux. Il y a ensuite eu l’apparition de bannières dynamiques qui pouvaient être

changées après le développement du jeu, s’adapter à des opérations ponctuelles et fournir des

mesures plus précises. La gamification a pour ambition la transformation de tout ou partie du

produit en jeu, avec comme objectifs l’augmentation du taux de conversion, de “l’engagement”

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et du “bouche à oreilles”... La gamification devient en ce sens une étape plus poussée de

l’intégration entre la publicité et le jeu vidéo dans le sens où elle promet d’utiliser les

caractéristiques intrinsèques du jeu à des fins de publicité et de marketing. Le discours de la

gamification propose donc une représentation du jeu où celui-ci est défini principalement par un

système de récompenses : badges, points, classements etc.

S’il est vrai que la plupart des jeux incorporent divers systèmes de récompenses de ce type, il y a

de notables exceptions. Si l’on prend l’exemple d’un des jeux les plus populaires au monde, “Les

Sims”, il n’y a ni badge, ni point ni classement. Il s’agit d’un jeu qui place le joueur dans une

sorte de position démiurgique où le but est de créer des personnages et d’organiser tous les

aspects de leur vie. On peut citer dans un autre registre, le jeu flOw, créé par le game designer

Jenova Chen dans le cadre de ses recherches sur l’ajustement dynamique de la difficulté dans les

jeux et inspiré par les travaux du professeur de psychologie Mihaly Csikszentmihalyi83 autour du

concept de l’immersion mentale (flow). Dans flOw84

on incarne une créature aquatique qui

navigue à travers un plan marin, peuplé de diverses créatures. On peut les absorber pour grandir

et passer d’un plan à l’autre. Là aussi, ni badge, point ou classement :

Le jeu flOw

Si les scores, points, badges et autres classements ne sont pas des conditions nécessaires à

l’existence du jeu, on peut alors se demander qu’est-ce qui définit alors le jeu en tant que 83 Flow: The Psychology of Optimal Experience. Mihaly Csikszentmihalyi 84 http://www.jenovachen.com/flowingames/flowing.htm

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medium. Qu’est-ce qui différencie alors le jeu d’un film ou d’une chaîne de télévision ? Les

points et les badges sont-ils d’ailleurs des éléments uniques aux jeux ? Et si ce n’est pas le cas,

l’élément “game” dans “gamification” est-il justifié ?

Les concepteurs de jeu (game designers) présentent une représentation du jeu radicalement

différente de ce qu’est un jeu et donc de la manière d’utiliser le jeu à des fins autres que

purement ludiques. On assiste ainsi dans le milieu du game design, à une critique généralisée du

concept de gamification, en particulier quand il est appliqué à des fins de publicité ou de

marketing. Par exemple, voici ce qu’écrit le 6 octobre 2010, Margaret Robertson, game designer

travaillant chez Hide&Seek, entreprise créant des jeux mêlant “virtuel” et “réel”85

:

“That problem being that gamification isn’t gamification at all. What we’re currently

terming gamification is in fact the process of taking the thing that is least essential to

games and representing it as the core of the experience. Points and badges have no

closer a relationship to games than they do to websites and fitness apps and loyalty

cards. They’re great tools for communicating progress and acknowledging effort, but

neither points nor badges in any way constitute a game. Games just use them – as

primary school teachers, military hierarchies and coffee shops have for centuries – to

help people visualise things they might otherwise lose track of.”86

Elle conclut :

“Or, in other words: Games are good, points are good, but games ≠ points.”87

Ainsi, pour Robertson, les points et autres badges ne définissent pas le jeu en tant que médium.

Cet avis est partagé par de nombreux autres game designers dont l’un des plus virulents est Ian

Bogost, game designer, professeur et chercheur à la School of Literature, Communication and

Culture au sein du Georgia Institute of Technology. Ainsi, il écrit sur son blog, de manière assez

rude :

85 http://lookspring.co.uk/ (site personnel de Margaret Robertson) 86 http://www.hideandseek.net/2010/10/06/cant-play-wont-play 87 Ibid.

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“Gamification is bullshit. […]More specifically, gamification is marketing bullshit, invented by

consultants as a means to capture the wild, coveted beast that is videogames and to domesticate

it for use in the grey, hopeless wasteland of big business, where bullshit already reigns

anyway.”88

Dans une colonne sur Gamasutra89, le site de référence des professionnels du jeu vidéo, il avance

plus en détails sa critique du concept de gamification. Il y aborde notamment la difficulté de

“vendre” les jeux au-delà de l’industrie ludique et la perception qu’en ont les non-joueurs, en

particulier les décisionnaires des administrations et des entreprises. En citant Frank Luntz, qui dit

que l'important n'est pas ce qu'on dit mais ce que les autres entendent, Ian Bogost explique que

pour rendre les jeux attrayants au-delà de l'industrie du divertissement, tâche titanesque s'il en

est, il faut arriver à mettre en place la bonne rhétorique pour promouvoir le concept.90

Il insiste sur la filiation rhétorique entre la gamification et les serious games. Les jeux sérieux

feraient partie d'une rhétorique qui tire ses racines dans les rhétoriques de la simulation politique

des années 80 et de l'edutainment des années 90. Le terme de "jeux sérieux" serait ainsi un

oxymore destiné à capter l'attention du public et plus particulièrement des personnes qui tiennent

les leviers de décision des grandes organisations publiques ou privées. 91 Il est notamment

frappant de voir que le concept de serious games a généré peu de succès commerciaux au niveau

du grand public mais s’est attaché un certain support institutionnel. C’est par exemple le cas avec

l’appel à projets lançé en 2009 par Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat à l’économie

numérique; appel à projets pourvu d’une subvention de 10 millions d’euros.92

Bogost touche ensuite à l’un des freins au développement de la publicité dans les jeux vidéos que

nous avons évoqué plus haut, à savoir le coût parfois prohibitif d’une synergie réussie entre un

jeu et le message publicitaire qui y est incorporé. Il insiste notamment sur le fait que faire des

jeux est particulièrement difficile et couteux. Les jeux à succès nécessitent souvent des équipes

88 http://www.bogost.com/blog/gamification_is_bullshit.shtml 89 http://www.gamasutra.com/ 90 http://www.gamasutra.com/view/feature/6366/persuasive_games_exploitationware.php 91 Ibid. 92 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/11/15/nathalie-kosciusko-morizet-la-parenthese-numerique_1440091_651865.html

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de plusieurs centaines de personnes et des millions de dollars de budget. Il donne ainsi une

explication de l’appel que possède le concept de gamification :

“This is why "gamification" is such an effective term. It keeps the term "game" and puts it

right up in front, drawing attention to the form's mysterious power. But the kicker comes

at the end: the "-ify" suffix it makes applying that medium to any given purpose seem

facile and automatic. “93

Dans le même passage, Bogost attaque la vision des avocats de la gamification comme Gabe

Zichermann. Il s’oppose à l’idée que les points et autres badges constituent l’ossature du jeu :

« Note how deftly Zichermann makes his readers believe that points, badges, levels,

leader boards, and rewards are "key game mechanics." This is wrong, of course -- key

game mechanics are the operational parts of games that produce an experience of

interest, enlightenment, terror, fascination, hope, or any number of other sensations.

Points and levels and the like are mere gestures that provide structure and measure

progress within such a system. »94

Les points, les badges et autres classements utilisés dans les projets de gamification, ne

constituent donc pas l’essence du jeu mais sont seulement des composantes souvent utilisées

dans les systèmes de récompenses et punitions présents dans tout jeu. La gamification ne

représente donc pas, à ce titre, une intégration très poussée entre jeu vidéo et publicité ou entre

jeu vidéo et marketing. De même l’utilisation classique de la publicité dans le jeu vidéo par

l’utilisation de bannières, qu’elles soient statiques ou dynamiques, ne touche pas non plus à

l’essence du jeu vidéo et se place en général à la périphérie du jeu, n’en faisait pas vraiment

partie. Etudier complètement le potentiel d’intégration entre la publicité et le jeu vidéo, demande

de comprendre quelle est l’essence du jeu en tant que medium et comment faire du message

publicitaire, partie intégrante de cette essence. Cela y va de l’intérêt des joueurs et des

annonceurs.

93 http://www.gamasutra.com/view/feature/6366/persuasive_games_exploitationware.php 94 Ibid.

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2.2/ Le « système jeu » Pour comprendre qu’est-ce que le jeu, en tant que medium, plusieurs approches sont possibles,

en premier lieu celle des définitions. Nombreux sont les auteurs qui ont tenté de définir ce

qu’était le jeu vidéo.

2.2.1/ Définitions et représentations du jeu

Pour Roger Caillois95

• Libre : l'activité doit être choisie pour conserver son caractère ludique

le jeu est une activité qui doit être :

• Séparée : circonscrite dans les limites d'espace et de temps

• Incertaine : l'issue n'est pas connue à l'avance

• Improductive : qui ne produit ni biens, ni richesses (même les jeux d'argent ne sont qu'un

transfert de richesse)

• Réglée : elle est soumise à des règles qui suspendent les lois ordinaires

• Fictive : accompagnée d'une conscience fictive de la réalité seconde

Selon Johan Huizinga :

« le jeu est une action ou une activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées

de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie mais complètement impérieuse,

pourvue d'une fin en soi, accompagnée d'un sentiment de tension ou de joie, et d'une

conscience d'être « autrement » que dans la vie courante » 96

Enfin pour Jesper Juul :

“A game is a rule-based system with a variable and quantifiable outcome, where

different outcomes are assigned different values, the player exerts effort in order to

95 Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1958. 96 Johan Huizinga, Homo ludens.

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influence the outcome, the player feels emotionally attached to the outcome, and the

consequences of the activity are negotiable“97

Les game designers Katie Salen et Eric Zimmerman proposent quant à eux une définition assez

proche de celle de Jesper Juul mais insistant notamment sur la notion de conflit98

:

“a system in which players engage in an artificial conflict, defined by rules, that results

in a quantifiable outcome”

Enfin, pour Ernest Adams et Andrew Rollings, eux aussi game designers, la notion de challenge

ressort explicitement, notion proche de celle de conflit :

“One on more casually linked series of challenges in a simulated environment” 99

Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux définitions et représentations proposées par

les game designers car ils ont ainsi la particularité d’analyser le jeu comme un système composé

de différents éléments bien distincts et concrets. On peut dire qu’ils développent dans leur

majorité, une vision en quelque sorte atomiste du jeu. Cela peut-être critiqué comme étant du

réductionnisme mais cette approche est néanmoins pertinente pour les concepteurs de jeux car

elle leur fournit un cadre efficace pour la conception. Cela est aussi pertinent pour notre étude de

considérer le point de vue du game designer afin de déceler comment l’intégration de la publicité

peut s’effectuer dans ce processus de conception. En effet, l’intégration de la publicité se fait

nécessairement lors de sa conception, très en amont de la réalisation finale.

Raph Koster est un concepteur de jeu qui a eu un impact fort dans l’étude des jeux vidéo et du

game design en général avec la publication de son ouvrage : A Theory Of Fun For Game

Design100

97 Jesper Juul, Half-Real: Video Games between Real Rules and Fictional Worlds

. Raph Koster puise dans les sciences cognitives et considère les jeux comme des

motifs facilement assimilables par le cerveau, organe spécialisé dans la reconnaissance de motifs

98 Katie Salen et Eric Zimmerman, Rules of Play 99 Andrew Rollings et Ernest Adams, Andrew Rollings et Ernest Adams on Game Design 100 A Theory Of Fun For Game Design, Paraglyph Press; 1ere edition (2004)

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de toutes sortes. De même qu’apprendre à conduire consiste à apprendre à reconnaître des motifs

particuliers, jouer à un jeu consiste aussi à assimiler les motifs que le jeu expose. Pour Raph

Koster, la nature des jeux, des motifs facilement enregistrables par le cerveau, qu’on peut

répéter, pratiquer et dont on peut faire des permutations, en font des outils d’apprentissage très

puissants :

« In other words, games serve as very fundamental and powerful learning tools. It's one

thing to read in a book that "the map is not the territory" and another to have your

armies rolled over by your opponent in a game. When the latter happens, you're gonna

get the point even if the actual armies aren't marching into your suburban home. »101

Il résume cela très succinctement en écrivant :

« They are about cognition, and learning to analyze patterns. »102

Un exemple typique de motif qu’on est amené à reconnaître et analyser dans les jeux est celui

qu’on trouve dans les shooters, ces jeux où l’on incarne un vaisseau terrien défendant la planète

contre les assauts de vaisseaux extra-terrestres :

101 Ibid. 102 Ibid. p37

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Description d’un shooter103

Le processus d’ingestion de ces motifs, la démarche de maîtrise de ces motifs fournissent alors le

plaisir que les joueurs retirent des jeux. Pour décrire ce plaisir, Koster utilise le terme anglais fun.

Encore une fois, Koster s’appuie sur les sciences cognitives pour son analyse en expliquant que

l’on a du fun lorsque le corps libère des endorphines dans notre cerveau ; ces endorphines étant

libérés au cours d’expériences particulièrement agréables comme déguster du chocolat ou

écouter une œuvre musicale exceptionnellement puissante. Le plaisir du jeu proviendrait donc du

processus d’apprentissage, de reconnaissance des motifs exposés par le jeu (le moment de cette

reconnaissance, de cette maîtrise générant une émission d’endorphines…) et l’ennui

interviendrait alors lorsque le jeu n’offre plus de nouveau motif à analyser. C’est pourquoi selon

Koster, le morpion serait un jeu plus limité que les échecs, l’ennui y arriverait plus rapidement.

103 Ibid. p39

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En effet, le morpion offre un nombre très limité de combinaisons, de motifs, et une fois qu’on les

connaît, le jeu perd tout son intérêt. Deux joueurs modérément expérimentés arriveront presque

toujours à un match nul, contrairement aux échecs où les possibilités semblent infinies. Ainsi s’il

est facile pour un programme informatique de calculer toutes les combinaisons possibles au jeu

du morpion, cela représenterait un tâche pharaonique en ce qui concerne les échecs.

Si les jeux présentent aux joueurs des motifs à reconnaître et maîtriser, et que le joueur retire du

plaisir ce cette maîtrise, ils présentent aussi un caractère systémique avec plusieurs composantes

interagissant dans un monde fini, fermé et parfaitement décrit par les règles définies par le game

designer. Quelles sont ces composantes ?

Selon Koster :

“Rewards are one of the key components of a successful game activity; if there isn't a

quantifiable advantage to doing something, the brain will often discard it out of hand.

What are the other fundamental components of a game elemenet, the atoms of games, so

to speak? Game designer Ben Cousins calls these "ludemes," the basic units of gameplay.

We've talked about several of them, such as "visit everywhere" and "get to the other

side." There are many left to discover, we hope. In the end, though, they are almost

always made up of the same elementary particles.”104

Daniel Cook, game designer chez Spry Fox105 et auteur du blog de game design « Lost

Garden »106, insiste aussi, quoique différemment, sur l’idée que les jeux sont intrinsèquement,

des outils d’apprentissage. Pour lui les jeux permettent un apprentissage exploratoire de façon

contrôlée. Il présente ainsi un modèle pour le jeu107

:

104 Ibid. p118 105 http://www.spryfox.com/ 106 http://www.lostgarden.com/ 107 http://lunar.lostgarden.com/Mixing_Games_and_Applications.pdf

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Pour Daniel Cook, les jeux sont ainsi composés de boucles où le joueur apprend des

compétences en vue d’accomplir un objectif défini par le jeu :

“The loop we’ve just gone through is known as a ‘Skill atom’ or STARS atom. This

atomic interaction loop is found as a fractal pattern throughout every single game ever

made. You can use it to break apart and analyze pretty much any game. It also works

quite well for analyzing where exploratory learning is failing in traditional apps.”108

Ainsi, si nous prenons exemple du jeu Super Mario Bros, le joueur commence le jeu sans

indication particulière :

108 Ibid.

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Le joueur devine qu’il est Mario, le personnage à la gauche de l’écran. Mais comment vérifier

cette intuition ? En appuyant sur les boutons de contrôle directionnel de sa manette (gauche,

droite) le joueur constate qu’il peut faire avancer ou reculer le personnage horizontalement

(Tools & Action). Etant au tout début du jeu, reculer encore plus encore vers l’extrême gauche

ne fonctionne pas (Rules) et inévitablement, on se donne un but immédiat dans le jeu : aller de

l’avant (Goal). Avancer nous mène inéluctablement à rencontrer le second personnage sur

l’écran, une créature qui nous fait perdre la vie dès qu’on la touche (Stimulus).

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Il nous faut donc explorer d’autres moyens pour atteindre notre but, qui est d’avancer vers

l’avant. En appuyant sur d’autres boutons de notre manette, on découvre le bouton « saut » qui

nous permet d’effectuer des bonds verticaux (Tools & Action), sauter tout en avançant nous fait

effectuer un bond vers l’avant. A présent, nous savons faire un bond vers l’avant (Skills). Cela

est la compétence de base que nous allons tenter d’utiliser pour éviter la créature :

Faire le bond en avant au bon moment et avec assez de force nous permet d’éviter la créature et

de continuer notre chemin. Eviter les créatures est ainsi une nouvelle compétence dans notre

arsenal que nous pourrons utiliser à nouveau pour continuer à poursuivre notre but : aller de

l’avant. Pour atteindre son but, le joueur explore donc les possibilités du jeu et bâtit des

compétences qui lui permettront d’atteindre cet objectif. Les compétences de base peuvent être

combinées pour ainsi surmonter des challenges plus complexes, comme le montre ce schéma de

Daniel Cook :

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Brice Morrison109, autre game designer et éditeur du blog The Game Prodigy consacré au game

design, présente une approche pour le game design séparant aussi le jeu en divers composants110

.

Il appelle cette approche le “game design canvas” ou “canevas pour le game design” :

Le game design canvas

109 http://gamedevelopmenthero.com/aboutTheAuthor.html 110 http://thegameprodigy.com/the-game-design-canvas-an-introduction

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On peut examiner tout jeu à l’aide de ce canevas mais aussi l’intégration de la publicité et

marketing avec le jeu. Cette approche a le mérite d’être plus complète que les précédentes, en

prenant en compte par exemple la dimension esthétique du jeu. L’expérience centrale (Core

Experience) décrit le sentiment principal que le joueur a en jouant. Ainsi pour un jeu aussi

simple que Pac-Man, le joueur est placé dans la peau d’un fugitif poursuivi de toutes parts bien

que la représentation de cette chasse à l’homme soit hautement iconique. Les mécaniques de jeu

de base (Base Mechanics) ou “ludèmes” selon l’appellation de Ben Cousins constituent les

actions que le joueur effectue concrètement dans le jeu. Pour Pac-Man, les mécaniques de jeu

sont très simples et peu nombreuses : bouger vers la droite ou la gauche, bouger vers le haut ou

le bas, toucher les points jaunes.

Le jeu Pac-Man

Pour Brice Morrison, il s’agirait ici de mécaniques de jeu dites “atomiques”, c’est à dire les

actions les plus simples possibles qui existent dans le jeu. Il présente aussi les mécaniques de jeu

dites “complexes” qui combinent ainsi plusieurs actions ou mécaniques de jeu “atomiques” :

dans le cas de Pac-Man, cela peut être de bouger pour toucher un objet spécial sur le plan de jeu

et ainsi acquérir le pouvoir d’attaquer les poursuivants. Cela correspond aussi au cas présenté

plus haut où le personnage de Mario, en combinant mouvement horizontal, saut et précision, peut

arriver ainsi à éviter son ennemi, ou à l’éliminer en atterrissant sur la tête de la créature.

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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En dehors de l’expérience centrale fournie par le jeu au joueur et les mécaniques de jeu, le

canevas présente trois autres éléments essentiels à la création d’un jeu. Ainsi il y a les

motivations long-terme à jouer à un jeu en particulier (long term incentive), l’esthétique du jeu et

le système de récompenses-punitions mis en place. En ce qui concerne les motivations qui

poussent le joueur à revenir et jouer au même jeu encore et encore, on peut dire qu’elles

constituent une des choses qui séparent le jeu en tant que medium du cinéma. Nous aurons

l’occasion d’y revenir dans notre troisième partie.

“In well-designed games, the reason that players continue to play is because the player is

seeking something. They are striving after a goal. The goal doesn’t need to be as explicit

as you would think; it doesn’t even need to be very important to the player. In fact, the

player may not even be consciously aware of the goal that is driving them. But there is a

goal, an Incentive, for them to keep going after.”111

Par exemple, dans une simulation de football, le but à long terme peut être de forger la meilleure

équipe au fil des saisons. L’esthétique du jeu correspond au thème, à l’ambiance du jeu qui peut

être créée et renforcée par le graphisme, les dialogues et l’histoire, la musique, le son, l’interface

utilisateur etc.

Enfin le canevas présente le système de récompenses-punitions présent dans tout jeu. Ce sujet

nous intéresse particulièrement car c’est la composante la plus exposée dans le concept de

gamification. On voit donc que dans le canevas, bien qu’étant un composant important du jeu, le

système de récompenses-punitions est loin de constituer le jeu à lui tout seul. Sans les

récompenses et punitions qui accompagnent ses actions, le joueur ne pourrait avoir d’indications

sur l’intérêt d’accomplir ou non telle ou telle action ni même savoir comment atteindre les

objectifs fixés par le jeu. Le système de récompenses et de punitions gouverne donc les choix du

joueur parmi les différentes actions qu’il peut mener dans le jeu. C’est par ce biais que les

concepteurs du jeu orientent le joueur vers le comportement désiré afin d’atteindre les objectifs

du jeu.

111 http://thegameprodigy.com/the-game-design-canvas-long-term-incentive

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Le système de récompenses et de punitions aide le joueur à absorber rapidement les motifs

exposés dans le jeu tels que les décrit Koster. De la manière qu’un enfant apprend à craindre le

feu en se brûlant une fois après avoir touché une flamme, le joueur apprend que sauter sur des

pics peut signifier la mort de son personnage ; le joueur devra obligatoirement retenir la leçon, au

risque d’un cuisant échec !

2.2.2/ Rhétorique procédurale et rhétorique publicitaire

Rhétorique publicitaire La publicité est avant tout un outil de persuasion à des fins commerciales. La question qui se

pose donc est de savoir comment s’exprime la persuasion dans un système tel que celui décrit

plus haut concernant le médium jeu. La publicité développe un discours destiné à convaincre le

consommateur de l’opportunité d’acheter les produits ou services d’une marque donnée ou de

façon plus générale d’ancrer une certaine idée de la marque dans son esprit. Cette utilisation du

discours à des fins de persuasion correspond bien au concept de « rhétorique ». En Occident, le

concept de rhétorique est né en Grèce antique et selon Ruth Amaury112, directrice du groupe de

recherche Analyse du discours, argumentation, rhétorique (ADARR113

) à l’université de Tel-

Aviv :

« Telle qu’elle a été élaborée par la culture de la Grèce antique, la rhétorique peut être

considérée comme une théorie de la parole efficace liée à une pratique oratoire. »114

Pour Aristote :

« La rhétorique est la faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être

propre à persuader. »115

112

http://www.tau.ac.il/~french/amossy.files/HPamossy.htm (fiche de l’auteur sur le site de l’université de Tel-Aviv) 113 http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/index.html 114 Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, Nathan, 2000, p6 115 Aristote (trad. Pierre Chiron), Rhétorique, Paris, Flammarion, coll. « Garnier Flammarion », 2007, I, II

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Il existe une certaine tension dans la définition du concept de rhétorique, tension entre des

acceptions de la rhétorique en tant qu’un art de l’éloquence et des acceptions de la rhétorique

avant tout comme un art de la persuasion. Dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, ces

deux acceptions sont en quelque sorte réconciliées :

« Rhétorique S. f. (Belles-lettres) art de parler sur quelque sujet que ce soit avec

éloquence & avec force. D'autres la définissent l'art de bien parler, ars bene dicendi ;

mais comme le remarque le P. Lami dans la préface de sa rhétorique, il suffit de la

définir l'art de parler ; car le mot rhétorique n'a point d'autre idée dans la langue

grecque d'où il est emprunté, sinon que c'est l'art de dire ou de parler. Il n'est pas

nécessaire d'ajouter que c'est l'art de bien parler pour persuader ; il est vrai que nous ne

parlons que pour faire entrer dans nos sentimens ceux qui nous écoutent ; mais puisqu'il

ne faut point d'art pour mal faire, & que c'est toujours pour aller à ses fins qu'on

l'emploie, le mot d'art dit suffisamment tout ce qu'on vouloit dire de plus. »116

C’est selon c’est acception que nous considèrerons le concept de rhétorique. Et si la rhétorique

prend racine dans le verbe, qu’il soit dit ou écrit, elle élargit aussi son champ d’application à

mesure que l’humanité explore de nouveaux moyens d’expression et de nouveaux thèmes à

aborder. La publicité moderne s’est développée avec l’industrialisation et a commencé son essor

dès le 19ème siècle. Ainsi selon Nathalie Sonnac117

, directrice de l’Institut français de presse :

« Les médias ont fait appel à la publicité, dès 1836 pour les journaux, dans le but de

couvrir des coûts de production extrêmement élevés et de permettre aux lecteurs de

s’informer à un prix rendu accessible au plus grand nombre. »118

116 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, http://www.alembert.fr/R.html (texte en ligne) 117 http://www.u-paris2.fr/1196844500540/0/fiche___annuaireksup/ (fiche de l’auteur sur le site de l’université Paris 2) 118 Nathalie Sonnac, Médias et publicité ou les conséquences d’une interaction entre deux marchés, http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-1-p-49.htm

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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La publicité moderne est un ainsi un thème relativement « nouveau » dans l’histoire de

l’humanité mais qui de par son influence économique, a une tendance à conquérir tous les

espaces disponibles lorsque cela est possible. La publicité apparaît comme une forme particulière

de communication entre les marques et les consommateurs où les marques déploient une certaine

rhétorique dans le but ultime de persuader le consommateur de faire le « bon » choix lors de son

achat. Comment cette rhétorique publicitaire opère t-elle ? Ian Bogost considère trois types de

discours publicitaires : la publicité démonstrative, la publicité illustrative, et la publicitaire

associative.119

La publicité démonstrative opère directement sur les avantages tangibles du

produit, montrant concrètement comment le produit comble le besoin précis du consommateur.

Par exemple cette publicité d’AMD pour un de ces micro-processeurs a pour but d’illustrer très

précisément la vitesse et donc la puissance de celui-ci :

La publicité illustrative opère de façon indirecte en communiquant à la fois sur des avantages

tangibles ou intangibles du produit. A l’instar de cette publicité d’Intel qui vante les « capacités

multimédia » de son processeur :

119 Ian Bogost, Persuasive Games, the expressive power of videogames, THE MIT Press, 2007, p 153

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“Introducing Centrino Duo. Now, entertainment really comes life in your lap.”

Ici, l’avantage (les « capacités multimédias » pour le divertissement) est illustré par la présence

de Mariah Carey, une vedette de la chanson.

Enfin, la publicité de type associatif communique principalement sur les avantages intangibles

du produit, et cela de façon indirecte. Ce type de discours publicitaire s’appuie essentiellement

sur des imaginaires et des représentations sociales estimées désirables par le consommateur ciblé

et essaie donc d’associer le produit à ce contexte social sous-jacent. Les fonctionnalités ou

avantages concrets du produit ne sont pas évoqués. C’est le cas de cette publicité pour la marque

de vêtements Diesel :

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Ici, le discours met en avant un certain style de vie, une certaine attitude « rebelle » à destination

d’un public plutôt jeune et urbain. La rhétorique publicitaire consiste dans ce visuel, à associer la

marque Diesel à la représentation d’une attitude « contestataire » : une jeune femme montrant sa

poitrine découverte à une caméra de surveillance. Les consommateurs s’identifiant mentalement

à l’imaginaire illustré par ce visuel, pourront ensuite en quelque sorte « matérialiser » cette

identification en portant des vêtements Diesel.

Bien entendu, dans la construction de sa rhétorique, la publicité peut associer ces trois types de

procédés. Par exemple, la série de publicité « I am a Mac | I am a PC »120

réalisée par Apple

illustre bien ce fait. Dans ces courtes vidéos, sont présentés deux stéréotypes d’utilisateurs

(procédés illustratifs et associatifs) : d’une part l’utilisateur de Mac, détendu et « dans le vent »

qui représente l’élégance de conception des Mac ainsi que l’idée que le Mac est tendance, et

d’autre part l’utilisateur de PC, revêche et sans goût. Les deux personnages ont alors un court

dialogue au cours duquel les « avantages » pratiques du Mac sur le PC seront mis en avant

(procédé démonstratif).

120 http://www.youtube.com/watch?v=M6QLOypvEcc (I am a Mac | I am a PC, episode intitulé Tech support)

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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L’utilisateur de Mac et l’utilisateur de PC dans la publicité « I am a Mac | I am a PC »

La caractéristique majeure de la rhétorique publicitaire dans les « médias traditionnels » comme

la presse, la radio ou la télévision, qu’elle utilise des procédés démonstratifs ou illustratifs ou

encore associatifs, c’est sa dimension impérative. On lit l’objet publicitaire, on l’écoute, on le

regarde : on reçoit le message construit par la marque dans un ordre bien défini et on

l’interprète. Cependant, le jeu est un médium où le joueur va participer à un processus de co-

construction du message. Comment la rhétorique publicitaire peut-elle se concevoir lorsque le

consommateur-joueur participe lui-même par ses actions à l’élaboration de ladite rhétorique ? Ian

Bogost introduit le concept de rhétorique procédurale pour caractériser le mode de persuasion

propre aux jeux en général, et aux jeux vidéo en particulier.

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Rhétorique procédurale L’idée majeure de Ian Bogost, dans son ouvrage Persuasive Games, est l’idée selon laquelle

selon laquelle la persuasion opère dans les jeux par le biais de procédures que le joueur va suivre.

C’est ce qu’il appelle la rhétorique procédurale. Selon le Trésor de la langue Française121

on

peut définir une procédure comme « Ensemble de consignes à appliquer pour effectuer un travail

ou atteindre un objectif ». Les modèles de game design présentés plus haut sont effectivement

assez proches de cette définition, avec cependant quelques nuances que nous présenterons plus

loin. Pour Bogost :

“[…] procedural rhetoric is the practice of using process persuasively, just as verbal

rhetoric is the practice of using oratory persuasively and visual rhetoric is a the practice

of using images persuasively. Procedural rhetoric is a general name for the practice of

authoring arguments through processes.”122

Ainsi, on peut voir cela à l’œuvre dans le jeu Operation Pedopriest123

:

121 http://atilf.atilf.fr/tlf.htm Le Trésor de la Langue Française informatisé 122 Ian Bogost, Persuasive Games, the expressive power of videogames, THE MIT Press, 2007, p 28-29 123 http://www.molleindustria.org/en/operation-pedopriest

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Operation : Pedopriest est un jeu développé par Molleindustria124, un collectif actif dans la

dénonciation de certains faits de société par des actions de guerilla sémiotique125

en particulier

par le biais de jeux vidéo diffusés sur le web. Le but du jeu est de protéger l’église du scandale

médiatique et d’éviter aux prêtres se rendant coupable d’abus sexuels sur mineurs d’être arrêtés

par la police. Le jeu définit un certain nombre de règles sur les actions et les réactions possibles

de chacun des personnages et entités du jeu :

La combinaison de ces règles et du but du jeu établit donc un certain nombre de procédures à

suivre par le joueur pour accomplir sa mission. Ici, l’argumentation est procédurale :

• On joue le rôle d’un cardinal

• Inévitablement, un certain nombre de prêtres vont se livrer à des abus sexuels

• Si on laisse un scandale médiatique survenir, on perd la partie

• On peut utiliser des sbires (silencers) pour intimider les adultes et éviter ainsi qu’ils

n’alertent les autorités

• La seule manière d’avancer dans le jeu est donc d’utiliser des sbires pour couvrir les

agissements criminels des prêtres fautifs

124 http://www.molleindustria.org/ 125 Nicholas Fyfe, Images of the Street: Planning, Identity and Control in Public Space, Routledge, 1998, p 274

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Dans les jeux vidéo, les règles ne sont pas toujours aussi explicites et il incombe souvent au

joueur de les découvrir par lui-même (comme dans Super Mario). Ici, le joueur, dans

l’accomplissement de sa mission est en co-création du message avec Molleindustria. En fonction

des règles et les objectifs qui lui sont fixés dans le jeu, le joueur va devoir découvrir en jouant,

des procédures à même de le faire réussir. Dans une optique de persuasion, ces procédures

constituent les outils, les arguments de la persuasion. La rhétorique procédurale consiste donc à

définir par des buts et des règles précises, des procédures qui vont illustrer ce que l’on veut

démontrer.

La nuance entre les modèles de jeu et le concept de procédure comme « Ensemble de consignes à

appliquer pour effectuer un travail ou atteindre un objectif » est que dans un jeu, toutes les

consignes ne sont en général pas données d’avance et c’est donc au joueur de mettre en place la

procédure qui lui permettra d’avancer à l’intérieur du jeu. Moins il y a de consignes données au

début du jeu et plus l’espace des actions possibles est grand, plus le jeu apparaît difficile. C’est

par un long processus de tâtonnement (guidé par le système de récompenses et de punitions) que

le joueur arrive ainsi à déchiffrer les procédures optimales. Dans Operation: Pedopriest, la

procédure optimale est de placer stratégiquement des sbires près des adultes pour les empêcher

de parler à la police et divertir les forces de police dès que l’alerte a été donné par un adulte.

Quant aux prêtres, il faut les laisser « vaquer à leurs occupations ». Ian Bogost parle ainsi

d’enthymème procédural126

. L’enthymème étant une technique dans laquelle l’une des

propositions d’un syllogisme est manquante.

Rhétorique publicitaire procédurale La rhétorique dans les jeux étant fondamentalement une rhétorique procédurale, la rhétorique

publicitaire doit donc se faire procédurale pour véritablement tirer partie du potentiel expressif

du médium. Les procédés démonstratifs, illustratifs et associatifs peuvent être utilisés de façon

procédurale, cependant, le procédé associatif semble être utilisé plus souvent :

126 Ian Bogost, Persuasive Games, the expressive power of videogames, THE MIT Press, 2007, p 43

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“Of the three, associative games are most prevalent, but demonstrative games dovetail most

closely with the procedural properties of the videogame medium.”127

Cette affirmation de Ian Bogost selon laquelle la publicité démonstrative « collerait » plus aux

propriétés du médium jeu peut témoigner d’un biais de l’auteur en faveur d’un certain « purisme

ludique », qui insiste sur le « côté mécanique » du jeu. C’est ce que Tadhg Kelly, game designer

et auteur de l’ouvrage What games are128, a appelé le tétrisme129, c'est-à-dire le culte de la pureté

de conception du jeu Tetris : pas d’histoire et des visuels les plus rudimentaires qui soient,

seulement de la « mécanique ». Il est aussi vrai que faire de la publicité démonstrative dans un

jeu requiert un minimum non nul de procéduralité, les procédés illustratifs et associatifs peuvent

se contenter d’une présence dans le décor du jeu. Des entreprises comme Skyworks, développent

à ce titre, des jeux génériques (Tennis, Bowling etc.) et proposent aux marques de les

« personnaliser » à leurs éléments marketing propres.130

Un bel exemple de jeu publicitaire utilisant principalement des procédés illustratifs et associatifs

est celui du jeu des 7 différences réalisé pour la marque Wonderbra.131

127 Ibid, p 158 128 http://whatgamesare.com/ 129 http://www.gamasutra.com/view/news/32355/Opinion_Tetris_Is_Not_The_Answer.php 130 http://www.skyworks.com/ 131 http://www.wonderbra.be/7/

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Le but du jeu est ici de trouver sept différences entre les deux photos. Le joueur peut analyser la

photo sous tous les angles et zoomer. Les avantages d’un soutien-gorge Wonderbra ne sont pas

mis en avant par la mécanique de jeu, mais la jeune femme mise en scène sert à illustrer et à

associer la marque Wonderbra à une certaine idée du charme et de la féminité. Nous sommes ici

entièrement dans la composante esthétique du jeu.

Quant au procédé démonstratif utilisé dans le cadre d’une rhétorique procédurale publicitaire, il

peut être mis en évidence dans un jeu pour la marque de déodorants Axe, qui vante les bienfaits

de son anti-transpirant à un public plutôt masculin. Le système anti-transpirant d’Axe est mis en

scène dans Le Transpirateur132

. Le joueur est mis en face d’un écran circulaire qui présente une

scène assez suggestive avec des jeunes femmes à la plage et vêtues de maillots de bain :

Des gouttes de transpiration tombent régulièrement sur l’écran et empêche le joueur de bien

visualiser la scène. Le joueur alors peut utiliser la barre verte (représentant l’anti-transpirant axe)

en la déplaçant le long de l’écran pour arrêter les gouttes de transpiration et pouvoir continuer à

regarder la scène. S’il échoue, il perd la partie et ne peut profiter de la vidéo :

132 http://www.letranspirateur.com/

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Ici, le jeu déploie une rhétorique de façon procédurale qui consiste à mettre le joueur dans une

situation d’utilisation du produit Axe qui démontre effectivement l’usage anti-transpirant de

celui-ci. Le joueur participe lui-même à la matérialisation de cette rhétorique en pouvant attester

que la transpiration lui cause des désagréments (ici ne pas pouvoir voir la vidéo) et que

l’utilisation du produit Axe lui a en effet permis de mettre fin aux désagréments (arrêter les

gouttes de transpiration).

Ayant à présent, une vision plus précise des éléments conceptuels qui constituent un jeu, on peut

alors analyser la publicité dans le jeu sous l’éclairage des idées présentées par Koster selon

lesquelles le jeu est essentiellement un medium qui présente des motifs qu’on doit analyser et

absorber, qu’on peut reproduire et dont on peut pratiquer différentes permutations pour atteindre

les objectifs arbitraires édictés dans le cadre du jeu. On peut aussi utiliser la proposition de Ian

Bogost qui insiste particulièrement sur la dimension procédurale du jeu et le canevas présenté

plus haut qui prend en compte des éléments tels que l’esthétique du jeu et l’incitation à long

terme pour le joueur. On se propose ainsi d’étudier comment la publicité s’est jusqu’à présent

intégrée dans le jeu en se concentrant d’abord sur les jeux console.

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2.3/ L’in-game advertising dans le « système jeu » : une intégration souvent trop partielle

L’in-game advertising correspond principalement à l’insertion de bannières publicitaires dans les

jeux. Ce type de publicité est particulièrement présent dans les jeux de simulation sportive :

encarts publicitaires sur les terrains de foot virtuels, logos présents sur les maillots virtuels etc.

L’in-game advertising a d’abord débuté avec l’insertion de bannières publicitaires statiques dans

les jeux ; c'est-à-dire que le jeu était développé avec des emplacements publicitaires prédéfinis

dont le contenu ne pouvait dès lors plus changer une fois le jeu sorti. La grande révolution qui se

fit dans le marché fut l’apparition des bannières dynamiques grâce au développement d’Internet :

des bannières publicitaires incorporées dans le jeu et dont le contenu pouvait changer à la

demande des annonceurs, suivant les campagnes et les évènements à promouvoir. Il s’agit d’une

évolution essentiellement technologique qui a néanmoins eu un impact important sur ce marché

et qui a porté le développement de grandes sociétés spécialisées dans le secteur comme IGA.

Cependant, lorsqu’on considère comment cette publicité, statique ou dynamique, s’insère dans le

« système jeu », on peut se dire que la révolution n’est pas si profonde qu’il n’y paraît.

L’exemple emblématique d’implémentation de l’in-game advertising est la mise en place de

grands panneaux publicitaires ou billboards, dans l’environnement ludique, souvent dans les

décors. On peut voir ces billboards dans la campagne publicitaire du candidat aux élections

présidentielles américaine, Barack Obama, en 2008, dans le jeu de course Burnout Paradise :

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Cette publicité n’est pour ainsi dire, qu’un élément du décor. Si l’on prend le cas des vêtements

des joueurs dans les jeux de football, par exemple la présence d’un logo Nike ou Adidas sur le

maillot d’un attaquant, l’argument souvent avancé par les régies d’in-game advertising est que

cela augmente le réalisme du jeu. Cela est certainement vrai dans le cas des simulations sportives

mais on peut aussi objecter que faire de la publicité à ce niveau, c’est manquer des opportunités

d’intégration plus profonde entre publicité et jeu vidéo. Ainsi, le joueur qui contrôle son équipe

dans sa partie de football virtuel n’interagit pas vraiment avec la marque représentée par

l’intermédiaire du logo. C’est le même constat pour les panneaux publicitaires entourant le

stade :

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Le joueur « voit » peut-être ces panneaux mais n’interagit avec eux en aucune manière, alors

même que l’avantage de l’interactivité est tant cité dans les discours accompagnant la publicité

dans les jeux ! Ainsi, si l’on prend comme cadre d’analyse le modèle STARS (Skills, Tools &

Action, Rules, Stimulus) présenté par Daniel Cook, on voit que ces bannières n’apparaissent pas

comme faisant partie des éléments présentés par le modèle comme essentiels au jeu. Si l’on

utilise le Game Design Canvas, on peut dire que ces bannières font alors partie de l’esthétique du

jeu. Un autre exemple est celui d’une affiche pour le jeu Left 4 Dead dans Counter Strike, un jeu

de tir à la première personne (FPS) dont le but est d’éliminer tous les joueurs de l’équipe adverse

équipé de diverses armes à feu :

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Là encore l’interaction entre le joueur et la publicité est limitée. Cela peut se comprendre dans le

contexte : il est occupé à chasser et être chassé et l’affiche en question ne fait aucunement partie

du cœur de ce mécanisme. Dans le cadre de Game Design Canvas, on placerait cette affiche

aussi dans la composante esthétique du jeu. Le problème est que la composante esthétique du

jeu, bien qu’enrichissant l’expérience du joueur et donnant son caractère unique au jeu, est

souvent la partie avec laquelle le joueur interagit le moins. C’est aussi la partie la moins

essentielle du jeu et la plus interchangeable. Dans cette composante esthétique se retrouve aussi

« l’histoire » du jeu. Ainsi si le scénario et les dialogues sont essentiels à un œuvre

cinématographique, un jeu peut tout simplement se passer d’histoire et connaître néanmoins un

succès phénoménal. L’exemple du jeu Tetris le démontre amplement ; l’approche narratologique

n’y est tout simplement pas possible133

. Le jeu de puzzle, Bejeweled en est aussi un exemple

frappant :

C’est aussi ce qu’exprime John Carmack, créateur du jeu Doom134

, dans un style abrupt mais

clair :

“Story in a game is like a story in a porn movie. It's expected to be there, but it's not that

important.” 135

133 Marmey Olivier, Approche narratologique des jeux vidéo : étude basée sur les jeux "Grand

Theft Auto IV" et "World of Warcraft" 134 http://www.idsoftware.com/games/doom

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D’un point de vue publicitaire, la composante « Récompenses & Punitions » semble plus

intéressante car le joueur aura beaucoup plus d’interaction avec celle-ci au cours du jeu. Elle est

même un élément essentiel de tout jeu, qu’il soit aussi dépouillé que Tetris ou très recherché au

niveau graphique et scénaristique comme Final Fantasy136

. Au cours du jeu, le joueur cherche

activement les récompenses, les utilise pour atteindre les objectifs du jeu, fait des choix à leur

sujet, les collectionne… Seules quelques campagnes et quelques jeux ont bien su mettre à profit

cette composante. C’est par exemple le cas des jeux de course automobile où la progression du

joueur est souvent récompensée par de nouvelles voitures plus puissantes, plus belles, plus

rapides etc. et que le joueur conduira.

Un autre exemple d’intégration publicitaire poussée est fourni par la campagne de la marque de

sport PUMA dans le jeu True Crime : Streets of L.A. Ce jeu, quelque peu similaire à GTA137

,

permet au joueur d’incarner un ancien policier dans un environnement urbain réaliste, d’interagir

avec de nombreux personnages et participer à de nombreuses missions. La particularité la plus

intéressante de cette intégration est la présence d’une mission spéciale où le joueur doit

intercepter une cargaison de chaussures contrefaites… des contrefaçons de chaussures PUMA

évidemment !

On constate tout de même que dans l’ensemble, l’in-game advertising est caractérisé par une

publicité reléguée dans le décor, à la périphérie du jeu pourrait-on dire. Etant donné les

composantes du « système jeu », l’in-game advertising tel qu’implémenté aujourd’hui n’atteint

pas son plein potentiel en se cantonnant aux composants du jeu avec lesquels le joueur interagit

le moins. On peut alors se demander si la situation est différente du côté de l’advergaming,

l’autre mode d’intégration entre publicité et jeu.

135 Cité par David Kushner dans son ouvrage, Masters of Doom: How Two Guys Created an Empire and Transformed Pop Culture Chapter 8, p. 120. 136 http://www.square-enix.com/na/title/finalfantasy 137 http://www.rockstargames.com/grandtheftauto

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2.4/ L’advergaming dans le « système jeu » ou la possibilité d’une intégration totale

Les advergames sont des jeux réalisés entièrement à but publicitaire. Ce sont pour ainsi dire, des

jeux-publicité. On peut dire ici qu’il s’agit d’une tentative à la fois plus ambitieuse et plus

risquée. Plus ambitieuse car contrairement à l’in-game advertising où l’on se contente d’insérer

le message publicitaire dans un jeu à l’audience déjà bien établie et à la qualité ludique connue,

l’advergame est un jeu entièrement nouveau créé pour les besoins de communication de la

marque. Il s’agit d’une tentative plus risquée car comme cela a été évoqué plus haut, il est

extrêmement difficile de créer un jeu à succès tant au niveau commercial que ludique.

Ces difficultés se traduisent notamment par le nombre de jeux de faible qualité ludique qui ont

marqué le genre, comme Pepsiman138

, jeu commandité par Pepsi où le joueur incarne Pepsiman

avec pour mission de soulager la soif de tout un chacun avec bien sûr… du Pepsi.

Ecran du jeu Pepsiman

Réaliser un bon jeu est une tentative difficile en elle-même, mais il est encore plus difficile de

réaliser un bon jeu qui a en plus, d’autres missions que d’être « fun ». Voici ce qu’en dit Ian

Bogost sur le site Gamasutra :

138 http://www.giantbomb.com/pepsiman/61-13795/

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“Executives and military brass and doctors and politicians aren't idiots, and they realize

that good games are hard to make. They realize that commercial games are big and shiny

and cost millions or tens of millions of dollars. They realize that hundreds of people are

sometimes necessary to create them. They realize that games are different from the kinds

of products most organizations produce, and that they are therefore fundamentally

incompatible with existing ways of doing business.”139

Il ajoute encore:

“Making games is hard. Making good games is even harder. Making good games that

hope to serve some external purpose is even harder.”140

Néanmoins, par rapport au modèle du Game Design Canvas, l’advergame se caractérise par le

fait que dans sa conception, il peut potentiellement embrasser l’ensemble des composants du jeu

car la marque a alors toute latitude dans sa conception. Ainsi, la marque pourra choisir les

mécaniques de jeu les plus appropriées à son image et ses besoins de communication ainsi que

l’expérience centrale du jeu (Core Experience). La marque peut créer une rhétorique procédurale

qui lui est propre. Par exemple, une marque de cosmétiques pourra créer un jeu de maquillage et

de stylisme dans le genre de Stardoll141

qui permet de créer en ligne des poupées virtuelles

personnalisées, de les habiller, les maquiller etc. selon ses goûts :

139 http://www.gamasutra.com/view/feature/6366/persuasive_games_exploitationware.php?page=2 140 Ibid. 141 http://www.stardoll.com

Page 70: La publicité dans le jeu vidéo

La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

70

La marque pourra aussi choisir le système de récompenses et punitions qui lui iront le mieux,

ainsi que, bien sûr, l’esthétique du jeu. L’advergaming apparaît donc de premier abord comme

offrant la possibilité d’une intégration optimale entre publicité et jeu vidéo. Une des meilleures

réalisations en termes d’advergames est le jeu Je tue un Ami de la chaîne de télévision 13e Rue.

Le jeu, paru en octobre 2009142

, vous offrait la possibilité d’utiliser les services d’un tueur à gage

de votre choix pour assassiner l’ami sélectionné. Un fois le choix du tueur effectué, le joueur est

alors amené à donner le nom, la photo et l’adresse email de sa victime. Une fois cela accompli, le

joueur a le plaisir de regarder une vidéo de l’assassinat et un mail est envoyé à l’ami en question

lui informant qu’il vient d’être assassiné… De l’expérience centrale (commanditer un assassinat)

aux mécaniques de jeu (choix du tueur, remplissage d’une fiche de renseignement sur l’ami à

assassiner), des récompenses (vidéo visuellement impressionnante à regarder, réaction de l’ami

« assassiné ») à l’esthétique :

142 http://publigeekaire.com/2009/10/13eme-rue-je-tue-un-ami/

Page 71: La publicité dans le jeu vidéo

La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

71

Tout ou presque dans ce jeu correspond aux objectifs de communication de la marque 13e Rue,

chaîne de télévision spécialisée dans les polars et les films noirs. Le jeu a d’ailleurs connu un

succès retentissant (plusieurs millions de joueurs) et fut récompensée par un Lion d’argent au

festival international de la publicité de Cannes en 2010143

143

. Si l’on considère cette publicité sous

http://www.buzz-mania.net/2011/04/13-eme-rue-et-betc-euro-rscg-reviennent.html

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

72

l’angle de la rhétorique procédurale, on peut dire qu’il s’agit là d’une rhétorique procédurale

d’ordre illustratif et associatif, car bien sûr 13e Rue n’est pas un service de tueurs à gages !

Mais si les advergames représentent l’intégration optimale entre jeu et publicité, pourquoi ces

jeux-publicité restent-ils encore très confidentiels par rapport aux autres types de publicité ? Il

semble même que plus d’espoirs sont fondés sur l’in-game advertising pour la naissance d’un

marché publicitaire à grande échelle dans les jeux vidéo. Une des raisons à cela est le

fonctionnement de l’industrie publicitaire est essentiellement celui de l’achat d’espace. C’est ce

que confirme Ian Bogost :

“This logic also explains why advertisers have recently become so enthralled with “in-

game advertising”, the dynamic placement of digital ad units inside commercial

videogames.” La promesse de l’in-game advertising est justement de faire entrer dans le jeu vidéo la pratique

publicitaire de l’achat d’espace répandue dans les principaux médias de masse comme la presse

écrite ou la télévision tout en conservant le pouvoir expressif propre aux jeux vidéo. Comme

nous l’avons vu, cette promesse ne s’est pas encore matérialisée. Dans le jeu vidéo, il semble

ainsi exister une tension entre les deux variables les plus importantes pour la publicité : le

potentiel de persuasion d’une campagne et le potentiel de distribution de cette campagne. Le

potentiel de persuasion d’une campagne dans le jeu vidéo est lié à la faculté de mettre en œuvre

une rhétorique procédurale efficace notamment au moyen d’un bon game design adapté aux

besoins de communication de la marque. Le potentiel de distribution dépend lui de la facilité

avec laquelle l’objet persuasif ainsi créé permet de toucher l’audience la plus large possible.

D’un point de vue publicitaire, le choix du canal publicitaire se fait alors en fonction du rapport

qualité-prix qui correspond à un rapport persuasion-distribution, propre à chaque médium. Quels

sont donc les paramètres qui influent sur le potentiel de distribution d’un médium donné ? Qu’en

est-il du jeu vidéo ? Autant de questions que nous nous proposons d’explorer.

Page 73: La publicité dans le jeu vidéo

La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

73

3/ JEUX, MEDIAS DE MASSE ET PUBLICITE

Que ce soit avec l’in-game advertising dont l’intégration dans le jeu reste le plus souvent sous-

optimale en termes d’interaction joueur/publicité ou avec l’advergaming qui a démontré qu’il

pouvait donner naissance à une intégration presque parfaite entre le jeu et la communication de

la marque, la publicité dans le jeu vidéo est restée marginale jusqu’à présent. Y a-t-il quelque

chose dans les caractéristiques mêmes du jeu que nous avons exposées, qui empêche ce média

d’être un canal publicitaire aussi important que la radio, le cinéma ou la télévision ?

3.1/ La publicité de grande échelle se développe dans les médias de masse génériques

Comme nous l’évoquions au début de ce document, l’audience des jeux vidéo s’est développée

considérablement ces dernières années à tel point que le jeu peut être considéré aujourd’hui

comme un média de masse, touchant des centaines de millions de gens quotidiennement. Un titre

comme Call of Duty black ops sorti en 2010, constitua le plus grand lancement pour un produit

culturel avec 5,6 millions d’unités vendues et un chiffre d’affaire de plus de 360 millions de

dollars dans les premières 24 heures de sa sortie. Cependant, malgré cette audience massive, la

publicité dans le jeu vidéo n’est pas encore devenue « mainstream ». Cela peut s’expliquer par le

fait que le secteur traditionnel du jeu vidéo sur console, sur lequel se sont focalisées la plupart

des tentatives d’intégration publicitaire, n’est justement pas celui qui se prête le mieux à l’in-

game advertising ou à l’advergaming…

Pour mieux comprendre, nous allons séparer les médias de masse en deux catégories :

• Les médias de masse génériques comme la presse écrite, la radio, la télévision ou Internet

• Les médias de masse non-génériques comme le livre, la musique ou le cinéma

En effet, la généricité du médium joue un rôle très important dans son adoption ou sa non-

adoption en tant que canal publicitaire majeur. Ainsi explique Ian Bogost :

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

74

“[…] the entire practice of advertising has focused almost exclusively on the inscription of two-

dimensional surfaces. Magazine ads and billboaords are surfaces. Television screens are

surfaces that can simulate depth and movement. Even Internet banner ads are simply surfaces

that might add occasional and external motion.”144

“Generic surfaces without specific functions are particularly conducive to media buying, the

primary logic of the advertising industry. All of these signals would suggest the rapid and

inevitable colonization of videogames by advertisers, save one major problem: unlike television

commercials, magazine ads, outdoor billboards, shopping bags, or even t-shirts, videogames are

not fundamentally characterized by their ability to carry images, but by their capacity for

operationalizing rules.”145

La plupart des médias de masse se prêtent à la publicité de façon plus ou moins importante mais

seuls les médias de masse génériques permettent une publicité de grande portée, répétable et

avec un coût compétitif. Ces médias possèdent le meilleur rapport persuasion-distribution.

Ainsi, la musique qui est pourtant un média de masse, a un marché publicitaire relativement

marginal. Un exemple atypique de publicité dans les chansons est le phénomène du « name-

dropping »146 dans la musique congolaise où les artistes consument une bonne partie de leurs

chansons en dédicaces. Mais c’est un modèle évidemment bien difficile à étendre à l’ensemble

du marché musical. Cela vaut aussi pour le marché publicitaire dans le cinéma. L’espace

publicitaire potentiel constitué par le marché des jeux vidéo sur console apparaît en grande partie

comme celui d’un média de masse non-générique : c'est-à-dire peu exploitable. C’est ce

qu’explique Ilya Vedrashko dans son mémoire sur la publicité dans le jeu vidéo. En parlant du

coût de placement, il explique toutes les difficultés d’ordre logistiques qui se présentent à

l’annonceur ainsi que de la difficulté à toucher un large public de façon sûre.147

Et il s’agit là de placement publicitaire principalement sous la forme de bannières qui selon nous,

sont loin d’être la forme idéale de placement. Une intégration de la publicité dans la mécanique

144 Ian Bogost, Persuasive Games, the expressive power of videogames, THE MIT Press, 2007, p 170-171 145 Ibid. 146 http://www.slateafrique.com/83/namedropping-modele-economique-musique-congolaise 147 Advertising in video games. p19-20 Ilya Vedrashko

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

75

même du jeu, dans le gameplay, serait donc certainement encore plus chère avec des coûts

absolument prohibitifs. En effet, la plupart des jeux touchant une grande audience étant des

franchises nécessitant des budgets de plusieurs millions de dollars, une intégration de la marque

dans le développement même du jeu devra nécessairement se justifier par un investissement à la

hauteur de ces budgets. Mais même l’intégration de ces bannières doit se faire en accord avec

l’expérience de jeu du joueur, ainsi il ne serait pas judicieux d’intégrer une publicité pour

McDonalds dans un jeu dont l’univers féérique mettrait en scène prêtres et sorciers en Atlantide.

L’espace publicitaire constitué par les jeux sur console est donc relativement peu exploitable, du

moins pour une publicité à grande échelle. Vedrashko, plus loin dans son texte, continue son

analyse avec deux affirmations importantes :

“So, there are many issues of concern for the advertiser who decides to bring ad gold

into the game worlds, but is the return worth the investment? The answer depends on

your definition of return. If you are interested in the largest number of eyeballs exposed

to your message at the lowest cost, today your money will be better spent elsewhere. You

will hardly achieve a massive reach unless you advertise in one of the many popular

casual web games, which is not an unwise strategy but outside the scope of this paper, or

go with one of the assured blockbusters such as the next Madden football simulator, or

get lucky with a surprise hit.”148

“Likewise, if you want your ad to cause an immediate action, games are probably not for

you -- or at least not yet -- as most of them do not provide a way to connect the ad unit

with your sales tools, and the ones that can do so in a manner that interrupts the game

flow by pushing users towards external media, pop-up style.”149

Notre deuxième principale hypothèse inclut justement ce qui est exclu dans la première

affirmation de cette analyse de Vedrashko (les jeux web) et va à l’encontre de sa deuxième

affirmation. Notre hypothèse est que le développement des nouvelles plateformes de jeu

148 Ibid. 149 Ibid. p22

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

76

(navigateurs, réseaux sociaux, mobiles) transforme une partie du secteur du jeu vidéo en média

de masse générique et donc potentiellement adapté à une publicité à grande échelle et à un coût

compétitif. Nous verrons aussi que les caractéristiques de ces nouvelles plateformes permettent

également, aujourd’hui, de lier la mécanique de jeu à la mécanique de vente des marques. Ainsi

l’émergence des jeux par navigateurs, en particulier au sein des réseaux sociaux comme

Facebook, mais aussi des jeux sur mobile, a créé un nouveau marché publicitaire en pleine

croissance, avec des jeux financés entièrement par la publicité.

Qu’est-ce qui nous incite à parler de médias de masse génériques pour ces nouveaux types de

jeux ? Dans le cadre de notre analyse, il est utile de distinguer les classes de médias (TV, radio,

presse écrite, Internet, bande dessinée, au sens large) de leurs instances (TF1, NRJ, Le Monde,

Google, Spirou). Le terme de média pourra être utilisé de façon à désigner soit l'un ou l'autre de

ces sens.

Dans l’analyse de Ian Bogost, le concept de généricité est basé sur l’idée de surface :

“[…] All these efforts rely on the inscription of two-dimensional surfaces. In every case, these

surfaces are generic – that is, they bear no necessary relationship with the products or services

advertised.”150

Cependant la généricité du médium n’est pas obligatoirement lié à la présence d’une surface

« palpable » et bidimensionnelle. C’est le cas de la radio, qui offre un « espace sonore »

générique, dans lequel on peut insérer toutes sortes d’émissions – sonores donc – qui ne sont pas

liées entre elles. La généricité apparaît comme fonction inverse de la cohésion entre les unités

médiatiques qui peuplent le médium. Pour caractériser cette idée de non cohésion ou de faible

cohésion, nous utiliserons le terme d’empilabilité.

Le caractère de masse du médium dépend bien sûr de son potentiel d’audience, que nous

qualifierons de portée. Du point de l’émetteur du message publicitaire en situation de persuasion,

150 Ian Bogost, Persuasive Games, the expressive power of videogames, THE MIT Press, 2007, p 170

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

77

il est aussi important de noter que le caractère de masse du médium renvoie aussi à la fréquence

avec laquelle il peut toucher son audience. D’où l’utilisation du terme de répétition moyenne151

en médiaplanning. Cette fréquence doit être élevée et garantie. Nous ferons référence à cette idée

par le terme de répétablilité.

Une classe de média peut-être définie comme un média de masse générique si plusieurs de

ses instances remplissent tous les critères suivants :

• La portée : l'audience représente t-elle une part significative de la population ?

• La répétabilité : l'audience interagit-elle avec l'instance à une fréquence élevée et sur

une durée indéterminée ?

• L’empilabilité : L'instance est-elle composée d'objets médiatiques autonomes qui se

succèdent de manière indépendante, comme une pile infinie de briques ?

L’empilabilité a deux corollaires très importants :

• L’hétérogénéité : l’instance peut-elle être le lieu de plusieurs types de discours ?

Publicitaire, politique, scientifique, polémique, « informatif », divertissement, artistique

etc.

• La portabilité : un message inséré dans une instance du média, peut-il être repris sans

modification dans une autre instance ?

Après avoir analysé le cas de quelques médias dits « traditionnels », nous serons amenés à voir

dans quelles conditions les jeux vidéo remplissent ou non ces critères.

151 http://www.mercator-publicitor.fr/lexique-publicite-definition-repetition-moyenne

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

78

3.2 / Différents médias de masse génériques

La presse écrite La presse écrite représente le premier média de masse qui ait émergé à l’ère industrielle. Le

développement de la presse écrite contribua de façon importante à l'apparition de l'espace public

au sens de Habermas. L'émergence de la presse écrite fût un phénomène structurant de la vie

politique et donc sociale des pays occidentaux aux 19e et 20e siècles. L'exemple des débats

internes des marxistes russes au début du 20e siècle illustre parfaitement ce fait. Ainsi, Lénine,

dans Par où commencer, affirme :

« Le premier pas à franchir pour échapper à ce défaut, pour faire converger plusieurs

mouvements locaux en un seul mouvement commun à toute la Russie, doit être la

fondation d'un journal pour toute la Russie. Enfin, il nous faut absolument, un journal

politique. Sans journal politique, dans l'Europe moderne, pas de mouvement qui puisse

mériter la qualification de politique. »152

Au début financés par la vente des numéros, les journaux sont peu à peu devenus dépendants de

la publicité. Ainsi aux Etats-Unis, près de 80% des revenus de la presse écrite proviennent de la

publicité contre seulement 20% provenant des ventes.153 Même en relatif déclin, la presse écrite

représente un canal publicitaire majeur et une bonne partie des budgets publicitaires lui sont

consacrés, environ 13% du budget publicitaire aux Etats-Unis.154

Cette situation correspond bien

au caractère de média de masse générique de la presse écrite. On peut ainsi constater que la

presse écrite possède toutes les spécificités d’un média de masse générique, il n’est donc pas

étonnant qu’elle représente aujourd’hui un des principaux canaux publicitaires.

En ce qui concerne la portée, de nombreux journaux atteignent une circulation de plusieurs

centaines de milliers d’exemplaires par jour155

152 Par où commencer ? – Lénine. Première parution en mai 1901 dans le n°4 de l’Iskra

. Aux Etats-Unis, nous avons le Wall Street

Journal qui atteint une circulation quotidienne de plus de deux millions d’exemplaires. Pour USA

153 http://www.slideshare.net/kvjs/google-newspaper-economics-hal-varian-march-2010 154 ibid 155 http://abcas3.accessabc.com/ecirc/newstitlesearchus.asp (Audit Bureau of Circulations)

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Today, environ un million huit-cents mille exemplaires. Le New York Times atteint lui plus de

neuf cent mille exemplaires vendus par jour.

La répétabilité de la presse écrite en tant que média est aussi très importante, en témoigne le

terme de « quotidien ». La presse écrite se caractérise ainsi par une certaine fidélité de son

lectorat, ainsi on est souvent « lecteur du Monde », « lecteur du Figaro » ou encore « lecteur de

Libé ». Quoique d’une fréquence moins importante, les différents périodiques qui s’ajoutent aux

quotidiens répondent eux aussi à ce critère de répétabilité.

Enfin, la presse écrite est un média empilable. En effet, un journal ou un magazine est composé

de pages. Les pages se suivent certes mais ne sont pas forcément liées entre elles, le contenu de

chacune des pages n’influe pas obligatoirement sur celui des autres et peut être créé en relative

indépendance. Bien entendu les pages sont organisées logiquement, en articles, brèves, rubriques

etc. mais le résultat reste le même : un journal ou un magazine est un empilement de pages ou de

groupes de pages qui ne nécessitent pas de cohésion forte entre eux. C’est pourquoi l’insertion

d’une page de publicité se fait très facilement, sans nécessiter d’intenses et lourdes planifications

comme celles évoquées dans le cas des jeux vidéo. Insérer une page de publicité affecte

relativement peu l’ensemble constitué par les autres pages.

Comme dit plus haut, l’empilabilité a deux corollaires très importants, à savoir l’hétérogénéité

des contenus et la portabilité. La portabilité en particulier est cruciale pour le développement

d’un marché publicitaire à grande échelle car elle réduit drastiquement les coûts de distribution

des campagnes publicitaires des marques. En effet, une fois une affiche publicitaire réalisée

graphiquement, elle peut être insérée sans aucun changement majeur, telle quelle, dans toutes les

instances de la presse écrite. Ainsi on pourra retrouver la même page de publicité pour le nouvel

Iphone dans Le Monde, dans le Figaro ou encore dans un magazine d’actualités technologiques

comme 01Net.

La télévision Actuellement, la télévision est le principal canal publicitaire au monde. C’est aussi le média de

masse le plus puissant du monde, média qui a eu un impact majeur dans l’établissement de la

société de consommation, façonnant usages et habitudes, à la fois des consommateurs, des

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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publicitaires et des marques. En témoigne l’ouvrage de Dayan et Katz, La télévision

cérémonielle : Anthropologie et histoire en direct. La télévision répond parfaitement aux critères

d’un média de masse générique. Sa portée est plus que significative ; à titre d’illustration, le

mercredi 7 septembre 2011, la série Mentalist, a réuni plus de 9.611.000 téléspectateurs, soit plus

de 14% de la population française !156 La télévision répond aussi tout à fait au critère de

répétabilité. Selon Médiamétrie, en 2009, 98,7% des foyers français possèdent au moins un

écran de télévision et chaque Français passe en moyenne 3 heures 28 minutes par jour devant la

télévision157

.

Enfin, la télévision est elle aussi un média empilable, dont le contenu de base est l’émission, non

pas dans l’acception courante du terme mais dans le sens originel d’émettre un signal vidéo-

sonore d’une durée précise à une fréquence précise. Sous cet angle, une chaîne de télévision est

un empilement infini d’émissions. Une émission peut être de toute nature, ou plus précisément,

peut avoir intégré tout contenu. Les émissions n’ont pas de lien pour ainsi dire, organique entre

elles, elles sont indépendantes : un documentaire peut succéder au journal télévisé, être suivi

d’un clip musical puis d’un spot publicitaire. Tous ces contenus sont des émissions et n’ont pas à

présenter de cohésion forte, les uns n’influençant pas les autres. Et comme nous l’avons vu, le

corollaire de l’empilabilité est l’hétérogénéité des contenus et surtout la portabilité, le même spot

publicitaire peut être repris sans aucune modification sur absolument toutes les chaînes de

télévision. Cela fait de la télévision un des canaux publicitaires les plus puissants et les plus

compétitifs.

Le World Wide Web La croissance de l’Internet et plus particulièrement du web (HyperText Transfer Protocol) a été

véritablement fulgurante. Utilisé uniquement par la communauté scientifique à l’aube des années

1990, il est aujourd’hui utilisé quotidiennement par des centaines de millions de personnes à

travers le monde et pour toutes sortes d’applications : s’informer, acheter, se divertir etc. Le web

est aussi devenu dans le même souffle un canal publicitaire majeur et figure en bonne place dans

tous les budgets publicitaires. Là aussi, on peut constater que le web correspond bien aux critères

d’un média de masse générique en tous points. 156 http://tele.premiere.fr/News-Tele/Audiences-TV-le-Mentalist-de-TF1-ecrase-la-concurrence-flop-pour-M6-2908464 157 http://www.degroupnews.com/actualite/n4527-television-audiovisuel-mediametrie-tnt-catch_up_tv.html

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En premier lieu, sa portée : à titre d’exemple, examinons les chiffres du réseau social Facebook.

Près de 750 millions de personnes en sont des utilisateurs actifs. En ce qui concerne la

répétabilité : plus de la moitié des utilisateurs actifs se connecte tous les jours au site, soit plus

près de 375 millions de personnes.

On peut aussi remarquer que tout comme la presse écrite et les livres, le web est constitué de

pages, et plus spécifiquement, de pages informatisées. Largement, les pages ou groupes de pages

d’un site web sont indépendants les uns des autres. On peut même dire que l’espace sur chaque

page peut être divisé en plusieurs zones autonomes, c’est aussi le cas pour les journaux. Ainsi on

peut avoir des pages avec de la publicité et des pages sans publicité sur le même site. Par

exemple, la page d’accueil de Google ne comporte en général aucune publicité contrairement à la

page de résultats. L’espace sur ces pages peut lui-même être divisé en zones relativement

autonomes, avec certaines qui pourront accueillir du contenu publicitaire. De plus, en fonction de

sa relation avec l’internaute (connecté ou pas), le site web pourra présenter des pages différentes,

ou les mêmes pages mais avec des contenus totalement différents. On peut ainsi dire que le web

est le média empilable par excellence. La page web se caractérise par son aspect empilable (taille

« infinie », hétérogénéité « totale » du contenu) et nécessairement aussi, le web dans son

ensemble. Cela crée évidemment la portabilité, avec des contenus identiques qui peuvent être

diffusés simultanément sur plusieurs pages, plusieurs sites, sans aucune modification.

3.3/ Différents médias de masse non-génériques

Le livre Aujourd’hui composé de pages, comme la presse écrite et le web, et antérieurement écrit sur des

rouleaux ou des tablettes, le livre est partout. Alors qu’on ne peut lui contester son caractère de

média de masse, on ne peut que constater que le livre ne représente presque rien en termes de

canal publicitaire. Pourquoi donc ? Si le livre possède une portée équivalente voire supérieure

aux médias de masse génériques comme la radio, la presse écrite ou la télévision, sa répétabilité

et son empilabilité sont plus beaucoup plus faibles. Ainsi, il est fort rare de lire le même livre

tous les jours pendant de longues périodes : des mois voire des années ; contrairement à notre

chaîne d’information favorite ou notre moteur de recherche préféré. L’empilabilité du medium

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livre est elle aussi très réduite. Un livre a le plus souvent un sujet bien précis et tout ce que

l’auteur insert dans le livre, chaque mot, chaque ponctuation, chaque image, a une répercussion

sur l’ensemble. Le livre n’est ainsi pas constitué d’un empilement d’éléments indépendants les

uns des autres ; on ne peut pas remplacer un chapitre du Capital de Karl Marx par un chapitre de

Harry Potter; le résultat n’aurait aucune logique. A la télévision, on pourrait aisément remplacer

un film par un autre, ou par un documentaire ou encore par une plage de vidéos musicales. Ces

caractéristiques expliquent pourquoi le livre ne peut se développer en tant que canal publicitaire

majeur.

Le cinéma Le cinéma représente un des médias les plus riches en termes « d’ingrédients » : il y a de l’image

en mouvement, du son et de la musique, du texte aussi. Il est aussi le média de masse qui

« ressemble » le plus au jeu vidéo, justement de par l’importance de l’image et du son. Le

cinéma est bien un média de masse du fait de sa très grande portée. Les concepts de « box

office » et de « blockbuster » en témoignent. Le film Avatar, réalisé par James Cameron a ainsi

généré presque 15 millions d’entrées en France.158

Cependant, la répétabilité du medium cinéma

est relativement faible. En effet s’il arrive souvent de revoir plusieurs fois un film qu’on a

particulièrement apprécié, cela est rarement une activité quotidienne, hebdomadaire ou même

mensuelle. Comme d’un âge à l’autre, on passe d’un film à l’autre. Enfin, l’empilabilité du

cinéma est aussi très faible : les éléments d’un film sont agencés avec soin par le réalisateur et la

moindre scène déplacée pourrait ruiner tout un film. Les dialogues, la musique, les scènes sont

tous interdépendants et il est très difficile d’y insérer un élément « externe ». Ce n’est donc pas

un média de masse générique.

Ainsi la publicité au cinéma consiste principalement en « placements de produits ». Il s’agit de

placer à l’intérieur du film des éléments symbolisant la marque annonceuse. Cela peut-être un

ordinateur Apple placé sur une table ou une montre Seiko que portera un des héros. Et puisque

l’empilabilité est limitée, la portabilité l’est aussi. Le placement de produit est prévu dès le

tournage ou même bien avant et ne peut dans la quasi-totalité des cas être repris sans

modification, sans délai, sans lourdes négociations, dans un autre film. Ce sont des freins

majeurs au développement du cinéma comme canal publicitaire majeur. 158 http://www.allocine.fr/film/fichefilm-61282/box-office/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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3.4/ Le jeu vidéo est-il un média de masse générique ? Nous avons donc vu que les médias de masse qui représentent les principaux canaux publicitaires

sont les médias de masse génériques, possédant de manière importante portée, répétabilité et

empilabilité et donc un excellent rapport persuasion-distribution. Ces propriétés permettent d’y

développer de la publicité efficace à grande échelle, à bas coût et de façon répétable. Nous avons

cité la presse écrite, la télévision et le web, nous pourrions aussi ajouter la radio ou encore les

murs des stations de métro et des abris-bus…

Nous avons aussi vu que des médias comme le cinéma ou le livre ne sont pas des médias de

masse génériques. Logiquement, ils ne représentent donc pas des canaux publicitaires majeurs.

La publicité dans le cinéma et plus encore dans les livres reste assez confidentielle par rapport à

l’essentiel des budgets publicitaires. Dans le cadre de notre étude sur la publicité dans le jeu

vidéo, la question qui en découle naturellement est de savoir si les jeux vidéo sont des médias de

masse génériques ou non. S’ils ne le sont pas, cela expliquerait le fait que la publicité dans le jeu

vidéo reste marginale dans l’ensemble. Son rapport persuasion-distribution serait trop faible

pour justifier un investissement massif.

La portée des jeux vidéo Merris et Ogan dans The Internet as Mass Medium écrivent:

“Until recently, mass communications researchers have overlooked not only the Internet

but the entire field of computer-mediated communication, staying instead with the

traditional forms of broadcast and print media that fit much more conveniently into

models for appropriate research topics and theories of mass communication” 159

ou encore :

“The tradition of mass communication research has accepted newspapers, radio, and

television as its objects of study for social, political, and economic reasons. As

159 http://jcmc.indiana.edu/vol1/issue4/morris.html

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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technology changes and media converge, those research categories must become

flexible”160

.

Aujourd'hui, Internet est de plus en plus accepté comme étant un nouveau média de masse. Ceci

est moins le cas en ce qui concerne les jeux vidéo, en témoigne la page Wikipedia sur les médias

de masse qui ne cite pas les jeux vidéo dans sa « typologie des médias de masse ». 161

A leurs débuts, les jeux vidéo consistaient essentiellement en jeux d’action : shooters, jeux de

plateformes, jeux de combat. Le public était jeune, masculin et relativement technophile. De là

vient l’image classique du gamer, mêlée quelque peu à l’archétype du geek. Le public des jeux

vidéo sur consoles est en général un jeune homme entre 18 ans et 34 ans et ce fait a été

naturellement pris en compte par les professionnels du marketing et de la publicité. Ainsi on peut

lire :

“The epitome of cool for big brands right now is surely to appear in video and computer

in-game advertising. It’s the most exciting medium to operate within and reaches quite a

specific demographic, the prime target being the 18-34 year old male who is spending

less time watching TV and more time playing video games.” 162

“Advertisers covet the Fall television season for the opportunities the networks' prime-

time lineups give brands to reach their target audiences. What many advertisers may not

know is this Fall (and Winter) there is a host of chart toppers that will help them engage

the highly coveted male 18-34 demographic in a more efficient and less interruptive

manner than traditional TV ads. Of course I'm referring to the blockbuster lineup of

video game titles available this Fall/Winter on Massive's video game advertising

network.”163

Ce fait est encore confirmé par Microsoft sur son site Internet : 160 Ibid. 161 http://fr.wikipedia.org/wiki/Médias_de_masse (page consultée le 29 septembre 2011) 162 http://www.eightytwenty.ie/blog/?p=49 163 http://community.microsoftadvertising.com/blogs/advertising/archive/2009/08/25/massive-s-in-game-advertising-season-kick-off.aspx

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

85

« La combinaison de Xbox LIVE et de Kinect, la première interface de jeu sans manette,

est en train de créer un nouveau divertissement à domicile, à la fois interactif et social.

En plus, d’une croissance significative du public principal de Xbox LIVE composé

d'hommes de 18 à 34 ans, Kinect offre aux annonceurs un public de joueurs en constante

augmentation et qui comprend femmes, jeunes enfants et familles. »164

On peut néanmoins remarquer qu’il s’agit là du public principal des jeux sur console. On peut

aussi remarquer que l’essentiel du marché de la publicité dans les jeux s’est d’abord focalisé sur

les jeux console. Depuis le milieu des années 2000 et la sortie de la console de Nintendo, la Wii,

le développement des jeux sur navigateurs et des jeux dits sociaux, on assiste à transition rapide

dans la démographie des joueurs. Ainsi, environ 82% des joueurs auraient plus de 18 ans : 53%

des joueurs étant dans la tranche 18-49 ans et 29% ayant 50 ans et plus.165 De plus le public

féminin constituerait aujourd’hui 42% de la population des joueurs, avec une proportion de

joueuses adultes (37%) plus importante que la proportion de joueurs en dessous de 18 ans

(13%).166

Avec les jeux jouables sur le Web et à l’intérieur des « réseaux sociaux », la tendance s’est

accélérée et la portée du jeu vidéo en tant que medium a été décuplée. Ainsi le 12 Décembre

2010, Zynga, premier éditeur de « social games », lançait son nouveau jeu : CityVille. Moins de

40 jours plus tard, CityVille atteignait le chiffre gigantesque de 100 millions d'utilisateurs actifs

par mois, avec plus de 18 millions de joueurs quotidiens. Aujourd’hui, le jeu rassemble 75

millions d’utilisateurs actifs par mois dont plus de 13 millions actifs quotidiennement.167 Par

comparaison, le Wall Street Journal, le quotidien le plus diffusé au Etats-Unis, ne s'écoule qu'à

environ 2 millions d'exemplaires par jour. De nombreux autres jeux rassemblent ainsi

individuellement, des millions de joueurs quotidiennement, avec un public majoritairement

féminin168

164

. Le phénomène auquel nous assistons est donc celui de la « massification » des jeux

vidéo. Ce décuplement de la portée du jeu vidéo, en termes d'audience, est quelque chose qui

http://advertising.microsoft.com/france/publicite-sur-xbox (page consultée le 29 septembre 2011) 165 http://www.theesa.com/facts/pdfs/ESA_EF_2011.pdf 166 Ibid. 167 http://appdata.com/leaderboard/apps 168 http://gigaom.com/2010/02/17/average-social-gamer-is-a-43-year-old-woman/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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interpelle et place les jeux vidéo dans le peloton de tête des médias de masse, en termes de

portée.

La répétabilité des jeux vidéo

La répétabilité d’un jeu dépend entièrement des mécaniques de jeu mises en place à l’intérieur

de celui-ci ; elle résulte entièrement du game design. Il y a par exemple une gigantesque quantité

de jeux disposables, auxquels on peut jouer un quart d’heure et ensuite passer à un autre. On peut

retrouver ce type de jeux sur les portails de jeux tels que Kongregate169 ou ArmorGames170. Il

s’agit souvent de jeux d’action avec quelques niveaux à compléter. De l’autre côté du spectre, on

retrouve les jeux à univers persistants, où les actions du joueur s’étalent dans le temps long et

nécessitent une implication régulière du joueur, voire quotidienne pour certains jeux. Le plus

connu de ces jeux est World of Warcraft qui incarne à lui tout seul le genre du MMORPG

(massively multiplayer online role playing game) ou en français le Jeux de Rôle en Ligne

Massivement Multijoueurs. Par le même éditeur, on peut citer la franchise Starcraft, qui est un

jeu de stratégie en temps réel et un des jeux les plus populaires sur PC. Dans ces jeux, une bonne

partie des joueurs consacrent plusieurs heures par jour à faire évoluer leurs personnages, à

s’entraîner, à planifier, engager des batailles et dialoguer avec d’autres joueurs au sein d’équipes

à l’intérieur du jeu ou hors du jeu. Ainsi, des cas d’addiction particulièrement médiatisés font

surface régulièrement. En Corée du Sud, où le jeu Starcraft est particulièrement populaire, il y a

même des psychiatres qui se penchent activement sur cette addiction particulière et tentent de

proposer des remèdes.171 Le phénomène avait dès 2005 retenu l’attention du gouvernement

Coréen après des cas de décès liés à l’addiction à des jeux en ligne comme World of Warcraft ou

Starcraft.172

Même si ces cas sont clairement des extrêmes, ils révèlent cependant clairement que

le potentiel de répétabilité des jeux vidéo est très fort, voire supérieur à celui de tous les autres

médias de masse.

Les jeux embrassent tout le spectre de la répétabilité, des jeux disposables aux jeux possédant

même un certain pouvoir addictif. Ainsi même un jeu catégorisé comme « casual », peut se

169 http://www.kongregate.com/ 170 http://armorgames.com/ 171 http://www.joystiq.com/2010/08/20/south-korean-psychiatrists-treating-starcraft-addiction-with-dru/ 172 http://www.gamespot.com/news/6132357/spot-on-korea-reacts-to-increase-in-game-addiction

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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révéler auprès de certaines personnes, totalement addictif.173

L’empilabilité des jeux vidéo

Le jeu vidéo en tant que medium,

répond ainsi aux critères de portée et de répétabilité qui sont les deux premières caractéristiques

des médias de masse génériques, piliers de l’activité publicitaire. Mais qu’en est-il de la

troisième caractéristique, à savoir l’empilabilité ?

Une des différences entre le cinéma et le jeu vidéo, c’est que le jeu se présente au joueur comme

un système dont on peut influencer certaines variables. Ainsi, si comme on l’a vu, le cinéma

représente un média dont les éléments constitutifs sont très intégrés et forment un ensemble à

forte cohésion, on peut alors se demander ce qu’il en est du jeu, medium qui lui ressemble à bien

des égards. En particulier, de nombreux jeux sur console ont des allures de films interactifs, avec

des personnages à la psychologie développée, une histoire et des intrigues complexes, de

nombreux dialogues, un graphisme travaillé à l’extrême etc. A-t-on la même ressemblance en ce

qui concerne l’empilabilité pour le film comme pour le jeu ? Pour répondre à cette question, il

faut de nouveau revenir au modèle théorique décrivant le jeu comme un système fait de

mécaniques de jeu, de récompenses et punitions, d’esthétique etc. à l’instar du game design

canvas vu plus haut. Il faut aussi noter que la majorité des game designers qui essaient de

conceptualiser la notion de jeu partagent cette représentation du jeu avec bien sûr des variations

mais un accord d’ensemble sur le rôle central des mécaniques de jeu. Pour certain, les

mécaniques de jeu englobent les actions que le joueur peut mener, les challenges qu’il doit

surmonter et les récompenses et punitions qui en résultent.

Parmi tous les éléments qui constituent le jeu, les mécaniques de base sont celles qui forment les

piliers du jeu. Ainsi, pour un jeu comme Tetris, on peut avoir plusieurs variantes, toutes donnant

un caractère particulier, une expérience utilisateur unique, mais sans que les mécaniques de base

changent. Le résultat, est que toutes ces variantes ne se ressemblent pas esthétiquement mais se

jouent identiquement, comme Tetris.

173 http://mashable.com/2010/03/30/farmville-addiction/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Version classique de Tetris

En dehors de cette version classique de Tetris, on pourrait imaginer les choses d’une autre façon.

Voici ce que Raph Koster écrit à ce sujet :

“Let’s picture a game wherein there is a gas chamber shaped like a well. You the player

are dropping innocent Jews down into the gas chamber, and they come in all shapes and

sizes. There are old ones and young ones, fat ones and tall ones. As they fall to the

bottom, they grab onto each other and try to form human pyramids to get to the top of the

well. Should they manage to get out, the game is over and you lose. But if you pack them

in tightly enough, the ones on the bottom succumb to the gas and die. I do not want to

play this game. Do you? Yet it is Tetris. You could have well-proven, stellar game design

mechanics applied towards a quite repugnant premise.” 174

Le jeu Calabouço Tetrico175

correspond entièrement à cette description, il semble ne rien à voir

avec les blocs colorés du Tetris classique et abstrait, pourtant la mécanique de jeu est la même, il

se joue donc comme Tetris :

174 A theory of fun for game design, p168. Raph Koster. 175 http://www.loodo.com.br/2008/09/calabouco-tetrico/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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On peut donc changer le thème du jeu, et conserver néanmoins la façon d’y jouer. On peut

changer le système de récompenses et de punitions : par exemple mettre des cœurs à la place des

points, changer la musique, tout en conservant le fonctionnement du jeu. Cependant, on ne peut

pas changer la mécanique de jeu sans en faire quelque chose d’entièrement différent de Tetris.

Cela nous montre donc que l’empilabilité du jeu ne réside pas dans les mécaniques de base, mais

peut-être dans d’autres éléments comme le graphisme, les récompenses qui eux présentent une

certaine interchangeabilité. Cependant, on note tout de même que si une fois ces éléments

changés, le fonctionnement du jeu reste le même, la nature du jeu peut radicalement évoluer :

entre Tetris et Calabouço Tetrico, on ne joue pas du tout au même jeu même si on joue de la

même manière, avec les mêmes mécaniques de jeu. Pour qu’il y ait empilabilité, il faut que

l’interchangeabilité des éléments ne change en rien la nature du jeu auquel on n’est en train de

jouer.

Jusqu’à présent, l’élément qui est apparu le plus flexible a été l’élément esthétique du jeu, c’est

encore, principalement l’environnement visuel du jeu. C’est ainsi que les deux principaux modes

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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d’insertion de l’in-game advertising sont les bannières statiques et les bannières dynamiques.

Mais malheureusement, le plus souvent, ces bannières ne représentent pas des éléments avec

lesquels le joueur interagit de manière significative; elles sont donc en quelque sorte, dans un

espace périphérique du jeu et ne l’influencent que très peu.

Avec le développement des jeux jouables sur le web et en particulier les « jeux sociaux »,

l’esthétique du jeu ainsi que le système de récompenses ont beaucoup gagné en flexibilité. En

effet, le simple fait que le jeu réside à présent sur une page web lui donne d’une façon qu’on

pourrait qualifier de transitive, ce caractère d’empilabilité que possède la page web. En effet, le

jeu par navigateur étant lui-même un site web, il en hérite de toutes les propriétés. On peut ainsi

voir un exemple d’intégration publicitaire dans le jeu Ogame176, jeu par navigateur massivement

multi-joueurs où les participants s’affrontent entre eux dans un monde persistant et qui nécessite

une implication quotidienne très forte. Plusieurs millions de joueurs s’y connectent

quotidiennement177

.

Ecran du jeu Ogame avec une publicité en haut de la page

176 http://www.ogame.org/ 177 http://www.labusinessjournal.org/article-46-ogame.html

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Si la mécanique du jeu Ogame ne peut être facilement changée et adaptée à des fins publicitaires,

cet espace réservé à la publicité au sein de l’environnement visuel du jeu est lui totalement

interchangeable. Le contenu de cet espace est changé très facilement, de façon automatique par

un serveur de publicité. La page web est ainsi garante de cette propriété d’empilabilité au sein de

l’élément esthétique du jeu. Cependant, comme nous l’avons dit précédemment, cette publicité

qui est périphérique au jeu – la majorité des joueurs évitant soigneusement de cliquer, voire

développant une cécité à la publicité, cette publicité donc, apparaît comme sous-optimale. La

marque n’y développe aucune rhétorique procédurale de façon à utiliser au mieux le potentiel de

persuasion propre à ce contexte ludique. Est-il possible que le joueur interagisse de manière plus

importante avec l’élément publicitaire et cela de façon efficiente et répétable pour l’annonceur ?

L’exemple des jeux dits sociaux nous apporte des éléments de réponse à cette question.

Le cas des jeux sociaux L’élément le plus remarquable des jeux dits sociaux est la masse énorme qu’ils ont réussi à

atteindre en l’espace de seulement quelques années. Certains représentent ainsi, en termes de

portée et de répétabilité l’équivalent de plusieurs autres instances médiatiques réunies. Les

campagnes publicitaires qui commencent à être mises en place dans ces jeux atteignent des

niveaux record en termes d’audience et de participation de cette audience:

“Zynga previously partnered with Paramount to promote the release of the DreamWorks

animated film MegaMind within FarmVille. That one-day promotion in November 2010

engaged nine million users and saw four million messages about the branded content sent

by gamers to their friends, leading Paramount to seek the Rango deal. Another

partnership with Universal Studios engaged 19 million Mafia Wars users over one week

to promote the DVD release of crime drama Public Enemies.” 178

Mais comment sont réalisées ces promotions en pratique ? Le jeu Farmville, rassemblant

plusieurs dizaines de millions de joueurs et édité par l’entreprise Zynga a accueilli bon nombre

de ces promotions. Le but du jeu consiste à s’occuper d’une ferme virtuelle et donc faire pousser

178 http://www.insidesocialgames.com/2011/02/28/zynga-frontierville-rango-promotion/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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différentes sortes de plantes et s’occuper de son cheptel. Voici une ferme typique179

dont on peut

s’occuper dans le jeu Farmville :

Il a ainsi été l’hôte d’une promotion pour le dernier album de l’artiste Lady Gaga180

: avec cette

promotion les joueurs avait accès à une ferme aux couleurs du dernier album de Lady Gaga et

pouvaient y obtenir des biens virtuels associés à l’univers de la chanteuse.

179 http://www.insidesocialgames.com/wp-content/uploads/2009/07/farmville.jpg 180 http://www.insidesocialgames.com/2011/05/10/zynga-lady-gaga-launch-massive-cross-promotion-that-spans-farmville-words-with-friends/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Ferme aux couleurs de Lady Gaga dans Farmville.181

Le résultat est donc une publicité avec laquelle les joueurs interagissent et qui est totalement

intégrée aux mécaniques de jeu de base de Farmville au lieu d’être confinée dans un espace

périphérique du jeu. C’est une publicité ludique. Ainsi, tout en gardant les mécaniques de base

du jeu, ont été changés l’esthétique et les récompenses, et cela sans changer la nature du jeu

qu’est Farmville ; en étant dans la ferme Lady Gaga, on reste tout de même dans le jeu

Farmville, comme si on avait tout simplement découvert un niveau spécial du jeu. Il semble

donc que l’empilabilité du jeu réside principalement dans l’élément esthétique et dans le système

de récompenses. L’empilabilité permise par le système de récompenses est particulièrement forte

lorsque que celui-ci est constitué de biens virtuels qui sont différenciés qualitativement : ainsi

avoir des récompenses représentées par divers animaux permet à la marque de s’y insérer

facilement en proposant un animal spécial. Ainsi dans le cas de Farmville, l’empilabilité se

manifeste dans le fait que le jeu peut ainsi proposer un nombre infini de types de fermes,

indépendantes les unes des autres mais qui s’intègrent toutes parfaitement à l’ensemble du jeu. 181 http://divinesatori.posterous.com/go-gaga-with-zynga-in-gagaville

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Cependant de nombreux problèmes d’ordre logistique rendent cette approche toujours moins

aisée que ce qui se fait dans les autres médias :

“Developers have to choose their partnerships wisely, though. Diverting a production

team who could be creating high-return virtual goods or new game mechanics can be

costly, so developers must only accept deals where they can charge a high initial

production fee and high price per engaged user. They also must ensure the promotion fits

naturally within the game, or risk turning off their users. The financial details of the

Rango deal have not been disclosed, though Zynga says branded promotions typically

take a month to plan and build.”182

Le processus est encore loin d’être industrialisé, cependant la tendance au niveau technologique

est d’automatiser au maximum le processus et faciliter la création et l’intégration de ces éléments

publicitaires « jouables ». Cela qui est d’ailleurs requis pour l’augmentation de ces campagnes de

promotions comme le prévoit par exemple Zynga183

.

Cependant, même si ce processus devenait aussi simple et déployable à grande échelle, on peut

quand même constater que l’empilabilité des jeux, bien que plus grande que celle du cinéma,

reste partielle. En effet, on ne peut pas empiler différentes mécaniques de base dans un même jeu

sans détruire la cohérence de ce jeu. Ainsi, il est quasiment impossible d’introduire des

mécaniques de jeu de plateforme (courir, sauter) dans un jeu de gestion comme Farmville. Ainsi

les récompenses sont rarement portables d’un jeu à l’autre. Il reste donc difficile de produire une

rhétorique procédurale propre à la marque qui soit indépendante de celle déjà présente dans le

contexte du jeu-hôte. Cette empilabilité partielle signifie que les corollaires de l’empilabilité ne

sont pas vérifiés : à savoir l’hétérogénéité et surtout la portabilité des contenus. Ainsi, il n’est

pas possible pour une marque de créer une ferme dans Farmville et de l’introduire dans d’autres

jeux, que ce soit CityVille ou Ogame. En revanche une campagne dans Farmville ou dans

Cityville peut tout à fait justifier une part conséquente du budget publicitaire total à cause de la

portée et de la répétabilité importantes offertes par ces jeux. Le potentiel de persuasion est peut-

182 http://www.insidesocialgames.com/2011/02/28/zynga-frontierville-rango-promotion/ 183 http://allthingsd.com/20110121/more-blimps-and-sponsored-loot-coming-as-zynga-ramps-in-game-advertising-in-2011/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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être moindre que dans un advergame réussi mais le potentiel de distribution est lui beaucoup plus

important.

Les jeux vidéo se sont rapprochés à bien des égards des médias de masse génériques, surtout au

niveau de la portée et de la répétabilité. Cependant, ils n’affichent qu’une empilabilité partielle,

ce qui les empêche donc de devenir des médias de masse génériques et donc d’émerger comme

un canal publicitaire majeur qui pourraient concurrencer sérieusement les autres médias tels que

la presse écrite, la radio, la télévision ou le web. Si les jeux ne sont pas à l’heure actuelle un

canal publicitaire majeur, c’est donc parce qu’ils ont encore une empilabilité limitée. Le fait que

les mécaniques de base d’un jeu ne sont pas interchangeables, nous incite à penser que

l’empilabilité des jeux restera toujours partielle et donc que ces derniers, ne représenteront pas

un canal publicitaire majeur, où se développera un marché publicité à grande échelle, presque

industrialisé.

Cependant, le développement des jeux sur le web, en particulier les jeux joués sur les

plateformes de réseaux sociaux, augure d’une augmentation conséquente des opportunités

publicitaires dans les jeux vidéo. En effet, par leur portée quelque fois immense – Cityville par

exemple – et leur répétabilité importante, ces jeux fournissent tout de même une audience

comparable à celle de plusieurs autres instances médiatiques de masse réunies. La tendance est

donc à l’amélioration du rapport persuasion-distribution des jeux. Le sous-développement de ce

marché, impliquant des prix inférieurs, représente ainsi une incitation forte pour les marques à

s’y investir de façon plus conséquente. A la tête de telles masses de joueurs, des entreprises

comme Zynga tentent ainsi de plus en plus, à se positionner comme des médias, ou plus

précisément, comme des institutions médiatiques.

“For Zynga, it’s building a brand of its own, and it wouldn’t want to share the spotlight

with others. “Half of the requests I get from agencies is for branded games,” Anekal

said. “We may be moving forward, but it’s not in our plans….We want to focus on the

Zynga brand.”184

184

http://allthingsd.com/20110121/more-blimps-and-sponsored-loot-coming-as-zynga-ramps-in-game-advertising-in-2011/

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Ainsi il ne s’agirait plus de faire de la publicité dans un ou des jeux particuliers, mais de faire de

la publicité sur Zynga comme on ferait de la publicité sur TF1. Cette évolution est encouragée au

niveau de la perception des marques, par la rencontre de plusieurs types de discours. En effet, la

rencontre entre les discours autour des jeux et de la gamification et les discours autour des

réseaux sociaux pourraient constituer une source de fascination particulièrement puissante, sur

l’esprit de professionnels du marketing souhaitant être les premiers à conquérir un équivalent

publicitaire du Nouveau Monde.

3.5/ Préconisations Il ressort de notre analyse qu’il faut dans un premier temps séparer le marché des jeux sur

consoles du marché des jeux par navigateur. Le marché des jeux sur consoles semble avoir

atteint sa maturité en termes de possibilités publicitaires : en effet, les coûts d’insertion de la

publicité dans un jeu sur console restent relativement élevés par rapport à ce qu’il est possible

d’obtenir sur d’autres médias qui bénéficient d’audiences bien plus élevées. Les jeux sur

consoles qui se prêtent à la publicité sont relativement peu nombreux et en général, incorporent

déjà de la publicité. En revanche, il est possible pour la marque de cibler avec précision le public

qu’elle veut toucher car le marché des jeux sur consoles est relativement bien segmenté. Ainsi, si

l’on veut toucher un public plutôt masculin, entre 18 et 34 ans, il sera pertinent d’investir une

simulation sportive comme le jeu de football Fifa. Cette segmentation varie en fonction des

consoles, avec la Wii de Nintendo qui atteint le niveau de diversification le plus élevé, touchant

un public plus féminin, plus âgé ou plus jeune que celui des autres principales consoles (Xbox de

Microsoft et Playstation 3 de Sony). Notons que Nintendo est aussi l’entreprise la plus

réfractaire à l’idée de la publicité dans ses jeux et évolue dans un environnement relativement

fermé et contrôlé. La publicité sur consoles se justifie donc le mieux quand il s’agit d’atteindre

un public précis à une échelle relativement réduite. Cependant s’il s’agit pour la marque de

déployer une communication à plus grande échelle, alors les jeux qui se jouent sur le web, en

particulier les jeux présents dans les réseaux sociaux comme Facebook, sont plus indiqués.

En prenant le cas des jeux sur Facebook, on observe qu’ils présentent plusieurs avantages pour

l’annonceur :

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

97

• Plusieurs d’entre eux rassemblent des centaines de milliers voire des millions de joueurs

quotidiennement

• La population des joueurs variée, souvent majoritairement féminine et adulte

• Les données disponibles sur les utilisateurs sont nombreuses et précises (sexe, âge,

habitudes de connexion, parfois catégorie socioprofessionnelle etc.)

• Il est possible de collecter des données encore plus précises et personnalisées pour la

marque

• Les formes d’intégration publicitaire sont variées et de plus en plus faciles à déployer

C’est ce qu’explique Gabriel Mamou-Mani185

, PDG de l’Agence 1984, spécialisée dans

l’advergaming en évoquant les avantages qui y sont liés :

« D’abord du trafic, c’est un très bon moyen de satelliser du trafic et de le réorienter vers d’autres plateformes. De la collecte d’informations : à travers des jeux concours, à travers des pages fans, on arrive à présent à collecter des informations sur les joueurs pour ensuite essayer de les démarcher commercialement. De la fidélisation : à travers tout ce qui est community management, influence etc. De la monétisation : il s’agit de se dire que si on crée des jeux et qu’on crée des ponts d’affiliation avec des sites marchands, ça peut aboutir à un vrai acte d’achat à la fin ; surtout dans le divertissement par exemple, où l’on a fait des jeux pour des compilations de musique : on jouait à un jeu musical et on était ensuite orienté à la fin du jeu vers Fnac.com pour acheter le CD lui-même. Autour du serious gaming : ce sont là des avantages plutôt en termes de formation, de sensibilisation… à des causes humanitaires, ce genre de choses. »

La capacité d’obtenir des données sur les joueurs est si importante que les éditeurs de « jeux

sociaux » parlent souvent à présent, de « data driven game design » : il s’agit d’observer et de

mesurer le comportement et les moindres faits et gestes des joueurs en temps réel et d’utiliser ces

données pour modifier le jeu dans le sens voulu : moins d’abandons prématurés, plus longues

185 Voir interview en annexes

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

98

durées de connexion, plus d’achats de biens virtuels, plus de clics sur les publicités etc. On peut

dire que l’économie des jeux dits sociaux est véritablement une économie du panoptisme.

S’agissant des formes d’intégration publicitaire dans ces jeux, ce dernier point est

particulièrement intéressant. En effet, de par le fait que ces jeux sont aussi des sites web, ils

bénéficient des mêmes mécanismes de déploiement de contenu et d’offres marchandes.

Reprenons cette phrase de Ilya Vedrashko déjà citée plus haut :

“Likewise, if you want your ad to cause an immediate action, games are probably not for

you -- or at least not yet -- as most of them do not provide a way to connect the ad unit

with your sales tools, and the ones that can do so in a manner that interrupts the game

flow by pushing users towards external media, pop-up style.”

Cela a changé avec le développement de ces jeux sur le web. En témoigne la progression rapide

des offres promotionnelles proposées par les marques dans les jeux dits sociaux. Ce fut le cas par

exemple d’une marque comme Netflix, entreprise spécialisée dans la location physique et

électronique de films. Le joueur qui cliquait sur la bannière qui s’affichait dans le jeu et ouvrait

un compte chez Netflix pouvait ainsi gagner des bonus en biens virtuels à utiliser dans son jeu.

Ces offres, ont depuis connu un certain arrêt à cause de multiples abus observés sur ce marché,

par le fait d’entreprises privilégiant l’appât du gain à l’éthique. En l’occurrence, le tollé fut

déclenché par un article de Techcrunch, un blog autour de l’actualité technologique.186

Article

intitulé Scamville, un jeu de mots entre le mot scam (arnaque en anglais) et le jeu le plus

populaire à l’époque des faits : Farmville.

186 http://techcrunch.com/tag/scamville/

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La publicité dans les jeux vidéo : discours, opportunités et défis - Master CTN

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Aujourd’hui, de nombreux types d’intégration publicitaire plus corrects éthiquement existent et

sont déployés dans les jeux dits sociaux avec de plus en plus de flexibilité. Il peut s’agir

d’intégrations légères où la marque s’insère dans le jeu en offrant des biens virtuels à son image.

Il s’agit là principalement de situer dans les composantes « Récompenses » et « Esthétique » du

jeu. Ce type d’intégration est relativement simple est peu couteux à mettre en œuvre. Ainsi dans

une interview accordée au blog InsideSocialGames, Manny Anekal, responsable global du

« Brand Advertising » chez Zynga déclarait :

“To put that into perspective, in the traditional console space, you really couldn’t

integrate into a console game in six weeks or less, so I think that’s an advantage Zynga

has,”187

L’utilisation de la vidéo est de plus en plus courante et prisée par les annonceurs. Les utilisateurs

regardent une vidéo de l’annonceur en l’échange d’avantages dans le jeu. Cette opportunité est

particulièrement appréciée par les studios de cinéma qui utilisent ce medium pour promouvoir

les sorties de leurs films en y diffusant des bandes-annonces en l’échange de biens virtuels.

Il est aussi possible d’effectuer une intégration publicitaire plus poussée de façon moins coûteuse

que sur un jeu console. Ainsi, la marque peut créer avec le concours de l’éditeur du jeu, des

missions spéciales que le joueur pourra accomplir. C’est le cas du jeu Cars Town qui permet aux

joueurs de collecter des voitures et de les personnaliser. De nombreuses campagnes furent

intégrées au jeu, avec en particulier des marques Honda ou le championnat automobile Nascar.

De grandes opportunités s’ouvrent donc aux marques en termes de publicité dans les jeux, plus

spécifiquement au sein des jeux dits sociaux. Il faudrait cependant que les décideurs aient à

l’esprit que la rencontre des discours et des imaginaires des réseaux sociaux et des jeux sérieux

risque de gonfler exagérément les attentes de toutes les parties. L’important sera donc de se

focaliser avant tout sur l’audience que l’on veut atteindre : sa taille, sa composition, ses

habitudes de consommation etc. et choisir en conséquence le jeu au sein duquel on veut

annoncer. Cette attitude critique doit valoir aussi pour les éditeurs de jeu pour qui la publicité 187 http://www.insidesocialgames.com/2011/04/25/the-maturing-market-for-brand-integration-with-social-games-light-integration/

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n’est pas toujours le meilleur moyen d’augmenter le revenu. En témoigne ainsi, le discours de

Heiko Hubertz, PDG de BigPoint un des éditeurs les plus importants de jeux web, cité dans un

article de Bloomberg. Hubertz explique ainsi que le marché de la publicité dans les jeux est

encore trop petit pour intéresser BigPoint :

“For now we make more money from promoting our own games than by selling ads for

the games,” he said, estimating that casual players of social games on Facebook spend

10 euros a month on value-added services versus hard-core gamers who can spend 40

euros.”188

Le principal défi sur le marché de la publicité dans les jeux et sur les jeux web en particulier, est

le développement d’un système flexible à utiliser pour les annonceurs. C’est aussi une

opportunité pour les régies de proposer des outils et des plateformes qui offriraient une

intermédiation et une simplification du processus. Ainsi, il serait possible pour une marque de

fournir un seul ensemble d’éléments graphiques qui pourrait ensuite être utilisés sur de

nombreux jeux. Cela faciliterait grandement le déploiement de la publicité dans les jeux sur le

web et serait un facteur de croissance important pour le marché. Il est aussi probable que les

grands éditeurs de jeux dits sociaux comme Zynga, qui rassemblement des dizaines de millions

de joueurs quotidiens, puissent dans un avenir proche être à même de proposer cette

standardisation pour leur propre jeux : leur audience immense leur permettrait ainsi d’être à la

fois éditeur et régie et fournirait aux annonceurs un interlocuteur unique. Des entreprises comme

Google (première régie publicitaire du web) se positionnent aussi sur cette trajectoire, c’est ainsi

le cas avec le service Google In-Game Advertising qui se veut être un Google Adsense pour les

jeux web, c'est-à-dire une plateforme automatisée, presque en self-service :

“Join a network tailored for web-based games: Google has focused on building a

network and ad technology specifically for games played within the browser.”189

188 http://www.bloomberg.com/news/2010-08-23/facebook-s-car-town-draws-honda-ads-in-marketing-shift-to-online-games.html 189 http://www.google.com/ads/games/publishers.html

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Le cheminement à suivre pour les marques est donc d’abord celui du bon sens et n’est pas entièrement différent des bonnes pratiques habituelles. Déterminer les objectifs et les cibles de sa campagne de communication. Evaluer divers jeux comme on pourrait évaluer d’autres canaux publicitaires : quantité et qualité de l’audience, facilité et coûts de déploiement de la publicité. La principale différence est qu’il est alors essentiel de comprendre les particularités du jeu en tant média afin de pouvoir faire passer le message de façon optimale au public, ou plus précisément aux joueuses et aux joueurs.

CONCLUSION Les jeux vidéo ont longtemps suscité des polémiques; accusés de véhiculer une apologie de la violence, d’être une perte de temps, une attaque à l’éducation des enfants, à la productivité des employés et parfois à la morale, les jeux vidéo ont aujourd’hui gagné une respectabilité certaine. Des jeux dits éducatifs comme Brain Age190 ont connu un succès commercial mais aussi critique très important. Cela a parfois causé la réaction inverse, c'est-à-dire une attitude uniformément positive et enthousiaste à l’égard des jeux vidéo et de leur potentiel ; attitude souvent infondée.191

Ce succès d’audience des jeux vidéo a véritablement consacré le jeu en tant que média de masse, utilisé par des centaines de millions de joueurs. Cette audience est évidemment une opportunité pour les marques en tant que canal de communication ou de publicité. Opportunité d’autant plus intéressante quelle semble encore nouvelle et inexplorée.

Cette opportunité a d’abord pris racine dans le mouvement dit des jeux sérieux, dont le moteur est la volonté d’utiliser les jeux dans des contextes autres que purement ludiques. Le mouvement des jeux sérieux a ainsi donné naissance à des réalisations dans les domaines de l’éducation, des ressources humaines et même du journalisme avec les newsgames. Le mouvement des jeux sérieux a aussi abouti à des réalisations dans le domaine de la politique, et plus particulièrement de la propagande politique, notamment avec des jeux comme Ethnic Cleansing. Notons aussi que cette utilisation des jeux à des fins de propagande ne date pas seulement de l’époque du jeu informatisé mais a été présente, certainement dès l’invention des premiers jeux de société. Le jeu en plus d’amuser, se fait support de communication et véhicule des idées voire des idéologies. Ainsi explique Tony Fortin dans son ouvrage Mythologie des jeux vidéo : « Aux débuts de la troisième République, avec un renforcement durant la Première Guerre mondiale, les « jeux de société » vont participer à un processus de socialisation fortement emprunt de nationalisme et de militarisme. Les garçons sont en quelque sorte préparés à la guerre, à la « revanche ». »192

190 http://brainage.com/launch/index.jsp 191 Tony Fortin, Mythologie des jeux vidéo 192 Ibid. p12

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Le mouvement des jeux sérieux va donc tout naturellement déboucher sur des applications dans le domaine de la communication et de la publicité, ou du moins des propositions allant dans ce sens. L’imaginaire imprégnant ces propositions plaçant l’interactivité comme enjeu majeur de la communication par le jeu ; la singularité du jeu en tant que média étant ainsi souvent réduite à l’interactivité, à l’environnement dynamique qui lui serait caractéristique. Ce réductionnisme de l’interactivité a eu pour conséquence une certaine cécité aux autres caractéristiques du medium jeu, du système jeu. Le jeu étant un système complexe, fait de mécaniques de jeu, de challenges, de récompenses, de punitions et d’éléments esthétiques, il est alors nécessaire de le comprendre de façon approfondie pour pouvoir bénéficier pleinement des opportunités qu’il apporte. La meilleure manière d’intégrer le message publicitaire dans le jeu est de l’y insérer de façon que ce message et le joueur interagissent. C’est ce que nous appelons la publicité ludique. Contrairement à l’environnement des jeux sur consoles dans lequel pèsent beaucoup de contraintes d’ordre techniques et logistiques, les jeux se développant sur les nouvelles plateformes telles que le web offrent à présent à la fois une flexibilité et une audience tout à fait supérieures. Ainsi, s’il est peu probable que le jeu vidéo dans son ensemble, deviennent un canal publicitaire aussi important que la télévision ou le web, du fait ses caractéristiques en tant que media de masse non-générique (empilabilité limitée), certaines de ses instances deviendront des plateformes publicitaires de poids : nous pensons notamment aux grands éditeurs de jeu dits sociaux tels que Zynga qui se positionnent de plus en plus en tant qu’institutions médiatiques forte de dizaines de millions, voire de centaines de millions de joueurs réguliers. Les annonceurs qui sauront profiter de ces développements les premiers pourront alors atteindre à coût relativement bas, ces audiences énormes et dont le taux d’engagement est particulièrement élevé. En effet des millions de joueurs pourront non seulement jouer avec la publicité mais le feront régulièrement en raison de la répétabilité importante du jeu vidéo. On peut ainsi dire que s’il ne faut pas s’attendre à une révolution, il y aura certainement évolution à laquelle il faudra s’adapter. Evolution des formes de jeu, de l’environnement technologique et de l’audience. Evolution des opportunités.

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ANNEXES Entretien avec Gabriel Mamou-Mani, PDG de l’Agence 1984. 1 juillet 2011. Pouvez-vous nous présenter votre activité ? L’Agence 1984 a été créée il y a cinq ans. Je l’ai créée moi-même. L’idée c’est d’offrir à des marques et à des entreprises des solutions clés en main pour construire des opérations autour des jeux sociaux, publicitaires et marketing. Nous intervenons au niveau de toute la chaîne de valeur, conseil, conception du jeu, rédaction du cahier des charges, développement, diffusion c'est-à-dire achat d’espaces publicitaires pour amener les joueurs au jeu ; monitoring, c'est-à-dire le suivi des opérations en temps réel qui permet de mesurer les audiences, les taux de conversion, le nombre d’emails collectés etc. Donc quand nous disons « clés en main », il s’agit d’offrir un partenaire unique pour créer une opération marketing ou publicité au niveau du jeu social. Quel a été votre cheminement professionnel ? J’ai créé mon entreprise à la sortie de l’école et même avant. Le cheminement était très simple ; j’étais passionné de jeux vidéo et il n’y avait pas toute cette émulation qu’il y a aujourd’hui autour des jeux sociaux. J’étais passionné par le jeu vidéo et ma spécialité était le marketing, alors je me suis dit : jeu vidéo et marketing : je lance ma boîte. Avant, les jeux était plutôt des jeux de collecte de données, des jeux concours par exemple. A présent avec le développement des réseaux sociaux, on rentre dans une phase avec des jeux en Flash, plus étoffés, plus animés etc. plus immersifs pour les internautes. Au niveau de la conception des jeux, réalisez-vous vous-même le game design ? C’est un peu particulier. Au final, il y a un nombre limité de moteurs de jeu, on serait même peut-être capable de faire une liste des gameplay qui existent et qui peuvent être utilisés. Les jeux de gestion, tous les jeux d’arcade type Pac-Man, il y a les nouveaux jeux Iphone comme Doodle Jump etc. Mais disons que les moteurs de jeux sont limités. L’idée pour nous c’est de réussir en partant du brief d’une marque, à construire une histoire et de sélectionner parmi le panier de jeux potentiels celui qui va le plus coller à cette histoire. Si vous deviez citer une des campagnes dont vous êtes vraiment fiers ? Nous avons réalisé un jeu pour Namco-Bandaï, éditeur japonais de jeux sur console, en particulier d’un jeu de plateformes qui s’appelle Majin. Nous avons pris ce jeu de plateformes et

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l’avons réadapté en jeu de plateau sur Facebook. On a donc créé un jeu de plateau et d’aventure où il fallait sauver des amis à travers les différents niveaux. Cela a très bien marché, avec près de 15 000 fans en un peu moins d’un mois, et a assuré un lancement assez intéressant pour la marque. Ce qui est intéressant, c’est que ce sont plutôt les marques de divertissement et les marques culturelles qui utilisent les jeux. J’ai beaucoup d’éditeurs de BD, d’éditeurs de jeux vidéo, et même des producteurs de musique ; tout ce qui tourne autour de la culture… c’est souvent eux qui font appel à des campagnes autour du jeu. Et pour dire que le jeu peut aussi être un média de performance, on a fait un site de jeu gratuit, après l’ouverture du marché des jeux de hasard, pour convertir des joueurs d’un site de jeu gratuit à un site de jeu de poker payant. Cela est aussi intéressant de voir que le jeu social peut être un média de performance pour drainer du trafic et le convertir en argent réel. Il s’agit du jeu La ruée vers l’or ? Tout à fait. Les points qu’ils gagnent dans le jeu gratuit sont convertibles en bonus dans le site du jeu de poker. C’est intéressant dans le cheminement. C’est vrai qu’on évolue dans l’Internet et cela peut être une réponse à la question de savoir pourquoi malgré les avantages, ce n’est pas encore mainstream ; c’est que aujourd’hui, dans le cadre d’Internet, les investissements sont fait surtout pour de l’efficacité commerciale. On n’investit pas sur Internet pour de la notoriété. Concernant tous ceux qui diraient le contraire, c’est du bluff. Si on crée des jeux vidéo publicitaires il faut absolument les intégrer dans des campagnes de performance. Quels sont donc, pour vous, les principaux avantages de l’utilisation des jeux vidéo au-delà du ludique, dans le domaine publicitaire par exemple ? J’ai cinq points, qui sont d’ailleurs sur mon site Internet :

• D’abord du trafic, c’est un très bon moyen de satelliser du trafic et de le réorienter vers d’autres plateformes.

• De la collecte d’informations : à travers des jeux concours, à travers des pages fans, on arrive à présent à collecter des informations sur les joueurs pour ensuite essayer de les démarcher commercialement.

• De la fidélisation : à travers tout ce qui est community management, influence etc. • De la monétisation : il s’agit de se dire que si on crée des jeux et qu’on crée des ponts

d’affiliation avec des sites marchands, ça peut aboutir à un vrai acte d’achat à la fin ; surtout dans le divertissement par exemple, où l’on a fait des jeux pour des compilations de musique : on jouait à un jeu musical et on était ensuite orienté à la fin du jeu vers Fnac.com pour acheter le CD lui-même.

• Autour du serious gaming : ce sont là des avantages plutôt en termes de formation, de sensibilisation… à des causes humanitaires, ce genre de choses.

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Quel est votre avis sur le terme « gamification » ? Je trouve que c’est quelque chose de génial. Mais le problème est qu’en France, on n’a énormément de retard, ce qui est terrible. Qu’est-ce que c’est la gamification ? Pour être simple, c’est une nouvelle façon d’envisager le web design. Il faut voir les sites qui marchent en France ; ils sont à des années-lumière de la qualité des américains, au niveau du design et du graphisme. Les américains font des interfaces qui sont hyper-ludiques, hyper-illustrées, ils mettent une tonne de Javascript qui fait que tout bouge ; les éléments sont super faciles dans l’ergonomie, dans l’approche. Et tous les services rentrent là dedans. C’est ça la gamification, une étape de plus dans le web design. Il y toutes sortes de services qui sont gamifiés. Il y a des services de mise en relation professionnelle qui sont gamifiés. Il y a des services de facturation qui sont gamifiés. Quand on compare deux sites qui font la même chose, Ballpark un site américain, et My Facture, un site français, on a tout de suite envie d’aller sur Ballpark. On a envie de payer tellement c’est sympathique. Sur le site français on a des lignes grises et des caractères minuscules, on se croirait dans Excel. La population du web est quand même une population jeune et qui veut du ludique, du dynamique. Comment les annonceurs considèrent-t-ils le secteur du jeu vidéo ? Les annonceurs cherchent de la performance. Ils veulent savoir qu’est-ce qu’on leur vend. C'est-à-dire que le jeu vidéo en lui-même, ils s’en fichent. Ils veulent savoir à quoi ça va leur servir. Qu’est-ce que ça va leur rapporter ? C’est ça qui est difficile à vendre. Il faut construire des offres qui très rapidement dans le discours, peuvent être mesurables. En fait, il y a une première phase d’in-gaming, c'est-à-dire de placement publicitaire dans les jeux sur consoles. C’est un peu difficile à vendre parce-que, par exemple, pour Ariel, Renault ou McDonalds, c’est difficile de se retrouver dans un jeu comme Counter Strike ou un jeu de baston. Ça ne les intéresse pas. Mais maintenant, avec toute la phase advergaming, tous les mini-sites etc., on peut créer des jeux sur mesure et là ils se rendent compte des objectifs : trafic, fidélisation etc. Je pense donc que là, ça commence de plus en plus à rentrer dans les mœurs et ça devient plus facile à vendre. Y a-t-il des points que vous souhaiteriez voir mieux compris par les annonceurs ? Les problèmes des annonceurs, et c’est le problème de beaucoup d’agences, c’est qu’ils fonctionnent par produit publicitaire, c'est-à-dire, par effet de mode. Il s’est dit à un moment qu’il faut faire des mini-sites, ils ont tous fait des mini-sites. Après il s’est dit qu’il faut faire des vidéos virales, ils ont tous fait des vidéos virales. Il faut faire des mini-jeux, allez hop, on fait des mini-jeux. Il faut attaquer les blogueurs influents, allez ! Mais de la part des agences et des marques, il n’y a aucune pensée un peu plus stratégique ; se dire mais à quoi peut me servir chacune de ces briques et comment je peux les inclure dans une stratégie plus globale ? Si je fais

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une page Facebook, ça n’a pas le même objectif que si je fais une vidéo virale. Comment je peux interconnecter les deux ? Pour quels objectifs chiffrés ? Quels sont selon vous, les points bloquants dans le développement de jeu sur le marché publicitaire ? Si on prend un portail comme Yahoo!, c’est très facile pour l’annonceur de comprendre ce qu’on lui vend. J’ai une audience, je te la vends. En revanche c’est plus compliqué pour un jeu. C’est plus global, il y a de la pédagogie à faire, insister sur les objectifs. C’est beaucoup plus facile de vendre un espace de bannière publicitaire qu’un jeu. C’est d’ailleurs pourquoi je me suis positionné plus sur le conseil que comme une agence de jeux. Qu’est-ce qui fait un bon jeu selon vous ? Il y a un mot qui peut être adapté à tout, c’est la simplicité. Un bon jeu publicitaire, c’est un jeu simple. C’est un jeu qui se joue à la souris ou avec un bouton du clavier. C’est quelque chose de fluide qui n’a pas à être compris ou nécessiter une démarche pour rentrer dedans. C’est aussi un jeu qui fonctionne techniquement. Et c’est un jeu qui essaye d’intégrer l’univers et le discours de la marque. Il suffit d’une petite idée, d’un bon gameplay. L’audience est là et friande de ces jeux.

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