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LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES Une vieille opposition Ce que l’on appelle la Querelle des Anciens et desModernes ne fait que reprendre, en la radicalisant, une vieille opposition. De tout temps, s’affirment deux conceptions de la littérature et, plus généralement, de la création. Les uns, tournés vers le passé, croient qu’il convient d’imiter les prédécesseurs, parce qu’ils ont atteint la perfection dans leur art : ce sont les partisans des Anciens. Les autres, fixés sur le présent, pensent qu’il faut, au contraire, innover, trouver des solutions qui correspondent à l’esprit de l’époque: ce sont les Modernes. Entre les deux camps, les conciliateurs essaient d’harmoniser les positions : pour eux, s’il faut tenir compte des apports précédents, il faut aussi les adapter aux situations nouvelles, les utiliser comme un tremplin qui permet de progresser. Durant la première partie du XVII e siècle, ces trois conceptions apparaissent déjà, par exemple dans le domaine théâtral: les adeptes du théâtre régulier entendent appliquer les préceptes des auteurs dramatiques de l’Antiquité, d’autres préfèrent un théâtre irrégulier porteur d’innovations, tandis que les partisans de solutions moyennes les renvoient dos à dos, en préconisant un système théâtral à la fois inspiré des Anciens et influencé par le présent. Les camps en présence Qu’a donc alors de particulier cette querelle des Anciens et des Modernes? D’abord, son nom même : il montre que naît une conscience vive de l’existence d’une opposition, de deux voies possibles. Ensuite, son intensité : il s’agit d’une querelle aiguë, à laquelle vont participer la plupart des écrivains de l’époque. Enfin, sa signification :elle indique que le Classicisme est ébranlé, que de nouvelles solutions commencent à être cherchées. C’est une véritable bataille qui s’engage. Les péripéties y sont nombreuses. Chaque camp essaie de marquer des points, tandis que des esprits plus modérés tentent une conciliation difficile. Du côté des

La Querelle Des Anciens Et Des Modernes

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LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES

Une vieille opposition

Ce que l’on appelle la Querelle des Anciens et desModernes ne fait que reprendre, en la radicalisant, une vieille opposition. De tout temps, s’affirment deux conceptions de la littérature et, plus généralement, de la création. Les uns, tournés vers le passé, croient qu’il convient d’imiter les prédécesseurs, parce qu’ils ont atteint la perfection dans leur art : ce sont les partisans des Anciens. Les autres, fixés sur le présent, pensent qu’il faut, au contraire, innover, trouver des solutions qui correspondent à l’esprit de l’époque: ce sont les Modernes. Entre les deux camps, les conciliateurs essaient d’harmoniser les positions : pour eux, s’il faut tenir compte des apports précédents, il faut aussi les adapter aux situations nouvelles, les utiliser comme un tremplin qui permet de progresser.

Durant la première partie du XVIIe siècle, ces trois conceptions apparaissent déjà, par exemple dans le domaine théâtral: les adeptes du théâtre régulier entendent appliquer les préceptes des auteurs dramatiques de l’Antiquité, d’autres préfèrent un théâtre irrégulier porteur d’innovations, tandis que les partisans de solutions moyennes les renvoient dos à dos, en préconisant un système théâtral à la fois inspiré des Anciens et influencé par le présent.

Les camps en présence

Qu’a donc alors de particulier cette querelle des Anciens et des Modernes? D’abord, son nom même : il montre que naît une conscience vive de l’existence d’une opposition, de deux voies possibles. Ensuite, son intensité : il s’agit d’une querelle aiguë, à laquelle vont participer la plupart des écrivains de l’époque. Enfin, sa signification :elle indique que le Classicisme est ébranlé, que de nouvelles solutions commencent à être cherchées.

C’est une véritable bataille qui s’engage. Les péripéties y sont nombreuses. Chaque camp essaie de marquer des points, tandis que des esprits plus modérés tentent une conciliation difficile. Du côté des Anciens, La Fontaine, Boileau et La Bruyère sont parmi les plus ardents à exprimer leurs positions. Du côté des Modernes, Thomas Corneille et surtout Charles Perrault apparaissent comme les militants les plus actifs. Enfin, dans ce combat, Saint-Évremond, Fénelon et Fontenelle se posent en médiateurs.

Le progrès existe-t-il en art ?

Les Anciens et les Modernes s’opposent essentiellement sur la notion de progrès dans le domaine artistique. Pour les premiers, comme La Bruyère, le progrès en art n’existe pas, la perfection a été atteinte une fois pour toutes par les Anciens qui ont tout découvert, tout inventé: «Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé; l’on ne fait que glaner après les Anciens et les habiles d’entre les Modernes» (Les Caractères, I, 1). Pour les seconds, comme Perrault, il reste au contraire beaucoup à trouver, beaucoup à améliorer, ce qui donne aux Modernes une supériorité de fait sur leurs prédécesseurs : « [...] tous les arts ont été portés dans notre siècle à un plus haut degré de perfection que celui où ils étaient parmi les Anciens, parce que le temps a découvert plusieurs secrets dans tous les arts, qui, joints à ceux que les Anciens nous ont laissés, les ont rendus plus accomplis [...]. » (Parallèles

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des Anciens et des Modernes).Cette opposition centrale entraîne tout naturellement d’autres oppositions: imiter les Anciens, c’est seréférer à des modèles immuables; innover, c’est, au contraire, chercher des solutions meilleures. Suivre les exemples des prédécesseurs, c’est se rallier à des pratiques cautionnées par le temps et donc à l’abri des modes; s’engager sur une voie nouvelle, c’est tenir compte de l’évolution historique, des leçons des événements.

La Querelle des Anciens et des Modernes, Gallimard, Folio Classique, 2001, poche, ISBN 2070387526.

Les auteurs et leur camp

Anciens Dates Modernes Dates

Montaigne 1533-1592 Jean Bodin 1530-1596

Francis Bacon 1675-1786 Scipion Dupleix 1569-1672

Marin Mersenne 1588-1648 Guez de Balzac 1595-1654

Gabriel Naudé 1600-1693

Duc de Montausier 1610-1703 Desmarets de Saint-Sorlin 1595-1676

Saint-Evremond vers 1615-1703

Antoine Arnauld, le Grand Arnauld 1612-1694 Descartes 1596-1650

François de La Rochefoucauld 1613-1680

Olivier Le Fèvre d'Ormesson 1616-1686 Nicolas de Rampalle 1603-1660

Furetière 1619-1688 Pierre Corneille 1606-1684

Grand Condé 1621-1686 Jacques Rohaultvers 1617-1672

La Fontaine 1621-1695 Charles Le Brun 1619-1690

Madame de Sévigné 1626-1696 Molière 1622-1673

Bossuet 1627-1704 Blaise Pascal 1623-1662

William Temple 1628-1699 Thomas Corneille 1625-1709

Pierre-Daniel Huet 1630-1721 Charles Perrault 1628-1703

Madame de Thianges 1631-1693 Lully 1632-1687

Madame de La Fayette 1634-1693 Régis 1632-1707

Madame de Maintenon 1635-1719 Philippe Quinault 1635-1688

Nicolas Boileau 1636-1711 Antoinette Des Houlières 1638-1694

Jean Racine 1639-1699 Malebranche 1638-1715

Madame de Montespan 1640-1707 Gabriel Guéret 1641-1688

Jean de La Bruyère 1645-1696

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Fénelon 1651-1715

Anne Dacier 1654-1720

Longepierre 1659-1721 Bernard de Fontenelle 1657-1757

Jean Boivin 1663-1726

Claude-François Fraguier 1660-1728

Jonathan Swift (secrétaire de William Temple)

1667-1745 William Wotton 1666-1726

Limojon de Saint-Didier 1669-1739Giambattista Vico en Italie

1668-1744

Académie Lamoignon 1670 Jean Terrasson 1670-1750

Abbé du Bos 1670-1742

Marquise de Caylus 1671-1729Antoine Houdar de La Motte

1672-1731

Antonio Schinella Conti 1677-1749

Rémond de Saint-Mard 1682-1757

Abbé de Pons 1683-1732 Saint-Hyacinthe 1684-1746

Alexander Pope 1688-1744

Voltaire 1694-1778

Jean-Jacques Rousseau 1712-1778 Diderot 1713-1784