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La question de 1’Etre chez Heidegger et chez Gonseth Par Edmond BERTHOLET I1 m’a paru intkressant de situer la pensee et l’aeuvre de Gonseth dans la tradition philosophique de I’Occident, et surtout en ce que cette tradition a de plus caractkristique, a savoir la question de 1’Etre. Or, l’aeuvre de Heidegger, qui vient de mourir, est de manikre beaucoup plus Cvidente dans la tradition philosophique de I’Occident, oh elle occupe dCsormais une place majeure. Heidegger est retourn6 aux sources hellkniques, mais pour en tirer un nouveau parti philosophique; il s’est placC dans la situation nouvelle crCCe par les sciences et les techniques et a partir de cette alliance entre le plus ancien et le plus moderne, sa rkflexion Clabore un retour A 1’Etre; elle restaure la mktaphysique. Non plus dans le sens d’un fondement et d’un dkploiement du discours a partir de principes premiers, mais dans le sens d’une hermkneutique ouverte, oh la question de 1’Ctre ne cesse de se poser sans jamais revGtir la forme d’un savoir. Gonseth pour sa part, a Clabort une mCthodologie dont la cohkrence admirable cache malheureusement trop souvent le prCsupposC ontologique. Ce prCsupposC a un nom: l’idone‘isrne. L‘aptitude de l’homme 5 dCcouvrir le vrai, a en susciter << de manihre idoine D le dkvoilement sans fin, relbve d’un statut de convenance, ou le monde du sujet et le monde de l’objet se conjuguent selon un dessein et selon une possibilitC; c’est la que s’originent toute connaissance et toute expkrience. La question de 1’Ctre ne surgit pas pour faire problkme a part, elle est inhkrente a toute forme de connaissance et a tout degrC de savoir; elle en caractCrise 1’Cnigme originelle, I’incomplC- tude actuelle et le dkpassement possible. Pour Gonseth, comme pour Wittgenstein, (< ce dont on ne peut parler, il faut le taire >>. Mais le taire ne signifie pas qu’on I’ignore. I1 n’est donc pas indiffCrent de savoir s’il y a coincidence entre Gonseth et Heidegger. Heidegger a probablement ignorC complhtement Gonseth, cependant que Gonseth Ctait convaincu que le cheminement de Heidegger Dialectica Vol. 31, No 1-2 (1977)

La question de l'Etre chez Heidegger et chez Gonseth

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La question de 1’Etre chez Heidegger et chez Gonseth

Par Edmond BERTHOLET

I1 m’a paru intkressant de situer la pensee et l’aeuvre de Gonseth dans la tradition philosophique de I’Occident, et surtout en ce que cette tradition a de plus caractkristique, a savoir la question de 1’Etre. Or, l’aeuvre de Heidegger, qui vient de mourir, est de manikre beaucoup plus Cvidente dans la tradition philosophique de I’Occident, oh elle occupe dCsormais une place majeure. Heidegger est retourn6 aux sources hellkniques, mais pour en tirer un nouveau parti philosophique; il s’est placC dans la situation nouvelle crCCe par les sciences et les techniques et a partir de cette alliance entre le plus ancien et le plus moderne, sa rkflexion Clabore un retour A 1’Etre; elle restaure la mktaphysique. Non plus dans le sens d’un fondement et d’un dkploiement du discours a partir de principes premiers, mais dans le sens d’une hermkneutique ouverte, oh la question de 1’Ctre ne cesse de se poser sans jamais revGtir la forme d’un savoir.

Gonseth pour sa part, a Clabort une mCthodologie dont la cohkrence admirable cache malheureusement trop souvent le prCsupposC ontologique. Ce prCsupposC a un nom: l’idone‘isrne. L‘aptitude de l’homme 5 dCcouvrir le vrai, a en susciter << de manihre idoine D le dkvoilement sans fin, relbve d’un statut de convenance, ou le monde du sujet et le monde de l’objet se conjuguent selon un dessein et selon une possibilitC; c’est la que s’originent toute connaissance et toute expkrience. La question de 1’Ctre ne surgit pas pour faire problkme a part, elle est inhkrente a toute forme de connaissance et a tout degrC de savoir; elle en caractCrise 1’Cnigme originelle, I’incomplC- tude actuelle et le dkpassement possible. Pour Gonseth, comme pour Wittgenstein, (< ce dont on ne peut parler, il faut le taire >>. Mais le taire ne signifie pas qu’on I’ignore.

I1 n’est donc pas indiffCrent de savoir s’il y a coincidence entre Gonseth et Heidegger. Heidegger a probablement ignorC complhtement Gonseth, cependant que Gonseth Ctait convaincu que le cheminement de Heidegger

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too Edrnond Bertholet

Ctait par trop CloignC du sien: il ne l’a jamais citC. Une coincidence serait peut-ktre dbs lors significative d’une mutation philosophique profonde.

I1 est clair que mon propos ne peut &re qu’esquiss6 A tr&s grands traits. Le peu de place qui m’est imparti me permettra seulement de suggkrer les grandes lignes d’une analyse qui reste A faire.

Je renvoie le lecteur que la question intkresserait au chapitre XXX de l’ouvrage que j’ai consacrk A Gonseth l, ou j’essaye de voir ce qu’il y a de commun entre Heidegger et Gonseth, mais ou malheureusement je commets quelques injustices envers Heidegger. L‘enjeu veritable d’une confrontation m’est apparu ultirieurement. I1 tient A la possibilitC m8me de la philoso- phie, a sa 1CgitimitC et a son avenir dans une situation de connaissance ou le fait scientifique et I’CpistCmologie qui en dkcoule appellent un renou- veau. Le courant qu’on appelle positiviste, non au sens Ctroit d’A. Comte, mais au sens large qui dCsigne l’antifondamentalisme, 1’antimCtaphysique et l’anti-idCologie, me parait reprCsenter I’unique chance et le seul avenir de la philosophie. Paradoxalement, Heidegger propose une solution au problkme du commencement allant dans le sens du positivisme, cependant que Gonseth, non moins paradoxalement, rejoint en ses intentions pro- fondes celles de l’empirisme logique et de la philosophie analytique. Au- dela des conflits de circonstances, suscitCs par l’excbs, le goiit du risque et de l’aventure intellectuelle, subsiste une intention premibre et commune. La Science, en sa diversit6 et en son unit6, est un Cvbnement qui dCpouille la philosophie de sa libertC spCculative traditionnelle et en mkme temps la dCtermine comme libertC de parler de l’homme et de son irrkductible sub- jectivitC A partir de l’objectivitk scientifique.

L’oeuvre de Heidegger est explicitement ontologique, celle de Gonseth ne l’est qu’implicitement. Heidegger Clabore une phCnomCnologie de la connaissance en tant que dCcouverte de l’Etre, donc comme transcendance de l’Ctant, des Ctants, vers 1’Etre. Gonseth Clabore une mCthodologie ou la valeur des procCdures scientifiques est exemplaire de ce qui se passe dans tout le champ de la connaissance; il s’est agi pour Gonseth, de rendre compte de la possibilitC du juste, du vrai et du non arbitraire dans les moyens et dans les rksultats de la recherche scientifique.

Or, il apparait qu’il n’y a pas de discours possible sur la MCthode, sans ouverture A l’horizon ontologique, mais que simultanCment il n’y a pas de discours ontologique en marge de l’univers des phCnombnes, des Ctants dont traite la science.

Edmond Bertholet, La Philosophic des Sciences de Ferdinand Gonseth, Editions 1’Age d’Homme, Lausanne, 1968.

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L’inattendu a CtC pour moi de dicouvrir une complCmentaritC profonde entre Heidegger et Gonseth. Heidegger a sur la science et ses mCthodes des conceptions Ctonnamment proches de celles de Gonseth.2 Gonseth a de I’tpistCmologie une conception ktonnamment proche de Heidegger. Tous deux rencontrent en fin de compte et h la limite de ce qu’on peut dire, la m&me source inkpuisable: 1’Etre voilC, se dtvoilant sans se montrer, 1’Etre prCsent notre insu, origine A tout jamais Cnigmatique, d’oh tout surgit et ou tout retourne. Gonseth et Heidegger, une seule et m&me rksignation A la finitude de I’homme et de ses ceuvres: chez Gonseth rtsignation B I’inachhement et A l’incomplttude, chez Heidegger rksignation A la dirk- liction et a 1’Angst (qu’il convient de traduire mieux par privation que par angoisse).

Si Heidegger a pu Ccrire (Sein und Zeit p. 53) que l’ontologie n’est pos- sible que comme phCnomCnologie, Gonseth aurait pu Ccrire, et peut-Stre \’a-t-il Ccrit, que l’ontologie passe par la mCthodologie. Faut-il s’en Ctonner, puisque tous deux appartiennent A la postCritC de Kant. Des ceuvres appa- remment aussi CloignCes que le sont (< Sein und Zeit )) et << Les MathCma- tiques et la RCalitC )>, ont un dknominateur commun: expliciter la possibilitk et les conditions d’effectuation de la connaissance ?i partir de ce qu’est l’homme (le Dasein), h partir de ses structures mentales, i partir de son etre-dans-le-monde. Le passage de I’ktant B l‘Etre est transcendance. Avec Heidegger et Gonseth, nous sommes en presence de deux philosophies transcendantales, ou mieux encore, de la philosophie transcendantale au sens que lui confCrait Kant: non pas la philosophie qui s’occupe soit des objets, soit du sujet, mais de la manibre dont ils constituent ensemble I’unitC de l’acte de connaitre. On sait le r61e que joue chez Gonseth la doc- trine du schtmatisme et des procedures de schtmatisation. Elle demeure sous-jacente A l’interprttation Heideggerienne. Chez tous deux le schCma- tisme appartient l’essence de la connaissance finie et tous deux illustrent la difinition qu’en donnait Kant: (< Ce schCmatisme. . . est un art cachC dans les profondeurs de l’ime humaine. >) Chez Gonseth le schtmatisme est liC B I’idonCisme comme thkorie de l’adtquation. Or, le schCmatisme demeure en relation directe avec le problbme fondamental de la transcen- dance de l’ttre fini. Chez Gonseth comme chez Heidegger, le dkploiement de la connaissance est dkpassement, approfondissement de tous les horizons possibles oh le rCel nous apparait, vers l’horizon de 1’Etre.

Dans un texte tcrit en 1955 et intitulC << Contribution h la Question de 1’Etre >), Heidegger dCplore l’interprktation qu’on a donnte de u Qu’est-ce

2 Lire ?i ce sujet le chapitre Philosophie et Science dans Dialogue avec Heidegger 111 de Jean Beaufret, Editions de Minuit, 1974.

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que la mitaphysique? D. I1 rappelle que c’ktait 11 (( une leGon inaugurale de philosophie devant toutes les facultb rCunies D. C‘est pourquoi la ques- tion se plaCait dans le cercle de toutes les sciences et s’adressait 21 elles. Mais comment? (( Non pas dans le but, prCcise Heidegger, qui eQt CtC prC- tentieux, d’amkliorer leur travail, ou pire, de le dCprCcier D.

(( La reprtsentation qui est celle des Sciences conceme partout l’ktant, et plus prCcisCment elle concerne des rCgions de 1’6tant prises sCparCment s. Mais, ce faisant, la Science accrCdite chez beaucoup l’opinion R que toute la sphkre du recherchable et du questionnable s’Cpuise avec la reprksentation de l’Ctant, qu’en dehors de 1’Ctant il n’y aurait (< rien de plus )). A cette prCtention d’un monopole scientifique, Heidegger oppose la viste m6ta- physique, la transcendance, l’Etre de l’ttant, mais, insistons sur ce point, Heidegger ne le fait pas par un dimarcage de frontikre ou de compCtences disciplinaires. I1 le fait par l’ouverture des Ctants de la Science a leur propre origine, a leur virtualit6 m&me, A cela sans quoi ils ne seraient pas. Pour y parvenir, Heidegger recourt a l’hypothhse pCrilleuse que le scien- tisme pose a son insu, celle du NCant. Mais le scientisme, lorsqu’il affirme qu’il n’y a rien de plus que 1’Ctant dont il traite, dCbouche sur le nihil nega- tivum. Or, chez Heidegger le NCant est le Tout Autre, il est ce qui est voilt ou ce qui se voile. Heidegger rejoint ici Ltonard de Vinci: c parmi les grandes choses qu’il y a 2I trouver autour de nous, c’est 1’Etre du NCant qui est la plus grande D.

Effectivement, si la reprksentation scientifique Ctait ce qu’on prCtend, si elle Cpuisait le connaissable, (( ce qui n’est d’aucune faCon un &ant (a savoir 1’Etre) ne pourrait s’offrir que comme NCant )). D’ou la question: qu’en est-il de ce (( Tout autre )> que tout Ctant, de ce qui n’est pas un Ctant ))? Et alors, ajoute Heidegger, il se montre que le Dasein de l’homme est (( compris )) dans ce NCant, dans le Tout-Autre que 1’Ctant. En d’autres termes, cela signifie et ne peut signifier que: <( L’homme est Lieu-tenant du (( Ntant )). Le dCtour par le NCant, qui n’est ici qu’une manikre de saisir l’insaisissable, conduit 1 la rencontre du Dasein, la rCalitC de I’homme, cet Ctant privilCgiC. La question que Heidegger pose a la science est celle de sa possibilitC, de sa vraisemblance en regard du Dasein, que nulle reprksentation phCnomCnale n’bpuisera jamais. La question de Hei- degger ouvre la rationalit6 scientifique et plus gtntralement le Dire de tout langage 1 ((la loi la plus haute: la libertC qui ouvre au Dire le libre champ de l’Ordre qui fait tout jouer; toute la Transformation sans repos .. (Ce Dire n’est pas l’expression de la PensCe, mais c’est elle-mhe, c’est sa rnarche et son chant).

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La question: (c Qu’est-ce que la mCtaphysique? >> ne tente qu’une seule chose: conduire les Sciences a rCflCchir sur le fait qu’elles rencontrent nCces- sairement et par conskquent toujours et partout, le Tout-Autre que l’Ctant, ce qui n’est rien d’Ctant. Elles se tiennent dCja, a leur insu, en rapport a 1’Etre. C’est uniquement de la vCritC de 1’Etre chaque fois rCgnante qu’elles reqoivent la lumikre qui leur permet d’abord de voir, puis de traiter comme tel l’ttant reprCsentC par elles. ))

Or, quelle a CtC l’intention philosophique profonde de Ferdinand Gonseth, sinon celle de conduire la Science a rCflCchir sur son statut Cpistt- mologique, ou apparait en clair ce que Gonseth nommait pour l’homme le (( miracle d’Etre D. I1 entendait par lh que 1’Etre de l’homme est prCsent en tout ce qu’il Cdifie et que la science, prCcisCment, en sa prodigieuse apparition dans I’histoire, en est une rCvClation novatrice. A cet Cgard, nulle difftrence entre le Dasein de Heidegger et le miracle-d’Ctre-pour- I’homme )> de Gonseth. Gonseth recourra aussi, pour dCsigner la meme chose, au concept de sujet, dCsignant par 121 la suprCme ouverture de la connaissance a son propre mystkre (je rappelle ici la mttaphore de la poupCe russe, dont Gonseth aimait se servir). Ni les Ctants du monde de l’objet, ni les Ctants de la subjectivitC elle-m&me, ne peuvent conduire une apprC- hension rationnelle du sujet; aucun langage ne peut le nommer, car le Sujet transcende tout Ctant et toute modalit6 d’expression. Par Sujet, Gonseth dtsigne le pnncipe mCme de notre participation au tout, autant l’origine qu’a la destination de ce qui advient a I’homme, dans sa connaissance et dans son expkrience. De notre information naturelle prCconstituCe aux formes les plus ClaborCes et rigoureuses du langage et du savoir humains, rien ne viendrait B l’existence sans le prCalable de ce que Gonseth appellait hi-mime le <( langage d’un sujet universe1 jamais incarnC n.

Gonseth d’escamoter les grands thkmes de la philoso- phie classique et effectivement, il s’est toujours gardC de pratiquer ce que, h i , reprochait aux philosophes: un discours sur le discours. Mais ces grands thkmes, il ne les Cludait pas. I1 les portait en lui, mais il jugeait h juste titre que son souci ne devait pas Ctre d’en rCitCrer le commentaire. En quelque sorte, pour Gonseth, la philosophie se fait ou se dCfait au grC de choses plus fortes qu’elle, au gr6 de l’expbrience que la connaissance acquiert d’elle-mEme, au grt des kpreuves ou s’kpurent ses modalitb pratiques. D2s lors la mtthodologie traite du mode d’Ctre des Sciences. Elle est comprbhen- sion ontologique et constitue par consiquent un chapitre de la philosophie transcendantale.

un incessant commen- taire des textes, a une analyse mCticuleuse des mots, a un gigantesque tra-

On a reproche

A la difftrence de Gonseth, Heidegger se livre

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vail de restauration philosophique. En m&me temps qu’il vise 1’Etre en gCnCral, il vise I’existence humaine, car pour lui: a I’homme existe de telle manikre, qu’il y va toujours pour lui de sa propre existence. >> L’essence du Dasein consiste h exister. Exister, c’est se prCoccuper de I’existence, c’est s’en soucier. Mais dans ce souci l’existence humaine esquisse, a son insu, l’horizon de I’Etre en gCnCral. Elle l’esquisse parce que I’Etre n’est pas un concept, mais cela m6me que nous avons B assumer. La relation avec ce qui nous semble le plus abstrait, le plus Cloignt, - 1’Etre en gCnCral - est aussi la relation la plus intime qui s’accomplit en nous. L‘existence, pourrait- on dire, est expkrience de I’Etre et I’Cquivalence de l’essence et de l’existence emp&che de sCparer le thtorique, le rationnel d’avec I’exptrience, le vtcu et ce qui se donne naturellement.

La connivence que nous constatons entre Gonseth et Heidegger ne tient pas h une identitt d’orientation initiale. Si tous deux appartiennent h la postCritC de Kant, cela ne suffit pas h expliquer tant de convergence sur l’essentiel et sur le plus intime de la conviction. En fait, Heidegger et Gonseth sont deux temens, deux hommes dont toute la clairvoyance intel- lectuelle est une volontt de comprendre B partir de ce qu’ils sont eux-memes en un lieu, en une demeure, en un site, dans une maison, en situation de connaissance. Le premier mot de leur philosophie est identique: <( Nous ne commencons jamais, nous ne sommes jamais entikrement neufs devant notre destinte. >> (Heidegger). 6 Nous sommes en effet en situation de con- naissance avant m&me de porter le moindre jugement et ki prCcis6ment rtside le paradoxe de la connaissance )) (Gonseth).

Le langage de Heidegger est Cclairant pour la comprChension de I’ido- nCisme dont le postulat est que l’homme posshde en son essence et en ses structures ce qui convient, ce qui est appropriC h la saisie du rCel. Selon Gonseth I’incomplCtude et l’inachkvement, de m&me que la rkvisibilite, sont rCvClateurs des pouvoirs de I’esprit. Dans la remise en question qui peut frapper toute connaissance, Ccrit-il, tout sera-t-il vCritablement mis en doute? (( Non, car l’esprit ainsi dCpouillt ne devra pas douter de lui-mcme, de la lumikre naturelle qui I’Cclaire et de sa capacitt de vigilance et de dis- cernement. C’est h lui seul que reviendra la tlche d’accueillir, dans une souveraine sCcuritC, le tkmoignage des Cvidences h partir desquelles pourra se dCployer une connaissance dksormais assurte. L’esprit devient alors, pour lui-mCme, le tCmoin de la plus capitale des Cvidences, le t h o i n de son propre pouvoir de se prononcer. >> Heidegger fait Ccho h Gonseth et I’amplifie mCme lorsqu’il dit: <( tout ce que je fais, tout ce que je pense est une facon de saisir ou peut-&tre de manquer les pouvoir-Ctre auxquels je suis VOUC. )) Ce pouvoir-Ctre n’a rien de commun avec la dunamis AristotC-

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licienne: ce n’est pas un moindre Stre, ce n’est pas une forrne en puissance. Ce pouvoir-Ctre est le passage de l’essence B l’existence. I1 est le projet d’exister, dont Gonseth lui-rnCme s’est beaucoup prCoccupC vers la fin de sa vie; il est au principe mCme de la destinCe, autant s’il dCbouche sur 1’Cchec que s’il dCbouche sur la rCussite. I1 est le dynamisme de l’essence B l’existence. Dks lors le sens est ce par quoi nous acddons B nos pouvoir- Ctre. I1 ne nous appartient pas d’en chercher les traces ailleurs et en dehors de cette idonCit6 qui soude ce qu’on est B nos manibres d’Ctre-lh dans le temps. Finalement, un mot de Heidegger pourrait exprimer notre recon- naissance B Ferdinand Gonseth: <( Que mon humanit6 soit la vCrit6 )>.

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