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La restauration du pont Camille-de-Hogues - renofors.comrenofors.com/wp-content/uploads/2015/05/Couverture_Monumental.pdf · trois arches, il est le premier pont en béton à avoir

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Le 16 janvier 1899, les entrepreneurs Martin et Piau sont désignés et démarrent le chantier sous la directionde l’ingénieur M. Puylagarde. Les travaux de gros œuvresont terminés le 1er décembre 1899. Après les épreuvesde poids morts puis de poids roulants, le pont est ouvertà la circulation des piétons, le 14 avril 1900, puis à lacirculation des voitures le 1er septembre. Il est alors baptisépont de la Manufacture.

Enjambant la Vienne à un endroit où celle-ci est large de plus de 130 mètres, le pont Camille-de-Hogues estlong de 144 mètres et large de 8 mètres. Comportanttrois arches, il est le premier pont en béton à avoir une portée dépassant les 100 mètres. L’arche du centre a une ouverture de 50 mètres et une hauteur à la clé de 8,15 mètres environ, alors que les arches latéralesportent sur 40 mètres et 4 mètres de hauteur. Chaquearche est formée de quatre poutres en béton armé en arc, reliées par un hourdis formant voûte. Le tabliercomprend quatre files de poutres portées par un réseaude potelets de 0,20 sur 0,20 mètre (appelés colonnettes)également en béton armé. Ces potelets sont reliés entreeux par des longerons qui rythment des tympansévidés. Ce tablier se compose d’une chaussée de 5 mètres de largeur, constituée d’un hourdis en bétonarmé recouvert de goudron et bordée de trottoirspartiellement en encorbellement de 1,05 mètre chacun.Le parapet est toutefois en fer forgé. Des réverbères en fonte assuraient l’éclairage par le gaz de l’ouvrage.

Les premières campagnes de restaurationDans les années 1930, des travaux de restauration ont été entrepris: des ceintures en béton armé ont étéexécutées autour de chacune des deux têtes de piles afin de conforter un point de faiblesse pouvant causer des désordres, mais ces ceintures masquaientmalheureusement la partie haute des consoles envolutes rappelant l’architecture de pierre. C’est la seuleintervention lourde depuis sa création. Le pont a été toutefois régulièrement surveillé jusqu’au début des années 1980 où un diagnostic subaquatique a été effectué, suivi d’un rapport d’analyse des profondeurs de carbonatation en 1988 et d’uneexpertise des superstructures menée en novembre 1989, par le Laboratoire régional des ponts et chausséesd’Angers. Parallèlement, la Socotec a réalisé un relevésuccinct des désordres. Enfin, c’est le 22 novembre 2002que la qualité du pont Camille-de-Hogues est reconnuepar le ministère de la Culture, qui le fait alors classer au titre des monuments historiques.

La restauration d’un ouvrage d’art, bien que classémonument historique, impose le respect de normes très contraignantes. Très utilisé encore aujourd’hui par les nombreux véhicules qui traversent ici la Vienne,s’agissant du deuxième pont du centre-ville, faisantabstraction des deux ponts des rocades au nord et au sud, les contraintes de passage sont telles que, dès 1998, les services départementaux de l’Équipementeffectuaient un diagnostic entraînant des travauxlourds, mais sans réellement considérer alors son intérêtpatrimonial. Après son classement en 2002, une étudepréalable à sa restauration a été réalisée et remise en octobre 2004. Nous prenions alors en compte le diagnostic établi par la DDE en le complétant parnotre propre analyse en coopération avec un BET. Maisle parti pris était alors différent: s’il devenait inévitablede limiter son tonnage à 3,5tonnes, la structure anciennedevait être intégralement conservée sans modification,la valeur patrimoniale de l’ouvrage primant désormais.

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La restauration du pont Camille-de-Hogues à ChâtelleraultFrançois JeanneauArchitecte en chef desmonuments historiques Carl RedonDirecteur technique de la Société Renofors

En 1897, Camille de Hogues, alors maire de Châtellerault, lance le projet de construction d’un pont enjambant la Vienne afin de relier les quartiers sud de la ville avec la manufactured’armes implantée plus à l’ouest sur la rive opposée. On évoque alors un pont en métal pourpiétons et voitures (à cheval !) situé face à l’entrée de la manufacture. À la fin du xixe siècle, les ouvrages d’art empruntent leur structure et leur forme à la très célèbre (déjà) et très modernetour de Gustave Eiffel, il n’est alors pas question d’autres matériaux… Et pourtant, aprèsl’organisation d’un concours qui réunit dix-sept entreprises de construction métallique, c’est la jeune société des bétons armés Hennebique qui retient l’attention du conseil municipalpar l’utilisation d’un tout nouveau procédé constructif dont le coût est très concurrentiel. Ce dernier est présenté comme une structure en métal mais dont la protection – infinie quandon la compare au peu de durabilité dans le temps du métal, atteint par la rouille si l’on n’y prendpas garde – est assurée par un « enrobage » en ciment, à tel point qu’on le confond avec unouvrage en maçonnerie et pierre de taille. Le conseil est alors convaincu par cette structure miraclequi ne demande aucun entretien. La société Hennebique est retenue, marquant ainsi dansl’histoire des techniques la réalisation du premier grand ouvrage d’art en béton armé de France.

Vienne

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37La restauration du pont Camille-de-Hogues à Châtellerault

Notre souci était donc de proposer des travaux de restauration respectant la qualité intrinsèque de ce pont tout en lui maintenant son usage mêmelimité en tonnage. Nous tentions alors de rejeter toutesolution de purge, restitution des parties malades ou renforcement de structures modifiant celles qui sonten place actuellement. Le protocole d’intervention que nous avons envisagé et donc mis en œuvre, depuis2006, utilise le procédé breveté de restauration par réalcalinisation. L’intérêt principal de ce procédé est d’intervenir sur la carbonatation des bétons quin’ont pas encore atteint le degré d’altération irréversibleet où la corrosion des armatures n’a pas encore entraînél’éclatement du matériau. Il était particulièrement bien adapté ici, compte tenu du niveau d’altération desbétons, exempts de chlorure. Ces travaux sont actuellementen cours d’achèvement, les piles restant à traiter.

Les pathologiesLes aciers du béton armé sont naturellement protégésde la corrosion par le pH ~13 du ciment. Cependant,nombre d’ouvrages en béton présentent des épaufruresdues à la formation de rouille expansive sur les armatures.La carbonatation qui résulte du passage en solution dudioxyde de carbone (CO2) ambiant dans l’eau du réseauporeux du béton s’accompagne d’une baisse de pH à desvaleurs inférieures à 9. Il s’ensuit la destruction de lacouche passivante protégeant l’armature qui s’oxydealors. La contamination par les chlorures (ambiancemarine, sels de déverglaçage, accélérateurs chlorés) est une autre cause majeure de corrosion des aciers.

La régénération du bétonFace à une pathologie de carbonatation, l’enjeu est derehausser le pH du béton autour des aciers. Pour ce faire,on met en œuvre un traitement électrochimique du béton:la réalcalinisation. Le courant électrique de traitementva générer une électrolyse autour des armatures et favoriser l’apport électro-osmotique de substancesalcalines dans le béton. Ces deux phénomèness’accompagnent d’une remontée du pH dans le but de protéger l’acier. Quant aux chlorures, il convient de les extraire lorsque leur teneur excède 0,4% du poidsdu ciment contenu dans le béton armé. Le traitementélectrochimique est alors la déchloruration. Concernantle pont Camille-de-Hogues, l’agent agressif déterminéest le CO2. C’est le procédé de réalcalinisation Novbétonde la société Renofors qui a été retenu pour traiterl’ouvrage.

MéthodologieAprès le montage d’un échafaudage adapté à la géométriedu pont, les épaufrures ont été purgées. Des raccordsélectriques (cathodes) ont alors été positionnés sur lesarmatures, dont la continuité électrique a été vérifiée. La réparation des épaufrures est effectuée avec unmortier hydraulique. Un treillis métallique est ensuiteattaché à la surface du béton et connecté électriquement(anodes). Des fibres sont projetées sur ce treillis de manièreà former un cataplasme qui est imbibé par une solutionélectrolytique alcaline. Le traitement proprement dit débute: la mise sous tension pendant une quinzainede jours enclenche le processus de réalcalinisation décrit ci-avant.

Des carottes ont été prélevées et testées à la phénolphtaléinepar un laboratoire de contrôle externe pour s’assurer de la remontée effective du pH conformément au document normatif FD CEN/TS 14038-1. À l’issue du traitement, le cataplasme anodique a été déposépour travailler sur les finitions (enduits, badigeons…) sur la base d’échantillons préalablement validés par l’architecte en chef des monuments historiques.

L’intervention a ainsi redonné au pont Camille-de-Hoguesdes caractéristiques chimiques assurant la bonne tenuede ses éléments structurels. Le traitement a concernél’ensemble du pont, sans démolition majeure ni modification, préservant l’esthétique élégante du premier pont en béton armé de France. En parallèle,des travaux d’accompagnement ont été réalisés. Le revêtement de la chaussée et des trottoirs a été repris.Les garde-corps ont été conservés et restaurés à l’identique,retrouvant leur couleur d’origine, un vert amande. Lescandélabres des années 1960 ont été remplacés par unmodèle proche de celui d’origine connu sur les plans etphotos.

Les objectifs de ce chantier ont été respectés: conserverautant que faire se peut la matière d’origine de l’ouvrageclassé monument historique et maintenir, voire améliorer,son utilisation et sa fonction.

François Jeanneau et Carl Redon

Fiche techniqueMaîtrise d’ouvrage :Communauté d’Agglomérationdu Pays Châtelleraudais –Vincent GOUBEAUMaîtrise d’œuvre : FrançoisJeanneau, ACMHCabinet Dubois, Vérificateurdes monuments historiquesBureaux d’Etudes : UBCIngénierieCETE de l’Ouest - LRPCEntreprises : Soporen, Renofors,Arnholdt Échafaudages, SociétéVerchéenne, Colas, Forclum Valde Loire, Andrault

36 monumental 2009 Chantiers/Actualités Patrimoine du xxe siècle

L’application d’un procédé breveté pour la restauration des bétons