«Je veux juste faire ce que personne n’a jamais fait»Il est des
destins auxquels on échappe difficilement. Issu de la grande lignée
des Nock, Alfredo, dit Freddy, est devenu le 10 mai dernier, à
Séoul, le champion du monde de funambulisme. Un titre à ajouter à
une longue liste d’exploits.
Le graNd reportage
FuNaMBuLiSMe
planèteNotre
texte: Quan Ly
C’est l’histoire d’un homme dont la vie ne tient qu’à un fil. Ou
plutôt sur un fil: Alfredo Freddy Nock passe une partie de son
temps dans le vide, se déplaçant sur un câble qui relie un point à
un autre, un balancier dans les mains. Funambule est son métier et
la recherche du défi constitue son fil d’Ariane. Son der-nier
exploit date du 10 mai. Ce dimanche matin là, sur un fil de 2
centimètres de diamètre sus-pendu à près de 30 mètres au-des-sus du
fleuve Han, à Séoul, il a parcouru à petites foulées un kilo-mètre
en dix minutes et dix-huit secondes. Ce record du monde
d’équilibrisme lui permet de gagner le titre de champion du monde
de la discipline et, accessoirement, d’empocher 10 000 dollars.
Avec son bandana et son T-shirt rouge à croix blanche, le Suisse
a brûlé la politesse aux 19 autres candidats venus notamment de
Russie, de Chine, de France, des Etats-Unis et de l’Equateur. Il
s’est
en outre offert le luxe de venir en aide à deux parti-cipants
restés bloqués au milieu du parcours. Avec Mica, son partenaire de
scène d’origine mongole, il a assuré en deuxième partie du
spectacle un show devant une foule venue fré-mir de peur et de
plaisir. Dire qu’il avait décliné l’invitation aux deux éditions
précédentes pour cause d’emploi du temps chargé…
une vie de saltimbanqueC’est que Freddy Nock est à la tête d’une
petite entreprise qui assure le spectacle lors de galas ou de shows
d’entreprise: tir à l’arbalète façon Guillaume Tell, motos rou-lant
dans une grande cage sphé-rique, la roue de la mort ou d’autres
acrobaties constituent les princi-paux numéros. Une vie de
saltim-banque que l’artiste, né le 10 décembre 1964, connaît depuis
tout petit. Issu de la prestigieuse lignée des Nock, il est pour
ainsi dire tombé dans la potion magique du spectacle. «Avec le
cirque, j’ai
pu essayer les chevaux, les élé-phants, mais c’est équilibriste
qui m’attirait le plus.» Va pour le ver-tige du vide. Il a 4 ans
lorsqu’il fait ses premiers pas sur un fil tendu. «Mon père ne m’a
pas poussé», tient à préciser ce chef qui, avec sa compagne, Ximena
Solter-mann, est à la tête d’une tribu recomposée: trois enfants
pour lui et deux pour elle. Et d’ajouter: «Je ne pousserai pas non
plus mes enfants à faire ce que je fais.»
Mais quel est donc le secret de sa réussite? Premier indice, son
allure est à l’image de son corps: sportif, svelte, vif, tendu,
extrême. Tenir dans le vide un balancier de 9 kilos en moyenne
nécessite une endu-rance et une musculature qu’il entretient tous
les jours par un jogging du matin et des exercices physiques. Pas
de régime spécial pour l’Argovien, qui mesure 1 m 72 pour 71 kilos.
«Ma nourriture est la meilleure!» plaisante Ximena.
Second indice: «L’expérience. Il en faut beaucoup, beaucoup.» Un
conseil qui s’appuie sur une longue liste d’exploits, tous aussi
fous les uns que les autres. Deux souvenirs lui viennent d’emblée à
l’esprit: le clown d’argent remporté en 1994 au Festival
international du cirque de Monte-Carlo par les Anges blancs − la
troupe de funambules dont il faisait partie −, et Saint-Moritz.
Parcourir plus de 700 mètres à 367 mètres de hauteur, cela vous
donne droit à un ticket d’entrée dans le Livre Guinness des
records.
prochain défi: en aoûtA-t-il seulement conscience de défier la
mort? La question suscite un large sourire, que vient orner une
élégante moustachette à la Errol Flynn. La mort, il l’a côtoyée à 5
ans, lorsqu’un ours, qui s’était échappé d’une cage du cirque, l’a
happé par la tête. «Je crois qu’il m’a donné de la force.» De même
qu’il
s’est déjà brisé les poignets lors d’un numéro. Il s’est sorti
de pas mal de situations impossibles. «Je suis persuadé qu’il y a
des anges gardiens autour de moi.» Mais Freddy Nock finit par
balayer d’un revers de main toutes ces considé-rations: il est dans
l’action, pas dans la réflexion. «Le mental est essen-tiel, mais il
ne faut pas trop réflé-chir», assène-t-il, tout en montrant le
tatouage sur son épaule droite. On y voit un funambule avancer sur
un fil cassé: «Même si la corde rompt, il faut toujours aller tout
droit, continuer son chemin. Une fois que tu t’es fixé un but, il
faut tout faire pour l’atteindre, telle est ma devise.»
Son prochain défi est déjà plani-fié: le 29 août prochain, il
ira conqué-rir le Zugspitze, la plus haute mon-tagne d’Allemagne
avec ses 3000 mètres d’altitude. «Je ne cherche pas à me faire un
nom, assure-t-il. Je veux juste faire ce que personne
n’a jamais fait.» Et ce dans toutes les conditions: sous la
pluie ou la neige, par temps froid, avec ou sans ses chaussures
spéciales. On lui demande du bout des lèvres s’il n’est pas un peu
dingue. «Je le suis un peu, mais pas au point de risquer ma vie à
tout prix. Si j’ai un mauvais pressentiment, je n’y vais pas. Et
tant pis pour le qu’en-dira-t-on. Je n’ai aucune honte sur ce
plan-là.» Finalement, pour un funambule, Freddy a les pieds sur
terre. Du moins dans sa tête. Q. L. J
les photos et les films de ses exploits (version Youtube) sont
accessibles sur le site www.freddynock.ch
The show must go on!
après sa traversée victorieuse, le funambule champion du
monde
assure le spectacle devant des milliers de spectateurs
coréens
émerveillés.
La relèveavec l’une de ses trois filles, antonia, 4 ans, la
relève semble assurée.
Le trophéea uerkheim (ag), sur le fil tendu installé dans son
jardin, Freddy pose fièrement avec le trophée de champion du monde
d’équilibrisme remporté à Séoul le 10 mai dernier.
C M Y K
58 l’illuStrÉ 22/09
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