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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 20 déc. 2020 12:51 Jeu Revue de théâtre La saison 1998-1999 à l’Opéra de Montréal Alexandre Lazaridès Sens et sacré Numéro 92 (3), 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/16477ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Lazaridès, A. (1999). La saison 1998-1999 à l’Opéra de Montréal. Jeu, (92), 141–146.

La saison 1998-1999 à l’Opéra de Montréal · contre de Manon (elle est sur son chemin vers un couvent où sa famille l'envoie) pour aussitôt fuir avec elle vers la capitale,

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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1999 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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Document généré le 20 déc. 2020 12:51

JeuRevue de théâtre

La saison 1998-1999 à l’Opéra de MontréalAlexandre Lazaridès

Sens et sacréNuméro 92 (3), 1999

URI : https://id.erudit.org/iderudit/16477ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN0382-0335 (imprimé)1923-2578 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleLazaridès, A. (1999). La saison 1998-1999 à l’Opéra de Montréal. Jeu, (92),141–146.

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ALEXANDRE LAZARIDÈS

La saison 1998-1999 à l'Opéra de Montréal

La programmation de cette saison dénotait le souci du directeur artistique, Bernard Uzan, de satisfaire au goût du grand public et à celui des amateurs plus avertis. On

y retrouvait deux Verdi (La Traviata et Don Carlo), deux titres français parmi les plus connus (Carmen et Manon), deux œuvres américaines contemporaines (Susannah et The Consul1), enfin un opéra vériste de la fin du siècle dernier (La Gioconda). L'absence de tout titre allemand soulignait la sous-représentation chronique de cette catégorie dans la programmation de l'Opéra de Montréal, pour ne rien dire de l'opéra baroque dont le succès universel, depuis une décennie, ne semble pas devoir nous atteindre de sitôt. Cette saison, comme dans les précédentes, on remarquait la même tendance à sacrifier la crédibilité du spectacle au tape-à-l'œil. Ni la fidélité au texte ni la psychologie du personnage ne semblent en voie de devenir une véritable ou cons­tante préoccupation chez les metteurs en scène. Même si les contraintes du genre sont lourdes, on aurait souhaité trouver plus d'originalité dans une saison qui ne réservait, en fin de compte, ni grandes déceptions ni grandes surprises. Compte tenu des diffi­cultés et des coûts d'un opéra, il faut nous estimer tout de même heureux de bénéfi­cier de productions dont la qualité demeure généralement acceptable.

Don Carlo C'est sans doute Don Carlo, dans la mise en scène de Bernard Uzan, qui aura été la production la plus satisfaisante par son équilibre entre les aspects visuels et musicaux. Les relations complexes entre le roi Philippe II et son fils Don Carlo, dans lesquelles les différends idéologiques sont exacerbés par une rivalité œdipienne, sont admirable­ment rendues par Verdi dans une partition où abondent les trouvailles mélodiques et orchestrales. La collaboration entre Guy Simard, pour les éclairages, Michel Beaulac et Bernard Uzan, pour les décors, restituait visuellement quelque chose de l'équilibre entre grandeur et austérité recherché par Verdi. Les projections faisaient merveille pour transformer le décor de simples grillages en palais ou en couvents richement ser­tis. Le cabinet où Philippe II chante son air « Ella giammai m'amô ! », un des plus grands de Verdi, et où il recevra ensuite le Grand Inquisiteur, est meublé avec une juste sobriété ; la projection de la grande mappemonde rouge sang ne faisait qu'ac­centuer la solitude royale.

1. The Consul de Menotti a été repris, au début du mois de mai 1999, dans la belle production de 1995, avec la même Joanne Kolomyjec dans le rôle de Magda Sorel. N'ayant pu assister à cette reprise, je renvoie les lecteurs à ce que je disais de la production originale dans Jeu 76, 1995.3, p. 188-189.

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Mais, si les intérieurs sont bien rendus, le jardin du monastère de Saint-Just, où la princesse Éboli chante un air anecdotique pour égayer les dames de compagnie de la reine, ne respire aucunement l'atmosphère de fraî­cheur demandée par le texte. Verdi recherchait, à ce moment de l'action, un « site riant » pour procurer, en plus de la détente musicale, une détente visuelle, ce que les quelques pins, au demeurant fort rachitiques, qu'on nous montrait ne pouvaient procurer. Autre inattention aux indications du compositeur : la grandiose scène d'autodafé ne se déroule pas, comme l'indique le livret, sur une « grande place devant la cathédrale de Val-ladolid », mais dans un endroit confiné qui contraint tout le monde à des postures guindées. Et ce monde n'est pas la « foule », mais des courtisans richement habillés. Même si la scène en imposait, quelque chose du sens social de cette scène cher à Verdi avait été perdu.

Manon Le livret du plus célèbre opéra de Massenet, signé Henri Meilhac et Philippe Gille, accommode au goût bour­geois du XIXe siècle finissant le drame âpre de Prévost. La Manon de 1894 est une midinette, touchante et quelque peu irresponsable, dont le seul péché est, comme elle le confesse à Des Grieux, d'« aimer trop le plaisir », c'est-à-dire les bijoux, les toilettes et les pa­rures. Toutes les autres ombres morales de sa nature, que Prévost souligne sans complaisance ni pitié, sont systématiquement édulcorées ici. Et la musique de Massenet, souvent accusée de mol­lesse, ne fait qu'accentuer toute cette fadasserie psychologique.

La deuxième mise en scène de Bernard Uzan pour la saison frappe par sa fluidité, surtout dans les tableaux d'ensemble, et par le soin particulier qui a été accordé aux aspects visuels, à commencer par les coloris pastellisés et l'élégance rococo des cos­tumes imaginés par Michel Beaulac. On assiste à des tableaux chatoyants et charmeurs, notamment lors de la scène du Cours-la-Reine de Paris, où se rencon­traient les élégants de l'époque. Les décors, dus aux mêmes Michel Beaulac et Bernard Uzan, baignés d'une lumière toute en douceur (les éclairages sont de F. Mitchell Dana), sont dans le ton, tantôt champêtres et chaleureux, comme la cour d'hôtellerie au relais de poste d'Amiens où le jeune chevalier Des Grieux fait la ren­contre de Manon (elle est sur son chemin vers un couvent où sa famille l'envoie) pour aussitôt fuir avec elle vers la capitale, tantôt riches et imposants, comme l'hôtel de Transylvanie, l'équivalent d'un casino de jeu moderne, où le jeune couple, accusé de tricherie, sera arrêté pour être jeté en prison. Seul le tout dernier tableau détonne. Il représente une quelconque route vers le Havre où Manon, qui doit être déportée par bateau avec d'autres « demoiselles sans vertu », meurt de maladie et d'épuisement

Don Carlo de Verdi (Opéra

de Montréal, 1998). Sur la

photo : Richard Margison

(Don Carlo) et Stefka

Evstatieva (Elisabetta).

Photo:Yves Renaud.

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entre les bras de son amant. Les grandes frondaisons sans grâce qui encadrent la scène et les vapeurs brumeuses trop fabriquées écrasent le drame final plutôt qu'elles ne le mettent en valeur. On se surprend alors à ne ressentir aucune émotion devant cette mort et ce désespoir.

Susannah L'opéra de Carlisle Floyd, créé en 1955, était attendu parce qu'il s'agissait d'une pre­mière à l'Opéra de Montréal. Le langage musical du jeune Floyd ne fait preuve d'ori­ginalité ni par la palette harmonique ni par l'orchestration, cette dernière bien améri­caine par l'importance accordée aux cuivres et aux percussions. Reste un certain charme dont la musicalité plus intuitive que cultivée a fait classer l'œuvre dans la catégorie des opéras folkloriques américains. Le thème illustrait, en pleine période maccarthyste, la manière dont une société puritaine contraint une jeune fille inno­cente à se transformer en garce violente. Le dilemme de l'Amérique profonde, coincée sans recours entre la violence morale et la violence armée, y est posé dans toute sa brutalité. Force est cependant de constater que l'intrigue obéit à une causalité rudi-mentaire et à une psychologie manichéenne qui oppose des personnages stéréotypés. Deux camps s'affrontent, celui du « bien » et de la normalité - Susannah et son frère - et celui du « mal » et du fanatisme - la communauté de New Hope Valley, au Tennessee. Seul le pasteur Blitch semble tiraillé entre les deux camps, et c'est d'ailleurs le personnage le plus intéressant par son ambiguïté morale.

Le livret, d'une structure très simple, a été rédigé par Floyd lui-même. La première partie, composée de cinq scènes, expose les données du conflit, soit les soupçons sans preuve de la communauté à l'égard du libertinage de Susannah Polk, orpheline qui vit avec un frère alcoolique, l'arrivée du pasteur Olin Blitch, de passage pour animer un rassemblement religieux (mais il semble attiré par la jeune fille), enfin la baignade

Susannah de Carlisle Floyd

(Opéra de Montréal, 1999).

Sur la photo : Karen Driscoll

(Susannah) et Brian Davis

(Olin Blitch). Photo: Yves

Dubé.

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matinale de Susannah dans la crique où devaient avoir lieu des baptêmes. Elle ne sait pas avoir été surprise par quelques bien-pensants qu'indigne tant d'audace et d'inat­tendue nudité, clin d'œil à l'histoire biblique de Suzanne et les vieillards (Daniel, XIII). C'est son jeune ami Bat McLean qui l'en informera ; il lui confesse aussi que ses parents l'avaient forcé à déclarer qu'il avait été « séduit » par elle, ce qui est un mensonge.

Dans la seconde partie, également divisée en cinq scènes, Susannah, à l'incitation de son frère, se rend au rassemblement mais refuse de se laisser convertir par Blitch. Celui-ci va chez elle et, après une nouvelle tentative de conversion, lui exprime sa soli­tude et la faim sexuelle constamment réprimée qui le tenaille. Elle se prête au désir du pasteur qui découvre qu'elle était vierge. Le lendemain, il a beau clamer l'inno­cence de Susannah, sans en donner évidemment la preuve, la communauté reste inflexible dans son rejet. Quand il va apprendre que le pasteur a eu raison de sa sœur, Sam s'empare d'un fusil et le tue. Les évangélistes arrivent dans la ferme de Susannah, armés de leurs bibles qu'ils brandissent de façon menaçante. Ils exigent qu'elle s'en aille. Acculée, Susannah se saisit d'un fusil de chasse que son frère avait laissé traîner et les fait tous reculer, affirmant qu'elle ne s'en irait que lorsqu'elle l'aurait elle-même décidé. Elle s'installe ensuite sur sa chaise berçante, un fusil sur le giron, un sourire mauvais aux lèvres, tandis que le crépuscule se fait de plus en plus lourd.

On doit de beaux moments aux éclairages de Guy Simard sur le décor unique de Ken MacDonald. Le plancher est à moitié occupé par la cime gigantesque d'un arbre abat­tu, tandis que des masses noires, à l'horizon, représentent les collines qui enserrent New Hope. En ombres chinoises, les branches dépouillées et sinueuses paraissent s'entrelacer à la manière de quelque monstre aux aguets. Toutefois, cette présence monolithique finit par peser sur les personnages et empêcher la modulation de l'es­pace scénique étouffé déjà par la masse des collines, visuellement peu engageante. La mise en scène de Stanley M. Garner manifeste de la raideur dans la première partie (le livret lui-même n'en est pas dépourvu), mais se reprend à partir de la scène de prédication jusqu'à la confrontation finale entre Susannah et les villageois.

La Gioconda La saison comptait une autre première, celle de La Gioconda de Ponchielli. L'intrigue, inspirée de la pièce d'Hugo Angelo, tyran de Padoue, se perd dans les méandres d'un tortueux mélodrame. Arrigo Boito, l'auteur du livret (on lui doit aussi ceux, admirablement adaptés de Shakespeare, des deux ultimes chefs-d'œuvre de Verdi, Othello et Falstaff), en a simplifié les données initiales, mais les personnages n'y ga­gnent pas en consistance. La Gioconda est une chanteuse de rue dans la Venise du XVIIe siècle soumise à l'Inquisition. Elle est éprise d'Enzo, prince exilé déguisé en capitaine de bateau, lequel est amoureux de Laura dont il est aimé en retour. Cette rivale n'est autre que l'épouse d'Alvise Badoero, un des chefs de l'Inquisition. Le cou­ple adultère, découvert et condamné à mort, ne sera sauvé que par l'intervention généreuse de la Gioconda. Elle doit pour cela promettre de se donner au sinistre Barnaba, un délateur de l'Inquisition qui la harcelait de ses avances toujours re­poussées. Quand Laura et Enzo seront sauvés, la Gioconda tiendra promesse mais ne livrera à l'espion dépité que son cadavre : elle se sera suicidée.

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La Gioconda de Ponchielli

(Opéra de Montréal, 1999).

Photo :Yves Dubé.

Bernard Uzan a signé une Gioconda dans les normes, c'est-à-dire sans surprise, mais avec des mouvements de foule particulièrement réussis au troisième acte, lors de la réception fastueuse donnée par Alvise. On aurait aimé le voir coller davantage aux mots, ces grands oubliés. De ce point de vue, le troisième acte de La Gioconda m'a semblé souffrir de plusieurs négligences. Lorsque Alvise s'en va après avoir ordonné à sa femme de boire le contenu empoisonné d'une fiole, c'est par le même escalier, côté jardin, que la Gioconda arrive aussitôt : comment ne se sont-ils pas croisés ? (En fait, le livret stipule que la Gioconda se glisse dans la pièce durant la conversation du couple.) Avant de partir, Alvise devrait écarter les rideaux pour montrer à sa femme le lieu où elle mourra, ce qui est nécessaire pour que nous participions à cette mort. Rien de tel ici : il se contente de pointer les rideaux à Laura qui les contourne et dis­paraît dans les coulisses. Disparition dommageable autant pour l'émotion que pour la vraisemblance, puisque la Gioconda, dès son arrivée, sait déjà, on ne sait trop com­ment, où se trouve l'invisible Laura. Ces incohérences surprenantes ne font qu'ac­créditer l'idée que l'opéra est un genre sclérosé par les partis pris d'un autre âge.

Carmen Cette production du chef-d'œuvre de Bizet illustrait elle aussi le préjugé qui veut que l'opéra s'accommode de toute sorte d'invraisemblances. À commencer par l'amputa­tion des dialogues parlés qui figuraient dans le livret original de Meilhac et Halévy, Carmen étant un opéra-comique. Ils allongent la durée de la représentation, certes, mais fournissent des détails indispensables à la compréhension des événements et des personnages. Leur disparition ne pouvait donc passer inaperçue. De plus, Nathalie Deschamps, à qui avait été confiée la mise en scène, ne semblait pas avoir trouvé l'équilibre nécessaire entre réalisme et stylisation. Au premier lever de rideau, sous un soleil brumeux, les soldats sont affalés sur la place publique ; ils ont chaud, on l'a com­pris, et ne trouveront l'énergie de se secouer, de façon lourdement insistante, qu'au passage d'un jupon. Sang espagnol oblige, même si le livret n'en dit rien. Mais, lorsque

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les cigarières arrivent à leur tour, elles s'alignent le long du proscenium de façon on ne peut plus théâtrale et étrangère à la « vraie vie » dans laquelle se trouvent plongés les soldats à l'arrière-plan. Deux styles de mise en scène se juxtaposent ici sans s'har­moniser. Nous sommes donc passés du réalisme à la stylisation sans crier gare et sans que la situation le justifie. L'effet d'invraisemblance en est presque cocasse.

Carmen, jouée et chantée avec brio par Sharon Graham, donne dans la séduction outrancière, décoiffe les soldats, s'affale sur eux pour les narguer aussitôt, gigote, pleine d'équivoques, sur une table. Ces excès font de la zingara un cas quelque peu curieux plutôt qu'une femme jalouse de sa liberté. C'est peut-être la raison pour laquelle on éprouve si peu d'émotion à sa mort, comme si cette mort allait de soi, découlait d'un déni trop excessif du principe de réalité pour finir autrement. Son comportement ne va pas non plus sans contradictions. Elle qui ne se laisse jamais faire accepte pourtant, au troisième acte, devant tous les contrebandiers, que don José lui fasse violence ; elle s'agenouille même devant lui, l'air accablé et pitoyable. Aussi sa métamorphose finale en grande dame vêtue de noir est-elle bien peu crédi­ble, d'un symbolisme banal en tout cas.

Trois voix à retenir C'est une reprise de la production de 1993 de la Traviata, valeur sûre entre toutes, qui ouvrait la saison. Les décors de Claude Girard et Bernard Uzan, conventionnels mais trop fastueux pour représenter la demeure d'une demi-mondaine vers la fin du siècle dernier, semblaient avoir été quelque peu dépoussiérés pour la circonstance. La mise en scène, signée John Lehmeyer, soignait les deux grandes scènes de réception, bruyantes et fofolles à souhait, mais semblait moins attentive à l'égard des protagonistes. On aurait donc pu conclure : « Rien de neuf », sauf que Lyne Fortin en Violetta insufflait à ce spectacle autrement quelconque une chaleur commu­nicative. Elle appartient à cette classe de chanteuses qui don­nent l'impression que le chant est leur manière naturelle de s'exprimer, autant par la spontanéité de leur jeu que par leur maîtrise de la technique vocale. Elle aura même réussi à se dépasser dans un troisième acte d'une ferveur superbe, dont les deux minutes finales, alors qu'elle croit avoir recouvré ses forces avant de s'écrouler dans les bras de son amant, étaient tout simplement déchirantes.

Je retiendrais également l'interprétation vibrante du ténor canadien Richard Margison dans le rôle difficile de don Carlo et du baryton américain Richard Paul Fink qui incar­nait dans La Gioconda un remarquable Barnaba, rôle noir d'autant plus difficile à rendre que le personnage est très sou­vent sur scène. On l'annonce dans le rôle du prophète Jokanaan de la Salome de Richard Strauss, opéra inscrit en tête de programme pour la prochaine saison. À suivre sans faute ! J

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La Traviata de Verdi (Opéra

de Montréal, 1998). Sur la

photo : Lyne Fortin (Violetta

Valéry) et Fernando de la

Mora (Alfredo Germont).

Photo:Yves Dubé.