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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 54–62 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Synthèse La surveillance en soins psychiatriques : difficultés liées à la consommation de produits toxiques et à la cohabitation de certains patients Jean-Marc Panfili (Cadre supérieur de santé, Docteur en droit et chargé d’enseignement, Chercheur associé) Institut Maurice-Hauriou, université Toulouse-1 Capitole, 2790, chemin de Fayence, 89000 Montauban, France Disponible sur Internet le 3 mars 2014 Résumé La prise en charge de patients toxicomanes en soins psychiatriques s’avère toujours complexe. Indépen- damment de leur propre problématique, la cohabitation avec d’autres patients particulièrement vulnérables génère de sérieuses difficultés institutionnelles. Une vigilance particulière s’impose alors, qui concerne tous les niveaux de responsabilité de l’établissement de soins (CAA Marseille, 11 juillet 2011, n o 09MA01562, inédite au recueil Lebon). © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. L’affaire qui nous intéresse concerne une jeune femme souffrant de troubles importants du comportement, caractérisés notamment par des conduites à risques non critiquées, avec déni des troubles. Elle a été hospitalisée sans consentement, à la demande de sa mère, au sein d’un centre hospitalier psychiatrique. Au cours de son hospitalisation, elle a inhalé un cachet de Subutex 1 réduit en poudre et échangé contre des cigarettes, avec un patient toxicomane, lui-même en soins libres. La patiente est décédée par asphyxie, après une inhalation favorisée par une surdose médicamenteuse résultant de la prise de Subutex. Le juge pénal a condamné le patient ayant délivré le produit à une peine de prison et à verser un euro, à titre de dommages et intérêts, à chacun des parents de la victime qui s’étaient constitués partie civile. Les parents ont également saisi le centre hospitalier en réparation de leur préjudice moral, consécutif au décès de leur fille. L’hôpital a rejeté la demande, rejet confirmé ensuite par CAA Marseille, 11 juillet 2011, n o 09MA01562, inédite au recueil Lebon. Adresse e-mail : jmpanfi[email protected] 1 Traitement substitutif des pharmacodépendances aux opiacés. 1629-6583/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.012

La surveillance en soins psychiatriques : difficultés liées à la consommation de produits toxiques et à la cohabitation de certains patients

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 54–62

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Synthèse

La surveillance en soins psychiatriques : difficultés liéesà la consommation de produits toxiques et à la

cohabitation de certains patients�

Jean-Marc Panfili (Cadre supérieur de santé, Docteur en droit et chargéd’enseignement, Chercheur associé)

Institut Maurice-Hauriou, université Toulouse-1 Capitole, 2790, chemin de Fayence, 89000 Montauban, France

Disponible sur Internet le 3 mars 2014

Résumé

La prise en charge de patients toxicomanes en soins psychiatriques s’avère toujours complexe. Indépen-damment de leur propre problématique, la cohabitation avec d’autres patients particulièrement vulnérablesgénère de sérieuses difficultés institutionnelles. Une vigilance particulière s’impose alors, qui concerne tousles niveaux de responsabilité de l’établissement de soins (CAA Marseille, 11 juillet 2011, no 09MA01562,inédite au recueil Lebon).© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

L’affaire qui nous intéresse concerne une jeune femme souffrant de troubles importants ducomportement, caractérisés notamment par des conduites à risques non critiquées, avec déni destroubles. Elle a été hospitalisée sans consentement, à la demande de sa mère, au sein d’un centrehospitalier psychiatrique. Au cours de son hospitalisation, elle a inhalé un cachet de Subutex1

réduit en poudre et échangé contre des cigarettes, avec un patient toxicomane, lui-même ensoins libres. La patiente est décédée par asphyxie, après une inhalation favorisée par une surdosemédicamenteuse résultant de la prise de Subutex.

Le juge pénal a condamné le patient ayant délivré le produit à une peine de prison et à verserun euro, à titre de dommages et intérêts, à chacun des parents de la victime qui s’étaient constituéspartie civile. Les parents ont également saisi le centre hospitalier en réparation de leur préjudicemoral, consécutif au décès de leur fille. L’hôpital a rejeté la demande, rejet confirmé ensuite par

� CAA Marseille, 11 juillet 2011, no 09MA01562, inédite au recueil Lebon.Adresse e-mail : [email protected]

1 Traitement substitutif des pharmacodépendances aux opiacés.

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.012

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le Tribunal administratif. Un recours introduit par les ayants-droits a été examiné devant la Couradministrative d’appel de Marseille le 11 juillet 2011.

La problématique consiste à la mise en présence, de deux patients au statut juridiqued’hospitalisation différent. La patiente concernée se trouvait en soins sans consentement. Ellea échangé des cigarettes contre du Subutex, substitut aux opiacés. Ce produit a été délivré par unautre patient en soins libres. L’ingestion du subutex, en sus du traitement prescrit, a entraîné ledécès de la jeune femme. Cette dernière « [. . .] a inhalé un cachet d’un médicament potentielle-ment dangereux [. . .] échangé contre des cigarettes par (X), toxicomane en placement libre ». Cedernier « à son entrée [. . .] dans le même centre hospitalier, avait gardé par-devers lui certainsde ces cachets, à lui prescrits comme traitement de substitution par des médecins de ville ». Parla suite, la patiente « [. . .] est décédée [. . .] d’un syndrome asphyxique sur inhalation bronchiquede liquide gastrique ». Le décès de la jeune patiente s’est trouvé favorisé par « une surdose médi-camenteuse ». L’ingestion massive de Subutex s’est produite alors qu’elle se trouvait déjà soustraitement antidépresseur.

1. Deux types de responsabilités

1.1. La recherche des responsabilités pénales

Le patient ayant fourni le produit, a été reconnu pénalement responsable et condamné à deuxans d’emprisonnement en appel pour homicide involontaire. En revanche, dans cette affaire, laresponsabilité pénale indirecte du personnel hospitalier n’a pas été retenue. Cependant, le délitnon intentionnel aurait pu être constitué, consécutivement à une faute caractérisée de mise endanger d’autrui, dans les termes de l’article 121-3 du Code pénal. Cette incrimination pouvaitconcerner la direction au titre de sa compétence d’organisation générale. Le praticien pouvaitse trouver également mis en cause, en tant que prescripteur de l’orientation des patients et desmesures de surveillance. Enfin, le personnel soignant pouvait être inquiété, étant chargé de lasurveillance directe du patient.

1.2. La responsabilité indemnitaire, la faute imputable à l’établissement

La Cour administrative d’appel de Marseille a d’abord rappelé les termes du premier alinéa del’article L.3212-1 du CSP, selon lequel « une personne atteinte de troubles mentaux ne peut êtrehospitalisée sans son consentement sur demande d’un tiers que si ses troubles rendent impossibleson consentement et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constanteen milieu hospitalier ». Elle a retenu à cette occasion une interprétation très stricte de la notionde surveillance constante.

En préalable, la juridiction a souligné le cadre général et habituel de l’organisation des soinsdans l’établissement concerné, prévoyant la séparation des patients, en fonction de leur situationjuridique. En l’occurrence, les juges ont relevé une organisation « de manière que les personneshospitalisées d’office et les personnes en placement libre soient hébergées dans des unités diffé-rentes ».

En premier lieu, la Cour a retenu une organisation des soins défaillante, permettant la miseen présence des patients concernés, ceci « en raison de travaux dans une partie des bâtimentsde l’hôpital, réduisant les places disponibles dans ceux hébergeant les personnes en placementlibre ».

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Dans un second temps, elle a considéré la non-conformité de cette organisation avec le contenude l’habilitation préfectorale. En effet, « le fonctionnement du service [. . .] ne correspondait pasaux principes d’organisation sur lesquels l’habilitation préfectorale à soigner les personneshospitalisées sous contrainte lui avait été délivrée ».

La Cour a établi un lien de causalité entre l’organisation et le dommage survenu, constitué parle décès de la jeune patiente. Précisément, « les deux personnes concernées ont été hébergé(es)dans la même unité, et ainsi été mis en contact ; [. . .] alors que leurs statuts d’hospitalisation lessoumettaient à des contraintes différentes ». Selon les juges, le statut en soins libres « (empêchait)notamment que (le patient X) et ses affaires fussent fouillés à l’entrée dans le service hospitalier ».En l’espèce, suite à la demande de l’infirmière ayant procédé aux formalités d’entrée, « (le patientX) vidant ses poches, lui avait remis une plaquette de Subutex [. . .] ». Pour la Cour, « il était doncenvisageable qu’il en détînt encore dans ses autres affaires ». Les juges marseillais ont considéréque « le défaut sus-évoqué dans l’organisation et le fonctionnement du service (était) de natureà engager la responsabilité du centre hospitalier ». Dans cette affaire, les juges administratifsont affirmé qu’un patient admis en soins sans consentement devrait subir systématiquement unefouille. Celle-ci doit concerner, non seulement ses effets, mais également le patient lui-même.Cette décision, qui paraît très discutable au vu des textes disponibles, nécessite un examen précisdes moyens de surveillance, à disposition des soignants.

2. Un cadre juridique complexe

2.1. Les unités d’accueil fermées

En premier lieu, il n’existe aucune référence à la nécessité d’unités d’accueil fermées, que cesoit dans la loi ou le règlement. En matière d’organisation de locaux, une circulaire de 20092

constitue la seule référence explicite à des unités ou des espaces fermés ou susceptibles d’êtrefermés. Ce texte ministériel précise que « le besoin en unités ou espaces fermés dépend de lataille et de l’activité des établissements ». Ces derniers se doivent de veiller « à ce que a minimales établissements accueillant des personnes hospitalisées sans consentement disposent d’uneunité ou d’un espace fermé ou susceptible d’être fermé ». La circulaire reformule une obligationde moyens spécifiques. Cependant, ni la loi ni le règlement n’énoncent explicitement une règlestricte prescrivant des prises en charge en services ouverts pour les soins libres, et en servicesfermés pour les patients en soins contraints. De même, aucun texte ne proscrit la cohabitationentre patients en soins libres et en soins sans consentement.

Le législateur prévoit, en revanche et explicitement, une surveillance constante pour les diffé-rentes formes de soins contraints. L’article L.3212-1 du CSP prévoit une surveillance constantepour les soins psychiatriques sur décision du directeur. L’article L.3213-1 du même code disposeque le représentant de l’État prononce l’admission des personnes dont les troubles mentaux néces-sitent des soins et compromettent la sûreté des personnes. Il en va de même lorsque les troublesnuisent gravement à l’ordre public. Enfin, selon l’article L.3213-2 du CSP, le maire peut déciderl’admission provisoire d’un patient, en cas de troubles manifestes présentant un risque de périlimminent. En résumé, sans entrer dans le détail des modalités à mettre en œuvre, le législateur

2 Circulaire DHOS/O2/F2 no 2009-23 du 22 janvier 2009 relative au financement par le fonds pour la modernisationdes établissements de santé publics et privés (FMESPP) du plan d’amélioration de la sécurité des établissements ayantune autorisation en psychiatrie.

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prévoit un principe général de respect des libertés. Toutefois, il prévoit également une surveillancesoutenue dans des lieux spécialement habilités permettant de mettre en œuvre les soins contraints.Le juge interprète la notion de « constance » de la surveillance, au regard de la présence humaineauprès du patient.

Les inventaires et mesures de contrôle en psychiatrie sont des actes délicats qui touchent àl’intimité de la vie privée et peuvent être ressentis comme dégradants. La protection de l’intimitéde la vie privée est prévue à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme3.Elle constitue également un principe consacré par l’article 8 de la Convention européenne. Ainsi,toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspon-dance. Cependant, ce même article 8 énonce des limites. Il peut y avoir ingérence d’une autoritépublique dans l’exercice de ce droit si cette ingérence est prévue par la loi. Cette protection, érigéeen principe fondamental par le Conseil constitutionnel, se décline dans le droit interne à l’article9 du Code civil, disposant que chacun a droit au respect de sa vie privée. Ce droit est particuliè-rement protégé puisque les juges peuvent prescrire toutes mesures propres à empêcher ou fairecesser une atteinte. L’article 3 de la Convention, relatif à l’interdiction des traitements dégradants,trouve aussi à s’appliquer. Un mauvais traitement doit toutefois atteindre un minimum de gravité.L’appréciation par la CEDH du qualificatif de traitement « dégradant » est relative. Il doit être denature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité, propres à leshumilier et à les avilir.

En droit spécifique de la santé, l’article L.1110-4 du CSP dispose que toute personne prise encharge a droit au respect de sa vie privée. Les recommandations de bonne pratique de la HAS4

caractérisent la notion de vie privée comme l’intimité de la personne, le secret de sa correspondanceet son intimité familiale ou sentimentale.

2.2. La juge judiciaire et le juge administratif limitent l’obligation de surveillance

La Cour de cassation5 considère que l’obligation de surveillance n’est pas absolue. Elles’apprécie, à la fois en fonction de la pathologie du malade, ainsi que de sa situation admi-nistrative. Pour la Haute juridiction judiciaire, « l’obligation à laquelle est tenu un établissementpsychiatrique est une obligation de moyens en fonction de la pathologie du malade et de sa situa-tion administrative [. . .] ». En l’espèce, « la notion de surveillance constante au sens de l’articleL 333 du Code de la santé publique [. . .] signifiait qu’une équipe soignante, engagée dans unprojet thérapeutique, devait, à tout moment, pouvoir intervenir en cas de besoin ». Il s’agit d’uneprécision fondamentale puisque au vu de cette décision, la présence permanente des soignantsauprès du patient n’est pas requise.

En l’absence de textes précis, la Cour de cassation6 a également rappelé que la « fouille à corps »est assimilable à une perquisition7 pour laquelle seul un officier de police judiciaire est habilité. Demême, la « palpation de sécurité » ne peut être pratiquée, hormis par les fonctionnaires de police,

3 Déclaration universelle des droits de l’homme. Adoptée par l′Assemblée générale dans sa résolution 217 A (III) du10 décembre 1948.

4 Conférence de consensus. Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligationde soins et de sécurité. ANAES. 24 et 25 novembre 2004.

5 Cass. 1e ch Civ, 13 octobre 1999, no 97-16216. Publié au bulletin.6 Cass. Crim, 22 janvier 1953, Publié au bulletin ; Cass. Crim. 30 mai 1980, no 80-90075. Publié au bulletin.7 Cass. Crim. 21 juillet 1982. no 82-91034. Publié au bulletin criminel.

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que par des agents de sécurité bénéficiant d’un agrément préfectoral8, et dans des circonstancesparticulières strictement limitées.

Le plus souvent, il n’y a pas de faute lorsque le patient est d’une détermination telle qu’il estimpossible de l’empêcher de passer à l’acte. Dans un contexte de soins sans consentement, une partde risque est généralement tolérée par les juges. Dans cet esprit, les Cours administratives d’appelde Douai et de Marseille9 n’ont pas retenu de faute de l’établissement dans deux affaires concernantdes soins psychiatriques. Le Conseil d’État10 s’est également prononcé dans ce sens. Ces décisionssont favorables à l’acceptation d’un risque et vont dans le même sens que l’appréciation de laCour de cassation.

2.3. Le juge administratif formule des exigences de surveillance particulière

La vision du juge administratif s’avère en revanche plus fluctuante. En effet, une décision plusrécente de la Cour administrative d’appel de Douai11 concernait la nécessité de fouilles, dansun contexte de soins contraints. Dans cette affaire, le juge a explicitement retenu l’absence defouille, constitutive de la faute de surveillance de l’établissement. En l’espèce, la patiente atteintede graves brûlures avait dissimulé un briquet lui permettant de mettre le feu à son lit. L’affairemarseillaise qui nous concerne relève du même raisonnement. Mais, dans une affaire plus anciennecette même juridiction nordisten’avait pas retenu de faute dans un contexte similaire. Il s’agissaitd’un patient suicidaire d’une détermination telle, qu’il était impossible de l’empêcher de passerà l’acte.

Dans l’affaire qui nous intéresse, la Cour marseillaise retient que l’établissement ne peut« soutenir qu’aucun élément ne permettait de craindre que des substances dangereuses pussentpasser (d’un patient à l’autre) dans l’enceinte du service ». La Cour en conclut qu’il y a eumanquement à l’obligation renforcée de surveillance. Les juges se sont poncés vu les dispositionsde l’article L.3212-1 du CSP impliquant une surveillance constante. Précisément, « le seul fait que(la patiente) ait pu se procurer une substance dangereuse dans l’enceinte de l’unité où elle étaithébergée révèle, une défaillance dans la surveillance constante que devait lui garantir le centrehospitalier psychiatrique ». La Cour a réparti la responsabilité indemnitaire en imputant « lesconséquences de ce décès pour les deux tiers à (X) et pour le tiers restant au centre hospitalier ».

2.4. En pratique

Le droit commun prévoit qu’un inventaire exhaustif des objets et valeurs ne doit être réaliséque dans le cas où le patient se trouve dans l’impossibilité de déposer. Il s’agit par exemple dessituations de crise et d’agitation ou bien d’altération de la conscience. Sinon, le patient est informéseulement de son droit de déposer et du régime de responsabilité applicable. L’article L.1113-3 duCSP dispose que « la responsabilité (de plein droit de l’établissement) s’étend sans limitation auxobjets de toute nature détenus, lors de leur entrée dans l’établissement, par les personnes horsd’état de manifester leur volonté ou devant recevoir des soins d’urgence et qui, de ce fait, setrouvent dans l’incapacité de procéder aux formalités de dépôt ». C’est seulement dans ces cas

8 Loi 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité intérieure. Art 27.9 CAA de Douai, 16 octobre 2001, no 98DA01966 ; CAA de Marseille, 25 janvier 2007, no 05MA01245.

10 CE, 29 janvier 1999, no 185034.11 CAA de Douai, 6 février 2007, no 06DA00971.

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que « ces formalités sont accomplies par le personnel de l’établissement ». Elles consistent enpratique en « un inventaire de tous les objets ». L’établissement procède alors au dépôt jusqu’àl’éventuelle récupération de ses facultés par le patient.

En cas de troubles mentaux, l’article L.3211-2 du CSP dispose qu’une personne faisant l’objetde soins psychiatriques avec son consentement est dite en « soins psychiatriques libres ». Elledispose alors des « mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sontreconnus aux malades soignés pour une autre cause ». Le législateur exclut clairement tout régimeparticulier pour les personnes en soins libres. Il en résulte a minima qu’une mesure de contrôle nepourra être exécutée qu’avec l’accord explicite du patient. Du point de vue des organisations deprofessionnels, le cahier des charges12 qualitatif de l’hospitalisation à temps plein en psychiatrieprécise que « la liberté du patient lors de l’hospitalisation est le principe ». Il n’opère pas dedistinction entre soins libres ou contraints. Il prévoit en revanche que « la restriction de la libertédoit être issue d’une décision médicale respectant le cadre réglementaire ». Elle doit être prise« à partir d’éléments cliniques et non pas un effet de routine de l’organisation ». Ceci impliqueune réévaluation régulière et formelle de « toute restriction de liberté ».

L’inventaire exhaustif qui est réalisé pour l‘admission de malades mentaux en situation de soinssans consentement est basé sur deux arguments. Le premier repose sur l’article L.3211-3 du CSPprévoyant explicitement des restrictions à l’exercice des libertés individuelles. Ces dernières sedoivent cependant d’« être adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’état mental, ainsi qu’« àla mise en œuvre du traitement requis ». Conformément aux principes classiques d’adaptation, denécessité et de proportionnalité, dégagés par la jurisprudence Benjamin13, le législateur précisela nécessité d’équilibrer l’atteinte à l’exercice des libertés individuelles, au regard des nécessitésde soins que justifient les troubles mentaux. En complément, l’article L.3211-4 du même coderappelle la nécessité de strict respect des règles déontologiques et éthiques en vigueur. Le secondargument répond aux obligations édictées par la jurisprudence (voir supra). En tout état de cause,cette mesure de contrôle ne peut intervenir qu’en fonction d’une appréciation clinique préalable. Ils’agira pour le psychiatre d’apprécier notamment des éléments de prévisibilité de passage à l’acte,permettant de retirer des objets ou produits qui présentent un danger pour le patient ou les tiers.Il reviendra également au praticien de prescrire toute autre mesure de surveillance nécessaire.

3. Les acteurs impliqués

Dans leur exercice professionnel, les personnels soignants sont amenés à connaître des aspectsfondamentaux de l’intimité des patients. Les malades mentaux ont droit au respect de leur vieprivée. Cependant, ils peuvent détenir lors de leur admission en soins, des produits et(ou) objetspouvant présenter un danger pour eux-mêmes ou pour les tiers. Plusieurs cas de figure peuvent seprésenter qui ne peuvent obéir aux même règles. La vigilance envers les objets et(ou) substancesdirectement visibles par les soignants est plus aisée que lorsqu’ils sont situés dans les bagages despatients, dans leurs vêtements ou a fortiori dans des cavités ou plis corporels. La situation s’avèreradicalement différente selon les intentions du patient. Il n’y a pas de problème s’il est coopérantet sans intention de dissimuler. Il en va différemment si le patient est coopérant en apparence,

12 Cahier des charges qualitatif de l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie. Éléments explicatifs et objectifs qualita-tifs détaillés, à partir du premier chapitre du Manuel d’Accréditation des Établissements de Santé de l’Agence NationaleD’Accréditation et d’Évaluation en Santé sur le Patient et sa prise en charge Droits et information du patient. Dossier dupatient. Organisation de la Prise en Charge. Mai 2003.13 CE, 19 mai 1933, Recueil Lebon p. 541. Benjamin.

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mais avec une volonté de dissimuler. Il reste enfin le cas où il est totalement opposant. Le tout estrendu plus complexe par le statut juridique, selon que le patient est en soins libres ou bien sansconsentement, nécessitant alors une surveillance constante.

La prudence s’impose aux personnels soignants dans ces circonstances. Les contrôles nepeuvent être envisagés qu’après une recherche du consentement du patient ou sur prescriptionmédicale. Celle-ci devra être motivée par une réflexion approfondie, entre les bénéfices atten-dus du contrôle, et les risques d’atteinte à l’intimité. Les considérations relatives à la protectionde l’intégrité physique du patient devront l’emporter sur les risques liés aux restrictions de seslibertés. En soins libres, le refus de se conformer à ces mesures de contrôle peut dans certaineshypothèses, motiver une sortie disciplinaire selon les dispositions de l’article R.1112-49 du CSP.En revanche, la situation de soins sans consentement, dans un contexte de crise, laisse penser quedes mesures de contrôle plus contraignantes sont nécessaires. En effet, la HAS14 recommande leretrait de tout objet dangereux pour les situations d’isolement et de contention. Cependant, ellene précise pas les conditions de ce retrait en cas de volonté et de stratégie de dissimulation par lepatient.

La démarche de certification15 prévoit une identification des situations nécessitant une res-triction de liberté dans les projets médicaux. Il s’agit de l’isolement et de la contention, maisaussi de la limitation de contacts, des visites ou du retrait des effets personnels16. Le fait quele juge administratif17 ait conféré une valeur juridique aux recommandations de la HAS en lesrendant opposables est d’un intérêt très relatif, vu l’imprécision de ces mêmes recommandations.À titre de comparaison, ces mesures intrusives et coercitives font l’objet d’une réglementationtrès précise lorsqu’il s’agit de procédure pénale. De plus, les règles déontologiques applicablesaux médecins et soignants n’envisagent pas clairement le recours à ces mesures de contrôle. Uneseule référence, figurant à l’article R.4311-6 du CSP, traite du rôle infirmier en santé mentale.Elle prévoit la « surveillance des personnes en chambre d’isolement », sans précisions. Elle envi-sage également la « surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques qui associent lemédecin, l’infirmier ou l’infirmière et le patient ». Il faut se rendre à l’évidence, cette formulationn’apporte guère de précisions sur le thème étudié.

L’obligation de moyens qui pèse sur l’institution repose sur l’article L.6113-1 du CSP, pré-voyant que pour « dispenser des soins de qualité, les établissements de santé, publics ou privés,sont tenus de disposer des moyens adéquats ». En conséquence, le chef d’établissement doits’assurer que l’établissement qu’il dirige est conforme dans son organisation, à l’habilitation pré-vue pour les soins psychiatriques. Le directeur assure de plus la conduite générale de l’hôpital.Il y dispose pour cela du pouvoir de police, au titre de l’article L.6143-7 du même code18. À cetitre, il doit intervenir en cas de troubles occasionnés par les patients ou les visiteurs. Selon lestermes de la jurisprudence administrative, « dans un établissement public consacré aux aliénéscomme dans l’ensemble des établissements publics de santé, le directeur est l’autorité compé-tente pour assurer la police générale de l’établissement ». C’est donc à ce titre que l’organisation

14 Audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie, ANAES, juin 1998 ; L’agitation enurgence, conférence de consensus, ANAES, décembre 2002 ; Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires etmédico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité, conférence de consensus, ANAES et FHF, 24 et 25 novembre 2004 ;Limiter les risques de contention physique de la personne âgée, ANAES, octobre 2000 ; Cahier des charges qualitatif del’hospitalisation a plein temps en psychiatrie 15 mai 2003.15 Ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée.16 Critère 10e, manuel de certification HAS, 2010.17 CE, 27 avril 2011. no 334396. Publié au recueil Lebon. Association pour une formation médicale.18 CE, 17 novembre 1997, no 168606, CHS de Rennes. Publié au recueil Lebon.

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globale de l’établissement doit prendre en compte la sécurité des personnes et en particulier despatients.

Dans l’affaire marseillaise étudiée, la prise en charge des toxicomanies se trouve particu-lièrement en cause. La loi ne prévoit pas la levée du secret professionnel, en cas de détentionillicite de stupéfiants par un patient à son admission. Les établissements ne peuvent pas signaleraux autorités judiciaires les patients détenteurs de ces produits. L’article L.3414-1 du CSP pré-voit que les toxicomanes qui se présentent spontanément dans un établissement de santé pourêtre traités, ne sont pas soumis aux dispositions répressives. S’ils le demandent, ils peuventmême bénéficier de l’anonymat au moment de leur admission. Cependant, cet anonymat peutêtre levé pour d’autres causes que l’usage illicite de stupéfiants. Il en résulte que l’établissementne doit pas tolérer une détention et a fortiori un trafic de ces produits. L’article L.3421-2 dumême code prévoit expressément la confiscation des substances. Enfin, si l’usage de stupéfiantsest toléré, le trafic n’est plus protégé par l’anonymat et peut être réprimé pénalement, indé-pendamment du statut de patient hospitalisé. L’instruction ministérielle du 13 avril 201119 estvenue préciser les dispositions protectrices pour les patients toxicomanes sollicitant des soins.Cependant, le même texte rappelle que les mesures protectrices ne sont pas en contradictionavec les signalements de conduites délictueuses, prévus par l’article 40 du Code de procédurepénale.

La communauté des psychiatres est très concernée par l’organisation de la surveillance despatients en soins. La faute de l’établissement peut effectivement reposer sur l’absence de pres-criptions et consignes de surveillance médicale. La Cour de cassation20 a jugé à ce propos, qu’« ilappartient au médecin psychiatre, chargé au sein de l’établissement de santé de suivre le patient,de prescrire les mesures de soins et de surveillance appropriées à son état ». La faute peut éga-lement reposer sur l’inadaptation du statut juridique dans lequel se trouve le patient au vu deses troubles, ainsi que dans son orientation vers une unité de soins inadaptée. Dans l’affairemarseillaise, pour le juge les conséquences de la cohabitation entre certains patients ont été sous-estimées. La Cour de cassation21 précise enfin qu’il est possible de poser des limites à l’exercicedes libertés dans un cadre individualisé, et ce même sans éléments de prévisibilité. Le médecintraitant est reconnu comme le seul maître du traitement. Il est tenu à ce titre de prendre les mesuresnécessaires pour que son patient ne compromette pas sa sécurité. Ainsi, selon la Haute juridictionjudiciaire, le médecin « seul maître du traitement et averti de l’état pathologique (du patient),(est) tenu de prendre les mesures nécessaires pour qu’il ne compromette pas sa sécurité ». Cetteobligation pèse de plus sur le praticien, « même (si le patient) n’avait pas exprimé des idéessuicidaires ».

Les personnels soignants et l’encadrement se trouvent directement concernés. La faute desurveillance de l’établissement est souvent de leur fait, dans la mesure où ils sont les plus présentsauprès du patient. Il leur revient par leur fonction, d’assurer les mesures de surveillance prescrites.

4. Conclusions

Faute d’encadrement juridique suffisamment précis, toute mesure de « routine » en matièred’intrusion dans la vie privée est à proscrire, et ce qu’elle qu’en soit la forme. Il convient d’adopter

19 Instruction no DGOS/DSR/MISSION DES USAGERS/2011/139 du 13 avril 2011 relative à la conduite à tenir en casde détention illégale de stupéfiants par un patient accueilli dans un établissement de santé.20 Cass. 1e ch Civ, 21 juin 2005, no 03-18779. Publié au bulletin.21 Cass. 1e ch Civ, 10 juin 1997, no 95-14848. Publié au bulletin.

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toujours une démarche individualisée de bon sens, conforme aux recommandations de bonnepratique existantes. Il faut pouvoir justifier ses actes par une réflexion bénéfice-risque systématiqueet approfondie. Il faut également admettre que les soignants sont démunis lorsqu’il y a une volontédélibérée de dissimulation de la part du patient. D’ailleurs, il n’est en principe pas attendu uneobligation de résultat absolu. Par contre, conformément à l’article L.6113-1 du CSP, il existe bienune obligation de moyens, en l’occurrence renforcée, qui doit se traduire par une vigilance et unediligence particulières de l’ensemble des acteurs concernés. Ces précautions particulières doiventde plus, pouvoir être prouvées par l’établissement de soins qui supporte la charge de la preuve.