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La Tariqa Rahmaniya - De l’avènement à l’insurrection de 1871 - Mohammed Brahim SALHI

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Mohammed Brahim SALHI

La tariqa Rahmaniya De l’avènement

à l’insurrection de 1871

Haut Commissariat à l'Amazighité 2008

La tariqa Rahmaniya : de l’avènement à l’insurrection de 1871

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INTRODUCTION La Rahmaniya est une tariqa algérienne qui est souvent évoquée ces dernières années, tout comme d’autres tariqas algériennes (Tijaniya, Alawiya…). Il serait long ici de faire le point sur la redécouverte du patrimoine soufi et mystique algérien. Il faut simplement noter que ce secteur de la spiritualité algérienne sort désormais d’une période d’occultation et contribue à ouvrir une réflexion et un besoin de connaissance qui s’exprime régulièrement dans les médias mais aussi dans les questionnements des jeunes chercheurs en sciences sociales en particulier dans de nombreux séminaires et colloques. Il y a aussi, après une période pour le moins troublée à la fin du 20éme siècle, un besoin pour les Algériens (es) de comprendre l’élaboration historique du rapport société- religion –culture. Ce dernier n’est évidemment pas sorti du néant et l’intrication des trois termes de ce rapport est lisible dans l’analyse attentive de nos réalités passées et présentes. Cette étude reprend les données de nos travaux et vise à donner, assez rapidement, une idée sur le cheminement d’une tariqa algérienne : la Rahmaniya. Nous avons choisi par le biais de tableaux successifs, de situer sa fondation, son expansion et les aspects de sa doctrine. Ensuite nous consacrons une partie de l’étude à la séquence historique importante au cours de laquelle la Rahmaniya s’illustre particulièrement au plan politique et militaire en organisant une résistance à la colonisation. C’est la période 1870-1871 où, des figures emblématiques comme celle du cheikh Améziane El Haddad, consacre la Rahmaniya dans l’échiquier des rapports de force politique et religieux. Cependant cela ne se fera pas sans conflit avec des chefs religieux qui se voient concurrencés par l’une des plus récente tariqa algérienne. Les

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événements de 1871 ayant connu des développements par ailleurs, nous avons fait le choix d’en rapporter l’essentiel dans une chronologie commentée. Naturellement, cette étude n’est pas exhaustive. Il faudrait en effet plus qu’un court ouvrage pour analyser en profondeur tous les aspects d’une évolution de la situation religieuse avec comme point focal les tariqas algériennes et la Rahmaniya en particulier. Ce que nous nous proposons de faire dans un proche avenir. En attendant, nous mettons à la disposition de ceux qui s’intéressent à cette question des éléments qui leur permettent de situer les contours et les repères d’un champ qu’ils souhaitent explorer. Ce faisant, nous espérons contribuer à la redécouverte et la connaissance de notre patrimoine spirituel à travers la destinée de la tariqa Rahmaniya. Enfin, notons que dans cette étude, la situation de la Rahmaniya en Kabylie est celle à laquelle sont consacrés le plus de développements. C’est en effet sur le terrain kabyle que nous avons le plus observé cette tariqa. Mais nos travaux portent aussi sur d’autres domaines algériens de la Rahmaniya que nous n’avons pas pu inclure ici pour ne pas dépasser le volume d’un fascicule que nous pouvons qualifier d’ « introduction » à la connaissance de cette tariqa. Toutefois nous pensons que certaines analyses et conclusions peuvent être généralisables à d’autres cas.

CHAPITRE I

L’avènement de la Rahmaniya et son expansion

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Le Livre des dons de Dieu, Glose de la Rahmaniya » écrit par le premier délégué de Sidi Mohammed Ben Abderahmane dans l’Est de l’Algérie1, présente ainsi la fondation de la confrérie : « Cette voie des Solitaires2 n’était pas connue dans le Maghreb. Elle y fut apportée par le cheikh, l’imam, le successeur des imams spirituels. Il se nommait Abou ‘Obeid Allah Sidi Mohammed Ben Abderahmane Al-Guechtouli Al-Azhari3 à l’époque où il se rendit de son pays au Caire ; il y alla dans le but d’acquérir la science de la loi et de vérité spirituelle (h’aquîqa) »4. Mohamed Ben Abderahmane, né en 1715 environ, commença à étudier le Coran, dans une zawiya kabyle d’envergure moyenne, mais dont le cheikh jouit à cette époque d’une réputation et d’un prestige qui traversera les siècles. Il s’agit de la zawiya du cheikh Seddik Arab chez les Aït-Irathen. Il y acquiert auprès de ce premier maître les connaissances coraniques, juridiques et grammaticales (langue arabe). Tout porte à croire que son passage chez cheikh Arab fut remarquable, puisqu’il recommande à son père de l’envoyer en Orient pour parfaire son apprentissage. On notera ainsi pour la Kabylie du 18ème siècle une ouverture sur le monde arabo-islamique et une dynamique d’articulation 1 Mustapha Bachtarzi. Kïtâb manh er rabani. Charh manthûmat er rehamaniya. Tunis-Mahamedia, imprimerie Qadriya-Rahmaniya, 1807. Traduction française par R. P. Antoine Giacobetti. Le livre des Dons de Dieu. Glose de la Rahmaniya. Alger, 1946. Ronéotypé. 2Solitaires désignent dans le texte de la Glose les soufis. 3 Certains auteurs y ajoutent El-Djerdjeri. Voir Depont et Coppolani. Les confréries religieuses musulmanes. Alger, A.Jourdan, 1897. Abou ‘Obeid Allah, désigne normalement le fait qu’il soit le père de ‘Obeid Allah.Or comme le souligne le traducteur de la Glose, R.P.Giaccobeti, il n’existe aucune trace de la descendance directe du fondateur de la Rahmaniya. En revanche l’auteur signale qu’un neveu de Mohammed Ben Abderahmane, un lettré, est connu. Il s’agit de Si Abderahmane Bejawi, âgé de 60 ans en 1942. 4 Le livre des dons…op.cit.p38.

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avec l’universel. Hussein El Warthilani, contemporain de Sidi Mohamed Ben Abderahmane décline aussi la même trajectoire allant du local au global et d’une quête d’arrimage avec l’universel1. Comme lui, Sidi Mohamed Ben Abderahmane, partira d’abord à la Mecque pour y accomplir le pèlerinage (1739-1740). A l’issue de ce séjour mecquois, il part en Egypte, à la recherche du savoir. C’est à El Azhar, institution de référence pour les lettrés musulmans, que naît la vocation et que va se fabriquer le charisme, dont le Livre des Dons décrit les multiples caractéristiques. La vocation, c’est à dire précisément l’entrée dans la « Voie des Solitaires » et l’ascension dans sa hiérarchie, se font dans le cadre d’un périple initiatique piloté par un maître d’un grand ordre soufiste : Mohammed Ben Salem El Hafnawi des Khelwitiya2. L’isnad ou la Silsila (chaîne spirituelle) dans laquelle le maître et le disciple vont prendre place, est décrite in extenso dans le « Livre des Dons »2. C’est un signe d’appartenance aux « parfaits » de la Voie, et un instrument de légitimation nécessaire pour la répandre et la propager. En outre, Sidi Mohammed Ben Abderahmane, se défait dés lors de la stricte référence généalogique qui confère une autorité aux lignages religieux et leur donne une légitimation religieuse. De retour en Kabylie, c’est le seul isnad qui lui procurera son assise et son autorité religieuse. Les étapes de l’initiation puis de la consécration du fondateur de la Rahmaniya sont décrites ainsi par le « Livre des Dons » : « Il fréquenta la mosquée d’Al-Azhar et habita dans le portique des Gens du Maghreb. Il eut pour maître Abou Abdellah Sidi Mohamed Ben Salem Al Hafnawi. C’était le plus grand savant de son temps et l’homme le plus célèbre de son siècle. Il est l’auteur d’ouvrages remarquables et de nombreuses décisions (taqarîr) précises et importantes ». « Ce maître lui enseigna (laqqana) les Sept noms et lui fit faire des progrès dans la vie spirituelle.

1 Al Warthilani, Husein. Nuzhat Al Andhar. Beyrouth, Dar Al Kitâb Al Arabi, 1974. 2 Cet ordre est fondé 1397 par le persan Omar El Khalwiti.

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Ensuite il l’envoya au Soudan et il le revêtit de froc (khirqa)1. Il lui ordonna de retourner dans son pays. Il obéit et rentra dans son pays. Il se fixa dans la montagne du Djurdjura qui se trouve du côté d’Alger, à deux jours de marche de cette ville. Il s’établit dans son pays nommé Guechtoula parmi les zwawas .» « Il lui permit de diriger (tarbiya)2 les hommes et de les instruire dans les choses de Dieu. Une foule nombreuse suivit ses instructions. Sous sa direction plusieurs s’engagèrent dans la voie de la perfection. Il répandit dans ses contrées la connaissance des prières rituelles. Dieu le fit aimer des hommes. Ses disciples se multiplièrent et son parti (h’izb) devint important. Et Dieu le fit aimer par les « aspirants »3 et lui concilia l’affection de ceux qui récitaient le dhikr4. Ce fut un don merveilleux (karama) dont Dieu l’enrichit »5. La première licence à initier ou idjaza est délivrée par Sidi Mohammed Ben Abderahmane en 1777 à un adepte kabyle6. Le « h’izb » de Sidi Mohammed Ben Abderahmane, ou tariqa Rahmaniya7, connaît une première épreuve peu avant la mort de son fondateur (1794-95). En effet, vers 1792-93, ce dernier part s’installer à Alger pour y répandre le message

1 C’est l’habit de consécration de ceux qui accèdent au rang de l’excellence dans la connaissance de la Voie, après de longues épreuves et missions. 2 tarbiya devrait logiquement être traduit par éduquer. 3 Le « Livre des Dons de Dieu » définit les « murîdun » comme ceux qui tendent vers la Voie, et la connaissance de Dieu, et qui sont donc aptes à rentrer en initiation. C’est ce que l’on traduit par « aspirant ». Les « mûradun »sont ceux qui ont déjà acquis les connaissances de la Voie et qui donc sont « arrivés » à un degré supérieur de rapprochement de Dieu. P33. 4 Ceux qui récite le Dhikr sont des « mûradun » dans la mesure où cette oraison jaculatoire, n’est praticable qu’à l’issue d’un premier niveau d’initiation et donc après avoir prononcé et conclut le Werd, pacte, liant l’ « aspirant » à la Voie ou tariqa. 5 A la différence des karamates des saints, celle de Sidi Mohamed Ben Abderahmane n’est pas le fruit d’un miracle, mais d’une longue initiation, d’un apprentissage, et d’un dévouement à la Voie. 6 A.Delpech. Un diplôme de moqadem de la confrérie religieuse des Rahmaniya. Revue africaine, 1874, pp 418-429. 7 Rahmaniya dérive du nom du fondateur. En Kabylie la confrérie est aussi connue sous le nom de tariqa n Ben Abderahmane ou encore tha rahmanith

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religieux contenu dans la Voie à laquelle il a été initié1. Mais « Les tolbas jaloux le dénoncèrent comme étant en dehors du programme. Le muphti, Si L’Hadj Ali Ben Hamidou, étudia la question et déclara qu’il n’avait rien de mauvais et le délivra2. Aussitôt il rentra dans son pays et y continua ses leçons3»4. La La nouvelle tariqa soulève une opposition dans les rangs des ‘ulamas d’Alger qui gravitent autour des gouvernants turcs. Ces derniers ont un rapport très conflictuel avec les confréries et les personnages religieux qui échappent à leur contrôle. On peut donc imaginer que la fetwa prononcée à l’encontre du fondateur de la Rahamniya5 ait été reçu par des oreilles attentives. Cet épisode illustre de façon générale l’histoire des luttes religieuses en Algérie, avec une césure entre ‘ulémas citadins (proches du centre politique) et ‘ulémas provinciaux ou de la périphérie de surcroît porteur d’un message religieux jugé non conforme. En creux c’est un peu l’archéologie de la dualité qui ne cessera de rebondir dans la longue durée, entre pratiques savantes et pratiques populaires de l’Islam. Le fait que Sidi Mohammed Ben Abderahmane fut finalement épargné par le pouvoir turc, est un indice de l’évaluation politique qu’ils se font de cette nouvelle tariqa. A la fin du 18ème siècle cette dernière commence à se déployer à partir de son berceau kabyle vers l’est de l’Algérie. Mustapha Bachtarzi, est désigné par le fondateur de la Rahmaniya comme son Khalifa dans le Constantinois. Les Bachtarzi sont d’origine turco-algérienne. Leur notoriété est bien assise dans la corporation des brodeurs de la ville de Constantine Et c’est dans celle ci que la nouvelle tariqa va se

1 L.RinnMarabouts et Khouans. Alger, Jourdan, 1884.p454. 2 Faut-il comprendre qu’il fut arrêté ? 3 Lire plutôt ses enseignements. 4 R.P.A. Giaccobeti. Livre des dons…op.cit.p5. 5 L.Rinn.Marabouts et khouans.Etude sur l’Islam en Algérie. Alger, Jourdan, 1884, p454, et Depont.O et Coppolani X. Les confréries religieuses musulmanes en Algérie. Alger, Jourdan, 1897. p383.Voir plus de détails sur les rapports entre les turcs et les confréries en Algérie: P.Boyer. Contribution à l’étude de la politique religieuse des turcs dans la Régence d’Alger. In Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, 1/1966, pp 11-49.

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développer1. Mais la Rahmaniya se montre politiquement très réservée. Aucun indice ne montre une volonté de confrontation avec les autorités turques. Davantage encore les Turcs auront des gestes conciliateurs à l’endroit de personnages religieux ou de zawiyas kabyles2. La tariqa va connaître une très forte expansion que la mort du fondateur en 1794-95, ne contrariera pas. I.1. La Rahmaniya et son insertion dans le tissu religieux kabyle : une longue période d’unité de direction (1795-1871) La tariqa Rahmaniya, va s’implanter solidement en Kabylie et, du vivant même de son fondateur, elle commence son expansion dans l’est algérien. L’on ne s’intéressera dans cette étude qu’à la situation en Kabylie, en évoquant rapidement ci-dessous les autres branches Rahmaniya en Algérie. En 1794-95 la succession de Sidi Mohammed Ben Abderahmane échoit à un de ses disciples d’origine marocaine : Cheikh Aïssa El Megherbi. Ce dernier est désigné, par le chef de la nouvelle tariqa avant sa mort3. Cette démarche indique que le mode de succession à la tête de la tariqa n’est pas lié à l’appartenance généalogique, ni même tribale puisque le cheïkh Ben Aïssa est d’origine marocaine. Nous savons que, à quelques rares exceptions, les directions des zawiyas échoient en général aux membres du même lignage et précisément aux descendants du cheïkh-directeur ou à ses collatéraux. Cette tradition de succession extra lignagère se poursuivra jusqu’à l’insurrection de 1871 à l’issue de laquelle la zawiya de Seddouq du cheikh Améziane

1 Voir infra. 2 Cas de la zawiya de Sidi Ali Ou Moussa chez les Maatkas. Voir A. Delpech. La zawiya de Sidi Ali Ou Moussa. Revue Africaine, 1874, pp80-88. 3 Il le désigne devant une assemblée d’adeptes en ces termes : « je vous prends à témoin que je mets à ma place, que je donne mon pouvoir à Sid Ali Ben Aïssa, il sera mon suppléant. J’ai déposé dans son sein tous les secrets et lui ai confié toutes les bénédictions. Ne lui désobéissez pas en quoi que ce soit, car il est mon visage, ma langue. ».Rapporté par A. Delpech. Un diplôme…op.cit.

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El Haddad, victime de la répression, perd le contrôle de la branche kabyle. La Rahmaniya se segmente dés lors et devient une mosaïque que seule l’appartenance spirituelle fédère. En outre ces pôles de direction qui vont émerger revendiquent tous leur rattachement spirituel à cheikh El Haddad. Pratiquement Cheikh Ben Aïssa assure la direction de la Rahmaniya kabyle jusqu’à 18361. Puis ce fut au tour du cheikh Belkacem ou L’hafidh, originaire des Maatkas de diriger, à partir de la zawiya –mère des Aït-Smaïl, la branche kabyle de la nouvelle tariqa de 1836à1837. De 1837 à 1842, une crise éclate au sein de la Rahmaniya sur la question de la succession à sa direction. Prétendant à succéder à cheikh Ben Aïssa, Cheikh El Hadj El Bachir, d’origine marocaine, se voit fortement contesté par les khwans et les moqadems de la tariqa. Ces derniers estiment que ce cheikh n’étant pas originaire de Kabylie ne pouvait pas prétendre diriger la tariqa, alors même que le fondateur a désigné Ben Aïssa d’origine marocaine. On peut dés lors parler d’une phase de « kabylisation » de la Rahmaniya. Cette crise entraîne un fléchissement de l’activité de la Rahmaniya kabyle et une désertion de la zawiya –mère, ainsi que l’abandon de son entretien; Fait majeur dans la Kabylie du début du 19ème siècle, c’est à Lalla Khedidja veuve du cheikh Ben Aïssa, que revient le mérite de reprendre en main la direction de la zawiya. Elle arrive à convaincre les adeptes et moqadems de la tariqa, notamment les plus récalcitrants au magister d’un étranger à la région, d’accepter le retour d’El Hadj El Bachir. Ce dernier meurt en 1842. La Rahmaniya kabyle est alors dirigée par un cheikh du cru: Belkacem Naït ‘Anane (Aït-Zmenzer). Son magister est transitoire et ne dure qu’une seule année. On peut constater que la mort du fondateur qui laisse une tariqa en pleine expansion, ouvre une période d’instabilité et pose le problème des modes de succession à la tête de la branche kabyle. La forte autorité de Sidi Mohammed Ben Abderahmane et ses recommandations explicites neutralisent 1 Notice sur la Rahmaniya. in Archives d’Outre-mer, Aix-En-Provence.I95.

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pendant une courte période les partisans du recrutement de chefs locaux pour diriger la Rahmaniya. En outre cette contestation des chioukhs entre 1795 et 1842 augure une fragilité de la prédominance d’un leadership fédérateur au sein de cette nouvelle confrérie et, en filigrane, la dynamique du champ religieux locale encadré par des lignages religieux et des zawiyas de vieille implantation semble, dés l’avènement de la tariqa, être à l’étroit dans les nouveaux principes organisationnels véhiculés par la Rahmaniya. En effet la logique lignagère est fortement contrariée par la logique confrérique plus encline aux relations contractuelles extra tribales et excluant la seule légitimation par l’appartenance généalogique. De plus les adeptes de la Rahmaniya, ses moqadems et ses chioukhs, sont, au regard des principes de la tariqa, exclusivement recrutés sur la base du pacte (‘ahd) passé à l’issue de l’initiation (talqin). Mais une lecture des principes fondateurs de la Rahmaniya laisse une porte ouverte à son appropriation par les forces religieuses dominantes (lignages religieux). De 1843 à 1857, la Rahamniya sera dirigée par Cheikh El Hadj Amar. Ce dernier prend la tête de la résistance à l’occupation de la Kabylie en 1857. La Rahamniya démontre alors ses capacités politique et martiale et subit sa première répression. El Hadj Amar s’exile en Tunisie et ses biens seront confisqués. Cheikh El Bedjawi lui succède (1857-1860) avant que s’ouvre la période la plus prestigieuse de la Rahmaniya sous la direction de Cheikh Améziane El Haddad (1860-1871). L’on retiendra que le cheikh El Haddad ne dément pas les principes fondateurs de la tariqa à savoir l’ascension par le mérite et l’adhésion aux règles de la confrérie. On rappellera en effet qu’Amziane El Haddad n’est pas d’origine religieuse. Il est par ailleurs le dernier chef de branche pour la Rahmaniya kabyle, même si ceux qui ont pris sa succession ont toujours revendiqué le contrôle de l’ensemble du réseau de la tariqa en Kabylie. Dans les faits les grandes zawiyas kabyles reprennent leur autonomie par rapport à un centre fédérateur de la

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Rahmaniya. Des domaines de cette confrérie se consolident autour de personnalités ou de zawiyas. Toutefois il faut noter qu’en Kabylie, au 19ème siècle, des dissidences au sein de la Rahmaniya sont perceptibles. Les deux exemples les plus frappants sont ceux de Cheikh Mohand Ou El Hocine1 dans le Djurdjura, et de cheikh El Djaadi des Maatkas. Le premier en raison de son charisme ne reconnaît pas l’autorité de cheikh El Haddad et recrute des khwans à son compte mais revendique son rattachement à la Rahmaniya. Le second fonctionne comme chef de branche concurrente par rapport à la zawiya de Seddouq. La personnalité du cheikh El Haddad et la reconnaissance de son autorité par les plus puissants pôles de scripturalité kabyles ont garanti une forte cohésion de la confrérie jusqu’à 1871. Dans le fond, la Rahmaniya se fait réapproprier, chemin faisant par le tissu lignager et le réseau de zawiyas qui lui préexistent et à travers lequel elle se diffuse de façon privilégiée. Elle se moule progressivement dans le contexte local, comme par ailleurs ses branches de l’est et du sud algérien s’autonomisent du centre fondateur en Kabylie2. Cependant la grande caractéristique du processus de réappropriation de la Rahmaniya par les forces religieuses locales en Kabylie est la prédominance de la scripturalité sur le mystique, sans pourtant que l’un ne soit exclusif de l’autre. Les grandes zawiyas kabyles tirent l’essentiel de leur prestige et de leur autorité religieuse de leur compétence à encadrer et propager l’enseignement religieux islamique. Voici donc globalement la situation de la Rahmaniya kabyle jusqu’à la période charnière de la grande insurrection de 1871. A partir de 1861 c’est la zawiya de Seddouq qui va rentrer dans le champ d’une surveillance tatillonne de l’administration française. Sa popularité est en effet ascendante et ses capacités de mobilisation politique et 1 Voir plus de détails in Mohamed Brahim SALHI. Etude d’une confrérie religieuse algérienne : la Rahmaniya. Doctorat de 3ème cycle, Paris, EHESS, 1979. Et Société et religion en Kabylie. 1850-2000 Thèse de Doctorat d’Etat ES lettres et Sciences Humaines, Paris, Université de la Sorbonne- Nouvelle, 2004. 592-602. 2 Ibid.

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militaire paraissent plausibles. C’est le déclenchement de l’insurrection qui va révéler précisément tout le poids et l’étendu de l’influence du cheikh Améziane El Haddad et de son autorité sur les moqqadems de la Rahmaniya en Kabylie. Mais il convient de signaler que cette autorité du cheikh El Haddad s’est bâtie aussi sur une rivalité locale dans la région d’Akbou et une autre dans la région du Djurdjura. Dans la première c’est la grande zawiya de Chellata des Ben Ali Cherif qui est en concurrence avec la zawiya de Seddouq. Il y aura des incidences sur le processus d’entrée en insurrection des deux établissements. Le célèbre cheikh Mohand Ou El Hocine pour sa part développe sa propre démarche religieuse et, tout en étant de la Rahmaniya, n’en conteste pas moins l’autorité de celui qui l’a fait moqadem à savoir Cheikh El Haddad. En 1871 il adopte une attitude plus réservée consistant à dire que dans le fond le terme de la colonisation échu Dieu en précipitera la chute. Dans sa veine mystique et poétique cheikh Mohand est plutôt pragmatique mesurant l’inégalité dans les rapports de force et les risques d’un écrasement de l’insurrection. Par ailleurs, il est nécessaire de faire le point sur la situation interne de la zawiya de Seddouq. Au sein de cette dernière la personnalité religieuse du cheikh Améziane El Haddad est quelque peu sinon dissonante du moins assez distincte de celle de son fils Aziz. Ce dernier plus prompt à s’engager dans la concurrence politique qu’imposent les Ben Ali chérif implique bien avant l’insurrection de 1871 la zawiya de Seddouq dans un conflit politique ouvert avec sa voisine de Chellatta. Mais ce conflit révèle très nettement la volonté du chef de la Rahmaniya Kabyle d’échapper à la tutelle politique que l’administration militaire met en place en manipulant le découpage des territoires confiés à l’autorité des Ben Ali Chérif. Avant d’aborder en détail la conjoncture politico-religieuse dans la région de l’Oued Sahel et d’Akbou, il est utile de présenter une cartographie indicative de la tariqa Rahmaniya hors de son berceau kabyle.

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I.2. La Rahmaniya hors de son berceau kabyle : cartographie sommaire. Comme souligné plus haut la tariqa Rahmaniya dispose d’un ancrage très profond dans les régions kabyles mais dés sa fondation elle entreprend aussi une implantation dans tout l’est et le sud est algérien ainsi que dans les régions de Boussaada, Djelfa. Cette tariqa s’implante aussi tout au long des frontières algéro-tunisiennes. Ses zawiyas dans cette partie du territoire frontalier (côté tunisien) vont être dans bien des cas des points d’appui ou d’accueil aux insurgés algériens durant toute la période des grandes insurrections du 19ème siècle. Dans l’est de l’Algérie, la Rahmaniya est représentée par Mostefa Bachtarzi. Ce dernier est nommé comme Khalifa du vivant même du fondateur de la tariqa. Sa zawiya se trouve à Constantine ville. C’est le premier signe d’un essaimage de la Rahmaniya à partir de son berceau kabyle. Dés 1793, l’un des moqqadems de cette première branche de la tariqa Rahmaniya, Cheikh Mohamed Ben Azouz, conquiert une influence dans le sud-est à partir de sa zawiya d’El Bordj (Biskra). A sa mort 1819, c’est son fils Mostefa Ben Azouz qui dirige la tariqa dans cette région. Déjà les liens avec la zawiya du cheikh Bachtarzi se distendent et se dessinent les contours d’une troisième branche rahamaniya. En 1843, la puissante famille religieuse des Ben Azzouz foncièrement hostile à la domination française quitte le territoire algérien pour s’installer à Nefta en Tunisie, à proximité de la frontière algérienne. Elle y fonde une zawiya Rahmaniya qui se détache de sa tutelle constantinoise1. Les Ben Othmane de Tolga (Biskra) affiliés à la tariqa prennent le commandement du domaine sud-est de celle-ci. Une quatrième grande branche Rahmaniya prend forme en 1843 ; La zawiya Ben Azouz conteste la prise en main de ses

1 Dans certains documents cette branche se rencontre sous la dénomination de « Azzouziya ».

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adeptes par Tolga en ordonnant à ses moqqadems de ne pas se soumettre à l’autorité de cet établissement. C’est de cette période que date le début de la constitution de plusieurs pôles de la Rahmaniya qui se présente donc très précocement comme un ensemble de branches autonomes. Ce qui n’est pas le cas de la Kabylie où la tariqa ne s’émiette qu’après 1871. Outre les zawiyas citées, il convient de noter pour la période l’enracinement de la tariqa dans la région de Khenchela, où dés 1843, la famille religieuse ayant pour ancêtre Sidi Mohammed Abdelhadidh fonde une branche de la Rahmaniya. Cette puissante famille dispose de deux établissements religieux : Kheiran et Khangat Sidi Nadji. Plus tard viendront s’y ajouter l’ouverture de deux autres zawiyas par les descendants du cheikh Abdelhafidh. La première se situe à la frontière algéro-tunisienne à Tameghza et la seconde du côté de Biskra (douar Liana). En 1871 un moqqadem du groupe religieux de Kheiran-Khangat Sidi Nadji, Si El Hachemi Ben Derdour, se détache pour fonder dans l’Aurès une branche rahmaniya indépendante dénommée « Derdouria ». Rebelle avérée à l’autorité d’occupation, cette zawiya de la région de Lambése, sera mêlée à l’insurrection de 1879, puis de différents soulèvements contre la pression fiscale coloniale. Ces dirigeants seront en grande partie déportés en 1880. Toujours dans l’Aurés, prospère une zawiya implantée dans l’Oasis de Masmoudi. Elle est au moment de la conquête française dirigée par le cheikh Sidi Sadok Ben El Hadj. Cette zawiya rejoint la tariqa Rahmaniya et participe activement au soulèvement armé de 1859. Réprimée sans ménagement par les hommes du Général Devaux, la zawiya est détruite. Cheikh Tahar Ben Sidi Sadok qui succède à son père fonde au début des années 1860 une nouvelle zawiya Rahmaniya dans le djebel Ahmar Khedou, très précisement à Tebermacine. Cet établissement et ses adeptes seront de nouveau accusés d’être partie prenante dans le mouvement insurrectionnel de 1879. Au début du 19ème siècle la Rahmaniya de l’est algérien avait aussi une assise dans la région des Ouled Djelal. Dirigée par cheikh El Mokhtar Ben Khalifa, personnalité religieuse

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respectée et dévouée à la tariqa, l’établissement étend son influence dans les régions de Bousaada-Ouled Naïl. Le relais local dans ces régions est constitué par le groupe religieux des Cheurfat El Hamel dont la zawiya fondée en 1849 par cheikh Si Mohammed Ben Belkacem, représente un point d’appui à l’expansion de la nouvelle tariqa. C’est après la mort, en 1862, du cheikh El Mokhtar Ben Khalifa que la zawiya D’el Hamel prend l’envergure d’un pôle Rahmaniya autonome. En effet, Cheikh Si Mohammed Ben Belkacem devait succéder à Cheikh El Mokhtar Ben Khalifa dont les enfants était en bas âge. Toutefois, un grand nombre de khwans et de moqqadems de ce cheikh refusent de reconnaître son autorité. Cheikh Si Mohammed Ben Belkacem, se résout à retourner à Cheurfat El Hamel pour se consacrer à l’établissement familial. Très rapidement, au cours la période 1863-1870, l’influence et l’ancrage local de cette nouvelle branche Rahmaniya devient remarquable. Les autorités coloniales adoptent une surveillance étroite de la zawiya1. En effet son attraction dépasse de loin la région de Bousaada. Elle dispose de représentants notamment dans les régions de Djelfa, Chellala, Berouaghia, Boghar, Sidi-Aîssa, Tablat, Aïn Bessem, Sour El Ghozlan, Aîn Boucif, le Hodna, Relizane et Bordj Bou Arreridj, Biskra, et dans le sud de la Grande-Kabylie (Maatkas, Beni-Zemenzer). Des adeptes affiliés à la Rahmaniya d’El Hamel sont repérables aussi dans l’ouest algérien principalement à Tiaret, Aflou, Relizane et Témouchent. A la fin du 19éme siècle la zawiya Rahmaniya d’El Hamel apparaît comme une puissante institution que l’administration française surveille de prés. Si cette zawiya Rahmaniya n’a pas directement participé aux mouvements insurrectionnels de 1864 et 1871, elle est impliquée par l’appui qu’elle a apporté à des insurgés du Hodna lors des soulèvements en question : « le marabout d’El Hamel a toujours donné son appui au coff dit « Bit Bou Aziz » du Hodna

1 Voir Notes du 25 Mars 1865 et du 9 mars 1869 du Général commandant la Division d’Alger. In 16H 1 A.O.M.

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qui s’insurgea en 1864 et en 1871 fit cause commune avec le Bachagha de la Medjana dont les enfants et plusieurs partisans sont encore à la zaouia où, ils ont reçu l’hospitalité…»1. La zawiya d’El Hamel, connaît une expansion remarquable dans le dernier tiers du 19éme siècle avec la conquête d’un domaine d’influence qui s’étend jusqu’au nord de l’Algérie. En effet, en Kabylie même, après la dislocation de ce qui était le « territoire » de la zawiya de Seddouq, la Rahmaniya d’El Hamel dispose de relais importants dans la région des Aît Zemnzer et des Aït Irathen. La zawiya du cheikh Mohand Ouali Smaïl (Bouacem, Bouhinoun) en est le représentant. La mort du cheikh Mohammed Ben Belkacem(1897) donne lieu à une lutte de succession entre son neveu et sa fille Lalla Zineb. Cette dernière qui a secondé son père dans la gestion de la zawiya, et en tout cas qui en connaissait les rouages, finira par s’imposer à la tête de cette grande branche rahmaniya jusqu’à 1904. La zawiya d’El Hamel comme celle de Tolga ont été des centres de connaissance de grande envergure à l’instar des zawiyas de Kabylie comme Sidi Abderahmane El Yellouli, Sidi Mansour ou Cheurfa Bahloul. Nous ne détaillons pas davantage les domaines rahmaniya dans cette étude2. Il convient de retenir le fait que cette tariqa, outre son apport mystique et soufi, se présente comme un puissant vecteur de diffusion de la connaissance religieuse. Nous avons par ailleurs dans différents travaux consacrés à ce sujet montré que beaucoup de ces zawiyas vont faire des efforts importants pour s’adapter au 20ème siècle particulièrement au contact du mouvement réformiste ou son influence. Sur cette question nous envisageons dans un proche avenir de consacrer une étude plus fouillée pour éclairer le cheminement de cette tariqa.

1 Rapport du cercle de Bousaada,1893, in 16 H8 Archives d’Outre-Mer, Aix. 2 Voir plus de détails dans nos théses op.cit.

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Pour l’heure, il nous semble important de donner un aperçu sur ses fondements doctrinaux et d’en mesurer leur impact dans la société. Il s’agit en fait de voir comment se fait la rencontre entre éthique religieuse portée par la Rahmaniya et ethos en l’occurrence celui de la société dans laquelle nous l’avons le mieux observé à savoir la Kabylie.

CHAPITRE II

La Rahmaniya : fondements doctrinaux d’une spiritualité ouverte au grand nombre.

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Il convient de passer en revue les principes fondamentaux de l’adhésion à la Rahmaniya et de décoder l’éthique qu’ils exaltent. Cette dernière se traduit en conduites religieuses lisibles dans la réalité religieuse kabyle, en particulier dans la production des litanies des khwans kabyles et ce jusqu’à nos jours. Nous parlons de production dans la mesure où, comme nous allons le voir, les khwans vont sortir du cadre strict du dhikr codifié notamment dans le Livre des Dons. Mais ils restent très fidèles, dans leur composition, mais aussi dans leur comportement, aux principes fondamentaux de la tariqa. Le discours que délivrent d’anciens khwans de cette tariqa montre par ailleurs que ces principes déhalent très largement sur les conduites sociales des adeptes et sur leur vision du monde. En fait cette éthique religieuse se traduit dans la vie sociale. Et ce de façon très tenace dans la mesure où chemin faisant cette éthique se diffuse et s’articule avec l’ethos kabyle. II.1 L’entrée dans la Voie. Le Livre des dons de Dieu commence par des exhortations, invitant l’aspirant à entrer dans la voie Vers 57-60. O toi qui désires la science certaine Ecoute ce que je vais t’exposer avec soin Ceci est l’appui de la Voie La voie des Solitaires. Vers 61-64. Je t’en prie, ô Impénétrable

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O l’unique, ô l’un1 Par la vertu de cet appui Fais nous entrer parmi les saints. Vers 65-68. O toi qui écoutes et qui secours O maître, Dieu des deux mondes Fais nous entrer au milieu des progressants Qui travaillent avec une intention pure. Vers 69-72. O toi qui désires marcher vers la perfection Et chasser les doutes de ton esprit Tu parviendras au rang des rois Nos seigneurs les soufis. Vers 73-76. Sers Ben Abderahmane C’est le pôle de cette époque Suis les règles des frères Et ne te préfères à aucun d’eux. Mostefa Bachtarzi qui rapporte ces règles telles que transmises par le fondateur de la tarîqa, explicite les deux derniers vers. « Suis les règles des frères » invite l’aspirant à « imiter leur manière de vivre. Le vers « Et ne te préfères à aucun d’eux » délimite le rapport du futur khawni à ses semblables dans la Voie mais aussi dans la vie en générale. C’est toute la notion de fraternité entre les hommes qui se trouve ainsi déclinée : « Les mots « ne te préfères pas » disent que l’aspirant ne doit se préférer à personne. Il doit, au contraire, penser que nul ne lui est inférieur sur la terre, qu’il soit musulman ou infidèle, jusqu’à ce qu’il soit caché dans le tombeau, car la fin de toute chose lui est cachée ».

1 Référence à l’un des attributs majeur de Dieu : son unicité. 2 Livre des dons…op.cit.p57.

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Vers 77-80. O toi qui veux progresser Entre dans cette Voie Tu parviendras à la doctrine mystique Par le moyen de la sincérité et de l’intention. Vers 81-84. Combats ton âme (sensuelle)1 et le démon Multiplie les louanges à Dieu Ton cheikh est Ben Abderahmane Lequel occupe le rang des pôles. Le principe cardinale du retrait et de la vigilance par rapport à la « vie d’ici bas » qui distrait l’âme et invite à l’égarement, est annoncé dans cette exhortation. Les litanies des khwans kabyles rappellent systématiquement ce principe : « edounit d lfani ». « cette vie ci est périssable », « ayen di khlaq rebbi a di fak, alla udmiss ar d qimen » « tout ce que Dieu à crée aura une fin, seul Lui restera »… Vers 85-88. L’Elu (Dieu) lui a assigné ce wird (à Mohamed Ben Abderahmane) Celui qui aura accompli ce wird Sera mis au nombre des gens de la pureté Il ne sera pas brûlé en enfer. Ce vers comme le précédent, ne semble pas avoir été composé par le fondateur de la Rahmaniya, mais par son délégué dans l’est algérien, Mostefa Bachtarzi. En effet le vers suivant conforte cette hypothèse dans la mesure où il est question des gens qui ont eu le privilège de « voir » Ben

1 El nafs qui est différente de rûh qui est l’âme éternelle et qui s’extrait du corps comme un souffle pour rejoindre l’au-delà, « la vraie vie » « el akhîra wa el haqîqa » ou « la dernière et la vraie ».

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Abderahmane (comprendre de l’avoir approché de son vivant). Vers 89-92. Et celui qui l’aura vu (Ben Abderahmane) de ses yeux Le cheikh lui dit de sa propre bouche Que les feux ne le toucheront pas Ni dans cette vie, ni dans l’autre. Vers 93-96. Mon Dieu, l’objet de mes désirs Délivre moi du mal de mes défauts Afin que j’entre dans la voie des cœurs Et que je parvienne au rang de mes frères. L’aspirant exprime selon ces vers, un besoin de purification et de droiture à même de le mettre sur la « bonne voie » et la vertu de celui qui se voue à Dieu. Mostefa Bachtarzi explicite ces vers de la façon suivante : « C’est à dire: Mon Dieu, mon Désiré, fais que ma volonté n’aille à aucun autre que Toi; délivres moi de la maladie de mes défauts extérieurs et intérieurs1, purifie-moi de leurs souillures afin que j’entre dans la société de ceux qui marchent dans la voie des cœurs comme mes frères qui progressent dans la vertu (sâlikîn) ». Vers 97-100. Si tes adversaires t’interrogent Sur ta confrérie et ton wird Dis leur sans crainte Ma confrérie est celle d’Al Azhari2 Mostefa Bachtarzi explicite ce vers de la façon suivante : « On entend par adversaire, ceux qui n’appartiennent à aucune confrérie. Quoique les confréries et

1 Comprendre défauts liés aux conduites en société et aux convictions intérieures. 2 Comprendre Sidi Mohamed Ben Abderahmane Al Azhari.

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les wirds soient nombreux, ils ont la même origine. Il n’y a donc pas d’opposition entre confrérie et wird : ils viennent tous du Prophète. La seule opposition vient de ceux qui n’ont pas de wird et qui contredisent ceux qui en ont. » Affirmer sa singularité en respectant les autres confréries est en fait le message contenu dans ce vers explicité. Dans les faits la Rahmaniya évoluera de façon concurrente par rapports aux autres turûqs. Nous n’avons pas connaissance de « guerres » entre les différentes confréries. Mais chacune s’est bâtie une personnalité et des modes de visibilité socio-religieux. Celle dont il est question ici, tempère considérablement son mysticisme en réprouvant les rituels tels ceux des ‘Amariya ou des ‘Aïssawiya portés notamment sur la transe. En revanche zawiyas et chioukhs de cette tariqa exhibent plus systématiquement leur compétence scripturaire. Vers 101-104. Je l’ai reçu des Seigneurs Dont il a été question plus haut Et qu’il n’est pas utile de nommer de nouveau1 Ce sont les maîtres de l’éducation (spirituelle). L’isnâd ou chaîne mystique doit être évoqué par l’« aspirant » pour convaincre les croyants à rejoindre la tariqa, mais surtout à mettre en exergue son rattachement à la Voie qui se réclame de l’ascendant Prophétique : « Ces paroles, explique le commentateur, sont destinées à engager celui qui a interrogé, à entrer dans la confrérie. Peut-être que s’il vient à connaître l’appui sur lequel elle repose et si tu lui montres qu’elle remonte au Prophète, il pourra concevoir d’être admis dans son sein et de profiter des fruits qu’il y trouvera, de jouir des connaissances divines qu’elle procure et de s’abreuver de ses sources ».

1 Il est fait référence à l’isnad ou chaîne mystique que le Livre des Dons de Dieu décline in extenso.

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Vers 105-108. O toi qui as pouvoir sur toute chose Accorde-moi la fermeté de penser à ta présence Donne-moi la fermeté des cœurs Afin que j’entre dans la mer des soufis. Ce vers clôture les exhortations. Il faut noter qu’en dehors de la connaissance de la Voie et de ses principes d’une part et de l’allégeance au fondateur et par son biais à tous les personnages cités dans l’isnâd qui remonte jusqu’au Prophète, aucune autre condition d’appartenance n’est explicitement demandée à l’« aspirant ». Ce qui signifie que la tariqa est ouverte à tout croyant exprimant le désir d’y entrer II.2. Définition des statuts religieux. Les règles définies par le Livre des Dons de Dieu, sont très exhaustives et précises notamment en ce qui concerne l’éthique de la tariqa que les adeptes, à quelque échelon qu’ils soient doivent traduire en conduites religieuses et sociales. Le premier point fondamental qui doit retenir l’attention concerne les degrés de maîtrise de la Voie. Il préfigure une hiérarchie dans l’organisation du commandement de la tarîqa. L’outil principal de la différenciation dans la maîtrise et la progression de la Voie, est constitué par la maîtrise de l’écriture : Vers 109-112. Les degrés de cette voie sont au nombre de 3 exactement La Loi (charia’), La voie, Et la doctrine divine, don de Dieu. Cela signifie que ces compétences sont d’abord scripturaires. De plus même dans ce cas de figure, le franchissement des paliers de connaissance des trois niveaux

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définis par le Livre des dons, est lié à des degrés de scripturalité1. Ceux qui, parmi les croyants dépossédés de la scripturalité ne peuvent accéder aux niveaux hiérarchiques de commandement (cheikh al tarîqa et moqadem). Ceux dont la maîtrise est élevée, c’est à dire qui dépasse le cursus élémentaire des zawiyas et écoles coraniques, ont une chance de pouvoir, en même temps qu’ils gravissent les échelles de connaissance du Livre et de la Loi, franchire les paliers hiérarchiques constitutifs de l’organisation de tariqa Rahamaniya. Il faut naturellement un cursus initiatique et d’instruction semblable à celui du fondateur pour accéder au statut de « parfaits » dans la Voie, c’est à dire de ceux qui sont dépositaires d’un haut degré de rapprochement de Dieu. La tariqa Rahmaniya pose donc la maîtrise de l’écriture comme un principe essentiel sans pour autant exclure les croyants qui en sont dépossédés mais qui aspirent à rentrer dans la Voie. Mohammed Ben Abderahmane dont la trajectoire est conforme à ce cycle initiatique et d’acquisition du savoir religieux, conforte à travers son premier diplôme cette exigence de la maîtrise de la scripturalité, comme le confirme ce passage du libellé de sa première autorisation à initier (idjâza)de 1777 : « j’autorise le Sid Ben ‘Ala à donner le ouerd de la confrérie pure El Khelouitia à qui le lui demandera et à tous ceux qu’il voudrait initier,en un mot l’un et l’autre cas attendu qu’il devient possesseur des secrets de la tariqa et de la charia’ ensemble »2 Ces dispositions, dans le contexte kabyle du 18ème siècle, vont favoriser la reprise en main de la nouvelle tariqa par les structures religieuses en place à savoir les lignages religieux et leurs zawiyas. Historiquement la traduction de ces principes se fera au profit de la compétence scripturaire (coranique et juridique) qui va devenir prépondérante par rapport à la compétence mystique. C’est l’agent à compétence

1 Voir pour plus de détails les paliers de connaissance dans le Livre des dons…op.cit.pp65-77. 2 A.Delpech… op.cit.

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scripturaire, le tâleb, d’origine maraboutique le plus souvent, qui va s’accaparer du monopole des échelons de commandement et de la possibilité de gravir les paliers de la connaissance mystique de la tarîqa Rahamniya. De fait l’ « aspirant » non pourvu de la faculté de manipulation de l’écriture se retrouve dans une position dominée. Cette situation induit un réajustement des principes doctrinaux de la tarîqa en matière de transmission du magistère. Alors que primitivement ce dernier est lié au mérite et à la connaissance de la Voie et exclut le recours au principe de transmission par le biais de l’appartenance généalogique, il obéira, au delà des moments fondateurs, aux règles mises en œuvre par les lignages religieux: les titres de cheikh et de moqadem deviennent héréditaires au sein des lignages religieux gestionnaires de zawiyas. Cela est bien entendu le cas dans l’ensemble du domaine de la Rahmaniya. En Kabylie l’épisode de commandement de la tarîqa par Cheikh Améziane El Haddad, est exceptionnel du fait qu’il n’est pas d’origine maraboutique. La tarîqa Rahmaniya va dès lors apparaître plus comme une tarîqa enseignante que comme une congrégation mystique. C’est incontestablement le penchant pour la transmission et la reproduction du savoir sacrée scripturaire qui fera la personnalité de la Rahmaniya. Les grands pôles de scripturalité kabyles vont s’ériger, au delà de 1871, en une multitude de sous branches mettant ainsi fin à la période de direction unitaire dont nous avons parlé. Pour autant, les croyants dépourvus de référents généalogiques sacrés et de maîtrise de la scripturalité n’en sont pas exclus mais au contraire intégrés en grand nombre, même si, comme nous l’écrivions plus haut, ils sont assignés à un degré au bas de la hiérarchie: celui du khawni. Mais ce statut religieux a, dans le contexte des 18ème et 19ème siècles une vertu de consécration dans un champ religieux où tout est subordonné à l’écriture et à la possession d’une filiation généalogique sacrée. Pour les lignages religieux lettrés ou illettrés, et les zawiyas, le monopole sur les positions hautes dans la

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hiérarchie de la tarîqa leur permet de s’ouvrir sur des clientèles religieuses beaucoup plus larges que celles que leur permettaient leur statut initial. Ce qui représente une indéniable ouverture sur la société et rend le travail religieux plus efficace et percutant. C’est toute une culture religieuse articulée sur le vécu, l’histoire et la langue du groupe qui prend forme, s’enracine et traverse les siècles avec une réelle stabilité. Cette culture est diffusée par la pratique du khawni et, elle est historiquement possible grâce à la « démocratisation » de l’accès à ce statut confrérique. Mais cela n’a été possible qu’au prix d’une forte acclimatation des principes régissant le talqin (initiation). En effet ce rituel d’initiation tel que défini par le Livre des dons de Dieu, déjà à notre avis relativement simple dans ses modalités et les conduites auxquels il postule, sera, à l’épreuve de la société locale, ramené à des prescriptions minimales et définira des conduites tenables pour le croyant qui aspire à embrasser la Voie. Cela veut dire que le khawni tout en jouissant d’un statut religieux qui le distingue de ses pairs non affiliés à la tarîqa demeure en prise sur la société dans laquelle il vit, travaille, se lie… bref il n’est pas enfermé dans une structure et une posture sectaire. C’est la littérature française du 19ème sur les confréries qui pour des raisons liées à l’univers culturel et intellectuel de ses auteurs, a fabriqué et fait circuler cette acception de la confrérie algérienne dont la Rahmaniya1. II.3. De l’éthique et de la conduite de l’adepte de la Rahmaniya. De manière générale le talqin vise à mettre l’adepte dans une posture spirituelle permanente toute entière tournée vers la découverte de la Vérité (haqîqa) et le rapprochement de Dieu. Elle se fonde sur le renoncement «aux choses défendues» qui doivent se traduire en conduites dans la société. Le Livre des dons de Dieu insiste sur le principe suivant décliné dans un hadidh libellé ainsi : « Si tu ne peux

1 Voir sur cette question nos analyses dans le chapitre I de notre thèse de 3ème cycle op.cit.

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obéir à Dieu, au moins évite de l’offenser »1. Mostefa Bachtarzi ajoute dans son commentaire que « Dans les principes de la Loi, le renoncement aux choses défendues passe par l’accomplissement des choses bonnes »2. En somme ce principe est le cœur de l’éthique de la tarîqa. En quoi consiste-t-il ? Il est résumé dans la wasîya (recommandation) qui clôture l’initiation de l’ « aspirant » et que prononce le ckeikh ou le moqadem habilité pour ce faire : « Il lui dit : « Ecoute mes conseils et mets les en pratique. Tu viens de t’engager par un pacte par une promesse et un pacte envers Dieu, à craindre Dieu dans toutes les situations de la vie, à lui consacrer sincèrement toutes tes actions et à ne pas chercher les créatures mais à t’éloigner d’elles pour ne chercher à attirer sur toi que le regard de Dieu afin qu’il veille sur ton intérieur et tes actions extérieures. Aie soin de suivre le Livre et la Sunna car il est le moyen de te faire parvenir à satisfaire Dieu et à te le rendre propice. Dans ta conduite, détache-toi des intérêts dans ce monde et dans l’autre. N’agis pas en vue d’obtenir les honneurs ou par espoir de la récompense. Agis seulement en vue de faire plaisir à Dieu et d’accomplir tous les devoirs du service de Dieu (‘abudiya) . Et la récompense te sera donnée sans aucun doute, car cette récompense est assurée sans difficulté. Aie soin de faire du bien aux hommes en respectant le grand et en prenant soin du petit. Veille à éviter de faire du mal à personne même si l’on te fait du mal, mais prends patience. Veille à pratiquer le renoncement (zuhd), la crainte de Dieu, à rechercher le bon plaisir de Dieu (rid’â). Veille à avoir confiance en Dieu en toute occasion. Recherche la compagnie de celui qui te porte à Dieu. Veille à éviter les procès et les discussions même si tu as raison. Veille à ne pas chercher la célébrité en faisant le bien ou à ne pas rechercher la louange.

1 Livre des dons… op.cit.p77. 2 Ibid p77.

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Garde le silence et sois poli envers tous. Choisis comme compagnon la prière et comme voisin la méditation. Sois dans le monde comme un étranger ou comme un voyageur qui passe. Aie soin de penser à ta mort, comme le dit le poète « Plaise à Dieu que je sache comment, où et quand se réalisera ce qui doit arriver »1. Pour réaliser cette posture, l’adepte est invité, lors de l’initiation à maîtriser ses sens et de façon précise « ses sept membres » à savoir : « l’œil, l’oreille, la langue, le ventre, les organes2, la main, et le pied ». La fonction de chacun de ces membres doit s’ajuster à l’éthique du khawni telle que définie plus haut, c’est à dire une posture de retrait et du refus de la corruption par le temporaire : 1)- «L’œil n’a été crée que pour que tu te diriges dans les ténèbres, pour t’aider à accomplir les choses permises ou obligatoires, pour contempler les merveilles du royaume de la terre et des cieux, afin d’y voir les signes qui te portent à réfléchir (sur les perfections de Dieu). Garde ton œil de trois choses : de regarder avec insistance ce qui est permis ; - de regarder avec passion une belle figure ; - de regarder un musulman avec mépris ou de rechercher à découvrir ses défauts. » 2)- « Garde ton oreille de l’audition d’une chose innovée (bid’a), d’écouter une médisance, ou une mauvaise parole honteuse, ou de connaître des choses vaines (bât’il), ou le récit des fautes d’autrui ». L’adepte de la Rahmaniya est ainsi invité à utiliser la fonction auditive pour n’écouter que la parole sacrée et recevoir le savoir qui en est lié pour en tirer profit dans la vie éternelle. 3)- La langue a pour fonction essentielle la louange du Créateur et il est donc recommandé à l’adepte ceci : « Garde donc ta langue du mensonge, de la médisance, du manque de

1 Livre des dons…op.cit.pp95-96. 2 Il s’agit des organes sexuels.

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parole, de l’hypocrisie, de la dispute, de la contestation, de la malédiction, des imprécations adressées aux autres. Si quelqu’un te fait du mal, remets tout à Dieu. Evite la plaisanterie, la raillerie, le mépris des autres. » 4)- La frugalité et le respect des interdits alimentaires canoniques sont les vertus essentielles que doit traduire la fonction du ventre : « Garde ton ventre et évite de manger des choses défendues1 ou douteuses. Recherche les aliments permis et quand tu les auras trouvés, veille à ne pas aller jusqu’à la satiété. Car la satiété endurcit le cœur et affaiblit l’intelligence ; elle empêche d’apprendre par cœur2. Elle alourdit les membres dans l’accomplissement des devoirs de piété, et elle fortifie les passions ». 5)- La continence sexuelle est naturellement le corollaire de la maîtrise du ventre : « Garde tes organes de tout ce que Dieu a défendu. Allah a dit « ceux qui gardent leurs membres sauf avec leurs femmes ou avec celles qu’ils possèdent en propriétés (les concubines).. » Ce principe est très largement explicité dans le chapitre relatif aux obligations de l’adepte de la Rahmaniya. Un monachisme pointe en filigrane dans les recommandations à ce sujet à la 22ème et 23ème obligation de l’adepte déclinées ainsi3 : Vers 575-578. Si tu fais partie de ceux qui récitent les prières (awrâd)4 Ne divorce pas, ô aspirant Et si tu es seul5 garde cet état Et ne cherche pas le mariage. Il est possible de comprendre dans l’économie générale de l’explicitation du célibat dans le Livre des dons de Dieu que ce dernier est « préférable » mais seulement pour le temps nécessaire au perfectionnement de l’adepte. En effet il n’y a 1 Canoniquement. 2 Allusion à l’apprentissage du Coran. 3 Livre des dons… op.cit pp235-238. 4 Awrâd : prières rituelles de la tariqa. 5 Comprendre si tu es célibataire.

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pas dans les principes de la tariqa Rahmaniya d’obligation explicite du célibat et, au contraire, une vie conjugale normale est une garantie contre les « passions ». Il est donc possible de dire que nous sommes en présence d’un monachisme transitoire caractéristique du moment initiatique où l’aspirant ne doit brûler (ih’raq) que pour la progression dans la Voie : Vers 583-86. Que ton début soit brûlant Que ta fin soit éclatante Recherche le degré de la piété Tu t’élèveras aux plus hauts degrés. L’aspirant au perfectionnement doit consacrer toute son énergie à « louer Dieu et le servir » et ce au début de « l’épreuve » car « Si le début de son travail pour la perfection n’est pas brûlant, sa fin ne sera pas illuminée. » Il s’agit donc dans cette période de lutter contre la passion et le désir de la chaire en « …brûlant les vices et en les effaçant de manière à ce que le démon ne trouve pas le moyen de réaliser ses desseins ». La perfection dans la Voie neutralise les passions, modère les appétits et incline à la maîtrise des « organes ». Mostefa Bachtarzi qui commente et explicite les dires de Sidi Mohammed Ben Abderahmane consacre un long passage pour lever une contradiction avec le principe consacré par l’Islam sur cette question à savoir : « lâ Rahbaniya fi l-islam » (« Il n’y a pas de monachisme en Islam »). L’on comprendra par ailleurs pourquoi d’une part les ethnographes militaires français du 19ème siècle ont vite assimilé les confréries algériennes aux congrégations religieuses chrétiennes et, d’autre part, comment les réformistes musulmans ont tiré profit d’une lecture caricaturale des principes confrériques de ce type pour pointer de l’hétérodoxie, voire de l’hérésie, chez les turûqistes. L’explicitation de ce principe dans le Livre des dons de Dieu est le suivant : « L’aspirant qui marche dans l’état de perfection, doit, s’il est marié, ne pas se séparer de sa femme et

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ne pas la répudier, soit en la laissant seule, soit en l’éloignant, soit en la laissant dans sa famille, afin qu’il lui soit possible de s’occuper d’elle comme il le doit dans les prescriptions de la raison et de la loi. En effet l’homme marié est dans un état où ses passions sensuelles sont vaincues et où il n’est pas porté à regarder en dehors de chez lui. C’est pour lui une facilité de remplir ses devoirs qui consistent dans la nourriture à procurer à sa famille. Il est ainsi débarrassé de toute autre préoccupation et rien d’autre ne le porte à songer à se séparer (de sa femme) ». Quand à celui qui se trouve en état de célibat, au moment où il embrasse la Voie et aspire à s’y perfectionner, y rester : «… est pour lui un moyen qui l’aide à s’occuper avec soin et effort de son avancement dans la Voie. Par ailleurs le monachisme est interdit1, car il fait abandonner une tradition2. Quoique cet état ne soit pas ordonné par la religion, il empêche pourtant l’homme de pratiquer les règles qui l’aident à obtenir la perfection. Il est donc toléré et on peut le garder selon les convenances, cela est préférable et louable »3. Le célibat n’est donc pas une obligation mais, momentanément observé pour les besoins de la perfection, il est « toléré » et « louable » car « lorsque l’aspirant éprouve en son âme un amour passionné et un penchant pour les femmes, il ne peut consacrer ses efforts à suivre les principes de la Voie laquelle exige le renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu…. » On peut, naturellement, s’interroger sur les conduites sociales qu’ont pu induire ces principes dans la société kabyle. Il ne semble pas, y compris chez les adeptes de la Rahmaniya, qu’ils aient induits des vocations généralisées pour le célibat. La culture kabyle en particulier, et algérienne en général, incite, au contraire, au mariage. Quand à la limitation du recours à la répudiation, il est intéressant de noter que la Rahamniya, dans la logique qui est la sienne, n’encourage pas ses adeptes à y recourir (voir plus haut) même si, souvent, cette pratique a été

1 Comprendre interdit en Islam. 2 En l’occurrence le mariage. 3 Livre des dons… op.cit p 235.

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assimilée à une prescription religieuse. Le Livre des dons de Dieu, comme nous le relevons dans le passage cité plus haut, va jusqu’à recommander d’éviter la reconduite ou l’éloignement de l’épouse chez ses parents, pratique courante en Kabylie encore aujourd’hui. On peut donc parler d’une véritable gestion de la vie privée de l’adepte qui est, en plus, tenu de s’en remettre à son directeur spirituel (moqadem ou cheikh)1. 6)- « Quant aux mains, veille à ne rien faire d’illicite avec elles, soit par attouchement, soit par des coups, soit en prenant injustement le bien d’autrui, soit par le vol d’une chose qui t’es confiée, enfin en écrivant ce qu’il n’est pas permis d’écrire, selon ce qu’a écrit un poète : « Que ta main droite n’écrive rien que tu ne sois heureux de voir au jour du jugement dernier ». 7)- Enfin les pieds ne doivent pas être utilisés pour « aller où sont les choses défendues ». Dans la partie consacrée aux fondements de la Voie, le Livre des dons de Dieu, complète ce dispositif éthique en définissant huit grands principes résumés ainsi : Vers 193-200. Il faut que tu diminues ta nourriture Que tu diminues ton sommeil, Que tu diminues tes paroles, Que tu te retires loin de tous les hommes, Multiplie les prières, ô jeune homme, Vide ton esprit de toute pensée Purifie sans cesse ton corps Fortifie ton attachement avec intention sincère2. Ces recommandations s’adressent à l’adepte engagé dans la tariqa. Cela est subordonné à l’acte fondateur : le talqin. Ce terme désigne l’action de donner connaissance de vive voix. En l’occurrence il s’agit de communiquer de vive voix et dans un cérémonial codé les principes de la tarîqa.

1 Voir infra. 2 L’attachement au cheikh directeur spirituel.

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Selon le Livre des dons de Dieu, qui cite à l’appui une tradition prophétique1, l’initiation est un acte public, c’est à dire qui se fait en présence d’une hadhra (assemblée des adeptes). En effet cette pratique publique est confirmée par des témoignages de khwans2 qui ne relèvent aucun caractère secret de cet acte d’engagement, contrairement à ce que peuvent laisser penser les ouvrages ethnographiques du 19ème siècle sur cette question. Le talqin est validé par un pacte (‘ahd)3 et il est dit « murakab » ou « complet ». Il est, selon le Livre des dons de Dieu, différent de la simple initiation accessible à tout croyant et qui consiste à louer Dieu à tout moment et à répéter la chahada. Le talqîn murrakab, implique, en effet, une mise à l’épreuve de l’aspirant, décrit dans les recommandations du fondateur (voir plus haut) et un ajustement de sa conduite par différents types de renoncement et de retrait. Le soufisme en inspire très largement la philosophie et les comportements. La prise du talqin murakab est codifiée ainsi par Sidi Mohammed Ben Abderahmane : « Le cheikh place la paume de sa main droite sur la paume de la main droite de l’aspirant en saisissant le pouce droit de l’aspirant (entre le pouce et l’index) après que chacun s’est purifié et qu’ils se sont assis comme on s’assied dans la prière. » « Le cheikh rappelle alors, s’il le veut, à l’aspirant les règles et les raisons de la conversion4; Le cheikh adopte une tenue de

1 Livre des dons…op.cit.p82-84. 2 La ‘Ammariya pratique aussi ce cérémonial initiatique en public lors de Hadhras périodiques. C’est au début du mois de septembre de chaque année que cette confrérie rassemble ces adeptes à Tassaft Ouguemoun (sud est de la Grande-Kabylie) et initie les nouveaux aspirants. Cette cérémonie n’a aucun cachet secret et est ouverte au public non initié. 3 « Au point de vue légal (charia’) c’est l’obligation de remplir une promesse religieuse (qurba diniya) comme celle que firent les ‘Ançar de protéger Mohammed en lui sacrifiant leurs personnes et leur famille ». Le livre des dons…op.cit. p84. En ce qui concerne la Rahmaniya « l’aspirant prête serment à son cheikh et contracte un engagement (‘ahd) avec lui au moment de son entrée dans la Voie, en s’engageant à pratiquer une conversion réelle (tawba) et à se consacrer à Dieu (iltizâm at taqarub) par la pratique du dhikr que lui enseigne le cheikh ».Ibid p85. 4 Tawba : comprendre conversion à la Voie.

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soumission à Dieu de manière à ce que l’aspirant comprenne que tous deux sont unis dans la conversion, car Dieu leur a ordonné à tous deux de se convertir….»1. « Le cheikh récite ensuite le verset «O croyants repentez vous d’un repentir sincère (Coran 66/8) ou cet autre verset : « ceux qui te prêtent serment, prêtent serment à Dieu » (Coran 48/10) ou encore cet autre verset : « Accomplissez les vœux que vous avez fait à Dieu » (Coran 16/10) ». « Ensuite en élevant la voix, il prononce la formule de l’invocation contre le démon2, il continue par la basmala »3. « Puis il dit pour demander pardon : « je demande pardon à Dieu le sublime. Celui devant lequel il n’y a pas d’autre Dieu que Lui, Le vivant, celui qui fait tout subsister. Je me convertis à Lui et le prie de m’être propice et de me rendre conforme à ce qu’il veut et à ce qui lui est agréable. Mon Dieu, donne ta bénédiction à Notre seigneur Mohammed, à sa famille et à ses Compagnons. » « L’aspirant répète ces mêmes paroles. Ensuite le cheikh ferme les yeux et dit à l’aspirant: écoute moi prononcer trois fois le dhikr puis prononce le toi même trois fois en fermant les yeux pendant que je l’écouterai. » « Enfin implore la protection du cheikh (fondateur) et des membres de la chaîne spirituel et celle du Prophète. Il l’instruit d’après le cérémonial… ». Ce type d’initiation est rapporté aussi dans les différentes idjâzates. Il est cependant différend pour les femmes dans la mesure où le cheikh ne peut toucher la main de la prétendante au talqin. Le contact est établi par un subterfuge qui consiste à faire placer la main de l’aspirante dans un vase d’eau dans lequel le cheikh a préalablement trempé sa main4. Le talqin implique, outre le respect des différents fondements éthiques de la tariqa, d’un certain nombre

1 Livre des dons…p85. 2 Isti’âdha : A’udhu billah min echaytane eradjim. 3 Bismillahi rahmâne erahîm : Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux. 4 Livre des dons… p87.

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d’obligations notamment celle de multiplier « le Dhikr pendant la nuit et le long des jours, soit en multipliant le nombre, soit sans le déterminer », et ce à voix basse en privé ou en le psalmodiant en public et dans une hadhra. Cette dernière se tient, selon nos observations, dans la nuit du jeudi au vendredi. Le dhikr ou remémoration vise à « obtenir la familiarité avec la Vérité et l’ennui par rapport aux créatures ». En somme il s’agit, pour le khawni de s’arracher des réalités de ce monde pour se rapprocher de Dieu, en répétant son nom et en multipliant les louanges. La répétition des formules rituelles se fait en général jusqu’à bout de souffle et jusqu’à la limite des capacités physiques de l’adepte. La formule évoquant l’Unité du Créateur (la ilah ila lah) est reprise par les khwans en hadhra tout au long de la nuit du jeudi au vendredi, parfois sans discontinuité et entraîne souvent un état d’extase. En privé cette répétition est comptabilisée par l’adepte en égrenant son chapelet. Dans les faits, selon nos observations, c’est ce rituel qui constitue l’essentiel de la pratique de l’adepte moyen chez les Rahmaniya en Kabylie. Sa simplicité et le fait qu’il soit facilement mémorisé, sans recours à une fixation écrite, mais aussi sans exigence d’une forte compétence coranique (quelques versets courts et utiles pour valider la prière), permettent au grand nombre de croyants de postuler à un statut au sein de la tariqa, et donc à une consécration religieuse. Mais le dhikr (en kabyle adhekar) sera très largement réaménagé par les khwans kabyles. Dans sa version initiale le dhikr est présenté sous forme de louanges et d’invocations dont le Livre des dons de Dieu précise la teneur et l’objectif : Vers 125-128. Après avoir fait le pacte Multiplie le dhikr et fait des efforts, Fais des prières sans compter, Ton âme deviendra pure.

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Vers 129-132. Alors te seront révélées les réalités Les gens de l’appui élevé Te diront: sois le bienvenu, ô toi qui désires Tu n’es pas du nombre des réprouvés. Vers 133-136. La 1ère parole est la profession de foi L ’Unité Elle produit ton oiseau, ô aspirant, Il monte jusqu’au trône du Glorieux, Il t’obtient le pardon du Maître. Vers137-140 Tu réciteras les prières d’invocation, Au nombre de trois selon la tradition, Pour vous, pour le Prophète, Et pour le cheikh éducateur. Pour ces prières, les adeptes élèvent les mains vers le ciel1. Le dhikr tout en étant fortement articulé sur les louanges de Dieu et du Prophète Mohammed, inclut aussi les maîtres de la Voie, particulièrement Sidi Mohammed Ben Abderahmane. Il convient de noter que dans le Livre des dons de Dieu, aucune recommandation explicite de louanges des saints locaux (kabyles en particulier) n’est mentionnée. Le rituel conserve donc un cachet universel et global. Vers 145-148. Récite le nom de la Majesté Le Vendredi après l’a’ceur2 en Assemblée Fais de même dans la solitude Soit à voix basse, soit à voix haute.

1 Le contenu des prières est présenté pp94-95. 2 Prière de l’’aceur. 2 Hadhra hebdomadaire que les khwans tiennent le Vendredi et la nuit du jeudi au Vendredi.

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En hadhra la psalmodie est permise même en état « d’impureté »1 c’est à dire sans les ablutions canoniques. Dans la réalité, les tolbas kabyles ont pris prétexte de cette disposition d’une grande souplesse, pour stigmatiser les khwans. En effet, il arrive souvent de constater, lors de veillées funèbres mettant en scène les deux acteurs religieux, une mise à distance des khawnis par les tolbas qui les jugent moins « purs » et peu au fait des choses de la religion (comprendre qui ne le sont que très sommairement). Vers 149-156. Après la prière de l’a’çeur du Jeudi Prie pour le chef, De même, applique-toi à t’instruire, Et termine-la par la prière sur l’ignorant, Après la prière de l’ a’çeur du Vendredi, Quatre vingt fois, Et il ne restera plus en lui de pêché. Le « Chef »dont il est question dans ces vers est le Prophète. Cette prière succède à celle consacrée à l’invocation « du nom de Majesté ». La formule « Allahû ma sali wa salim ‘ala sayidina Muhamadin, wa ‘ala ahlihî wa sahbihî » (Mon Dieu, accorde ta bénédiction et ton salut à notre Seigneur Mohammed, à sa famille, et à ses Compagnons) est celle qui est reprise dans une très longue oraison. En Kabylie, les khwans ouvrent toujours le registre de leurs litanies par cette prière, à laquelle il consacre un moment assez long2. La posture de l’adepte lors de ces prières est définie ainsi : Vers 177-180 ; Imagine-toi voir deux personnes Celui qui t’a donné l’initiation, 1 Voir le passage de l’explicitation des vers 145-148, qui introduit cette disposition même si elle est tempérée puisque que « l’état de pureté est préférable » p98. 2 Observé chez les groupes de khwans des villages Hasnawa, Aït-Yacoub, Redjawna, Aït-Frah…1 heure sur trois est consacrée à cette oraison. 2 voir Vers177-180 supra.

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Pense que tu vois deux imams, Dont le premier est le Prophète. L’adepte est lié par un pacte (‘ahd) dont l’un des principes est la fidélité à son cheikh (celui qui lui a transmis l’initiation). Le Livre des dons de Dieu contient de multiples rappels de ce lien qui implique un état de soumission par, notamment, la confession systématique de toutes les actions de l’adepte : Vers 165-168. Ne cache pas le secret des deux révélations A ton cheikh, ô malheureux, Tu serais un voleur, Tu ne profiterais pas en ce monde. Vers 169-176. Expose ta vision, ô pauvre Et n’en demande pas l’explication, Afin que le cheikh te connaisse, Et détermine les remèdes qu’il te faut. Que ces visions soient louables ou blâmables Ne crains pas de les exposer, Expose-les toutes ou des visions isolées, Dis-les tout seul sans témoin. Enfin le Livre des dons précise la manière de pratiquer l’abstinence alimentaire en recommandant un jeûne bi-hebdomadaire : Vers 181-184. Si tu as reçu l’initiation, Tu dois aimer la règle des aspirants, Jeûne, le jeudi et Lundi, Ainsi que les jours désignés par la coutume. Mostefa Bachtarzi explicite ce principe de la manière suivante : « Le jeûne de ces deux jours a une grande efficacité

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pour faciliter la prière et éloigner de l’hypocrisie. En effet, celui qui est fidèle à ces pratiques jeûnera presque le tiers de l’année si l’on ajoute à ces pratiques ceux qui sont recommandés »1. Le dhikr, comme nous l’avons indiqué plus haut peut être une pratique collective ou individuelle. Le principe de base est de répéter le nom de Dieu suivant des règles précises. Chez les khwans kabyles, la formule « La illah ila llah » est pratiquement celle qui est répétée. Elle est suivie en psalmodie collective par « Allah »jusqu’à une phase d’extase. Ce rituel seul est valable pour les situations ordinaires, c’est à dire lorsque les khawnis se réunissant en hadhra. En revanche lorsqu’il s’agit d’occasions exceptionnelles où il est fait appel à eux (veillées funèbres en particulier) les khwans ouvrent la psalmodie avec ces formules et enchaînent ensuite sur des litanies composées à partir d’un registre tenant de la poésie religieuse qu’ils composent et adaptent aux situations particulières, avec des variantes plus ou moins importantes suivant les groupes de khawnis des régions kabyles. Nous reviendrons sur cette question plus loin dans ce chapitre. Le dhikr est structuré dans le Livre des dons autour d’un certain nombre de conditions. Le dhikr est psalmodié par les adeptes constitués en halqa ou « cercle parfait », fermé, sans interstice vide entre les adeptes ainsi disposés. La halqa doit par ailleurs se tenir dans un lieu propre et à porte close pour se couper du monde et de son tachwich (désordre)2. La psalmodie est cadencée, et comporte trois rythmes (lent, modéré, rapide) qui se succèdent sans interruption entre eux. Enfin les mouvements du corps ajustés à la psalmodie dans son contenu et ses rythmes sont définis à l’intention de l’adepte. Ce rituel de la Rahmaniya est encore observable aujourd’hui, ce qui indique une reproduction relativement 1 A savoir Achoura, 10 premiers jours de Moharem, 27ème jour de Redjeb, le 15ème jour du mois de ch’abane, 25ème jour du mois de Dhu-l-qaâda, le jour de ‘Arafa, les 10 premiers jours de Dhûl-l-hijja. Dans les faits les adeptes (les femmes en particulier) observent ce jeûne. 2 Livre des Dons… op.cit pp193-194.

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stable à travers le temps. Mais il n’est pas certain que les règles initiales soient systématiquement respectées y compris au cours du 19ème siècle. Une franche tendance à la simplification des rituels s’est imposée dans le contexte kabyle où les adeptes les plus nombreux sont ceux du palier minimal d’initiation. Les adeptes promus à des paliers supérieurs dans l’initiation et donc à une forme supérieure d’ascèse sont plutôt rares. Les khwans kabyles sont très exceptionnellement des résidents en zawiyas. Ils s’y rendent momentanément y tiennent leurs hadhras hebdomadaires, mais n’y sont pas retranchés. Seuls les khwans serviteurs directs du cheikh ou du moqadem y élisent domicile. Les tolbas en cours de formation ont un mode plus résidentiel. Il faut en effet convenir que, contrairement à ce que peuvent suggérer les lectures ethnographiques à partir des règles confrériques écrites, il n’y a pas de vie monastique pour les khwans. Toutes les règles sur les conduites des adeptes sont traduites en éthique dans la vie ordinaire de ceux ci. Cette éthique déhale très fortement sur la société et est intriquée avec les coutumes locales. L’un des indicateurs pertinent pour décrypter cette intrication est la lecture des sentences kabyles. Celles inspirées de l’ascétisme confrérique sont légion. L’opulence (tawat), la richesse et l’ostentation, l’égarement dans les choses d’ici bas toujours corruptrices… sont autant de schèmes structurants du registre des sentences kabyles. Cette intrication forge une morale commune fortement ancrée dans la société kabyle. Voici les principes essentiels du dhikr tel que les décline le Livre des dons : Vers 389-400(formation de la halqa) Fermez bien le cercle, N’y laissez aucune place vide. Fermez votre porte, Abandonnez le monde. Entrez dans ce cercle avec détachement, Avec calme, avec respect, Cherchant la présence de Dieu.

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Répétez trois cent fois, le nom de Dieu, D’abord en rythme lent, Puis en rythme modéré, Enfin en rythme rapide, C’est la règle des Maîtres spirituels. Vers 401-412 (les mouvements rituels du corps). En prononçant le premier nom, Remue la tête et penche là, Comme si tu traçais Un cercle autour du cœur. Relève là du côté droit De ta personne, ô pauvre, ensuite Baisse là du côté gauche, avec soin. Au second nom, Remue ton cœur avec force, En frappant de la tête En haut et en bas. Dans les faits ces dispositions du corps s’observent toujours chez les groupes de khawnis kabyles. Le cercle (halqa) est observable aussi chez les ‘Ammariya de Kabylie (Tassaft-Ouguemoun) sauf qu’ici la cérémonie est publique et que les adeptes utilise une corde pour matérialiser la halqa et établir une frontière entre adeptes, aspirant à l’initiation (à l’intérieur du cercle) et profanes venus assister à la hadhra(à l’extérieur du cercle). Dans les cérémonies funèbres la halqa est reconstituée. La psalmodie peut être prolongée jusqu’à atteindre une répétition de 70.000 fois le nom de Majesté, et l’anéantissement physique du corps. La halqa adopte alors une position de repos et de recueillement qui doit précéder une nouvelle séance de psalmodie. Vers 429-436 (posture de repos) Lorsque vous aurez terminé, tenez-vous en repos, Comme des oiseaux qui couvent. Attendez que vous soyez instruits,

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Par l’inspiration du Maître(Dieu). Appliquez-vous à cette pratique, ô frères C’est le parterre du paradis. Surtout dans ce temps Où les passions sont nombreuses. L’adepte de la Rahmaniya doit par ailleurs observer 8 fondements et 9 règles qui complètent sa filiation spirituelle. Les 8 fondements définissent un profil ascétique, tandis que les 9 règles déclinent des prescriptions qui structurent la vie ordinaire du khawni parce qu’elles bornent le champ de ses conduites. Elles sont prolongées et précisées dans un gros chapitre dans le Livre des dons de Dieu1. Il n’est pas possible de reprendre in extenso le contenu de l’ensemble de ces règles et fondements, mais nous avons choisis de citer des vers significatifs qui les résument. Les 8 fondements qui dessinent le contour ascétique de l’adepte de la Rahmaniya sont déclinés dans les vers 193-200 déjà cités dans ce chapitre2. Les 9 règles qui mettent en œuvre le pacte d’affiliation à la confrérie sont pour leur part définies de la façon suivante : Vers 213-216 (multiplication des prières). La première condition est de multiplier Le dhikr, avec amour passionné, Et la nuit et le jour Soixante dix mille fois en expiation3.

1 Livre des dons… op. cit. pp224-319. 2 Ibid. pp 114-155. 3 Dans les faits selon des explications recueillies auprès des khwans des Aït-Frah, les 70.000 occurrences sont divisées par le nombre de khawnis présents à la Hadhra. Ainsi chaque sous groupe dans la hadhra participe à la comptabilisation de ce nombre d’occurrences mais n’en répète qu’un nombre limité. L’addition des répétitions par sous groupe (en général quatre à cinq adeptes) débouche sur le chiffre prescrit.

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Vers 217-228 (précisions concernant le dhikr et le nombre d’occurrences dans la psalmodie). Le nombre moyen est la moitié Nombre indiqué par les lettres : lam et hâ. Il ne faut pas les diminuer C’est la règle donnée. Ecoute-moi, ô faible, Douze mille est le minimum, N’en retranche rien. Même si tu es malheureux, C’est la règle des progressants Qui tendent aux degrés des rois, Quant aux gens de la bénédiction Il leur suffit de cent1. Vers 229-236 (La conférence). La conférence est, selon la définition que suggère le Livre des dons de Dieu, une explicitation des principes de la Voie et de la Loi. Elle est destinée à affranchir l’adepte de tous les doutes. Sidi Mohamed Ben Abderahmane dit à ce sujet : « La conférence chasse le doute, l’incertitude, l’ennui et porte à la diligence et au soin de bien faire »2. La conférence est faite de mémoire (râsiya) ou à l’aide d’un support écrit (kurrassiya). Elle est exhortative (wâssiya), de l’ordre du rappel moral (adâbiya), ou de l’ordre de l’exhortation à une intense ferveur (ta’chîqiya). La conférence est de la compétence du cheikh ou du moqaddem qui se livrent ainsi régulièrement à une explicitation du contenu de la doctrine confrérique. La deuxième (obligation) est la conférence. Elle fait parvenir ta prière à la présence (de Dieu).

1 Le nombre d’occurrences définit donc des degrés dans l’initiation et une hiérarchie entre catégories d’adeptes : les parfaits ayant atteint le plus haut niveau de détachement du monde, les progressants à la recherche de la perfection, et ce qui sont appelés dans le Vers 228 les gens de la bénédiction (ahl a tabaruk ) c’est à dire les khwans ordinaires qui se suffisent d’une initiation minimale. Lors des veillés funèbres c’est ce chiffre de 100 qui est généralement fixé. 2 Livre des dons…op.cit. p 141.

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Elle ouvre l’œil de ton intelligence, Elle obtient l’intention du cœur. Elle est faite de mémoire (de tête), Ou avec un livre (cahier). Elle est une exhortation, Ou exposé morale. Elle excite l’attention, Et rallume le ferveur, Elle provoque le désir des bienfaits. Vers 237-244. La troisième est la visite, Au temps des fleurs et des fruits1. Celui qui les multiplie guérira Des maladies du cœur. La visite a lieu à la demeure Du Khalifa du sultan2. La visite des frères Et enfin celle du moqqadem. Vers 253-260 (ascèse morale ou obstacles corrupteurs à éviter). La quatrième, ô ascètes, Est la fuite des obstacles (contraires). Evitez-les par l’éloignement, Craignez les maladies du cœur. Tout ce qui vous sépare, De la présence de Votre seigneur, Tout ce qui empêche, en vous La sincérité et l’intention. Vers 261-268 (les ennemis de la tariqa). Evite celui qui n’estime pas ta Voie

1 C’est à dire pendant les belles saisons. De fait le gros des pèlerinages des khwans ont lieu généralement du début du printemps jusqu’au début de l’automne. 2 Comprendre du fondateur de la Rahmaniya de son vivant ou du cheikh directeur spirituel ou de celui qui est désigné pour lui succéder et qui l’assiste de son vivant.

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Celui qui critique ton cheikh Celui qui n’aime pas tes frères Evite-les absolument Ceux qui écoutent les on dit Ceux qui sont attachés aux biens Ceux qui sont préoccupés de leurs projets Dans ce monde qui passe. Vers 277-288 (les cinq dernières règles). Prenez soin de remplir les conditions, Dont le nombre est de cinq. Elles concernent le cheikh, Et sont le signe de l’intention sincère, ô disciple. Accomplir ses ordres, Lui rendre ses devoirs, Défendre son honneur, Qu’il soit vivant ou mort. Renoncer à vos pensées, Briser votre balance, Pour prendre celle du cheikh, S’il défend, abstiens-toi, ô disciple. Dans la suite de la Glose de la Rahmaniya, des chapitres entiers sont consacrés à la manière de progresser dans la Voie, et au respect de la hiérarchie confrérique1. Nos observations et les témoignages recueillis sur le terrain nous incitent à penser, comme nous l’avons souligné plus haut dans ce chapitre que dans la réalité l’entrée dans la Voie n’a pas forcement obéit, de manière très stricte, à toutes ces recommandations. Le talqîn (ou comme le désigne les adeptes kabyles le mîthaq) est réduit à son principe minimal décrit plus haut. Les exigences pour progresser dans la tariqa sont le fait d’une élite réduite, qui maîtrise souvent l’écriture et qui se retrouve dans des positions de commandement. Ainsi le cheikh éducateur (ou directeur spirituel) exerce aussi les fonctions de direction de l’enseignement coranique et de la zawiya. Il est à ce titre 1 Livre des dons… op.cit pp 320-343.

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aussi une personnalité religieuse qui exerce une autorité et une tutelle sur les tolbas. Ces derniers se différencient très nettement des khawnis, à la fois par les fonctions qu’ils exercent (enseignement, services du culte…) et par une plus forte légitimité quant à la manipulation d’une scripturalité restreinte et l’autorité de dire et de transmettre le Livre. De ce point de vue les khwans ne jouissent que d’une légitimité religieuse douteuse. Vivant comme le commun, ils sont cependant porteurs de cette éthique qu’ils traduisent en conduites distinctives dans la société. Mais surtout, chemin faisant la pratique centrale de la tarîqa, le dhikr, va être manipulé de sorte à devenir le support d’une culture religieuse élargie et accessible au plus grand nombre de croyants dépourvus de la compétence scripturaire. En effet, psalmodier en kabyle, le dhikr des khwans kabyles, s’adapte aux réalités empiriques. Il élargit son registre au delà des principes qui le définissent dans la Glose confrérique tout en s’inspirant de ses schèmes structurants. Les khwans composent des litanies qui articulent les données contenues dans le Livre, et donc du schéma islamique, et des éléments qui tiennent du sacré local notamment des oraisons aux saints locaux. Cette articulation du local et de l’universel est accompagnée de litanies explicatives de l’univers islamique avec un caractère édifiant qui est instruit par l’ascétisme confrérique. Toutes les litanies sont structurées autour de la sublimation de la akhira , de la corruption de l’ici-bas… Transmis oralement, en kabyle, ce dhikr élargi est accessible au plus grand nombre de croyants dépourvus de la compétence scripturaire et de l’accès à la langue liturgique (l’arabe). En outre, du fait que les khwans composent leur registre implique très souvent une adaptation des thématiques et donc une certaine prise sur le réel et la vie ordinaire des croyants. Percutant dans ces modalités, attrayant dans sa technique (proche du chant), accessible par le véhicule linguistique du cru, le dhikr qui s’est transformé dans le temps, est de notre point de vue un vecteur de familiarisation fondamental et efficace à l’univers du Livre, qu’il explicite et

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qui constitue son essence. L’agent confrérique compense ainsi son déficit de légitimité religieuse par rapport au taleb (agent de la scipturalité restreinte) en se présentant dans la société kabyle comme un agent divulgateur à grande échelle de l’univers du Livre articulé au pôle du sacré local. Dans l’observation du fonctionnement de ces deux agents, une division du travail religieux transparaît très nettement. Lors des veillées funèbres, par exemple, la psalmodie des versets coraniques, de la compétence des tolbas, se déroule comme un rituel clos (répétitif et non explicatif) et indéchiffrable pour le plus grand nombre (c’est à dire ceux qui sont dépourvus de la compétence scripturaire).En revanche la psalmodie des khwans tout en étant accessible à tous a une double vocation : expliciter et édifier le croyant et susciter l’émotion1. Dans ce contexte de division du travail religieux, l’agent confrérique de par son profil et sa vocation occupe une position privilégiée dans la mesure où il accapare « l’oreille » des croyants.

1 Sur cette question de l’émotion en religion : S. Haas. The dhikr of Rahamniya order in Algéria. Muslim World, 33, 1943, pp16-28. Sossie Andezian. La confrérie des ‘Issawa. De la transe rituelle en Algérie. in Fchampion et D. Hervieu-Leger. De l’émotion en religion. Paris, Centurion, 1990, pp191-216. Voir aussi Youcef Nacib, Chants religieux du Djurdjura. Paris, Sindbad, 1988, pp37-70.

CHAPITRE III

Une culture religieuse intégrée : ethos kabyle et éthique confrérique.

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Nous désignons par culture religieuse intégrée, cette culture qui tient ensemble les principes et les règles canoniquement définies et les savoirs et pratiques du sacré local d’une part et le savoir et les pratiques diffusées par la confrérie qui sont réappropriés par la société kabyle. Bien évidemment, nous récusons la division religion populaire/religion savante1. Les schèmes en œuvre dans les pratiques religieuses vécues par les croyants, dans la société kabyle sont très fortement travaillées et instruites par le schéma global divulgué par le Livre. La confrérie y contribue grandement qui, elle aussi, se revendique du Livre tout en mettant en avant une démarche particulière pour se rapprocher de la Vérité. C’est pour cette raison que nous recourons à cette qualification de culture religieuse intégrée. Dans le fond en effet ce qui se donne à voir dans le cas qui nous intéresse, est un tout, non fondé sur des exclusifs ou des dualités et que les individus assument comme tel. La religion n’est ni au dessus des croyants ni à côté, mais dans la société dans tout ce que cela peut signifier comme présence ordinaire, structurante, et qui se moule autant qu’elle est moulée dans l’ethos de la société. Il faut sans doute, dans la conjoncture des années 30/50, s’imaginer que la rationalisation des réformistes n’a pas remporté, à grande échelle les convictions des croyants dans cette société parce que, quelque part c’est tout un édifice tissé autour d’éléments intriqués jugés légitimes par les individus qui est menacé par la démarche réformiste. Vue à partir de la logique des croyants socialisés aux catégories de cette culture religieuse intégrée, la prédication réformiste vise

1 En revanche il est tout à fait clair que nous pouvons accepter la division en pratiques populaires et pratiques savantes dans la mesure où nous référons à deux niveaux et modes d’expression de la religion à partir d’une source commune.

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à remettre en ordre non seulement les pratiques religieuses mais la société en générale. Plus tard, les islamistes, tout en recrutant des militants en Kabylie, ne submergent pas non plus cette région. Les pratiques religieuses vivantes, telles que nous les décrivons demeurent suffisamment vivaces et structurantes. L’islamisme est perçu comme un élément d’une subversion globale qui suscite de la distance. Les faibles performances des islamistes renvoient à une forte conservation du rapport à la religion tel qu’il se décline dans l’histoire de cette société, et que nos travaux tentent de mettre en perspective. Les sentences, les chants religieux et les litanies des khwans kabyles dont nous donnons des extraits ci dessous, mettent en perspective les contours de cette culture religieuse qui irrigue très largement la société kabyle. Certaines sentences s’ajustent à des situations particulières (gestion du deuil notamment) et agissent comme un habitus. Nous commencerons par rapporter des pièces qui présentent une parenté évidente et directe avec l’éthique religieuse popularisée par la Rahmaniya1. III.1 Eloge du Khawni et de la confrérie. Le confrère qui s’adonne au service de Dieu a l’éclat de la rose. S’il prie, fait l’aumône et de plus, ne profère que des paroles de vérité, Le Maître Tout-Puissant lui pardonne : Il le fera habiter le haut des Cieux. Les authentiques membres des confréries, ceux dont la parole est douce, S’occupent de préparer leur éternité et, du monde, méprisent les plaisirs.

1 Ces pièces sont extraites de : Extraits du folklore lyrique .Vue sur l’au-delà. Fichier de Documentation Berbère, N°74, 1962, Fort-National.

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Mieux vaut être l’ami de Dieu que posséder un capuchon plein de douros1. Il est bon de réciter le chapelet, bon aussi de s’affilier à une confrérie : La prière trouve une sécurité. Qui agit ainsi peut aller à l’occident, à l’orient : Il réussit ici-bas et prépare son éternité. Il n’en est pas ainsi de l’impie : Il se débat dans les plus grands soucis. Dans la représentation courante, le khawni est celui qui suit le chemin de Dieu (abrid errabi), qui est au service de Dieu (yehdem Rebbi) et qui est aimé de Dieu. Pour autant les plus « parfaits », les maîtres, ne sont pas des substituts de Dieu, ils sont seulement mieux inspirés pour faire que la Volonté de Dieu se réalise. C’est ce qu’illustre un exemple de texte anecdotique sur ce profil d’agents religieux. III.2 Le maître de confrérie2. «On raconte que, autrefois, un maître de confrérie détenteur d’un pouvoir surnaturel régentait une école fréquentée de musulmans pieux et d’étudiants de bonne souche. Il avait lui- même un fils de mauvaise tête et qui lui en faisait voir de dures : il buvait; c’était un dévoyé. Les gens qui fréquentaient l’école, poussés par le diable, -Dieu le confonde !- en voyant la situation, en vinrent à mépriser un maître qui ne parvenait pas à amener son fils à résipiscence : l’un après l’autre, par groupe, ils quittèrent les lieux si bien qu’un jour le maître se trouva seul. Il était sage, et il comprit que cette malencontreuse période ne prendrait fin avant l’heure fixée (par Dieu). Il suivit son fils et put ainsi reconnaître le lieu où il cachait ses débauches. Il dit au patron :

1 Capuchon du burnous. Douros, unité monétaire en circulation dans l’Algérie pré-coloniale. 2 Extrait de « Humanisme kabyle traditionnel.La liberté de la personne humaine ». FDB, n° 73, Fort-National, pp39-40.

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- Désormais, augmente la dose à ce monsieur: c’est moi qui paie. Ainsi fut fait. Un jour, cependant, Dieu rasséréna ce ciel ténébreux: c’était la bonace: le fils se mit à fréquenter l’école où régnait son père: plein de dévotion, il suivit la voie droite. Les confrères et les étudiants se rendirent compte du changement : ils rentrèrent comme ils étaient sortis. Un jour, quand ils furent tous revenus, leur maître leur dit : - Je voudrais que vous me disiez ce que vous pensez de ce qui s’est passé. L’un d’entre eux dit : Maître, lorsque nous avons vu que tu ne pouvais pas amener ton fils à la raison, nous avons douté de toi, mais, le jour où tu lui as inspiré une meilleure conduite, nous sommes revenus. Vous avez raison, dit le vieux maître, mais essayez de comprendre que c’est Dieu qui a fait arriver l’heure (fixée). Qu’ai-je fait moi-même ? Peut-être ai-je hâté l’heure le jour où j’ai demandé qu’on augmente sa dose (de boisson) ». III.3 Dieu et ses attributs à travers les sentences et des fragments poétiques kabyles. Ce maître de confrérie a, dans la représentation courante en Kabylie, contribué à la manifestation de la puissance divine, car « Sidi Rrebi d bab el-lamer » (« C’est Dieu qui règle toute chose ») et « d bab leqdra » (le maître de la Toute Puissance »). Mais, quelque fût son rang et son autorité ou son savoir, il n’a pas pu, dans cette logique religieuse, se faire le substitut de Dieu sur terre et décréter en son lieu et place l’heure de la résipiscence. D’autres sentences kabyles réaffirment le principe que Dieu n’a ni substitut, ni associé, ni semblable et que, si c’est le meilleur ami pour l’homme, il ne saurait avoir d’amis mais seulement des « aimés ». De ce point de vue l’on comprend que le principal argument avancé par les réformistes pour déligitimer les confréries et la culture religieuse en œuvre dans la société, à savoir le shirk (associationnisme), ait sonné

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comme une entreprise déracinante et, dans la logique du groupe socialisé dans ces catégories, de peu de pertinence. Les pratiques sociales de la religion dans cette société recourent en effet à des registres d’expression puisés dans le fond local tout en étant fortement instruites par le fond universel qu’est le Livre. Voici à titre d’exemples quelques sentences qui sont toujours d’un usage courant dans la Kabylie d’aujourd’hui : « Rebbi d yiwen » « Dieu est un » : affirmation de l’unicité de Dieu, qui est reprise et appuyée par des sentences comme celles ci : « yif win yet wahhiden Rebbi win t i ‘abedbden » « L’affirmation de l’unicité de Dieu est supérieure au service envers Dieu ». « Rebbi,ulac am netta. Rebbi ur yesa’ lmital » « Il n’y a personne qui soit semblable à Dieu ou qui puisse lui être comparé ». « Rebbi ur yes’i acrik » « Dieu n’a pas d’associés ». « Ur d –illul,ur d-yetlal » « Il n’est jamais né ni ne naîtra » « Yiwen wehbib siwa Rebbi » « Ahbib s-nnig Rebbi ulac » « Pas de meilleur ami que Dieu »1. Ces sentences qui déclinent les attributs divins montrent très clairement et nettement l’articulation et la traduction de l’univers induit par le Livre. Dans la société kabyle chants religieux et poésies religieuses réaffirment ces attributs, comme en témoigne les fragments suivants2 : Louange à Vous, Dieu tout-puissant Qui avez crée la lune et le soleil Dieu les a placés dans le firmament : Chacun y brille de son éclat particulier. Homme, n’aie donc aucune crainte : Dieu le compatissant nous est en aide. Louange à Vous, Dieu tout-puissant, Qui créez l’aujourd’hui et le demain Le matin, se lève un beau soleil,

1 Extraits de : Dieu et les attributs Divins. Fichier de Documentation berbère, N°76, 1963, Fort-National. 2 Dieu et les attributs… op.cit.

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Le soir, ce sont des torrents de pluie, Les hommes aux noix sont semblables : L’une est pleine et l’autre, vide. Mère, je vais interrogeant : Qui donc a crée tout cela ? Il a crée d’innombrables montagnes Et les hommes sur la terre. C’est Dieu, n’est-il pas vrai ? C’est sa toute puissance qui a fait tout cela. Dieu, le créateur (al khâliq) du registre canonique est loué dans ces fragments poétiques. Je me le dis souvent : Je ne suis qu’un hypocrite méfiant. Va donc regarder les oiseaux Qui se reproduisent dans leurs œufs : Font-ils comme nous de pénibles labours ? Vont-ils chercher leur orge au marché ? Quand ils ont mangé, ils ont encore du surplus : Grâce à Vous, Dieu débonnaire. Louange à vous Dieu tout puissant, Qui avez crée les petits lézards : Vous les avez placés dans les broussailles enchevêtrées : Ils y trouvent un lit moelleux, Car pour eux, l’épine devient douce : Plus tendre que Dieu ne peut être. Mon cœur, je t’en prie, Suis toujours le chemin que Dieu t’a montré. Regarde les bêtes sauvages dans la campagne : Aucune ne possède de jarres à provisions. Pour nous, la grande préoccupation est le manger ; L’affaire principale, nous la traitons comme une sinécure !1 Ces extraits mettent en perspective l’attribut de Dieu comme pourvoyeur (al razâq). 1 L’affaire principale dont il est question est l’au-delà (al akhîra).

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Dieu est l’unique roi, Il ne peut tomber malade ni mourir. Il crée tout mais n’a pas d’enfants à élever1 Il a ouvert nos yeux à la lumière, Il a indiqué aux hommes la voie à suivre : Fais donc le bien, tant qu’il n’est pas trop tard pour toi. Que celui qui veut admirer la grandeur de Dieu S’arrête à regarder les cultivateurs Chaque parcelle est moissonnée, L’on transporte les gerbes où on les bat, Le tas de blé, ensuite, est mesuré : Dieu seul reste, sans changer. Le Souverain (al mâlik), Le Puissant (al qâdir), L’immuable (al hayyu al qayûm), sont les attributs évoqués ici. Dieu seul est pur : Il n’est sujet ni à maladie ni à la mort. Il a crée le monde entier, d’une lumière étincelante. Le Paradis, tout le monde veut y entrer : N’y entrera que ceux qu’Il voudra admettre. O Roi, qui jamais ne sommeillez, Vous n’avez ni limites ni bornes. Dieu a partagé la terre en chaînes de collines, Il fait tenir le ciel sans faîtage. Réjouissez-nous de vos largesses, Vous qui séparez la nuit et le jour. Louange à Vous, Dieu tout-puissant Qui savez et voyez tout. C’est vous qui dispensez toute largesse, Maître de puissance infinie : Celui que vous voulez élever a pour lui tout le monde ; Celui que vous abandonnez ne pourra jamais s’élever.

1 Ce qui correspond à la formule coranique « Lam yalid walam yûlad » (Sourate al ikhlâs).

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Le généreux (al karîm) Celui qui vient en aide (al mû’în) Le tout puissant (al qâdir) sont les attributs récurrents dans ces extraits. III.4 Présence de l’éthique de la tariqa. Les textes suivants sont des litanies que plusieurs groupes de khwans kabyles psalmodient. Nous les avons recueilli auprès du groupe du village Aït-Mancour (Hasnawa, sud de Tizi-Ouzou). Nous retrouvons les mêmes litanies chez d’autres groupes comme ceux des Aït-Frah (Aït-Irathen). Pièce 1. 1- Louange à toi, Prophète, 2- Messager, au beau regard, 3- Mohammed l’a’râbi1 4- Le Maître(le Seigneur) t’a préféré. 5- Je voudrai que tu me viennes en aide, 6- Le jour où on me passera le linceul. 7- O gens, servez Dieu ! 8- L’âme est en attente du dernier voyage, 9- De ce monde, tous, nous partirons, 10- A chacun, Dieu, a imparti un terme de vie. 11- Le chemin de l’au-delà est des plus fréquenté, 12- Nous le prendrons tous, petits ou grands. 13- La mort quand elle se présente, 14- Ne s’annonce même pas. 15- Celui qu’elle aborde, 16- Ne peut s’y dérober. 17- Le terme de sa vie échu, elle l’emporte 18- Son corps devient rigide, semblable à une planche, 19- Les gens lui rendent une ultime visite, il ne les voit point, 20- Ils viennent présenter leurs condoléances. 21- Le tombeau ne cesse d’engloutir

1 Le terme a’rabi signifie arabe et référe dans l’économie générale de cette litanie aux origines arabes du Prophéte, particulièrement sa tribu et l’Arabie berceau de l’Islam.

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22- Devant la porte est posée la civière. 23- L’ultime départ a lieu à la prière du milieu du jour, 24- Qui sera suivie, nécessairement de celle de la fin du jour1. 25- Restez en paix mes enfants, 26- Dieu en a ainsi décidé. 27- Nous rejoignons la maison que nous n’avons pas construite, 28 -A l’intérieur s’égoutte la pluie, 29- Il y est fait noir, point de protecteur. 30- Elle est fermée de tout côté, 31- On y pénètre sans espoir d’y revenir, 32- Point de frère, ni d’ami qu’il puisse voir, 33- Point d’oreiller, ni de couverture, 34- Triste est l’habitué du confort. 35- Des richesses personne n’emporte rien, 36- Sauf ceux qui emportent le viatique fait de prières et de dhikr2. 37- L’ange de la mort te questionnera 38- Dans la vie quel chemin as tu suivi ? 39- Est-ce celui recommandé par Dieu ? 40- Il t’annoncera la bonne nouvelle, celle de la Miséricorde. 41- Quant à ceux que Satan a corrompus, 42- Ceux là leur sort n’est pas enviable (est difficile). 43- Nous voici marchant sans discernement, 44- La voie de l’Islam est pourtant bien tracée, 45- Le Prophète nous en a fixé les limites (les bornes), 50- Mais nous lui désobéissons et rechignons à la suivre, 51- Ainsi nous ployons sous les péchés. 52- Si nous étions raisonnables, 53- Quiconque a fauté devrait se repentir, 54- Puisque notre destin est de finir dans la tombe !

1 L’enterrement a lieu généralement avant la prière du milieu du jour(Dhohr) sauf le Vendredi où l’ensevelissement a lieu après celle ci. Traditionnellement il faut enterrer les morts avant la prière de l’’aceur, du moins cela est il considéré comme préférable. 3 La tombe. 2 En fait nous sommes dans la droite ligne de l’ascèse confrérique qui considère que le seul service de Dieu est richesse, le reste étant périssable.

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55- Nous devons travailler au triomphe de notre religion (l’Islam), 56- La porte (de la Miséricorde) s’ouvrira devant la Communauté (l’Umma). 57- Dieu est protecteur ! 58- Nous sommes sous ta protection, ô Prophète ! 59- Ne sommes nous pas ta Communauté, peux-tu donc nous renier ? 60- Prenons garde de faire un faux pas sur sa voie ! 61- Détournons-nous du mal, 62- Au Paradis nous accéderons, aux plus hautes cimes, 63- Tous, tel que nous sommes ici présents1. Pièce 2 1- Il n’y a de Dieu qu’Allah 2- Mohammed est son Messager. 3- Il n’y a de Dieu qu’Allah, 4- Il n’y a que lui qui peut nous être cher ! 5- Louange à toi, ô Prophète, 6- O Mohammed, Chef des chefs, 7- Le préféré dans le Monde du Bien, 8- Le préféré d’entre toutes les créatures (de Dieu). 9- Dieu a ordonné aux Anges des cieux, 10- De le louer chaque jour. 11- Prophète, à la douce parole, 12- O Lumineux, 13- Je t’implore par tous les Compagnons, 14- Et les pèlerins de toutes les années, 15- Le jour où on me passera le linceul, 16- Vient moi en protection. 17- Si nous avions la foi, 18- Nous serions tristes pour le Prophète, 19- Il a apporté le Bien, 20- Il a légué des trésors pour sa Communauté. 21- Prière, aumônes et jeûne, 22- Cela comporte beaucoup de mérites. 1 Formule destinée à l’auditoire.

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23- Heureux soient ceux qui l’ont vu1 24- Il a effacé de leur cœur toute méchanceté. 25- Celui qui se présente sans taches (sans fâcheux antécédents), 26- Celui là n’a rien à craindre de la demeure éternelle (la tombe). 27- S’il a suivi la voie de notre Prophète, 28- Il cheminera avec certitude vers le Paradis. 29- Contrairement à nous (qui survivons à ceux qui partent) 30- Nous devrions pleurer jour et nuit, 31- Car nous sommes dans la fin des Temps, 32- Le Bien se fait parcimonieux, 33- Les secret, tous, tendent à disparaître. 34- Le cœur du croyant est blessé 35- Les gens sortent du droit chemin, 36- Ils se détournent de la Tradition du Prophète. 37- N’ai pas apprécié, 38- Celui qui parle de la prière et du jeûne. 39- S’ils persistent dans cette voie, 40- La fin du monde n’est pas loin. 41- Ceux qui ont rejoint l’au-delà sont mieux lotis, 42- Eux qui sont partis de bon matin (ou au bon moment)2, 43- De toutes ces épreuves ils sont dispensés, 44- Point de soucis à ce sujet. 45- Tout ce qu’ont fait les générations passées, 46- Nous autres, vivants, nous en payons le prix. 48- Du temps où les choses étaient en bonne place (ou en bon ordre), 49- Les gens se comportaient avec mesure, 50- Obéissant à père et mère. 51- Aujourd’hui, pauvres parents ! 52- Nul n’a autorité sur sa progéniture. 53- Dieu l’a pourtant proclamé dans le Coran, 1 Ce passage pose problème dans la mesure où il est fait référence au Prophète. Il est possible de penser, sur la foi des témoignages de khwans, que dans l’économie de cette litanie, « ceux qui l’ont vu » en songe ou par leur ascèse ont atteint un tel degré qu’ils aient pu se l’imaginer. 2 Comprendre qui se sont ainsi épargnés cette corruption du monde.

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54- Malheur à qui désobéirait à son père, 55- Et à sa mère qui l’ont élevé. 56- Si seulement l’on mesurait ce que cela appelle en retour, 57- Triste serait le contrevenant (ou le désobéissant), 58- Car il traîne une lourde dette. 59- Dans son jeune âge, 60- Ils ont veillé sur lui avec bonté, 61- Lui prodiguant les meilleures choses, 62- Pour qu’il grandisse et devienne un homme. 63- Une fois adulte et paré contre les contraintes de la vie, 64- Il dédaigne leurs paroles. 65- Sait-il que sept épreuves l’attendent ? 66- A chacune il aura à rendre un compte ! 67- Des cinq fondements de l’Islam, 68- La profession de foi est la plus essentielle, 69- Quant aux parents et aux voisins, 70- Le Prophète en a instamment recommandé le respect. 71- O croyants, les temps sont révolus, 72- Où la piété reposait sur de bonnes bases : 73- Des écoles coraniques partout ! 74- Des tolbas au nombre des hirondelles ! 75- Même les oliveraies 76- Rendaient chaque année (une récolte) ! 77- Chaque cheikh avait ses adeptes, 78- Formant une halqa deux fois par jour ! 79- Les maîtres qui initient des adeptes, 80- Ont brisé les reins de Satan. 81- Les savants se comptent comme les étoiles (sont en grand nombre) 82- Ont le Prophète dans leur cœur, 83- Gloire au Seigneur qui nous tient sous son regard, 84- Dont le pouvoir n’est partagé avec personne, 85- Maître à la puissance infinie, 86- Qui tient les cieux sans faîtage, 87- Au Paradis fait-nous une place, 88- Accorde ta Miséricorde à tous ceux qui sont présents ici.

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Au centre de ces litanies, Dieu et le Prophète qui sont loués et décrits en des termes empruntés au registre universel du Livre. Ensuite vient la réaffirmation de la akhîra, l’au-delà, comme vraie vie, celle que le croyant doit, de son vivant, se préparer à affronter en s’armant d’un viatique religieux: prière, jeûne, aumône, droiture, bref de ce qui représente le chemin de Dieu. En périphérie de ces thématiques les khwans construisent et ajustent leur production à la fois à la situation dans laquelle ils se produisent1, mais aussi à la conjoncture sociale du moment. Ici le rappel de la dernière demeure, dans ses détails les plus morbides, a une fonction exhortative pour l’auditoire, à savoir inciter les gens à relativiser le monde si corrupteur d’ici bas « puisque il va falloir partir inévitablement » vers ce qui est la « vraie vie ». En même temps sont mis en perspective la décadence des mœurs et de la foi. En choisissant le thème du devoir envers les parents, les khwans, ciblent ce qui dans la société kabyle est considéré comme le signe (le plus mauvais) des changements en cours à savoir la mutation du rapport à l’autorité agnatique en particulier2. Toutefois ce rappel est dûment légitimé par le recours à la parole divine et au Coran. L’intrication transparaît clairement et il est difficile de dire très nettement qui de l’impératif (social) de sauvegarde de l’ordre social ou de la prescription religieuse constitue le point de départ dans l’élaboration de ce passage du corpus. En appelant à la restauration de l’autorité des parents de cette manière, les khwans jouent sur les deux registres à la fois. En même temps cet exemple permet de comprendre ce que nous affirmions plus haut : la religion n’est pas représentée au dessus ou à côté des gens, comme quelque chose de bien singularisée et qui demande à être traduite en ordre social. Elle est intriquée dans cet ordre social à tel point que la dégradation de ce dernier

1 Cérémonies religieuses liées aux passages, fêtes religieuses, ziaras et pèlerinages aux saints locaux, rassemblements d’adeptes… 2 Y.Nacib. op.cit. p 62 souligne à juste titre que « L’ambition politique elle-même (celle du Khawni) confine à la défense de la collectivité agnatique ».

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entraîne, dans cette représentation, l’altération de la religion et inversement. Dans ce corpus, les khwans, évoquent le déficit de piété dans la société kabyle, en rappelant une sorte d’âge d’or où il y avait « des écoles coraniques partout », où « chaque cheikh avait ses adeptes »…. On notera qu’au passage cet âge d’or est articulé à la prospérité puisque en ce temps « même les oliveraies rendaient une récolte chaque année ». Dans sa simplicité ce langage est très analogique. Ce sont, en contrepoint, les temps de crise récents que cible cette litanie très prisée et partagée par de nombreux groupes de khwans kabyles et leurs auditoires. Il faut, en effet, s’imaginer que dans la conjoncture actuelle, ces litanies ont quelque chance de captiver ces auditoires, d’autant que, dans le contexte émotif dans lequel elles sont généralement consommées, ces litanies raccrochent à une nostalgie du pays ante et donc à un repère dans une situation de mutations et d’affrontements. Nous ne pensons pas, au regard de nos observations, que le discours ainsi délivré fonctionne comme un discours religieux stricto sensu, mais comme une parole totale et englobante. Enfin en écoutant ces khwans, et en observant leur capacité attractive dans les cérémonies religieuses dans la Kabylie actuelle, l’on ne peut s’empêcher de se poser les questions suivantes: comment donc, dans un contexte de restauration religieuse telle que prônée par les islamistes, ces khwans peuvent-ils stigmatiser le manque de ferveur des croyants ? Pourquoi leurs auditoires acquiescent ou en tout cas montrent beaucoup de compassion ? La réponse à ces questions nous paraît en partie avancée plus haut. En effet cet agent religieux du cru n’est pas dans une posture d’injonction, il est suffisamment en phase avec le terroir et la communauté villageoise et n’a pas de prétention à imposer un nouvel ordre social à partir d’une lecture du dogme religieux. Sa grande ambition est de se consacrer à Dieu et d’inciter à le faire sans ébranler l’ordre des choses, même si par ailleurs dans sa logique religieuse, cet ordre est tenu pour « faux ».

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Sans doute, l’intérêt qu’il suscite encore dans la société kabyle tient au fait que son message, simple et accessible, ne postule pas à un pouvoir ou à une contrainte sur les corps mais à une thérapie spirituelle qui n’entend pas ébranler le corps social. Il faut dire aussi que dans le tumulte de la fin du 20ème siècle, à la perplexité qui a suivi les premières manifestations de violence au nom de la religion (l’Islam), des interrogations et des quêtes de repères pour résister ont surgi dans la société. Comme la nostalgie lancinante exprimée par les khwans dans la litanie citée plus haut, les croyants se sont, de notre point de vue, retournés vers « ces humbles clair chantants » pour se réassurer quant à leurs repères religieux légués par les générations, mais surtout comme eux relativiser (et donc gérer) le tumulte de ce monde si périssable. Ce serait une sorte de catharsis qui explique le regain d’intérêt pour une pratique religieuse, qu’un grand nombre de personnes ne savent pas remettre dans son vrai contexte (la confrérie), et qui reprend de la visibilité. Pour clore ce chapitre, et souligner davantage la présence de l’éthique confrérique dans la société kabyle, nous proposons les extraits poétiques suivants1 que l’on peut rapprocher des principes de la Glose de la Rahmaniya quand ils n’en sont pas très directement une traduction. Le monde est semblable en sa racine, au genêt, Qui fleurit sur des épines, Il déçoit ceux qui le suivent, Et les mènent aux précipices. A la fin, ils découvrent son poison, Et se repentent, à condition qu’ils en trouvent le temps. Je compare le monde à un maquis brûlé Celui qui s’y engage s’y salit Il brille, étincelle,

2 A partir de : Extraits du Folklore lyrique. Vues sur l’au-delà. Fichier de documentation berbère, N°74, 1962.

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Nous le poursuivons sans jamais l’atteindre ; Il nous fascine et nous ne voulons pas avouer notre dégoût. Le monde a une toiture démolie Et des fissures dans tous les coins. Combien de ses partisans n’a t-il pas déçus, Après qu’ils aient perdu la tête les uns après les autres. Tous ceux qui ont suivi ses conseils Sont en train de se perdre. Dieu te maudisses, ô monde, qui te gausses de tes dévots ! Le vieillard, blanc comme toison, ne songe qu’à repousser les limites de ses champs1. Il croit avoir du temps devant lui : le soleil se couche, c’est le soir. Comment donc m’y prendre avec ce monde qui, tous les jours, se débat contre moi ? Il est semblable au sanglier dans les fourrés ou au bœuf non dressé quand on l’attelle à la charrue. Seigneur, mets lui donc un mors : la bride ne peut plus le retenir. Nous obéissons à nos passions, Et faisons tout ce qu’elles veulent. Nous passons par où elles nous font passer, Même si elle nous conduise à l’écueil : Elles n’ont pas souci du soir de notre vie Du dernier jour où nous atteindrons la tombe. Il est de toi, mon cœur, Comme de celui qui se lance dans le commerce. Il met sa confiance en Dieu, Dans le succès comme dans l’adversité. Qui donc est aimé de Dieu ? Celui qui patiente dans les privations. Mon cœur patiente : 1 Comprendre qui ne songe qu’à s’enrichir.

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C’est la volonté de Dieu : accepte-la. C’est lui qui détermine toute chose : A Lui appartiennent tous les trésors. Toute nuit est suivie de l’aurore : Le jour finit toujours par se lever. Mon cœur, ce qui te répugne, c’est ce qui est défendu : Fuis, écarte-toi. Le droit des autres a de dures exigences : Il pèsera lourd dans la balance. Au jour du Jugement dernier, il faudra restituer le bien d’autrui. Et vous, les voleurs, Qui portez une pince-monseigneur à la ceinture, Vous emportez le bien d’autrui, Votre main ne s’en éloigne pas. Pauvreté sera votre sort ici-bas, Un trou sera votre éternité.

CHAPITRE IV La zawiya de Seddouq à la veille de l’insurrection de

1871.

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IV.1 Biographie sommaire du cheikh Améziane El Haddad1. Selon Aziz El Haddad2 sa famille est originaire des Beni Mansour. Un membre de cette famille est venu, à une époque non déterminée, s’installer à Seddouq ou Fella. De père en fils les El Haddad se sont consacrés au travail du fer d’où leur nom (Ihaddaden). C’est le père du cheikh Améziane, Ali Ben Mohamed El Haddad, qui, le premier, embrasse une vocation religieuse active en ouvrant une école coranique à Seddouq. C’est dans cette école que le futur cheikh de la Rahmaniya commence son apprentissage. Ce dernier est complété par un séjour dans une zawiya de la Kabylie du Djurdjura qui a formé aussi le fondateur de la Rahmaniya. Il s’agit de celle du cheikh Seddik Arab (Aït Irathen). A l’issue de ce cycle supérieur d’apprentissage du savoir coranique, cheikh Améziane s’affilie à la Rahmaniya en prenant le mitâq auprès du cheikh Ben Aïssa qui dirigeait alors toute la Rahamniya kabyle3. Améziane El Haddad rejoint ensuite Seddouq. L’école coranique dirigée par son père périclite. Ses tolbas rejoignent une école concurrente placée sous le magister de l’imam du village de Seddouq. Le père du cheikh El Haddad est en effet très âgé et n’arrive donc plus à assurer sa fonction. C’est à Améziane qu’échoît la tâche de poursuivre la mission de son père. Ses quatre frères pour leur part demeurent attachés au métier ancestral de travail du fer.

1 Les données concernant la famille du cheikh Améziane et sa formation sont pour l’essentiel tiré de Aziz Ibn Mohamed El Haddad. Mémoire d’un accusé. Constantine, 1873. pp77-85. Il s’agit du document écrit par Aziz El Haddad pour sa défense devant le tribunal de Constantine. 2 Mémoire op .cit. 3 En l’absence de données précise il faut penser que cette affiliation est prise vers 1840 ou un peu avant dans la mesure où cheikh Aïssa meurt en 1843.

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Une zawiya prend forme et se développe très vite. En 1860, elle devient la zawiya dirigeante de la tariqa Rahmaniya pour toute la Kabylie avec des ramifications non négligeables dans les Babors, le Sétifois mais aussi dans certaines régions de l’est algérien. La zawiya de Seddouq dispose sous son autorité directe de 2000 khwans et enseigne annuellement à 200 tolbas. Plus de 500 khwans de la Rahmaniya transitent annuellement à Seddouq pour des visites au cheikh. Ils y sont nourris et hébergés1. De plus comme beaucoup de zawiyas, celle de Seddouq intervient pour assurer des fonctions caritatives. C’est le cas lors des disettes de 1867-68. La fortune de la famille El Haddad n’est pas évaluée avec précision. Elle semble être relativement importante si on se fie aux écrits de prison de Aziz El Haddad. Ainsi dans une lettre adressée de son lieu de détention aux autorités d’occupation il écrit au sujet de la fortune paternelle : « Sa fortune était énorme, ses biens immense et cette fortune il la devait particulièrement à sa vie laborieuse, économe, nullement à des exactions »2. Charles Robert Ageron estime pour sa part la fortune des El Haddad en 1871à 200 000 francs de l’époque. Ce qui peut être considéré comme une situation de fortune relativement aisée dans le contexte de l’époque. Quant à la zawiya de Seddouq son fonctionnement est financé par les contributions des tolbas (droit d’entrée estimé à 10 francs)3, les oboles des khwans, et une contribution sur deniers personnels du cheikh Améziane El Haddad. En somme la zawiya dirigeante de la Rahmaniya kabyle n’est pas dépeinte comme un établissement opulent. Il est suffisamment à l’aise cependant pour assurer ses missions

1 Aziz Ibn Mohamed. Mémoire op.cit. pp77-85. 2 Aziz El Haddad. Lettre de prison adressée à Mac Mahon-Duc de Magenta- Président de la République française. Juin 1874, copie de la traduction. In Archives d’Outre-mer, Aix-en-Provence, série 16H cartons 62-64. 3 Soit 2 000 frs si on estime le nombre de tolbas à 200 leur nombre moyen au cours des années 1860-1870 ;

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d’enseignement, d’intervention caritative, et de direction de l’une des branches les plus puissantes de la tariqa Rahmaniya. En revanche la personnalité du Cheikh El Haddad apparaît sous des traits emprunts d’une certaine austérité et d’un rigorisme servis par ailleurs par un charisme que seul une forte personnalité comme Cheikh Mohand El Hocine a pu mettre en difficulté. Ce qui veut dire, en d’autres termes, que la direction unitaire de la Rahmaniya kabyle doit beaucoup à la figure charismatique du Cheikh El Haddad. Cheikh Améziane El Haddad est une personnalité hostile aux Djouads1 mais aussi aux grands dignitaires tels les Ben Ali Chérif dans la vallée de l’Oued Sahel. A. Rambaud donne cette description du cheikh : « khouan et fils du peuple, il n’avait que de la défiance pour l’aristocratie, dévot convaincu, il méprisait ces hommes qui entendaient servir la parole de Dieu à des intérêts profanes »2. Un texte du cheikh El Haddad conforte ses traits rigoristes. En effet évaluant les pratiques religieuses il dresse un sévère constat : «…nous avons pu constater, écrit-il, d’après les nouvelles qui nous parviennent de divers pays et contrées, que les gens prétendent être musulmans, mais, en réalité, ils ne font pas la prière, n’observent pas le jeûne, ne s’acquittent pas de la zakat, ne font plus le pèlerinage à la Mecque tout en ayant les moyens et ne croient pas en Dieu et son Prophète »3. Ce constat se poursuit pour toucher les pratiques rituelles qui semblent selon cheikh El Haddad connaître un fâcheux relâchement puisque les croyants dérogent aux règles prescrites. Ainsi écrit-t-il : « quand ils font la prière ils ne remplissent pas tous les rites ; c’est ainsi qu’à l’occasion de la 1 Djouad, Ijuwaden : il s’agit de cette aristocratie guerrière qui dispose traditionnellement d’une autorité politique sur des territoires relativement important. Turcs et Français se sont attachés leurs services pour administrer les populations. Cela est valable en particulier pendant toute la période d’administration militaire soit jusqu’à 1871 ; 2 Alfred Rambaud. L’insurrection de 1871. Etude sociale et religieuse à prpos d’une publication récente. Paris, 1891, p 37. 3 Texte publié grâce à Cheikh El Mehdi Bouabdallah, Muphti d’El Asnam. In Revue d’Histoire du Maghreb, n°1, janvier, 1966, pp91-94.

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purification et des ablutions, on les voit simulant à la dérobée les gestes rituels ». Ces propos dressent incontestablement le profil d’un réformateur religieux, et c’est sans doute dans cet esprit qu’il dirige la Rahmaniya. En effet, son évaluation de la pratique des « porteurs du Coran » conforte le pré- réformisme dont il est porteur. Cette élite religieuse, à laquelle il dénie le droit au monopole sur les affaires religieuses et la vie religieuse, est pratiquement dénoncée par le chef de la Rahmaniya Kabyle notamment pour leur méthode de transmission du savoir coranique qui encouragent « les gens à apprendre les versets par cœur sans pour autant se soucier de leur faire comprendre le sens ». Soixante ans plus tard, les réformistes répéteront le même reproche et fonderont toute leur stratégie éducative sur précisément la dénonciation des méthodes traditionnelles des écoles coraniques. Ces personnalités religieuses écrit, avec réprobation, cheikh El Haddad « prétendent être les seuls dépositaires du Livre sacré, qu’ils ont par conséquent des élus de Dieu et qu’il n’y a pas de mal à ce qu’ils mènent un mode de vie contraire à l’Islam, dés lors qu’ils ont appris le coran par cœur ». Enfin les tenants du pouvoir politique dans les pays musulmans sont de façon incisive classés par le chef de la Rahmaniya comme les « promoteurs de l’hérésie ». Ce sont très précisément «surtout les dignitaires, les gouverneurs, les cadres, et préfets des divers pays et régions de l’Islam ». Cheikh Améziane El Haddad, représente, aux yeux des autorités d’occupation, une personnalité « dangereuse » au regard d’une popularité qui monte en puissance au tournant des années 1860. De plus son profil n’est pas celui d’un notable religieux mais d’une personnalité religieuse populaire, qui, de plus, est à la tête d’une tariqa que le contrôle politico-militaire n’a pas cassé. Dans l’entourage du cheikh el Haddad un de ses fils, Aziz, exerce une influence et aussi une autorité sur la zawiya de Seddouq. Il faut noter que cheikh El Haddad est assez âgé (75 ans environ en 1860).

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Aziz El Haddad, s’illustre par des ambitions politiques entre 1865-et 1869 qui s’expriment notamment par la revendication du caïdat des ‘Amoucha qu’il obtient. Ses fréquentations des officiers du cercle de Sétif et de Bougie1, paraissent dissonantes par rapport à la personnalité de son père dont l’aversion est clairement affichée à l’endroit des gouvernants. Mais il faut replacer la trajectoire de Aziz El Haddad dans la conjoncture locale à savoir celle de la région d’Akbou où l’autorité politique des Ben Ali Cherif a constamment représenté un obstacle et parfois une menace sur le centre directeur de la Rahmaniya. La rivalité entre la zawiya de Seddouq et celle de Chellata est un puissant révélateur à la fois des contraintes vécues par la première citée et des mécanismes de la domination politique française qui devient à la veille de 1871 insupportable pour elle. Cela n’explique pas tout l’engagement de la Rahmaniya de Seddouq dans le mouvement insurrectionnel. Cette rivalité et la manière dont elle est vécue par les El Haddad apparaissent cependant comme un argument important pour la prise de décision en avril 1871.Souvent passé sous silence dans l’histoire de l’insurrection de 1871, ce conflit local mérite d’être évoqué pour éclairer aussi l’histoire de la zawiya dirigeante des Rahmaniya dans les années 1860-1870. IV.2 La montée en puissance de la zawiya Rahmaniya de Seddouq : 1860-1871. Au tournant des années 1860 les activités des moqqadems de la tariqa Rahmaniya sont d’une densité remarquable. Les représentants de cette confrérie se déplacent souvent vers Seddouq. En 1861 une série de rapports militaires expriment une forte appréhension devant une popularité de plus en plus marquée du cheikh Améziane El Haddad. Ce qui déclenche une mise sous surveillance des faits

1 Annie-Rey Goldzeigher. Le royaume arabe. Alger, Sned, 1977, p 293.

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et gestes du cheikh et de ses moqadems de Kabylie1. Les militaires de la subdivision de Sétif connaissent « depuis longtemps » son hostilité à la domination française2 et multiplient les rapports à son sujet. Sur cette base le Gouverneur général de l’Algérie suggère au commandant de la Division de Constantine d’envisager l’expulsion du cheikh El Haddad et de sa famille d’Algérie3. La réponse du Commandant de la division de Constantine tout en étant d’une grande prudence indique précisément le poids politico-religieux du chef de la Rahmaniya et l’envergure de la tariqa. En effet la réponse est ainsi libellée : « Quelque soient les inconvénients que présente aujourd’hui la position du cheikh El Haddad, je les crois moins grands que ceux qui résulteraient à le faire expulser lui et sa famille » et le Commandant de la division de Constantine relève que le chef de la Rahmaniya «…affilie chaque jour à l’ordre de Sidi Abderahmane Bou Qobrine, de nombreux khouans. Son influence s’étend et grandit chaque jour, elle effacera si elle l’a fait déjà celle de Si Ben Ali Cherif…»4. La zawiya de Chellata perd de plus en plus d’influence au profit des Rahmaniya de Seddouq. L’autorité militaire s’inquiète de ce renversement progressif des rapports de force au profit du cheikh El Haddad qui « peut devenir un danger dans l’avenir »5. Dés lors la stratégie des autorités militaires consistera à faire contrôler la zawiya de Seddouq en l’englobant dans la circonscription de Ben Ali Cherif. Ce dernier se déclare disponible pour neutraliser Cheikh El Haddad s’il manifeste « une velléité de mêler la religion à la politique »6.

1 Note de la subdivision militaire de Sétif, n°133, du 31 Mars 1861. A.O.M. Aix En Provence 16H62-64. 2 Ibid. 3 Lettre du Gouverneur Général au Commandant de la Division de Constantine du 22 Mars 1861, A.O.M. 16H62. 4 Note du 4 avril 1861. A.O.M. 16H62-64. 5 Note confidentielle du chef de la Subdivision militaire de Sétif adressée au commandant de la Division de Constantine datée du 31 Mars 1861, n°41, A .O.M. 16H62-64. 6 Ibid.

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En fait au début des années 1860 une ébullition religieuse et politique est perceptible à laquelle contribue l’activisme des moqqadems et khwans de la Rahmaniya. Au cours des années 1860-1861 circulent dans l’ensemble de la Kabylie des proclamations religieuses exhortant les musulmans à faire preuve de plus de ferveur religieuse1. Cette ébullition est constatée pratiquement à travers une grande partie de l’Algérie. Les turuq recrutent, selon les observateurs, de façon très intensive et semblent atteindre un point culminant dans leur popularité. L’insurrection de 1864 encadrée par les Ouled Sidi Cheikh dans le sud-ouest du pays donne plus de force et d’exemplarité à l’ensemble de l’encadrement religieux et politique au point où Lapasset écrit « Nous n’avions jamais vu dans nos villes, sous nos gourbis ou sous la tente tant de gens se livrant à l’égrenage du chapelet que dans les deux ou trois dernières années avant l’insurrection2; Les Vieux turcs eux-mêmes donnaient tout leur temps à cette pratique »3. Si, de façon générale les Algériens reçoivent et amplifient les informations en provenance du monde musulman bouleversé et révolté par les massacres de Damas, les facteurs endogènes liés au contexte de la colonisation et aux résistances récurrentes favorisent le regain de mobilisation par le biais des confréries qui représentent la valeur refuge essentielle et le seul cadre encore debout capable d’opérer sur des échelles et des réseaux de large spectre. En Kabylie outre une tension persistante dans les tribus, l’aura du cheikh El Haddad et sa popularité progresse considérablement et déborde même sur Alger comme le souligne Warnier : «…la réputation du cheikh El Haddad a pris à Alger depuis quelque temps une consistance telle qu’il n’est question dans certaines réunions de musulmans que de ses actes et prodigues »4. 1 Ces proclamations dont on peut lire le contenu proviennent selon leur libellé de la Mecque et ramenées par des pèlerins kabyles. Voir les textes in A.O.M. 16H1. 2 Celle de 1864. ; 3 Anie-Rey Goldeigher. Op. cit. p.281. 4 Note du 8 octobre 1870.

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Cependant, cette période de montée en puissance de la zawiya Rahmaniya de Seddouq n’est pas du tout une ascension tranquille. Les autorités administratives et militaires françaises, inquiètes d’une expansion de la tariqa, multiplient les mises en garde et les plans visant à neutraliser ce pôle de commandement de la Rahmniya. D’un autre coté, dans la région d’Akbou la grande zawiya des Ben Ali Cherif de réputation établie n’a jamais caché son hostilité à la Rahmaniya qui risque de grignoter sur sa zone d’influence politique et religieuse. A la veille de l’insurrection de 1871, les relations entre les deux zawiyas sont au fait d’une tension qui a jalonné toute la décennie 1860. Si l’engagement de la zawiya de Seddouq dans le mouvement insurrectionnel de 1871 n’est pas forcément lié aux altercations récurrentes avec sa voisine de Chellata, il n’en demeure pas moins que des éléments de ce conflit jouent comme autant d’incitateurs à la révolte. Car en effet, la lecture attentive de ce conflit témoigne à la fois des compétitions religieuses en cours au 19éme siècle et des stratégies d’instrumentalisation tentées par les autorités militaires de l’époque pour réduire l’un des adversaires et compromettre l’autre aux yeux de ses compatriotes. C’est en cela qu’il paraît utile de faire le point sur cette question, d’autant plus que Mohamed El Mokrani, Bachagha de la Medjana voisine, fut aussi d’une certaine façon témoin et médiateur entre Cheikh El Haddad et Ben Ali Chérif. Enfin l’histoire sociale et religieuse algérienne n’a pas toujours accordé une place à ce type de question jugée sans doute périphérique par rapport à la question de la résistance à la colonisation. IV.3 Les relations entre les chefs algériens à la veille de l’insurrection de 1871. IV.3.1 La zawiya d’Ichellathen et les Ben Ali Cherif. La zawiya d’Ichellathen est située à 12kms de la localité d’Akbou, sur le versant ouest de la haute vallée de la

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Soummam. Sa fondation date de 1700 par une personnalité religieuse : Si Mohammed Ben Ali Cherif. Selon la généalogie revendiquée par la famille Ben Ali Cherif, elle appartiendrait à la descendance du Sharif marocain Abdeslam Ibn Machich lui-même descendant du saint Sidi Boumediene1. L’érudition des Ben Ali Cherif en matière d’enseignement et de connaissances religieuses leur permet d’ouvrir et d’entretenir une zawiya qui a acquis une réelle autorité et une grande envergure dans toute la région de la Soummam-Sahel et la région d’Akbou - Bédjaïa. C’est ce pôle d’enseignement que nous découvrons dans les travaux ethnographiques du 19ème siècle. Ainsi en 1860, la zawiya est une « véritable société religieuse » qui « présente un spectacle digne à tous égards de l’attention des peuples civilisés : accroupis sur les tombeaux ou assis à flots pressés dans les salles qui en forment l’enceinte, six cents jeunes gens étudiaient ou psalmodiaient les versets du Coran. Quelques uns sont venus des bords de l’Altlantique, des villes du Maroc. D’autres du Sahara tunisien »2. Le fondateur de la zawiya dispose donc d’un prestige lié à son érudition. Celle-ci sera aussi un aspect saillant chez son fils, Mohammed Ali Cherif, dont la formation religieuse est d’une qualité qui « fait mémoire dans las annales du Maghreb »3 embrassant des domaines variés de la connaissance comme les mathématiques, la cosmologie, la littérature et le droit. M et E Gouvion notent à ce sujet : « lettres, sciences, arts lui sont familiers. Il lit le coran passionnément, commente les Hadiths, excelle dans l’explication de Sidi-Khelil et possède parfaitement le Mawerdi »4.

1 Selon les données rapportées par : Enquête sur les confréries religieuses algériennes. 1955, archives d’Outre Mer, Aix en Provence, 16H73. 2 Aucapitaine. La zaouia de Chellata.Excursion chez les zouaouas de la Haute6Kabylie. Paris, Challamel, 1860. p.22. 3 Marthe et Edmon Gouvion. Kitâb a’yane el maâriba. Alger, Imprimerie Orientale, 1920, pp20-38 ; 4 Ibid. p 22.

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Ces domaines du savoir sont enseignés au sein de la Zawiya d’Ichellathen mais aussi de son établissement annexe d’Akbou. Il faut ajouter à une autorité religieuse fortement légitimée par sa fonction enseignante de niveau très respectable, un poids politique acquis sous les turcs. En effet les Ben Ali Cherif ont entretenu une franche proximité avec les turcs et ont contribué à la réalisation de certaines opérations militaires. Ils ont surtout servis d’intermédiaires dans la collecte des impôts au sein des tribus insoumises1. Donc très tôt la zawiya d’Ichellathen exerce à la fois une grande autorité morale et religieuse et un contrôle politique sur la région d’Akbou principalement mais au-delà aussi jusqu’à Bédjaïa. L’avènement de la Rahmaniya et la montée en puissance de Seddouq à la fin des années 1850 contrarient sérieusement cette position dominante. Il faut en plus noter que les sources accessibles et connues n’indiquent aucune affiliation de la zawiya d’Ichellathen à une tariqa2. En 1860, alors que la zawiya de Seddouq prend le commandement de la Rahmaniya Kabyle, celle d’Ichellathen, offre le profil d’un pôle religieux d’une envergure remarquable : entre 500 à 800 tolbas et elle accueille en moyenne dans l’année 4 à 5 OOO voyageurs dont souvent des commerçants3. Les plus riches commerçants d’entre eux forment le plus grand nombre. Les ressources de la zawiya sont considérables. Le droit d’entrée des tolbas s’élève à 10-12 Francs par an. La récolte des oboles est scrupuleusement organisée. Ce sont les moins lettrés des familles religieuses d’Ichellaten qui battent les contrées en quête de dons : "chaque frère quêteur part muni d’une lettre portant le cachet du cheikh, sa circonscription est

1 Ibid ; Voir aussi Fatima Iberaken. Deux tribus de la vallée de la Soummam. Les Aït Aïdel et les Aït Abbés. 1842-1900. Maïtrise d’histoire, Paris I, 1998. 2 Sauf André Pierre (Général). Contribution à l’étude des confréries religieuses algériennes. Alger, Maison du Livre, 1956. L’auteur fait allusion à une affiliation à la Qadiriya sans que nous ayons d’autres éléments permettant de confirmer cela. 3 A. Rambaud. L’insurrection de 1871. Etude sociale et religieuse à propos d’une publication récente. 1891. p.37.

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déterminée d’avance et partout le porteur de la bénédiction du cheikh (barakat-ech-cheikh) est bien accueilli1. Ces ressources servent aux œuvres de bienfaisance de l’établissement. Cependant un assez large excédent s’en dégage au profit des Ben Ali Chérif2. Le chef de la zawiya en 1847 est le jeune Si Mohamed Saïd Ben Ali Chérif (25 ans). Il entretient d’excellents rapports avec les Djouad. El Hadj Mohamed El Mokrani est l’un de ses meilleurs amis. El Hadj Ahmed Bou Akkaz3, de la puissante famille des Oulad Achour, grand cheikh du Ferdjioua, est son gendre. Les liens entre ces personnalités sont empreints d’une courtoisie « toute aristocratique ». Cela se concrétise par un échange de présents rares. Ceux du chef d’Ichellaten « consistent en peaux et œufs d’Autruche, en dépouilles d’animaux féroces, cadeaux toujours recherchés et vénérés »4. En 1851, puis en 1871, la zawiya est prise à partie par les insurgés algériens5. Mais elle surmonte l’épreuve. Au 20éme siècle elle garde son autorité dans la région, ainsi qu’une importante fortune foncière (le célèbre Djenan Ben Ali Cherif). De père en fils les Ben Ali Chérif constituent des intermédiaires écoutés par l’administration française. En 1914-1918, le Bachagha si Mohamed Ben Ali chérif finance de ses deniers un goum pour l’envoyer sur le front. Il « maintient efficacement la tranquillité dans la région »lors des évènements du 8 Mai à Setif. A la même époque la famille compte un député, un Agha et un délégué financier. L’établissement d’Ichellaten patronne en Kabylie des zawiyas dont la plus célèbre est celle de Sidi Abderahmane El Yellouli (douar Illoula - Haut Sébaou). Un certain nombre de personnalités religieuses dont Si Ali Ben Hamlaoui (Rahmaniya d’Ain El Eurs) et Bachir El Ibrahimi de l’Association des

1 Au capitaine… op. cit. p.34. 2 A. Rambaud... op. cit. p.30. 3 Voir sa biographie in A. R. Goldzeigher… op. Cit. P. 758. 4 Au capitaine… op. cit. 5 Voir plus loin. 3 Rapport S.L.N.A-1955-16 H 73-A.OM.

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oulémas réformistes, ont suivi la formation de la zawiya d’Ichellaten3. Le personnage qui nous intéresse pour la période de 1860-1870 est Si Saïd Ben Ali Chérif. La renommée de l’établissement d’Ichellaten et la légitimité religieuse de ses propriétaires sont, deux facteurs dont Si Saïd tire son autorité. Mais, ils ne sont pas suffisants. Ben Ali Chérif est surtout une forte personnalité politique dans la région. Si Saïd Ben Ali Cherif écrit Robin, doit son influence «…à ses relations avec nos grands chefs militaires. Lorsqu’une colonne opérait dans le pays on le voyait arriver pour intervenir dans les mesures de répression et réorganisation, et c’est là surtout ce qui lui formait une clientèle chez les kabyles »1. C’est donc une continuité du rôle politique qu’exerce cette famille déjà sous les turcs. C’est en Mai 1847 lors de la prise d’Akbou, qu’il se présente à Bugeaud. Ce dernier lui offre un commandement dans l’Oued Sahel. Si Saïd refuse. L’exercice actif d’un tel mandat est selon lui incompatible avec son statut d’homme religieux. En revanche, il se montre disposé à choisir pour l’administration française des auxiliaires dans les tribus qui lui sont soumises. Il accepte cependant la charge de Caïd d’un groupe de tribus comprenant les Illoula, Ait Aidel et Ouazzelaguen. En 1849, sur propositions du gouverneur général Charon, il est de nouveau sollicité pour assumer un commandement. Si Saïd ne veut pas dépendre de l’autorité administrative et être en quelque sorte son faire-valoir : « accepter un commandement c’était accepter de se faire l’exécuteur de l’autorité française accepter une subordination et la responsabilité de l’ordre et de la police des tribus, s’exposer à des observations, des remontrances »2. Son ambition est autre, offrir certes ses services, mais demeurer indépendant et traiter « d’égal à égal » avec les

1 N. Robin. L’insurrection de la Grande Kabylie en 1871.p. 557. 2 N. Robin... op. cit. p. 547.

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officiers. C’est l’attitude d’un grand chef algérien conscient de sa puissance. Les militaires français en ont une appréciation plutôt mitigée : « instable, sans énergie, ni caractère » et « prompt à s’exalter et dans ses moments d’exaltation il entreprendra tout sans réflexion…». Mais estiment-ils, il « change d’avis dix fois par jour »1. Son habitude de faire fi de toute hiérarchie et de « frapper à toutes les portes » ne va pas sans déplaire à l’administration2. Cette dernière préfère cependant ménager les susceptibilités de cette personnalité car, explique Charon, il « est sans contredit, le point le plus solide sur le quel Aumale3 puisse s’appuyer pour étendre son influence dans le bas de l’oued Sahel et vers le Djurdjura »4. En 1869, Si Saïd Ben Ali Cherif devient Bachagha. Le personnage, et ce qu’il représente comme poids politique, est incontestablement une menace pour la zawiya-mère Rahmaniya voisine. On comprend aussi pourquoi les Ben Ali Cherif s’en prennent à une institution qui prétend exercer son autorité religieuse sur son territoire. Le vieux cheikh El Haddad par sa personnalité essentiellement religieuse se forge un charisme qui contraste avec l’autorité essentiellement politique de Si Saïd. Toutefois, comme nous allons le voir, la cible des Ben Ali Cherif est principalement Aziz El Haddad qui, comme nous l’avons suggéré plus haut, représente si l’on peut dire l’homme politique de Seddouq. En tout cas Aziz El Haddad est plus enclin que son père à se jeter dans une franche compétition politique qui par ricochet semble protéger aussi la zawiya de Seddouq. 1 Lettre du colonel d’Aurelles du 26 mai 1851-in Robin op. cit. p. 554. 2 Lettre du général Charon – gouverneur général au chef de la division d’Alger-8 Oct. 1850-in Robin… op. cit. p. 549. 3 Il s’agit de la subdivision militaire. 4 Op. cit. in N. Robin – op. Cit. P. 549.

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IV.3.2 Le conflit entre Ichellathen et Seddouq. Les documents utilisés et disponibles sur cette question ne sont pas impartiaux. Les correspondances et écrits de Ben Ali Cherif1 et ceux de Aziz El Haddad2 représentent deux points de vue absolument contradictoires. Il ne faut d’ailleurs pas s’en étonner. En revanche, l’hostilité, à la limite de la haine, que se vouent l’un et l’autre ressort nettement dans leurs écrits. L’argumentation de Si Saïd comme celle de Aziz est difficilement utilisable comme donnée certaine sur les événements tant l’un et l’autre sont dans l’invective et l’accusation réciproque. Ainsi chacun accuse son rival des pires «intrigues ». Aziz par exemple tient Ben Ali Cherif pour principal instigateur de l’insurrection de 1871. Il n’hésite pas à le comparer à un « proxénète » pour son attitude en 18713. Or, l’examen attentif de ce mouvement insurrectionnel montre que la position de Ben Ali Cherif n’est absolument pas claire. Et s’il a rejoint un moment les insurgés c’est contraint et forcé. Quant à en être l’instigateur cela parait tout à fait improbable. C’est lui prêter une volonté politique qui est à l’opposé de ses ambitions et de sa situation. De la même façon la manière dont les deux personnalités dépeignent leur rôle lors d’événements antérieurs à 1871 est assez déconcertante et ne renseigne que de façon indirecte et par déduction sur la conjoncture précise de l’époque et de l’engagement des deux pôles d’autorité qui s’opposent dans la région de l’Oued Sahel et d’Akbou. Ainsi en 1851, lors de l’insurrection de Bou Baghla, les domaines de Ben Ali Cherif sont attaqués par les insurgés. Lui-même ne doit son salut qu’à la fuite vers son bordj d’Akbou et à la protection de la colonne du colonel d’Aurelles. La zawiya d’Ichellaten n’est épargnée que grâce à Lalla Aicha, mère du

1 In N. Bouayad. La participation de la famille El Haddad à la révolte de 1871 vue par le bachagha Ben Ali Cherif, revue d’histoire du Maghreb n°7/8, Janvier 1977. 2 Aziz El Haddad, mémoire – op. cit. et lettres de prison – in 16 H 62 – 64 – Aix. 3 Aziz El Haddad – op. cit. Notons que ce mémoire traduit par M. Emerit semble avoir sinon été rédigé du moins inspirer, par son avocat L. Seror.

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chef de la zawiya, qui exhorte les notables de la région à défendre l’établissement1. Aziz El Haddad accuse Ben Ali Cherif d’avoir laissé les tribus sous sa tutelle commercer librement avec celles qui étaient en insurrection. Il les aurait même fourni en armes2. Pour Si Saïd, au contraire, les El Haddad sont à cette époque des alliés de Mohamed Ben Abdallah ben Abdelmalek3 : « en 1851, écrit-il, lors de l’arrivée du chérif Bou Baghla dans la vallée de l’oued Sahel pour y amener la révolte ; El Haddad s’est mis avec lui ainsi que son gendre Si Mohamed Ben Abdallah. Ce dernier n’a pas quitté le chérif, il en était le lieutenant, c’est lui qui a fait découvrir mes grains et les a fait piller pendant mon absence »4. Après cette insurrection, El Haddad échappe à la répression grâce à Ben Ali Cherif. C’est du moins ce qu’écrit ce dernier : « Les tribus ont successivement fait leur soumission, c’est à cette époque qu’El Haddad s’est réfugié dans ma zawiya à Chellata »5. « Ma mère, poursuit-t-il, m’a fait connaître qu’il était chez moi. Elle m’a écrit plusieurs lettres en me suppliant de faire tout mon possible pour le sauver. Ne consultant que mon bon cœur et les conseil d’une mère, j’ai fait des démarches auprès de l’autorité supérieure afin de faire oublier le passé : ma demande fut accueillie favorablement, mais j’ai répondu de lui sur ma tête6 ». Que penser de ce témoignage ? Il indique clairement que la famille El Haddad est en quelque sorte redevable du chef de la zawiya d’Ichellaten. En même temps, quelques années avant sa montée en puissance elle serait déjà en dissidence ouverte dans la mesure où elle apporte d’une façon ou d’une autre une assistance aux insurgés. Au regard des relations tendues entre les deux zawiyas et de la compétition entre Ben Ali Cherif et Aziz El Haddad, il

1 N. Robin, op. cit. – p. 553. 2 Aziz El Haddad, op. cit. p. 10. 3 Véritable nom de Bou Baghla (« l’homme à la mule ») 4 In Bouyed – op. cit. 5 Dans le texte nous transcrivons l’appellation Kabyle d’Ichellaten. 6 Idem.

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est difficile d’imaginer que les El Haddad soient en position de faiblesse face à leur adversaire. Cependant aucun document n’étaye valablement l’une ou l’autre des deux positions. Nous ne pouvons donc que rapporter les propos tels quels1. En revanche, ce que rapporte Ben Ali Cherif dans les autres parties de son écrit correspond très bien à la réalité. Beaucoup d’éléments nous permettent de l’affirmer. La réalité en question est relative au conflit ouvert entre Aziz El Haddad et son rival d’Ichellaten. De 1851 à 1864 Ben Ali Cherif signale que rien d’important ne s’est produit à Seddouq. Or les rapports des officiers français comme nous l’avons écrit plus haut, signalent pour 1860 et 1861 une progression de l’influence de Seddouq aux dépens de celle d’Ichellaten. En revanche, à partir de 1864, Ben Ali Cherif n’a de cesse de dénoncer ce qu’il appelle les intrigues de Aziz El Haddad. Invité à donner son avis sur la nomination de ce dernier comme Caïd, Ben Ali Cherif écrit : « J’ai fait connaître que vu le caractère orgueilleux de cet homme, il serait dangereux de lui attribuer plus de considération qu’il ne peut en avoir ». Cette recommandation n’est pas prise en considération puisque Aziz obtient son poste. En 1867, il saisit de nouveau l’autorité pour se plaindre des agissements du cadi M’Hamed El Haddad et de Aziz. Il demande le déplacement du premier. Le général commandant la division de Constantine propose de réconcilier les deux familles. C’est une opération « impolitique » répond le chef d’Ichellaten qui s’en plaint à Mac Mahon, gouverneur général. Le cadi El Haddad à qui on demande de changer de résidence démissionne. En 1869, la zawiya de Seddouq est englobée dans le bachaghalik de Ben Ali Cherif. Aziz El Haddad, au fait de cette situation, demande le Caïdat des Béni Aidel, sans doute pour 1 Les archives de Ben Ali Cherif devaient en principe faire l’objet d’une publication par M.Bouayed. Ce qui aurait sans doute apporté des éclaircissements sur cette question. Malheureusement trente ans après son article qui annonçait cela, Bouayed n’a jamais publié quoique ce soit. Les archives en question ne sont pas encore repérables dans un fond d’archive accessible.

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soustraire la zawiya de Seddouq à la tutelle politique de son rival. La charge lui étant refusée, il démissionne du caïdat des Ammoucha. Ce sont donc là quelques faits significatifs de l’état des relations entre les deux zawiyas. L’attitude de Aziz El Haddad s’explique donc mieux. Le conflit est politique. Il s’agit pour Ben Ali Cherif de faire passer sous son contrôle administratif une zawiya-mère d’une tariqa qui prend de l’envergure à ses dépens. Se faisant Ben Ali Cherif vise à neutraliser les El Haddad et voit d’un mauvais œil la promotion politique d’un de leur membre. Pour Aziz, il s’agit bien sûr à l’origine d’une ambition personnelle, mais les circonstances lui donnent un caractère défensif. Dans ces conditions, comme nous l’écrivons précédemment, il est probable que le chef de la Rahmaniya Kabyle ait pu souscrire ou tout au moins encourager les projets de son fils. Il reste une hypothèse à ne pas négliger. Le cheikh Améziane El Haddad atteint par l’âge subit l’ascendant de son fils plus jeune, dynamique et enclin à entrer en compétition avec son puissant voisin. Dans ce cas, en avril 1871, ce serait sous sa pression qu’il déclare le Djihad. Cette hypothèse est une certitude pour L. Rinn1 qui cite, par exemple, le fait que la prière pour le Djihad du 27 Mars à Seddouq est organisée par Aziz sans l’assentiment de son père2. Les faits peuvent effectivement revêtir une part de vérité. Mais la situation potentiellement explosive en Kabylie dès la fin de 1870, l’insurrection effective au sud de la région (Medjana) dès Mars 1871, et à l’est dès Janvier 1871 pèsent considérablement dans l’entrée en insurrection de la zawiya de Seddouq. Le cheikh Améziane El Haddad est aussi une personnalité qui écoutent ses délégués avec qui il entretient des relations suivies et étroites. Ces derniers comme l’indiquent de nombreuses sources sont pratiquement sur le pied de guerre depuis la fin de l’année 1870. Leurs

1 L. Rinn. Histoire de l’insurrection de 1871 en Algérie. Alger, Jourdan, 1891. p. 199. 2 Idem.

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exhortations à entrer en insurrection ont très certainement fini par convaincre le chef de la Rahmaniya kabyle. Ainsi pendant trois mois, de Janvier à début Avril 1871, les moqqadems de la Rahmaniya kabyle ont été très sensibles à l’engagement de leurs confrères dans d’autres foyers insurrectionnels. La tension est par ailleurs très vive dés la fin de l’année 1870 au sein des tribus kabyles. Les khwans de la Rahmaniya sont fortement engagés dans la préparation de l’insurrection. Lors du rassemblement des moqqadems et khwans de la Rahmaniya à Seddouq il ne fait aucun doute que Cheikh Améziane El Haddad ne fait que répondre à une attente et une demande pressante de l’encadrement de la tariqa dont il a la direction. Les revers de ses fils ne semblent importants que pour expliquer leur propre engagement. Il est évident aussi que ce ne sont pas des causes mais des éléments déclenchants supplémentaires. La thèse d’une insurrection enclenchée par dépit ne semble donc pas plausible. Elle contribue dans le contexte d’occupation de l’époque à occulter le fond du problème : la contestation massive du fait d’occupation coloniale. Au total il faut sans doute comprendre le conflit et les relations tendus entre les deux pôles d’autorité que sont Seddouq et Ichellathen comme révélateurs d’une compétition qui n’est pas du même ordre pour les deux protagonistes : - La Rahmaniya de Seddouq est par le biais de Aziz El Haddad dans une position qui consiste à se préserver du contrôle directe d’un intermédiaire politique qui vise sinon à l’anéantir du moins à lui imposer sa tutelle. Le vieux Cheikh El Haddad connu pour ses positions résolument hostiles à la domination française peut avoir vécu la démarche de son fils avec bienveillance mais il est très difficile d’imaginer qu’il aurait approuvé ou permis à son fils d’utiliser son autorité pour s’instituer politiquement. Le revers de Aziz El Haddad comme la déchéance des Djouads annoncée par la mise en place du régime civil sonne comme la fin de tout compromis et l’accélération de la pulvérisation de ce qui reste de l’autorité

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des chefs et intermédiaires politiques algériens. Le geste d’El Mokrani qui envoie sa démission au Gouverneur et entre en insurrection outre sa portée symbolique indique la seule voie honorable possible : la résistance. - Ben Ali Cherif à l’inverse du cheikh El Haddad et d’El Mokrani restera dans une position très ambiguë qui ne le préservera ni de l’attaque des insurgés ni des accusations de complicité envers l’insurrection de la part de l’administration française. Il s’en sortira mieux que les premières cités mais avec une autorité politique plutôt déclinante. IV.4 Situation politique et sociale à la veille de l’insurrection. Le 9 Mars 1870, après des débats houleux1 le corps législatif français vote la constitution du régime civil en Algérie. Le parti assimilationniste gagne une bataille menée depuis de longue date contre le régime des bureaux arabes. Le colon devient désormais le maître, et pour lui, régime civil veut dire surtout satisfaction de son avidité de s’accaparer de nouvelles terres. Robin explique bien ce désir : "Le colon, écrit-il, est avide de concessions de terres non pas toujours malheureusement pour les cultiver, mais le plus souvent pour les louer aux indigènes, ordinairement aux anciens détenteurs du sol", les colons veulent beaucoup de terres, ils en sont insatiables. Mais pour leur donner des terres, une fois les réserves domaniales épuisées, il fallait les prendre aux indigènes et on invente toute sorte d’arguties pour établir que ceux-ci n’étaient pas de vrais propriétaires et qu’on n’avait qu’à les déposséder. Il leur semblait en voyant aux mains des arabes de belles propriétés, qui auraient si bien fait leur affaire, qu’ils étaient victimes d’une spoliation2. Les décrets Crémieux d’Octobre 1870 mettent en pratique l’application du régime civil3. Ils limitent notamment

1 A. R. Goldzeigher. op. cit. pp. 665 – 670. 2 N. Robin – op. cit. p. 52. 3 Pour le détail de ces décrets voir CH. A. Julien-Histoire de l’Algérie contemporaine. Paris, PUF, 1964.

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les attributions des bureaux arabes et instituent les cours d’assises. En outre, ils portent sur la naturalisation des juifs algériens. Cette disposition est selon beaucoup d’auteurs1 l’une des causes fondamentales de l’insurrection algérienne. En fait elle est sûrement ressentie comme une menace contre le statut des algériens, mais elle n’est pas une cause déterminante. En Août 1870, la guerre éclate entre la France et la Prusse. La débâcle française est connue en Algérie. Le dispositif militaire est amoindri pour faire face à la demande en hommes pour le front. Le 4 septembre 1870, la république est proclamée. Dans les grandes villes algériennes, les colons ne se retiennent pas. Ils s’en prennent aux militaires2 et instituent leurs propres comités comme à Alger. La puissance coloniale offre le spectacle de ses divisions et sur le front celle de son impuissance. Ces évènements, schématiquement résumés, ont contribué à créer le climat insurrectionnel. A la fin de 1870, çà et là des préparatifs de guerre sont signalés. Des refus de payer l’impôt sont aussi enregistrés par des officiers des bureaux arabes. Sur le plan économique et social les raisons de l’insurrection tiennent : A la menace que fait peser le régime civil sur les paysans algériens, c'est-à-dire de nouvelles dépossessions. Aux effets cumulés des différentes lois agraires. Aux effets de la situation catastrophique des années 1866-67-68-693. Les dettes accumulées aussi bien par des fellahs que des notables comme Mokrani arrivent à échéance, et "chaque nouvelle sommation excite l’esprit des débiteurs et

1 Par exemple L. Forest. La naturalisation des juifs algériens et l’insurrection de 1871.Paris, Société française d’imprimerie, 1897 ; op. cit. Pour la thèse contraire voir L. Serre. Les arabes martyrs. Etude de l’insurrection de 1871. Paris, Lachaud, 1873. 2 Ch. A. Julien. op. cit. pp. 461 – 464. 3 Sur les effets démographiques, voir A. Nouschi. La crise économique de 1866 à 1869 dans le constantinois ; In Revue Héspéris. 1er et 2ème trim. 1959, pp. 105 – 123. Voir du même auteur "Enquête sur le niveau de vie des populations rurales nord- constantinoises de la conquête à 1919 », Thèse de Lettres, Tunis, 1961.

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fin novembre chacun d’eux se promet de profiter le plus possible des circonstances pour ne rien payer"1. Sur le plan politique, il faut remarquer que la résistance à la domination française est continue depuis 1830. La volonté d’en finir avec celle-ci n’est pas étrangère à l’esprit des insurgés de 1871. Elle est même de loin la raison la plus profonde de l’ébullition constatée dés la fin de l’année 1870. IV.5 La situation dans les tribus à la fin de l’année 1870. La tension est très vive dans les tribus dès la fin de l’année 1870. Les rapports des officiers français en témoignent. Pour le constantinois Robin écrit qu’à la fin de 1870 sur tous les points de la province chacun se préparait à la lutte, les semences ont été vendues à vil prix pour faire face aux dépenses nécessaires à l’acquisition d’armes et de munition. Dans les hauts plateaux et dans le sud, « la cavalerie indigène s’organisait »2. Le général Hannoteau dans son rapport sur les événements du cercle de Tizi Ouzou (13 au 29 Avril 1871) remarque que « l’insurrection a été préparée de longue date. Pour en retrouver la source, il faut remonter à quatre ou cinq mois »3, c'est-à-dire au cours des mois de Décembre 1870 et Janvier1871. L’indice le plus significatif de ces préparatifs est la constitution des Chertyas. La première en date est celle des Sahary de Biskra. Les attributions de ces conventions élues sont : la surveillance des caïds, la révision des jugements des cadis, la collecte d’armes et de munitions, bref elles ont toutes les caractéristiques de comités insurrectionnels.

1 A. Nouschi-enquête op. cit. p. 395. Remarquons cependant que la crise a moins frappé dans le massif montagneux Kabyle. Les populations de ce dernier accueillent et secourent 120.000 miséreux des plaines ; voir M. Emerit. Etat d’esprit des musulmans d’Algérie de 1847 à 1870. Revue d’histoire moderne et contemporaine. Jan. Mars 1961. pp 103-120. 2 Rapport sur l’insurrection de 1871 dans la province de Constantine-H 375-Vincennes. 3 Rapport in H 375 Archives militaires, Vincennes.

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Il est possible de penser que les Chertyas ont pu jouer le rôle de canaux de diffusion pour l’élément confrérique1. Toutefois nous ne sommes pas du tout informés sur leur activité pendant les événements postérieurs à Janvier 1871. Les tribus en cette fin de 1870, sont aussi très attentives aux événements d’outre méditerranée (guerre franco-allemande) : «…observateurs silencieux, mais intéressée, des rassemblements qui se formaient à peu prés journellement, aussitôt qu’une dépêche, donnant des nouvelles du théâtre de la guerre était placardée, ils2 étudiaient avec soin les émotions non dissimulées que la lecture de ces dépêches causait parmi nos nationaux3 ». On note aussi une recrudescence des incendies de forêts. Mais cela, se remarque déjà à la lecture des rapports des bureaux arabes de la fin de l’année 1869. Ils traduisaient un mécontentement latent exprimé ici par des gestes individuels et violents. La répression de l’autorité coloniale consiste à appliquer la responsabilité collective4. En Kabylie, un « moul-sa’a » (maître de l’heure) prêche dans le courant de l’été 1870 l’insurrection. Il s’agit du nommé Hadj Mohamed Abdesselem. Après avoir parcouru les provinces d’Alger et de Constantine il s’installe dans la région Kabyle de l’Assif El Hammam. Il se présente comme un moqadem de la confrérie des Chadouliya. Avec le concours d’une personnalité religieuse, Si Ahmed Ouyahia (Tazrout – Bougie), affilié à la Rahmaniya, il recrute des khwans5. Le « maître de l’heure » a une forte influence chez les spahis de Berouaghia et de Moudjebeur6. On a au demeurant suspecté le personnage lors du soulèvement des spahis le 23 Janvier 1871. Du plus, ces adeptes se trouvent aussi parmi « …quelques

1 A. Nouschi. Enquête op. cit. p. 395. 2 Il est question des montagnards des régions de Collo-Djidjeli. 3 Ch. Féraud. Documents pour servir l’histoire de Philippeville. Revue africaine, 1883, pp. 97-111. 4 Cas par exemple des Ait Idjeur en Kabylie en Décembre 1869. 5 N. Robin. op. cit. pp. 38 et suiv. 6 Lettre du commandant supérieur de la subdivision de Médéa au gouverneur général. 28 Févier 1871. in 1 H 27-Aix.

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chefs indigènes et plusieurs hommes dangereux dont quelques uns sont en révolte contre la société…»1. En Kabylie, il affilie peu2. Il compte cinquante adeptes des tribus des : Ait Djenad, Ait R’Obri, Ait Fraoucen et parmi la population du cercle de Tizi Ouzou. Mais il attire des processions de pèlerins de l’ensemble des régions de la Kabylie : « Le marabout de l’oued El Hammam reçoit de nombreuses visites des indigènes de Dellys particulièrement des Béni Ouaguenoun et des Flissat El Bahr. Les visiteurs reviennent émerveillés du pouvoir surnaturel de cet homme »3. Le but recherché par Si Mohamed Abdesselem est de chasser les « ennemis de Dieu » (français) qui écrit-il «…ne veulent point nous laisser jouir de la paix et de la tranquillité »4. Du côté de la Rahmaniya, les khwans et moqadems sont pris d’une « sorte de fièvre religieuse » et manifestent une intense activité à la fin de 1870. Dans la région de Dellys, ce phénomène est signalé dès le début de l’été 1870 : « nous avons remarqué, écrit l’officier du cercle de Dellys, dans ces derniers temps une recrudescence religieuse très prononcée, on ne voit que procession de pèlerine qui se rendent chez le cheikh El Haddad…»5. Dans la région de Fort National, les moqadems de la confrérie semblent avoir considérablement renforcé leurs rangs par l’affiliation de nouveaux khwans. Les rapports des militaires du cercle constatent ce phénomène en Juillet 1870, «…les idées religieuses ont pris depuis quelques temps une extension considérables en Kabylie et le nombre de khouans augmente dans des proportions si notables qu’une surveillance active doit être exercée sur les tribus »6. Le recrutement n’a pas

1 Idem. 2 N. Robin. op. cit. pp. 38 et suiv. 3 Rapport du cercle de Dellys. Mai 1870, in 41 I4 – Aix. 4 Lettre au marabout Sidi Saïd, in Robin. op. cit. 40 – 41 ; Ce « moul saa » est arrêté en Février 1871. 5 Rapport du cercle de Dellys – Mai 1870 in 41 I 4. 6 Rapport du cercle de Fort National – Juillet 1870 – in 43 I 5 Aix – cf. aussi L. Rinn Rinn op. cit. pp. 267_268

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pas observé avec rigueur les règles du talqin1. Il est stratégique et a plutôt comme objectif de disposer le moment venu d’un nombre suffisant de khwans-guerriers. C’est du reste cette armée des Imesebelénes qui se lance à l’assaut de Fort-National en Avril et Mai 1871. La même agitation des khwans est signalée dans la région de Draa El Mizan2. Les bureaux arabes des différents cercles souhaitent que les déplacements de khwans, déjà soumis à une autorisation préalable, soient plus sévèrement limités car, s’inquiètent-ils, cette situation ne peut être que préjudiciable « dans les circonstances actuelles », c'est-à-dire celles du dernier trimestre 1870. La zawiya-mère de Seddouk devient un point de réunions importantes selon les différents rapports. Il n’est pas seulement question de religion au cours de ces hadhras. Ainsi Warnier rapporte3 qu’un personnage se disant « moul-saa » et qui n’est en fait que cheikh El Haddad, a réuni dans le Djebel Azab4 1.500 à 2.000 khwans au début d’Octobre 1870. La présence de l’oukil de la Qoubba Sidi Abderahmane Bou Kobrein d’Alger fait supposer que ce dernier s’est déplacé pour «…donner au chef de la confrérie des renseignements sur l’état de nos forces militaires en Algérie »5. Quelque chose se préparait-il à Seddouq en cette fin 1870 ? C’est une certitude pour Robin « les bandes de pèlerins qui se rendaient chez le cheikh El Haddad, conduits par leurs moqadems suivaient les chemins pied nus, avec des mines farouches, psalmodiaient leur dikr, les femmes elles-mêmes n’étaient pas les moins exaltées. Quelque chose se préparait »6. Sur le marché de Boghni circule, à la même période (octobre 1870) une rumeur sur la préparation d’une 1 Rapport sur la Rahmaniya dans la commune mixte de Fort National – 1895 – in 16 H 8-Aix. 2 Rapport du cercle de Draa El Mizan – in 40 I 4 – Aix. 3 Selon des informations qui lui sont fournies par l’adjoint indigène de l’Alma (région d’Alger). 4 Région de Bougie. 5 Lettre de Warnier au gouvernement général du 8 Oct. 1870. N° 1132 – in 16 H 62 – 64 – Aix. 6 Robin op. cit. p. 71.

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insurrection chez les Ait Irathen « il aurait été dit à propos de ce bruit qu’en cas de soulèvement d’une des tribus du cercle de Fort Napoléon, les Béni-Bou-Addoun de Draa El Mizan seraient les premiers à suivre le mouvement »1. En Décembre 1870, un amin-el-ouména très influent des Ait-Chenacha, le nommé El Hadj Amar, informe l’administration du cercle de Draa El Mizan qu’un moqadem de la Rahmaniya des Ait Sedka l’a contacté pour solliciter son concours «…pour un mouvement projeté par Si Cherif ou Amézian des Béni Aïdel (Bougie). On lui faisait savoir en même temps que vingt quatre amins-el-ouména de Bougie et Fort-Napoléon avaient adhéré au mouvement »2. De plus on remarque que les amins proches de l’administration française perdent leur fonction. Les populations leur retirent leur confiance lors des élections de la même année3. En ce qui concerne l’activité du cheikh Aziz El Haddad, il est signalé au début de l’été 1870 en différents points de la Kabylie notamment à Bou Zeggan (Ait Idjeur), Isahnounéne et à Agouni-Djilban (Ait Irathen). Les dons collectés sont évalués à 19-20.000 frs. Les zawiyas les plus actives pendant cette période sont celles de Sidi Ahmed Ou Driss (Illoula ou Malou), Sidi Amar ou El Hadj (Ait Idjeur), et de Tifrirt N’Ait ou Malek (Ait Idjeur). Le nombre de moqadems pour la région de Grande - Kabylie est évalué à environ 794 ainsi réparties : Cercle de Dellys : 11. Cercle de Tizi Ouzou : 24. Cercle de Fort – National : 29. Cercle de Draa El Mizan : 9. Enfin pour clore cette énumération des faits, qui ont retenu notre attention, il convient de dire un mot sur l’écho qu’ont eu les évènements du sud en Kabylie. C’est surtout dans la région de Fort National que les nouvelles de l’insurrection

1 Rapport du cercle de Draa El Mizan – mois d’Octobre 1870. in 40 I 4, Aix. 2 Rapport du cercle de Draa El Mizan du Mois de Janvier 1871. in 40 I 4, Aix. 3 Rapport du cercle de Draa El Mizan du Mois de Janvier 1871. in 40 I 4, Aix 4 Robin – op. cit.

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des Ouled Sidi cheikh, puis de l’attaque de Touggourt par Naceur Ben Chohra, sont commentées sur les marchés de Février à Avril 18691. La principale source d’information est formée par les colporteurs kabyles de retour du sud. Ailleurs, en revanche, comme dans la région de Dellys, les gens discutent peu des insurrections du sud, et paraissent plus au fait de ce qui se passe à l’Ouest de la Kabylie. Il y a en effet un mouvement migratoire saisonnier vers le Mitidja surtout au moment des moissons, en Mai, Juin et Juillet de chaque année. En 1869, pour le premier semestre, le nombre de personnes ayant quitté leur domicile pour cette région est de 8151 dont une majorité des Iflissen-El-Bahr et des Ouaguenoun2. Une rumeur persistante alimente les commentaires dans les tribus « …Le sultan des turcs aurait donné en toute possession l’Algérie française à l’émir Abd el Kader »3. Au début de l’année 1871, dans l’ensemble de la Kabylie4 l’atmosphère est propice au déclenchement d’un mouvement insurrectionnel. Les khwans et moqadems de la Rahmaniya semblent être prêts et n’attendent qu’un mot d’ordre de leur supérieur. Ce dernier ne vint que trois mois et demi plus tard (8 Avril 1871) alors qu’au Sud de la Kabylie (Medjana) et à l’Est (Souk Ahras El-Milia), l’insurrection est déjà entamée. IV.6 La zawiya de Seddouq en 1871. Relevons en premier lieu trois faits marquants en Janvier 1871 : L’arrivée de Mhiédine fils d’Abdelkader à la zawiya Rahmaniya de Nafta.

1 Rapport du cercle de Fort-National, in 43 I 5 – Aix. 2 Rapport de 1869 du cercle de Dellys – in 41 I 4 – Aix. 3 Idem. 4 Et d’une façon générale dans l’Est algérien. Dans le Sud l’insurrection est déjà déclenchée notamment par Bouchoucha. Voir à ce sujet DEMARGON. Insurrections dans la province de Constantine de 1870 à 1883, et aussi pour le sud de la province d’Alger. Trumelet. Histoire de l’insurrection dans le sud de la province d’Alger. 1879.

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La révolte des spahis de Souk Ahras (20 Janvier 1871). La réconciliation Ben Ali Cherif- El Haddad (8, 9, 10 Janvier 1871). Le premier montre que cette branche de la tariqa a joué un rôle d’accueil pour les insurgés algériens. Il existe aussi à Nefta des zawiyas appartenant à d’autres confréries, par exemple à celle des Qadriya. Cependant la zawiya qui accueille Méhiédine est bien le centre de la branche Rahmaniya des Ben Azouz. Les informations sur le séjour du fils de l’émir proviennent de Si El Hocine Ben Ali Ben Otmane « le chef contesté de la zawiya de Nefta »1. L’insurrection dans la région de Batna2 est, à notre avis, plus le fait des moqadems de cette branche que celle des branches Rahmaniya locales. Ainsi, celle de Tolga promet de tenir à l’écart ses khwans3. L’un des plus grands moqadems du cheikh El Haddad dans la région de l’Aurès refuse de répondre à l’ordre d’insurrection en Avril 1871. Il s’agit de Si Mohamed Abdessemed de la zawiya du djebel Bouarif4. En ce qui concerne la révolte des spahis d’Ain Guettar soutenus par une famille de djouad, les Ben Resgui, une source indique que la Rahmaniya est connue au sein du corps spahi : « une enquête permit en effet à l’autorité de constater que presque tous les spahis étaient affiliés à l’ordre des Rahmaniya et il est à croire que c’est pour obéir aux excitations des chefs religieux sous la dépendance desquels ils s’étaient mis, que ces militaires firent un mouvement contre nous à cette époque »5. La raison fondamentale de la révolte des spahis réside, à notre sens, dans l’ordre d’embarquement pour la France. En revanche, à la fin du mois de Janvier, les insurgés, en fuyant vers la Tunisie, ont pu certainement, trouver refuge auprès de la zawiya Rahmaniya de Si Ahmed Ben Ahmed (Kef). C’est un moqadem d’El Haddad. Ses relations avec Seddouq ne sont pas étroites en raison notamment de la distance. Si donc la tariqa 1 L. Rinn – op. cit. p. 105. il appartient aux Ben Otman de Tolga. 2 Du 8 Mars au 8Mai 1871.Voir Rinn opcit pp. 315-339. 3 Rinn – op. cit. p 319. 4 Notice sur la commune mixte d’Ain Touta – 1895 – in 16 H 9 – Aix. 5 Rapport de la commune mixte de la Calle – 1895 – in 16 H 9 – Aix.

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est mêlée à cette révolte, il s’agit pour l’essentiel des moqadems de la zawiya du Kef1. Dans la région d’El Milia, la Rahmaniya est bien implantée aussi. Elle est mêlée au blocus du fort d’El Milia à partir du 14 Févier 1871. Deux moqadems s’y distinguent Moulay Chekfa et Ben Fiala. Leur action ne nous parait pas liés à un mot d’ordre quelconque venant de Seddouq. Enfin, la réconciliation de Ben Ali Cherif avec les El Haddad du 9 et 10 Janvier 1871 en présence de Mokrani2 n’est pas une alliance en vue de l’insurrection. De plus elle n’a nullement mis fin à l’hostilité des uns vis-à-vis des autres : « l’entrevue entre le fils de cheikh El Haddad et Ben Ali Cherif fut froide et cérémonieuse. Ni la souplesse de Aziz, ni les efforts de Mokrani ne réussirent à vaincre la réserve de Ben Ali Cherif, habile à concilier les formules de la plus exquise courtoisie avec le peu de sympathie que lui inspirait Aziz. On se donna le baiser de paix mais du bout des lèvres sans que personne ne fut dupe des protestations échangées »3. Ben Ali Cherif sera l’une des premières cibles de Aziz et de quelques grands moqadems de la Rahmaniya. Les 14 Mars 1871, El Mokrani entre en insurrection dans la Medjana. Seddouq ne suit pas encore. Ce n’est que le 27 Mars 1871 que les premiers contacts s’établissent entre Seddouq et les insurgés de la Medjana. Le 8 Avril 1871, l’ordre d’insurrection est expressément donné par le cheikh Améziane-El-Haddad. Trois mois se sont écoulés entre les premières actions insurrectionnelles et l’entrée en guerre de la branche Rahmaniya de Seddouq. Il semble, par conséquent, évident que la pression conjuguée des évènements et celle des moqadems conforte cheikh El-Haddad dans sa décision d’entrer en insurrection. Une lettre datée du début du mois d’Avril 1871 et écrite par le

1 En très grand nombre dans la région de Souk-Ahras. 2 L. Rinn – op. Cit – pp. 115 – 120. 3 L. Rinn – op. Cit. p. 115.

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cheikh l’explique clairement1. Elle est adressée à Ben Ali Cherif. Après les salutations d’usage : « Si vous êtes de vrais croyants, serez-vous prêts pour la guerre sainte, nous sommes prêts à la faire et quiconque est musulman doit mourir pour l’Islam et se préparer à cette guerre. Ne vous laissez pas tromper par le gouvernement qui vous dit qu’il vous aime et dans lequel, il n’y a plus de confiance à avoir et dans lequel il n’y a que de l’impiété et pas de considération….» La lettre se poursuit par une explication sur le calme relatif qui a régné dans la région d’Akbou à la suite de l’entrée en insurrection d’El Mokrani : « Cela a été ainsi jusqu’à ces jours-ci où le commandant supérieur de Bougie a écrit aux caïds et aux cheikhs en leur disant d’avoir à ne plus aller chez le cheikh Ben El Haddad qui est insurgé. Le capitaine est allé à l’Azib d’Hamed Khatri où il a réuni les gens en leur disant de ne plus venir chez nous, leur déclarant que nous étions en révolte, quoique nous n’ayons prouvé cela d’aucune façon et sans qu’aucun coups de feu n’aient été tirés par nous sur eux et n’avons publié2 la révolte que lorsque nous avons vu les gens penser que nous préférions le christianisme à l’Islam. ». La lettre se termine par l’exhortation suivante : « En résumé si quelqu’un d’entre vous désire faire la guerre sainte, qu’il se lève, nous le faisons, notre confiance est en Dieu (et en son prophète) qui nous rendra victorieux. Suivent les salutations ». Deux points ressortent : El Haddad a observé la situation pendant le mois de Mars 1871 en ne lançant aucun ordre d’insurrection. Sans doute la concertation avec ses moqadems n’était pas encore clôturée. L’ordre d’insurrection finit par tomber quand le cheikh s’assure que ces délégués sont effectivement prêts et qui, de plus, exercent une pression en faveur de la lutte armée.

1 Lettre datée du 20 du mois de Moharrem 1288 – in 16 H 62 – 64 – Aix. 2 Comprendre : ordonné.

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Il faut cependant prendre en considération le fait que la lettre destinée à Ben Ali Cherif sonne comme un ultime geste du cheikh pour tenter de le convaincre. Voici comment Ben Ali Cherif rapporte les évènements le concernant : « après mon arrivée à Akbou1 et lorsque El Haddad s’est révolté2, j’ai écrit de suite au caïd Ali ou Kassi3 en lui rappelant sa promesse de venir me défendre… » Ben Ali Cherif ajoute que sa « …situation devenait de plus en plus critique et désespérante… ». Elle l’est d’autant plus le 10 Avril quand une colonne française4 arrivant en renfort dû rebrousser chemin à Oued-El-Kseur pour se porter sur Bougie. « A partir de ce moment j’ai été complètement entouré par des ennemis » dit Ben Ali Cherif, et d’expliquer que son bordj d’Akbou est promu à l’incendie par Aziz qui « l’avait juré ». Aziz a envoyé les chefs des Béni Idjeur, Béni Zekri, Illoula-Oumalou, Ouazellaguen « et quelques personnes d’autres tribus » pour le persuader de s’insurger. Ben Ali Cherif refuse. Le lendemain5 tous les chefs de Grande Kabylie se rendent au bordj d’Akbou « d’après ce qu’ils m’ont dit en arrivant, explique Ben Ali Cherif, « êtes-vous français musulman ? Nous ne sortirons d’ici avant d’être fixés ! m’a fait de suite supposer qu’ils étaient envoyés par les moqadems d’El Haddad les nommés : cheikh Mohand ou Ali ou Sahnoun6, cheikh Arezki ou h’madouch, cheikh Mohamed ou Braham7 et qui étaient à la tête de l’insurrection en Grande Kabylie ».

1 Le 5 Avril 1871. Ali Ben Cherif était à Alger. 2 C'est-à-dire le 8 Avril 1871. 3 Résidant à Tameda prés de Tizi Ouzou le caïd Ali ou Kassi se révolte à la même époque. Il dirige conjointement avec des moqadems Rahmania le siège de Tizi Ouzou (13 au 29 Avril 1871) la mettre dont il est question a été saisie sur le frère du caïd arrêté par le bureau arabe de Tizi Ouzou, on y peut y lire cette phraser «Si tu es encore mon ami viens à mon secours ». Cf. rapport du général Hannoteau sur les évènements de Tizi Ouzou- in – U 375 – archives - V 4 Il s’agit de la colonne La passet. 5 Tout cela se passe entre le 10 et le 15 Avril. 6 De la zawiya d’Isahnounène (Irathen). 7 Appartient à l’une des plus puissantes familles religieuses des Itouragh.

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Ben Ali Cherif accepte leurs propositions à condition de ne participer « qu’en simple particulier » et que le bordj d’Akbou et les européens qui s’y trouvent soient épargnés. Cheikh El Haddad aurait estimé selon Ben Ali Cherif « qu’ils avaient mal fait (de m’) accorder de pareilles conditions, qu’ils (ne me) connaissaient pas, que (je ne me) révoltait que de langue. Que (j’aurais dû) d’abord livrer les européens et ensuite brûler (moi-même) le bordj d’Akbou… », Cela pour prouver qu’il est bien « un vrai musulman », c'est-à-dire bien décidé à l’insurrection. La lettre du cheikh El Haddad citée plus haut n’est pas mentionnée par Ben Ali Cherif. El Haddad a-t-il d’abord tenté de persuader le chef de la zawiya d’Ichellaten avant de passer directement à la menace ? C’est plausible. Toutefois la version de Ben Ali Cherif met surtout l’accent sur Aziz El Haddad. Ce dernier épaulé par de grands moqadems Rahmaniya semble régler un vieux contentieux qui l’oppose à cette personnalité politico-religieuse de l’Oued Sahel. De plus, son attitude est par moment équivoque pendant l’insurrection. C’est ainsi qu’en Avril 1871, il envoie une lettre au colonel Bonvalet dans laquelle il demande à négocier « pour la paix ». Dans une autre du mois de Mai, le langage est absolument différent. Nous donnons les deux textes pour illustrer cette position. 1ère lettre1. « Louange à Dieu A mon ami Monsieur le colonel Bonvalet commandant la subdivision de Sétif. Je vous informe que je voudrais vous parler au sujet de l’intérêt du gouvernement mais je ne trouve aucun moyen de vous voir. Je vous prie d’envoyer un français de votre part qui changera de vêtement, et viendra avec une lettre de vous sans

1 La date mentionnée sur la copie de la traduction est mois d’Avril 1871 – texte in – H 375 – Vincennes. Rien ne laisse supposé que cette lettre n’est pas authentique. En revanche la date de la copie de la traduction pose un problème. Pourquoi Aziz aurait-il écrit cette lettre juste après la proclamation de l’insurrection ? Elle est plus plausible bien plus tard s’il avait estimé qu’une négociation était préférable.

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qu’aucun musulman en ait connaissance avant que le désir soit accompli. J’avais écrit une lettre au commandant de Bougie pendant que je me trouvais dans les Béni Bou Messaoud et je lui parlais dans cette lettre du bien (intérêt) du gouvernement entre autres choses je lui parlais des ennemis du gouvernement et des musulmans qui sont des hommes pourvus d’emplois, lesquels lorsque le gouvernement leur a donné pleins pouvoirs ont fait périr les musulmans sous l’injustice (ou l’oppression) au point que la colère est rentrée dans le cœur des musulmans contre les autorités car ils pensaient que l’oppression venait des autorités. Et lorsque le gouvernement a eu besoin de leur aide personnelle ou pécuniaire, ils l’ont trahi et ont renié les bienfaits du gouvernement. Ceux-là sont les ennemis du gouvernement et des musulmans. Le commandant ne pas répondu et a mis les envoyés en prison, ils sont encore actuellement en prison à Bougie. Ce commandant ne convient pas aux administrés (pour l’administration). C’est lui qui est la première cause de mon insurrection et vous ne vous êtes aperçus de sa situation que lorsque le feu a été allumé dans le territoire. Si vous vous disposer à m’envoyer quelqu’un, recommandez-lui de se faire passer pour un homme qui a embrassé la religion musulmane, il enverra avec lui une de ses connaissances parmi les arabes auquel il fera voir qu’il vois sa foi augmenter et fuit le gouvernement pour se rendre auprès de moi, ou bien de prendre prétexte (ou profession) qui le puisse faire arriver jusqu’à moi en secret. Salut par ordre de si Aziz Ben Cheikh El Haddad. (Signé en français : Aziz). En marge répondez-moi par le porteur, dites-moi ce qui vous plaira et vous serez contenté dans ce que vous me direz. Je serai demain vendredi campé au Babor ».

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Trois remarques importantes : Aziz El Haddad veut éviter toute publicité de cette démarche. Les causes de sa révolte sont de deux sortes : Les abus des chefs algériens. La maladresse d’un officier. Aziz est prêt à négocier dans « l’intérêt du gouvernement ». On peut penser que Aziz El Haddad mène une manœuvre qui lui permettrait dans l’hypothèse d’un échec d’être épargné par l’autorité. La seconde lettre en revanche, est d’un ton plus décidé, plus ferme. Les raisons de l’insurrection avancée par Aziz sont d’une toute autre nature. 2ème lettre1 : « Nous donnons avis, ce sera pour le bien s’il plait à Dieu, que nous nous sommes levée pour la guerre sainte, pour soutenir la cause divine et que nous sommes décidés à combattre les ennemis de Dieu et de son envoyé. Certes, antérieurement à l’heure actuelle nous avons été dans l’impossibilité de faire la guerre sainte pour plusieurs motifs parmi lesquels il faut compter l’absence d’union entre les peuples musulmans, la puissance du gouvernement français en argent et en soldats. Mais aujourd’hui ce motif a cessé sur tous les points de la terre, les musulmans se sont unis pour exalter la parole de l’Islam, tous ont brisé les liens de soumission à la France, d’Alger à Aumale, Bougie et Sétif et jusqu’aux dernières limites du Hodna. De ce côté le pays s’est entendu pour la même cause. En outre, le gouvernement français se trouve dans une situation critique produite par la divergence d’opinions en France2 et par la domination absolue de la Prusse qui la spolie ses richesses. Telles sont les causes qui ont mis fin aux obstacles de la guerre sainte et il ne reste à un homme aussi intelligent que vous qu’à se lever avec nous ».

1 In L. Rinn, marabouts et khouans – 1884- p. 479 ou in article d’ « Algérie – actualité » du 14 au 20 Mars 1971 – elle est adressée au caïd Bouarouar de Djidjelli. 2 Allusion sans doute aux évènements de la commune de Paris.

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L’entrée en insurrection de Seddouq en Avril 1871, les contradictions de Aziz, permet au mouvement de prendre en quelques jours une formidable ampleur. Le potentiel combattant mobilisé par la Rahmaniya dépasse le nombre effectif de khouans. C’est tout un réseau d’alliances qui se met en branle. C’est sur lui que se fonde l’essentiel de l’influence de la tariqa. A la fin du mois de Juin 1871, l’insurrection des khwans de Kabylie tire à sa fin. Le 13 Juillet cheikh El Haddad est arrêté. La répression est à la mesure de la peur qu’a éprouvé l’autorité coloniale1. Cette insurrection démontre cependant que la solidarité confrérique n’est pas efficiente entre les différentes branches Rahmaniya. El Hamel, Tolga, Khanga Sidi Nadji et Kheiran, les Mokhtari d’Ouled Djelal, les Bachtarzi de Constantine n’ont pas explicitement donné un ordre d’insurrection à leurs khwans. Seuls ceux affiliés à Seddouq et très probablement à Nefta et la zawiya du Kef sont entrés directement en insurrection. Ces branches seront relativement épargnées par la répression. Cette période ne marque pas une cassure dans leur histoire. Il n’y a donc pas en 1871 une attitude de la Rahmaniya mais au moins deux attitudes des branches Rahmaniya. Dans le domaine même du cheikh El Haddad, nous remarquons que deux de ces plus importantes moqadems adoptent une position d’extrême prudence, voire de retrait, à l’égard du mouvement. Il s’agit de deux futurs chefs de branches Rahmaniya : cheikh Mohand ou Belkacem (Béni-Abbès-Akbou) et Si Ali Benhamlaoui (Ain-El-Eurs oued Athménia). Dans le Djurdjura, le prestigieux cheikh Mohand l’Hocine s’est montré plus pragmatique « en ne donnant aux Kabyles insurgés que des que les conseils de paix et de soumission. C’est chez lui explique Pervieux. de la Borde, que les familles des kabyles non insurgés ou combattants dans nos rangs ont trouvé un asile pendant le blocus de Fort National et sont tenues à l’abri de la vengeance de leurs

1 Voir sur cette question Ch. R. Ageron – op. cit. – T. I. pp. 24 – 36.

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corréligionnaires »1. D’autre moqadems tel Si Mohamed El Ouanes (Maatkas), préfèrent se démarquer de l’insurrection. Ces comportements sont sanctionnés par les khwans. Le moqadem dont il est question plus haut « s’est attiré beaucoup d’ennuis et les kabyles le considèrent comme un renégat qui a abandonné la cause de Dieu pour celle des infidèles »2. Dans la région d’Akbou en 1873 « l’examen journalier des réclamations portées par les indigènes permit de reconnaître à n’en pas douter, que ceux qui nous ont été fidèles pendant la dernière insurrection étaient l’objet de vexations systématiques de la part des khwans et ne pouvaient plus trouver des témoins en leur faveur dans les affaires où des khwans étaient mêlés »3. La répression a avant tout frappé la partie visible de la Rahmaniya à savoir les zawiyas et les moqadems. Ces derniers selon les cas sont déportés dans un bagne, condamnés à des peines de prisons simples, ou assignés à résidence. Selon le cas aussi, leurs biens sont séquestrés totalement ou partiellement. En revanche, les khwans sont relativement moins touchés par la répression en raison de leur anonymat. Après 1871, et en se fondant sur les différentes enquêtes de 1884, 1895, 1898, 1910, la Rahmanyia reste très active en Kabylie. Beaucoup d’établissements restent fermés, mais d’autres fonctionnent. L’insurrection de 1871 a plutôt stimulé et popularisé encore plus la tariqa. Toutefois, la situation postérieure à 1871 est différente. Il n’y a plus, après le déclin de Seddouq, un pôle unique de direction. Il y a une atomisation des obédiences, un retour à la prééminence des petits « fiefs » locaux. C’est la fin d’une période unitaire pour la Rahmaniya Kabyle.

1 Rapport de la commune mixte du Djurdjura – in 16 H 8 – Aix. 2 Notice sur la Rahmania – in I 95 – Aix. 3 Notice sur les agissements de la famille El Haddad – 19 Avril 1873 – in 16H 62-64 – Aix.

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IV.7 Le declin de seddouq et l’emergence de nouveaux poles. IV.7.1 Le déclin de Seddouq. La soumission du cheikh Améziane El Haddad provoque une certaine amertume. C’est du moins ce que laissent comprendre les chansons populaires. Toutefois celles dont nous disposons, c'est-à-dire celles recueillies par R. Basset1, nous paraissent excessivement critiques, voire à la limite injurieuse, et doivent être considérées comme le point de vue de factions hostiles dès l’origine à la famille de cheikh El Haddad2. Les auteurs français qui les mettent en exergue le font à dessein pour déconsidérer ce qui fut l’un des chefs religieux algériens les plus écoutés et respectés. Quelques extraits suffisent à le démontrer : « S’il (le cheikh El Haddad) connaissait sa situation, ce qui l’a anoblit, il s’étonnerait. Qu’il cherche comment a commencé sa race Son aïeul ne lui a transmis qu’un marteau Et une enclume pour frapper ». « Cheikh El Haddad J’ai appris que le général3 t’avait brisé Toi que chacun parmi les gens Grand ou petit consultait Toi qui égalait Satan en malice ». « Remplis ton destin Ah’addad le traître Autrefois tu étais dans ta maison Et la mosquée Ton fils t’a trompé Ainsi se lamente l’ambitieux ».

1 René Basset : l’insurrection algérienne de 1871 dans les chansons populaires Kabyles – 1892. 2 Les trois chansons que rapporte R. Basset sont attribuées à Si Saïd Ben Djelouah d‘une famille maraboutique des Ait Aidel. Il existe une autre version des trois chansons – in 16 H 62-64 – Aix. 3 Il s’agit du général Lallemand.

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L’hagiographie locale conserve une image plus positive du vieux chef Rahmaniya. Nous retrouvons des chansons ou poèmes dont voici un exemple assez court1 : Asmi Yella Ben Haddad, Kul axxam deg-s axewni. Asmi yemmut Ben Haddad, Kul azniq deg-s arumi.

Du vivant de Ben Haddad, Chaque maison abritait un fidèle (un khouani). Ben Haddad mort, Les français occupent toutes les places.

Cinq jours après sa condamnation par la cour d’assise de Constantine, cheikh El Haddad meurt. Aziz emprisonné d’abord à Constantine puis à Oran est déporté en nouvelle Calédonie. De son exil, il mène un combat pour se disculper. Cela se traduit par un envoi régulier de lettres de repentir, de demandes de clémence, tantôt aux autorités françaises d’Algérie (gouverneur général) tantôt aux autorités de Paris2. Sa principale cible reste Ben Ali Chérif. Pendant sa période de captivité sur le territoire algérien, il demeure en contact avec les moqadems de la Rahmaniya et continue à investir des moqadems3. Quarante et un furent ainsi recensés par l’administration française en 1884. Son éloignement de l’Algérie rompt les liens4. La zawiya de seddouq séquestrée, est fermée. Elle ne fonctionne de nouveau qu’après 19105. Ce n’est plus qu’une zawiya d’envergure strictement locale, désertée par les Khwans au profit de ses voisines des Ait waghlis ou de Boudjelil. Ahmed Ben Cheikh Aziz El Haddad dirige cet établissement. Il est de situation de fortune « médiocre » et

1 In Y. Nacib – Poésies spontanées du Djurdjura. Etudes ethnolinguistiques et traduction – 1971, p. 24. 2 Voir ces lettres in 16 H 62-64 – Aix – ainsi que celles de nombreux autres personnages par exemple : cheikh M’hamed El Djaadi. 3 Liste des moqadems investis par le cheikh Aziz El Haddad note n°419 DU 8 Juillet 1884 – in 16 H 3-Aix 4 Après un séjour en nouvelle Calédonie, il s’évade et se fixe à Djeddah. Il décède en 1895. 5 La notice sur la famille El Haddad en 1910 – in 16 H 31 –Aix, indique que la Zawiya est fermée.

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n’arrive à subvenir à ses besoins que grâce à l’aumône de ses Khwans1. Il n’est pas non plus en relation avec les moqadems de la Rahmaniya. Toutefois, la perte du prestige de cette grande famille religieuse trouve une sorte de compensation. Les El Haddad se reconvertissent aux fonctions administratives. Salah Ben Aziz El Haddad sollicite et obtient le poste d’adjoint indigène de la commune mixte de l’Aurès2. Il a auparavant fait ses études au lycée d’Alger. Un deuxième fils de Aziz El Haddad obtient une bourse d’études dans le même établissement en 18993. D’autres membres de la famille demandent des charges administratives4. La zawiya de Seddouq n’est mentionnée que pour mémoire dans les différentes notes des années 1930-40. C’est une simple petite école coranique d’une trentaine d’élèves5. Les rapports avec l’administration française sont courtois sans plus. Abdelmalek El Haddad tente de regrouper autour de lui des chefs de zawiya pour redynamiser son rôle religieux. Il n’arrive pas à avoir une audience conséquente6. Malgré la tranquillité affichée par les El Haddad en 1914-19187 et en 19458, la zawiya se voit refuser toutes les demandes de subvention9. En 1954, la zawiya se vide de ce qui lui reste comme adeptes et son chef quitte Seddouq. En fait, la zawiya Rahmaniya de Seddouq ne s’est plus jamais relevée de la répression de 1871. Les tentatives des El Haddad d’acquérir une autre alternative de puissance témoigne en réalité de leur véritable déclin par rapport à leur puissance et renommée des années 1860-1870. Au sein de la 1 Notice op. Cit. En outre le gouvernement général accorde une subvention spéciale à la famille. Ch. R. Ageron – op. Cit. T. II –P .819. 2 Notice sur ce personnage – in 16 H 31 – Aix. Et rapport de la C.M.de L’Aurès – 1895 –in 16 H 9. 3 Note sur la famille El Haddad – in 16 H 62-64. 4 Op. Cit. 5 Rapport S.L.N.A. 1955 – in 16 H 73 – Aix. 6 En 1947, il ; arrive cependant à réunir 40 chefs religieux dans le dessein de démontrer sa puissance. B.M.Q.I. – Rapport n° 670 du 29 Septembre 1947 – in 16 H 80-81 – Aix. 7 J. Melia – l’Algérie et la guerre 1918- p. 195. 8 B.M.Q.I. – Rapport du 4 Mars 1949 –n°229 - in 16 H 80-81 – Aix 9 Idem.

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Rahmaniya, Seddouq n’est plus, après 1871, qu’une zawiya parmi d’autres et des moins remarquables. IV.7.2 Aperçu général sur la Rahmaniya de Kabylie après 1871 : La fermeture de Seddouq, la mort du cheikh El Haddad poussent les chefs de zawiyas qui étaient sous son autorité à créer leur propre domaine. La concurrence est vive pour la direction des khwans. Chacun en réclame le monopole. Cheikh Mohand ou Belkacem des Ait Abbès et cheikh Ali Benhamlaoui d’Ain El Eurs(Constantine) prétendent avoir été désignés par cheikh El Haddad lui-même pour lui succéder. Ils fondent chacun une branche Rahmaniya. La famille du cheikh Ousahnoun d’Aït Oumalou (Aït-Irathen) ne reconnaît que sa propre ascendance spirituelle. La célèbre zawiya de Sidi Mansour de Timizart (Ait Djennad), tout en reconnaissant le cheikh des Aït Abbès veille à agrandir son domaine de recrutement dans la région d’Azzefoun. Cheikh Mohand l’Hocine est le maître incontesté dans les tribus du Djurdjura. La zawiya de Bouacem à l’Ouest de la Grande-Kabylie (Maatkas - Tizi-Ouzou) se détache de son affiliation kabyle pour se tourner vers El Hamel (Bousaada) dont elle constitue un point d’appui. Cheikh El Hamami de Palestro forme son propre domaine. Enfin, les plus anciennes zawiyas de la région (Sidi Abderahmane et Sidi Ahmed wdriss (Illoula) fortes d’un prestige ancestral se distinguent surtout par la qualité de leur enseignement et conservent jusqu’à la veille de 1954 un excellent rayonnement dans les régions du Haut Sebaou et parfois bien au-delà. Il y’a donc atomisation des influences et absence totale d’une direction reconnue par tous. Sur le plan politique, la fin du 19ème siècle se passe dans une sorte de « quiétude ». Il semble que chaque chef de zawiya, chaque groupe religieux, est préoccupé avant tout par sa survie face aux menaces, toujours pendantes, de répression. Le grand domaine de Seddouq est disloqué et les anciens moqadems revendiquent

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chacun pour soi toute la légitimité pour diriger la Rahmaniya . En 1978 lors de nos premières enquêtes de terrain1 un cheikh nous indiquait du seuil de sa mosquée les limites (bloc montagneux environnant) de son territoire de recrutement, et faisait grief à un de ses confrères de sa tentative de lui en usurper la « souveraineté » et de donner le mitâq à des personnes situées en principe dans son domaine. C’est dire combien l’émiettement de la tariqa Rahmaniya s’est sédimentée à travers le 20ème siècle. Par conséquent, une approche de l’histoire de cette tariqa doit tenir compte de ce fractionnement organisationnel sur un fond doctrinal partagé et un enracinement des grands traits de l’éthique confrérique. C’est cela qui assure une permanence à ce patrimoine religieux et spirituel et qui nous permet aujourd’hui encore d’en lire les marques dans les pratiques sociales de la religion.

1 En Janvier, Février 1978. Nous avons tenté de recueillir quelques informations sur sur le terrain, région des Maatkas, Aït Yenni, Michelet, Fort National.

CHAPITRE V

L’INSURRECTION DE 1871 : Chronologie des principaux événements.

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Les prémisses de l’insurrection de 1871 sont perceptibles dés le milieu des années 1860 et c’est en 1870 que des signes tangibles sont observés. En moyenne cette insurrection a mis au prise les insurgés algériens aux troupes françaises dans 350 combats. Ces combats de grande ampleur sont relayés par d’innombrables escarmouches ou batailles sporadiques. Globalement L’Algérie s’embrase des portes d’Alger à la frontière algéro-tunisienne et du littoral à la ligne Biskra-Boussada dans le sud alors que le sud-ouest est en insurrection depuis 1864. Après la reddition des insurgés de la Kabylie, de la Medjana, des massifs de Collo, ceux du sud-est ont continué des combats sporadiques jusqu’au mois de juillet 1871. Les tribus de la région de Cherchell se soulèvent le 13 juillet 1871 et ne sont vaincus que le 30 Août 1871. Les combats ont été plus intenses et nettement mieux coordonnées en Kabylie grâce à l’encadrement des Rahmaniya. Ainsi on assistera à une guerre synchronisée et militairement bien maîtrisée : les centres de colonisation comme Fort-National, Draa-El Mizan, Tizi-ouzou, Dellys, Palestro, sont pris d’assaut presque simultanément par les insurgés algériens. En moyenne 100.000 combattants sont engagés directement dans les différents combats1, tandis que le nombre de personnes touchées par l’insurrection est de l’ordre de 800.000. Le rapport de force momentanément favorable aux insurgés algériens en Février, Mars et Avril, 1871, a par la suite basculé au profit des troupes françaises (86 000 hommes) bien armées et bien montées. Ces dernières seront

1 8O.OOO combattants armés selon les sources relatives au désarmement des populations, c'est-à-dire pratiquement le nombre de fusils confisqués après l’insurrection.

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par ailleurs épaulées par les milices d’auto-défense formées par les colons notamment dans les centres de colonisation et les fermes isolées. Le dispositif militaire français en Algérie s’est dégarni avec le départ sur le front (guerre franco- prussienne) de 37 769 hommes dont 8054 non combattants (administration, santé…). Le 14 mars 1871 le Ministère de la Guerre français décide, suite au désengagement sur le front, de l’envoi de 17 500 hommes pour réprimer l’insurrection algérienne. 4000 hommes sont envoyés au début du mois d’avril 1871 comme renfort supplémentaires portant ainsi le total des soldats français en Algérie à 86 000. 6 colonnes militaires ont été mobilisées contre les insurgés algériens : colonnes Cerez, Saussier, Lapasset, Bonvalet, Lallemand, Adler. 1870. - 9 Mars. Le corps législatif français vote l’application du régime civile à l’Algérie. - 14 Juillet. Embarquement des troupes françaises pour le front. Guerre franco- prussienne. - 18 juillet : La France déclare la guerre à la Prusse. - 1 au 4 Septembre. Débâcle française face à la Prusse. Annexion de l’Alsace et de la Lorraine, l’Empereur français est fait prisonnier, et la République proclamée. - 24 Octobre. Promulgation des décrets Crémieux octroyant le statut de citoyens français aux juifs algériens. Décrets prévoyant l’extension des territoires civils mettant fin au régime des Bureaux arabes et au commandement indigène. En Algérie les colons s’en prennent aux militaires. Cela crée une atmosphère insurrectionnelle en particulier à Alger où un Comite de salut public est crée. - 21 Novembre. Mahieddine Ben Abdelkader (fils de l’Emir Abdelkader) quitte Tunis où il était installé pour Nefta à la frontière algéro-tunisienne. En fait il est accueilli par la zawiya Rahmaniya de Nefta. Cette dernière est fondée par

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Mostefa Ben Azouz au début du 19ème siècle. Elle dispose d’une influence et de ramifications importantes dans le sud est et dans l’est Constantinois. Il faut noter que jusqu’à l’occupation de la Tunisie en 1881, les insurgés algériens ont généralement trouvé refuge dans les établissements religieux du Kef, de Nafta et Négrine, de Ghardimaou, qui sont généralement d’obédience Rahmaniya et Kadriya. - Naissance des premiers comités insurrectionnels dans la région de Biskra : les « chartiyas ». - Rumeurs persistantes sur l’imminence d’un soulèvement dans l’ensemble de la Kabylie et dans l’Est du pays. Les décrets Crémieux et la généralisation du régime civil font l’objet de commentaires acerbes. La crainte de la perte du statut personnel est particulièrement mise en avant. -Intense circulation des moqqadems de la Rahmaniya. Dans la région d’Akbou, au Djebel ‘Azab se tient un imposant rassemblement de khwans de cette tariqa. - Concertation sur les marchés des chefs de tribus, stockage de réserves de grains, reconversion des montures (chevaux) pour une préparation au combat. - Un « moul es saâ » du nom de Mohammed Ben Abdessalam, moqqadem des Chadouliya lance un appel au soulèvement et s’installe à Acif El Hammam en Kabylie. - Dans la Medjana les Ouled Mokrane, inquiets pour leur commandement, suite à l’annonce du régime civil, sont néanmoins entrés dans un conflit interne. C’est le Général Augeraud qui se commet pour un arbitrage et une réconciliation entre les branches dissidentes des Mokrani. Il convient d’ajouter à cela le fait que Mohamed El Mokrani est mis en difficulté financière. Lors des calamités naturelles des années 1867-1868 (sécheresse, famine, choléra…), El Mokrani, à l’instar de beaucoup de chefs et de notables algériens, s’est substitués aux autorités françaises pour apporter une aide aux fellahs algériens ruinés et en détresse. El Mokrani met 860 000 frs à la disposition des fellahs sous forme de prêts remboursables. Il reçoit la garantie du Gouverneur général Mac Mahon dans l’hypothèse d’une incapacité des emprunteurs à rembourser. Ce qui fut le cas

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mais le Gouverneur étant parti, ses successeurs n’honorent pas les engagements qu’il a pris. - Dans le sud l’agitation et la rébellion des Ouled Sidi Cheikh et du Chérif Bouchoucha menace El Goléa. 1871. Janvier. 1 Promulgation du décret portant organisation administrative et politique de l’Algérie. Dissolution des commandements indigènes. - 5 Rencontre entre El Hadj Mohammed El Mokrani et Ben Ali Cherif à Akbou. - 8, 9, 10. Rencontre tripartite de réconciliation à Seddouq entre Ben Ali Cherif, El Mokrani, et cheikh Améziane El Haddad. Le Général Augeraud y participe. L’opinion publique dans les milieux coloniaux a accusé les officiers français d’avoir provoqué la réconciliation entre les chefs algériens les encourageant ainsi à se révolter. Cette opinion reprise par beaucoup d’auteurs, qui suggèrent même une sorte de duplicité des officiers de bureaux arabes dont les pouvoirs directs sur les populations sont supprimés au profit des administrateurs civils. En fait les colons ont toujours reproché aux officiers des Bureaux arabes, des cercles et subdivisions militaires de ne pas avoir assez facilité l’accès à l’ensemble des propriétés algériennes qui ont échappé à l’expropriation. Dans les faits l’article 5 du décret Crémieux tient pour responsable les officiers en cas de révolte dans les territoires sous leur commandement. Ces officiers, comme Augeraud s’exécute donc et tente de faire en sorte que les tensions entre tribus ou chefs locaux ne débouchent pas sur un affrontement. Sans doute, faut-il comprendre que là où ils l’ont fait il y a pu y avoir un effet inverse qui conduit les factions en conflit à se retourner contre les occupants. - 18 Ordre de mobilisation des spahis pour être envoyé sur le front.

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- 20. Refus des spahis stationnés à Aïn Guettar (Souk Ahras) d’embarquer pour la France. - 23. 98 spahis désertent leur campement. Ils s’installent au point dit « Ennchir Moussa ». Ils prennent contact avec la grande famille des Ben Resgui qui est considérée comme la principale force d’organisation du mouvement dans cette région. Cette puissante famille héritera d’un commandement dans le cercle de Souk-Ahras en 1858 ; A partir de 1867, les autorités militaires françaises entreprennent la déchéance politique des membres de cette famille. - 24. Les spahis déserteurs entrent en contact avec les tribus de la région de Souk Ahras (Ouled Aïdas, N’bails, Deiras, Ouled Khiar) et les incitent à la révolte. Ahmed Salah Ben Resgui, un spahis déserteur prend la tête des insurgés qui sont réunis à Enchir Moussa pour une proclamation du soulèvement. 26. 2 OOO insurgés attaquent Souk Ahras. - 31. Les insurgés se replient sur le territoire tunisien face aux troupes du Général Pouget et du Lt. Oudan. Les zawiyas de la région frontalière leur servent de refuge. Février. - 13. Les Ouled Aïdoun (El Milia) se concertent avec l’appui de moqqadems de la Rahmaniya. - 14. Assaut et blocus du fort d’El Milia. Deux chefs locaux de la Rahmaniya dirigent les insurgés. Il s’agit du Cheikh Moulay Chekfa et du cheikh Ben Fiala. - 16. Nefra sur le marché de Bouira. - 25. M’sila est attaquée et évacuée. - 26. El Hadj Mohammed El Mokrani se démet de ses fonctions de Bachagha de la Medjana. - 28. Fin du blocus d’El Milia. - Incendie du caravansérail d’El Esnam (oued Sahel). -Mahiéddine Ben Abdelkader reçoit la soumission des populations des oasis de Négrine et de Ferkane. Mars. - 3. Soulèvement des Ouled Khalifas de Tébessa. - 5. Le chérif Bouchoucha occupe Ouargla.

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- 8. Blocus de Tébessa et pillage de sa banlieue. - Emeute dans le Belezma. - El Hadj Mohammed El Mokrani organise un rassemblement de 3000 combattants à Draa-Metnan (15 kms au nord -ouest de Bordj Bou Arréridj. - 9. Mahiedine Ben Abdelkader rentre à Négrine et lance un appel à l’insurrection. - Nouvelle démission d’El Hadj Mohammed El Mokrani. - 14. El Mokrani rédige et envoie une lettre où il annonce son entrée en insurrection. - 15. El Mokrani renvoie officiellement son mandat de Bachagha. Les insurgés coupent les conduites d’eau de Bordj-Bou-Arraridj - 16. 1500 à 2000 insurgés attaquent et incendient le caravensèrail de L’Oued Okhris. - 18. Assaut de Bordj- Bou -Arreridj. - 19. Les insurgés sous la conduite de Boumezrag El Mokrani razzient les Beni-Messlem (Bouira). - 21. Combat d’Es- Serroudj. - 22-23. Attaque du Bordj Okhris. - 24. Prise du Borj Okhris par les insurgés. - 26. Reprise de Bordj Bou Arreridj par le Colonel Bonvalet. - 27. Premiers contacts entre El Mokrani et Cheikh El Haddad au sujet de l’entrée de la Rahmaniya dans le mouvement insurrectionnel. - Rassemblement des khwans Rahmaniya à l’occasion de la prière du Vendredi : cheikh El Haddad y assiste ainsi que son fils Aziz qui prêche l’insurrection. - 31. Boumezrag El Mokrani campe devant Teniet Oulad Daoud dans la région de Bouira. Avril. Organisation de la colonne Saussier. - 5. Les insurgés campent à 30kms de l’est de Sour El Ghozlane au lieu dit Hammam Zain. - 8. Le Cheikh Améziane El Haddad proclame l’insurrection et ordonne à tous les moqqadems de la Rahmaniya de mobiliser

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les Khwans et la population. L’ensemble de la Kabylie est ainsi entrée en insurrection. - Les troupes du Général Saussier reprennent le Bordj Medjana résidence des Mokrani. - 11. L’appel du cheikh El Haddad parvient aux populations de la région de Draa El Mizan. - 14. Préparation de l’assaut contre Tizi-Ouzou : les tribus des Aït Frawcen, Aït Djenad, Ouagenoun … se concertent. - Les Ouled Nabet (région de Sétif) incendient les fermes coloniales de l’arrière pays de Sétif. - 15. Troubles et nefra sur le marche du Sebt de Tizi-Ouzou. - Les Aït –Aïssi, Les Amraouas se joignent aux insurgés des Aït-Frawcen, Ouagnoun… - Les insurgés des Aurés attaquent Batna. - Pour contenir la rébellion en Kabylie, les troupes françaises stationnées à Sour El Ghozlane font mouvement vers le nord. - 16. Blocus de Fort-National. - Retrait des troupes françaises installées à Tamda vers Tizi-Ouzou. - Troubles sur le marché de Boghni. - 17. Arrivée des insurgés à oued Aïssi. - Assaut de Dellys par 1200 à 1500 insurgés. - 18. 12h assaut contre Tizi-Ouzou. -18h Tizi-ouzou est investit par les insurgés. Début du blocus du Bordj qui durera 24 jours. Le village français est pillé et incendié. - Le village de Rebeval(Baghlia) est incendié. -Siège de Bordj-Menaël. - Les ouvriers agricoles travaillant dans les fermes de la Basse-Kabylie passent à l’insurrection et brûlent les fermes coloniales. - Reprise du col de Theniet Boudaoud tenu par Bou Mezrag El Mokrani. - 19. Attaque et incendie de la fabrique Garro prés de Draa-El-Mizan. - Première journée du blocus de Dellys.

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- 20. Assaut des insurgés contre Draa El Mizan. Les cavaliers algériens employés par les Français rejoignent l’insurrection avec armes et bagages. - Arrivée au large de Dellys des navires français : « Le Linier », Le Kleber » et « l’Armide ». - Bombardement du Bou Mendas. - Blocus de Palestro par 1500 insurgés. - Les villages de Corso et Bellefontaine(Tidjelabine) sont attaqués. - Un très fort détachement d’insurgés se dirige vers la banlieue d’Alger. « Les kabyles qui venaient d’être repoussés étaient suivis de 20 000 au moins de leurs coreligionnaires, tous marchant sur la Mitidja et persuadés qu’ils allaient arriver sans encombre jusque sous les murs d’Alger » (Wattable). - 21-22. Palestro est pillée et incendiée. L’Alma (Boudouaou) est encerclée puis incendiée. Les troupes du Colonel Fourchault composées de Spahis essentiellement repoussent les insurgés et leur coupent la route sur Alger. - 24. Bougie est bloquée par les insurgés. Arrivée des troupes françaises du Colonel Fourchault à Palestro. Mai. - 8. El Hadj Mohammed El Mokrani trouve la mort dans le combat de l’Oued Souflat. « Parmi les kabyles se trouvait El Mokrani à pied ayant changé de vêtements pour ne pas être distingué par la blancheur de ses effets et entraînant lui-même les gens dans ce dernier effort. Les zouaves bien placés ont ouvert sur eux des feux de peloton à commandement. C’est par l’un de ces feux qui a frappé une centaine d’ennemis que Mokrani a reçu une balle entre les deux yeux. » (Extrait des rapports du Général Cerez. Dépêche télégraphique du 9 mai 1871, annonçant la mort d’El Mokrani. Archives du Ministère des Armées. Vincennes. Carton H 375). - Repli des insurgés. Prise de commandement de l’insurrection par Boumezrag El Mokrani.

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- 11. La colonne du Général Lallemand entre à Tizi-Ouzou. - 13. Reprise totale de Palestro. - Restitution des prisonniers français. - Premières soumissions des tribus. - 22. Assaut général des insurgés au nombre de 2 à 2500 contre Fort-National. - La colonne Lallemand avance en direction de la Haute-Kabylie. - 29. Attaque et blocus du Bordj de Beni Mansour. Juin. Djidjelli et sa région entre en insurrection. - 5. Fin du blocus de Bougie. - 27. La Kabylie est pratiquement reprise par les colonnes françaises. Aziz El Haddad se rend. Il est emprisonné à Constantine et condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Il s’en évadera pour s’installer à Djeddah où il meurt en 1895. Juillet. - 13. Arrestation du cheikh Améziane El Haddad. Condamné par la cour d’assise de Constantine à 5ans de prison, il meurt 5 jours après sa condamnation. - 14. Insurrection des tribus de la région de Cherchell et Miliana. - 24. Siège de Cherchell. - Au 30 août 1871, les foyers insurrectionnels se sont tous éteints, mais des attaques sporadiques contre les troupes françaises continuent d’être enregistrées sur de nombreux points du territoire algérien. Boumezrag El Mokrani en fuite dans le sud du pays ne sera arrêté que le 20 janvier 1872 ; Le chérif Bouchoucha pour sa part le sera bien plus tard le 31 mars 1874 ;

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TABLEAU I : CERCLE DE TIZI-OUZOU MOQUADEM DE LA RAHMANIYA AYANT UNE PART ACTVE A L’INSURRECTION DE 1871

(KABYLIE) NOM TRIBU VILLAGE OBSERVATIONS

Si Mohamed ou Ali ou El Kadi

Mechtras Bou Hinoun Zawiya de Bouacem

Si Mohamed Améziane Amraoua Bou Khalfa Si Ahmed El Bachir Maatkas Cheurfat El Bachir Si M’hamed Améziane Béni Mahmoud Ait El Hadi Si Mohamed Améziane Idem Tamgout Azouz Cheikh Mohamed Said Nait Youcef

Ait Djamed Timizart Zawiya de Sidi Mansour

Si Rabia El Mazari Maatkas Ait Aissa ou Zeggan Si El Menouar Idem Idem Cheikh Ali Maatkas Si Ali ou Moussa Zawiya de Sidi Ali

ou Moussa Si El Hadj Said Nait Cheikh Ait Aissa Tamgout ou

Kerrouch

Si Mohamed El Cheikh Maatkas Tala Hamou Si Ahmed ou Said Maatkas Tala Hamou Cheikh Taieb Zakfaou Tifizouin Cheikh Mohamed Nait Saadi Aït-Flik Tifrit Nait El Hadj Cheikh Said El Biskri Ait R’orbi yakouren Cheikh El Bachir Azouza Ighzer Makhlef Si Mohamed Amoukrane Ait Djenad Hendou Sadi El Hadj Larbi Ait R’orbi Si Ahmed ou Cheikh Ait Bouchaieb Ait Zellal Si El Hadj Belkacem Ait Fraoucen Bouzahriz Si El Hadj Ahmed El Mazari Ighil N’Zkri Ait N’Zkri Si Ahmed El Mouhoub Ait Ouagnoun Ighil Bouchai

Source : Notice in I 95-1871-Aix-Robin 1901-Rapport Djurdjura

1895-16 H 8

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TABLEAU II : CERCLE DE FORT NATIONAL NOM TRIBU VILLAGE OBSERVATIONS

Si Mohamed Nait Sidi Ahmed Ait Bou Youcef Ait Khelifa Si Mohamed ou Moudjebeur Ait Medjebeur

Ait Yahia Ait Hichem

Mohamed Ameziane ou Keddoch Ait Yahia Ait Melal Si Ali ou Belkacem Ait Iraten Tamazirt Amar Nait Slimani Idem Idem Mohamed Said ou Ali ou Ahmed Ait Iraten Ait Yakoub Si Abdellah Nait El Cadhi Idem Ait Frah El Hadj Mohamed Said Nait Kaci Ait Attaf Ait Saada Famille Ait Kaci El Hadj Mohamed Said Nait chikh

Ait Yenni Taourirt El Hadjadj

Famille Ait Chikh

Si Mohamed ou Ali ou Sahnoun Ait Iraten Isahmounèn Si El Hadj Mohamed Said Nait Sidi Said

Ait Idourar Ahfir

TABLEAU II (suite) Si Belkacem ou Lounis Ait Iraten Agouni Dheban Cheikh Mohamed Nait El Hocine Ait Ouacif Bou

Abderahmane

Cheikh Mohamed Nait Braham Ait Itouragh Si El Hocine Iharouzen Ait Iraten Agouni Djelban Ahmed ou Mohamed Azouaou Ait Iraten Azouaz Si Mohamed ou Sliman Idem Adni Ahmed ou amar ou Ali Idem Ait Hag Si Lounis ou Salem Idem Tizi Rached Si El Hadj Mohamed El Hachem Idem Ait Atteli

TABLEAU III : CERCLE DE DELLYS NOM TRIBU VILLAGE OBSERVATIONS

Cheikh Taieb Ben Mohamed El Hadj

Iflissen El Bahr Timlilineze Zawiya de Timliline

Si amar Haddouch Ait Ouaghnoun Cheikh Ali Idem Cheikh Ali N’Saadi Idem Cheikh El Hadj Mohamed Taourga Draa El Mizan Cheikh el Hadj El Bachir Ait Smail Tizi Medni Cheikh Taieb Ben Lounis Ait Mendès Ighil N’Bil Cheikh Ali Ben Tahar Mechtras Cheikh Ameur Ben Ali Idem Bou Akkala Cheikh Mohamed Said Ben El Hadj

Cherfa Ait ou Ali

Cheikh El Hadj Hachem Ait Bou Ghendar Ait Jdja Cheikh Abdallah Ben Ahmed

Ighil Imoula

Cheikh Mohamed Said ou El Hadj

Ouadhias Ait Abderzak

Cheikh Kassi Nait Abdellah Idem Ait Chellala

Bibliographie. En plus des sources d’archives et orales citées dans les notes, les références suivantes permettent de mobiliser des données sur les questions abordées dans ce livre. Il convient cependant d’attirer l’attention sur les précautions et la vigilance intellectuelles que l’usage de certains titres nécessite. Ces derniers sont essentiellement ceux produits dans le feu des événements de 1871 ou peu après. En gros il s’agit du stock ethnographique du 19ème siècle qui est souvent d’une impartialité très discutable et à la limite contestable. Toutefois, les faits bruts soumis à des recoupements et des croisements permettent de discerner la part de la réalité et celle qui est de l’ordre de l’évaluation d’acteurs dont le parti pris pour la colonisation est attesté. Il faut donc considérer qu’on ne peut pas y puiser de façon incontrôlée. Naturellement il en va autrement pour les références d’historiens nationaux ou français de notoriété scientifique établie. AGERON, Charles Robert. Les Algériens musulmans et la France (1871-1919).Paris, PUF, 1968. 2 volumes. Histoire de l’Algérie contemporaine. Paris, PUF, 1964. Collection, « Que sais-je ». L’insurrection de 1871 en Algérie. Le Monde, 14 avril 1971. André, Pierre (Général). Contribution à l’étude des confréries religieuses musulmanes. Alger, Maison du Livre, 1956. Aucapitaine, Henri (Baron). La zaouia de Chellata. Excursion chez les zouaoua de Haute-Kabylie. In Mémoires de la société de Géographie de Genève, 1860. AZIZ ibn Mohammed Amèziane. Mémoire d’un accusé. Traduit par Ernest Mercier. Préface de Léon Seror. Constantine, Marle, 1873. Bachtarzi Mustapha. Kïtâb manh er rabani. Charh manthûmat er rehamaniya. Tunis-Mahamedia, imprimerie Qadriya-Rahmaniya, 1807. Traduction française par R. P. Antoine

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- Réflexion froide sur des questions chaudes. Quelle anthropologie du religieux en Algérie ?- in Actes du Colloque : « Quel avenir pour l’Anthropologie en Algérie ? » Oran, Ed. Crasc, 2002, pp 87-94. Société et religion en Kabylie.1850-2000. Thèse de Doctorat d’Etat Es Lettres et Sciences humaines. Université de la Sorbonne-Nouvelle, Paris III, juin 2004. SARI, Djilani. L’insurrection de 1871. – Alger, S.N.E.D, 1972. (Coll. Pour tous). -La dépossession des Fellahs. – Alger, S.N.E.D, 1975. SAUTRAYA, E. législation de l’Algérie. – Pris, Maisonneuve, 1883. SERRADJ, Rabah. Il y a 84 ans l’insurrection de Mokrani. – Liberté, 24 Mars 1955. SERRE, Louis. Les arabes martyrs. Etudes sur l’insurrection de 1871en Algérie. Paris, Lachaud, 1873. SIMIAN, Marcel. Les confréries religieuses en Algérie. – Paris 1910. TEMIMI, Abdjelil. Recherches et documents d’histoires maghrébines : la Tunisie, l’Algérie, et la Tripolitaine de 1816 à 1871. – Tunis, 1971. TREILLE, Docteur A. l’expédition de la Kabylie et du Hodna, Mars-Nov. 1871. Notes et souvenirs d’un médecin militaire. – Constantine, 1876. TURIN, Yvonne. Affrontements culturelles dans l’Algérie coloniale. Ecoles, médecine, religion, 1830-1880. – Paris, Maspéro, 1971. (Coll. « les textes à l’appui »).

Un texte du Cheikh Mohamed Ameziane El-Haddad. Revue d’histoire du Maghreb, N° 1, Janvier 1966, pp 91-94. Par le cheikh Mehdi Bouabdelli. VATIN, Jean-Claude. Algérie, histoire politique et société. – Paris, F.N.S.P ? 1975. VOSSION, Louis. Si El Hadj Mokrani, forçat gracié. Souvenirs de la révolte de l’Algérie en 1871. – Paris, Challamel, 1905. WATBLE, Ernest. Un épisode de l’insurrection Kabyle de 1871. L’Alma-Palestro.-Revue des deux mondes. Vol. 108, 1873,pp 625-640 .

Table des matières.

Chapitre I. L’avènement de la Rahmaniya et son expansion - I.1. La Rahmaniya et son insertion dans le tissu religieux kabyle : Une longue période d’unité de direction . . . . . . . . . . . .13 - I.2. La Rahmaniya hors de son berceau kabyle : cartographie sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Chapitre II. La Rahminiya : fondements doctrinaux d’une scripturalité ouverte au grand nombre

- II.1. L’entrée dans la voie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 - II.2. Définitions des statuts religieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 - II.3. De l’éthique et de la conduite de l’adepte . . . . . . . . . . . . . 33

Chapitre III. Une culture religieuse intégrée : ethos kabyle et éthique confrérique

- III.1. Eloge du khawni et de la confrérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 - III.2. Le maître de confrérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 - III.3. Dieu et ses à travers les sentences et des fragments poétiques kabyles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .60 - III.4. Présence de l’éthique de la tariqa . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Chapitre IV. La zawiya de Seddouq à la veille de l’insurrection de 1871

- IV.1. Biographie sommaire du cheikh Améziane El Haddad . . 77 - IV. 2. La montée en puissance de la zawiya Rahamniya de Seddouq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 - IV.3. Les relations entre les chefs algériens à la veille de l’insurrection de 1871 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 . IV.3.1. La zawiya d’Ichellathen et les Ben Ali Cherif . . . . . . . . 84 . IV.3.2. Le conflit entre Ichellathen et Seddouq . . . . . . . . . . . . . 90 - IV.4. Situation politique et sociale à la veille de l’insurrection de 1871 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 - IV. 5. La situation dans les tribus à la fin de l’année 1870 . . . 97 - IV.6. La zawiya de Seddouq en 1871 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 - IV.7. Le déclin de Seddouq et l’émergence de nouveaux pôles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 . IV.7.1. Le déclin de Seddouq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 . IV.7.2. Aperçu général sur la Rahmaniya de Kabylie parés 1871 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Chapitre V. L’insurrection de 1871 : chronologie des principaux événements . . . . . . . .119 - Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .131

Tiẓrigin n Usqamu Unnig n Timmuzɣa Editions du Haut Commissariat à l'Amazighité

-o-O-o- Collection “Idlisen-nneɣ” 01- Khalfa MAMRI, Abane Ramdane, ar taggara d netta i d bab n timmunent, 2003 (Tasuqelt Abdenour HADJ-SAID d Youcef MERAHI ) 02- Slimane ZAMOUCHE, Uḍan n tegrest, 2003. 03- Omar DAHMOUNE, Bu tqulhatin, 2003. 04- Mohand Akli HADDADOU, Lexique du corps humain, 2003. 05- Hocine ARBAOUI, Idurar ireqmanen (Sophonisbe), 2004. 06- Slimane ZAMOUCHE, Inigan, 2004. 07- S. HACID et K. FERHOUH, Laṣel ittabaɛ laṣel akk d : Tafunast igujilen, 2004. 08- Y. AHMED ZAYED et R. KAHLOUCHE, Lexique des sciences de la terre et lexique animal, 2004. 09- Lhadi BELLA, Lunǧa, 2004. 10- Antoine de St EXUPERY, Le Petit Prince, 2004 (Tasuqelt Habib Allah MANSOURI, Ageldun amecṭuḥ ) 11- Djamel HAMRI, Agerruj n teqbaylit, 2004. 12- Ramdane OUSLIMANI, Akli ungif, 2004. 13- Habib Allah MANSOURI, Amawal n tmaziɣt tatrart, édition revue et augmentée, 2004. 14- Ali KHALFA, Angal n webrid, 2004. 15- Halima AIT ALI TOUDERT, Ayen i ɣ-d-nnan gar yetran, 2004. 16- Moussa OULD TALEB, Mmi-s n igellil, 2004 (Tazwart : Youcef MERAHI) 17- Mohand Akli HADDADOU, Recueil des prénoms amazighs, 2004. 18- Nadia BENMOUHOUB, Tamacahut n Basɣar, 2004. 19- Youcef MERAHI, Taqbaylit ass s wass, 2004. 20- Abdelhafidh KERROUCHE, Teɣzi n yiles, 2004. 21- Ahmed HAMADOUCHE, Tiɣri n umsedrar, 2004. 22- Slimane BELHARET, Awal ɣef wawal, 2005. 23- Madjid SI MOHAMEDI, Afus seg-m, 2005. 24- Abdellah HAMANE, Merwas di lberj n yiṭij - aḥric I, 2005. 25- Collectif, Tibḥirt n yimedyazen, 2005. 26- Mourad ZIMU, Tikli, tullisin nniḍen, 2005. 27- Tayeb DJELLAL, Si tinfusin n umaḍal, 2005. 28- Yahia AIT YAHIATENE, Faḍma n Summer, 2006. 29- Abdellah HAMANE, Merwas di lberj n yiṭij - aḥric II, 2006. 30- Lounes BENREJDAL, Tamacahut n bu yedmim, 2006. 31- Mezyan OU MOH, Tamacahut n umeksa, 2006. 32- Abdellah ARKOUB, Nnig wurfan, 2006. 33- Ali MAKOUR, Ḥmed n ugellid, 2006. 34- Y. BOULMA & S. ABDENBI, Am tmeqqunt n tjeǧǧigin, 2006. 35- Mohand Akli SALHI, Amawal n tsekla, 2006. 36- O. KERDJA & A. MEGHNEM, Amawal amecṭuḥ n ugama, 2006. 37- Ali EL-HADJEN, Tudert d usirem, 2006. 38- Hadjira OUBACHIR, Uzzu n tayri, 2007. 39- Djamel BENAOUF, Di tmurt uɛekki, 2007. 40- Akli OUTAMAZIRT, Targit, 2007. 41- Mohamed Salah OUNISSI, Tametna n umenzu, 2007.

42- Ramdane ABDENBI, Anagi, 2007. 43- Ramdane LASHEB, Ccna n tlawin ɣef ṭṭrad 54/62, 2007. 44- Said CHEMAKH, Ger zik d tura, 2007. 45- Said IAMRACHE, Timenna n Saɛid Iɛemrac, 2007. 46- Mohamed MEDJDOUB, Baba Carlu, 2007. 47- Nadia BENMOUHOUB, Tafunast igujilen, 2007. 48- Ali MOKRANI, Agama s tugniwin, 2007. 49- Fatma ELKOUCHA, Tamedyazt n Yasmin, 2007. 50- Naima HADJOU, Amennuɣ n tudert-iw, 2007. 51- Hocine LAOUES, Gar umqadmu d umnelti, 2007. 52- Omar KHAYAM, Rubaɛiyyat, 2007 (Tasuqelt Abdellah HAMANE) 53- Ferdinand DUCHENE, Tamilla, 2007(Tasuqelt Habib Allah MANSOURI) 54- Slimane ZAMOUCHE, Agellil akk d ineffuten yelhan, 2007. 55- Djamel HAMRI, Anadi di tmedyazt, 2007. 56- Khaled FERHOUH, Ḥku-yaɣ-d tamacahut, 2007. 57- Lhadi BELLA, Awal d usefru, 2007. 58- Omar DAHMOUNE, Agu, 2007. 59- Yahia AIT YAHIATENE, Untigun, 2007. 60- Tiddukla Yusef U Qasi - Si Muḥend U Mḥend, Tafaska n tmedyazt, 2008. Actes de colloques 01- Actes des journées d'étude sur La connaissance de l'histoire de l'Algérie, mars 1998. 02- Actes des journées d'étude sur L'enseignement de Tamazight, mai 1998. 03- Actes des journées d'étude sur Tamazight dans le système de la communication, juin 1998. 04- Actes des journées d'étude sur Approche et étude sur l'amazighité, 2001. 05- Actes du colloque sur Le mouvement national et la revendication amazighe, 2002. 06- Actes du colloque international sur Tamazight face aux défis de la modernité, 2002. 07- Actes des séminaires sur la formation des enseignants de Tamazight et l'enseignement de la langue et de l'histoire amazighe, 2003. 08- Actes des colloques : Identité, langue et Etat -/- La permanence de l'architecture amazighe et l'évolution des cités en Algérie, 2003. 09- Actes des stages de perfectionnement pour les enseignants de tamazight, mars 2004. 10- Actes du Colloque : Le passage à l'écrit des langues et cultures de tradition orale, le cas de Tamazight, 2004. (Voir Timmuzgha N°13) 11- Actes du Colloque : La littérature amazighe : de l'oralité à l'écrit, 2005 (Voir Timmuzgha N°14) 12- Actes du Colloque : Tamazight dans les médias et à l'école : hypofonctionnalité et usages du lexique, 2006 (Voir Timmuzgha N°15) 13- Actes du colloque sur Le patrimoine culturel immatériel amazigh, 2006. 14- Actes du colloque sur Le libyco-berbère ou le Tifinagh ; de l'authenticité à l'usage pratique, 2007. Revue « Timmuzgha » Revue d'études amazighes du Haut Commissariat à l'Amazighité : N° 01, avril 1999, ----- N° 19, août 2008.

- N°10, octobre 2004, Spécial Mohya, Entretien. - N°12, décembre 2006, Tajmilt i Si Muḥend U Mḥend. - N° spécial en Tamazight : . N°16, janvier 2008. . N°17, avril 2008. . N°19, août 2008. Autres publications 01- Chafik MOHAMED, Aperçu sur trente trois siècles de l'histoire des imazighènes, 1997. 02- Annuaire des associations culturelles amazighes, 2000. 03- Idir El-Watani, L'Algérie libre vivra, 2001. 04- Mohand Oulhadj LACEB, La phonologie générative du kabyle : l'emphase et son harmonie. Tome1, Histoire et fondements d'un débat argumentaire, 2007. 05- Mohand Oulhadj LACEB, La phonologie générative du kabyle : l'emphase et son harmonie. Tome2, Analyse et représentation phonologique, 2007. 06- Collectif, Mouloud FERAOUN, Evocation, Actes du Colloque, 2008. 07- Catalogue des publications du HCA, 2008. Consultings 01- Kamel BOUAMARA, Nekni d wiyiḍ, 1998. 02- Mouloud FERAOUN, Ussan di tmurt, 1999 (Tasuqelt Kamel BOUAMARA) 03- Nora TIGZIRI - Amar NABTI, Etude sur « L'enseignement de la langue amazighe : bilan et perspectives », 2004. 04- Iddir AMARA, Les inscriptions alphabétiques amazighes d'Algérie, 2006. 05- Kemal STITI, Fascicule des inscriptions libyques gravées et peintes de la grande Kabylie, 2006. 06- Mohand Akli HADDADOU, Dictionnaire des racines berbères communes, 2006/2007. 07- Abdellah NOUH, Glossaire du vocabulaire commun au Kabyle et au Mozabite, 2006/2007. 08- Sadaq BENDALI, Awfus amaynut n tutlayt tamaziɣt, 2007. 09- M'hammed DJELLAOUI, Tiwsatin timensayin n tesrit taqbaylit, 2007. 10- Kamel BOUAMARA, Amawal n tunuɣin n tesnukyest, 2007. 11- Moussa IMARAZENE, Manuel de syntaxe berbère, 2007. 12- M'hammed DJELLAOUI, Tiwsatin timensayin n tmedyazt taqbaylit, 2007. 13- Moussa IMARAZENE, Timɛayin n leqbayel, 2007. 14- Nora BELGASMIA, L'expression écrite en tamazight, 2007. 15- Mouloud LOUNAOUCI, Projet de création d’un Centre de terminologie amazighe, TERAMA, 2007.

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