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1 La Théorie de lupasco et trois de ses applications Dominique Temple Publié dans : Teoria de la Reciprocidad, tomme II : La teoría de Lupasco y tres de sus aplicaciones, pp. 37-56, PADEP-GTZ , La Paz, Bolivia (Voir aussi La logique du contradictoire de Stéphane Lupasco sur le site : Réciprocité, Echange, Lien social) < accueil Contenu : Introduction Une logique dynamique et dialectique Une logique de l'énergie et une logique formelle Une nouvelle théorie de la connaissance Une vision physicienne de la logique lupascienne : l'interprétation de Basarab Nicolescu La théorie de Lupasco et la théologie, selon Bernard Morel Du quantique au psychique avec Lupasco La théorie de la réciprocité < sommaire Les principes de la logique d'identité excluent par définition que deux états de chose contradictoires puissent coexister en même temps et sous le même rapport. Pourtant la philosophie grecque dès ses début en même temps qu'elle théorisait cette logique reconnaissait déjà ce qui est en soi contradictoire sous le nom de puissance (Platon) ou encore de matière (Aristote). La logique modale, aujourd'hui les logiques polyvalentes, ou statistiques... introduisent un grand nombre de valeurs pour rendre compte d'états intermédiaires entre des contraires, par exemple le probable, l'aléatoire, l'incertain....etc.. Néanmoins, le contradictoire lui-même est toujours reporté hors du cadre de ces logiques car si chacune de ces valeurs décrit un état plus ou moins contradictoire, cette description est en elle-même non-contradictoire comme la photographie d'un corps en mouvement est immobile. La

La théorie Lupasco par D. Temple

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Details. +++ Detalii teorie Lupasco.

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    La Thorie de lupasco

    et trois de ses applications

    Dominique Temple

    Publi dans : Teoria de la Reciprocidad, tomme II : La teora de Lupasco y tres de sus aplicaciones,

    pp. 37-56, PADEP-GTZ , La Paz, Bolivia

    (Voir aussi La logique du contradictoire de Stphane Lupasco sur le site :

    Rciprocit, Echange, Lien social)

    < accueil

    Contenu :

    Introduction

    Une logique dynamique et dialectique

    Une logique de l'nergie et une logique formelle

    Une nouvelle thorie de la connaissance

    Une vision physicienne de la logique lupascienne : l'interprtation de Basarab Nicolescu

    La thorie de Lupasco et la thologie, selon Bernard Morel

    Du quantique au psychique avec Lupasco

    La thorie de la rciprocit

    < sommaire

    Les principes de la logique d'identit excluent par dfinition que deux tats de chose contradictoires

    puissent coexister en mme temps et sous le mme rapport. Pourtant la philosophie grecque ds ses

    dbut en mme temps qu'elle thorisait cette logique reconnaissait dj ce qui est en soi

    contradictoire sous le nom de puissance (Platon) ou encore de matire (Aristote). La logique modale,

    aujourd'hui les logiques polyvalentes, ou statistiques... introduisent un grand nombre de valeurs pour

    rendre compte d'tats intermdiaires entre des contraires, par exemple le probable, l'alatoire,

    l'incertain....etc.. Nanmoins, le contradictoire lui-mme est toujours report hors du cadre de ces

    logiques car si chacune de ces valeurs dcrit un tat plus ou moins contradictoire, cette description est

    en elle-mme non-contradictoire comme la photographie d'un corps en mouvement est immobile. La

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    fonction symbolique peut donc exprimer de faon non-contradictoire des sensations, sentiments, ou

    valeurs, tels que le doute, la libert, etc. qui sont des exprience subjectives de la pense et dont

    certaines peuvent tre dites contradictoires. plus forte raison, peut-elle reprsenter des ralits non-

    contradictoires de la nature que l'exprience vient vrifier comme telles. On est fort tent de conclure

    que la fonction symbolique ne fait que se conformer une non-contradiction donne par la nature, et

    que la ralit ultime de celle-ci doit tre constitue de phnomnes non-contradictoires : ainsi la

    lumire fut imagine tour tour comme un phnomne continu ou discontinu mais jamais les deux

    la fois. Or, le postulat qu'elle devait tre ncessairement non-contradictoire, soit discontinue soit

    continue, s'est trouv mis en dfaut. Max Planck devait montrer en tudiant le rayonnement des corps

    noirs que l'on ne peut rendre compte des proprits de la structure fine de l'nergie sans introduire au

    sein de celle-ci une contradiction irrductible. L'nergie lumineuse est dans un tat indcid entre le

    continu et le discontinu, tat que l'on doit nommer de faon nouvelle. C'est l'interaction de cet tat en

    lui-mme contradictoire avec l'instrument d'observation qui produit une phnomne non-

    contradictoire et, selon l'appareil de mesure requis, un phnomne continu ou discontinu. Cette thse

    fut gnralise par L. de Broglie toute structure lmentaire de l'univers. Tout phnomne physique

    quantique est donc un dynamisme qui tend vers l'un ou l'autre des ples d'une structure contradictoire

    selon l'instrument de mesure utilis pour l'apprhender.

    Pour se reprsenter le contradictoire lui-mme, Bohr propose de raliser successivement les

    expriences qui le transforme en phnomne discontinu et continu, et d'interprter ces mesures

    comme complmentaires. Le quantum contradictoire est ainsi traduit par des observations non-

    contradictoires (un vnement continu ou discontinu). Heisenberg observe alors qu'il est possible de

    garder la valeur de vrit de la logique classique pour signifier la non-contradiction que rvle

    l'exprience et de garder la notion de faux pour le contradictoire lui-mme, condition d'tablir entre

    l'un et l'autre des degrs de vrit. Chacun de ces degrs de vrit sera en lui-mme une valeur non-

    contradictoire qui satisfera notre logique usuelle. Les degrs de vrit sont comparables aux valeurs

    modales ou aux valeurs des logiques polyvalentes, pour reprsenter de faon non-contradictoire ce

    qui est plus ou moins contradictoire. Heisenberg note que le quantique lui-mme, le contradictoire

    donc, peut tre dfini comme la coexistence des potentialits de ces valeurs. La coexistence de

    potentialits antagonistes de Heisenberg est une formule qui nous permet d'approcher d'assez prs

    la logique du contradictoire de Stphane Lupasco.

    Une logique dynamique et dialectique

    Une dmarche intuitive nous permettra de prolonger la perspective de Heisenberg par celle de

    Lupasco : si l'on multiplie l'infini les valeurs intermdiaires entre deux contraires, ou encore les

    degrs de vrit, on peut remplacer cette infinit par un vecteur qui signifie le passage d'un contraire

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    l'autre. La manifestation progressive d'un contraire sera dite actualisation. Mais on peut aussi bien

    envisager cet vnement comme la dynamique de l'autre contraire c'est--dire comme une

    dsactualisation de celui-ci. Lupasco propose d'envisager que la dsactualisation soit dfinie de faon

    positive. Le postulat qui fonde la logique du contradictoire (le principe d'antagonisme) nonce que

    toute actualisation est conjointe une potentialisation antagoniste. Chaque tat intermdiaire sera

    donc constitu d'une dynamique s'actualisant conjointe sa dynamique antagoniste se potentialisant.

    Les valeurs peuvent ainsi tre ramenes diffrents moments de cette actualisation-potentialisation,

    et il parat cette fois que chacune est constitue par un degr d'antagonisme entre deux non-

    contradictions opposes (actualisation et potentialisation). Chaque degr sera dfini par trois

    paramtres : par l'actualisation et la potentialisation de chacun des contraires, et par son quantum

    d'antagonisme, alors que, dans la logique classique, il ne peut tre dfini que par son degr de vrit

    c'est--dire de sa non-contradiction. Le quantum d'antagonisme, c'est le contradictoire exclu des

    logiques traditionnelles, ainsi r-introduit au coeur de toute expression logique.

    Est exclue dans cette logique du contradictoire, l'actualisation absolue de la non-contradiction, car

    l'actualisation absolue d'une dynamique interdirait toute conjonction antagoniste. Ce postulat est

    confort par les relations d'indtermination de Heisenberg qui montrent comment toute actualisation

    tend asymptotiquement vers la non-contradiction absolue mais sans jamais l'atteindre.

    Il est important de noter que le quantum d'antagonisme, le contradictoire lui-mme, que Lupasco

    appelle le Tiers inclus, peut s'accrotre aux dpens de l'actualisation-potentialisation des ples

    contraires. C'est donc trois ples que cette logique dialectique reconnat : deux ples dfinis par

    chacun des contraires et un ple qui rsulte de leur relativisation rciproque.

    Le principe d'antagonisme s'applique enfin la contradiction qu'il recle et la non-contradiction

    qu'il recle galement comme deux contraires : si la contradiction s'actualise, elle potentialise la

    non-contradiction (les potentialits coexistantes de Heisenberg). Si la non-contradiction s'actualise

    elle potentialise la contradiction. De mme que la logique d'identit russissait parler du

    contradictoire de faon non-contradictoire, son tour la logique de Lupasco russit parler de la non-

    contradiction de faon contradictoire.

    Lupasco reprsente la matrice originelle de cette logique ainsi :

    e......non-e

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    A .......... P

    T ...........T

    P.......... A

    qui se lit : e s'actualise en potentialisant non-e ; e ni ne s'actualise ni ne se potentilise et non-e de

    mme pour engendrer un tat contradictoire (T) ; non-e s'actualise, e se potentialise.

    Une logique de l'nergie et une logique formelle

    Il est possible de donner cette logique un contenu intuitif : on dira par exemple que l'actualisation

    de l'homogne est conjointe la potentialisation de l'htrogne ... etc. Ces notions intressent des

    ralits physiques et biologiques. Ainsi les notions de champ, d'onde, d'inertie, entrent dans le

    domaine de l'homognisation de l'univers, celle de matire et anti-matire, de corpuscule, d'atome,

    de vie dans celui de l'htrognisation.

    Le raisonnement suivant permet alors d'accder une logique formelle :

    en vertu du principe d'antagonisme, l'actualisation absolue d'un vnement est impossible : le

    principe d'identit qui s'exprimerait : (e implique e), et le principe inverse d'altrit absolue (e exclut

    e) sont en fait relis par le principe d'antagonisme. Si l'un s'actualise l'autre se potentialise

    (e implique e)A est conjoint (e exclut e)P

    (e exclut e)A est conjoint (e implique e)P

    (e implique e) et (e exclut e) pouvant tre n'importe quel couple de contraires, il est possible de ne

    tenir compte que des relations qui les caractrisent. Le principe d'antagonisme porte alors sur ces

    relations logiques : on obtient le tableau suivant :

    Les observations de la Physique moderne paraissent s'inscrire aisment dans le champ de la logique

    de Lupasco puisque tout phnomne rsultant de l'interaction entre l'instrument de mesure et la chose

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    observe peut tre interprt comme une actualisation. Le quotient d'antagonisme n'est sans doute pas

    observable, mais les relations d'indtermination de Heisenberg dcrivent l'impossibilit de l'ignorer,

    en prcisant les limites des actualisations-potentialisations antagonistes, c'est--dire les limites de

    chaque phnomne dans le sens de la non-contradiction.

    La Physique a donc rvl contrairement ce qu'elle prvoyait que la nature peut s'interprter partir

    d'une relation entre trois ples dont l'un est ce qui en soi contradictoire. Et l'on est conduit se

    demander si ce n'est pas ce niveau du contradictoire que peut s'instaurer une relation directe entre le

    rel et la conscience.

    Une nouvelle thorie de la connaissance

    La logique de Lupasco peut-elle rsoudre l'nigme de la relation entre la conscience et le rel, entre le

    connu et le connaissant ?

    Lupasco rpond par un postulat d'une fcondit inoue. Il nomme la potentialisation conscience

    lmentaire, laissant l'actualisation tous les attributs de ce que nous appelons le rel. A quoi peut

    bien servir de redoubler le rel de consciences lmentaires ou l'inverse ? Et si la pense rend compte

    du monde d'une faon ou d'une autre pourquoi imaginer que ce soit partir de consciences

    lmentaires inverses du rel ? Lupasco entend par conscience lmentaire une conscience qui n'a

    pas conscience d'elle-mme. C'est prsent qu'il faut se rfrer aux contraires comme ples d'une

    relation contradictoire, et ce qui est en soi contradictoire (exclu de toutes les logiques classiques et

    modernes), et rinsr par Lupasco sous le nom de Tiers inclus. Le Tiers inclus est en somme la

    rsultante de l'annihilation rciproque de deux contraires. Il n'est ainsi aucune ralit observable. Les

    physiciens l'appellent le vide quantique ou l'nergie du vide ou encore le hasard pur. Ce vide peut,

    alors, s'envisager du point de vue de la dfinition propose par Lupasco de la potentialisation. Lorsque

    le contradictoire se dveloppe au dtriment des actualisations-potentialisations antagonistes, le

    caractre lmentaire de chacune des deux consciences lmentaires s'annihile tandis que la

    rsultante de cette annihilation rciproque est une conscience contradictoire en elle-mme, seulement

    occupe s'apprcier elle-mme, une conscience d'elle-mme,. Mais il suffirait que la symtrie des

    contraires qui s'annihilent ne soit pas parfaite pour que demeure l'horizon de cette conscience de

    conscience pure une part de conscience lmentaire. La conscience de conscience pure qui ne peut

    tre qu'une conscience d'elle-mme, donc un pur sujet, devient alors conscience de cette conscience

    lmentaire, ce que l'on appelle une conscience objective. Il faudrait dire plus exactement une

    conscience objectivante.

    Ce que nous avons appel le hasard pur et qui se prsente dsormais comme une conscience en elle-

    mme contradictoire est un avnement dont on ne pourrait avoir aucune ide s'il ne se rvlait lui-

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    mme d'une faon spcifique puisqu'il n'est pas une conscience objectivante, puisqu'il n'est pas

    conscience de quelque chose. De cette exprience subjective, de cette rvlation spcifique de la

    conscience de soi, nous ne pourrions avoir la moindre ide si nous n'en tions le sige. Or, nous en

    sommes le sige... La logique du contradictoire de Lupasco n'est donc pas seulement une logique de

    l'nergie, vrifiable par l'exprience, elle n'est pas seulement une logique formelle, elle est aussi une

    logique de la conscience et qui propose une thorie des rapports du rel et de la conscience, c'est--

    dire une thorie de la conscience de soi et de la connaissance.

    Une vision physicienne de la logique lupascienne : l'interprtation de Basarab Nicolescu

    Au dbut du vingtime sicle, le physicien (Einstein, de Broglie, Pauli, ...) fut stupfait de la

    dcouverte de Planck. Planck avait t contraint, pour expliquer les proprits du rayonnement des

    corps noirs, de conjoindre dans les quations mathmatiques qui dcrivaient les phnomnes

    ondulatoires - donc strictement continus - une constante numrique, la constante h, ce qui avait pour

    effet d'associer au continu du discontinu, autrement dit de traiter ce rayonnement comme quelque

    chose la fois continu et discontinu ou ni continu ni discontinu. Comment la ralit ultime pouvait-

    elle tre frappe du sceau du contradictoire quand tout l'appareil conceptuel de la physique la postulait

    comme non-contradictoire ? Planck, dit-on, s'interdit de croire sa dcouverte. Einstein eut le premier

    l'audace de traiter le rayonnement comme s'il tait constitu de quanta, c'est--dire d'entits en elles-

    mmes contradictoires, mais n'en a pas moins refus de croire en leur ralit. De Broglie qui imagina

    pour ce que la Physique concevait sous forme de discontinu (les particules lmentaires) la solution

    que Planck avait d postuler pour le rayonnement, une structure contradictoire, se refusa galement

    croire que sa dcouverte fut dfinitive. De Broglie sollicit par Georges Mathieu refusa de discuter le

    fait que la non-contradiction soit ou ne soit pas le fondement de la structure de l'univers. Einstein

    invoqu comme dans une procdure d'appel, refusa de dsavouer de Broglie, et d'envisager les choses

    du point de vue de Lupasco. Pourtant la logique du contradictoire dont les uns et les autres avaient

    connaissance (parfois cette logique leur fut plus qu'une simple rfrence) se trouvait conforte par

    chacune de leurs dcouvertes ou au contraire l'expliquait, les relations d'indtermination de

    Heisenberg par exemple ou le principe de Pauli, le principe d'quivalence ou encore la constante

    cosmologique ncessaire pour quilibrer les quations de la thorie gnralise.

    C'est le thoricien Basarab Nicolescu qui le premier s'est servi de la logique lupascienne. Nicolescu

    affronte le problme qui intressait Bohr : comment raliser l'objectif de la physique de tout traduire

    en une vision non-contradictoire quand l'objet initial de la physique se rvle contradictoire ?

    Nicolescu dfinit ce qu'il appelle des niveaux de ralit. Un niveau de ralit est un plan

    d'actualisation-potentialisation de deux contraires, par exemple celui que la physique reconnat

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    lorsque selon l'instrument de mesure utilis, elle fait apparatre la lumire comme onde ou comme

    particules. Pour le physicien, l'tat T de Lupasco dans lequel les deux contraires s'annihilent pour

    donner naissance au contradictoire reste donc hors d'atteinte de l'observation... moins qu'il ne puisse

    tre prisonnier d'un phnomne non-contradictoire un autre niveau. L'tat T, ce moment

    contradictoire peut en effet s'actualiser-potentialiser [(e qui implique contradictoirement non-e) peut

    s'actualiser en impliquant la potentialisation de son contraire (e qui exclut contradictoirement non-e)]

    et cela selon deux directions opposes chacune non-contradictoire : ces actualisations-

    potentialisations sont dites de deuxime niveau.

    Elles ne doivent pas tre confondues avec les actualisations-potentialisations du premier niveau,

    actualisations-potentialisations de la relativisation desquelles procde le Tiers Inclus. Elles sont en

    effet le devenir de ce Tiers inclus et non sa matrice.

    Il est donc possible d'apprcier un moment contradictoire comme le contenu d'une actualisation du

    deuxime niveau puisque cette actualisation peut tre mesure et connue.

    Nicolescu ne prsume pas du nombre de niveaux de ralit connaissables par la nature humaine.

    Cependant le systme psychique humain ne pourrait reconnatre que quelques niveaux de ralit. Au

    del, les niveaux de ralit s'vanouiraient dans ce qu'il dcrit comme une non rsistance ou encore

    une transparence qu'il appelle le sacr. Le moment contradictoire inclus dans les niveaux vcus ou

    connus par l'homme, est galement sans rsistance. Nicolescu le dit invisible. Il propose alors une

    nouvelle relativit gnralise et un nouveau principe d'quivalence qui permettrait de relier entre

    eux les divers niveaux de ralit par ce qui fait leur point commun : leur non-contradiction. On peut

    dduire de cette vision que tout ce qui est contradictoire serait enlac dans le filet de ses

    manifestations non-contradictoires car ce qui s'chapperait d'un niveau comme invisible se

    manifesterait de faon non-contradictoire un autre niveau. La connaissance serait ainsi toujours

    l'accomplissement suprme de l'exprience humaine sous rserve que le sacr ne puisse se rvler de

    son propre chef. Cette thse qui donne la connaissance un grand pouvoir (celui de rendre compte

    non seulement de la ralit de la nature mais des contenus de l'exprience contradictorielle elle-

    mme, c'est--dire de l'exprience subjective), Lupasco lui-mme l'apprciait au plus haut point

    comme l'ambition de la science, mais il remarquait aussi que l'art et l'exprience mystique exploraient

    d'autres perspectives, ouvertes par sa nouvelle Table.

    La thorie de Lupasco et la thologie, selon Bernard Morel

    Y a-t-il une relation possible entre l'invisible, prsent en nous-mmes, qui donne sens tout ce que

    nous connaissons du monde, et ce qui est situ par Nicolescu dans la transparence, c'est--dire hors

    du champ reconnu par la conscience objective et qu'il appelle le sacr ?

    La part de l'invisible qui appartient l'humanit peut-elle interroger le sacr de l'univers ? Cette

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    interrogation est-elle celle des mystiques ?

    La logique de Lupasco permet de s'attaquer des problmes autrefois rservs la thologie, dont le

    discours tentait d'tablir une cohrence entre diverses expriences mystiques force d'affirmations et

    condamnations dogmatiques, exerant un pouvoir non ngligeable sur le monde. Morel nous invite

    imaginer le dialogue entre l'invisible de l'homme et l'au-del de la perception humaine, la

    transparence. Convenons d'appeler le premier l'Homme et la seconde Dieu. Il s'agit bien videmment

    de conventions, et puisque ce dialogue est lui-mme invisible, convenons de l'appeler Mystre.

    La conjonction de Dieu et l'Homme est, en termes lupasciens, une implication positive ou ngative,

    s'exprimant partir de Dieu ou partir de l'Homme, soit quatre implications de base : l'implication

    positive de l'Homme par Dieu (l'amour de Dieu pour l'homme), l'implication ngative, (le jugement

    de l'Homme par Dieu), l'implication de Dieu par l'Homme (la foi), et l'implication ngative (le

    pch)...

    En s'impliquant contradictoirement les deux premires implications dterminent une dialectique

    divine du Mystre, les deux autres dterminent une dialectique humaine du Mystre. Chacune de ces

    dialectiques a elle-mme trois expressions possibles : par implication ngative, ou par implication

    positive, ou enfin contradictoire, chacune de ses trois implications de base ayant son tour trois

    dveloppements possibles, soit neuf dialectiques. Morel montre aussitt avec une facilit

    dconcertante que ces dialectiques correspondent des affirmations dogmatiques. Et de reproduire la

    dmonstration pour les neuf dialectiques humaines du Mystre... Morel s'intresse alors aux relations

    des dialectiques humaine et divine du Mystre. Il dfinit d'abord ce qu'il appelle les relation

    diagonales de ces deux dialectiques. Il s'agit de conjoindre le premier terme de la dialectique divine

    du Mystre avec celui qui lui fait face dans la dialectique humaine du Mystre, par exemple

    l'implication positive de l'une et l'implication ngative de l'autre, ce qui nous donne six relations

    diagonales et chacune correspond un nonc dogmatique simple et clair sur lesquels nous ne nous

    attarderons pas.

    Suivons le plus avant : il tudie prsent ce qu'il appelle les conjonctions de base, c'est--dire le

    rapport entre les deux dialectiques identifiantes du Mystre, divine et humaine, et le rapport entre les

    deux dialectiques diversifiantes, humaine et divine, soit l'association foi-grce (identification de

    l'homme Dieu et identification de Dieu l'Homme) et le couple pch-jugement (exclusion de Dieu

    par l'Homme et exclusion de l'Homme par Dieu). Morel observe que la thologie a des exigences

    canoniques qui vont dterminer la dfinition de ces conjonctions. Elles ne sont pas conjointes de

    faon gale : l'une est dite entraner l'autre par une relation de cause effet (le pch provoque le

    jugement, la grce suscite la foi). D'autre part, ces orientations sont dites irrversibles. Les

    affirmations inverses sont rejetes (on ne peut pas dire que le jugement de Dieu provoque le pch...)

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    Observons quel est le sort de ces deux conjonctions pour comprendre leur slection. La premire tend

    l'identification de Dieu et l'Homme. L'implication positive est une homognisation : la fusion de

    Dieu avec l'Homme qui entrane celle de l'Homme avec Dieu ne forme plus qu'un sacrifice unique.

    Dans la seconde, la dsunion l'emporte jusqu' l'indiffrence mutuelle.

    Ici encore, la thologie intervient et impose des choix particuliers. Elle fait abstraction du fait que ces

    dialectiques sont orientes, et considre la premire comme une implication mutuelle et la seconde

    comme une exclusion mutuelle. Chacune d'elle ayant chacune trois dveloppements, elle retient les

    deux contradialectiques suivantes : 1) l'actualisation de l'implication mutuelle positive implique la

    potentialisation d'une exclusion mutuelle (Le couple de l'immanence et de la foi tend supprimer le

    pch-jugement) 2) l'actualisation de l'implication mutuelle ngative implique la potentialisation d'une

    implication positive (le pch qui entrane le jugement loigne la grce qui entrane la foi). Morel les

    appelle les dialectiques des conjonctions imposes. Elles sont effet imposes canoniquement de deux

    faons : la premire, on l'a dj dit, par le sens unidirectionnel qui leur est donn : l'implication de

    l'Homme par Dieu entrane l'implication de Dieu par l'Homme, et l'exclusion de Dieu par l'Homme

    entrane l'exclusion de l'Homme par Dieu, sans rversibilit possible. La seconde par le fait que la

    relation du signe des implications de chacune de ces dialectiques est son tour dfinie dans un sens

    dtermin : pour la premire, le pch qui entrane la transcendance de Dieu (exclusion mutuelle)

    implique positivement la potentialisalisation de la grce qui entrane la foi (inclusion mutuelle).

    Autrement dit l'actualisation d'une exclusion qui implique la potentialisation d'une inclusion est

    oriente selon une dialectique des implications positives : la relation de base est une implication

    ngative mais son dveloppement une implication positive.

    Pour la seconde, l'immanence conjointement avec la rponse humaine qu'elle entrane tend exclure

    le pch. Cette fois, l'actualisation d'une implication positive qui implique la potentialisation d'une

    exclusion mutuelle se dveloppe dialectiquement sur la ligne des implications ngatives. nouveau,

    il y a contradiction entre le signe de la conjonction de base (positif) et celui de son devenir (ngatif).

    Ces contradialectiques, Morel les appelle de type (4) et (5) (les orthodialectiques tant de type (1), (2)

    et (3) - [(1) = l'implication mutuelle de Dieu et l'Homme implique la potentialisation de leur

    exclusion, etc...... ]. Le lecteur qui aura eu la patience de subir cette argumentation trouvera sur la

    table des dductions les deux dialectiques en question : sur la dix-neuvime ligne pointille en

    partant du haut de la Table, la dialectique (4); et sur la neuvime ligne pointille, la dialectique (5).

    Le seul repre de ces dveloppements si complexes sur une matrice logique rassure...

    Mais que signifient ces contradialectiques et pourquoi sont-elles retenues comme des dialectiques

    orthodoxes ?

    Dans la dialectique de type (4), lorsque les termes du Mystre tendent se sparer (l'exclusion de

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    base), le Mystre tend l'homognisation de second niveau : lorsque l'Homme lutte pour vivre sans

    Dieu et que Dieu est conjointement rejet dans la transcendance, la mort spirituelle est le salaire du

    pch. Dans la dialectique de type (5), la premire conjonction volue vers l'identit tandis que

    l'implication du deuxime degr tend la diversit : lorsque l'Homme et Dieu se rapprochent et

    s'identifient, la conjonction du sacrifice de Dieu et du martyre des croyants est structurante du

    Mystre vivant (Dieu est mort en Jsus Christ et l'Homme est mort sur la croix), mais la conjonction

    de ces deux martyres est la rsurrection, la vie ternelle. Ces deux dialectiques sont l'une, celle de la

    Mort du Mystre, et l'autre, celle de la Vie du Mystre. Le choix de ces deux dialectiques est, selon

    Morel, la clef de la doctrine du salut (la sotriologie).

    La question est : comment l'Homme qui a l'initiative de la sparation et de l'abandon pourrait-il

    choisir la Vie du Mystre ? C'est l que la notion de salut prend tout son sens, dit Morel. Il faut

    donc confronter leurs devenirs pour essayer de faire apparatre le sens de leur affrontement

    dialectique .

    La thologie confronte ces deux dialectiques. On observe immdiatement que l'actualisation de la

    dialectique Vie du Mystre (l'implication de l'Homme par Dieu exlut la potentialisation de l'exclusion

    de Dieu par l'Homme) se dveloppant sur la ligne des exclusions, exclut la Mort du Mystre

    (l'exclusion de Dieu par l'Homme implique la potentialisation de l'implication de l'Homme par Dieu)

    tandis que l'inverse n'est pas vrai : l'actualisation de la Mort du Mystre (l'exclusion de Dieu par

    l'Homme qui implique la potentialisation de leur union) se dveloppant selon la ligne des

    implications positives, implique la potentialisation de la Vie du Mystre.

    L'actualisation de la dialectique de la Vie du Mystre exclut la potentialisation de la Mort du

    Mystre, autrement dit la Mort du Mystre se dpotentialise au fur et mesure de ses actualisations

    sans tre repotentialise par les actualisations de la dialectique de la Vie du Mystre tandis que la Vie

    du Mystre, tout en tant dpotentialise par ses actualisations, est repotentialise par celles de la

    Mort du Mystre.

    Cette observation, dit Morel, est importante : l'affrontement des contra-dialectiques ne s'annule pas

    dans la symtrie d'une dialectique contradictorielle. Leur affrontement manifeste une volution du

    Mystre vers la Vie (la grce triomphe du pch, l'amour du jugement).

    Les choix canoniques ne sont pas innocents. Si Dieu a l'initiative de la dialectique de la Vie, en

    s'unissant aux hommes pour conduire le mystre du salut..... On voit poindre logiquement une

    dialectique prcise : celle de la doctrine du salut dont le Christ va devenir au cours des laborations

    thologiques le mdiateur.

  • 11

    On devine quel point la logique lupascienne est ici utile : elle rvle comment tel choix initial

    contraint tel autre pour que la vie affective des esprits religieux fraye son chemin, ou encore

    pourquoi telle option de base a t choisie en fonction d'une finalit donne. Postuler par exemple que

    Dieu a l'initiative de l'implication positive, et l'Homme celle de l'implication ngative entrane toute

    une srie d'obligations pour que le Mystre puisse se dvelopper de faon vivante, qui imposent des

    slections canoniques. La logique de Lupasco permet de comprendre de telles slections, de situer la

    moindre affirmation ou condamnation dogmatique d'aprs son contexte mais aussi d'envisager

    d'autres conventions et d'explorer d'autres voies... Elle relativise le fanatisme de chaque doctrine en

    la rduisant de simples dductions logiques de certaines options de base. En ce sens, elle est une

    nouvelle grille de lecture scientifique pour des textes qui jusqu' des temps rcents se prtendaient

    hors d'atteinte de la raison, et elle nous offre la possibilit d'une thologie positive.

    Nous avons donn une dfinition du Mystre selon deux ples (Dieu et l'Homme) Mais Dieu et

    l'Homme sont des conventions, nous dit Morel, qui signifient seulement l'intervention de la non-

    contradiction sur le contradictoire pour pouvoir en parler selon notre logique de non-contradiction.

    On reconnat l'emprise de la logique , le joug des signifiants non-contradictoires (ici Dieu et

    l'Homme). Mais dans la vie spirituelle, cette emprise du signifiant est-elle obligatoire ? La vie

    spirituelle ne peut-elle s'affranchir de la vie intellectuelle ? Les mystiques ne prtendent-ils pas

    l'extase par la nuit des sens, de l'imagination et de l'intelligence ? La thorie lupascienne nous

    rappelle cependant que l'absolu, fut-ce celui du contradictoire pur est interdit. Le Dieu lui-mme n'est

    que relation. Le logos est l'incarnation du contradictoire dans la chair, disons qu'il est la mdiation des

    signifiants. Cependant Morel pensait que la Vie du Mystre tait une option minente. Il justifiait ce

    choix en disant que : L'orthodialectique (T) reprsente, en quelque manire, l'tat gel par tant de

    contradictions symtriques que seule la contradiction demeure. Morel partageait la premire

    impression de Lupasco devant l'orthodialectique (T) lors de sa dcouverte : elle n'aurait permis

    aucune respiration de la conscience de conscience. On confond cette poque (1962, pour Les

    Dialectiques du Mystre) le terme de contradiction et celui de contradictoire (contradictoriel n'existe

    pas encore), et les termes cristallis ou gel sont utiliss pour caractriser l'tat (T). Plus tard,

    Lupasco dira que bien au contraire le contradictoriel desserre l'tau de la non-contradiction qui

    menace de le figer ou de le dissoudre au deuxime niveau (l'unit de la contradiction est

    l'homognisation du contradictoire au deuxime niveau). L'orthodialectique (T) lui apparatra tout

    coup comme la dialectique de l'amour, dont la puissance inoue chappe toute thologie.

    Du quantique au psychique avec Lupasco

    Selon Lupasco, il faut tendre le principe d'quivalence entre les deux matires physique et

  • 12

    biologique (matrialisation et dmatrialisation de l'nergie) au contradictoire lui-mme (le quantum

    d'antagonisme, l'nergie du vide ou le hasard pur des thoriciens actuels de la physique quantique).

    Que l'oeil traite les ondes lumineuses de telle faon nous donner une image de notre environnement

    chaque instant comme un appareil d'optique fort simple, et que ces trains d'ondes reus sur la rtine

    soient convertis en photons discrets par un autre appareil semblable une plaque photographique

    nous rappelle que la plus lmentaire et la plus commune de nos sensations, la sensation visuelle, a

    pour origine les deux expriences complmentaires de Bohr ! Et ce que transmet notre cerveau le

    systme nerveux affrent, un train d'ondes lectromagntiques courant sur la membrane de l'axone

    comme sur un fil lectrique, mais relay par la variation des niveaux d'nergies de protines

    cellulaires toutes en interaction les unes avec les autres, voil qui fait encore intervenir deux

    phnomnes complmentaires au sens de Bohr. A cela on ajoutera que le phnomne ondulatoire est

    interprt aujourd'hui comme une agression, une lsion, une forme de mort, tandis que le phnomne

    discret, matriel, antagoniste qui rtablit l'intgrit cellulaire est interprt comme phnomne de vie,

    et l'on devra alors conclure que les deux phnomnes tant coupls antagonistement, leur rsultante

    contradictoire constitue des informations dont on peut prsumer le caractre quantique. Ces

    informations sont relayes, diffuses, dmultiplies ou rassembles, et systmatiquement traites de

    faon accrotre le bilan contradictoire d'un systme qu'il faut bien appeler la fois quantique et

    psychique. Que deviendrait en effet toute cette nergie quantique que nous fournissent nos sens si elle

    n'tait convertie en nergie psychique, et d'o viendrait notre nergie psychique si elle n'tait nourrie

    de cette nergie quantique ? Lupasco en toute rigueur s'en tient l'ide d'une analogie de structure

    entre le quantique et le psychique, une analogie proportionnelle. Il montre ensuite que notre systme

    psychique est un systme complexe qui tend vers un antagonisme gnralis, quilibr, et qui,

    l'preuve du monde, est plus ou moins altr. Ces altrations viennent inscrire l'horizon de son

    champ de lgres actualisations non-contradictoires aussitt potentialises c'est--dire transformes

    en consciences objectives. Il anticipait sur ce que disent aujourd'hui les biologistes : nous sommes

    des gnrateurs permanents de prconcepts qui se prcisent en concepts lorsqu'ils entrent en

    interaction avec le monde. De ces prconcepts, aussi vides que le vide quantique, nous ne savons rien

    sinon qu'ils s'enregistrent sur nos oscillographes l'vidence comme les symboles de

    l'orthodialectique contradictorielle sur la feuille de papier blanc sur laquelle Lupasco inscrivait les

    implications du principe d'antagonisme. Mais comment se manifeste cette nergie sans espace et sans

    temps ? Ne se rvle-t-elle point par elle-mme et en elle-mme comme l'affectivit ? L'affectivit

    n'apparat pas comme une interaction, une relation d'actualisation-potentialisation. Elle est en soi.

    Elle est ou elle n'est pas et ne peut tre communique. Elle est une essence qui chappe toute

    dfinition logique, et qui semblait Lupasco s'introduire comme une intruse dans le psychisme sans

    que l'on puisse en connatre les raisons. Cependant nous prouvons comme synthse de notre activit

    psychique le sentiment imperceptibe du soi, un sentiment transparent en quelque sorte, mais

  • 13

    nanmoins suffisamment puissant pour nous permettre de nous affirmer en face de la vie et du

    monde.

    L'absolu qui caractrise toute affectivit, et d'abord le sentiment de soi, parat bien tre le fruit du

    contradictoire pur, la rsultante de la relation contradictoire qui se produit o les contraires s'auto-

    dtruisent. Mais lorsque un moment contradictoire de notre nergie psychique est soumis des

    actualisations de deuxime niveau cette affectivit transparente est modifie, et devient une

    affectivit particulire, souffrance, joie, colre, peine.... angoisse ! Les actualisations-potentialisations

    de deuxime niveau agissent sur le contradictoire comme un prisme sur la lumire : elles rduisent

    l'affectivit pure en des valeurs distinctes. Lupasco observait par exemple que la paradialectique de

    l'union du contradictoire transformait l'affectivit du contradictoire (le sentiment de soi), en

    sentiment d'angoisse. Il est donc dsormais possible d'tudier les diffrents moments de la gense de

    la conscience du sujet qui est fondamentalement de nature affective par l'intermdiaire des

    paradialectiques.

    Ainsi l'animal a sans doute dj un sentiment de lui-mme mais riv aux conditions vitales et celles

    de son environnement. Un tel sentiment est ds lors un sentiment de l'existence, modul par les

    objectifs de la vie biologique. L'autonomie de l'animal est au service de sa vie, bien que puisse

    apparatre dj une certaine capacit de s'affranchir de la vie, le jeu, le rve, et une certaine gratuit

    s'immiscant parfois dans les contraintes de l'existence biologique. Il faut attendre les structures

    sociales humaines pour que se dploie un soi autonome et libre de tout conditionnement biologique et

    de tout contexte physique, un soi spar des deux univers biologique et physique, dont il est pourtant

    l'interface, un soi dlivr du souci de l'existence elle-mme. Les Traditions font allusion

    l'mergence de cette libert de la conscience de soi avec l'image du jour ou du soleil dissipant les

    tnbres originelles, et dcrivent l'efficience de cette conscience comme la parole nommant les

    choses les unes aprs les autres en les sparant du chaos des forces aveugles. Elle est souvent

    prsente comme le rsultat d'une mtamorphose des forces primitives, ou encore comme une

    libration du chaos des origines et souvent comme une rvlation. Dans le contradictoire le plus pur,

    la conscience de conscience est en effet dpourvue de tout horizon objectif, et toute engage dans

    l'preuve de sa propre exprience. Cette exprience, nous l'appellerons dsormais la rvlation, parce

    qu'elle ne peut tre apprhende qu' partir d'elle-mme, indpendamment de toute connaissance du

    monde.

    La thorie de la rciprocit

    Une telle rvlation nous apparat donc comme la libration d'une nergie des conditions de sa

    naissance. Comment une conscience de soi peut-elle s'affranchir de toute contexte et mriter ds lors

  • 14

    le nom de libert ? Comment le contradictoire peut-il tre libr des deux polarits antagonistes dont

    il est issu ? Cette libration, voil ce qu'autorise le principe de rciprocit.

    La rciprocit permet que l'agent soit simultanment patient et le patient agent, que chacun soit donc

    le sige du contradictoire mais de sorte que le contexte de l'un est annul par le contexte antagoniste

    de l'autre. L'existence de l'un est mise en jeu en face de l'existence de l'autre, et la relativisation

    mutuelle de l'une et de l'autre donne naissance un Tiers Inclus nouveau, l'humanit, nouveau parce

    que situ un autre niveau que celui du soi de chacun. La dialectique qui retiendra notre attention ds

    lors est l'orthodialectique contradictorielle. Dans cette dialectique, le contradictoire n'est pas soumis

    aux actualisations-potentialisations d'aucun niveau de ralit. Il se dploie par le mme signe que

    celui qui le dfinit, c'est--dire de faon galement contradictoire. Cette orthodialectique met en

    prsence des moments contradictoires qui sont gaux et distincts, qui se juxtaposent les uns les autres

    sans mdiation apparente d'aucune ralit. Le terme de cration pourrait rendre compte de ce rapport

    contradictoire d'un moment contradictoire un autre moment contradictoire. Pour l'exprimentateur, le

    contradictoire ne peut en effet engendrer de devenir contradictoriel si ce n'est par rfrence un autre

    moment contradictoire. Quel est le premier, quel est le second ? L'un suppose l'autre mais c'est l'autre

    qui donne droit au premier. Or, comme il est clair que le premier moment ne saurait rester en lui-

    mme sans tre happ dans cette identit non-contradictoire, mais que le second ne saurait tre

    distinct sans tre happ par une diffrence tout aussi non-contradictoire, on voit que le premier doit

    driver dans la non-contradiction de la diffrence tandis que celui que nous avons appel le second

    doit driver au contraire dans la non contradiction de l'identit et rciproquement. Ces deux drives

    dans une relative non-contradiction se traduisent par la manifestation du contradictoire en termes non-

    contradictoires mais pour le compte d'un moment contradictoire de deuxime niveau. Cette drive est

    en ralit soumission du non-contradictoire au contradictoire (et non pas l'inverse). On dira que la

    conscience contradictorielle utilise donc la nature comme ses propres signifiants. On aura reconnu

    dans le premier moment contradictoriel la figure du Pre selon toutes les Traditions, et dans

    l'expression d'o procde le second niveau que nous avons appel drive le Logos (la figure du Fils).

    ....Mais prcisons aussitt que le Pre, le nom du Pre est fondamentalement une relation, puisqu'il

    ne se soutient pas lui-mme d'tre un moment contradictoire mais seulement du face face avec son

    autre lui-mme (la relation d'Alliance donc, l'Alliance telle que la dcouvre Lvi-Strauss au seuil de

    la culture, et dont nous parle Lacan comme matrice de la fonction symbolique, le Nous des Elom des

    premiers rcits bibliques). On voit r-apparatre, ici, l'une des intuitions des Traditions de nombreuses

    socits humaines : la relation qui associe dans une commune nature contradictorielle trois moments

    contradictoires distincts mais insparables est au commencement de l'histoire humaine. La relation

    d'un moment contradictoire un autre moment contradictoire est le principe de rciprocit, et ce

    principe est la matrice des valeurs thiques de toutes les socits.

  • 15

    La conscience, la conscience humaine, ne de la rciprocit, est d'abord l'expression d'une libert

    souveraine. Sous peine d'tre reprise par le contexte de l'un ou de l'autre, elle doit imprativement

    inventer un mode d'expression qui lui soit non seulement propre mais qui soumette la nature sa loi :

    lorsque son horizon les reflets des forces de la nature apparaissent, elle les nomme. Toutes les

    Traditions ou presque disent que le jour dissipant les tnbres originelles les choses furent nommes

    dans cette lumire. Deux logiques s'offrent pour cette nomination : l'une polarise par la dialectique

    de la diffrenciation, l'autre par la dialectique inverse de l'union. La premire perspective est bien

    reconnue par la linguistique, la seconde (qui engendre pourtant la parole religieuse) moins srement.

    Toutes deux proposent nanmoins autre chose que la simple signification, puisque la dialectique du

    contradictoire se poursuit : l'engendrement de plus de sens. Les signifiants doivent alors obir au

    principe du contradictoire : s'engager les uns les autres dans des structures de discours qui rgnrent

    les conditions d'mergence de moments contradictoires dont les ples non-contradictoires

    constitueront de nouveaux horizons (les reprsentations collectives). S'engager les uns les autres ... on

    devine que les structures qui permettent cette rsurrection du contradictoire sont semblables aux

    matrices originelles : des structures de rciprocit. L'interlocution utilise la nature son profit : elle

    se sert de la nature comme signifiant dans le but d'engendrer toujours plus de sens. La nature est

    mobilise comme mdiation pour la gense d'une libert suprieure la libert de chacun.

    Quelles sont alors les matrices originelles ? Existe-t-il une structure initiale, ou plusieurs qui aient

    pour but de crer un moment contradictoire partag par les uns et par les autres ? La plus simple est le

    face face, au point mme que l'on a parfois rduit la notion de rciprocit ce face face. Mais le

    face--face a t aussi envisag comme l'expression la plus rduite d'une structure de rciprocit

    gnralise o le nombre d'intervenants est indtermin (Lvi-Strauss). Il suffit en effet que celui qui

    agit sur un partenaire soit le patient de l'action d'un autre partenaire et ainsi de suite pour que chacun

    soit le sige d'un moment contradictoire. Avec trois partenaires on peut construire le modle rduit de

    ce type de rciprocit gnralise d'o son nom de rciprocit ternaire par opposition au prcdent

    qualifi de binaire (ou restreint). Toutefois dans les systmes de rciprocit les plus anciens, les

    systmes de rciprocit de parent, une relation de rciprocit binaire (l'alliance) et une relation

    ternaire unilatrale (filiation) sont donnes ensemble. Dans ce cas, les valeurs produites par ces deux

    structures lmentaires sont indissociables, bien qu'elles soient diffrentes.

    D'autres structures lmentaires apparaissent bientt, et certaines d'entre elles peuvent tre exclusives

    les unes des autres, de sorte qu'elles ne peuvent tre associes que par la coexistence d'institutions qui

    leur sont propres. Les modalits de cette coexistence expliquent qu'il existe des systmes de valeurs

    diffrents. Les civilisations ne nous apparaissent donc plus comme des variantes d'un seule humanit

    (selon des imaginaires changeants au gr des situations), mais comme une gense complexe partir

  • 16

    de matrices qui autorisent un dveloppement pluriel.

    Ces structures peuvent prendre des formes opposes : par exemple la rciprocit de vengeance, de

    meurtre ou de rapt, s'oppose la rciprocit des dons ou d'alliance.

    La sparation des structures de rciprocit de leurs conditions d'origine (le rel), par leur

    reproduction un autre niveau (l'imaginaire), autorise une invention libre des valeurs. Une invention

    qui se perdrait dans une multiplicit de manifestations si la rciprocit dans le langage ne les

    relativisait leur tour pour engendrer du symbolique pur. Il n'est pas de parole adresse autrui qui

    ne doive prendre en compte le contexte de celui-ci et se soucier de ses conditions d'existence. Cette

    rplique de la rciprocit d'origine en rciprocit voulue par la pense devient la rgle de rciprocit

    (au terme de la rencontre de deux groupes de Nambikwara, dcrite dans Tristes Tropiques par Lvi-

    Strauss, les Nambikwara dcident de s'appeler beaux-frres). Cette superposition de la rgle la

    rciprocit des origines peut laisser croire que l'imaginaire est tributaire du rel, mais il s'en spare au

    contraire puisque il devient capable de l'organiser. La conscience retourne vis--vis du rel une

    volont libre par la rciprocit de tout dterminisme. mais ds lors la rciprocit est sa propre loi.

    La parole n'est pas seulement dsignation ou proclamation du sens, elle est un principe d'organisation

    de la socit pour la cration de toujours plus de sens. Il est coutumier d'appeler les procdures ayant

    trait au respect des conditions d'existence d'autrui des dons. Les relations primitives sont ainsi

    reproduites ou traduites en termes de dons rciproques, et parfois ces dons se superposent aux

    relations de rciprocit de parent, et mme les remplacent : compositions ou compensations sont des

    promesses de rciprocit (des gages) mais qui peuvent se confondre avec des dons. Les dons sont ainsi

    des symboles, des paroles silencieuses qui permettent l'imaginaire de franchir les limites du rel, de

    s'loigner du corps corps des premiers hommes, pour donner une vie propre ces valeurs inconnues

    de la nature et que produisent les structures de rciprocit, comme l'amiti, la justice, la rsponsabilit,

    etc... Ainsi le passage du rel l'imaginaire, puis au symbolique est pratiquement sans solution de

    continuit bien que l'on passe d'un niveau de ralit d'autres niveaux de ralit. Lewis Hyde a

    illustr cette dynamique chez les Maori et les Inuits : la rciprocit du face face produit l'amiti,

    puis le cercle s'agrandit la socit entire. Puis les Maori intgrent la rciprocit des dons, les

    forts qui leur donnent les oiseaux, et les Inuits les rivires qui leur donnent le poisson, puis la terre,

    le soleil, et le ciel, et construisent ainsi des chimres de rciprocit qui procurent une me

    l'univers... Il y a ainsi trois partenaires au cycle du don : la nature, soi-mme et autrui. Mais les Maori

    ne s'arrtent pas l, car sinon la nature serait comme un premier donateur, et le prestige

    s'accumulerait son bnfice et deviendrait un pouvoir occulte. Les Maori invitent l'inconnu la

    thorie du don. Cette fois, le don se poursuit l'infini, se constituant en principe de l'anti-pouvoir,

    que l'on appelle le Seigneur dans la tradition juive. Et lorsque l'homme conoit le principe du don

    comme origine du politique, et qu'il ne se contente plus de recevoir de la nature, mais produit sa

  • 17

    place les choses bonnes donner, qu'il produit bien sr pour donner, il devient lui-mme le Seigneur.

    La rvolution nolithique ne ralise-t-elle pas ce passage d'une poque o la rciprocit s'exprimait

    dans le rel, pouser, combattre, nourrir, cueillir, une poque o le travail permet l'homme d'tre

    l'origine de la conscience du don ?

    Ou bien les hommes remettent au creuset de la rciprocit leurs reprsentations pour laborer

    davantage de sens ou bien chacun s'empare dans son imaginaire des valeurs produites et les

    transforme en pouvoir. L' homme qui s'acquiert le plus grand prestige peut le convertir en puissance

    matrielle ou symbolique son profit, et asservir son donataire. Le seigneur devient le noble, ou le

    prtre. Du pouvoir de prestige la proprit des moyens de production des richesses, il n'y a pas de

    hiatus. L'change, certes, est une rvolution qui abolit les privilges, mais il gnralise l'intrt pour

    soi plus qu'il ne gnralise l'intrt pour autrui. La lutte entre la rciprocit et la non-rciprocit, la

    lutte entre la libration et le pouvoir est la constante de l'histoire.

  • 18

    index

    La logique du contradictoire de Stphane Lupasco

    Mireille Chabal

    Voir aussi : (nouveau) Dominique Temple, Fondane et Lupasco

    Dominique Temple : La thorie de Lupasco et trois de ses applications, sur le site Thorie de la

    rciprocit.

    et : Mireille Chabal, "Qu'est-ce que le travail humain ?" communication au Colloque Lupasco, 13

    mars 1998, Bulletin du C.I.R.E.T. n13.

    galement sur le site du C.I.R.E.T. : Dominique Temple : "Le principe d'antagonisme de Stphane

    Lupasco", 13 mars 1998.

    sur le site Thorie de la rciprocit : Sminaire sur la rciprocit, Dominique Temple, 27, 28, 29

    janvier 2004

    Un livre de Stphane Lupasco, Les trois matires,en 1960, obtint un vrai succs. Claude Mauriac

    salua "un nouveau Discours de la mthode". Ds 1935, lors de la thse de Lupasco la Sorbonne

    sous la direction d'Abel Rey, Lon Brunschvicg avait vu en lui le "Hegel du XXe sicle". Cependant

    l'oeuvre de Lupasco est reste mconnue. Elle exerce plutt une influence souterraine, dont on

    prendra un jour la mesure. Quand il est mort, le 7 octobre 1988, l'ge de quatre vingt huit ans, le

    silence des mdias fut presque total, un silence qui prenait acte de celui des penseurs. Seuls quelques-

    uns ont signal l'immensit de l'oeuvre. Une nouvelle cohrence de l'univers se fait jour o le

    biologique n'est plus confondu avec le physique, ni le psychique avec le biologique.

    La logique du Contradictoire de Lupasco n'est pas une construction formelle, elle est une doctrine de

    la science. Elle est un savoir de l'tre, une ontologie, qui prtend, aprs d'autres grandes

    philosophies, rconcilier science et philosophie. A la diffrence du systme de Hegel, le systme de

    Lupasco n'est pas un idalisme. L'esprit est une partie du rel, mais non tout le rel. Il est une des

    systmatisations de la matire-nergie, qui suppose les deux autres, celle de la matire dite inanime,

    domine par l'entropie, et celle de la matire dite vivante, domine par la nguentropie. Il rsulte de

    leur quilibre contradictoire. Mais il est aussi suppos par elles, depuis le commencement du monde.

    La logique ternaire de Lupasco rend compte non seulement du "comment" mais du "pourquoi" de

  • 19

    cette triple organisation de la matire-nergie. L'opposition du matrialisme et de l'idalisme perd de

    sa pertinence, comme d'ailleurs tous les dualismes.

    Repres biographiques et bibliographiques (voir la bio-bibliographie tablie par Basarab

    Nicolescu sur le site du Ciret)

    Lupasco est n en 1900 Bucarest d'une famille de boyards moldaves. Il quitte la Roumanie pour la

    France 16 ans. Aprs la fin de ses tudes secondaires au lyce Buffon, il passe une licence de

    philosophie et des certificats de mathmatiques, physique, biologie. A la Sorbonne, il suit des cours

    de De Broglie, Becquerel, Langevin. A Sainte-Anne, il rencontre un tudiant de son ge, Jacques

    Lacan, qui, plus tard, il aura l'occasion d'exposer la logique du "Tiers inclus".

    En 1935, Lupasco soutient une thse de doctorat de philosophie : Du devenir logique et de

    l'affectivit, publie chez Vrin en deux tomes : I- Le dualisme antagoniste et les exigences

    historiques de l'esprit, II- Essai d'une nouvelle thorie de la connaissance. La thse complmentaire

    s'intitule : La physique macroscopique et sa porte philosophique,publie galement chez Vrin. En

    1941 parat aux P.U.F. L'exprience microphysique et la pense humaine.

    Entre 1945 et 1955, il est charg de recherches au C.N.R.S., section pistmologie. Mais le contrat au

    C.N.R.S. n'est pas renouvel au motif (ou prtexte) que ses travaux sont inclassables.

    Aprs Logique et Contradiction, P.U.F. 1947, le tournant dans l'oeuvre de Lupasco est en 1951, la

    dcouverte du "Tiers inclus" : Le principe d'antagonisme et la logique de l'nergie,Hermann.

    Lupasco est alors en possession d'une pense qui est un systme, contre-courant d'une poque qui

    se mfie des systmes. Mais c'est un systme ouvert, l'antipode d'une pense totalisante.

    Parmi la dizaine d'ouvrages qui suivent, citons : Les trois matires, Julliard, 1960. L'nergie et la

    matire vivante,Julliard, 1962. L'nergie et la matire psychique,Julliard, 1974.

    Le principe d'antagonisme

    Stphane Lupasco nonce, au dbut de son livre Le principe d'antagonisme et la logique de

    l'nergie(Hermann 1951, rd. Le Rocher 1987), le postulat fondamental d'une logique dynamique

    du contradictoire, le principe d'antagonisme:

    "A tout phnomne ou lment ou vnement logique quelconque, et donc au jugement qui le pense,

    la proposition qui l'exprime, au signe qui le symbolise : e, par exemple, doit toujours tre associ,

    structuralement et fonctionnellement, un anti-phnomne ou anti-lment ou anti-vnement logique,

    et donc un jugement, une proposition,un signe contradictoire : non-e ; et de telle sorte que e ou non-e

    ne peut jamais qu'tre potentialis par l'actualisation de non-e ou e, mais non pas disparatre afin que

    soit non-e soit e puisse se suffire lui-mme dans une indpendance et donc une non-contradiction

  • 20

    rigoureuse (comme dans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur l'absoluit du principe de

    non-contradiction)."

    On voit immdiatement que la logique du contradictoire ne s'applique pas seulement des

    propositions comme les logiques que nous appellerons classiques mais s'applique des choses

    quelconques condition qu'elles soient des dynamismes : des phnomnes, des lments, des

    vnements, associs leurs "anti-phnomnes", "anti-lments", "anti-vnements". C'est leur

    caractre dynamique qui permet de les dire "logiques". Et d'autre part on voit qu'elle met en question

    l'absoluit du principe de non-contradiction.

    Qu'est-ce qu'un anti-phnomne, un anti-vnement...?

    Lupasco relie un phnomne son "anti-phnomne" par la ngation . Mais la ngation prend un

    nouveau sens.

    La ngation pour Lupasco est une opration qui ne se limite pas l'acte mental de nier, de rejeter une

    assertion comme fausse. Les choses en gnral et non pas seulement les propositions peuvent tre

    lies entre elles par la ngation, au sens o l'actualisation de l'une est la potentialisation de son

    contraire.

    L'oprateur ngation change de sens par rapport la logique classique. Au lieu qu'il soit foncteur

    de vrit (si une proposition p est vraie, la ngation de cette proposition non-p est fausse et,

    inversement, si celle-ci est vraie, la premire est fausse), la ngation d'un terme donne le terme

    antagoniste ou contraire tel que si l'un s'actualise, l'autre se potentialise.

    A la place de la table de vrit classique :

    p non-p

    V F

    F V

    on a la table des valeurs :

    eA . non-e P

    eP . non-e A

    o l'indice A signifie Actualisation et P, Potentialisation. L'actualisation de e est conjointe la

    potentialisation de non-e. La potentialisation de e est conjointe l'actualisation de non-e.

    La potentialisation n'est pas une disparition. Elle est le fait de devenir virtuel, quand le terme

    antagoniste devient actuel.

    Le terme antagoniste, dans la logique de Lupasco, est le terme contraire.

  • 21

    En logique classique, la contradictorialit est une opposition plus forte que la contrarit. Si la

    proposition p est vraie, la proposition contradictoire non-p est fausse. Deux propositions

    contradictoires ne peuvent tre vraies ensemble, elles ne peuvent non plus tre fausses ensemble, si

    l'une est fausse, l'autre est vraie : c'est le principe du Tiers exclu. Deux propositions contraires

    comportent les mmes termes (mme sujet et mme attribut) et sont toutes deux universelles mais

    l'une est affirmative et l'autre ngative. Ex.: Tous sont attentifs, aucun n'est attentif. Ou bien, ce qui

    revient au mme, deux propositions contraires peuvent tre universelles et affirmatives et avoir des

    attributs de sens diamtralement opposs : tous sont attentifs, tous sont inattentifs. Deux propositions

    contraires ne peuvent tre vraies ensemble mais elles peuvent tre fausses toutes les deux.

    Dans la logique du contradictoire de Lupasco, qui considre 1) des phnomnes et non pas

    seulement des propositions, 2) des dynamismes et non des tats, l'oprateur ngation lie un terme

    au terme antagoniste, de telle faon que l'actualisation de l'un soit la potentialisation de l'autre.

    C'est le terme contraire qui indique le mieux la polarit du dynamisme inverse, puisque c'est

    l'extrme oppos. Par exemple si on a une homognisation en train de s'actualiser, celle-ci est ipso

    facto la potentialisation d'une non-homognisation (terme contradictoire), et plus forte raison d'une

    htrognisation (terme contraire).

    Lupasco appelle antagonistes ces deux ples de la contradiction.

    La potentialisation n'est pas une disparition. D'abord parce qu' partir du moment o la

    potentialisation est un dynamisme, elle n'est jamais totale, non plus que l'actualisation. Ensuite, parce

    que Lupasco donne ce dynamisme, qui ne se confond pas avec le possible, un statut ontologique,

    et c'est la dcouverte dcisive: ce qui se potentialise est la "conscience lmentaire" de ce qui

    s'actualise. La "conscience lmentaire" au sens o l'arbre "sait" ce que ses racines doivent puiser

    dans le sol, au sens o la cellule "sait" quelles substances peuvent traverser sa membrane. Une

    conscience lmentaire qui n'est videmment pas consciente d'elle-mme. Chaque actualisation dans

    l'univers est logiquement lie une potentialisation du terme antagoniste.

    On peut considrer que Hegel raisonne en termes d'actualisations et que Lupasco redouble celles-ci

    des potentialisations correspondantes qui rendent compte, comme un ressort tendu qui se dtend, de

    l'implication des contraires.

    Deux phnomnes antagonistes ne peuvent s'actualiser ensemble, puisque l'actualisation de l'un est la

    potentialisation de l'autre. Ds qu'une actualisation est commence dans un sens, l'actualisation

    antagoniste commence d'tre inhibe, le terme antagoniste commence se potentialiser. On voit,

    logiquement, si l'on considre non des tats mais des dynamismes, que des phnomnes antagonistes

    coexistent dans des dynamiques opposes. Par exemple une homognisation qui s'actualise

    potentialise du mme mouvement une htrognisation. Ces deux dynamiques inverses,

    l'homognisation et l'htrognisation, coexistent donc mais l'une s'actualise quand l'autre se

  • 22

    potentialise.

    Quand on comprend les termes opposs comme des dynamismes et non des choses statiques, on voit

    que tous les degrs d'actualisation/potentialisation sont possibles. Une actualisation totale reviendrait

    un tat et l'on serait ramen la logique d'identit.

    On voit alors que parmi tous les degrs intermdiaires d'une actualisation/ potentialisation, un

    moment d'quilibre peut exister, o deux actualisations inverses sont galit et s'annulent :

    Lupasco appelle ce moment contradictoire en lui-mme : tat-T, "T" comme "Tiers inclus" . Il

    faut complter la table des valeurs :

    e non-e

    A P

    T T

    P A

    T est logiquement une troisime polarit, qu'on peut reprsenter comme un vecteur perpendiculaire

    aux deux prcdents, l'actualisation de l'homogne (li la potentialisation de l'htrogne) et

    l'actualisation de l'htrogne (li la potentialisation de l'homogne). C'est ainsi que Lupasco est

    amen par "l'exprience logique" dcouvrir le Tiers inclus qui va rendre compte des tats

    quantiques et du psychisme humain.

    L'exprience logique.

    Les termes dont s'occupe la logique sont des "phnomnes", des "vnements logiques", dit

    Lupasco, qui dsigne ainsi les objets de "l'exprience logique".

    Habituellement exprience et logique sont opposes, qu'on voie, avec les empiristes, l'origine de

    toute connaissance dans le contact avec le rel par les sens, l'exprience, ou qu'on la comprenne avec

    les rationalistes comme une application aux donnes des sens du travail de l'entendement, partir des

    catgories a priori ou des ides innes. Lupasco veut dpasser aussi bien le dualisme de l'empirisme

    et du rationalisme, que celui de la raison et de l'exprience. La logique, ce que nous comprenons en

    rflchissant par exemple sur l'ide de systme ou sur celle d'nergie, nous donne accs au rel.

    L'esprit est capable de comprendre ce qui existe, il n'y a pas une logique de l'tre qui serait diffrente

    de celle de l'esprit... condition d'utiliser toutes les possibilits de l'esprit et de la logique, de ne pas

    se borner la logique d'identit. Celle-ci est suffisante pour comprendre la matire physique,

    l'chelle macrophysique. Le vivant, la matire microphysique, le psychisme nous enseignent une

    autre logique. La science oblige "se refaire une raison", comme disait Bachelard.

    Lupasco s'explique ainsi ds la prface du livre dj cit Le principe d'antagonisme et la logique de

    l'nergie :

    "Nous appelons logique tout ce qui porte les caractres de l'affirmation et de la ngation, de l'identit

  • 23

    et de la non-identit ou diversit, qui engendre, par leur coexistence ou conjonction ou par leur

    indpendance ou disjonction, une notion de contradiction ou une notion de non-contradiction et qui,

    sans autre secours que le sien propre, dclenche des enchanements dductifs. Un fait donc, quel qu'il

    soit, exprimental ou mental, sensible ou intellectuel, est considr comme logique dans la mesure o

    il est marqu par ces caractres, conditionn par ces notions et engendr par ces implications,

    indpendamment de savoir si cette marque, ce conditionnement et cette dduction relvent de l'esprit

    connaissant ou de quelque autre ralit - cela, c'est un autre problme." (p. 7 de la nvelle d.)

    ...Un autre problme que Lupasco a abord ds sa thse, en 1935, Du devenir logique et de

    l'affectivit, o il tait conscient de tenter "une nouvelle thorie de la connaissance" (sous-titre du

    tome II).

    Lupasco renoue avec la grande tradition de la logique comme doctrine de la science. Les livres

    prcdant Le principe d'antagonisme et les livres suivants justifient, partir de l'exprience de la

    science contemporaine, et non plus seulement de "l'exprience logique", l'ide que la Logique du

    Contradictoire soit la logique de l'nergie. "La distinction s'efface [...] entre logique formelle et

    logique applique". (Le principe d'antagonisme, p.8)

    Il prsente la Logique du Contradictoire comme une logique gnrale, une pan-logique , dont la

    logique d'identit devient un cas particulier, utile lorqu'il faut rendre compte d'tats et non de

    dynamismes, o l'on suppose possible, donc, une actualisation rigoureuse. La logique d'identit

    reste valable chaque fois qu'on peut considrer qu'une actualisation totale ou infinie est possible. A

    l'chelle macrophysique et dans la vie courante, une telle approximation est lgitime. Le principe

    d'identit A est A rejette la potentialisation de non-A dans l'infini c'est--dire fait disparatre non-A,

    et fait disparatre galement tout instant contradictoire entre A et non-A. Cette logique est non

    seulement lgitime mais ncessaire quand il s'agit par exemple de rtablir une vrit bafoue par le

    mensonge, par exemple celle d'un fait historique incontestable : Dreyfus n'est pas un peu coupable et

    les chambres gaz ne sont pas un dtail de l'histoire.

    Mais on ne peut soumettre la logique de Lupasco aux critres de la logique d'identit. Rduire le

    rationnel au non contradictoire, rejeter le contradictoire comme irrationnel, c'est s'interdire l'accs

    une raison plus large, que dj la dialectique classique appelait, mais que la science du XXe sicle

    rend ncessaire comme l'avait annonc Bachelard.

    Quand Lupasco fait porter l'actualisation, la potentialisation, l'Etat T sur les deux dynamiques de

    l'implication et de l'exclusion, celles-ci sont comprises comme des connecteurs logiques, lis par

    l'antagonisme mais une interprtation ontologique est galement possible. N'importe quel objet

    (vnement, phnomne) pourvu qu'il ne soit pas un tat (auquel cas la logique dynamique du

    contradictoire est inutile) mais un dynamisme, suppose un dynamisme antagoniste tel que

  • 24

    l'actualisation du premier implique la potentialisation du second. Il fait partie d'un couple analogue

    celui des connecteurs logiques implique et exclut.

    Ainsi, si l'attraction s'actualise, la rpulsion se potentialise,

    si l'unit s'actualise, la diversit se potentialise,

    si l'identit s'actualise, la diffrence se potentialise,

    si l'entropie s'actualise, la nguentropie se potentialise,

    si l'onde s'actualise, le corpuscule se potentialise,

    si le continu s'actualise, le discontinu se potentialise,

    si l'homognisation s'actualise, l'htrognisation se potentialise...

    Tous ces couples ne sont pas quivalents, mais les rapports le sont. Ce que l'attraction est la

    rpulsion , l'unit l'est la diversit, l'identit la diffrence...

    On peut symboliser tous ces couples antagonistes par le couple implique/exclut qu'on crit

    implique/non-implique (la dynamique de "non-implique" est : "exclut"). Les indices A,P,T

    signifient actualisation, potentialisation, Etat T.

    On a alors la Table des dductions :

    Chaque formule est susceptible d'tre dveloppe, en affectant nouveau l'implication centrale d'un

    indice A, P ou T. C'est ainsi qu'une arborescence infinie (ou plutt transfinie, dit Lupasco) de

    systmes de systmes... apparat que Lupasco appelle systmogense. La logique devient une

    systmologie : la science des systmes possibles.

    C'est l, en crivant ces formules, que Lupasco dcouvre, sur le papier, trois lignes remarquables,

    trois systmatisations domines l'une par l'identit, l'autre par la diffrence, la troisime par le

    contradictoire, les trois "orthodialectiques" : la premire, la dernire et la ligne centrale sur la Table

    telle que nous l'avons reproduite ci-dessus (dans l'ordre choisi par Lupasco dans L'nergie et la

    matire psychique et L'Energie et la matire vivante. L' appendice thorique de ces deux ouvrages

    constitue une bonne introduction la logique de Lupasco.)

    On pourrait parodier Descartes : "J'ai trouv des cieux, des astres, une terre...". Lupasco trouve dans

    sa systmogense, une matire-nergie physique, o domine la logique d'identit, une matire-

    nergie vivante, dont la logique est la diffrenciation, et une matire-nergie psychique qui se trouve

    avoir la mme logique que la matire-nergie microphysique . La ligne centrale, l'orthodialectique T

    montre que l'Etat T n'est pas un tat mais un dynamisme qui a aussi sa logique. Rien n'est statique

    dans la philosophie de Lupasco qui rinterprte dans un sens dynamique l'ide de systme ou celle de

  • 25

    structure. Les aventures de l'esprit ne se rduisent pas l' orthodialectique T, car, on le devine, les

    systmes, les dynamismes se combinent et interfrent.

  • 26

    BULLETIN INTERACTIF DU

    CENTRE INTERNATIONAL DE RECHERCHES ET TUDES TRANSDISCIPLINAIRES

    (CIRET)

    BULLETIN N 13

    Mai 1998

    STPHANE LUPASCO - L'HOMME ET L'OEUVRE

    Coordonnateurs de ce numro spcial :

    Horia BADESCU (Centre Culturel Roumain de Paris) et Basarab NICOLESCU (CIRET)

    Composition : Michelle NICOLESCU

    GEORGES LERBET

    "L'Univers psychique" et la pense complexe

    Aborder la question du rapprochement de la conception par Stphane Lupasco, de l'univers du

    psychisme avec les acquis de la pense complexe dans le domaine cognitif depuis ces toutes dernires

    annes, est, sans aucun doute, une des faons de rendre hommage au pre des trois matires. En effet,

    c'est un des moyens de montrer quelle fut sa part de prcurseur en tant que modlisateur. Un

    modlisateur auquel j'ai eu l'occasion de me rfrer [1] pour tenter d'tablir des ponts entre son travail

    de logicien et celui de Piaget, quand j'avais entrepris d'tudier le dveloppement comme un systme

    sous tensions entre des processus ayant tendance rduire la fermet du systme considr, et d'autres

    ayant tendance l'augmenter.

    Par la suite, d'autres travaux m'ont conduit approfondir cette voie systmique et cognitive. Ils ont

    conserv, en toile de fond au moins implicite la pense de Lupasco. Aujourd'hui, c'est donc l'occasion

    de mettre en vidence la part de sa contribution la construction du nouvel difice cognitif.

    Pour poursuivre dans cette voie, je vais commencer par rappeler trs brivement quelques grands

    points de la pense de Lupasco afin d'en assurer le cadrage. J'examinerai ensuite succinctement la

  • 27

    faon dont il a conu l'univers psychique. Ce sera alors le moment de m'interroger sur sa conception

    de l'affectivit, conception qui m'aidera frayer le passage vers la vision complexe des systmes bio-

    cognitifs qui permettent d'interroger la pense complexe et la rationalit ouverte, lesquelles s'inscrivent

    comme supports formalisateur et mthodologique.

    Les trois matires

    Il est inutile de rester bien longtemps sur ce point, sauf pour rappeler que Lupasco eut l'ide gniale de

    considrer que la matire-nergie, quelle qu'elle soit, est cense se situer entre deux ples exclusifs.

    L'un correspond sa potentialisation complte et l'autre son actualisation toute aussi complte.

    Je n'insisterai pas sur le fait que la matire-nergie macrophysique a tendance actualiser

    l'homognisation de l'nergie jusqu' ce qu'elle se dgrade vers un quilibre calorique o l'entropie du

    systme est maximum. Quant l'htrognisation croissante actuelle, elle correspond une volution

    de sens contraire et elle concerne ce que Lupasco a reconnu comme tant la matire-nergie

    biologique.

    Reste la troisime matire-nergie. Elle caractrise celle o les deux autres matires-nergies sont

    tendues. Cette tension maximum traduit un tat o l'une et l'autre, mi-potentielles et mi-actuelles,

    trouvent leur quilibre.

    Tel serait le cas aussi bien de la matire micro-physique que de la matire neuro-psychique.

    La matire-nergie psychique

    Pour dcrire sommairement la modlisation qu'a donn Lupasco de l'univers psychique, il convient de

    la situer dans le domaine de la systmologie et dans le courant des sciences psycho-physiologiques

    telles qu'on les entend classiquement. Ces sciences ont l'habitude de distinguer le systme effrent

    marqu par la raction externalise de l'organisme et le systme affrent qui reoit les stimulus de

    l'environnement. Lupasco reprit cette distinction en attribuant essentiellement les actions au premier et

    la perception au second.

    Dans cette perspective, le systme neuro-psychique est un systme sous tensions (dont l'tat exhib est

    dit "T"). Il gre et contrle les finalisations potentielles des deux autres dont les causalits mergent

    dans leur actualisation.

    C'est ainsi que, dans le systme affrent, un objet actualise des donnes sensorielles htrognes

  • 28

    l'insu du sujet. En revanche, celui-ci en prend conscience quand il l'identifie en l'intriorisant et en le

    rendant significatif et potentiel comme tel dans son esprit.

    Quand c'est le systme d'action qui est l'oeuvre, le sujet qui procde par choix, opre en rduisant

    (potentialisant) la multiplicit des paramtres (les htrognisations) qui s'opposent son choix. Ce

    faisant, il identifie son projet intrieurement et devient en mesure de l'actualiser.

    En modlisant de cette faon les structures de base de l'univers psychique, Stphane Lupasco a labor

    un statut de semi-conscience et semi-inconscience o, selon une troisime "orthodialectique", se

    tendent et se concentrent les antagonismes et les contradictions de ces deux systmes. Il a ainsi

    procd une vritable rvision des ides classiques de la psychanalyse puisqu'il n'a plus laiss de

    place une topique bien pratique pour permettre une conception reprsentable du mental de l'homme

    et de ses pulsions. En effet, dans cette nouvelle approche, la connaissance, cette "systmatisation plus

    ou moins complexe des consciences en perptuelle volution" [2] et la conscience, cette "lucidit

    intime de la subjectivation", ont un nouveau statut. Elles constituent, en quelque sorte, un systme

    "mta" par rapport aux deux systmes qui ont t prsents prcdemment, puisqu'elles sont couples

    rcursivement avec elles-mmes (connaissance de la connaissance et conscience de la conscience) et

    avec leur complmentaire, leur absence, selon une structure dialectique, c'est--dire, respectivement,

    l'inconnaissance et l'inconscience.

    Dans cette troisime matire, psychique, Lupasco a vu la plus forte concentration d'nergie, analogue

    et non identique, celle rencontre dans la matire nuclaire. C'est l'univers de l'esprit mditant,

    imaginant mais aussi vivant et se mouvant dans sa qute de la connaissance du monde qui l'entoure et

    dans lequel il baigne et dont il procde. En d'autres termes, cet univers psychique est modlis de

    faon rendre compte des processus physiques et biologiques les plus organiques dont le corps est le

    support, mais aussi des processus cognitifs qui grent ce corps et ce psychisme dans le temps et dans

    l'espace, tout en procdant rcursivement selon une longue chane de systmes de systmes, chane

    la fois volutive et constructive.

    Quand nous cherchons faire le point sur ce beau montage, nous en retenons immdiatement sa

    cohrence rationnelle et son organisation logique. Cohrence rationnelle, parce que le jeu des

    processus homognisant et htrognisant s'opposent antagonistiquement et contradictoirement sans

    toutefois parvenir s'expulser de manire complte au point que l'actualit de l'un imposerait la

    potentialit de l'autre. Il rgne donc toujours un tat de tensions que Lupasco a su formaliser dans le

    cadre d'une logique du tiers inclus qui implique le surplomb conceptuel et opratoire des points de vue

    identitaires opposs et exclusifs.

  • 29

    Cependant, quand tout cela est avr et, somme toute, globalement trs satisfaisant pour l'esprit, il

    semble manquer l'ensemble quelque chose d'indispensable pour que la vie mentale et sensitive y

    circule, quelque chose qui chappe aux paramtres classiques propres aux catgories de la pense. Ce

    quelque chose, Lupasco l'a reconnu dans le concept d'affectivit, indispensable pour que la cohrence

    s'accompagne de et s'accomplisse dans la cohsion propre au vivant-connaissant.

    L'affectivit

    En relisant les pages nombreuses qu'il a consacr ce concept depuis la troisime partie de sa thse

    jusqu' ce qu'il en a crit dans l'Univers psychique , l'ide qui s'impose l'esprit est au moins double.

    - Premirement, elle a trait la mthodologie retenue pour en parler et pour l'apprhender. Pour ce

    faire, nous remarquons que c'est son propos que Lupasco a recours explicitement la

    phnomnologie, jusque l plutt nglige.

    - Secondement, nous retenons aussi que, chez lui, l'affectivit s'apparente ce qui ressortit

    l'ontologie du sujet, en bref ce qui tente d'chapper toute entreprise savante qui serait contrainte de

    se plier aux rgles scientifiques marques, un moment donn, par une forme de rductionnisme et ce

    quel que soit l'effort accompli pour viter ce dernier. En effet, toute approche cohrente implique un

    cadrage bords lisses dont la particularit consiste ramener les objets, les thories, les modles ou

    les paradigmes, des rfrents reconnus et au moins corroboratifs dfaut d'tre semblables.

    Pour illustrer cela, nous pensons prcisment au rductionnisme psycho-sociologique caractristique

    de certaines lectures marxistes de l'homme en socit. Nous pensons galement au rductionnisme

    psycho-biologique qui fait dcrire l'homme et son esprit travers un jeu complexe de strictes

    connexions de neurones. Nous pensons encore au rductionnisme psycho-logique, dont, nous semble-

    t-il, le concept de sujet pistmique constitue un exemple probant chez Piaget.

    En bref, pris dans ce jeu de strictes rductions et quels que soient le niveau pistmologique choisi et

    les domaines scientifiques rapprochs, le chercheur se doit d'admettre une perte considrable

    d'information sur son objet et, dans le mme esprit, entrevoir l'affectivit dans une thorie gnrale des

    facults, telle que l'on peut la recontrer dans les modles psychomtriques o l'on cherche la

    "mesurer" au mme titre que l'intelligence ou la motricit, par exemple.

    Sauf reconnatre une invitable subjectivation et s'interroger sur la pertinence de la dfinition que

    Piaget, en son temps, donnait de l'affectivit quand il en faisait l'nergtique de l'intelligence.

  • 30

    Face ces rductionnismes ou ces conceptions nergtiques de l'affectivit, n'tait-ce pas alors ne

    pas se rsoudre ces approches et ces points de vue que de vouloir adjoindre tout travail de cette

    sorte, le comblement du manque qu'ils vhiculent, en plongeant l'univers psychique dans un bain

    affectif ? Un bain qui rpondrait d'autres normes, sans que les motions, les sentiments fussent

    ngligs et ramens, peut-tre parfois de manire mtaphorique, une mcanique, ft-elle un analogon

    quantique ?

    C'est sur ces bases trs gnrales que semble devoir se situer la comprhension d'une conception

    solide, situe, originale et trs pertinente de l'affectivit. Ce fut aussi une conception trs date comme

    c'est le propre de tout travail scientifique. Ds lors, pour en apprcier la porte, il convient de la placer

    dans le contexte trs contemporain de la pense complexe.

    La pense complexe et l'mergence du bio-cognitif

    Il est clair que depuis au moins deux dcennies, en particulier aprs les travaux de Enrst Von Foerster,

    Douglas Hofstadter, Edgar Morin, mais surtout Francisco Varela et Jean-Pierre Dupuy, la pense

    complexe s'est trs affermie. Parmi ses apports thoriques les plus vidents, et pour dire vite, nous

    retiendrons le rle attribu aux processus rcursifs et l'enchevtrement des hirarchies dans les

    systmes hypercomplexes.

    Ces processus ont une valeur heuristique de tout premier plan dans le domaine biologique et dans les

    nouvelles relations qu'ils initient entre lui et la cognition. C'est dans cette perspective qu'il faut lire les

    travaux de Varela et particulirement ceux qui ont trait l'autonomie du vivant. Dans un ouvrage de

    premire grandeur [3], Varela a su montrer, combien il tait pertinent de rapprocher les travaux de

    Gdel et ceux portant sur la cellule quant l'autorfrence que contiennent les uns et les autres. La

    difficult qu'ont les langages formels parler d'eux-mmes est avre quand, par exemple, les

    thormes mathmatiques qui parlent des nombres arithmtiques sont rapprochs des nombres eux-

    mmes. Deux domaines (logique et arithmtique) sont ainsi enchevtrs au point qu'ils rendent

    indcidable un nonc ciculaire qui les concerne [4].

    Le grand intrt du travail de Varela a consist montrer l'isomorphisme du cadre conceptuel de

    Gdel thorisant l'indcidabilit avec le cadrage du fonctionnement de la cellule qui sont dans l'un et

    l'autre cas autorfrentiels.

    Dans celui de la cellule, le mtadomaine propre la production des molcules constitutives de la

    dynamique cellulaire est entreml avec le domaine de la membrane qui en dfinit les frontires. Si

    bien que se constitue une circularit fonctionnelle sur laquelle se succdent "une membrane est form

  • 31

    des mtabolites sont produits une membrane est forme... etc.", circularit rendant compte de

    successions transfinies que Varela dfinit comme tant une "clture oprationnelle", c'est--dire un

    systme autonome dont "l'organisation est caractrise par des processus :

    a) dpendant recursivement les uns des autres pour la gnration et la ralisation des processus eux-

    mmes, et

    b) constituant le systme comme une unit reconnaissable dans l'espace (le domaine) o les processus

    existent" [5].

    Quand les processus biologiques se caractrisent par leur enchevtrement la fois cohsif et

    producteur d'autonomie, ils prennent de facto, une ampleur nouvelle. En particulier, ils interrogent sur

    le statut du cognitif qui les accompagne dans l'ordre du vivant. Pour tout dire, que la vie soit corrle

    avec l'autonomie du sujet vivant, quel qu'il soit, fait se demander s'il demeure trs opportun de poser

    bio- et cognition comme tant des processus successifs dans le dveloppement, ou s'ils doivent tre

    compris de manire conjointe, les uns et les autres ne traduisant que deux faces diffrentes d'un mme

    diptyque.

    Pour tre un peu plus complet, il faut noter que ces recherches dterminantes n'ont t possibles que

    pour autant que Varela a su tirer profit des travaux mathmatiques de Spencer-Brown [6] et de les

    prolonger en calcul autorfrentiel.

    Qu'apportait donc Spencer-Brown de capital et que Varela a prolong ? Un outillage thorique qui

    limite les calculs des oprateurs de prsence-absence selon un formalisme trs rudimentaire pour

    signifier un tat marqu (la prsence ou l'absence d'une barre en querre) mais si riche qu'il permet

    avec deux axiomes, de pousser trs loin un raisonnement.

    Ainsi l'arithmtique lmentaire de George Spencer-Brown s'appuie-t-elle sur la distinction et sur le

    reprage d'une limite dans l'espace grce un indicateur gnral de marquage, le token, qui signifie

    aussi bien dedans-dehors que surface-profondeur et hirarchie-quivalence. Il constitue un repre

    extrieur d'un tat, par rapport un fond.

    Comme nous le disions l'instant, cette arithmtique est fonde sur deux axiomes :

    - la "condensation" qui est un axiome qui conforte le caractre puissant de l'tat marqu. Cela donne

    aux deux termes une relation qui traduit aussi bien une affirmation que le corrlat de l'un par rapport

    l'autre.

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    - la "cancellation" signifie qu'il s'agit de l'opration de rayer, de barrer, de biffer (latin cancello ) pour

    (re)trouver un vide ("empty"). Cette action de rayer semble signifier qu'il s'agit aussi bien de nier que

    de compenser c'est--dire annuler un cart. Comme, par exemple, marquer indiquerait quelque chose

    et marquer deux fois quivaudrait revenir sur ses pas sans laisser de traces !

    Le grand mrite de Varela a t d'tendre ce calcul, pour signifier ce qui peut se jouer l'intrieur du

    systme autonome. Pour donner du sens l'autonomie qui chappe partir de la visibilit du

    marquage, Varela a fait l'hypothse que le tiers ne s'exclut pas quand une forme change d'apparence.

    Qu'on la distingue ou qu'on ne la distingue pas, la valeur propre de l'oprateur demeure ; celui-ci

    pouvant seulement tre absent aux yeux de l'observateur mais continuer d'exister malgr l'action

    opre. Pour en saisir la porte, la mtaphore de la bouteille de Klein rend compte symboliquement

    d'un espace autonome qui chappe en partie la vision externe que l'on peut en avoir. D'o l'ide qu'a

    eue Varela de se demander ce que devenait la forme rentrante quand la forme s'applique elle-mme.

    Pour ce faire, Varela a propos un schma de forme, qui tend l'arithmtique primaire sans changer

    fondamentalement la nature des calculs