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LA TOUR DE L'ILE SAINT-HONORAT A LERINS Le monastère fortifié de l'île Saint-H onorat est un monument original, attirant autant par son site que par son aspect. De fait, il a fortement impressionné quelques anciens visiteurs de marque, de Vauban à Mérimée, d'une part en rai son de ses qualités archit ecturales et, d'autre part, par l'impression d'ampleur et de complexité dont le moine Barralis, en 1613, était lui-même frappé alors qu' il décrivait les lieux qui lui étaient familiers 1. A ce sentiment d'immensité intérieure faisant éc ho à la grandeur de l'espace extérieur, la sensibilité du siècle ne pouvait qu'être sensible tandis que la ruine matérielle s'accentuait. Celle-ci devait être arrêtée par des restaurations. Nécessaires, elles ne facilitent pas la compréhension du monu- ment dont une partie des parements internes a été stérilisée, tant pour l'analyse archéologique que pour la simple impression d'authenticité que peut rechercher le visiteur. Les dossiers de restauration des Monuments hi storiques ne donnent pas certaines réponses attendues; les rapports décrivant les travaux exécutés sont concis à l'extrême et peu précis dans la description des parties affectées . Ces grands volumes prestigieux ont intrigué les auteurs qui, en se fondant sur les quelques textes médiévaux et surt out sur le travail de Barralis, ont cherché à identifier les fonctions de telle ou telle pièce et Ont proposé des datations, sans toujours tenir compte des incertitudes de celui-ci, des change- ments intervenus au cours de l' histoire dans la structure du bâtiment, ou des modifications évenruelles d'affectation !. Nombre d'attributions actuell es repo- Chron%gia sanctorum et a/iorum virorum i/lustria ad abbatum sarrae insulae Lerinensis, Lyon, 1613, de /ocatione seu fundatione turris lerinensis, pp. 213- 214b. 2. 11 ne saurait être question dans ce texte d'établi r une bibliographie détaillée de l'histoire et de l'archéologie du monastère médiéval. On se contentera de renvoyer, en préliminai re, aux travaux: devenus classiques : ALLIEZ (abbé), Les îles de Lérins, Cannes et les rivages environnants, Paris, 1860; id., Histoire du monastère de Lérins, Paris, 1862 ; H. MORIS, L'abbaye de Lérins, histoire et monuments, Paris, 1909; V RAYMON, .. Les îles de Lérins., dans Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l'arrondissement de Grasse, t. XXV, 1975; j. -A. Durbec, .. Cannes au Moyen Age '", numéro spécial des Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l'arrondisse- ment de Grasse, 1976. Provence Historique - Fascicule 159 - 1990

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LA TOUR DE L'ILE SAINT-HONORAT A LERINS

Le monastère fortifié de l'île Saint-H onorat est un monument original, attiran t autant par son site que par son aspect. De fait, il a fortement impressionné quelques anciens visiteurs de marque, de Vauban à Mérimée, d'une part en raison de ses qualités architecturales et, d'autre part, par l'impression d'ampleur et de complexité dont le moine Barralis, en 1613, était lui-même frappé alors qu' il décrivait les lieux qui lui étaient familiers 1.

A ce sentiment d'immensité intérieure faisant écho à la grandeur de l'espace extérieur, la sensibilité du XIX~ siècle ne pouvait qu'être sensible tandis que la ruine matérielle s'accentuait. Celle-ci devait être arrêtée par des restaurations. Nécessaires, elles ne facilitent pas la compréhension du monu­ment dont une partie des parements internes a été stérilisée, tant pour l'analyse archéologique que pour la simple impression d'authenticité que peut rechercher le visiteur. Les dossiers de restauration des Monuments historiques ne donnent pas certaines réponses attendues; les rapports décrivant les travaux exécutés sont concis à l'extrême et peu précis dans la description des parties affectées.

Ces grands volumes prestigieux ont intrigué les auteurs qui , en se fondant sur les quelques textes médiévaux et surtout sur le travail de Barralis, ont cherché à identifier les fonctions de telle ou telle pièce et Ont proposé des datations, sans toujours tenir compte des incertitudes de celui-ci, des change­ments intervenus au cours de l'histoire dans la structure du bâtiment, ou des modifications évenruelles d'affectation !. Nombre d'attributions actuelles repo-

~BARRALIS, Chron%gia sanctorum et a/iorum virorum i/lustria ad abbatum sarrae insulae Lerinensis, Lyon, 1613, de /ocatione seu fundatione turris lerinensis, pp. 213-214b.

2. 11 ne saurait être question dans ce texte d'établir une bibliographie détaillée de l'histoire et de l'archéo logie du monastère médiéval. On se contentera de renvoyer, en préliminai re, aux travaux: devenus classiques : ALLIEZ (abbé), Les îles de Lérins, Cannes et les rivages environnants, Paris, 1860; id., Histoire du monastère de Lérins, Paris, 1862 ; H. MORIS, L'abbaye de Lérins, histoire et monuments, Paris, 1909; V RAYMON, .. Les îles de Lérins., dans Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l'arrondissement de Grasse, t. XXV, 1975; j.-A. Durbec, .. Cannes au Moyen Age '", numéro spécial des Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l'arrondisse­ment de Grasse, 1976.

Provence Historique - Fascicule 159 - 1990

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LYDIE BAY ET MICHEL FIXOT

sent sur l'interprétation de tel ou tel, formulée à l'origine de manière nuancée, mais reprise par les successeurs de manière affirmative: cela est vrai de l'église Sainte-Croix dont l'état actuel est encore parfois attribué au XI" siècle \ comme de l'espace voûté qui se trouve au-dessous d'elle: celui-ci est désigné par les uns comme chapelle, par les autres comme salle capitulaire, alors que le procès-verbal de visite, en 1756-1763 désigne clairement un salon~.

Le travail qui suit constitue une sorte de mise au point portant sur J'organisation des grandes masses architecturales, étude résumée par des plans et des coupes s. L'originalité de l'interprétation proposée apparaîtra si l'on compare cette documentation graphique avec d'autres assez récemment pu­bliées, et si l'on relit des historiens récents qui Ont utilisé et fait connaître des sources écrites de grande valeur sans en tirer pour autant toutes les conséquences.

Le texte semblera aride sans doute. Comme toute la littérature apparte­nant au genre littéraire archéologique, la description ou l'analyse qui étayent l'argumentation ne s'animent qu'à l'occasion de l'examen ou de la vérification que le lecteur leur inflige, sur place. On envisagera successivement les corps de bâtiment qui composent l'édifice dans l'ordre chronologique de leur appari­tion, en commençant par le corps A, situé à l'ouest, en poursuivant par le corps B qui vint s'ajouter à l'est et en achevant par les corps C et D appuyés aux précédents au sud-ouest. Quant aux propositions de datation, elles reste­ront, peut-être, aussi provisoires que celles qui ont été avancées par les auteurs antérieurs.

UNE TOUR PRIMITIVE

Description La tour primitive forme le noyau du corps de bâtiment A qui comprend

actuellement deux pièces de rez-de-chaussée voûtées et plusieurs niveaux au-dessus dont les sols sont ruinés (fig. 1,4 et 5).

Le rez-de-chaussée (fig. 1) est divisé en deux espaces (d'environ 4,50 m x la m chacun), couverts l'un et l'autre d'une voûte en berceau plein cintre de direction est-ouest, voûte construite en petits moellons grossièrement

3. Par exemple, j.-A. Durbec, op. cil., p. 17.

4. Procès verbal de la visite effectuée par Dom louis Boin de Cluny, Arch. A.-M., H 77, fO 15 : ce documem constitue la description la plus détaillée des lieux.

5. Ce texte correspond en partie au résumé d'un mémoire de maîtrise soutenu à l'Université de Provence devant G. Démians d'Archimbaud et M. Fixot: L. Le monastère fortifié de l'île Saint-Honorat de Lérins, 2 Vol., en 1985. On trouvera ce document consultable à l'abbaye et au laboratoire d'Archéologie Médiévale Méditerranéenne, à Aix-en-Provence, les références détaillées aux sources et un dossier iconographique complet.

En ce qui concerne les illustrations graphiques présemées ici, elles ont pour fond le relevé effectué par les services de l'Inventaire Général (N. Pégand). Le recours cominuel à cette documentation se révèlera nécessaire pour accompagner la lecture. le travail d'interpré­tation a bénéficié des conseils et des observations de F. Fray et E. Sauze, conservateurs.

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équarris et maçonnés. Des assises régulières sont visibles. sauf aux endroits dont le parement a été refait; le mur ouest en OAa est le plus abîmé. Un léger retrait du mur au départ des voûtes dans les deux salles indique non seulement le niveau de pose des cintres mais aussi l'emplacement d'un plancher intermédiaire détruit en 1939, lors de restaurations. La communication d'un espace à l'autre se fait par une grande ouverture en plein cintre percée dans le mur de refend: l'arc, fait de claveaux longs et fins, descend jusqu'au sol. L'accès à ce rez-de-chaussée, depuis l'extérieur, se fait actuellement, depuis le nord, vers l'espace OAb, au moyen d'une porte élevée à 2,80 mau-dessus du sol; l'escalier qui le dessert en perçant le voûtement a été refait au XXe siècle; d'autre part, dans l'espace OAa existent deux autres escaliers. L'un se trouve dans l'angle sud-est, il se termine à l'étage par une volée droite, mais c'était un escalier à vis entaillant partiellement le mur est dont le parement a été rétabli. L'autre était un escalier droit appuyé contre le mur ouest; pour une raison qui touche peut-être à la sécurité intérieure, il présentait une interruption, correspondant à des volées amovibles, avant de déboucher à l'étage. Ces deux autres escaliers percent aussi les voûtes.

Les murets maçonnés et bas, dans chacun des deux espaces devaient servir à porter des tonneaux comme l'indique le procès-verbal de visite effectué entre 1756 et 1763. La lumière est distribuée parcimonieusement par des jours, très hauts, profonds et étroits; un actuellement est visible dans le mur ouest de chacune des deux caves. Antérieurement, il en existait au moins trois autres. Ils sont visibles dans l'espace OAb: l'un dans le m.ur nord, à l'est de l'escalier, et les deux autres dans le mur est; tous les troÎs étaient à hauteur d'homme. Il n'est pas impossible que, dans la même pièce, un jour ait existé aussi dans la partie haut du mur: un jambage semble apparaître dans la maçonnerie. La grande ouverture dans le mur ouest de l'espace OAb est énigmatique: elle a la hauteur d'une porte et semble murée dans une partie de son épaisseur. Signalons, dans les assises basses, la présence de quelques grosses pierres de réemploi. dom un élément de corniche moulurée, qui contrastent avec le petit appareil. Un aménagement bizarre, en grand appareil cette fois, est visible dans l'épaisseur du mur est de l'espace OAa. Trois grosses pierres de taille superposées, surmontées de tuiles, forment parement vers le nord; un conduit circulaire débouche dans la pierre de la deuxième assise. Si la brèche permettant de voir ceci semble récente, l'ensemble de la paroi a été remaillé et la cavité dans le mur devait être plus grande devant l'écoulement; de l'autre côté du mur est se trouve le corps de bâtiment B qui contient une citerne: le conduit en question a un rapport vraisemblable avec la citerne ct l'alimentation en eau de cet espace OAb utilisé comme cave.

Le premier étage est assez semblable au rez-de-chaussée (fig. 2), avec ses deux vaisseaux de même orientation, voûtés en plein cintre, et ses murs très épais: 3,40 m pour les murs nord et sud sur lesquels s'appuient les voûtes, 2,10 m seulement pour le mur ouest formé en réalité de deux murs accolés d'épaisseur presque égale, et 1,20 m· pour le mur est qui est devenu, dans l'état présent, un mur de séparation entre deux corps de bâtiment (fig. 4 et

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la LYDIE BAY ET MICHEL FIXOT

5). La voûte, actuellement entièrement écroulée, est liée au mur est, alors qu'elle semble seulement collée contre le mur ouest qui est construit avec un module de pierre différent, plus important; mais toujours, le matériau est grossièrement équarri et maçonné. La porte dans le mur est en lAb est récente, mais elle doit en remplacer une autre, ouverte aussi vers le corps de bâtiment B, qui a existé au sud, en lAa, et dont il ne reste pas de traces significatives, mais qui est dessinée sur des plans anciens. Une autre porte, dans le mur sud, surmontée d'un arc segmentaire mène au corps de bâtiment C.

L'éclairage, depuis l'extérieur, est assuré par cinq Quvcnures, deux dans la salle lAb et trois dans la salle lAa. Dans chacune de ces pièces, le mur est est percé d'un jour. Ces deux jours recueillent la lumièïe de l'espace Baux galeries superposées autour d'un puits de lumière. L'un, en lAb, est légère­ment décentré vers le nord et l'autre, en lAa, légèrement décentré vers le sud. Les appuis, les piédroits et les arcs segmentaires de tuf, SOnt ébrasés vers l'intérieur de l'espace tA, tandis que la face externe de l'ouverture, vers l'espace B, est étroite et de dessin rectangulaire. Plus excentré encore par rapport à la voûte est le jour ménagé à l'extrême nord du mur ouest de la pièce lAa, qui ressemble d'ai lleurs à ceux de la cave. Ces irrégularités ne semblent pas suffisantes toutefois pour dissocier le voûtement de la réalisation originale.

Les deux grandes baies rectangulaires et étroites du mur ouest, avec des degrés d'accès hauts et irréguliers, sont très remaniées. On verra qu'elles appartiennent à un état différent. Dans le mur nord, vers son extrémité orientale, se trouvent deux ouvertures (fig. 2). L'une d'elle s'ouvre au-dessus du petit vestibule d'entrée dont elle a pu assurer l'éclairage et la surveillance. Le bossage du corps du bâtiment B est visible sur son piédroit est, vers l'extérieur du mur, fait ici visiblement de deux enveloppes. Dans le même mur, plus à l'ouest, il y a un petit espace creusé qui abri te actuellement une « pile» taillée dans une pierre calcaire. Là encore, le mur paraît formé de deux parois d'après le collage de maçonneries qui est visible dans la voûte segmentaire de moellons, à environ l ,OS m à partir du parement intérieur. Un autre renfoncement existe à l'extrême est du mur sud, au-dessus de J'escalier qui descend à la cave. Au milieu de ce même mur, une brêche à 0,88 m au-dessus du sol, profonde de 0,36 m est appelée « chaire du lecteur ». Des" coups de sabre» montrent que l'ouverture se prolongeait anciennement jusqu'au sol. Les piédroits ne sont pas nets, le couronnement a dû disparaître puisque le grand arc aux longs claveaux minces, au-dessus, est plus large et ne descend pas jusqu'au sol. C'était donc plutôt un arc de décharge.

L'aspect des étages supérieurs est très différent; l'apparei l, moyen et régulier, n'est plus du tout semblable à celui des étages inférieurs, même à celui du mur ouest en lAbo Au deuxième étage, on a gagné de la place sur "épaisseur des murs par un retrait à l'ouest, mais auss i, et surtout, par celui des murs porteurs de la voûte, au nord et au sud; ce n'était pas le cas entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Les murs nord, sud et ouest, n'om

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LA TOUR DE L'ILE SAINT-HONORAT A LERINS Il

plus que 1,40 m à 1,60 m d'épaisseur. Deux hautes voûtes en berceau brisé couvraient deux grandes salles de 6,60 rn x 12,40 m chacune approximative­ment. Dans chacune, deux arcs doubleaux retombent respectivement sur un corbeau indu dans le bandeau qui court à la base des voûtes. Cet espace ruiné a contenu deux étages, l'un (2A) établi sur la voûte lA, l'autre planchéité (3A) avec un poutrage reposant sur le bandeau ct les divers corbeaux. C'est cet état inauthentique, dû au recoupement du volume, que montre par exemple des dessins réalisés en 1839 par J .-A. Guine 6 , En 2A et 3A, toutes les couvertures sont bien appareillées, avec des joints maigres. Dans le mur sud, une porte couronnée d'un arc en plein cintre conduit en 2Ca. A l'extrême sud du mur ouest en 2Aa, se trouve une haute baie couronnée d'un arc segmentaire vers l'intérieur et d'un linteau droit sur coussinets vers l'extérieur. Presque toutes ses pierres ont été restaurées. Deux baies de même type sont ouvertes dans ce même mur en 3Aa et en 3Ab, centrées par rapport à la voûte; couvertes d'un arc segmentaire en briques, elles ouvraient au niveau du plancher que l'on peut restituer. Mais cet arc de briques ainsi que l'appui SOnt le fruit d'une restauration réalisée à l'époque où l'on fit ce plancher: l'extrados de l'arc authentique est parfois discernable, ainsi que la plongée qui existait avant que l'appui ne soit remonté. Ces restaurations de brique sont attribuables à l'époque moderne. Dans le mur nord en 2Ab, une haie de même apparence est percée, mais elle est surmontée d'un arc brisé en pierre.

A l'est de ce mur, un massif de maçonnerie fait saillie vers l'intérieur de la pièce (fig. 3 et 4), et un collage est visible entre le mur nord ct cette avancée qui prolonge le parement extérieur du mur ouest du corps de bâtiment B. De fait, des pierres à bossage constituent aussi le parement ouest de ce massif; elles sont visibles à la fois en saillie dans l'espace 2Ab et dans le rein de la voûte en berceau brisé, aujourd'hui écroulée, exactement selon le même aplomb. Cette voûte qui couvrait les volumes 2-3Ab retombait en partie sur un bandeau peu saillant pris dans ce massif de maçonnerie en avancée et s'adaptait à son tracé.

Dans cet angle nord est, en 2Ab, une ouverture conduit à une petite pièce fermée. L'accès actuel vers 2Aa se fait par le corps de bâtiment 2Bc au moyen d'une porte surmontée d'un arc segmentaire; un profond trou dans le piédroit nord était destiné à la mise en place d'une barre de fermeture afin d'isoler le corps de bâtiment A. Une large porte murée d'environ 1,50 m de large menait du corps de bâtiment 2Bc vers 2Ab.

Un passage permettait d'accéder de l'escalier à vis, qui occupe l'angle nord-ouest du corps de bâtiment B, jusqu'en 3Ab, au niveau correspondant à l'étage planchéié; ce passage n'est pas contemporain de la conception de l'escalier, ce qui reporte la mise en place de cet étage à un moment ultérieur, moment des réfections en briques, celles des arcs de baie du mur ouest par exemple j à l'étage 3A, vers l'est, deux traces de cheminées SOnt visibles, l'une centrée en 3Aa et l'autre en 3Ab; leur conduit montait verticalement dans

6. Arch. du Patrimoine, Paris.

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l'épaisseur du mUf, derrière la voûte. Tout l'appareil de ce mur est plus irrégulier que celui des trois autres aux mêmes niveaux, preuve aussi d'une restauration.

Au niveau 2A, dans l'angle sud-est, tout comme dans l'angle nord-est, un massif de maçonnerie fait saillie (fig. 3 et 4). La symétrie par rapport à l'angle nord-est est soulignée par l'appui que prend contre ce massif le mur d'enveloppe de l'espace A à cet étage. La voûte couvrant les espaces 2-3A s'adaptait à cene irrégularité, et une pierre légèrement en ressaut dans ce massif, à la base de la retombée de voûte, rappelle le bandeau continu du mur sud.

La retombée des deux voûtes dans la partie médiane du corps de bâtiment A n'est qu'en très petite partie visible contre le mur ouest : le même bandeau courait à la base de la voûte, il n'en reste qu'une ou deux pierres de part et d'autre. Une large ouverture en plein cintre est amorcée qui faisait commun i­quer les espaces 2Aa et 2Ab.

Au-dessus de ces deux voûtes, montées à partir de la quatrième assise au-dessus du bandeau avec des grosses pierres de taille en tuf, il y avait un quatrième niveau (4A) dont il ne reste presque rien: quelques pans de sol carrelé de terre cuite rouge subsistent sur les reins de voûtes. Reste également une très faible hauteur de mur, le sommet du mur ouest ayant été ent ièrement refait.

Vues de l'extérieur, les façades en pierres à bossage du corps de bâtiment A SOnt homogènes, et l'on distingue bien les parties restaurées. Le mur apparaît fondé sur le rocher, ce qui est surtout visible à l'angle nord-ouest . L'élévation est couronnée au nord par un mâchicoulis sur corbeaux aux triples ressauts taillés en quart de rond, le parapet étant porté par des arcatures brisées. Deux arcatures seulement se poursuivent sur le mur ouest. Le créne­Iage actuel est de const ruction récente.

Interprétation

Le corps de bâtiment A renferme la partie la plus ancienne, sous la forme d'une tour quadrangulaire et de plan trapu 7. De cette tour, trois baies en OAb ont été obturées par le corps de bâtiment B qui est donc postérieur et qui est venu s'ajouter à l'est. Un jour dans le mur nord est obturé à 1,50 m de profondeur, les deux autres, dans le mur est, sont totalement murés; tous les trois présentaient la même structure, environ les mêmes dimensions, et se trouvent à peu près à la même hauteur à partir du sol. Quant au corps de bâtiment C, il est postérieur aux corps B et A, car il a été construit contre le parement à bossage de ceux-ci. Cette première constatation concernant la chronologie relative n'est pas difficile, mais l'étude particulière de chacun de

7. G. DEMIANS D'ARCHIMBAUD (en collaborati on avec M. FlXOT CI J. -M. ALLAIS), ... Saint-Victor de Marseille, fouilles récentes et nouvelles intcrprétations architcctu­raies ", dans Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1974, pp.} 13-346

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ces corps de bâtiment est plus complexe, car les étapes de construction et les reprises furent nombreuses, surtout pour les bâtiments A et B.

Après avoir examiné les zones de contacts marquées en 1 et 2 sur les plans, aux angles nord-est et sud-est du corps de bâtiment A, il paraît possible de reconnaître deux états pour cette partie du monument, soit une tour primitive à mur mince dont il resterait deux niveaux, le rez-de-chaussée et un étage (OA et lA), et d'autre part, un chemisage de cette élévation, postérieur à la construction du corps de bâtiment B, chemisage qui élargit les murs et sur lequel on reconstruisit une élévation. Dans les zones de contacts 1 et 2, les murs du corps de bâtiment B filent à l'intérieur des murs du corps de bâtiment A, celui-ci, ou du moins ses parements extérieurs et le chemisage, étant collé contre le bâtiment B : les pierres à bosse de ce chemisage, avec leur liseré, sont bien conçues pour butter contre les parements du corps de bâtiment B (fig. 1, 2, 3). Au sud-est du bâtiment A et au premier étage, la région de contact 1 est plus complexe: un jour donnant dans la salle IBa a d'abord été affecté par le chemisage du mur sud du corps de bâtiment A. La situation observable actuellement à cet endroit est la suivante (fig. 2): un jour a été percé dans le mur du corps de bâtiment B, à l'angle qu'il forma un temps avec le corps de bâtiment A, dont la chaîne d'angle authentique est encore visible immédiate~ent au nord. A l'époque du chemisage du corps de bâtiment A, il fallut rallonger ce jour vers l'extérieur pour qu'il gardât son utilité. Il la perdit définitivement au temps où fut ajouté le corps de bâtiment C , et il se trouva alors obturé. La zone de contact 1, au premier étage, est donc fort intéressante parce qu'elle résume bien toutes les étapes de construc-tion.

Le mur ouest du premier étage en lA, dont le parement est différent des trois autres murs situés au même niveau et les étages supérieurs Ont été construits à la suite Ju chemisage: il n'y a plus de traces de collage dans aucun de ces murs qui sont homogènes; ils sont aussi sensiblement moins épais qu'aux niveaux OA et lA dont l'épaisseur s'est trouvée doublée par le chemisage. Un retrait supérieur à 1 m par rapport à l'aplomb du parement interne de la tour primitive fit gagner beaucoup d'espace car les murs nord et sud, au niveau 2A, n'ont qu'une épaisseur de 1,40 m à 1,60 m.

Au deuxième et troisième étage, les pans de murs qui font saillie dans les angles nord-est et sud-est SOnt les restes, ou les témoignages, de la butée du corps de bâtiment B contre la tour A dans son état primitif, antérieur au chemisage. Aux étages 0 et l, ces deux tronçons occidentaux SOnt encore appuyés à ce qui reste de la tour, aussi ne sont-i ls pas visibles de l'intérieur de A. Mais la tour ayant été arasée au-dessus du niveau lA, et la surface intérieure agrandie, l'ancien appui des murs occidentaux du corps de bâtiment B contre la tour ancienne fait maintenant saillie à l'intérieur du nouveau volume, en révélant en négatif la construction primitive (fig. 5).

Il est possible de retrouver la structure de la première tour grâce à différentes autres traces. En OA, les quatre ouvertures des murs nord et ouest se sont trouvées, soit murées, soit rétrécies exactement à la même profondeur

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dans la maçonnerie. Il est difficile d'attribuer cette similitude au seul hasard. On y verrait plutôt la marque de "épaisseur authentique des premiers murs, soit 1,60 m au niveau du rez-de-chaussée. Si l'on accepte cette restitution, l'ouverture sud du mur oucst en OAb devait être une porte donnant vers l'extérieur de la fortification. En 2A, le mur restitué est beaucoup plus étroit, il ne fera it plus qu'un 1 m ou l,la m d'épaisseur selon les endroits.

Curieusement, le retrait, sauf erreur, apparaît aussi extérieur (fig. 4), ce qui ne se comprend que si le mur primitif s'est trouvé détérioré, et en particulier déparementé. Un collage visible dans la voûte au-dessus de la « pile» proche de l'angle nord-ouest en lAb, les pierres à bossage du mur ouest du corps de bâtiment B apparaissant dans la paroi est de l'ouverture qui donne sur l'entrée, le retrécissement qui affecte le tableau ouest de cette même ouverture, avec un collage visible, ainsi que la longueur du trou pour la barre de fermeture de la deuxième porte d'entrée, menant vers lB, permet­tent de déterminer la largeur du mur nord de la tour primitive. La largeur du mur sud est indiquée par une trace de collage dans le passage entre lAa et 1 Ca, adjacent à J'escalier ouest, ainsi que par deux pierres de taille anri­buables à la chaîne authentique de l'angle extérieur sud-est de la tour primi­tive : il en a déjà été question, elles sont visibles dans le mur ouest de l'espace 1 Ba et sont adjacentes au jambage du jour percé en obliq ue dans le corps de bâtiment lB. Reste le problème du mur est: il a une épaisseur de 1,20 m à 1,40 m et comme il est lié aux voûtes qui couvrent les volumes lAa et b, nous pouvons le considérer comme le mur est de la tour primitive; mais il n'en reste sûrement que très peu de pierres d'origine si l'on considère les nombreuses reprises et restaurations effectuées.

Il subsiste peu de choses du quatrième niveau. Un jour est percé dans les reins de voûte, entre 3Aa et 3Ab. Seul le mur nord est encore assez élevé en 4Ab pour donner de réelles indications. le collage 2 est toujours visible de la même façon dans le parement extérieur: son apparence indique que le chemisage du corps de bâtiment A est, en 4A comme en 2A et 3A, postérieur au corps de bâtiment B. A l'intérieur il n'apparaît plus: entre J'escalier à vis qui occupe l'angle du corps de bâtiment B et 4Ab se trouve une petite pièce avec un bossage intérieur sur le mur ouest. Quant au massif de maçonnerie en sai llie aux deux étages inférieurs il a pu ici être supprimé car il ne soutenait pas de voûte,

En résumé, il y aurait donc eu sur le site une première tour à peu près carrée, avec des murs d'environ 1,60 m de large au niveau du rez-de-chaussée qui étai t voûté. Au-dessus, se trouvait une élévation de deux étages au moins dont le premier possédait un voûtement identique à celui du niveau inférieur, fait de deux berceaux plein cintre adjacents, d'orientation est-ouest. Chacune des salles avait une superficie d'environ 44 ml . On peut être sûr d'une hauteur minimale de 17 m à cause du négatif fourni par l'appui des parois occidentales du corps de bâtiment B. Les parements intérieurs montrent un moellon nage irrégulier et le parcment externe n'est pas vis ible, sauf quelques bribes, depuis l'cspace lB , qui ont échappé aux remanÎements et restaurations. Une entrée

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devait exister au rez-cie-chaussée, en OAb, dans le mur ouest, et J'éclairage était distribué dans ce niveau bas par d'étroits jours rectangulaires à linteau droit placés soit à hauteur d'homme soit inaccessibles comme clans le mur ouest en OA et peut-être dans le mur est en OAb. On ne voit pas de communication ancienne entre le rez-cle-chaussée et le premier étage qui pouvait posséder son propre accès.

Cette tour a été ensuite doublée, après la réalisation du corps de bâtiment B. Les murs eurent alors une épaisseur maximale de 3,60 m en OA et présentèrent un beau parement à bossages rustiques avec des liserés; à cette nouvelle conception de la construction appartiennent deux étages remontés à l'intérieur, dont un avec deux hautes voûtes parallèles en berceau brisé. Cet étage fut ultérieurement recoupé par un plancher. Un moyen appareil régulier a été utilisé. Les baies sont hautes et larges, soit à linteaux droits sur coussinets, soit en arc brisé ou plein cintre. L'examen des collages 1 et 2 permet de dire que cette campagne de construction fut postérieure à l'édifica­tion du corps de bâtiment B.

Comparaisons et datation

Les seules indications chronologiques à propos de la construction d'une tour sur l'île Saint-Honorat sont données par le moine Barralis dans l'ouvrage qu'il rédigea en 1613. D'après un vieux texte déjà tronqué alors, et disparu aujourd'hui, l'historien de Lérins attribuait très hypothétiquement la construc­tion d'une tour, en 1088, à l'abbé Aldebert JI (1066-1102). Cette position, nuancée à l'occasion de la citation et de la critique du texte, devient plus tranchée dans la chronologie des abbés à propos de laquelle la construction de la tour de Cannes était aussi péremptoirement atttribuée au même Aldebert. Pas plus que la tour de l'île Saint-Honorat dans son état actuel, celle de Cannes ne peut être l'œuvre de cet abbé. La position de Barralis devient même intenable lorsqu'il attribue la dédicace de la chapelle Sainte-Croix infra turrim au même Aldebert II, du moins pour ce que nous voyons maintenant. Il se contredit d'ailleurs lui-même dans son travail. Mais depuis lors, la datation de la tour de Lérins est reportée, d'auteur en auteur, à la fin du XI'siècle.

Ce texte recopié par Barralis, mais mal daté, donne quelques indications: il était prévu que les murs devaient avoir au moins l'épaisseur d'une canne, et les fondations pénétrer sous terre de trois ou quatre pieds. Les murs de la tour primitive telle qu'elle a été définie font au minimum 1,60 m d'épaisseur en OA; or la canne équivaut à une mesure généralement comprise entre 1,80 Dl et 2 m, ce qui est assez proche de ce que l'on peut observer, mais une telle épaisseur est aussi assez courante dans j'architecture militaire. Quant aux fondations, un sondage réalisé en mai 1985 dans l'angle nord-est de la salle OAb a permis de mettre au jour des fondations effectivement creusées dans la terre, jusqu'à environ vingt centimètres au-dessus du niveau du rocher.

Mais peut-on fonder une datation archéologique sur la foi d'un texte dont la datation était déjà incertaine au XVII" siècle?

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On manque actuellement, en Provence, de comparaisons datées avec suffisamment de certitude dans l'architecture militaire attribuable à la fin du XI" siècle. Que vaudrait d'ailleurs une comparaison plus ou moins ponctuelle ne tenant pas compte de la spécificité du monastère, compte-tenu en particulier des ressources économiques qu'il étaie le seu l à pouvoir réunir? Pourrait-on comparer de manière valide, pour la période considérée, les réalisations laïques avec les entreprises ecclésiastiques, celles des membres de la famille de Grasse restés dans le siècle avec ce que pouvait mettre en chantier, Aldebert Il, l'un des leurs, devenu abbé du monastère de Lérins? Dans le même répenoire architectural, avec des fonctions [OU[efois différences, seule la cour dite « d'Isarn », à l'abbaye de Saint-Viccor de Marseille, pourrait donner 'Ia réplique en anei­gnant, à une date elle-même difficile à établir, et discutée 7, un ordre de grandeur bien moindre.

Les dimensions de cette tour ancienne de l'île Saint-Honorat, dont l'em­prise au sol est supérieure à 100 m1

, la hauteur supérieure à 17 m, la division nécessaire de l'espace par un refend, et les voûtements superposés en font bien un ouvrage exceptionnel, apparenté aux donjons résidentiels, et elle est unique dans le contexte régional du premier comme du second âge roman provençal.

De manière sans doute plus réaliste que ce qui est accepté et écrit généralement en se fondant sur la répétition ou le durcissement d'hypothèses émises anciennement, la tour primitive identifiée à Lérins, sur l'île Saint­Honorat, pourrait correspondre de manière vraisemblable avec celle pour laquelle une aide financière fut aemandée, vers 11 80, par appel pontifical s. Elle ne fut donc achevée que plus tard encore. En comparaison avec les constructions militaires provençales attribuables avec certitude à la fin du XII~ siècle - elles ne sont pas nombreuses - la tour de Lérins représenterait déjà une réalisation très exceptionnelle.

Quant au chemisage et à la construction des étages supérieurs de cette tour, ils sont postérieurs à l'élévation du corps de bâtiment B et il n'cn sera question par conséquent que plus tard après qu'il aura été traité de celui-ci.

LE CORPS DE BATIM ENT B

Description

Les murs sOnt revêtus à J'extérieur d'un parement en bossage rustique à liserés, semblable à celui du chemisage du corps de bâtiment A. Les différentes façades ne SOnt pas homogènes. Les façades nord, o uest, ains i que la partie

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nord de ]a façade est, som montées jusqu'à une haute ligne d'interruption ou de reprise horizontale, selon un rythme iden::ique fondé sur la superposition de six fois neuf assises - parfois onze: les assises diminuent régulièrement de hauteur du bas vers le haut dans chacune de ces strates qui peuvent marquer des campagnes de construction différentes.

La façade orientale présente deux coups de sabre verticaux, presque symétriques de part et d'autre de la tour médiane, respectivement distants d'elle de 5,12 m au sud et 5,50 m au nord (fig. 6). Presque toute la partie basse des murs, battue par la mer, a été restaurée. Une interruption horizontale apparaît sur la façade sud entre les niveaux 1 B et 2B: la partie inférieure montre un parement à bossage semblable à celui des autres faces, avec cependant une particularité: une pierre d'angle correspond parfois à deux assises ce qui se produit aussi pour la chaîne de la tour Bb ; on en voit six exemples répartis à peu près régulièrement sur la hauteur considérée.

La moitié supérieure, au sud, correspond à l'étage 2Ba; elle présente un petit ou moyen appareil régulier, sans bossage, qui se poursuit sur la façade est, jusqu'au coup de sabre décrit. Au contact entre ces deux types de parement, séparant aussi vraisemblablement deux campagnes, un jour est visible, mais seulement depuis l'extérieur, trois assises au-dessus de la grande baie ouverte sur l'espace 1Ba, et à l'ouest de celle-ci; il donne dans le rein de la voûte 1 Ba. La façade sud-ouest du corps de bâtiment B est maintenant dissimulée par l'appui du corps de bâtiment C. L'absence de bossage au niveau 2 sur la façade ouest se constate encore jusqu'à l'appui que prenait le corps de bâtiment B contre la tour primitive, dont le négatif, on l'a dit, est ainsi conservé.

Le corps de bâtiment B est couronné du côté de la terre, au nord de la tour médiane, de mâchicoulis sur corbeaux surmontés de créneaux entièrement restaurés, comme ils le SOnt sur le corps de bâtiment A. Les mâchicoulis du corps de bâtiment B buttent contre ceux du corps de bâtiment A, à l'ouest, et contre le mur nord de la tour médiane de la face est. A la hauteur des premiers corbeaux, l'appareil devient différent, le parement supérieur ne pré­sente plus de bossages et le coup de sabre sur la façade est n'est plus décelable. Le sommet de l'édifice du côté de la mer a été surmonté d'un crénelage lors des restaurations faites par le service des Monuments Historiques.

L'entrée dans le monastère fortifié se fait au contact des corps de bâtiment A et B, presque au niveau du premier étage, par un escalier en pierre qui a remplacé l'ancien pont mobile dont il ne reste que quelques traces à la retombée nord de l'arc supportant maintenant l'emmarchement (fig. 2). Le linteau droit, une partie de l'arc brisé délimitant un tympan composé de trois pierres à bossages disposées dans la continuité des assises de la façade, et la plupart des pierres formant les piédroits de la porte d'entrée ont été restaurés. Après la porte, à laquelle correspond en entrant à droite un trou dans le mur nord du corps de bâtiment A pour une barre de fermeture, se trouve un petit vestibule couvert d'une voûte en demi-berceau, d'orientation nord-sud; elle est liée au mur nord du corps de bâtiment A mais s'appuie en revanche, à

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l'est, contre le bossage du corps de bâtiment B ; puis à main gauche, une deuxième porte surmontée d'un arc en plein cintre mène vers le cloître, en 1Be, par deux petites volées d'escalier: la première débute sous une voûte en berceau brisé, haute de 2,18 m, d'orientation est-ouest, et la seconde se termine sous une voûte de profil segmentaire, s'élevant vers l'est, pour débou­cher sous une hauteur d'arc, à l'entrée du cloître, de 2,44 m. La voûte en berceau brisé et la voûte segmentaire sont dans le prolongement l'une de l'autre, la seconde couvrant un passage légèrement biais vers le sud. Des pierres de taille en moyen appareil ont été utilisées dans la construction de toutes ces parties. Une porte ou une niche murée se trouve dans le mur sud, au-dessus des premières marches.

Au premier étage, à gauche de l'accès, il y a un escalier à vis dont la cage occupe l'angle nord-ouest du corps de bâtiment B; au niveau lB, on pénètre dans cet escalier par une porte aux jambages taillés en quart de rond du côté du cloître lBc; elle est surmontée d'un arc en anse de panier dont l'appareil est à crossettes. Au niveau 1Bc quatre galeries de largeurs différentes forment un cloître, dont les dix travées sont voûtées sur des croisées d'ogives moulurées (un tore à deux becs); les travées sont séparées par des arcs doubleaux en arc brisé, retombant d'un côté dans les murs et s'y fondant en pénétration, et de l'autre sur des colonnes. Le préau est une petite cour pavée de grandes dalles de calcaire; il est limité par six arcs brisés aux claveaux polychromes qui présentent une alternance irrégulière de pierres blanches et jaunes; ces arcs supportent un second cloître au niveau supérieur. Les six colonnes du niveau IBc SOnt posées sur un mur bahut dont les grandes pierres plates de chaperon ont été refaites, excepté sous les bases; ces colonnes SOnt taillées dans différentes qualités de pierre. Une seule est monolithe. Leurs hauteurs différentes compensent des bases dissemblables. On sait que la colonne de l'angle sud-ouest est un réemploi qui porte une inscription antique. Il n'y a pas deux bases de colonne semblables, mais deux types de moulura­tions sc distinguent: un des types consiste en une scotie entre deux tores reposant sur une plinthe carrée avec une griffe à chaque angle; quant à l'autre type, il présente une très haute plinthe aux angles abattus, surmontée d'une scotie et d'un tore, ou bien de deux tores et de deux scoties. Les chapiteaux sont aussi tous différents les uns des autres, mais ils sont de caractères comparables, comportant tous un astragale circulaire, une corbeille à quatre faces nues ou ornées d'un petit motif géométrique, rosace, feuille ou entrelac, un abaque. Des chapiteaux à corbeille lisse correspondent aux bases à plinthes élevées.

Quatre accès symétriques sont ménagés dans le mur bahut du cloître 1 Be pour accéder à la margelle de la citerne au centre de la cour: le sol au fond de la citerne est en dalles de pierre de même aspect que celles qui entourent la margelle. Quatre pentes y convergent vers le centre; les parois portent un crépi uniforme sans aucune trace d'ouverture: seuls deux chéneaux font saillie, dont l'un recueille les eaux pluviales du cloître; la voûte est en cintre segmentaire. Les limites de la citerne correspondraient à peu près lU tracé

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du mur bahut du cloître IBc; la récupération des eaux de pluies tombant à J'intérieur du préau se fait par un conduit situé dans l'angle sud-est de la cour.

Le mur est du cloître montre un moyen appareil maçonné, assez irrégu­lier. Un ancien jour, ou une archère aujourd'hui murée, dont l'ouverture rectangulaire étroite se voit encore en façade, est repérable dans ce mur est. Il est surmonté d'un arc segmentaire en tuf.

La tour en IBb, voûtée en berceau d'orientation est-ouest, est fermée à la gorge par une mince paroi avec des f( coups de sabre» à chaque extrémité. Cette fermeture supporte les retombées de croisées d'ogives et d'un doubleau de la galerie orientale du cloître. Dans le mur est, deux archères, ou jours, sont ébrasés vers l'intérieur; une ouverture rectangulaire sur l'extérieur, des­tinée à l'emploi d'armes à feu (18 x 42 cm), et une niche sont percées dans le mur nord. Un pan de mur symétrique au sud a été restauré; il devait y avoir peut-être là une autre ouverture flanquante. Une porte surmontée d'un tympan monolithe sur coussinets conduit de lBb à lBc.

La partie lBb est aveugle sur l'extérieur, ouverte seulement sur le cloître; elle est voûtée par un berceau en plein cintre d'orientation nord-sud j son tracé entraîne une irrégularité de la galerie nord du cloître. Une petite niche est ouverte dans le mur est. La retombée ouest du berceau est affectée par un jour qui donnait dans l'escalier à vis Be et qui est actuellement muré. Cet espace 1 Bd présente un gros appareil maçonné, grossièrement équarri, avec des pierres de couleurs diverses. L'arête de voûte donnant sur le cloître est construite en grès jaunes et elle retombe à l'ouest sur une pierre faisant partie du chaînage sud-est de la cage de l'escalier à vis, taillée pour la recevoir, et pour recevoir aussi un culot portant une date: 1450 9

La salle IBa est aussi ouverte sur le cloître, elle est voûtée d'un berceau plein ceintre, en petit appareil irrégulier maçonné. Ce berceau retombe jusqu'au sol. Trois jours sont ouverts au niveau du sol: l'un, dans le mur ouest est partiellement muré depuis la construction du corps de bâtiment C: il en a déjà été question, et les deux autres se trouvent dans le mur sud, de part et d'autre d'une grande baie ébrasée vers l'intérieur, sans jambages construits, et couronnée d'un linteau droit sur coussinets. Le mur sud est réalisé en moyen appareil maçonné semblable à celui du mur est en IBc.

Actuellement, seul l'escalier à vis (Be) dans l'angle nord-ouest du corps de bâtiment B mène aux étages supérieurs. Son parement intérieur est très irrégulier, fait de pierres grossièrement équarries et maçonnées, de qualités diverses; il présente de nombreux collages; il devait, à l'origine, ne desservir que le corps de bâtiment B : des passages réaménagés postérieurement, sans voûte ni piédroits construits, permettent d'accéder directement aux niveaux 3 et 4 du corps du bâtiment A, sans passer par le corps de bâtiment B.

L'espace 2Bd est semblable à IBd, avec en plus une archère à niche percée jusqu'au sol dans le mur nord, avec deux bancs le long des embrasures intérieures qui sont appareillées, alors que la voûte est en moellons maçonnés.

9. Lecture proposée par E. Sauze, Conservateur à l'Inventaire Général.

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Le cloître 2Bc comprend douze colonnes de marbre blanc posées sur un mur bahut, soutenant des arcatures en cintre brisé, lancées d'une colonne à l'autre; elles portent un autre mur bahut en 3Bc. Les colonnes d'angles soutiennent chacune les retombées de deux arcs diaphragmes supportant un plancher, et reposant vers l'extérieur sur un culot pris dans les murs. Les colonnes Ont des fûts octogonaux monolithes, posés sur une base composée d'une plinthe, d'un tore duquel descendent vers les angles des feuilles d'eau lisses et d'une partie circulai re plus étroi te et très légèrement creusée. Toutes les bases Ont environ 18 cm de haut, excepté les basses médianes des galeries nord et sud, respectivement hautes de 22 cm et 24 cm. Cette différence est compensée par une plus petite hauteur de fût. Les chapiteaux, surmontés d'un abaque, ont une corbeille ornée de feuilles d'eau enroulées j un motif géométrique est placé entre les feui lles enroulées de la partie haute, le motif variant d'un chapiteau à l'autre.

Deux grandes baies percent le mur est; dans la partie nord de 2Bc, elles possèdent un ébrasement double qui affecte aussi le cintre et l'appui. Au nord du mur est, en 2Bd, un jour ouvert en façade a été muré à l' intérieur. La tour nord 2Bb est couverte d'une voûte en berceau d'orientation est-ouest retombant sur un bandeau à 1,14 fi du sol; elle est ouverte à la gorge sur le cloître 2Bc. Un jour et une niche sont percées dans le mur est de cette tour.

La paroi entre 2Ba et 2Bc n'est pas liée aux murs est et ouest. Des pierres plates placées de façon oblique dans cette paroi forment une longue ligne qui p rend son origine contre le mur est, au-dessus de la petite porte, en montant vers l'ouest. Elle est visible des deux côtés de la paroi en 2Ba, 2Bc, 3Bc. Il doit s'agir de la trace du rampant d'une ancienne toiture. Deux portes mènent de 2Bc à 2Ba, l'une à " est est surmontée d'un lin teau droit, tandis que l'autre, au centre, est couronnée d'un arc en accolade gravé, trop étroit. Il y avait une trois ième porte à l'extrême ouest, aujourd'hui murée.

Une pierre qui portait une inscription en lettres gochiques (HEC EST CAPELLA

seE + QUE APPELATUR SCA SANCTORVM HONORAT! CAPRASII VENANTII ANTONII AYG ULFI

MRIS ET PLRIORUM ALIORUM SANCTORUM) se trouvait au-dessus d'une de ces portes, elle est maintenant dans le musée de J'abbaye. L'espace 2Ba était donc la chapelle Sainte-Croix. Celle-ci mesure 8 m de haut, et entre 7 et 8 m de côté. C'est un quadrilatère irrégu lier dont l'élévation correspond à deux niveaux (2B et 38) comme c'est le cas pour l'espace 2-3A. Les murs périmétraux paraissent très restaurés dans les parties hautes. Da':ls le mur sud sc trouve un petit placard, à l'est, et une grande baie à double ébrasement, semblable à celles percées dans le mur est en 2Bc ; un jour profond et étroit, rectangu­laire, très haut placé, a le même aspect que ceux aménagés au niveau du sol en t Ba. Au nord du mur est, une armoire (à reliques ?) apparaît, couronnée d'un arc segmentaire j elle est tapissée de briques rouges, avec une rainure marquant la place d'une étagère; dans une grande pierre plate est creusé un rectangle d'une faible profondeur. Une feuillure permettait de placer une porte ou une grille de fermeture.

Au centre du mur est se trouvaient aussi deux baies à double ébrasement

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semblables à celle du même mur en 2Bc j ainsi ces baies étaient-elles disposées symétriquement de part et d'autre de la tour Bb; mais celles de la chapelle ont été démolies afin d'obtenir une grande ouverture dans laquelle était placé un retable en arrière de l'autel. Il reste le jambage sud de la baie sud et le jambage nord de la baie nord, ce dernier ayant aussi été adapté pour servir de jambage à l'armoire à relique qui lui est donc postérieure. La chapelle Sainte-Croix est couverte d'une croisée d'ogives très tombée. Les ogives de profil rectangulaire retombent dans les angles sur de petits culots à trois pans. Une croix aux branches égales est sculptée sur la clef de voûte. Le mur sud porte la trace d'un arc formeret correspondant à un voûtement antérieur à celui que l'on voit actuellement.

Le niveau supérieur est très remanié du moins pour tout ce qui concerne l'aménagement de l'espace intérieur. Un clocher peigne, dont seules quelques pierres, à la base, sont anciennes, est posé sur le mur est, au nord de la tour est, en 3Bb. Les terrasses sont le fruit des restaurations, puisque d'après les gravures anciennes, le monastère fortifié était entièrement couvert d'une char­pente excepté le préau du cloître, qui demeurait ouvert.

Interprétation

Dans le corps de bâtiment B, il faut dissocier les murs périmétraux et l'aménagement intérieur.

L'escalier à vis semble postérieur aux murs périmétraux (fig. 3); en lB, en effet, dans le couloir d'entrée, la voûte segmentaire inclinée liée au massif de l'escalier à vis s'appuie sur le berceau droÎt brisé; le coup de sabre qui les sépare permet d'individualiser le mur ouest du corps de bâtiment B, large de 2,40 m ; par comparaison, les autres murs du même corps de bâtiment ont une largeur comprise entre 2,40 ru et 2,60 m, excepté pour la tour est dont le mur est plus mince; ce mur ouest du corps de bâtiment B bute au sud et au nord contre le mur du donjon primitif A, le prenant en tenaille; au nord, le collage est visible dans les parois nord et sud de l'escalier lBI. En 2BI, un collage dans l'ébrasement ouest du placard nord permet encore de reconnaître la largeur du mur (2,30 ml.

Le collage entre le mur est de la cage d'escalier et le mur nord en Bd n'est pas net. Mais ce massif d'escalier a été construit en même temps que les voûtes des espaces lBd et 2Bd, et en même temps que les cloîtres IBc et 2Bc: en effet, une pierre de son chaînage d'angle sud-est est taillée, au niveau lB, pour recevoir simultanément la retombée de J'arête de la voûte couvrant 1Bd et le culot portant la date 1450; sur ce culot repose aussi une ogive du cloître. Au niveau 2B, la même chaîne d'angle reçoit la retombée de l'arête de la voûte couvrant J'espace 2Bd. L'observation au niveau supérieur 3B est difficile car l'espace était charpenté; il n'y a plus de couverture actuellement et tout est très ruiné et remanié, c'est pourquoi nous en parlerons peu.

Pour en revenir à l'espace 2Bd, J'arête de la voûte donnant sur le cloître retombe à l'est dans une pierre du piédroit nord d'une grande baie; cette pierre est retaillée pour la retombée. Celle-ci est donc postérieure à la baie

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22 LYDIE BAY ET MICHEL FIXOT

qui est contemporaine du mur. La plupart des retOmbées d'ogives aussi, ou de doubleaux, dans les murs des cloîtres IBe et ZBe donnent l'impression d'avoir été placées dans des endroits qui n'étaient pas conçus pour les recevoir. Les collages montrent que les minces parois fermant les espaces IBb et 2Ba n'existaient pas lors de la construction des murs extérieurs . Elles servent actuellement à soutenir des retombée d'arc appartenant aux cloîtres.

Un autre indice important permet de soutenir l'hypothèse d'un aménage­ment interne postérieur aux murs périmétraux ; il donne en même temps une vague idée des niveaux primiti fs (fig. 2) : cct indice est donné par la présence de trois jours ac tuellement percés au ras du sol en IBa; celui du mur est se prolonge même au-dessous du niveau de sol actuel ; et un autre jour a été signalé, visible uniquement dans la façade sud, et aboutissant dans le rein de voûte ouest de la salle IBa. Un éclai rage au niveau du sol avec des jours aussi étroits est inusité, et le jour obstrué par la voûte n'aurait pas de raison d'être s'i l n'y avait eu des niveaux différents dans un temps plus ancien. La présence de la voûte incl inée abritant un escal ier de biais en 1 Bf confirme cette hypothèse. Il s'agit d'une adaptation de l'entrée à un niveau un peu plus élevé que celu i de la construction primitive.

La zone de collages nord (zone 2) se révèle donc très importante; elle permet, en effet, de situer en chronologie relative presque tOutes les étapes de construction : le mur ouest du corps de bâtiment B s'est appuyé contre la tOur A primitive. L'actuelle porte dans ce mur, disposée vers l'ouest, devait servir de porte d'entrée. Ensuite, la tOur A fU[ doublée par un parement à bossages, sans doute afin d'unifier les façades, de renforcer la partie ancienne plus faible en lui donnant une épaisseur de mur comparable à celle du corps de bâtiment B. Ce chemisage est venu buter contre le parement ouest à bossages du corps de bâtiment B, condamnant sa porte d'entrée située dans l'angle fo rmé avec l'ancienne tour A, comme il aurait pu condamner le jour percé dans le mur sud-est du corps de bâtiment B qui fut alors rallongé pour garder son uti li té, ce qu'il fit provisoi rement d'ailleurs. Une nouvelle pone fut ménagée dans le chemisage à bossage de la tour A, porte ouverte vers le nord, menant dans un vestibule occupant la largeur de l'épaississement de la maçonnerie, avec une voûte en demi berceau appuyée contre les pierres à bossages de J'ancienne face ouest du corps de bâtiment B. Du vestibule, on accède donc à la porte d 'entrée de l'état antérieur puis, après avoi r passé l'épaisseur du mur, à un escalier dom le massif est lu i aussi postérieur à la fo is au mur ouest du corps de bâtiment B et à la niche m~rée dans la paroi sud. Couven d 'une voûte inclinée, et marquée par une dévia tion vers le sud, cet escalier IBc se trouve compris dans le même massif de maçonnerie que l'escalier à vis 1 Be et lui est contemporain.

Il semble donc bien y avoir eu un réaménagement total de l' intérieur du corps de bâtiment B, le niveau du premier étage ancien ayant été plus bas ; il est restituable au niveau du sommet de la première volée de marches de l'entrée, celle qui est couverte d'une voûte en berceau. En ce qui concerne le couvrement ancien de ce niveau lB , il res te les traces d'un quart de cintre

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retombant verticalement vers le sol dans la moitié est du mur sud en 1Ba, marques qui permettent de restituer deux anciens voûtements adjacents suscep­tibles d'avoir couvert deux volumes adjacents ayant précédé l'espace 1Ba, éclairés chacun par un jour axial. On sait qu'à l'étage supérieur, dans la chapelle Sainte-Croix, le mUf sud porte aussi la trace d'un voûtement antérieur à celui que l'on voit . Comme le mur nord porte aussi la trace d'un rampant de toiture sur ses deux parements, il faut supposer que le voûtement actuel sur croisées d'ogives a été précédé par deux états antérieurs. Pour cette raison au moins, il ne saurait donc remonter à l'époque cl' Aldebert II !

Les moines de Lérins auraient donc fait agrandir la tour A primitive en construisant le corps de bâtiment B avec des murs épais présentant un parement à bossage sur l'extérieur. Seule la tour Bb présente des murs beaucoup plus minces, mais l'examen des angles nord-ouest et sud-ouest à l'extérieur comme à l'intérieur, permet de constater qu'elle fut bien liée au reste du corps de bâtiment B. Les deux collages à 5,12 m (au sud) et S,50 m (au nord) de cette tour, montrent qu'il y a eu un changement de plan au cours de la construction. Dans la zone de contact 6, au nord-ouest, les assises SOnt le plus souvent à des hauteurs différentes de part et d'autre du coup de sabre. A partir de la vingt-quatrième assise comptée depuis la base, l'appareil à bossage au sud du collage a un plus fort relief et au-dessus de la vingt­septième assise de cette même partie, il n'y a plus de pierres retaillées pour intégrer les assises de la partie nord. Le mur est aurait donc été prolongé vers le nord au moment où les maîtres d'œuvre en étaient arrivés au sommet de l'actuel premier étage. Dans un premier projet, la paroi nord du corps de bâtiment B aurait dû s'aligner sur le parement nord de la première tour A, avant son chemisage par conséquent. Le collage n'existe plus au niveau des mâchicoulis qui paraissent être postérieurs à la fois à la fin de la construction du corps de bâtiment B et au chemisage du corps A. Le mâchicoulis est homogène sur tout le couronnement du côté de la terre, il unifia l'édifice au niveau sommital une fois construit l'ensemble des murs à bossage.

La façade est a aussi été prolongée vers le sud (cf. le collage 5) ; le coup de sabre est net jusqu'à la sixième assise au-dessous des grandes baies, au sud de celles-ci, puis toute une partie, montée de manière distincte jusqu'au-dessus de ces baies, fait partie de la reprise du mur sud. Dans la partie haute, ce coup de sabre 5 n'est plus du tout lisible, les assises sont régulières et suivies.

Une interruption horizontale traverse la façade sud, sept assises au-dessus de la grande baie en 1 Ba. Toute la partie haute, correspondant aux niveaux 2 et 3 du corps de bâtiment B est construite en un petit et moyen appareil plat qui se prolonge un peu sur la façade est, comme nous l'avons déjà dit, et qui se prolongeait aussi sur la façade sud-ouest du corps de bâtiment B comme en témoigne l'appareil des pierres du massif de maçonnerie qui venait buter contre l'ancienne tour A. Elles forment maintenant ce massif saillant au sud-est dans l'espace 2Aa. Ainsi, toutes ces parties sont contemporaines du parement à bossages du corps de bâtiment B, puisque le collage 1 est réalisé de la même façon et elles n'ont constitué, à la rigueur, qu'un repentir.

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Les murs de façade appartenant au corps de bâtiment B laissent voi r plusieurs reprises ou campagnes, des repentirs et des appareils différents, mais le tout semble avoir abouti pour constituer finalement une construction homogène. Quant à l'aménagement intérieur, les cloîtres, la citerne, et l'esca­lier à vis, Ont été repris postérieurement, créant, au moins au premier étage, un niveau différent de celui de la première réalisation.

Comparaisons et datation

L'utilisation des pierres à bossage sur tout le parement extérieu r d'un édifice pourrait donner des indices chronologiques pour le mur périmétraJ du corps de bâtiment B si les ouvrages provençaux qui utilisent ce type d'appareil n'étaient pas datés de manière très approximative.

Une série de tours épiscopales (Antibes, Grasse), ou laïques subsistent. Ce sont des constructions très soignées que P.-A. Février, en les mentionnant, refusait de placer à une période antérieure à la fin du XII~ siècle JO . La tour de Grasse a été récemment attribuée pour sa part à la première moitié du XIII ~ siècle Il. R.S. Guild, quant à lui , pense que le bossage fur employé à Aix dès les années 1166-1185 Il, mais les exemples d'édifices datés utilisant des pierres à bossage, d'abord de manière partielle d'ailleurs, SOnt plus nom­breux à partir du commencement du xnr siècle, soit que l'on pense au bâtiment des moines à Silvacane, à la chaîne d'angle occidental du transept sud de l'abbatiale du Thoronet, mais surtout à la tour qui enveloppe l'abside de la nef Notre-Dame à la cathédrale de Fréjus attribuée à la première moitié du Xln ~ siècle 13, au rempart d'Ansouis (fin XIIIe, XIve siècle), à la maison de l'oratoire à Grasse (XIVe siècle), à la partie moyenne de la « tour d'lsarn »

à l'abbaye de Saint-Victor de Marseille (XIve siècle), au mur extérieur du palais épiscopal de Fréjus maintenant daté de la première moitié du XIV~ siècle, à la tour des abbés à Montmajour édifiée en 1369 par Pons de l'Orme.

Il est intéressant d'établir un parallèle entre l'abbaye de Lérins et celle de Montmajour, car à la fin du XIV' siècle, on observe la même organisation entre le monastère qui est le lieu d'habitation permanent des moines et une fortification proche, qui peut éventuellement servir de refuge. Sur l'Île Saint­Honorat, la tour est plus grande et les moines purent s'y installer en penna­nence au XV' siècle, mais elle est aussi un peu plus fruste dans ses formes avec ses archères rectangulaires, et le sommet de l'édifice est seulement charpenté j il est vrai aussi que les surfaces SOnt plus vastes. Dans les deux cas, un chemin de ronde continu prend appui sur une galerie de mâchicoulis sur consoles, qui n'existe pas, à Lérins, du côté de la mer.

JO. P .-A. FEVRIER, Fréjus (Forum Julli) et la basse vallée de l'Argens, s.l., 1977 11. F. DALLEMAGNE, Le groupe épiscopal de Grasse, Mémoire de maîtrise, Université

de Provence, 1988, résumé dans L'égLise et son environnement (Musée Granet, Aix-en­Provence, septembre-décembre

12. RS. GUILD, cath,Odrale d',lix-en-hovence, 1987. 13. P.-A. FEVRIER, M. FIXOT, L. RIVET, Au cœur d'une Fréjus,

Fréjus, 1985.

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Comparativement, les murs du corps de bâtiment B du monastère fortifié ne semblent donc pas antérieurs au XIII' siècle. Il fallait de toutes façons que fut achevée la tour primitive formant le cœur du bâtiment occidental. Quant au chemisage de la tour primitive A, il est postérieur à J'achèvement du corps de bâtiment B ; il a pu n'être pas construit très rapidement après, malgré un parement à bossage très proche de celui du corps de bâtiment B. La cathédrale de Fréjus et le palais épiscopal adjacent montrent en effet qu 'entre les édifices à parement de bossage du XIII' siècle et ceux du XIV' siècle, la différence d'aspect n'est pas si grande.

Mais quoiqu'il en soit, il y eut, entre les deux réalisations, le temps de concevoir une entrée antérieure à la modification qui ne concernait encore que le corps de bâtiment B. Ce dernier, par son aspect, pourrait dater du XIIr siècle. Cependant, les exemples de murs aussi épais (3,60 m), SOnt rares en Provence a cette époque, à l'exception, notable cependant, de la tour de l' abside de la nef Notre-Dame à Fréjus. Nous aurions tendance à ne pas trop élo igner la date de la construction des murs périmétraux du corps de bâtiment B de celle de la fin du XIIIe siècle, 1295, où des travaux SOnt mentionnés dans la tour, toujours selon Barralis 14 qui n'est pas un mauvais guide à condition de prendre en compte les hésitations qu'il exprime. Plus tard, la composition réalisée avec le corps de bâtiment A dans son état final, une fois le chemisage réalisé ainsi que le couronnement de mâchicoulis, répond à l' image des fortifications à hauteur de murs constante dont le XIve siècle, dans sa seconde moitié, vit la genèse. Par exemple, la fortification du chevet ainsi que du transept de J'abbatiale de Saint-Victor de Marseille, dont les murs furent aussi rhabillés, et l'enceinte du monastère qui en dépend, pour­raient fournir une comparaison ou un Contexte pour cet autre ouvrage de défense monastique qu 'est la tour de Lérins , à peu près contemporaine aussi de celle qui s'élève à Montmajour.

De fait, pourquoi ne pas comprendre cette nouvelle conception de la fortification de Lérins comme un travail préliminaire aux campagnes de construc­tion et d'aménagement de la fin du XIV' siècle? En 1391 , les reliques d'Ho­norat SOnt portées dans la tour 15 ; cela, en soi, n'indique pas forcément des constructions. Mais l'année suivante, intervint la consécration de la chapelle Sainte-Croix infra turrim 16: la consécration suit normalement un aménage­ment important. On sait qu'un peu plus tard, au XVe siècle, les reliques d'Honorat se trouvaient dans cette chapelle comme l'atteste l' inscription qui se trouvait au-dessus de l'une des portes.

Les deux indications, liées à l'observation archéologique, permettent de fonde~ l'idée d'un remodelage des espaces à l'intérieur des murs périmétraux qui dataient de la fin du XIII' siècle. En effet, outre l'ancrage d'une charpente

~ BARRALlS. op. cit., pp. 170 b et 21 4 b; travaux attribués à l'abbé Ganselmus de Meyreris en 1295.

\5 . V. BARRALIS, op. cit., p. \74 b. 16. V. BARRALIS, op. cit. , ibid., à opposer à p. 376 a.

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- était-elle provisoire? - visible dans le mur nord, une ancienne trace de voûtement, identifiée dans le mur sud de la chapelle actuelle, montre une utilisation antérieure de cet espace par un volume suffisamment monumental pour avoir reçu un voûtement sur croisée d'ogives; le mur sud de l'espace IBa, au-dessous de la chapelle, porte aussi, on l'a vu, la trace d'un voûtement différent du voûtement en berceau actuel, ce qui implique aussi une modifica­tion du sol lors de la conception de la chapelle. Ainsi est-il possible qu 'une fois achevé le chemisage du corps de bâtiment A, et la reconstruction de ses parties hautes, on envisagea d'unifier, en les plaçant sur un même plan, les niveaux intérieurs des espaces A et B : le deuxième étage du corps de bâtiment A était un étage noble, avec ses grandes salles, que l'on complétait ainsi avec la chapelle.

Mais, dès 1400, la tour était l'objet de deux assauts successifs, l'un par surprise, l'autre, plus violent, pour reprendre l'édifice 17. Ces difficultés purent entraîner soit la nécessité de restaurations, soit un délai de quelques années dans la poursuite du chantier de remodelage des espaces intérieurs.

De fait l'aménagement des parties centrales et septentrionales du corps de bâtiment B est depuis longtemps normalement attribué au XV' siècle et il est assez bien documenté. La date 1450 est sculptée, on le sait, à la retombée d'une ogive sur l'escalier à vis en lBc, et de nombreuses formes SOnt très caractéristiques de cette période; la retombée des ogives en pénétration, (en 1 Be), les piédroits des portes t et 2Bc taillés en quart de rond, l'arc en accolade (2Be et 2Bc), les archères à niches et bancs (2 et 3Bd). C'est aussi le momnet où la construction des cloîtres superposés, de la citerne, de la chapelle, et la réalisation d'un réfectoire sont mentionnés; Barralis situait ces aménagements en 1429, et les attribuait au moine Gastolius de Grasse 18. En 1431, un autel est commandé pour la chapelle Sainte-Croix 19 précédant la réalisation d'un programme de décor; en 1454, on mit peut-être en place le retable - iconem majorem 20 . Les comptes de l'abbaye entre 1459 à 1476 font état de chantiers concernant aussi, entre autres, la citerne et le cloître inférieur, dont la construction n'aurait, selon cette source, été décidée qu'en 1459 22

, infirmant ainsi d'une vingtaine d'années les indications chronologiques données par l'ancien historien de J'abbaye. Les douze colonnes de marbre pour le cloître supérieur SOnt achetées à Gênes en 1477 23

La chapelle Sainte-Croix, dans son état actuel, est donc bien attribuable à cette période: elle occupa peut-être le volume actuel dès la fin du XlV' siècle et fut l'objet, ensuite, pendant un demi siècle, de travaux dont il est difficile de déterminer l'ampleur: en particulier, le voûtement actuel appartint- il aux

17. V. BARRA US, op. cil., p. 175 b. 18. V. BARRAUS, pp. 179 b CI 214 b. 19. V. BARRA US, op. cil., pp. 178-179 b. 20. V. SARRAUS, op. cil., p. 182 b. 21. j. -A. DURBEC, « Cannes au Moyen Age ", op. ât., p.95. 22. j.-A. DURBEC, op. cil., p. 98. n.J.-A. DURBEC, op. cit., p. 100

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réfections? Cette datation doit être considérée en dépit de l'attribution tradi­tionnelle au xr siècle dont il a été question et qui repose, comme on l'a vu, sur un texte non daté par Barralis.

LE CORPS DE BATIMENT C ET L'ESPACE D

Description

Il ne subsiste actuellement du corps de bâtiment rectangulaire C que deux niveaux sous voûte, OC et le appuyés contre le mur sud-ouest du corps de bâtiment B, et contre le mur sud du corps de bâtiment A. Les murs ont 1,20 m d'épaisseur en OCa, OCb et lCb, pour 1 m d'épaisseur en lea. Ils sont plus étroits que tous les murs des corps de bâtiment antérieurs, excepté ceux de la tour est du corps de bâtiment B. Le parement à bossage est semblable à celui des corps A et B, mais de nombreuses reprises Ont été effectuées en moyen ou en petit appareil maçonné et plat.

Le corps de bâtiment possède une entrée propre par le mur nord de la pièce Cb: c'est une porte surmontée d'un arc segmentaire. Cel1e-ci a été refaite, puisque l'extrados muré d'un are apparemment brisé est visible au­dessus. Le trou pour une barre de fermeture apparaît dans l'ébrasement sud. La première salle OCb (3,90 m x 4,1 0 m) est couverte d'une voûte sur croisée d'ogives dont les arcs diagonaux à profil quadrangulaire SOnt de facture traditionnelle en Provence: ils rappellent aussi bien ceux de la chapelle Sainte-Croix que ceUe des angles de galeries dans le cloître; plusieurs claveaux Ont été remplacés lors de restaurations. Les ogives retombent bas dans les angles, sur un pilastre non engagé dans le mur et surmonté d'une pierre de faible hauteur en ressaut. Une baie rectangulaire est percée dans le mur ouest.

Un grand ct large arc en plein cintre sépare la petite salle OCb du long vaisseau OCa. Certains claveaux de cet arc sont des demi fûts de colonnes, et la retombée nord de l'arc est appuyée contre le parement à bossage du chemisage de la tour A, ce dernier étant lui-même normalement appuyé COntre le mur à bossage du corps de bâtiment B qui limite la salle OCa vers l'est. Le mur sud est percé d'étroits jours rectangulaires, éclairant la grande salle OCa (environ t4 m x 4,80 m), qui est voûtée d'un berceau plein cintre en tuf; le berceau est scandé par deux arcs doubleaux retombant sur une console en fort relief, intégrée dans le bandeau soulignant la base de la voûte; sous la console se trouve une autre pierre moins saillante. Les dimensions de ces consoles varient.

La salle t Cb, très ruinée, laisse voir le départ d'une voûte en berceau brisé d'orientation nord-sud; un bandeau court à sa base avec deux consoles médianes pour recevoir un doubleau, l'une intégrée et l'autre dessous, moins saillante, comme en OCa. Une grande fenêtre, très restaurée, surmontée d'un arc brisé, est ouverte dans le mur nord. Un couloir sans parement ni voûte mène de tA en tCb: il est actuellement fermé en t Cb. Le parement extérieur du mur nord en 1 Cb et du mur sud SOnt en petit et moyen appareil lisse. Il semble que ce soit une restauration destinée à soutenir le reste de la voûte

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ruinée. Le revêtement intérieur est fait d'un petit et moyen appareil lisse.

Une po ne couronnée d'un arc segmentaire mène au grand vaisseau 1 Ca long d'environ 14 m pour 4,80 m de largeur. Il est voûté exactement comme l'est OCa à la différence près que le matériau n'est pas le ruf mais présente les mêmes caractères que celui du mur sud, un moyen appareil régulier de calcaire. Le mur nord est à bossages, puisqu'il s'agü du mur extérieur du corps de bâtiment A. Il est affecté de deux rainures creusées au niveau de la quatrième et de la sixième assise sous le bandeau de la base de 1 t voûte. Ces mêmes rainures se retrouvent au même niveau dans le mur ouest et le mur sud.

Trois grandes baies rectangulaires, sans linteau ni piédroits construits, sont ouvertes dans le mur sud, exactement à l'aplomb des jours en OCb. Un collage rectangulaire sous l'appui de la baie ouest du mur sud laisse voir la forme des anciennes baies de cette salle. Une porte fenêtre se trouve à l'extrême ouest du mur sud. Le mur est est en petit ou moyen appareil maçonné, grossièrement équarri: c'est le mur extérieur ouest du corps de bâtiment B. Des pierres à bossage apparaissent dans les collages 1 et 4 (ICa nord contre 1 Ca est, et 1 Ca sud contre 1 Ca est). Deux passages sans arc ni piédroits mènent, l'un vers IBa, et l'autre vers lAa.

Tous les niveaux supérieurs ont disparu. Une dalle de béton surmonte ICa, et l'on peut accéder actuellement à. cette terrasse par une porte cans le mur 2Ca nord. Cette porte est surmontée d'un arc en plein cintre à bossages (en 2ea nord).

Il faut signaler aussi la présence d'une très faible hauteur de murs ruinés en OD. Cet espace de 2,20 m et 6,80 m semble collé contre le corps de bâtiment C, mais il en reste trop peu de pierres pour avoir plus de renseigne­ments. L'ouverture vers le sud indiquée sur certains plans n'existe pas, car il n'y a tOut simplement plus de mur à cet endroit, sous la mer qui vient maintenant jusqu'aux pieds du corps de bâtiment C.

Interprétation, comparaison, datation

Le corps de bâtiment C est postérieur au corps de bâtiments A et B, puisqu'il est bâti contre leur parement extérieur à bossages (cf. murs C nord et C est), comme nous l'avons déjà dit ci-dessus. Ce corps de bâtiment se distingue des autres par la faible épaisseur de ses murs: 1,20 m en OC tout comme en 1 C. Les parties Ca et Cb semblent faire partie de la même campagne de construction, mais la zone d'un collage éventuel, dans le mur sud, a été complètement remaniée. Les deux premiers niveaux SOnt voûtés, ils étaient éclairés par d'étroits jours vers le sud, les portes d'accès depuis A et B, Ont été creusées dans les murs très épais qui étaient anciennement des murs périmétraux de la fortification. D'après les photos et dessins anciens, les étages supérieurs étaient charpentés. En 1845, ils étaient encore en élévation avec trois ou quatre niveaux supplémentaires. Le sommet était charpenté, sans mâchicoulis ni créneaux.

Le corps de bâtiment C ne peut être daté que par son lien avec les autres parties du monastère fortifié, c'est-à-dire le corps de bâtiment B et le chemi-

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sage de la tour A. Etant donné que le corps C ne fut entrepris qu'une fois B et le chemisage entièrement terminés, et que ses niveaux d'occupation sont de plain-pied avec ceux des corps de bâtiment antérieurs, il paraît raisonnable de proposer le XVc siècle comme datation. On a rapporté comment Barralis dit qu'en 1429 Gastolius de Grasse fit construire une chapelle, un réfectoire, une citerne et encore d'autres choses dans la tour de Lérins. Il est sûr qu'au xvnr siècle, le réfectoire des moines se trouvait bien en 1Ca et un dessin de 1888 représente la chaire du lecteur que cite la plupart des visiteurs du XIXe siècle. Elle se trouvait dans l'épaisseur du mur ICa nord, vers l'est, très cn hauteur, au-dessus de la septième assise à partir du bas d'après le dessin, ce qui correspond à la reprise visible maintenant dans ce mur. Tout a été si bien muré, qu'il est impossible de se douter de la présence de cette ouverture. Ce qui est appelé chaire du lecteur, en lA, comme on l'a vu, n'était peut-être que l'accès à celle-ci, percé dans le revers du mur.

Si ce réfectoire n'a pas changé de situation entre-temps, il se pourrait donc bien que la construction du corps de bâtiment C soit contemporaine du réaménagement intérieur du corps du bâtiment B. Dans les registres de compte du XV" siècle, il est dit a'llssi que la chaire fut réalisée dans le réfectoire en l'année 1474 N. C'est la seule mention de travaux qui pourraient concerner le corps de bâtiment C. La construction de ce corps serait donc antérieure à 1459, date qui marque le début des registres de compte de l'abbaye. Si le corps de bâtiment C date de la première moitié du Xve siècle, les formes architecturales utilisées SOnt très traditionnelles, que ce soit pour le voûtement en berceau, ou celui sur croisée d'ogives semblables au couvrement de la chapelle Sainte-Croix, dont la datation, à la fin du XIV' siècle ou lors de la restauration de la première moitié du xve siècle est à peu près contemporaine.

Le parement du corps de bâtiment C présente des bossages apparemment aussi pour des raisons d'homogénéité avec le reste de l'édifice.

Quant à l'espace D, il n'en reste preque plus rien; il est simplement possible de constater que d'après les dessins anciens, il avait une élévation légèrement inférieure à celle du corps de bâtiment C et il était couronné d'une toiture en appentis. Un texte de 1753 fait allusion à une autorisation que le roi aurait donné à l'évêque de Grasse, afin de pouvoir démolir « une ai le du château ». Il s'agit sûrement de l'aile D, puisque toutes les autres étaient encore en élévation dans la première moitié du XIXe siècle.

CONCLUSION

En dépit de son apparente homogénéité extérieure, que l'on aurait donc cherché à conserver encore au XV' siècle en utilisant un appareil à bossage, ce qui est devenu à cette époque le monastère fortifié est en fait un édifice disparate.

Dans la partie ouest, une tour primitive, entreprise à la fin du Xlr siècle,

24. J.-A. DURBEC, op. cit., p. 100.

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fut ensuite chemisée, mais peut-être pas avant le XIV· siècle. Cet habillage de bossages ne fut réalisé qu'après la réalisation d'un corps de bâtiment o riental dont le parement extérieur utilisait cette technique plus rapide et décorative de taille de la pierre. L'importance de la masse architecturale, l'épaisseur de la maçonnerie, la corrélation avec un indice écrit engagent à proposer pour la construction de cette partie la seconde moitié ou même la fin du XIII' siècle.

Cette partie orientale fut aussi "objet de restaurations importantes dès la fin du XIV' siècle j les crises du tournant du siècle auraient justifié l'entre­prise de la fortification comme à l'abbaye de Montmajour ou à celle de Saint-Victor de Marseille j mais cependant, elle ne mit pas totalement les moines à l'abri puisqu'elle fut prise en 1400. Ces restaurations affectèrent le bâtiment de manière inverse par rapport à la façon dont le corps occidental avait été traité. Cene fois, l'enveloppe extérieure ne fut pas altérée, mais l'organisation intérieure fut profondément modifée; la chapelle Sainte-Croix fut d'abord conçue et consacrée à la fin du XIV' siècle. Puis, une génération plus tard, la chapelle pourrait avoir été restaurée - conséquence des actes de violence? - tandis que deux cloîtres superposés au-dess us d'une citerne étaient élevés.

Ainsi, c'est au deuxième étage qu'il faut chercher le niveau noble de la fortification dans ses états du XIII' et du XIV· siècle, occupé par des salles au voûtement élevé, autant dans l'espace A que dans l'espace B, correspondant à des volumes ultérieurement recoupés (niveaux 2 et 3). C'est, dans l'un et l'autre corps de bât iment que se trouvent des baies traitées de manière plus monumentale ou décorative que les simples jours ou archères des étages inférieurs, que ce soit les baies à double ébrasement du corps de bâtiment B ou les baies larges à plongée qui s'ouvraient dans le mur ouest d u corps de bâtiment A pour en éclairer la grande salle. La conception de la chapelle se situe dans la continuité du privilège accordé à ce niveau.

Telles sont les propositions d'interp rétation des grandes masses que l'on fin ira par proposer, sans cacher que dans le détail , de nouvelles observations restent à fai re.

Lydie BAY Michel FIXOT

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PLAN DU REZ DE CHAUSSEE

fig 1 : plan au rez-de-chaussée, niveau 0 (d'après relevé N. Pégand - Inventai re Général). Légende des documents graphiques; 1 : vers 1200 ; 2 : fin XIllc siècle; 4 : XVe siècle (pour plus de lisibilité, lescloitres n'ontpasété tramés).

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PLAN DU 1""ETAGE

fig 2: plan au premier étage, niveau 1 (d'ap rès relevé N. Pégand _ Inventaire Général).

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PLAN 2 e ETAGE

fig 3: plan au deuxième étage, niveau 2 (d'aprè.s relevé N. Pégand Inventaire Général).

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COUPE AB

fig 4: coupe nord4 sud ('ap rès relevé N. Pégand-Invcmaire Général).

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COUPE CD

fig 5 :coupe est-ouest (d'après relevé N. Pégand - Inventaire Général

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fi g 6: la façade est (cliché Roucaute/Helier -Inventaire Général).