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80 HERMÈS 67, 2013 Bernard Valade Paris Descartes La traversée des disciplines : passages et passeurs À Dominique Wolton Les problèmes que pose la communication entre les disciplines se rapportent aux divisions du savoir en « branches », « domaines d’études », « sciences » et autres appellations plus ou moins contrôlées des « cantons » qui en constituent le territoire. Ces divisions ont une histoire au fil de laquelle leur légitimité a été mise en question, mais leur nécessité toujours reconnue. Aujourd’hui, l’enfermement dans une « spécialité » – pour divers motifs, dont la défense d’un pré carré n’est pas le moindre – est communément dénoncé. Contre le cloisonnement, la ségrégation, l’hy- perspécialisation, on appelle à l’ouverture des prisons dis- ciplinaires, aux contacts, aux échanges. Les « recherches » qualifiées d’ interdisciplinaires, qui se sont multipliées depuis un demi-siècle, invitent cependant à revenir sur les « relations » imaginées, sinon instaurées, entre les disci- plines par l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dans la seconde moitié du xviii e  siècle, le Centre international de synthèse et l’ International Encyclopedia of United Science dans la première moitié du xx e siècle ; à revenir aussi sur les vicissitudes qu’elles ont connues au cours des décennies 1970 et 1980, décennies qui semblent avoir été, à bien des égards, décisives pour leur avancement. Dans ce parcours, où alternent impasses et carrefours, se détachent quelques figures de passeurs prépondérants qui trouvent en Jean Piaget leur premier représentant. Prolégomènes à l’interdisciplinarité « C’est la plus radicale manière d’anéantir tout dis- cours que d’isoler chaque réalité de toute attache avec le reste ; car c’est par la mutuelle combinaison des formes que le discours nous est né ». Dans le Sophiste, où il est noté que tantôt on réduit le multiple à l’un, tantôt on divise la totalité pour en faire sortir une infinité d’éléments (253, b), Platon évoque « le regard assez pénétrant de celui qui est capable d’apercevoir une forme unique déployée en tous sens à travers une pluralité de formes dont chacune demeure distincte » (253, e). Il se demande par là si la dis- tribution de nos connaissances en disciplines séparées manifeste une division de l’être ou bien procède de notre façon de le connaître (Giorello, 1990). L’avènement du Livre-Hermes67_001-284.indb 80 Livre-Hermes67_001-284.indb 80 23/10/13 12:07 23/10/13 12:07

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Bernard ValadeParis Descartes

La traversée des disciplines : passages et passeurs

À Dominique Wolton

Les problèmes que pose la communication entre les disciplines se rapportent aux divisions du savoir en « branches », « domaines d’études », « sciences » et autres appellations plus ou moins contrôlées des « cantons » qui en constituent le territoire. Ces divisions ont une histoire au fil de laquelle leur légitimité a été mise en question, mais leur nécessité toujours reconnue. Aujourd’hui, l’enfermement dans une « spécialité » – pour divers motifs, dont la défense d’un pré carré n’est pas le moindre – est communément dénoncé. Contre le cloisonnement, la ségrégation, l’hy-perspécialisation, on appelle à l’ouverture des prisons dis-ciplinaires, aux contacts, aux échanges. Les « recherches » qualifiées d’interdisciplinaires, qui se sont multipliées depuis un demi-siècle, invitent cependant à revenir sur les « relations » imaginées, sinon instaurées, entre les disci-plines par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dans la seconde moitié du xviiie siècle, le Centre international de synthèse et l’International Encyclopedia of United Science dans la première moitié du xxe siècle ; à revenir aussi sur les vicissitudes qu’elles ont connues au cours des décennies 1970 et 1980, décennies qui semblent avoir été, à bien des

égards, décisives pour leur avancement. Dans ce parcours, où alternent impasses et carrefours, se détachent quelques figures de passeurs prépondérants qui trouvent en Jean Piaget leur premier représentant.

Prolégomènes à l’interdisciplinarité

« C’est la plus radicale manière d’anéantir tout dis-cours que d’isoler chaque réalité de toute attache avec le reste ; car c’est par la mutuelle combinaison des formes que le discours nous est né ». Dans le Sophiste, où il est noté que tantôt on réduit le multiple à l’un, tantôt on divise la totalité pour en faire sortir une infinité d’éléments (253, b), Platon évoque « le regard assez pénétrant de celui qui est capable d’apercevoir une forme unique déployée en tous sens à travers une pluralité de formes dont chacune demeure distincte » (253, e). Il se demande par là si la dis-tribution de nos connaissances en disciplines séparées manifeste une division de l’être ou bien procède de notre façon de le connaître (Giorello, 1990). L’avènement du

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christianisme a rendu cette interrogation sans objet : expli-citation de la parole divine, l’encyclopédie médiévale est théocentrique ; c’est en hommage à Dieu que l’on fait l’in-ventaire du monde. Les Etymologae d’Isidore de Séville, De Divertis artibus du moine Théophile, l’Image du monde de Gossuin en sont les principales illustrations (Cahiers Diderot, 1998). Un enrichissement du corpus peut bien se produire avec la « renaissance » du xiie siècle, c’est toujours une harmonie hiérarchisée qu’on s’applique à décrire. La Somme de Saint Thomas d’Aquin, l’exécuteur testamen-taire d’Aristote, symbolise ce parfait ordonnancement que la scolastique a consacré.

Le désordre consécutif au passage d’un monde clos à l’univers infini – pour reprendre le titre, mille fois cité, d’un célèbre ouvrage de Koyré – s’est accompagné d’incer-titudes quant à l’agencement du savoir. Le retour aux idées platoniciennes, que signifie la Renaissance rompant avec les catégories aristotéliciennes, a suscité un foisonnement de spéculations. De quelle manière doit-on traiter l’afflux de « connaissances » ? Qu’est-ce que l’esprit humain a à connaître ? Comment doit-il travailler ? Les « principes » conceptualisés par Descartes et la mise en œuvre du « système » cartésien ont occulté les interrogations et les inquiétudes de nombre de savants. Ce sont celles qui se font jour dans la Consultation universelle sur la réforme des affaires humaines (1642-1670) de Comenius. Elles trouvent leur résolution, entre autres remèdes, dans une synopsis globale de tout le savoir humain (pansophie), l’indication des moyens propres à assimiler ledit savoir (pampaédie), le projet de création d’une langue philosophique interna-tionale (panglottie).

La question de la communication entre les savants et les différentes parties du savoir donne lieu, chez Locke (Essay Concerning Human Understanding, 1690), au constat que les mots ne sont pas employés dans le même sens ; d’où des controverses qui prendraient fin si les termes étaient précisément définis ; mais « la réserve des mots est si pauvre par rapport à l’infinie variété des pensées » que

l’on doit se résigner à ces emplois pluriels – de la même façon qu’il faut se contenter d’une intelligibilité partielle de l’ordre naturel. Cette question est autrement examinée par Leibniz, qui vise une intégrale intelligibilité, dans ses Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1704). Mais c’est moins sa théorie de la connaissance qu’une observa-tion antérieurement faite qui intéresse la genèse de la pensée interdisciplinaire : « Le corps entier des sciences peut être considéré comme un océan continu, partout et sans inter-ruption ni division, même si les hommes y conçoivent des parties auxquelles ils donnent des noms selon leur conve-nance. Et, de même qu’il y a des mers qui sont soit incon-nues, soit parcourues seulement par quelques bateaux qui s’y aventurent par pur hasard, de même nous pouvons dire qu’il y a des sciences dont quelques choses seulement sont connues, et uniquement par pur hasard, sans aucun plan » (Die philosophischen Schriften, vers 1690, cité par Giorello, 1990). Comme le commente ce dernier, Leibniz ne répon-dait pas seulement à Platon : il soulignait l’importance des « sciences frontières » – sa « combinatoire » notamment – pour une synthèse « mûre », « c’est-à-dire à la hauteur des résultats apportés par les différentes disciplines ». On ajoutera que le précédent fragment introduit aussi l’idée de « sérendipité ».

Ce n’est pas au hasard que se fera la collecte des maté-riaux de l’Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alembert. La lutte contre la dispersion, une volonté de rassembler, un souci d’unité dans l’exposition feront du Dictionnaire rai-sonné des sciences, des arts et des métiers une totalité orga-nique. Des voies ont été ouvertes au siècle précédent par Charles Sorel (La Science universelle, 1641 ; La Bibliothèque française, 1664), Adrien Baillet (Jugements des savants, 1685-1688), Pierre Bayle (Dictionnaire historique et cri-tique, 1697). Les deux premiers sont des érudits biblio-graphes qui se présentent comme des guides pour circuler parmi les livres. La « modernité » de la pensée critique – et polémique – du troisième a été saluée ; il n’entrait cepen-dant pas dans son projet de donner un relevé organisé du

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savoir. Les cabinets de curiosités se multiplient, mais le rêve encyclopédique qui hante le curieux n’a aucune visée scientifique ; le cartésianisme a d’ailleurs régulé, sinon réprimé, la curiosité au nom d’une exigence d’ordonnan-cement rationnel des connaissances (M.-A. Robert, 1998). Elle n’en a pas moins présidé aux compilations person-nelles qui ne sont pas sans valeur de Thomas Corneille (Dictionnaire des arts et des sciences, 1694), de John Harris (Lexicon technicum, 1704) et surtout d’Ephraïm Chambers dont la somme encyclopédique (Cyclopaedia, 1728) a ins-piré Diderot.

Ce qu’annoncent le Discours de d’Alembert et le Prospectus de Diderot tranche sur ces récapitulations closes. Les travaux publiés à l’occasion du 250e anniver-saire de l’Encyclopédie, singulièrement ceux de M. Groult (2003 ; 2011), le font bien voir. Une mise en disciplines, où l’ordre prime la matière, est collectivement opérée. « Point de réunion auquel on a rapporté les observations qu’on avait faites, pour en former un système de règles ou d’ins-truments, tendant à un même but […] voilà ce que c’est que discipline en général » (article « Art »). Il est déclaré désor-mais possible de créer une discipline nouvelle à partir d’éléments prélevés en différents domaines. L’objectif poursuivi n’est donc pas la spécialisation, mais la mise au jour de principes communs à plusieurs branches du savoir. La tâche du « génie inventeur », célébré par d’Alem-bert, consiste à faire apparaître les liens des sciences entre elles, à mettre en rapport des éléments, à découvrir des enchaînements. « Tout est lié dans la nature […] par une chaîne dont nous apercevons quelques parties continues, quoique dans le plus grand nombre d’endroits, la conti-nuité nous échappe » (article « Cosmologie »). S’il est vrai que l’on ne peut apercevoir la chaîne invisible qui lie tous les objets de nos connaissances « sans interruption », l’art du philosophe est d’« ajouter de nouveaux chaînons aux parties séparées, afin de les rendre le moins distantes qu’il est possible » (Ibid.), c’est-à-dire de mettre en évidence un maillon supplémentaire, de combler une « interruption ».

« La seule partie de notre travail qui suppose quelque intel-ligence, notait Diderot dans le Prospectus, c’est de remplir les vides qui séparent les sciences. »

Martine Groult (2003) a fortement souligné la dimension interdisciplinaire de l’entreprise engagée et des résultats engrangés : à la lecture des articles « Éclectisme », « Encyclopédie », « Érudition » et d’abord « Art », on est « interpellé, entre autres, par l’interdisciplinarité ». La pluralité des ordres, la diversité des points de vue, la multiplicité des « systèmes possibles de la connaissance humaine » sont, en effet, constamment rappelées dans l’Encyclopédie, où les « renvois » entre les « entrées » consti-tuent pour Diderot, ainsi que le relève Auroux (1979), la partie la plus importante de l’ordre encyclopédique. La « dépendance mutuelle » de nombreux phénomènes est également reconnue, idée à laquelle Vilfredo Pareto don-nera une place privilégiée, à la fin du siècle suivant, dans l’explication des faits économiques et sociaux. Un espace mental interdisciplinaire et cosmopolite a été ainsi ouvert au xviiie  siècle. L’Encyclopédie méthodique, la dernière entreprise éditoriale lancée par Panckoucke, l’a refermé. Au tournant des Lumières, une présentation analytique du savoir va remplacer le précédent ordonnancement synthétique, et le formalisme du spécialiste pointilleux succéder au « génie inventeur ». On ne se souciera plus de passer d’une discipline à l’autre, d’établir des liaisons entre les éléments ; on s’emploiera à garnir, le plus soigneu-sement possible, les rubriques propres à chaque matière (cf. Blanckaert et Porret, 2006). Trente-six dictionnaires seront publiés en un demi-siècle, de 1782 à 1832, totalisant plus de deux cents volumes. Le « Vocabulaire universel » annoncé, qui devait couronner l’ensemble, n’a pas vu le jour.

Ce que montre l’histoire des idées – une parcellari-sation des sciences en spécialités entre lesquelles les liens sont rompus – a parallèlement reçu sa traduction sur le plan institutionnel, c’est-à-dire dans l’organisation de l’enseignement supérieur. Pour celui-ci, la Révolution

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française avait voulu des écoles encyclopédiques réunis-sant toutes les sciences ; la loi de l’an X, rejetant les concep-tions de Condorcet, généralisa le système des « écoles spéciales » consacrées chacune à une discipline particu-lière ; telles furent le Museum d’histoire naturelle, l’École polytechnique, les écoles de santé de Paris, de Strasbourg, de Montpellier. « C’était, écrit E.-H. Vollet dans La Grande Encyclopédie (1881-1903) de M. Berthelot, t. XVI, article “Faculté”, le morcellement du savoir, la méconnaissance des rapports naturels et nécessaires qui existent entre les diverses parties de la recherche savante, la rupture de l’unité des sciences. » L’organisation de l’université impé-riale, en 1806, transforma certains de ces établissements en facultés, isolées les unes des autres. Cet ordre disciplinaire à finalité professionnelle s’est profondément imprimé dans les mentalités au xixe siècle. Il faut attendre les décrets de 1885 pour que soit amorcé un rapprochement organique des facultés, et, surtout, la loi du 10 juillet 1896 pour les voir se constituer en université.

L’appel au « changement d’esprit », lancé par quelques directeurs de l’enseignement supérieur, ne fut pas suivi d’effet. Sacralisée par le positivisme, la Science se déployait en une série de disciplines séparées. Les deux volumes, promis à une grande diffusion, intitulés De la Méthode dans les sciences (P.-F. Thomas, 1910), dévident ainsi par chapitres – des mathématiques pures à l’histoire – une suite de petits discours tenus par « les savants les plus représentatifs » de chaque spécialité. Au début du second tome, Émile  Borel s’interrogeait cependant sur la perti-nence des subdivisions, en notant que la linguistique et la statistique sont des sciences sociales. Mais en ce dernier domaine, comme dans les autres, tout ce qui est susceptible de se rapporter à une quelconque collaboration interdisci-plinaire est absent. Chargé, dans ce recueil, de présenter la sociologie, « science nouvelle », Émile Durkheim avait pour préoccupation essentielle de cadrer, en une discipline strictement codifiée, des matières extensivement reven-diquées – parfait exemple d’impérialisme disciplinaire.

Seul Henri Bouasse, dans sa contribution sur la physique générale, osait affirmer : « Les classifications usuelles sont défectueuses et réclament de profondes modifications ». Le dispositif disciplinaire demeurait verrouillé.

Les premières démarches interdisciplinaires

Un premier jalon est posé, entre les deux guerres, dans ce parcours tout au long duquel l’étau disciplinaire va se trouver desserré. Son intérêt l’a cédé à celui du lance-ment des Annales d’histoire économique et sociale, en 1929, par Marc Bloch et Lucien Febvre. On est aujourd’hui par-faitement informé sur la naissance, l’évolution, les tour-nants pris par ceux qui se sont succédé à la direction de cette « école ». On l’est moins sur le Centre international de synthèse, de quatre ans antérieur, que l’on peut tenir pour la première organisation à vocation « interdisciplinaire » mise en place en France. Il n’y a pas lieu de comparer ici ces deux innovations. On rappellera simplement ici que la seconde, placée sous le signe des « combats » livrés par Febvre contre une historiographie traditionnelle, devait certes permettre un renouvellement des études historiques, mais aussi et surtout finalement conduire à un recentrement de la plupart des sciences humaines et sociales sur une « nouvelle histoire ». Tout autre fut le des-sein qui a inspiré la première, dans le cadre de la Fondation pour la science. Sous l’égide de ce centre, créé en 1925 par H. Berr (1863-1954) avec ses deux sections (Synthèse his-torique, Sciences de la nature), allaient annuellement se dérouler, à partir de 1929, des « semaines internationales de synthèse » respectivement consacrées à « l’étude d’un seul problème par différents travailleurs ».

L’avant-propos donné par Berr, fondateur en 1899 de la Revue de synthèse historique, à chacune des publications de ces « Semaines » nous renseigne sur ses intentions. Sur le

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plan idéel : « ramasser tout ce qui peut, dans l’état actuel de la science, rapprocher matière et esprit – deux stades diffé-rents du processus universel ». Au niveau organisationnel : point d’enseignements, de « conférences », de congrès, mais la tenue de réunions scientifiques, des exposés, suivis de « discussions ». Bien plus que des rapports, c’est de celles-ci que des résultats sont attendus. Les sujets examinés font obligatoirement appel à des sciences diverses. L’objectif est de mettre en lumière « les problèmes d’interscience ». Le projet : un vocabulaire dont l’élaboration est confiée à la section de Synthèse historique. Dix-neuf « Semaines » ont été organisées du vivant de Berr. Les deux premières et la quatrième ont porté sur deux thèmes, toutes les autres sur un seul. Parmi les sujets traités : l’évolution en biologie ; l’évolution de la physique et de la philosophie ; la notion de progrès devant la science actuelle ; l’invention ; la sensibilité dans l’homme et dans la nature ; l’énergie dans la nature et dans la vie ; « La synthèse, idée force dans l’évolution de la pensée » fut l’objet de la quinzième « Semaine » (1949). Côté sciences exactes figurent, entre autres intervenants français et étrangers, Émile Borel, Léon Brillouin, Louis de Broglie, Georges Darmois, Jacques Hadamard, Francis Perrin ; côté sciences humaines, Célestin Bouglé, Lucien Febvre, Pierre Janet, Marcel Mauss, Alfredo Niceforo, Jean Piaget. Leurs contributions, d’une incomparable valeur, forment la matière d’une encyclopédie interdisciplinaire.

Une telle encyclopédie est précisément celle qu’à la même époque Otto Neurath (1882-1945) projetait de mettre en chantier. Dans Einheitswissenschaft und Psychologie (1933), il avait abordé le problème de la communication entre les disciplines, en prenant comme exemple la phy-sique et la psychologie ; sa résolution devait, à ses yeux, être obtenue par leur intégration dans la « science uni-fiée », entendue comme système terminologique uniforme caractérisé par des règles combinatoires, et portant sur tous les « énoncés légitimes » produits dans les différents domaines scientifiques. En 1936, il publiait dans la Revue de synthèse de Berr un article intitulé « L’encyclopédie

comme modèle » où, pacifiant les rapports de la recherche empirique avec les constructions logiques, il recomman-dait une démarche transversale, « d’encyclopédie à ency-clopédie ». L’année suivante s’ouvrait à Paris le troisième congrès international pour l’unité de la science. Neurath y présenta le projet d’une International Encyclopedia of Unified Science. Dix fascicules furent publiés en 1938 : ils forment un premier volume traitant de plusieurs disci-plines – sciences naturelles, physique, biologie et psycho-logie. Un second volume allait suivre en 1939, consacré aux sciences sociales. Le maître d’œuvre était bien conscient des difficultés  de l’entreprise : « Nous sommes comme des marins qui doivent réparer leur navire au large sans pouvoir le démonter dans un chantier, et sans jamais pouvoir le reconstruire avec des parties meilleures » (cf. S. Deprez, « De l’arbre cartésien au bateau de Neurath », in J.-L. Blaquart, 2010) ; Neurath ou l’impossible cale sèche.

Le rêve de Neurath d’un lexique universel à l’usage des savants d’une Gelehrtenrepublik ne s’est pas réa-lisé. En revanche, les « Semaines » se poursuivirent après la Seconde Guerre mondiale, ensuite relayées par des colloques, jusqu’à ce qu’en 2009 la Revue de synthèse, dirigée par Éric  Brian, renoue avec la tradition par des « journées de synthèse ». En même temps que s’aiguisait la conscience de la complexité des phénomènes étudiés par « la » science, s’imposait la nécessité de recherches interdisciplinaires. « Interdisciplinarité » : à ce terme on pourrait appliquer ce que Tocqueville a dit de l’individua-lisme : c’« est une expression récente qu’une idée nouvelle a fait naître ». Son occurrence date de la fin des années 1960, précédée de celle de l’adjectif « interdisciplinaire » introduit par Jean Meynaud (1959) à propos des sciences sociales : « Aujourd’hui même, on observe un renforce-ment des contacts interdisciplinaires et un affermissement des tendances à l’intégration ». Les mérites étaient vantés de « la coopération interdisciplinaire », et les behavorial sciences citées comme « essais d’intégration » (Ibid.). On notera au passage que les vocables pluri-, multi-, trans-

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disciplinarité sont d’une dizaine d’années postérieurs – et que leurs définitions se chevauchent. On retiendra celle, des plus plaisantes, que donne Edgar Morin (1990) de la transdisciplinarité : « Il s’agit souvent des schèmes cogni-tifs qui peuvent traverser les disciplines, parfois avec une virulence telle qu’elle les met en transes. »

Deux passeurs de frontières ont fait progresser, au cours et autour de la décennie 1960-1970, la réflexion sur la pratique et la pensée de l’interdisciplinarité : Jean Piaget (1896-1980) pour les sciences humaines, Ludwig von Bertalanffy (1901-1972) à partir des sciences exactes. Les chapitres rédigés par Piaget dans le classique ouvrage Logique et connaissance scientifique (1967) qu’il a dirigé soulignent l’extrême utilité des travaux interdisciplinaires dans les sciences humaines et sociales, pour rechercher les relations « déjà réelles ou virtuelles » entre ces sciences, dégager les structures communes à leurs « épistémo-logies internes », et établir des relations avec les disci-plines logico-mathématiques ou naturelles. « La leçon des connexions disciplinaires examinées […] est évidem-ment que la manière dont l’homme a réussi à constituer des connaissances exactes relève d’un nombre bien plus grand de facteurs qu’on n’imagine d’habitude » (Ibid.). L’auteur de l’admirable exposé présenté à la « Semaine internationale de synthèse » sur l’« Individualité » (1931), et de l’Introduction à l’épistémologie génétique (1950) où un « système cyclique des sciences » est substitué à la dis-tribution hiérarchique du positivisme, allait faire, en 1970, une mise au point détaillée sur les « Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes communs ».

Dans son Autobiographie (1976), Piaget est revenu sur l’évolution du Centre international d’épistémologie géné-tique qu’il a créé à Genève en 1955. Réunissant psycholo-gues, logiciens, mathématiciens, physiciens, biologistes et cybernéticiens, ce centre, écrit-il, « n’a cessé de progresser dans un sens interdisciplinaire » ; le travail collectif a montré « l’unité profonde de domaines trop souvent dis-sociés les uns des autres ». S’il ne lui paraissait plus tenable

de rester cantonné dans une spécialité, il n’en constatait pas moins le conservatisme de nombre de chercheurs, une prudence méthodologique à la fois rassurante et discu-table, le cloisonnement perdurant des facultés universi-taires. On n’oubliera pas, en effet, que dans le même temps où les mérites de l’interdisciplinarité étaient reconnus, une rigoureuse structuration disciplinaire se poursuivait. Ainsi en France, au milieu des années 1960, la Revue de l’ensei-gnement supérieur commençait la publication d’une série de numéros respectivement consacrés à une discipline. Le positionnement de chacune faisait l’objet d’attentions vigilantes, impliquant une définition, une délimitation, des divisions précises du territoire qu’elle occupe, avec les recommandations obligées sur la façon de l’arpenter.

On trouve chez Bertalanffy le même enthousiasme et les mêmes alarmes. Son ouvrage de 1949 Das biolo-gische Weiltbild, dépassant mécanisme et vitalisme, avait innové en fondant une biophilosophie « organismique » sur une conception totalisante du système, en opposition aux notions de nature, les unes analytique, les autres som-mative. Répudiant la réduction de toutes les sciences à la physique, il s’est mis en quête, dans la suite d’articles qui composent General System Theory (1968), des isomor-phismes existant entre différents domaines, au double plan formel et matériel. Traduite en français (1973) avec en sous-titre « Physique, biologie, psychologie, sociologie, philosophie », la Théorie générale des systèmes se voulait résolument interdisciplinaire. Elle était, selon son auteur, une tentative pour satisfaire « les besoins en principes fondamentaux interdisciplinaires » (Ibid.). « En physique moderne et en biologie surgissent partout des problèmes de complexités organisées, c’est-à-dire portant sur les inte-ractions d’un grand nombre de variables ; ils réclament de nouveaux outils conceptuels » (Ibid.). Aussi Bertalanffy déplorait-il, outre la fragmentation des disciplines en spécialités closes, la fermeture de l’enseignement conven-tionnel des sciences aux nouvelles constructions théo-riques – « modèles étendus et généralisés ». Il s’associait

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rétrospectivement à l’appel à « la formation de généralistes scientifiques » qui avait été publié dans Science, en 1949, par un groupe de savants (Ibid.).

Le développement de l’interdisciplinarité

L’influence de la théorie générale des systèmes n’a pas été suffisamment soulignée ; elle a été cependant pro-fonde. Ainsi, dans la seconde édition d’Encyclopaedia Universalis achevée au début des années 1980, l’article « Interdisciplinaires (recherches) » se réfère explicitement à Bertalanffy. Son auteur, un physicien passé à la bio-logie, Pierre Delattre (1926-1985), a été chargé de rem-placer le texte de la première édition (1968-1975) qu’avait signé un historien des idées, Georges Gusdorf. À l’entrée « Interdisciplinaire (connaissance) », ce dernier – après avoir évoqué le temps révolu du « savoir unitaire », identifié la spécialisation comme « cancérisation épistémologique », puis dénoncé « la fausse interdisciplinarité » – appelait à la rupture avec la « connaissance endisciplinée ». Il estimait qu’alors pourrait advenir une « intelligence interdiscipli-naire [qui] serait une épistémologie de la complémentarité, opposant une fin de non-recevoir à toutes les épistémo-logies de la dissociation ». Une chétive bibliographie (six titres) complétait cette présentation.

Sous un intitulé significativement modifié, le nou-veau rédacteur a donné un exposé d’orientation moins spéculative. En 1971, il a publié L’Évolution des systèmes moléculaires – où il explore les passages entre système physique, système chimique et biologie théorique –, ainsi qu’un essai d’épistémologie, Système, structure, fonction, évolution, fournissant des définitions précises de ces termes. En 1976, il a fondé la Société française de biologie théorique que présidera René Thom. Pour lui, l’interdisci-plinarité a pour but « d’élaborer un formalisme suffisam-

ment général et précis pour permettre d’exprimer, dans ce langage unique, les concepts, les préoccupations, les contributions d’un nombre plus ou moins grand de dis-ciplines ». L’intérêt des recherches qu’elle inspire « réside dans l’effort qu’elles représentent pour combler peu à peu [l’]écart entre la généralité de ce que nous savons conce-voir et les particularités de ce que nous pouvons observer » (Ibid.). Les obstacles, liés à la nature de la tâche qui requiert un esprit de synthèse et à l’environnement – « la résistance des spécialistes » – ne doivent pas être sous-estimés. Mais les travaux listés dans la bibliographie sont déjà nombreux qui attestent « un besoin d’unité du savoir ».

Le rôle joué par Delattre a été des plus importants. Ses collègues n’ont pas manqué de le rappeler dans un volume d’hommages Modèles et transformations. La biologie théorique de Pierre Delattre (Bruter, 1990). Il a dirigé la collection « Recherches interdisciplinaires » des éditions Maloine-Douin. Il lui revient d’y avoir publié les textes issus des Séminaires interdisciplinaires du Collège de France – séminaires organisés par François Perroux, André Lichnerowicz et Gilbert Gadoffre –, qui ont fait date dans l’histoire de cette nouvelle démarche. Après Structure et dynamique (1976), L’Idée de régulation dans les sciences (1977), paraissaient notamment les deux volumes Analogie et connaissance (1980-1981), Information et communica-tion (1983) et, au lendemain de la disparition prématurée du maître d’œuvre, Projet et programmation (1986). Tous ces textes, lestés de méthodologie comparée, sont autant d’invitations à une remise en question des traditionnels schémas conceptuels.

À côté de ces séminaires, Delattre, dans son article de l’Encyclopaedia Universalis, donne comme exemple de recherches interdisciplinaires les travaux de René Thom (1923-2002). Jean Petitot (1992) a écrit que la parution de Stabilité structurelle et morphogenèse (1972) – suivie de celle de Paraboles et catastrophes (1983), entretiens avec Giulio Giorello sur les mathématiques, les sciences et la philoso-phie – « constitua un véritable événement épistémologique ».

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Son auteur réconciliait de façon naturaliste la physique mathématique post-galiléenne avec le néo-aristotélisme phénoménologique. On sait combien furent violentes les attaques d’une partie de la communauté scientifique contre la théorie des catastrophes élémentaires à laquelle était reproché de ne pas permettre de prédictions quantitatives. Elle n’en a pas moins introduit de nouveaux modèles de pensée dans la quasi-totalité des sciences. Thom avait toute autorité pour s’exprimer sur le problème de l’innovation scientifique, l’introduction de nouvelles interprétations par le croisement de disciplines, l’émergence d’un univers morphologique inexploré « quelquefois tout différent des motifs initiaux de la recherche (sérendipité) » (Symposium, E.U., 1990). Son exposé « L’in ter disciplinarité : ce qu’elle pourrait être, ce qu’elle pourrait donner » (1979) n’a rien perdu de son actualité.

On pourrait multiplier les exemples de ces recherches, situées à l’intersection de disciplines, et placées sous le signe d’une « nouvelle alliance » entre culture scientifique et culture humaniste. D’une science à l’autre. Des concepts nomades (Stengers, 1987) reflète ces démarches novatrices. Que l’on parte de la thermodynamique ou de la biologie moléculaire, on vise l’unification des interactions fonda-mentales. On introduit des concepts unificateurs, comme le fait Pierre-Gilles de Gennes (1976) – mélangeant har-diment la géométrie, science des formes, et la statistique, science du hasard, dans l’étude du « continu et discontinu » – avec la « percolation » héritée de John M. Hammersley. « C’est au carrefour de recherches » sur l’organisation du vivant que, relève aussi Henri Atlan (1990), « s’est imposée la notion curieuse mais expressive de “hiérarchie enchevê-trée” » reprise de Douglas Hofstadter. Les études interdis-ciplinaires ne cessent de manifester leur fécondité par les échanges et transferts qu’elles permettent. Elles donnent leur titre à divers programmes de recherches au Centre national de la recherche scientifique, où Dominique Wolton, leur plus ardent avocat, fait œuvre de pionnier en pilotant, de 1980 à 1985, le programme « Science, Technologie, Société »

et les Cahiers STS qui en sont issus. Elles fournissent leur thème à de nombreux colloques, nationaux et internatio-naux : en novembre  1995 se tient au Portugal le premier Congrès mondial de la transdisciplinarité, qui s’ouvre sur une communication d’Edgar Morin, « Transdiciplinarité et complexité ». Elles trouvent enfin leur aboutissement dans la publication d’ouvrages collectifs dont Sciences de la nature, sciences de la société. Les passeurs de frontières (Jollivet, 1992) est le plus remarquable.

Des interrogations subsistent cependant sur les conditions de la collaboration et de la réciproque compré-hension auxquelles on est parvenu au sein du laboratoire intellectuel qu’est l’interdisciplinarité. Elles concernent en partie la « traduction », examinée par ailleurs. Dans une autre direction, Pierre Delattre se demandait si elles ne trouvent pas leur satisfaction dans des « usages métapho-riques » bien propres à entretenir « un flou sémantique ». Est-il légitime d’utiliser le concept d’« énergie » en psycho-logie, d’« information » en biologie et, partout, de « struc-ture » ? Dans The Advancement of Science (1986), Holton engageait une réflexion similaire sur l’emploi abusif, dans le discours scientifique, de la métaphore, image instable, toujours contingente, d’un contenu cognitif imprécis. Elle l’amenait à distinguer les « contradictions constructives », aujourd’hui cultivées par les chercheurs, des présentations didactiques destinées au public. Ses contributions anté-rieures, Thematic Origins of Scientific Thought (1973) et The Scientific Imagination (1978), portaient sur la « science se faisant », les « moments naissants » de la recherche, les thémata ; elles intéressent d’ailleurs l’interdisciplinarité, notamment par leurs renvois aux études sur la personna-lité de Kurt Lewin. Dans Le Progrès de la science, il s’agit d’un autre problème qui relève, comme il l’indique, de la « sociologie de la communication ». C’est à celle-ci que se rattachent les six volumes de La Méthode d’Edgar Morin. Le premier, qui paraît en 1977, La Nature de la nature, introduit à une nouvelle appréhension de la complexité du monde. Centrées sur la notion de désordre et nourries

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Bernard Valade

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d’incertitudes, les analyses développées par Morin débouchent sur une théorie de la relativité généralisée de la connaissance.

C’est dans une perspective voisine qu’est à ranger la série des Hermès (1968-1981) de Michel Serres. Une défense et illustration de l’interdisciplinarité y est pré-sentée, en prise sur l’ébranlement des fondements des sciences et les redistributions opérées entre elles. Il n’y a désormais « plus de référence sans interférence » ; les « inter » prolifèrent ; contacts, confluences, contingences font émerger de nouveaux savoirs – mobiles, transver-saux, transgressant les principes rationnels. Ces plai-doyers pour la communication interdisciplinaire ont été suivis de recommandations multiples : il faut accorder le système et ce qui le brouille (Le Parasite, 1980), retrouver la raison en l’immergeant dans la dé-raison (Genèse, 1981), retourner à ce qui est enfoui dans le clair-obscur et que l’aveuglante clarté d’Athènes ne permet pas de voir (Rome, le livre des fondations, 1983), réconcilier la raison et l’existence (Les Cinq sens, 1986), restaurer la Terre obli-térée par la « nature » (Le Contrat naturel, 1990). Autant de vues séduisantes et exaltantes, couronnées par « l’art des ponts », auxquelles il n’est pas interdit de préférer celles, plus dramatiquement exposées dans l’article « Crise » (1990) de Jean-Toussaint Desanti, sur le malaise dont nous souffrons – la séparation –, le voile des abstractions qui a pris la place des choses, la distance vertigineuse qui sépare

« la charrue » du « satellite » et les renoncements auxquels on doit consentir pour l’abolir.

On mesure bien ce qui a été d’une part gagné et d’autre part perdu par le développement de l’interdisci-plinarité. Côté gain : un élargissement des horizons épis-témologiques consécutif à l’aveu du caractère insuffisant des procédures monodisciplinaires, la substitution du « perspectivisme » – terme proposé par Bertalanffy – au « réductionnisme », et donc le rejet comme illusoire de « la conception primitive et quasi cannibalistique de la connaissance qui veut que connaître une chose exige pré-alablement qu’on la réduise en pièces » (Giorello, 1990). Au passif : un verbalisme souvent creux substitué aux analyses précises du spécialiste. On conçoit que puissent s’en griser les nains descendus des épaules des géants, pour dévaler la pente du « présentisme » et découvrir les délices de la « poussette ». Effacer les frontières, faire sauter les bar-rières, oublier la science et ses endiguements conceptuels : tels ont été les appels lancés par ceux qui ont exagérément associé discipline et pouvoir, interdisciplinarité et savoir. En vérité, et comme le rappelle encore Giorello, « de nou-velles synthèses et la spécialisation ne sont pas seulement des tendances inhérentes à l’entreprise scientifique, mais se renvoient structuralement l’une à l’autre » (Ibid.). Du moins ces excès et ces dérives ont-ils conduit à reprendre une question rarement traitée : Qu’est-ce qu’une discipline ? (cf. Boutier, Passeron et Revel, 2006).

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