14
LA VASOPRESSINE : PHYSIOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE A. Blanchard Département de Physiologie et Radio-isotopes, Hôpital Universitaire Européen Georges Pompidou, 20/40 rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France. INTRODUCTION Dès sa découverte, la vasopressine (AVP) est apparue comme une hormone aux multi- ples fonctions, d’une part hormone antidiurétique régulant à concentration physiologique le bilan de l’eau, d’autre part, hormone vasopressive impliquée à concentration supra physiologique dans la régulation de la volémie efficace. Elle est apparue ultérieurement comme une hormone hypophysiotrope modulant l’axe corticotrope. La vasopressine est maintenant aussi considérée comme une hormone modulant l’activité du système nerveux autonome. Une meilleure connaissance de la physiologie, de la synthèse et de l’action rénale de la vasopressine a permis de progresser dans la physiopathologie des diabètes insipides neuro et néphrogéniques. Le développement d’antagonistes V2 sélectifs ou non sélectifs offre une nouvelle classe de diurétiques aquarétiques purs, dont les indications respectives dans le traitement des SIADH et des rétentions hydriques associées aux syndromes oedémateux restent à établir. Finalement, les études cliniques dans le choc infectieux et le choc cardiogénique plaident pour la participation de la vasopressine à l’adaptation au stress. La perfusion de vasopressine au cours des états de détresse cardio-vasculaire a été testée avec succès dans plusieurs modèles d’état de choc et pourrait devenir un outil thérapeutique complémentaire des autres hormones vasopressives. 1. LA VASOPRESSINE : DE SA SYNTHESE A SA DEGRADATION 1.1. SITES DE SYNTHÈSE ET DE SÉCRÉTION La vasopressine (AVP), ou hormone antidiurétique (ADH), est un peptide de 9 acides aminés très proche de l’ocytocine. L’AVP est synthétisée dans les neurones parvo et magnocellulaires des noyaux supraoptiques et paraventriculaires de l’hypotha- lamus [1]. Les axones des neurones, reliant les corps cellulaires, site de la biosynthèse, aux terminaisons synaptiques, site de sécrétion, constituent le faisceau hypothalamo- neuro-hypophysaire de la tige pituitaire. Les axones des neurones magnocellulaires se terminent dans la neuro-hypophyse. La vasopressine est ainsi sécrétée dans la circulation périphérique pour y exercer ses actions antidiurétiques (récepteurs V2 rénaux couplés à un signal AMPc dépendant), vasopressives (récepteurs V1 vasculaires couplés à un

La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

LA VASOPRESSINE :

PHYSIOLOGIE ET PHYSIOPATHOLOGIE

A. BlanchardDépartement de Physiologie et Radio-isotopes, Hôpital Universitaire Européen Georges Pompidou, 20/40 rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France.

INTRODUCTION

Dès sa découverte, la vasopressine (AVP) est apparue comme une hormone aux multi-ples fonctions, d’une part hormone antidiurétique régulant à concentration physiologique le bilan de l’eau, d’autre part, hormone vasopressive impliquée à concentration supra physiologique dans la régulation de la volémie efficace. Elle est apparue ultérieurement comme une hormone hypophysiotrope modulant l’axe corticotrope. La vasopressine est maintenant aussi considérée comme une hormone modulant l’activité du système nerveux autonome. Une meilleure connaissance de la physiologie, de la synthèse et de l’action rénale de la vasopressine a permis de progresser dans la physiopathologie des diabètes insipides neuro et néphrogéniques. Le développement d’antagonistes V2 sélectifs ou non sélectifs offre une nouvelle classe de diurétiques aquarétiques purs, dont les indications respectives dans le traitement des SIADH et des rétentions hydriques associées aux syndromes oedémateux restent à établir. Finalement, les études cliniques dans le choc infectieux et le choc cardiogénique plaident pour la participation de la vasopressine à l’adaptation au stress. La perfusion de vasopressine au cours des états de détresse cardio-vasculaire a été testée avec succès dans plusieurs modèles d’état de choc et pourrait devenir un outil thérapeutique complémentaire des autres hormones vasopressives.

1. LA VASOPRESSINE : DE SA SYNTHESE A SA DEGRADATION

1.1. SITES DE SYNTHÈSE ET DE SÉCRÉTION

La vasopressine (AVP), ou hormone antidiurétique (ADH), est un peptide de 9 acides aminés très proche de l’ocytocine. L’AVP est synthétisée dans les neurones parvo et magnocellulaires des noyaux supraoptiques et paraventriculaires de l’hypotha-lamus [1]. Les axones des neurones, reliant les corps cellulaires, site de la biosynthèse, aux terminaisons synaptiques, site de sécrétion, constituent le faisceau hypothalamo-neuro-hypophysaire de la tige pituitaire. Les axones des neurones magnocellulaires se terminent dans la neuro-hypophyse. La vasopressine est ainsi sécrétée dans la circulation périphérique pour y exercer ses actions antidiurétiques (récepteurs V2 rénaux couplés à un signal AMPc dépendant), vasopressives (récepteurs V1 vasculaires couplés à un

Page 2: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004304

signal calcique) et plaquettaires (récepteurs V2 plaquettaires). Au contraire, les axones des neurones parvocellulaires se terminent au contact du système porte antéhypophysaire. La vasopressine délivrée localement dans l’hypophyse antérieure, agit comme une hormone hypophysiotrope en stimulant la sécrétion d’ACTH par ses récepteurs V3 (aussi nommés V1b) de faible affinité. Les neurones magnocellulaires pourraient également avoir des afférences antéhypophysaires, et donc un rôle corticotrope (Figure 1).

Figure 1 : Sécrétion d’AVP par les noyaux paraventriculaires et supraoptiques de l’hypothalamus. Les neurones parvocellulaires des groupes médian et intermédiaire des noyaux paraventriculaires sécrétent du CRH et de l’AVP qui, délivrés dans le système porte, stimulent la sécrétion antéhypophysaire d’ACTH. Une faible proportion d’AVP sécrétée par les neurones magnocellulaires des noyaux paraventriculaires peut égale-ment rejoindre le système porte. D’autres neurones parvocellulaires (groupe latéral des noyaux paraventriculaires) produisent du CRH délivré aux neurones noradrénergiques ou à d’autres neurones impliqués dans la réponse du système nerveux central au stress. Les neurones magnocellulaires des noyaux paraventriculaires et supraoptiques (NSO) délivrent l’AVP dans la circulation générale via l’hypophyse postérieure.

Noyau paraventriculaire Neurone parvocellulaire(groupe latéral)production de CRH

Systèmenerveuxcentral

NeuronemagnocellulaireProductiond'AVP

Neuroneparvocellulaire(groupe intermédiaire)Production d'AVP

Neuronemagnocellulaire dunoyau supraoptiqueProduction d'AVP

Neuroneparvocellulaire(groupe médian)production de CRH

Tigepituitaire

Hypophysepostérieure

AVPACTH

Hypophyseantérieure

Systèmeporte

3eventricule

Page 3: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 305

1.2. SYNTHÈSE ET MATURATION DE LA VASOPRESSINE

La vasopressine est synthétisée sous forme de préprohormone. De ce précurseur sont clivées trois protéines, sécrétées en quantité équivalente : l’hormone active, la vasopressine : un glycopeptide de 39 acides aminés dont le rôle biologique est incertain ; et la neurophysine II, protéine de 93 acides aminés [2] Cette dernière est essentielle à la neurosécrétion hypophysaire de vasopressine. En premier lieu, la neurophysine II con-tient une séquence hautement conservée qui permet le passage de la préprohormone du réticulum endoplasmique vers l’appareil de Golgi. Chez le rat Brattelboro, une mutation dans cette séquence est responsable d’un diabète insipide neurogénique (défaut congé-nital de sécrétion de vasopressine) [3]. En second lieu, la neurophysine possède, au pH acide des vésicules de stockage une forte affinité pour la vasopressine. Dans le diabète insipide neurogénique autosomique dominant, une mutation ponctuelle dans le gène de la neurophysine conduit à un défaut central de sécrétion de vasopressine, en altérant la structure tertiaire de la neurophysine et ainsi sa capacité à complexer l’hormone [4]. Il a été proposé que la liaison de la vasopressine à la neurophysine soit nécessaire pour prévenir l'élévation d'osmolarité efficaceque provoquerait l'accumulation d'hormone libre.

1.3. CONTRÔLE DE LA SÉCRÉTION

La sécrétion d’AVP est principalement régulée par les variations d’osmolalité plasmatique et de la volémie.

1.3.1. STIMULUS OSMOTIQUE

Le stimulus physiologique de la sécrétion d’AVP et de la soif est l’augmentation de l’osmolalité efficace plasmatique, facteur régulé du bilan de l’eau. La constance de l’osmolalité efficace plasmatique permet de réguler le volume cellulaire dont le contenu osmotique est approximativement constant en situation physiologique. L’osmolalité effi-cace plasmatique est liée aux sels de sodium, le glucose (en présence d’insuline) et l’urée diffusant librement à travers les membranes cellulaires. L’osmolalité extracellulaire est conjointement régulée par la soif qui contrôle la prise de boisson, et par la vasopressine qui contrôle l’excrétion hydrique comme schématisé dans la figure 2 [5].

Le seuil osmotique physiologique de sécrétion d’AVP correspond en moyenne à une osmolalité extracellulaire de 280 mOsm.kg-1 d’H2O. En dessous de ce seuil, la concentra-tion d’AVP circulante est indétectable. Au-dessus de ce seuil, la relation entre la sécrétion d’AVP et l’osmolalité plasmatique est linéaire, une augmentation de 1 mOsmole.Kg-1 d’eau augmente de 0,5 pg/mL la concentration d’AVP circulante. En état de restriction hydrique prolongée, l’élévation de l’osmolalité plasmatique stimule également la soif (seuil voisin de 290 mOsm.kg-1 d’H2O).

Les valeurs seuils et la sensibilité de la réponse de l’AVP et de la soif au stimulus osmotique sont très variables d’un individu à l’autre, mais reproductibles chez un même sujet. Le décalage des seuils de sécrétion de la vasopressine et de la soif d’environ 10 mOsm.kg-1 permet en restriction hydrique de stimuler la réabsorption rénale d’eau avant de stimuler la prise de boisson par la soif [6]. Cette régulation a permis au cours de l’évolution des espèces de s’adapter à une vie terrestre dans laquelle l’accès à l’eau est limité et où la conservation du contenu hydrique de l’organisme doit être privilégiée. Dans certaines situations physiologiques (au tout début de la grossesse, [7] ou pathologiques (comme certaines polydipsies primaires, [8]) le seuil de la soif dimi-nue. La soif est alors stimulée pour des valeurs d’osmolalité physiologiques. La prise de boisson excessive qui en résulte entraîne une polyurie. Pour distinguer les polyuries par polydipsie primaire, les polyuries secondaires à un diabète insipide neuro ou néphrogè-nique partiel, le test au dDAVP est généralement insuffisant. Une restriction hydrique

Page 4: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004306

prolongée ou une perfusion de NaCl hypertonique, associée à des mesures répétées de la concentration d’AVP circulante et une évaluation de la soif, sont souvent nécessaires [8]. Au cours de la grossesse, le seuil de sécrétion de la vasopressine diminue, et le décalage physiologique entre soif et sécrétion de vasopressine est restauré. La régulation physiologique de l’osmolalité plasmatique est donc simplement décalée vers les valeurs basses [7]. Ce «reset de l’osmostat» explique qu’au cours des deux derniers trimestres de la grossesse, l’osmolalité plasmatique diminue d’environ 10 mOsm.kg-1 d’H2O et la natrémie d’environ 5 mmol.L-1.

Il faut noter la très grande efficacité du système antidiurétique. Pour une variation d’osmolalité plasmatique de 20 mOsm.kg-1 d'H2O (280 à 300) correspondant à une

AVP(pg/ml)

AVP

Soif

Soif

Osmolalité plasmatique

Osmolalité plasmatique(mOsm/kg)

Diurèse(ml/min)

BILANH2O

AVP

Prise de boisson(ml/min)

Osmolalité plasmatique(mOsm/kg)

Osmolalité plasmatique(mOsm/kg)

Figure 2 : Régulation de l’osmolalité plasmatique par la vasopressine (AVP) et la soif. La régulation de l’osmolalité extracellulaire, garante du volume cellulaire, est sous le double contrôle de la sécrétion de vasopressine et de la soif. Partant d’une situation de charge aqueuse (osmolalité plasmatique < 280 mOsm.kg-1 d'H2O), l’augmentation progressive de l’osmolalité plasmatique stimule la sécrétion d’AVP (seuil 280 mOsm.kg-1 d'H2O) puis la soif (seuil à 290 mOsm.kg-1 d'H2O). Il en résulte que, en restriction hydrique, la stimulation de la prise de boisson prend le relais de l’adaptation de la diu-rèse. Lorsque l’osmolalité plasmatique est ≥ 300 mOsm.kg-1, la stimulation de la prise de boisson est le seul mécanisme de régulation efficace.

Page 5: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 307

variation de natrémie de 10 mmol.L-1, la concentration d’hormone antidiurétique varie d’une valeur indétectable à une valeur située entre 5 et 10 pg.mL-1. L’osmolarité urinaire passe de 60 (osmolalité urinaire minimale qui définit le pouvoir de dilution de l’urine) à 900 mOsm.kg-1 (osmolalité urinaire maximale qui définit le pouvoir de concentration de l’urine), et le débit urinaire d’environ 15 litres par 24 h à moins de 1 litre.

Les connaissances sur les mécanismes impliqués dans l’osmorégulation ont rapide-ment progressé au cours des trois dernières années. Il est en effet connu de longue date que les cellules sécrétant l’AVP sont d’une part capables de percevoir les variations d’osmolarité selon des mécanismes cellulaires qui commencent à être élucidés [9], et qu’elles sont d’autre part sous l’influence de centres capables de moduler cette activité : les osmorécepteurs. Ces osmorécepteurs sont situés à proximité du noyau supraoptique dans l’hypothalamus antéro-latéral. Par ailleurs, des osmorécepteurs périphériques ont été décrits, localisés en particulier dans le système porte hépatique. Ils participent à la réponse précoce à une charge hypo ou hypertonique par voie intestinale [10]. Les osmorécepteurs centraux sont localisés dans l’hypothalamus antérieur à proximité mais dans des noyaux distincts des noyaux supraoptiques. Ils comprennent en particulier des cellules de la la-mina striata, région caractérisée par l’absence de barrière hémato-encéphalique. Ce n’est que récemment qu’il a pu être établi que les cellules des osmorecepteurs centraux expri-maient des canaux sensibles à l’étirement, capables de transformer le signal mécanique lié aux variations de volume cellulaire secondaires aux variations d’osmolarité efficace, en un signal de transduction. Les premiers canaux sensibles aux variations d’osmolarité ont été décrits dans la bactérie puis chez le ver de terre. Secondairement, des protéines homologues ont été clonées chez les mammifères. Ces protéines sont impliquées dans différentes fonctions neuro-sensorielles telles que la perception des mouvements, la perception thermo-algique, la thermorégulation et l’osmorégulation. Parmi ces protéi-nes, le canal trpv4 appartenant à une famille de canaux cationiques non spécifiques à 6 domaines transmembranaires, exprimé entre autres au niveau des osmorécepteurs est vraisemblablement impliqué dans l’osmorégulation chez les mammifères [11]. L’activité de ce canal est couplée à un signal calcique intracellulaire, est stimulée par l’hypo- osmolarité, et est sensible aux variations de températures. Son activité est maximale à 37°C. Les souris invalidées trpv4-/- présentent un défaut d’osmorégulation, défini par un défaut d’adaptation de l’excrétion hydrique et de la sécrétion d’ADH en réponse à une restriction hydrique comme à une charge osmotique. Le défaut de la soif associé explique que ces souris présentent spontanément une hyperosmolarité plasmatique [12]. Ce tableau est très proche du défaut rare d’osmoreception, décrit chez l’homme chez des sujets présentant généralement des lésions tumorales ou ischémiques des régions hypothalami-ques. En effet, les osmorécepteurs sont vascularisés par des petites branches perforantes issues de l’artère cérébrale antérieure ou des artères communicantes, et une interruption de ces vaisseaux abolit la régulation osmotique de la sécrétion d’AVP et de la soif sans affecter la neurohypophyse ou la réponse neurohypophysaire aux autres stimuli [13].

1.3.2. STIMULUS VOLÉMIQUE

Si le stimulus physiologique de la sécrétion d’AVP et de la soif est l’augmentation de l’osmolalité efficace plasmatique, les diminutions de volémie efficace et/ou de pression artérielle non physiologiques constituent un mécanisme puissant de la sécrétion d’AVP. Contrairement au stimulus osmotique qui influence linéairement la sécrétion de vasopressine, le stimulus volémique induit une stimulation exponentielle de cette sécrétion [14, 15]. Ainsi, si une diminution modérée de la volémie (< 10 %) influence peu la sécrétion de vasopressine, une baisse de la volémie de plus de 10 à 15 % élève la concentration de vasopressine à des concentrations très supérieures à celles produisant une

Page 6: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004308

antidiurèse maximale. Ces concentrations sont responsables des effets hémodynamiques de l’AVP par les récepteurs V1 de faible affinité : effets vasopresseurs et modulateurs du baroréflexe.

Comme illustré sur la figure 3, le stimulus volémique de la sécrétion de vasopres-sine est transmis par des voies neurologiques indépendantes de l’osmoréception : les variations de pression efficace perçues par les barorécepteurs aortiques et carotidiens et les volo-récepteurs de l’oreillette droite, sont transmises par des afférences du nerf vague et du nerf glossopharyngien vers le noyau du tractus solitaire du tronc cérébral (centre vasomoteur), relayées par des voies essentiellement noradrénergiques aux noyaux

supraoptiques et paraventriculaires [16].Figure 3 : Relation entre stimulus osmotique et volémique de la sécrétion de vasopressine. Phy-siologiquement, le stimulus majeur de la sécrétion d’AVP par les noyaux supraoptiques (NSO) et paraventriculaires est l’augmentation de l’osmolalité plasmatique, perçue par les osmorécepteurs. Les variations de volémie perçues par les barorécepteurs sont véhiculées par les voies parasympathiques puis noradrénergiques jusqu’aux sites de sécrétion d’AVP (schéma de gauche). Cette voie module l’osmorégulation de l’AVP en modifiant le seuil de sécrétion et la sensibilité aux variations d’osmolalité plasmatique (schéma de droite). HA : Hypophyse Antérieure, NH : Neuro-Hypophsye.

La distinction anatomique des voies impliquées dans les régulations volémique et osmotique de la sécrétion d’AVP explique que la stimulation volémique ne se substitue pas à la régulation osmotique mais la module. Ainsi, une diminution de la volémie abaisse le seuil et augmente la pente de la relation qui unit l’osmolalité plasmatique à la concentration circulante d’hormone antidiurétique. Dans l’insuffisance cardiaque, la cirrhose, comme dans certains syndromes néphrotiques avec hypovolémie, cette hypersé-crétion relative d’hormone antidiurétique induit une rétention hydrique. L’hyponatrémie lorsqu’elle apparaît reflète donc indirectement l’hypovolémie efficace. Un stimulus volémique de la sécrétion de vasopressine (par hypovolémie vraie ou efficace) explique 75 % des hyponatrémies observées en milieu hospitalier et constitue un facteur pronos-tique défavorable en terme de mortalité et de morbidité [17].

1.3.3. AUTRES STIMULI

Enfin, d’autres stimuli aigus ou chroniques peuvent induire une augmentation de la sécrétion de vasopressine : les stimuli olfactifs, les stimuli provenant de l’activité limbique (choc émotionnel, douleur, exercice) les nausées, l’hyperthermie, ou certains agents pharmacologiques comme la morphine ou la nicotine [2].

Noyauparaventriculaire

Osmo-récepteurs

NSO

Chiasmaoptique

HA

BR

NH

Volumepression

Locus coereleus

AerapostremaNoyau

solitaire

vaso

pres

sine

pla

smat

ique

(pg

/ml)

Hypovolémie ouHypertension

Hypovolémie ouHypotension

Osmolalité plasmatique (mosmol/kg)

Page 7: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 309

1.4. CLAIRANCE MÉTABOLIQUE

La demi-vie de la vasopressine, comme celle de la plupart des hormones peptidiques est très courte, inférieure à 10 minutes [5]. L’hormone est rapidement dégradée par des aminopeptidases périphériques exprimées dans la plupart des organes. La clairance mé-tabolique de la vasopressine est très dépendante des débits sanguins hépatique et rénal. En physiologie, et en dehors de la grossesse, les variations de la clairance métabolique ne modifient pas la concentration circulante d’AVP dans la mesure où la neurosécrétion de l’hormone s’adapte. La grossesse peut constituer une situation physiologique d’ex-ception puisque le placenta exprime sur sa face maternelle une enzyme, l’ocytocinase, responsable d’une augmentation de la clairance métabolique de l’ocytocine et de la va-sopressine qui présente une forte homologie de structure avec l’ocytocine. Cette activité augmente proportionnellement à la masse placentaire, et peut constituer en fin de grossesse un facteur de révélation d’un diabète insipide néphrogénique ou neurogénique partiel préexistant, auparavant asymptomatique [18]. Dans ces cas particuliers, la sécrétion d’AVP ne peut s’adapter à une augmentation de la clairance métabolique en fin de grossesse, et un syndrome polyuro-polydipsique peut apparaître. Plus rarement, il a été rapporté des cas de grossesses multiples (grossesses di ou trichoriales) dans lesquelles l’activité ocytocynase/vasopressinase circulante pouvait expliquer à elle seule l’apparition d’une polyurie au cours du dernier trimestre. Dans ce cas, la polyurie disparaît dans un délai de quinze jours à trois semaines après l'accouchement, avec un pouvoir de concentration des urines normal lors du test de restriction hydrique, pratiqué à distance. Fait notable, ces polyuries peuvent être traitées par le dérivé desamino-arginine vasopressine (dDAVP), qui est résistant à l’action de la vasopressinase, tandis que la vasopressine elle-même, immédiatement dégradée, est inactive [19].

2. EFFETS DE LA VASOPRESSINE

Il est possible schématiquement de subdiviser les effets périphériques de la vasopres-sine en deux grands types d’effets : d’un côté les effets antidiurétiques via les récepteurs V2 de haute affinité permettent à l’hormone antidiurétique de réguler la balance hydri-que à concentrations physiologiques. De l’autre, les effets hypophysiotropes sur l’axe corticotrope via les récepteurs V3 hypophysaires, et les effets modulateurs du système nerveux autonome et surtout vasoconstricteurs périphériques via les récepteurs V1 périphériques de faible affinité nécessitent des concentrations locales ou systémiques supraphysiologiques.

2.1. VASOPRESSINE DANS LE BILAN DE L’EAU : DE LA PHYSIOLOGIE À LA PHYSIOPATHOLOGIE DES DIABÈTES INSIPIDES NÉPHROGÉNIQUES

L’action rénale de la vasopressine aboutit à réduire la diurèse. Le mécanisme cellulaire implique une augmentation brutale et majeure (d’un facteur 100) de la perméabilité à l’eau du canal collecteur [20]. Cet effet est lié à l’insertion régulée par la vasopressine de l’aquaporine de type 2 dans la membrane apicale des cellules principales du canal collecteur (figure 4).

Les aquaporines sont des protéines membranaires formant des canaux capables de faciliter de manière spécifique la diffusion des molécules d’eau à travers les bicouches lipidiques des membranes plasmiques [21]. Certains segments tubulaires expriment ce type de protéine à leur deux faces. L’aquaporine 1 rend le tube proximal très perméable à l’eau, propriété indispensable à la réabsorption proximale iso-osmotique d’eau et de solutés. Le canal collecteur n’exprime d’aquaporines de façon constitutive qu’à son pôle basolatéral (aquaporines 3 et 4). Sa membrane luminale constitue, en l’absence de vasopressine, une barrière étanche. La fixation basolatérale de l’AVP à son récepteur

Page 8: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004310

V2 couplé à une adénylate cyclase (AC) entraîne une stimulation de la protéine kinase A (PKA) qui régule le taux de phosphorylation de l’aquaporine 2 stockée dans des vésicules sous membranaires apicales des cellules principales du canal collecteur. La phosphorylation de l’aquaporine 2 provoque son insertion dans la membrane luminale qui devient instantanément perméable à l’eau. L’équilibration osmotique se fait grâce à un transfert d’eau de la lumière vers le liquide interstitiel. Ce transfert d’eau nécessite au préalable que les segments en amont, en particulier le segment de dilution, soient fonctionnels. La réabsorption NaCl sans eau dans le segment de dilution permet en effet d’une part de délivrer un liquide hypotonique au plasma au canal collecteur, d’autre part de constituer un gradient osmotique interstitiel corticopapillaire, responsable d’une hypertonicité interstitielle dans la médullaire rénale. Le fluide tubulaire (60 mOsm.kg-1 d’H2O à l’entrée du canal collecteur) est donc hypotonique par rapport au fluide interstitiel cortical (300 mOsmoles) ou médullaire (900 mOsm.kg-1 d’H2O à la pointe de la papille). En l’absence d’AVP, l’absence d’équilibration osmotique (imperméabilité à l’eau du canal collecteur) fait que l’urine est excrétée à la même osmolarité que celle du fluide entrant dans le canal collecteur (60 mOsm.kg-1 d’eau) et que la diurèse est élevée. En présence d’hormone antidiurétique, une équilibration osmotique partielle ou totale permet d’augmenter la réabsorption rénale d’eau et de diminuer la diurèse. L’osmolarité uri-naire est au maximum égale à l’osmolarité interstitielle mesurée à la pointe de la papille (900 mOsm.kg-1 d’H2O).

La connaissance des mécanismes d’action cellulaire de l’AVP a permis d’élucider la physiopathologie des diabètes insipides néphrogéniques congénitaux [22]. La majorité (plus de 90 % des diabètes insipides néphrogéniques héréditaires) sont liés à l’X et secondaires à une mutation du récepteur V2 de la vasopressine (gène AVPR2). Ce gène, localisé en Xq28, est composé de 3 exons et 2 introns codant pour un polypeptide de 371 acides aminés dont la structure tertiaire est caractéristique des récepteurs à 7 domai-nes transmembranaires. La perte de fonction des récepteurs V2 induite par les mutations

Figure 4 : Action rénale de la vasopressine (AVP). La vasopressine, en se liant à son récepteur V2 basolatéral sur les cellules principales du canal collecteur, provoque l’insertion de canaux hydriques (aquaporine 2 ou AQP-2) dans la membrane luminale. La perméabilité à l’eau ainsi acquise, permet une réabsorption d’eau à la faveur du gradient osmotique créé par le segment tubulaire d’amont : le segment de dilution. Ce dernier en réabsorbant du NaCl sans eau, accumule des osmoles dans l’insterstitium rénal et dilue le fluide tubulaire, délivré hypotonique au plasma au canal collecteur. AC : Adenylate Cyclase.

Lumière(urine)

2K+

NaCl

300

AVP

AMPcPKA

Interstitium(sang)

H2O

3 Na+

H2O

H2O

H2OH2OH2O

AQP-3

AQP-4150 60

600

NaClAC

Page 9: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 311

a été étudiée en utilisant des systèmes d’expression in vitro et a permis de classifier les mutations en 3 types selon que le récepteur V2 est exprimé à la membrane mais ne lie pas la vasopressine (type 1), qu’il est normalement synthétisé mais non exprimé à la membrane (type 2), qu’il n’est pas synthétisé ou rapidement dégradé (type 3).

Plus récemment, le diabète insipide néphrogénique autosomique récessif présent dans les deux sexes a pu être rapporté à des mutations de l’aquaporine 2 (AQP-2). Pour diffé-rencier les malades de sexe masculin ayant un défaut génétique impliquant le récepteur, il est possible de faire un test au dDAVP. L’action V2 plaquettaire de cette hormone induit une augmentation du facteur VIIIc, du facteur de von Willebrand et de l’activateur du plasminogène. Cette stimulation n’apparaît pas lorsque le récepteur V2 est muté [23].

Les mutations du gène de l’AQP-2 ont été décrites comme responsables des diabètes insipides néphrogéniques récessifs. Certaines mutations entraînent un diabète insipide néphrogénique transmis sur le mode autosomique dominant. Cette transmission a pu être expliquée par un effet dominant négatif de la protéine mutée qui altère la formation de multimères dans la membrane, et ainsi, l’expression membranaire des protéines non mutées qui représentent la moitié des protéines synthétisées. Certaines mutations, comme celle de la sérine 256, site consensus de la PKA, aboutissent à une protéine fonctionnelle jugée sur sa perméabilité élémentaire sur l’oeuf de xénope transfecté, mais inactive dans la cellule native secondairement à une incapacité à être insérée dans la membrane [24].

2.1.1. ANTAGONISTES V2 SÉLECTIFS ET V1/ V2 NON SÉLECTIFS : DIURÉTIQUES AQUARÉTIQUES PURS

Plusieurs laboratoires pharmaceutiques développent pour leurs propriétés aquaré-tiques des analogues non peptidiques de la vasopressine aux propriétés d’antagonistes V2 sélectifs ou V1/V2 non sélectifs [25]. Ces médicaments sont dépourvus d’effets natriurétiques. Ces produits devraient être prochainement disponibles en France dans l’indication d’hyponatrémie, ou plus probablement d’hyponatrémie du SIADH, de l’insuffisance cardiaque congestive, et éventuellement de la cirrhose décompensée. Les études expérimentales ont déjà établi chez l’animal l’efficacité de ces traitements sur la rétention hydrique au cours de l’insuffisance cardiaque [26] ou de la cirrhose [27]. L’avenir permettra de préciser l’apport de ces traitements seuls ou en association avec les salidiurétiques et l’indication respective des antagonistes V2 sélectifs ou V1/V2 non sélectifs. L’utilisation de ces thérapeutiques dans les SIADH paranéoplasiques devrait permettre d’éviter la restriction des apports hydriques, qui compromet la qualité de vie du patient, gène la bonne conduite du traitement (cures d’hydratation au cours des chi-miothérapies) et le maintien d’un état nutritionnel correct. Plus récemment, des travaux expérimentaux menés dans un modèle de polykystose suggèrent que les antagonistes V2 pourraient ralentir le processus de kystogénèse ouvrant de nouvelles perspectives dans le développement de ces substances [28].

2.2. VASOPRESSINE, HORMONE DU STRESS : RÔLE RÉGULATEUR DE L’AXE CORTICOTROPE

Le rôle de la vasopressine dans le contrôle de l’axe corticotrope a fait l’objet d’une abondante littérature [29]. Chacun des noyaux paraventriculaires se subdivise en trois groupes de neurones parvocellulaires : le groupe médian produit essentiellement du CRH délivré dans le système porte hypophysaire, le groupe latéral qui produit du CRH délivré aux neurones noradrénergiques ou autres neurones impliqués dans la réponse du système nerveux central au stress. Un groupe intermédiaire produit de la vasopressine délivrée dans le système porte hypophysaire. Certains neurones parvocellulaires co-sécrètent de manière synchrone du CRH et de l’AVP, délivrés à l’antéhypophyse. L’AVP a peu

Page 10: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004312

d’effets en l’absence de CRH mais elle potentialise l’action stimulante de cette hormone sur la sécrétion de l’ACTH par l’antéhypophyse [29]. En cas de déficit glucocorticoïde périphérique, la sécrétion de vasopressine est stimulée parallèlement à celle de CRH et contribue à la stimulation de l’axe corticotrope (figure 1).

2.2.1. VASOPRESSINE ET DÉFICIT EN GLUCOCORTICOÏDES Le déficit sélectif en glucocorticoïde, observé habituellement dans l’insuffisance anté-

hypophysaire, s’accompagne d’un défaut d’excrétion hydrique. Cette anomalie implique des mécanismes intra et extra rénaux. A un défaut de dilution intra rénal des urines est associé un excès de sécrétion d’AVP, expliqué par un reset de l’osmostat. L’augmentation de la sécrétion parvocellulaire de vasopressine, délivrée localement à l’antéhypophyse, ne peut théoriquement pas expliquer une élévation de la concentration circulante de vasopressine, ce qui suggère que c’est la sécrétion des cellules magnocellulaires qui est altérée par un mécanisme encore indéterminé. La sécrétion d’AVP inappropriée conduit à l’apparition d’une hyponatrémie, et le déficit sélectif en glucocorticoïde constitue une cause de syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH). La fréquence de ces SIADH neuro-endocrines est probablement sous-estimée.

2.2.2. VASOPRESSINE ET ÉTATS DE STRESS RÉPÉTÉS OU CHRONIQUES

Dans les états de stress, il est bien connu que la sécrétion de cortisol est augmentée via la stimulation du CRH et de l’ACTH. Dans certains états de stress répétés ou chro-niques, la stimulation d’AVP peut jouer un rôle prédominant dans la stimulation de la sécrétion du cortisol [29]. Il a été récemment démontré que l’accumulation prolongée dans le système nerveux central de cytokines d’origine périphérique ou locale pouvait jouer un rôle majeur dans la stimulation de la neuro-sécrétion d’AVP. En particulier l’IL6, dont la production est augmentée à la phase tardive de l’inflammation, stimule la sécrétion de vasopressine. Un modèle de souris transgéniques surexprimant le gène de l’IL6 dans les astrocytes a été développé. Ces souris, soumises à une situation de stress, ont des concentrations de vasopressine circulantes 10 fois supérieures à celles de souris contrôles soumises à un stress identique. Leur taux circulant de corticostérone est augmenté, associé à une hyperplasie surrénalienne, alors que leur sécrétion hypophysaire d’ACTH et hypothalamique de CRH est diminuée [30]. Les données obtenues dans ce modèle très particulier suggèrent que la stimulation prédominante de la sécrétion de vasopressine peut constituer le stimulus principal de la sécrétion périphérique de cortisol. Ces données rappellent ce qui est observé dans certains états de stress où un taux de cortisol basal élevé est associé à une diminution de la réponse au Synacthène [31]. D’autre part, la possibilité d’une stimulation de la sécrétion d’AVP par l’IL6 pourrait expliquer les SIADH observés dans des pathologies aussi diverses que l’infection par VIH, l’ischémie cérébrale, la dépression sévère ou la schizophrénie. En effet, des taux d’IL6 élevés dans la circulation systémique et/ou dans le liquide céphalo-rachidien ont pu être documentés dans ces pathologies.

2.3. VASOPRESSINE, HORMONE PRESSIVE : UNE PLACE THÉRAPEUTIQUE PROMETTEUSE DANS LES ÉTATS DE CHOC

La vasopressine est une des hormones possédant une forte activité vasopressive in vitro. Cependant in vivo l’administration aiguë de vasopressine ou d’un agoniste V1 a montré que, lorsque le système nerveux autonome et le système rénine-angiotensine sont intacts, l’effet de l’AVP sur la pression artérielle est atténué du fait d’un reset du baro-reflexe. L’effet hypertenseur attendu de l’effet vasoconstricteur de l’AVP est compensé par l’effet bradycardisant [32].

Page 11: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 313

Ces effets complexes sont le résultat d’une double interaction entre sécrétion de vasopressine et niveau d’activation du baroréflexe. En effet, la neuro-sécrétion d’AVP est stimulée par l’activation du baroréflexe. En retour, l’AVP exerce un rétrocontrôle négatif sur ce réflexe. Ainsi, il a pu être démontré expérimentalement que la perfusion continue de vasopressine décalait vers les valeurs basses de pression artérielle la relation entre la fréquence cardiaque et la pression artérielle au cours d’élévations ou de diminutions aiguës de pression artérielle respectivement provoquées par l’administration de phény-léphrine ou de nitroprusside [33]. Ainsi, sous perfusion d’AVP et à pression artérielle identique, la fréquence cardiaque est plus basse que sous perfusion de NaCl isotonique. L’effet bradycardisant de l’administration aiguë de vasopressine nécessite l’intégrité du baroreflexe cardiaque, car il disparaît après administration d’un ganglioplégique. Cet effet de l’AVP sur le baroreflexe est médié par des récepteurs V1, comme ceux localisés dans l’area postrema, une région très particulière du système nerveux central autonome dépourvue de barrière hémato-encéphalique. Ces relations entre baroréflexe (dont la mise en jeu stimule la sécrétion de vasopressine) et vasopressine (qui diminue la sensibilité du réflexe) expliquent que l’action hémodynamique de la vasopressine est fortement dépendante de l’état d’excitabilité du système sympathique. Ainsi, et par opposition à ce qui est observé en situation physiologique, lorsque le système nerveux autonome est déficient (dysautonomie primitive ou secondaire à l’administration d’un ganglioplégique), la vasopressine exerce en administration aiguë un effet protecteur vis à vis de l’apparition d’une hypotension sévère [34].

Il a été démontré dans plusieurs modèles expérimentaux de choc que la vasopressine contribue au maintien de la pression artérielle. De plus, des travaux récents ont démontré l’intérêt potentiel de la vasopressine en perfusion continue dans plusieurs modèles de détresse cardio-circulatoire aiguë et en particulier au cours du choc septique [35]. Les premières observations ont été faites en 1997 par l’équipe de Landry, montrant que la sécrétion de vasopressine est paradoxalement insuffisante au regard de l’hypovolémie efficace comparativement à ce qui est observé au cours du choc cardiogénique et que la perfusion de vasopressine permettait d’élever significativement la pression artérielle de patients en état de choc infectieux réfractaires aux posologies maximales d’hormones vasopressives conventionnelles (dopamine et noradrénaline) [36]. Cette observation prometteuse a été suivie d’autres études démontrant l’effet bénéfique de l’administration de vasopressine conjointement à celle des autres hormones vasopressives dans le contrôle de la pression artérielle des patients en coma dépassé avant don d’organes, des patients en choc vasoplégique après chirurgie cardiaque [37], ou encore à la phase tardive d’un choc hémorragique [38]. Malgré l’effet vasoconstricteur puissant de la vasopressine, aucun cas d’infarctus en particulier mésentérique n’a été reporté, et le débit cardiaque des patients est en moyenne significativement amélioré. Le mécanisme d’action cellulaire de l’effet bénéfique de la perfusion d’AVP dans ces états de choc reste à déterminer. En plus de son effet vasoconstricteur propre, l’AVP pourrait restaurer l’effet des catécho-lamines en inhibant la production de NO périphérique présente dans ces états de chocs vasoplégiques.

La physiopathologie du déficit relatif de sécrétion d’AVP au cours du choc infectieux se précise progressivement. Ce déficit, défini par une sécrétion d’AVP insuffisante au regard de l’hypovolémie et/ou l’hyperosmolarité plasmatique contemporaine, s’installe chez environ 30% des patients à la phase tardive du choc, après une phase initiale où la sécrétion d’AVP est fortement stimulée (figure 5) [39].

Il semble impliquer une défaillance du système nerveux autonome associé à une déplétion du stock de vasopressine neuro-hypophysaire, comme le suggère l’apoptose

Page 12: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004314

des noyaux centraux du système neurovégétatif et des noyaux paraventriculaires chez les patients décédés de choc septique[40].

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES[1] Paillard M, Froissart M, Blanchard A and Houillier P. Bilan de l’eau et de l’osmolarité extracellulaire. In: Encycl Med Chir, edited by techniques E. Paris (France), 1995;10-352-A310.[2] Gines P, Abraham W and Schrier R. Vasopressin in pathophysiological states. Semin nephrol 1994;14:384-397[3] Kim J, Summer N, Wood M, Brown J and Schrier R. Arginine vasopressin secretion with mutants of wild-type and Brattleboro rats AVP gene. J Am Soc Nephrol 1997;8:1863-1869 [4] Repaske D, Summar M, Krishnamani M, Gültekin E, Arriazu M, Roubicek M, Blanco M, Isaac G and Phillips 3rd J. Recurrent mutations in the vasopressin-neurophysin II gene cause autosomal dominant neurohypophyseal diabetes insipidus. J Clin Endocrinol Metab 1996;81: 2328-2334 [5] Robertson L and Berl T. Water metabolism. In: The kidney (third ed.), edited by Brenner B. Philadelphia: W. B. Saunders company, 1986;385-432[6] Zerbe R, Miller J and Robertson G. The reproductibility and heritability of individual differences in osmoregulatory function in normal human subjects. J Lab Clin Med 1991;117:51-59

Figure 5 : Cinétique d’évolution de la vasopressine plamsatique chez 18 patients en choc infectieux. La vasopressine, fortement stimuée chez 16/18 patients diminue signifi-cativement (p < 0.001) à la phase tardive du choc (> 96 h après le début du choc). (Tiré de Sharshar: Crit Care Med, Volume 31(6).June 2003.1752-1758)

Baseline 6e Heure 24e Heure 48e Heure 96e Heure

Vas

opre

ssin

e (p

g/m

l)

18

0

2

4

6

8

10

12

14

16

✚✤

✚ ✚ ✚

✲✲

Page 13: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

Vasopressine 315

[7] Davison J, Shiells E, Philips P and Lindheimer M. Serial evaluation of vasopressin release and thirst in human pregnancy. Role of human chorionic gonadotrophin in the osmoregulatory changes of gestation. J Clin Invest 1988;81:798-706[8] Robertson GL. Differential diagnosis of polyuria. Ann Rev. Med 1988;39:425-442[9] Voisin DL and Bourque CW. Integration of sodium and osmosensory signals in vasopressin neurons. Trends Neurosci 2002;25:199-205[10] Stricker EM, Huang W and Sved AF. Early osmoregulatory signals in the control of water intake and neurohypophyseal hormone secretion. Physiol Behav 2002;76:415-421 [11] Strotmann R, Harteneck C, Nunnenmacher K, Schultz G and Plant T. OTRPC4, a nonselective cation channel that confers sensitivity to extracellular osmolarity. Nat Cell Biol 2000;2: 695-702 [12] Liedtke W and Friedman J. Abnormal osmotic regulation in trpv4-/- mice. Proc Natl Acad Sci U S A 2003;100:13698-13703[13] Robertson GL. Abnormalities of thirst regulation. Kidney Int 1984;25:460-469[14] Palmer B and Alpern R. Integrated renal response to abnormalities in tonicity. In: Clinical Disturbances of Water Metabolism, edited by Seldin D and Giebisch G. New York: Raven Press, 1993; 273[15] Caillens H, Prusczynski W, Meyrier A, Ang K, Rousselet F and Ardaillou R. Relationship between change in volemia at constant osmolality and plasma antidiuretic hormone. Miner Electrol Metab 1980;4: 161-171[16] Grindstaff R, Grindstaff R, Sullivan M and Cunningham J. Role of the locus cereleus in baroreceptor regulation of supraoptic vasopressin neurons in the rat. Am J Physiol Regul Integr Comp Physiol 2000;279: R306-319[17] Gross P, Pehrisch H, Rascher W, Schömig A, Hackenthal E and Ritz E. Pathogenesis of clinical hy-ponatremia : observations of vasopressin and fluid intake in 100 hyponatremic medical patients. Eur J Clin Invest 1987;17:123-129[18] Davison JM, Sheills EA, Philips PR, Barron WM and Lindheimer MD. Metabolic clearance of vaso-pressin and an analogue resistant to vasopressinase in human pregnancy. Am J Physiol 1993;264:F348-353[19] Durr J, Hoggard J, Hunt J and Schrier R. Diabetes insipidus in pregnancy associated with abnormally high circulating vasopressinase activity. N Engl J Med 1987;316:1070-1074[20] Knepper M. Molecular physiology of urinary concentrating mechanism : regulation of aquaporin water channels by vasopressin. Am J Physiol 1997;272:F3-12[21] Blanchard A and Paillard M. Aquaporines : du gène à la maladie. Médecine Thérapeutique 1998;4:165-172[22] Bichet D. Les diabètes insipides néphrogéniques héréditaires. M/S 1997;13:11-17[23] Vargas-Poussou R, Forestier L, Dautzenberg M, Niaudet P, Dechaux M and Antignac C. Mutations in the vasopressin V2 Receptor and Aquaporin-2 genes in 12 Families with Congenital Nephrogenic Diabetes Insipidus. J Am Soc Nephrol 1997;8:1855-1862[24] Fushimi K, Sasaki S and Marumo F. Phosphorylation of serine 256 is required for cAMP-dependent regulatory exocytosis of the aquaporin-2 water channel. J Biol Chem 1997;272:14800-14804[25] Martin P, Abraham WT, Lieming X, olson B, Oren R, Ohara M and Schrier R. Selective V2-Receptor Vasopressin antagonism decreases urinary aquaporin excretion in patients with chronic heart failure. J Am Soc Nephrol 1999;10:2165-2170[26] Burrell L, Phillips P, Risvanis J, Chan R, Aldred K and Johnston C. Long-term effects of nonpeptide vasopressin V2 antagonist OPC-31260 in heart failure in the rat. Am J Physiol 1998;275:H176-H182 [27] Jimenez W, Serradeil-Le Gal C, Ros J, Cano C, Cejudo P, Morales-Ruiz M, Arroyo V, Pascal M, Rivera F, Maffrand J and Rodes J. Long-term aquaretic efficacy of a selective nonpeptide V(2)- vasopressin receptor antagonist, SR121463, in cirrhotic rats. J Pharmacol Exp Ther 2000;295:83-90[28] Gattone 2nd V, Wang X, Harris P and Torres V. Inhibition of renal cystic disease development and progression by a vasopressin V2 receptor antagonist. Nat Med 2003;9:1323-1326[29] Chrousos G. The hypothalamic-pituitary-adrenal axis and immune-mediated inflammation. N Engl J Med 1995;332:1351-1360 [30] Raber J, O’Shea R, Bloom F and Campbell L. Modulation of hypothalamic-pituitary adrenal function by transgenic expression of Interleukin-6 in the CNS of mice. J Neurosci 1997;17:9473-9480[31] Annane D, Sebille V, Troche G, Raphael J, Gajdos P and Bellissant E. A 3-level prognostic classification in septic shock based on cortisol levels and cortisol response to corticotropin. JAMA 2000;283:1038-1045 [32] Reid I. Role of vasopressin deficiency in the vasodilatation of septic shock. Circulation 1997;95:1108-1110 [33] Luk J, Ajaelo I, Wong V, Wong J, Chang D, Chou L and Reid I. Role of V1 receptors in the action of vasopressin on the baroreflex control of heart rate. Am J Physiol 1993;265:R524-529

Page 14: La Vasopressine _ Physiologie Et Physiopathologie

MAPAR 2004316

[34] Jordan J, Tank J, Dietrich A, Robertson D and Shannon J. Vasopressin and blood pressure in humans. Hypertension 2000;36:E3-4, [35] Delmas A, Leone M, Rousseau S, Albanese J and Martin C. Place de la vasopressine chez les patients en choc septique. Ann Fr Anesth Reanim 2003;22:600-608 [36] Landry DW, Levin HR, Gallant EM, Ashton Jr RC, Seo S, D’Alessandro D, Oz MC and Oliver JA. Vasopressin deficiency contributes to the vasodilation of septic shock. Circulation 1997;95:1122-1125[37] Chen J, Cullinane S, Spanier T, Artrip J, John R, Edwards N, Oz M and Landry D. Vasopressin deficiency and pressor hypersensitivity in hemodynamically unstable organ donors. Circulation 1999;100:II244-246[38] Morales D, Madigan J, Cullinane S, Chen J, Heath M, Oz M, Oliver J and Landry D. Reversal by vaso-pressin of Intractable hypotension in the late phase of hemorrhagic shock. Circulation 1999;100: 226-229[39] Sharshar T, Blanchard A, Paillard M, Raphael J, Gajdos P and Annane D. Circulating vasopressin levels in septic shock. Crit Care Med 2003;31:1752-1758[40] Sharshar T, Gray F, Lorin de la Grandmaison G, Hopkinson N, Ross E, Dorandeu A, Orlikowski D, Raphael J, Gajdos P and Annane D. Apoptosis of neurons in cardiovascular autonomic centres triggered by inducible nitric oxide synthase after death from septic shock. Lancet 2003b;362:1799-1805