La Vendée en l'an II : défaite et répression

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Claude Petitfrère

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  • Annales historiques de laRvolution franaise

    La Vende en l'an II : dfaite et rpressionClaude Petitfrre

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    Petitfrre Claude. La Vende en l'an II : dfaite et rpression. In: Annales historiques de la Rvolution franaise, n300,1995. L'an II. pp. 173-185.

    doi : 10.3406/ahrf.1995.1780

    http://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1995_num_300_1_1780

    Document gnr le 15/10/2015

  • RiassuntoClaude Petitfrre, La Vandea nell'anno II, sconfitta e repressione.C. P. rievoca la cronologia dell' ultima fasi della guerra di Vandea, tra la vittoria dell'esercitocatolico e reale a Torfou il 19 settembre 1793 ed il suo annientamento totale a Savenay il 3nevoso, anno II. Poi, fa il punto sullo stato delle ricerche riguardante la repressione. Questa inizioa seconda della riconquista e raggiunse il parossismo con l'azione delle colonne infernali diTureau tra la fine di Nevoso e Pratile. Non si pu fare un bilancio quantitative preciso, ma certamente considerabile. Senza minimizzare la responsabilit dei generali, e di Tureau inparticolare, tuttavia incontestable che tutti i convenzionali in missione, e non solo Carrier,abbiano disputato la ncessita di questa repressione e dell' importanza sua.

    AbstractClaude Petitfrre, The Vende in the Year II. Defeat and Repression.Claude Petitfrre recalls the chronology of the last phase of the war of the Vende, between thevictory of the Catholic and royal army at Torfou on 19 September 1793 and its total annihilation atSaveny on 3 Nivse Year II. He then considers the state of research regarding the repression. Therepression commenced simultaneously and proportionately with the reconquest. It reached itsclimax with the action of the infernal columns of Tureau between the end of Nivse and Prairial.Although a precise quantification of this is not possible, it would surely be considerable. Withoutminimizing the responsibility of the generals, and Tureau in particular, it is incontestable that therepresentatives on mission, and not only Carrier, had argued for the necessity and breadth of thisrepression.

    RsumClaude Petitfrre, La Vende en l'an II, dfaite et rpression.C. P. rappelle la chronologie de la dernire phase de la guerre de Vende entre la victoire del'arme catholique et royale Torfou le 19 septembre 1793 et son anantissement total Savenay le 3 nivse an II. Puis il fait le point sur l'tat des recherches concernant la rpression.Elle commena au fur et mesure de la reconqute et atteignit son paroxysme avec l'action descolonnes infernales de Tureau entre la fin de nivse et prairial. On ne peut dresser un bilanquantitatif prcis, mais il est coup sr considrable. Sans minimiser la responsabilit desgnraux, et de Tureau en particulier, il est incontestable que tous les reprsentants en mission,et pas seulement Carrier, ont argument sur la ncessit de cette rpression et de son ampleur.

  • LA VENDEE EN L'AN II : DFAITE ET RPRESSION

    Le 22 septembre 1793, quand dbute un an II qui n'a pas encore d'existence lgale, les Vendens sont aurols de la victoire qu'ils viennent de remporter Tor fou, trois jours auparavant, contre la fameuse Arme de Mayence (1). Un an plus tard, il n'y a plus d'arme catholique et royale, plus de guerre de Vende, mais une gurilla, semblable la chouannerie du nord de la Loire, s'est durablement installe au sud du fleuve. Cette situation est le rsultat d'une double volution politico-militaire : la dfaite des Vendens et la rpression qui l'a accompagne et suivie.

    * * *

    L'vnement majeur, dont dpend tout le reste, est la gigantesque bataille qui se droule du 15 au 17 octobre autour de Cholet (2). Le 1er octobre, Barre, qui joue le rle de procureur de la Rpublique dans l'affaire vendenne, tait mont une nouvelle fois la tribune (3) pour expliquer que la victoire de la Rvolution sur tous ses ennemis tant de l'tranger que de l'intrieur dpendait de la destruction de la Vende (4). La Convention, exaspre par l'opinitret de la rsistance, avait alors donn

    (1) La garnison de Mayence, commande par Aubert Dumayet et Klber qui avait capitul le 23 juillet avec les honneurs de la guerre.

    (2) Pour l'histoire vnementielle , on peut consulter le lieutenant-colonel H. de Malleray, Les Cinq Vendes. Prcis des oprations militaires sur l'chiquier venden de 1793 1832..., Angers, Siraudeau, Paris, Pion, 1924, 216 p., P. Dor Graslin, Itinraires de la Vende militaire. Journal de la Guerre des Gants 1793-1801, Paris, Garnier, 1979, 225 p. et le livre rcent du gnral Y. Gras, La guerre de Vende (1793-1796), Paris, Economica, 1994, 184 p. qui n'utilise malheureusement comme sources que les mmoires des contemporains et non les documents d'archives.

    (3) Barre a dj t l'origine du dcret du 1er aot qui avait notamment dcid du transfert en Vende de la garnison de Mayence.

    (4) Cf. l'exorde de ce discours dans Cl. Petitfrre, La Vende et les Vendens, Paris, Gallimard, coll. Archives, 1981, pp. 40-41.

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    ordre l'arme des ctes de La Rochelle rorganise sous le nom d'arme de l'ouest, de terminer, d'ici au 20 octobre, l'excrable guerre de la Vende .

    Effectivement le coup mortel a t frapp dans les temps, mme si la guerre est encore loin d'tre termine. Les principaux chefs, Bonchamps, Lescure et d'Elbe, sont hors de combat et quelque 70000 ou 80000 personnes, soldats et civils mls, refluent en dsordre vers la Loire qu'ils russissent traverser, le 18 octobre, de Saint-Florent-le- Vieil Varades.

    Rappelons que ce n'est pas la premire fois que les Vendens franchissent le fleuve. Aprs avoir pris Saumur, le 9 juin, ils s'taient rendus matres d'Angers et avaient vainement tent de prendre Nantes. L'objectif tait double : tablir une base pour un ventuel dbarquement des Anglais et des migrs, constituer une tte de pont vers ces pays bretons qui s'taient insurgs en mars au moment du tirage au sort et taient susceptibles de passer de la jacquerie la chouannerie , pour reprendre un titre de Roger Dupuy (5).

    Ces deux ides avaient trott dans l'esprit des chefs durant tout l't. Au mois d'aot dans la rponse au questionnaire que le secrtaire d'tat britannique Henry Dundas lui avait fait passer par l'intermdiaire du chevalier de Tintniac, le conseil suprieur de Chtillon-sur-Svre avait envisag une traverse de la Loire pour le cas o les Anglais ne pourraient dbarquer sur les ctes du Poitou car les Bretons, affirmait-il, sont bien disposs et n'attendent que des chefs (6).

    Mais quand il s'agit de passer l'acte, aprs le dsastre de Cholet, l' tat-major de l'insurrection est divis. La Rochejaquelein, Lescure et mme d'Elbe sont hostiles l'aventure; d'autres lui sont favorables comme Bonchamps et surtout le prince de Talmont qui, ds le 17 octobre, a tabli une tte de pont Varades. En fait c'est la panique qui a provoqu un mouvement impossible contenir.

    Commence alors, sous la houlette du jeune Henri de La Rochejaquelein, ce que les insurgs ont baptis eux-mmes la vire de galerne (7). On pourrait dire que la Vende n'est plus dans la Vende, puisque les pisodes majeurs de cette dernire phase de la guerre se droulent hors du territoire insurg. Ce serait oublier que celui-ci n'est pas vierge de combattants. Comme souvent, Charette a fait cavalier seul la tte de ses marachins. S'il avait particip la victoire de Torfou, il n'tait pas prsent dans le combat dcisif de Cholet, prfrant marcher vers l'ouest et occuper Noir-

    (5) R. Dupuy, De la Rvolution la Chouannerie, Paris, Flammarion, 1988, chap. VIII, p. 277. (6) Cl. Petitfrre, Les Vendens de l'Anjou (1793), C.T.H.S., Paris, B.N., 1981, p. 285. (7) La galerne, dans le patois local, c'est le nord.

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    moutier. Dans l'autre camp, le gnral Haxo reste au sud de la Loire pour le combattre.

    La vire de Galerne prsente plusieurs caractres dominants. D'abord ce n'est pas un affrontement entre deux armes. Comme cela s'est pass Cholet, mais une traque, celle que les soldats de la Rpublique mnent contre une foule disparate d'hommes jeunes, mais aussi de vieillards, de prtres, de femmes, d'enfants, dans laquelle les individus aptes au combat ne constituent vraisemblablement pas la majorit. Ds le dpart, les bleus ont entam une course-poursuite. Ils ont franchi le fleuve Nantes et aux Ponts-de-C avec vingt-quatre heures de retard, et rejoignent les Vendens du ct de Laval, mais ils sont battus Entrammes les 26 et 27 octobre. Cela montre bien que la dfaite n'est pas le lot invitable des blancs mme dans cette phase de reflux de l'insurrection. Ils remporteront d'ailleurs d'autres succs : par exemple, au retour de Gran- ville, ils russiront encore culbuter les rpublicains dans le triangle Dol- Pontorson-Entrain lors d'une srie de batailles acharnes, du 18 au 22 novembre.

    Autre caractre de cette vire de Galerne , elle n'obit pas une stratgie limpide. Si l'on en suit l'itinraire aller sur une carte, on est frapp par son trac en baonnette. Cela doit quelque chose l'incertitude sur le but final que la division des chefs fait planer jusqu'au bout (8). Mais l'itinraire est aussi dtermin par la gographie des villes. Comme ce fut toujours le cas pendant la premire guerre de Vende, elles restent l'objectif court terme, mme si les raisons politiques essentielles dans les dbuts de l'insurrection (dtruire les administrations et se venger des bourgeois qui soutenaient le nouveau rgime) (9) ont cd le pas des considrations plus prosaques : trouver du ravitaillement, des armes et des munitions que seules les agglomrations assez importantes peuvent fournir une aussi grande foule.

    Il a fallu aux Vendens presque un mois pour atteindre les ctes de la Manche. C'est en effet le 14 novembre que La Rochejaquelein se prsente devant Granville, la tte de quelque vingt-cinq mille combattants. Mais derrire ses hautes murailles bien dfendues, la cit se rvle imprenable sans matriel de sige et comme aucune voile anglaise ne se montre l'horizon, les blancs se replient vers Avranches.

    Des deux motivations initiales de la vire de Galerne , celle qui visait faciliter un dbarquement d'ventuels allis est totalement rate.

    (8) A Laval, le 2 novembre, le conseil de guerre hsite entre trois solutions : marcher sur Paris, aller droit vers la Normandie, ou se retourner vers la Bretagne. Le 5, pouss par Talmont et influenc par deux migrs de retour d'Angleterre, il dcide de se diriger vers Granville, ce qui n'empchera pas Stofflet d'entraner, trois jours plus tard, son avant-garde jusqu'aux alentours de Rennes.

    (9) Cl. Petitfrre, Les Vendens d'Anjou, op. cit., pp. 282-284.

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    A priori, on pourrait en dire autant de l'autre car l'arme catholique et royale ne s'est pas renforce de faon dcisive de contingents bretons. Pourtant c'est bien son passage ou plutt l'chec de la forme massive de lutte qu'elle reprsentait qui a suscit, de faon durable au nord de la Loire, l'eclosion de la chouannerie, une forme de guerre diffrente faite de coups de main oprs par une poigne d'hommes (10).

    L'chec de Granville a un effet psychologique dsastreux sur le gros des insurgs qui, depuis quelque temps dj, souponnaient leurs chefs de n'avoir en vue que leur salut personnel. Ils exigent qu'on les ramne au pays. C'est donc le reflux vers la Loire dans des conditions bien plus difficiles qu' l'aller parce qu'on emprunte le mme itinraire, ce qui rend le ravitaillement problmatique. D'ailleurs on s'enfonce dans la mauvaise saison : le froid, la pluie, la dysenterie vont dcimer la foule.

    Les chefs sont toujours diviss sur la marche suivre. Le 23 novembre, lors d'un conseil de guerre tenu Entrain, La Rochejaquelein propose de marcher sur Rennes pour se renforcer des chouans bretons, Stofflet plaide pour le retour au pays, tandis que Talmont prtend recommencer l'assaut de Granville. C'est finalement ce parti surprenant qui l'emporte, mais la masse des Vendens refuse de marcher. Par Laval et La Flche, on se dirige donc vers Angers, cl de la Loire. Mais cette fois la ville se dfend et se rvle imprenable (3-4 dcembre). Ce nouvel chec dsoriente totalement les exils : la route du pays coupe, quel but peuvent-ils avoir sinon tenter de survivre ? Il faut manger et se reposer. Pour cela on cherche une ville assez grande. Les blancs pris au pige tournent en rond au sens strict du terme. Ils refluent vers le nord et par Baug il retournent La Flche alors qu'on les attend Saumur, Tours, ou mme Blois, et ils se jettent le 10 dcembre dans Le Mans. Pendant ce temps les armes des ctes de Cherbourg, de Brest, de l'Ouest se concentrent. Le 12, Westermann et Marceau pntrent dans la capitale du Maine o s'engage un gigantesque combat de rues qui se termine le lendemain par l'crasement total des Vendens. Il n'y a plus d'arme catholique et royale. Ses dbris cherchent dsesprment un passage le long de la Loire : par Laval, on arrive Ancenis o, le 16 dcembre, quelque mille deux cents personnes peuvent gagner la rive sud, avec La Rochejaquelein et Stofflet. Mais le gros de la troupe est rattrap par les bleus de Westermann tandis que des canonnires venues de Nantes empchent de poursuivre la traverse. L'on fuit dsesprment vers l'ouest et on se retrouve pig du ct de Savenay. Le 23 dcembre c'est l'halali et le dernier acte de la grande guerre , une boucherie horrible de l'aveu mme de Westermann (11).

    Dsormais, partir de nivse an II, la rpression prend le pas sur les oprations militaires.

    (10) R. Dupuy, op. cit., pp. 315-319. (11) Campagne de la Vende, du gnral de brigade Westermann..., s.l. an II, p. 41.

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    II convient d'abord de dfinir ce que j'entends par rpression. Rprimer une insurrection c'est en arrter le cours par des moyens violents. Mon propos exclura donc les assassinats ou les massacres perptrs par les insurgs pour ne retenir que ceux dont ils ont t les victimes (12). Ceci prcis, je suis conscient qu'il y a quelque artifice sparer comme je le fais ici oprations militaires et rpression. La guerre tout entire est rpressive. On n'avancerait pas beaucoup en restreignant le propos l'action militaire violente contre les lments non combattants de la population : dans toute guerre intestine, distinguer soldats et civils a quelque chose d'arbitraire et de fallacieux (13). En dfinitive, on s'entendra ici pour appeler rpresser toute action violente commise par les rpublicains en dehors des engagements rciproques, c'est--dire en l'absence de combats ou aprs ceux-ci.

    De cette premire rflexion dcoule une seconde : la rpression n'a pas succd la guerre. A l'intrieur mme du territoire insurg, les bleus n'ont pas attendu l'crasement militaire de l'arme catholique au Mans puis Savenay pour svir durement rencontre de la population. Des discours la Convention, des textes lgislatifs semblaient d'ailleurs, sinon fonder la rpression, du moins l'autoriser. Ainsi le dcret du 1er aot 1793 vot sur le rapport de Barre qui dcide d'appliquer la Vende la politique de la terre brle (14) mais dont l'article VIII paraissait exclure les reprsailles l'gard des civils puisqu'il prcisait : Les femmes, les

    (12) On peut estimer d'ailleurs que la plupart d'entre eux, l'exemple de Machecoul est significatif, ont eu lieu au dbut de l'insurrection, en tout cas bien avant la phase de dclin sur laquelle nous concentrons notre attention. Ce n'est pourtant pas tout fait exact : c'est ainsi qu'aprs avoir pris Noirmoutier, le 12 octobre, l'arme de Charette y aurait procd des excutions massives qui auraient fait prs de 800 victimes, selon Ch.-L. Chassin, La Vende patriote, 1793-1800, Paris, Paul Dupont, 1893-1895, t. III, p. 78.

    (13) D'ailleurs bien des rpublicains ont utilis l'argument pour justifier leurs exactions. Ainsi Momoro, commissaire auprs des armes, dans son rapport la Convention du 13 octobre 1793 : On peut donc considrer comme ennemie toute la population du pays, y compris les femmes [...]. Ou encore le reprsentant Carrier, crivant de Nantes au Comit de salut public, le 21 frimaire an II (11 dcembre 1793) : ... il est bon que vous sachiez que ce sont les femmes qui avec les prtres ont foment et soutenu la guerre de la Vende, que ce sont elles qui ont fait fusiller nos malheureux prisonniers, qui en ont gorg beaucoup, qui combattent avec les Brigands et qui tuent impitoyablement nos volontaires quand elles en rencontrent quelques-uns dtachs dans nos villages... (S. H. A. T., B57, Rapport sur l'tat politique et la situation actuelle de la Vende [...] par A. F. Momoro, administrateur et membre du Directoire du Dpartement de Paris... La lettre de Carrier figure aussi dans cette liasse.) Turreau n'a pas manqu de reprendre l'antienne dans ses Mmoires pour servir l'histoire de la guerre de la Vende; par Louis- Marie Turreau [...] dtenu dans la maison du Plessis..., an III, pp. 45 et 79-80.

    (14) Article VI : II sera envoy par le ministre de la Guerre des matires combustibles de toutes espces, pour incendier les bois, les taillis et les gents. Article VII : Les forts seront abattues, les repaires des rebelles seront dtruits, les rcoltes seront coupes par les compagnies d'ouvriers {dont l'article IV prvoyait d'acclrer l'organisation en choisissant leurs membres "dans les communes les plus patriotes"), pour tre portes sur les derrires de l'arme et les bestiaux seront saisis. Cl. Petitfrre, La Vende et les Vendens, op. cit., pp. 38-39.

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    enfants et les vieillards seront conduits dans l'intrieur, il sera pourvu leur subsistance, leur sret avec tous les gards dus l'humanit [...].

    II est certain qu'un grand nombre d'exactions ont t commises contre des non-combattants ds l't et l'automne de 1793. Des preuves en existent, qui ne sont pas suspectes car elles manent d'autorits rpublicaines et sont contemporaines des vnements, ce qui exclut toute possibilit de falsification postrieure au 9 thermidor dans le but de charger les anciens terroristes . Par exemple cette adresse la Convention date de Fontenay-le-Peuple le 19 septembre 1793, dans laquelle les administrateurs composants le Conseil Gnral du district de la Chateigneraie (sic) rfugis au chef-lieu du dpartement , dnoncent la conduite qu'on tenus les armes de la rpublique pendant leurs der sjour sur le territoire de notre district : un pillage sans exemple, les proprits violes, des maisons richement ornes, des grains considrables et des fourages en quantit livres aux fimes, des femmes et des filles sacrifies la brutalit des soldats . Les autorits accusent les troupes de Chalbos, entres le 14 septembre La Chtaigneraie, de s'tre livres tous les excs sans aucune considration , prenant pour cible le patriote comme l'aristocrate (15).

    L'exode outre-Loire de la plupart des Vendens aptes porter les armes permit aux bleus rests au sud du fleuve de quadriller le bocage et d'y multiplier incendies et massacres, bien avant Savenay. Certains officiers ou politiques au service de la Rpublique se sont mme vants, ds les lendemains de Cholet, d'avoir extermin la Vende, au sens physique du terme. C'est le cas des reprsentants Louis Turreau (cousin du gnral), Choudieu, Francastel et Bourbotte crivant le 21 octobre : La Convention nationale a voulu que la guerre de Vende ft termine avant la fin d'octobre, et nous pouvons lui dire aujourd'hui qu'// n'existe plus de Vende. [...] car l'exception de Cholet, de Saint-Florent et de quelques petits bourgs, o le nombre des patriotes excdait de beaucoup celui des antirvolutionnaires, nous n'avons laiss derrire nous que des cendres et des monceaux de cadavres. Lchelle, le gnral en chef, dcrivait quant lui la Vende fumante de sang, jonche de cadavres, livre en grande partie aux flammes , tandis qu'un simple sergent, du nom de Guitet, affirmait dans une lettre sa famille touttes les maisons sont brles, celles des patriotes comme celles des aristocrates (16). Il y a dans ces dclarations pas mal d'exagration et de forfanterie. Il n'en est pas moins vrai que toutes sortes de violences furent commises par la troupe rpublicaine ds l'automne de 1793 dans le pays abandonn par ses dfenseurs.

    (15) A.D. Vende L 578. (16) Cl. Petitfrre, Les Vendens d'Anjou, op. cit., p. 304 (soulign dans le texte).

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    J'avais cit dans ma thse, ainsi que dans La Vende et les Vendens, quelques passages du Livret journalier et mmoratif du citoyen Graviche, brigadier de la gendarmerie de la Corrze qui se passent de commentaires. Par exemple Jallais le 5 dcembre, les soldats ont pass hommes et femmes au fil de l'pe ou fusilier pour avoir attir des volontaires dans un traquenard et les avoir fait gorger, le 13 eut lieu un massacre de femmes et enfants , Saint-Laurent-de-la-Plaine, le 29 ont t fusills plusieurs citoyens (sic) pris chez les rebelles du ct de Maulvrier , le 31 c'est une battue dans les gnets, les taillis dans les environs du May et Jallais. Beaucoup de rebelles furent tus dans cette chasse . Enfin, Graviche, la date du 1er janvier 1794, fait tat d'un ordre de tuer tout paisan et autres qui ne seront pas porteurs d'un certificat de leur municipalit, vis de celle de Cholet (17).

    Mais, dans les derniers mois de 1793, les victimes les plus nombreuses furent celles qui succombrent lors de la vire de Galerne aprs les dernires dfaites vendennes. Bnaben, un ancien confrre (professeur lac) au collge de l'oratoire d'Angers, nomm commissaire du dpartement du Maine-et-Loire auprs des armes, fait la relation de ces massacres avec un humour macabre. Ainsi, aprs la prise du Mans : Jy fus tesmoing de toutes les horreurs, que peut prsenter une ville prise d'assaut. Les soldats s'tant rpandus dans les maisons, et en ayant retirs les femmes et les filles des brigands qui n'avaient pas eu le temps d'en sortir et de prendre la fuitte, les emmenaient dans les places ou dans les rues, o elles taient entasses et gorges sur le champ ; coups de fusils, coups de bayon- nettes ; ou coups de sabre. II affirme que la population civile des environs du Mans participa la tuerie : Les paysants de la contre avaient fait une battue gnralle dans les bois, et dans les fermes et en avaient plus massacr, que nous n'en avions tu nous-mmes. J'en aperus sur le bord du chemin quatre ou cinq lieues du Mans, une centaine, qui taient tous nuds et entasss les uns sur les autres peu prs comme des cochons qu'on aurait voulu saler (18). Le mme Bnaben se flicite dans une lettre du 6 nivse an II (26 dcembre 1793) des moyens expditifs employs Nantes par Carrier c'est--dire la fusillade (ce qu'on appelait envoyer l'ambulance ) et la noyade : On met tous ces coquins-l dans les batteaux qu'on fait couler ensuite fond. On appelle cela envoyer au chteau d'eau. En vrit si les Brigands se sont plaint quelque fois de mourir de faim, ils ne pourront pas se plaindre au moins qu'on les fasse mourir de soif. On en a fait boire aujourd'hui environ douze cens (19).

    (17) Cl. Petitfrre, Les Vendens d'Anjou, op. cit., p. 300 et La Vende et les Vendens, op. cit., pp. 60-61.

    (18) A.D. M & L 867. Rapport du citoyen Bnabin (sic), commissaire du Dpartement de Maine-et- Loire, prs des armes destines combattre les Rebelles de la Vende.

    (19) A.D. M & L 1 L 866. Soulign dans le texte.

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    Si certaines tueries furent perptres par les soldats sans autre forme de procs, d'autres furent le fait des commissions militaires aux jugements expditifs. Bnaben rapporte que plus de mille deux cents brigands qui s'taient rendus Savenay ont t excuts. Westerman en a fait fuziller quatre cens environ. Les autres l'ont t par les ordres de la commission militaire attache l'arme. II ajoute : Je puis vous assurer cette dernire circonstance, puisque j'ai t charg moi-mme de prparer leur logement Savenai, en attendant le jugement qui devait nous en dlivrer (20). Les massacres de prisonniers s'talent de dcembre 1793 mars 1794. La plupart sont ordonns par le tribunal rvolutionnaire de Nantes stimul par Carrier, et les commissions militaires de Nantes et Angers. Les moyens sont connus : la guillotine et surtout la noyade Nantes mais aussi aux Ponts-de-C, et les fusillades massives, par exemple celles des carrires de Gigant Nantes, du Port-de-1' Ancre, de Sainte-Gemme, des Ponts-de-C et de La Haye-aux-Bonshommes dans les environs d'Angers.

    Cependant les plus clbres des massacres n'ont pas touch des prisonniers, mais des habitants du territoire insurg rests ou rentrs au pays. Ce sont eux qui ont t commis par les colonnes infernales de Turreau. Nomm gnral en chef en Vende le 27 novembre 1793, il ne prit son commandement que le 29 dcembre et c'est le 17 janvier 1794 qu'il rdigea l'ordre de marche de ses troupes divises en six divisions de deux colonnes chacune. Le plan de Turreau nous est connu par une copie, certifie conforme, de l'exemplaire de ses ordres remis au gnral Cordellier (21). Mais on en saisit aussi l'esprit par quelques autres pices, comme l'ordre sign par le gnral Huche, commandant la division de Luon, au capitaine La Martinire qui tait la tte du bataillon de la Vienne, dat du 8 germinal an II (28 mars 1794). Huche crit son subordonn : avant de partir des villages il les fera incendier sans rserve avec tous les bourgs, hameaux, maitairies qui en dpandent ; il satachera spcialement dmolir et brler les fours et moulins et sous sa responsabilit individuelle, au surplus, nous nous en raportons son dvouement la Chose (sic), il fera exterminer sans rserve tous les individus de tout age et de tout sexe, qui sera (sic) convaincu d'avoir particip la guerre de la Vende ou tout autre rvolte attentatoire la libert... Malgr tout, il recommande de faire filer sur Luon les patriotes et de protger le plus qu'il sera possible l'vacuation de leurs meubles et effets (22). On y voit que le plan de Turreau tait conforme l'esprit du dcret du 1er aot 1793, mais il en dpassait les termes puisqu'il n'tait plus question d'pargner femmes et enfants.

    (20) A.D. M & L 1 L 866. Lettre aux administrateurs du dpartement de Maine-et-Loire date du 3 nivse an II (23 dcembre 1793), le jour mme de la bataille, dix heures du soir .

    (21) P. Leclercq, Turreau en Vende : tactique et violence , Guerre et rpression. La Vende et le monde. Actes du colloque tenu Cholet en avril 1993, Nantes, Ouest ditions, 1993, pp. 75-83.

    (22) Mdiathque BM Nantes, col. Dugast Matifeux, 1" srie, 8e volume, pice 104 (autographe).

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    Sans vouloir minimiser le moins du monde la responsabilit de Turreau, il me parat vident qu'il n'est pas le seul devoir la supporter. Il semble que par trois fois le gnral ait sollicit l'accord du Comit de salut public. Qu'il n'ait pas obtenu de rponse, dit bien l'embarras du pouvoir mais il n'a pas reu d'ordre contraire... Incontestablement, Turreau n'tait pas le seul partisan d'une politique radicale . Les reprsentants en mission l'taient tout autant, non seulement Carrier mais Hentz et Francastel qui, depuis Angers, le 24 ventse an II (14 mars 1794) invitaient dans une lettre au conseil gnral de Fontenay-le-Peuple les bons citoyens fuir le pays insurg o, crivaient-ils, il faudra tout tuer et brler (23).

    Bien qu'il y et encore des exactions, voire des massacres isols aprs la suspension de Turreau, son dpart, en mai 1794, marque la fin des tueries sur une grande chelle (24).

    * * *

    Depuis une dizaine d'annes, l'historiographie de la Vende, qui s'tait intresse surtout aux causes de l'insurrection dans la priode prcdente (25), s'est focalise sur les horreurs de la guerre et de la rpression. Cette historiographie continue d'tre largement polmique mais alors que nagure le combat dressait les rudits locaux contre les universitaires , il s'est install cette fois au sein mme de VAlma Mater. L'actualit commemorative fournissant l'occasion, on s'est lanc la tte des chiffres de victimes, on s'est battu par livres, colloques, articles interposs, pour un mot qualificatif de l'horreur : gnocide , massacres , tactique du dgt (26).

    Les faits que je viens de rappeler sont reconnus par tous. Alors pourquoi tant de vigueur dans le dbat et que nous a-t-il appris? Concernant la comptabilit mortuaire, rien de bien prcis. Les chiffres les plus divers

    (23) Mdiathque BM Nantes, col. Dug. M lrc srie, vol. 8, pice 85 copie). Les reprsentants voquent ici leur arrt du 2 de ce mois (20 fvrier) ordonnant aux rfugis des pays rvolts des dpartements de l'Ouest de s'loigner au moins vingt lieues du thtre de la guerre [Cl. Petitfrre et Myriam Masse, Les rfugis de la "Vende" Angers (1793) , Rpubliques et Rpublicains d'Anjou, Actes du Colloque d'Angers-Cholet 15-17 octobre 1992, ABPO, 1992, pp. 371-381].

    (24) Turreau fut suspendu de ses fonctions par le Comit de salut public le 13 mai 1794. Pour J.- Cl. Martin, la disgrce de Turreau est une suite logique de la liquidation des Hbertistes dont il tait l'agent ( Turreau, criminel de guerre , L'Histoire, n 176, avril 1994, pp. 86-87).

    (25) Voir le Rappel historiographique de l'introduction de mes Vendens d'Anjou (1793), op. cit., pp. 43-68.

    (26) On aura une bonne ide de ce dbat en se reportant aux articles de Franois Lebrun dans L'Histoire ( La guerre de Vende : massacre ou gnocide? n 78, mai 1985, pp. 93-99. La guerre de Vende : massacre ou gnocide? (suite et fin) , n 81, septembre 1985, pp. 99-101, ainsi qu'au dossier Vende : les crimes des colonnes infernales , publi dans la mme revue, n 176, avril 1994, pp. 84-93, avec une prsentation de F. Lebrun et des articles de J.-Cl. Martin (art. cit.), P. Leclerc, Une guerre ordinaire et A. Grard, La Rvolution a extermin la Vende ). Voir aussi la bonne mise au point de Cl. Langlois, La Rvolution malade de la Vende , Vingtime sicle, n 14, avril-juin 1987, pp. 63-78.

  • 182 CLAUDE PETITFRRE

    ont t avancs. En 1983, dans la prface de La jeunesse de Thermidor, une des deux ditions de la thse de Franois Gendron, Pierre Chaunu crivait que la Terreur a entran environ 400000 morts , parmi lesquels ceux du gnocide franco-franais de l'Ouest catholique (27). L'anne suivante dans L'historien dans tous ses tats, il parlait de 5 600000 meurtres dans les seules provinces occidentales (28). Reynald Scher aboutit pourtant dans une de ses thses, prface elle aussi par Pierre Chaunu, un chiffre nettement en retrait, pour la seule Vende militaire il est vrai : 117000 (29). Franois Lebrun propose d'valuer 150000 les victimes originaires des quatre dpartements insurgs (30). Jacques Dup- quier estime que le nombre des morts provoqus directement ou indirectement par les guerres de l'Ouest n'a pu tre infrieur 200000 ni suprieur 300000 (31). Jean-Clment Martin parle de 220000 250000 personnes disparues pendant l'ensemble des guerres de Vende, sans compter les soldats rpublicains, mais il souligne le flou des chiffres et la ncessit de s'entendre, pralablement toute tude, sur son objet prcis (32). En fait le bilan rel est impossible faute de sources fiables (33).

    Dans les deux dernires annes, la controverse s'est porte sur un pisode emblmatique de l'histoire de la rpression, le massacre des Lucs- sur-Boulogne. La tradition provendenne affirme, sur la foi d'un martyro- logue tabli par un contemporain des vnements, le cur Barbedette, que 564 personnes dont 107 enfants auraient t massacres le 28 fvrier 1794. Mais cette liste n'a t rvle que dans les annes 1860 par un successeur de Barbedette, le cur Jean Bart. En 1992, un livre de Jean-Clment Martin et Xavier Lardire reprenait le dossier et concluait que le massacre tait une reconstruction postrieure aux vnements, la concentration en une seule journe d'excutions chelonnes en fait sur plusieurs mois. Mais la polmique n'est sans doute pas close (34).

    (27) F. Gendron, La jeunesse de Thermidor, 1983, p. 22. (28) P. Chaunu, L'historien dans tous ses tats, Paris, 1984, p. 10. (29) R. Scher, Le gnocide franco- franais. La Vende- Venge, Paris, PUF, 1986, p. 300. (30) F. Lebrun, La guerre de Vende : massacre ou gncide? art. cit. (31) J. Dupquier, art. Population/Dmographie , dans A. Soboul, Dictionnaire historique de

    la Rvolution franaise, Paris, PUF, 1989. (32) J.-Cl. Martin, Est-il possible de compter les morts de la Vende? , RHMC, 1991,

    pp. 105-121. (33) C'est ce que j'avais crit en 1981 dans La Vende et les Vendens, p. 62 et ce qui ressort des

    travaux de F. Lebrun et J.-Cl. Martin. L'expression un bilan impossible a d'ailleurs t retenue comme sous-titre de l'article de F. Lebrun, La guerre de Vende : massacre ou gnocide? L'Histoire n 78, mai 1985, pp. 93-99.

    (34) J.-Cl. Martin et X. Lardire, Le Massacre des Lues, Vende 1794, 1992. Plus critique encore est le livre de P. Tallonneau, Les Lues et le gnocide venden. Comment a-t-on manipul les textes, Luon, Hcate, 1993.

    L.-M, Clnet, pourtant plutt favorable aux Vendens, parat accepter la thse de J.-Cl. Martin et X. Lardire dans Les colonnes infernales, Paris, Perrin, 1993, p. 213. Par contre, A. Grard ne semble pas convaincu (L'Histoire, n 176, art. cit.). Enfin P. Marambaud, analysant quatre listes de population des Lues, de 1787 1806, conclut prudemment pour l'instant [...] elles n'apportent rien qui remette en cause l'essentiel des faits admis jusqu'ici ( Recensements administratifs et listes de population : la validit des sources , La Vende dans l'histoire, Paris, Perrin, 1994, pp. 358-364. Soulign dans le texte).

  • LA VENDE : DFAITE ET RPRESSION 183

    Ces dbats ne sont pas sans intrt scientifique : ils ont pos nombre de questions mthodologiques. Mais quant aux rsultats, on est en droit de les juger quelque peu dcevants, aprs une telle dpense d'nergie. Et si l'on se dplace du terrain de l'histoire celui de la morale, que la guerre de Vende ait fait 1 17000 ou plus de 200000 morts, que ces victimes soient bleues ou blanches , que les habitants des Lues aient t tus en un seul jour ou en un an ne change rien l'affaire. Peut-on sans indcence fixer un seuil l'horreur?

    Donner un nom au meurtre gnralis me parat aussi une proccupation secondaire pour la vrit historique. Sans doute Franois Lebrun ou Jean-Clment Martin ont eu raison de rcuser le mot de gnocide , car il ne convient ni la ralit des faits, ni la smantique. De gnocide, il n'y eut, heureusement, point puisque la population vendenne put se refaire assez vite au XIXe sicle (35). D'ailleurs, l'vidence, les habitants de ces contres, sangs mls comme tous les Franais voire tous les hommes qui peuplent la terre, ne sauraient constituer une race. Quant faire de la Rvolution l'inventeur du genre, c'est une triste plaisanterie qui ne pourrait convaincre que des gens vierges de toute connaissance du pass. L'histoire n'avait malheureusement pas attendu 1793 pour fourmiller de massacres visant exterminer toute une catgorie d'individus. Rappelons-nous seulement les guerres de religion pour rester en France et l'poque dite moderne.

    Il est vrai que nous manquons de mots pour dsigner ce rve atroce que, faute de mieux, j'avais qualifi moi-mme, et tort d'un point de vue smantique je le reconnais, de volont de gnocide (36), ce rve qu'un certain nombre de responsables de la Rpublique, civils et militaires, ont formul d'en finir une fois pour toutes avec cette population dcidment incurable. Lorsque Santerre crit dans un billet griffonn en hte, le 22 juillet 1793, au ministre de la Guerre Bouchotte, qu'il faudrait enlever les grains, les fourages, couper les leurs, enfin tout ce que l'art peut indiquer ; des pluies de vitriol, des fumes empoisonantes, soporatives et tomber dessus , lorsque quatre mois plus tard, alors que la guerre est pourtant en passe d'tre gagne, Westermann demande au Comit de salut public qu'on envoie aux rebelles, pour les achever, six livres d'arsenic dans une voiture d'eau-de-vie (37), surtout lorsque les reprsentants en mission

    (35) Le Bocage rcupre a tel point que, si l'on compare 1791 1821, rien ne parat s'tre pass , crit A. Grard, Pourquoi la Vende?, p. 221. Cf. les travaux de P. Arches, Les consquences dmographiques de la guerre de Vende dans le nord des Deux-Svres , Actes du IIIe Congrs nat. des Soc. sav., Poitiers, 1986, Hist. mod. et cont., 1. 1, fasc. 2, pp. 211-229, et Les consquences dmographiques de la guerre de Vende dans l'arrondissement de Parthenay et dans les cantons de La Chapelle-Thireuil et de Champdeniers (1790-1836), Actes du 112e Congrs nat. des Soc. sav., Lyon, 1987, Hist. mod. et cont., t. III, pp. 47-62.

    (36) Cl. Petitfrre, La Vende et les Vendens, op. cit., p. 62. (37) Successivement SHAT, B56 et B57, 27 novembre 1793.

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    Hentz et Francastel en viennent dire qu'ils ont la conviction que la guerre de la Vende ne finira que quand il n'y aura plus un habitant dans cette terre malheureuse (38), ne sent-on point planer la tentation d'une solution radicale pour ne pas dire finale ? Comment expliquer cela? {expliquer, faut-il le prciser n'tant pas justifier). Sans parler de la cruaut incontestable de certains, le dsir de vengeance nourri des exactions et des tueries perptres par les insurgs eux-mmes, l'exaspration devant l'opinitret de la rsistance, l'habitude de l'horreur, cet entranement de la guerre qui fait presque fatalement de l'homme civilis un barbare, mais aussi l'intolrance associe au mpris des plus humbles, la rage d'avoir raison, d'tre les seuls possder la vrit, me paraissent des lments suffisants qu'on a pas de mal modeliser partir de nombre d'pisodes de l'histoire immdiate et de l'actualit la plus brlante.

    La faon d'appeler les choses ne change rien leur ralit. Alors pourquoi se battre pour une question de vocabulaire ? C'est que, bien sr, les mots ne sont pas innocents surtout l'anachronique gnocide par sa triple charge historique, affective et symbolique. Tout se passe comme si la bataille n'avait point pour objet la reconstruction des faits anciens, ou leur intelligence, mais la dfense d'une philosophie, d'une idologie, le service de l'historien et de ses certitudes en quelque sorte, plus que celle de l'histoire. Le propos semble vident dans cette phrase de Pierre Chaunu : la drive jacobine n'apparat plus aujourd'hui que comme le premier acte, l'vnement fondateur d'une srie longue et sanglante, qui va de 1792 nos jours, du gnocide franco-franais de l'Ouest catholique au goulag sovitique, aux destructions de la rvolution culturelle chinoise et l'auto- gnocide khmers rouges au Cambodge [...] (39).

    On voit sans peine o l'on veut en venir. En portant condamnation, au plan de la morale, de la Premire Rpublique, de la Rvolution dans son ensemble, voire des Lumires considres comme un bloc homogne (40), il s'agit de discrditer tous ceux qui, de prs ou de loin, se sont rclams des principes de 89, c'est--dire les gens de gauche de cette fin du XXe sicle. Il faut dire que la gauche , si on la prend de faon rductrice comme un tout, a tendu les verges en revendiquant une filiation exclusive l'gard de 89 et surtout de 93 et de l'an II. Il semble parfois qu'elle ait du mal assumer l'hritage et, jusqu' une poque rcente du moins, elle a souvent donn l'impression d'tre effarouche par les nombres et par les mots, comme si elle se sentait vaguement responsable des vnements douloureux du pass. Pourtant n'y a-t-il pas quelque

    (38) Mdiathque, BM Nantes, coll. Dugast-Matifeux, lre srie, vol. 8, pice 85. (39) P. Chaunu, prface au livre de F. Gendron, op. cit., p. 8. (40) J. de Viguerie place pour l'essentiel dans la philosophie des Lumires l'origine de la logique

    de l'extermination rvolutionnaire, dans La Vende et les Lumires : les origines intellectuelles de l'extermination , La Vende dans l'histoire, op. cit., pp. 36-51.

  • LA VENDE : DFAITE ET RPRESSION 185

    paradoxe prsenter la gauche comme l'unique descendante de la Rvolution? Les droites d'aujourd'hui, si l'on en excepte l'extrme, ne seraient-elles pas mieux fondes revendiquer l'hritage du libralisme thoris par les Lumires et mis en uvre par la Rvolution?

    Pierre Chaunu a crit qu'il a toujours t du ct des historiens [...] qui avouent en toute simplicit la grille idologique qu'ils utilisent dans l'ultime mise en place de leurs rsultats (41). C'est ennuyeux pour ceux qui s'efforcent de ne pas avoir de grille idologique pralable. Je n'ai pas la navet de croire qu'on puisse atteindre une histoire objective comme le pensent beaucoup de nos tudiants. Je sais que l'histoire se nourrit de la substance mme de celui qui l'crit, mais je pense que le sachant, il est aussi du devoir de l'historien de se mfier de lui- mme, d'pouser pour un temps la subjectivit de ceux qu'il choisit comme objet de son tude afin d'essayer de les comprendre et de les expliquer. Voil pourquoi je me suis largement tenu l'cart d'un dbat que j'estime avoir dpass les bornes du mtier d'historien .

    Claude Petitfrre Universit de Tours

    (41) P. Chaunu, L'historien..., op. cit., p. 12.

    InformationsInformations sur Claude PetitfrreCet article cite :Petitfrre Claude, Masse Myriam. Les rfugis de la Vende Angers (1793). In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 99, numro 4, 1992. Rpubliques & rpublicains d'Anjou. pp. 371-381.Langlois Claude. La rvolution malade de la Vende. In: Vingtime Sicle. Revue d'histoire. N14, avril-juin 1987. pp. 63-78.

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