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www.histoire.presse.fr 3:HIKLSE=WU[WUX:?k@d@r@h@a; M 01842 - 377 - F: 6,20 E La grande mode des tables tournantes 1912 : feu sur les Balkans La colonisation grecque en procès MOYEN AGE : LA DÉMOCRATIE AU COUVENT LA VENDÉE Enquête sur les crimes de la Révolution MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 9,99 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,80 TND ISSN 01822411

La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

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A partir de 1789, la France se divise entre "patriotes" et "contre-révolutionnaires". En Vendée, es affrontements tournent à la guerre civile. Quelles ont été les responsabilités de Robespierre et du Comité de salut public ?

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Page 1: La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

www.histoire.presse.fr3:HIKLSE=WU[WUX:?k@d@r@h@a;

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La grande modedes tables tournantes1912 : feu sur les Balkans

La colonisation grecque en procès

MOYEN AGE : LA DÉMOCRATIE AU COUVENT

La colonisation

LA VENDÉEEnquête sur les crimes de la Révolution

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’SOMMAIRE

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’ACTUALITÉon en parle20 La vie de l’édition - L’homme en vue - En tournage

portrait 22 Marc Dugain : dans la tête des monstres Par Daniel Bermond

cinéma 24 Un pur amour à trois Par Antoine de Baecque

jeux olympiques 26 Croisière olympique Par Hervé Duchêne

27 New French History Par Antoine de Baecque

livres 28 La France selon Lucien Febvre Par Daniel Bermond

29 Agenda : les rencontres du mois

expositions 30 1917, année terrible Par Juliette Rigondet

31 La fabrique de l’info Par Bruno Calvès

concordance des temps 32 Contre l’esclavage, le droit d’ingérence ! Par Olivier Grenouilleau

33 Internet : les sites du mois

bande dessinée 34 Nanterre, son bidonville Par Pascal Ory

médias 36 Bir Hakeim, l’honneur de la France libre Par Olivier Thomas

37 Wahid Gordji : duel entre Chirac et Mitterrand

’FEUILLETONles grandes heures de la presse86 Ce que Wikileaks a changé Par Jean-Noël Jeanneney

’GUIDEla revue des revues88 Europe brune - La guerre de plumes - Mère de sultan

les livres90 « L’État de justice, France, xiiie-xxe siècle » de Jacques Krynen Par Michel Porret

91 La sélection du mois

le classique96 « Racines du Brésil » de Sergio Buarque de Holanda Par Yves Saint-Geours

’CARTE BLANCHE98 « Métronome » dites-vous ?Par Pierre Assouline

COUVERTURE : Portrait du général Henri Duverger comte de La Rochejacquelein par le baron Pierre-Narcisse Guérin (Cholet, musée d’Art et d’Histoire ; RMN-GP/Gérard Blot).

RETROUVEZ PAGE 38 LES RENCONTRES DE L’HISTOIRE

ABONNEZ-VOUS PAGE 97Ce numéro comporte deux encarts jetés : L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’ÉVÉNEMENT 8 Moyen Age : la démocratie au couvent Par Jacques Dalarun Le Moyen Age fut un temps d’innovation en matière de démocratie. Le cas de Grandmont est exemplaire. Contrepoints : Gilles Kepel et Paul Thibaud

www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°377-JUIN 2012

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’DOSSIER PAGE 40

VENDÉEEnquête sur

les crimes de la Révolution

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’RECHERCHE64 La colonisation grecque en débat Par Hervé Duchêne Plutôt que de « colonisation » il faut sans doute parler de « diasporas » pour rendre compte de la mobilité des anciens Grecs en Méditerranée.

72 1912 : feu sur les Balkans Par Jean-Jacques Becker et Catherine Durandin

En octobre 1912, les petites nations balkaniques attaquaient l’Empire ottoman. A bien des égards, les guerres balkaniques préfi gurent la Première Guerre mondiale.

80 La grande mode des tables tournantes Par Guillaume Cuchet La « danse des tables », dans les années 1850, est un des premiers américanismes de la culture européenne. Et un révélateur d’histoire culturelle.

Le dernier vendredi de chaque mois à 9 h 05 « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire (cf. p. 80)

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42 La guerre civile la plus meurtrière Par Olivier Coquard44 La Vendée est née de la guerre !

48 Robespierre est-il responsable ? Entretien avec Patrice Gueni� ey

50 Procès Carrier : quand le vent tourne

52 « Ni génocide ni mémoricide » Entretien avec Jean-Clément Martin 55 Les Basques et les Lyonnais aussi 56 Reynald Secher, le vengeur 58 Hervé de Charette, le Vendéen de la République Par Pierre Assouline

46 Chronologie

61 Pour en savoir plus

Page 4: La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

’ÉVÉNEMENT FONTEVRAUD

L’ H I S T O I R E N ° 3 7 7 J U I N 2 0 1 28

Le Moyen Age occidental est d’ordinaire considéré comme une sorte de trou

noir de la démocratie. Certes, on ne manquera pas de citer telle ou telle assemblée nordique des hommes libres, le régime com-munal qui se développe avec la renaissance urbaine du xiie siècle ou le début du parlementarisme an-glais avec la Grande Charte, concédée par Jean sans Terre aux barons en 1215. Mais, dans la sphère ci-vile, ces tentatives limitées ne pèsent guère face à la suprématie du principe dynastique : partiellement entravé dans l’Empire germanique par le pouvoir électif des grands seigneurs, il s’a� rme sans amba-ges dans les monarchies et, par le biais de la féoda-lisation, s’insinue jusqu’aux plus infi mes détenteurs d’une parcelle de la puissance publique.

Le problème se posait tout autrement dans la sphère religieuse. Sans doute les atermoiements sur le célibat des prêtres laissèrent-ils se constituer de modestes lignages cléricaux. Sans doute le né-potisme joua-t-il fréquemment un rôle dans la pro-motion des évêques, des abbés ou des papes. Mais, globalement, la chasteté à laquelle l’appareil ecclé-sial était tenu rendait par principe impossible une transmission des charges par le simple jeu de la fi -liation biologique. Il fallut inventer.

L’exemple venait de l’Église primitive. Pour remplacer Judas au sein du collège des apôtres, deux candidats avaient été présentés : Joseph, ap-pelé Barsabbas, et Matthias. « En priant, ils dirent : “Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre lequel tu as élu de ces deux-là pour assumer ce minis-tère et cet apostolat dont Judas s’est détourné pour aller en son lieu.” Ils tirèrent au sort ; et le sort tomba

Moyen Age : la démocratie au

couvent Par Jacques Dalarun

Tirage au sort ou vote à la majorité, vote par tête ou vote par ordre : les procédures d’élection sont variées, on l’oublie parfois. Le Moyen Age fut en la matière un temps d’invention. Aux XIe et XIIe siècles, alors que l’Église s’émancipait des puissances laïques, il fallut mettre au point des systèmes d’élection en son sein, à tous les niveaux. Le cas de l’ordre de Grandmont, dans le Limousin, est sans doute l’une des expériences les plus originales. Qu’est-ce que la démocratie ? Quel est le sens de l’élection ? Ces questions seront aussi au cœur du débat qui réunira le 23 juin à Fontevraud Jacques Dalarun, Gilles Kepel et Paul Thibaud sur le thème « La démocratie, une invention permanente » (cf. p. 38).

L’AUTEURJacques Dalarun est directeur de recherche au CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes). Il a renouvelé l’étude du Moyen Age par son approche originale des ordres religieux et de la vie monastique. Il vient de publier Gouverner, c’est servir. Essai de démocratie médiévale (Alma éditeur).

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Comment élire abbés, prieurs, évêques et pape ?

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L’ H I S T O I R E N ° 3 7 7 M A I 2 0 1 29

Étienne de Muret, fondateur de l’ordre de Grandmont, apparaît à son disciple Hugues de Lacerta (plaque de l’autel majeur de l’abbaye de Grandmont, cuivre émaillé et doré, fi n du XIIe siècle).

Page 6: La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

’DOSSIER vendée

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 7 j u i N 2 0 1 2 42

La « guerre de Vendée » – en fait une formule créée par la Convention1 pour donner une unité à des révoltes disparates – se concen-

tre entre mars 1793 (l’affaire de Machecoul) et mars 1796 (l’exécution de Charette par les répu-blicains). Cette durée montre déjà qu’il s’agit bien d’une des plus graves guerres civiles de l’histoire française. elle est l’une des plus longues et sans doute l’une des plus meurtrières.tout l’ouest de la France, du Poitou à la Normandie, est affecté par le cycle confrontation/répression entre « Blancs » (royalistes) et « Bleus » (républicains). Comme beaucoup de guerres civiles, elle s’inscrit dans un contexte d’affrontement international : la jeune république française est alors en conflit contre l’europe des princes coalisée.

Pour caractériser les trois années les plus in-tenses de la confrontation, 1793-1796, mieux vaut parler d’une succession de conflits que d’une seule et même guerre. Certains, très localisés, s’inscri-vent dans la tradition des soulèvements paysans, analysés par Yves-Marie Bercé et jean Nicolas2. Mais, pour l’essentiel, il s’agit véritablement d’épi-sodes guerriers : des armées se font face, des ba-tailles rangées ont lieu ; des villes sont assiégées ; les parcours des troupes sont liés à des considéra-tions stratégiques ; des états-majors se coordon-nent en prenant en compte l’ensemble des don-nées diplomatiques et militaires du moment. Côté

vendéen, l’espoir d’une aide anglaise persiste tan-dis que, côté républicain, on attend l’intervention des généraux venus de toute la France (des fronts du Nord et de l’est, de Paris, etc.). une guerre donc, avec tous ses prolongements, surtout après 1794 : diplomatie, propagande, espionnage et souffrance des populations civiles.

Deux arméesLa guerre civile oppose les Blancs de l’« armée

catholique et royale » et les Bleus de l’armée répu-blicaine, même si les contours des deux belligé-rants sont parfois flous. Les buts poursuivis par cha-que camp sont divers et évoluent dans le temps. La revendication royaliste des Vendéens n’est pas par-tout formulée clairement ; elle se précise à partir de mars 1793, mais sans souhait de retour à la so-ciété d’ordres ni renoncement aux terres obtenues depuis 1790 à la suite de la vente des biens natio-naux. Côté républicain, la motivation des premiers combattants est d’abord l’autodéfense ; ce n’est qu’à partir de mars 1793 que la Convention érige la guerre en Vendée comme le symbole de la lutte de la république contre les « tyrans ». La Vendée devient alors le symbole de la Contre-révolution.

Chez les uns comme chez les autres, nombreux sont aussi les conflits internes déchirant les états-majors et les troupes. Les unités sont souvent inex-périmentées : soldats sans-culottes indisciplinés et

La guerre civile la plus

meurtrière juste après l’avènement de la république, Bleus et Blancs,

révolutionnaires et contre-révolutionnaires s’opposent en Vendée. Ce sont bientôt deux armées qui sont aux prises.

récit de trois ans de combats, de revirements, de massacres.

Par Olivier Coquard

l’auteurOlivier Coquard est professeur d’histoire en lettres supérieures au lycée Henri-IV à Paris. Spécialiste des Lumières et de la Révolution française, il a publié Jean-Paul marat (Fayard, 1993).

Le conflit vendéen est une véritable guerre, avec tous ses prolongements : diplomatie, propagande et souffrance des populations civiles

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L’ H i s t o i r e N ° 3 7 7 j u i N 2 0 1 2 43

paysans vendéens sont, en 1793, des combattants volontaires. Le général républicain jean Antoine rossignol est un artisan orfè-vre du faubourg saint-Antoine et le royaliste généralissime jacques Cathelineau un colpor-teur. inexpérimentés mais béné-ficiant du nombre, les Vendéens peuvent prendre Cholet et Angers en juin 1793. Mais, dès que l’armée républicaine s’organise, elle triomphe de paysans plus nombreux que ses sol-dats. A Luçon, le 14 août 1793, 35 000 Vendéens sont dispersés par 6 000 Bleus.

Par ailleurs, la frontière séparant le civil du soldat est difficile à tracer pour les Vendéens, même si un très solide noyau de professionnels (déserteurs, anciens soldats) les encadre. Les sol-dats républicains, eux, se professionnalisent iné-galement au cours de la période. La propagande dénonce de part et d’autre les « brigands », mais les responsables militaires, eux, sont convaincus dès le mois de mai 1793 d’avoir en face d’eux une « vraie » armée.

Le printemps vendéenA partir du printemps 1793, des émeutes spo-

radiques se transforment en rébellion militaire, structurée et efficace. La période du 10 mars au 17 juin est celle des principaux succès ven-déens. Pour faire face aux besoins de la guerre aux frontières (les échecs se succédant sur le front nord), la Convention avait décrété, le 24 février,

une levée de 300 000 soldats. Partout en France, des paysans refusant de partir se soulèvent. ils sont écrasés. en Vendée, ces émeutes sont victorieuses à Beauvoir, saint-Florent et sur-tout Machecoul. Dans cette pe-tite bourgade située à une ving-taine de kilomètres au sud-ouest

de Nantes, à partir du 11 mars 1793, au moins 160 membres de la garde nationale chargés du recrutement sont décimés d’une façon qui rap-pelle les massacres de septembre 1792 à Paris3. Partout, les républicains refluent.

en quelques semaines, les Vendéens se dotent de chefs militaires : des nobles comme le comte Henri de La rochejaquelein, d’anciens soldats comme jean-Nicolas stofflet ou encore des me-neurs d’hommes charismatiques comme jacques Cathelineau. ils prennent rapidement Cholet, Parthenay, saumur, Angers (le 17 juin), faute de vrais défenseurs. Certains généraux tentent de freiner la violence des vainqueurs, comme Charles Artus de Bonchamps ou Maurice d’elbée (à plu-sieurs reprises, les vaincus sont libérés après avoir été tondus afin de pouvoir être reconnus) ; d’autres se distinguent par leur cruauté, comme Gaspard de Bernard de Marigny (qui massacre lui-même plusieurs dizaines de républicains vaincus, après la bataille de Châtillon le 5 juillet 1793).

toutefois, les faiblesses de l’armée vendéenne se révèlent bien vite. outre le peu d’expérience des combattants (pourtant encadrés par des

notes1. Assemblée constituante élue le 2 septembre 1792 qui combine le pouvoir législatif et exécutif. elle reste en place jusqu’à l’établissement du Directoire en 1795.2. Y.-M. Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France, du xvie au xixe siècle, Gallimard-julliard, 1974 ; j. Nicolas, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, seuil, 2002.

Des batailles sans pitiéAyant vaincu les Vendéens au Mans le 13 décembre 1793, les soldats républicains font la chasse aux survivants (tableau de Jean Sorieul, 1852, Le Mans, musée de Tessé).

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Les Vendéens se dotent vite de chefs militaires : nobles, anciens soldats, meneurs charismatiques

Page 8: La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

’recherche diasporas grecques

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 7 j u i N 2 0 1 2 64

La colonisation grecque en débat Les Grecs se seraient établis en Méditerranée comme des grenouilles autour d’une mare… Voire. on parle aujourd’hui plus volontiers de

« diasporas » que de colonisation pour rendre compte de leur mobilité.

Par Hervé Duchêne

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Décryptageen 1992, Hervé Duchêne publie La Stèle du port, une inscription d’époque archaïque qui éclaire d’un jour nouveau le fonctionnement d’une cité coloniale : thasos, au nord de la mer Égée. Vingt ans après, il s’interroge sur le monde des diasporas grecques tel que le décrivent les historiens anglo-saxons. car leurs travaux, nourris par les découvertes archéologiques, sont en rupture avec la vision de la Méditerranée développée par fernand Braudel. ces chercheurs remettent en question l’idée même de colonisation. cette conquête de territoires par un groupe dominant aux dépens de populations indigènes serait une illusion forgée au siècle de Périclès.

Page 9: La Vendée : enquête sur les crimes de la Révolution

L’ H I S T O I R E N ° 3 7 7 J U I N 2 0 1 265

Longtemps, les historiens de la Méditerranée grecque eurent la tâche facile. Ils l’envisageaient sous l’an-

gle de la colonisation : ce phénomène qui avait transformé en trois siècles, du viiie au ve avant notre ère – ce qu’on appelle la pé-riode archaïque –, une mer en un lac. Les Grecs s’y trouvaient établis, selon la for-mule de Platon dans le Phédon, comme les grenouilles autour d’une mare. Alexandre et ses successeurs renouaient avec cette dynamique en colonisant l’Orient et les confi ns du monde habité. Rome brisait cet élan en soumettant les royaumes hellénis-tiques. Le colonisateur fi nissait colonisé.

Ce cadre a volé en éclats sous l’e� et de la situation contemporaine. Les socié-tés européennes ont perdu leurs empires et le mot « colonisation », appliqué aux mondes anciens, a été frappé de suspicion tant il traduit mal le terme d’apoikia, qui désigne en grec le groupe de ceux qui sont partis loin de chez eux pour s’installer ailleurs. Il fait l’impasse sur la diversité des formes de mo-bilité que connaissent tout au long de leur his-toire les cités grecques.

COMME UNE GRAINE AU VENTL’expression de « diasporas » (au pluriel,

pour éviter la confusion avec la Diaspora juive) paraît préférable. Le mot est grec ; il est issu d’un verbe qui signifie « répandre », « disperser », puis « semer ». Cette métaphore de la graine jetée au vent rend compte de mouvements qui fu-rent aussi bien des entreprises collecti-ves que des aventures individuelles aux conclusions diverses : création de cités ou agrégation à des communautés in-digènes. Mais, le plus souvent, il n’y eut qu’une simple cohabitation, comme en témoigne l’activité des marchands, des mercenaires et des artisans grecs.

Cette relecture, nourrie par les dé-bats contemporains sur l’identité et la supposée supériorité des Grecs sur les Barbares, s’impose avec d’autant plus de force que les objets ont pris le pas sur les textes. La multiplication des découvertes archéologiques de-puis un demi-siècle impose, par leur nombre ou leur caractère spectacu-laire, de réexaminer les sources lit-téraires. Trouvée dans la nécropole de Pithécusses – l’île d’Ischia, dans le golfe de Campanie –, une coupe rhodienne datée des années 720 av. J.-C. porte une inscription évoquant Nestor, Aphrodite et les plaisirs du banquet. C’est une allusion au mer-veilleux objet en or que possède le roi de Pylos et que décrit un passage du

chant XI de l’Iliade. Mais surtout, c’est la preuve de la di� usion dès le viiie siè-cle av. J.-C. des poèmes homériques dans la Méditerranée occidentale.

Deux navires grecs, découverts place Jules-Verne à Marseille et datables du vie siècle av. J.-C., ont bouleversé nos connaissances sur la navigation archaï-que. L’un est un bateau léger de moins de 10 mètres qui fut notamment utilisé pour la pêche au corail. Les di� éren-tes parties de sa coque furent cousues au moyen de ligatures végétales. Doté d’une voile carrée, l’autre navire, long de 15 mètres, large de 3 mètres, est un bâti-ment de commerce. Ayant une capacité de 12 tonnes, il a navigué durant toute la seconde moitié du vie siècle av. J.-C. Il té-moigne de l’évolution de la construction navale phocéenne et du passage d’une

technique d’assemblage par ligatures à une tech-nique par tenons et mortaises.

Abondantes, les données de terrain ne se conci-lient pas toujours avec des textes peu nombreux et parfois contradictoires. Comment expliquer l’écart

entre les dates fournies par Thucydide sur les fondations grecques archaïques et celles

que révèle l’exploration des sites antiques d’Italie du Sud et de Sicile ? La chrono-logie que propose le livre VI de l’Histoire

de la guerre du Péloponnèse est dans l’en-semble plus basse, de près d’un quart de

siècle, que celle fournie par les céra-miques exhumées par les fouilles.

Si Thucydide place la fondation de Syracuse en 733 av. J.-C., la chronique du marbre de Paros la

situe en 750. Et l’on retrouve aussi un écart de plusieurs années entre

la date de fondation de Sélinonte re-tenue par Diodore de Sicile (651 av.

J.-C.) et celle donnée par Thucydide (628/627 av. J.-C.). Faut-il en conclure que l’un parle de l’installation des pre-miers Grecs et l’autre de la naissance d’une véritable cité ?

Thucydide laisse penser d’autre part qu’il y aurait eu occupation, dans un premier temps, par les Phéniciens de toutes les côtes de la Sicile. Ce qui n’est pas prouvé par le matériel archéologique. Faut-il considérer que les textes, trompeurs, sont autant de justifi cations idéologi-ques, élaborées après coup, pour légi-timer une domination ?

On ne peut plus se satisfaire, pour penser les mobilités grecques dans le monde méditerranéen, du modèle défi ni par Fernand Braudel dans sa thèse sur Philippe II d’Espagne, pu-bliée en 1946, et développé, en l’ap-pliquant au monde antique, dans l’ensemble posthume des Mémoires de la Méditerranée. Cette histoire, ins-

Page de gauche : la côte aux environs de Naples, au voisinage de l’île d’Ischia, où les Grecs, qui s’y installèrent vers 770 av. J.-C., vivaient en bonne entente avec les populations indigènes.Au centre : l’Éphèbe de Motyé (Mozia, en Sicile). Son vêtement, avec sa ceinture haute, n’a rien de grec : il ne s’agit donc pas d’un aurige (conducteur de char) comme on le pense souvent, mais peut-être d’un Carthaginois sculpté par un Grec.

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L’AUTEURHervé Duchêne est professeur à l’université de Bourgogne. Ancien membre de l’École française d’Athènes, il a notamment publié Études classiques et transmission des savoirs (Éditions universitaires de Dijon, 2010).

fondations grecques archaïques et celles que révèle l’exploration des sites antiques d’Italie du Sud et de Sicile ? La chrono-logie que propose le livre VI de l’

de la guerre du Péloponnèsesemble plus basse, de près d’un quart de

siècle, que celle fournie par les céra-miques exhumées par les fouilles.

situe en 750. Et l’on retrouve aussi un écart de plusieurs années entre

la date de fondation de Sélinonte re-tenue par Diodore de Sicile (651 av.

J.-C.) et celle donnée par Thucydide (628/627 av. J.-C.). Faut-il en conclure que l’un parle de l’installation des pre-miers Grecs et l’autre de la naissance d’une véritable cité ?

Thucydide laisse penser d’autre part qu’il y aurait eu occupation, dans un premier temps, par les Phéniciens de toutes les côtes de la Sicile. Ce qui n’est pas prouvé par le matériel archéologique. Faut-il considérer que les textes, trompeurs, sont autant de justifi cations idéologi-ques, élaborées après coup, pour légi-timer une domination ?

On ne peut plus se satisfaire, pour penser les mobilités grecques dans le monde méditerranéen, du modèle défi ni par Fernand Braudel dans sa thèse sur Philippe II d’Espagne, pu-bliée en 1946, et développé, en l’ap-pliquant au monde antique, dans l’ensemble posthume des de la Méditerranée

bilité que connaissent tout au long de leur his- fondations grecques archaïques et celles bilité que connaissent tout au long de leur his-

COMME UNE GRAINE AU VENTL’expression de « diasporas » (au pluriel,

pour éviter la confusion avec la

métaphore de la graine jetée au vent rend compte de mouvements qui fu-rent aussi bien des entreprises collecti-ves que des aventures individuelles aux conclusions diverses : création de cités ou agrégation à des communautés in-digènes. Mais, le plus souvent, il n’y eut qu’une simple cohabitation, comme en témoigne l’activité des marchands, des

Cette relecture, nourrie par les dé-bats contemporains sur l’identité et la supposée supériorité des Grecs sur les Barbares, s’impose avec d’autant plus de force que les objets ont pris le pas sur les textes. La multiplication des découvertes archéologiques de-puis un demi-siècle impose, par leur nombre ou leur caractère spectacu-laire, de réexaminer les sources lit-

Trouvée dans la nécropole de Pithécusses – l’île d’Ischia, dans le golfe de Campanie –, une coupe rhodienne datée des années 720 av. J.-C. porte une inscription évoquant Nestor, Aphrodite et les plaisirs du banquet. C’est une allusion au mer-veilleux objet en or que possède le roi de Pylos et que décrit un passage du

fondations grecques archaïques et celles que révèle l’exploration des sites antiques d’Italie du Sud et de Sicile ? La chrono-logie que propose le livre VI de l’

de la guerre du Péloponnèsesemble plus basse, de près d’un quart de

siècle, que celle fournie par les céra-miques exhumées par les fouilles.

situe en 750. Et l’on retrouve aussi un écart de plusieurs années entre

la date de fondation de Sélinonte re-tenue par Diodore de Sicile (651 av.

J.-C.) et celle donnée par Thucydide (628/627 av. J.-C.). Faut-il en conclure que l’un parle de l’installation des pre-miers Grecs et l’autre de la naissance d’une véritable cité ?

part qu’il y aurait eu occupation, dans un premier temps, par les Phéniciens de toutes les côtes de la Sicile. Ce qui n’est pas prouvé par le matériel archéologique. Faut-il considérer que les textes, trompeurs, sont autant de justifi cations idéologi-ques, élaborées après coup, pour légi-timer une domination ?

On ne peut plus se satisfaire, pour penser les mobilités grecques dans le monde méditerranéen, du modèle défi ni par Fernand Braudel dans sa thèse sur Philippe II d’Espagne, pu-bliée en 1946, et développé, en l’ap-pliquant au monde antique, dans l’ensemble posthume des de la MéditerranéeS

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’RECHERCHE TABLES TOURNANTES

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Les Français ont baptisé « danse des tables » ce que

les Américains avaient appelé plus prosaï-quement « table mo-ving » et les Allemands « Tischrücken », à savoir l’extraordinaire phéno-mène de mode suscité à partir de mars 1853 en Europe par l’arrivée dans le port de Brême, en Allemagne, des « tables tournantes » en prove-nance d’Amérique.

Rares sont les cor-respondances ou les journaux de l’époque qui n’en fi rent pas leurs gros titres : « L’Europe est tout occupée à faire tourner les tables », ré-sume la Civilta catto-lica, l’organe o� cieux du Saint-Siège, en mai 18531. Il faut attendre les dé-buts de la guerre de Crimée en mars 18542 pour que la vague retombe et que la « question d’Orient » supplante vraiment la « question des tables » dans l’opinion. Mais, bien loin de dis-

paraître, le phénomène s’est enraciné dans les an-nées suivantes, surtout en France où il a constitué, tout au long du Second Empire, sous le nom de « spiritisme », un véritable phénomène de société.

Il s’agit de l’une des premières modes universelles, rendue possible grâce à la révolution des transports et des commu-nications – les chemins de fer, la naviga-tion transatlantique, le télégraphe élec-trique viennent de faire leur apparition –, mais aussi d’un des premiers américanis-mes de la culture européenne.

UNE CURIOSITÉ YANKEETout a commencé par la lettre d’un jour-naliste allemand publiée dans la Gazette d’Augsbourg en mars 1853, décrivant la fré-nésie qui s’était emparée des habitants de Brême depuis l’arrivée, par le dernier va-peur de New York, d’une correspondance privée décrivant en détail la pratique des « tables tournantes ». Avec Hambourg, la ville était le grand port d’émigration euro-péenne vers les États-Unis, à une époque où les Allemands franchissaient l’Atlanti-que par centaines de milliers chaque an-née. La nouvelle, accréditée par la répu-tation de sérieux de l’auteur et du journal, s’est répandue comme une traînée de pou-dre en Allemagne et en Autriche, avant de

gagner le reste de l’Europe. Le mouvement était né cinq ans plus tôt, en

1848, aux États-Unis, dans l’ouest de l’État de New York, autour des sœurs Fox (cf. ci-contre). Il y avait pris des proportions considérables, notamment chez les populations blanches et protestantes du Nord-Est et du Middle West. « C’est une hallucina-tion de presque tout un peuple, écrivait un corres-pondant français à l’été 1852. Les sœurs Fox circu-lent et répandent la révélation nouvelle des spiritual rappings [“bruits de l’au-delà”]3. »

La grande mode des tables

tournantesDans les années 1850, ils furent des milliers en Europe à faire

tourner les tables et parler les esprits. Un phénomène de mode qui est aussi un des premiers américanismes de la culture européenne.

Par Guillaume Cuchet

DécryptageGuillaume Cuchet travaille sur l’histoire religieuse et culturelle des xixe et xxe siècles et vient d’achever un ouvrage sur le spiritisme à paraître cet automne (au Seuil). Son intérêt pour les tables tournantes est né de la thèse qu’il a soutenue en 2002 sur le culte du purgatoire au xixe siècle. Il y montrait notamment que si le clergé avait, au milieu du siècle, encouragé la « relance » de la dévotion, c’était en partie pour occuper le créneau a� ectif et religieux sur lequel prospérait le spiritisme. A partir d’archives publiques et religieuses, françaises et romaines, et de l’immense littérature spirite et antispirite de l’époque, Guillaume Cuchet, dépassant l’anecdote, analyse en historien du culturel une vogue qui en dit long sur les mentalités du xixe siècle.

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L’AUTEURMembre de l’Institut universitaire de France et maître de conférences à l’université Lille-III, Guillaume Cuchet a notamment publié Le Crépuscule du purgatoire (Armand Colin, 2005). Son livre Les Voix d’outre-tombe. Tables tournantes, spiritisme et société au xixe siècle va paraître à l’automne aux éditions du Seuil.

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A cette date, cependant, personne n’imagi-nait que le phénomène pût débarquer un jour en Europe et encore moins y prospérer. Dans la presse européenne, il apparaissait comme une curiosité « yankee » et le dernier en date des produits de la « fabrique religieuse » américaine, plus ou moins confondu avec les mormons, apparus peu de temps auparavant dans la même région.

Un événement a facilité le transfert : la di� u-sion, à partir de 1851-1852, de la pratique du « ta-ble moving » qui tend à l’emporter sur les premières manifestations du phénomène, davantage liées au folklore des maisons hantées. En donnant au spiri-tisme l’apparence innocente d’un exercice de phy-sique récréative dans la tradition du xviiie siècle à une époque où la vogue du magnétisme animal4

battait son plein, le « table moving » lui a permis de franchir l’Atlantique plus aisément. Les premiers « médiums » américains débarqués en Europe vers 1852, en Angleterre surtout, sont loin d’avoir ren-contré le même succès et s’il avait fallu se conten-ter de cette fi lière, les choses ne seraient probable-ment pas allées bien loin.

UN FLUIDE MYSTÉRIEUXLe passage par la table tournante a permis au

contraire de désaméricaniser et, pour les popula-tions catholiques, de déprotestantiser le phénomène. Moyennant quoi la France, où l’engouement pour les tables a été considérable, a contribué à le réex-porter dans bon nombre de pays de culture catholi-que, notamment au Québec et en Amérique du Sud.

Le principe de base, même s’il a donné lieu à un grand nombre de variantes, consistait à se met-tre autour d’une table en alternant les hommes

« La Fluidomanie. A quoi sont occupés présentement les di� érents peuples de la Terre », caricature de Daumier publiée dans Le Charivari du 22 juin 1853. Cette année-là, les tables tournantes débarquent en Europe. L’incroyable succès qu’elles y rencontrent restait à expliquer.

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Vendredi 8 juin à 9 h 05,

dans l’émission

« La Fabrique de l’histoire »

d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Guillaume

Cuchet pour la séquence « L’atelier du chercheur » et découvrez les dessous

du travail de l’historien.

En partenariat avec L’Histoire.

TOUT COMMENCE À HYDESVILLELes sœurs Fox (photo) résidaient depuis quelques mois à Hydesville, dans l’État de New York, lorsqu’en 1848 les deux cadettes, Kate et Maggie, entrèrent en contact avec l’esprit qui hantait leur maison au moyen d’une sorte d’alphabet frappé. Avec leur sœur aînée, Leah, elles se lancèrent en 1851 dans des tournées de propagande dans tout le pays, avec le soutien de l’infl uent patron du New York Tribune. En 1888, Maggie révéla que toute cette a� aire n’était qu’une plaisanterie, avant de revenir l’année suivante sur ses déclarations. G. C.