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LA ENGEANCE DE L’ORIGNAL DORIC GERMAIN V Prise deparole ROMAN Extrait de la publication

La vengeance de l’orignal… · 2013. 10. 31. · LA VENGEANCE DE L’ORIGNAL La nature du Nord est sauvage, mais elle estjuste. DORIC GERMAIN Après avoir abattu illégalement

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INLa nature du Nord est sauvage, mais elle estjuste. Après avoir abattu illégalement un orignal enle poursuivant à l'hélicoptère, trois chasseursdécouvrent de l’or dans le lit de la rivièrePitopiko. Ils entreprennent de l’extraire.Mais la nature réserve ses richesses à ceuxqui la respectent. La chasse au trésor de-viendra bientôt une lutte dramatique pourla survie.Le rythme des aventures, le langage simpleet évocateur, ont fait de ce roman-jeunesseun best-seller.

D ORIC GERMAIN est un grand amateur de chasse et de pêcheet un amant inconditionnel de la nature. Il a publié cinq romans,

dont Défenses légitimes (prix des lecteurs Radio-Canada) etLa Vengeance de l’orignal, paru initialement en 1980.

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Du même auteur

RomansDéfenses légitimes, Ottawa, Le Nordir, 2003.Le soleil se lève au Nord, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1997 [1991].Poison, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2001 [1985].La Trappeur du Kabi, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1993 [1981].

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Doric Germain

La vengeance de l'orignal

Roman

Prise de paroleSudbury

Nouvelle édition 1995

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Données de catalogage avant publication (Canada)Germain, Doric, 1946- La vengeance de l'orignal

Nouv. éd.ISBN 2-89423-049-7

I. Titre

PS8563.E675V45 1995 C843’.54 C95-931134-3PQ3919.2.G47V47 1995

En distribution au Québec : Diffusion Prologue 1650, boul. Lionel-Bertrand Boisbriand (Qc) J7H 1N7 (514) 434-0306

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (Programme d’appui au langues officielles et Programme d’aide au développement de l’industrie de l'édition) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

Conception de la couverture : Olivier Lasser.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Imprimé au Canada.Copyright © Ottawa, 1995 et 1980Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R

ISBN 0-929814-27-1, 1re éditionRéimpression 2007ISBN 2-89423-049-7 ISBN 978-2-89423-352-8 (Numérique)

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À tous les gens du Nord et en particulier aux adolescents, afin qu’ils sachent bien que leur pays est l’un des derniers où il arrive encore que

l’homme se retrouve seul face à la grande Nature avec ses charmes, ses capri-ces et ses périls, et qu’ils en gardent fierté et amour avec le profond désir de la

préserver intacte et d’en respecter les lois.

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Première partie La chasse

Les chasseurs étaient d’humeur joviale. Il avait neigé la veille au soir et une partie de la nuit. Les orignaux seraient faciles à repérer dans toute cette blancheur, et les pistes faciles à suivre. L’hélicoptère qui les transportait du lac Carey vers l’intérieur des terres ronronnait comme un gros chat. Il faisait chaud dans l’appareil, habillés comme ils l’étaient, et le paysage enneigé se déployait sous eux comme un immense film en cinémascope. On était au chaud, il avait neigé, le spectacle était magnifique. La chasse s’annonçait bien.

Il y avait à bord ce jour-là, James D. Collins de Boston et Philip Daggett, son beau-frère, de Détroit. Le pilote

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de l’hélicoptère était Roger Lavoie, aussi connu sous le sobriquet de « Frisé ». L’appareil appartenait à la Carey Lake Outfitters, petite compagnie spécialisée dans le ser-vice des touristes, chasseurs et pêcheurs et qui possédait trois petits avions biplaces et un hélicoptère.

C’était le 11 novembre, il ne restait plus que quatre jours de chasse avant la fin de la saison et les deux Amé-ricains désespéraient de voir enfin un orignal. Ils étaient au Canada depuis une semaine ; ils avaient dépensé une petite fortune en permis, équipement, guides. Ils avaient parcouru des dizaines de kilomètres à pied, en canot, en jeep et n’avaient toujours rien vu. Pourtant, le dépliant de l’Office du tourisme leur promettait presque un orignal. Aujourd’hui, ils avaient donc décidé de prendre les grands moyens : cinq cents dollars pour louer un hélicoptère pen-dant huit heures. Mais cette fois, le résultat était presque assuré. Bien sûr, la chasse en hélicoptère n’est pas tout à fait légale, même pas du tout légale, mais pour rentrer à Boston ou à Détroit avec un énorme panache et des his-toires à faire frémir ces dames et verdir d’envie les copains, ils auraient risqué la potence ou la chaise électrique. Après tout, ils ne risquaient que l’amende.

Ce matin-là, le temps était beau, froid mais ensoleillé. Sur les coteaux, les sapins chargés de neige se mêlaient aux trembles et aux bouleaux squelettiques. Aux abords d’un lac ou d’un marécage, les épinettes à l’aspect chétif

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et les cèdres aux mille contorsions reprenaient possession du terrain. Puis soudain, toute végétation cessait et c’était l’étendue blanche d’un lac, coupée parfois d’un chenal encore dégagé serpentant en son milieu. Ailleurs, c’était un marécage fangeux camouflé sous une couche de neige trompeuse, un de ces endroits où ne croissent que des aulnes, des mousses ou des lichens, où les hommes enfoncent à mi-cuisses et que les gens d’ici appellent « muskeg » ou « swamp ». C’est cette région sauvage, pleine d’embûches, cette végétation tour à tour riche et pauvre, ces conifères omniprésents qu’on a appelés la « taïga1 ».

L’hélicoptère décrivait de grands cercles d’une dizaine de kilomètres de diamètre. Pourquoi s’éloigner trop alors que les chances de voir du gibier sont aussi bonnes à une distance raisonnable des endroits habités, peut-être meilleures selon certains ? En effet, il est bien connu que la présence de civilisation tient éloignés les loups, ennemis séculaires de l’orignal. Il n’est pas impossible que, placé devant le choix de partager son territoire avec l’homme ou avec le loup, l’orignal préfère le voisinage de l’homme.

Toujours est-il que l’appareil volait en cercles con-centriques sans cesse plus petits, comme s’il rabattait sa proie vers l’intérieur jusqu’à n’avoir plus qu’à la cueillir au centre. 1. « Muskeg » est un terme d'origine indienne, « swamp » est d'origine anglaise et « taïga » vient du russe. Ces mots montrent bien la diversité d'origines ethniques des habitants du Nord de l'Ontario.

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Il devait être neuf heures trente ou neuf heures quarante-cinq quand l’hélicoptère fit un brusque écart. Le corps tendu vers l’avant, les yeux brillants d’anticipation, Roger Lavoie pointa du doigt une tache sombre, encore assez éloignée, qui se déplaçait sur la neige. Ses deux passagers n’entendirent pas ses paroles, couvertes par le bruit du moteur, mais ses lèvres formèrent le mot « orignal ». L’appareil mit le cap sur l’animal qu’il ne tarda pas à rejoindre. C’était un mâle, assez vieux semblait-il, à en juger par le superbe panache qu’il arborait. Troublée dans son sommeil, la bête s’était mise à courir, cherchant le couvert d’un bosquet de sapins denses. Le pilote fit prendre plus d’altitude à son appareil et lui fit décrire un arc destiné à couper le chemin à l’orignal sans toutefois le faire changer de direction. En moins de quelques minutes, l’hélicoptère se posait dans une clairière, derrière le bosquet où l’animal avait, vraisemblablement, trouvé refuge. Les chasseurs sautèrent de l’appareil en vitesse, carabines en main. Lavoie chuchota ses directives à grands renforts de gestes. L’un des hommes se dirigea aussitôt vers la gauche, l’autre vers la droite. Lui-même resta immobile pendant une dizaine de minutes, attendant que ses clients aient gagné les postes qu’il leur avait assignés. Puis, lentement, avec d’infinies précautions, il écarta les branches des premiers sapins et pénétra dans le bosquet. Pendant les quelques instants qui suivirent,

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tout fut silencieux. Lavoie n’entendait que le bruit feutré de ses bottes sur la neige et les coups sourds de l’afflux de sang que les battements de son cœur faisaient monter à ses tempes.

Au milieu du bosquet, la bête était aux aguets. Les pattes écartées, la tête haute et le museau pointé vers l’avant, elle ne bougeait pas d’un poil. Elle savait le danger proche et son instinct lui dictait sa conduite : son salut dépendait pour le moment de son immobilité la plus complète. Lorsqu’elle se saurait repérée, son comportement changerait du tout au tout. Ce serait alors une course effrénée où sa seule chance résiderait dans sa rapidité. Elle ne craindrait plus alors de faire du bruit ou de se laisser voir : elle foncerait droit devant elle à la vitesse d’une locomotive et dans un fracas de branches brisées. Pour l’instant, elle humait l’air, l’oreille tendue. Elle avait déjà identifié dans le vent du nord-ouest l’odeur de l’homme. Elle entendait aussi, venant de l’est, le bruit des pas et le frottement des branches contre ses vêtements que, malgré sa prudence, le pilote ne pouvait manquer de faire. Elle avait arrêté son choix. Lorsque le moment serait venu, elle partirait à toute allure vers le sud-ouest. Ce qu’elle ne savait pas, et ne pouvait savoir à cause du vent, c’est qu’au sud du bosquet, James Collins, armé d’une Winchester .308 à levier, l’attendait de pied ferme.

Collins s’impatientait. Il y avait déjà au moins une

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demi-heure qu’il était là, aussi immobile qu’un poteau de corde à linge. Il faisait froid et les pieds commençaient à lui geler en dépit de ses bottes de cuir. Peut-être l’ori-gnal n’était-il pas dans le bosquet ? Après tout, on l’avait perdu de vue pendant quelques minutes avant d’atterrir. L’animal avait très bien pu changer sa course et revenir sur ses pas quand il avait su sa route coupée. Collins se prit à penser à ses vacances de l’année précédente, prises en mars sur les plages ensoleillées de la Floride. Il n’aurait jamais dû se laisser entraîner dans cette aventure et ce pays sauvage par son beau-frère.

C’est alors qu’il commençait à ne plus s’y attendre que Collins entendit soudain venir l’orignal. C’était comme si on avait tout à coup lâché un taureau sauvage dans le bosquet. En vingt secondes, la bête apparaissait à sa gauche. Il demeura la bouche ouverte et le fusil à bout de bras pendant un instant, frappé de la stupeur bien connue des chasseurs qui ne croient pas vraiment qu’ils verront une proie et qui, tout à coup, sont confrontés à cette éventualité. Puis, tout fut l’affaire de quelques secondes. Trois coups de feu. La bête s’effondra. Il courut vers sa victime. Un quatrième. Le silence retomba, troublé sou-dain par un long cri de victoire, le même que, peut-être, les ancêtres de l’homme faisaient déjà retentir il y a des millénaires, quand leur proie s’abattait.

Il n’avait pas encore eu le temps de se ressaisir et les

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frissons lui parcouraient encore l’épine dorsale par vagues, que déjà, les autres arrivaient.

« Félicitations, vieille branche.— C’est un gros.— Attends que Barry voit ce panache-là sur ma che-

minée. Il va en crever de jalousie !— Bossu, va ! »

C’était l’euphorie. Autant la forêt avait été silencieuse, autant elle fusait maintenant de cris de joie et de félicita-tions. Pendant les minutes qui suivirent, ce ne furent que tapes dans le dos, plaisanteries et rires. Oubliés les plages de Floride et le froid, les heures de marche, d’avironnage et la dépense.

Puis, on se mit au travail. Le pilote partit chercher l’hélicoptère qu’il atterrit tout près de la carcasse. Déjà, on saignait l’animal tout en devisant de la meilleure façon de la dépecer.

« Quelqu’un veut boire un coup ? Collins sortit une bouteille de son sac. Ça va nous réchauffer. Et puis, il faut bien fêter ça ! »

Il donna lui-même l’exemple en ingurgitant une forte rasade de whisky. Puis, il tendit la bouteille à Daggett, ensuite à Lavoie.

« Ça fait du bien ! » grimaça ce dernier en s’essuyant la bouche du revers de la manche.

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Ils éventrèrent la bête et lui sortirent les entrailles. Lavoie, qui n’en était pas à son premier orignal, maniait le couteau de chasse avec dextérité. Il mit de côté le foie et le cœur, tout en avalant une gorgée de temps à autre, histoire de se garder au chaud. Quand l’opération prit fin, la bouteille était, elle aussi, terminée. Lavoie, un peu réchauffé, vantait « son » appareil.

« Bien sûr que mon hélicoptère peut soulever ça. Tenez, je vais vous le prouver et pas plus tard que maintenant. Nous allons rentrer au lac Carey avec la bête en entier et je vais vous la déposer tout doucement dans la jeep. »

Sans se soucier des « Ce n’est pas possible ! » et des « Tu ne seras pas capable ! » que les autres lui prodiguaient plutôt par défi que pour le dissuader, il se mit en devoir d’arrimer l’orignal au train d’atterrissage de l’hélicoptère. Dès que ce fut fait, les trois hommes montèrent à bord. Le moteur gronda et l’hélice se mit à tourner de plus en plus vite, couchant les broussailles et soulevant un tourbillon de neige poudreuse.

Lavoie avait sans doute un peu trop présumé de la puissance de son appareil. La carcasse de l’orignal, plu-tôt que de se soulever, ne faisait que se déplacer au sol. Lavoie serra les dents et ouvrit les gaz. L’orignal quitta le sol de quelques mètres mais son panache s’enchevêtra dans les broussailles. Ne pouvant monter, l’appareil se mit à tanguer.

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« Attention à l’hélice ! » cria quelqu’un. Le pilote ne l’entendit même pas tant il était tendu, serrant le palon-nier comme s’il avait pu par là insuffler du courage à la machine. La charge s’éleva. Deux mètres, quatre mètres, six mètres. Le pilote se tourna vers ses compagnons, le visage fendu par un large sourire. Mal lui en prit. Dans la fièvre de son entreprise, il n’avait pas suffisamment fait attention à la trajectoire capricieuse de l’appareil. Une des pales de l’hélice toucha un grand bouleau et se tordit. La machine, sa charge et ses passagers, tout vint s’écraser sur le sol dans un chaos de neige, de branches, de troncs et de métal. Et le silence, encore une fois, retomba sur la forêt.

Il n’avait fallu que quelques heures à l’orignal pour com-mencer sa vengeance.

Deux

Dans le bureau du garde-chasse en chef de Hearst, il y avait réunion. C’est qu’on avait du pain sur la planche. Un avion avait été saisi avec, à son bord, près de deux cents dorés. Il y avait aussi le cas de deux Torontois pris à chasser sans permis et qui affirmaient avec de grands yeux candides qu’ils ignoraient qu’il en fallait un. Puis, ce fermier qui avait abattu trois orignaux près de sa grange.

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Et pour finir le plat, on venait d’enlever des carabines de chasse à quatre gamins âgés de onze à quatorze ans.

« Le juge va te rire au nez si tu emploies un argument comme celui-là. Tu dois faire la preuve que c’est lui qui a tué ces trois orignaux et qu’il était seul, ce qui fait qu’il en a tué deux de plus que la loi ne le permet. Tu dois prouver sans l’ombre d’un doute que ses deux comparses, ceux qui ont accroché leur permis sur ces bêtes-là, ne pouvaient pas se trouver sur les lieux quand elles ont été tuées. Est-ce clair ? »

Celui qui parlait avec tant d’autorité était le patron, Sylvio Tremblay. Directeur de la section chasse et pêche de l’un des bureaux de district les plus importants de l’Ontario, autant par la superficie du territoire que par l’abondance de la faune qu’il avait sous sa garde, Tremblay était un homme compétent et dédié à son poste. Ancien trappeur lui-même, il connaissait la forêt comme sa poche et en lui, les braconniers avaient affaire à forte partie. Il comptait à son tableau de chasse pas moins d’une trentaine d’ori-gnaux et des milliers de canards, d’outardes, de perdrix et de lièvres. Cependant, contrairement à bien d’autres, il ne devançait jamais la saison prescrite. Ne lui avait-on pas déjà entendu dire : « La chasse ouvre le 15. Et le 15, que ma mère meure ou que ma femme accouche, moi je vais à la chasse. »

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Ce n’était bien sûr qu’une boutade, mais elle illustrait quand même bien son assiduité à chasser et son respect des lois. La forêt, il y travaillait, il en vivait et il y passait ses loisirs. Mais il avait appris à vivre en harmonie avec elle. Jamais il n’avait abandonné à son triste sort un ori-gnal blessé, dut-il marcher trente kilomètres pour l’ache-ver. Pour lui la chasse permettait à l’homme de se mesurer à la Nature et d’apprendre à la connaître. Mais pour que cette lutte ait un sens, il fallait que le gibier ait une chance de s’en tirer et que le chasseur ne puisse triompher de lui que par sa sagacité et sa persévérance.

À cet homme, on avait confié la lourde tâche de faire respecter l’ordre millénaire et pourtant si précaire de la faune, et il s’en acquittait avec un zèle que seul l’amour profond de la Nature peut donner.

De taille moyenne, les tempes grisonnantes, il avait un timbre de voix convaincant et ses subalternes semblaient l’écouter avec respect.

« As-tu extrait les balles des carcasses ? Richard doit pouvoir dire si elles viennent toutes de la même carabine. Essaie de savoir où Leblond et Dionne travaillaient et s’ils étaient au boulot hier avant-midi. »

La sonnerie du téléphone lui coupa la parole. Agacé, il saisit l’appareil d’un geste brusque.

« Allô. Oui, Marie, qu’est-ce que c’est ?

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— Monsieur, c’est la Carey Lake Outfitters. Ils disent que l’hélicoptère de la compagnie n’est pas rentré hier soir.

— Et en quoi est-ce que ça me concerne ? D’abord, à quoi l’utilisait-on cet appareil ?

— C’est que… ils n’ont pas précisé, monsieur.— Bon ! Et qui exactement est au bout du fil ?— Un monsieur Ferris, je crois, monsieur.— Ça va. Passe-le-moi. Je vais lui dire deux mots. »Il entendit un allô bref dans l’appareil et sans perdre

une seconde, il attaqua :« Alors Ferris, on chasse en hélicoptère ?— Mais non, mais non ! Qu’est-ce que vous imaginez-

là ? L’hélicoptère conduisait deux hommes sur la Kabinakagami2.

— Donc, vous connaissez son itinéraire. Il ne devrait pas être difficile de le retrouver.

— C’est que nous avons cherché toute la journée sans le moindre indice. Il s’était peut-être écarté de sa route.

— Oui, je connais ça, histoire d’admirer le paysage… ou le gibier. »

La voix était sèche, ironique. L’autre perdit contenance.

2. « Kabinakagami » est un nom d'origine indienne. En dialecte cri, il signifie « les eaux blanches », peut-être à cause des innombrables tourbillons de cette rivière.

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Achevé d'imprimeren août deux mille sept sur les presses

de Transcontinental Metrolitho à Sherbrooke (Québec).

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D ORIC GERMAIN est un grand amateur de chasse et de pêche et un amant inconditionnel de la nature. Il a publié cinq romans,

dont Défenses légitimes (prix des lecteurs Radio-Canada) et La Vengeance de l’orignal, paru initialement en 1980.

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