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Nicolas-Edme Restif de la Bretonne LA VIE DE MON PÈRE 1779

La vie de mon père

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Restif de la Bretonne.

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  • Nicolas-Edme Restif de la Bretonne

    LA VIE DE MON PRE

    1779

  • Table des matires

    PREMIRE PARTIE ................................................................. 5

    LIVRE PREMIER ........................................................................ 6

    LIVRE SECOND ....................................................................... 55

    SECONDE PARTIE .............................................................. 101

    LIVRE TROISIME ................................................................ 102

    LIVRE QUATRIME .............................................................. 135

    propos de cette dition lectronique ............................... 188

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    Dautres clbrent les Guerriers qui triomphent par les armes : Les Acadmies dcernent des prix aux crivains, qui donnent un nouvel clat la gloire des anciens Ministres, des Hommes-de-Lettres distingus : Moi, je vais jeter des fleurs sur la tombe dun Honnte-homme, dont la vertu fut commune et tous les jours, pour ainsi parler Il ne fut que juste et laborieux : qua-lits qui sont le fondement de toute socit et sans lesquelles les Hros mourraient de faim.

    Jouvre une nouvelle carrire la pit filiale : Si le Fils de tout Homme en place tait oblig dcrire la Vie de son Pre, cette institution serait une des plus utiles. Quel est le Pre qui, sachant que son propre Fils sera forc dtre un jour son Histo-rien vridique, nacquerrait pas quelques vertus ; ne ferait pas quelques bonnes actions, dans la vue au moins de ntre pas ds-honor par celui mme qui doit perptuer son nom. Ce serait l, sans doute, le frein le plus puissant contre la corruption rapide de nos murs.

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    Omnia non pariter rerum sunt Omnibus apta Fama nec exquo ducitur ulla jugo. Prop.

    Humble Mortel, vertueux sans clat, qui fis le bien par got, et vcus pauvre par choix, MON PRE ! reois lhommage que le moins digne de tes fils ose rendre ta mmoire.

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    PREMIRE PARTIE

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    LIVRE PREMIER

    Edme Rtif, fils de PIERRE, et dANNE SIMON, naquit le 16 novembre 1692, Nitri, terre dpendante de labbaye de Molne dans le Tonnerrois. Son Pre avait une fortune hon-nte : ctait un Homme charmant par la figure, et dune conversation amusante ; on le recherchait de toutes parts, et lorsquon ne pouvait lavoir, on venait chez lui. Comme il avait la satisfaction de toujours plaire, il prit aisment le got dune vie dissipe. Ses affaires en souffrirent.

    Edme navait pas de brillant dans lesprit ; son Pre le crut sot, et le ngligea : mais le caractre de ce Jeune homme tait solide ; il avait le sens droit, et lesprit si juste, que ds lge de douze ans, effray du dlabrement des af-faires de sa Maison, touch des larmes de la plus tendre des Mres, il se mit la tte, et entreprit dempcher une ruine totale. La conduite de son Pre, quoiquhonnte suivant le monde, fut pour lui une leon salutaire : mais loin quelle di-minut son respect, il porta si loin cette vertu, que cest en-core un proverbe Nitri : Il craint ses Parents, comme Edmond craignait son Pre.

    Ce Pre, si aimable avec les trangers, tait terrible dans sa Famille : il commandait par un regard, quil fallait devi-ner ; peine ses Filles (elles taient au nombre de trois) ob-tenaient-elles quelquindulgence. Je ne parle pas de son pouse : profondment pntre de respect pour son Mari, elle ne voyait en lui quun Matre ador. Quoiquelle ft dune Famille suprieure, puisquelle tait allie aux Curde-roi, dont il y a encore des Prsidents au Parlement de Bour-gogne, elle se prcipitait au-devant de ses moindres volon-

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    ts ; et lorsquelle avait tout fait, un mot de son imprieux Mari la comblait : Ma Femme, reposez-vous. Laccolade dun Souverain naurait pas flatt davantage un Courtisan.

    Mais si Anne Simon respectait son Mari comme un Matre, elle en tait bien ddommage par la tendresse de ses Enfants : tous faisaient avec elle cause commune : au plus lger chagrin, ses Filles lentouraient, essuyaient ses larmes, et si quelquefois un mot demi-respectueux leur chappait lgard de leur Pre, Anne reprenait sur-le-champ sa fermet, et faisait une remontrance vigoureuse.

    Pour son Fils, ctait son plus efficace Consolateur. Quelle tendresse ! comme il rendait sa Mre toute la df-rence quelle avait pour son Mari ! Aussi Anne disait-elle quelquefois ses Filles : Ce que je fais pour un Homme, un Homme le fait pour moi : o est mon mrite ? Mes Enfants, si quelquefois jtais assez malheureuse pour avoir une pense de rvolte contre mon Mari, cette seule ide la chasserait : Cest le Pre dEdmond.

    La manire dont Edmond R. tmoignait sa tendresse sa Mre tait toute active : Sil se trouvait prsent lorsquelle tait gronde par un Mari imprieux, il nallait pas faire son Pre des caresses quil aurait repousses ; il embrassait sa Mre, et choisissait cet instant pour lui rendre compte de quelques ordres quelle lui avait donns, et quil avait excu-ts avec succs. Le Matre fier, prfrait alors de sadresser sa Femme ; il adoucissait le ton, et se retirait calm.

    La premire ducation extrieure, cest--dire, hors de la maison paternelle, fut donne Edmond par deux Personnes galement respectables, et telles, que cest le plus grand bonheur pour des Paroisses, quand il sen trouve de pa-reilles : je veux dire, le Cur de Nitri, et son Matre dcole, le

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    respectable Berthier, dont le nom, au bout de quatre-vingts ans, est encore en bndiction dans le pays. Quelle glorieuse noblesse, que celle-l !

    Ce Matre dcole tait mari, et charg de beaucoup dEnfants : cependant, il sacquittait de son devoir dune ma-nire si exacte, si gnreuse, si belle ; sa qualit de Pre de famille le rendait si respectable que sa conduite serait la meilleure preuve, que le clibat nest pas une condition avantageuse dans les Personnes charges de linstruction, et mme dans les Ministres des Autels. Loin de l ; tout Cliba-taire est goste ; il lest par ncessit ; qui ne tient Per-sonne, suppose que Personne ne tient lui ; il faut une vertu au del des termes ordinaires, pour quun Clibataire ait de la vertu comme certains Curs. Ils nen sont que plus respec-tables, sans doute : mais doit-on rendre la vertu si difficile ! Quand viendront les temps ! Hlas ! on me fera peut-tre un crime de ce souhait patriotique !

    Je ne veux peindre le vnrable Berthier que par ses ac-tions : je les ai dj consignes dans lCOLE DES PRES, ouvrage que les D. L, H. les S** les Ling*, ont pris pour un mauvais Roman, et qui nest que le dpt des plus hroques vertus. Oui, ce serait un mauvais Roman ; mais apprenez, vous, qui croyez si difficilement la vracit des autres ; ap-prenez que ce nest point un Roman ; je lai crit de plnitude de cur ; jai rapport ce que javais entendu : si le Livre est mauvais, cest la vertu qui la fait mauvais ; soyez plus sages quelle Mais voici le passage qui peint le vertueux Berthier ; il est la suite dun autre que je rapporterai la fin de cet Ou-vrage, et qui offre de mme le portrait du vnrable Cur.

    Notre Matre dcole bauchait louvrage du Pasteur, et lachevait. Je mexplique. Il commenait donner les pre-

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    miers lments aux Enfants, et faisait aux grands Garons et aux grandes Filles des leons familires sur la conduite ordi-naire de la vie, entre Mari et Femme, Frres et Surs, etc. Comme il tait mari, et pre dune nombreuse Famille, ses conseils ne paraissaient que le fruit de son exprience : ce-pendant on a su depuis que tout tait prmdit avec le Pas-teur. Deux fois lan, on avait des vacances, pour la rcolte des grains, et pour les vendanges : il ne rentrait mme que peu dcoliers aprs les moissons ; le grand nombre atten-dait la fin des gros ouvrages. Les jours fixs taient le dernier juin pour la clture, et le 20 octobre pour la rentre : il ny avait point de leons ces deux jours-l ; le bon Vieillard con-sacrait le temps de la classe des discours que je ne puis me rappeler sans attendrissement.

    Celui de juin roulait sur les torts quon pouvait faire au Prochain dans la campagne durant les rcoltes, et sur lemploi des heures de relche que les travaux pouvaient laisser.

    Mes Enfants, disait-il, nous allons nous quitter pour plus de quatre mois ; les travaux de la campagne vous appellent ; il faut soulager des Pres et des Mres qui vous ont donn le jour ; qui vous nourrissent ; qui souffrent pour vous le froid, le chaud, la soif et la faim ; ces bons Parents vont vous laisser, durant la belle saison de lanne, les travaux les plus doux, ils se rservent tou-jours ce quil y a de plus pnible ; bien diffrents en cela des Gens de mtier des Villes, qui chargent lApprenti de ce quil y a de plus dur et de plus fatigant dans la profession, et qui par l pui-sent ou dfigurent des corps tendres et non encore forms. Ainsi, mes chers Enfants, vous allez les uns continuer, les autres com-mencer un doux apprentissage de lart le plus noble, le plus utile lHomme ; qui a pour chef et pour instituteur Dieu lui-mme. Sentez-en bien toute la dignit, mes chers Enfants, et ne le dsho-

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    norez pas, ne le dgradez jamais par une mauvaise conduite, en tant injustes, mchants, fripons, gteurs du bien dautrui, par vous-mmes ou par vos bestiaux. Cest l le grand point, mes chers et jeunes Amis ; vous allez passer des journes entires dans les bois et dans les champs, avec des tourdis de votre ge, loin de la vue de vos bons Pres et Mres, qui vous retiendraient dans la crainte de Dieu et des Hommes : un seul mauvais Sujet, par ses conseils, ses instigations, peut mettre mal la moiti des Enfants dune paroisse. Mes coliers, je vous prie au nom de notre bon Dieu, votre nom vous-mmes, et au mien moi, qui vous ch-ris tous, de vous souvenir quelquefois, dans ces occasions, des instructions que vous recevez ici ; de vous reprsenter notre bon Prtre vous inculquant le bien, et le pauvre vieillard Berthier le secondant de tout son petit pouvoir. coutez, mes bons Amis ; lorsquon vous donnera de mauvais conseils, ou quil vous vien-dra quelque mauvaise pense, arrtez-vous un moment, et dites-vous : Que vais-je faire l ? supposons que je visse quelquun qui voult en faire autant dans notre bien, serais-je bien aise ? que lui ferais-je ? que lui dirais-je ? Peut-tre dans le moment, en puni-tion de ce que je suis tent de commettre, Dieu permet-il quun autre nous en fasse autant ou pis ? Comment oserai-je me plaindre dun Fripon, si je vais ltre moi-mme ? Si quelquun mallait voir, que penserait-on ? Mais supposons que personne ne me voie ; Dieu te voit, malheureux, Dieu te voit, et tu ne trembles pas ! Mes chers Enfants, jamais un jeune Garon, une jeune Fille qui voudront se rappeler ce que je vous dis l, ne se laisse-ront aller au mal. Nous sommes tous Frres dans la paroisse ; nous devons tous veiller sur les biens les uns des autres. Quelle agrable communaut, si cela tait ainsi ! Eh bien, mes chers coliers, que chacun de vous se dispute la gloire de commencer : que Nitri donne lexemple aux Villages dalentour, et quon ne rcite notre nom que pour le louer. Chacun y gagnera tout ce que les Mchants font perdre, et tout ce quon fait perdre aux M-

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    chants pour se venger deux. Voil comme, ds cette vie, la bonne conduite a sa rcompense. Je vous en prie, mes Enfants, ne me donnez pas le chagrin dapprendre que quelquun de vous ne tient compte de ce que je vous dis ici ; je vous en prie, les larmes aux yeux : ayez piti dun Vieillard qui rpondra devant Dieu, mais sans vous dcharger, de tout le mal que vous ferez, et quil aura pu empcher

    Jai vous dire encore, que voil sept huit mois dcole qui viennent de scouler : mes Enfants, tchez de ne pas oublier ; emportez aux champs, quand vous y conduirez vos bestiaux, lAbrg de la sainte Bible, que voici ; et si vous vous rassemblez, lisez-en ensemble quelques chapitres : cela vous entretiendra dans la lecture ; les dimanches, crivez quelques pages : cest pour vous que vous travaillerez, en vous mettant en tat de faire vos affaires vous-mmes un jour. Adieu, mes chers coliers ; Dieu vous bnisse, comme je vous donne moi-mme mon impuissante bndiction ; et faisons une petite prire, avant que de nous quit-ter, pour obtenir quil la confirme.

    Aprs la prire, il nous embrassait tous, et nous cong-diait.

    Le discours de la rentre avait deux parties : dans la premire, le bon Matre rappelait toutes les fautes que ses coliers avaient commises durant lt ; il leur en faisait nommment des reproches, ou plutt des plaintes mod-res ; et les exhortait rparer le mal quils avaient caus. Il est bon de vous dire, que durant les vacances, le bon Vieil-lard ne cessait pas davoir les yeux ouverts sur nous ; il sa-vait toutes nos actions : les peines quil se donnait pour cela sont incroyables ; mais elles taient prudentes, et nous ne les voyions pas. Il ne se permettait aucune remontrance durant la dposition de son autorit, comme il lappelait : il rendait

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    compte de ses dcouvertes au bon Cur, et ils se concer-taient ensemble pour la rparation du mal, et lamendement des Coupables. Mais tout cela tait secret comme une affaire dtat. La seconde partie de son Discours ntait que des ex-hortations au bon emploi du temps : il faisait ensuite la dis-tribution des places ; mettant au banc le plus proche de lui, les plus Ignorants, et les plus Savants au plus loign ; parce quil disait que lIgnorant devait tre porte dentendre ce quil enseignait aux autres. Aussi tait-ce le premier banc qui rcitait le dernier. Je vais vous dire en substance le dernier discours quil ait prononc, la mort nous layant enlev trois mois aprs.

    Nous voici encore une fois runis, mes Enfants. Que cette journe du commencement de mes travaux et de mes plaisirs, au-rait de douceur pour moi, si je vous revoyais tous dignes dloges, et si javais me fliciter quaucun de vous na mpris les pa-roles dun pauvre Vieillard, qui vous a pris, mains jointes, de ne le pas charger aux yeux du grand Juge, des fautes quil aurait d vous empcher de commettre ! mes Enfants ! vous craignez donc le bon Dieu moins que les Hommes ! cependant les Hommes ne sont rien ; ils ignorent la plupart du temps, toute la noirceur dune action ; mais Dieu droule jusquau dernier repli des curs. Un Pre si bon ! qui nous a envoy la rcolte pour nous nourrir, sans la providence de qui rien net prospr, on la of-fens, dans le moment mme quon recevait le pain de sa main : on la outrag dans ses Frres, dans ses Amis, dans les Habitants du mme bourg, dans ceux avec qui, chaque dimanche, on se trouve runis, comme une seule famille, dans la maison dactions de grces ! avec qui lon mange un pain que le Ministre de Dieu a bni, et qui est distribu en signe de communion et de fraternit ! mes Enfants ! il en est donc qui se sont rendus des tratres dans lglise de Dieu ? Il fallait refuser ce pain, ds que vous vouliez mal quelquun de ceux qui il jurait amiti en votre nom : il

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    fallait lglise vous sparer de celui-l, ne pas vous y trouver avec lui ; du moins vous neussiez pas commis le crime de trahi-son de lAptre rprouv, vous neussiez pas profan le Temple et le Sacrifice Je nen saurais dire davantage, mes larmes achveront, mes Enfants Cependant il faut vous faire connatre que rien ne demeure cach.

    Alors il appelait par leur nom, tous ceux qui avaient fait tort au Prochain ; il reprochait celui-ci davoir donn ses bufs des javelles, de lavoine qui ne lui appartenait pas ; celui-l de les avoir laisss dans la luzerne, le sainfoin dautrui ; lun des querelles ; lautre, de stre battu, davoir maltrait et bless les bestiaux de ses Camarades ; de les avoir forcs la charrue, pour mnager davantage les siens propres ; davoir prolong le travail, les jours o la charrue tait lui, et de lavoir raccourci, quand elle tait ses Suitiers ou Consorts ; davoir anticip sur lhritage du Voisin, une, deux raies de terre ; davoir pris quelques ja-velles ou quelques gerbes sur le bord de son champ ; davoir mang le raisin et les fruits dans les hritages contigus au sien ou ailleurs : quelques-uns, les entretiens deshonntes, leurs jurements, leurs liberts avec les Filles, et les mots grossiers dont ils staient servis en leur parlant ; certains, leurs mdisances, leurs calomnies ; enfin il reprochait le manque dassistance aux Offices ; la ngligence sur la lecture et lcriture, en se faisant reprsenter par chacun ses papiers et ses Livres. Il venait aux Filles aprs les Garons : la con-duite de nos jeunes Villageoises tait assez innocente ; on ne leur voyait presquaucun des dfauts des Hommes, et leur langue faisait peu prs tout le mal quelles avaient se re-procher : ctait aussi l-dessus que roulaient les rpri-mandes du bon Matre, et un peu sur la paresse, la noncha-lance : si quelquune avait fait pis, il la reprenait en particu-lier. Que ne sont-elles Femmes ce quelles sont Filles, disait-

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    il quelquefois ! mais ce sont les Hommes qui les gtent, par leurs mauvais exemples ; qui les aigrissent, qui les accablent, etc. Ensuite, aprs avoir prescrit chacun la rparation du mal quil avait fait, il passait la seconde partie.

    Allons, mes Enfants, ne nous dcourageons pas ; la bonne manire de se repentir davoir mal fait, cest de bien faire. Deve-nons des Hommes nouveaux ; prenons dautres habitudes ; fai-sons oublier cette anne par une autre, durant laquelle nous se-rons meilleurs. Voici la cinquantime que je fais cette cole : jy ai vu vos Pres, et mme de vos Grands-pres ; et je nai jamais trouv que du mieux, danne en anne, si ce nest dans ces der-nires, apparemment, parce que mes soixante et quinze ans ne me laissent pas la libert de macquitter aussi bien de mon devoir envers vous, quavec vos Devanciers. Mais cest peut-tre ici la dfinition : ma tche est faite et le terme sapproche ; Dieu vous accorde tous une vieillesse comme la mienne, sans autres infir-mits que la diminution de la chaleur et de la vie. Mes Enfants, combien croyez-vous que mes soixante et quinze ans ont dur ? Vous qui tes jeunes, vous croyez quils ont dur longtemps ! ils ne sont mes yeux dans ce moment quun jour : je crois que ctait hier que jtais votre ge, que jtais enfant ; trente ans, ma jeunesse me paraissait plus loin que je ne la vois au-jourdhui : mes Amis, sans la consolation que je ressens davoir bien vcu, je serais bien triste prsent mais je ressemble au Vi-gneron qui a support le poids du chaud, la soif, et nag dans la sueur : je nprouve que de la joie de voir le jour pass et le soir qui savance. Songez-y donc bien, mes Enfants, la vie nest quun jour ; vous en tes au matin, et moi jen suis au soir ; dautres sont au midi, et ceux-l ne voient plus ni le soir ni le matin, ils ne voient que le midi dont la chaleur les chauffe et les enivre. Soyons bons, mes Enfants, celle fin que le soir et larrive de la nuit ne nous effrayent pas. mes Amis ! que lapproche de la mort est affreuse pour un mchant Homme ! mais quelle est con-

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    solante pour celui qui a fait le bien, servi Dieu, aid ses Frres ! Il est comme le bon Journalier, qui va recevoir son salaire, bien sr dtre lou par le Pre de famille, et davoir la rcompense au-dessus de la paye.

    Chaque ge a ses devoirs. Le Vieillard se prpare bien mourir, en couronnant sa vie par des actions religieuses ; lHomme soutient sa Famille, lve ses Enfants, leur procure une bonne ducation ; mais lEnfant na pour tout devoir que celui de travailler pour lui-mme, de seconder les soins quon prend de lui. Cest votre cas, mes Enfants. Voyons donc ce que nous allons faire cette anne pour remplir cet objet. Pour que vous avanciez toujours, il faut examiner ce que chacun fait ; on passera un autre banc, ds quon possdera ce qui senseigne pour le sien , etc.

    Tels taient les discours que nous tenait ce bon Matre, qui est prsent dans le sein de Dieu avec le sage Prtre qui avait su le choisir. Il fallait voir comme taient alors les Hommes Nitri ! on en reconnat les restes parmi nous ; mais ils commencent devenir rares. La puret mme du langage, qui distingue ce bourg de tous les environs, et qui na souffert que peu datteinte depuis eux, est due linstruction quils rendaient commune ; cette puret tait limage de celle des murs quils sefforaient de faire fleu-rir.

    Que pensez-vous, que nous donnions par mois ce bon Matre (car nous navons jamais eu ici, comme on en a ail-leurs, dcoles gratuites) ? Trois sous par mois, quand on ncrivait pas encore, et cinq sous pour les crivains. Voil quel tait le prix de ses soins paternels : salaire quil ne de-mandait jamais, et que quelques Pres ont eu linhumanit de ne jamais lui payer pour leurs Enfants : la Communaut y

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    ajoutait quinze bichets de froment et quinze dorge par an-ne ; ce qui pouvait alors valoir une somme de 70 72 livres. Ainsi lHonnte homme avait peine de quoi vivre ; et ja-mais il ne se plaignait.

    Voil ce que mon digne Pre nous a rpt cent fois, dans notre enfance, en payant un tribut de larmes son ver-tueux Instituteur. Ces choses se sont graves dans ma m-moire, et tout ce que jai pu crire de bon, ne mappartient pas, il est mon Pre, mon Aeul, lAvocat Rtif ; ces dignes Matres, dont toute la science se rduisait la morale la plus pure. Quon lise, si lon veut, dans lCOLE DES PRES, quel tait le sentiment de ces vertueux Citoyens, sur limportance dun bon Cur, dun bon Matre dcole, et lon verra, que le bonheur des Campagnes, la puret des murs, et par consquent la prosprit de ltat, dpendent de ces deux Hommes : ce sont eux qui forment de bons Pres de famille, surtout le Matre dcole, sil tait un Berthier.

    Pierre Rtif avait trop desprit pour ne pas sapercevoir du mrite de son Fils, et des bonnes qualits de son cur : il lestima enfin, mais sans rien diminuer de sa dignit : ce qui peut-tre fut un bien ; du moins en juger par leffet. Sils faisaient un petit voyage ensemble, le Pre allait seul devant, et disait peine quelques mots sur les objets qui se prsen-taient. Le Fils suivait respectueusement, sans oser interroger.

    Le terrible hiver de 1709 acheva dclairer Pierre sur ce que valait son Fils : comme cet Homme de plaisir tait tou-jours court, il avait vendu de bonne heure ses bls, et con-squemment il ne profita pas du prix exorbitant auquel ils furent ports six mois aprs : au contraire, il fut oblig den racheter pour sa subsistance pendant deux mois, nayant gard que ce quil lui fallait bien juste pour attendre les bls

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    prcoces. Il en avait fait autant des menus grains. Edmond aimait passionnment les Chevaux : ce noble Animal, com-pagnon de ses travaux, lui tait si cher, quil ne put se r-soudre voir enlever tout lorge et toute lavoine, comme son Pre lavait rsolu. Il en cacha une quantit assez consi-drable dans de vieilles futailles, et engagea quelques-uns de ses Camarades, dont les Pres ressemblaient au sien, en faire autant. Quon ne regarde pas cette action comme une sorte denfantillage ; ctait une prcaution de la plus grande importance, dans un pays, o aujourdhui mme, les Ani-maux domestiques sont si ngligs, quils sont incapables de bien cultiver la terre : jen dirai la raison. Pierre Rtif tait trop peu attentif sur ses affaires, pour sapercevoir de cette quantit considrable de menus grains que rservait son Fils ; et ce fut encore une leon pour le Dernier : On pour-rait voler mon Pre, sans quil en st rien.

    Lorsque tout fut perdu par la gele, Edmond, la mort dans le cur, alla visiter ces bls, qui lui avaient tant cot de peines (il avait alors seize ans et demi) : il nen subsistait pas une seule treiche, mais la terre tait si ameublie par la gele, quelle paraissait nattendre quune nouvelle semence. Le jeune Edmond fit tout dun coup cette rflexion. De lui-mme, et sans en parler la maison, il conduisit les charrues dans les terres ; il y fit passer lgrement le soc, et y sema de lorge mlang davoine, le plus clair possible. On se moquait de lui : son pre le gronda, et lui dfendit de continuer. Ed-mond obit ; mais il engagea ses Amis faire ce quil nosait plus excuter. Le succs surpassa lesprance, et sauva le Village : ces grains clairsems produisirent des touffes normes ; lorge tait dune grosseur comme on nen avait jamais vue : quelques arpents quEdmond avait emblavs avant la dfense de son Pre, produisirent de bon grain, en suffisante quantit pour nourrir la Famille, en triant lorge de

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    lavoine. Ce fut ainsi que le Jeune homme prvint la ruine totale de sa maison, et sauva en mme temps sa Patrie : si Pierre R. lavait laiss faire, il laurait enrichi : car beaucoup de Particuliers avaient offert dabandonner leurs champs ceux qui voudraient y semer, moyennant le droit accoutu-m ; ctait alors le quart.

    Pierre plus convaincu que jamais du grand bon sens de son Fils, avoua enfin que cette qualit prcieuse valait mieux que lesprit. Il tait Prvt de Nitri ; place qui lui cotait beaucoup ; laudience se tenant chez lui, et toujours ses dpens : il ny avait pas dautre Buvetier que le Juge. Il rso-lut de donner quelques soins lducation dEdmond.

    Il avait un Parent de notre nom, Avocat Noyers, Homme habile, dune probit, et dune raideur encore c-lbres. Il tait fort riche, ses Petits-fils occupent aujourdhui des places importantes dans le Dauphin. Ce fut cet Homme que Pierre confia un Fils, quil aurait pu former lui-mme, sil avait moins aim le plaisir : mais une condition ; cest quaprs avoir employ lhiver ltude, ce Fils revien-drait au printemps tenir la charrue, et conduire les travaux.

    Je nai pas la tmrit de blmer cette conduite de mon Aeul : Edmond R. lui-mme, quoiquil ne lait pas suivie lgard de ses Enfants, ne nous la citait jamais quavec une respectueuse admiration : il avouait que ctait cette con-duite de son Pre, quil avait d la conservation de ses murs. Il recouvrait dans le sein maternel, tout ce quil pou-vait avoir perdu de sa candeur pendant les six mois de sjour la Ville.

    Au bout des premiers six mois, Pierre ne manqua pas de redemander son Fils lAvocat : celui-ci le lui renvoya, avec

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    la Lettre suivante, que nous possdons en original, et que nous conservons prcieusement :

    MON CHER PARENT :

    Je vous renvoie un bon Sujet ; cela ne fera pas un miracle desprit ; mais pour un bon Juge, pour un bon Pre un jour, pour un bon Mari, meilleur que vous, pour tout ce quil y a dhonnte, oui, cela le fera, je vous en suis garant. Quant ses progrs, il a de louverture pour tout ce qui est daffaire et dutilit ; mais pour tout ce que vous aimez tant, mon cher Pierrot, ma foi, cest un sot tout plat.

    Je vous congratule de ses qualits et de ses dfauts, enten-dez-vous, et de ses dfauts : Ces dfauts-l remettront dans la Famille ce que dAutres en ont t : soit dit sans reproche, mon cher Pierrot ; tu sais que je taime, quoique je taie quelquefois bien malmen : mais dans notre Famille, on a le cur bon, et lon se pardonne tout, hors le dshonneur.

    Grces Dieu, il ny en a point. Ton Fils a notre cur, et le Cur de Roy ; juge sil laura bon ! Je la salue et la flicite cent fois de son Fils, contre toi une : dis-lui cela, et morbleu ny manque pas ; je le veux, et tu sais que je suis parfois Rtif en diable : ny manque pas, au moins ; jirai men informer : des-cends de ta dignit ou je te mettrai plus bas que terre ma pre-mire visite. Joubliais de te dire, comment je me suis aperu de tout ce que vaut ton Fils : Le voici : Cest quil te respecte et thonore comme un Dieu, et quil taime comme il ny a pas de comparaison. Je te remercie, en finissant, de mavoir donn oc-casion de mettre cet exemple sous les yeux de mes deux Gaillards.

    Adieu, Pierrot. Tout toi, et le bon Cousin dAnne Simon. Jembrasse les petites Rtives : il faut ltre, pour lhonneur.

    RTIF, Avocat.

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    De Noyers, ce 10 mars 1710.

    De retour dans la maison paternelle, Edmond nen fut pas moins ardent reprendre les travaux champtres, aprs une vie douce et tranquille. Tout tait dpri, pendant les six mois dabsence ; les Btes de labour taient en mauvais tat ; les granges, les curies en dsordre. Le Jeune homme, qui sortait dune maison opulente, o il avait t trait comme les Fils du Matre, se trouva un ouvrage plus rude quil nen avait jamais eu. Mais un amour pour le travail quil a conser-v jusqu la fin de sa vie ; sa tendresse pour sa Mre ; la v-nration profonde quil portait son Pre, animrent telle-ment son courage, quen huit jours il eut tout rtabli. Le soin des Bestiaux alla quinze, avant quil pt en faire usage : mais au bout de ce terme, et par linfatigabilit dEdmond, tout alla bien.

    Rapporterai-je, quil versa des larmes, en revoyant un excellent Cheval, devenu haridelle pendant son absence ? Pourquoi non ? pourquoi la sensibilit envers lutile Animal qui paie notre amiti par ses services et par une amiti rci-proque, serait-elle un ridicule ? Bressan, grand et beau Cheval, avait une raison presquhumaine, et un attachement pour son jeune Matre bien plus solide que beaucoup dattachements humains : dun mot, Edmond sen faisait obir ; mais on voyait que ctait lamiti. Un jour, la char-rette charge dengrais, ne pouvait sortir du trou dans lequel on les amoncelait : deux Garons de charrue avaient puis les douces paroles, les jurements, et bris leur fouet, sans que les quatre Chevaux eussent russi se tirer de l. Ed-mond parat : tez-vous, Bourreaux ! leur crie-t-il : Il baise le Cheval ; il le flatte de la main, et lui laisse ainsi reprendre haleine : lorsquil est remis, il touche le timon, feint de tirer, et scrie : Allons, Bressan ! allons, mon camarade ! cette

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    voix chrie, le gnreux Animal donne son coup de collier, et seul, mais se croyant second par son Ami, il emporte la voi-ture vingt pas. Il fallut larrter ; il aurait puis ses forces. Quon juge prsent quelle fut la douleur dEdmond son retour, quand il trouva ce bon Serviteur en mauvais tat !

    Livr aux travaux rustiques, Edmond se privait de tous les plaisirs de ses Pareils. Mais il est un doux sentiment que les travaux les plus rudes ne peuvent carter : lamour est la vie des mes honntes ; il prend la teinte de leur caractre, et devient la plus aimable de leurs vertus.

    Il y avait Nitri, une Jeune fille, appele Catherine Gau-therin, bonne, laborieuse, avec une physionomie qui semblait ne demander qu rire : la rose qui sentrouvre avait moins dclat que son teint ; quoiquelle et de lembonpoint, sa taille tait bien prise ; en un mot, ctait une Fille trs ai-mable. Edmond la remarqua : Il fut touch de son mrite, autant que de ses charmes. Dans le pays, lusage qui subsiste encore, est de piller les Filles qui plaisent ; les Garons leur enlvent tout ce quils peuvent ; leurs bouquets, leurs an-neaux, leurs tuis, etc. Edmond, un dimanche en sortant de la grandmesse, aperut un de ses Rivaux, qui arrachait le bouquet Catherine : Il en fut jaloux. Il sapprocha de cette Fille aimable, et tant le sien de sa boutonnire, il le lui of-frit, en lui disant : Voil des roses qui siront mieux vous qu moi. La Jeune fille rougit : Du moins partageons, dit-elle. Le bouquet tait compos de roses rouges et blanches ; elle garda les blanches. peine Edmond leut-il quitte par dcence, quun Tmraire vint pour semparer de ce nou-veau bouquet. Catherine, qui avait abandonn le premier sans presque le dfendre, employa toute son adresse con-server celui-ci. Cest quil vient dEdmond, dit le Garon dpit.

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    Ce mot fut entendu par le terrible Pierre. Il fut surpris que son Fils, encore si jeune, ost lever les yeux sur une Fille sans sa permission. Il ne dit cependant rien dner ; mais il sinforma dans le jour adroitement. Il apprit dune Commre, quEdmond, depuis son retour de Noyers, avait parl trois fois Catherine Gautherin. Le lendemain, linstant du d-part pour la charrue, Edmond tant en chemise, et dj mon-t sur Bressan, son Pre sapprocha. Donnez-moi votre fouet ? Le voil, mon Pre. Trois coups vigoureusement appliqus, par lHomme le plus fort de son temps, couprent la chemise en trois endroits, et la teignirent de sang. Edmond ne poussa quun soupir. Pierre lui rendit flegmatiquement son fouet, en disant : Souvenez-vous en : et il rentra, sans ajouter une parole.

    Edmond ignorait ce qui lui attirait cette correction rigou-reuse. Sans faire attention quil tait bless, il partit, et tra-vailla tout le jour, comme lordinaire. son retour, Anne Simon ayant regard sa chemise, elle crut quil lui tait arriv quelquaccident. Elle poussa un cri. Edmond la rassura : Ce nest rien, ma Mre. Elle sinforma aux Garons de charrue ; elle apprit le fait, mais non la cause. Anne revint son Fils ; elle pansa les plaies qui en avaient besoin, cause du linge entr dans la peau. Son Mari survint : elle le regarda la larme lil. Comme vous lavez arrang ! Pierre dtourna la vue : Voil comme je traite les Amoureux. Il fallut deviner ce que signifiait cette rponse laconique.

    Mais cet Homme si dur en apparence, avait lme sen-sible. Il sortit, et passa dans son jardin. Edmond, aprs que sa Mre leut pans, alla voir sil ny avait pas quelques plantes arroser, quelques planches sarcler, car il ne n-gligeait rien. Il entra ; mais comme le jardin tait vaste, et couvert darbres touffus, il ne vit pas son Pre, et nen fut pas

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    vu. Il savana baiss, en arrachant les mauvaises herbes. Enfin il aperut son Pre, appuy contre un jeune arbre plan-t par Edmond lui-mme, une main sur son front, de lautre essuyant quelques larmes Jamais il navait vu pleurer son Pre : il fut surpris ; il lui sembla que la Nature allait se bou-leverser ; son Pre pleurait ! Comme je lai accommod ! pronona Pierre. ces mots, Edmond pntr, mais nosant se dcouvrir, se jeta deux genoux, et dit en lui-mme : mon Pre je vous cote des larmes ; vous maimez mon Pre, je suis trop heureux ! Il lui tendait les bras sans en tre vu. Un mouvement que fit son Pre, lobligea de se lever. Il alla lextrmit du jardin, o trouvant un carr bcher, il se mit le faire.

    Son Pre lentendit apparemment ; il vint auprs de lui, et lui tant la bche : Mon Fils, cest assez de travail pour un jour ; allez vous reposer, je vais achever.

    Jamais ce mot de mon Fils ntait sorti de la bouche de Pierre : jamais il navait donn un coup de bche, ni arrach une mauvaise herbe dans son jardin ; et il acheva le carr. Edmond palpitant de joie, alla conter sa Mre ce qui venait darriver. Ce fut une fte pour la petite Famille, car Edmond tait chri de ses Surs : et de temps en temps, la bonne Anne entrouvrait la fentre, et regardait bcher son Mari.

    Il lachve mes Enfants ! il achve le carr dEdmond ! Quand je vous disais quil a un cur de Pre ! Cest de peur que son Fils nait la peine de lachever. Oh ! que cest un bon Pre ! Et les Enfants rptaient : Oh ! que cest un bon Pre !

    Edmond ne se rappelait jamais cette scne, sans tre at-tendri jusquaux larmes : il bnissait son Pre de sa rigueur : Sans cela, nous disait-il souvent, je me serais peut-tre mancip, comme tant dautres : mon Pre arrta le mal ds

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    sa source ; il fallait cette vigueur de sa part, car lattache tait dj bien forte !

    Il est vrai que Catherine tait un excellent sujet : elle a fait le bonheur de Jacques Berthier, lun des Fils du bon Matre dcole. Mais alors pouvait-on savoir ce quelle va-lait ?

    Ce Pre terrible avait dexcellents retours : il aimait sur-tout les actions gnreuses : Son Fils, comme il arrive ordi-nairement ceux des Pres dont lesprit est brillant, tait si-lencieux et timide : un Enfant qui pense nose prendre lessor devant un Pre clair, toujours prt sapercevoir du moindre manque. Edmond avait lme dune trempe exquise, si compatissante pour les Infortuns, qu lge de dix ans, il avait donn ses habits au Fils dun pauvre Mendiant, qui tait tout nu. Ce trait ma t souvent racont par une de mes tantes, sur ane de mon Pre. Pierre en loua son Fils, et alla jusqu lui passer la main sous le menton par forme de caresse. Mais je vais rapporter un autre trait plus frappant de cette tendre compassion, vertu presquinsurmontable dans mon Pre, si lon peut sexprimer ainsi.

    Un Malheureux commit un homicide involontaire ; ce cas tait par consquent graciable ; mais un Paysan ignorant ne sait pas faire la distinction. Cet Homme fut mis dans une prison bien singulire ; de mmoire dhomme on navait pas eu besoin de celles de Nitri ; elles servaient de toit porcs au Fermier, et ntaient pas mme couvertes. On emprisonna lHomicide sous une grande cuve renverse, et on lui mit les pieds dans un trou, avec quelques ferrements quarrangea le Marchal du Bourg. Ce Malheureux gmissait le jour et la nuit. Le petit Edmond touch de compassion allait le conso-ler, et lui portait quelques fruits, outre sa nourriture ordi-

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    naire. Un jour que tout le monde tait la campagne, lEnfant rest seul auprs de la cuve, dit au Prisonnier :

    Ne pouvez-vous donc sortir, Bonhomme ?

    Hlas ! non ; jai les pieds pris dans un trou, avec des clous bien rivs ; si javais des tenailles ! LEnfant en alla chercher. LHomme dbarrassa ses jambes. Ne pouvez-vous prsent lever la cuve ? Non, mon Enfant ; elle est trop pesante ; mais si javais une pioche ? LEnfant alla pren-dre une pioche, et la passa par le trou qui servait lui donner manger. LHomme se fit une issue, sortit de dessous la cuve, et prit la fuite en disant lEnfant : Dieu te bnisse, mon Petit ! On nen a jamais entendu parler.

    Lorsquon fut de retour, on saperut de lvasion : mais on ignorait qui lavait procure. Ce que lEnfant entendait dire ce sujet, lintimida, et il neut garde de parler. On fit des perquisitions pour savoir qui avait dlivr le Prisonnier : on ne dcouvrit rien. Or il y avait dans le Village un Homme fort mchant, nomm D***, qui en voulait un autre, nom-m L** : le Premier sentendit avec un de ses Amis, et tous deux dposrent, que ctait L** qui avait fait vader le Pri-sonnier : Le pauvre L** fut mis sous la cuve.

    Ds que le Petit le sut, et pourquoi il y tait, il vint trou-ver sa Mre, en pleurant, et lui avoua que ctait lui qui avait donn les tenailles et la pioche, et que L** ntait seulement pas venu l. Anne Simon, qui craignait son Mari, se trouva fort embarrasse : cependant aprs avoir pris des dtours pour adoucir Pierre, elle lui avoua le fait, avec toutes les cir-constances qui taient le plus en faveur de lEnfant. O est-il ? scria Pierre. La bonne Mre le crut perdu ; mais il ny avait pas hsiter, il fallait lappeler ; elle alla au-devant de lui, et le couvrit presque de son corps.

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    Edmond, dit le Pre, laction que tu as faite de sauver lHomme, est injuste ; mais elle est belle pour ton ge, et je suis bien aise, si elle avait tre faite, que ce soit par mon Fils, plutt que par tout autre. Mais laction de taccuser, pour sauver un innocent serait belle dans un Homme de qua-rante ans, quoique ce ne soit quune justice. Allez : je suis content de vous. Et comme il sen retournait, il le bnit. Anne Simon transporte de joie, se jeta aux genoux de son Mari, en lui disant : Et vous le bnissez ! Ah ! il sera heureux toute sa vie ! et je vous dois l plus, moi ; car jaime mon Fils plus que moi-mme.

    Le semestre de travail se passa, sans quil arrivt rien de particulier, si ce nest une conversation queut Edmond un soir avec un Vieillard, nomm le Pre Brasdargent, g de cent cinq ans. Cet Homme tait encore assez vigoureux pour conduire la charrette dans la campagne, et y recueillir les gerbes. Edmond, qui revenait avec sa voiture dun champ plus loign, trouva le Vieillard qui chargeait. Touch de respect son aspect vnrable, il arrte, et va auprs de lui pour laider.

    Tu viens bien, mon Enfant, lui dit le Centenaire ; jus-tement jen suis aux plus hautes, et je sens que mes bras ne veulent plus stendre.

    La voiture charge, ils revinrent ensemble : Edmond gardait un respectueux silence en marchant derrire un Homme qui avait vu ses Aeux, et natre son Pre ; car voil lide qui le frappa dabord, et qui lui imprima un respect profond. Le Vieillard rompit le silence, et montrant le Ciel couvert dtoiles, il dit Edmond :

    As-tu lu la Bible, mon Enfant ?

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    Oh ! oui, Pre Brasdargent, et je la sais quasi par cur.

    Bon ! bon ! mon Enfant, tu connais Celui qui a fait tout cela : cest le Dieu dAbraham, dIsaac, et de Jacob. Il a dit, et tout cela a t fait. Voil o je dois regarder. Oh ! que jaime une belle nuit ! Elle me montre le Matre : le jour, le beau jour, ne ma montr que les ouvrages ; mais une belle nuit comme celle-ci me le montre Lui-mme. Chacun de ces astres me lindique, et je sens encore mon cur schauffer, lide que jai de Lui.

    Mon Pre nous a cent fois assur que ce discours simple, et fort court sur la Divinit, par un Vieillard de cent cinq ans, lui fit une impression si forte quelle ne sest jamais affaiblie. Il lui semblait entendre parler un tre au-dessus de lhumanit ; un tre qui dj ntait plus de ce monde, et qui avait commenc son ternit ; cest lexpression de mon Pre.

    Ils parlrent ensuite de ce que le Vieillard avait vu sous le rgne de Henri IV, de Louis XIII, et celui de Louis XIV, qui tait alors son dclin. Mon Pre remarqua surtout ces mots du Vieillard ; Que les Peuples ne sentirent ce quils avaient perdu dans Henri, quaprs sa mort : de son vivant ils mur-muraient.

    Il nous citait encore ce mot du Vieillard. Depuis que je suis, jai toujours vu raffiner sur les moyens de contenir le Peuple, et rendre la vie difficile par mille petites prcau-tions ; comme si ce ntait pas assez de la gele, de la grle et du feu pour nous dsoler, et quil faille que les Hommes sy joignent. Mais mesure quon a raffin, le Mchant a raf-fin aussi pour luder la loi trop raffine ; et de raffinerie en raffinerie, on en viendra un jour ne faire que finasser en-semble, le Matre et les Sujets : moins quon ne se dise en fin finale, clairement et face face, Je veux cela tort ou droit :

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    Je ne veux pas, moi, bien ou mal, et que tous les liens ne soient rompus. Ne valait-il pas mieux agir tout simplement ? Est-ce que le Ministre et le Magistrat sont plus que des Hommes ! Est-ce que le Sujet et le Fripon sont moins que des Hommes ? Si tu inventes une finesse, jen invente une autre, et ce nest que lHomme droit qui perd cela. Fin contre fin la doublure nen vaut rien. Il faut que le Gouvernement donne lexemple de la franchise, de la droiture, de la loyau-t : sinon, Prtres, sermons, messes, vpres, salut, tout cela est du soin perdu.

    Que vous tes heureux, Pre Brasdargent, davoir tant vu de choses, et de vous en souvenir !

    Mon Enfant, nenvie pas mon sort, ni ma vieillesse : Il y a quarante ans que jai perdu le dernier des Amis de mon enfance, et que je suis comme un tranger au sein de ma Pa-trie et de ma Famille : mes Petits-enfants me considrent comme un Homme de lautre monde. Je nai plus personne qui se regarde comme mon Pareil, mon Ami, mon Camarade. Cest un flau quune trop longue vie. Songe donc, mon En-fant, que depuis vingt-cinq trente ans, chaque nouvelle anne, je la croyais la dernire ; que lesprance, ce baume de la vie de lHomme, le riant avenir de la Jeunesse, et mme de lge mr, ne sont plus pour moi : que le sentiment si vif qui attache un Pre ses Enfants ; le plaisir aussi vif de voir ses Petits-enfants, tout cela est us pour moi. Je vois commencer la cinquime gnration : il semble que la nature ne veuille pas tendre si loin notre sensibilit ; ces Arrire-petits-enfants me semblent des trangers. Je vois que de leur ct, ils nont aucune attache pour moi ; au contraire, je leur fais peur, et ils me fuient. Voil la vrit, mon cher Ami, et non les beaux discours de nos Biendisants des Villes, qui tout parat merveille, la plume la main.

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    On ne peut disconvenir que ces ides ne soient trs saines : la dernire nest pas consolante ; mais la premire, sur le raffinement continuel dans les prcautions de lAdministration publique, est lumineuse : et je ne me sou-viens pas de lavoir vue nulle part, quoique tous les jours on en sente les funestes effets.

    Aprs les semailles des bls, Edmond retourna chez lAvocat R. et y reprit les tranquilles occupations, avec au-tant de facilit que sil ne les et pas quittes. Il y avait chez ce Parent, outre ses deux Fils, un Cousin-germain (mon Pre ntait quissu de germain de lAvocat Rtif), nomm Daiguesmortes ; Ctait un Jeune homme de la plus belle es-prance : la dlicatesse de son esprit, ses talents prcoces le faisaient chrir de lAvocat dune manire si distingue, que cet Honnte homme craignit de donner de la jalousie Ed-mond. Un jour il lappela pour faire avec lui un tour dans son jardin. Aprs quelques instants dune conversation affec-tueuse, il lui dit :

    Edmond, je suis content de vous ; vous faites ce que vous pouvez, et sil y a quelques manques dans votre travail, elles viennent de votre incapacit, et point du tout de votre faute. Mon cher Enfant, je taime, parce que tu es un bon Su-jet, et je vais te parler avec la franchise qui nous est natu-relle, nous autres Rtifs, par-dessus tous les autres Bour-guignons : Tu dois ttre aperu que jai une sorte de prdi-lection et de complaisance pour Daiguesmortes : il est mon Cousin-germain, et Fils dune Tante qui ma servi de Mre : mais ce nest pas tout : il a infiniment desprit, et mon but est de seconder la nature de tout mon pouvoir ; persuad que ce Jeune homme peut se faire un nom, et nous illustrer tous. Voil pour lui. Quant toi, vouloir te traiter comme lui, ce serait du temps, et des soins perdus : il a de lesprit, et tu

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    nen as point ; je tranche le mot ; un Autre te flatterait ; moi, je te dis la vrit. Mais, mon cher Edmond, tu ne dois pas tre mcontent de la part que ta donne la Nature. Il est inu-tile de mexpliquer davantage ; si jtais faiseur dhommes, et, comme diraient les Grecs, un Thanthrope, je sais bien desquels je ferais un plus grand nombre ; ce ne serait pas des Daiguesmortes. Comme je te le disais tout lheure, il est mon Cousin-germain, il a un degr de plus que toi ; mais tu portes mon nom, et par l, vous mtes au moins gaux. Va, mon Cousin, va travailler, et songe bien que je suis ton bon ami toujours. Tu pourrais bien un jour me faire le plus dhonneur ; car je crains en diable ces Gens desprit : je ten citerais bien des exemples ; mais je ne veux pas.

    Mon Pre nous a racont lui-mme cette conversation, et il appuyait avec une sorte de complaisance, sur les en-droits qui lui paraissaient le plus dfavorables : Cest que ce digne Homme navait pas besoin des qualits brillantes : il en avait tant de solides, et de celles qui honorent vritablement lhumanit ! On ne sait ce que Daiguesmortes serait devenu ; ce Jeune homme mourut lge de dix-neuf ans.

    Au printemps suivant, Edmond retourna chez son Pre. Il y trouva tout en beaucoup meilleur tat que la premire fois : Cest quil avait lui-mme dress un Garon de charrue, parent de la maison, pendant le semestre prcdent. Cet ex-cellent Paysan, nomm Touslesjours par sobriquet, tait un Rtif. (Tous ceux qui portent ce nom, mon Pre me la sou-vent rpt, tant dans lAnjou, que dans la Bourgogne et dans le Dauphin, sortent de la mme souche.) Jai dj rap-port dans lCOLE DES PRES lorigine de ce sobriquet : mais comme cet utile Ouvrage est peu connu, parce que je nai pas su le bien faire, sans doute, je vais la remettre ici.

  • 31

    Ce jeune Garon tait au Catchisme ; il navait alors que neuf dix ans : Les grands Garons et les grandes Filles avaient rpondu la question du Cur, Combien de fois doit-on pardonner au Prochain ? les uns, septante fois sept fois, comme le dit lvangile, les autres, le plus quon peut. Quand le Pasteur en fut au petit Homme, celui-ci rpondit : On doit pardonner tous les jours.

    Vous avez raison, mon Enfant ! dit le Cur, en lui pre-nant la joue ; vous avez le mieux rpondu : Notre Prochain nous offenst-il tous les jours ; tous les jours il lui faut par-donner.

    Le mot de tous les jours ne tomba pas ; on en fit le sobri-quet du petit Garon, qui la toujours honor, comme on peut le voir dans lOuvrage que jai cit.

    Edmond fut trs satisfait de la conduite du jeune Tou-slesjours ; ils contractrent une tendre amiti : et comme cet Aide lui donnait un peu de relche, il se remit, ses mo-ments de loisir, une tude bien importante pour le cur humain, celle de nos critures sacres.

    Il y avait dans la maison paternelle une Bible complte, un peu gauloise, mais qui par l mme exposait les belles vrits renfermes dans ce plus ancien des Livres, dune ma-nire plus nave et plus touchante. Ce fut l quEdmond, dont le cur tait droit, puisa cette excellente philosophie, qui doit le distinguer un jour : il y prit le got des vertus su-blimes et patriarchales ; il trouva dans le Lvitique, dans les Nombres, et surtout dans le Deutronome, la Jurisprudence de la raison, et la source de toutes les Lois. Parvenu aux Livres sapientiaux, il les lut avec admiration ; il y apprit les principes de la vritable conomie, quil aimait dj ; la vri-table conduite des poux dans le mnage : enfin, il conut

  • 32

    par cette lecture, que le mariage est le seul tat lgitime de lHomme, et qu moins dempchements physiques, cest un crime den prendre un autre. Il lut les Prophtes : mais ja-mais il ne nous a dit ce quil en pensait ; un esprit si juste ne pouvait apparemment goter lenthousiasme. Quant au Nou-veau Testament, qui fait comme la Seconde Partie de la Bible, il na jamais fait lire dans les lectures de famille, que lvangile de Saint Matthieu, les Actes, et les ptres de Saint Jean : Jignore absolument la raison de cette conduite : il ne sen est jamais expliqu. Mais le Livre auquel il avait vou son admiration, celui auquel il revenait sans cesse, quil citait toujours, ctait la Gense, et dans la Gense, son Hros tait Abraham. Il tendait son respect pour ce Patriarche jusque sur ses Descendants, chargs aujourdhui de lexcration pu-blique, et il leur a souvent donn des marques touchantes dhumanit, et mme de considration.

    la fin de ce semestre, Edmond ne retourna pas Noyers chez lAvocat Rtif : On voulut quil vt la Capitale. Il partit pour Paris le 11 novembre 1712, et entra Clerc chez un Procureur au Parlement, nomm Me Mol.

    Cest ici un nouvel ordre de choses : mais Edmond sera toujours le mme. Quoique dun temprament vigoureux, le respect quil avait pour sa Mre, stendait tout son sexe, et le prserva toujours du libertinage ; dailleurs, il tait labo-rieux, et loccupation est lantidote de tous les vices.

    Je ne dois pas omettre une petite aventure qui lui arriva dans son voyage.

    Plein de vigueur et de sant, Edmond ddaigna toute es-pce de voiture publique : charg de son paquet, compos dun habit propre, deux vestes, deux culottes, huit chemises, plusieurs paires de bas, enferms dans une peau de chvre

  • 33

    lpreuve de la pluie, il gagnait au pied, et faisait gaiement dix-huit lieues par jour : il en aurait pu faire davantage, sil navait eu quun jour marcher ; mais il en avait au moins trois. La dernire journe cinq lieues de Paris, il fut accost par un Vieillard cheveux blancs, charg dune banne fort pesante. Ils marchrent quelque temps de compagnie : Ed-mond, qui avait doubl le pas pour arriver de bonne heure, allait fort lestement.

    Jeune homme ! que vous tes heureux, lui dit le Vieillard : votre paquet nest quune plume pour vous, et si je gage quil est plus pesant que le mien ? mais cest quavec le mien, outre son poids, je porte encore soixante et dix annes que jai sur la tte. Il faut vous laisser aller seul.

    Edmond, touch du discours du Vieillard, lui rpondit :

    Si vous le souhaitez, je vous soulagerai pendant quelques lieues : ce fardeau ajout au mien ne me surcharge-ra gure, et je ne serai priv ni de votre honorable compa-gnie, ni de votre conversation rcrative et amusante.

    Effectivement, le Vieillard (ctait un Lyonnais qui allait et venait sans cesse dans les pays trangers pour son com-merce) avait enchant le jeune R. par sa conversation. Il fit quelques petites difficults ; mais comme loffre tait lquivalent dune proposition quil cherchait faire, il se rendit, ils vinrent ainsi jusqu Villejuif : L, le Vieillard offrit un petit rafrachissement : mais le Jeune homme qui ne bu-vait pas de vin, et qui tait press darriver, le pria de re-mettre cela jusqu Paris.

    Mais vous tes fatigu ?

    Je vous porterais avec votre banne, si le malheur vou-lait que vous ne pussiez marcher.

  • 34

    Le Vieillard ne se sentait pas daise de trouver un Gar-on si complaisant.

    Je me fie vous, comme mon Fils, lui dit-il ; jai af-faire ici un instant : laissez-moi la banne : mais, si vous le trouvez bon, je mettrai dans votre paquet ce quil y a de plus pesant.

    Edmond, linnocence et lingnuit mmes, y consentit volontiers. Le Vieillard arrangea cela comme il voulut ; on recousit ensuite la peau de chvre avec du gros fil, et le Jeune homme la remit sur son dos, pour continuer sa route.

    Si je ne vous rattrape pas avant dentrer Paris, lui dit le Vieillard, attendez-moi cette adresse.

    Il lui donna celle dun cabaret de la rue Mouffetard, o il tait connu.

    Le jeune Edmond arriva seul aux barrires. On lui de-manda ce quil portait ?

    Mon paquet ; un habit, mon linge.

    On entrouvrit la peau de chvre, et la vrit de la dcla-ration fit ngliger de fouiller entirement. Dailleurs, on sait que les Commis ne recherchent avec une certaine exactitude, que sur les Gens vendus ou suspects. Un Jeune homme naf, dont la candeur brillait sur le visage, ne leur donna aucun soupon. Il passa, et fut attendre le Vieillard pour lui re-mettre son dpt.

    Celui-ci navait eu garde de le rejoindre, ni dentrer par la mme barrire, ni mme de laller prendre lendroit indi-qu. Il gagna par la porte Saintbernard, o il fut fouill jusque sous la chemise, il fut mme suivi ; car on connaissait une partie de ses ruses et on ne pouvait imaginer quil vnt

  • 35

    vide, Il alla dans une rue fort loigne de celle o il avait dit au jeune R. de lattendre ; mais il se hta de lui dpcher un petit Garon, qui lamena chez des Personnes, auxquelles Edmond remit le dpt : ensuite, on le conduisit auprs du Vieillard.

    Ds quil fut entr, cet Homme rus vint se jeter son cou, en lui donnant mille bndictions, et lui faisant mille caresses. Edmond fut surpris de cet excs de reconnaissance. Aux caresses succda loffre dun louis dor. Edmond remer-cia en rougissant, et dit quil tait assez heureux davoir obli-g un Honnte homme, sans en recevoir un paiement si con-sidrable. Il pria seulement quon voult bien le faire con-duire chez le Procureur auquel il tait adress. Mais, le Vieil-lard voulait absolument quil acceptt le louis dor, et pour ly engager, il lui dcouvrit limportance du service quil ve-nait de lui rendre.

    Vous mavez entr, lui dit-il, pour plus de 100 000 livres de marchandises : ce nest rien que ce que je vous pr-sente, et en bonne conscience, je devrais vous offrir davan-tage : mais je sais votre adresse ; soyez sr que je noublierai jamais un si grand service.

    Edmond connut alors que ctait un Contrebandier ; les marchandises quil avait entres devaient tre des pierres prcieuses. Il avait des notions justes de ce quon doit au Prince, qui ne peroit des droits, que pour le bien de ltat ; jamais, dans son pays, il navait voulu se prter aux petites fraudes sur les droits des vins, du sel ou du tabac. Il rpondit au Vieillard, daprs ces principes.

    Monsieur, je vous ai servi dans la droiture de mon cur ; je nen suis pas fch : mais je suis au dsespoir davoir contribu frauder les droits du Prince : recevoir un

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    prix, ce serait participer une action que je dteste. Soyez sr de ma discrtion. Je ne suis point un tratre. Mais adieu : Je ne prendrai pas ici un verre deau.

    Et il sortit, laissant le Vieillard et ses Htes dans le plus grand tonnement.

    Le Procureur Mol, lorsquil eut Edmond, voyant un beau Garon qui avait lair dun Hercule et la douceur dune Fille, le mit diffrentes preuves, pour sassurer de lui, dans la vue de lui donner toute sa confiance. Edmond, dans linnocence de son cur, ne saperut pas quon lprouvait : il lui paraissait naturel que lor ft rpandu dans une maison riche : mais comme il tait soigneux, il le ramassait, et le re-mettait sans mot dire sur le bureau du Procureur. Seul en apparence avec deux Jeunes personnes, la Demoiselle et sa Suivante, Edmond rpondait la Premire avec respect ; lAutre avec bont, et retournait louvrage, ds quil cessait de leur tre utile. Le Procureur fut enchant davoir ce trsor dans sa maison : outre que linfatigable Edmond expdiait louvrage avec une rapidit prodigieuse, que son criture de village tait naturellement dune beaut peu commune, et si bien forme, quon la lisait comme limpression, ctait un Homme tout : il ne trouvait rien de honteux que linoccupation : ctaient les murs de son pays ; il nen a jamais chang. Il devint bientt cher toute la maison. On le lui montra, on le lui dit, et il nen abusa pas. Lorsquon lui avoua les preuves, il fut tonn ; mais sa rponse fut un agrable sourire.

    Tant de mrite fut sur le point de faire la fortune dEdmond : et cest peut-tre ce quon va lire bientt, qui est le plus beau trait de sa jeunesse.

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    Parfaitement connu de son Procureur au bout dun an de sjour, cet Honnte homme dsira de lavoir pour Gendre : il en parla sa Fille, de concert avec son pouse : mais la Jeune personne avait le cur prvenu.

    Elle nosa cependant pas le dclarer ses Parents ; elle garda un modeste silence. Edmond, depuis ce moment, tait regard comme lEnfant de la maison, et y jouissait de la plus grande libert. Il saperut que Mademoiselle Mol cherchait lentretenir en particulier : mais par une sorte de pudeur un peu sauvage, il lvitait. Enfin un jour, ils se trouvrent tte tte.

    Jai vous parler, Edmond, lui dit la Jeune personne, dune chose qui est de la plus grande consquence pour moi : me promettez-vous de mobliger ?

    De tout mon cur, Mademoiselle.

    Quoi que ce soit ?

    Oui, quoi que ce soit.

    Vous savez la rsolution de mon Pre ?

    Il ma fait lhonneur de men dire un mot : mais je me trouve indigne dune si grande faveur.

    Non, Monsieur, vous nen seriez pas indigne : cest moi, qui ne vous mrite pas, ayant au cur une autre affec-tion Cela vous surprend : mais, mon cher Edmond, jattends de vous un service ; il faut me le promettre ?

    Je vous le promets, Mademoiselle.

    Cest de me refuser, sans parler de ce que je viens de vous dire ?

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    La chose est dure et difficile ! Ce sera bien dire ce que je ne pense pas ! Mais enfin, vous le voulez ; je vous refuse-rai, Mademoiselle. Mais si mon Pre allait mordonner nous serions dans un terrible embarras !

    Jai pris une prcaution : je lui ai fait crire par Th-rse une chose qui lpouvantera.

    Je vous rponds de ce qui dpend de moi.

    Ds le lendemain, le Procureur sexpliqua clairement avec Edmond ; qui fit entendre, quil ne pouvait encore son-ger au mariage.

    Une pareille manire de rpondre ses bonts, confon-dit le Procureur, qui connaissait le peu de fortune de son Clerc.

    Jusqu ce moment, je vous avais cru sens, lui dit-il : mais dites-moi ce que vous voulez que je pense dun Jeune homme, qui refuse une jolie Fille avec cinquante mille cus ? Jaime ma Fille, cest mon unique hritire ; je veux faire son bonheur, en la donnant, non un Effmin ; mais un hon-nte Mari, qui laime de faon la prserver de lenvie, ou du besoin den aimer dautres. Dis donc, est-ce quelle ne te plat pas ?

    moi, Monsieur ? Cest une charmante Demoiselle !

    Et tu ne songes pas au mariage ?

    Je ne la mrite pas.

    Oh ! ce nest que cela ! Je vais crire ton Pre.

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    Vous tes le matre, Monsieur ; jai de vos bonts la plus vive reconnaissance ; mais je ne saurais accepter lhonneur que vous me voulez faire.

    Allons, Monsieur, je ne prtends pas vous forcer : je conviens que jai tort. Quelque Grisette de votre village vous tourne la tte. Vous pouvez y retourner quand il vous plaira.

    Le Procureur srieusement en colre, comme le sont les bons curs, lorsquils croient montrer de la gnrosit un Ingrat, alla trouver son pouse, et exhala tout son ressenti-ment contre Edmond. Cette Dame, envers laquelle le jeune R. stait toujours montr aussi soumis, aussi respectueux que zl, ne fut pas moins surprise que son Mari. Mais comme les Femmes sont plus ruses que les Hommes, elle sentit quun pareil refus ntait pas naturel.

    Il aime une Villageoise, lui dit son Mari.

    Ce nest pas cela : la Villageoise ne lemporterait pas sur notre Fille au bout de dix-huit mois : jai dailleurs des preuves certaines quil nest pas sans attachement pour elle.

    Parbleu, ma Femme, la preuve en est parlante !

    Laissez-moi dmler tout cela avec votre Fille.

    Cependant le bruit se rpandit dans la maison, quEdmond tait renvoy. Tout le monde le regrettait ; et lon allait se demandant, quel tait donc le sujet de mcon-tentement quil pouvait avoir donn. Mademoiselle Mol ayant appris ce qui se passait, en comprit bien la cause : cette Jeune Personne, qui navait os avouer ses vritables sentiments son Pre, ni mme sa Mre, fut si touche de la gnrosit dEdmond, quelle se rendit auprs deux aprs le dner, o elle avait eu la preuve que les dispositions de son

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    Pre ntaient plus favorables pour le jeune R. Les deux poux concertaient ensemble la manire de sy prendre, pour tirer la vrit de la bouche de leur Fille, lorsquelle se prsenta, en rougissant. Elle commena par des caresses ; ensuite elle les pria de lui pardonner. On lui demanda, ce quon avait lui pardonner ? Alors, en hsitant, elle fit laveu du refus quelle avait exig dEdmond, et du motif. Le Procu-reur Mol fut si content de navoir pas se plaindre de son Favori, que ce fut la premire chose qui le frappa :

    Vous aviez raison, ma Femme ! Pour vous, Made-moiselle, retournez dans votre chambre, on vous parlera.

    On fit appeler Edmond.

    Quoi, mon Ami, dit le Procureur, tu maurais quitt, pour complaire une Fille qui ne veut point de toi !

    Monsieur, avant de me rendre ce que Mademoiselle a exig de moi, jy ai rflchi une nuit entire ; et la conclu-sion a t, quil tait bien plus important que Mademoiselle votre Fille ft bien avec vous, que votre Clerc ; voil mon motif : Du reste, je vous rvre, et jaurais tendrement aim Mademoiselle Mol, si cela mavait t permis. Si donc jai une faveur vous demander, Monsieur, cest qu cause de moi, Mademoiselle nessuie aucun reproche de votre part ; car cela me serait trop sensible : Et je souhaite lgal de mon propre bonheur, que vous puissiez lui accorder le dsir de son cur ; car cest une aimable Personne, et qui mrite dtre heureuse !

    Le pauvre Garon, dit M. Mol, il se sacrifiait ! Va, tu me fais regretter doublement de ne te pas voir mon Gendre : mais je suivrai ton conseil, et tu ny perdras rien.

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    Cest prsent que je vais raconter le trait que jai an-nonc ; ce que je viens de dire nen est que la prparation. Mademoiselle Mol pousa son Amant, qui tait un jeune Notaire, et qui paraissait un Parti fort sortable. Mais elle ne fut pas heureuse : jen dirai un mot dans la suite.

    Durant les noces de sa Fille, Monsieur Mol parla dEdmond un de ses Amis, nomm M. Pombelins, riche Marchand de soieries, qui tenait la mme boutique qui fait encore aujourdhui langle des rues Traversire et Saint-Honor, un peu au-dessous des Quinze-vingts. Il ne lui cacha pas le trait que je viens de rapporter, et stendit sur toutes les qualits du Jeune homme. M. Pombelins fut enchant. Cet Homme avait deux Filles, toutes deux charmantes ; lAne, surtout, tait une Jeune personne accomplie. Son Pre la chrissait. Toute sa crainte tait de la sacrifier en la mariant ; et lorsquon lui en parlait quelquefois, il rptait les larmes aux yeux ces vers dEuripide :

    Apostolai gr makriai mn,all oms

    Dknoisi tos tekontas otan llois domois

    Padas paradid poll moktsas Patr.

    Le jour des noces est beau : mais qui peut exprimer langoisse dun Pre, qui met lune de ses Enfants, avec tant de soin et de tendresse, leve sous le pouvoir dun Incon-nu !

    Ce qui effrayait encore Monsieur Pombelins, cest que la belle Rose, tait fire et ddaigneuse, et que les Maris bru-taux se font un plaisir dabaisser ces sortes de Femmes, proportion de la peine quils ont eue les obtenir.

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    La confidence de son Ami, fit faire des rflexions ce bon Pre de famille : il rsolut dexaminer par lui-mme le jeune Edmond, et de se rgler sur ses propres dcouvertes.

    Il nen eut pas la facilit durant les noces : Edmond, pendant ces jours de plaisir, seul ltude, faisait en sorte que les affaires nen souffrissent aucun retard ; il expdiait son ouvrage et celui de ses Camarades. Mais lorsque tout eut repris son cours naturel, il eut un peu de relche. Ce fut alors que Me Mol lui parla de lestime que M. Pombelins avait conue pour lui, et du dsir quavait cet Honnte homme de faire sa connaissance. Le prtexte quil donna, fut que le Marchand souhaitait quil perfectionnt ses deux Filles dans larithmtique. Il suffisait de montrer Edmond un but dutilit, pour tre sr de son empressement le remplir. Il alla chez M. Pombelins. Il la avou depuis ; il fut bloui des charmes de Rose : jamais rien de si beau navait frapp sa vue : cette charmante Personne possdait tous les avantages de la figure, toutes les autres perfections du corps, unies aux qualits du cur et de lesprit. La fermet dEdmond ne fut point lpreuve de tant de mrite : ce fut l sa premire et unique passion. Car il avait vit de se livrer son penchant dans les deux occasions prcdentes. Il se garda encore dans celle-ci, dy abandonner son cur, avant de savoir, si sa re-cherche serait approuve par les Parents de la Demoiselle. Il remplit durant trois mois les intentions du Pre, sans laisser rien chapper qui dcelt ses sentiments. Il ny avait que son exactitude qui ft prsumer quil trouvait du plaisir dans cette maison.

    Les progrs des deux lves avaient dabord t ra-pides : elles savaient dj, et ds les premiers jours, le Matre crut navoir presque rien leur montrer. Il vit ensuite avec

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    une sorte de surprise, quon en restait toujours au mme point : il sen prit lui-mme, et redoubla defforts.

    La plus jeune des deux Surs, nomme Eugnie, tait aussi jolie que sa Sur tait belle ; et aussi vive, aussi tour-die, que sa Sur tait grave et pose : elle stait aperue de la bonne volont de son Pre pour le jeune R. ; elle avait en-tendu la drobe, quelques discours de M. Pombelins son pouse, o il faisait son loge : elle ne connaissait pas le fond de leurs intentions, mais elle prsuma quelle ne dplai-rait pas ses Parents, en traitant bien ce Jeune homme.

    Un jour quil lui donnait leon, la petite Personne lui dit en riant :

    Ne vous cassez pas la tte ; tenez, je sais faire cette rgle aussi bien que vous ; et mme dune manire plus courte : Nous sommes seuls ; causons un peu.

    Edmond surpris de ce langage, ne put rpondre. La Jeune personne continua :

    Je suis sre que mon Papa et Maman vous aiment, et quils ne vous refuseraient pas lune ou lautre de nous deux ma Sur Rose : ma Sur est plus belle ; elle lemporterait srement, si elle voulait : Je ne veux pas mattacher, quelle ne se soit explique : faites-la se dcider, et son refus, comptez sur moi. Je vous parle franc, parce que je sais que vous ltes. Rpondez-moi de mme ds prsent Mais je ne demande pas, ajouta-t-elle, voyant quEdmond tait em-barrass, que vous me prfriez ma Sur ? Je ne veux quadoucir son refus, si elle en fait, et vous prvenir, que vous avez un pis-aller, qui nest pas tout fait dsagrable. Je sens que cela est un peu libre, et que les Filles de votre Pays nen diraient peut-tre pas autant : mais soyez sr que

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    je ne suis pas amoureuse de vous ; non, en vrit mais jaimerais bien avoir un Mari comme vous ; il me semble quune Femme vivra heureuse et tranquille avec un Garon aussi raisonnable, aussi rang, qui na aucun des dfauts de nos jeunes Parisiens : car, vrai, Monsieur Edmond, je ne les saurais sentir. Voil ce que jtais bien aise que vous sussiez.

    La Sur de la petite Eugnie rentra en ce moment : Rose prit sa leon, et le Matre se retira.

    Lorsque les deux Surs furent seules, Eugnie, qui stait bien aperue que sa Sur ane avait la prfrence dans le cur dEdmond, rsolut de la faire expliquer, pour savoir quoi sen tenir.

    Ma chre Rose, lui dit-elle ; tu sais que nous sommes aussi bonnes amies que bonnes surs : tiens, parle-moi sin-crement si mon Papa et Maman te proposaient M. R. le prendrais-tu ? Jai mes raisons pour te faire cette question, laquelle il faut rpondre sincrement. Il ny a pas l rougir, et je ne suis pas ton gard un personnage si terrible ! Al-lons, parle donc ?

    En vrit, dit Rose, voil une singulire ide qui te prend-l tout dun coup !

    Je te le rpte jai mes raisons : que penses-tu de notre Matre ?

    Mais, quil ne ressemble point du tout aux Jeunes gens que jai vus jusqu ce jour.

    Ainsi tu naurais pas dobjection faire contre lui ?

    Je narrte pas mes ides l-dessus.

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    Oh ! bien moi, jy arrte les miennes ; le mariage est un tat honnte, ce me semble ; car Maman ne me parat point du tout honteuse davoir pous notre Papa ; bien plus, je crois quil est trs important dy songer beaucoup ; car cet engagement-l est pour la vie.

    En vrit, Eugnie, cest tort quon te nomme folle ! voil raisonner avec une sagesse dont je ne taurais pas crue capable. Eh bien, ma petite Sur si ctait mon Pre et Maman qui le voulussent, je verrais Non que jaime ce Jeune homme mais il est tel quil faut, pour ne pas minspirer de rpugnance pour le mariage.

    Eh ! voil tout justement ce que je viens de lui dire ! Nous avons les mmes ides !

    qui, de lui dire ?

    Edmond. Sa timidit ma touche : comme je crai-gnais que tu ne le refusasses, et quil est dj si timide, quun refus laurait je lui ai dit, pour lui marquer de la considra-tion, et lenhardir un peu, que si tu le refusais, que je ne le refuserais pas.

    Quoi ! ma Sur ! vous avez

    Il ny a pas de mal cela ! Il te plat : on men trouvera bien un autre ; ds demain, je lui dirai que tu consens.

    Mais cela ne se fait pas comme a, ma Sur ! Gardez-vous bien

    Je ne lui dirai donc pas mais si tu dois te marier la premire, je pourrais bien attendre jusqu trente ans. Il ne dira rien ; tu ne parleras pas ; au contraire, car je te connais, tu vas devenir plus fire

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    Cest nos Parents

    Ah ! tu as raison : je vais le dire Papa

    Et la petite Folle, sans couter sa Sur qui la voulait re-tenir, y courut en chantant.

    Les Parents de Rose furent charms dapprendre le se-cret de leur Fille ane. Ils mnagrent cependant son ai-mable confusion, et la laissrent tout son aise, donner un presque dmenti sa jeune Sur. Mais ds le mme soir, M. Pombelins alla voir Me Mol, pour lui apprendre que leurs projets taient en bon train de russir.

    Il ne sagit plus, ajouta-t-il, que de voir si la conduite prsente du Jeune homme est bien assure.

    Je vous en rponds, dit Me Mol mais cependant faites toutes les preuves que vous jugerez propos ; je vous se-conderai, et je vous engage ma parole dhonneur de ne vous pas trahir.

    Le lendemain le jeune R. fut reu avec encore plus de cordialit que de coutume par M. Pombelins. Ce bon Pre de famille lui parla pour la premire fois de ses desseins pour ltablissement de ses Filles.

    Mon Ami, lui dit-il, depuis que jai reu de la nature le titre de Pre, jai donn toute mon attention en bien rem-plir les devoirs dabord, et tant que mes Enfants nont eu be-soin que du secours de leur Mre, jai fait mes affaires, pour les mettre au-dessus de la ncessit. Jy ai russi, grce au Ciel, et les deux Filles qui me sont restes de six Enfants, au-ront une dot honnte. prsent que les voil grandes, dautres soins. Jai en leur faveur, tudi le cur humain de-puis longtemps, et surtout la trempe du caractre des Gens

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    de la Ville : ctait ltude la plus ncessaire, puisquelles en sont citoyennes, et quelles doivent sy fixer. Cette tude, mon Ami, ma amen une triste dcouverte : Cest que lHomme n la Ville, na jamais la solidit de lHomme n la Campagne : il est futile, compar ce dernier, en dpit de tous les soins ; il faudrait, pour le rendre tel quil doit tre, un Homme, le regreffer la campagne, pour ainsi dire, en ly levant depuis sa naissance, jusqu quinze vingt ans, selon quil serait ou tardif ou prcoce. On recherche les causes de la corruption des Romains et du bouleversement de la Rpu-blique ; il ny en a pas dautres que labtardissement et leffmination des races Romaines la Ville : tant que les jeunes Patriciens travaillrent la terre, ils furent vertueux et comme le disait trs bien un jour M. Mol, lhomme exempt des passions de conservation, se livre tout entier aux pas-sions de luxure en tout genre, ou dambition, ou toutes en-semble. Jai encore fait une autre remarque, plus politique que morale ; cest qu mesure quelles vieillissent, nos an-ciennes Maisons de commerce perdent de leur activit, joserais mme dire, de leur probit, plus encore que de leur industrie. Et cela est naturel, mon Ami ; perdant de leur acti-vit, et leurs besoins de luxe croissant, il faut ncessairement quelles perdent de leur probit. Jen ai infr de bonne heure, Quun Pre de famille, sil est sage, portera ses Fils un autre genre de vie que le sien ; afin de croiser les occupa-tions, comme on croise les races pour les perfectionner ; et que lorsquil sagira de ses Filles, il rafrachira, pour ainsi dire, lespce humaine, en ne leur donnant pour Maris que des Jeunes gens de Province, actifs, laborieux, conomes, vigoureux, sains de corps et desprit ; cest--dire sans tra-vers dans le dernier, et sans dfauts dans lautre. Quand ces Jeunes gens nauraient rien, sil sait bien choisir, leurs murs et leur activit sont une excellente dot. Jen ai vu des

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    exemples, chez des Pres de famille qui sont dans mes prin-cipes ; et ces maisons sont aujourdhui opulentes. Mais si les Pres mettent leurs Fils dans le mme tat, lindolence va succder : sils marient leurs Filles des Citadins, je ne donne pas trois gnrations avant que tout nait dgnr.

    On mobjectera, que les Gens des Villes ne trouveront donc pas dpouses ? Je voudrais bien pouvoir dire, quon devrait faire un change, et leur donner des Filles de pro-vince, et nos Parisiennes aux Jeunes gens de la campagne. Mais malheureusement cela nest gure praticable : que fe-raient nos Parisiennes la campagne ? Elles y languiraient. Jen ai connu deux, qui maries dans votre province, nont pu saccoutumer ni la solitude, ni aux manires de leurs Maris, et qui sont mortes en langueur. Elles sont dailleurs incapables de tous les dtails rustiques, et ne sauraient pas mme commander. Cest donc le cas de dire, Sauve qui peut. Je ferai pour ma Famille, ce quil est impossible tout le monde de faire. Je nentrerais pas dans ces dtails avec un Jeune homme moins modeste que vous, Monsieur Rtif Je prfre pour mes Filles, un parti de province, et surtout de campagne, avec rien, un Parisien qui aurait un tablisse-ment considrable.

    M. Pombelins crut stre suffisamment expliqu par ce discours ; et pour faire encore mieux entendre Edmond, que ctait la belle Rose quil lui voulait donner, de ce jour, il neut plus quelle pour colire : on envoya Eugnie passer quelque temps chez une de ses Tantes, nomme Madame De Varipon, qui venait de perdre son Mari, et dont le Fils unique tait alors absent.

    Malgr les frquents tte tte des deux Amants, Ed-mond fut deux mois entiers sans parler de sa tendresse, qui

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    pourtant tait extrme. Mais la distance que la fortune met-tait entre lui et la Demoiselle le rendait timide ; outre une certaine pudeur naturelle, qui ne lui permettait pas douvrir la bouche sur ses sentiments. Mais il tait tendre et respec-tueux envers le Pre et la Mre, et il marquait Rose une estime, un attachement, un dvouement si parfait, que ce langage devint assez clair pour Monsieur Pombelins. Il ne prcipita cependant rien ; et se voyant sr dun Jeune homme sans fortune, il tudia la marche de limptueuse passion de lamour dans une me honnte et neuve. Rien ntait si agrable pour ce Pre observateur. Rose, la fire Rose, subjugue par le mrite dEdmond, avait la satisfaction de conserver encore une apparence de libert, et se trouvait parfaitement heureuse. Edmond enivr damour, seul seule avec une Beaut ravissante, donnait sa voix naturellement douce, des inflexions plus douces encore : chaque mot, les mots les plus indiffrents exprimaient un je vous aime, par la manire dont ils taient dits ; par le regard timide et respec-tueux qui les accompagnait. Une douce familiarit, dange-reuse avec tout autre Amant, stait tablie entre Rose et Edmond ; ils commenaient se sourire dintelligence, quand un Tiers parlait ; Edmond tait dj en possession de rendre sa Matresse mille petits services qui sont le lot des Prfrs ; elle lui commandait avec confiance ; il lui obissait avec libert, quoiquavec un peu de prcipitation.

    Les choses en taient l, quand Eugnie revint la mai-son paternelle. Elle examina en silence les deux Amants pendant quelques jours, au bout desquels elle dit sa Sur :

    Ma chre Rose, je vais te faire une confidence.

    Je lentendrai avec plaisir, ma bonne Amie.

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    Cest que jai aussi un Amoureux.

    Aussi, ma Sur ?

    Oui : cest mon cousin De Varipon : il ma fait sa tendre dclaration la veille de mon retour ici. Je ne lui ai pas encore rpondu : mais je crois que je puis lui rpondre : vous voil daccord, Monsieur R. et toi ; ainsi, je suis dgage de la parole que je lui avais donne.

    En vrit, ma Sur cadette est dune pntration sin-gulire !

    Vrai ? ma chre Ane ? Allons, jen suis bien aise. Mon Papa ma dit hier, en parlant de mon Cousin, quil le trouvait bien form, bien raisonnable, et quil ntait plus du tout Pa-risien : ainsi, je vois que mes sentiments ne lui dplairont pas ; et nous serons toutes deux heureuses : nest-ce pas ?

    La belle Rose rougit, et ne rpondit rien. Edmond entra : car la petite Maligne avait eu soin de ne commencer cet en-tretien, qu lheure o il avait coutume de venir la maison.

    Ah ! vous voil bien propos ! Vous savez ce que je vous ai dit un jour ?

    Vous mavez fait lhonneur de me dire bien des choses, Mademoiselle.

    Ah ! vous rusez ! Je veux dire la chose que vous navez pas oublie, srement, malgr votre air modeste ?

    Non, Mademoiselle, je ne lai pas oublie, et je ne loublierai jamais.

    Oh ! vous le pouvez, pass aujourdhui : vous le pou-vez, entendez-vous ?

  • 51

    Aurais-je eu le malheur, Mademoiselle ?

    Non, vous navez pas eu le malheur (le contrefaisant) ; mais bien le bonheur de navoir pas besoin de ma gnrosi-t Comme vous voil tous deux ! en vrit ! il semble que je vous apprenne une nouvelle !

    moi, du moins, Mademoiselle, dit Edmond.

    la bonne heure ; mon retour aura donc servi quelque chose.

    Ma Sur nen est pas devenue plus srieuse, Mon-sieur, dit Rose, pour avoir pass un si long temps avec la Femme la plus raisonnable de Paris et la plus afflige.

    Gage que vous ne vous tes pas encore dit que vous vous aimiez ? Allons, tenez, il faut vous le dire, l, devant moi ; car, ma bonne vrit, il ny a rien de si vrai !

    Edmond palpitait de plaisir ; mais Rose tait en ce moment la plus belle des roses.

    Vous voil, Eugnie ! tu vois bien, ma Sur que ce que tu dis l est on ne peut pas plus tourdi et je ne sais en vrit quelle opinion M. Edmond va prendre de toi ?

    Oh ! je le sais bien, moi : lopinion dune Personne franche, qui le veut servir, et qui lui pargne bien de lembarras. Je suis sre quaprs toi, il maime de tout son cur.

    ce mot, Edmond ne put y tenir : des larmes de joie roulaient dans ses yeux :

    Oh ! vous lavez dit, Mademoiselle, scria-t-il : Dieu ! quelle Famille aimable ! et quel est mon bonheur den tre

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    estim ! Jhonore M. Pombelins lgal de mon Pre : cest le plus sage et le plus respectable des Hommes ; je ne saurais dire quel point je laime et le rvre : Madame Pombelins est pour moi limage dAnne Simon ; et si vous la connais-siez, Mesdemoiselles, vous sauriez que cest un grand loge. Pour vous, Filles charmantes, je mabstiens de vous louer : vous tes la perle de votre sexe. Fasse le Ciel que vous soyez autant heureuses que vous le mritez ! mais si jamais il de-vait y avoir quelque chose de ma part, je voue lUne de vous tous les sentiments respectueux et tendres ; lAutre une si vive et si efficace amiti, quelle ne se repentira jamais de ses bonts.

    Ah ! voil donc une dclaration ! scria Eugnie : elle est un peu neuve, ou plutt un peu antique ; mais je suis as-sez contente de ce qui me regarde Et vous, Mademoiselle ?

    Monsieur parle en honnte garon, et son discours est sage, quoiquil rponde vos folies, ma Sur, dit Rose en rougissant.

    Et voil que tu y rponds aussi, scria Eugnie. Al-lons ; prsent que vous tes Amants dclars, et presque mari et femme, faites-vous lamour, que japprenne, moi qui suis la cadette : dites-vous de bien jolies choses pas des fadeurs ! Vous ne manquez desprit ni lun ni lautre ?

    Je naurais qu suivre mon cur, Mademoiselle, r-pondit Edmond, pour adresser votre aimable Sur les choses les plus Mais jaime mieux les renfermer respec-tueusement ; un plaisir qui coterait sa modestie, cesserait den tre un pour moi.

    Ah Rose ! voil lAmant quil fallait ta charmante di-gnit !

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    Jespre par ma conduite, reprit Edmond en sadressant Rose, si vous daignez le permettre, Mademoi-selle, exprimer mieux que par mes discours, des sentiments solides et durables. Je ne demande tre encourag que par un seul regard dapprobation.

    Rose baissait les yeux sans rpondre.

    Cest le moins que cela, dit Eugnie.

    Alors cette charmante Fille leva ses beaux yeux sur Ed-mond, et lui tendant la main, elle lui dit : Vous tes le choix dun Pre que jaime et que je respecte, autant que vous res-pectez le vtre : cest de lui que vous apprendrez mes senti-ments, sil veut bien en tre linterprte.

    M. et Mme Pombelins entrrent pour lors auprs de leurs Enfants. Ils expliqurent clairement Edmond leurs vues sur lui, et lui proposrent la main de Rose. Aprs avoir reu les tmoignages de sa reconnaissance, M. Pombelins ajouta :

    crivez votre Pre : je nattends que son aveu.

    Il y avait alors deux ans et demi quEdmond tait dans la Capitale ; et il allait atteindre sa vingtime anne. Il ne lui vint pas mme dans lesprit de douter, quun tablissement aussi brillant que celui quon voulait lui faire, souffrt le moindre retard de la part de ses Parents. Il se trompait : aus-si est-ce dans la conduite qui va suivre, quEdmond a t un modle parfait de pit filiale.

    Pierre Rtif, son Pre, ntait jamais sorti de sa Pro-vince : il avait de la Capitale, surtout, les ides les plus tranges : et malheureusement il y avait t confirm par la Lettre que Mlle Mol lui avait fait crire, pour quil refust son consentement au mariage projet avec elle. Il se cacha

  • 54

    dans cette circonstance de M. lAvocat Rtif, ami de Me Mo-l.

    Ds quon eut reu Nitri la Lettre dEdmond, accompa-gne dune autre de son Procureur, on le crut perdu, tromp, victime de quelquarrangement honteux et dshonorant. Pierre, qui croyait son Fils moins obissant, et dj corrom-pu, prit, pour le faire revenir sur-le-champ, un moyen quil regarda cependant comme immanquable. Ce moyen ltait ; mais on nen avait pas besoin, et peu sen fallut que ce trop de prcautions ne nuist leur plan. Edmond, en apprenant quon le mandait pour recevoir les derniers soupirs de son Pre, svanouit, et son dpart fut retard dun Coche, On ne voulait pas mme le laisser partir, quon net crit, et reu une rponse de M. lAvocat Rtif. Le Procureur, qui sa Fille avait avou la Lettre, depuis son mariage, avait quelque soupon. Mais Edmond ne connaissait pas de retard en pa-reil cas. Il partit mourant, combl damitis de M. Pombelins, et regrett de Rose, laquelle on lui permit dcrire, en commandant cette Jeune personne de lui faire rponse.

  • 55

    LIVRE SECOND

    En arrivant Auxerre, Edmond y trouva Touslesjours, qui tait venu au-devant de lui cheval.

    Comment se porte mon Pre ? scria-t-il, en embras-sant son Camarade. Bien, bien ! rpondit le Jeune homme, qui ne savait pas le secret.

    Il est hors de danger ! je respire.

    Hors de danger ! il na pas t malade !

    Edmond ne sentit quun mouvement de joie cette heu-reuse nouvelle ; et quoiquil ft un retour fcheux sur les mo-tifs de son rappel, il nous la jur, il ne sentit que sa joie. Il partit, en sortant du Coche, sans sarrter une minute.

    En chemin, il ne sentretint avec Touslesjours, que de ltat de la maison et des travaux. Quand ils eurent fait envi-ron quatre lieues, et quils furent proches du bois de la Pro-venchre, o le chemin se partage en deux, Touslesjours, qui allait un peu devant, prit droite.

    Ce nest pas le chemin de Nitri ! lui cria Edmond.

    Je le sais bien : mais le Cousin votre Pre est Saci, o il vous attend chez M. Dondaine son compre.

    Ce M. Dondaine tait un richard de Saci ; homme dun grand bon sens, laborieux, conome, entendu, et qui ne de-vait lespce de fortune dont il jouissait qu ses bras, son intelligence. Dignes et honorables moyens damasser des ri-chesses ! Mais cet Homme tait dur, dune figure rebutante,

  • 56

    et dune force qui passait pour prodigieuse, mme dans son pays, o tous les Habitants sont des chevaux. Les dfauts de Thomas Dondaine taient pourtant moins les siens, que ceux de sa Patrie : la grossiret, la duret y sont comme innes : ce qui vient, je crois, de deux causes ; de lair pais quon respire dans le Village, situ dans un vallon, marcageux les trois quarts de lanne ; et du contraste subit quprouvent les Habitants, ds quils en sortent, en allant travailler leurs vignes et leurs champs, situs sur des collines o lair est dvorant, et dune vivacit si grande, que les Saxiates man-gent ordinairement en pain le double dun Homme des Vil-lages circonvoisins. On voit par l que les Gens de ce Bourg ne sont pas aimables mais ils ont tant dautres qualits, que lorsquon les connat, on ne saurait sempcher de les esti-mer, et de les regarder avec une sorte dattendrissement ; car ce sont aujourdhui, les Hommes les plus laborieux de tout le Monde peut-tre.

    Edmond connaissait Thomas Dondaine, et ne laimait pas : il savait que cet Homme avait trois Filles ; son Pre tait chez lui ; il se portait bien ; il ly attendait Son cur se gonfla ; il craignit quelque catastrophe. Arriv sur le ter-rain pre et strile de Saci, la vue de ces champs blanchis de pierres, et brls par le Soleil, les cris sourds et inarticuls des pesants Laboureurs qui luttaient contre la nature et la voulaient forcer de les nourrir, jetrent dans son me une tristesse et un abattement quil navait encore jamais prou-vs.

    Edmond arriva dans le bourg de Saci brl par la soif, et sentant dj linfluence du climat pour lapptit ; car dans ce pays seul peut-tre, lamour et la douleur ne sauraient lter.

  • 57

    Dans une chnevire, lentre du Bourg, taient trois Filles, paisses, lair hommasses, qui cueillaient le chanvre : leur activit, leur ardeur au travail, leur force transporter les masses, tonnrent Edmond. Il dit Touslesjours Elles ne sont pas belles ; mais cela fera de bonnes mnagres.

    En entrant chez Thomas Dondaine, Edmond y trouva son Pre. Au bout de trois ans, il en fut reu avec la svrit accoutume.

    Vous vous tes fait attendre, mon Fils !

    La nouvelle de votre maladie ma saisi, mon cher Pre.

    Je veux croire quil ny avait pas dautre motif.

    Celui-l tait bien suffisant ; et je bnis le Ciel de vous voir en pleine sant.

    Et fort gai, dit Thomas Dondaine Mais, Compre, voil un Fils bien damoiseau, pour labourer nos champs pier-reux !

    On va quitter tout cela.

    Il est impossible de rendre le grossier langage de Tho-mas ; le patois de ce Pays rpond lpret du sol et la fi-gure des Hommes : il est sourd, grossier, informe : tandis que le parler de Nitri est dlicat, sonore ; ce quon pourra facile-ment comprendre, quand on saura, quon y fait sonner les voyelles nasales la manire des Grecs ; quon y prononce tous les mots, avec une sorte daccent lger, dlicat ; et quon y parle le franais presque pur. Le Bourg est situ sur une plaine leve au-dessus des collines de Saci, et lair, qui nest pas rendu trop courant par les vallons, y est pur, sans y tre aussi vif.

  • 58

    Je vous ai mand pour vous marier mon Fils. Au lieu des Coquettes perfides et corrompues des Villes, je vous donne une Fille vertueuse, qui ne chrira que son Mari : vous auriez peut-tre eu plus de got pou